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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 22 janvier 1846
Sommaire
1) Projet de loi sur la
chasse. Discussion générale, plus particulièrement : caractère
aristocratique de la loi, droit des agriculteurs à protéger leurs récoltes,
répression du braconnage et/ ou conditions d’octroi d’un port d’armes (de Brouckere, Vandensteen,
de Saegher, Van de Weyer, Dumortier, Van de Weyer, de Brouckere, Desmet, de Tornaco, Vandensteen, Eloy de Burdinne, Veydt, Dumortier, (+avantages liés aux droits électoraux) (de Breyne, David), Delehaye, de Brouckere, d’Huart, Desmaisières, Delehaye)
(Annales parlementaires
de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Liedts.)
(page 460) M. de Villegas. procède à l'appel nominal à une
heure un quart ; il donne ensuite lecture du procès-verbal de la séance d'hier,
dont la rédaction est approuvée.
PROJETS DE LOI DE NATURALISATION
M. Maertens., au nom de la
commission des naturalisations, dépose plusieurs projets de loi de
naturalisation.
- La chambre ordonne l'impression
et la distribution de ces projets de loi.
PROJETS DE LOI SUR LA CHASSE
Discussion générale
M. le président. - La parole est à M. de
Brouckere sur l'ensemble du projet de loi.
M. de Brouckere. - Messieurs, vous
permettrez à un homme qui n'est pas chasseur, mais qui a fait de
l'administration une assez longue étude, d'exprimer son opinion sur un projet
de loi qui rentre tout à fait dans le domaine administratif.
J'ai écouté hier avec
soin le discours incisif de l'honorable M. Jonet et l'éloquente improvisation
de l'honorable M. Castiau, et il n'a pas fallu moins que le talent qui
distingue ces honorables membres pour que ces deux discours aient pu captiver
votre attention, comme ils l'ont fait ; car je suis sûr que la plupart d'entre
vous sont d'accord, avec moi, qu'ils sont entachés d'une extrême exagération.
Comment est-il possible que dans un pays où règne la plus parfaite égalité
entre toutes les classes de citoyens, où aucune de ces classes ne jouit du plus
mince privilège, on vienne parler de monopole, de retour à la féodalité et de
régime du bon plaisir ? Je le répète, ce sont là des exagérations, et des
exagérations dont vous aurez tous fait justice avant moi.
Une seule question se
présente ici, et cette question la voici : La législation qui régit la chasse
est-elle ou non suffisante ? Je conçois que l'on défende les deux opinions et
je ne serais nullement étonné qu'il s'élevât des voix dans cette chambre pour
soutenir que la législation de 1790 et celle de 1812 suffisent pour réglementer
la chasse. Quant à moi, je crois ces législations incomplètes et insuffisantes
; je le crois, parce que, selon moi, elles ne protègent pas à un assez haut
degré le droit de propriété, droit dont on a tant parlé hier, et les intérêts
de l'agriculture. Je le crois, parce que ces législations ne font pas assez
pour la conservation du gibier, et parce qu'elles favorisent en quelque sorte
l’immoralité.
Je dis que la
législation actuelle sur la chasse ne fait pas assez en faveur des
propriétaires et des agriculteurs, et je ne crains pas d'ajouter que, si vous
consultiez les propriétaires, les agriculteurs du pays, vous n'en trouveriez
qu'un petit nombre qui ne vinssent vous demander de renforcer sous plusieurs
rapports cette législation.
On a parlé d'une
pétition adressée à la chambre par quelques cultivateurs d'une commune de
l'arrondissement de Nivelles. Il résulte de cette pétition que tel fermier
donnerait 200 fr., tel autre 400 fr., et même qu'un fermier cultivant 200
hectares aurait annoncé qu'il donnerait l,600 fr. pour qu'on détruisît les
lièvres qui ravagent ses terres. 1,600 francs ! En supposant que chaque lièvre
fît un franc de dommage, cela supposerait sur le champ de ce brave cultivateur
1,600 lièvres.
Après cela, avais-je
tort de dire que les arguments dont on s'était servi étaient entachés
d'exagération ?
Mais à cette seule et
unique pétition de quelques cultivateurs que j'aurais regardés, je l'avoue.
comme ayant voulu faire une plaisanterie, si la pétition n'avait pas été
appuyée par un homme sérieux, à cette pétition unique, on pourrait en opposer
un nombre considérable émanant également et de cultivateurs et de
propriétaires, rédigées dans un sens tout contraire.
Qu'à cela ne
tienne ! Si l'on fait un appel aux pétitions, je ne crains pas de dire que
la chambre, dans un très bref délai, sera inondée de pétitions ayant toutes un
même but, celui d'obtenir des lois plus sévères sur la chasse.
Les lois actuelles,
ai-je dit aussi, ne font pas assez pour la conservation du gibier, et si elles
ne sont pas modifiées, le gibier, qui est déjà considérablement diminué, finira
par être anéanti.
Mais, dit l'honorable
M. Jonet, qu'est-ce que cela fait que le gibier soit anéanti ? Je ne vois pas
pourquoi il faut du gibier ?
Messieurs, le gibier
est un objet de luxe, et ce n'est ni de lièvres, ni de perdreaux que vit la
classe pauvre.
Mais je demanderai à
l'honorable M. Jonet s'il entend traiter avec la même indifférence tous les
autres objets de luxe, tous les objets dont on peut au besoin se passer. Quand
nous nous occupons de lois propres à favoriser l'industrie, de lois de douane,
ne décrétons-nous pas des dispositions qui ont pour but de favoriser des objets
de luxe dont nous pourrions parfaitement nous passer, mais qui sont utiles ou
agréables, qui sont une jouissance pour la classe riche et un moyen d'existence
pour la classe pauvre ? Il en est du gibier comme de ces objets. Le gibier est
un objet de luxe ! Mais qui ne sait que c'est le luxe qui fait vivre le
commerce, et que c'est le commerce qui fait vivre la classe pauvre ? Supprimez
les objets de luxe. Montrez-vous seulement indifférent à ces objets, et vous
verrez souffrir le commerce, et la souffrance du commerce réagir sur les
classes pauvres de la société.
Il ne faut pas de
gibier, dites-vous. Mais comment donc allez-vous faire coïncider cette
assertion avec l'intérêt si vif que vous montrez pour la propriété ? Mais si le
gibier était anéanti, par là même vous diminueriez la valeur de la propriété ;
demandez aux communes qui possèdent des biens, aux hospices, aux bureaux de
bienfaisance, et même aux églises, si vous ne leur porteriez pas préjudice en
anéantissant le gibier, en les mettant dans l'impossibilité de louer leur droit
de chasse ; la location du droit de chasse est une ressource fort utile pour
une quantité d'établissements de bienfaisance.
N'avons-nous pas lu
dernièrement, dans les journaux, que la chasse d'un propriétaire du Limbourg a
été louée 1,500 fr. par an ? Laissez donc anéantir le gibier, et voilà la
propriété de ce particulier diminuée d'une valeur de 1,500 fr. annuellement,
valeur qui augmentera au contraire, si vous faites sur la chasse des lois plus
efficaces.
Le gibier est une
véritable richesse ; laisser anéantir le gibier, c'est détruire cette richesse
; c'est porter un préjudice réel au trésor public ; car la délivrance des
permis de port d'armes procure au trésor public des ressources qui, si j'en
crois le rapport de la section centrale, ne sont pas au-dessous de 300,000 fr.,
et comme je vous l'ai démontré, c'est porter préjudice aux fortunes
particulières.
Mais, dit-on encore,
la chasse c'est le plaisir du riche. Nous avons mieux à faire qu'à nous occuper
de favoriser les amusements du riche. Oui, la chasse c'est le plaisir du riche,
si l'on entend par riche, celui qui n'est pas pauvre, celui qui a quelques
propriétés.
Mais il n'en est pas
moins vrai que le pauvre profite aussi de ce plaisir du riche ; car personne ne
contestera que le plaisir de la chasse n'entraîne à un grand nombre de dépenses
dont profitent en général les classes pauvres. Il y a dans le pays nombre de
communes où la misère deviendrait plus grande qu'elle n'est, si une partie des
habitants n'avaient plus les avantages qu'ils retirent de ce plaisir auquel se
livrent des personnes appartenant aux classes aisées.
J'ai dit, messieurs,
en commençant, que la morale publique était également intéressée à ce que la
législation sur la chasse fût renforcée, et cela est tellement vrai, que le
projet de loi qui vous est présenté a particulièrement en vue les braconniers
de profession. Or, on vous l'a dit avec vérité, l'état de braconnier est un
état immoral et un état dangereux. L'état de braconnier est un état immoral
comme l'est celui de fraudeur de profession. Le braconnier de profession vole
le particulier comme le fraudeur de profession vole le trésor public.
D'ailleurs, c'est un état qui conduit à tous les excès. Entrez, messieurs, dans
l'intérieur de la famille d'un braconnier et vous verrez dans quelle position
il laisse sa femme et ses enfants pour aller se livrer à un exercice qui le met
dans une hostilité flagrante et continuelle avec la loi, à un exercice qui
l'entraîne souvent à des actes non prémédités, mais auxquels il lui est
difficile de se soustraire.
Vous déclamez contre
le braconnier, dit l'honorable M. Castiau ; mais quel est donc le chasseur
parmi vous qui n'a jamais commis un fait de braconnage ? Messieurs, c'est
absolument comme si, dans la discussion d'un projet de loi destiné à réprimer
la fraude, l'honorable M. Castiau nous disait : Pourquoi donc faites-vous des
lois contre les fraudeurs ? Quel est celui d'entre vous qui n'ait jamais
introduit en fraude, en entrant dans le pays, un objet de peu d'importance ?
Cela peut être arrivé, messieurs, et arrivé très innocemment à beaucoup de
personnes. Mais est-ce là une raison pour ne pas faire une loi qui réprime la
fraude, une loi qui soit dirigée particulièrement contre les fraudeurs de
profession ? Eh bien ! c'est contre le braconnier de profession que nous
voulons faire une loi, et une loi sévère, parce qu'elle doit être sévère.
A entendre les
orateurs auxquels je m'applique particulièrement à répondre, les lois sur la
chasse, loin de protéger la propriété, seraient une atteinte à la propriété. Et
pourquoi ? Parce que le propriétaire a le droit de jouir à son gré, d’user et
d'abuser de sa propriété. Cette espèce d'axiome, que le propriétaire a le droit
d'user et d'abuser de sa propriété, n'est nullement exact. La jouissance de la
propriété est sujette à une foule de restrictions ; elle est réglementée sous
beaucoup de rapports par la législation. Vous pouvez, dites-vous, user et
abuser de votre propriété ? Et comment se fait-il que vous ne puissiez y bâtir,
le long d'une route, sans l'autorisation de l'autorité, sans vous conformer a
ses conditions ? Vous avez le droit d'user et d'abuser de votre propriété et
vous ne pouvez planter le long d'une route à moins d'observer les distances qui
sont prescrites.
Vous avez le droit
d'user et d'abuser de votre propriété, et vous ne pouvez pas creuser une mine,
vous ne pouvez pas seulement extraire la tourbe dans votre propriété sans en
avoir obtenu l'autorisation et sans avoir promis de vous soumettre aux
conditions que l'on vous impose. Pourquoi donc ferait-on une exception pour
l'exercice du droit de chasse ?
Vous voulez que tout
propriétaire, quel qu'il soit, puisse chasser sur sa propriété de la manière
qu'il le jugera bon, et en abusant de ce droit, s'il le trouve convenable. Mais
alors veuillez me dire si vous voulez aussi abroger les dispositions qui
donnent au gouvernement le droit d'ouvrir et de fermer la chasse. Probablement
que oui ; car le droit de défendre à un propriétaire de chasser dans telle
saison plutôt que dans telle autre est encore un abus, selon vous ; c'est
encore une atteinte portée au droit de propriété.
Messieurs, il est
fâcheux qu'on ne puisse faire un petit essai en pratique (page 461) des doctrines qui ont été professées ici. Le gibier a
considérablement diminué depuis quelques années. Il ne manquerait plus que
d'abroger la disposition de la loi en vertu de laquelle c'est l'autorité qui
ouvre et ferme la chasse, pour qu'avant peu d'années il ne restât plus aucune
espèce de gibier, sauf le gibier de passage.
Messieurs, je
n'examine pas chacune des dispositions de la loi. Je ne l'envisage que dans son
ensemble ; et si cette loi, telle qu'elle était présentée d'abord, a paru
offrir un caractère de sévérité poussée par trop loin, il a déjà été fait, en
grande partie, droit aux réclamations des orateurs qui se sont plaints, par les
modifications que le gouvernement a lui-même présentées.
Cependant, comme un
honorable membre, en parlant du projet primitivement présenté, vous a dit que
c'était le dernier acte du précédent ministère, que c'était en quelque sorte
son testament politique ; qu'il avait voulu par ce projet, couronner tous les
actes réactionnaires qui avaient signalé son passage aux affaires, je suis bien
aise de déclarer que j'ai la conviction qu'il n'est entré dans la pensée des
rédacteurs du projet aucune idée politique quelle qu'elle soit. De toutes parts
on a engagé le gouvernement à réviser les lois sur la chasse. Le gouvernement
ayant reconnu la nécessité de cette révision, s'est entouré des conseils, des
avis des hommes qu'il croyait les plus éclairés sur cette matière, et c'est à
la suite de ces conseils, de ces avis, qu'il a rédigé le projet de loi, projet
qu'il a regardé comme purement administratif et ne contenant rien de politique.
On s'est plaint,
messieurs, du droit dont est frappée la délivrance du port d'armes, et les
orateurs qui ont fait entendre ces plaintes, sont précisément ceux qui ont le
plus déclamé contre les classes riches, contre les classes qui voulaient tout
monopoliser, contre les classes qui vivaient de luxe. Mais l'impôt dont est
frappé la délivrance des ports d'armes, est un impôt sur le luxe.
Vous qui prenez à
cœur de défendre particulièrement les classes pauvres, et qui voulez frapper
sur les classes riches, vous devriez plutôt demander l'élévation du droit de
port d'armes de chasse. Car c'est, je le répète, un impôt sur le luxe et un
impôt que ne payent que les personnes jouissant d'une certaine aisance.
Tout le monde devrait
pouvoir porter des armes de chasse ; c'est un droit qui appartient à tous les
citoyens belges... Mais, messieurs, personne ne conteste ce droit ; il est
certain que tout le monde peut se promener dans les chemins publics en portant
un fusil de chasse comme en portant tout autre fusil. Mais ce qui est défendu,
c'est de chasser sans être muni d'un port d'armes, et la législation qui règle
ce qui concerne les ports d'armes est une disposition à la fois fiscale et de
police fiscale, puisqu'elle produit 300,000 francs au trésor ; de police,
puisqu'elle a pour objet de détruire de nombreux abus. Et qu'y a-t-il de plus
étonnant dans la disposition qui s'oppose à ce que tout le monde puisse chasser
avec un fusil de chasse, que dans celle, par exemple, qui prohibe de porter des
armes cachées ? Vous pourriez soutenir aussi que tout citoyen belge a le droit
de porter des armes cachées. Non, tout citoyen belge n'a pas le droit de porter
des armes cachées, parce que la loi le lui défend, et parce que cette loi, qui
est une loi de police, est sage comme l'est, selon moi, celle qui défend de se
servir d'armes de chasse pour chasser, sans être muni d'un port d'armes.
On a parlé,
messieurs, comme d'une chose exorbitante, du droit dont se serait emparé le
gouvernement de refuser, dans certains cas, des ports d'armes à ceux qui en
demanderaient. Il n'y a dans cette mesure rien d'exorbitant ; elle est
parfaitement conforme à la loi et parfaitement justifiée. Il y a plus, c'est
que, quand un port d'armes est délivré, il peut être retiré par celui qui l'a
délivré ; et ce principe a été décidé par la cour d'appel et en dernier lieu
par la cour de cassation.
Un membre. - Pour des faits
déterminés.
M. de Brouckere. - Non pas pour des faits
déterminés. L'espèce dans laquelle ce principe a été décidé, la voici : il
s'agissait d'un homme qui avait trompé l'autorité en lui donnant de faux
renseignements pour obtenir un port d'armes. L'autorité qui avait délivré ce
port d'armes, instruite de cette fraude, l'a retiré par un arrêté, et cet
arrêté a été maintenu par la cour de cassation.
Avant de terminer,
messieurs, je crois devoir dire un mot d'un amendement qui a été présenté hier
par l'honorable M. Verhaegen.
Cet amendement a pour
objet de défendre à tous les fonctionnaires de l'administration des forêts,
quelque élevé que soit l'emploi qu'ils occupent, de chasser dans les forêts
dont ils ont la surveillance. Je crois, messieurs, qu'une semblable disposition
ne peut pas trouver place dans la loi.
D'abord je ne sais
pas comment cette disposition s'expliquerait. Car dans les forêts, ce sont les
employés des forêts qui constatent les délits de chasse. Or, il n'est pas
probable que les employés des forêts constateraient des délits à leur propre charge.
En second lieu, c'est une chose notoire, incontestée et je croyais pouvoir dire
incontestable, que les employés supérieurs des forets remplissent leurs
fonctions tout en se livrant à l'exercice de la chasse. Car leurs fonctions
consistent particulièrement dans la surveillance des forêts. Plus ils les
parcourent, plus ils se rendent dans les lieux écartes, mieux ils remplissent
leurs fonctions ; et cet exercice de la chasse est plutôt pour eux une
excitation à ce qu'ils remplissent bien leurs fonctions, qu'un empêchement.
Après cela, c'est au gouvernement à prendre des mesures pour prévenir les abus
et non pas à la législation. C'est au gouvernement à prescrire dans quelles
limites les employés de l'administration des forêts peuvent se livrer a la chasse
et à quel grade il faut être arrivé pour que cet exercice soit considère comme
permis.
Le gouvernement
pourra examiner encore s'il n'est pas de son intérêt de louer les chasses,
sinon dans toutes les forêts, au moins dans certaines forêts domaniales. Par
une semblable mise en location, viendrait à cesser de plein droit la
prérogative des employés des forêts ; mais jusque-là je pense que c'est au
gouvernement à prendre des mesures administratives ; et vous conviendrez qu'il
y aurait quelque chose de plus qu'injuste à défendre à un employé supérieur des
forêts, d'obtenir du gouvernement une prérogative qu'on accorde à une foule de
citoyens. Dans toutes les forêts dont la chasse n'est pas louée, le
gouvernement accorde à des particuliers, à certaines conditions, le droit de
chasse ; et vous voulez que le gouvernement refuse ce minime avantage aux
fonctionnaires supérieurs de l'administration, alors que cet exercice ne nuit
en rien à l'accomplissement régulier et ponctuel de leurs fonctions ! Non,
messieurs ; une semblable disposition serait injuste, et, dans tous les cas,
elle ne peut pas trouver place dans la loi ; tout au plus, peut-on en faire
l'objet d'une recommandation au gouvernement.
En résumé, la loi qui est en discussion, n'est certes
pas sans importance, puisqu'elle intéresse un grand nombre de citoyens ; mais,
à mon avis, le projet, tel qu'il est modifié aujourd'hui, est un projet qui ne
présente rien d'exorbitant, dont on peut encore améliorer peut-être certaines
dispositions, mais qui me paraît pouvoir être parfaitement accepté dans son
ensemble. La disposition qui tend à interdire la vente du gibier dans le temps
où la chasse est prohibée, est, à mes yeux, la seule mesure efficace à laquelle
on puisse recourir, pour faire cesser le braconnage, et pour mettre un terme
aux nombreux abus qui existent.
Je le répète,
l'ensemble de la loi me paraît satisfaisant, et je n'hésiterai pas à voter pour
cette loi, certain que, par mon vote, j'aurai contribué à faire succéder
l'ordre à un état de désordre qui amène de nombreux abus, abus qui finiraient
par soulever des plaintes dans toutes les parties du pays.
M. Vandensteen. - Si je prends la
parole, ce n'est pas tant, messieurs, pour défendre dans la discussion générale
l'ensemble du projet, que pour répondre aux attaques qui ont été dirigées
contre les motifs qui ont fait présenter la loi actuelle.
C'est avec surprise,
messieurs, que, dans la séance d'hier, j'ai entendu les adversaires du projet
de loi sur la chasse venir avec chaleur présenter à cette tribune les mêmes
arguments produits, dans une autre circonstance analogue, dans un pays voisin
et qui furent réfutés si victorieusement.
En France, comme en
Belgique, certaine opinion a qualifié ce projet d'aristocratique, de féodal, de
rétrograde. Vraiment, messieurs, on serait tenté de croire, à entendre ces
honorables membres, que la législature belge, de complicité avec le
gouvernement et une partie notable du pays, en adoptant les modifications
proposées au régime actuellement en vigueur, va, en vue de la conservation de
quelques timides lièvres et perdrix (car, pour nos honorables adversaires, tel
est l'unique but de la loi), replacer la Belgique de 1830 sous le vasselage de
cette ancienne aristocratie des temps les plus reculés, qui avaient fait
admettre ce principe que l'on trouve exprimé dans les anciens jurisconsultes
par cette formule : « Tout est au seigneur : forêt chenue, oiseau dans l'air,
poisson dans l'eau, bête au buisson, l'onde qui coule, la cloche dont le son au
loin roule. »
Vraiment non,
messieurs, je ne sais ce qu'il y a de réel dans de telles énonciations, et je
suis porté à croire que ces honorables membres, au talent desquels nous rendons
tous hommage, n'attachent eux-mêmes, permettez-moi de le dire, aucun caractère
sérieux aux théories qu'ils ont développées, car la loi qu'on vous propose
puise ses principes dans celle de 1790 qui, certes, n'est point une loi de bon
plaisir, tout en y introduisant les modifications les plus impérieusement
réclamées par l'état actuel des choses. L'impunité dont jouissent les
délinquants a prouvé que cette loi est devenue insuffisante pour protéger le
droit de propriété, la conservation du gibier et les récoltes du laboureur
souvent foulées par le braconnier.
Sans examiner en ce
moment si l'exercice du droit de chasse dérive du droit naturel ou du droit
civil, il est incontestable qu'on ne puisse pas régler cette faculté par des
lois particulières, tant pour la conservation du droit en lui-même, que pour
les intérêts agricoles et financiers du pays et la sécurité publique. L'article
715 du Code civil est là au besoin pour en fournir la preuve.
Admettant donc ce
principe, et ne professant point pour le braconnier les mêmes sympathies que
l'honorable député de Tournay (qu'on a à tort, dit-il, représenté, dans cette
enceinte, comme le bouc chargé de toutes les iniquités commises par le
chasseur), je dirai : qu'il est du devoir du gouvernement de remédier aux
nombreux abus que le braconnage engendre et de réprimer par une loi efficace une
profession qui, malheureusement, est la source de bien des crimes. Je dirai, à
cette occasion, que je regrette que dans cette circonstance on ne nous ait
point fourni la statistique des crimes qui ont été le résultat des délits de
chasse ; on eût trouvé la justification de l'opinion que je viens d'émettre.
Les nombreuses
pétitions adressées chaque année à cette chambre, les avis des conseils
provinciaux, les organes légaux de l'opinion publique ont exprimé le désir que
la législation actuelle subisse des modifications que les besoins du moment
réclament. Telles sont, messieurs, les considérations toutes naturelles, qui
ont porté, comme on vous l'a dit hier, le gouvernement à vous présenter ce
projet.
S'il était vrai,
comme on l'a prétendu, que par la nouvelle loi on anéantisse le droit de
propriété, croyez-vous qu'un seul membre de cette chambre consentirait à donner
son vote à un tel projet ? Evidemment non, messieurs : nous savons tous ce que
ce droit a de sacré, et l'article 2, en comminant une amende et, dans certains
cas, des dommages-intérêts s'il y a lieu, contre celui qui aurait chassé sur le
terrain d'autrui sans son consentement, (page
462) témoigne assez du respect qu'on a eu pour ce principe qui est la base
de celui qui possède. Si, dans des cas donnés, on a été amené à apporter
quelques restrictions à ce droit de propriété, c'est que l'exercice du droit de
chasse, pas plus que l'exercice d'autres droits, ne peut s'affranchir de
certaines restrictions commandées par les intérêts qui se rattachent à
l'exercice de ce droit, et aux abus qui peuvent en naître.
On a attaqué la
disposition de l'article 5 qui défend la vente et l'achat du gibier pendant la
fermeture de la chasse. Cette disposition n'est que la conséquence du principe
que vous posez dans l'article. N'est-il pas évident que si vous défendez de
tuer le gibier, vous ne pouvez permettre la vente d'un objet qu'on ne peut se
procurer qu'en commettant une infraction à la loi ?
Le
système adopté pour la pénalité, vous a-t-on dit, conduit à ce résultat que la
peine de la prison ne sera encourue que par le malheureux qui ne pourra pas
payer. Cette disposition n'est point l'introduction d'un droit nouveau : dans
tous les cas où nos lois condamnent à une amende, l'insolvable est passible de
l'emprisonnement, sauf toutefois, lorsqu'il produit un certificat d'indigence.
Or, c'est justement cette circonstance qui fait naître le plus souvent les
délits de chasse. Le délinquant, se fiant sur son insolvabilité, se livre sans
crainte à cette malheureuse passion. Le braconnage est si fréquent de nos jours
qu'il est devenu une véritable profession et la source de bien des crimes. Le
gouvernement doit donc arrêter un mal qui se propage, il le doit et pour la
mission qu'il est chargé de remplir et pour les intérêts de la société qu'il
doit protéger. Voilà le but et le seul qui a donné naissance à ce projet de
loi.
Ce sont là les
courtes observations que j'ai voulu soumettre à la chambre. J'attendrai la
discussion des articles.
M. de Saegher. - Messieurs, je
désire, à mon tour, soumettre à la chambre quelques considérations générales
que m'a suggérées la lecture du projet de loi amendé par le gouvernement
lui-même dans la séance d'hier.
Rappelons d'abord les
principes fondamentaux sur la matière. Cela nous paraît nécessaire, surtout
depuis que nous avons entendu l'honorable M. de Brouckere entrer dans des
considérations relatives au droit de propriété qu'il soutient devoir subir une
diminution par la non-adoption du projet de loi qui nous est soumis ; cela nous
paraît encore nécessaire, après les allégations faites par l'honorable
préopinant, M. Vandensteen, qui a soutenu | que ce projet de loi était basé sur
les mêmes principes que la loi de 1790, actuellement en vigueur.
Suivant les principes
du droit actuel, adoptés par la jurisprudence romaine, et encore admis
aujourd'hui, le gibier et tous les animaux sauvages qui vivent dans leur état
de liberté naturelle, ne sont à personne ; ils ne peuvent jamais être
considérés comme appartenant au propriétaire du fonds sur lequel ils se
trouvent ; le gibier appartient au premier occupant. Parmi les titres
d'occupation, au moyen desquels on acquiert la propriété du gibier, on doit
compter en première ligne la chasse, dans son acception la plus générale, et
qui comprend tous les moyens de s'emparer du gibier, par ruse, par force ou par
adresse. La chasse, considérée comme titre d'occupation, a conservé, jusqu'à ce
jour, le même caractère. Ainsi, du moment où le gibier tombe en son pouvoir, le
chasseur et le chasseur seul en acquiert la propriété ; jusqu'à ce moment, le
gibier n'appartient à personne. Mais la faculté même de chasser, c'est-à-dire
la faculté de parcourir un terrain, à l'effet d'y rechercher le gibier, de l'y
poursuivre et de l'y capturer ; cette faculté qui primitivement appartenait à
tous les hommes, a dû subir des restrictions, par suite de l'établissement du
droit de propriété.
La loi romaine
défendait de chasser sur le terrain d'autrui, et accordait au propriétaire le
droit d'interdire au chasseur l'entrée de son champ. Franchir les limites d'un
héritage pour y chasser, a toujours été considéré comme une violation du droit
de propriété. Aussi, la faculté de chasser était-elle regardée, sous l'ancien
droit français, comme un attribut de la propriété, comme un droit inhérent à la
propriété même.
Cependant, sous le
régime féodal, on dévia de ces principes pour réserver exclusivement le droit
de chasse à certaines personnes privilégiées. La loi du 4 août 1789 fit
prévaloir de nouveau l'ancien principe, résultant du droit de propriété, en
déclarant que tout propriétaire avait le droit de détruire ou de faire détruire
sur ses propriétés toute espèce de gibier. La proclamation de ce principe trop
absolu donna naissance à des abus, et c'est pour remédier à ces abus que la loi
du 30 avril 1790, encore en vigueur, a été promulguée. Cette loi sanctionne par
une peine la défense de chasser sur le terrain d'autrui sans le consentement du
propriétaire.
Il est à remarquer,
messieurs, qu'il résulte de la plupart des dispositions de cette loi, qu'elle a
eu presque uniquement en vue de faire rentrer le droit de chasse dans la
propriété dont il est une dépendance et un démembrement.
Ainsi, messieurs, la
loi de 1790, à l'exemple des lois antérieures, non seulement respecta le droit
de propriété, mais c'est dans le but principal de protéger ce droit qu'elle a
été portée.
Aujourd'hui, l'on
vient soutenir que cette loi ne protège pas suffisamment le droit de propriété.
On vient soutenir encore qu'elle ne protège pas assez les intérêts des
cultivateurs ; on soutient enfin qu'elle est devenue insuffisante pour protéger
la conservation du gibier.
Voilà les motifs qui
ont été allégués, et par les auteurs du projet de loi, et par les honorables
préopinants qui se sont prononcés en faveur de la loi.
Cependant n'est-il
pas vrai de dire, ainsi qu'on le fait observer dans le rapport de la section
centrale, que le projet en question met des restrictions au droit de propriété
? Il enlève, dit le rapport de la section centrale, un droit qu'avaient
respecté les articles 13, 14 et 15 de la loi de 1790. « C'est aux dépens de la
propriété principalement que nous conservons la chasse.»
Voilà l'expression
que je trouve dans le rapport de la section centrale elle-même qui a adopté le
projet primitif présenté par le gouvernement.
C'est en effet ce qui
résulte des dispositions fondamentales du nouveau projet, même avec les
amendements qui ont été proposés dans la séance d'hier ; c'est aux dépens de la
propriété que le nouveau projet veut conserver la chasse.
Il est incontestable,
sans doute, que dans l'intérêt de la sécurité et de la moralité publique, il
convient de prendre de nouvelles mesures de répression contre le braconnage. Il
est incontestable encore qu'on peut, dans l'intérêt général, apporter quelques
restrictions à l'exercice du droit de propriété. Mais ne perdons pas de vue,
messieurs, que le principe de la propriété est sacré, que ce n'est qu'avec une
grande réserve et dans les limites d'une absolue nécessité que l'on peut
restreindre ce principe.
Violer ou restreindre
au-delà de la nécessité les principes que nous venons de rappeler, et notamment
le principe de propriété, serait, suivant nous, ouvrir la porte aux plus grands
abus.
Examinons donc sous
ce rapport quelques dispositions du nouveau projet en discussion.
Les articles 3 et 4
du projet amendé par le gouvernement portent :
« Art. 3. Il est
défendu, sous peine d'une amende de 50 fr., de chasser, de quelque manière que
ce soit, hors des époques fixées par le gouvernement, sans préjudice du droit,
appartenant au propriétaire ou au fermier, de repousser ou de détruire, même
avec des armes à feu, les bêtes fauves qui porteraient dommage à leurs
propriétés. »
« Art. 4. Il est
interdit, en tout temps, sous peine d'une amende de 100 francs, de faire usage
de filets, lacets, bricoles, appâts et de tous autres engins propres à prendre
ou à détruire le gibier, dont fait mention l'article 5 ci-après. »
Ainsi, messieurs, par
ces articles, se trouvent supprimées de fait les dispositions des articles 13,
14 et 15 de la loi qui nous régit actuellement. Ces articles, que je crois
nécessaire de vous rappeler, portent :
« Art. 13. Il est
libre à tout propriétaire ou possesseur de chasser ou faire chasser en tout
temps et nonobstant l'article premier du présent décret, dans des lacs et
étangs et dans celles de ses possessions qui sont séparées par des murs ou des
haies vives d'avec les héritages d'autrui. »
« Art. 14. Pourra
également tout propriétaire ou possesseur, autre qu'un simple usager, dans les
temps prohibés, par ledit article premier, chasser ou faire chasser sans chiens
courants dans les bois et forêts. »
« Art. 15. Il est
pareillement libre, en tout temps, aux propriétaires ou possesseurs et même au
fermier, de détruire le gibier dans ses récoltes non closes, en se servant de
filets ou autres engins qui ne puissent pas nuire aux fruits de la terre, comme
aussi de repousser avec les armes à feu les bêtes fauves qui se répandraient
dans lesdites récoltes. »
Certainement,
messieurs, que l'on ne pourra pas soutenir avec quelque apparence de fondement
que les modifications apportées à la loi actuelle, par la suppression des
articles 13, 14 et 15 de cette loi, l'ont été dans l'intérêt du propriétaire ou
du fermier. Elles ont été proposées par un intérêt démesuré pour la
conservation du gibier, c'est-à-dire pour la conservation des plaisirs du
chasseur.
Quant à l'intérêt de
la conservation du gibier dans le commerce, qu'on a fait valoir cet argument
n'est pas sérieux, car sans doute on ne soutiendrait pas sérieusement que si la
loi actuelle doit continuer à nous régir ou si on adopte une loi qui restreigne
moins le droit du propriétaire que celle qu'on nous propose, il n'y aura plus
de gibier sur le marché. Or, l'intérêt de la conservation du gibier n'est pas
assez puissant pour restreindre, de la manière qu'on veut le faire, les droits
des propriétaires.
J'admets qu'on
défende au propriétaire de chasser en temps prohibé dans ses lacs et étangs
comme le permet l'article 15 que je viens de citer. C'est là une restriction à
laquelle je pourrais consentir, parce qu'elle ne me paraît pas attaquer trop
sensiblement le droit de propriété. Mais défendre au propriétaire de tuer en
tout temps un lièvre ou un lapin dans son jardin clos de murs ou de haies
vives, c'est là une atteinte au droit de propriété exorbitante et dangereuse à
laquelle je ne pourrais jamais consentir.
Et cependant c'est
cette disposition qui se trouve dans le projet. Si vous adoptez l'article 3, il
ne vous sera plus permis de tuer un lièvre qui, dans une propriété close,
viendra détruire les légumes qui s'y trouvent. N'est-ce pas là, je le demande,
une restriction exorbitante aux droits de propriété qu'on veut nous faire
adopter ?
Je pourrais consentir
à ce qu'on enlève au propriétaire le droit de chasser en tout temps dans ses
bois et forêts. Je pourrais y consentir parce que je conviens que l'exercice de
ce droit donne lieu à des abus ; mais enlever au propriétaire et possesseur
tout moyen quelconque de détruire le gibier qui porte dommage à ses propriétés,
dans ses récoltes non closes, c'est ce que je regarde comme inadmissible ; je
dis qu'on lui interdit tout moyen quelconque de détruire le gibier qui vient
ravager ses récoltes, car il ne pourra plus même assommer avec une pierre ou un
bâton le lièvre qu'il trouvera a ses pieds et qui vient ravager ses récoltes ;
je dis qu'on lui enlevé tout moyen quelconque de se prémunir contre les ravages
du gibier, parce qu'il ne pourra en aucun temps prendre un moineau ou un pinson,
sans être en contravention à la loi. C'est ce que je prouverai tout à l'heure.
Eh bien ! ce sont la
les conséquences du nouveau projet que l'on vous présente. En effet, l’article 3
du nouveau projet dont j'ai eu l'honneur de vous donner lecture, dit qu'il est
défendu de chasser de quelque manière que ce soit. Ainsi le propriétaire qui
n'est pas chasseur est complétement désarme contre les ravages auxquels ses
récoltes sont exposées ; il sera à la merci du chasseur, notamment quand il
aura pour voisin un chasseur grand propriétaire ; ce sera une position
intolérable pour le petit propriétaire.
(page 463) Et pour quels graves motifs introduirait-on en Belgique
un projet de loi ayant de semblables conséquences ? Afin de conserver le
gibier, afin de faire en sorte, d'après quelques orateurs, qu'il y ait sur nos
marchés plus de gibier qu'aujourd'hui.
Je crois qu'une telle
disposition n'est pas nécessaire, notamment quand elle doit entraîner les
conséquences que je viens d'exposer.
L'honorable M. de
Brouckere nous a dit que si on ne prenait pas de nouvelles mesures, si on
n'adoptait pas le projet de loi soumis à la chambre, le gibier serait bientôt
anéanti. C'est là une exagération au moins aussi grande que celle dont il a
accusé l'honorable M. Jonet. En effet, personne ne soutiendra sérieusement
qu'il n'y a pas aujourd'hui sur nos marchés la quantité de gibier suffisante
pour alimenter le pays, pour pourvoir aux besoins et à la fantaisie du riche.
Dès lors tous les autres arguments avancés à cet égard par l'honorable M. de
Brouckere viennent à tomber. C'est ainsi qu'il a dit que le gibier était un
objet de luxe, qu'il fallait le protéger. Sans doute, il faut le protéger, mais
au moyen d'une loi qui ait des conséquences moins graves que celles que doivent
avoir les deux dispositions que j'attaque spécialement.
L'article 4 porte
qu'il est interdit en tout temps sous peine d'amende de faire usage de filets,
lacets, bricoles, appâts et de tous autres engins propres à prendre ou à
détruire le gibier ; cette disposition est d'une élasticité effrayante et
donnera lieu à des vexations sans nombre.
Qu'est-ce en effet
qu'un engin propre à prendre une caille ou une perdrix ?C'est une chose qu'il
faudrait définir si vous voulez éviter les vexations.
Cela est surtout
évident si vous rapprochez cette disposition du paragraphe 2 du même article
qui punit de la même peine celui qui sera trouvé hors voies et chemins sur le
terrain d'autrui, et sans en avoir le droit, muni au porteur desdits filets,
lacets, bricoles ou autres engins. Mais un filet, un engin, destiné à prendre
des petits oiseaux, mais un simple lacet destiné à prendre une alouette sera
considéré comme propre à prendre une caille, quelquefois une perdrix.
L’article 4 interdit
encore complétement, et je me sers à dessein de l'expression que je trouve dans
l'exposé de motifs du projet de loi, l'article 4 interdit en tout temps
l'emploi de lacets, bricoles, engins, et tout autre moyen de détruire le gibier
dont la vente est défendue en temps prohibé. « Il restera libre seulement de
prendre avec ces engins en temps de chasse ouverte, des oiseaux de passage, à
l'exception de la caille, les petits oiseaux, les lapins, etc. »
En effet, si vous
rapprochez de l'article 3 cette disposition de l'article 4, vous serez
convaincu de cette conséquence.
Vous voyez donc,
messieurs, qu'il est interdit de faire usage de ces moyens pour prendre des
oiseaux.
Mais, dit le projet
de loi, on reste libre de prendre avec de engins, en temps de chasse ouverte,
les oiseaux de passage, à l'exception des cailles, petits oiseaux, etc.
Nous répondons qu'il
est intolérable, en Belgique, de ne pas permettre, même alors que la chasse est
prohibée, de prendre des moineaux, des pinsons, des alouettes et autres petits
oiseaux.
Cependant voilà, si
nous ne nous trompons, la conséquence nécessaire de la loi que vous allez
voter. Si nous sommes dans l'erreur, qu'on s'explique. Nous éviterons par ces
explications beaucoup d'interpellations erronées.
On paraît douter que
la loi doive nécessairement avoir cette conséquence. Je donnerai donc lecture à
la chambre d’un court passage d'un discours prononcé dans la discussion de la
loi française, discours sur lequel s'est fondée la jurisprudence actuellement
établie en France.
Voici ce que disait
M. Fellon :
« Autrefois tout
propriétaire pouvait faire la chasse aux oiseaux sur son propre héritage...
Cette récréation, le propriétaire la prenait sans avoir besoin de payer un port
d'armes, car il ne faisait pas usage du fusil ; il lui suffisait d'employer les
pièges ordinaires, comme la glu et ces légers instruments faits d'une petite
baguette et d'une mince ficelle qui sont connus dans l'est sous le nom de
raquettes ou de sauterelles et dans quelques autres sous le nom de lacets.
Aujourd'hui ce délassement n'est pas possible sans le permis de chasse qui
coûtera 28 francs, ainsi le veulent l'article premier de la loi et encore
l'article 9... Ainsi qu'un enfant, qu'un vieillard pose autour de la haie qui
enferme un jardin, qui longe un chemin public, quelques brins de bois enduits
de glu ou quelques-unes de ces raquettes ou sauterelles, il y a délit de
chasse. »
Or les dispositions
de la loi française sont, quant au sens, absolument les mêmes que celles qu'on
propose aujourd'hui. Si nous nous trompons sur ce point, que M. le ministre
veuille bien s'expliquer ; de cette manière on préviendra toute équivoque.
Nous ajouterons que,
quelle que soit l'interprétation que l'on donne à l'article cité, la chasse des
petits oiseaux avec des engins sera toujours impossible, parce que d'après
l'extension qu'on a donnée à l'article 3 on pourra considérer comme propres à
prendre certain gibier, par exemple des cailles, les engins et les lacets dont
on se sert seulement pour prendre des oiseaux plus petits.
Les défenseurs du
projet comprennent qu'il est difficile de le présenter comme favorisant le
propriétaire. Aussi invoque-t-on avec complaisance la nécessité de réprimer le
braconnage. A cet égard, on fait des tableaux extrêmement sombres. On dépeint
les braconniers comme la lèpre de la société, on s'écrie que les mesures que
l'on propose sont des mesures de moralité publique, d'ordre public. Nous aussi
nous comprenons la nécessité de réprimer le braconnage, la nature de nos fonctions
nous a mis à même de nous convaincre de cette nécessité. Mais ce ne sont pas
les dispositions que nous critiquons qui peuvent réprimer le braconnage. La
disposition qui peut le réprimer, c'est notamment l'article 5 qui défend
d'exposer en vente, de vendre, d'acheter ou de colporter le gibier.
Lorsqu'on rapproche
cet article 5 des moyens de constater les délits prévus par l'article 11, il
est évident que cet article suffit pour réprimer le délit dont il s'agit. Qu'on
cesse donc d'invoquer cette nécessité lorsqu'il s'agit de dispositions qui sont
portées dans un tout autre but que celui d'atteindre les braconniers.
Dans tous les cas, si
cet article 5 pouvait être considéré comme insuffisant, je le déclare, je
préférerais de voir reproduire la disposition qui permettait la recherche dans
les hôtels, plutôt que d'adopter des dispositions qui restreignent d'une
manière aussi exorbitante le droit de propriété.
On vous a dit,
messieurs, que c'étaient les propriétaires, les agriculteurs les fermiers
eux-mêmes qui avaient provoqué la nouvelle loi, qui l'avaient instamment
réclamée. Il m'est difficile de le comprendre. S'ils l'ont fait, ce n'est pas
en connaissance de cause ; car les cultivateurs auxquels j'ai exposé les
conséquences du projet se sont déclarés contraires à son adoption.
On a dit que, dans un
pays voisin, on avait présenté les mêmes arguments qui ont été reproduits à la
séance d'hier contre le projet de loi. C'est une erreur. J'ai sous les yeux la
discussion. On a à peine touché les principes que j'ai eu l'honneur d'indiquer.
C'est un malheur pour ce pays ; car, je ne crains pas de le dire, la loi sur la
chasse en France est impopulaire et intolérable.
D'après ces
considérations, je crois que les dispositions fondamentales des articles 2, 3 et
4 du projet, telles qu'elles sont rédigées, ne peuvent être adoptées.
J'adopterai,
comme première modification nécessaire, l'amendement de l'honorable M. Jonet,
sauf à me rallier à d'autres propositions qui seraient faites et qui pourraient
être considérées comme un moyen terme.
Tout ce que je veux,
c'est que les droits du propriétaire soient respectés.
Si les dispositions
du projet que j'ai indiquées sont maintenues par le gouvernement, j'espère que
le projet ne sera pas adopté par la chambre, parce qu'il restreint outre mesure
les droits des propriétaires, et ceux des cultivateurs.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Van de Weyer). - L'honorable préopinant semble avoir perdu de
vue, dans l'examen des détails auquel il vient de se livrer, l'esprit même de
la loi qui vous est soumise, la nature même des dispositions sur lesquelles
vous êtes appelés à délibérer.
Dans la comparaison
qu'il a faite entre les dispositions de notre projet et les dispositions de la
loi française, l'honorable préopinant a oublié que ce qui domine dans la loi
française, ce sont des dispositions sur lesquelles vous n'avez pas à délibérer,
c'est-à-dire tout ce qui est relatif au permis de port d'armes.
Pour se rendre compte
à soi-même de l'esprit qui a présidé à la rédaction de la loi, il faut se
demander ce qu'on veut empêcher. On veut que la propriété soit respectée,
quelle que soit sa nature. Les plus graves atteintes portées à la propriété
agricole ne sont pas celles qu'y porte le chasseur, encore bien les atteintes
incessantes et insaisissables faits par le braconnier. Le projet de loi a donc
pour objet le respect de la propriété agricole,, du droit de chasse, et en
troisième lieu il prend les mesurer propres à empêcher que le gibier ne soit ou
diminué ou même anéanti dans le pays.
Voilà, en résumé, la
loi tout entière.
Or, quel est le
meilleur moyen d'atteindre ce triple but ? Après avoir reconnu cette vérité,
que les plus graves atteintes sont portées à la propriété agricole par les
braconniers, et que ces atteintes sont bien plus graves que ne pourraient
l'être les abus de la chasse libre, de la chasse réglée par les principes du
droit naturel auquel l'honorable préopinant voudrait nous ramener, il s'agit de
savoir comment ces atteintes peuvent être réprimées.
L'expérience a
démontré dans tous les temps, dans tous les pays, que ce qui détruit le plus de
gibier ce n'est pas le fusil, mais les engins, les lacets, les filets, employés
avec la perspective de convertir en une petite somme d'argent une valeur
considérable en gibier. De là, la nécessité de prohiber l'emploi des engins.
Un véritable
chasseur, un propriétaire (celui dont l'honorable préopinant a défendu les
droits), un propriétaire-chasseur a une répugnance invincible à se servir de
lacets, de filets et engins de cette nature.
La chasse est un
plaisir que tout le monde peut avouer, auquel on se livre avec une passion
quelquefois désordonnée, mais qui forme l'homme aux exercices mâles et
vigoureux, tandis que dans l'emploi des engins, des filets, des lacets, il y a
quelque chose d'ignoble, de caché, qui indique que le braconnier a conscience
du vol. Jamais un propriétaire, jamais un chasseur ne voudra, sous aucun
prétexte, employer les filets destructeurs du gibier.
Je demande pardon à
la chambre d'entrer dans ces détails, et d'étaler devant elle des connaissances
acquises la veille pour les employer le lendemain. Mais ces connaissances, je
les ai puisées à de très bonnes sources.
L'honorable
préopinant, oubliant encore quel était le caractère de la loi, s'est imaginé
qu'il ne s'agissait dans toutes les dispositions qui vous sont soumises, que de
l'intérêt pris à la conservation du gibier. Cet intérêt, je l'avoue, n'est pas
tellement secondaire que le gouvernement ne doive pas le prendre en considération.
Le gibier n'est pas, et je suis fâché de différer à cet égard avec l'honorable
M.de Brouckere, le gibier n'est pas seulement un objet de luxe, c'est un objet
de consommation très considérable pour la classe moyenne.
(page 464) Pour moi, messieurs, depuis six mois que je suis revenu
dans le pays, j'ai vu beaucoup plus de lièvres, de perdreaux et d'autre gibier
sur la table des classes moyennes que sur la table des riches. Les riches ont,
sous ce rapport, messieurs, singulièrement amélioré un art que je ne méprise
pas mais qui a trouvé pour se satisfaire des objets d'un goût un peu plus
relevé que le lièvre ordinaire ou que l'humble perdrix. La consommation du
gibier se fait principalement dans la classe moyenne. Il n'est donc pas
indifférent au gouvernement de prendre des mesures pour que le gibier soit et
conservé et propagé.
Mais, messieurs, ce
n'est pas ce seul intérêt que défend le gouvernement. Les mesures qui vous sont
proposées sont des mesures d'ordre public, de moralité publique ; c'est pour prévenir
des délits qui conduisent quelquefois à des crimes que la répression du
braconnage est nécessaire.
Un honorable membre
(c'est, je crois, l’honorable M. Vandensteen) a exprimé le regret que le
gouvernement n'ait pas présenté, à l'appui de son projet, une statistique de
tous les délits de braconnage commis depuis quelques années. En étudiant,
messieurs, le projet de loi, j'ai senti moi-même la nécessité de m'éclairer sur
ce point, et j'ai fait dresser hier, dans les bureaux du ministère, un tableau
de tous les délits de braconnage de 1841 à 1846, et la progression, messieurs,
est effrayante. Ainsi dans une certaine année il y a 200 délits de chasse ;
deux ans après il y en a 641 et successivement on voit les délits s'augmenter
d'année en année. De 1841 à 1845 il y a eu 4,013 délits de braconnage
contestés.
Une objection,
messieurs, qui a paru très forte à l'honorable préopinant, c'est qu'un
propriétaire n'aurait pas la faculté de chasser et de tuer dans son propre
enclos un lièvre, une perdrix ou tout autre gibier. Messieurs, la pratique
constante est contraire au principe qu'a posé à cet égard l'honorable
préopinant. La loi française, messieurs, même dans son exécution la plus
sévère, a reconnu au propriétaire le droit de tuer un lièvre dans sa propriété
murée, dans son jardin attenant à son habitation. Il est tellement vrai,
messieurs, que c'est là une pratique constamment reconnue, que même pour tuer
ce lièvre, il n'est pas nécessaire d'avoir un port d'armes.
Pourquoi, me
demandera-t-on, n'a-t-on pas constaté dans la loi cette faculté ? C'est
précisément parce que la loi française établissait à cet égard une distinction
qui n'a pas été admise dans celle-ci. Si j'ai bonne mémoire, on a vivement
demandé en France que la chasse fût permise dans les parcs, dans les enclos,
dans les propriétés murées. Ces parcs en France sont très considérables. On a
reproché sous ce rapport à la loi française une inégalité choquante entre les
petits propriétaires et les grands propriétaires. Mais aussi dans la discussion
de la loi, tous les membres de la chambre qui y ont pris part, ont reconnu le
principe que je viens de poser, à savoir que dans un jardin, dans un enclos
attenant à son habitation, le propriétaire a le droit de détruire le gibier,
même sans permis d'armes.
Un membre. - Il faut le dire
dans la loi.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Van de Weyer). - Un honorable membre a fait l'observation
qu'il faudrait que cette extension de la loi fût constatée dans la loi même.
Mais il y a une raison toute simple pour qu'elle ne le soit pas. Si c'était un
délit que de poursuivre un lièvre dans son clos, je demande comment ce délit
pourrait être constaté ? C'est précisément par l'impossibilité qu'il y a de
s'introduire dans l'habitation d'un citoyen, de franchir un mur pour constater
un délit, qu'on a permis, dans tous les pays, cet exercice légitime du domicile
du citoyen.
Une autre crainte de
l'honorable préopinant est celle-ci : C'est que, s'il était interdit aux
propriétaires de se servir d'engins, de filets, de lacets pour détruire le
gibier et qu'autour de lui se trouvassent de grandes propriétés qui
enclavassent la sienne, le petit propriétaire serait exposé aux plus graves
inconvénients et sa terre serait ravagée par le gibier qui viendrait des terres
voisines.
Messieurs, le petit
propriétaire, le fermier, le paysan ont une sagesse pratique trop grande pour
jamais se laisser exposer à des inconvénients et à des dangers pareils.
Tous savent que la chasse
est pour eux, non, pas l'exercice d'un plaisir auquel ils prennent peu part,
mais un accroissement de leur propriété par les arrangements qu'ils peuvent
prendre avec les possesseurs des grandes propriétés dans lesquelles leur petite
propriété est enclavée. Je dirai même que dans ce pays-ci les paysans aiment à
voir dans les grands propriétaires ce goût de la chasse. C'est pour eux une
source de revenus ; c'est une lettre de change qu'ils tirent sur chacun des
grands propriétaires. Le fermier aime mieux céder sa chasse enclavée au grand
propriétaire que de jouir lui-même de ce plaisir et surtout de dresser des
engins et des filets pour l'emploi desquels il éprouve une répugnance réelle.
Ainsi, messieurs, le
petit propriétaire ne sera pas exposé à ces graves inconvénients dont
l'honorable membre vient de faire le tableau. Il usera constamment de la
ressource qu'il aura sous la main de louer sa chasse, de s'entendre avec les
grands propriétaires ; et si la passion de la chasse est devenue en Belgique si
grande que l'on s'imagine même que la présentation de la loi n'a pour objet que
de favoriser par tous les moyens cette passion, soyez convaincus que le petit
propriétaire saura fort bien l'exploiter à son profit ; et pour moi, messieurs,
je l'avoue, j'aime mieux, même dans l'intérêt de la propriété, dans l'intérêt
agricole, dans l'intérêt de la moralité du paysan, lui voir louer sa chasse et
renoncer a ce plaisir que de la lui voir pratiquer lui-même.
Les moineaux,
messieurs, (Hilarité)... Messieurs, j'ai
compris toute la gravité de l'objection, puisque j'en ai tenu note, et je
considère comme un devoir de rencontrer l'honorable préopinant dans toutes ses
objections.
La destruction des
moineaux, dit l'honorable préopinant, deviendra impossible par la défense faite
aux propriétaires de se servir des engins, d'un filet ou d'un lacet. Messieurs,
c'est une très grave question encore, en fait d'agriculture, que celle de
savoir si la destruction des moineaux est utile ou nuisible.
II y a des pays
voisins, messieurs, où la destruction dos moineaux ayant été encouragée par des
primes, le gouvernement s'est vu obligé d'y mettre un terme. Car, si je ne me
trompe, et j'ai ici un grand nombre d'agriculteurs pour relever mon erreur si
je me trompais, l'existence de ces moineaux est nécessaire, est indispensable à
l'agriculture. Leur absence produit dans le pays une grande quantité de vers,
d'insectes qui...
Un membre. - Pas les moineaux.
Un autre membre. - Si ! si !
M. le ministre de l’intérieur
(M. Van de Weyer). - Il paraît que les agriculteurs ne sont pas
d'accord ! J'abandonnerai donc cette question à l'appréciation de la
chambre.
Toujours est-il,
messieurs, que pour répondre à toutes les objections qui vous ont été
présentées, il suffit de résumer les trois grands points que la loi a voulu
atteindre : conservation de la propriété agricole, prévention du braconnage,
prévention d'un délit, et d'un délit qui conduit souvent au crime, d'un délit
qui est bien plus attentatoire à la propriété que toutes les limitations que
vous pourriez faire au droit de chasse ; et en troisième lieu conservation et
propagation du gibier. Je ne place cette considération qu'en troisième ligne,
parce que le respect pour la propriété, le respect pour les intérêts agricoles
doit dominer toute loi.
La loi donc,
messieurs, n'est pas une loi de conservation de chasse, n'est pas une loi prise
dans l'intérêt du gibier et des plaisirs des chasseurs. C'est une loi prise
dans l'intérêt de l'ordre public, de la moralité, de la propriété.
M. le président. - M. Dumortier vient de faire parvenir au
bureau un amendement ainsi conçu :
« Les amendes
comminées à l'article 5 seront réparties, la moitié à l'employé saisissant et l'autre
moitié à la caisse qui paye le traitement de cet employé. »
La parole est à M.
Dumortier pour développer son amendement.
M. Dumortier. - Messieurs, je
suis partisan de la loi sur la chasse, non pas en faveur de la chasse
proprement dite, non pas en faveur surtout des plaisirs de telle ou telle
personne, mais, comme vient de le dire M, le ministre de l'intérieur, pour
empêcher le braconnage, que je regarde comme une des choses les plus fâcheuses
pour la moralité dans un pays. Depuis quelques années, messieurs, j'ai vu dans
le district que j'ai l'honneur de représenter, trois agents de la force
publique assassinés par des braconniers. Cela seul me suffit pour voter la loi
qui nous est présentée par le gouvernement.
Je ne connais rien de
plus immoral que le braconnage, rien qui porte plus l'homme au crime. En effet,
l'homme qui est en état constant de délit et qui a l'arme en main, est bien
près de se trouver en état de crime. C'est ce que prouve assez l'expérience.
D'ailleurs,
messieurs, le braconnage ne fait pas le bonheur des familles. En général, les
braconniers sont des gens qui sont des brouillons dans la société et qui
excitent très peu la commisération des hommes d'ordre dans les communes.
D'un autre côté, à
chaque instant vous les voyez disposés à commettre des crimes, à assassiner les
agents de la force publique. A ce point de vue, je regarde la loi comme un
véritable bienfait, et n'y eût-il que le seul fait que je viens de signaler, ce
fait suffirait pour nécessiter une loi et une loi rigoureuse sur la chasse.
Je crois, messieurs,
qu'il y a maintenant une lacune dans le projet. Je n'entends point me prononcer
en faveur de la disposition du projet primitif qui autorisait certaines visites
domiciliaires ; mais je veux constater un simple fait, c'est que, par suite du
retrait de cette disposition, la loi manquera de sanction. Maintenant on ne
peut plus saisir les braconniers qu'en plein vent, et dès lors il est fort à
craindre que la plupart du temps les délits ne soient pas constatés. C'est pour
éviter cet inconvénient que je propose d'intéresser les agents de la force
publique à l'exécution de la loi.
Je ne veux pas porter
cet intérêt jusqu'à donner lieu à des abus, mais je pense que, dans le cas de
flagrant délit, aucune espèce d'abus ne peut en résulter. La loi défend de
transporter le gibier, de l'exposer en vente pendant le temps où la chasse est
close ; mais qui est-ce qui a intérêt à constater les contraventions à ces
dispositions ? Les agents de la force publique n'y ont aucun intérêt ; au
contraire, en constatant ces contraventions ils se créent des ennemis. D'un
autre côté, la plupart des villes perçoivent des droits d'octroi sur le gibier,
et dès lors plus il entre du gibier dans ces villes plus leurs revenus augmentent
; elles sont donc directement intéressées à la non-exécution de la loi.
Je voudrais donc que
les amendes à infliger du chef des contraventions à la loi sur la chasse,
fussent partagées par moitié entre l'employé saisissant et la caisse qui paye
cet employé ; ainsi, si c'est un employé du gouvernement qui fait la saisie, la
moitié de l'amende entrera dans le trésor public ; si c'est un employé
provincial, la moitié de l'amende sera versée dans la caisse de la province, et
si c'est un employé de la ville ou de la commune, la moitié de l'amende
profitera à la caisse communale. De cette manière, on pourrait espérer que la
loi serait exécutée. C'est, du reste, ce qui existe pour toutes les lois qui
établissent un exercice ; c'est, par exemple, ce qui existe relativement aux
droits de douanes et aux droits d'accises. C'est ce que nous devons également
établir ici : car si nous faisons une loi, c'est pour qu'elle soit exécutée :
qui veut la fin veut les moyens, et je pense que le moyen que j'ai indiqué serait
efficace pour donner une sanction à la loi.
(page 465) J'ai encore une observation à faire et j'espère,
messieurs, que vous ne la trouverez pas ridicule. Je regrette que la loi ne
fasse rien pour empêcher la destruction des rossignols, des fauvettes et autres
oiseaux chantants qui font le charme de nos campagnes. Récemment les Etats
rhénans ont demandé au roi de Prusse des mesures contre la destruction de ces
oiseaux.
Pour mon compte, je désirerais vivement qu'une
semblable disposition fût introduite dans la loi. Depuis un certain nombre
d'années, le nombre des rossignols qui habitent nos bois, a singulièrement
diminué, et si l'on n'y prend garde nous finirons par voir ici ce qui existe en
Angleterre, où il n'y a point de rossignols. (On rit).
Je sais, messieurs,
que la question a un côté plaisant, mais je crois que le motif qui nous porte à
vouloir conserver le gibier, doit nous porter aussi à faire quelque chose pour
la conservation des oiseaux chantants qui, je le répète, font le charme de nos
campagnes.
Je livre cette
observation à l'attention de la chambre, et si une disposition est présentée
dans le but que je viens d'indiquer, je voterai cette disposition de grand
cœur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, dans
quelques pièces qui me sont fournies à l'appui du projet, je trouve que
l'existence des rossignols a aussi éveillé la sollicitude de plusieurs
autorités, mais que jusqu'à présent ces autorités ne se sont point encore
adressées au gouvernement pour demander des mesures à cet égard.
Je ferai cependant
remarquer à l'honorable M. Dumortier que la défense de la chasse au filet a
précisément pour résultat de protéger les rossignols. (Interruption.) C'est ce que porte une des notes qui m'ont été
adressées par différentes autorités. (M.
le ministre donne lecture de cette note.)
M. de Brouckere. - Je n'ai demandé
la parole que pour faire une seule observation relativement à la dernière partie
du discours de l'honorable M. Dumortier. La question que l'honorable membre a
soulevée a été reconnue en dernier lieu, comme très intéressante, par plusieurs
provinces du royaume. Je veux parler de la destruction des rossignols, des
fauvettes et d'autres espèces d'oiseaux encore. Seulement je crois que cela
doit faire l'objet de règlements provinciaux, et non pas d'une loi générale.
Déjà les conseils provinciaux d'Anvers et de Liège se sont, à diverses
reprises, occupées de la matière et je crois que, lorsque le moment en sera
venu, ils feront des règlements à cet égard.
M. Desmet. - Messieurs, le projet de loi, tel qu'il nous est
soumis, me paraît de nature à obtenir difficilement l'assentiment de la chambre.
La matière est extrêmement délicate.
Je demanderai d'abord
si l'on entend faire un code complet de la chasse ou bien s'il ne s'agit que
d'ajouter quelques dispositions nouvelles à celles qui existent déjà. Je fais
cette remarque parce qu'il me semble que le projet renferme plusieurs lacunes
importantes. Ce qui devrait faire en premier lieu l'objet de cette loi, c'est,
ce me semble, le droit de chasser. M. le ministre de l'intérieur nous a dit que
nous n'avions pas à nous occuper de ce point, qui est réglé par des lois
existantes. Il est vrai qu'il existe deux décrets sur les permis de ports
d'armes de chaise ou la faculté de chasser : celui du 11 juillet 1810 et celui
du 4 mai 1812 ; mais, messieurs, ces décrets impériaux ne déterminent pas de
quelle manière et à quelles conditions les permis de ports d'armes seront
accordés, et c'est, ce me semble, ce qu'il faudrait fixer.
Le projet présente
une autre lacune en ce qui concerne la protection qu'il faudrait accorder à
l'agriculture, aussi bien contre le dommage causé par les chasseurs, que contre
le dommage causé par la grande multiplication du gibier qui sera la conséquence
de la loi.
La loi ne parle pas
non plus des enclos, et cependant ce point est très important.
Aujourd'hui,
messieurs, la chasse n'est pas un objet d'une importance considérable, mais il
n'en sera plus de même lorsque le gibier se sera fortement multiplié. Eh bien,
qui accordera le droit de chasser ? Ce seront les gouverneurs des provinces qui
continueront à avoir la faculté de l'accorder ou de le refuser arbitrairement.
Votre loi ne renferme que des dispositions négatives, elle dit qu'on ne peut
pas chasser sur le terrain d'autrui, qu'on ne peut pas chasser hors du temps
réservé à la chasse, mais elle ne dit pas qui donnera l'autorisation de
chasser. En France, on a compris l'importance de ce point et la loi française
consacre 4 ou 5 articles à réglementer ce qui est relatif aux permis de chasse
; elle dit à quelles personnes ces permis pourront être donnes, à quelles
personnes ils pourront être refusés. Je pense, messieurs, que cela ne peut pas
être abandonné à l'arbitraire des gouverneurs. Autrefois, il y avait au moins
une règle fixe à cet égard : les seigneurs avaient seuls le droit de chasse,
comme ayant été primitivement propriétaires de toutes les terres de la commune
; aujourd'hui tout dépendra du libre arbitre du gouvernement, il pourra dire à
un tel : Je vous permets de chasser, à tel autre : Je vous défends de chasser.
Il me semble que cela ne peut pas être.
Je ne puis assez m'appesantir
sur cette lacune, et je dois aussi répéter que les décrets de 1811 et 1812
contiennent que des permis de ports d'armes pourront être donnés, quelle sera
la taxe qu'on payera pour l'obtenir, quelle sera la peine que l'on encourra si
l'on chasse sans ce permis et la quatrième disposition qu'ils contiennent,
c'est que c'est le préfet, c'est-à-dire le gouverneur de la province, qui aura
le pouvoir suprême de donner ce port d'armes, ce permis de chasse.
Je conçois que,
jusqu'à présent, il n'y a pas eu de grands abus, des actes de favoritisme ou de
privilège dans la délivrance de ces permis de chasse, mais on devra reconnaître
qu'avec le nouveau projet, qui tend à multiplier le gibier et à rendre plus
importante la chasse, ce pouvoir que vous laissez à l'arbitraire d'un
gouverneur, sans prescrire aucune condition, est exorbitant, et est, comme je
viens de le dire, le principal objet d'une loi sur la chasse. Il me semble
qu'il faut nécessairement faire dan8 notre loi ce que la législature française
a fait dans celle de France sur la chasse. Les Français ont senti qu'il fallait
nécessairement ôter aux préfets ce grand pouvoir, et tout en laissant à ce
fonctionnaire celui de donner des permis de chasse, il était indispensable
d'établir dans la loi des conditions d'après lesquelles ces permis auraient pu
être délivrés. Messieurs, si nous ne faisons pas comme on l'a fait en France,
la nouvelle loi sur la chasse aura, je crains, sous ce rapport d'abord, un très
mauvais résultat ; car on a beau établir dans la loi le principe que la chasse
est inhérente à la propriété, il ne sera en réalité que très vrai que le droit,
la faculté de chasse sera abandonné aux caprices d’un gouverneur de province,
ou, si vous voulez, au bon plaisir du ministre de l'intérieur. Pour vous faire
voir combien en France on a été soigneux pour bien établir les conditions qui
devront être observées pour pouvoir délivrer des ports d'armes de chasse, je
vais avoir l'honneur de vous donner lecture des articles qui se trouvent dans
la loi française sur cet objet.
« Art. 5. Les permis
de chasse seront délivrés sur l'avis du maire et du sous-préfet, par le préfet
du département dans lequel celui qui en fera la demande aura sa résidence ou
son domicile.
« La délivrance du
permis de chasse donnera lieu au payement d'un droit de quinze francs au profit
de l'Etat, et de dix francs au profit de la commune, dont le maire aura donné
l'avis énoncé au paragraphe précédent.
« Les permis de
chasse seront personnels, ils seront valables pour tout le royaume et pour un
an seulement.
« Art. 6. Le préfet
pourra refuser le permis de chasse :
« 1° A tout individu
qui, par une condamnation judiciaire, a été privé de l'un ou de plusieurs des
droits énumérés dans l'article 42 du code pénal, autres que le droit de port d'armes.
« 2° A tout individu
majeur qui ne sera point personnellement inscrit, ou dont le père ou la mère ne
serait pas inscrit au rôle des contributions.
« 5° A tout condamné
à un emprisonnement de plus de six mois, pour rébellion ou violence envers les agents
de l'autorité publique.
« 4° A tout condamné
pour délit d'association illicite, de fabrication, débit, distribution de
poudre, armes ou autres munitions de guerre, de menaces écrites ou de menaces
verbales, avec ordre ou sous condition ; d'entraves à la circulation des
grains, de dévastations d'arbres ou de récoltes sur pied, de plants venus
naturellement ou faits de main d'homme.
« 5° A ceux qui
auront été condamnés pour vagabondage, mendicité, vol, escroquerie ou abus de
confiance.
« La faculté de refuser
le permis de chasse aux condamnés dont il est question dans les paragraphes 3,
4 et 5 cessera cinq ans après l'expiration de la peine.
« Art. 7. Le
permis de chasse ne sera pas délivré :
« 1° Aux mineurs qui
n'auront pas 16 ans accomplis ;
« 2° Aux mineurs de
16 à 21 ans, à moins que le permis ne soit demandé pour eux, par leur père,
mère, tuteur ou curateur porté au rôle des contributions ;
« 5° Aux interdits ;
« 4° Aux gardes
champêtres et forestiers des communes et établissements publics, ainsi qu'aux
gardes forestiers de l'Etat et aux gardes-pêche.
« Art. 8. Le permis
de chasse ne sera pas accordé :
« 1° A ceux qui, par
suite de condamnations, sont privés du droit de port d'armes ;
« 2° A ceux qui
n'auront pas exécuté les condamnations prononcées contre eux pour l'un des
délits prévus par la présente loi ;
« 3° A tout condamné
placé sous la surveillance de la haute police.
« Art. 9. Dans le
temps où la chasse est ouverte, le permis donne, à celui qui l'a obtenu, le
droit de chasser de jour, à tir ert à courre, sur ses propres terres et sur les
terres d'autrui avec la consentement de celui à qui le droit de chasse
appartient.
« Tous autres
moyens de chasse, à l'exception des furets et des bourses destinés à prendre le
lapin, sont formellement prohibés.
« Néanmoins, les
préfets des départements, sur l'avis des conseils généraux, prendront des
arrêtes pour déterminer :
« 1" L'époque de
la chasse des oiseaux de passage et les modes et procédés de cette chasse ;
« 2° Le temps pendant
lequel il sera permis de chasser le gibier d'eau dans les marais et sur les
étangs, fleuves et rivières ;
« 3° Les espèces
d'animaux malfaisants ou nuisibles que le propriétaire, possesseur ou fermier
pourra détruire, en tout temps, sur ses terres, et les conditions de l'exercice
de ce droit, sans préjudice du droit appartenant au propriétaire ou au fermier,
de repousser ou de détruire, même avec des armes à feu, les bêtes fauves qui
porteraient dommage à ses propriétés.
« Ils pourront
prendre également des arrêtés :
« 1° Pour prévenir la
destruction des oiseaux ;
« 2° Pour autoriser
l'emploi des chiens lévriers pour la destruction des animaux malfaisants ou
nuisibles.
« 3° Pour
interdire la chasse pendant les temps de neige. »
Je dis encore,
messieurs, que le projet ne donne pas des garanties aux cultivateurs contre le
dommage causé, soit par les chasseurs, soit par le gibier devenu trop nombreux.
M. le ministre de l'intérieur nous a dit que cela est prévu par la loi de 1790.
En effet, la loi de 1790 renferme des garanties à cet égard ; elle dit, par
exemple, qu'on ne peut pas chasser quand les récoltes sont sur terre ;
l'article 13 de cette loi dit encore que tout propriétaire ou cultivateur peut
détruire le gibier sur ses terres, mais je (page 466) crains que la loi de 1790 ne soit abrogée par la loi dont
nous nous occupons.
M. Huveners. - L'article 13 l'abroge formellement.
M. Desmet. - On ne peut donc pas invoquer les dispositions de la
loi de 1790, et il faut compléter la loi actuelle, de manière à donnera
l'agriculture les garanties dont elle a besoin.
On dit, messieurs,
que la loi est favorable à la propriété ; je reconnais que les propriétaires
vont augmenter leurs revenus en louant leurs chasses, et même on les loue déjà
à un assez grand prix ; aujourd'hui les chasses se louent à 10 et 11 fr.
l'hectare.
L'honorable baron de
Meer, absent en ce moment, a loué dans mon voisinage 40 hectares pour 400
francs ; cela augmentera et c'est un avantage pour les propriétaires. Mais
quelle en sera la conséquence pour le fermier qui occupe des terres ainsi
louées pour la chasse ? Comment se préservera-t-il des dégâts commis et par les
chasseurs et par le gibier ? Ce que l'honorable M. Jonet a dit hier à cet égard
est très exact, les lièvres nuisent considérablement aux récoltes des céréales
; ils font des sillons, des chemins qui causent des dommages très grands. Ce
seront encore une fois les fermiers qui supporteront seuls les dommages que le
gibier et les chasseurs feront aux terres cultivées.
Un des principaux
motifs de la loi, c'est la nécessité de réprimer le braconnage. Je suis,
messieurs, grand ennemi du braconnage, mais je crains fortement que votre loi,
au lieu de le diminuer, ne l'augmente au contraire dans une très forte
proportion. La raison en est fort simple : quel est le but de la loi ? C'est de
multiplier le gibier, eh bien, quand le gibier sera plus nombreux, les
braconniers seront d'autant plus excités ; voyant la quantité de proies à
atteindre, leur passion sera plus forte et plus avide à chasser, car on doit
reconnaître que le braconnage ou le goût de tuer du gibier est plutôt une
passion qu'un désir de gagner quelque chose par la vente du gibier ; et ensuite
votre projet ne procure pas de nouveaux moyens pour réprimer le
braconnage ; tout ce qu'il fait de plus, c'est de défendre la vente du
gibier, mais cela est insuffisant. Je sais que le braconnage donne lieu à des
malheurs, à des crimes, c'est ainsi qu'un malheureux gendarme a été tué, il y a
quelques années, par un braconnier ; mais, messieurs, plus vous rendrez la
chasse attrayante en multipliant le gibier, plus vous augmenterez le braconnage
et, par conséquent, les malheurs qui en sont le résultat. Anciennement lorsque
les chasses appartenaient aux seigneurs, les gardes de chasse, s'entre-tuaient,
et de semblables malheurs arrivaient très fréquemment. Pourquoi ? Parce que le
gibier était abondant et que la passion de la chasse était par cela même
beaucoup plus violente. Sous ce rapport donc, je crains, messieurs, que votre
loi n'aille directement contre le but que vous vous proposez.
Je trouve aussi,
messieurs, que la loi est beaucoup trop sévère, lorsqu'elle défend de chasser avec
des filets, des lacets etc. En France il n'en est pas ainsi ; là on peut, avec
un permis de port d'armes, chasser, non seulement avec des armes, mais aussi
avec des engins des filets, des lacets. (Interruption.)
Il me semble, messieurs, qu'il ne faudrait pas défendre à quelqu'un de tendre
un filet sur sa propriété ; une semblable interdiction ne me paraît pas
justifiable.
Messieurs,
j'applaudis aux amendements qui ont été présentés par l’honorable ministre de
l'intérieur et surtout au retrait de la disposition concernant les visites
domiciliaires. En effet, messieurs, la chambre et le gouvernement ont refusé
dans le temps d'admettre l'estampille et la recherche à l'intérieur qui étaient
demandées dans l'intérêt du travail national, et il eût été singulier de voir
admettre après cela la recherche à l'intérieur dans le seul but de multiplier
le gibier.
J'applaudis donc, je
le répète, au retrait de cette disposition. Mais on a conservé la défense de
vendre le gibier, de l'acheter, de le transporter en dehors du temps pendant
lequel la chasse est ouverte. Je crois, messieurs, que ces dispositions sont
inexécutables. En effet, on ne me défendra pas sans doute de chasser dans un
enclos qui serait ma propriété et qui serait attenant à mon habitation. Eh
bien, si dans cet enclos je tue un lièvre, par exemple, est-ce que je ne
pourrais pas le transporter ? Ne pourrais-je pas le porter chez un ami, par
exemple, à qui je voudrais en faire cadeau ? Ensuite votre loi ne défend pas de
conduire un chien au champ ; si je vais dans la campagne avec un chien lévrier,
avec un chien courant et que mon chien prenne une pièce de gibier, pourra-t-on
me défendre de transporter cette pièce de gibier ? En outre, la loi va
multiplier extraordinairement le gibier, les lièvres deviendront tellement
abondants, que comme autrefois on pourra les tuer à coups de bâton. Si donc je
tue un lièvre de cette manière, me sera-t-il défendu de le transporter ?
Je
vois encore dans la loi, messieurs, que les parents seront responsables des
contraventions commises par leurs enfants. Ainsi, des enfants souvent très
jeunes, qui ne savent pas ce qu'ils font, prendront, par exemple, une perdrix
d'une manière quelconque, et la rapporteront à la maison, est-ce que pour ce
fait les parents seront mis à l'amende ? En vérité, messieurs, cela est
impossible.
Je bornerai là mes
observations pour le moment.
M. de Tornaco. - Messieurs, je
suis un de ceux qui ont réclamé du gouvernement la présentation d'un projet de
loi sur la police de la chasse, et je l'ai réclamé même avec une certaine
persévérance. En agissant de la sorte, je n'ai point consulté des goûts
personnels, je n'ai point consulté les goûts ou les intérêts d'un petit nombre
de citoyens. Des pensées plus générales, plus sérieuses, plus justes, plus
dignes, je le dirai, de la position que j'occupe ici, m'ont animé. Aussi,
messieurs, je n’hésite point à prendre la responsabilité de mon fait ; c'est
même en grande partie pour prendre loyalement cette responsabilité que j'ai
demandé la parole.
Je ne crains pas non
plus les susceptibilités que peut soulever le sujet que nous occupe. Je
respecte ces susceptibilités parce qu'elles prennent naissance, je veux le
croire, dans des sentiments généreux ; mais je dois dire pourtant qu'elles
sont, à mon avis, le fruit d'illusions et de réminiscences, qu'une appréciation
saine des idées, des faits nouveaux, des besoins nouveaux, devrait écarter tout
au moins d'esprits élevés.
Si, messieurs, il
n'en est point ainsi, si quelques-uns subissent de funestes influences, c'est
sans doute parce qu'ils n'ont point été en position de faire cette appréciation
dont je viens de parler, et qu'il eût cependant été si facile, pour eux, de
faire.
Messieurs, on l'a
déjà dit plusieurs fois dans le cours de cette discussion, des pétitions
nombreuses vous ont été adressées pour réclamer des changements à la
législation actuelle sur la police de la chasse, législation imparfaite,
défectueuse, nulle, et, à certains égards, absurde. J'ai eu plusieurs fois
l'occasion d'examiner ces pétitions avec soin ; elles sont venues de toutes les
parties du pays, elles sont revêtues de noms de citoyens appartenant à toutes
les classes de la société, à toutes les conditions, à toutes les positions de
fortune ; elles sont revêtues de signatures d'habitants des villes aussi bien
que de celles d'habitants des campagnes, de petits et de grands propriétaires
et de personnes qui ne sont point propriétaires. Pour peu qu'il soit agréable à
quelques membres de cette chambre, que je me serve d'expressions qui ont été
employées, j'ajouterai qu'à côté de noms démocratiques se trouvent des noms
aristocratiques, mais que ces derniers sont en plus petit nombre. Parmi ces
pétitionnaires, je citerai notamment le conseil provincial du Luxembourg où la
classe moyenne règne sans partage, on peut le dire.
D'où vient,
messieurs, ce concert d'individualités différentes et d'intérêts en apparence
différents ? Il vient du concours de toutes ces individualités et de tous ces
intérêts dans un intérêt général. En effet, messieurs, la loi sur la police de
la chasse est incontestablement d'un intérêt général, quoi qu'en aient pu dire
des honorables membres qui ont pris la parole hier. La loi sur la police de la
chasse intéresse au plus haut point la morale et l'ordre public, la sûreté des
choses et la sécurité des personnes ; elle intéresse les propriétaires petits
et grands, les communes aussi bien que les particuliers, les bureaux de
bienfaisance, les hospices, les fabriques d'églises, en un mot elle intéresse
tous ceux qui possèdent le sol.
Elle intéresse aussi
le trésor, qui retire de la chasse un revenu de 300,000 francs ; au surplus,
n'intéressât-elle même que les 10,000 chasseurs qui, tous les ans, payent un
impôt considérable, pour se donner le plaisir de la chasse, elle mériterait, on
doit le reconnaître, quelque considération.
Messieurs, telle est
mon opinion sur le sujet qui vous occupe, et l'on voudra bien reconnaître, je
l'espère, à ce simple énoncé, qu'en demandant une loi sur la police de la
chasse, je n'ai pas eu en vue uniquement la conservation d'un plaisir, d'un
exercice attrayant, mais bien un intérêt général pouvant servir de fondement
solide à une conviction respectable.
Pour qui n'a pas
habité les campagnes, ou les a habitées les yeux fermés, ce qui revient à peu
près au même, le braconnage est un mal peu sensible. Il n'apparaît point ainsi
à celui qui a passé une partie de sa vie dans les campagnes et qui s'est donné
la peine d'y observer ; pour celui-là, messieurs, le braconnage est un mal
sérieux et grave, un mal qui réclame la sollicitude constante de la
législature.
Si le braconnier (et
ici je ferai une observation qui n'a pas été faite jusqu'à présent, parce que
je veux être juste à l'égard de tout le monde ; je parle ici du braconnier de
profession, et non de ces chasseurs que j'appelle irréguliers et qui parfois se
donnent le plaisir de la chasse à leurs risques et périls ; je parle seulement
du braconnier de profession qui fait du braconnage un métier, et un métier
lucratif) ; si le braconnier, dis-je, se bornait à dévaster les récoltes et à
prendre le gibier, il mériterait déjà d'être réprimé sévèrement.
En effet, messieurs,
il prive le laboureur du fruit de son travail, il prive l'habitant des
campagnes souvent du seul plaisir, de la seule distraction qu'il puisse se
procurer dans la vie paisible, il est vrai, mais monotone des champs.
Quelquefois,
messieurs, j'entends parler avec beaucoup de légèreté des habitants des
campagnes et de ce qui les touche.
Suivant certains
langages, il paraîtrait que l'habitant des campagnes ne doit avoir aucune
jouissance ; qu'il doive, sous ce rapport, faire exception à la règle générale
; d'après ce que j'ai entendu, il paraîtrait que ce qui peut faire son seul et
unique plaisir, doive être abandonné au hasard ou plutôt livré au pillage. Ce
n'est pas là, je le déclare, ma manière de voir sur le sort des campagnards,
j'entends, pour ma part, que le campagnard, tout campagnard qu'il est, ait
droit comme tout autre aux jouissances qui lui sont propres, et qu’il reçoive à
cet égard la même protection.
Messieurs, si le
braconnier se bornait à dévaster les récoltes des cultivateurs, ou s'il se
bornait à priver l'habitant des campagnes d'une jouissance, d'un plaisir, il
mériterait, à ce double titre, d'être réprimé et d'être réprimé sévèrement.
Malheureusement,
messieurs, le vice a son progrès : de vagabond et de fainéant le braconnier
devient voleur et pillard ; puis il s'associe à un ou plusieurs confrères, il
ne recule bientôt plus devant la violence, il se met en définitive au-dessus
des lois, il devient la terreur du fermier, du propriétaire et de l'officier de
police lui-même.
Je n'exagère pas,
messieurs ; ce que je dis, je le sais, je l'ai vu, et j'en appelle à tous ceux
qui ont observé avec attention la vie des braconniers.
(page 467) On ne peut donc pas dire qu'une loi qui a pour but et qui
aura nécessairement pour résultat de réprimer le braconnage, ne soit pas une
loi souverainement morale et embrassant l'ordre public, la sécurité des
personnes et la sûreté des choses.
Il y a plus : le
braconnier n'est après tout qu'un misérable, un malheureux ; sa vie se passe
dans la pauvreté ; sa vieillesse est déplorable, et sa fin l'est souvent plus
encore. Il lègue à ses héritiers toutes les conséquence funestes d'une mauvaise
vie et d'un mauvais exemple. Arrêter le braconnier, c'est vraiment servir le
braconnier lui-même, c'est surtout servir sa famille, c'est remplir envers eux
un devoir d'humanité.
On a dit que la loi,
au lieu de réprimer, excitera le braconnage, parce que le gibier deviendra plus
rare. Cette remarque peut être juste, quant au commencement de la mise à
exécution de la loi ; aussi, eu égard aux circonstances où nous sommes, je m'en
rapporterai volontiers à la prudence du gouvernement sur le choix du moment de
la mise à exécution ; mais la remarque que je viens de citer, juste pour le
commencement, ne l'est pas pour la suite.
Si la loi est bonne
et bien exécutée, elle aura pour résultat nécessaire la multiplication du gibier,
celui-ci deviendra plus commun, il baissera par conséquent de prix ; les choses
se passent ordinairement de la sorte.
Des pétitionnaires
ont même appuyé leurs vœux sur cette considération : qu'il importe de favoriser
la multiplication du gibier comme substance alimentaire. À vrai dire, le gibier
au point de vue des subsistances n'est point un objet indifférent ; il peut
devenir même, comme il est arrivé dans d'autres pays, la matière d'un commerce
important.
Autrefois l'on
n'envisageait point la chasse ni ses produits sous des rapports semblables ;
mais aujourd'hui il faut, à peine d'être stationnaire, et cela de la meilleure
foi du monde, il faut reconnaître les idées, les faits, les besoins nouveaux,
les accepter et leur donner satisfaction.
C'est ainsi que
j'agis, autant que me le permettent mes lumières ; je ne veux ni reculer ni me
précipiter en avant, j'accepte le présent tel qu'il est, avec le désir sincère
et vif de l'améliorer. Cette ligne de conduite que j'ai adoptée, que je suis
fidèlement en général, je la suis également quant à la loi que vous discutez.
J'étais loin de croire que je mériterais par là les qualifications qui ont été
adressées aux défenseurs du principe même de la loi.
Messieurs, à mesure
que la propriété se morcelle, à mesure qu'elle acquiert plus de valeur, le
propriétaire lui donne plus de soin, il s'attache à en tirer un meilleur parti.
D'un autre côté, à mesure que la richesse se répand dans le pays, le nombre des
personnes aisées s'accroît et avec lui le nombre des chasseurs. Ces faits d'un
ordre différent concourent au même but, c'est-à-dire, à donner au droit de
chasse une plus grande valeur ; cette valeur, comme toutes les autres, s'élève
par la concurrence. Le droit de chasse change en quelque sorte de nature aujourd'hui,
il se fait de notre époque, il prend un caractère positif, il devient en un mot
capital ; il est un véritable capital dont profite non seulement celui que le
possède mais encore celui qui aspire à en jouir ; il se fait ainsi un échange
entre le propriétaire de la chasse et le chasseur, échange de profit et de
jouissance, échange qui tourne à l'avantage de chacun d'eux.
Je le sais,
messieurs, les expressions dont je me sers s'accordent peu avec le droit
romain, dont vient de vous entretenir un honorable représentant de Gand. Mais,
messieurs, le droit romain qu'on invoque est-il bien en rapport avec les faits
et les besoins de notre pays ? Ce droit nous vient d'un temps où la chasse
était un véritable privilège, où la liberté de la chasse (pour les privilégiés,
bien entendu) était une nécessité. L'homme devait alors défendre sa vie contre
les bêtes fauves ; alors aussi, remarquez-le, s'il vous plaît, l'esclave, et il
y en avait beaucoup, remplissait dans la chasse les fonctions de chiens ; rien
de semblable n'existe aujourd'hui, nos besoins, nos intérêts ni la manière de
les traiter ne sont pas plus romains que nous ne le sommes nous-mêmes ; le
droit ne doit-il pas se conformer aux idées, aux faits, aux besoins nouveaux de
notre époque ? Puisque le droit de chasse est, en définitive, un véritable
capital qui peut appartenir, qui appartient successivement à chaque membre de
la société, pourquoi ne serait-il pas protégé comme tout autre ?
Je ne comprends pas, je l'avoue, l'exception que l'on
ferait au droit commun contre le droit de chasse ; je ne la comprends pas, sous
le régime de l'égalité des droits, sous un régime où tous les intérêts
obtiennent une égale protection. Messieurs, le droit de chasse représente déjà
aujourd'hui un capital considérable, il s'accroîtra de jour en jour avec le
développement des faits que j'ai signalés à votre attention, la loi concourra,
je l'espère, à ces accroissements de richesse, dont profiteront les
consommateurs comme les propriétaires, comme les établissements de charité, ou
autres établissements que j'ai déjà cités, comme aussi le trésor. Ainsi,
messieurs, sous le rapport des intérêts moraux aussi bien que sous le rapport
des intérêts matériels, la loi porte les caractères de l'utilité générale. Je
n'hésiterai donc point à la voter ; je la voterai avec d'autant plus de
confiance que l'on en a retranché la disposition touchant la recherche à
domicile, disposition à laquelle, dès l'origine de la présentation de la loi,
j'ai refusé mon assentiment.
Je n'en dirai pas
davantage sur le principe de la loi ; je me réserve de faire, dans la
discussion des articles, telles observations que je croirai convenables, afin
que la loi atteigne son but, afin surtout qu'elle l'atteigne sans blesser aucun
intérêt réel, sans exciter aucune réclamation légitime.
M. Vandensteen. - J'ai l'honneur de
dire à l'honorable M. de Saegher qu'il ne m'a pas bien compris. Je n'ai pas dit
que l'on avait victorieusement répondu, dans la chambre, française aux
observations qui avaient été formulées contre les articles du projet. Je n'ai
point avancé ce fait. J'ai dit : que j'étais surpris qu'on avait combattu à
cette chambre avec les mêmes qualifications, le principe et le but du projet et
que ces qualifications avaient été victorieusement réfutées.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, dans
la discussion de la loi qui nous occupe, plusieurs orateurs ont pris la défense
des cultivateurs et des petits propriétaires. Moi aussi, messieurs, chaque fois
que l'occasion se présentera de les défendre, et que je croirai mon appui
utile, je m'empresserai de prendre la parole dans leur intérêt.
On vous a dit que les
lièvres détruisent les récoltes. Je suis cultivateur ; depuis quarante et des
années, je cultive ; j'ai vu un temps où le lièvre était abondant ; je n'ai
jamais vu qu'il nuisît le moins du monde aux récoltes. Le lièvre mange le grain
en herbe, dira-t-on, c'est vrai ; mais la plus grande partie du temps, il lui
donne le moyen de taller et de produire davantage.
C'est ainsi que,
cultivateur et ayant des bêtes à laines, j'en ai eu jusqu'à 400, je les faisais
pâturer dans mes seigles, pendant l'hiver, et toujours j'ai eu les récoltes les
plus fortes et la meilleure qualité de grain de toute la commune. C'est ce qui
arrive encore aujourd'hui. Ainsi loin d'ajouter foi à ce qu'on dit que le
lièvre mangeant le blé en herbe lui fait tort ; soyez convaincus que cela fait
taller la plante et qu'au lieu de donner trois épis, elle en donne cinq ou six.
J'ai un autre motif
encore pour appuyer le projet de loi qui nous est soumis, c'est celui
d'empêcher le cultivateur lui-même de chasser. En thèse générale, il est
reconnu que le cultivateur qui s'adonne à la chasse marche à grands pas vers sa
ruine. Il y a une expression proverbiale dans les campagnes, dont la trivialité
ne diminue pas l'exactitude, qui dit : « Jeune chasseur, vieux brimbeur. »
Tout cultivateur qui
dans sa jeunesse s'adonne à la chasse, néglige la culture des terres qu'il loue
et se ruine. Ce n'est pas là le seul danger ; on vous en a déjà signalé
plusieurs, j'en signalerai encore d'autres : Que fait le malheureux qui se
livre au braconnage ? Il néglige de travailler ; s'il tue un lièvre, il le vend
pour avoir du pain ; s'il ne trouve pas de lièvre, quand il est à l'affût, il
arrête la première personne qui passe et lui demande la charité forcée, au bout
du fusil. Cela n'est pas sans exemple.
Ne croyez pas,
messieurs, que le cultivateur craigne de voir chasser l'homme qui a droit de
chasser. Celui-là chasse avec prudence et modération, ne dévaste pas les
propriétés. C'est le braconnier qui, dans la crainte d'être surpris par les
gendarmes ou le garde champêtre, ravage les campagnes, cherchant à abattre le
plus de pièces et le plus vite possible, sans prendre la moindre attention au
dommage qu'il peut causer. Voilà l'homme dangereux pour le cultivateur.
Si nous n'adoptons
pas des dispositions qui arrêtent d'une manière efficace le braconnage, il n'y
aura bientôt plus de gibier. Déjà, depuis deux ans, nous voyons des individus
qui, pour le prendre au moyen de lacets, bricoles et engins, vont jusqu'à 18
lieues de distance. Ces individus, pour placer leurs lacets, dévastent beaucoup
plus les champs que dix chasseurs pendant toute une année. C'est la nuit que cette
opération se fait ; ils viennent non seulement avec des engins et des filets,
mais avec de petites voitures pour rapporter leur gibier.
Puisqu'on a parlé de
moineaux, je partage jusqu'à certain point l'opinion de M. le ministre de
l'intérieur, je crois qu'ils sont indispensables ; mais le trop grand nombre
est très nuisible ; comme le dit fort bien M. le ministre ; pas trop n'en faut.
Soyez bien persuadés que s'ils détruisent les insectes, ils mangent
considérablement de froment, ils en détruisent encore davantage ; ainsi pour
prendre un grain ils détruisent un épi, soit 40 ou 50 grains. Pendant l'hiver
ils s'introduisent dans les granges et s'y nourrissent. Des économistes ont
fait le calcul de ce qu'un moineau mange pendant une année, ils ont trouvé que
cela équivalait à un tiers d'hectolitre.
Nous
en avons plus qu'il n'en faut pour détruire les insectes. Si on parvenait à les
réduire au quart, ce serait un très grand bien pour la conservation des
céréales.
Je bornerai là pour
le moment mes observations. Je pense que la chambre désire passer à la
discussion des articles ; quoique j'ai encore beaucoup de choses à dire, je
n'abuserai pas de son attention ; je reprendrai la parole lors de la discussion
des articles, si je le crois nécessaire.
M. le président. - La parole est à M. de Corswarem.
M. de Corswarem. - Je renonce à la
parole.
M. Veydt. - Je ne parlerai pas,
messieurs, des principes mêmes du projet de loi sur la chasse ; je reconnais
que je suis fort peu compétent pour traiter, comme il convient, cette matière.
C'est d'un point secondaire, qui a trouvé place dans la discussion générale,
que j'ai quelques mots à dire. L'honorable M. Dumortier a émis l'opinion qu'il
serait désirable qu'on empêchât la destruction des rossignols, des fauvettes et
des oiseaux chanteurs en général. L’honorable M. de Brouckere a répondu que
c'était là l'affaire des conseils provinciaux. Je crois devoir faire observer,
messieurs, que déjà cette question a été examinée dans quelques conseils de nos
provinces, et qu'ils se sont trouvés arrêtés par l'article 85 de la loi
provinciale.
Cela s'est présenté en 1843 au conseil
provincial du Brabant, et l'année suivante à la députation permanente de la
province d'Anvers.
En effet, cet article
porte :
« Il (le
conseil provincial) peut faire des règlements provinciaux d'administration intérieure
et des ordonnances de police. Ces règlements ne peuvent porter sur des objets
déjà régis par des lois. »
Or, la chasse est
réglée par la loi de 1790 ; elle le sera d'une manière (page 468) plus complète par la loi actuelle ; du moment qu'elle sera
promulguée, elle deviendra le code de la chasse en Belgique.
Par conséquent, cette
loi empêchera les conseils provinciaux de porter un règlement qui aurait pour
but une disposition quelconque relative à la chasse.
Si
l'on veut déférer au vœu des honorables membres auxquels je m'associe, il
faudra dire dans la loi que les conseils provinciaux peuvent, par règlement de
police, prendre des mesures tendant à assurer la conservation de ces petits
oiseaux, dont le chant est un des agréments de la campagne. C'est là
l'observation que j'ai cru utile de présenter à la chambre.
M. le président. - M. Dumortier vient de déposer l'amendement suivant
: « Les conseils provinciaux pourront porter des règlements pour prévenir la destruction
des rossignols et des fauvettes. »
M. Dumortier. - J'ai déposé cet
amendement à la demande de plusieurs de mes honorables collègues qui adhèrent
aux observations que j'ai présentées.
J'avais
eu d'abord l'intention de prévenir la destruction de tous les oiseaux
chanteurs. Mais on m'a fait songer aux grives des Ardennes, qui sont aussi des
oiseaux chanteurs. Il est évident qu'il ne faut pas étendre la disposition
jusque-là. Les oiseaux dont je veux prévenir la destruction, le rossignol et la
fauvette, outre qu'ils sont le charme de nos campagnes, sont extrêmement
utiles, en ce qu'ils sont uniquement insectivores.
Quelques honorables
membres préféreraient que la loi stipulât la défense. Pour moi je n'ai voulu
que poser la question pour qu'elle fût discutée. Si l'on veut proposer un
amendement dans ce sens, je serai le premier à m'y rallier.
M. de Breyne. - Après les
éloquents discours que nous avons entendus des différents côtés de la chambre,
je n'ai demandé la parole que pour faire une observation que je soumets à la
sollicitude et à l'attention de M. le ministre de l'intérieur, relativement à
la délivrance des ports d'armes.
Je remercie l'ancien
honorable ministre de l'intérieur, qui a présenté le projet, le ministre de
l'intérieur actuel qui, sans être chasseur, en a entrepris la défense, et
d'avance la chambre qui voudra bien l'admettre. Ces remerciements sont adressés
au nom des propriétaires, au nom des fermiers et au nom de la morale publique.
Je vois, dans le
rapport de la section centrale, que la première section ayant demandé s'il ne
serait pas possible de mettre des limites à la délivrance du port d'armes de
chasse, la section centrale répond que : « elle a laissé les choses
dans l'état où elles sont, la nécessité d'une innovation, à cet égard, n'étant
point démontrée.
Je ne puis partager
l'opinion de la section centrale. Je crois qu'il est nécessaire, dans l'intérêt
public, de restreindre la délivrance des ports d'armes, non dans les termes de
la circulaire de M. Nothomb, d'après laquelle nul ne pourrait avoir un permis
de ports d'armes s'il n'était propriétaire de cent bonniers de terre. S'il en
était ainsi, nous n'aurions guère de chasseurs ; car cent hectares de terre,
dans certaines parties des Flandres, comportent un revenu de plus de 10,000
francs, revenu assez rare dans nos campagnes.
Mais je voudrais
qu'on ne délivrât des permis de ports d'armes qu'à des personnes ayant une
bonne conduite et présentant quelques garanties sous le rapport de la moralité
et de la possession. Je voudrais qu'on ne délivrât pas des permis de ports
d'armes au premier venu, à des individus souvent mal famés. Je voudrais que,
pour en obtenir un, on dût justifier que l'on verse directement dans la caisse
de l'Etat une certaine somme, comme 20 ou 30 francs.
A
la campagne, il arrive souvent qu'un homme mal famé que je pourrais appeler un
vaurien, malgré les dispositions de la loi, obtient un port d'armes ; voici
comment : il est la terreur de la commune ; il va demander à un propriétaire du
voisinage la permission de chasser sur ses propriétés, celui-ci n'ose pas la
lui refuser. Je pourrais en citer des exemples. Ce n'est pas tout. Il lui faut
un certificat de bonne conduite d'après les règlements régissant la matière. Le
bourgmestre qui est fermier, qui veut préserver ses chevaux, ses bestiaux, ses
récoltes des dégâts que pourrait lui causer un homme sans foi ni loi, n'ose pas
refuser ce certificat. Ceci arrive très souvent et l'on voit tous les jours des
individus, le fusil sur l'épaule, parcourir la campagne, et sillonner les
champs sans respecter la propriété, et sans que le fermier et même le
propriétaire osent leur adresser la moindre plainte.
Je
recommande ces observations à la vive sollicitude de M. le ministre de
l'intérieur, et je désire qu'il veuille bien nous présenter une disposition qui
vienne empêcher de tels abus.
M. David. — On finira par ne
plus donner de permis de port d'armes qu'aux électeurs.
M. Delehaye. - Le projet de loi,
amendé comme il vient de l'être, répondrait aux justes exigences de la
majorité, s'il indiquait les conditions exigées pour l'obtention d'un port
d'armes ; à défaut de cette indication, vous abandonnez à l'arbitraire du
gouverneur et du commissaire du district la question de savoir s'il faut
accorder ou refuser le port d'armes.
Voici, messieurs, ce
qui peut résulter de cette faculté illimitée laissée au pouvoir, c'est qu'il
suffira que le pétitionnaire ne plaise point au gouverneur pour que, par cela
seul qu'il ne possède point cent hectares, il lui sera loisible de refuser le
port d'armes sollicité.
Combien n'y a-t-il
pas de motifs qui peuvent dicter aux employés supérieurs quelque sentiment de
haine ou de rancune ! Le solliciteur chasseur doit-il s'adresser à un
gouverneur également animé de la passion de la chasse, est-il d'une opinion
politique contraire à celle du gouverneur ; il sera très facile à ce dernier de
trouver un prétexte pour ne pas lui accorder ce qu'il demande.
J'ai connu un fait
qui vient confirmer mes suppositions ; oui, messieurs toutes les dénégations ne
détruiront pas ce fait ; j'ai connu, dis-je, un individu chasseur en possession
depuis longtemps d'un port d'armes ; il avait eu le malheur de déplaire au chef
de la province, malheureusement il ne possédait point 100 hectares de terre, et
bientôt il s'est vu privé du droit de chasse, dont il avait joui jusqu'alors.
Cent hectares de terre supposent, vient de dire M. de Breyne, un revenu de
10,000 francs, je dirai, moi, que cent hectares peuvent supposer un revenu de
18,000 à 20,000 fr. Ces cent hectares représentent dans certaines localités un
capital de 300,000, de 600,000 fr., et le possesseur d'une pareille fortune,
s'il n'a que 99 hectares pourra être privé du droit de port d'armes, tandis que
dans d'autres localités, le possesseur de 100 hectares, ne représentant
peut-être que 20,000 francs, aura droit d'exiger le port d'armes. Vous voyez,
messieurs, combien cette circulaire à laquelle on a fait allusion hier, laisse
d'arbitraire ; combien elle est injuste !
Insérez dans la loi
les qualités, les formalités nécessaires pour l'obtention d'un port d'armes et
tout cet arbitraire disparaît. Il ne suffira plus d'être l'ennemi politique ou
le rival en fait de chasse d'un gouverneur pour être frappé d'inhabilité,
d'être mis en quelque sorte hors la loi.
Un honorable membre a
proposé d'accorder aux gardes forestiers et aux gardes champêtres rédacteurs
des procès-verbaux, la moitié de l'amende. Je m'oppose de toutes mes forces à
cette proposition. Nous devons au contraire changer cet état de choses qui est
immoral. En effet, c'est le garde champêtre, c'est le garde forestier lui-même
qui dresse le procès-verbal. Or, qu'est-ce qui prouvera que celui contre lequel
il aura été dressé, a été saisi en flagrant délit ? Vous aurez d'un côté le
garde champêtre qui l'affirmera, et l'accusé, le prétendu contrevenant, qui la
niera. Il y aura donc affirmation d'un seul individu, d'une part, et dénégation
d'un seul individu, de l'autre. Mais pourrez-vous accepter comme vraie
l'affirmation, alors qu'elle viendra d'un homme qui aura intérêt à ce que le
contrevenant soit condamné ? Messieurs, j'ai vu le tribunal de Gand et je suis
heureux de le citer ici, écarter la déposition des gendarmes ou des gardes
champêtres, chaque fois qu'il a été constaté qu'un chasseur leur avait promis
un bénéfice quelconque, si le contrevenant était condamné. Dès qu'un individu
est intéressé à une condamnation pour un fait qu'il vient affirmer, on fait
bien d'écarter sa déposition. Je dis, messieurs, que ce serait un fait immoral
que de permettre que l'individu qui doit constater un fait, obtînt une part
dans l'amende résultant du fait pour lequel il est poursuivi.
Je terminerai par une
dernière observation ; et à cet égard je partage entièrement l'opinion de
l'honorable M. Verhaegen et de l'honorable M. de Brouckere.
L'honorable M. de Brouckere ne veut pas de la
proposition de M. Verhaegen dans toutes ses parties et peut être a-t-il raison.
Maïs il a fait une autre observation ; il a demandé que la chasse dans les
domaines de l'Etat fût mise désormais en adjudication. C'est, messieurs, ce
qu'il faut faire. Il ne faut pas que les gardes-chasse ou les agents forestiers
usent et abusent de la position où ils se trouvent pour se réserver le droit de
chasse dans les forêts de l'Etat. Il ne faut pas non plus que les employés des
finances abusent de ce droit. Or, on sait que telle personne a été autorisée à
chasser parce qu'elle était ministérielle, tandis que telle autre qui n'était
pas ministérielle, ne pouvait en obtenir l'autorisation.
Je demande donc aussi
que la chasse dans les forêts de l'Etat soit mise en adjudication ; ce sera
d'ailleurs un nouveau revenu pour le trésor.
M. de Brouckere. - Messieurs,
l'honorable M. Delehaye vient de citer le fait d'un particulier qui serait
millionnaire et qui n'aurait pas pu obtenir un port d'armes, parce que ses
propriétés, bien que valant un million, ne consistaient pas en cent hectares.
Ce fait, je ne puis pas le nier, puisque l'honorable M. Delehaye l'affirme ;
mais je puis dire que celui qui a refusé un port d'armes en pareil cas, a fait
une mauvaise interprétation des instructions du gouvernement. Que l'on relise
ces instructions, et on verra que jamais il n'a été posé comme un principe
absolu que l'on refuserait un port d'armes à tout homme qui n'aurait pas cent
hectares de propriété ou qui n'aurait pas la faculté de chasser sur cent
hectares. Il est dit dans la circulaire dont on a parlé, qu'il ne faut pas
délivrer des ports d'armes à tous ceux qui en demandent, qu'il faut que
l'individu qui demande un port d'armes prouve qu'il est dans une position à
pouvoir chasser, et quant aux cent hectares dont il est question dans
l'instruction ministérielle, on dit : Il faut que l'individu prouve qu'il a le
droit de chasser, par exemple, sur cent hectares.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Van de Weyer). - Il y a une circulaire explicative qui a
rectifié les faits.
M. de Brouckere. - Je puis affirmer,
messieurs, que dans beaucoup de provinces, l'instruction ministérielle a
toujours été appliquée dans ce sens, et que cette application a toujours été
acceptée par le gouvernement.
Il y a, messieurs,
telles personnes auxquelles on ne demande aucune espèce de justification.
M. Delehaye. - C'est un tort.
M. de Brouckere. - Mais si on le
faisait, vous vous plaindriez, M. Delehaye. Si l'on vous demandait, à vous par
exemple, de justifier que vous avez cent hectares de propriété, vous vous
plaindriez et vous auriez raison. Je suis persuadé que tout gouverneur à qui
vous demanderiez un port d'armes, vous le donnerait sans exiger aucune
justification.
Mais, messieurs, il
est des personnes qui demandent un port d'armes sans avoir un pouce de terrain
sur lequel ils aient le droit de chasser. Eh (page 469) bien ! celles-là, c'est pour faire un abus du port
d'armes qu'elles désirent l'obtenir. On leur demande alors de prouver qu'elles
ont la faculté de chasser sur un certain nombre d'hectares de propriété et je
ne pense pas qu'en général on ait exigé que ce nombre d'hectares s'élevât à
cent. Il faut faire une saine interprétation des instructions du gouvernement,
et j'en appelle au gouvernement lui-même, qu'il déclare si ce que je viens de
dire, n'est pas véritablement le sens des instructions qu'il a données.
Messieurs,
on prétend que des administrateurs ont refusé des ports d'armes pour des
questions personnelles. Mais il dépendait de ceux à qui l'on avait fait cette
injustice, d'en appeler au ministre. Car en définitive le port d'armes ne peut
être délivré qu'avec la signature du ministre ou de son délégué. Or, quand un
gouverneur refuse un port d'armes, si l'on croit qu'il a tort, on peut
s'adresser au gouvernement et c'est le gouvernement qui décide.
En résultat,
messieurs, s'il est telle province où des difficultés se sont élevées sur la
délivrance des ports d'armes, il est telle autre province où jamais ces
difficultés ne se sont présentées.
M. d'Huart, ministre d’Etat. - Messieurs, les
observations qui viennent d'être présentées par plusieurs honorables
préopinants se rapportent toutes aux articles de la loi. Si nous répondions
maintenant à ces observations, nous nous trouverions probablement dans la
nécessité de reproduire nos arguments lors de l'examen des articles.
Je crois donc qu'il y aurait avantage pour la
discussion, et avantage surtout pour les honorables membres qui veulent encore
prendre la parole à ne présenter leurs observations que sur les articles. Elles
seraient mieux saisies par la chambre et écoutées avec plus d'attention.
Quant à la question
des ports d'armes, lorsque nous en serons arrivés à l'article qui y est
relatif, M. le ministre de l'intérieur vous donnera des explications
relativement à ce qui a été dit par l'honorable M. Delehaye, si toutefois l'on
juge que la réponse que vient de faire l'honorable M. de Brouckere, n'est pas
suffisante. Si l'honorable M. Delehaye réitère sa demande d'explications, elles
lui seront données avec empressement.
Je
propose donc, messieurs, de clore la discussion générale et d'aborder demain
l'examen des articles. (Marques
d'assentiment.)
M. Desmaisières. - Messieurs, j'ai
demandé la parole uniquement pour déclarer que, dans l'exercice des fonctions
que j'occupe hors de cette enceinte, il ne m'est pas arrivé de refuser un seul
port d'armes et qu'il n'est pas arrivé au ministère de refuser son approbation
à un seul des ports d'armes que j'ai accordés.
M. Delehaye. - Messieurs, il a
toujours été convenu que dans cette enceinte il n'y avait que des représentants
et pas de gouverneurs, ni procureurs. Il me paraît que dans cette circonstance
on oublie quelque peu ce principe. Toutefois je puis déclarer que ce n'est pas
à l'administration de l'honorable M. Desmaisières que j'ai voulu faire allusion.
Mais je sais et le fait a été constaté, que, dans une province, des ports
d'armes ont été refusés à ceux qui depuis longtemps en avaient obtenu, et que
le principal motif qu'on a allégué, c'est qu'ils n'avaient pas le droit de
chasse sur cent hectares.
On nous dit,
messieurs, que cette quantité de cent hectares a été citée comme exemple. Mais
il me paraît évident que celui qui a mis cette quantité en avant, n'a pas voulu
qu'on accordât un port d'armes à celui qui ne possédait que 50 ou 60 hectares.
- La clôture de la
discussion générale est mise aux voix et prononcée.
La séance est levée à
4 heures et demie.