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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 21 novembre 1845
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet d’adresse en réponse
au discours du trône. Discussion politique générale, question de confiance
gouvernementale, appel à l’unionisme et question des partis, formation du
nouveau gouvernement ((+prérogative royale de dissoudre les chambres) Van de Weyer, (+politique commerciale du gouvernement,
droits sur le sucre) (Osy, Malou), Dechamps, (+politique commerciale du gouvernement, droits
sur le sucre) Delehaye, (+situation de l’industrie
linière) de Villegas, Malou, de Tornaco, (+jury d’examen universitaire) de Garcia, Dolez, Dumortier, Verhaegen,
(première occurrence du mot « communisme », influence du clergé dans
l’enseignement) de Haerne)
(Annales parlementaires
de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de
M. Liedts.)
(page 75) M. de Villegas procède à
l'appel nominal à une heure un quart. La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier,
dont la rédaction est approuvée.
M. de Villegas fait connaître l'analyse des pièces suivantes.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Message
de M. le ministre de l'intérieur, accompagnant l'envoi de 96 exemplaires des procès-verbaux
des séances des conseils provinciaux pendant la session de 1845. »
- Distribution
aux membres et dépôt à la bibliothèque.
________________
« Lettre de M.
Heuschling, accompagnant l'envoi de son ouvrage intitulé : Bibliographie historique
de l'Allemagne, dont il fait hommage à la chambre. »
- Dépôt à la bibliothèque.
PROJET D’ADRESSE EN REPONSE AU DISCOURS DU TRONE
Discussion générale
M. le président. - La chambre reprend
la discussion dc projet d'adresse au Roi.
La parole est
à M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, hier à la fin de la séance, l'honorable
M. Rogier et moi, nous nous rendîmes ensemble chez la personne à laquelle on
avait fait allusion dans la discussion.
Après un long
entretien, l'honorable M. Rogier, celte personne et moi, nous sommes tombés unanimement
d'accord pour clore cet incident, et afin de n'avoir plus à y revenir, de
rédiger et de lire à la chambre la note suivante :
« J'ai eu hier soir une explication avec M. Rogier,
en présence d'une personne à laquelle il a été fait allusion à la fin de la
séance d'hier. Il résulte de celte explication que la personne dont il s'agit
n'a été chargée de faire à M. Rogier aucune ouverture relative à la composition
du cabinet, qu'il a eu avec elle une conversation le 26 juillet au soir, que
cette conversation était purement officieuse, que M. Rogier ne s'est pas opposé
à ce qu'il en fût rendu compte au Roi. Du reste, quant aux circonstances
auxquelles j'ai fait allusion pour motiver mon entrée aux affaires, nous nous
en référons l'un et l'autre aux notes lues par M. Rogier à la chambre, et qui
ont été insérées au Moniteur. »
M. Osy. - Je n'ai demandé
la parole que pour motiver mon vote, et qu'on ne se méprenne pas si j'étais
obligé de voter contre l'adresse.
En 1841, lors
de ma rentrée à la chambre, j'étais décidé à soutenir le cabinet de M. Nothomb qui
venait de se former, dans l'espoir de voir le pays se calmer, après la chute
violente du ministère de 1840. Je désirais ce calme pour voir le pays définitivement
se constituer et pour pouvoir nous occuper efficacement des réformes
commerciales et fermer toutes les plaies de la révolution.
Je votai donc
avec confiance l’adresse, mais je ne tardai pas à voir que j'avais accordé ma confiance
trop légèrement et que le ministère de 1841, au lieu d'être juste et impartial
envers les deux partis de la chambre, s'éloignait du but d'amener une fusion et
l'union ; il nous découvrit son véritable caractère lors de la présentation du
projet de loi pour nommer les bourgmestres en dehors du conseil. Au lieu de
s'arrêter là, il se laissa entraîner sans résistance par la majorité de la
chambre dans d'autres changements à nos lois organiques, et je suis persuadé
que sans l'opposition on aurait été beaucoup plus loin ; le tableau de nos
travaux arriérés prouve qu'on voulait profiter du moment pour faire des
changements tout à fait au profit d'une seule opinion. Le ministère donna à
cette occasion le triste spectacle que nous avons eu sous les yeux et qui nous
a forcés pendant quatre ans de le combattre et de le surveiller tous les
moments.
Ayant alors la
conviction que le ministère de 1841 n'avait pas de politique, mais que pour se
soutenir et rester aux affaires quand même, il se courberait toujours aux volontés
de la majorité, je déclarai publiquement que j'étais forcé de m'allier à
l'opposition, très décidé à combattre à outrance un ministère fatal au pays, qui
finirait par jeter un brandon de discorde dans le pays et rendre les partis plus
désunis que jamais.
Cette politique
tortueuse a été malheureusement suivie pendant quatre ans, non seulement pour
les intérêts moraux du pays, mais également pour les intérêts matériels, et
vous savez comment la loi des droits différentiels (page 76) a été faite, contre la
conviction du ministère et en changeant de principe du jour au lendemain, et
cela pour donner satisfaction à la droite. On voulait faire une loi pour le
commerce et on a fini par en faire une contre le commerce, et qui dans votre
métropole commerciale donne journellement lieu aux plus graves plaintes et aux
plus vives réclamations. J'ai prévu tout ce qui est arrivé, et craignant que la
politique tortueuse et sans conviction continuerait, je me suis vu forcé de
vous poser la question de confiance vers la fin de notre dernière session ; il
est vrai que numériquement le ministère a eu la majorité, mais l'indifférence
et la tiédeur de la droite auraient dû ouvrir les yeux au pouvoir.
Vous avez entendu ce que vous a dit M. le ministre des affaires
étrangères de la position qu'avait prise la droite, et les paroles de
l'honorable M. Dedecker d'hier sont également une grande leçon pour la droite,
et prouvent qu'on ne peut plus gouverner quand on a contre soi les votes de
l'opposition et l'indifférence de la majorité. Les élections du 10 juin ont mis
fin à cette mauvaise situation du pays et ont finalement ouvert les yeux au
chef du ministère, et nous avons aujourd'hui les aveux des anciens ministres,
qui font partie du nouveau cabinet, que la position prise par la droite n'était
plus tenable, et qu'il était temps de changer de système.
Donc, si lors de ma proposition de confiance, je n'ai pas eu pour moi la
majorité, les élections du 10 juin et les paroles de M. le ministre des affaires
étrangères me prouvent que j'ai rendu un immense service au pays en posant
nettement ma proposition de confiance.
Deux de nos honorables collègues d'Anvers, qui ont avec talent et persévérance
soutenu l'ancien cabinet dans les lois réactionnaires, dans le fameux vote des
cafés, et qui se sont déclarés les amis de M. Nothomb, ont été sacrifiés ; ils
n'ont plus été réélus et ont eu au-delà de 500 voix de moins que les nouveaux
élus, que le commerce vient d'envoyer à la chambre. C'est donc l'approbation de
notre conduite parlementaire, et cela nous donne des forces pour suivre avec persistance,
dévouement, mais sans ambition aucune, la même voie de franchise, mais aussi de
défiance ; et comme, en 1841, j'avais promis ce que malheureusement les
ministères Nothomb ne m'ont pas permis de tenir, je ne veux pas aujourd'hui me
trouver dans la même fausse position. Le commerce belge a trop à réclamer
contre les mauvaises lois décrétées depuis 1841, pour qu'il me soit impossible
d'accorder d'avance ma confiance au nouveau cabinet. Je suis donc obligé de
voter contre l'amendement du ministère et de m'en tenir à la proposition de
votre commission tout en faisant les vœux les plus sincères, de pouvoir sous
peu vous accorder ma confiance. Je serai toujours indépendant, |mais aussi je
serai toujours juste.
Les quatre dernières sessions me forcent de jouer le rôle d'observateur et
de rester en expectative, mais de ne pas me lier d'avance, et je dirai avec l'honorable
M de Brouckere : Je ne veux pas promettre ce que je ne pourrai peut-être pas
tenir.
J'ai voté dans le temps la nomination des bourgmestres en dehors du conseil,
dans le seul but de fortifier le pouvoir et pour ne pas lui voir imposer la
loi, persuadé, comme on nous le promettait si solennellement, qu'on en ferait
l'usage le plus discret.
Malheureusement les promesses n'ont été que des paroles et on a bien vite
dépassé le but de notre confiance ; cette loi a fait plus de mal au pouvoir que
le mal partiel et très partiel qui existait, et je suis aujourd'hui à demander
avec instance le changement de cette loi ou du moins les plus sûres garanties
contre le renouvellement de ses abus, ainsi que le retrait de toutes les autres
brèches faites, sans mon concours, aux lois organiques et que j'ai fortement
combattues, ainsi que celles à l'occasion des fraudes électorales.
Pour le jury d'examen, je désire que le mode actuel soit abandonné, et j'espère
que, pour l'instruction moyenne, le gouvernement nous prouvera qu'il ne veut
pas être exclusif, mais donner satisfaction à toutes les opinions.
L'adresse nous promet des changements si vivement réclamés, par Gand et Anvers,
à la loi des sucres ; mais la rédaction de celle phrase dans le discours du
Trône, est loin de nous satisfaire et m'oblige de rester dans la plus grande
réserve jusqu'à ce que nous connaissions la loi. Je désire qu'elle nous soit
promptement présentée, pour pouvoir l'examiner avec attention et sortir de
notre juste défiance. La dernière loi votée est un grand grief de l'industrie
et du commerce, et l'amendement introduit par un de nos honorables collègues
qui se trouve aujourd'hui sur le banc ministériel, et qui a été accepté en 1843
si légèrement par le ministère, vous prouve que la loi ne satisfait pas au
trésor ; déjà la recette de 3,500,000 fr. sur laquelle on comptait, se trouve
réduite à 2,700,000 fr., et nous pouvons prouver que l'année prochaine la
réduction sera de 2,500,000 fr.
On a donc mécontenté cette industrie importante, et votre but de trouver
de grandes ressources pour le trésor a été également déçu.
La loi différentielle a été viciée par deux propositions contraires à tout
principe.
Nous voulons favoriser les arrivages directs des pays de production, mais
par un revirement si habituel à l'ancien cabinet, on a été accorder sans aucune
réciprocité un avantage immense à la Hollande.
Ainsi, la Hollande ayant vu ce que peuvent les menaces sur nous, a fait un
tarif qui nous est tout à fait défavorable, taudis que, par des stipulations par
traité de commerce avec la France, on accorde à la France de grands avantages
qu'on refuse à la Belgique.
J'avais prévu, ainsi que tout le commerce anversois, que nous suivions encore
cette mauvaise politique, de tout accorder sans réciprocité ; l'honorable M.
Rogier et moi sommes les seuls qui n'avons pas voulu voter cette étrange
faveur. Les circonstances nous ont tellement donné raison, que le gouvernement
n'a pas osé continuer l'exception au-delà du 31 décembre prochain ; et j'espère
que, s'il n'y a pas d'inconvénient, on nous fera communication des négociations
avec la Hollande. Je ne parlerai plus des vins qui nous pouvons recevoir de la Hollande
avec la réduction de 1/4 p. c. des droits d'octroi et qu'on n'a pas accordé par
arrêté royal, par un arrêté ministériel motivé, mais par une simple lettre de
M. le ministre des finances.
Je dis que je n'en parlerai plus, parce que j'espère que si le traité avec
la France se renouvelle, on aura bien soin de stipuler que, sous le mot de frontières
de terre, il est entendu que ce ne sont que les frontières de la France.
Un autre grand grief contre la loi des droits différentiels, c'est que les
arrivages des pays de production qui ont dû toucher pour ordre dans un port de
la Manche, ne sont plus reçus qu'aux droits des entrepôts d'Europe.
Cette malheureuse stipulation que j'ai tant combattue à la grande approbation
du commerce, a déjà fait détourner de nos ports, au grand avantage de nos
rivaux commerciaux, une masse considérable de cargaisons, et a ainsi diminué
les aliments que nous pouvions apporter pour établir un grand marché à Anvers
et y attirer le commerce allemand. Aujourd'hui, Cologne ne nous ayant plus pour
concurrents, peut acheter avec avantage ces cargaisons, et au lieu de les avoir
dans nos entrepôts et de pouvoir les vendre aux consommateurs de la Belgique ou
de l'étranger, on les transporte directement du navire sur nos waggons, sans
laisser aucun bénéfice à la Belgique.
Cette malheureuse mesure est tout à l'avantage de l'étranger et à notre détriment,
car si l'étranger achète ces cargaisons sous voile, nous devons restreindre
toutes nos affaires. J'engage avec instance M. le ministre des affaires
étrangères d'examiner cette question avec la plus grande attention et de
fournir le plus tôt possible des documents officiels pour vous démontrer que cette
loi des droits différentiels n'a pas augmenté d'un seul navire notre flotte
marchande et a détourné de nous une masse considérable d'affaires.
Les pièces du procès sous les yeux, on vous prouvera, messieurs, que nous
devons revenir sur la partie de la loi qui n'a produit aucun bien et a grandi
l'étranger à nos dépens. Je pourrais citer beaucoup de cas où les fâcheuses
stipulations des relâches et de la faveur accordé à la Hollande ont détournée
de nos ports les plus belles affaires, et nos navires qui vont aux Indes
hollandaises ne peuvent pas nous en rapporter les produits, par les faveurs
accordées à la mère-patrie.
Il est donc temps de faire une réforme radicale à cette partie de la loi
; et comment accorder aveuglément ma confiance au ministère, sans connaître les
vues de M. le ministre des finances qui, même dans l'exécution de la loi, se montre
plus rigoureux que l'ancien ministère, et nonobstant les réclamations les plus
vives du commerce et sans égard aux observations de ceux qui ont été appelés à
confection des arrêtés d'exécution pour la loi du 21 juillet 1844, prend des
décisions tout à fait contraires au but qu'on s'était proposé, et à nous
accorder même ce que nous avons obtenu, quoique d'une manière très incomplète,
par la loi. - M. Nothomb, en accordant, dans des cas donnés, les relâches,
s'était servi d'un mot très élastique, le mot « pourront » au lieu de
« seront. » Aujourd'hui on veut l'expliquer par une faculté qu’aurait
le gouvernement pour nous ravir le peu de faveur qu'on a voulu positivement
nous accorder. Les explications et interprétations me font craindre que M. le
ministre des finances ne nous refuse la réforme demandée.
Je crains aussi que M. le ministre des affaires étrangères ne soit pas favorable
à nos justes réclamations, parce qu'il a pris une vive part comme ministre à la
loi qui devait être favorable au commerce et qui a été faite contre le
commerce.
Je suis persuadé que M. le ministre de l'intérieur, qui, par ses relations
en Angleterre, a pu juger des effets de celle loi, partagera ma manière de
voir, mais sera-t-il assez fort pour convertir ses collègues ?
Je ne m'expliquerai pas sur le but de la formation d'une société de commerce
; mais je puis d'avance dire qu'il ne faut pas compter sur des chances de
succès, si on ne veut pas changer efficacement la loi des sucres, qui fait presque
le fond de tous les retours à recevoir des colonies, pour les exportations de
nos produits industriels. Il faut travailler à faire une loi qui vous permette
une importation d'au moins 30 millions de kilog. et une exportation de 15
millions. Aujourd'hui, par la loi désastreuse de 1843, nos exportations sont
tombées à cinq millions et les mises en consommation dans la même proportion.
Vous voyez, messieurs, que j'ai assez de griefs pour nos intérêts matériels,
pour ne pas accorder aveuglément ma confiance au ministère, mais je désire que,
dans le cours de nos débats, tant pour nos intérêts matériels que moraux, je
puisse aller plus loin que la majorité, et qu'au lieu de confiance, je pourrai
avoir de la reconnaissance.
En attendant, une sage réserve m'est imposé, ne voulant plus, comme en 1844,
être obligé de manquer à la promesse faite au pouvoir.
Avant de finir, je dois un mot de réponse à l'honorable M. de Mérode. Il
nous a dit hier qu'il n'avait rien retranché des paroles prononcées à la tribune,
mais ce que le Moniteur contient est déjà beaucoup trop.
Si, dans la majorité, il se trouve des
libéraux, il peut être persuadé que dans la minorité il se trouve aussi
d'excellents catholiques et des personnes charitables qui pourvoiront, dans
cette année calamiteuse, aux besoins de nos frères souffrants.
La différence entre nous est, que nous ne voulons pas faire intervenir, dans
nos discussions, dans nos élections, dans les lois à faire, ce qui doit rester
en dehors et que nous voulons agir dans les intérêts de tous et non dans un
intérêt exclusif.
Qu'il nous dispense donc de nous considérer comme des rationalistes ou des
éclectiques ; si nous différons d'opinions, nous ne sommes pas moins (page 77) conservateurs que lui et nous voulons
peut-être plus que lui le maintien de la Constitution et toutes ses conséquences.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Je remercie
l'honorable préopinant d'avoir fait apercevoir, dans la question qui s'agite
devant vous, une face nouvelle, très digne de l'attention du pays.
Sans doute, les questions que l'honorable préopinant vient de soulever font
partie de la politique et d'une politique très sérieuse ; plus tard, je l'espère,
elles occuperont la chambre et l'occuperont utilement.
En ce moment, je me borne à remercier l'honorable préopinant d'avoir appelé
l'attention de la chambre sur ces questions. Mais je ne crois pas devoir entrer
dans un examen détaillé de chacune d'elles.
Ainsi, pour ne parler que de deux points, la loi des droits différentiels,
qui a été votée l'année dernière, est remise en question par l'honorable
membre, à cause de deux décisions que vous avez prises, et surtout, remarquez
bien ceci, parce que cette loi n'a pas encore créé en Belgique une grande, une
immense manne marchande. Mais en affaires commerciales, comme en affaires
politiques, ayons la patience des hommes d'Etat. Ne croyons pas qu'une loi,
comme celle des droits différentiels, puisse, du jour au lendemain, produire
les fruits qu'en attendent ceux qui l'ont votée.
La question de la relâche à Cowes a fait, de ma part, l'objet d'un examen
très attentif. Après cet examen, j'ai cru qu'il était impossible d'admettre
comme provenances directes certains navires qu'on voulait faire admettre comme
tels.
De nouvelles discussions ont eu lieu, après la décision qui avait été prise,
je me suis prêté à faire réunir une commission qui examine de nouveau dans son
ensemble, dans ses détails, la difficulté qui avait été soulevée.
Cette commission a commencé ses travaux ; les intérêts dont l'honorable membre
s'est fait l'organe y sont largement représentés. Lorsqu'elle aura terminé ses
travaux, j'examinerai encore la question. S'il m'est prouvé que je m'étais
trompé sur ce point, je serai le premier à le reconnaître.
Mais, je le répète, j'ai cru que si j'avais
admis ces navires comme provenances directes, j'aurais, par un acte
administratif, détruit toute la force, toute l'action de la loi que vous avez
votée.
Quant à la question des sucres, la chambre m'excusera si je ne me livre pas
à l'examen détaillé des divers systèmes. Le paragraphe du discours du Trône, et
le paragraphe du projet de la commission d'adresse supposent que la coexistence
des deux industries, avec une amélioration dans l'état actuel des choses, sera
maintenue et que le troisième intérêt, celui du trésor, engagé dans cette
question ne sera pas sacrifié.
Quant aux détails, aux moyens, il serait prématuré, j'allais presque dire,
il serait impossible de les discuter en ce moment.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - L'honorable M. Osy nous a dit tout à l'heure qu'il avait accordé sa confiance
au ministère de l'honorable M. Nothomb, en 1841. Je croyais qu'il allait
annoncer qu'il tiendrait une conduite analogue à l'égard du ministère actuel.
Mais l'honorable membre, sans vouloir donner à son vote aucun caractère de
défiance vis-à-vis du cabinet, n'acceptera pas le paragraphe additionnel que nous
avons proposé. Est-ce à cause de la formation du ministère ? Est-ce à cause
d'actes que nous aurions posés ? Non ; il vient de le dire, c'est à cause des
actes qu'ont posés les ministères de 1841 et de 1843. Il nous refuse sa confiance,
parce que, selon lui, il a été trompé dans ses espérances, en 1841.
Nous avons eu l'occasion de le déclarer plus d'une fois, et je regrette qu'on
paraisse se complaire dans cette équivoque ; le ministère ne vous demande pas
une confiance anticipée pour des actes qu'il n'a pas posés. Il serait absurde d'avoir
une telle exigence. Mais ce qu'il demande, c'est un appui moral que tout ministère
a demandé et a presque toujours obtenu depuis 1830.
L'honorable M.Osy a rappelé des faits concernant les deux ministères de 1841
et 1843. Je ne veux pas revenir sur ces débats épuisés. J'ai eu l'occasion plus
d'une fois de dire ma pensée tout entière à cet égard. M. Nothomb n'a pas besoin
d'une nouvelle défense, que l'avenir se chargera de présenter.
Je ne m'attacherai à répondre qu'à un seul fait, celui de la loi des droits
différentiels.
J'ai été étonné d'entendre l'honorable membre vous dire que le ministère
précédent avait soutenu la loi des droits différentiels pour donner une satisfaction
à la droite.
Mais, il vous en souvient à tous, messieurs, l'exception relative aux sept
millions de kilogrammes de café, a été réclamée par les députés de Liège ; et
je ne pense pas qu'on puisse comprendre MM. Delfosse et Tornaco parmi les membres
de la droite.
Relativement à la question de la relâche à Cowes, mon honorable collègue,
M. le ministre des finances, vient de vous dire qu'il n'avait pas pu appliquer
la loi autrement qu'il ne l'a fait. Mais en présence des réclamations du
commerce d'Anvers, comme ministre ayant le commerce dans mes attributions, malgré
l'opinion que j'ai défendue dans cette chambre, je me suis empressé de nommer
une commission où le commerce d'Anvers a pour représentants deux de ses notabilités
commerciales. J'ai soumis de nouveau à un examen approfondi la question de la
relâche à Cowes. Si cette commission, éclairant le gouvernement, prouvait au
ministère qu'on s'est trompé en 1844, je ne ferais nulle difficulté de revenir
sur l'opinion que j'ai défendue.
Mais jusqu'à ce que l'examen de cette question soit complet, le ministère
doit faire exécuter la loi, telle qu'elle a été votée. La discussion dans la
séance d'hier s'est trop prolongée pour me permettre d'ajouter aux observations
déjà si complètes que mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur
avait faites en réponse au discours de l'honorable M. Devaux, ne m'avait pas
permis, dis-je, d'ajouter quelques réflexions que ce discours m'avait
suggérées.
La chambre me permettra de revenir sur ce discours, l'un des plus remarquables
certainement qui ont été prononcés dans cette discussion solennelle.,
Quand on interroge M. le ministre de l'intérieur (a dit l'honorable M. Devaux)
sur ce qu'il était en 1845, il nous répond, en nous disant ce qu'il était en
1830.
Lorsqu'on demande au ministère, a-t-il ajouté, de définir les partis nouveaux,
il répond en définissant les partis anciens.
L'honorable M. Devaux a prétendu que la politique de transaction, de conciliation
a été inaugurée pour la première fois par M. Nothomb, en 1841. Il a soutenu que
la lutte catholique et libérale ne datait que de cette époque, comme lutte
organisée.
C'est là, selon moi, une profonde erreur.
L'honorable membre a oublié tout ce qui s'est passé avant 1840 ; il a reproché
au gouvernement de nier les partis nouveaux ; je pourrais lui faire le reproche
de méconnaître les partis anciens.
L'honorable M. Devaux ne veut assigner de date à la formation définitive
de l'opinion libérale en Belgique que celle où lui-même il s'est placé à la tête
de cette opinion, que, pendant dix ans, il avait combattue. Cette thèse peut
être commode pour justifier la position que M. Devaux a prise depuis quatre
ans, mais elle n'est pas juste.
La lutte catholique-libérale existait, messieurs, vive en 1830, plus vive
qu'elle ne l'est aujourd'hui. En 1830, pendant les discussions solennelles du
congrès, une minorité libérale existait forte de 60 voix. Cette minorité libérale,
par ses principaux organes, avait déjà déclaré, en 1830, que l'union catholique-libérale
qui avait pu être nécessaire pour dissoudre le royaume des Pays-Bas, n'était
plus nécessaire pour fonder la Belgique nouvelle.
Ces mots ont été prononcés alors à cette tribune.
Cette minorité libérale, permettez-moi de vous le rappeler, ne voulait pas
de notre Constitution telle qu'elle est aujourd'hui écrite. Elle ne voulait ni
de la liberté des cultes, ni de la liberté religieuse, ni de la liberté d'enseignement,
ni de la liberté d'association, telles que ces libertés sont définies dans
notre charte fondamentale. Cette minorité voulait, et elle le déclarait par
l'organe de M. de Facqz, que l'Etat primât l'Eglise. Elle repoussait la
séparation entre l'Eglise et l'Etat. Elle ne voulait pas de la liberté de
l'enseignement par peur de ce qu'on appelait déjà alors les empiétements du
clergé. Elle combattait la liberté d'association par peur des associations
religieuses.
Messieurs, pendant cette lutte si vive non pas sur des questions accessoires
comme aujourd'hui, mais sur des questions fondamentales et qu'on avait crues
insolubles, où se trouvait l'honorable M. Devaux ? Il était associé à l'opinion
catholique avec quelques-uns de ses amis ; il lui était associé pour combattre
cette minorité libérale du congrès dont les doctrines et les tendances
n'étaient pas les siennes.
Messieurs, je ne faisais pas partie du congrès, mais je me souviens de l'impression
qu'a produite alors une scène que vous me permettrez de rappeler, parce qu'elle
est glorieuse, une scène qui avait frappé tous les esprits.
Le jour même où les échos de cette tribune retentissaient encore de paroles
de protestations contre les libertés fondamentales sur lesquelles notre Constitution
repose, la discussion fut ouverte sur la liberté de la presse. On vit monter à
cette tribune les membres du clergé qui faisaient partie du congrès, pour
défendre l'amendement que l'honorable M. Devaux avait présenté, et qui tendait
à donner une signification plus large à la liberté de la presse que celle que
présentait la rédaction admise par le comité de la Constitution. On a vu M.
l'abbé Verduyn, M. l'abbé Desmet, M. l'abbé de Haerne, notre collègue
aujourd'hui, soutenir, avec la majorité, franchement, la liberté de la presse
la plus étendue. Un membre de cette fraction libérale du congrès, en voyant la
conduite tenue par le clergé dans le congrès, s'est écrié : « Les catholiques
sont fidèles envers nous, eh bien, soyons donc fidèles envers eux. »
Messieurs, la minorité libérale du congrès a soutenu cette lutte avec tant
d'énergie, avec tant de persistance, que lorsque la majorité du congrès s'est
prononcée pour la liberté des cultes, pour la liberté des associations, pour la
liberté de l'enseignement telle qu'elle existe, telle que nous avons juré de
l'observer, cette minorité est venue demander que son vote négatif fût inséré
dans les procès-verbaux du congrès, comme protestation permanente contre ces
libertés écrites dans notre Constitution et dont elle ne voulait pas. (Mouvement.)
Permettez-moi, messieurs, un rapprochement. Certainement, je n'irai pas jusqu'à
dire que le parti de la minorité libérale du congrès est encore vivant, certainement
ce parti n'est pas au moins représente dans cette enceinte, puisque chacun de
nous a juré fidélité à la Constitution ; mais le rapprochement que je vais
faire, fait naître plus d'un enseignement : lorsqu'on examine à fond,
sérieusement les griefs actuels d'une fraction de l'opinion libérale contre le
clergé on est forcé de reconnaître que ces griefs se résument dans l'usage que
le clergé fait de nos franchises constitutionnelles.
La liberté d'enseignement ? Eh bien, messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur
vous le rappelait hier, on a beaucoup parlé de ce qu'on nomme les empiétements,
les envahissements du clergé, en fait d'instruction publique ; mais
qu'entend-on par là ? Reproche-t-on aux catholiques de vouloir proposer des
lois pour restreindre cette liberté au détriment de l'opinion (page 78) libérale ? Veut-on dire que les
écoles primaires, les collèges el l'université, créés par le dévouement des catholiques,
réclament le concours du trésor public ? Non, messieurs, ce qu'on appelle les
empiétements du clergé n'est, au fond, que l'usage môme de la liberté
d'instruction.
La liberté des associations ? N'est-ce pas un grief de cette fraction de
l'opinion libérale contre l'opinion catholique, que le nombre des associations
religieuses qui se sont élevées depuis 1830 ? Ce grief ne veut-il pas dire :
« Nous voulons bien que la liberté d'association soit écrite dans la Constitution,
mais à une condition, c'est que vous n'en usiez pas.»
La liberté de la presse ? Messieurs, cette liberté on la veut large, complète,
sans limites pour la presse libérale, mais lorsqu'un évêque s'avise d'écrire,
on lui en fait un reproche. Les ouvrages el les mandements des évêques
excitent, dit-on, l'opinion publique contre eux : ils devraient renoncer à cet
usage de la liberté de la presse ; et à cette condition, on ne trouve pas mauvais
qu'elle reste écrite pour eux dans la Constitution.
La liberté électorale ? Pendant bien des années un grief de l'opinion libérale
n'a-l il pas été ce qu'on appelait : « Le clergé électoral. » Je n'examine pas
s'il est de l'intérêt du clergé de se mêler aux luttes civiles, c'est une
question d'appréciation pour lui ; mais je dis que dans la bouche des hommes
appartenant à l'opinion libérale, ce reproche ne peut avoir d'autre sens que celui-ci
: « La liberté électorale est écrite dans la Charte, mais c'est à la condition
que vous n'en usiez pas. »
Nier l'usage même des libertés constitutionnelles, n'est-ce pas arriver au
même résultat que celui que voulait atteindre la minorité du congrès en retranchant
ces articles de la Constitution ? Si une telle doctrine parvenait à prévaloir,
la protestation insérée dans les procès-verbaux du congrès serait, en effet,
devenue permanente.
Ainsi, messieurs, en 1830, pendant notre première période politique, la lutte
catholique-libérale existait, mais l'honorable M. Devaux et ses amis se trouvaient
à côté de l'opinion catholique modérée pour repousser ce que j'appelle les
exagérations de l'opinion libérale à cette époque.
Messieurs, depuis lors, en 1834, lorsque l'honorable M. Lebeau était aux
affaires, cette lutte a l-elle cessé ? Mais l'honorable M. Lebeau a défini son programme
en deux mots, qui ont souvent retenti à cette tribune ; il a dit, en 1854 :
« Je plante ma bannière au centre. » De quel centre entendait-il parler ?
Etait-ce le milieu entre la majorité et la minorité, constituées sur la
question diplomatique, sur les questions d'organisation intérieure ? Evidemment
non, il n'a pas planté sa bannière entre la majorité et l'opposition ; il l'a plantée
dans la majorité pour résoudre ces questions, mais lorsqu'il disait qu'il
plaçait sa bannière au centre, il entendait ce milieu établi entre les
exagérations des deux partis.
Messieurs, a-t-on oublié que le ministère de Theux a été poursuivi pendant
sept années comme un ministère catholique, comme un ministère rétrograde, comme
un ministère réactionnaire ?
Ne lui a-t-on pas appliqué aussi toutes les épithètes que l'on prodiguait
à l'honorable M. Lebeau, en 1834, et que l'on a reproduites depuis contre le
ministère Nothomb, en 1842 ?
Ainsi, messieurs, en 1830, la lutte catholique libérale existait comme aujourd'hui,
et si, dans cette enceinte, elle était moins vive, elle l'était peut-être
davantage au dehors.
Eh bien, messieurs, en 1837, pendant le ministère de Theux, où était l'honorable
M. Devaux=, Il était dans la majorité, dans la majorité mixte qui a appuyé le
ministère de Theux pendant sept années. Il est vrai, messieurs, qu'avec peu de
reconnaissance et de justice, après avoir appuyé ce ministère pendant si
longtemps, l'honorable M. Devaux le qualifia plus tard de parenthèse vide. (Interruption.)
En 1837, si je ne me trompe, une grande manifestation libérale eut lieu,
une fraction de l'opinion libérale écrivit alors sur son drapeau les mots de : « réforme
électorale » qui est encore aujourd'hui le premier article de son
programme futur. Alors un pétitionnement s'est étendu à toutes les villes du
royaume. Cette manifestation de l'opinion libérale était éclatante.
Eh bien, messieurs, où se trouvait alors l'honorable M. Devaux ? Il se trouvait
à côte de ceux qui combattaient la réforme électorale.
L'honorable M. Devaux s'est donc trompé en disant que cette lutte organisée
n'avait pas existé sérieuse avant 1840 ; que la politique des ministères de
conciliation avait été inventée en 1841. Mais, messieurs, il est une chose plus
vraie, c'est que la politique des ministères homogènes a été inaugurée par M.
Devaux en 1840. Cette politique a été inventée en 1840, et en présence de quels
faits, messieurs ? En présence de celle ancienne majorité dans les deux
chambres, forte, nombreuse, ancienne, composée d'éléments mixtes, alors
qu'aucun fait, que rien au monde n'indiquait la nécessité de changer de
système. Voilà, messieurs, dans quelles circonstances l'honorable M. Devaux a
inauguré la politique des ministères homogènes.
L'honorable M. Devaux a pensé, en 1840, que les vieux partis devaient être
dissous, qu'il fallait constituer des partis nouveaux. Il l'a voulu sans réfléchir
qu'il n'y avait pas de chambres pour ce système, sans réfléchir que, pour
établir ce système, il fallait procéder par dissolutions el j'ajoute par dissolutions
successives.
En effet, il doit être évident pour ceux qui connaissent les éléments dont
les chambres sont composées, les éléments du corps électoral lui-même, il doit
être évident que si, à l'aide d'une dissolution, l'on aurait peut-être obtenu
dans cette chambre une majorité numérique, il y avait des difficultés insurmontables,
une impossibilité d'obtenir une pareille majorité dans le sénat. Là était,
messieurs, le danger de cette situation, que l'on n'avait pas prévu.
C'était donc inévitablement par des dissolutions qu'on voulait en 1841, qu'on
devait vouloir réaliser ce système homogène qu'on défend aujourd'hui. On aurait
dû livrer le pays à des luttes ardentes, passionnées, et c'est probablement
dans ces luttes que l'honorable M. Devaux voulait retremper l'opinion
catholique qu'il déclare aujourd'hui épuisée et qu'il veut conserver forte dans
l'avenir !
L'honorable membre a pensé en 1840 que les questions diplomatiques étant
résolues, il ne restait plus comme aliment à l'activité politique que de faire reposer
le fond même de la politique intérieure du pays sur la division entre les
catholiques et les libéraux.
L'honorable membre n'a pas vu, selon moi, qu'après 1839, alors que l'existence
de la Belgique avait reçu sa consécration européenne dans la conférence de
Londres, tout n'était pas fait pour notre jeune nationalité ; qu'une nouvelle
période s'ouvrait devant nous, période que j'appellerai politique et dans
laquelle le gouvernement doit tâcher d'asseoir notre neutralité sur de
nombreuses alliances commerciales, qui sont les seules alliances politiques à
notre époque, période qui sera entourée de bien d'autres difficultés encore que
la première.
Messieurs, il était nécessaire que l'union entre nous se maintînt pour nous
permettre de résoudre ces grandes difficultés de l'avenir que l'honorable membre,
selon moi, n'a pas assez prévues. Il a cru qu'il pouvait nous être permis de
nous diviser sur des questions abstraites et sans objet, d'organiser ces luttes
catholiques-libérales, lorsqu'aucun fait assez puissant ne légitimait de pareilles
luttes. L'honorable M. Devaux a cru que notre avenir était assez assuré, que
notre nationalité était assez vieille et assez forte pour nous permettre de retourner
à 1825, de reprendre nos luttes de 1825, qui ont retardé de cinq années
l'avènement de notre émancipation politique. L'honorable membre veut nous faire
retourner à Vonck et à Vandernoot, aux divisions qui ont fait échouer notre
première révolution brabançonne, après une attente de trois siècles.
Un
membre. - Vous faites de l'histoire.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - On a fait de l'histoire, et je me permets d'en faire à mon tour. A cette
époque, il y avait aussi un homme d'un grand talent, d'une grande énergie de
caractère, Vonck, que j'ai nommé tout à l'heure. Il avait aussi aidé puissamment
à fonder notre première révolution nationale. Il a cru, lui aussi, que cette
révolution avait des racines assez profondes, que son avenir était assez
garanti pour que les Belges pussent s'entre-déchirer dans de stériles querelles
intestines, pour que la division entre les progressistes et les statistes, les
libéraux et les catholiques de cette époque ne dût pas compromettre les
destinées de notre révolution brabançonne.
II n'avait pas entendu les sourdes rumeurs de la grande révolution française
qui, à cette époque, était aussi un flot qui montait. La révolution française a
trouvé les Belges divisés, affaiblis ; elle a passé sur notre révolution
qu'elle a détruite, el la Belgique a perdu le nom qu'elle avait retrouvé.
L'honorable M. Devaux nous a dit : Le flot monte ; les exigences de l'opinion
libérale de 1845 vont plus loin que les exigences de l'opinion libérale de 1841
; ces exigences seront plus étendues encore en 1847. Ce flot monte, a-t-il dit
; il a semblé ajouter que déjà il était impuissant pour l'arrêter.
La cause, il l'a recherchée. La cause, il croit l'avoir trouvée dans la faiblesse
du gouvernement, dans cette prétention de l'opinion catholique, de participer
au gouvernement des affaires du pays. Il a cru qu'il fallait constituer ce
qu'il a appelé un ministère homogène ayant assez de force, assez de pouvoir,
assez de moralité, pour diriger le mouvement qui s'opère et pour le modérer.
Messieurs, la cause, selon moi, est ailleurs. En 1839 l'opposition était
affaiblie ; le flot ne montait pas ; il baissait. L'opposition était affaiblie par
la retraite de celui qu'on avait nommé son chef, par la retraite de l'honorable
M. Gendebien. L'honorable M. Gendebien, et je crois pouvoir le dire sans
froisser ici aucun amour-propre, n'avait pas laissé dans l'opposition de successeur
en 1839. Eh bien, messieurs, la succession de M. Gendebien a été recueillie en
1840 par l'honorable M. Devaux. Un danger en est résulté pour le pays.
Certainement, messieurs, lorsque des hommes éminents d'une ancienne majorité
sont jetés tout à coup dans l'opposition, l'équilibre entre les partis est
rompu et un danger est créé pour le pays. La fraction libérale modérée, gouvernementale,
qui avait été habituée à les suivre, a pu s'égarera leur suite dans
l'opposition.
Messieurs, ce danger est réel et il pèse encore sur la situation, je ne fais
nullement difficulté d'en contenir.
Messieurs, si dans un pays voisin, si en
France, les hommes considérables qui se trouvent places à la tête de l'ancienne
majorité de quinze ans, étaient jetés tout à coup par la fatalité des
événements dans l'opposition, sans doute la monarchie de 1830 courrait un grave
péril. Si ces hommes s'appuyaient d'un côté sur le parti de la Gazette de
France dont on a parlé hier, d'un autre côté sur le parti démocratique du
National ; si ces hommes, dans le but de renverser un ministère, allaient
réveiller les partis éteints, formaient une coalition composée des éléments de
toutes les oppositions, évidemment, messieurs, le flot monterait aussi ; ces
hommes posséderaient un immense pouvoir pour détruire. Mais lorsque effrayés
eux-mêmes des progrès de cet incendie qu'ils auraient allumé, ils se
tourneraient du côté du gouvernement pour lui attribuer ces ravages, le
gouvernement n'aurait-il pas le droit de lui répondre : La cause, c'est vous ?
M. Delehaye. - Messieurs,
je ne vous dissimulerai pas qu'à l'avènement de l'honorable M. Van de Weyer au
pouvoir, je m'étais bercé de quelques illusions. Les antécédents de cet
honorable ministre, son caractère de loyauté, sa franchise que personne, jusqu'au
commencement de nos débats, n'avait à mettre en doute, me faisaient espérer,
messieurs, que, fidèle aux (page 79)
promesses qu'il avait faites pendant la session extraordinaire, il aurait fait
connaître en quoi son administration différerait de l'administration de son
prédécesseur.
J'avais pensé, messieurs, qu'il nous aurait déclaré que, voulant éviter cette
mauvaise ornière dans laquelle s'était tenue si longtemps l'administration
ancienne, il était venu au pouvoir pour faire droit aux réclamations de
l'opinion qu'il prétend représenter.
Messieurs, cet espoir a été déçu. Je le regrette d'autant plus, que l'honorable
M. Van de Weyer, en nous revenant de Londres tel que chacun de nous l'avait
connu avant son élévation au pouvoir, nous avait fait entrevoir le moment où
nos justes réclamations trouveraient enfin un puissant appui au sein du
ministère.
Mais, messieurs, telle est la triste fatalité qui poursuit l'honorable M.
Van de Weyer, qu'alors qu'avant-hier un de mes amis, l'honorable M. Delfosse,
lui donnait deux mois pour mendier les suffrages de la droite, hier déjà, dans
un discours qui a duré une heure et demie, nous l'avons entendu pendant une
heure entière faire l'éloge de cette partie de la chambre, et n'avoir pour la
gauche que des paroles de fiel, des insinuations peu bienveillantes, des
accusations graves contre le parti auquel il appartient.
M. le président. - Je n'ai pas entendu d'insinuations
malveillantes.
M. Delehaye. - Vous n'avez
pas entendu d'insinuations malveillantes. Mais, M. le président, permettez-moi
de vous dire que lorsqu'on s'empare d'un lambeau de conversation pour prétendre
qu'un de nos amis voulait une modification à la loi fondamentale, c'était bien
là une insinuation tout au moins peu bienveillante.
M. d’Elhoungne. - C'était un malentendu.
M. Delehaye. - C'était
un malentendu ; mais il ne fallait pas se hâter de l'interpréter contre un des
représentants de l'opinion que M. le ministre de l'intérieur prétend être venu
soutenir.
Pendant quatre séances consécutives, un homme considérable de notre parti,
que nous sommes heureux et fiers de posséder parmi nous, n'a-t-il pas été
l'objet d'une accusation très grave de la part de M. le ministre de l'intérieur.
M. le président. - Il a été entendu que cet incident était
terminé.
M. Delehaye. - Je sais
que c'est un point délicat ; mais j'en veux tirer un argument. Ce n'était pas
le cinquième jour qu'on devait venir rectifier les faits.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Vous recommencez la discussion.
M. Delehaye. - Je ne recommence
pas la discussion. Si l'on ne m'avait pas interrompu, j'aurais déjà fini.
Je sais que M. le ministre de l'intérieur n'y a mis aucune intention malveillante
; je sais qu'il a été induit en erreur, et qu'il a été, malgré lui,
involontairement, l'instrument d'une influence hostile contre un de nos honorables
collègues.
M. le président. - Je rappelle de nouveau que cet incident est
terminé.
M. Delehaye. - Je veux
seulement rappeler que cette insinuation a été faite avec beaucoup de légèreté,
et qu'il y a lieu de regretter que la réparation qui a été faite, ne l'ait pas
été plus tôt.
Messieurs, il est toujours honorable de revenir d'une erreur, la loyauté
exige qu'on en revienne ; mais quand on parle au nom du gouvernement, il ne faudrait
pas du moins qu'on prolongeât l'erreur, comme le gouvernement l'a laissée se
prolonger dans le cas actuel.
J'arrive à la partie matérielle de l'adresse.
Le gouvernement s'est proposé, dans cette adresse, d'une part, de nous faire
connaître ses vues politiques, d'autre part, de nous expliquer ses vues industrielles
et commerciales.
Je regrette de devoir le dire : si sous le rapport politique, il n'a satisfait
à aucune de nos exigences, il en est de même sous le rapport industriel et
commercial.
D'abord, le ministère nous a parlé, dans le discours du Trône, de, nos relations
avec les puissances étrangères. Il nous a dit qu'une convention a clé conclue
avec les Etats-Unis. Je suis extrêmement étonné qu'ayant jugé convenable de
faire mention de ce traité dans le discours du Trône, il n'ait pas encore
déposé la convention sur le bureau. Comment ! on a une bonne nouvelle à nous
annoncer, et cette bonne nouvelle, on se contente de l'indiquer, sans nous
fournir les preuves du fait. Je savais fort bien que la convention avec les
Etats-Unis ne serait pas déposée sur le bureau, parce que cette convention ne
diffère pas beaucoup d'une convention que vous avez déjà été appelés à
ratifier, et à laquelle vous avez refusé votre adhésion parce qu'elle contenait
une stipulation que vous retrouverez dans la convention actuelle. En effet,
dans la nouvelle convention, on maintient les provenances d'entrepôt ; comment
dès lors cette nouvelle : convention pourrait-elle nous être plus favorable que
la première ? Je voudrais que : M. le ministre des affaires étrangères déposât
la convention sur le bureau, ou que du moins il nous en fît connaître
succinctement le contenu.
Il est vrai qu'après nous avoir révélé le fait d'une convention avec les
Etats-Unis, on nous annonce que nous sommes admis en Chine sur le pied des nations
les plus favorisées !
Si le ministère était pénétré de nos véritables intérêts, s'il connaissait
bien les exigences du pays, il n'eût pas cru que la circonstance de notre
admission en Chine sur le pied des nations les plus favorisées valut la peine
d'être mentionnée dans le discours du Trône ; car quels avantages pouvons-nous
trouver pour notre industrie en Chine ?
Le ministère ne sait-il donc pas que la prospérité industrielle dont nous
jouissons depuis un an, est précisément due au défaut de concurrence de la part
de l'Angleterre ; c'est parce que l'Angleterre a trouvé des avantages plus considérables,
plus certains en Chine, qu'elle a abandonné le marché d'Allemagne, el même
celui de la Belgique. Quand l'Angleterre venait vous faire concurrence sur
votre propre marché, notre industrie était souffrante ; elle a repris un peu
d'essor depuis que l'Angleterre s'est abattue sur la Chine. Mais comment
veut-on que l'industrie belge trouve un débouché dans cette contrée, alors que
les marchés sont encombrés de produits anglais ?
D'autres conventions, nous dit-on, sont en train de se négocier avec les
pays voisins.
Ici, je l'avoue, j'aurais été heureux d'apprendre quelque chose de positif.
Où en sont nos négociations avec la France et avec la Hollande ? Notre industrie
linière, qu'on dit être encore dans un état de souffrance, était sans doute
intéressée à obtenir quelques renseignements sur l'état de nos négociations
avec la France, eh bien, on a gardé sur ce point, un silence complet. Or, s'il
faut en croire des journaux qui paraissent être bien informés, nous serions à
la veille de voir se rompre les négociations avec la France. Je sais bien que
le ministère dira que nos négociations sont pendantes ; mais si elles sont
rompues, le gouvernement pourrait sans imprudence nous apprendre s'il a
l'espoir d'en voir bientôt la reprise, de nous dire quelles sont les exigences
d'un pays voisin.
A cet égard, on ne nous dit exactement rien. Je me plais à le reconnaître,
ce n'est pas à M. le ministre des affaires étrangères actuel que nous devons
notre position fâcheuse à l'égard de la France. Nous avons malheureusement
froissé l'amour-propre de la France ; nous n'avons jamais bien compris
l'étendue de nos obligations envers elle ; nous ne nous sommes pas rendu compte
des concessions réelles que nous avait faites la France. ; nous avons cru
qu'elles étaient plus étendues qu'elles ne l'étaient en réalité ; nous avons
constamment crié à la déloyauté de la France ; mais, je l'ai dit et je le
répète, il n’y a pas eu déloyauté de la part de la France ; en ce qui
concernait l’amendement Delespaul, l’emploi des toiles française dans la
confection des habits militaires, il n’y a eu que les mesures prises à l’égard
des types qui fussent contraires à la convention ; et à cet égard, je pense
qu'il y a entente parfaite entre les deux gouvernements.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point, parce que ce terrain est dangereux
et que, dans l'état où sont les choses, il peut être imprudent d'entrer dans de
plus longs développements. Je me bornerai à ajouter que, dans mon opinion, le
gouvernement compromettrait singulièrement sa popularité aux yeux du pays, s'il
ne parvenait à conserver à l'industrie linière le débouché qu'elle possède
actuellement et auquel, elle attacha la plus haute importance. Toutefois, il ne
faut pas se le dissimuler, quelle que soit la convention que nous fassions avec
nos voisins du Midi, elle n'aura aucune durée : un gouvernement prudent
travaillerait dès aujourd'hui à obtenir un jour une mesure plus large, la
suppression des douanes.
Nos hommes d'Etat, pour montrer leurs sympathies pour les intérêts commerciaux
et industriels, ont parlé de la loi des sucres. Je serais fort curieux de
savoir comment le ministère espère parvenir à concilier les intérêts de
l'industrie exotique avec ceux de l'industrie indigène et du trésor. Je ne rentrerai
pas aujourd'hui dans l'examen de cette question, je m'en suis suffisamment
occupé lors de la discussion de la loi
de 1843 ; ici je me bornerai à dire que je doute beaucoup que.M. le ministre
des finances et M. le ministre d'Etat qui a pris une part très large à la
législation de 1843, parviennent à trouver le moyen de maintenir les deux
industries, et de sauvegarder les intérêts du trésor.
Sans doute, messieurs, il y a moyen de sauvegarder ce dernier intérêt,, et
nous l'avons indiqué. Il faut prendre l'industrie de la betterave dans les conditions
dans lesquelles elle se présente devant vous. Si vous n'avez pas recours au
système des indemnités, il vous sera de toute impossibilité de maintenir voire
industrie si importante des sucres, et de satisfaire aux exigences non moins
importantes du trésor public.
Je sais bien que le sucre est une matière essentiellement imposable, qu'il
doit produire une partie des ressources dont le trésor a besoin ; mais je dis
que c'est un leurre qu'on vous offre, lorsqu'on prétend avoir trouvé le moyen
de concilier l'intérêt des deux industries coexistantes avec celui du trésor
public.
On a parlé, il y a un instant, de la loi des droits différentiels. Pour ma
part, je suis fort heureux d'avoir voté contre cette loi ; nous ne sommes pas
très éloignés de l'époque où un grand nombre de membres de cette chambre qui
ont donné leur assentiment à la loi des droits différentiels, la jugeront tout
autrement qu'ils ne la jugeaient alors. Cette loi n'avait qu'un but, but avoué
par le principal champion des droits différentiels, l'honorable M. de Foere ;
ce but était de créer une marine marchande en Belgique, au moyen de mesures
protectrices.
Il fallait donc pour cela accorder une faveur à notre pavillon. Or, le gouvernement
a-t-il atteint ce but par la lui telle qu’elle a été votée ? D'après lui, la
loi ne doit servir qu'à conclure avec les pays étrangers des conventions qui
assimilent le pavillon de ces nations au pavillon belge. Donc le but primitif,
le seul but qu'on avait en vue, vient à manquer complétement, par cela seul que
le pavillon étranger jouit des mêmes faveurs que le pavillon national ; donc la
loi des droits différentiels est impuissante, à réaliser les effets qu'on en
attendait.
Dans la pensée de l'auteur du système des droits différentiels, un des principaux
produits qui devaient venir en aide à l'exécution de la loi des droits
différentiels, c'étaient les sucres. Qu'est devenu le commerce du sucre, alors
que la plupart de nos raffineries chôment depuis longtemps ?
(page 80) Il y avait un autre
article qui devait donner de l'aliment à la navigation nationale ; c'était le café
; qu'avez-vous fait de cette denrée ? La loi des droits différentiels a autorisé
l'importation, en exemption des droits, d'une partie notable de la consommation
du café dans le pays.
Je sais bien qu'on me dira que cette exception a été introduite dans la loi
en faveur de Liège... (Interruption.)
Qu'on ne se méprenne pas sur la portée de mes observations, moi-même j'aurais
voté l'exception, si elle s'était bornée à la consommation de la province de
Liège, et je serais disposé à la maintenir.
Mais, messieurs, Liège ne figure dans la répartition des sept millions que
pour une très faible fraction. C'est pour cela même qu'on pouvait, sans inconvénient,
introduire une exception en faveur de la Meuse, sans aller jusqu'à exempter des
droits sept millions de kilogrammes de café. Je bornerai là mes observations,
me réservant d'y revenir lors de la discussion des articles ; je finirai en
vous disant que je pense que l'espoir que notre opinion avait mis dans
l'avènement de M. le ministre de l'intérieur, sera déçu ; je pense que
l'honorable M. Van de Weyer, malgré lui, à son insu peut-être, sera poussé, je
ne dirai pas à faire sa cour à nos adversaires, mais à vanter leur patriotisme
; qu'il sera poussé, d'un autre côté, à attaquer, au moins par des expressions
peu bienveillantes, l'opinion qu'il prétendait représenter en venant au
pouvoir.
J'ajouterai que sous le rapport des intérêts matériels, l'administration
actuelle n'a pas suffisamment abandonné ses antécédents, pour que le pays puisse
en attendre ces améliorations sans lesquelles notre commerce ni notre industrie
ne pourraient maintenir l'activité que l'on remarque aujourd'hui. Que le
gouvernement ne perde pas de vue ceci. Si aujourd'hui quelques-unes de nos industries
sont dans une situation satisfaisante, cette circonstance favorable est
entièrement indépendante de lui. Cette prospérité, je l'ai dit, est le résultat
de l'absence de la concurrence anglaise sur les marchés de l'Allemagne et sur
notre marché. Que, par un événement quelconque, l'Angleterre vienne à être
exclue de la Chine, la prospérité actuelle de quelques-unes de nos branches
d'industrie disparaîtra immédiatement.
Ainsi, que le gouvernement ne se repose pas sur la foi de cette prospérité
conditionnelle, qu'il songe à l'avenir ; qu'il prenne toutes les mesures
propres à empêcher que la concurrence anglaise, si elle reparaît, ne vienne de
nouveau paralyser les efforts de nos industriels.
Un mot encore. Je ne puis donner mon approbation à l'amendement que le gouvernement
propose ; je voterai contre cet amendement ; mais ce vote ne me sera dicté par
aucun sentiment personnellement hostile aux membres du cabinet ; il en est
parmi eux qui jouissent de toute mou estime et qui ont toutes mes sympathies ;
mais la réunion de ces hommes qui ne semblent s'être fait aucune concession
réciproque, me donne la certitude que nous n'aurons que la continuation de
l'ancienne administration. C'est la continuation du ministère Nothomb, avec
toutes ses erreurs, avec tous ses préjugés n'ayant rien appris depuis les
élections du 10 juin, ayant conservé toutes ses rancunes à l'égard de
quelques-uns, et ses faveurs à l'égard des autres.
M. le président. - La parole est à M. de Tornaco.
M. de Tornaco. - Est-ce
qu'il n'y a plus d'orateurs inscrits pour la proposition ?
M. Delehaye. - Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères s'il ne
dépose pas la convention avec les Etats-Unis.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Cette convention sera déposée un de ces jours sur le bureau de la chambre
; je ne l'ai pas fait jusqu'ici pour ne pas interrompre la discussion solennelle
qui nous occupe.
M. le président. - La parole est à M. de Villegas.
M. de Villegas. - Quoique peu habitué à me mêler aux
discussions politiques, je crois qu'il est de mon devoir de donner à la chambre
quelques explications franches sur le vote que je compte émettre à la suite de
ce débat grave et solennel.
C'est sur le principe même de la formation du ministère, qu'on demande un
vote de confiance.
Je suis de ceux qui pensent que, dans la situation actuelle des choses, une
combinaison mixte peut encore être essayée, en tenant compte de la force des
partis et de l'opinion publique. Malgré le doute que j'ai du succès d'une transaction
franche et loyale, je suis disposé à accueillir avec bienveillance l'avènement
aux affaires de quelques hommes recommandables par leurs antécédents et leurs
capacités et à ne pas mettre un obstacle à l'examen des mesures que le
gouvernement nous proposera, en vue de la conciliation des partis. J'entends
donner ainsi un gage de la modération qui n a cessé de m'animer dans
l'expression de mes convictions politiques.
Cette bienveillance n'est que purement expectante, c'est-à-dire que je ne
prends aucun engagement pour l'avenir. Si je m'aperçois que les allures ou les
tendances du gouvernement révèlent une résistance au mouvement régulier et au
développement progressif de l'opinion à laquelle j'appartiens, un défaut de franchise,
ou bien une déplorable partialité, ma ligne de conduite parlementaire ne sera
pas douteuse.
A ce prix, je suis disposé à offrir un concours provisoire au gouvernement,
et non une adhésion anticipée et complète ; voilà ma profession de foi franche,
loyale et exempte de toute influence. Tant pis pour ceux qui ne croient pas à
la sincérité de cette déclaration.
Puisque j'ai la parole, j'adresserai quelques questions au cabinet.
Dans le discours du Trône, il est dit que le gouvernement ne néglige
aucun moyen d'atténuer les effets du malaise dont l'industrie linière souffre
encore.
Je désire savoir quels sont ces moyens que le gouvernement a eus en vue.
Si les dispositions peu bienveillantes d'un Etat voisin continuent à notre égard,
il est bon que le pays connaisse les mesures que le pouvoir emploiera pour
parer au désastre qui nous menace. Je demande au ministère, si, pour sauver
l'industrie linière, il ne faut pas accorder une prime à l'exportation de nos
toiles ? Je n'entrerai pas aujourd'hui dans l'examen de cette question. La
discussion des budgets nous fournira plus d'une occasion pour la développer II
suffit de l'avoir indiquée ici.
Le même discours dit encore : « Si l'un des produits les plus précieux pour
la nourriture des classes pauvres a été en grande partie détruit, les résolutions
que vous avez adoptées, pendant votre session extraordinaire, ont amené déjà
d'heureux résultats. » Je demande à connaître ces résultats. Quant à moi, je
n'en vois aucun. La cherté des grains et des autres denrées alimentaires
augmente tous les jours, et dans quelques localités la misère est à son comble.
Qu'à cette occasion, il me soit permis du recommander à la vive sollicitude
du gouvernement, le district que j'ai l'honneur de représenter dans cette
enceinte.
La décadence de l'industrie linière ne pèse
nulle part d'une manière aussi pénible que sur le district d'Audenarde. Le
fléau du paupérisme y sévit d'une manière effrayante. Le gouvernement entend-il
accorder des secours à certaines communes nécessiteuses que l'autorité
administrative a dû lui signaler ? Ces communes ont fait des sacrifices
extraordinaires, et leurs ressources sont épuisées. Ces secours leur
permettraient, par l'encouragement de travaux utiles, de pourvoir aux besoins
des classes ouvrières. En un mot, je désire connaître l'emploi que le gouvernement
compte faire des deux millions que nous avons votés.
Ces demandes sont relatives au programme ministériel. Il faut donc que le
gouvernement y réponde catégoriquement, s'il veut obtenir l'assurance de mon concours.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Bien que les observations présentées en dernier lieu se rattachent à
certains paragraphes de l'adresse, je crois devoir donner dès à présent
quelques explications très sommaires.
Plusieurs voix. - Attendez la discussion des paragraphes.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Pour répondre au
désir de la chambre, j'ajournerai mes explications.
M. de Tornaco. - Messieurs,
l'honorable membre qui a pris la parole avant moi a eu l'avantage de faire
entrer la discussion dans une phase nouvelle : je ne puis avoir un bonheur
semblable. Je suis obligé ne rentrer dans une phase qui sera peut-être moins
agréable au ministère et qui est aussi fort désavantageuse pour moi, car je
dois me placer sur un terrain déjà battu.
Je serai court, parce que ma tâche est des plus faciles ; je veux me borner
à motiver mon vote sur la question de confiance. Comme elle a été posée d'une
manière claire et précise, je ne crois pas pouvoir me dispenser de faire connaître
les raisons qui dicteront ma réponse.
Messieurs, on a fait tout à l'heure de l'histoire, on en a fait beaucoup
dans le cours de ce débat ; qu'il me soit permis à mon tour d'en faire aussi quelque
peu. Je rappellerai quelle fut la politique du cabinet précédent, politique que
plusieurs paraissent avoir déjà oubliée. L'existence du ministère précédent
peut être divisée en deux périodes distinctes : dans la première, le cabinet
entreprit de braver ouvertement l'opinion publique ; il proposa ou fit adopter
des lois antipathiques à la nation, lois tellement mauvaises, qu'elles rencontrent
à peine aujourd'hui des défenseurs, et qu'elles trouveraient même des
adversaires parmi ceux qui les ont volées.
Dans cette première période, on n'invoquait pas les souvenirs du congrès,
on n'était pas non plus aussi modeste, aussi modéré, aussi conciliant que l'on
se montre à présent. Alors le ministère parlait dans cette enceinte de restitutions
à faire au pouvoir, au préjudice des franchises communales. Alors on disait ou
l'on écrivait qu'il fallait combattre et vaincre les libéraux en masse. Les
électeurs, en 1845, protestèrent énergiquement contre cette politique
téméraire, et la majorité qui l'avait appuyée, paya sa complaisance de la perte
de quelques-uns de ses membres les plus marquants.
Dans la seconde période, le ministère averti par la rude leçon qu'il venait
de recevoir, continua sans doute de se moquer de l'opinion publique, mais il le
fit avec discrétion, avec circonspection. Ainsi tandis qu'il gouvernait au
profil exclusif de certains intérêts, les paroles de modération, d'impartialité,
de conciliation étaient toujours sur ses lèvres. Il vécut en abusant des mots
pendant deux années, appuyé sur une majorité chancelante, jusqu'à ce qu'enfin à
bout de finesses, de ruses, d'expédients, de concessions, de capitulations et
d'humilité, il arriva au 10 juin où, pour prix de sa politique dissimulée, il
reçut un coup de massue qui lui fit perdre la tête.
Messieurs, chacune des deux périodes que je viens de caractériser en peu
de mots a amené dans cette chambre des hommes nouveaux ; ce sont ceux de 1843 et
ceux de 1845. La plupart ont accepté pour mission de s'opposer de tout leur pouvoir
à la continuation d'une politique tantôt téméraire tantôt dissimulée et que la
nation a dans toute occasion condamnée. Nul doute que leur mission ne soit
beaucoup plus élevée, beaucoup plus étendue ; mais je crois pouvoir dire que le
premier de leurs devoirs est tel que je viens de l'indiquer. C'est du moins
ainsi que je comprends ma position ; je n'exprime que mon opinion, je n'ai pas
le droit d'en exprimer d'autre.
Eh bien, qu'ai-je à faire en présence du ministère actuel ? Je dois rechercher
(page 81) quelle est sa politique ;
je dois rechercher s'il existe une ligne de démarcation entre cette politique
et celle du cabinet précèdent. Si de mon examen il ne résulte point, dans mon
esprit, une différence marquée entre ces deux politiques, je dois lui refuser
toute marque de confiance.
Messieurs, le ministère actuel a posé trop peu d'actes pour qu'ils pussent
servir à l'appréciation de sa politique. Cependant il en est déjà plusieurs qui
ne font pas trop bien présager de sa marche future. Je citerai notamment
quelques changements qui ont eu lieu dans les postes diplomatiques, une candidature
si cavalièrement aventurée, et enfin tous ces doutes, toutes ces hésitations, ces
tergiversations, ces refus obstinés de répondre aux demandes les plus légitimes.
Le ministère a beaucoup trop parlé de franchise pour que je puisse y croire
; la franchise ne se dit pas, elle se prouve. Il est un ministre qui a employé
un singulier moyen de prouver sa franchise ; il a commencé par se poser comme
libéral ; il est venu ensuite faire des insinuations ; je me sers du mot qu'on
a déjà employé, il est venu faire des insinuations dignes d'un ennemi déclaré
des libéraux. Je n'en citerai qu'une, l'autre a déjà été relevée. Le ministre
auquel je fais allusion a laissé entendre que les électeurs de la capitale sont
dirigés par une sorte de camarilla.
M. le ministre aurait dû penser que, s'il existe une camarilla, c'est ailleurs
qu'il faut la chercher.
M. le président. - On n'a pas fait d'insinuation contre des
membres de la chambre.
M. de Tornaco. - C'étaient
des insinuations contre tous les libéraux.
M. le président. - Quand on se place au point de vue des
partis, on ne ménage les expressions d'aucun côté de la chambre.
M. de Tornaco. - Je n'adresse
aucun reproche à M. le président.
M. le président. - Le président manquerait à son devoir s'il
n'arrêtait pas l'orateur qui se laisserait aller à des insinuations envers un
ou plusieurs de ses collègues.
M. de Tornaco. - J'ai dit
que ce ministre avait fait des insinuations contre les libéraux dont il dit partager
l'opinion. Je conclus de là qu'il n'a pas été très généreux dans ses preuves de
franchise.
Quoi qu'il on soit, je passerai assez facilement sur ces divers points. Pour
les paroles, je ferai la part de la discussion ; pour les actes, je ferai la
part de l'empressement de MM. les ministres qui avaient tant de choses à sauver.
En l'absence d'actes suffisants qui puissent servir de base à l'appréciation
de la politique du cabinet, je dois entrer dans l'examen de sa formation même.
Je vois aux bancs des ministres plusieurs membres qui n'ont pas fait partie
de l'administration précédente. Il y en a deux dont le caractère m'est connu
personnellement. Il en est un troisième, auquel j'ai déjà fait allusion et qui
passe pour un homme de cœur. C'est beaucoup pour moi. Je désire qu'il conserve
cette réputation, en se montrant juste à l'égard de l'opinion à laquelle il
appartient. Je n'hésite point à le dire, ils me rassureraient à certains
égards, je compterais volontiers sur leur impartialité. Mais malheureusement
ils font partie d'une combinaison que je ne crois pas en rapport avec les
besoins du pays ; ils se sont en outre associés à des hommes entièrement
compromis.
On a beaucoup parlé de ministère mixte ou de conciliation ; je veux en
dire aussi quelques mots.
En principe, je suis entièrement opposé aux ministères mixtes ; ces combinaisons
exigent des sacrifices, des concessions qui répugnent aux convictions sincères
et puissantes. Les hommes qui entrent dans de pareils cabinets ne peuvent y
entrer qu'en se dépouillant d'une partie de leurs opinions. Ces cabinets mixtes
ont de plus un autre inconvénient, c'est que les ministres qui s'y trouvent
n'ayant pas les mêmes pensées se trouvent en état de suspicion l'un à l'égard
de l'autre.
Ils sont privés de cette confiance mutuelle et de cette unité de vues qui
contribuent si puissamment à la force et à l'activité d'une administration.
La condition sine qua non, la condition absolue de la franchise, de la fermeté
et de la dignité du pouvoir, c'est à mes yeux l'homogénéité. Non pas cette
homogénéité dont on a parlé tant de fois, qui n'existe que sur des actes isolés,
mais l'homogénéité sur des principes généraux de politique.
Ce n'est pas que je sois opposé aux ministères mixtes d'une manière
absolue. Je crois qu'il est des circonstances où les ministères mixtes sont une
nécessité. Un grand danger, des difficultés extraordinaires à surmonter, peuvent
commander l'existence des cabinets mixtes. En règle générale, le ministère doit
être homogène ; le ministère mixte est une exception que des circonstances
impérieuses peuvent seules légitimer. De ces circonstances, je n'en vois aucune
autour de nous.
Aucun danger, soit extérieur, soit intérieur, ne menace notre pays. On a
parlé d'un danger, on a parlé du mouvement des esprits ; mais ce danger ne peut
être réel que si le mouvement des esprits se trouvait comprimé d'une manière trop
forte et trop prolongée.
Je sais qu'il est fort difficile pour un gouvernement de reconnaître d'une
manière opportune et précise, le point d'appui qui lui convienne. Cependant sa
tâche est singulièrement allégée sous le régime où nous vivons.
La presse, les discussions parlementaires, les élections souvent renouvelées,
doivent l'instruire suffisamment des besoins de la situation. Je ne crains donc
aucun danger, je ne vois rien qui nous oblige à imposer silence à nos opinions,
à immoler nos convictions ; rien ne prouve la nécessité de suspendre une lutte
consciencieuse ou pacifique entre des opinions loyales.
Au contraire, les circonstances semblent favoriser cette lutte ; la paix
dont nous jouissons, nous convie à une discussion d'où doivent après tous jaillir
encore et la lumière et le progrès.
Le mouvement des esprits dont on a tant parlé et dont M. le ministre des
affaires étrangères veut faire honneur à l'honorable M. Gendebien et à l'honorable
M. Devaux, ce mouvement a commencé il y a des siècles, et continuera encore
après nous. Les difficultés de notre situation extérieure l'avaient arrêté
quelque temps. Aussi, remarquez-le bien, s'il vous plaît, il a reparu aussitôt
que la question extérieure a été définitivement résolue, aussitôt que tout
danger eut cessé.
Messieurs, je suis opposé au ministère, comme ministère mixte ; mais
j'ai encore d'autres raisons qui m'empêchent de lui accorder une marque de confiance.
A côté des membres du cabinet auxquels j'ai fait allusion tout à l'heure,
j'en vois d'autres qui ont fut partie du ministère précédent. Je ne puis croire
que la venue inespérée d'un sauveur de la Couronne ait métamorphosé ces
messieurs. Ce qu'ils furent, ils le seront encore ; ceux qui n'ont pas tenu leurs
promesses précédentes, ne tiendront pas davantage leurs promesses d'avenir. Si
ces messieurs ne sont pas changés, ils n’ont sans doute aucun droit à notre confiance
; si, au contraire, ils sont changés, ils n'ont droit à la confiance de
personne ; car, ainsi qu'ils seraient changés aujourd'hui, ils pourraient bien
changer demain ; il n'y a que les hommes dont la conduite est peu variable qui
méritent la confiance publique.
En vain le ministère vient-il vous parler de son homogénéité ; en vain nous
déclare-t-il que tous ses membres sont d'accord sur tous les projets qu'il vous
soumettra, je ne puis y croire tant que je verrai dans sou sein, des membres du
dernier cabinet. Celui-là tenait le même langage, il parlait aussi de son
homogénéité ; il disait que tous ses membres étaient d'accord sur tous les
points, et lorsqu'il s'agissait de soutenir quelque projet, chaque ministre,
permettez-moi cette expression, lâchait pied et faisait sa retraite suivant les
exigences de sa stratégie.
Le ministère n'ayant l'appui sympathique
d'aucune des fractions de la chambre, ne satisfaisant la conscience d'aucune
d'elles, sera réduit aux moyens employés par son devancier. Nous aurons la
continuation pure et simple de la politique du cabinet précédent. Nous aurons
le ministère de M. Nothomb en son absence. Comment donc lui donnerais-je ma
confiance ? Puisque rien n'est changé, moi donc je devrais changer ; je devrais
renier mon origine de 1843, méconnaître ce mouvement des esprits auquel je dois
de siéger dans cette enceinte ? Ce que je pensais et disais hier, je devrais le
contredire aujourd'hui ? Non, non, messieurs, un sacrifice comme celui-là n'est
pas chose facile pour moi ; je laisse à d'autres le triste courage de mettre
leurs opinions à leurs pieds ou aux pieds d'autrui.
M. de Garcia. - J'aurais désiré me dispenser de prendre
part à cette discussion ; mais la conduite que j'ai tenue dans le parlement, la
tournure de la discussion elle-même me font un devoir de m'expliquer sur la
grave question qui s'agite dans cette enceinte.
Depuis 1839, j'ai l'honneur de siéger dans cette assemblée. Depuis lors,
à chaque session, une discussion politique s'est engagée entre ce qu'on est convenu
d'appeler le parti catholique et le parti libéral. Ces discussions se sont même
présentées à différentes reprises dans la même session. Jusqu'à ce jour deux
motifs puissants m'ont déterminé à ne pas y prendre part. Le premier, c'est
qu'il existe dans cette assemblée des hommes éminents beaucoup plus capables
que moi d'éclairer de pareils débats.
Le deuxième, c'est qu'il me répugnait de traîner en longueur des discussions
qui, au grand détriment du pays, nous ont fait perdre un temps précieux que
nous aurions pu employer à l'examen de questions qui se rattachent plus
réellement aux véritables intérêts de la nation.
Que signifie la qualification de libéral et celle de catholique ? Voilà tout
le problème. Pour s'entendre sur les choses, il faut nécessairement et préalablement
s'entendre sur les mots. Dans le sens académique, oui, messieurs, dans le sens
académique, le mol libéral n'exprime pas l'idée d'anti-catholique, et j'ai la
conviction intime qu'un grand nombre des hommes qui se proclament libéraux
partagent ma manière de voir.
Cette appréciation des choses est partagée, j'en ai la conviction, non seulement
au point de vue grammatical, mais au point de vue politique.
Sous ce double rapport, le catholicisme doit-il être considère comme exclusif
du libéralisme ? Voilà la deuxième face de la question, à laquelle je n'hésite
pas à répondre : Non, messieurs, le catholicisme n'a ni cette pensée ni cette
tendance, et, je le déclare, si telle pouvait être sa prétention, je la
combattrais comme envahissante. Au nom de la franchise et de la loyauté, posons
nettement les questions, et tout naturellement nous tomberons d'accord, nous
nous unirons sincèrement ou nous nous mettrons en état d'hostilité. Je ne crains
nullement cette dernière position, qui, quand elle sera franchement dessinée,
unira les vrais libéraux et les vrais catholiques.
En passant, messieurs, qu'il me soit permis de remercier M. le ministre de
l'intérieur de l'hommage et de la justice qu'il a accordés à l'opinion catholique.
Cet hommage est d'autant plus précieux, que je le considère comme celui d'un
vrai libéral el qu'il vient en aide à la doctrine que je viens de déduire.
Les catholiques, a-t-il dit, ont puissamment concouru à la conquête de nos
institutions libérales, et je compte sur eux pour l'adoption de nouvelles mesures
libérales, qui pourraient être jugées utiles.
Que le ministre en soit convaincu, cet appui ne lui manquera pas.
L'opinion catholique n'est hostile ni aux progrès ni aux lumières. Elle ne
veut qu'une chose, c'est que les convictions religieuses d'un citoyen ne (page 82) soient ni asservies ni compromises,
et en cela il ne veut que l'exécution sincère de nos institutions constitutionnelles.
Au vrai, dans le véritable sens du mot, surtout dans le sens politique : Quel
est celui qui peut avoir la prétention d'être vraiment libéral ?
Incontestablement c'est celui qui veut le jeu le plus complet de nos institutions.
A ce point de vue, je me place au premier rang du camp libéral.
Pour attaquer l'opinion catholique, on a indiqué le souvenir de quelques-unes
de nos lois antérieures. Les arguments qu'on a cherché à tirer de cet examen ne
me paraissent ni heureux ni exacts. On a parlé de la loi sur les droits
différentiels. Je le demande : qu'y a-t-il de catholique dans une loi semblable,
à laquelle, au surplus, je n'ai pas donné mon assentiment ?
On aurait dû parler de la loi des pensions des ministres ; cette loi libérale
des deniers du peuple, j'ai voté son rejet.
On a fait allusion encore à d'autres lois qui ont reçu mon assentiment ;
et ces lois, il faut en convenir, avaient une physionomie constitutionnelle et libérale.
Je veux parler de la loi sur la nomination des bourgmestres en dehors du
conseil, de la loi sur l'instruction primaire et de la loi du jury d'examen.
Qu'il me soit permis de rappeler, en peu de mots, les motifs qui ont déterminé
mon vote.
J'ai la conviction intime que la nomination des chefs d'administration appartient
au Roi. J'ai également la conviction intime que cette nomination, déférée à la
Couronne, ne portait aucune atteinte aux franchises communales, pas plus que la
nomination libre des gouverneurs par le Roi ne porte préjudice aux prérogatives
provinciales.
A ce point de vue, je n'ai qu'un regret, c'est qu'on ait donné la préférence
à un système bâtard sur un système régulier, qui dans d'autres temps avait été
défendu par les membres les plus influents de la gauche.
Il est une autre loi, c'est la loi sur l'instruction primaire. Eh bien, cette
loi a été votée par l'assemblée entière, moins trois voix. Je respecte ces
votes ; je suis sûr qu'ils reposent sur la conviction ; mais au moins qu'on ne
dise pas que la loi est l'œuvre du parti catholique ; qu'on ne dise pas que le
ministère a fait cette loi en mendiant des votes sans conviction ; c'est injurier
l'immense majorité, la presque unanimité de cette chambre qui a voté la loi.
Et la loi du jury d'examen ! Ici encore la question se présentait comme constitutionnelle
et libérale. Quant à moi, je suis convaincu qu'en présence des dispositions de
la Constitution, la chambre pouvait, sans porter atteinte à la prérogative
royale, conserver la nomination des membres du jury d'examen. A ce point de
vue, beaucoup de libéraux, comme beaucoup de catholiques, partagent mon
opinion.
Passons à l'examen du côté libéral de cette loi. Franchement, messieurs,
le libéralisme se trouve-t-il dans les prétentions d'une partie de la gauche, qui
voulait conférer la nomination du jury d'examen au Roi, ou dans les prétentions
de la droite et du centre qui voulaient conserver cette prérogative à la
souveraineté nationale ?
D'abord, observons que deux membres influents de la gauche, MM. Castiau et
Delehaye, ne partagent pas l'opinion de leurs amis politiques ; chacun de nous se
rappelle encore les théories qu'ils présentaient alors et qui sont dignes
d'examen.
Au surplus, quelque système qu'on adopte à ce sujet dans l'avenir, je suis
convaincu que le moins libéral est celui qui conférerait cette nomination au
gouvernement.
Je ne considérerais pas, sans doute, comme une inconstitutionnalité que la
chambre conférât cette nomination au gouvernement. J'avais même communiqué à quelques
amis que je ne voyais pas d'inconvénient à cette mesure et que je pouvais y
donner mon assentiment.
Après la discussion de la loi, je changeai d'opinion, et cette circonstance
me valut le reproche d'être mobile.
Fort de mes convictions, ce reproche ne me toucha aucunement.
Lorsque de toutes parts et dans cette enceinte et en dehors, l'on nous dit
que les libéraux doivent arriver en majorité à la représentation nationale, qu'eussiez-vous
dit si l'on avait dépouillé la chambre du droit qu'elle avait exercé jusque-là
? A juste titre, messieurs, vous nous eussiez traités de couards ou tout au
moins vous nous auriez taxés de peu de loyauté. Pour moi, messieurs, quelles
que soient les majorités qui arrivent ici, je n'ai pas cru devoir ôter à la
chambre une prérogative que nous exerçons depuis que nos institutions
constitutionnelles sont en jeu. La souveraineté repose dans la nation ;
l'opinion, a-t-on dit avec vérité, est la reine du monde ; parlant de ce
principe que je considère comme incontestable, j'ai cru et je continue à croire
que la représentation nationale doit conserver son droit, qui constitue la seule
surveillance de l'enseignement libre et indépendant établi dans notre pays.
La conservation de cette prérogative me paraît en outre résulter de l'ensemble
de nos institutions.
L'enseignement est libre et indépendant en Belgique ; le pouvoir
judiciaire est aussi constitué dans l'Etat comme un corps libre cl
politiquement indépendant. Et qu'arrive-t-il lorsqu'il s'agit de pourvoir aux
fonctions un peu élevées de la magistrature ? La Couronne est vinculée, et son
droit ne peut tomber que sur des présentations qui lui sont faites par des
corps, qui directement ou indirectement sont le produit des collèges
électoraux, et dès lors de l'opinion publique.
La similitude de l'indépendance de l'ordre judiciaire et du droit d'enseignement
est à nos yeux un nouveau motif pour ne pas donner d'une manière absolue au
gouvernement la nomination des fonctionnaires qui sont appelés à agir dans
l'administration de la justice ou dans l'instruction.
En conservant donc à la représentation nationale la nomination des jurys
d'examen, j'ai la conviction intime que j'ai fait preuve de libéralisme.
Le catholicisme a souvent été présent ; dans cette assemblée et en dehors
comme hostile aux progrès, aux lumières, aux libertés publiques Quant à moi,
messieurs, je ne puis admettre ces assertions.
Sans doute il est dans l'histoire des pages qui prouvent que le clergé n'est
pas toujours resté pur. De grandes fautes, des crimes peut-être lui sont imputables.
Mais, messieurs, il faut faire la part des époques et du gouvernement, et ces
grandes fautes, il faut le reconnaître, doivent être attribuées à des hommes et
nullement à la doctrine.
Soyez-en convaincus, les catholiques belges qui ont accepté franchement nos
libertés constitutionnelles, ne veulent ni les dragonnades, ni les St-Barthelémy,
ni les révocations d'édits de Nantes, ni les auto-da-fé ; ils veulent la
liberté, ils veulent la tolérance la plus complète des opinions religieuses et
philosophiques, et si l'histoire contient quelques tristes souvenirs sur le
clergé, la même histoire contient aussi les pages les plus brillantes et les
plus glorieuses en faveur de la doctrine catholique. Ouvrez-la, méditez-la
sincèrement, vous y verrez que la civilisation actuelle est due au
christianisme.
Pour vous citer un ouvrage qui est dans les mains de tous les jurisconsultes
et qui certainement n'est pas suspect, je vous parlerai de Troplong,
jurisconsulte français des plus distingués ; lisez son ouvrage profond et
érudit intitulé : « De l'influence du christianisme sur les lois
civiles, » et vous y trouverez un témoignage éclatant de ce que je viens
d'avancer. Vous y verrez que le christianisme a concouru puissamment à donner
et à perfectionner le système des lois dont jouit le monde. Il est un publiciste
qui a aussi rendu justice au christianisme, je veux parler de Benjamin
Constant, dont l'opinion, sans doute, ne vous sera pas plus suspecte.
Savez-vous, messieurs, ce que cet homme d'Etat disait du catholicisme et
comment il définissait cette doctrine ? Il la qualifiait de civilisateur universel.
Regardez après cela le catholicisme comme anti-libéral, si vous le voulez ;
quant à moi je ne partagerai jamais cette manière de voir. Je ne regarde pas
les libéraux comme anti-catholiques, mais qu'ils veuillent bien ne pas me
considérer comme anti-libéral, et je n'aurai aucune répugnance à marcher et à
vivre avec eux, soit dans la vie publique, soit dans la vie privée.
Je dois un mot de réponse à une assertion faite dans le cours de cette discussion,
et que j'ai entendu avec peine. Le ministère actuel, a-t-on dit, devra, comme
le ministère précédent, mendier des voix pour vivre et pour se constituer une
majorité. Cette assertion est une véritable accusation contre la conduite de
quelques membres du parlement. Supposer que le ministère ait mendié des voix
pour vivre, c'est nécessairement supposer que des membres de cette assemblée
sont capables de faire l'aumône de leurs suffrages. Quant à moi, messieurs, je
proteste contre une telle supposition, que je puis à juste titre taxer de
calomnie. Les membres de cette assemblée qui ont voté avec la majorité ont,
autant que certains membres de l'opposition, la conviction de leur devoir, et
ils savent le remplir en conscience dans les vrais intérêts du pays.
Nous sommes, il faut le dire, aussi libres et aussi indépendants que ceux
qui nous accusent.
Nous voulons sincèrement l'exécution de tous nos droits constitutionnels
et de toutes les libertés, et s'il pouvait se faire qu'un jour elles fussent menacées,
de quelque côté de cette chambre que vint l'attaque, je les défendrai avec
courage.
Liberté de la presse, liberté d'enseignement, liberté des cultes, et toutes
les autres entrent dans mon programme.
Que le ministère garde fidèlement la position politique intérieure qu'il
nous a posée. D'un côté, qu'il sache dominer les exigences des partis, que les opinions
restent libres et que nulle ne soit asservie ni dominée par l'autre. Que les
emplois publics soient donnés aux plus capables et aux plus dignes.
Je terminerai en déclarant que, pour moi, je
ne veux ni drapeau catholique ni drapeau libéral ; le seul drapeau que je
reconnaisse et que je veuille suivre est le drapeau national qui flotte devant
nos yeux, autour duquel se groupent les vrais intérêts du pays et toutes nos
libertés constitutionnelles.
M. le président. - La parole est à M. Delfosse.
M. Delfosse. - Je céderai mon tour de parole à M. Dolez et
je prendrai le sien.
M.
Dolez. - Je remercie mon honorable collègue.
Messieurs, au point où en est arrivé ce long et important débat, la chambre
ne peut pas attendre de moi que j'y apporte des considérations nouvelles. Un
motif plus modeste me porte à réclamer quelques moments de votre bienveillante
attention. J'ai cru que c'était pour moi un impérieux devoir de faire connaître
à la chambre quelle serait la nature de mon vote, quels en seraient les motifs
et quelle en serait la signification et la portée.
Que la chambre me permette de lui rappeler quelques paroles que j'avais l'honneur
de lui adresser, il y a bientôt deux ans. C'était, messieurs, à l'occasion de
la loi sur les fraudes électorales. Je vous disais alors :
« Dans quelle situation le ministère a-t-il trouvé le pays ? Au moment où
le cabinet précèdent succomba, devant une opposition que j'ai qualifiée, le pays
était calme, le pays était uni. Il n'y avait d'irritation que dans quelques
têtes qui grandissaient à plaisir cette irritation, pour amener la chute d'un
ministère qui ne leur plaisait pas.
« Aujourd'hui, que voyons-nous ? De toutes parts le pays est agité par les
pensées politiques ; partout des comités politiques se forment, partout s'agite
l'esprit d'ordinaire si calme de nos populations.
« Je demande si cet état de choses n'est pas un mal sérieux et profond (page 83) Quant à moi, je crois que c'en
est un, et il m'est impossible de ne pas en faire un reproche au ministère qui
l'a fait naître, et par son avènement au pouvoir et par la marche qu'il y a
suivie.
« Le ministère précédent avait atteint un résultat qui me paraissait de nature
à exercer sur l'avenir du pays la plus heureuse influence : il avait rendu
l'opinion libérale éminemment gouvernementale.
« C'était un résultat heureux à mes yeux, parce qu'il devait faire grandir,
dans les idées gouvernementales, les générations nouvelles, qui apportent
chaque année à l'opinion libérale un invincible accroissement.
« Aujourd'hui, au contraire, l'opinion libérale est hostile au ministère.
« Cet état de choses, messieurs, ne peut pas continuer à régner sur le pays
sans de graves dangers pour son avenir politique. »
Messieurs, ce que j'avais l'honneur de dire alors s'est-il réalisé ? Les
dangers que j'entrevoyais sont-ils, en partie déjà, accomplis ? Je laisse à votre
prudence le soin de répondre à ces questions. Quant à moi, il m'est impossible
de croire que le pays ne soit dans une situation qui ne manque pas de gravité,
bien que je n'entende pas cependant en exagérer l'importance. Si, messieurs, je
reconnais la gravité de ces circonstances, je désire vivement que la prudence
de cette chambre, que la réunion de nos efforts parviennent à éviter qu'il n'en
résulte un jour des conséquences qui seraient fatales pour tous. Je dis fatales
pour tous, et l'opinion à laquelle j'appartiens me permettra d'étendre mes
appréhensions jusqu'à elle.
Je pense en effet, messieurs, qu'il n'est point sans danger qu'une grande
opinion politique, qui se recrute chaque jour de la partie la plus vive des
générations nouvelles, se maintienne trop longtemps dans l'opposition.
Chaque situation a pour les partis, comme pour les hommes qui les composent,
des écueils et des dangers contre lesquels ils doivent soigneusement se
prémunir. Dans l'opposition, ce qu'il faut craindre surtout, c'est de se laisser
entraîner au-delà du but légitime que l'on est en droit d'atteindre ; c'est de
s'habituer à considérer le pouvoir comme un adversaire nécessaire qu'il faille
fatalement combattre. Dans l'opposition, le devoir des partis, comme celui des
hommes qui les dirigent, est de regarder parfois en arrière, afin de constater
l'espace déjà parcouru, et de pouvoir reconnaître ainsi qu'il est temps de ne
pas aller plus loin.
Pour moi, messieurs, je remplis ce devoir pour moi-même, et, dès ce
moment, je crois reconnaître qu'il est temps que le gouvernement se place,
vis-à-vis de l'opinion à laquelle j'appartiens, dans des conditions qui
permettent à cette opinion de s'arrêter dans la carrière que, depuis près de
cinq ans, elle a forcément parcourue.
Messieurs, il est certes douteux que l'opinion libérale eût dès aujourd'hui
la majorité numérique au sein de cette chambre, mais il est impossible de
méconnaître les immenses progrès qu'elle a réalisés, dans ces dernières années,
et qu'elle soit appelée à en accomplir de nouveaux encore. Il est dans la
fatalité des partis comme dans celle des nations elles-mêmes, de suivre une
marche ascendante jusqu'au moment qu'une grande faute vienne les précipiter
dans une marche opposée, qui doit être à son tour parcourue tout entière.
L'opinion libérale fournit chez nous sa marche ascendante, nul de nous ne peut
contester la vérité de cette situation.
Sans doute, des digues, des entraves pourraient lui être opposées ; mais
sa marche, rendue peut-être moins régulière par d'inutiles obstacles, n'en reprendrait
pas moins bientôt son cours.
Pour quiconque veut y réfléchir, sans préoccupation, en acceptant franchement
l'invincible signification des faits, il est évident que le libéralisme avance
vers l'occupation du pouvoir, et que bientôt elle sera définitivement atteinte.
Pour moi, qui ai cette conviction ; pour moi, qui crois de toute la force
de mes convictions que cette opinion est appelée à remplir noblement cette
mission, mon vœu le plus ardent, le plus cher, comme ami de mon pays, comme
dévoué à ses intérêts, à son avenir, c'est que le libéralisme n'entre au pouvoir
que dans des conditions de modération et de prudence, telles que nous-mêmes ne
devions pas un jour regretter ses succès. C'est pour cela, messieurs, que je
désire ardemment qu'il n'entre point au pouvoir en vainqueur et comme en pays
conquis ; car, messieurs, l'histoire de tous les temps est là pour nous dire
que la victoire a parfois des enivrements dangereux pour les vainqueurs
eux-mêmes.
C'est, messieurs, sous ces impressions que j'ai apprécié la composition du
cabinet. Cette composition est-elle de nature à faire arriver le pouvoir entre
les mains de l'opinion libérale par les voies régulières, par les voies conciliatrices,
par les voies modérées ? Voilà, messieurs, à mes yeux, toute la question. Je
dois dire tout d'abord, que dès sa naissance j'ai cru que la composition du
cabinet n'était pas ce qu'il eût été juste et désirable qu'elle fui pour
répondre aux besoins de la situation qui avait amené la dissolution du cabinet
précédent.
J'estime, messieurs, les hommes qui siègent au banc ministériel ; j'ai, avec
plusieurs d'entre eux, des relations amies, des relations qui me sont chères,
et si je n'écoutais que ces considérations j'aurais dû, de prime abord, applaudir
à leur avènement au pouvoir.
Mais quelle était la situation dans laquelle le cabinet a pris naissance
? Une longue opposition nous avait séparés du pouvoir, qui nous avait trop longtemps
méconnus. Une manifestation électorale des plus imposâmes venait de motiver la
dissolution du cabinet. Que fallait-il pour agir sur l'opinion publique ? Il
fallait s'efforcer de lui donner, avant tout, l'apaisement des noms, afin
d'agir immédiatement sur elle, d'une manière à laquelle elle ne put pas se
méprendre, il est naturel que quand l'apaisement des noms a fait défaut à une
opinion, elle se montre plus exigeante, en ce qui concerne l'apaisement des
choses.
Je dis que la formation du cabinet n'a pas donné à l'opinion libérale l'apaisement
des noms ; cela mérite une explication complète de ma part.
Sans doute, le cabinet renferme des noms que l'opinion libérale honore à
juste titre. Mais ce qu'il eût fallu faire, avant tout, c'était de tenir compte
dans sa formation, de la minorité des sessions dernières, minorité vers laquelle
on reconnaissait qu'il était indispensable de se tourner, en présence de la
manifestation électorale qui s'était produite dans le pays. Le cabinet renferme
donc un vice grave et sérieux par cela même qu'on n'y compte aucun membre de la
minorité.
Je n'entrerai pas dans une discussion inutile, à mon sens, sur la convenance
des cabinets homogènes ou des cabinets mixtes ! Je crois qu'aucune théorie
absolue ne peut être défendue en cette matière. Tout dépend de circonstances.
Tel cabinet sera parfaitement approprié aux besoins du moment, quand ses
éléments seront homogènes ; tel autre, dans un autre temps, vaudra mieux, quand
il sera composé d'éléments mixtes. Je crois, pour mon compte, qu'un cabinet
mixte ou de transaction n'était point en-dehors des nécessités du moment.
Je le crois, parce que je désire que l'opinion libérale accomplisse ses progrès
par les voies les plus régulières, les plus simples de notre organisation
constitutionnelle ; parce que je désire, en un mot, que la majorité qui, quoi
qu'on fasse, appartiendra bientôt à l'opinion libérale, ce soit par les
élections ordinaires et sans la dissolution des chambres.
Il était difficile, à mes yeux, qu'un cabinet exclusivement libéral, se présentât
devant les chambres, telles qu'elles sont composées, et je le répète, j'aurais
vu avec regret une dissolution parlementaire, surtout dans la situation
d'esprit où se trouvait le pays. Mais, messieurs, dans tout cabinet mixte, et
ici je me permets de faire un appel à vos souvenirs ; dans tout cabinet mixte,
il doit y avoir une influence politique prédominante. Un cabinet mixte dans
lequel les éléments se balanceraient parfaitement, serait, sous le rapport
politique, réduit par la force nécessaire des choses, à la plus complète, à la
plus désespérante impuissance.
On a cité comme exemple d'un cabinet mixte, celui qu'a présidé l'honorable
M. de Theux. Eh bien, malgré la présence de libéraux d'une valeur très grande
dans ce cabinet, n'est-il pas vrai que ce cabinet a toujours subi la
prédominance de l'honorable M. de Theux, qui lui imprimait et son nom et sa signification
politique ?
Aujourd'hui, si j'ai bien compris la formation du cabinet, la prédominance
politique doit appartenir à l'honorable M. Van de Weyer. Cette situation est
nettement marquée par les circonstances qui ont fait naître le ministère. Si
telle est effectivement la pensée du cabinet, je pourrais espérer de voir
réaliser le vœu que j'émettais tout à l'heure, de voir l'opinion libérale
s'établir au pouvoir dans des conditions rassurantes pour tous et qui lui
permettraient de concilier à ses doctrines une grande partie de ceux-là même
qui considèrent ses doctrines comme des dangers. Je crois, en un mot, qu'à cette
condition, les destinées de l'opinion libérale pourraient s'accomplir sous la
direction du cabinet actuel.
L'honorable M. Van de Weyer n'appartient pas aux chambres, cela est vrai
; aucuns lui en ont fait un reproche. Je reconnais qu'en général il ne convient
pas de prendre des ministres en dehors des chambres, mais je ne puis pas admettre
des principes absolus à cet égard. Et permettez-moi, messieurs, de rappeler ici
à vos souvenirs qu'un homme qui a laissé parmi vous les souvenirs les plus
honorables, un homme dont, dans ces circonstances mêmes, nous devons regretter
l'absence, l'honorable M. Leclercq avait, lui aussi, été appelé, en dehors des
chambres, à siéger dans les conseils de la Couronne, ce qui ne l'empêcha pas de
conquérir bientôt parmi nous la plus haute influence, grâce à la noblesse de
son caractère, à la modération et à la fixité de ses opinions politiques.
Je n'ai pas l'honneur de connaître intimement l'honorable M Van de Weyer,
mais je lui dois cet hommage, que tous ses anciens amis croient à la fixité de
ses principes, comme à la franchise de son caractère. Ce matin même, un homme
qui a longtemps siège parmi nous, dont le souvenir est loin d'être effacé, et
dont le libéralisme ne sera contesté par personne ; l'honorable M. Gendebien
enfin me disait qu'il considérait son ancien collègue du gouvernement provisoire
comme un des hommes sur lesquels l'opinion libérale pouvait avec confiance
faire reposer ses plus chères et ses plus légitimes espérances.
Je ne puis croire d'ailleurs que M. le ministre de l'intérieur soit venu
d'outre-mer, comme on l'a dit, pour renier tous ses antécédents et combattre une
opinion à laquelle l'attache toute sa vie politique. J'aime, messieurs, à rappeler
à mes collègues de ces bancs, comme j'aime à me rappeler à moi-même, qu'en une
autre occasion M. Van de Weyer a passé le détroit pour nous donner un témoignage
significatif de sa sympathie.
Il y a quatre ans, nous avions défendu, dans cette enceinte, un ministère
injustement attaqué et dans lequel notre opinion elle-même avait été mise en
cause. Ce ministère, malgré les efforts que nous avions faits pour le soutenir,
malgré la majorité qu'il avait obtenue dans cette chambre, avait été forcé de
se retirer. Eh bien, à cette époque, l'honorable M. Van de Weyer revint
également en Belgique, et il y revint pour donner aux ministres qui venaient de
tomber, un témoignage de sympathie, que lui, haut fonctionnaire de l'Etat,
n'accorda pas à leurs successeurs.
Je livre ce fait au souvenir de mes collègues comme étant un titre de confiance
pour le véritable chef de cabinet.
Il est pour l’honorable M. Van de Weyer et pour ses collègues qui, pénétrés
de la situation du pays me paraissent accepter pour lui la qualification de
chef de cabinet que je donne au ministre de l'intérieur, il est pour eux un
vrai danger. Je ne dois pas le taire.
L’opposition z éprouvé, dans ces dernières années, tant de déceptions ; (page 84) les appels à la modération, à
la conciliation qui lui avaient été adressés, ont été pour elle tant de fois
des pièges qu'il est bien légitime qu'elle soit devenue défiante. Eh bien,
cette défiance, vous en avez entendu partir l'expression des bancs sur lesquels
je siège ; tandis que, sur les bancs opposés, des témoignages d'approbation
accueillirent les paroles ministérielles.
J'aime à croire que le chef du cabinet saura trouver en lui-même et dans
la fixité de ses principes assez de force pour résister à la séduisante approbation
des uns et aux pensées d'éloignement que pourrait inspirer la défiance des
autres. Qu'il se pénètre bien que si, par quelque motif que ce fût, il venait à
abandonner les principes de toute sa vie, il se perdrait sans retour et devrait
regretter à jamais son retour à la direction intérieure des affaires de son
pays.
J'ai la ferme conviction qu'en gouvernant avec moralité, avec honneur, il
est permis à un ministre libéral de rester fidèle à ses principes, sans qu'une
autre opinion puisse se croire menacée. Le libéralisme que nous professons est
ami de l'ordre, de la modération ; il est conservateur des droits de tous. II
proclame son respect pour toutes les libertés que la Constitution a consacrées
; mais il les aime d'un égal amour ; mais il n'admet pas que l'une d'elles
puisse être, pour qui que ce soit, un moyen de déraciner les autres. Notre
libéralisme respecte toutes les opinions consciencieuses, car, sans tolérance,
il n'est pas de véritable liberté.
Me résumant en quelques mots, je dis donc, messieurs, que si la composition
du cabinet n'a point été ce qu'il eût été désirable qu'elle fût, la présence de
M. Van de Weyer donne pourtant à l'opinion libérale le droit de ne point
désespérer de trouver dans le cabinet le respect auquel cette opinion a droit
pour ses principes, mais qu'il faut, à cette fin, qu'il n'oublie pas un seul
instant les besoins de l'opinion publique.
Maintenant, messieurs, que vous connaissez ma pensée sur le cabinet, permettez-moi
de vous dire quel sera mon vote.
Comme membre de la commission d'adresse, j'ai concouru à l'adoption, je dirai
plus, à la rédaction du paragraphe dont le gouvernement demande la modification.
Si ce paragraphe avait dû comporter la pensée d'un blâme, la commission ne
l'eût point adopté, et je n'hésiterais point à le modifier aujourd'hui.
Mais j'ai vu dans cette rédaction l'expression véritable d'un principe. J'ai
déclaré tout à l'heure que je ne blâmais pas le caractère mixte du cabinet ;
mais un tel cabinet a, par sa nature même, une position qui lui est propre. L'influence
respective des noms s'y neutralise en quelque sorte, et ce n'est par suite que
par leurs actes qu'il est permis de les apprécier, de reconnaître si, nous
mandataires du pays, pouvons les investir de notre confiance. Je ne puis donc,
par cette considération seule, adopter la rédaction proposée par le gouvernement,
pour laquelle les explications que je viens de donner à la chambre attestent
que je n'avais d'ailleurs aucune répugnance.
Je dis donc au ministère : La confiance que vous me demandez, je suis disposé
à vous l'accorder ; j'espère que votre politique sera telle qu'il me soit
permis d'applaudir à votre existence et à votre marche ; mais en présence des
éléments divers qui vous constituent, je dois attendre vos actes. Ma réserve
n'est pas un blâme ; mes paroles doivent lui donner un tout autre caractère.
Je ne voterai pas la rédaction du
gouvernement, mais, si la chambre l'introduit dans l'adresse, celle-ci n'en
obtiendra pas moins mon approbation et mon vote.
En terminant, je résume ma position en deux mots : J'attends et j'espère
!
M. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture.
M. Verhaegen. - Je la demande aussi.
M. Dumortier. - Comme membre
de la commission d'adresse, j'aurais besoin de faire connaître les motifs qui
me font persister à voter pour la rédaction que la commission a admise ; je
demande à être entendu.
M.
Verhaegen. - Je me suis fait
inscrire immédiatement en entendant le discours de M. Dedecker dans lequel j'ai
vu une philippique contre l'opinion libérale qui était la répétition de celle
que vous avez entendue l'année dernière. J'y ai répondu alors, je demande la
permission d'y répondre encore cette année.
- La clôture est mise aux voix.
Elle n'est pas prononcée.
M. de Renesse. - Je demande
la parole.
M. de Haerne. - Messieurs,
j'ai hésité longtemps avant de me décider à prendre la parole. Je craignais,
d'un côté, d'abuser des moments précieux de la chambre, et la demande de
clôture qui vient de vous être faite, doit me faire croire que mon opinion est
celle d'une fraction de la chambre. Mais d'un autre côté, messieurs, je
désirais aussi m'expliquer sur des principes qui ont été avancés dans cette
solennelle discussion et répondre, d'après une espèce d’invitation qui m'a été
faite à cet égard, par mes amis, à un appel fait aux membres de la droite par
le ministère, et en particulier par M. le ministre de l'intérieur.
Messieurs, dans ces débats, deux opinions ont été constamment en présence.
D'une part, l'opinion qui soutient que l'intérêt de la conservation de nos
institutions, de notre Constitution, est l'union entre les libéraux et les
catholiques conclue dès 18-28, et, d'autre part, l'opinion qui repousse cette
union. A ces deux opinions corrélatives se rattachent l'opinion qui défend
l'existence d'un ministère mixte ou composé de personnes appartenant à des opinions différentes
et l'opinion qui voudrait un ministère homogène, comme on l'appelle, ou composé
de membres de la même opinion soit libérale, soit catholique.
Messieurs, on a déjà à plusieurs reprises débattu ces questions, mais les
paroles qui, il y a quelques instants, ont retenti dans cette enceinte, m'ont
enfin déterminé h prendre la parole. En combattant l'opinion de l'union, on
vient de nous jeter un reproche qui ôterait à l'opinion catholique le droit de parler
d'union, celui d'avoir émis l'idée qu'il fallait vaincre les libéraux en masse.
Ces paroles, je dois l'avouer, m'ont péniblement affecté. Comment ! parce qu'il
s'est trouvé un écrivain catholique (car c'en était un) pour exprimer de
semblables pensées, il faudrait en rendre responsable toute la droite ! Toute
la droite a protesté contre ces paroles, et je crois que je ne suis pas le
premier à énoncer cette protestation.
L'union fut fondée dans le but d'établir une ligne de séparation entre la
société civile et la société religieuse qui doivent rester indépendantes l'une
de l'autre, tout en laissant l'arène ouverte à toutes les opinions qui, pour
assurer leur triomphe, ne peuvent recourir qu'à l'arme de la libre discussion.
Mais, messieurs, quand il s'agit de se prononcer sur l'union, sur cet esprit
de conciliation qui animait les membres du congrès en grande majorité, sur cet
esprit d'union qui a précédé la révolution et dont il s'agit de faire l'application
aux circonstances présentes, que dit-on, qu'allègue-t-on contre ce système dans
le camp opposé ? On ne dit pas d'une manière générale qu'il faut renoncer à
tout jamais à l'union, à un ministère mixte, mais on dit que dans certaines
circonstances, ce système serait nécessaire, quand il s'agirait, par exemple,
de conjurer un danger imminent.
L'honorable M. de Tornaco lui-même vient de prononcer ces paroles que nous
avions déjà recueillies de la bouche de l'honorable M. Rogier. Alors, d'après
ces honorables membres, il faudrait recourir à l'union ; alors l'union serait
bonne, nécessaire ; on l'invoquerait comme la sauvegarde du pays ; alors il
faudrait aussi recourir à un ministère mixte Eh bien ! ces circonstances peuvent
se présenter bientôt, personne ne peut savoir ce que l’avenir nous prépare, car
dans la situation actuelle de l'Europe, nous ne pouvons pas répondre de la
tranquillité du pays à moins qu'on ne réponde de la tranquillité des pays qui
nous entourent, par suite surtout des systèmes extravagants du communisme, de
radicalisme qui se manifestent dans tous les pays et qui flattent tant les
passions populaires. Si une réaction a lieu dans ce sens et qu'une révolution
s'ensuive, échapperons-nous au tourbillon révolutionnaire ? Ne voudra-t-on pas
alors recourir à cette union ? Ne la proclamera-t-on pas nécessaire ? Elle
serait nécessaire de l'aveu de ces honorables membres qui la repoussent
aujourd'hui. Mais peut-on enrégimenter les opinions comme des soldats ? Non ;
une fois la rupture prononcée, on aurait la plus grande peine à recomposer
cette union. Il faudrait des années, et peut-être n'y réussirait-on jamais. Par
cela seul qu'on admet la nécessité de ministères mixtes et de l'union dans
certaines circonstances, il faut l'admettre en principe ; quand je dis en
principe, je m'éloigne de l'opinion de l'honorable préopinant qui a parlé
immédiatement avant moi. Il ne repousse pas les ministères mixtes d'une manière
absolue, mais il a dit qu'on ne pouvait les admettre en thèse générale, en
principe, et qu'il faudrait consulter a cet égard les circonstances. Cet honorable
membre ne dit pas assez, selon moi. Il est vrai, et je suis de son avis à cet
égard, que si par suite des circonstances un ministère homogène exclusivement
libéral s'était constitué, il ne faudrait pas toujours systématiquement le renverser
avant d'avoir eu le temps d'examiner ses actes pour le juger.
Voilà mon opinion ; et pour vous en donner une application immédiate, je
dirai que c'est le cas qui s'est présente en 1840. Ici, il s'agit d'un fait ; le
fait existe, la question est de savoir s'il faut le détruire.
Il ne faut pas, selon moi, le détruire en toute circonstance. Mais ceci est
l'exception et non la règle. Quand on entend émettre des opinions exclusives,
quand on entend avancer d'une manière générale et systématique que l'union est
une théorie à laquelle il faut renoncer, qui cette opinion a fait son temps,
c'est alors qu'on doit s'élever contre ces tendances, contre ces principes qui
deviennent dangereux pour l'existence même du pays. C'est alors qu'on doit et
qu'on ne saurait assez proclamer la règle à suivre pour la formation d'un
cabinet, règle qui est basée sur l'union. Vous le savez, messieurs, c'est au
nom du principe de l'union que j'avais toujours professe, que je suis rentré
dans cette enceinte ; el j'ai saisi la première occasion pour faire connaître
mon opinion à cet égard. Quoique je n'aie pas rencontré alors beaucoup d'écho
el que je n'aie pas obtenu l'assentiment de tous les membres de la gauche, j'ai
obtenu l'approbation de quelques-uns et je dois à la justice de dire que, parmi
ceux qui m'ont fait cet honneur, j'ai rencontré l'honorable M. Rogier.
A mes yeux, cet honorable membre a des sentiments d'union ; je ne dis pas
que ces sentiments sont complétement d'accord avec les miens ; je l'ai cru dans
le temps, mais d'après les discussions auxquelles nous venons d'assister, je
vois que, pour l'application, sur certains points il n'est pas tout à fait d’accord
avec moi ; cependant, nous nous approchons beaucoup plus qu'on ne semble le
penser.
Messieurs, je conçois que dans le temps il pût exister une division entre
les catholiques et les libéraux ; je conçois qu'avant la révolution française
on vit s'établir en France, d'un cote un camp libéral, de l'autre un camp
catholique ; cela n'était pas étonnant, parce qu'à cette époque la religion
catholique étant la religion de l'Etat ; les catholiques avaient attaché leur
existence à l'existence même au Trône, et le Trône étant emporté, ils ont été
emportés avec le Trône.
Je dis qu'à cette époque la distinction en catholiques et libéraux n'était
pas étonnante, n'avait rien de surprenant. Mais la situation est-elle la même,
depuis que la révolution a brisé les chaînes qui attachaient le clergé au char
de l'Etat ? Non, elle est complétement changée. Si cette situation est (page 85) changée en France, si elle n'y
existe plus, elle existe encore moins en Belgique et dans plusieurs autres pays
de l'Europe. Les catholiques dans ces pays, comme en Angleterre, en Hollande et
même en Allemagne, sont les plus libéraux, ce sont eux qui réclament toutes les
libertés publiques. Pourrions-nous faire exception ? Faut-il que le soupçon
plane toujours sur nos têtes ? Ne sommes-nous pas partisans de la liberté ?
N'avons-nous pas demandé toutes les libertés ? Sans doute ; et jamais nous ne
reculerons lorsqu'il s'agira d'en défendre le maintien et le développement.
Mais quant aux abus qu'on reproche aux catholiques, abus qui, évidemment, sont
bien possibles, car enfin l'erreur est le partage de tout le monde, de tous les
corps constitués comme des individus ; mais quand on parle d'empiétements,
d'abus, n'y a-t-il pas souvent confusion d'idées ? C'est l'usage de la liberté
qu'on critique, comme on l'a déjà dit dans cette discussion.
Par exemple, pour la liberté d'enseignement, c'est presque toujours l'usage
qu'on en fait qui a été l'objet de critiques. C'est ainsi qu'à mon grand
étonnement, j'ai entendu émettre cette opinion qu'il n'y aurait presque plus
d'établissements indépendants dans l'instruction primaire et même dans l'instruction
moyenne. Mais qu'entend-on par établissements indépendants ?
M. Verhaegen. - Indépendants du clergé.
M. de Haerne. - Mais alors
je vous demanderai si cette autre liberté que vous chérissez et que nous chérissons
autant que vous : la liberté de la presse, ne devrait pas aussi être soutenue
par le pouvoir. Si vous voulez restreindre l'intervention du clergé en matière
d'instruction dans l'intérêt de l'enseignement gouvernemental, c'est parce que
vous craignez des abus de la part du clergé dans les institutions que vous
considérez comme dépendant de lui.
Il faut être conséquent avec vous-mêmes ; il faut proscrire ces abus lorsqu'ils
se présentent dans l'usage d'une autre liberté, dans l'usage de la liberté de
la presse ; il faut alors créer des Moniteurs, non seulement dans la capitale,
mais encore dans toutes les petites villes. C'est ainsi que vous aurez des
journaux que vous appellerez sans doute indépendants, parce qu'ils ne dépendront
pas de ceux qui abusent de la liberté de la presse.
Quand je parle ainsi, ce n'est pas que je veuille m'opposer au développement,
à la prospérité des établissements du gouvernement en matière d'instruction
lorsque ces établissements ne sont pas animés d'un esprit irréligieux comme on
en rencontre souvent dans un pays voisin. Loin de ma pensée d'émettre une telle
opinion ! Je crois ces institutions utiles. Je crois même que si elles venaient
à tomber, il serait à désirer qu'elles se relevassent. Je crois qu'en cette
matière, comme en général en matière de liberté, la rivalité, la concurrence
est le meilleur moyen de succès. Les maisons religieuses communiquent l'esprit
religieux à celles du gouvernement, et celles-ci donnent un plus grand essor
aux premières. Mais je ne veux pas que pour fortifier les institutions du
gouvernement, on agisse contre les institutions libres, ni qu'on vienne faire
planer des soupçons contre ceux qui défendent la liberté religieuse comme les
libertés civiles et politiques, qui les mettent toutes sur la même ligne.
C'est ainsi que nous nous montrons partisans de la liberté ; nous ne nous
divisons plus en catholiques et en libéraux il n'y a plus pour nous qu'un terrain,
celui de la liberté, où nous donnons la main aux rationalistes les plus
avancés.
On a dit que les catholiques ont entre les mains presque tous les collèges,
toutes les écoles ; il n'en est rien. Si les catholiques tâchent d'obtenir en
matière d'instruction une influence salutaire, c'est pour faire fleurir, à côté
des sciences, la religion et les bonnes mœurs ; leurs vues ne vont pas au-delà.
Je mets en fait que plus de la moitié de nos collèges sont entièrement indépendants,
sauf l'enseignement religieux, de l'action du clergé. Quant aux institutions
indépendantes du clergé, je crois que mon honorable adversaire, qui vient de
m'interrompre, reconnaîtra cependant qu'il faut que l'instruction religieuse y
soit donnée. Mais souvent il y a confusion d'idées à cet égard. On ne veut pas
bannir, dit-on, l'enseignement de la religion des établissements d'instruction,
et cependant, par cela seul que la religion y est enseignée, on crie à
l'usurpation, à l'empiétement du clergé. Il y a ici contradiction, confusion
d'idées.
Dans nos campagnes, par exemple, il n'est presque pas un village où il n'y
ait au moins une institution entièrement indépendante du clergé qui n'exclut
cependant pas l'instruction religieuse, el par conséquent l'action du clergé.
Faut-il dire que ces écoles sont au pouvoir du clergé ? Evidemment non.
On a insinué dans cette discussion, et ces insinuations ont sans doute frappé
vos oreilles comme les miennes, que le clergé recourt à des intrigues, à des
influences sourdes pour tâcher de faire prospérer les écoles qui lui appartiennent.
Mais il y a un autre motif de la prospérité de ces écoles. Souvent les parents
donnent la préférence, je ne dirai pas aux institutions du clergé, mais aux
institutions où l'instruction religieuse et morale est bien donnée. La raison
en est que parmi les libéraux, même parmi les rationalistes, comme parmi les
catholiques il y a une infinité de personnes qui apprécient les conséquences
dangereuses d'une institution irréligieuse et immorale. Ici je ferai un appel à
l'honorable membre qui m'a interrompu. Je lui demanderai s'il n'est pas dans ce
cas, si la manière dont il a agi en certaines circonstances ne prouve pas qu'il
reconnaît que l'instruction religieuse est bonne et nécessaire.
M. Verhaegen. - Je ne dis pas non.
M. de Haerne. - N'est-ce
pas par ce motif que l'honorable membre donnerait la préférence à ces institutions
et qu'il l'a donnée en effet ? Dira-t-on que l'honorable membre est sous
l'influence des catholiques, du clergé ou du fantôme du jésuitisme ? Personne
ne le croirait. Cependant ce sont des reproches qu'il adresserait peut-être à
ceux qui seraient dans le même cas que celui où il s'est trouvé.
Après cela, qu'il me soit permis de dire un mot de la question
ministérielle qui se rattache au projet d'adresse. Je serai trop bref, et je
dirai d'abord que je comprends la circonspection qui m'est imposée par les
circonstances, quant à la principale industrie du pays. Je dois demander
cependant au ministère si son intention est de ne pas protéger l'industrie
linière avec plus de force, plus d'énergie qu'on ne l'a fait précédemment, soit
par rapport à nos relations avec l'étranger, soit dans le pays même. Il faut
reconnaître que nous avons été trop mous à l'égard de l'étranger, trop faciles
à lui faire des concessions, dupes des concessions que nous lui avons faites ;
il faut reconnaître enfin que l'étranger s'est joué de nous.
Loin de moi de rompre avec la France. Je reconnais que des relations historiques,
des relations d'intérêt nous attachent étroitement à cette puissance ; mais je
crois que s'il faut lâcher de maintenir l'union commerciale avec ce pays, il
faut agir avec lapins grande fermeté pour ne pas retomber dans l'erreur dont
nous avons déjà été victimes à plusieurs reprises.
Quant au traité que nous avons conclu avec les Etats-Unis, je désire qu'il
soit aussi favorable qu'on l'a annoncé. Cependant, j'ai des doutes ; je suspends
tout jugement jusqu'à ce que le traité ait été produit. S'il est en harmonie
avec le système des droits différentiels, alors, comme j'ai concouru à l'établissement
de ce système, je ne pourrais m'empêcher de voter pour ce traité.
Quant au fait de la conclusion de ce traité, je déclare que c'est un
fait heureux, car plus nous étendons nos relations avec les pays étrangers,
plus nous avons l'espoir d'améliorer les relations que nous avons déjà avec certaines
puissances.
Au sujet de la loi des droits différentiels, il a été dit par un honorable
député d'Anvers un mot auquel, d'après la part que j'ai prise à la discussion
de cette loi, je ne puis me dispenser de répondre. D'après cet honorable
membre, cette loi serait une concession faite à la droite. Je vous demande si
cela est admissible. Si, dans le cours de la discussion, l'honorable M.
Nothomb, ministre de l'intérieur, a changé d'opinion, a proposé des modifications,
on ne peut dire que ce soit par égard pour la droite. Pour le prouver, il me
suffira de rappeler que si jamais j'ai eu sujet d'être mécontent pour ma part
de l'honorable M. Nothomb, c'a été dans la discussion de la loi des droits
différentiels.
M. Delehaye. - Cela est
bien vrai.
M. de Haerne. - Ainsi l'on
aurait fait des concessions d'un côté, tandis que de l'autre on ne ménageait
nullement les membres qui avaient pris la part la plus active à la discussion
de cette loi. On ne peut admettre cette supposition.
Quant à la question des sept millions de kilogrammes de café, c'est une simple
concession que nous avons faite en faveur de Liège. Je dirai à l'honorable
membre que, pour ma part, je n'étais nullement partisan de cette exception ;
mais c'est par esprit de conciliation, c'est en faveur, comme je l'ai dit
alors, de l'intérêt de Liège et de quelques autres localités, que j'ai cru
devoir renoncer à mon opinion à cet égard. Si, dans l'avenir, d'autres modifications
devaient être introduites dans le système, et qu'on m'en prouvai l'utilité, je
serais toujours disposé à faire des concessions à cet égard.
J'ai dit.
- La chambre fixe la séance de demain, à dix heures.
La séance est levée à 4 heures et demie.