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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 18 décembre 1845
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre
2) Motion d’ordre relative
à la fixation du contingent de l’armée (de Man d’Attenrode,
Malou)
3) Projet de loi accordant
un crédit supplémentaire au budget du département de la justice pour l’exercice
1843. Régime pénitentiaire (Savart-Martel)
4) Projet de budget de la
chambre des représentants pour l’exercice 1846
5) Projet de loi portant le
budget des voies et moyens pour l’exercice 1846. Discussion générale. (A :
Equilibre général des recettes et des dépenses ; B : réforme
fiscale (notamment impôt sur le revenu)) (A (de
Breyne), B, contribution personnelle (Savart-Martel),
contribution foncière et droits sur les sucres (Eloy de
Burdinne), A (Delfosse), B (impôt sur le revenu,
droit de succession, contribution personnelle, patente, droit sur les titres
financiers (fonds publics, actions, obligations), droit sur les débits de
boissons distillées, etc., réforme postale) (Verhaegen),
B, A (Malou), A, réforme postale (Mercier),
B, contribution personnelle (de Theux)
6) Projet de loi fixant le
contingent de l’armée pour l’année 1846
7) Projet de loi tendant à rendre inaliénables les pensions des
veuves, la solde et la masse des sous-officiers et soldats, les fonds déposés
pour les remplaçants, etc.
(Annales parlementaires
de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Liedts.)
(page 284) M.
Huveners procède à l'appel nominal a une heure et un quart.
M.
Albéric Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ;
la rédaction en est approuvée.
M.
Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur F.-Th.-Fr. Ohlenroth, professeur de
langues à Bruxelles, né à Mackenen (Hanovre), demande la naturalisation
ordinaire. »
- Renvoi à M. le
ministre de la justice.
________________
« La veuve du
lieutenant-colonel Guelton, ancien officier supérieur aux Indes orientales, demande
une augmentation de pension et les arriérés. »
Renvoi à la
commission des pétitions.
________________
« Plusieurs habitants d'Anvers prient la
chambre de porter au budget de 1846, la dotation de l'amortissement des rentes sur
l'Etat, créées par la loi d'indemnités. »
« Même demande de
plusieurs habitants de Gand. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du budget de la dette publique.
________________
« Plusieurs habitants de Liège demandent la
réforme postale basée sur la taxe uniforme de dix centimes. »
- Renvoi la
commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport»
________________
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan) transmet, avec les renseignements y relatifs, huit
demandes en naturalisation ordinaire.
- Renvoi à la
commission des naturalisations.
MOTION D’ORDRE RELATIVE A LA FIXATION DU CONTINGENT DE L’ARMEE
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, j'ai
demandé la parole pour rappeler à M. le ministre de la guerre, qui n'est pas
présent, que la loi du contingent de l'armée est annuelle. L'année 1845 est sur
le point d'expirer. Nous allons aborder la discussion du budget des voies et
moyens, et dès que cette discussion sera terminée, il est très probable que la
chambre prendra des vacances. Il est donc urgent que M. le ministre de la
guerre dépose le projet de loi sur le contingent de l'armée.
M. le ministre des finances (M.
Malou).
- Messieurs, cet objet n'a pas échappé à l'attention du gouvernement. Le projet
de loi sera présenté demain.
PROJET DE LOI ACCORDANT DES CREDITS SUPPLEMENTAIRES AU BUDGET DU
DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR L’EXERCICE 1843
M. Savart-Martel (au nom d'une
section centrale). - Messieurs, le département de la justice demande un crédit
supplémentaire de 168,500 francs pour frais d'entretien des détenus pendant
l'exercice 1843.
Cette demande repose
sur la circonstance que l'allocation n'a été fixée qu'à la somme de 1,135,000
francs, tandis que la dépense a excédé cette somme, qui n'était et ne pouvait
être qu'une prévision.
Conformément à
l'exposé des motifs, nous insistons sur la remarque que ce crédit ne change
point la situation du trésor public, car it a pour but de rembourser, au
service des ateliers établis dans les maisons de détention, les avances
effectuées au service domestique des prisons, du chef de fournitures faites aux
détenus pendant l'exercice 1843, en objets de couchage et d'habillement.
Le crédit demandé
n'est donc qu'une simple régularisation de comptabilité.
La commission à
laquelle vous avez renvoyé l'examen de ce projet est unanimement d'avis qu'il y
a lieu de l'adopter
- Le rapport sera
imprimé et distribué aux membres de la chambre.
Un membre. - Ne pourrait-on
pas discuter immédiatement ce projet de loi ? (Oui !)
M. le ministre des finances (M.
Malou).
- En effet, ce projet pourrait être (page
285) discuté immédiatement. C'est une simple régularisation de
comptabilité. Le sénat se réunira prochainement. L'exercice 1843 doit être clos
le 31 décembre. Il est donc à désirer qu'il n'y ait pas de relard.
- La chambre décide
qu'elle discutera immédiatement ce projet de loi.
L'article unique du
projet est ainsi conçu :
« Article unique. Il
est ouvert, au département de la justice, budget de 1843, chapitre X, art. 1er
(Entretien des détenus), un crédit supplémentaire de cent soixante-huit mille cinq
cents francs (168,500 fr.). »
- Personne ne
demandant la parole, il est procède à l'appel nominal pour le vole du projet de
loi.
Le projet de loi est
adopté à l'unanimité des 60 membres présents, et qui sont : MM. Biebuyck,
Brabant, Clep, Coppieters, David, de Bonne, de Breyne, de Corswarem, Dedecker,
de la Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de
Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Roo, de Saegher, deTerbecq, de Tornaco,
Devaux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric),
Duvivier, Eloy de Burdinne Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Jonet, Lebeau,
Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orbau, Osy,
Pirmez, Pirson, Rodenbach, Savart, Sigart, Simons, Thienpont,Thyrion, Van
Cutsem, Verhaegen, Verwilghen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude et Liedts.
PROJET DE BUDGET DE LA CHAMBRE POUR L’EXERCICE 1846
M. Mast
de Vries (au nom de la commission de comptabilité) dépose le
rapport sur le budget de la chambre.
- Ce rapport sera
imprimé et distribué.
La chambre le met à
l'ordre du jour, après la discussion du budget des voies et moyens.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DES VOIES ET MOYENS POUR L’EXERCICE 1846
Discussion générale
M. le président. - La parole est à
M. de Breyne.
M. de Breyne. -Messieurs, dans le
discours qui nous est adressé à l'occasion de la présentation des budgets, M.
le ministre des finances nous dit que pour couvrir les prévisions du budget des
dépenses du royaume pour l'exercice 1846, dépenses qui s'élèvent à environ cent
douze millions et demi, il n'a dû avoir recours à aucune proposition tendant à
créer de nouveaux impôts, ou à aggraver des impôts existants, et que pour
obtenir ce résultat, pour couvrir ces dépenses, il n'a admis que des
évaluations très modérées.
Certes, messieurs,
dans les circonstances difficiles du moment, circonstances qui se compliqueront
de plus en plus à mesure que nous avancerons dans la saison rigoureuse, le
gouvernement eût été fort mal conseillé s'il fût venu dire au pays : Je viens
demander quinze cent mille francs de plus que l'année dernière, et je propose
de combler le déficit qui doit en résulter au moyen de nouveaux impôts. Puisque
le gouvernement semble ne pas devoir recourir à cette mesure, qui sonne
toujours si désagréablement à l'oreille des gouvernés, examinons si le budget
des voies et moyens, qui est soumis à notre délibération, est basé sur des
données plus ou moins certaines, et si le gouvernement n'expose pas le pays à
un mécompte inévitable par les évaluations prétendues modérées qu'il nous
présente.
En effet, messieurs,
à qui pourra-t-on faire accroire que dans un pays, dont un tiers de la
population meurt de faim, dont l'autre tiers doit consacrer toutes ses
ressources pour se procurer les objets indispensables à la vie, à qui, dis-je,
pourra-t-on faire accroire que le produit des impôts, non seulement restera le
même comme dans les années ordinaires, mais ira en augmentant comme dans les
temps de prospérité ?
Je n'ai pas,
messieurs, la prétention d'avoir l'esprit aussi clairvoyant que l’honorable
ministre des finances ; c'est peut-être pour ce motif que j'apprécie la
situation du pays sous un autre point de vue.
Il est évident, selon
moi, que la cherté des denrées alimentaires doit peser de tout son poids non
seulement sur la classe inférieure, mais sur la classe moyenne de la société.
Or, messieurs, si ces
classes qui fournissent une large part dans le produit de nos impôts se
trouvent, par suite de la gêne qui se fera sentir dans les relations journalières,
obligées de restreindre leurs dépenses, comment donc pouvez-vous croire que la
contribution personnelle et les patentes, au lieu d'augmenter, ne subiront pas
une diminution notable ?
Que les droits de
douanes ne s'en ressentiront pas ?
Que l'impôt de
consommation sur les boissons distillées, impôt si injuste dans son
application, produira une augmentation ?
Que les vins, les
eaux-de-vie indigènes et les liquides alcooliques distillés à l'étranger
continueront de vous offrir les mêmes ressources ?
Que les bières, dont
le produit diminue chaque année, ne feront pas défaut à vos prévisions ?
Que les droits
d'enregistrement, de greffe, d'hypothèque et des successions, droits tout à
fait éventuels, répondront à votre attente ?
Que les recettes du
chemin de fer, qui, jusqu'à ce jour ont présenté un mouvement ascendant, ne
subiront pas un moment d'arrêt ?
En un mot, que la
géne et la détresse qui accablent les deux tiers de la nation, n'influeront pas
de la manière la plus fâcheuse sur le produit général des impôts ?
Plaise à Dieu,
messieurs, que mes appréhensions ne se réalisent pas, et que les événements ne
viennent pas justifier mes prévisions !
Vous le voyez,
messieurs, je suis loin de partager l'opinion favorable de M. le ministre des
finances sur le résultat des produits de l'exercice prochain, et je crains
beaucoup que les recouvrements réels ne répondent pas aux prévisions, et que
l'équilibre du budget ne soit fictif.
Dans cette hypothèse,
comment couvrir les dépenses déjà votées, et celles à voter en dehors des
budgets, que des besoins imprévus doivent nécessairement faire surgir ?
Ce ne sera pas au
moyen de la réserve, pour la création de laquelle vous faites des vœux, vœux
auxquels je m'associe.Ce sera donc à l'émission de bons du trésor, ou à l'établissement
de nouveaux impôts que vous aurez recours.
Au lieu de
restreindre vos dépenses, vous viendrez demander au contribuable le restant de
ce que le fléau actuel ne lui aura pas fait dépenser.
Vous nous parlez de
réserve, M. le ministre, comme tous vos prédécesseurs en ont parlé, et comme
vos successeurs en parleront. C'est le rêve de la chambre ; c'est le rêve de
tous ceux qui arrivent au pouvoir.
Moi aussi je veux une
réserve, afin de parer aux crises qui peuvent tarir les sources du revenu
public, afin d'être prêt aux événements politiques qui peut-être ne sont pas
loin de nous menacer.
Mais avant de former
une réserve, rétablissons l'équilibre des budgets sur une base assurée, et
renonçons à ces bons du trésor, cette ressource si facile, mais si dangereuse
pour les gouvernements et les gouvernés.
Avant de songer à
former une réserve, commencez à élever une digue contre les flots envahissants
des dépenses ; arrêtez cette manie de créer de nouveaux besoins, et mettez une
barrière aux prétentions insatiables de tous ceux qui veulent vivre aux dépens
de l'Etat.
N'augmentez pas sans
cesse les traitements des fonctionnaires ; ne multipliez pas les places ;
n'admettez pas trop légèrement des hommes valides à la pension ; en un mot,
visez à l'économie, non à cette économie mesquine, tracassière et malentendue,
mais à une économie sage et calculée sur les véritables besoins du service
public.
Mettez-vous à
l'œuvre, M. le ministre ; vous pouvez rendre un service immense à votre pays :
jetez les fondements, la base de la réserve, réluisez les dépenses au niveau
des moyens ; nous vous seconderons et la nation y applaudira.
Avant
de terminer, messieurs, si je dois avouer que, depuis notre régénération
politique, des travaux immenses ont élé exécutés pour féconder la prospérité
publique, je demande que MM. les ministres veuillent convenir avec moi, que de
bien grandes charges pèsent déjà lourdement sur la nation.
Cependant, messieurs,
je ne me refuserais pas de contribuer à la création de nouvelles ressources, si
les produits en étaient destines à augmenter le bien-être de tous ; mais je
m'opposerai formellement à ces dépenses permanentes, qui, une fois admises dans
le budget, ne changent plus de place, et y restent comme un ennemi dans une
forteresse inexpugnable que l'on attaque en vain.
M. Savart-Martel. - Messieurs, je
n'examinerai point ici s'il convient de fixer les recettes avant les dépenses,
ou les dépenses avant les recettes. On pourrait discuter longtemps les deux opinions,
et donner pour l'une et l'autre de bons motifs.
Quant à moi, je crois
qu'il faut distinguer. Il en est du trésor public comme du budget du père de
famille. A-t-il l'opinion d'avoir des revenus qui excèdent les besoins, il
convient de fixer d'abord ses revenus, afin de pouvoir être plus large dans la
dépense.
Croit-il, au
contraire, a une insuffisance de revenus, alors il faut commencer par les
dépenses, de manière à les circonscrire dans les bornes de la nécessité, et
surtout ne pas confondre ta nécessité avec la simple utilité.
Le budget des voies
et moyens, tel qu'il vous est présenté, s'élève à 112,714,070 fr., don
t85,078,750 fr. sont demandés à l'impôt ; 8,060,000 fr. aux péages ; 10,917,620
fr. forment les capitaux et revenus ; 2.057,700 fr. sont les remboursements.
C'est beaucoup, il faut en convenir ; c'est énorme même, pour un pays tel que
le nôtre.
S'il était utile de
disséquer ici ce budget,, on verrait qu'il atteindra bientôt le double de ce
qu'exigeait l'ancien gouvernement surtout, si l'on y joint ce luxe de centimes
provinciaux et de centimes communaux insupportable dans beaucoup de localités.
Je ne réclamerai
plus, messieurs, les effets des promesses solennelles d'un gouvernement à bon
marché, promesses répétée sa satiété eu 1830.
Nous avons monté
notre machine gouvernementale sur un pied grandiose ; la bureaucratie nous
déborde, et la bureaucratie nuit même aux affaires ; elle en arrête
l'accélération.
Nous avons ouvert un
riche budget dont chacun veut sa part ; et contre toutes les règles d'une sage
politique, nous avons ouvert ce trésor à toutes les vanités, à toutes les
ambitions, à tous les besoins.
Demandez à ces
centaines de docteurs en droit que créent chaque année nos universités, quelles
sont leurs prévisions, ? Une place dans la magistrature.
Demandez à ces
milliers de pères de famille, à ces fermiers plus ou moins aisés, quelle est la
destination de leurs enfants ? Une place quelconque au budget.
Que veut l'infortuné
qu'écrasent les charges du ménage, le commerçant malheureux ou ruiné ? Un
morceau quelconque du budget.
Plusieurs auraient
fait d'excellents industriels, de bons artistes, d'honorables fermiers, tandis
qu'ils végéteront toute leur vie dans des besoins que leur position même aura
créés, trop heureux s'ils n'ont point épuisé leurs familles !
Mais je m'arrête ;
car ma voix n'aurait ici aucun écho ; le mal est fait ; il est presque sans
remède, et au lieu d'un gouvernement à bon marché, nous avons à vivre sous un
gouvernement d'argent.
Qu'il faille des
impôts, appelés voies et moyens, de lourds impôts même, personne ne peut en
douter, car la machine gouvernementale ne peut pas plus fonctionner sans argent
que le ménage d'un particulier.
(page 286) Il n'est cependant aucun
pays oit l'on aurait dû mettre à cet égard plus de circonspection qu'en
Belgique. Etre économe d'argent, et y suppléer par des distinctions
honorifiques, tel devait être le point de départ.
Chez nous, tout doit
être demandé au contribuable. Nous n'avons pas, comme certains Etats, soit des
monopoles, soit des possessions transatlantiques, soit de riches propriétés
mobilières ou immobilières qui puissent diminuer nos charges ; à cet égard, la
Belgique est dans une position particulière. Pour surcroît de malheur, les
classes qu'on devrait ménager, le boutiquier, la petite propriété, sont nos
plus nombreux contribuables, grâce au système d'impôts imaginé par l'ancien
gouvernement.
Qu'a-t-on fait depuis
quinze ans pour nous délivrer de l'impôt personnel et de celui des patentes ?
On sait comment cet odieux système nous a été imposé ; combien les Belges l'ont
combattu aux états généraux. On se rappelle la loi d'infâmie. Eh bien, à notre
honte nous la subissons eneore, non seulement en principal, mais avec un
additionnel de 10 p. c.
Le petit marchand,
après avoir payé la contribution foncière de sa maison, en paye une valeur
locative. Il paye ensuite le droit d'y avoir de l'air ou du jour, il paye le
droit d'y avoir des meubles, il paye le droit d'y faire du feu, sans égard à la
circonstance qu'il a déjà payé pour le combustible ; enfin, pour l'exercice de
son débit, il doit payer encore.
Si ces contributions
n'avaient que l'odieux de leurs taux, on patienterait ; mais ce qu'il y a
d'oppressif, de vexatoire, d'injurieux même, c'est l'obligation de donner
chaque année, en ce qui concerne les patentes surtout, des déclarations dont le
fisc ne tient aucun compte.
Qui donc constitue
ainsi en état de mensonge annuellement la majeure partie des Belges ? Un agent
fiscal qui n'a en mains aucun des éléments nécessaires pour asseoir son
jugement, et qui même n'entend point le contribuable. Ici contre toutes les
règles du droit et de l'équité, la fraude se présume.
On nous annonce avoir
trouvé moyen pour faire produire davantage à l'impôt sans toucher à la loi.
Hélas ! oui, nous le
savons ; à tous les gouvernants doit plaire ce système, car il est élastique.
Il met à la disposition du ministère les fortunes privées. Il suffit, à cet
égard, de stimuler le zèle des agents, et l'on fait produire à l'impôt ce qu'on
veut. Bailleurs, on y trouve la facilité d'obtenir de l'argent à volonté par un
trait de plume et au moyen de centimes additionnels. Cela est vraiment commode.
Je sais, messieurs,
qu'on n'improvise pas un système d'impôt, et qu'on ne pourrait supprimer celui
que nous subissons encore à notre honte, sans le remplacer, en partie au moins.
Mais, à mon avis, on pourrait, dès à présent, en alléger le poids, en
supprimant les 10 p. c. qui grèvent les patentes et la contribution personnelle
; quelques défalcations sur les dépenses rétabliraient l'équilibre.
Ne vous y trompez
pas, messieurs ; le marchand détaillant, la petite propriété doivent
nécessairement souffrir des circonstances actuelles. La misère de la classe
pauvre, l'état de gêne des familles ouvrières doivent nécessairement influer
sur la position de ceux auxquels, en ce moment, je m'ntéresse principalement.
Il y a quelque chose
de désespérant dans l'exposé du ministère, page 10 in fine : « Les faits
déjà constatés, pour l’exercice courant, permettent d'augmenter de cent mille francs
les prévisions de recettes du chef de la contribution personnelle. L'on ne peut
se dissimuler néanmoins que les produits de cette partie de nos revenus ne sont
pas aussi élevés qu'ils devraient l'être ; la faculté laissée aux contribuables
de se référer indéfiniment à des déclarations antérieures, et par suite,
l'absence d'un contrôle permanent ou du moins périodique sur l'augmentation des
bases imposables, paraissent être les causes les plus générales qui paralysent
le développement des produits. Je me propose de rechercher les moyens
d'améliorer la législation sans en altérer les bases essentielles. »
Ceci annonce
l'intention de maintenir le système hollandais. J'espère qu'il n'en sera point
ainsi.
Je conviens qu'il n'y
a point d'impôt populaire, mais celui-ci a été tellement odieux dès l'origine,
que par politique même, on devrait enfin le proscrire.
J'invoque le
patriotisme de nos hommes d Etat. Qu'ils cessent de se traîner dans l'ornière
hollandaise ; qu'ils nous créent enfin un système national ; qu'ils cèdent
ainsi au vœu de la nation, et que la chambre belge se souvienne de la
résistance qu'ont opposée la presque totalité des députes de la Belgique
lorsque ce joug humiliant lui a élé imposé.
Entre-temps la remise
des 10 p. c. additionnels serait une fiche de consolation qui ferait attendre
patiemment le nouveau système.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, dans
long les gouvernements, mais principalement dans un gouvernement tel que le
nôtre où les représentants de la nation sont appelés à voter les impôts, les
devoirs sont de les prélever de la manière la plus équitable, en exigeant des
subsides de ceux qui, par leur position financière, sont à même de les
supporter ; c'est-à-dire qu'il serait à désirer qu'on trouvât le moyen de
percevoir un tantième par cent sur tous les revenus quelle que soit la source
d'où ils découlent.
En Belgique, nous
sommes loin d'être en progrès ; nous sommes arriérés de plus d'un siècle. Loin
de frapper d'impôts la classe la plus aisée, nous les percevons sur la classe
laborieuse et la moins favorisée de la fortune.
En France et en
Angleterre on frappe d impôts les produits étrangers, et ces deux gouvernements
prélèvent des subsides sur les producteurs étrangers ; en Belgique au
contraire, pays hospitalier par excellence, on reçoit à des droits minimes les
produits exotiques et, pour se procurer les subsides, on frappe d'impôts les
habitants du pays, au détriment de leur industrie, sans pour cela favoriser la
classe des consommateurs.
Nos économistes
voudraient voir réaliser ce beau rêve, la liberté illimitée du commerce et ils
prétendant que la Belgique prenne l'initiative de cette belle conception.
Si nos voisins, les
Anglais cl les Français, adoptaient le principe qu'on nous préconise, je ne
combattrais pas ce système, j'en serais partisan, je voterais l'entrée libre de
tous les produits étrangers similaires à ceux que nous produisons, pour autant
que nos voisins reçoivent les nôtres.
Je n'en excepterais pas
même les produits de notre agriculture qui pourrait concourir sur les marches
étrangers avec les producteurs de ces pays.
Une loi sur les
céréales ne serait plus nécessaire, mais je doute fort que le consommateur
soit, par suite, appelé à manger le pain à bon marché, comme le prétendent nos
économistes. L'industrie manufacturière aurait bien plus à redouter cette
liberté générale du commerce.
L'Anglais payerait,
sans doute, le pain à meilleur compte qu'il ne le paye actuellement et par
suite la journée de main-d'œuvre diminuant, il fabriquerait à meilleur compte
qu'il ne le fait actuellement et nuirait à nos fabriques de coton,
métallurgiques et autres. L'Anglais obtiendrait un avantage considérable par
l'adoption de la liberté illimilee du commerce.
Je dois ici une
explication, car je pourrais être en contradiction avec ce que je disais
précédemment, qu'en Belgique on n'aurait pas le pain à meilleur compte, tandis
que je viens dire que le pain serait à meilleur marché en Angleterre. Je
m'explique : la cause de cette différence provient de ce qu'en Angleterre le
prix du pain est toujours infiniment plus élevé que sur les marchés de Belgique
; si la liberté du commerce était proclamée, nous pourrions aller concourir
avec les cultivateurs anglais sur leur propre marché ; les étrangers ayant la
liberté de porter leurs produits là où ils le voudraient, les introduiraient de
préférence en Angleterre ; de sorte que notre pays en recevrait fort peu, et
nos cultivateurs obtiendraient toujours de leurs produits un prix plus élevé
que sous le régime actuel, qui permet l'entrée du pays aux produits étrangers à
un droit modéré, ce qui fait qu'on les importe de préférence chez nous.
Croyez-moi,
messieurs, l'Angleterre et la France savent très bien qu'à frapper les produits
étrangers on perçoit des impôts qui sont supportes par l'importateur, et qu'au
moyen de ces droits de douane, on encourage la production dans son pays, et le
consommateur ne paye pas plus chèrement les produits de son industrie.
Donnez une garantie
aux producteurs indigènes que l'étranger ne concourra pas avec eux sur nos
marchés, cette idée fait un effet magique sur les industriels qui les porte à
produire davantage, et en quantité supérieure aux besoins ; et, on le sait très
bien, quand les produits sont supérieurs aux besoins, les prix sont réduits.
A l'appui de ce
raisonnement on pourrait citer grand nombre d'exemples ; je me bornerai à faire
allusion à la houille, aux sucres, aux céréales en France.
Eh bien, messieurs,
la loi française donne pour résultat une différence du prix du grain et du
pain, et cette loi qui est la même que la proposition qui vous a été soumise,
fut qualifiée de loi de famine.
Voyez ce qui s'esl
passé en France et en Belgique, dans la période de 1835 à 1844 ; le prix moyen
du froment en France fut de 19 fr. 21 c. au droit de 5 fr. 55 c. tandis qu'en
Belgique le prix fut de 19 fr. 34 c. au droit de 1 fr. 10, de manière que la
France a reçu 5 fr. 55 c. par chaque hectolitre importé chez elle, tandis que
la Belgique n'a perçu que 1 fr. 10 c par hectolitre importé chez elle.
Je crois que voilà
des faits qui répondent aux théories. Les exemples sont là pour éclairer MM.
les économistes dont je respecte la science, mais dont je ne puis m'empêcher de
dire que les calculs sont détruits par les faits que je signale. Eu voilà deux
; j'en citerai encore un. Avant la révision de la loi sur les sucres, le
gouvernement percevait 200,000 francs environ de droits de consommation. On a
fait en sorte, en modifiant la loi, que le sucre rapporte l'année suivante
trois millions à l'Etat ; et d'après les économistes, ces 2,800,000 francs de
différence auraient dû être supportés par le consommaient ; on a cru qu'o
nallait voir augmenter le sucre ; il a diminué de valeur. Je vous le demande,
qui a payé cet impôt de 2,800,000 francs ? C'est l'étranger qui a apporté le
sucre. Vous avez perçu 2,800,000 fr. sur la production du sucre étranger.
Messieurs, je ne
m'étendrai pas plus sur le sucre ; cependant, j'avais l'intention de répondre
quelques mots à l'honorable député d'Anvers qui nous a entretenus de la loi sur
les sucres dans une séance précédente et a exprimé l’espoir qu'on améliorerait
la position des raffineurs de manière à leur permettre de raffiner 40 millions
de kilogrammes en améliorant la situation du trésor sous le rapport des
recettes. Si l'honorable membre a trouvé le moyen d'obtenir ce résultat, je
l'approuve, pour autant qu'il ne veuille pas en même temps anéantir une
industrie du pays, et il rencontrera en moi un défenseur, car j'ai pour
principe de favoriser les industries du pays aussi bien celles qui travaillent
avec les produits étrangers, que celles qui travaillent avec les produits du
pays, pour autant toujours que l'existence de ces dernières ne soit pas
compromise. Au surplus, on nous parle de la révision de la loi, j'attendrai
qu'une proposition nous soit soumise pour émettre mon opinion ; mais je
déclare, dès à présent, que si on présente un moyen d'augmenter les recettes du
trésor en assurant l'existence des deux industries, la raffinerie du sucre
étranger et la fabrication du sucre indigène, j'y donnerai mon assentiment.
L'an dernier on a
trouvé bon d'augmenter le contingent de l'impôt foncier. Vous savez que le
Limbourg et le Luxembourg ont dù subir une augmentation de contingent ; on
devait s'attendre, d'après cequi s'est passé alors de la péréquation cadastrale
entre les autres provinces, à voir dégrever les unes de l'augmentation que
subissaient les autres.
Messieurs, l'année
dernière on a consenti a ce que le contingent assigné (page 287) en plus aux provinces du Limbourg et du Luxembourg,
profitât au trésor. L'agriculture ne se trouvait pas dans la position où elle
est aujourd'hui ; on pouvait, sans grand inconvénient, agir comme on l'a fait ;
en est-il de même cette année ? Non, il s'en faut de beaucoup. Je vais vous le
démontrer. Messieurs, je vois par le rapport de la section centrale que la
deuxième section demande la suppression de trois centimes additionnels
supplémentaires à cause des souffrances de l'agriculture.
Remarquez-le bien, messieurs,
la suppression de trois centimes additionnels ! Eh bien, le croiriez-vous, la
section centrale a trouvé que c'était un trop grand cadeau à faire à
l'agriculture, à la propriété. Voici sa réponse :
« La proposition de
la 2ème section a été écartée par la section centrale, à cause des besoins du
trésor ; d'ailleurs, si un tubercule précieux a fait défaut cette année, cette
perte a été jusqu'à un certain point compensée pour le cultivateur par la
récolte satisfaisante des céréales, et le prix élevé de tous les produits du
sol. »
Voila les
raisonnements des économistes et des cultivateurs du cabinet. Je vais vous
démontrer la situation exacte de l'agriculture ; je vais vous démontrer la
perte énorme que fait l'agriculture, non pas seulement par suite de la perte
des pommes de terre, mais aussi par la minime récolte qu'on a obtenue. Vous
croyez donc qu'un cultivateur qui reçoit deux tiers de récolte, en vendant son
grain à raison de 24 fr. est compensé, reçoit autant qu'une bonne récolte
ordinaire vendue à 18 fr. Je vais vous faire voir l'erreur où vous vous
trouvez.
Je suppose une ferme
de 100 hectares dans la province de Limbourg, dans la province de Lîége, dans
la province de Namur, dans une partie du Hainaut, dans une partie du Brabant.
28 hectares de froment donnent par année ordinaire, à raison de 22 hectolitres
par hectare, 616 hectolitres. De ces 616 hectolitres, il faut soustraire : 13
p, c. que l'on doit payer aux ouvriers, tant pour faire la récolte que pour
battre le grain, soit 79 hectolitres.
Semences, pour 28
hectares de terre, 56 hectolitres.
Consommation obligée
du ménage (pour manger très peu de froment), et ce que, dans certaines
circonstances, il est nécessaire de donner au bétail, 6 hectolitres.
Ensemble 141
hectolitres qu'il faut déduire de 616. Reste à vendre en 1845, produit de 1844,
475 hectolitres, ce qui, à raison de 19 fr., fait une recette de 9,025 fr.
Voyons maintenant ce
que seront les produits de 1845.
En 1845, il n'y a eu,
dans un grand nombre de localités, qu'une demi-récolle : mais je suppose que la
récolte ait été des deux tiers de la récolte ordinaire. Ces 28 hectares en
froment auront donc produit 411 hectolitres.
A déduire :
15 p. c. pour les
ouvriers, 53 hectolitres
Semences, 56
hectolitres
Consommation du ménage,
6 hectolitres
Ensemble, 115 hectolitres
Qu'il faut retrancher
de 141 Reste à vendre 296 hectolitres.
Or, le prix du
froment est actuellement de 24 fr. et quelques centimes, mais c'est là le prix
du froment de très bonne qualité, et généralement le grain de cette année n'est
que de qualité médiocre. Néanmoins, je veux bien supposer que tout se vende à
24 fr. Les 296 hectolitres produiront donc une recette de 7,104 fr., ce qui
donne, comparativement au produit de 1844, un déficit de 1,921 francs.
A ce déficit,
messieurs, il faut en ajouter un autre. Le seigle et l'orge n'ont pas mieux
réussi que le froment. Il en résulte donc que le cultivateur a subi sur le
seigle et l'orge une perte proportionnelle à celle qu'il a éprouvée sur le
froment. Cette perte sur le seigle et l'orge doit être évaluée à 951 fr.,
toujours pour une ferme de 100 hectares.
Ensuite, messieurs,
dans une ferme de 100 hectares, on récolte en moyenne 600 hectolitres de pomnes
de terre ; en les évaluant à 2 fr. par hectolitre, je suis, encore une fois,
très modéré, soit donc 1,200 fr. Eh bien, les 3/4 de la récolte des pommes de
terre sont perdus. Voila donc encore une perte de 900 fr.
Ainsi, messieurs, de
ces trois chefs, les cultivateurs, dans les localités que j'ai indiquées, ont
perdu, sur une exploitation de 100 hectares, une somme de 3,772 fr.
Ajoutez, messieurs, à
ce déficit les charités extraordinaires et obligées que les cultivateurs
devront faire, et vous aurez, dans une ferme de cent hectares, une réduction de
plus de 40 fr. par hectare sur le revenu de 1844. Mais la perte, messieurs,
sera bien plus sensible, elle sera bien plus forte encore comparativement, dans
les exploitations de peu détendue, chez ces petits cultivateurs qui ne
cultivent que 15 à 20 hectares ; ce sont ceux-là qui sont surtout à plaindre ;
car la perte pour eux ne sera pas de 40 fr. par hectare, elle sera de 60 à 70
fr.
Ces petits
cultivateurs, messieurs, comptaient sur la récolte de leurs pommes de terre
pour vivre une grande partie de l'année. Car, remarquez-le bien, la plus grande
partie de la culture de nos petits cultivaieurs consiste en pommes de terre. Eh
bien, toute la dépense qu'ils avaient faite pour obtenir l'approvisionnement de
presque toute l'année est perdue. La dépense était faite ; ils avaient payé la
location de leurs terres ; ils avaient fumé celles-ci ; ils les avaient
labourées, ils les avaient ensemencées ; ils avaient fait tous les travaux ; il
ne s'agissait plus que d'en recueillir les fruits, et ces malheureux se
trouvent dénués de toutes ressources.
Sans doute,
messieurs, les populations des villes sont à plaindre, j'en conviens, mais
elles le sont bien moins que les habitants des campagnes. Elles n'avaient pas
payé d'avance le prix des pommes de terre qui devaient leur servir de
nourriture ; elles peuvent aujourd'hui s'alimenter d'autres denrées qui
malheureusement sont à un prix trop élevé, je le reconnais.
Mais les nombreuses
charités viendront à leur secours et atténueront les effets de cette
augmentation obligée de dépenses.
Messieurs, je
bornerai là mes observations dans la discussion générale.
Lorsque nous en
viendrons aux détails, je me permettrai de vous en présenter quelques autres
encore.
Je crois qu'en
présence de la position fâcheuse de l'agriculture, le moment est venu de faire
disparaître, non pas les 3 centimes dont a parlé la deuxième section, mais les
10 centimes additionnels qui pèsent depuis trop longtemps sur la propriété.
Lorsque
nous nous occuperons des produits autres que les produits ordinaires, je vous
signalerai quelques augmentations de recettes que vous pourriez obtenir. C'est
ainsi qu'on pourrait frapper davantage la consommation des sucres.
C'est là une matière
de luxe qui peut supporter des impôts. Mais en frappant des impôts sur cette consommation,
il faut que l'on se montre prudent sur le moyen d'en faire rentrer le produit
au trésor. Car il est arrive plus d'une fois que l'on a éludé la loi de manière
à faire tourner à son profit les impôts qui étaient destinés à l'Etal.
J'attendrai, messieurs,
la discussion des articles pour vous présenter quelques autres observations.
M. Delfosse. - Messieurs, depuis
que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, j'ai eu plus d'une fois
l'occasion de remarquer que MM. les ministres des finances s'entendent à
merveille à présenter la situation financière sous l'aspect qui convient le
mieux à leurs vues.
S'agit-il de
contracter un emprunt, la situation financière nous apparaît fort sombre ;
c'est le moyen d'obtenir que la chambre adopte, sans trop de difficulté, le
chiffre indiqué par le gouvernement.
S'agit-il, au contraire, de créer des dépenses
nouvelles ? Oh, alors, la situation financière devient excellente. Le déficit
disparaît comme par enchantement.
Il en est souvent de
même lorsque MM. les ministres en sont à leur début. S’ils venaient nous dire,
dès leur entrée aux affaires, que la situation financière esl mauvaise, ils
devraient nous proposer ou des augmentations d'impôts, ce qui ferait crier les
contribuables, ou des réductions de dépenses, ce qui déplairait à beaucoup de
gens avec lesquels MM. les ministres aiment, en général, à être dans de bons
termes. Cela pourrait nuire à la popularité du ministère naissant. On trouve
que ce qu'il y a de mieux à faire pour recevoir un bon accueil, pour contenter,
autant que possible, tout le monde, c'est de dissimuler le côté fâcheux de la
situation financière. Plus tard, le déficit reparaîtra plus considérable et
plus menaçant. Mais qu’importe ? On ne sera peut-être plus au ministère et les
embarras seront pour les successeurs.
Comment se fait-il
que la situation financière puisse varier ainsi au gré de MM. les ministres ?
Par une raison bien simple, messieurs : vous savez tous que chaque exercice
reste ouvert pendant trois ans. Il y a, dans ce long espace de temps, une foule
de faits qui viennent modifier les prévisions qui avaient servi de base à la
confection du budget : des dépenses qu'on n'avait pas prévues doivent se faire
; des crédits alloués deviennent insuffisants ou bien ne sont dépensés qu'en
partie. Il y en a même quelques-uns (c'est assez rare, mais enfin il y en a)
qui ne sont pas dépensés du tout. Les recettes peuvent s'élever au-dessus ou
rester en dessous des évaluations. Lorsque MM. les ministres veulent que la
situation paraisse bonne, ils s'attachent aux éventualités favorables.
Lorsqu'ils veulent que la situation paraisse mauvaise, ils laissent les
éventualités favorables dans l'ombre, pour ne faire ressortir que les
éventualités contraires.
En 1840, le
gouvernement nous proposait ûn emprunt de 90 millions. L'honorable M. Mercier,
alors ministre des finances, n'avait pas de termes assez énergiques pour
dépeindre les calamités qui peuvent naître de l'existence d'une dette flottante
considérable. Notre dette flottante était d'environ 18 millions ; M. Mercier
trouvait que c'était beaucoup trop.
M. Mercier. - Elle était de 30
millions.
M. Delfosse. - (D'après l'exposé
de la situation du trésor à cette époque, la dette avouée était d environ 18
millions) M. Mercier trouvait même qu'en temps ordinaire un pays ne peut avoir,
sans le plus grand danger, c'étaient ses expressions, une dette flottante de 8
â 10 mêlions.
En 1841 l'emprunt
était contracté. M. Smits, devenu ministre des finances, débuta par nous tenir
le langage le plus rassurant. La situation financière était fort bonne ; il ne
serait pas demandé de nouvelles charges aux contribuables ; on pourrait faire
face à toutes les dépenses à l'aide des impôts existants. Tel était le langage
de M. Smits. J'étais un peu incrédule. Je me permis de faire quelques
représentations ; mais elles ne furent pas écoutées. On me prit pour un homme
intraitable, qui ne trouvait rien de bon, qui voulait troubler la félicité
grande dont le pays allait jouir.
Un an plus tard,
l'honorable M. Smits venait nous demander de nouveaux impôts et un nouvel
emprunt ; et il a fini par se retirer, en laissant un déficit avoué de plus de
37 millions de francs !
M. Mercier,
successeur de M. Smits, fut assez heureux pour trouver dans les ressources que
le traité avec la Hollande et la conversion de divers emprunts nous avaient
procurés les moyens d'éteindre une partie du déficit. Mais il eut le tort
d'oublier que ces ressources extraordinaires n'étaient pas de nature à se reproduire.
Il eut le tort plus grand d'exagérer, outre mesure, l'amélioration qui s'était
produite, à l'aide de ces ressources extraordinaires, dans notre situation
financière.
M. Mercier vint nous
présenter, à la fin de l'année 1844, une série de chiffres d'où il paraissait
résulter que le découvert du trésor était réduit à (page 288) 7 millions, et il nous donna l'assurance que ce découvert
ne s'accroîtrait plus, parce qu'il était parvenu, disait-il, à établir un
équilibre rigoureux entre les recettes et les dépenses de l'exercice 1845.
Je me permis
d'adresser quelques représentations à M. Mercier, comme j'en avais adressé à M.
Smits ; je me permis de lui dire qu'il avait attribué sur les exercices 1843 et
1844 une trop forte part aux éventualités favorables, qu'il n'avait pas tenu
assez compte des éventualités contraires, que, d'après toutes les probabilités,
une foule de crédits supplémentaires viendrait grossir plus tard le passif de
ces deux exercices ; j'ajoutai que l'équilibre rigoureux prétendument établi
entre les recettes et les dépenses de l'exercice 1844, se convertirait
inévitablement en une insuffisance de ressources très prononcée.
M. Mercier me
répondit, sous une forme polie à la vérité, qu'il s'entendait mieux en finances
que moi, qu'il garantissait ses calculs, et que le découvert, loin de
s'augmenter, tendrait au contraire à décroître.
La chambre, confiante
dans les promesses et dans les calculs de M. Mercier, vota les augmentations
qui lui étaient demandées en faveur de la magistrature, et ce qui pis est, en
faveur de MM. les commissaires d'arrondissement ; elle accorda aussi tout ce
que l'on voulait pour l'armée.
Cette fois encore,
messieurs, l'événement est venu me donner raison.
M. Mercier. - Je demande la
parole.
M. Delfosse. - Le découvert qui,
d'après M. Mercier, était réduit à 7 millions, le découvert qui ne devait pas
s'accroître, est aujourd'hui, de l'aveu de M le ministre des finances, de 14
millions et demi. Il a fallu pour les exercices 1843 et 1844 des crédits
supplémentaires que l'on n'avait pas fait entrer en ligne de compte ; il en a
fallu aussi déjà et beaucoup pour l'exercice 1845.
J'avais espéré que M.
le ministre des finances actuel compenserait les griefs politiques que nous
avons contre lui, par des qualités financières dont nous aurions été heureux de
lui tenir compte. J'avais espéré qu'il aurait le courage de présenter
franchement, sans détour, la situation financière telle qu'elle est, de
signaler le mal dans toute sa gravité, et le courage plus grand de proposer le
remède. Mais je vois avec peine que M. le ministre des finances n'a pas su
prendre cette résolution. Je le vois avec peine se traîner dans la même ornière
que ses prédécesseurs.
M. le ministre des
finances nous dit que le découvert du trésor est de 14 millions et demi ; mais
il oublie de faire la part des éventualités défavorables qui, d'après toutes
les probabilités, affecteront et l'exercice 1844 qui ne sera clos qu'à la fin
de 1846, et l'exercice 1845 qui restera encore ouvert pendant deux ans. On
peut, sans trop s'aventurer et en se fondant sur l'expérience, évaluer à plus
de cinq millions les crédits supplémentaires qu'il faudra encore demander pour
ces deux exeicices.
Le découvert, que M.
le ministre des finances ne porte qu'à 14 millions et demi, serait donc de 20
millions, et tout porte à croire que cette situation fâcheuse sera encore
aggravée par les résultats de l'exercicc 1846.
M. le ministre des
finances nous présente pour l'exercice 1846 un projet de budget qui n'offre
qu'un excédant de ressources d'environ 232,000 fr. ; et encore cet excédant
est-il converti par la section centrale en une insuffisance de 167,000 fr.
J'ai déjà eu
l'honneur, messieurs, de vous le dire, lors de la discussion du budget des
voies el moyens de 1844 et de 1845 : pour qu'un exercice n'amenât pas un
accroissement de déficit, il faudrait que l'excédant présumé fût très
considérable. Une expérience constante a démontré que les prévisions d'un
budget se trouvent toujours, à la clôture de l'exercice, aggravées de plusieurs
millions.
Au 1er septembre
1842, on présumait que l'exercice 1840 (c'était l'année de l'emprunt)
laisserait un excédant de plus de cinq millions. L'année suivante cet excédant
était réduit d'à peu près deux millions.
L'exercice 1841,
ouvert avec une insuffisance de ressources de plus de deux millions, a laissé
en définitive une insuffisance de plus de treize millions.
L exercice 1842,
ouvert avec un excédant de ressources de plus de trois cent mille francs, a
présenté au contraire une insuffisance de plus de dix-sept cent mille francs.
L'excédant de
ressources de 814,000 fr., promis-sur l'exercice 1843, s'est converti en une
insuffisance de près de 10 millions.
Au 1er septembre
1844, M. Mercier nous promettait un excédant de 6,653,085 fr. 73 c. sur
l'exercice 1844. Au 1er septembre dernier, cet excédant était déjà réduit à 3
millions ; et remarquez bien, messieurs, que s'il y a un excédant sur
l'exercice 1844, c'est par suite des bénéfices inattendus que l'on a retirés de
la conversion de divers emprunts. Cet excédant existera-t-il encore à la
clôture de l'exercice ? C'est ce dont il est permis de douter.
Voilà, messieurs, des
faits qu'il serait imprudent de négliger, dont il faut tenir compte dans les
prévisions d'un budget. Eh bien, si l'on en tient compte, on doit dire que
l'insuffisance de l'exercice 1846 sera de plusieurs millions, et le découvert
qui, d'après M. le ministre des finances, est de 14 millions et demi, qui,
d'après moi, est d'au moins 20 millions, sera porté, à la clôture de l'exercice
1846, à 25 millions peut-être ; et ce découvert ira chaque année en croissant,
si l'on ne se hâte de sortir de la fausse voie dans laquelle on s'est engage.
Rappelez-vous,
messieurs, ce qui s'est passe depuis quelques années. A la fin de 1839, le
découvert avoué du trésor n'était que d'environ 14 millions ; aujourd'hui il
est de 20 millions. Cependant, depuis cette époque, les impôts ont été
augmentés de 9 millions de francs ; les péages de 7 millions, en tout 10
millions d'augmentation annuelle.
On a absorbé,dans le
même intervalle, environ 12 millions provenant de la vente des domaines et du
remboursement de capitaux ; 17 millions que nous avons retirés du traité avec
la Hollande, et environ 4 à 5 millions que la conversion de divers emprunts
nous a valu.
Cette même conversion
nous a valu, en outre, une économie annuelle, sur le budget de la dette
publique, d'environ un million ; et malgré tout cela, messieurs, nous ne sommes
pas parvenus à éteindre le déficit. Il reparaît, au contraire, plus menaçant
que jamais !
Comment M. le
ministre des finances peut-il dormir tranquille en présence d'une situation
aussi fâcheuse, d'une situation que l'on peut qualifier d'effrayante,
aujourd'hui que nous ne pouvons plus espérer des ressources du genre de celles
que nous avons retirées du traite avec la Hollande ? Si le gouvernement
comprenait sa mission, son devoir, il viendrait nous proposer des mesures
efficaces pour arrêter le mal à sa source. Il viendrait nous proposer ou une
augmentation d'impôts ou une forte réduction des dépenses.
Je
n'ai pas besoin de vous dire, messieurs, quel est celui de ces deux moyens que
je préfère.Tous mes discours, tous mes votes vous ont prouvé que je suis
partisan sincère des économies. Les augmentations d'impôts seraient d’ailleurs
mat accueillies dans les circonstances graves où le pays se trouve, et, dans
tous les cas, elles ne devraient porter que sur les classes riches.
Tant que le
gouvernement ne viendra pas nous proposer des mesures efficaces pour éteindre enfin
ce déficit, qui finira, si l'on n'y prend garde, par conduire le pays à sa
ruine, il me sera impossible de donner un vote approbatif au budget des voies
el moyens.
M. Verhaegen. - Messieurs, il
semble d'après le rapport de la section centrale que notre mission doive se
borner à vérifier si les voies et moyens proposes par le gouvernement suffisent
à couvrir les dépenses de l'exercice 1846, à nous assurer de la modération et
de la sincérité de l'évaluation des produits, enfin à provoquer des mesures tendant
à prévenir l’insuffisance des ressources. Ces questions, qui ne sont que des
questions préalables à l'examen du budget des voies et moyens proprement dit,
ont été traitées avec tant de lucidité par mon honorable ami M. Delfosse que je
crois inutile de rien ajouter aux considérations qu'il vous a présentées et qui
sont appuyées sur des chiffres irrécusables.
Mais il est une autre
question que j'appellerai, moi, la question principale ; c'est celle relative à
l'assiette des impôts ; la section centrale ne s'en est pas occupée,
l'honorable M. Savart vous en a dit quelques mots, et je vais compléter ses
idées.
Depuis plusieurs
années j'ai pris la résolution de ne plus voter un budget de voies et moyens
d'après lequel les charges publiques retomberaient de tout leur poids sur les
classes inférieures et sur les classes ouvrières, pour effleurer à peine le
luxe et la richesse.
Je suis loin de
vouloir refuser au gouvernement les ressources nécessaires pour faire face aux
dépenses, je suis prêt à voter le chiffre des impôts. Mais quelles seront les
bases de ces impôts ? Voilà la véritable question à l'ordre du jour.
Ou nous a dit et
répété qu'il est dangereux de toucher a un système d'impôts existant, on a même
osé ajouter que demander la révision des impôts, c'est demander une réforme
sociale. Mais n'est-ce pas là faire la critique la plus amère de la
Constitution, qui a tellement senti le besoin de mettre en harmonie les
institutions financières et les institutions politiques du pays, qu'elle a fait
un devoir, à la législature comme au gouvernement, de la révision des lois
financières en désaccord avec le principe démocratique de notre gouvernement ?
En effet, messieurs, au nombre des objets mis a l'ordre du jour, par l'article
139 de la Constitution, se trouve la refonte générale des impôts.
Messieurs, il ne
s'agit pas ici de « questions sociales, » comme on voudrait
l'insinuer ; il ne s'agit que de questions de justice et d'équité qui ne
doivent amener aucune réforme proprement dite. Depuis 1830 on a trailé beaucoup
d'affaires dans cette enceinte, mais s'est-on bien occupé des intérêts de la
grande masse de la nation, des intérêts de la classe nécessiteuse, de la classe
ouvrière, je dirai même de la classe moyenne ? Non. Malgré nos réclamations
incessantes, malgré les réclamations annuelles des amis qui nous ont précédé à
cette tribune, ces intérêts ont été négligés. Les seuls dont on ait pris soin
sont les intérêts d'une classe privilégiée, d'une classe qui, dans le siècle où
nous vivons, trouve de nombreux défenseurs.
Je vais prouver ce
que j'avance en passant rapidement en revue les principales bases d'impôts
admises pir le budget en discussion.
D'abord, il est
évident pour moi que ce qui est le plus imposable, et qui, en justice, devrait
être imposé en première ligne, la propriété, ne l’est point. On parle de
l'impôt foncier. Cet impôt, à la vérité, avait été introduit pour atteindre la
propriété, et cependant, en réalité, il ne frappe pas le propriétaire ; il
frappe le fermier, le cultivateur ; c'est une patente déguisée sur les travaux
agricoles qui doit avoir pour conséquence inévitable le renchérissement des
denrées alimentaires. La contribution foncière est devenue une sorte de
contribution indirecte sur les céréales, sur les bestiaux ; c'est un impôt sur
la viande, sur le pain, en un mot sur les besoins les plus impérieux des
classes ouvrières.
La troisième section
demande la suppression de 3 centimes sur l'impôt foncier à cause des
souffrances de l'agriculture, et l'honorable M. Eloy, quand il a parlé de la
contribution foncière, s'est apitoyé sur le sort des cultivateurs, preuve
évidente que la propriété n'est pas enjeu.
Qu'on cesse donc de
parler des augmentations successives qu'a subies la contribution foncière, car
toutes ces augmentations sont retombées à charge du consommateur.
Messieurs, si vous
voulez réellement frapper la propriété, vous avez plus d'un moyen de le faire,
mais il ne suffit pas de demi-mesures, il faut aller droit au but, et déjà nous
nous en sommes expliqué les années précédentes.
Le meilleur moyen de
frapper la propriété serait l’établissement d'une (page 289) taxe proportionnelle et progressive sur le revenu telle
qu'elle existe en Angleterre. Ce serait l'établissement de droits
d'enregistrement sur toute espèce de transmission de propriétés mobilières et
immobilières, d'un droit de succession modéré, mais progressif en ligne
directe, et surtou sur les préciputd.
A cet égard, je suis
d'accord avec l'honorable comte de Mérode, qui, l'année dernière, approuvait
mes vues sur ce point.
Pourquoi aussi ne pas
étendre le droit de déshérence ? Pourquoi ne pas restreindre dans de justes
limites le droit d'hérédité en ligne collatérale ? Car je ne comprends pas
qu'il faille descendre jusqu'au douzième degré.
On a souvent attribué
à certaine opinion des idées de communisme, idées absurdes, que repoussent et
les faits et la position des individus auxquels on les attribue ; mais, qu'on
le sache bien, le meilleur moyen de sauvegarder la propriété, c'est de la faire
contribuer pour sa part dans les charges de l’Etat.
Je passe à la
contribution personnelle.
De l'aveu de tous les
ministres qui se sont succédé, entre autres de l'honorable M. Smits, qui s'en
est expliqué d une manière formelle, les bases de cette contribution grèvent
surtout les classes des travailleurs et le commerce, pour épargner les
richesses des propriétaires.
Je n'excepte de ma
critique aucune des bases de cette contribution : la loi de 1822 que nous a
léguée le gouvernement déchu, a été appréciée comme elle devait l'être, par
notre honorable collègue, M. Savart. Je dis, que je n'excepte aucune des six
bases, et je vais les examiner l'une après l'autre.
Valeur locative
(première base). ) C'est une base injuste. Quoi ! un individu occupe une maison
dans une rue commerçante, à Bruxelles, dans la rue de la Madeleine, par exemple
; cette maison a une valeur localive de 6 à 7,000 fr. ; il payera plus dans la
contribution personnelle (première base) qu'un grand seigneur qui vit de ses
revenus et qui occupe un grand hôtel dans une rue peu fréquentée, telle que la
rue aux Laines ; outre cela il payera encore une forte patente.
Un aubergiste se
trouve dans la même position, mais celui-là, outre la première et la quatrième
base et sa patente, payera encore un droit pour chacune des chambres destinées
aux voyageurs. Injustice criante, s’il en fut jamais.
Portes et fenêtres
(deuxième hase). Ici l'injustice est tout aussi révoltante ; l'artisan qui n'a
qu'une petite porte d'entrée et une seule fenêtre qui lui donne à peine le jour
nécessaire à son travail, paye tout autant que paye le riche propriétaire pour
la grande porte cochère de son hôtel et pour chacune de ses fenêtres trois ou
quatre fois plus grandes ; et il n'y a, quant à ce, aucune différence entre la
petite maison de l'artisan, située dans la plus petite des ruelles et le plus
bel hôtel situé dans la plus belle des rues de la capitale.
L'égalité ne consiste
pas à augmenter, dans la même proportion, à raison du nombre, mais à avoir
égard à l'importance de l'objet imposé et aux ressources du contribuable.
Foyers (troisième
base). Nouvelle injustice, injustice plus criante encore.
L'artisan, l'ouvrier
qui a besoin d'un petit foyer pour son travail et pour son ménage paye autant
que le riche pour le plus beau et le plus grand des foyers ; et ce qu'il y a de
plus extraordinaire, c'est qu'au-delà de 12 foyers, on ne paye plus. Ainsi
celui qui a 30 foyers, ne paye que pour 12 ; tandis qu'il devrait y avoir
progression ascendante.
Taxe sur le mobilier
(quatrième base). C'est toujours le même système.
D'après l'art. 25 de
la loi du 28 juin 1822, sur la contribution personnelle le droit est de 1 p. c.
de la valeur du mobilier.
L'article 29 porte :
« L'individu, occupant une maison, qui en loue une partie en chambres ou
appartements garnis, doit payer la contribution pour le mobilier, sur le pied
de la valeur locative quintuplée. »
Cette disposition est
des plus vicieuses, en ce qu'elle consacre des inégalités énormes entre les
contribuables.
La plupart des
marchands, des boutiquiers, détaillants, etc., habitent les rues les plus
fréquentées à Bruxelles ; par exemple, la rue de la Madeleine ; là les loyers
sont les plus élevés ; ces contribuables sont dans la nécessité de sous-louer
des appartements, à cause de l'élévation du loyer, hors de toute proportion avec
leurs moyens.
Il en résulte que ces
contribuables payent l'impôt sur une valeur mobilière qu'ils ne possèdent
point.
Un individu occupe,
comme je le supposais il n'y a qu'un instant, une maison dans la rue de la
Madeleine, et il en loue un appartement.
Cette maison a une
valeur localive de 7 mille francs (et cette valeur n'est pas exagérée), le
locataire payera donc forcément 1 p. c. sur une valeur mobilière de 35 mille
fr. soit 350 francs, et il se peut qu'il n'ait pas de mobilière pour une valeur
réelle de 2,000 fr., car les maisons de marchands sont presque toujours
occupées par des marchandises. Il payera donc dans le cas posé sur une valeur
mobilière de 35 mille francs qu'il ne possède pas.
Un autre individu, un
homme riche, occupe, dans une rue moins fréquentée, une très belle maison,
d'une valeur localive également de 7 mille francs.
Mais celui-ci étant
dans une position aisée ne sous-loue pas ; il en résulte que cet homme riche ne
payera jamais pour son mobilier une valeur supérieure à 35 mille francs, quand
même il posséderait pour une valeur de 100,000 francs et plus.
Il en résulte en
outre que cet individu, s'il n'a du mobilier que pour une valeur effective de
10,000 francs, par exemple, en fera déterminer la valeur par experts, et ne
payera en conséquence que d'après une valeur de 10,000 francs, soit 100 fr. à
raison d'un p. c.
La surtaxe du
marchand qui, dans la même position, payera 350 francs, n'est-elle pas une
criante injustice ?
Le gouvernement lui-même
a reconnu ce vice ; car il l'a signalé dans son exposé de motifs du projet de
loi tendant à réviser l'impôt personnel présenté en novembre 1842 ; mais ce
projet est retiré.
Domestiques
(cinquième base). - Cette cinquième base est tout aussi injuste que les
précédentes.
Le petit bourgeois
qui n'a qu'un seul domestique du sexe féminin chargé de tout le travail du
ménage paie de ce chef un impôt, tandis qu'en toute justice il ne devrait en
payer aucun. Celui qui a deux domestiques, très souvent indispensables, paye
proportionnellement autant que le grand seigneur qui en a vingt, parmi lesquels
il y a souvent un cuisinier et un cocher recevant 1,000 à 2,000 fr. de gages.
Pour qu'il y eût
répartition équitable, il faudrait une taxe proportionnelle d'après le sexe, le
nombre des domestiques, les services qu'ils rendent et la hauteur de leurs
gages.
Chevaux (sixième
base). - Toujours le même vice. L'homme qui n'a besoin que d'un seul cheval et
qui s'en contente, paye la moitié de ce que paye celui qui, par esprit de luxe,
en tient deux.
Pour être juste, il
faudrait encore ici établir une progression. Celui qui a deux chevaux devrait
payer plus du double de celui qui n'en a qu'un, et ainsi de suite.
L'on voit que les six
bases de la contribulion personnelle, qui a soulevé naguère tant de
réclamations et qui a constitué un des griefs de la révolution, sont de la même
catégorie. Partout on rencontre la même injustice, partout on voit qu'on a
voulu ménager les propriétaires au détriment des travailleurs et de la classe
moyenne.
Nous arrivons à
l'impôt patente.
L'impôt patente c'est
l'impôt sur le travail, sur l'activité ; c'est la taxe qui frappe tous ceux qui
n'ayant pas de revenus, qui n’ayant pas le bonheur de posséder des biens, sont
obligés de travailler à la sueur de leur front pour se procurer du pain. C'est
un impôt odieux, et cependant il a été grevé successivement de centimes
additionnels.
Les bases du droit de
patente ont été reconnues tellement vicieuses par le gouvernement qu'un projet
de loi pour le mobilier avait été présenté par le gouvernement ; mais ce projet
qu'est-il devenu ?
Dans tous les cas, ce
projet laisse subsister le classement arbitraire de la loi actuelle et rejette
la seule base équitable, l'appréciation du revenu industriel avec lequel il convient
de compter.
Dans tous les cas
encore, il laisse subsister l'inégalité entre l'industriel, l'artisan, les
propriétaires et les rentiers.
Pourquoi, et j'en
reviens à une idée que je n'ai fait qu'effleurer tantôt, pourquoi, s'il existe
une patente sur le revenu de l'artisan, de l'industriel, du commerçant, n'y
aurait-il pas une patenie sur le revenu proprement dit, sur le revenu des
propriétaires ? On craint l'arbitraire dans la fixation de ce revenu ! Mais cet
arbitraire ne se rencontre-t-il pas aussi pour l'appréciation du revenu de
l'artisan, de l'industriel, du commerçant ?
Pourquoi une classe
privilégiée pourrait-elle seule se soustraire à un impôt, sous prétexte
d'arbitraire, quand d'autres classes doivent s'y soumettre ? Ëmore une fois,
disons-le sans détours, les propriétaires ont été ménagés, ceux qui ont des
revenus assurés ne payent rien. Je connais des célibataires qui ont 25 mille
francs de rentes, et ne payent pas un sou d'impôt. Les rentes, les obligations,
les fonds publics, les actions industrielles,qui forment la base de leurs
revenus, échappent à toute contribution, tandis que des industriels, des
artisans, des commerçants, qui ont de la peine à nouer les deux bouts, payent
des impôts de toute espèce. Cela est-il tolérable dans le siècle où nous vivons
? Pourquoi donc ne pourrait-on pas adopter, pour le revenu comme pour le droit
de patente, un impôt progressif ?
J'arrive aux droits
de consommation sur les boissons distillées, et ici j'ai lieu d'espérer que l'honorable
M. Rodenbach me viendra en aide : ce qu'il appelle la patente sur le débit des
boissons distillées, prend sa source dans un système qui porte le cachet de
l'injustice la plus révoltante. C'est toujours le même système, il est un et
indivisible, il tend à ménager les grands et à écraser le petit.
Dans les villes, tous
les débitants de boissons distillées, indépendamment de tous autres droits,
payent indistinctement 30 francs, et dans les campagnes, ils payent 20 francs.
Celui qui vend cent
litres de boissons distillées par jour ne paye pas plus que celui qui ne vend
que le quart d'un litre ! Il n'y a qu'une voix dans le pays pour condamner une
pareille injustice. De nouvelles pétitions demandant le retrait de la loi ont
été adressées à la chambre, et moi-même je suis chargé de déposer sur le bureau
des réclamations qui m'ont été adressées tout récemment par un grand nombre
d’habitants du plat pays.
Viennent ensuite les
droits d'accises.
Ces droits frappent
spécialement les objets de consommation de première nécessité, et par cela ils
sont des plus iniques.
Il y a injustice à
exiger la même somme pour la même quantité de produits consommés quelle que
soit la position du consommateur, qu'il soit riche ou pauvre, qu'il vive de ses
revenus ou qu'il soit obligé de travailler pour subvenir à ses besoins ou à
ceux de sa famille.
Il y a injustice à
exiger plus d'impôts d'une famille nombreuse, ayant souvent plus de besoins et
moins de moyens que les familles composées de deux ou trois membres seulement.
Y a-t-il rien de plus odieux que l'impôt sur le sel, contre lequel nous (page 290) avons réclamé tous les ans et
contre lequel nous réclamerons constamment, dussions-nous répéter tous les ans
la même chose ?
Le droit sur la
bière, qui est la boisson du peuple, a successivement été augmenté, tandis
qu'on a diminué les droits sur les vins.
El comme l'inégalité
existe dans tous les degrés, les vins fins payent beaucoup moins que les vins
ordinaires ; ainsi les meilleurs vins de France qui nous arrivent en bouteilles,
ne payent que deux francs les 100 bouteilles, quatre francs de moins que les
bouteilles vides, car les boulcilles vides payent six francs à l'entrée.
Quant aux droits
d'enregistrement, c'est toujours la même inégalité, la même injustice.
Les droits d'enregistrement,
d'hypothèque et de greffe, frappent en règle générale le malheur, la misère.
L'industriel qui, pour satisfaire aux besoins de son commerce, fait une levée
d'argent et donne hypothèque pour garantir cette levée, supporte les frais d
enregistrement, d'mscriplion.
L'homme qui est
obligé de vendre ses propriétés pour faire face à ses engagements, paye les
droits d'enregistrement et de transcription, car l'acheteur a égard à ces frais
dans la fixation du prix d'achat.
Rarement les droits
d'enregistrement frappent la propriété proprement dite, et quand, par exemple,
la propriété se trouve frappée, il y a toujours tendance à la dégrever. Déjà
plusieurs fois j'ai parlé de la loi du 22 frimaire an VII, et j'en parlerai
encore, tant que l'injustice que j'ai signalée ne sera pas réparée. Par cette
loi, les ventes d'arbres sur pied payaient un droit de 2 p. c., ce qui, avec
les additionnels, se montait à 2 fr. 52 cent. C'était ta un véritable droit sur
la propriété, car les ventes d'arbres se font à la requête de ceux qui
possèdent les fortunes immobilières les plus considérables.
Eh bien, le droit de
2 fr. p.c. a été réduil à 1/2 p. c. ce qui fait avec les additionnels 63
centimes p. c. au lieu de fr. 2 52.
Pourquoi ce
dégrèvement ? C'esi toujours le même principe.
Une proposition avait
été faite pour le retrait de la loi du 31 mai 1824 ; mais adoptée par cette
chambre elle a été rejetée par le sénat..
Le sénat est animé de
sentiments trop généreux pour ne pas faire abnégation de tout intérêt personnel
et ne pas concourir, dans les temps difficiles où nous vivons, à faire revivre
la loi si juste de l'an XII.
Les ventes d'arbres
sur pied forment un objet assez important pour mériter de fixer l'attention de
la législature.
Vient enfin, sous le
titre « postes, » la taxe des lettres, évaluée à un chiffre de
3,100,000 fr.
C'est encore le même
principe d'inégalité qui domine. Aujourd'hui tout le monde esl d'accord sur les
vices de la législation postale. Cette législation est surannée, elle ne répond
plus aux besoins sociaux de notre époque, elle réclame une réforme radicale.
De cette réforme, qui
prend sa base dans des idées de juste répartition, résulteraient des avantages
immenses pour les diverses classes de la société. J'ajouterai que, dans
quelques années, il en résulterait encore des avantages immenses pour le
gouvernement.
Cette vérité a été
reconnue en Angleterre, en Prusse, en Autriche, en Suisse, en Danemark, en
Espagne et en France, pourquoi donc ne serait-elle pas reconnue en Belgique ?
Il résulte de calculs
comparatifs, que je pourrais soumettre à la chambre et qui sont basés sur une
extrême modération, qu'en adoptant la taxe uniforme telle qu'elle est
généralement demandée, l'administration des postes, au bout de la cinquième
année, aurait perdu, sur ses receltes actuelles 2,518,151 fr. et qu'après 10
années ce déficit serait entièrement couvert pour ne laisser ensuite que des
bénéfices considérables.
Mais, me dira-t-on,
il faut trouver actuellement dans nos ressources de quoi couvrir ce déficit
momentané, il faut au moins en faire l'avance.
Ajouter des centimes
additionnels à toutes les contributions, ce serait le moyen le plus facile,
j'en conviens, mais c'est un moyen que je ne puis adopter.
D'après moi, il faut
trouver des voies et moyens spéciaux pour combler le déficit momentané, et je
crois pouvoir en indiquer plusieurs : D'abord, ma proposition du 27 novembre
1844 tendait à frapper d'un droit poportionnel d'enregistrement « toutes
les donations entre-vifs à titre gratuit de propriété ou d'usufruit de biens
meubles ou immeubles en ligne directe ou collatérale, entre époux et entre
personnes non parentes, ainsi que celles faites aux établissements publics, aux
corporations et congrégations religieuses reconnues par la loi sous quelque
dénomination qui ce puisse être, » offrira plus de ressources au trésor
qu'on ne pourraient le croire au premier abord.
Le droit que je veux
établir, par ma proposition, est un droit des plus justes, et qui frappe la
propriété proprement dite.
Pourquoi cette proposition,
prise en considération et renvoyée en sections, dort-elle dans les cartons ?
Ensuite, pourquoi ne
pas frapper d'un droit annuel le revenu des biens tombés en main morte, de
manière à assurer au trésor un droit équivalent du droit de mutation au bout de
20 ans ?
D'après un arrêté du
roi Guillaume, les autorisations d'acceptation n'étaient données aux
établissements de main morte qu'à cette condition.
Pourquoi
n'établissons-nous pas la même disposition par une loi ?
Des sommes
considérables sont restées dues sur pied de l'arrêté du roi Guillaume ;
pourquoi n'en opère-on pas la rentrée ?
Il est vrai qu'un
arrêté du gouvernement provisoire a mis au néant l'arrêté du roi Guillaume,
mais cet arrêté ne devait opérer que pour le futur.
L'arriéré qui constitue
nos droits acquis offrirait une somme assez considérable.
Indépendamment de
cela, le gouvernement a sous la main plusieurs autres ressources.
Le prix d'achat de la
forêt de Chiny, d'origine domaniale, dont le comte de Geloes est resté
adjudicataire, est-il donc perdu ?
Qu'est devenue
l'instance que l'honorable M. Mercier a dit être pendante devant les tribunaux
relativement aux droits d'enregistrement sur un acte de transmission de la
forêt de Chiny auquel la formalité a été donnée en débet.
On se rappelle
l'interpellation sur ce point de mon honorable ami M. Delfosse, lors de la
discussion du budget des voies et moyens de 1845.
Mais voici bien autre
chose, si mes renseignements sont exacts.
En 1842, il restait
dù pour solde du prix d'acquisition une somme très considérable pour sûreté de
laquelle la forêt était hypothéquée.
Par acte reçu par
devant M. Van Bever à Bruxelles, en présence de témoins, le domaine a donné
quittance et mainlevée de l'inscription hypothécaire.
Cependant tout
n'était pas soldé, et en échange de son hypothèque, le domaine a accepté des
lettres de change dont le principal souscripteur est en déconfiture.
Il y a maintenant
instance penante à Gand, au sujet de ces lettres de change.
Toutefois la
propriété de la forêt a passé à d'autres mains.
Que fera-t-on
définitivement pour récupérer le prix d'achat qui nous serait si utile dans les
circonstances actuelles ?
Il existe encore
plusieurs autres créances à charge de villes, d'établissements publics et de
particuliers.
Qu'est devenue entre
autres, la créance à charge de la ville de Louvain de 87,5000. fl, en fr.
185,185 fr. 18 cent., résultant de deux arrêtes royaux des 3 et 29 août 1825,
sur laquelle il n'a été remboursé que 4,232 fr. 80 cent., antérieurement aux
événements politiques de 1830 ?
Ces avances ont été
faites à la ville de Louvain, à charge d'approprier les bâtiments nécessaires
au Collège philosophique.
Aujourd'hui ces
bâtiments sont occupés par l'université libre, qui a en sa possession les
nombreuses collections de l'ancienne université de Louvain, toutes propriétés
de l'Etat.
M. le ministre répondra
sans doute, comme par le passé, que cette affaire est en instruction ; mais
elle s'y trouve depuis six ans, et tous les semestres, elle est rappelée par
les fonctionnaires chargés de la surveillance et du recouvrement des deniers
publics, sans qu'elle reçoive une solution.
Sur ma réclamation,
il a été décidé, en 1839, qu'une commission serait nommée pour rechercher
toutes les propriétés de l'Etat. Rien n'a été fait. Pourquoi cette inaction ?
Quels sont les motifs
qui s'opposent au recouvrement d'une autre créance de 25,000 fl. P.-B., ou
52,900 fr. 03 c, résultant d'une avance faite à la même ville, par arrêté du 13
mars 1831, stipulée remboursable en cinq payements égaux, à partir du 13 mars
1832 ?
Rien n'a été
remboursé ni en capital, ni en intérêts.
Que devient la
créance de 225,877 fr. 64 c. à charge de la ville d'Ostende, pour droits de
pilotage perçus par ladite ville depuis décembre 1830 jusqu'au 30 juin 1839 ?
Que devient la créance
à charge des hospices de Bruxelles, se montant à 233,804 fr. 23 c. ?
Que devient la
créance à charge de la société de Guatemala, pour vente de fusils et canons, il
y a deux à trois ans, pour frais de deux navires mis à sa disposition, etc. ?
La somme à provenir de cette créance pourrait venir très à propos pour aller
chercher le restant de la colonie, le petit nombre de nos malheureux
compatriotes qui ont survécu à la misère et qui n'attendent que la mort.
Que deviennent enfin
les créances à charge de plusieurs particuliers très solvables auxquels des
avances considérables ont été faites à charge d'intérêt à 4 p. c ?
Si nos renseignements
sont exacts à l'égard d'un de ces particuliers, on s'est contenté du
remboursement du capital et on lui a fait remise des intérêts de onze années.
Un autre particulier,
solvable aussi, a été condamnéà payer à l'Etat 52,000 francs et ce par tous les
degrés de juridiction. Qu'est devenue cette créance ?
Il y a bien d'autres
créances encore que nous ferait connaître exactement le tableau que nous avons
demandé depuis longtemps avec les titres à l'appui.
Dans tous les cas,
nous venons d'indiquer plus de ressources, plus de voies et moyens spéciaux
qu’il n'en faut pour couvrir le déficit momentané qu’amènerait la reforme postale
si généralement sollicitée. L'on voit que de nouveaux centimes additionnels ne
sont pas nécessaires pour arriver à ce but.
Messieurs,
ici je m'arrête ; je crois en avoir dit assez pour le moment.
J'ai renouvelé les plaintes
que j'ai faites les années précédentes, et en le faisant peut-être sans
résultat, j'aurai du moins rempli une tâche que je considère comme d'autant
plus sacrée que l'occasion de nous occuper des intérêts des masses ne nous est
réellement offerte que très rarement dans une session.
M. le ministre des finances (M.
Malou).
- Messieurs, j'ai écouté avec une grande attention la critique de tout notre
système d'impôts, qui a été reproduite par l'honarable préopinant. Notre législation financière tout entière, sauf peu
d'exceptions, repose sur le principe de l'impôt proportionnel ; et, pour les
résumer en peu de mots, les observations qui viennent d'être faites tendraient
à substituer au principe de l'impôt proportionnel le principe de l'impôt
progressif.
(page 291) L'impôt proportionnel atteint-il, comme le croit
l'honorable membre, les classes inférieures de la société, ou bien atteint-il
directement la propriété sous quelque forme qu'elle se présente ? Voilà la
première question.
Eh bien, messieurs,
en entrant dans la réalité des choses, en appliquant les principes de notre
législation aux faits, vous trouverez que partout l'impôt proportionnel atteint
la propriété.
Comment, en effet,
peut-on dire que la contribution foncière n'atteint pas la propriété ? Mais,
messieurs, lorsqu'un impôt se perçoit, faut-il faire attention à la main qui le
verse au trésor, ou bien, faut-il faire attention à la nature de l'impôt ?
Qu'est-ce que le contrat qui intervient entre le propriétaire et le fermier ?
C'est un partage de la rente de la terre ; et quelles que soient les
conventions faites entre le propriétaire et le fermier pour le payement
matériel de la contribution, il est évident que l'impôt pèse sur la propriété
et non pas sur celui qui le verse au trésor en déduction de la rente qu'il doit
au propriétaire.
La contribution
personnelle ? Mais la contribution personnelle se paye encore à raison de la
possession des bases, et la possession des bases n'est-elle pas le signe
représentatif de la propriété ? Le principe même de la loi n'est-il pas dès
lors d'atteindre la propriété dans cette forme nouvelle, la propriété mobilière
? Et, messieurs, en justifiant ainsi le principe de la loi, je crois pouvoir
m'abstenir de discuter devant vous tout l'ensemble de la législation. Ou n'a
jamais méconnu qu'il y eût des corrections à faire, des améliorations à
apporter, mais en critiquant ainsi notre système d'impôts, prenons garde
d'accréditer dans le pays une idée qui serait fatale et que je crois fausse,
l'idée que la législation serait faite au détriment des classes laborieuses.
Non, il n'en est pas ainsi ; notre système d'impôts a pour but essentiel
d'atteindre la propriété, la possession de la fortune.
Le principe de
l'impôt progressif, messieurs, est-il bien en harmonie, avec l'ensemble et avec
l'esprit de ces institutions ? Se lie-t-il, par exemple, avec notre législation
civile en ce qui concerne les successions ? Dans un pays où vous avez l'égalité
de partage des successions, l'impôt progressif n'amènerait-il pas au
nivellement des fortunes ? N'aboutirait-on pas ainsi nécessairement à un état
social qui ne convient qu'à une république ? Et en signalant cette conséquence,
je n'entends pas dire que telle soit la tendance de l'honorable membre, mais
que l'impôt progressif, et par les moyens d'exécution qu'il suppose et par les
résultats qu'il aurait, convient plutôt à une république qu'à l'ordre
d'institutions sous lequel nous vivons.
Je voudrais pouvoir
résoudre ce grand problème qui a occupé tous les ministres des finances, et qui
consisterait à atteindre toutes les bases de la fortune ; mais, messieurs, il
ne suffit pas de dire : Il faut établir une taxe sur les rentes, une taxe sur
les revenus, une taxe sur le luxe ; il faut, lorsqu'il s'agit de traduire ces
idées en faits, pouvoir indiquer les moyens pratiques d'arriver à ce résultat ;
or, c'est là que l'on a échoué jusqu'à présent.
L'impôt des patentes,
dit l'honorable membre, c'est un impôt sur le travail. Eh, messieurs, toute la
législation des patentes repose encore une fois sur le principe du prélèvement
d'une part du bénéfice de l'industrie et du commerce. Il est possible que, dans
une législation aussi vaste, aussi compliquée, on ait quelquefois atteint ce
qui n'était pas véritablement le bénéfice. Toutefois de ce que quelques erreurs
d'application peuvent exister, il ne résulte pas qu'on puisse condamner
raisonnablement le principe même de la législation.
Je crois, messieurs,
devoir me borner à ces simples observations, en ce qui concerne la critique du
système qui régit aujourd'hui les impôts en Belgique. Je répondrai quelques
mots seulement aux interpellations qui m'ont été faites au sujet de créances
que le gouvernement possède à charge de diverses villes ou de particuliers.
L'honorable membre a
pu se convaincre, par l'examen du budget, qu'aucun de ces intérêts n'avait été
négligé, et que notamment je n'avais pas oublié la seule ville que l'honorable
membre ait oubliée, la capitale.
M. Verhaegen. - Vous avez eu
raison.
M. Rodenbach. - Je l'ai nommée.
M. le ministre des finances (M.
Malou).
- Mais, messieurs, en cherchant à faire rentrer ainsi l'Etat dans les créances
qui lui sont légitimement dues, il y a des devoirs de plusieurs ordres à
remplir. Le gouvernement doit considérer quels pourraient être les effets de
l'exercice trop absolu, trop rigoureux de ses droits. Il est souvent amené, par
l'appréciation de l'ensemble de ses devoirs, à user de ménagements aussi bien à
l'égard des communes qu'à l'égard des particuliers à qui des avances ont été
faites dans des temps difficiles. Mais l'honorable membre peut être certain que
j'apporterai toujours les plus grands soins pour le recouvrement de ces droits
de l'Etat.
Une des sections de
la chambre, messieurs, m'avait adressé une demande de renseignements, quant à
la forêt de Chiuy. A la suite du rapport de la section centrale se trouve la
note que j'ai transmise à cette section. L'instance qui est actuellement
engagée me paraît, d'après cette note, être relative qu'aux droits
d'enregistrement. Du reste, je prendrai de nouveaux renseignements ;
l'honorable membre doit m'excuser, si je ne puis entrer dès à présent dans tous
les détails d'une affaire que je n'ai pas traitée dès le principe.
J'ajouterai,
messieurs, quelques observations très sommaires en réponse à une partie du
discours de l'honorable M. Delfosse.
La situation
financière, messieurs, n'est pas variable, au gré des ministres, mais elle
varie selon les faits. Ainsi, mon honorable prédécesseur, en rendant compte de
la situation telle qu'elle se présentait l'année dernière, l'a reproduite avec
la plus grande exactitude, comme je l'ai reproduite moi-même cette année. Mais
la situation a changé, et c'est ce dont l'honorable membre ne s'est pas assez
rendu compte.
Pourquoi cette
situation a-t-elle changé ? Est-ce parce que depuis quelques années dans les
budgets les évaluations n'ont pas été établies avec assez de modération ?
Est-ce parce que des demandes de crédits supplémentaires aussi considérables
que celles dont l'honorable membre a parlé, sont venues rompre cet équilibre ?
Ou bien, messieurs, n'est-ce pas parce qu'en dehors des budgets ordinaires, la
chambre a voté des sommes considérables qui ne devaient pas être demandées à
l'impôt. Je regrette, quant à moi, que l'honorable M. Delfosse, par exemple,
lorsque dans la dernière session j'ai proposé l'ajournement d'une dépense de 3,500,000
francs pour la construction du canal latéral à la Meuse, n'ait pas fait
remarquer que des dépenses pareilles venaient changer la situation générale du
budget.
Cette observation,
messieurs, qui s'applique à une somme de 3,500,000 francs, s'applique à tous
les autres faits qui ont changé la situation. C'est parce que l'on a voté pour
le chemin de fer, pour des travaux d'utilité publique, une dépense de plus de
17 millions que la situation a changé depuis l'année dernière.
Je m'associe du reste
entièrement à l'opinion de l'honorable membre, en tant qu'elle a pour objet de
démontrer que l'on doit être sobre de ces dépenses en dehors des budgets. Nous
ne pouvons pas nous le dissimuler, messieurs, c'est en quelque sorte à notre
insu et insensiblement que la situation s'est souvent modifiée ; les
conséquences ne deviennent sensibles que lorsqu'elles se résument en un
ensemble de faits, lorsque le gouvernement est amené à vous présenter la
situation générale du trésor.
Je persiste à croire,
messieurs, que dans les évaluations que j'ai eu l'honneur de soumettre à la
chambre, j'ai tenu compte autant qu'il était possible des éventualités
défavorables que l'on peut prévoir dès à présent. Ainsi, il est assez
généralement admis qu'à moins de motifs spéciaux, on se fonde, pour les
évaluations de l'exercice suivant, sur ce qu'on est convenu d'appeler les bases
des prévisions. Eh bien, messieurs, pour un grand nombre d'évaluations, je suis
resté de beaucoup en dessous des bases des prévisions. Si, pour quelques
autres, je les ai dépassés d'une somme peu importante, c'est en vertu de faits
déjà constatés, déjà acquis.
Sur un budget de 112
millions, un ou deux chiffres (peut-être même plus), peuvent ne pas être
réalisés ; mais il faut, et tels sont aussi les précédents de la chambre, il
faut apprécier dans leur ensemble les évaluations du gouvernement.
Les demandes de
crédits supplémentaires n'ont pas été aussi considérables que l'honorable M.
Delfosse l'a supposé tout à l'heure. Et puis, l'honorable membre ne tient pas
compte d'un fait qui s'est toujours produit : c'est que les crédits portés dans
les budgets ne sont jamais dépenses intégralement.
M. Delfosse. - Je l'ai dit.
M.
le ministre des finances (M. Malou). - D'après un tableau joint à la situation du
trésor pour les exercices clos, je crois me rappeler que l'économie la moins
considérable s'élève à 1,800,000 fr.
Je résumerai ces
observations en peu de mots : sans nier la possibilité d'introduire
successivement, mais avec prudence, quelques améliorations dans notre
législation financière, on doit cependant reconnaître que sous des formes
diverses, dans une même pensée, pour ainsi dire, cette législation est combinée
de manière à atteindre la propriété et non à atteindre les classes inférieures
de la sociélé.
La situation
financière vous a été présentée dans toute son exactitude si elle est changée
depuis l'année dernière, c'est parce qu'on a demandé à l'emprunt, pour faire
des travaux considérables, des sommes qui n'ont jamais été demandées à l'impôt,
et que ces sommes empruntées figurent dans la situation du trésor.
M. Mercier. - Messieurs,
j'aurai peu de chose à ajouter aux explications que vient de vous donner M. le
ministre des finances. Cependant je dois déclarer que je ne puis accepter le
reproche fait par l'honorable M. Delfosse aux divers ministres des finances qui
se sont succédé, d'avoir présenté la situation du trésor en vue des intérêts du
moment. Une telle conduite, messieurs, de la part d'un minisire, ne pourrait
être qualifiée en termes assez sévères.
Toujours j'ai pris
soin d'établir la situation du trésor avec la plus rigoureuse exactitude, telle
qu'elle m'apparaissait après un mûr et consciencieux examen ; aussi, messieurs,
les résultats ont prouvé qu'en général mes prévisions se sont rapprochées de
très près de la réalité en ce qui concerne les recettes J'ai en outre pris à
tâche d'indiquer d'avance les dépenses prévues qui ne pouvaient figurer au
budget au moment de sa présentation.
L'honorable M.
Delfosse me paraît avoir confondu tout à l'heure dans la critique à laquelle il
s'est livré la situation générale du trésor résultant de tous les exercices
réunis, avec l'équilibre annuel entre les recettes et les dépenses ordinaires.
La situation générale du trésor a été effectivement améliorée par les valeurs
qui nous ont été restituées à la suite du traité avec les Pays-Bas. Mais cette
circonstance n'a exercé qu'une influence très secondaire sur l'équilibre entre
les recettes et les dépenses de l'Etat. L'honorable M. Delfosse a fait observer
avec raison que ces ressources ne sont pas perainentes, c'est-à-dire qu'elles
ne doivent pas se renouveler ; mais l'honorable membre devra reconnaître aussi
que jamais je n'ai fait figurer ces ressources au budget des voies et moyens
comme devant faire face aux dépenses ordinaires ; elles ont fait l'objet d'un budget
spécial de recettes et de dépenses.
L'honorable M.
Delfosse vous a cité quelques exercices qui se présentaient sous une apparence
moins favorable que lors de la présentation des comptes précédents.
M. Delfosse. - Tous.
M. Mercier. - Il ne suffit pas
d'énoncer des chiffres ; il faut les expliquer, parce que des revirements
d'exercice ou d'autres circonstances (page
192) apportent des changements dans certains résultats qui au premier
aspect paraissent moins favorables, tandis que la situation générale se trouve
véritablement améliorée, si l'on veut bien apprécier les faits.
L'honorable M.
Delfosse a oublié que maintes fois dans les discussions précédentes, lorsqu'il
s'est agi de l'équilibre financier, j'ai dit qu'il était bien entendu que les
crédits extraordinaires que l'on votait pour des travaux publics, ne devaient
pas être compris dans la balance des recettes et des dépenses ordinaires. Si je
n'avais pas souvent reproduit cette observation, peut-être l'honorable membre
aurait-il quelque raison de prétendre que je n'ai pas présenté la situation
financière dans son véritable jour ; mais ce reproche ne peut m'être adressé
après les explications qui ont été données à différentes reprises.
Pourquoi la situation
du trésor paraît-elle moins favorable aujourd'hui qu'il y a un an ? C'est parce
qu'au commencement de 1843 plusieurs crédits considérables ont été ouverts pour
différents travaux publics qui vont augmenter ou améliorer le domaine de
l'Etat.
Ainsi, par la loi du 5
mars 1845, la chambre a alloué une somme de 500,000 fr. pour rétablir la
circulation sur la section du chemin de fer de Louvain à Tirlemont et pour y
effectuer de nouveaux travaux. La chambre alors a entendu que cette dépense
devait être considérée comme extraordinaire.
Par la loi du 6 avril
1845, vous avez accordé un crédit de 1,400,000 fr. pour la construction d'un
canal de navigation tendant à mettre la ville de Turnhout en communication avec
le canal de la Campine. On ne prétendra pas qu'une telle dépense doive être
comprise dans les dépenses ordinaires.
Par une autre loi du
mois d'avril 1845, une somme de 7,960,000 fr. a été votée pour divers travaux
aux chemins de fer de l'Etat,
Une autre somme de
3,500,000 fr. a encore été allouée pour la construction du canal de navigation
latéral à la Meuse, de Liège au canal de Maestricht, et une dernière somme de
un million pour l'acquisition de trois paquebots à vapeur.
Voilà, messieurs,
pourquoi la situation générale du trésor se présente, en apparence, d'une manière
moins favorable que pour l'exercice précédent. Mais, je le repète, il a
toujours été entendu que ces diverses dépenses seraient couvertes par l'emprunt
ou par d'autres moyens extraordinaires aussitôt que les circonstances le
permettraient.
Si ces faits ne
s'étaient pas produits, si l'on n'avait pas consenti à des dépenses qui doivent
au surplus se transformer en valeurs domaniales, la situation se présenterait
sous un aspect plus favorable que lorsque je l'ai exposée en 1844,
c'est-à-dire, que si la réalité diffère de mes prévisions, c'est dans un sens
contraire aux observations de l'honorable membre auquel je réponds.
Que l'on veuille bien
examiner les chiffres de l'exposé, se rendre compte des causes qui les
modifient et l'on reconnaiira que la somme que j'ai indiquée comme étant
l'excédant général des dépenses sur les recettes est supérieure à l'excédant
qui existe réellement pour les mêmes exercices, sauf toujours les dépenses
extraordinaires dont je viens de parler.
Telles sont, messieurs,
les explications que m'ont paru nécessiter les observations de l’honorable M.
Delfosse.
Quant à celles qui
ont été présentées par l'honorable M. Verhaegen sur nos impôts, je puis me
référer à ce qu'a dit M. le ministre des finances en ce qui concerne les
principes généraux qui leur servent de base, tout en reconnaissant qu'ils sont
susceptibles d'améliorations que le temps permettra d'y introduire
successivement.
L'honorable membre a
parlé entre autres du droit de consommation sur les boissons distillées ; cette
taxe forme une exception au système proportionnel adopté pour tous nos impôts,
mais je rappellerai le but moral que la chambre a eu en vue lorsqu'elle a voté
ce droit : elle n'a pas voulu imposer les débitants d'après le plus ou moins de
bénéfice qu'ils recueilleraient de la vente des boissons. Mais elle a eu en vue
de restreindre leur nombre. Peut-on maintenant établir l'impôt sur la base
commune ? Veut-on que chaque débitant paye en proportion de ses profits ? Alors
se présentera l'alternative de perdre les deux tiers du produit ou de
rencontrer de très grandes difficultés d'exécution ; pour apprécier
l'importance du débit, des recensements, des visites, des documents à la
circulation deviennent indispensables ; il faut entrer dans une foule de
formalités devant lesquelles on reculera ; le but qu'on s'est proposé en
portant la loi ne serait d'ailleurs plus atteint.
Quant à la réforme
postale, je demande aussi que le gouvernement veuille bien s'en occuper, mais
je désire qu'il le fasse avec prudence et maturité. En Angleterre, beaucoup de
bons esprits, qui reconnaissent qu'une réforme était nécessaire, ont blâmé ce
qui a été fait. Mac Culloch, notamment, a trouvé qu'on était tombé d'un extrême
ou plutôt d'une absurdité dans une autre en adoptant pour toutes les lettres du
poids d'une demi-once, le droit uniforme et exigu d'un penny. Lorsque la loi
sur la réforme postale a été discutée dans ce pays, on a soutenu que les
ressources du trésor n'en seraient point altérées, du moins après quelques années
d'application du nouveau système, et cependant le revenu net de la taxe a été
réduit de plus des deux tiers ; au moment où je parle, cet état de choses
subsiste encore. Le produit brut de la taxe des lettres était en 1839 de
2,346,000 livres sterling, et en 1844, le même produit, resté stationnaire
depuis 1842, n'était plus que de 1,535,000 liv. D'un autre côté, la dépense
s'est accrue considérablement sous le nouveau régime ; il est à observer en
outre, qu'antérieurement il était accordé beaucoup de franchises qui n'existent
plus aujourd’hui ; sous l'un et l'autre régime des restitutions sont opérées
aux administrations publiques. Si l'on déduit de la recette brute les frais de
perception et d'administration et Jcs restitutions, le produit net reste pour
1839 de 1,614,000 liv. sterling et pour 1844 de 438,000 liv. de sorte qu'il y a
une diminution de 1,176,000 liv. st. c'est-à-dire de près de 50 millions de
francs.
En
soumettant ces observations au gouvernement, il est loin de ma pensée de le
détourner de s'occuper d'un projet de réforme postale ; je suis convaincu, au
contraire, qu'il y a de grandes améliorations à apporter au régime actuel ;
mais j'ai cru accomplir un devoir en lui signalant l'écueil qu'il doit chercher
à éviter ; il importe de ne pas altérer les revenus du trésor d'une manière
trop sensible et de ne pas se mettre dans la nécessité d'avoir recours, pour
combler un nouveau déficit, à des impôts qui pourraient être beaucoup plus
difficiles à supporter que la taxe postale elle-même.
M. Delfosse. - Je demande la
parole.
M. de Theux. - L'honorable
député de Bruxelles a conseillé au gouvernement d'introduire, à l'instar de ce
qui s'est fait en Angleterre, une taxe sur le revenu. Quant à nous, messieurs,
nous serions très charmé de voir introduire une semblable taxe, si elle était
praticable ; mais je dois faire observer à l'honorable membre que la
proposition qu'il soumet aux méditations du gouvernement, va droit à l'encontre
des intérêts qu'il veut protéger. En effet, messieurs, cette taxe, dans l'opinion
de l'honorable membre, doit atteindre tous les revenus de quelque nature qu'ils
soient, y compris même ceux d'avocat. Eh bien,si tous les revenus mobiliers
étaient soumis à la même taxe que le revenu foncier, je ne crains point de dire
que le commerce, l'industrie, le barreau seraient taxés à une somme décuple de
celle qu'ils supportent aujourd'hui, et que cette somme viendrait directement
en défalcation de celle qui frappe la propriété foncière. La taxe que propose
l’honorable membre n'est point d'invention nouvelle ; c'était le droit commun
au moyen-âge, et je suis très surpris que l'honorable dépulé de Bruxelles
veuille ressusciter une taxe abolie depuis plusieurs siècles, et que les
gouvernements les plus forts n'ont pu maintenir. Cette taxe, messieurs, en tant
qu'elle concerne les revenus mobiliers, a suscité de si graves difficultés, des
émeutes si fréquentes qu'on a été forcé de l'abandonner. Aussi, comme je le
disais, en ressuscitant cette taxe on frapperait au cœur toutes les classes que
l'honorable député de Bruxelles veut favoriser.
La propriété
foncière, messieurs, paye un dixième et au-delà de son revenu ; elle est taxée
dans son capital, alors que la propriété mobilière ne l'est pour ainsi dire
d'aucune manière. Le droit de succession, aujourd'hui que le serment est aboli,
frappe à peu près exclusivement la propriété foncière. Tous les droits de
mutation que l'honorable membre a condamnés, les droits d'enregistrement, les
droits de transcription, les droits d'hypothèque frappent encore exclusivement
la propriété foncière. Si l'on additionnait ces différentes taxes, on verrait
que la propriété foncière paye 19 alors que la propriété mobilière ne paye pas
1.
L'honorable membre a
parlé de la révision de la loi sur l'impôt personnel, mais lorsque l'honorable
M. Smits a proposé cette révision les réclamations ont surgi de toutes parts ;
il semblait que la révision était proposée uniquement dans l'intérêt des riches
et qu'elle allait frapper les classes inférieures. Aujourd'hui c'est au nom des
classes inférieures que l'honorable membre regrette la retrait de cette
loi. Il me semble, messieurs, que depuis
deux ans l'opinion a fait d'immenses progrès.
Je ne pense point,
messieurs, que l'impôt personnel ne soit susceptible d'aucune amélioration,
mais il y aurait beaucoup de choses à dire s'il fallait suivre l'honorable
membre dans tous les détails dans lesquels il est entré. Je pense que la
discussion de cette question n'étant pas à l'ordre du jour, ce serait abuser du
temps de la chambre que de suivre l'bonorable membre sur ce terrain.
L'honorable membre a
parlé encore de la réduction des droits de douane sur les vins. Il semblerait
que cette réduction a été introduite dans l'intérêt des classes aisées. Il n'en
est point ainsi ; jamais on n'a entendu aucune personne faisant usage de vin,
réclamer la diminution des droits de douane. Mais pourquoi cette diminution
a-t-elle été introduite dans le traité avec la France ? Pour venir au secours
de la classe nécessiteuse dans les Flandres, pour venir au secours de
l'industrie linière. D'ailleurs, la diminution d'impôt qui en résultait a été
compensée d'une autre manière ; car plusieurs taxes nouvelles ont été
introduites depuis lors, et je ne pense pas que ces taxes frappent spécialement
sur les classes ouvrières.
L'honorable membre
veut introduire un impôt progressif. Déjà, messieurs, cette question a été
souvent traitée, et je pense qu'il a été démontré que cet impôt n'est pas
susceptible d'être introduit comme l'entend l'honorable membre.
Cependant, quant à
moi j'approuve de tout mon cœur les différences que le gouvernement des
Pays-Bas a introduites en faveur des classes inférieures à l'égard de certains
impôts. Ainsi pour le droit de succession, exemption de tout impôt lorsque la
succession ne s'élève pas au-dessus d'une certaine somme. Ainsi exemption de
l'impôt sur les maisons lorsque la valeur localive est au-dessous de 20
florins. C'est ainsi encore qu'un seul domestique paye moins que chacun des
domestiques de celui qui en a plusieurs. Il en est de même de différents autres
impôts. Voilà, messieurs, des dispositions auxquelles j'adhère entièrement ;
mais quant à la taxe progressive demandée par l'honorable député de Bruxelles,
pour qu'elle eût quelque efficacité, elle devrait être progressive dans une
proportion énorme, et qu'en résulterail-il ? Ce qui est arrivé en Angleterre,
c'est que bien des personnes fuiraient un pays où elles ne trouveraient plus de
sécurité, où leur fortune serait en quelque sorte livrée à l'arbitraire de
certaines commissions chargées de répartire cette taxe progressive. Je crois
donc, messieurs, que quant on veut parler d'une taxe progressive, il faut le
faire avec une modération extrême, qu'il faut se borner à introduire, autant
que les circonstances le (page 293)
permettent, des ménagements pour les classes tout à fait inférieures. Quant aux
autres classes de la société, il est juste que chacun paye dans la proportion
de ce qu'il possède. Voilà ce qu'il faut faire, en frappant toutefois de droits
plus forts les objets de consommation plus précieux. Cette distinction, je
l'admets volontiers parce qu'alors chacun paye dans la proportion de ce qu'il
consomme.
Messieurs je n'en
dirai pas davantage ; mais il m'était impossible de laisser passer sans
quelques mots de réponse les observations faites par l'honorable député de
Bruxelles, en ce qui concerne la propriété foncière et la taxe sur les revenus.
Je pense avoir démontré à la dernière évidence que la taxe sur les revenus
serait tout à fait avantageuse aux propriétaires et qu'elle amènerait dans le
pays de funestes commotions. Je ne crois pas trop dire en me servant de ce
terme.
PROJET DE LOI PORTANT FIXATION DU CONTINGENT DE L’ARMEE POUR L’ANNEE
1846
PROJET DE LOI TENDANT A RENDRE INALIENABLES LES PENSIONS DES VEUVES, LA
SOLDE ET LA MASSE DES SOUS-OFFICIERS ET LES FONDS DEPOSES POUR LES REMPLACANTS
M. le ministre de la guerre (M.
Dupont) présente un projet de loi fixant le contingent de
l'armée pour l'année 1846 et un projet de loi tendant à rendre inaliénables les
pensions des veuves, la solde et la masse des sous-officiers et soldats, les
fonds déposés pour les remplaçants, etc.
- Il est donné acte à
M. le ministre de la guerre de la présentation de ces projets de loi qui seront
imprimés et distribués.
La chambre renvoie le
projet de loi du contingent de l'arméeà la section centrale du budget du
département de la guerre ; elle décide ensuite que le second projet de loi sera
renvoyé à l'examen des sections.
La séance est levée à
4 heures et demie.