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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 18 décembre 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 284) M. Huveners procède à l'appel nominal a une heure et un quart.

M. Albéric Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur F.-Th.-Fr. Ohlenroth, professeur de langues à Bruxelles, né à Mackenen (Hanovre), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« La veuve du lieutenant-colonel Guelton, ancien officier supérieur aux Indes orientales, demande une augmentation de pension et les arriérés. »

Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants d'Anvers prient la chambre de porter au budget de 1846, la dotation de l'amortissement des rentes sur l'Etat, créées par la loi d'indemnités. »

« Même demande de plusieurs habitants de Gand. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la dette publique.


« Plusieurs habitants de Liège demandent la réforme postale basée sur la taxe uniforme de dix centimes. »

- Renvoi la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport»


M. le ministre de la justice transmet, avec les renseignements y relatifs, huit demandes en naturalisation ordinaire.

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Motion d'ordre

Loi sur le contingent de l'armée

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour rappeler à M. le ministre de la guerre, qui n'est pas présent, que la loi du contingent de l'armée est annuelle. L'année 1845 est sur le point d'expirer. Nous allons aborder la discussion du budget des voies et moyens, et dès que cette discussion sera terminée, il est très probable que la chambre prendra des vacances. Il est donc urgent que M. le ministre de la guerre dépose le projet de loi sur le contingent de l'armée.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, cet objet n'a pas échappé à l'attention du gouvernement. Le projet de loi sera présenté demain.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de la justice, pour travail dans les prisons

Rapport de la section centrale

M. Savart-Martel (au nom d'une section centrale). - Messieurs, le département de la justice demande un crédit supplémentaire de 168,500 francs pour frais d'entretien des détenus pendant l'exercice 1843.

Cette demande repose sur la circonstance que l'allocation n'a été fixée qu'à la somme de 1,135,000 francs, tandis que la dépense a excédé cette somme, qui n'était et ne pouvait être qu'une prévision.

Conformément à l'exposé des motifs, nous insistons sur la remarque que ce crédit ne change point la situation du trésor public, car it a pour but de rembourser, au service des ateliers établis dans les maisons de détention, les avances effectuées au service domestique des prisons, du chef de fournitures faites aux détenus pendant l'exercice 1843, en objets de couchage et d'habillement.

Le crédit demandé n'est donc qu'une simple régularisation de comptabilité.

La commission à laquelle vous avez renvoyé l'examen de ce projet est unanimement d'avis qu'il y a lieu de l'adopter

- Le rapport sera imprimé et distribué aux membres de la chambre.

Un membre. - Ne pourrait-on pas discuter immédiatement ce projet de loi ? (Oui !)

M. le ministre des finances (M. Malou). - En effet, ce projet pourrait être (page 285) discuté immédiatement. C'est une simple régularisation de comptabilité. Le sénat se réunira prochainement. L'exercice 1843 doit être clos le 31 décembre. Il est donc à désirer qu'il n'y ait pas de relard.

- La chambre décide qu'elle discutera immédiatement ce projet de loi.

Vote de l'article unique

L'article unique du projet est ainsi conçu :

« Article unique. Il est ouvert, au département de la justice, budget de 1843, chapitre X, art. 1er (Entretien des détenus), un crédit supplémentaire de cent soixante-huit mille cinq cents francs (168,500 fr.). »


- Personne ne demandant la parole, il est procède à l'appel nominal pour le vole du projet de loi.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 60 membres présents, et qui sont : MM. Biebuyck, Brabant, Clep, Coppieters, David, de Bonne, de Breyne, de Corswarem, Dedecker, de la Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Roo, de Saegher, deTerbecq, de Tornaco, Devaux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Duvivier, Eloy de Burdinne Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Jonet, Lebeau, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orbau, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Savart, Sigart, Simons, Thienpont,Thyrion, Van Cutsem, Verhaegen, Verwilghen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude et Liedts.

Projet de budget de la chambre des représentants de l'exercice 1846

Rapport de la commission

M. Mast de Vries (au nom de la commission de comptabilité) dépose le rapport sur le budget de la chambre.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La chambre le met à l'ordre du jour, après la discussion du budget des voies et moyens.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1846

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. de Breyne.

M. de Breyne. -Messieurs, dans le discours qui nous est adressé à l'occasion de la présentation des budgets, M. le ministre des finances nous dit que pour couvrir les prévisions du budget des dépenses du royaume pour l'exercice 1846, dépenses qui s'élèvent à environ cent douze millions et demi, il n'a dû avoir recours à aucune proposition tendant à créer de nouveaux impôts, ou à aggraver des impôts existants, et que pour obtenir ce résultat, pour couvrir ces dépenses, il n'a admis que des évaluations très modérées.

Certes, messieurs, dans les circonstances difficiles du moment, circonstances qui se compliqueront de plus en plus à mesure que nous avancerons dans la saison rigoureuse, le gouvernement eût été fort mal conseillé s'il fût venu dire au pays : Je viens demander quinze cent mille francs de plus que l'année dernière, et je propose de combler le déficit qui doit en résulter au moyen de nouveaux impôts. Puisque le gouvernement semble ne pas devoir recourir à cette mesure, qui sonne toujours si désagréablement à l'oreille des gouvernés, examinons si le budget des voies et moyens, qui est soumis à notre délibération, est basé sur des données plus ou moins certaines, et si le gouvernement n'expose pas le pays à un mécompte inévitable par les évaluations prétendues modérées qu'il nous présente.

En effet, messieurs, à qui pourra-t-on faire accroire que dans un pays, dont un tiers de la population meurt de faim, dont l'autre tiers doit consacrer toutes ses ressources pour se procurer les objets indispensables à la vie, à qui, dis-je, pourra-t-on faire accroire que le produit des impôts, non seulement restera le même comme dans les années ordinaires, mais ira en augmentant comme dans les temps de prospérité ?

Je n'ai pas, messieurs, la prétention d'avoir l'esprit aussi clairvoyant que l’honorable ministre des finances ; c'est peut-être pour ce motif que j'apprécie la situation du pays sous un autre point de vue.

Il est évident, selon moi, que la cherté des denrées alimentaires doit peser de tout son poids non seulement sur la classe inférieure, mais sur la classe moyenne de la société.

Or, messieurs, si ces classes qui fournissent une large part dans le produit de nos impôts se trouvent, par suite de la gêne qui se fera sentir dans les relations journalières, obligées de restreindre leurs dépenses, comment donc pouvez-vous croire que la contribution personnelle et les patentes, au lieu d'augmenter, ne subiront pas une diminution notable ?

Que les droits de douanes ne s'en ressentiront pas ?

Que l'impôt de consommation sur les boissons distillées, impôt si injuste dans son application, produira une augmentation ?

Que les vins, les eaux-de-vie indigènes et les liquides alcooliques distillés à l'étranger continueront de vous offrir les mêmes ressources ?

Que les bières, dont le produit diminue chaque année, ne feront pas défaut à vos prévisions ?

Que les droits d'enregistrement, de greffe, d'hypothèque et des successions, droits tout à fait éventuels, répondront à votre attente ?

Que les recettes du chemin de fer, qui, jusqu'à ce jour ont présenté un mouvement ascendant, ne subiront pas un moment d'arrêt ?

En un mot, que la géne et la détresse qui accablent les deux tiers de la nation, n'influeront pas de la manière la plus fâcheuse sur le produit général des impôts ?

Plaise à Dieu, messieurs, que mes appréhensions ne se réalisent pas, et que les événements ne viennent pas justifier mes prévisions !

Vous le voyez, messieurs, je suis loin de partager l'opinion favorable de M. le ministre des finances sur le résultat des produits de l'exercice prochain, et je crains beaucoup que les recouvrements réels ne répondent pas aux prévisions, et que l'équilibre du budget ne soit fictif.

Dans cette hypothèse, comment couvrir les dépenses déjà votées, et celles à voter en dehors des budgets, que des besoins imprévus doivent nécessairement faire surgir ?

Ce ne sera pas au moyen de la réserve, pour la création de laquelle vous faites des vœux, vœux auxquels je m'associe.Ce sera donc à l'émission de bons du trésor, ou à l'établissement de nouveaux impôts que vous aurez recours.

Au lieu de restreindre vos dépenses, vous viendrez demander au contribuable le restant de ce que le fléau actuel ne lui aura pas fait dépenser.

Vous nous parlez de réserve, M. le ministre, comme tous vos prédécesseurs en ont parlé, et comme vos successeurs en parleront. C'est le rêve de la chambre ; c'est le rêve de tous ceux qui arrivent au pouvoir.

Moi aussi je veux une réserve, afin de parer aux crises qui peuvent tarir les sources du revenu public, afin d'être prêt aux événements politiques qui peut-être ne sont pas loin de nous menacer.

Mais avant de former une réserve, rétablissons l'équilibre des budgets sur une base assurée, et renonçons à ces bons du trésor, cette ressource si facile, mais si dangereuse pour les gouvernements et les gouvernés.

Avant de songer à former une réserve, commencez à élever une digue contre les flots envahissants des dépenses ; arrêtez cette manie de créer de nouveaux besoins, et mettez une barrière aux prétentions insatiables de tous ceux qui veulent vivre aux dépens de l'Etat.

N'augmentez pas sans cesse les traitements des fonctionnaires ; ne multipliez pas les places ; n'admettez pas trop légèrement des hommes valides à la pension ; en un mot, visez à l'économie, non à cette économie mesquine, tracassière et malentendue, mais à une économie sage et calculée sur les véritables besoins du service public.

Mettez-vous à l'œuvre, M. le ministre ; vous pouvez rendre un service immense à votre pays : jetez les fondements, la base de la réserve, réluisez les dépenses au niveau des moyens ; nous vous seconderons et la nation y applaudira.

Avant de terminer, messieurs, si je dois avouer que, depuis notre régénération politique, des travaux immenses ont élé exécutés pour féconder la prospérité publique, je demande que MM. les ministres veuillent convenir avec moi, que de bien grandes charges pèsent déjà lourdement sur la nation.

Cependant, messieurs, je ne me refuserais pas de contribuer à la création de nouvelles ressources, si les produits en étaient destines à augmenter le bien-être de tous ; mais je m'opposerai formellement à ces dépenses permanentes, qui, une fois admises dans le budget, ne changent plus de place, et y restent comme un ennemi dans une forteresse inexpugnable que l'on attaque en vain.

M. Savart-Martel. - Messieurs, je n'examinerai point ici s'il convient de fixer les recettes avant les dépenses, ou les dépenses avant les recettes. On pourrait discuter longtemps les deux opinions, et donner pour l'une et l'autre de bons motifs.

Quant à moi, je crois qu'il faut distinguer. Il en est du trésor public comme du budget du père de famille. A-t-il l'opinion d'avoir des revenus qui excèdent les besoins, il convient de fixer d'abord ses revenus, afin de pouvoir être plus large dans la dépense.

Croit-il, au contraire, a une insuffisance de revenus, alors il faut commencer par les dépenses, de manière à les circonscrire dans les bornes de la nécessité, et surtout ne pas confondre ta nécessité avec la simple utilité.

Le budget des voies et moyens, tel qu'il vous est présenté, s'élève à 112,714,070 fr., don t85,078,750 fr. sont demandés à l'impôt ; 8,060,000 fr. aux péages ; 10,917,620 fr. forment les capitaux et revenus ; 2.057,700 fr. sont les remboursements. C'est beaucoup, il faut en convenir ; c'est énorme même, pour un pays tel que le nôtre.

S'il était utile de disséquer ici ce budget,, on verrait qu'il atteindra bientôt le double de ce qu'exigeait l'ancien gouvernement surtout, si l'on y joint ce luxe de centimes provinciaux et de centimes communaux insupportable dans beaucoup de localités.

Je ne réclamerai plus, messieurs, les effets des promesses solennelles d'un gouvernement à bon marché, promesses répétée sa satiété eu 1830.

Nous avons monté notre machine gouvernementale sur un pied grandiose ; la bureaucratie nous déborde, et la bureaucratie nuit même aux affaires ; elle en arrête l'accélération.

Nous avons ouvert un riche budget dont chacun veut sa part ; et contre toutes les règles d'une sage politique, nous avons ouvert ce trésor à toutes les vanités, à toutes les ambitions, à tous les besoins.

Demandez à ces centaines de docteurs en droit que créent chaque année nos universités, quelles sont leurs prévisions, ? Une place dans la magistrature.

Demandez à ces milliers de pères de famille, à ces fermiers plus ou moins aisés, quelle est la destination de leurs enfants ? Une place quelconque au budget.

Que veut l'infortuné qu'écrasent les charges du ménage, le commerçant malheureux ou ruiné ? Un morceau quelconque du budget.

Plusieurs auraient fait d'excellents industriels, de bons artistes, d'honorables fermiers, tandis qu'ils végéteront toute leur vie dans des besoins que leur position même aura créés, trop heureux s'ils n'ont point épuisé leurs familles !

Mais je m'arrête ; car ma voix n'aurait ici aucun écho ; le mal est fait ; il est presque sans remède, et au lieu d'un gouvernement à bon marché, nous avons à vivre sous un gouvernement d'argent.

Qu'il faille des impôts, appelés voies et moyens, de lourds impôts même, personne ne peut en douter, car la machine gouvernementale ne peut pas plus fonctionner sans argent que le ménage d'un particulier.

(page 286) Il n'est cependant aucun pays où l'on aurait dû mettre à cet égard plus de circonspection qu'en Belgique. Etre économe d'argent, et y suppléer par des distinctions honorifiques, tel devait être le point de départ.

Chez nous, tout doit être demandé au contribuable. Nous n'avons pas, comme certains Etats, soit des monopoles, soit des possessions transatlantiques, soit de riches propriétés mobilières ou immobilières qui puissent diminuer nos charges ; à cet égard, la Belgique est dans une position particulière. Pour surcroît de malheur, les classes qu'on devrait ménager, le boutiquier, la petite propriété, sont nos plus nombreux contribuables, grâce au système d'impôts imaginé par l'ancien gouvernement.

Qu'a-t-on fait depuis quinze ans pour nous délivrer de l'impôt personnel et de celui des patentes ? On sait comment cet odieux système nous a été imposé ; combien les Belges l'ont combattu aux états généraux. On se rappelle la loi d'infâmie. Eh bien, à notre honte nous la subissons eneore, non seulement en principal, mais avec un additionnel de 10 p. c.

Le petit marchand, après avoir payé la contribution foncière de sa maison, en paye une valeur locative. Il paye ensuite le droit d'y avoir de l'air ou du jour, il paye le droit d'y avoir des meubles, il paye le droit d'y faire du feu, sans égard à la circonstance qu'il a déjà payé pour le combustible ; enfin, pour l'exercice de son débit, il doit payer encore.

Si ces contributions n'avaient que l'odieux de leurs taux, on patienterait ; mais ce qu'il y a d'oppressif, de vexatoire, d'injurieux même, c'est l'obligation de donner chaque année, en ce qui concerne les patentes surtout, des déclarations dont le fisc ne tient aucun compte.

Qui donc constitue ainsi en état de mensonge annuellement la majeure partie des Belges ? Un agent fiscal qui n'a en mains aucun des éléments nécessaires pour asseoir son jugement, et qui même n'entend point le contribuable. Ici contre toutes les règles du droit et de l'équité, la fraude se présume.

On nous annonce avoir trouvé moyen pour faire produire davantage à l'impôt sans toucher à la loi.

Hélas ! oui, nous le savons ; à tous les gouvernants doit plaire ce système, car il est élastique. Il met à la disposition du ministère les fortunes privées. Il suffit, à cet égard, de stimuler le zèle des agents, et l'on fait produire à l'impôt ce qu'on veut. Bailleurs, on y trouve la facilité d'obtenir de l'argent à volonté par un trait de plume et au moyen de centimes additionnels. Cela est vraiment commode.

Je sais, messieurs, qu'on n'improvise pas un système d'impôt, et qu'on ne pourrait supprimer celui que nous subissons encore à notre honte, sans le remplacer, en partie au moins. Mais, à mon avis, on pourrait, dès à présent, en alléger le poids, en supprimant les 10 p. c. qui grèvent les patentes et la contribution personnelle ; quelques défalcations sur les dépenses rétabliraient l'équilibre.

Ne vous y trompez pas, messieurs ; le marchand détaillant, la petite propriété doivent nécessairement souffrir des circonstances actuelles. La misère de la classe pauvre, l'état de gêne des familles ouvrières doivent nécessairement influer sur la position de ceux auxquels, en ce moment, je m'ntéresse principalement.

Il y a quelque chose de désespérant dans l'exposé du ministère, page 10 in fine : « Les faits déjà constatés, pour l’exercice courant, permettent d'augmenter de cent mille francs les prévisions de recettes du chef de la contribution personnelle. L'on ne peut se dissimuler néanmoins que les produits de cette partie de nos revenus ne sont pas aussi élevés qu'ils devraient l'être ; la faculté laissée aux contribuables de se référer indéfiniment à des déclarations antérieures, et par suite, l'absence d'un contrôle permanent ou du moins périodique sur l'augmentation des bases imposables, paraissent être les causes les plus générales qui paralysent le développement des produits. Je me propose de rechercher les moyens d'améliorer la législation sans en altérer les bases essentielles. »

Ceci annonce l'intention de maintenir le système hollandais. J'espère qu'il n'en sera point ainsi.

Je conviens qu'il n'y a point d'impôt populaire, mais celui-ci a été tellement odieux dès l'origine, que par politique même, on devrait enfin le proscrire.

J'invoque le patriotisme de nos hommes d Etat. Qu'ils cessent de se traîner dans l'ornière hollandaise ; qu'ils nous créent enfin un système national ; qu'ils cèdent ainsi au vœu de la nation, et que la chambre belge se souvienne de la résistance qu'ont opposée la presque totalité des députes de la Belgique lorsque ce joug humiliant lui a élé imposé.

Entre-temps la remise des 10 p. c. additionnels serait une fiche de consolation qui ferait attendre patiemment le nouveau système.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, dans long les gouvernements, mais principalement dans un gouvernement tel que le nôtre où les représentants de la nation sont appelés à voter les impôts, les devoirs sont de les prélever de la manière la plus équitable, en exigeant des subsides de ceux qui, par leur position financière, sont à même de les supporter ; c'est-à-dire qu'il serait à désirer qu'on trouvât le moyen de percevoir un tantième par cent sur tous les revenus quelle que soit la source d'où ils découlent.

En Belgique, nous sommes loin d'être en progrès ; nous sommes arriérés de plus d'un siècle. Loin de frapper d'impôts la classe la plus aisée, nous les percevons sur la classe laborieuse et la moins favorisée de la fortune.

En France et en Angleterre on frappe d impôts les produits étrangers, et ces deux gouvernements prélèvent des subsides sur les producteurs étrangers ; en Belgique au contraire, pays hospitalier par excellence, on reçoit à des droits minimes les produits exotiques et, pour se procurer les subsides, on frappe d'impôts les habitants du pays, au détriment de leur industrie, sans pour cela favoriser la classe des consommateurs.

Nos économistes voudraient voir réaliser ce beau rêve, la liberté illimitée du commerce et ils prétendant que la Belgique prenne l'initiative de cette belle conception.

Si nos voisins, les Anglais cl les Français, adoptaient le principe qu'on nous préconise, je ne combattrais pas ce système, j'en serais partisan, je voterais l'entrée libre de tous les produits étrangers similaires à ceux que nous produisons, pour autant que nos voisins reçoivent les nôtres.

Je n'en excepterais pas même les produits de notre agriculture qui pourrait concourir sur les marches étrangers avec les producteurs de ces pays.

Une loi sur les céréales ne serait plus nécessaire, mais je doute fort que le consommateur soit, par suite, appelé à manger le pain à bon marché, comme le prétendent nos économistes. L'industrie manufacturière aurait bien plus à redouter cette liberté générale du commerce.

L'Anglais payerait, sans doute, le pain à meilleur compte qu'il ne le paye actuellement et par suite la journée de main-d'œuvre diminuant, il fabriquerait à meilleur compte qu'il ne le fait actuellement et nuirait à nos fabriques de coton, métallurgiques et autres. L'Anglais obtiendrait un avantage considérable par l'adoption de la liberté illimilee du commerce.

Je dois ici une explication, car je pourrais être en contradiction avec ce que je disais précédemment, qu'en Belgique on n'aurait pas le pain à meilleur compte, tandis que je viens dire que le pain serait à meilleur marché en Angleterre. Je m'explique : la cause de cette différence provient de ce qu'en Angleterre le prix du pain est toujours infiniment plus élevé que sur les marchés de Belgique ; si la liberté du commerce était proclamée, nous pourrions aller concourir avec les cultivateurs anglais sur leur propre marché ; les étrangers ayant la liberté de porter leurs produits là où ils le voudraient, les introduiraient de préférence en Angleterre ; de sorte que notre pays en recevrait fort peu, et nos cultivateurs obtiendraient toujours de leurs produits un prix plus élevé que sous le régime actuel, qui permet l'entrée du pays aux produits étrangers à un droit modéré, ce qui fait qu'on les importe de préférence chez nous.

Croyez-moi, messieurs, l'Angleterre et la France savent très bien qu'à frapper les produits étrangers on perçoit des impôts qui sont supportes par l'importateur, et qu'au moyen de ces droits de douane, on encourage la production dans son pays, et le consommateur ne paye pas plus chèrement les produits de son industrie.

Donnez une garantie aux producteurs indigènes que l'étranger ne concourra pas avec eux sur nos marchés, cette idée fait un effet magique sur les industriels qui les porte à produire davantage, et en quantité supérieure aux besoins ; et, on le sait très bien, quand les produits sont supérieurs aux besoins, les prix sont réduits.

A l'appui de ce raisonnement on pourrait citer grand nombre d'exemples ; je me bornerai à faire allusion à la houille, aux sucres, aux céréales en France.

Eh bien, messieurs, la loi française donne pour résultat une différence du prix du grain et du pain, et cette loi qui est la même que la proposition qui vous a été soumise, fut qualifiée de loi de famine.

Voyez ce qui s'esl passé en France et en Belgique, dans la période de 1835 à 1844 ; le prix moyen du froment en France fut de 19 fr. 21 c. au droit de 5 fr. 55 c. tandis qu'en Belgique le prix fut de 19 fr. 34 c. au droit de 1 fr. 10, de manière que la France a reçu 5 fr. 55 c. par chaque hectolitre importé chez elle, tandis que la Belgique n'a perçu que 1 fr. 10 c par hectolitre importé chez elle.

Je crois que voilà des faits qui répondent aux théories. Les exemples sont là pour éclairer MM. les économistes dont je respecte la science, mais dont je ne puis m'empêcher de dire que les calculs sont détruits par les faits que je signale. Eu voilà deux ; j'en citerai encore un. Avant la révision de la loi sur les sucres, le gouvernement percevait 200,000 francs environ de droits de consommation. On a fait en sorte, en modifiant la loi, que le sucre rapporte l'année suivante trois millions à l'Etat ; et d'après les économistes, ces 2,800,000 francs de différence auraient dû être supportés par le consommaient ; on a cru qu'o nallait voir augmenter le sucre ; il a diminué de valeur. Je vous le demande, qui a payé cet impôt de 2,800,000 francs ? C'est l'étranger qui a apporté le sucre. Vous avez perçu 2,800,000 fr. sur la production du sucre étranger.

Messieurs, je ne m'étendrai pas plus sur le sucre ; cependant, j'avais l'intention de répondre quelques mots à l'honorable député d'Anvers qui nous a entretenus de la loi sur les sucres dans une séance précédente et a exprimé l’espoir qu'on améliorerait la position des raffineurs de manière à leur permettre de raffiner 40 millions de kilogrammes en améliorant la situation du trésor sous le rapport des recettes. Si l'honorable membre a trouvé le moyen d'obtenir ce résultat, je l'approuve, pour autant qu'il ne veuille pas en même temps anéantir une industrie du pays, et il rencontrera en moi un défenseur, car j'ai pour principe de favoriser les industries du pays aussi bien celles qui travaillent avec les produits étrangers, que celles qui travaillent avec les produits du pays, pour autant toujours que l'existence de ces dernières ne soit pas compromise. Au surplus, on nous parle de la révision de la loi, j'attendrai qu'une proposition nous soit soumise pour émettre mon opinion ; mais je déclare, dès à présent, que si on présente un moyen d'augmenter les recettes du trésor en assurant l'existence des deux industries, la raffinerie du sucre étranger et la fabrication du sucre indigène, j'y donnerai mon assentiment.

L'an dernier on a trouvé bon d'augmenter le contingent de l'impôt foncier. Vous savez que le Limbourg et le Luxembourg ont dù subir une augmentation de contingent ; on devait s'attendre, d'après cequi s'est passé alors de la péréquation cadastrale entre les autres provinces, à voir dégrever les unes de l'augmentation que subissaient les autres.

Messieurs, l'année dernière on a consenti a ce que le contingent assigné (page 287) en plus aux provinces du Limbourg et du Luxembourg, profitât au trésor. L'agriculture ne se trouvait pas dans la position où elle est aujourd'hui ; on pouvait, sans grand inconvénient, agir comme on l'a fait ; en est-il de même cette année ? Non, il s'en faut de beaucoup. Je vais vous le démontrer. Messieurs, je vois par le rapport de la section centrale que la deuxième section demande la suppression de trois centimes additionnels supplémentaires à cause des souffrances de l'agriculture.

Remarquez-le bien, messieurs, la suppression de trois centimes additionnels ! Eh bien, le croiriez-vous, la section centrale a trouvé que c'était un trop grand cadeau à faire à l'agriculture, à la propriété. Voici sa réponse :

« La proposition de la 2ème section a été écartée par la section centrale, à cause des besoins du trésor ; d'ailleurs, si un tubercule précieux a fait défaut cette année, cette perte a été jusqu'à un certain point compensée pour le cultivateur par la récolte satisfaisante des céréales, et le prix élevé de tous les produits du sol. »

Voila les raisonnements des économistes et des cultivateurs du cabinet. Je vais vous démontrer la situation exacte de l'agriculture ; je vais vous démontrer la perte énorme que fait l'agriculture, non pas seulement par suite de la perte des pommes de terre, mais aussi par la minime récolte qu'on a obtenue. Vous croyez donc qu'un cultivateur qui reçoit deux tiers de récolte, en vendant son grain à raison de 24 fr. est compensé, reçoit autant qu'une bonne récolte ordinaire vendue à 18 fr. Je vais vous faire voir l'erreur où vous vous trouvez.

Je suppose une ferme de 100 hectares dans la province de Limbourg, dans la province de Lîége, dans la province de Namur, dans une partie du Hainaut, dans une partie du Brabant. 28 hectares de froment donnent par année ordinaire, à raison de 22 hectolitres par hectare, 616 hectolitres. De ces 616 hectolitres, il faut soustraire : 13 p, c. que l'on doit payer aux ouvriers, tant pour faire la récolte que pour battre le grain, soit 79 hectolitres.

Semences, pour 28 hectares de terre, 56 hectolitres.

Consommation obligée du ménage (pour manger très peu de froment), et ce que, dans certaines circonstances, il est nécessaire de donner au bétail, 6 hectolitres.

Ensemble 141 hectolitres qu'il faut déduire de 616. Reste à vendre en 1845, produit de 1844, 475 hectolitres, ce qui, à raison de 19 fr., fait une recette de 9,025 fr.

Voyons maintenant ce que seront les produits de 1845.

En 1845, il n'y a eu, dans un grand nombre de localités, qu'une demi-récolle : mais je suppose que la récolte ait été des deux tiers de la récolte ordinaire. Ces 28 hectares en froment auront donc produit 411 hectolitres.

A déduire :

15 p. c. pour les ouvriers, 53 hectolitres

Semences, 56 hectolitres

Consommation du ménage, 6 hectolitres

Ensemble, 115 hectolitres

Qu'il faut retrancher de 141 Reste à vendre 296 hectolitres.

Or, le prix du froment est actuellement de 24 fr. et quelques centimes, mais c'est là le prix du froment de très bonne qualité, et généralement le grain de cette année n'est que de qualité médiocre. Néanmoins, je veux bien supposer que tout se vende à 24 fr. Les 296 hectolitres produiront donc une recette de 7,104 fr., ce qui donne, comparativement au produit de 1844, un déficit de 1,921 francs.

A ce déficit, messieurs, il faut en ajouter un autre. Le seigle et l'orge n'ont pas mieux réussi que le froment. Il en résulte donc que le cultivateur a subi sur le seigle et l'orge une perte proportionnelle à celle qu'il a éprouvée sur le froment. Cette perte sur le seigle et l'orge doit être évaluée à 951 fr., toujours pour une ferme de 100 hectares.

Ensuite, messieurs, dans une ferme de 100 hectares, on récolte en moyenne 600 hectolitres de pomnes de terre ; en les évaluant à 2 fr. par hectolitre, je suis, encore une fois, très modéré, soit donc 1,200 fr. Eh bien, les 3/4 de la récolte des pommes de terre sont perdus. Voila donc encore une perte de 900 fr.

Ainsi, messieurs, de ces trois chefs, les cultivateurs, dans les localités que j'ai indiquées, ont perdu, sur une exploitation de 100 hectares, une somme de 3,772 fr.

Ajoutez, messieurs, à ce déficit les charités extraordinaires et obligées que les cultivateurs devront faire, et vous aurez, dans une ferme de cent hectares, une réduction de plus de 40 fr. par hectare sur le revenu de 1844. Mais la perte, messieurs, sera bien plus sensible, elle sera bien plus forte encore comparativement, dans les exploitations de peu détendue, chez ces petits cultivateurs qui ne cultivent que 15 à 20 hectares ; ce sont ceux-là qui sont surtout à plaindre ; car la perte pour eux ne sera pas de 40 fr. par hectare, elle sera de 60 à 70 fr.

Ces petits cultivateurs, messieurs, comptaient sur la récolte de leurs pommes de terre pour vivre une grande partie de l'année. Car, remarquez-le bien, la plus grande partie de la culture de nos petits cultivaieurs consiste en pommes de terre. Eh bien, toute la dépense qu'ils avaient faite pour obtenir l'approvisionnement de presque toute l'année est perdue. La dépense était faite ; ils avaient payé la location de leurs terres ; ils avaient fumé celles-ci ; ils les avaient labourées, ils les avaient ensemencées ; ils avaient fait tous les travaux ; il ne s'agissait plus que d'en recueillir les fruits, et ces malheureux se trouvent dénués de toutes ressources.

Sans doute, messieurs, les populations des villes sont à plaindre, j'en conviens, mais elles le sont bien moins que les habitants des campagnes. Elles n'avaient pas payé d'avance le prix des pommes de terre qui devaient leur servir de nourriture ; elles peuvent aujourd'hui s'alimenter d'autres denrées qui malheureusement sont à un prix trop élevé, je le reconnais.

Mais les nombreuses charités viendront à leur secours et atténueront les effets de cette augmentation obligée de dépenses.

Messieurs, je bornerai là mes observations dans la discussion générale.

Lorsque nous en viendrons aux détails, je me permettrai de vous en présenter quelques autres encore.

Je crois qu'en présence de la position fâcheuse de l'agriculture, le moment est venu de faire disparaître, non pas les 3 centimes dont a parlé la deuxième section, mais les 10 centimes additionnels qui pèsent depuis trop longtemps sur la propriété.

Lorsque nous nous occuperons des produits autres que les produits ordinaires, je vous signalerai quelques augmentations de recettes que vous pourriez obtenir. C'est ainsi qu'on pourrait frapper davantage la consommation des sucres.

C'est là une matière de luxe qui peut supporter des impôts. Mais en frappant des impôts sur cette consommation, il faut que l'on se montre prudent sur le moyen d'en faire rentrer le produit au trésor. Car il est arrive plus d'une fois que l'on a éludé la loi de manière à faire tourner à son profit les impôts qui étaient destinés à l'Etal.

J'attendrai, messieurs, la discussion des articles pour vous présenter quelques autres observations.

M. Delfosse. - Messieurs, depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, j'ai eu plus d'une fois l'occasion de remarquer que MM. les ministres des finances s'entendent à merveille à présenter la situation financière sous l'aspect qui convient le mieux à leurs vues.

S'agit-il de contracter un emprunt, la situation financière nous apparaît fort sombre ; c'est le moyen d'obtenir que la chambre adopte, sans trop de difficulté, le chiffre indiqué par le gouvernement.

S'agit-il, au contraire, de créer des dépenses nouvelles ? Oh, alors, la situation financière devient excellente. Le déficit disparaît comme par enchantement.

Il en est souvent de même lorsque MM. les ministres en sont à leur début. S’ils venaient nous dire, dès leur entrée aux affaires, que la situation financière esl mauvaise, ils devraient nous proposer ou des augmentations d'impôts, ce qui ferait crier les contribuables, ou des réductions de dépenses, ce qui déplairait à beaucoup de gens avec lesquels MM. les ministres aiment, en général, à être dans de bons termes. Cela pourrait nuire à la popularité du ministère naissant. On trouve que ce qu'il y a de mieux à faire pour recevoir un bon accueil, pour contenter, autant que possible, tout le monde, c'est de dissimuler le côté fâcheux de la situation financière. Plus tard, le déficit reparaîtra plus considérable et plus menaçant. Mais qu’importe ? On ne sera peut-être plus au ministère et les embarras seront pour les successeurs.

Comment se fait-il que la situation financière puisse varier ainsi au gré de MM. les ministres ? Par une raison bien simple, messieurs : vous savez tous que chaque exercice reste ouvert pendant trois ans. Il y a, dans ce long espace de temps, une foule de faits qui viennent modifier les prévisions qui avaient servi de base à la confection du budget : des dépenses qu'on n'avait pas prévues doivent se faire ; des crédits alloués deviennent insuffisants ou bien ne sont dépensés qu'en partie. Il y en a même quelques-uns (c'est assez rare, mais enfin il y en a) qui ne sont pas dépensés du tout. Les recettes peuvent s'élever au-dessus ou rester en dessous des évaluations. Lorsque MM. les ministres veulent que la situation paraisse bonne, ils s'attachent aux éventualités favorables. Lorsqu'ils veulent que la situation paraisse mauvaise, ils laissent les éventualités favorables dans l'ombre, pour ne faire ressortir que les éventualités contraires.

En 1840, le gouvernement nous proposait ûn emprunt de 90 millions. L'honorable M. Mercier, alors ministre des finances, n'avait pas de termes assez énergiques pour dépeindre les calamités qui peuvent naître de l'existence d'une dette flottante considérable. Notre dette flottante était d'environ 18 millions ; M. Mercier trouvait que c'était beaucoup trop.

M. Mercier. - Elle était de 30 millions.

M. Delfosse. - (D'après l'exposé de la situation du trésor à cette époque, la dette avouée était d environ 18 millions) M. Mercier trouvait même qu'en temps ordinaire un pays ne peut avoir, sans le plus grand danger, c'étaient ses expressions, une dette flottante de 8 à 10 mêlions.

En 1841 l'emprunt était contracté. M. Smits, devenu ministre des finances, débuta par nous tenir le langage le plus rassurant. La situation financière était fort bonne ; il ne serait pas demandé de nouvelles charges aux contribuables ; on pourrait faire face à toutes les dépenses à l'aide des impôts existants. Tel était le langage de M. Smits. J'étais un peu incrédule. Je me permis de faire quelques représentations ; mais elles ne furent pas écoutées. On me prit pour un homme intraitable, qui ne trouvait rien de bon, qui voulait troubler la félicité grande dont le pays allait jouir.

Un an plus tard, l'honorable M. Smits venait nous demander de nouveaux impôts et un nouvel emprunt ; et il a fini par se retirer, en laissant un déficit avoué de plus de 37 millions de francs !

M. Mercier, successeur de M. Smits, fut assez heureux pour trouver dans les ressources que le traité avec la Hollande et la conversion de divers emprunts nous avaient procurés les moyens d'éteindre une partie du déficit. Mais il eut le tort d'oublier que ces ressources extraordinaires n'étaient pas de nature à se reproduire. Il eut le tort plus grand d'exagérer, outre mesure, l'amélioration qui s'était produite, à l'aide de ces ressources extraordinaires, dans notre situation financière.

M. Mercier vint nous présenter, à la fin de l'année 1844, une série de chiffres d'où il paraissait résulter que le découvert du trésor était réduit à (page 288) 7 millions, et il nous donna l'assurance que ce découvert ne s'accroîtrait plus, parce qu'il était parvenu, disait-il, à établir un équilibre rigoureux entre les recettes et les dépenses de l'exercice 1845.

Je me permis d'adresser quelques représentations à M. Mercier, comme j'en avais adressé à M. Smits ; je me permis de lui dire qu'il avait attribué sur les exercices 1843 et 1844 une trop forte part aux éventualités favorables, qu'il n'avait pas tenu assez compte des éventualités contraires, que, d'après toutes les probabilités, une foule de crédits supplémentaires viendrait grossir plus tard le passif de ces deux exercices ; j'ajoutai que l'équilibre rigoureux prétendument établi entre les recettes et les dépenses de l'exercice 1844, se convertirait inévitablement en une insuffisance de ressources très prononcée.

M. Mercier me répondit, sous une forme polie à la vérité, qu'il s'entendait mieux en finances que moi, qu'il garantissait ses calculs, et que le découvert, loin de s'augmenter, tendrait au contraire à décroître.

La chambre, confiante dans les promesses et dans les calculs de M. Mercier, vota les augmentations qui lui étaient demandées en faveur de la magistrature, et ce qui pis est, en faveur de MM. les commissaires d'arrondissement ; elle accorda aussi tout ce que l'on voulait pour l'armée.

Cette fois encore, messieurs, l'événement est venu me donner raison.

M. Mercier. - Je demande la parole.

M. Delfosse. - Le découvert qui, d'après M. Mercier, était réduit à 7 millions, le découvert qui ne devait pas s'accroître, est aujourd'hui, de l'aveu de M. le ministre des finances, de 14 millions et demi. Il a fallu pour les exercices 1843 et 1844 des crédits supplémentaires que l'on n'avait pas fait entrer en ligne de compte ; il en a fallu aussi déjà et beaucoup pour l'exercice 1845.

J'avais espéré que M. le ministre des finances actuel compenserait les griefs politiques que nous avons contre lui, par des qualités financières dont nous aurions été heureux de lui tenir compte. J'avais espéré qu'il aurait le courage de présenter franchement, sans détour, la situation financière telle qu'elle est, de signaler le mal dans toute sa gravité, et le courage plus grand de proposer le remède. Mais je vois avec peine que M. le ministre des finances n'a pas su prendre cette résolution. Je le vois avec peine se traîner dans la même ornière que ses prédécesseurs.

M. le ministre des finances nous dit que le découvert du trésor est de 14 millions et demi ; mais il oublie de faire la part des éventualités défavorables qui, d'après toutes les probabilités, affecteront et l'exercice 1844 qui ne sera clos qu'à la fin de 1846, et l'exercice 1845 qui restera encore ouvert pendant deux ans. On peut, sans trop s'aventurer et en se fondant sur l'expérience, évaluer à plus de cinq millions les crédits supplémentaires qu'il faudra encore demander pour ces deux exeicices.

Le découvert, que M. le ministre des finances ne porte qu'à 14 millions et demi, serait donc de 20 millions, et tout porte à croire que cette situation fâcheuse sera encore aggravée par les résultats de l'exercicc 1846.

M. le ministre des finances nous présente pour l'exercice 1846 un projet de budget qui n'offre qu'un excédant de ressources d'environ 232,000 fr. ; et encore cet excédant est-il converti par la section centrale en une insuffisance de 167,000 fr.

J'ai déjà eu l'honneur, messieurs, de vous le dire, lors de la discussion du budget des voies et moyens de 1844 et de 1845 : pour qu'un exercice n'amenât pas un accroissement de déficit, il faudrait que l'excédant présumé fût très considérable. Une expérience constante a démontré que les prévisions d'un budget se trouvent toujours, à la clôture de l'exercice, aggravées de plusieurs millions.

Au 1er septembre 1842, on présumait que l'exercice 1840 (c'était l'année de l'emprunt) laisserait un excédant de plus de cinq millions. L'année suivante cet excédant était réduit d'à peu près deux millions.

L'exercice 1841, ouvert avec une insuffisance de ressources de plus de deux millions, a laissé en définitive une insuffisance de plus de treize millions.

L exercice 1842, ouvert avec un excédant de ressources de plus de trois cent mille francs, a présenté au contraire une insuffisance de plus de dix-sept cent mille francs.

L'excédant de ressources de 814,000 fr., promis-sur l'exercice 1843, s'est converti en une insuffisance de près de 10 millions.

Au 1er septembre 1844, M. Mercier nous promettait un excédant de 6,653,085 fr. 73 c. sur l'exercice 1844. Au 1er septembre dernier, cet excédant était déjà réduit à 3 millions ; et remarquez bien, messieurs, que s'il y a un excédant sur l'exercice 1844, c'est par suite des bénéfices inattendus que l'on a retirés de la conversion de divers emprunts. Cet excédant existera-t-il encore à la clôture de l'exercice ? C'est ce dont il est permis de douter.

Voilà, messieurs, des faits qu'il serait imprudent de négliger, dont il faut tenir compte dans les prévisions d'un budget. Eh bien, si l'on en tient compte, on doit dire que l'insuffisance de l'exercice 1846 sera de plusieurs millions, et le découvert qui, d'après M. le ministre des finances, est de 14 millions et demi, qui, d'après moi, est d'au moins 20 millions, sera porté, à la clôture de l'exercice 1846, à 25 millions peut-être ; et ce découvert ira chaque année en croissant, si l'on ne se hâte de sortir de la fausse voie dans laquelle on s'est engage.

Rappelez-vous, messieurs, ce qui s'est passe depuis quelques années. A la fin de 1839, le découvert avoué du trésor n'était que d'environ 14 millions ; aujourd'hui il est de 20 millions. Cependant, depuis cette époque, les impôts ont été augmentés de 9 millions de francs ; les péages de 7 millions, en tout 10 millions d'augmentation annuelle.

On a absorbé,dans le même intervalle, environ 12 millions provenant de la vente des domaines et du remboursement de capitaux ; 17 millions que nous avons retirés du traité avec la Hollande, et environ 4 à 5 millions que la conversion de divers emprunts nous a valu.

Cette même conversion nous a valu, en outre, une économie annuelle, sur le budget de la dette publique, d'environ un million ; et malgré tout cela, messieurs, nous ne sommes pas parvenus à éteindre le déficit. Il reparaît, au contraire, plus menaçant que jamais !

Comment M. le ministre des finances peut-il dormir tranquille en présence d'une situation aussi fâcheuse, d'une situation que l'on peut qualifier d'effrayante, aujourd'hui que nous ne pouvons plus espérer des ressources du genre de celles que nous avons retirées du traite avec la Hollande ? Si le gouvernement comprenait sa mission, son devoir, il viendrait nous proposer des mesures efficaces pour arrêter le mal à sa source. Il viendrait nous proposer ou une augmentation d'impôts ou une forte réduction des dépenses.

Je n'ai pas besoin de vous dire, messieurs, quel est celui de ces deux moyens que je préfère.Tous mes discours, tous mes votes vous ont prouvé que je suis partisan sincère des économies. Les augmentations d'impôts seraient d’ailleurs mat accueillies dans les circonstances graves où le pays se trouve, et, dans tous les cas, elles ne devraient porter que sur les classes riches.

Tant que le gouvernement ne viendra pas nous proposer des mesures efficaces pour éteindre enfin ce déficit, qui finira, si l'on n'y prend garde, par conduire le pays à sa ruine, il me sera impossible de donner un vote approbatif au budget des voies et moyens.

M. Verhaegen. - Messieurs, il semble d'après le rapport de la section centrale que notre mission doive se borner à vérifier si les voies et moyens proposes par le gouvernement suffisent à couvrir les dépenses de l'exercice 1846, à nous assurer de la modération et de la sincérité de l'évaluation des produits, enfin à provoquer des mesures tendant à prévenir l’insuffisance des ressources. Ces questions, qui ne sont que des questions préalables à l'examen du budget des voies et moyens proprement dit, ont été traitées avec tant de lucidité par mon honorable ami M. Delfosse que je crois inutile de rien ajouter aux considérations qu'il vous a présentées et qui sont appuyées sur des chiffres irrécusables.

Mais il est une autre question que j'appellerai, moi, la question principale ; c'est celle relative à l'assiette des impôts ; la section centrale ne s'en est pas occupée, l'honorable M. Savart vous en a dit quelques mots, et je vais compléter ses idées.

Depuis plusieurs années j'ai pris la résolution de ne plus voter un budget de voies et moyens d'après lequel les charges publiques retomberaient de tout leur poids sur les classes inférieures et sur les classes ouvrières, pour effleurer à peine le luxe et la richesse.

Je suis loin de vouloir refuser au gouvernement les ressources nécessaires pour faire face aux dépenses, je suis prêt à voter le chiffre des impôts. Mais quelles seront les bases de ces impôts ? Voilà la véritable question à l'ordre du jour.

Ou nous a dit et répété qu'il est dangereux de toucher a un système d'impôts existant, on a même osé ajouter que demander la révision des impôts, c'est demander une réforme sociale. Mais n'est-ce pas là faire la critique la plus amère de la Constitution, qui a tellement senti le besoin de mettre en harmonie les institutions financières et les institutions politiques du pays, qu'elle a fait un devoir, à la législature comme au gouvernement, de la révision des lois financières en désaccord avec le principe démocratique de notre gouvernement ? En effet, messieurs, au nombre des objets mis a l'ordre du jour, par l'article 139 de la Constitution, se trouve la refonte générale des impôts.

Messieurs, il ne s'agit pas ici de « questions sociales, » comme on voudrait l'insinuer ; il ne s'agit que de questions de justice et d'équité qui ne doivent amener aucune réforme proprement dite. Depuis 1830 on a trailé beaucoup d'affaires dans cette enceinte, mais s'est-on bien occupé des intérêts de la grande masse de la nation, des intérêts de la classe nécessiteuse, de la classe ouvrière, je dirai même de la classe moyenne ? Non. Malgré nos réclamations incessantes, malgré les réclamations annuelles des amis qui nous ont précédé à cette tribune, ces intérêts ont été négligés. Les seuls dont on ait pris soin sont les intérêts d'une classe privilégiée, d'une classe qui, dans le siècle où nous vivons, trouve de nombreux défenseurs.

Je vais prouver ce que j'avance en passant rapidement en revue les principales bases d'impôts admises pir le budget en discussion.

D'abord, il est évident pour moi que ce qui est le plus imposable, et qui, en justice, devrait être imposé en première ligne, la propriété, ne l’est point. On parle de l'impôt foncier. Cet impôt, à la vérité, avait été introduit pour atteindre la propriété, et cependant, en réalité, il ne frappe pas le propriétaire ; il frappe le fermier, le cultivateur ; c'est une patente déguisée sur les travaux agricoles qui doit avoir pour conséquence inévitable le renchérissement des denrées alimentaires. La contribution foncière est devenue une sorte de contribution indirecte sur les céréales, sur les bestiaux ; c'est un impôt sur la viande, sur le pain, en un mot sur les besoins les plus impérieux des classes ouvrières.

La troisième section demande la suppression de 3 centimes sur l'impôt foncier à cause des souffrances de l'agriculture, et l'honorable M. Eloy, quand il a parlé de la contribution foncière, s'est apitoyé sur le sort des cultivateurs, preuve évidente que la propriété n'est pas enjeu.

Qu'on cesse donc de parler des augmentations successives qu'a subies la contribution foncière, car toutes ces augmentations sont retombées à charge du consommateur.

Messieurs, si vous voulez réellement frapper la propriété, vous avez plus d'un moyen de le faire, mais il ne suffit pas de demi-mesures, il faut aller droit au but, et déjà nous nous en sommes expliqué les années précédentes.

Le meilleur moyen de frapper la propriété serait l’établissement d'une (page 289) taxe proportionnelle et progressive sur le revenu telle qu'elle existe en Angleterre. Ce serait l'établissement de droits d'enregistrement sur toute espèce de transmission de propriétés mobilières et immobilières, d'un droit de succession modéré, mais progressif en ligne directe, et surtou sur les préciputd.

A cet égard, je suis d'accord avec l'honorable comte de Mérode, qui, l'année dernière, approuvait mes vues sur ce point.

Pourquoi aussi ne pas étendre le droit de déshérence ? Pourquoi ne pas restreindre dans de justes limites le droit d'hérédité en ligne collatérale ? Car je ne comprends pas qu'il faille descendre jusqu'au douzième degré.

On a souvent attribué à certaine opinion des idées de communisme, idées absurdes, que repoussent et les faits et la position des individus auxquels on les attribue ; mais, qu'on le sache bien, le meilleur moyen de sauvegarder la propriété, c'est de la faire contribuer pour sa part dans les charges de l’Etat.

Je passe à la contribution personnelle.

De l'aveu de tous les ministres qui se sont succédé, entre autres de l'honorable M. Smits, qui s'en est expliqué d une manière formelle, les bases de cette contribution grèvent surtout les classes des travailleurs et le commerce, pour épargner les richesses des propriétaires.

Je n'excepte de ma critique aucune des bases de cette contribution : la loi de 1822 que nous a léguée le gouvernement déchu, a été appréciée comme elle devait l'être, par notre honorable collègue, M. Savart. Je dis, que je n'excepte aucune des six bases, et je vais les examiner l'une après l'autre.

Valeur locative (première base). ) C'est une base injuste. Quoi ! un individu occupe une maison dans une rue commerçante, à Bruxelles, dans la rue de la Madeleine, par exemple ; cette maison a une valeur localive de 6 à 7,000 fr. ; il payera plus dans la contribution personnelle (première base) qu'un grand seigneur qui vit de ses revenus et qui occupe un grand hôtel dans une rue peu fréquentée, telle que la rue aux Laines ; outre cela il payera encore une forte patente.

Un aubergiste se trouve dans la même position, mais celui-là, outre la première et la quatrième base et sa patente, payera encore un droit pour chacune des chambres destinées aux voyageurs. Injustice criante, s’il en fut jamais.

Portes et fenêtres (deuxième hase). Ici l'injustice est tout aussi révoltante ; l'artisan qui n'a qu'une petite porte d'entrée et une seule fenêtre qui lui donne à peine le jour nécessaire à son travail, paye tout autant que paye le riche propriétaire pour la grande porte cochère de son hôtel et pour chacune de ses fenêtres trois ou quatre fois plus grandes ; et il n'y a, quant à ce, aucune différence entre la petite maison de l'artisan, située dans la plus petite des ruelles et le plus bel hôtel situé dans la plus belle des rues de la capitale.

L'égalité ne consiste pas à augmenter, dans la même proportion, à raison du nombre, mais à avoir égard à l'importance de l'objet imposé et aux ressources du contribuable.

Foyers (troisième base). Nouvelle injustice, injustice plus criante encore.

L'artisan, l'ouvrier qui a besoin d'un petit foyer pour son travail et pour son ménage paye autant que le riche pour le plus beau et le plus grand des foyers ; et ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est qu'au-delà de 12 foyers, on ne paye plus. Ainsi celui qui a 30 foyers, ne paye que pour 12 ; tandis qu'il devrait y avoir progression ascendante.

Taxe sur le mobilier (quatrième base). C'est toujours le même système.

D'après l'art. 25 de la loi du 28 juin 1822, sur la contribution personnelle le droit est de 1 p. c. de la valeur du mobilier.

L'article 29 porte : « L'individu, occupant une maison, qui en loue une partie en chambres ou appartements garnis, doit payer la contribution pour le mobilier, sur le pied de la valeur locative quintuplée. »

Cette disposition est des plus vicieuses, en ce qu'elle consacre des inégalités énormes entre les contribuables.

La plupart des marchands, des boutiquiers, détaillants, etc., habitent les rues les plus fréquentées à Bruxelles ; par exemple, la rue de la Madeleine ; là les loyers sont les plus élevés ; ces contribuables sont dans la nécessité de sous-louer des appartements, à cause de l'élévation du loyer, hors de toute proportion avec leurs moyens.

Il en résulte que ces contribuables payent l'impôt sur une valeur mobilière qu'ils ne possèdent point.

Un individu occupe, comme je le supposais il n'y a qu'un instant, une maison dans la rue de la Madeleine, et il en loue un appartement.

Cette maison a une valeur localive de 7 mille francs (et cette valeur n'est pas exagérée), le locataire payera donc forcément 1 p. c. sur une valeur mobilière de 35 mille fr. soit 350 francs, et il se peut qu'il n'ait pas de mobilière pour une valeur réelle de 2,000 fr., car les maisons de marchands sont presque toujours occupées par des marchandises. Il payera donc dans le cas posé sur une valeur mobilière de 35 mille francs qu'il ne possède pas.

Un autre individu, un homme riche, occupe, dans une rue moins fréquentée, une très belle maison, d'une valeur localive également de 7 mille francs.

Mais celui-ci étant dans une position aisée ne sous-loue pas ; il en résulte que cet homme riche ne payera jamais pour son mobilier une valeur supérieure à 35 mille francs, quand même il posséderait pour une valeur de 100,000 francs et plus.

Il en résulte en outre que cet individu, s'il n'a du mobilier que pour une valeur effective de 10,000 francs, par exemple, en fera déterminer la valeur par experts, et ne payera en conséquence que d'après une valeur de 10,000 francs, soit 100 fr. à raison d'un p. c.

La surtaxe du marchand qui, dans la même position, payera 350 francs, n'est-elle pas une criante injustice ?

Le gouvernement lui-même a reconnu ce vice ; car il l'a signalé dans son exposé de motifs du projet de loi tendant à réviser l'impôt personnel présenté en novembre 1842 ; mais ce projet est retiré.

Domestiques (cinquième base). - Cette cinquième base est tout aussi injuste que les précédentes.

Le petit bourgeois qui n'a qu'un seul domestique du sexe féminin chargé de tout le travail du ménage paie de ce chef un impôt, tandis qu'en toute justice il ne devrait en payer aucun. Celui qui a deux domestiques, très souvent indispensables, paye proportionnellement autant que le grand seigneur qui en a vingt, parmi lesquels il y a souvent un cuisinier et un cocher recevant 1,000 à 2,000 fr. de gages.

Pour qu'il y eût répartition équitable, il faudrait une taxe proportionnelle d'après le sexe, le nombre des domestiques, les services qu'ils rendent et la hauteur de leurs gages.

Chevaux (sixième base). - Toujours le même vice. L'homme qui n'a besoin que d'un seul cheval et qui s'en contente, paye la moitié de ce que paye celui qui, par esprit de luxe, en tient deux.

Pour être juste, il faudrait encore ici établir une progression. Celui qui a deux chevaux devrait payer plus du double de celui qui n'en a qu'un, et ainsi de suite.

L'on voit que les six bases de la contribulion personnelle, qui a soulevé naguère tant de réclamations et qui a constitué un des griefs de la révolution, sont de la même catégorie. Partout on rencontre la même injustice, partout on voit qu'on a voulu ménager les propriétaires au détriment des travailleurs et de la classe moyenne.

Nous arrivons à l'impôt patente.

L'impôt patente c'est l'impôt sur le travail, sur l'activité ; c'est la taxe qui frappe tous ceux qui n'ayant pas de revenus, qui n’ayant pas le bonheur de posséder des biens, sont obligés de travailler à la sueur de leur front pour se procurer du pain. C'est un impôt odieux, et cependant il a été grevé successivement de centimes additionnels.

Les bases du droit de patente ont été reconnues tellement vicieuses par le gouvernement qu'un projet de loi pour le mobilier avait été présenté par le gouvernement ; mais ce projet qu'est-il devenu ?

Dans tous les cas, ce projet laisse subsister le classement arbitraire de la loi actuelle et rejette la seule base équitable, l'appréciation du revenu industriel avec lequel il convient de compter.

Dans tous les cas encore, il laisse subsister l'inégalité entre l'industriel, l'artisan, les propriétaires et les rentiers.

Pourquoi, et j'en reviens à une idée que je n'ai fait qu'effleurer tantôt, pourquoi, s'il existe une patente sur le revenu de l'artisan, de l'industriel, du commerçant, n'y aurait-il pas une patenie sur le revenu proprement dit, sur le revenu des propriétaires ? On craint l'arbitraire dans la fixation de ce revenu ! Mais cet arbitraire ne se rencontre-t-il pas aussi pour l'appréciation du revenu de l'artisan, de l'industriel, du commerçant ?

Pourquoi une classe privilégiée pourrait-elle seule se soustraire à un impôt, sous prétexte d'arbitraire, quand d'autres classes doivent s'y soumettre ? Ëmore une fois, disons-le sans détours, les propriétaires ont été ménagés, ceux qui ont des revenus assurés ne payent rien. Je connais des célibataires qui ont 25 mille francs de rentes, et ne payent pas un sou d'impôt. Les rentes, les obligations, les fonds publics, les actions industrielles,qui forment la base de leurs revenus, échappent à toute contribution, tandis que des industriels, des artisans, des commerçants, qui ont de la peine à nouer les deux bouts, payent des impôts de toute espèce. Cela est-il tolérable dans le siècle où nous vivons ? Pourquoi donc ne pourrait-on pas adopter, pour le revenu comme pour le droit de patente, un impôt progressif ?

J'arrive aux droits de consommation sur les boissons distillées, et ici j'ai lieu d'espérer que l'honorable M. Rodenbach me viendra en aide : ce qu'il appelle la patente sur le débit des boissons distillées, prend sa source dans un système qui porte le cachet de l'injustice la plus révoltante. C'est toujours le même système, il est un et indivisible, il tend à ménager les grands et à écraser le petit.

Dans les villes, tous les débitants de boissons distillées, indépendamment de tous autres droits, payent indistinctement 30 francs, et dans les campagnes, ils payent 20 francs.

Celui qui vend cent litres de boissons distillées par jour ne paye pas plus que celui qui ne vend que le quart d'un litre ! Il n'y a qu'une voix dans le pays pour condamner une pareille injustice. De nouvelles pétitions demandant le retrait de la loi ont été adressées à la chambre, et moi-même je suis chargé de déposer sur le bureau des réclamations qui m'ont été adressées tout récemment par un grand nombre d’habitants du plat pays.

Viennent ensuite les droits d'accises.

Ces droits frappent spécialement les objets de consommation de première nécessité, et par cela ils sont des plus iniques.

Il y a injustice à exiger la même somme pour la même quantité de produits consommés quelle que soit la position du consommateur, qu'il soit riche ou pauvre, qu'il vive de ses revenus ou qu'il soit obligé de travailler pour subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille.

Il y a injustice à exiger plus d'impôts d'une famille nombreuse, ayant souvent plus de besoins et moins de moyens que les familles composées de deux ou trois membres seulement. Y a-t-il rien de plus odieux que l'impôt sur le sel, contre lequel nous (page 290) avons réclamé tous les ans et contre lequel nous réclamerons constamment, dussions-nous répéter tous les ans la même chose ?

Le droit sur la bière, qui est la boisson du peuple, a successivement été augmenté, tandis qu'on a diminué les droits sur les vins.

El comme l'inégalité existe dans tous les degrés, les vins fins payent beaucoup moins que les vins ordinaires ; ainsi les meilleurs vins de France qui nous arrivent en bouteilles, ne payent que deux francs les 100 bouteilles, quatre francs de moins que les bouteilles vides, car les boulcilles vides payent six francs à l'entrée.

Quant aux droits d'enregistrement, c'est toujours la même inégalité, la même injustice.

Les droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, frappent en règle générale le malheur, la misère. L'industriel qui, pour satisfaire aux besoins de son commerce, fait une levée d'argent et donne hypothèque pour garantir cette levée, supporte les frais d enregistrement, d'mscriplion.

L'homme qui est obligé de vendre ses propriétés pour faire face à ses engagements, paye les droits d'enregistrement et de transcription, car l'acheteur a égard à ces frais dans la fixation du prix d'achat.

Rarement les droits d'enregistrement frappent la propriété proprement dite, et quand, par exemple, la propriété se trouve frappée, il y a toujours tendance à la dégrever. Déjà plusieurs fois j'ai parlé de la loi du 22 frimaire an VII, et j'en parlerai encore, tant que l'injustice que j'ai signalée ne sera pas réparée. Par cette loi, les ventes d'arbres sur pied payaient un droit de 2 p. c., ce qui, avec les additionnels, se montait à 2 fr. 52 cent. C'était ta un véritable droit sur la propriété, car les ventes d'arbres se font à la requête de ceux qui possèdent les fortunes immobilières les plus considérables.

Eh bien, le droit de 2 fr. p.c. a été réduil à 1/2 p. c. ce qui fait avec les additionnels 63 centimes p. c. au lieu de fr. 2 52.

Pourquoi ce dégrèvement ? C'esi toujours le même principe.

Une proposition avait été faite pour le retrait de la loi du 31 mai 1824 ; mais adoptée par cette chambre elle a été rejetée par le sénat..

Le sénat est animé de sentiments trop généreux pour ne pas faire abnégation de tout intérêt personnel et ne pas concourir, dans les temps difficiles où nous vivons, à faire revivre la loi si juste de l'an XII.

Les ventes d'arbres sur pied forment un objet assez important pour mériter de fixer l'attention de la législature.

Vient enfin, sous le titre « postes, » la taxe des lettres, évaluée à un chiffre de 3,100,000 fr.

C'est encore le même principe d'inégalité qui domine. Aujourd'hui tout le monde esl d'accord sur les vices de la législation postale. Cette législation est surannée, elle ne répond plus aux besoins sociaux de notre époque, elle réclame une réforme radicale.

De cette réforme, qui prend sa base dans des idées de juste répartition, résulteraient des avantages immenses pour les diverses classes de la société. J'ajouterai que, dans quelques années, il en résulterait encore des avantages immenses pour le gouvernement.

Cette vérité a été reconnue en Angleterre, en Prusse, en Autriche, en Suisse, en Danemark, en Espagne et en France, pourquoi donc ne serait-elle pas reconnue en Belgique ?

Il résulte de calculs comparatifs, que je pourrais soumettre à la chambre et qui sont basés sur une extrême modération, qu'en adoptant la taxe uniforme telle qu'elle est généralement demandée, l'administration des postes, au bout de la cinquième année, aurait perdu, sur ses receltes actuelles 2,518,151 fr. et qu'après 10 années ce déficit serait entièrement couvert pour ne laisser ensuite que des bénéfices considérables.

Mais, me dira-t-on, il faut trouver actuellement dans nos ressources de quoi couvrir ce déficit momentané, il faut au moins en faire l'avance.

Ajouter des centimes additionnels à toutes les contributions, ce serait le moyen le plus facile, j'en conviens, mais c'est un moyen que je ne puis adopter.

D'après moi, il faut trouver des voies et moyens spéciaux pour combler le déficit momentané, et je crois pouvoir en indiquer plusieurs : D'abord, ma proposition du 27 novembre 1844 tendait à frapper d'un droit poportionnel d'enregistrement « toutes les donations entre-vifs à titre gratuit de propriété ou d'usufruit de biens meubles ou immeubles en ligne directe ou collatérale, entre époux et entre personnes non parentes, ainsi que celles faites aux établissements publics, aux corporations et congrégations religieuses reconnues par la loi sous quelque dénomination qui ce puisse être, » offrira plus de ressources au trésor qu'on ne pourraient le croire au premier abord.

Le droit que je veux établir, par ma proposition, est un droit des plus justes, et qui frappe la propriété proprement dite.

Pourquoi cette proposition, prise en considération et renvoyée en sections, dort-elle dans les cartons ?

Ensuite, pourquoi ne pas frapper d'un droit annuel le revenu des biens tombés en main morte, de manière à assurer au trésor un droit équivalent du droit de mutation au bout de 20 ans ?

D'après un arrêté du roi Guillaume, les autorisations d'acceptation n'étaient données aux établissements de main morte qu'à cette condition.

Pourquoi n'établissons-nous pas la même disposition par une loi ?

Des sommes considérables sont restées dues sur pied de l'arrêté du roi Guillaume ; pourquoi n'en opère-on pas la rentrée ?

Il est vrai qu'un arrêté du gouvernement provisoire a mis au néant l'arrêté du roi Guillaume, mais cet arrêté ne devait opérer que pour le futur.

L'arriéré qui constitue nos droits acquis offrirait une somme assez considérable.

Indépendamment de cela, le gouvernement a sous la main plusieurs autres ressources.

Le prix d'achat de la forêt de Chiny, d'origine domaniale, dont le comte de Geloes est resté adjudicataire, est-il donc perdu ?

Qu'est devenue l'instance que l'honorable M. Mercier a dit être pendante devant les tribunaux relativement aux droits d'enregistrement sur un acte de transmission de la forêt de Chiny auquel la formalité a été donnée en débet.

On se rappelle l'interpellation sur ce point de mon honorable ami M. Delfosse, lors de la discussion du budget des voies et moyens de 1845.

Mais voici bien autre chose, si mes renseignements sont exacts.

En 1842, il restait dù pour solde du prix d'acquisition une somme très considérable pour sûreté de laquelle la forêt était hypothéquée.

Par acte reçu par devant M. Van Bever à Bruxelles, en présence de témoins, le domaine a donné quittance et mainlevée de l'inscription hypothécaire.

Cependant tout n'était pas soldé, et en échange de son hypothèque, le domaine a accepté des lettres de change dont le principal souscripteur est en déconfiture.

Il y a maintenant instance penante à Gand, au sujet de ces lettres de change.

Toutefois la propriété de la forêt a passé à d'autres mains.

Que fera-t-on définitivement pour récupérer le prix d'achat qui nous serait si utile dans les circonstances actuelles ?

Il existe encore plusieurs autres créances à charge de villes, d'établissements publics et de particuliers.

Qu'est devenue entre autres, la créance à charge de la ville de Louvain de 87,5000. fl, en fr. 185,185 fr. 18 cent., résultant de deux arrêtes royaux des 3 et 29 août 1825, sur laquelle il n'a été remboursé que 4,232 fr. 80 cent., antérieurement aux événements politiques de 1830 ?

Ces avances ont été faites à la ville de Louvain, à charge d'approprier les bâtiments nécessaires au Collège philosophique.

Aujourd'hui ces bâtiments sont occupés par l'université libre, qui a en sa possession les nombreuses collections de l'ancienne université de Louvain, toutes propriétés de l'Etat.

M. le ministre répondra sans doute, comme par le passé, que cette affaire est en instruction ; mais elle s'y trouve depuis six ans, et tous les semestres, elle est rappelée par les fonctionnaires chargés de la surveillance et du recouvrement des deniers publics, sans qu'elle reçoive une solution.

Sur ma réclamation, il a été décidé, en 1839, qu'une commission serait nommée pour rechercher toutes les propriétés de l'Etat. Rien n'a été fait. Pourquoi cette inaction ?

Quels sont les motifs qui s'opposent au recouvrement d'une autre créance de 25,000 fl. P.-B., ou 52,900 fr. 03 c, résultant d'une avance faite à la même ville, par arrêté du 13 mars 1831, stipulée remboursable en cinq payements égaux, à partir du 13 mars 1832 ?

Rien n'a été remboursé ni en capital, ni en intérêts.

Que devient la créance de 225,877 fr. 64 c. à charge de la ville d'Ostende, pour droits de pilotage perçus par ladite ville depuis décembre 1830 jusqu'au 30 juin 1839 ?

Que devient la créance à charge des hospices de Bruxelles, se montant à 233,804 fr. 23 c. ?

Que devient la créance à charge de la société de Guatemala, pour vente de fusils et canons, il y a deux à trois ans, pour frais de deux navires mis à sa disposition, etc. ? La somme à provenir de cette créance pourrait venir très à propos pour aller chercher le restant de la colonie, le petit nombre de nos malheureux compatriotes qui ont survécu à la misère et qui n'attendent que la mort.

Que deviennent enfin les créances à charge de plusieurs particuliers très solvables auxquels des avances considérables ont été faites à charge d'intérêt à 4 p. c ?

Si nos renseignements sont exacts à l'égard d'un de ces particuliers, on s'est contenté du remboursement du capital et on lui a fait remise des intérêts de onze années.

Un autre particulier, solvable aussi, a été condamnéà payer à l'Etat 52,000 francs et ce par tous les degrés de juridiction. Qu'est devenue cette créance ?

Il y a bien d'autres créances encore que nous ferait connaître exactement le tableau que nous avons demandé depuis longtemps avec les titres à l'appui.

Dans tous les cas, nous venons d'indiquer plus de ressources, plus de voies et moyens spéciaux qu’il n'en faut pour couvrir le déficit momentané qu’amènerait la reforme postale si généralement sollicitée. L'on voit que de nouveaux centimes additionnels ne sont pas nécessaires pour arriver à ce but.

Messieurs, ici je m'arrête ; je crois en avoir dit assez pour le moment.

J'ai renouvelé les plaintes que j'ai faites les années précédentes, et en le faisant peut-être sans résultat, j'aurai du moins rempli une tâche que je considère comme d'autant plus sacrée que l'occasion de nous occuper des intérêts des masses ne nous est réellement offerte que très rarement dans une session.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, j'ai écouté avec une grande attention la critique de tout notre système d'impôts, qui a été reproduite par l'honarable préopinant. Notre législation financière tout entière, sauf peu d'exceptions, repose sur le principe de l'impôt proportionnel ; et, pour les résumer en peu de mots, les observations qui viennent d'être faites tendraient à substituer au principe de l'impôt proportionnel le principe de l'impôt progressif.

(page 291) L'impôt proportionnel atteint-il, comme le croit l'honorable membre, les classes inférieures de la société, ou bien atteint-il directement la propriété sous quelque forme qu'elle se présente ? Voilà la première question.

Eh bien, messieurs, en entrant dans la réalité des choses, en appliquant les principes de notre législation aux faits, vous trouverez que partout l'impôt proportionnel atteint la propriété.

Comment, en effet, peut-on dire que la contribution foncière n'atteint pas la propriété ? Mais, messieurs, lorsqu'un impôt se perçoit, faut-il faire attention à la main qui le verse au trésor, ou bien, faut-il faire attention à la nature de l'impôt ? Qu'est-ce que le contrat qui intervient entre le propriétaire et le fermier ? C'est un partage de la rente de la terre ; et quelles que soient les conventions faites entre le propriétaire et le fermier pour le payement matériel de la contribution, il est évident que l'impôt pèse sur la propriété et non pas sur celui qui le verse au trésor en déduction de la rente qu'il doit au propriétaire.

La contribution personnelle ? Mais la contribution personnelle se paye encore à raison de la possession des bases, et la possession des bases n'est-elle pas le signe représentatif de la propriété ? Le principe même de la loi n'est-il pas dès lors d'atteindre la propriété dans cette forme nouvelle, la propriété mobilière ? Et, messieurs, en justifiant ainsi le principe de la loi, je crois pouvoir m'abstenir de discuter devant vous tout l'ensemble de la législation. Ou n'a jamais méconnu qu'il y eût des corrections à faire, des améliorations à apporter, mais en critiquant ainsi notre système d'impôts, prenons garde d'accréditer dans le pays une idée qui serait fatale et que je crois fausse, l'idée que la législation serait faite au détriment des classes laborieuses. Non, il n'en est pas ainsi ; notre système d'impôts a pour but essentiel d'atteindre la propriété, la possession de la fortune.

Le principe de l'impôt progressif, messieurs, est-il bien en harmonie, avec l'ensemble et avec l'esprit de ces institutions ? Se lie-t-il, par exemple, avec notre législation civile en ce qui concerne les successions ? Dans un pays où vous avez l'égalité de partage des successions, l'impôt progressif n'amènerait-il pas au nivellement des fortunes ? N'aboutirait-on pas ainsi nécessairement à un état social qui ne convient qu'à une république ? Et en signalant cette conséquence, je n'entends pas dire que telle soit la tendance de l'honorable membre, mais que l'impôt progressif, et par les moyens d'exécution qu'il suppose et par les résultats qu'il aurait, convient plutôt à une république qu'à l'ordre d'institutions sous lequel nous vivons.

Je voudrais pouvoir résoudre ce grand problème qui a occupé tous les ministres des finances, et qui consisterait à atteindre toutes les bases de la fortune ; mais, messieurs, il ne suffit pas de dire : Il faut établir une taxe sur les rentes, une taxe sur les revenus, une taxe sur le luxe ; il faut, lorsqu'il s'agit de traduire ces idées en faits, pouvoir indiquer les moyens pratiques d'arriver à ce résultat ; or, c'est là que l'on a échoué jusqu'à présent.

L'impôt des patentes, dit l'honorable membre, c'est un impôt sur le travail. Eh, messieurs, toute la législation des patentes repose encore une fois sur le principe du prélèvement d'une part du bénéfice de l'industrie et du commerce. Il est possible que, dans une législation aussi vaste, aussi compliquée, on ait quelquefois atteint ce qui n'était pas véritablement le bénéfice. Toutefois de ce que quelques erreurs d'application peuvent exister, il ne résulte pas qu'on puisse condamner raisonnablement le principe même de la législation.

Je crois, messieurs, devoir me borner à ces simples observations, en ce qui concerne la critique du système qui régit aujourd'hui les impôts en Belgique. Je répondrai quelques mots seulement aux interpellations qui m'ont été faites au sujet de créances que le gouvernement possède à charge de diverses villes ou de particuliers.

L'honorable membre a pu se convaincre, par l'examen du budget, qu'aucun de ces intérêts n'avait été négligé, et que notamment je n'avais pas oublié la seule ville que l'honorable membre ait oubliée, la capitale.

M. Verhaegen. - Vous avez eu raison.

M. Rodenbach. - Je l'ai nommée.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Mais, messieurs, en cherchant à faire rentrer ainsi l'Etat dans les créances qui lui sont légitimement dues, il y a des devoirs de plusieurs ordres à remplir. Le gouvernement doit considérer quels pourraient être les effets de l'exercice trop absolu, trop rigoureux de ses droits. Il est souvent amené, par l'appréciation de l'ensemble de ses devoirs, à user de ménagements aussi bien à l'égard des communes qu'à l'égard des particuliers à qui des avances ont été faites dans des temps difficiles. Mais l'honorable membre peut être certain que j'apporterai toujours les plus grands soins pour le recouvrement de ces droits de l'Etat.

Une des sections de la chambre, messieurs, m'avait adressé une demande de renseignements, quant à la forêt de Chiuy. A la suite du rapport de la section centrale se trouve la note que j'ai transmise à cette section. L'instance qui est actuellement engagée me paraît, d'après cette note, être relative qu'aux droits d'enregistrement. Du reste, je prendrai de nouveaux renseignements ; l'honorable membre doit m'excuser, si je ne puis entrer dès à présent dans tous les détails d'une affaire que je n'ai pas traitée dès le principe.

J'ajouterai, messieurs, quelques observations très sommaires en réponse à une partie du discours de l'honorable M. Delfosse.

La situation financière, messieurs, n'est pas variable, au gré des ministres, mais elle varie selon les faits. Ainsi, mon honorable prédécesseur, en rendant compte de la situation telle qu'elle se présentait l'année dernière, l'a reproduite avec la plus grande exactitude, comme je l'ai reproduite moi-même cette année. Mais la situation a changé, et c'est ce dont l'honorable membre ne s'est pas assez rendu compte.

Pourquoi cette situation a-t-elle changé ? Est-ce parce que depuis quelques années dans les budgets les évaluations n'ont pas été établies avec assez de modération ? Est-ce parce que des demandes de crédits supplémentaires aussi considérables que celles dont l'honorable membre a parlé, sont venues rompre cet équilibre ? Ou bien, messieurs, n'est-ce pas parce qu'en dehors des budgets ordinaires, la chambre a voté des sommes considérables qui ne devaient pas être demandées à l'impôt. Je regrette, quant à moi, que l'honorable M. Delfosse, par exemple, lorsque dans la dernière session j'ai proposé l'ajournement d'une dépense de 3,500,000 francs pour la construction du canal latéral à la Meuse, n'ait pas fait remarquer que des dépenses pareilles venaient changer la situation générale du budget.

Cette observation, messieurs, qui s'applique à une somme de 3,500,000 francs, s'applique à tous les autres faits qui ont changé la situation. C'est parce que l'on a voté pour le chemin de fer, pour des travaux d'utilité publique, une dépense de plus de 17 millions que la situation a changé depuis l'année dernière.

Je m'associe du reste entièrement à l'opinion de l'honorable membre, en tant qu'elle a pour objet de démontrer que l'on doit être sobre de ces dépenses en dehors des budgets. Nous ne pouvons pas nous le dissimuler, messieurs, c'est en quelque sorte à notre insu et insensiblement que la situation s'est souvent modifiée ; les conséquences ne deviennent sensibles que lorsqu'elles se résument en un ensemble de faits, lorsque le gouvernement est amené à vous présenter la situation générale du trésor.

Je persiste à croire, messieurs, que dans les évaluations que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre, j'ai tenu compte autant qu'il était possible des éventualités défavorables que l'on peut prévoir dès à présent. Ainsi, il est assez généralement admis qu'à moins de motifs spéciaux, on se fonde, pour les évaluations de l'exercice suivant, sur ce qu'on est convenu d'appeler les bases des prévisions. Eh bien, messieurs, pour un grand nombre d'évaluations, je suis resté de beaucoup en dessous des bases des prévisions. Si, pour quelques autres, je les ai dépassés d'une somme peu importante, c'est en vertu de faits déjà constatés, déjà acquis.

Sur un budget de 112 millions, un ou deux chiffres (peut-être même plus), peuvent ne pas être réalisés ; mais il faut, et tels sont aussi les précédents de la chambre, il faut apprécier dans leur ensemble les évaluations du gouvernement.

Les demandes de crédits supplémentaires n'ont pas été aussi considérables que l'honorable M. Delfosse l'a supposé tout à l'heure. Et puis, l'honorable membre ne tient pas compte d'un fait qui s'est toujours produit : c'est que les crédits portés dans les budgets ne sont jamais dépenses intégralement.

M. Delfosse. - Je l'ai dit.

M. le ministre des finances (M. Malou). - D'après un tableau joint à la situation du trésor pour les exercices clos, je crois me rappeler que l'économie la moins considérable s'élève à 1,800,000 fr.

Je résumerai ces observations en peu de mots : sans nier la possibilité d'introduire successivement, mais avec prudence, quelques améliorations dans notre législation financière, on doit cependant reconnaître que sous des formes diverses, dans une même pensée, pour ainsi dire, cette législation est combinée de manière à atteindre la propriété et non à atteindre les classes inférieures de la sociélé.

La situation financière vous a été présentée dans toute son exactitude si elle est changée depuis l'année dernière, c'est parce qu'on a demandé à l'emprunt, pour faire des travaux considérables, des sommes qui n'ont jamais été demandées à l'impôt, et que ces sommes empruntées figurent dans la situation du trésor.

M. Mercier. - Messieurs, j'aurai peu de chose à ajouter aux explications que vient de vous donner M. le ministre des finances. Cependant je dois déclarer que je ne puis accepter le reproche fait par l'honorable M. Delfosse aux divers ministres des finances qui se sont succédé, d'avoir présenté la situation du trésor en vue des intérêts du moment. Une telle conduite, messieurs, de la part d'un minisire, ne pourrait être qualifiée en termes assez sévères.

Toujours j'ai pris soin d'établir la situation du trésor avec la plus rigoureuse exactitude, telle qu'elle m'apparaissait après un mûr et consciencieux examen ; aussi, messieurs, les résultats ont prouvé qu'en général mes prévisions se sont rapprochées de très près de la réalité en ce qui concerne les recettes J'ai en outre pris à tâche d'indiquer d'avance les dépenses prévues qui ne pouvaient figurer au budget au moment de sa présentation.

L'honorable M. Delfosse me paraît avoir confondu tout à l'heure dans la critique à laquelle il s'est livré la situation générale du trésor résultant de tous les exercices réunis, avec l'équilibre annuel entre les recettes et les dépenses ordinaires. La situation générale du trésor a été effectivement améliorée par les valeurs qui nous ont été restituées à la suite du traité avec les Pays-Bas. Mais cette circonstance n'a exercé qu'une influence très secondaire sur l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Etat. L'honorable M. Delfosse a fait observer avec raison que ces ressources ne sont pas perainentes, c'est-à-dire qu'elles ne doivent pas se renouveler ; mais l'honorable membre devra reconnaître aussi que jamais je n'ai fait figurer ces ressources au budget des voies et moyens comme devant faire face aux dépenses ordinaires ; elles ont fait l'objet d'un budget spécial de recettes et de dépenses.

L'honorable M. Delfosse vous a cité quelques exercices qui se présentaient sous une apparence moins favorable que lors de la présentation des comptes précédents.

M. Delfosse. - Tous.

M. Mercier. - Il ne suffit pas d'énoncer des chiffres ; il faut les expliquer, parce que des revirements d'exercice ou d'autres circonstances (page 192) apportent des changements dans certains résultats qui au premier aspect paraissent moins favorables, tandis que la situation générale se trouve véritablement améliorée, si l'on veut bien apprécier les faits.

L'honorable M. Delfosse a oublié que maintes fois dans les discussions précédentes, lorsqu'il s'est agi de l'équilibre financier, j'ai dit qu'il était bien entendu que les crédits extraordinaires que l'on votait pour des travaux publics, ne devaient pas être compris dans la balance des recettes et des dépenses ordinaires. Si je n'avais pas souvent reproduit cette observation, peut-être l'honorable membre aurait-il quelque raison de prétendre que je n'ai pas présenté la situation financière dans son véritable jour ; mais ce reproche ne peut m'être adressé après les explications qui ont été données à différentes reprises.

Pourquoi la situation du trésor paraît-elle moins favorable aujourd'hui qu'il y a un an ? C'est parce qu'au commencement de 1843 plusieurs crédits considérables ont été ouverts pour différents travaux publics qui vont augmenter ou améliorer le domaine de l'Etat.

Ainsi, par la loi du 5 mars 1845, la chambre a alloué une somme de 500,000 fr. pour rétablir la circulation sur la section du chemin de fer de Louvain à Tirlemont et pour y effectuer de nouveaux travaux. La chambre alors a entendu que cette dépense devait être considérée comme extraordinaire.

Par la loi du 6 avril 1845, vous avez accordé un crédit de 1,400,000 fr. pour la construction d'un canal de navigation tendant à mettre la ville de Turnhout en communication avec le canal de la Campine. On ne prétendra pas qu'une telle dépense doive être comprise dans les dépenses ordinaires.

Par une autre loi du mois d'avril 1845, une somme de 7,960,000 fr. a été votée pour divers travaux aux chemins de fer de l'Etat,

Une autre somme de 3,500,000 fr. a encore été allouée pour la construction du canal de navigation latéral à la Meuse, de Liège au canal de Maestricht, et une dernière somme de un million pour l'acquisition de trois paquebots à vapeur.

Voilà, messieurs, pourquoi la situation générale du trésor se présente, en apparence, d'une manière moins favorable que pour l'exercice précédent. Mais, je le repète, il a toujours été entendu que ces diverses dépenses seraient couvertes par l'emprunt ou par d'autres moyens extraordinaires aussitôt que les circonstances le permettraient.

Si ces faits ne s'étaient pas produits, si l'on n'avait pas consenti à des dépenses qui doivent au surplus se transformer en valeurs domaniales, la situation se présenterait sous un aspect plus favorable que lorsque je l'ai exposée en 1844, c'est-à-dire, que si la réalité diffère de mes prévisions, c'est dans un sens contraire aux observations de l'honorable membre auquel je réponds.

Que l'on veuille bien examiner les chiffres de l'exposé, se rendre compte des causes qui les modifient et l'on reconnaiira que la somme que j'ai indiquée comme étant l'excédant général des dépenses sur les recettes est supérieure à l'excédant qui existe réellement pour les mêmes exercices, sauf toujours les dépenses extraordinaires dont je viens de parler.

Telles sont, messieurs, les explications que m'ont paru nécessiter les observations de l’honorable M. Delfosse.

Quant à celles qui ont été présentées par l'honorable M. Verhaegen sur nos impôts, je puis me référer à ce qu'a dit M. le ministre des finances en ce qui concerne les principes généraux qui leur servent de base, tout en reconnaissant qu'ils sont susceptibles d'améliorations que le temps permettra d'y introduire successivement.

L'honorable membre a parlé entre autres du droit de consommation sur les boissons distillées ; cette taxe forme une exception au système proportionnel adopté pour tous nos impôts, mais je rappellerai le but moral que la chambre a eu en vue lorsqu'elle a voté ce droit : elle n'a pas voulu imposer les débitants d'après le plus ou moins de bénéfice qu'ils recueilleraient de la vente des boissons. Mais elle a eu en vue de restreindre leur nombre. Peut-on maintenant établir l'impôt sur la base commune ? Veut-on que chaque débitant paye en proportion de ses profits ? Alors se présentera l'alternative de perdre les deux tiers du produit ou de rencontrer de très grandes difficultés d'exécution ; pour apprécier l'importance du débit, des recensements, des visites, des documents à la circulation deviennent indispensables ; il faut entrer dans une foule de formalités devant lesquelles on reculera ; le but qu'on s'est proposé en portant la loi ne serait d'ailleurs plus atteint.

Quant à la réforme postale, je demande aussi que le gouvernement veuille bien s'en occuper, mais je désire qu'il le fasse avec prudence et maturité. En Angleterre, beaucoup de bons esprits, qui reconnaissent qu'une réforme était nécessaire, ont blâmé ce qui a été fait. Mac Culloch, notamment, a trouvé qu'on était tombé d'un extrême ou plutôt d'une absurdité dans une autre en adoptant pour toutes les lettres du poids d'une demi-once, le droit uniforme et exigu d'un penny. Lorsque la loi sur la réforme postale a été discutée dans ce pays, on a soutenu que les ressources du trésor n'en seraient point altérées, du moins après quelques années d'application du nouveau système, et cependant le revenu net de la taxe a été réduit de plus des deux tiers ; au moment où je parle, cet état de choses subsiste encore. Le produit brut de la taxe des lettres était en 1839 de 2,346,000 livres sterling, et en 1844, le même produit, resté stationnaire depuis 1842, n'était plus que de 1,535,000 liv. D'un autre côté, la dépense s'est accrue considérablement sous le nouveau régime ; il est à observer en outre, qu'antérieurement il était accordé beaucoup de franchises qui n'existent plus aujourd’hui ; sous l'un et l'autre régime des restitutions sont opérées aux administrations publiques. Si l'on déduit de la recette brute les frais de perception et d'administration et Jcs restitutions, le produit net reste pour 1839 de 1,614,000 liv. sterling et pour 1844 de 438,000 liv. de sorte qu'il y a une diminution de 1,176,000 liv. st. c'est-à-dire de près de 50 millions de francs.

En soumettant ces observations au gouvernement, il est loin de ma pensée de le détourner de s'occuper d'un projet de réforme postale ; je suis convaincu, au contraire, qu'il y a de grandes améliorations à apporter au régime actuel ; mais j'ai cru accomplir un devoir en lui signalant l'écueil qu'il doit chercher à éviter ; il importe de ne pas altérer les revenus du trésor d'une manière trop sensible et de ne pas se mettre dans la nécessité d'avoir recours, pour combler un nouveau déficit, à des impôts qui pourraient être beaucoup plus difficiles à supporter que la taxe postale elle-même.

M. Delfosse. - Je demande la parole.

M. de Theux. - L'honorable député de Bruxelles a conseillé au gouvernement d'introduire, à l'instar de ce qui s'est fait en Angleterre, une taxe sur le revenu. Quant à nous, messieurs, nous serions très charmé de voir introduire une semblable taxe, si elle était praticable ; mais je dois faire observer à l'honorable membre que la proposition qu'il soumet aux méditations du gouvernement, va droit à l'encontre des intérêts qu'il veut protéger. En effet, messieurs, cette taxe, dans l'opinion de l'honorable membre, doit atteindre tous les revenus de quelque nature qu'ils soient, y compris même ceux d'avocat. Eh bien,si tous les revenus mobiliers étaient soumis à la même taxe que le revenu foncier, je ne crains point de dire que le commerce, l'industrie, le barreau seraient taxés à une somme décuple de celle qu'ils supportent aujourd'hui, et que cette somme viendrait directement en défalcation de celle qui frappe la propriété foncière. La taxe que propose l’honorable membre n'est point d'invention nouvelle ; c'était le droit commun au moyen-âge, et je suis très surpris que l'honorable dépulé de Bruxelles veuille ressusciter une taxe abolie depuis plusieurs siècles, et que les gouvernements les plus forts n'ont pu maintenir. Cette taxe, messieurs, en tant qu'elle concerne les revenus mobiliers, a suscité de si graves difficultés, des émeutes si fréquentes qu'on a été forcé de l'abandonner. Aussi, comme je le disais, en ressuscitant cette taxe on frapperait au cœur toutes les classes que l'honorable député de Bruxelles veut favoriser.

La propriété foncière, messieurs, paye un dixième et au-delà de son revenu ; elle est taxée dans son capital, alors que la propriété mobilière ne l'est pour ainsi dire d'aucune manière. Le droit de succession, aujourd'hui que le serment est aboli, frappe à peu près exclusivement la propriété foncière. Tous les droits de mutation que l'honorable membre a condamnés, les droits d'enregistrement, les droits de transcription, les droits d'hypothèque frappent encore exclusivement la propriété foncière. Si l'on additionnait ces différentes taxes, on verrait que la propriété foncière paye 19 alors que la propriété mobilière ne paye pas 1.

L'honorable membre a parlé de la révision de la loi sur l'impôt personnel, mais lorsque l'honorable M. Smits a proposé cette révision les réclamations ont surgi de toutes parts ; il semblait que la révision était proposée uniquement dans l'intérêt des riches et qu'elle allait frapper les classes inférieures. Aujourd'hui c'est au nom des classes inférieures que l'honorable membre regrette la retrait de cette loi. Il me semble, messieurs, que depuis deux ans l'opinion a fait d'immenses progrès.

Je ne pense point, messieurs, que l'impôt personnel ne soit susceptible d'aucune amélioration, mais il y aurait beaucoup de choses à dire s'il fallait suivre l'honorable membre dans tous les détails dans lesquels il est entré. Je pense que la discussion de cette question n'étant pas à l'ordre du jour, ce serait abuser du temps de la chambre que de suivre l'bonorable membre sur ce terrain.

L'honorable membre a parlé encore de la réduction des droits de douane sur les vins. Il semblerait que cette réduction a été introduite dans l'intérêt des classes aisées. Il n'en est point ainsi ; jamais on n'a entendu aucune personne faisant usage de vin, réclamer la diminution des droits de douane. Mais pourquoi cette diminution a-t-elle été introduite dans le traité avec la France ? Pour venir au secours de la classe nécessiteuse dans les Flandres, pour venir au secours de l'industrie linière. D'ailleurs, la diminution d'impôt qui en résultait a été compensée d'une autre manière ; car plusieurs taxes nouvelles ont été introduites depuis lors, et je ne pense pas que ces taxes frappent spécialement sur les classes ouvrières.

L'honorable membre veut introduire un impôt progressif. Déjà, messieurs, cette question a été souvent traitée, et je pense qu'il a été démontré que cet impôt n'est pas susceptible d'être introduit comme l'entend l'honorable membre.

Cependant, quant à moi j'approuve de tout mon cœur les différences que le gouvernement des Pays-Bas a introduites en faveur des classes inférieures à l'égard de certains impôts. Ainsi pour le droit de succession, exemption de tout impôt lorsque la succession ne s'élève pas au-dessus d'une certaine somme. Ainsi exemption de l'impôt sur les maisons lorsque la valeur localive est au-dessous de 20 florins. C'est ainsi encore qu'un seul domestique paye moins que chacun des domestiques de celui qui en a plusieurs. Il en est de même de différents autres impôts. Voilà, messieurs, des dispositions auxquelles j'adhère entièrement ; mais quant à la taxe progressive demandée par l'honorable député de Bruxelles, pour qu'elle eût quelque efficacité, elle devrait être progressive dans une proportion énorme, et qu'en résulterail-il ? Ce qui est arrivé en Angleterre, c'est que bien des personnes fuiraient un pays où elles ne trouveraient plus de sécurité, où leur fortune serait en quelque sorte livrée à l'arbitraire de certaines commissions chargées de répartire cette taxe progressive. Je crois donc, messieurs, que quant on veut parler d'une taxe progressive, il faut le faire avec une modération extrême, qu'il faut se borner à introduire, autant que les circonstances le (page 293) permettent, des ménagements pour les classes tout à fait inférieures. Quant aux autres classes de la société, il est juste que chacun paye dans la proportion de ce qu'il possède. Voilà ce qu'il faut faire, en frappant toutefois de droits plus forts les objets de consommation plus précieux. Cette distinction, je l'admets volontiers parce qu'alors chacun paye dans la proportion de ce qu'il consomme.

Messieurs je n'en dirai pas davantage ; mais il m'était impossible de laisser passer sans quelques mots de réponse les observations faites par l'honorable député de Bruxelles, en ce qui concerne la propriété foncière et la taxe sur les revenus. Je pense avoir démontré à la dernière évidence que la taxe sur les revenus serait tout à fait avantageuse aux propriétaires et qu'elle amènerait dans le pays de funestes commotions. Je ne crois pas trop dire en me servant de ce terme.

Projet de loi sur le contingent de l'armée pour l'année 1846

Dépôt

Projet de loi qui rend incessibles et inaliénables les pensions des veuves la solde et la masse des sous-officiers et soldats, etc.

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Dupont) présente un projet de loi fixant le contingent de l'armée pour l'année 1846 et un projet de loi tendant à rendre inaliénables les pensions des veuves, la solde et la masse des sous-officiers et soldats, les fonds déposés pour les remplaçants, etc.

- Il est donné acte à M. le ministre de la guerre de la présentation de ces projets de loi qui seront imprimés et distribués.

La chambre renvoie le projet de loi du contingent de l'arméeà la section centrale du budget du département de la guerre ; elle décide ensuite que le second projet de loi sera renvoyé à l'examen des sections.

La séance est levée à 4 heures et demie.