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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 29 janvier 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétitions relatives à la concession du chemin de fer d’Anvers à
Düsseldorf (Huveners)
2) Projet de loi autorisant
le gouvernement à expulser des étrangers (Van Cutsem,
d’Anethan)
3) Rapport de la commission
d’enquête
sur les causes de l’éboulement du tunnel de Cumptich (Delfosse,
de Mérode, Lesoinne, Rodenbach, Delfosse, Vanden Eynde, Manilius, Vanden Eynde), tunnel de Braine-le-Comte et chemin de
fer du Hainaut (Dumont, Dechamps,
Dumortier, Dechamps, Verhaegen, Sigart, de Mérode, Dechamps, Dumortier, Delfosse)
4) Projet de loi sur la chasse.
Discussion des articles. Responsabilité civile (article 1384) en cas de dommages-intérêts
et de délits de chasse (Henot, de
Bonne, d’Anethan, Orts, de Garcia, Savart-Martel, d’Anethan, Henot, Orts)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 515) M. de Villegas procède à l'appel nominal à une
heure.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du
procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.
M. de Villegas fait connaître
l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Plusieurs
commissaires de police, dans la Flandre occidentale, demandent une indemnité du
chef des fonctions d'officier du ministère public qu'ils remplissent près des
tribunaux de simple police. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
« Plusieurs habitants
de la commune de Casterlé prient la chambre d'accorder la demande en concession
du chemin de fer d'Anvers à Düsseldorf, qui a été faite par la société Auguste
Desfossés, etc. »
« Même demande
des habitants d'Ulmen, Meerhout, Westerloo. Baelen, Eynthout et Gheel. »
M. Huveners. - Je demande le
renvoi de cette pétition à la commission, avec demande d'un prompt rapport.
- Cette proposition
est adoptée.
M. Van Cutsem. - J'ai l'honneur de
déposer le rapport sur le projet de loi accordant au gouvernement le droit
d'expulsion contre les étrangers.
M. le président. - Ce rapport sera
imprimé et distribué.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Je prie la chambre de mettre ce rapport à l'ordre du
jour entre les deux votes du projet de loi qui nous occupe. La loi existante
expire le 1er mars ; il est indispensable d'avoir le projet discuté et la
nouvelle loi votée avant cette époque.
- La proposition de
M. le ministre de la justice est adoptée.
_______________
M. le ministre des finances (M.
Malou).
- Je prierai la chambre de vouloir bien porter à son ordre du jour, après le
second vote de la loi sur la chasse, le projet de loi relatif à la vente faite à
main ferme du palais du gouvernement provincial à Liège.
- Cette proposition
est adoptée.
RAPPORT DE LA COMMISSION D’ENQUETE SUR LES CAUSES DE L’EBOULEMENT DU TUNNEL
DE CUMPTICH
M. Delfosse. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la
commission d'enquête parlementaire, qui a été chargée de rechercher les causes
de l'éboulement du tunnel de Cumptich. Je dois faire connaître à la chambre que
ce rapport a été adopté à l'unanimité. Tous les membres de la commission
étaient présents, excepté un seul.
Plusieurs
voix.
- L'impression ! l'impression !
D'autres voix. - La lecture ! la
lecture !
M. de Mérode. - Je demande la lecture !
-
L'impression est mise aux voix et ordonnée.
M. Lesoinne. - Nous demandons en
outre la lecture.
M. Rodenbach. - D'après le règlement, l'impression des
rapports est de droit. Il n'était pas nécessaire de faire voter la chambre sur
la question de savoir si l'impression aurait lieu. Mais il est d'usage, quand
un rapport est important, qu'on accorde la lecture du rapport ou des
conclusions. On pourrait bien nous faire connaître les conclusions de la
commission d'enquête sur une question qui a été l'objet de plusieurs discours à
plusieurs reprises ; notre désir de connaître le résultat de l'examen de la
commission est tout naturel.
M. Delfosse. - Je crois qu'on ne peut pas donner lecture des
conclusions sans lire le rapport, car ces conclusions assez sévères sont
motivées par le rapport.
M. Vanden Eynde. - J'ai fait partie de
la commission d'enquête. Le rapport est très intéressant, mais il est long. La
lecture durera peut-être 3/4 d'heure, une heure.
M. Delfosse. -- La chambre désire-t-elle que je lui donne lecture
du rapport ?
Un
grand nombre de voix. - Oui ! oui !
(Note du webmaster : les Annales parlementaires reprennent la
lecture intégrale du rapport par Delfosse (pp. 515-522). Ce rapport n’est pas
repris dans la présente version numérisée. Après la lecture de ce rapport, les
débats ont continué comme suit.)
(page 522) M. Manilius. -Ne doit-on pas fixer un jour pour la
discussion de ce rapport ?
M. le président.. - Quand il sera
imprimé, on fixera le jour de la discussion.
M. Vanden Eynde. - Je pense que pour
la justification et l'intelligence du rapport, il faut faire imprimer les
interrogatoires et toutes les pièces qui ont servi à éclairer la commission.
M. le président.. - Le rapport sera
imprimé avec toutes les pièces à l'appui.
M.
Dumont.
- Je regrette que M. le ministre des travaux publics ne soit pas présent à la
séance. II me paraît constaté par le rapport que le tunnel de Braine-le-Comte a
été construit d'une manière qui présente des dangers. On a reconnu qu'une
partie de ce tunnel avait été construite avec de la chaux non hydraulique. Je
désire savoir si le gouvernement s'est assuré de la solidité de ce tunnel et
s'il ne présente aucun danger pour les voyageurs. Après la leçon terrible qu'on
a reçue, il est bon de prendre tous les renseignements possibles. Si le
gouvernement n'était pas complétement rassuré, mieux vaudrait interrompre le
passage par ce tunnel que d'exposer la vie des voyageurs en le continuant.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je pense qu'il
faut attendre, pour s'occuper de cet objet, que M. le ministre des travaux
publics soit présent. Cependant, pour ne pas laisser la chambre sous une
impression fâcheuse, je puis lui faire connaître que plusieurs enquêtes ont eu
lieu depuis l'événement de Cumptich, pour reconnaître l'état du souterrain de
Braine-le-Comte ; je sais même qu'un examen minutieux a eu lieu dernièrement,
et d'après les renseignements qui me sont parvenus, je crois que les résultats
de cette enquête n'ont pas le caractère alarmant qui résulterait de l'opinion
émise par les experts consultés par la commission d'enquête. Du reste, je ne
veux pas soulever une question pour la solution de laquelle les renseignements
me manquent, et il me paraît qu'il faut attendre la présence de M. le ministre
des travaux publics pour entendre ses explications et connaître exactement les
faits.
M. Dumortier. - Quand on a construit le tunnel de
Braine-le-Comte, déjà, à cette époque, des vices ont été signalés pendant la
construction même. Quant au rapport dont on nous parle des ingénieurs du corps
des ponts et chaussées sur l'état de ce tunnel, nous venons de voir, par le
rapport très lumineux de notre honorable collègue, M. Delfosse, jusqu’à quel
point ces rapports doivent nous inspirer toute espèce de confiance, surtout en
ce qui concerne les faits consommés. J'insisterai sur ce point. A la dernière
session, nous avons accordé les fonds pour créer une deuxième voie entre Mons
et Bruxelles. A cette époque, j'ai signalé l'importance qu'il y avait à ne pas
créer de deuxième tunnel, mais à établir la seconde voie à ciel ouvert. Je
demande s'il en a été ainsi ou si l'on compte percer un deuxième tunnel à côté
de celui de Braine-le-Comte. Dans tous les cas, je pense que le rapport de la
commission d'enquête et les enseignements qu'il contient doivent démontrer au
gouvernement la nécessité de renoncer à l'idée de faire un deuxième tunnel à
Braine-le-Comte et d'établir une voie à ciel ouvert.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je
pense qu'on ferait bien de ne pas discuter cette question en l'absence de M. le
ministre des travaux publics. J'ai fait connaître à la chambre l'année dernière
qu'il n'y aurait pas à Braine-le-Comte de second souterrain accolé au premier
et que la seconde voie se ferait à ciel ouvert.
M. Verhaegen. - Messieurs, la commission d'enquête, en vous parlant
incidentellement du tunnel de Braine-le-Comte, n'a fait que vous communiquer un
passage du rapport de MM. Dandelin, Lesoinne et Demanet ayant pour objet le
tunnel de Cumptich, sans y attacher d'ailleurs plus d'importance que ne le
comportent les circonstances.
On lit dans ce
rapport ce qui suit :
« Entre ces deux
extrêmes il y a une infinité de moyennes : avec un peu d'attention il n'est pas
difficile de classer certains mortiers suivant un ordre plus ou moins exact
d'hydraulicité ; ainsi au tunnel de Braine-le-Comte nous avons reconnu en de
certains endroits des jets d'eau pure, sortant des parois ou le mortier était
fort dur, d'autres où le mortier suintait était mou et au-dessous desquels se
trouvaient des stalagmites ; enfin d'autres d'où le mortier devenu presque tout
à fait liquide laissait passer des lessives du sol environnant. Nous pouvons en
toute confiance en déduire que dans les premiers endroits le mortier était
hydraulique, que dans les autres il l'était peu ou point du tout, que dans les
derniers la décomposition du mortier et la désunion des maçonneries était
complète et sur le point de l'être. »
La responsabilité du gouvernement, engagée dès
le principe dans cette grave question, est établie aujourd'hui d'une manière
bien explicite, et il ne pourra plus désormais prétexter d'ignorance.
M. le ministre des finances (M.
Malou).
- M. le ministre des travaux publics donnera des explications demain, à l'ouverture
de la séance.
M. Sigart. - Je pense, comme
M. le ministre des affaires étrangères, qu'on ne peut pas discuter relativement
à la solidité du tunnel de Braine-le-Comte, sans la présence de M. le ministre des
travaux publics. Mais d'un autre côté, on ne peut pas attendre pour s'occuper
de cet objet. Je suis d'avis qu'on invite M. le ministre des travaux publics à
se rendre au sein de l'assemblée.
M. de Mérode. - On a déjà passé si souvent sous le tunnel de
Braine-le-Comte, que je pense qu'en attendant jusqu'à demain les explications
de M. le ministre des travaux publics, on ne courra aucun danger en y passant
encore un jour de plus. Pour moi, j'y passerai encore sans crainte pendant
longtemps.
Il y a une grande
différence entre un tunnel à côté duquel on en a construit un autre, et un
tunnel qui reste dans son état primitif. Il n'y a aucune comparaison à faire
entre ces deux tunnels.
Il y a sans doute un examen
à faire au sujet du tunnel de Braine-le-Comte. Mais il ne faut pas exciter mal
à propos l'inquiétude publique au sujet d'un passage dont on a besoin, et qui,
j'en suis convaincu, ne présente aucun danger.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - La chambre ne
peut prétendre recevoir les explications de mon honorable collègue des travaux
publics avant la séance de demain ; car il faut bien lui laisser le temps de
rassembler les documents. (Adhésion.)
M. le président.. - M. le ministre
des travaux publics sera averti que demain, à l'ouverture de la séance, il sera
fait une interpellation au sujet du tunnel de Braine-le-Comte.
M. Dumortier. - Je ne crois pas
qu'il soit nécessaire de réclamer l'impression immédiate du rapport dans le
Moniteur. C'est de droit puisque le rapport a été lu.
M. Delfosse. - On pourrait peut-être différer l'insertion au Moniteur
jusqu'à ce que le rapport ait été imprimé comme pièce de la chambre, avec les
pièces justificatives.
M. Dumortier. - Cela prendrait
trop de temps. L'insertion immédiate dans le Moniteur est préférable. (Adhésion.)
PROJET DE LOI SUR LA CHASSE
Discussion des articles
Article 8
La chambre adopte
l'article 8, avec un amendement de M. de Villegas, auquel le gouvernement s'est
rallié, avec la substitution du mot « délits » au mot
« contraventions, » proposée par M. le ministre de la justice et avec
une disposition additionnelle proposée également par M. le ministre de la
justice, et à laquelle M. Savart se rallie.
L'article est adopté
dans les termes suivants :
« Art. 8. Dans tous
les cas, sauf celui prévu par le paragraphe premier de l'article 2, les armes
avec lesquelles le délit aura été commis seront confisquées, sans néanmoins
qu'il soit permis de désarmer les chasseurs. »
« Le délinquant sera
condamné à payer la valeur de l'arme : 1° si l'arme décrite au procès-verbal
n'est pas représentée ; 2° si l'arme, par suite du refus du délinquant, n'a pas
été décrite.
« La fixation de la
valeur sera faite par le jugement, sans qu'elle puisse être au-dessous de
cinquante francs. »
La chambre passe à
l'article 9 ainsi conçu :
« Art. 9. Le père, la
mère, le tuteur, les maîtres et les commettants, sont civilement responsables
des délits de chasse commis par leurs enfants mineurs non mariés, pupilles
demeurant avec eux, domestiques ou préposés, sauf tout recours de droit.
« Cette
responsabilité sera réglée conformément à l'article 1384 du Code civil, et ne
s'appliquera qu'aux dommages intérêts et frais, sans pouvoir, toutefois, donner
lieu à la contrainte par corps. »
M. Henot. - Je n'entends pas
combattre l'application du principe de la responsabilité civile aux délits de
chasse, mais je désire que cette application soit renfermée dans de justes
limites.
Personne n'ignore que
la responsabilité civile dont traite la loi pénale est l'obligation qui est
imposée à chacun de répondre du dommage causé par les crimes ou les délits des
personnes qui sont sous sa dépendance, et qu'elle prend sa source dans la
négligence qu'on mettrait à surveiller ces individus.
La loi de 1790, tout
en admettant cette responsabilité en matière de chasse, ne l’étendit qu'aux
père et mère, vis-à-vis de leurs enfants mineurs de vingt ans, non mariés et
domiciliés avec eux.
La section centrale
ne voulut soumettre à la responsabilité civile que les personnes qu'atteignait
la loi de 1790, mais elle présenta une disposition toute nouvelle qui étendait
cette responsabilité aux amendes.
Cette disposition
était en opposition directe avec les principes qui régissent la matière, et son
sujet ne pouvait être un instant douteux.
Les amendes sont, en
effet, de véritables peines, comme il résulte formellement des articles 9, 11
et 464 du code pénal, et elles ne peuvent dès lors atteindre que les individus
déclarés coupables d'un crime, d'un délit ou d'une contravention, puisque toute
peine est essentiellement personnelle.
Le gouvernement,
rendant hommage à ces principes, substitua à la proposition de la section
centrale une disposition qui borne la responsabilité civile aux
dommages-intérêts et aux frais.
Mais tout en
restreignant cette responsabilité aux dommages-intérêts et aux frais, il
l’étendit non seulement aux père et mère vis-à-vis de leurs enfants mineurs,
non mariés et domiciliés avec eux, mais aussi aux tuteurs, maîtres et aux
commettants, vis-à-vis de leurs pupilles, de leurs domestiques, ou de leurs
préposés.
Il déclara en même
temps que la responsabilité aurait été réglée conformément à l'article 1384 du
Code civil.
Je ne puis me
dissimuler que la nouvelle obligation qu'on veut imposer aux tuteurs est de
nature à rendre plus restreint encore le nombre d'individus qui consentiront à
se charger d'une tutelle, nombre qui est déjà si peu considérable.
Quoi qu'il en soit,
il importe d'appeler l'attention de la chambre sur la portée de la disposition
qui déclare que la responsabilité résultant d'un délit de chasse, sera réglée
conformément à l'article 1384 du Code civil.
La responsabilité
civile, réglée en matière de chasse, conformément à l'article 1384 du Code
civil, aura pour effet :
1° D'imposer aux
pères, aux mères et aux tuteurs l'obligation de payer les dommages-intérêts et
les frais résultant d'un délit de chasse de leur enfant mineur, ou de leur
pupille non marié et demeurant avec eux.
2° D'imposer la même
obligation aux maîtres et aux commettants, mais pour autant seulement que le
dommage aurait été causé par leurs domestiques ou leurs préposés dans les
fonctions auxquelles ils les auront employés.
Cette responsabilité,
réglée conformément à l'article précité, aura encore pour effet de dégager de
toute responsabilité les père et mère qui prouveront qu'ils n'ont pu empêcher
le fait qui a donné lieu à la responsabilité ; mais il n'en sera pas de même du
tuteur, ni du maître, ni du commettant.
Je ne puis,
messieurs, donner mon approbation au dernier résultat que je viens de signaler.
Ainsi, ne le perdons
pas de vue, d'après la proposition du gouvernement, le père d'un enfant mineur,
non marié, et demeurant avec lui ne devra payer ni les dommages et intérêts, ni
les frais résultant d'un délit de chasse perpétré par son fils, dès qu'il aura
établi qu'il n'a pu l'empêcher ; et le tuteur dont l'autorité n'a pas sur le
pupille la même puissance que celle d'un père sur son fils, aura beau établir
qu'il lui a été impossible d'empêcher le délit de chasse perpétré par son
pupille, il n'en devra pas moins acquitter les dommages et intérêts, ainsi que
les frais qui auront été la suite du délit de ce dernier.
Ensuite, d'après
l'ensemble de la proposition du gouvernement, un maître ou un commettant
établira en vain que, quoique employant communément son domestique ou son
préposé à la chasse, il a été dans l'impossibilité d'empêcher le délit qu'il
aura commis, ils n'en devront pas moins payer, l'un et l'autre, les frais de
première instance, d'appel et même de cassation, s'il plaît à leur domestique
ou à leur préposé d'épuiser tous les degrés de juridiction, ainsi que tous les
dommages-intérêts qu'ils auront encourus.
Et qu'on ne dise pas
que l'article que nous discutons n'aura point ce résultat, car, en jetant les
yeux sur la disposition finale de l'article 1384 du Code civil, on restera
convaincu que la faculté d'établir l'impossibilité où l'on s'est trouvé
d'empêcher le fait qui entraîne la responsabilité, n'est accordée qu'au père et
à la mère, et nullement aux maîtres ni aux commettants, et moins encore au
tuteur, dont cet article ne s'occupe pas.
D'après les règles
qui régissent la matière, le délit d'un mineur, d'un domestique, d'un préposé,
etc., fait naître la présomption que ce délit est le résultat d'une négligence
et d'un défaut de surveillance, et l'on peut admettre que, tant et aussi
longtemps que cette présomption n'est pas détruite, on doive rester sous le
coup de la responsabilité ; mais il est juste aussi, d'un autre côté, que dès
que cette présomption, qui n'est qu'une présomption juris tantum, n'existe
plus, la responsabilité doit cesser pour le tuteur, le maître et le commettant,
tout aussi bien que pour le père et pour la mère ; car on ne peut imputer à
personne de n'avoir pas fait une chose qui n'était pas en son pouvoir.
Si, messieurs, des
motifs tirés de la position spéciale des maîtres et des domestiques ont pu
porter le législateur à ne pas dégager, en règle générale, de toute
responsabilité les maîtres qui établiraient qu'ils ont été dans l'impossibilité
d'empêcher le fait qui y a donné naissance, il me paraît que rien n'exige qu'on
étende une pareille rigueur aux délits de chasse, et que dans tous les cas on
ne peut méconnaître que ces motifs ne sont pas applicables aux tuteurs.
Guidé par les
considérations qui précèdent, j'ai l'honneur de proposer la disposition
additionnelle suivante à l'article 9 qui nous occupe.
« Néanmoins la
responsabilité cessera dès que le père, la mère, le tuteur, les maîtres ou les
commettants prouveront qu'ils n'ont pu empêcher le délit de chasse qui y a
donné lieu. »
J'entends
un honorable membre m'objecter que l'amendement que je (page 524) présente serait inutile ; cette objection me prouve que
ce membre n’a pas bien compris les observations que j'ai eu l'honneur do
présenter à la chambre, ni même la portée de la disposition qui déclare que la
responsabilité sera réglée conformément à l'article 1384 du code civil ; mon
amendement serait inutile, il est vrai, si l'article 1384 accordait aux
tuteurs, ainsi qu'aux maîtres et aux commettants, la faculté de prouver qu'ils
n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à la responsabilité, mais il n'en est
rien ; cet article ne concède cette faculté qu'au père et à la mère seulement,
de sorte que mon amendement, qui tend à la concéder également aux tuteurs, aux
maîtres et aux commettants, et à mitiger en conséquence, à leur égard, la
rigueur de l'article 1384 précité, est loin d'être inutile.
M. de Bonne. - Messieurs, je
n'ai que deux mots à dire, et ils ont pour objet la suppression de deux mots,
ceux de domestiques et préposés.
Je pense que rendre
les maîtres responsables des dégâts causés par leurs domestiques est une
disposition exorbitante. Elle se trouve, il est vrai, dans la loi française,
mais ce n'est pas une raison pour l'admettre dans la nôtre. Remarquons que
c'est la chambre des pairs qui l'a fait insérer dans la loi, et que c'est à une
faible majorité que la chambre des députés l'a admise.
C'est la grande
propriété qui a voulu soumettre la petite à la conservation de ses plaisirs.
On objectera que le
correctif se trouve dans le paragraphe qui rappelle l'article 1384 C. G. qui
rend les maîtres responsables du dommage causé par leurs domestiques et
préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
Ceci peut donner lieu
à équivoque et voici comment :
Un propriétaire non
chasseur, prend un garde pour la conservation de sa chasse et de ses bois.
Quand il a besoin de
gibier, il ordonne d'en prendre dans sa propriété. Si pendant son absence ou à
son insu ce garde chasse sur les propriétés du voisin, commet des dégâts, en un
mot braconne, le maître devra-t-il payer le dommage ? Oui, direz-vous.
Cependant le maître n'a pas pris ce garde ou chasseur pour qu'il allât
braconner. Il (le domestique) l'aura fait dans les fonctions de garde, de
chasseur. Le manque à ses devoirs sera néanmoins imputé au maître.
Si vous descendez
plus bas, vous trouvez le domestique de ferme qui dans les champs se permet de
placer des lacets, traverse les propriétés de divers cultivateurs et y cause du
dommage ; le fermier sera-t-il tenu de les payer ?
Veuillez bien faire
attention que la généralité de l'article peut donner lieu à de fausses applications
et plus importantes qu'on ne pense.
Une bande de
braconniers dans laquelle se trouvera le garde ou chasseur d'un propriétaire ou
son domestique fera des dégâts sur différentes propriétés, le délit sera
constaté, naturellement et comme toujours le garde ou domestique du maître le
plus riche sera reconnu et ce maître devra payer le dommage fait par toute la
bande.
On comprend que les
parents, les tuteurs soient responsables des faits de leurs enfants et
pupilles, ils ont une autorité légale, même morale, en ce qu'ils sont censés
avoir manqué de soin, d'enseignement vis-à-vis d'eux, pour ne leur avoir pas
inculqué des principes de conduite et de morale.
Mais vis-à-vis de
domestiques quelle autorité ont les maîtres ? Aucune.
Peut-on leur
reprocher d'avoir manqué de sollicitude, de n'avoir pas pris soin de leur
éducation ? Ce serait une dérision.
Cet article 1384 est
encore d'une application injuste, car son dernier a ordonné aux maîtres de prouver
qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à la responsabilité. Comment
faire cette preuve ? Il faudrait avoir des témoins pour certifier que le maître
a défendu d'aller chasser. L'amour de la chasse est un goût personnel qu'on ne
satisfait pas par procuration ou délégation : quoique je ne l'aie pas, aucun
chasseur ne soutiendra le contraire.
Je vois dans cette
pénalité portée contre les maîtres, l'intention manifeste d'obliger tous les
propriétaires à conserver ou à garantir les plaisirs d'une petite portion de
citoyens qui ont le goût ou la passion de la chasse.
Qu'on
punisse sévèrement mais personnellement le délinquant, mais pas l'innocent qui
n'a pas eu l'intention, qui n'a pas eu connaissance du délit, en un mot qui n'a
pu l'empêcher.
On dira que ce n'est
pas une peine. C'est une erreur, le mot ne fait rien : l'amende est une
peine ; ainsi qu'on dise indemnité, dédommagement, réparation ou amende, c'est
toujours de l'argent à donner, le mot ne change rien à la chose, c'est le cas
de dire qu'il n'a pour objet que de déguiser la pensée.
Le maintien de ces
deux mots me semble inadmissible et j'en propose la suppression.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Messieurs, la disposition qui vous est présentée est
la reproduction d'une disposition semblable qui se trouve dans la loi
française. Cette disposition est de plus conforme à l'article 1384 du Code
civil qui règle la matière de la responsabilité civile ; mais cette disposition
est utile en ce sens qu'elle apporte à l'article 1384 une modification en
soustrayant à la contrainte par corps les individus qui, d'après l'article
1384, y auraient été soumis. La contrainte par corps peut en effet toujours
être prononcée lorsqu'il s'agit de dommages-intérêts. Ainsi loin d'étendre la
responsabilité civile, la disposition qui nous occupe a, au contraire, pour but
de la restreindre, du moins quant aux moyens à l'aide desquels on peut faire
produire des résultats à cette responsabilité.
Je pense, messieurs,
que l'honorable préopinant est dans l'erreur, lorsqu'il croit que c'est la
chambre des pairs qui a introduit cette disposition.
Je vois, en effet,
dans l'ouvrage de Berriat-St-Prix, sur la législation de la chasse, que c'est
le garde des sceaux qui, à la chambre des pairs, dans la séance du 19 avril
1843, a indiqué quels étaient les motifs pour lesquels on demandait
d'introduire dans la loi la disposition qui vous est soumise. Voici, messieurs,
comment il s'exprimait :
« La loi de 1790 ne
rendait réellement responsables des délits de chasse que les père et mère à
l'égard de leurs enfants. Le projet étend cette responsabilité aux tuteurs, aux
maîtres et commettants, à l'égard des pupilles, serviteurs et autres
subordonnés. Ils ont sur ces derniers une autorité dont ils doivent user pour
empêcher de commettre des délits. C'est d'ailleurs la seule manière
d'atteindre, quant à une partie des condamnations pécuniaires, une classe de
délinquants qui, ne possédant rien, pourraient souvent jouir d'une impunité
complète. »
Voilà, messieurs, les
motifs qui ont fait présenter et adopter cette disposition en France. Je pense
que ces motifs détermineront également la chambre des représentants. La chambre
ne perdra pas de vue que cette disposition réduit les effets quelquefois bien rigoureux
de la responsabilité établie par l'art. 1384 du Code civil, et qu'en outre elle
ramène aux véritables principes en rejetant ce qui avait été proposé par la
section centrale, à savoir : d'étendre la responsabilité jusqu'à l'amende.
La seule question est
donc d'examiner s'il convient de comprendre dans l'article en discussion les
tuteurs, ainsi que les maîtres et commettants.
Il me paraît,
messieurs, qu'en présence de l'art. 1384 du code civil dont les principes
doivent, aux termes de la disposition qui vous est proposée, être appliqués, il
convient de soumettre à la responsabilité les personnes que je viens
d'énumérer. Quant aux pères et aux mères, on n'élève aucune objection, et dès
lors, il me semble difficile d'en élever quant aux tuteurs. Le tuteur
représente le père et la mère, il doit exercer sur son pupille due surveillance
égale à celle des parents ; il a les mêmes droits, il doit être soumis aux
mêmes obligations ; et présenter quant à la responsabilité Civile les mêmes
garanties.
L'observation de
l'honorable M. Henot à l'égard des tuteurs serait juste, s'ils devaient être
exclus du privilège accordé aux parents par l'art. 1384 du Code civil, s'ils ne
pouvaient pas dire comme les parents : Nous avons fait tous nos efforts pour
empêcher nos pupilles de commettre tel ou tel fait, en dépit de nos efforts. Le
fait a été commis ; nous n'en sommes pas responsables.
Voyons donc si ce
langage leur est interdit.
D'après l'honorable
M. Henot, les tuteurs n'étant pas compris dans l’article 1384 du code civil, ne
pourront pas l'invoquer. C'est, je pense, une erreur. Messieurs, l'intention de
M. le ministre de l'intérieur et la mienne, en rédigeant l'article de la loi en
discussion, a été d'assimiler complétement le tuteur au père et à la mère, de
le considérer comme remplaçant ceux-ci et comme devant jouir de tous les
bénéfices qui leur sont attribués par l'article 1384 du code civil, de même
qu'il en supporte toutes les obligations.
Aussi, messieurs,
l'article que nous discutons dit-il formellement que le principe de
responsabilité sera appliqué conformément à l'article 1384 du Code civil. Or,
cet article permet aux pères et aux mères de se soustraire au payement des
dommages et intérêts en faisant la preuve que je viens de rappeler. Cette
faculté existe donc nécessairement pour les tuteurs, ms par notre article sur
la même ligne que les parents.
Je crois donc
inutile, messieurs, d'ajouter à l'article une disposition pour assimiler les
tuteurs aux pères et mères, puisqu'ils y sont suffisamment assimilés par la
nature des fonctions qu'ils exercent et par l'intention indiquée dans l'article
d'appliquer, d'une manière complète, la responsabilité conformément aux
dispositions de l'article 1384 du Code civil.
L'honorable M. de
Bonne demande la suppression des mots : « maîtres et commettants. »
Il pense qu'il ne serait pas juste d'obliger les maîtres et les commettants à
supporter des frais occasionnés par un délit commis par leur domestique ou leur
préposé, sur lesquels, dit l'honorable membre, ils ne doivent pas veiller avec
autant de soin qu'un père doit veiller sur ses enfants.
Mais, messieurs, ce
que nous demandons d'introduire dans la loi, n'est, je l'ai déjà dit, que la
reproduction de ce qui existe maintenant. Ce que demande l'honorable M. de
Bonne serait une innovation, une modification aux principes du code civil. Or
l'article 1384 de ce code n'a jusqu'à présent donné, que je sache, matière à
aucun inconvénient, à aucune critiqua, et dès lors, je ne pense pas qu'il soit
nécessaire de le modifier.
Au reste, et c'est
une considération qui sert de réponse à plusieurs observations de l'honorable
M. de Bonne, il ne faut pas perdre de vue que l'article que nous discutons
devra s'appliquer conformément aux prescriptions de l'article 1384 du code
civil, que conséquemment les maîtres et les commettants ne seront responsables
des faits posés par leurs domestiques ou leurs préposés, que dans les cas où
ces faits auront été posés dans l'exercice des fonctions que les maîtres leur
ont confiées. C'est ainsi que cette disposition est expliquée dans les
commentateurs qui se sont récemment occupés de la nouvelle loi sur la chasse en
France.
« Ainsi, dit M.
Championnière, relativement aux domestiques, elle (la responsabilité) n'aura
lieu qu'autant que le délit aura été commis par le domestique, dans les
fonctions auxquelles il était employé par son maître ; il est évident que ce
cas se bornera à celui où le maître aura employé lui-même son domestique à la
chasse. Quant aux préposés, il n'est guère que les gardes-chasse ou gardes particuliers
qui puissent chasser en exerçant leurs fonctions, car tout autre sera obligé de
les abandonner, au moins momentanément, pour se livrer à la chasse.»
Voilà, messieurs, les
véritables principes. Nous en demandons l'adoption dans la proposition qui vous
est présentée, et nous répétons, en terminant, que si elle n'était pas adoptée,
nous resterons sous l'empire de (page
525) l'article 1384 du Code civil qui est évidemment plus sévère que la
disposition qui nous occupe.
M. Orts. - Messieurs, je
réclamerai un instant l'attention sur la disposition finale de l'article 9, où
je crois qu'il se trouve une contradiction avec le système général de la loi.
Le système de cet article
est de ne jamais faire peser sur les personnes qui y sont indiquées la
responsabilité de la peine, c'est-à-dire l'amende. Je pars de là. Jamais père
ni mère, ni maître ne pourront être condamnés à la pénalité qui est l'amende.
Ils pourront être condamnés, d'après l'article 1384 du code civil, aux dommages
et intérêts. Comme il n'existe pas de dommages-intérêts prononcés d'office,
puisqu'on a encore dernièrement exclu l'indemnité d'office, ils ne payeront
jamais de dommages-intérêts que là où il y aura une partie civile qui les
réclamera. Pas de partie civile, pas de dommages-intérêts, pas de possibilité
d'appliquer la responsabilité aux termes de l'article 9.
Je conçois,
messieurs, que vous condamniez aux frais comme conséquence des
dommages-intérêts et par conséquent lorsqu'il y a partie civile. Car les frais
ne peuvent être que la conséquence des dommages-intérêts, et ceux-ci n'existent
que s'il y a une partie civile. Il faut donc, lorsqu'il n'y a pas de partie
civile, lorsque personne ne réclamera d'indemnité, que la personne responsable
ne puisse être condamnée aux frais de la procédure. Car sans cela, vous
condamneriez à un accessoire, alors que vous reconnaissez que vous ne pouvez
condamner au principal.
Je demanderai donc,
messieurs, que cet article soit modifié dans ce sens que la responsabilité
réglée par l'article 1384 du Code civil ne pourra jamais s'appliquer qu'aux
dommage-intérêts aux frais envers la partie civile.
Si
vous n'adoptiez pas une modification en ce sens, messieurs, voyez quels inconvénients
pourraient se présenter. On rend les maîtres responsables des faits de leurs
domestiques. Mais n'oublions pas que nous avons dans la loi un article 5 qui
frappe non seulement ceux qui vendent, mais aussi ceux qui achètent du gibier
ou qui en transportent en temps de chasse prohibé. Ici il n'y aura pas de
dommages-intérêts, puisqu'il ne se présentera pas de partie civile. Ainsi voilà
que si un domestique achète un lièvre, peut-être sur un marché public, il
pourra arriver que le maître sera condamné à supporter, pour ce fait, les frais
d'un procès.
Je crois, messieurs,
que pour être logique, il faut subordonner la condamnation aux frais à la
condamnation à des dommages-intérêts, et je propose d'ajouter, au second
paragraphe de l'article en discussion, après les mots ; « qu'aux
dommages-intérêts et frais, » ceux-ci : « envers la partie
civile. »
M. de Garcia. - Messieurs, je
partage complétement l'opinion de M. le ministre, qui croit que l'article
serait, en quelque sorte, inutile, si l'on n'avait voulu restreindre le système
général de nos lois et les conséquences de l'article 1384 du code civil. En
vertu de cet article les délits posés par des enfants mineurs, par des
domestiques et les personnes y mentionnées, donnent lieu à des
dommages-intérêts, non seulement envers la partie civile proprement dite, mais
encore envers l'Etat, représenté, en justice réglée, par le ministère public. A
ce dernier point de vue, les personnes mentionnées à l'article précité, sont
responsables des frais des poursuites faites dans l'intérêt de la vindicte
publiques.
La jurisprudence est
fixée sur ce point. Les dommages-intérêts mentionnés dans nos lois ne
concernent pas seulement l'intérêt individuel, mais encore l'intérêt public.
Une seule condition est imposée à l'application de cette disposition de la loi,
c'est de la part du ministère public l'obligation de mettre en cause la partie
responsable. Ces dommages sont rationnels autant que légaux, puisque les frais,
faits pour la répression de ces délits, sont occasionnés par la négligence des
personnes auxquelles la loi confie la surveillance de la conduite de ceux qui
leur sont immédiatement soumis.
Cette
doctrine est tellement dans l'esprit de nos lois qu'aujourd'hui elle ne présente
plus la moindre difficulté ; récemment, je crois, la cour de Liège a rendu
encore un arrêt dans ce sens.
Dans cet état,
j'avoue qu'il m'est impossible de concevoir la portée de l'amendement présenté
par M. Orts. Cet amendement ne me paraît reposer que sur une confusion d'idées
et sur la supposition qu'il ne pouvait être dû des dommages-intérêts qu'à
l'intérêt particulier. D'après ces considérations, tous les amendements
présentés me paraissent sans portée et complétement inutiles. L'article en
discussion n'introduit aucun principe nouveau dans notre législation, et je
déclare qu'au premier aperçu j’avais résolu d'en demander la suppression. Si
j'ai changé de résolution, c'est que la disposition nouvelle tempère la loi
ancienne au point de vue de la contrainte par corps.
M. Savart-Martel. - La discussion me paraît présenter trois
questions.
1° Quelles sont les
personnes responsables ? Il suffit de mettre cette responsabilité à charge des
personnes désignées dans l'article 1384 du code civil ?
2° Doit-on admettre
l'exception que comporte le dernier paragraphe de cet article en faveur de ceux
qui n'ont pu empêcher la contravention ou le délit ?
L'équité nécessite
cette exception ; il faut l'écrire dans la loi.
3° Enfin, les personnes
responsables peuvent-elles être soumises à la contrainte par corps ?
Nous sommes tous
d'accord de la négative, mais il est convenable encore de l'écrire dans la loi.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Messieurs, je n'ai qu'un mot à répondre à
l'honorable M. Savart, ainsi qu'à l'honorable M. Orts.
M. Savart nous a dit
que jamais dans aucune loi on n'a établi la responsabilité des tuteurs en
matière de délits ; c'est une erreur, car dans l'article 7 de la loi du 27
septembre 1791, cette responsabilité est établie. Cet article porte :
« Les père, mère,
mari, tuteurs, etc., sont responsables, etc. »
Vous remarquerez,
messieurs, que cet article étend bien plus la responsabilité que ne le fait
l'article en discussion, puisqu'il n'existe aucune loi postérieure qui ait
rendu l'article 1384 applicable à la disposition que je viens de citer.
Je ferai remarquer
maintenant à l'honorable M. Orts, que la responsabilité civile s'étend
évidemment aux frais. Cela me paraît incontestable ; de nombreux arrêts sont là
pour établir cette doctrine, et tous les commentateurs sont d'accord sur ce
point. Dès qu'il est écrit dans la loi qu'un individu est, dans telle
circonstance, responsable du fait d'un autre, cet individu, déclaré
responsable, doit réparer le dommage causé à l'Etat, tout comme le dommage
causé à un particulier. Or, les frais qu'occasionne à l'Etat une poursuite
constituent un véritable dommage, il doit donc être réparé.
Messieurs,
je conçois difficilement comment on peut admettre la réparation dans certaines
circonstances et la rejeter dans d'autres. Comment est-il possible de
subordonner la réparation d'un dommage au fait d'un tiers, à sa volonté de se
constituer ou de ne pas se constituer partie civile ? Supposons qu'un
domestique par exemple ait chassé en temps prohibé, mais sans causer aucun
dégât, personne ne songera à se constituer partie civile, néanmoins le
délinquant sera poursuivi, et s'il est condamné, pourquoi le maître serait-il
dispensé de supporter les frais occasionnés à l'Etat ? La constitution d'une
partie civile ne change rien à la nature de ces frais, et j'avoue que je ne
puis pas saisir la distinction que veut établir l'honorable M. Orts, entre les
frais dus à l'Etat et les dommages-intérêts dus à un particulier, car les uns
et les autres ont la même origine, et produisent le même résultat dommageable,
à savoir lésion pour le particulier, dépenses pour l'Etat ; dans le premier
cas, la lésion doit être réparée, dans le second, la dépense doit être
remboursée.
M. Henot. - M. le ministre de
la justice a cru devoir faire connaître à la chambre que la disposition que le
gouvernement propose, a été admise dans la nouvelle loi française sur la police
de la chasse ; mais cette observation ne peut aucunement me déterminer à
l'adopter ; il peut être bon, sans doute, de profiler des exemples que donne ce
pays, et des lumières des hommes éminents qui s'y occupent de la législation,
mais il ne faut pas pour cela décréter aveuglément, en quelque sorte, toutes
les dispositions que la France croit convenable d'inscrire dans ses lois ; si
on a voulu en France pousser la rigueur jusqu'au point de rendre un tuteur, un
maître, et même un commettant responsable d'un délit qu'il ne leur a pas été
possible d'empêcher, et de leur interdire d'administrer la preuve de cette
impossibilité ; il ne s'ensuit pas qu'il doive en être de même en Belgique, et
il doit surtout être permis de ne pas pousser la responsabilité en matière de
chasse dans ses dernières limites, comme l'a fait la législation française.
M. le ministre a dit
encore que la disposition qu'il présente n'étend pas la responsabilité civile
au-delà des limites posées par l'article 1384 du code civil, mais c'est là
évidemment une erreur, car cet article ne parle pas du tuteur, sur lequel
cependant le gouvernement veut faire peser aussi la responsabilité civile qui
résulterait d'un délit de chasse.
Mon honorable
contradicteur a bien voulu reconnaître que le tuteur étant tenu de remplir, vis-à-vis
de son pupille, les mêmes obligations qu'un père doit remplir vis-à-vis de son
fils, et qu'il doit être conséquemment placé sur la même ligne ; c'est là
certes reconnaître, de la manière la plus formelle, que mon amendement doit
être adopté, au moins en ce qui concerne le tuteur.
Il a prétendu,
toutefois, qu'il résulte de l'esprit de la disposition qu'il propose, que le
tuteur pourra, pour éviter la responsabilité civile, administrer, aussi bien
que le peut la mère, la preuve qu'il n'a pu empêcher le fait qui y a donné
naissance ; mais qu'il veuille bien réfléchir que nous nous occupons d'une
matière pénale, et que, tout étant dans une pareille matière de stricte
interprétation, il est nécessaire qu'on déclare positivement, comme je le
demande par mon amendement, que le tuteur sera déchargé de toute responsabilité
en prouvant qu'il n'a pu empêcher le délit de chasse.
Quel inconvénient y
a-t-il d'ailleurs à insérer expressément dans une loi une disposition qu'on
prétend découler de l'esprit qui l'a dictée ? Il n'y en a réellement aucun.
M. le ministre de la
justice ne m'a pas bien compris, qu'il me permette de le dire, lorsqu'il
prétend que mon intention serait de restreindre la responsabilité civile telle
qu'elle résulte de l'article 1384 précité ; ce n'est pas là ce que je demande ;
mon amendement a seulement pour but d'étendre au tuteur, au maître et au
commettant une faculté que cet article restreint au père et à la mère, et de
mettre conséquemment sur la même ligne toutes les personnes que la responsabilité
civile résultant d'un délit de chasse doit atteindre.
Aucune objection
sérieuse n'a donc été faite contre l'amendement que j'ai eu l'honneur de
présenter, et j'espère en conséquence qu'il sera adopté par la chambre.
M. Orts. - Je regrette bien,
messieurs, de ne pas avoir été compris par M. le ministre de la justice. Voici
en quoi nous différons. M. le ministre dit que la responsabilité civile
entraîne nécessairement le payement des frais. Cela est exact, mais il ne
s'agit point ici d'une responsabilité civile, de dommages-intérêts. Dans
l'article 9 le gouvernement déclare qui ne veut pas faire peser la moindre
peine sur les personnes responsables. Il n'y a point d'amende contre les
personnes responsables, et dès lors, l'action publique est désintéressée en ce
qui les concerne.
(page 526) Maintenant, messieurs, les frais sont doubles. Lorsqu'il
y a une peine appliquée, les frais sont l'annexe de cette peine infligée, après
des poursuites dirigées au nom de la vindicte publique ; mais lorsque la peine
n'a pas été appliquée, la condamnation aux frais ne peut pas être prononcée.
On dit que ce sont
des dommages-intérêts dus au gouvernement. C'est là une erreur ; il s'agit,
quant à ces frais, d'un recouvrement, et contre qui poursuivrez-vous ce
recouvrement ? Mais vous tâcherez de rencontrer le domestique qui a commis le
délit et c'est contre lui que vous poursuivrez le recouvrement des frais, en
même temps que vous demanderez l'application de l'amende. Comment voulez-vous
recouvrer les frais contre la personne responsable, alors que vous ne voulez
pas lui faire supporter l'amende, alors que vous reconnaissez que l'amende ne
peut pas être due par elle, puisqu'il n'y a pas faute de sa part.
Maintenant,
messieurs, pourquoi les frais sont-ils dus envers la partie civile ? Parce
qu'alors le payement des frais est une conséquence de la responsabilité civile.
Mais jamais il n'entrera dans mon esprit que ce soit à titre de
dommages-intérêts que l'on condamne aux frais, lorsqu'on condamne à la peine
principale.
Voilà, messieurs,
dans quel ordre d'idées j'ai présenté cette proposition. Il me paraissait que
réellement dans l'espèce les frais ne pouvaient s'entendre que mis en relation
avec les dommages-intérêts, et comme ce n'est qu'une partie civile qui puisse
obtenir des dommages-intérêts, il me semblait naturel de dire que les frais
devaient retomber à la charge des personnes responsables.
- La clôture est
demandée et prononcée.
L'amendement de M. de
Bonne est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'amendement de M.
Orts est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'amendement de M.
Henot est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
M. le président.. - Je mets aux voix
l'amendement de M. Savart, qui propose la suppression du mot
« tuteur. »
- Cette suppression
est adoptée.
Le premier paragraphe
de l'article, moins le mot « tuteur, » est mis aux voix et adopté.
Le deuxième
paragraphe est ensuite mis aux voix et également adopté.
L'ensemble de
l'article est mis aux voix et adopté.
La chambre remet à
demain la suite de la discussion.
La séance est levée à
4 heures et demie.