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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 19 novembre 1845
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre
2) Projet d’adresse en
réponse au discours du trône. Discussion politique générale, question de
confiance gouvernement, appel à l’unionisme et question des partis, formation
du nouveau gouvernement et condition posée par Rogier de pouvoir dissoudre à
volonté la chambre) (d’Hoffschmidt, Rogier, de Foere, Rogier,
Delfosse, de Foere, Rogier, Van de Weyer, Rogier, Malou, de
Foere, Delfosse, (+instruction moyenne,
organisation communale, jury universitaire) Dechamps, de Brouckere, Malou, Dedecker, de Theux, Devaux)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 52) M. de Villegas fait l'appel nominal à
midi et un quart.
M. de Man
d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est
adoptée.
M. de Villegas présente l'analyse
d’une pétition adressée à la chambre
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Guillaume Lefrançois, professeur de mathématiques et de
langue française à l'athénée de Bruges, né à Arras (France), demande la
naturalisation. »
- Cette requête est renvoyée à M. le ministre de la justice.
PROJET D’ADRESSE EN REPONSE AU DISCOURS DU TRONE
Discussion générale
M. le
ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, l'honorable membre qui a parlé à la fin de la séance
d'hier, a demandé au ministère des explications sur plusieurs questions
importantes. Ces explications lui seront données par mon honorable collègue M.
le ministre de l'intérieur, dans le cours de la discussion. Je ne viens donc
m'occuper que de l'examen de la question principale, qui est au fond de ce
débat.
Cette question, messieurs, présente une haute gravité. Il s'agit en
effet de décider quel est le système politique qui doit être adopté pour la
direction des affaires du pays.
Le ministère a pensé qu'après les circonstances qui avaient eu lieu au
mois de juin dernier, il importait que les chambres fussent consultées sur le
principe de sa formation. C'était pour lui un droit, c'était même un impérieux
devoir, car si le parlement n'approuvait point le principe politique qui lui
sert de base, il devrait abandonner à l'instant même la direction des intérêts
qui lui sont confiés.
On a demandé à plusieurs reprises quel est le système du ministère ; si
ce système était la continuation de celui qui avait été adopté par le ministère
précédent ? Messieurs, je ne connais sur le terrain parlementaire que deux
systèmes en présence. Il en est un autre qui s'est révélé naguère dans
certaines élections, mais comme il ne s'est pas produit encore dans cette
enceinte, je crois ne pas devoir m'en occuper. Ces deux systèmes sont le
système des ministères exclusifs ou homogènes et le système des ministères de
coalition, qui s'appuient sur les hommes modérés de toutes les opinions.
Ce dernier système, messieurs, est celui du ministère. Ce système,
messieurs, on peut hautement l'avouer, on peut hautement le défendre, car,
comme on vous l'a dit, avec une si vive éloquence, cette politique est celle
qui a fondé notre nationalité, c'est celle à laquelle nous devons notre pacte
fondamental, c'est celle qui a été suivi depuis 15 années dans le pays, c'est
celle à laquelle nous devons devoir la Belgique libre, prospère, indépendante.
Par quelle fatalité, messieurs, par quel grand événement cette politique
devrait-elle tout à coup disparaître ? Par suite des élections du 10 juin !
Messieurs, je ne veux point nier l'importance des élections du 10 juin dans
quelques grands collèges électoraux ; je crois qu'elles contiennent un grand
enseignement pour le pouvoir et pour les chambres ; mais prétendre que ces
élections aient eu une assez grande importance pour qu'un système politique qui
avait été constamment soutenu par la majorité, doive être abandonné, je ne
pense pas, messieurs, qu'il puisse en être ainsi. On ne peut pas prétendre,
sans doute, que les résultats de quelques collèges puissent être considérés
comme l'expression de l'opinion générale, car que feraient alors, dans cette
enceinte, et les députés qui appartiennent à des localités moins importantes et
les députés qui appartiennent aux districts électoraux des campagnes ?
Messieurs, je crois que la constitution d'un ministère doit être
conforme à la composition des chambres législatives. C'est à une règle du
gouvernement constitutionnel dont il n'est point permis de se départir.
L'opinion publique, dit-on, ne veut plus du système d'union et de
conciliation, elle veut l'avènement exclusif de l'opinion libérale au pouvoir.
Si tel est, messieurs, le vœu de la nation, je crois qu'il faut laisser
s'établir ce fait d'une manière régulière. Il se formera par le jeu ordinaire
des élections une majorité assez considérable pour que l'on y prît la
composition d'un ministère exclusivement libéral. Mais, messieurs, aussi
longtemps que cette opinion n'est point en majorité dans le parlement, comment
voudriez-vous que l'on y prit exclusivement les hommes qui doivent former le
ministère ?
Messieurs, si l'avènement exclusif d'une opinion aux affaires doit avoir
lieu, ce n'est point d'une manière brusque, violente, ce n'est point par la
dissolution ; c'est graduellement par les élections qu'il se formera une majorité
et non par des moyens qui porteraient une perturbation profonde dans le pays !
Messieurs, on a reproché au cabinet du n'avoir dans son sein qu'un seul
membre de l'opinion libérale. S'il en était ainsi, je crois qu'en effet cette
opinion aurait le droit de plaindre. Mais nous ne pouvons pas admettre, et
je crois qu'ici plusieurs de mes honorables collègues sont de mon avis, qu'il
n'y ait qu'un seul membre de l'opinion libérale dans le sein du ministère. Nous
avons toujours appartenu, plusieurs de mes collègues et moi, à cette opinion et
il n'existe aucun motif pour que nous cessions d'y appartenir. Mais, messieurs,
il importe de faire ici une distinction. Veut-on parler du libéralisme exclusif
ou réactionnaire ? Alors ce libéralisme n'est point le nôtre.
Le libéralisme auquel nous appartenons, c'est le libéralisme modéré,
unioniste, conservateur ; c'est celui qui ne repousse pas le progrès, mais qui
veut qu'il soit le résultat du temps et du développement des intelligences.
Messieurs, j'ai écouté dernièrement avec
attention la lecture des notes que l'honorable M. Rogier vous a fait connaître.
Je l'ai écoutée avec attention parce que c'était une espèce de programme du
ministère exclusif qui, dans l'opinion de l'honorable membre, devrait être
appelé à la direction des affaires du pays. Je me demandais s'il y avait des
conditions telles dans ce programme, s'il y avait des bienfaits en quelque
sorte nouveaux que ce ministère devrait apporter et que nous ne serions pas à
même de réaliser.
Eh bien, messieurs, je dois le dire, tout ce que l'honorable préopinant
nous a fait connaître, je crois qu'il peut être admis par le ministère actuel.
Il nous a dit qu'un ministère exclusif devait être sincère.
M. Rogier. - Je ne
me suis pas servi de cette fausse expression de ministère exclusif ; elle n'est
pas dans mes intentions, je la repousse.
M. le
ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Vous vous êtes servi des mots de ministère homogène ; je crois que
c'est absolument la même chose.
M. Rogier. -
Conservons chacun notre langage.
M. le
ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Soit, employons les mots de ministère homogène, je n'y vois pas de
différence.
L'honorable membre, en exposant le programme d'une administration
homogène, a dit qu'elle devait être sincère. Or, messieurs, je crois que
d'après tout ce qui s'est passé dans cette discussion, nous pouvons aussi
invoquer ces principes de franchise et de sincérité.
Il a dit ensuite que cette administration devrait être ferme et
impartiale.
Eh bien, notre volonté est d'être impartiaux, fermes, et nos actes le
démontreront.
On a reproché aussi au ministère de ne pas avoir posé une espèce de
programme dès son début.
Le ministère a cru que le véritable programme d'un cabinet nouveau
devait se trouver dans le discours du Trône. Depuis 1830, les divers ministères
qui se sont succédé aux affaires, n'ont pas formulé de programme particulier.
Le premier programme de ce genre, que nous avons eu, est celui, je pense, du
cabinet de 1840 ; or, j'ai relu hier ce programme ; et le ministère actuel ne
verrait aucune difficulté à admettre toutes les idées qui y sont énoncées. Si
j'avais ce programme sous les yeux, il me serait facile de démontrer qu'il
n'est aucun des principes, qui y sont contenus, auquel le ministère ne puisse
adhérer sans réserve.
Messieurs, je ne crains pas de le dire, le débat actuel et le vote qui
doit s'ensuivre, auront une immense portée pour le pays. Il ne s'agit pas ici
de se prononcer sur une misérable question de portefeuille, il s'agit de se
prononcer sur l'abandon ou le maintien d'un principe. Il s'agit de savoir si
les membres de la chambre, qui ont toujours soutenu la politique de modération
et de conciliation, sont maintenant disposés à la répudier.
J'espère que la formule qui a été adoptée par
le ministère, ne gênera pas l'expression de la volonté des membres de la
chambre sur cette grave question. Nous ne tenons pas rigoureusement à cette
formule. Si la même idée était présentée sous une autre forme, ainsi qu'on l'a
déjà dit, le ministère ne verrait pas de difficulté à l'admettre. Tout ce que
nous voulons savoir, c'est si le principe de la formation du cabinet est
approuvé par la chambre, c'est si nous pouvons compter sur un bienveillant
concours. C'est sur cette question que nous appelons la chambre à se prononcer
; son vote décidera si la politique d'union et de conciliation doit cesser de
diriger les affaires du pays.
M.
de Foere. - Je n'entrerai pas dans
la discussion des faits qui se sont passés en dehors de cette enceinte
relativement à la composition du nouveau cabinet. Il me semble que de
semblables faits ne doivent pas être le texte des délibérations parlementaires.
La chambre, dans l'absence de témoins, ne peut instruire un semblable procès et
s'ériger en tribunal pour décider de quel côté la vérité se trouve. Il était
ensuite aisé de prévoir non seulement qu'une semblable discussion eût été complétement
inutile, que malgré la déclaration de sincérité faite de part et d'autre, les
équivoques en auraient fait les frais, mais qu'elle aurait dégénéré en
aigreurs, en démentis, en personnalités odieuses, et en insinuations
malveillantes.
Mais cette discussion a donné lieu à des opinions qui, si elles été
aient admises, ou si elles passaient sans opposition, pourraient devenir des
précédents dangereux. J'examinerai quelques-unes de ces opinions.
L'honorable
M. Rogier a nié qu'officiellement consulté il ait fait de la dissolution de la
chambre, la condition de son entrée au pouvoir. L'honorable M. Devaux et, après
lui, l'honorable M. Verhaegen ont cherché à justifier cette condition, si tant
était que l'honorable M. Rogier l'eût posée. Je conçois....
(page 53)
M. Rogier. - Si l'on revient sur
l'incident qui m'est personnel, je demanderai la parole pour répondre.
M. le président. - Il est impossible de défendre à un orateur de
discuter hypothétiquement une thèse.
M. Delfosse. (pour un rappel au règlement). - Je dois faire
remarquer à la chambre qu'elle a adopté hier une motion d'ordre de l'honorable
M. Dumortier, par suite de laquelle le débat sur cet incident devait être fermé
; je demanderai à la chambre si elle peut revenir sur cette résolution. Si elle
veut la maintenir, il est impossible que l'honorable M. de Foere revienne sur
l'incident d'hier.
M. de Foere. (sur le
rappel au règlement). - Je ne discute pas cet incident, je discute une opinion
politique qui a été émise dans la discussion de cet incident.
M. Delehaye. - On
répondra à votre thèse.
M. Devaux. - Nous
discuterons deux jours de plus.
M. Rogier. (sur le
rappel au règlement). - Messieurs, je ne m'oppose pas à ce que l'honorable M.
de Foere examine, au point de vue théorique, la question de la dissolution et
toute autre question qui peut en surgir ; mais je m'oppose à ce que l'orateur rentre
dans l'incident qui m'est personnel ; sinon, je dois me réserver le droit de reprendre
la parole : ce qui pourrait éterniser les débits.
Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, l'honorable M. de Foere vient de
dire que j'avais nié avoir été consulté par la Couronne, et avoir demandé la
dissolution comme condition de mon entrée au pouvoir ; il a dit ensuite que sur
d'autres bancs on croyait le contraire ; il a même ajouté qu'il n'était résulté
de ces débats aucune lumière sur ce point.
Eh ! bien non seulement j'ai déclaré, et je répète, que je n'ai été
consulté par la Couronne, ni officiellement, ni officieusement, ni directement,
ni indirectement ; mais j'ai défié et je défie encore le banc ministériel de
soutenir qu'il en ait été autrement.
Cependant, aujourd'hui encore, n'avons-nous pas lu, dans le principal
organe du gouvernement, qu'au moment des révélations de M. le ministre de
l'intérieur il avait circulé ces mots autour de lui : « Mais voici la
seconde édition de l'histoire d'Olozaga ? »
Voilà ce que je lis dans le principal organe du ministère ! Je m'élève
contre cette calomnie extra-parlementaire, comme j'ai protesté contre les
calomnies parlementaires.
Je nie positivement ; on n'opposera pas de démenti à ma dénégation.
M. le ministre de l'intérieur a lu hier une partie de mon discours, où
je pose l'hypothèse d'une dissolution éventuelle. Mais il y avait deux autres
hypothèses.
J'ai vainement demandé à M. le ministre d'achever ma phrase. Il en a lu
la première partie, et a supprimé le reste.
M. le
président. - Ceci est étranger au
rappel au règlement.
M. Rogier. -
Permettez, M. le président ; ceci est assez grave pour qu'on me laisse quelque
latitude. Je suis sous le poids d'accusations odieuses, si elles ne sont
ridicules.
M. le président. - Vous
désirez mettre un terme à ce débat personnel. C'est mon désir comme le vôtre. Mais
vous venez de rentrer dans ce débat personnel.
M. Rogier. - Oui,
pour me défendre.
J'interdis à qui que ce soit de soutenir que les faits se soient passés
comme le prétend le ministère.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Il est, je pense, dans le désir de la chambre de terminer le débat
sur cet incident. Je crois pouvoir suggérer un moyen sûr d'atteindre ce but.
Les notes dont l'honorable membre a donné lecture, ont été insérées au
Moniteur. En conséquence, la chambre et le pays ont tous les éléments
nécessaires pour former leur conviction, et je renvoie et les membres de cette
chambre et tous nos concitoyens aux opinions consignées par l'honorable membre
dans les notes qu'il a publiées.
A cette occasion, l'honorable préopinant a
laissé échapper une parole que je dois relever. Le gouvernement a, dit-il, un
organe officiel, et cet organe officiel jetant à la tête de l'honorable membre
une expression injurieuse, les ministres du Roi en seraient responsables dans
cette enceinte. Je déclare qu'il n'y a pour moi d'autre organe du ministère que
le Moniteur, et que les ministres sont complétement étrangers (moi-même, comme
mes honorables collègues), à tous les articles insérés dans le journal que
l'honorable membre a qualifié d'organe du ministère.
Plusieurs membres. - Très bien !
M.
le président. - La parole est à M.
Rogier, sur le rappel au règlement.
M. Rogier. - C'est
pour répondre au ministre que j'ai demandé la parole. Vous avez laissé parler
M. le ministre de l'intérieur ; vous devez me laisser lui répondre.
M. le ministre de l'intérieur a dit qu'il renvoyait ses concitoyens aux
notes que j'ai lues à la chambre. Je les y renvoie également. Mais j'aurais
voulu que M. le ministre ne les tronquât pas. Voilà la seule réponse que
j'avais à lui faire.
Répondant à mon observation, M. le ministre déclare que le ministère n'a
pas d'organes dans la presse ; mais je ne sais s'il avoue, ou s'il désavoue
l'organe auquel j'ai fait allusion. Il m'importe de le savoir.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Nous n'avons pas d'organe.
M. Rogier. - Ainsi,
voilà le ministère sans organes dans l'opinion publique. Mais ce n'est pas
possible !
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je demande la parole pour un rappel au règlement. Sommes-nous, ou
non, dans les règles du gouvernement représentatif ? Je demande si l'on peut interroger
le ministère sur la question de savoir s'il est, ou s'il n'est pas soutenu par
des journaux. II n'y a dans le gouvernement représentatif de soutien légal du
ministère que vous-même. prononcez donc. C'est de votre vote seul que dépend
l'existence ou la chute du ministère. Nous n'irons pas, en dehors de cette
enceinte, ni créer, ni solliciter des appuis.
M. le président. J'invite l'honorable M. Rogier à être court.
M. Rogier. - M. le ministre de l'intérieur a la prétention de me rappeler aux
règles parlementaires. Voilà quinze ans que nous les pratiquons sans lui.
Il est, je crois, contraire à tous les usages constitutionnels qu'un
ministère n'ait pas d'organe officiel dans la presse. M. le ministre de
l'intérieur invoque une autre doctrine. Je ne pense pas qu'elle ait chance de
se nationaliser dans le pays. Je crois que tous les ministères ont et auront
des organes. M. le ministre désavoue-t-il celui que j'ai indiqué ? Il est bon
que je sache si cet organe, en se livrant à cette infâme calomnie contre moi, a
eu l'aveu du ministère. (Dénégations aux
bancs de MM. les ministres.)
M. le ministre des finances
(M. Malou). - Je renouvelle la déclaration si sage, si véritablement constitutionnelle
qui vient de vous être faite. Le gouvernement, d'après les règles établies dans
les pays constitutionnels, n'a pas d'organes eu dehors des chambres. Si
certains organes de la presse le combattent ou le défendent, personne, ni
d'après les faits, ni d'après les principes de nos institutions, ne peut
demander au ministère ni aveu ni désaveu. Il n'a pas à s'en expliquer. Il n'a
aucun rapport ni avec la presse qui l'approuve, ni avec la presse qui l'attaque
; et il est bien décidé à n'en avoir aucun.
M. le
président. - II est entendu que
l'honorable orateur examinera la question en théorie, comme opinion catholique
absolue, mais sans rapport avec l'incident.
La parole est continuée à M. de Foere.
M.
de Foere. - Avant de continuer dans
cette discussion spéciale, je dois regretter qu'à l'occasion de l'examen d'une
opinion politique que je crois dangereuse, de nouvelles aigreurs aient été
jetées dans cette enceinte ; telle n'était assurément pas mon intention. Je me
borne à discuter une opinion qui, si elle passait sans opposition, pourrait
être invoquée comme antécédent dangereux. J'insiste sur cette discussion dans
un esprit d'impartialité, car tous les partis parlementaires pourraient devenir
successivement victimes de l'opinion que je combats.
L'interruption de M. Rogier a donc droit de m'étonner. Je ne rentre pas
dans la question de fait. Au surplus, M. Rogier m'a prêté des paroles que je
n'ai pas prononcées. J'ai laissé la question de fait dans toute son intégrité.
J'ai même dit, et toute la chambre en est témoin, que la chambre, dans l'absence
de témoins, ne pouvait instruire ce procès, ni s'ériger en tribunal pour juger
de quel côté était la vérité des faits. J'en atteste la chambre tout entière. (Assentiment.)
Après cette justification, je rentre dans la discussion.
Je conçois que, lorsqu'un ministère sent que la majorité lui échappe, il
fasse un appel au pays, au moyen d'une dissolution, pour décider des intérêts
ou des systèmes qui divisent les partis parlementaires ; mais qu'un membre
appelé pour entrer dans un cabinet, en présence d'une majorité réelle, fasse à
la Couronne, de la dissolution de la chambre, la condition de son assentiment,
c'est là un précédent inouï dans les annales parlementaires, un précédent qui,
s'il pouvait être admis, ferait violence à la marche régulière des parlements
el irait en sens inverse du but qu'ils sont censés devoir atteindre.
Pour justifier sa thèse, l'honorable M. Verhaegen..
Des
membres. - Vous citez encore des
noms propres.
M.
de Foere. - Je cite des noms
propres, parce que c'est l'usage établi dans cette chambre. Je les cite parce
qu'ils appartiennent à la discussion et afin que l'histoire parlementaire
puisse les constater.
Pour défendre sa thèse, l'honorable M. Verhaegen a emprunté un fait à
l'histoire du parlement anglais. Il a dit que sir Robert Peel, avant d'entrer
au pouvoir, avait fait à la reine la condition de la dissolution du parlement.
Cette assertion est complétement inexacte. Avant qu'il eût occupé le pouvoir,
la majorité s'était déclarée parlementairement contre le ministère whig. Ce
dernier cabinet avait présenté au parlement le discours de la couronne. Les
tories ont proposé un amendement à ce discours ; la majorité a accueilli
l'amendement. Le ministère whig s'est régulièrement retiré, et c'est alors
seulement que sir Robert Peel, avec le parti tory, est rentré au pouvoir, alors
seulement qu'il a dissous le parlement, afin de renforcer son parti. Ce fait
renverse entièrement l'opinion qui a été défendue et prouve contre l'honorable
membre qui l'a allégué.
On a emprunté un autre exemple à l'histoire des chambres législatives de
la France. On a cité le fait de dissolution qui s'est passé sous le ministère
Polignac. Mais l'honorable membre qui a allégué ce fait, a fini lui-même par
dire que les circonstances n'étaient pas égales. Cette déclaration me dispense
d'entrer dans l'appréciation de ce fait.
La prérogative royale n'est pas un non-sens. C'est une vérité, une
vérité écrite dans la Constitution. La Couronne est en pleine possession du
droit d'apprécier la situation parlementaire et celle du pays. Vouloir faire
violence à ce droit, c'est vouloir que la Couronne s'associe à ces violences
parlementaires et au renversement de la marche régulière de tout parlement.
M. Verhaegen s'est longuement étendu sur le droit qu'avait M. Rogier...
(Nouvelles réclamations : Vous citez
encore des noms propres).
Je vous ai dit la raison pour laquelle je les cite. Si la chambre tient
à cette puérilité, je dirai : On a dit, ou, un membre a dit ou plutôt j'entrerai
dans la discussion de l'adresse.
(page 54) L'honorable
ministre de l'intérieur a déclaré positivement que les principes libéraux
recevraient leur application par le cabinet actuel. Cette déclaration nette et
claire a été faite en présence de tous les ministres. Aucun d'eux n'a réclamé.
M. Verhaegen accepte cette déclaration de la part de M. Van de Weyer ;
mais il ne l'accepte pas de la part d'autres membres du cabinet. Il est
cependant rationnel de présumer que tous les membres du cabinet, sans en
excepter M. Van de Weyer, se sont entendus sur les principes libéraux.
Cependant, M. Verhaegen n'a pas accepté cette déclaration dans un sens général
; c'est dire, en d'autres termes, que ses propres opinions libérales, ou celles
de M. Van de Weyer, sont le seul type du véritable libéralisme.
Quant à moi, j'accepte cette déclaration nette et positive ; mais ce
n'est pas à dire que j'en reçoive toute application possible et éventuelle.
Si donc je vote pour l'amendement proposé à l'adresse, je me réserve le
droit de voter ou de ne pas voter pour toutes les mesures que le cabinet
présentera dans le cours de nos délibérations. Il y a diverses manières d'être
libéral. Je l'ai toujours été, en ce sens que toujours j'ai appuyé des mesures
qui m'ont paru fondées en justice, en vérité, et conformes aux intérêts
généraux du pays. (Assentiment de la part
de M. Verhaegen.)
Dans cette situation, je puis accorder ma confiance conditionnelle au
cabinet actuel, d'autant plus que, d'autre part, j'ignore s'il présentera des
mesures illibérales qui rencontreraient mon opposition.
C'est dans le même sens que j'accepte l'adresse relativement aux projets
de loi que le gouvernement annonce dans le discours du Trône.
Ce discours nous révèle que des traités de commerce et de navigation ont
été conclus avec des Etats étrangers. J'ignore les conditions sur lesquelles
ces traités sont fondés. Si donc je vote pour l'amendement proposé à l'adresse,
je me réserve le droit d'appréciation et mon vote de confiance reste subordonné
aux éventualités parlementaires.
Le discours de la Couronne fait aussi au pays
la promesse de ne négliger aucun moyen d'atténuer la souffrance de l'industrie
linière. Je ne connais pas ces moyens. J'ignore si ces mesures seront bien
choisies, si elles seront efficaces. Mon vote de confiance demeure donc aussi,
sous ce rapport important, limité à la nature des moyens que prendra le cabinet
pour soutenir l'industrie linière.
Quels que soient ces moyens, j'engage le gouvernement à examiner avec
attention les mesures qui ont été suggérées par plusieurs pétitions, adressées
pendant notre session extraordinaire à la chambre, pétitions qui émanent des
communes environnantes de la ville de Thielt, qui est un des grands centres de
l'industrie linière ; j'engage le cabinet à consulter ces pétitions et à faire
l'application des mesures qui y sont proposées, si tant est qu'il les trouve
utiles et efficaces pour atteindre le but.
M. Delfosse. - Messieurs, si je prends la parole, ce n'est
pas que j'aie la folle prétention de m'élever à la hauteur où le débat a été porté
à la séance d'hier ; je veux seulement signaler avec franchise, sans détour, la
vraie cause des embarras de la situation, cause sur laquelle on ne me paraît
pas avoir assez insisté.
Il est, messieurs, une idée qui est généralement répandue dans le pays,
une idée qui a jeté de profondes racines et qui a fait bien du mal au pouvoir.
Cette idée, c'est que le clergé pèse d'un trop grand poids sur le gouvernement,
c'est que le clergé a des vues de domination que le gouvernement n'a pas assez
d'énergie pour combattre.
On peut nier l'influence et les vues du clergé ; des faits qui
paraissent évidents pour beaucoup de personnes peuvent paraître douteux à
d'autres. Mais ceux-là même qui nient doivent bien reconnaître qu'il y a sur ce
point, dans les esprits, des craintes et des préoccupations très vives.
Tant que ces craintes subsisteront, le pouvoir sera frappé d'impuissance
; ses protestations, même les plus vraies, seront accueillies avec incrédulité
; ses intentions, même les plus pures, seront méconnues ; et ceux qui voudront
lui venir en aide se verront bientôt impopulaires et déconsidérés.
Il y a, messieurs, dans cet état des esprits, un grand danger qu'il
importe avant tout de faire disparaître ; et l'on n'y parviendra qu'en
composant un ministère entièrement pur de ces hommes qu'on suppose, à tort ou à
raison, être sous cette influence que l'on redoute tant.
Si l'honorable M. Rogier avait été appelé à former un ministère, il
aurait pu sans doute calmer l'agitation des esprits ; mais il ne l'aurait pu
qu'à la condition de s'entourer de collègues ayant les mêmes opinions que lui,
fermement résolus comme lui, à la connaissance de tous, d'être justes, mais
rien que justes envers le clergé.
Si l'honorable M. Rogier avait eu, dans les circonstances actuelles, la
malheureuse idée de former un ministère mixte, je ne crains pas de le dire, il
aurait été à l'instant même placé, dans l'opinion, sur la même ligne que M.
Nothomb el peut-être plus bas.
M. le ministre de l'intérieur comprendra-t-il maintenant pourquoi
l'honorable M. Rogier, bien que disposé à gouverner impartialement et à
l'entière satisfaction de la droite, si la droite eût été raisonnable, ne
pouvait néanmoins accepter des collègues pris dans la droite.
Ce qui serait arrivé à l'honorable M. Rogier, s'il avait formé un
ministère mixte dans les circonstances actuelles, arrive à M. le ministre de
l'intérieur. Certes nul de nous n'entend contester les qualités de l'honorable
M. Van de Weyer. Mon ami, M. Verhaegen, vous l'a dit hier, M. Van de Weyer a
formulé des principes auxquels nous pouvons donner notre adhésion ; il est
peut-être allé plus loin que nous ne serions allés nous-mêmes. Cependant, force
nous sera de lui refuser le concours qu'il nous demande et s'il veut vivre, il
sera réduit, comme son prédécesseur, à mendier des suffrages auprès de ceux
dont il ne partage pas les opinions.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Jamais !
M. Delfosse. - Vous pourrez vous retirer sans doute, mais si
vous voulez vivre, vous ne le pourrez qu'à cette condition ; vous serez réduit,
je le répète, à mendier des suffrages auprès de ceux dont vous ne partagez pas
les opinions, suffrages qui vous coûteront bien cher !
Nous avons, messieurs, la conviction profonde que le ministère, tel
qu'il est composé, ne répond à aucun des besoins de la situation, et que les défiances
du pays, loin de se calmer, deviendront de plus en plus inquiétantes.
M. Van de Weyer nous dit qu'il n'a pas d'autre but que la conciliation
des partis, et qu'ils vont gouverner avec impartialité. M. Nothomb nous a tenu
le même langage pendant quatre ans. M. Van de Weyer nous assure qu'il
appartient à l'opinion libérale. M. Nothomb nous en disait tout autant. M. Van
de Weyer nous offre en garantie ses antécédents. Les antécédents de M. Nothomb
étaient absolument les mêmes. M. Nothomb, comme M. Van de Weyer, avait fait de
l'opposition libérale dès 1828 ; il en avait fait comme M. Van de Weyer, à une
époque où elle pouvait conduire aux Petits-Carmes. M. Van ne Weyer nous fait
remarquer que lui, libéral, occupe le ministère le plus important ; c'est aussi
ce ministère que M. Nothomb occupait. M. Van de Weyer nous assure qu'il n'est
venu d'outre-mer que pour sauver la royauté.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je n'ai pas dit que j'tlais venu pour sauver la royauté.
M. Delfosse. - Pour sauver la royauté d'un grand péril. Vous
l'avez dit ; je m'en rapporte au Moniteur. M. Van de Weyer nous assure qu'il
n'est venu d'outre-mer que pour sauver la royauté. M. Nothomb nous assurait que
c'était dans le même but qu'il était venu d'outre-Rhin.
Comment voulez-vous que le public fasse une différence entre deux hommes
dont le langage et les antécédents se ressemblent si fort ? M. Van de Weyer
protestera de sa sincérité. Mais M. Nothomb protestait aussi de la sienne. Je
veux croire à la sincérité de M. Van de Weyer, mais qui sait si M. Nothomb n'a
pas aussi été sincère dans le principe et s'il n'a pas été dominé par la
situation fausse dans laquelle il s'était placé ? Eh bien, la position dans
laquelle M. Van de Weyer se trouve est absolument la même.
Ce qui complète la ressemblance, ce qui rend les défiances du pays et de
l'opposition légitimes, c'est le choix des collègues que M. Van de Weyer s'est
associés.
Je vois assis, à ses côtés, deux hommes qui ont accepté la solidarité de
tous les actes, de toutes les déceptions du ministère précédent, deux hommes
qui ont joué un triste rôle dans cette affaire du jury d'examen, qui a tant
abaissé le pouvoir.
L'un de ces hommes n'est-il pas celui qui a donné le signal des
hostilités contre le ministère de 1840 ? N'est-il pas celui qui a fait naître
cette crise que M. Malou déplorait dans la dernière session ? N'est-il pas
celui (pour me servir des expressions de M. Malou) qui convient le moins pour
clore cette fatale période ?
L'autre n'a-t-il pas poussé le scandale jusqu'à permettre, à ordonner
peut-être à l'un de ses subordonnés de mêler la justice aux luttes électorales.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - A quel fait voulez-vous faire allusion ?
M. Delfosse. - Aux poursuites dirigées contre M. Verhaegen.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Il ne nous sera pas difficile de nous expliquer à cet égard.
M. Delfosse. - Permettez-moi d'en douter. Nous avons, il est
vrai, MM. Malou et d'Hoffschmidt pour remplacer MM. Goblet et Mercier ; mais
quelle confiance l'opinion libérale peut-elle avoir en M. d'Hoffschmidt ? M.
d'Hoffschmidt qui a été des nôtres, qui a longtemps combattu avec nous la politique
de M. Nothomb, politique qu'il trouvait fatale au pays, et qui, un beau jour,
parce que son ami M. Mercier était au pouvoir, s'est séparé de nous et a voté pour
ce ministre contre lequel il avait précédemment déployé tant d'énergie.
M. d'Hoffschmidt vient de nous dire qu'il est encore libéral, mais
libéral comme il l'avait toujours été, libéral modéré. Je me rappelle fort bien
que M. d'Hoffschmidt, libéral modéré, a combattu, comme nous, avec énergie, la
politique fatale de M. Nothomb. Je me rappelle fort bien que M. d'Hoffschmidt,
libéral modéré, a combattu, comme nous, avec énergie les lois qui ont porté
atteinte à nos franchises communales et la loi sur les fraudes électorales. Je
voudrais bien savoir ce que M. d'Hoffschmidt, libéral modéré, pense aujourd'hui
de ces lois, et s'il les trouve encore désastreuses, comme à l'époque où il
était dans nos rangs.
M. d'Hoffschmidt nous disait l(année dernière, pour expliquer ce que,
moi, j'appelle une défection (car j'ai l'habitude d'appeler les choses par leur
nom) ; M. d'Hoffschmidt nous disait, au moment où il allait voter pour M.
Nothomb : « La chambre croira, j'espère, à ma sincérité : car je n'ai rien à
demander aux faveurs du pouvoir.» Un an après, M. d'Hoffschmidt, libéral
modéré, n'ayant rien à demander aux faveurs du pouvoir, était ministre. M.
d'Hoffschmidt ajoutait : « Il paraît qu'il s'agit de renverser au hasard ; car
je ne sache personne qui se présente pour succéder aux ministres actuels (interruption). » Là-dessus M.
d'Hoffschmidt s'écrie : « On dit qu'il s'en présente ; je serais charmé qu'on
me les désignât ; moi je ne les connais pas. » L'année dernière, au moment où
il allait voter pour M. Nothomb, M. d'Hoffschmidt ne connaissait personne qui
voulût remplacer les ministres ; aujourd'hui M. d'Hoffschmidt est ministre.
Que dirai-je de M. Malou ? Si ce
n'est qu'après avoir donné une démission motivée sur les vives répugnances que
le système de M. Nothomb lui inspirait et après avoir, devenu plus libre, blâmé
hautement ce système, il a (page 55)
tout à coup consenti à accepter de M. Nothomb des fonctions plus élevées que
celles qu'il avait perdues volontairement, des fonctions politiques qui le
plaçaient sous la direction immédiate de M. Nothomb.
M. Malou, d'ailleurs, passe, non sans raison, pour avoir, comme M.
Dechamps, des opinions incompatibles avec l'œuvre de conciliation à laquelle il
se dit appelé.
Messieurs, il faut des hommes d'une autre trempe que ceux-là, des hommes
moins compromis, pouvant inspirer plus de confiance, ayant plus de consistance
politique, pour amener cette conciliation qui doit faire l'objet des vœux de
tous les bons citoyens.
Ce n'est pas en continuant l'œuvre mensongère des ministères mixtes, de
ces ministères mixtes sur la composition desquelles l'opinion libérale n'est
pas même consultée, qu'on parviendra à calmer l'agitation des esprits. On y
parviendra d'autant moins que le seul homme qui puisse, dans le ministère,
revendiquer la qualité de libéral (je ne reconnais plus ce droit à M.
d'Hoffschmidt), ne prend aucun engagement envers l'opinion à laquelle il dit
appartenir. Il ne prend l'engagement de nous rendre aucune des libertés que
nous avons perdues, de retirer aucune des lois qui ont été votées sous le
ministère de M. Nothomb, malgré notre opposition, malgré l'opposition de M le
ministre des travaux publics, alors libéral modéré comme nous. Car nous sommes
des libéraux modérés ; nous l'avons prouvé plus d'une fois et nous le
prouverons encore.
Croyez-le bien, messieurs ; l'agitation est grande dans le pays ; elle
est plus grande que vous ne pensez. Les élections du 10 juin et du 28 octobre
n'en sont que de faibles indices. Tantôt, M. le ministre des travaux publics
voulait atténuer la portée de ces élections ; il nous disait que si
l'opposition avait eu du succès dans quelques collèges, la droite en avait eu
dans d'autres. M. le ministre de la justice nous opposait aussi avant-hier sa
réélection et celle de deux de ses collègues. M. le ministre de la justice
croit-il donc que Louvain, Ypres et Bastogne doivent peser dans les destinées
du pays autant que Bruxelles, Liège et Anvers ? M. le ministre de la justice
oublie-t-il qu'il n'est arrivé dans cette chambre qu'à l'aide de toutes les
influences du pouvoir ? Cependant il sait mieux que personne quelles sont ces
influences et comment on en use.
Nos amis sont arrivés, eux, en dépit de toutes les influences du
pouvoir. Voilà ce qui donne une haute signification aux élections du 10 juin.
Le jour où nous aurons le pouvoir pour nous, le jour où le pouvoir consentira
seulement à rester neutre dans les élections, ce jour-là nous arriverons en
grande majorité dans cette chambre et nos bancs seront insuffisants pour nous
contenir tous. Déjà nous sommes forts ici ; le ministère aura sans doute la
majorité en se portant à droite ; mais s'il se portait à gauche, il aurait une
majorité plus forte encore. En 1840 nous étions 49 ; aujourd'hui, si le pouvoir
était pour nous, nous serions plus de 60.
Mais, je le répète, messieurs, les démonstrations électorales, bien que
significatives, bien qu'ayant une haute portée, ne sont qu'un faible indice de
l'agitation qui règne dans le pays. (Interruption
de M. de Mérode.) Cette agitation est grande, M. le comte, ne vous y
trompez pas, et les causes n'en sont pas douteuses.
Aujourd'hui la royauté n'est pas en péril ;
on n'a besoin de venir ni d'outre-mer, ni d'outre-Rhin pour la sauver, on ne
s'indigne encore que contre ceux qui l'entourent, qui lui cachent la vérité. On
aime à croire que si la vérité lui était bien connue, elle n'hésiterait pas à
accorder à l'opinion publique les satisfactions qu'elle réclame. On la respecte
comme on le doit.
Mais qui peut répondre que le mouvement des esprits s'arrêtera toujours
j là ? Qui peut répondre, si on ne se hâte de mettre un terme aux périls de la
situation, que les mauvaises passions, débordant à l'aide du mécontentement
général, ne finiront pas par compromettre des institutions qui nous sont chères
et que nous serons toujours prêts à défendre ?
M. de Mérode. - Ce sont des menaces et de l'intolérance.
M. Delfosse. - Ce ne sont pas des menaces, M. le comte, c'est
un avertissement utile, dont vous feriez bien de profiter.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Avant de suivre M. Delfosse sur le terrain véritable du débat où il
s'est franchement placé, la chambre me permettra de répondre quelques mots à un
passage du discours prononcé hier par l'honorable M. Verhaegen.
J'ai été étonné, messieurs, d'entendre l'honorable M. Verhaegen
reprocher au ministère l'attitude qu'il avait prise, en ne pas acceptant une
position de silence et d'équivoque, attitude qui avait reçu l'assentiment des
chambres, et j'ose le dire, l'assentiment même de l'opposition.
L'honorable M. Verhaegen nous a dit qu'il aurait accepté l'adresse telle
que la Couronne l'avait rédigée ; il nous a même promis, si le ministère avait
consenti à admettre cette adresse, l'appui de son vote qui, à la vérité,
n'aurait eu aucune signification.
Je comprends parfaitement l'intention qu'a eue la commission d'adresse.
La commission n'a pas voulu provoquer une discussion politique dans la chambre.
Elle a voulu, par une rédaction non politique, obtenir un assentiment unanime
dans la chambre, pour le vote de la réponse au discours du Trône. Mais,
messieurs, les membres de la commission conviendront, qu'une fois le débat
politique engagé sur l'adresse même, le ministère devait désirer que la
discussion pût aboutir à un vote politique.
Un ministère nouveau qui n'a pas été appelé à écrire son programme dans
ses actes (et c'est la manière ruelle, sérieuse de récrire), ce ministère,
messieurs, n'a nul intérêt à s'envelopper dans le silence et dans l'équivoque ;
il a besoin de faire cesser les hésitations toutes naturelles que rencontre un
ministère qui se forme ; il a besoin d'exprimer hautement la pensée autour de
laquelle il puisse rallier la majorité que son but est de conquérir.
Sans doute, messieurs, nous n'avons pas le droit et nous n'avons pas eu
l'intention de demander à la chambre une confiance abstraite, une confiance
anticipée et qui ne doit reposer que sur les actes du ministère, mais le
ministère, pour vivre honorablement, doit obtenir voire appui moral, votre
concours bienveillant sans lequel nous ne trouverions autour de nous que doute,
hésitation et défiance. Nous avons besoin de l'appui du vote d'une majorité numérique,
mais nous avons besoin surtout d'appui moral et de dignité. Nous n'avons voulu accepter
à aucun prix la position qui avait été faite au cabinet précédent, à la fin de
votre dernière session, placé comme il l'était entre l'hostilité des uns et
l'indifférence des autres.
Il faut, messieurs, que nous nous comprenions bien, et nous demandons à
l'opposition l'application des principes de franchise politique qu'elle
proclame et que souvent elle nous rappelle. L'honorable M. Delfosse vient de
vous le dire, il est des hommes dans cette chambre (et il en fait partie) qui
croient que le gouvernement du pays n'aura de force, ne sera entouré de la
considération générale, ne pourra diriger le mouvement des partis que lorsqu'un
ministère d'homogénéité libérale sera formé.
Nous pensons, nous, que la conciliation que l'on croit possible dans les
actes, est aussi possible entre les personnes. Nous ne comprenons pas, comme
l'honorable M. Delfosse, que cette conciliation ne puisse s'opérer que par
l'ostracisme jeté sur toute une opinion de cette chambre, car c'est
l'ostracisme de toute une opinion que l'honorable M. Delfosse a réclamé.
M. Delfosse. - J'ai parlé des circonstances actuelles.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Dans les circonstances actuelles, soit.
Messieurs, nous croyons que cette opinion qui veut un ministère
d'homogénéité libérale, ne réunit dans cette chambre qu'une très faible
minorité, et nous voulons constater cette minorité aux yeux du pays, ou bien
constater notre erreur ; et si nous nous sommes trompés nous saurons quelle
conclusion nous aurons à tirer pour nous-mêmes de cette erreur. Mais d'après ce
qui s'est passé dans la dernière session, nous avons le droit de croire qu'une
très faible minorité dans cette chambre et une bien plus faible minorité encore
dans le sénat, partage l'opinion que vient de développer l'honorable M.
Delfosse.
L'honorable préopinant vous a rappelé, messieurs, le rôle que j'avais
joué dans les débats politiques qui ont amené la retraite du ministère de 1840.
Messieurs, je ne veux pas ressusciter des souvenirs irritants. Je ne fais même
aucune difficulté de reconnaître, et je l'ai déjà fait à cette tribune, je ne
fais, dis-je, aucune difficulté de reconnaître que les événements de 1841 ont
été un malheur, dont les suites sont encore aujourd'hui vivantes.
Un
membre. - Qui les a provoqués ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je suis convaincu, messieurs, que lorsque nous pourrons juger ces
événements de plus loin, que nous pourrons les juger d'après une appréciation
plus froide, plus impartiale, nous reconnaîtrons que ces événements sont dus à
des fautes communes, que la fatalité peut-être des circonstances a amenées.
Mais, messieurs, puisqu'on rappelle ces événements, permettez-moi de
vous les rappeler à mon tour, au profit de la discussion actuelle. Que s'est-il
passé en 1840 ? En 1840, messieurs, il y avait une majorité nombreuse et forte
dans les deux chambres, qui avait appuyé pendant sept années le ministère de
l'honorable M. de Theux. Cette majorité nombreuse était formée d'une fraction
considérable de ce qu'on appelle l'opinion catholique et de la fraction modérée
de l'opinion libérale. Le ministère de M. de Theux a-t-il été renversé par
l'opposition libérale, qui avait grandi, ou bien à la suite d'un échec
électoral ? Non, messieurs, et vous le savez tous, il est tombé sur un incident
que nul n'avait prévu.
Eh bien, comment s'est constitué le ministère de 1840 ? Sans qu'aucun
fait indiquât la nécessité d'un changement de système, il s'est formé en
présence de cette majorité d'éléments exclusivement libéraux.
Eh bien, messieurs, l'opinion catholique a-t-elle refusé son concours
immédiat à ce ministère ? Vous le savez, messieurs, non, elle ne lui a pas
refusé son concours.
Elle a attendu 8 mois, el je l'affirme ici, parce que c'est ma pensée et
ma conviction, si un honorable membre de cette chambre, qui avait été appelé à
jouer un rôle important dans la composition du ministère de 1840, qui avait été
chargé par le Roi de composer ce ministère, si cet honorable membre dans des
écrits devenus célèbres et qui ont souvent fait partie de nos débats, n'avait
pas donné à ce ministère une signification, désavouée par quelques membres du
cabinet et acceptée par d'autres, j'affirme ici que ce concours aurait
probablement été obtenu.
Eh bien, messieurs, nous qui avons combattu le ministère de 1840, nous
le combattions dans sa composition exclusive, ou homogène si vous l'aimez
mieux, nous le combattions surtout dans la signification politique que ses amis
lui donnaient.
Que nous répondait le ministère et que nous répondaient ceux qui le
défendaient ? On nous disait : « Comment ! vous combattez le ministère en
dehors des actes qu'il a posés, en dehors de ses principes avoués et de son
programme écrit ! mais c'est là un injustifiable procès de tendance ; c'est
vouloir vaincre une opinion ; c'est la une guerre de portefeuilles qui doit jeter
dans le pays une irrémédiable irritation ! Et aujourd'hui quelle est l'attitude
de 1'opposilion ? Combat-on un ministère parce qu'il serait insuffisant pour
gérer les affaires du pays ? Se refuse-t-on à donner au caractère des membres
du cabinet le témoignage d'estime que les organes de l'opposition au sénat ont
bien voulu leur accorder ? Le combat-on pour des actes qu'il a posés, ou qu'il
veut soumettre à votre sanction ? Nullement. On le combat (et M. Delfosse vient
de le déclarer franchement), ou le combat pour le principe de sa formation
même.
(page 56) En 1841, on
reprochait à l'opinion à laquelle j'appartiens, on lui reprochait comme une
injustice et comme une faute, de ne pas accorder son concours à un ministère
dans lequel elle ne comptait aucun représentant avoué. En 1845 vous trouvez
rationnel et juste que l'opinion libérale, même celle qui a déclaré vouloir des
ministères de transaction, nous refuse son appui, par le seul motif de la
composition ministérielle, el sans tenir compte ni des intentions, ni des
principes avoués, ni des actes annoncés ! Vous trouvez juste qu'on refuse son
concours, non pas au ministère catholique, mais à un ministère, il faut bien le
reconnaître, dans lequel la prépondérance numérique et la prépondérance de
position appartient à l'opinion libérale ; à un ministère formé par un des
fondateurs de notre Belgique de 1830, par un des rédacteurs de notre
Constitution, par celui que hier encore vous nommiez votre ami et que vous
considérez comme une des notabilités de votre opinion. (Bien !)
Eh bien, j'ai cherché vainement à m'expliquer le contraste manifeste qui
existe entre le thème adopté par l'opposition en 1840 et celui qu'elle accepte
aujourd'hui contre nous. Ces explications, je les attends.
L'honorable M. Delfosse vous a dit tout à l'heure, et c'est là le fond
même du débat, que le ministère n'était pas en rapport avec ce qu'il a appelé
l'opinion publique, le mouvement même des esprits. Il a cru que les élections
du 10 juin indiquaient une autre formation ministérielle ; il a cru que le
principe de cette formation, principe de conciliation et de transaction dans
les personnes, avait été condamné par l'opinion publique dans les élections
dernières.
Messieurs, examinons donc quelle est la véritable signification de ces
élections.
Je ne veux pas méconnaître le mouvement des esprits ; je ne veux pas que
le gouvernement repose sur la négation des partis, ce serait un mauvais moyen
de les modérer.
Mais, messieurs, d'un autre côté, vous savez que toute opposition pense
toujours que l'avenir lui appartient, et que le pays tout entier est derrière
elle.
Tenons-nous entre ces deux exagérations : quelle a été la signification
des élections du 10 juin, envisagées à un point de vue d'ensemble ? La lutte
a-t-elle été directement engagée entre ce qu'on appelle l'opinion catholique el
l'opinion libérale ?
Là est la question. Sans doute, messieurs, cette division des partis a
exercé une certaine influence dans certains collèges électoraux ; mais il faut
reconnaître que le caractère général des élections du 10 juin n'a pas été une
lutte dirigée entre ces deux opinions, n'a pas été le triomphe de l'une sur
l'autre.
En effet, la lutte a été complétement déplacée du terrain de 1841 et de
celui de 1843.
En 1843, l'opposition avait en vue l'élimination des hommes éminents de
l'opinion catholique, de MM. Raikem, Dubus, Demonceau, de Behr ; en 1845, les
hommes les plus considérables de cette opinion étaient en cause ; l'élection de
MM. de Theux, de Mérode, Brabant, Dubus, de La Coste. Malou, a-t-elle été
contestée ? Ils ont tous été élus à une immense majorité. L'honorable M.
Brabant qui, en 1841, n'avait obtenu qu'une assez faible majorité, a vu un
succès éclatant couronner son élection en 1845 ; M. de Mérode, qui n'avait
obtenu qu'une voix de majorité en 1841, a été réélu à une majorité imposante en
1845.
Est-ce comme catholiques que MM. Meeus, Coghen, Van Volxem, Smits,
Cogels, ont été éliminés ? Evidemment non ; ces hommes de talent et de
modération manquent, sans doute au gouvernement, à la majorité, mais ils
manquent à tout parti modéré ; ils vous manqueront le jour où vous serez au
pouvoir, lorsque vous aurez besoin de l'appui des hommes modérés, pour
combattre la future opposition libérale à laquelle l'honorable M. Delfosse
vient de faire allusion, et que vous avez déjà rencontrée dans les élections
récentes, aujourd'hui que vous êtes opposition et que vous n'êtes pas encore
pouvoir.
Messieurs, qu'on comprenne bien ma pensée : je ne veux pas le moins du
monde faire allusion à d'honorables collègues que les collèges électoraux de
Bruxelles et d'Anvers ont envoyés dans cette enceinte. Ces nouveaux membres
auront à faire connaître leur opinion à la tribune ; jusqu'à ce qu'ils l'aient
fait connaître, nous n'avons pas à la juger ; mais j'ai pu parler avec regret
des hommes qui ont échoué dans les élections et à qui personne ici ne refusera
ce témoignage d'estime.
J'ai fait remarquer l'année dernière, que depuis 1843, l'opposition avait
cessé d'attaquer directement la majorité, qu'elle isolait ainsi du ministère. Ce
caractère de nos débats parlementaires a été transporté dans les élections. Presque
partout, pendant l'élection, la doctrine de M. Devaux sur la division des
partis, a été soigneusement tenue sous le boisseau.
La lutte du 10 juin a eu tellement peu le caractère d'une victoire d'une
des opinions sur l'autre, que, le lendemain des élections, l'opinion libérale
faisait proclamer, par ses principaux organes dans la presse, qu'elle ne
voulait pas le ministère homogène dont a parlé l'honorable M. Delfosse. On
demandait une modification dans le cabinet, modification qui n'aurait pas
détruit le caractère même de sa formation primitive.
Le ministère actuel n'a donc pas été formé en opposition avec l'opinion
publique. Le résultat des élections du 10 juin n'exigeait pas l'avènement d'un
cabinet homogène.
Le ministère a-t-il été formé en opposition avec les éléments actuels
des deux chambres ? Là se trouve la véritable question à débattre, question
qu'on tient prudemment dans l'ombre et sur laquelle on garde le silence. La
question de politique sérieuse est celle de savoir si le ministère est en
harmonie avec les éléments actuels des deux chambres.
Savez-vous quelle est la différence entre nous ? Je vais vous le dire :
Vous voulez un ministère constitué pour une chambre future, pour la chambre et
vos espérances, pour une chambre qui n'existe pas.
Noos croyons, nous, qu'un ministère doit être formé en rapport avec les
éléments dont les chambres se composent ; nous croyons qu'il doit être formé en
vue d'élargir la majorité par le rapprochement à opérer entre les hommes
modérés des deux opinions, qui au fond sont bien plus séparés par des
préventions que par leurs principes.
Vous voulez, comme je viens de le dire, un ministère formé pour une
chambre future ; vous croyez que les chambres actuelles ne représentent pas
fidèlement l'opinion publique ; c'est, du reste, la prétention de toute
opposition, et vous croyez à la possibilité d'un ministère dont, le premier
acte aurait pour objet de détruire la majorité ancienne.
Je comprends, messieurs, que l'honorable M. Verhaegen nous ait dit hier
qu'il y aurait, selon lui, imprudence à un ministère de son opinion de
consentir à entrer aux affaires, sans avoir dans les mains, comme condition, la
dissolution préalable des chambres. L'honorable M. Verhaegen a raison ; pour un
ministère homogène, comme le veut l'honorable M. Delfosse, il faudrait
inévitablement que le ministère procédât par la dissolution, peut-être par des
dissolutions successives, pour former des chambres nouvelles qui lui donnassent
une majorité, si toutefois cette majorité, dans la chambre et dans le sénat,
peut jamais sortir de ces luttes électorales qu'on aura dû exciter et
passionner.
Ce n'est pas, comme l'a dit tout à l'heure M. le ministre des travaux
publics, ce n'est pas l'avènement régulier de l'opinion libérale que l'on veut,
c'est son avènement irrégulier, à la suite d'un bouleversement dans le pays.
Messieurs, c'est au fond un changement de majorité parlementaire que
l'on veut. Mais savez-vous, messieurs, ce que c'est qu'un changement de
majorité parlementaire dans un pays constitutionnel ? C'est une révolution dans
l'Etat. (Dénégations sur quelques bancs.)
Je le répète, c'est une révolution dans l'Etat. Comment ! mais la majorité des
deux chambres, c'est le gouvernement du pays qui a fait votre Constitution, qui
a choisi votre dynastie ; c'est ce gouvernement qui a posé depuis 15 ans tous
les faits de politique extérieure et intérieure. Or, c'est cette base que vous
voulez renverser, vous voulez placer le pays sur une pente, changer le système
du gouvernement de ces 15 années, ouvrir la voie à des réformes inconnues !
Et vous envisagez cet avenir sans sourciller, sans doute et sans crainte
?
Messieurs, lorsque la majorité parlementaire a été changée en France
après l'avènement des 221, tous les esprits sérieux ont vu la révolution dans
le lointain. L'Angleterre, à cette heure encore, n'est-elle pas fortement
ébranlée par le changement de la majorité parlementaire qui a eu lieu sous le
ministère whig ? En France, le chef de l'opposition veut-il arriver aux
affaires à l'aide d'un changement de majorité parlementaire ? Veut-il modifier
cette majorité Périer de 15 ans, que tous les ministères en France ont eu pour
but de conserver et d'agrandir ? Non, messieurs, le chef de l'opposition en
France, veut gouverner avec la majorité Périer de 1830 ; sa seule prétention
est de la fortifier. Voilà en quoi l'opposition française diffère radicalement
de l'opposition belge, de cette opposition qui ne craint pas de soumettre la
Belgique, avec sa jeune nationalité et sa jeune dynastie, à ces rudes épreuves
que soutiennent à peine des gouvernements comme en France el en Angleterre.
Je le sais, messieurs : on croit, on espère qu'en changeant cette
majorité parlementaire on pourra ne pas changer le système du gouvernement du
pays. Ministère libéral, on croit que l'on ne posera pas des actes libéraux, en
hostilité à l'opinion catholique On croit avoir assez de force pour ne pas
proposer ces lois que M. Verhaegen a inscrites dans son programme. On ne veut
pas arriver à exclure des emplois les hommes appartenant à une autre opinion
qu'à celle qui serait au pouvoir.
L'honorable M. Rogier vous a dit qu'il avait un programme qui pourrait
être accepté par la droite. Je ne comprends plus alors le sens et le but de ces
passions politiques que l'on entretient dans le pays.
Vous avez un programme de conciliation et de transaction comme le nôtre,
puisqu'il serait accepté par la droite, et vous ne voulez pas que personne de
notre opinion s'associe à vous pour l'exécuter ? Vous voulez ce que nous
voulons ; pourquoi donc nous repoussez-vous ? Pourquoi changer le ministère, si
vous n'avez à poser que les actes que nous-mêmes nous poserions ? (Interruption.)
Oui, et permettez-moi de vous dire toute ma pensée, le jour où vous seriez
au pouvoir, vous auriez besoin de notre appui, vous auriez besoin de l'appui de
l'opinion de la droite, afin de trouver une majorité qui vous échapperait.
Il est évident que le jour où vous serez au pouvoir, une future
opposition libérale surgira dans cette enceinte, comme déjà elle a surgi hors
de cette enceinte.
Nous savons qu'entre les membres de l'opinion libérale, il n'y a
d'homogénéité que pour combattre, qu'il n'y eu a aucune pour gouverner. Chacun
sait que sur la plupart des questions que je pourrais poser, j'obtiendrais des
réponses bien différentes des diverses fractions de l'opinion libérale. Réforme
électorale, instruction publique, loi communale, réformes sociales, questions
de politique extérieure et commerciale, laquelle de ces questions ne jetterait
pas à l'instant la division dans vos rangs, si elle était posée ? Au pouvoir,
vous verriez naître et se développer une opposition libérale, et pour la
combattre n'auriez-vous pas inévitablement besoin de l'opinion qu'on veut
aujourd'hui proscrire ? Vous comptez tellement sur notre modération, que, sans
notre appui, vous ne resteriez pas longtemps au pouvoir. Vous chercheriez alors
à reconstruire cette union que nous voulons, nous, aujourd'hui maintenir.
On suppose toujours qu'il y a incompatibilité politique entre un
catholique et un libéral. Si cette incompatibilité existait, évidemment les
ministères de transaction seraient impossibles. Mais depuis quinze ans le pays
n'a pas cru à cette incompatibilité. On est parvenu à se mettre d'accord sur
notre Constitution, sur la solution de questions qu'on aurait pu croire
insolubles. (page 57) On s’est mis
d'accord sur toutes nos lois organiques, sur les lois si difficiles de
l'instruction supérieure et de l'instruction primaire ; et vous pensez qu'il
est désormais impossible de s'entendre sur les quelques lois qu'il reste encore
à faire et sur lesquelles certaine divergence d'opinion peut exister ?
Nous n'avons pas cru à cette impossibilité ; nous avons pensé que les
hommes qui avaient pu depuis 1830 se rapprocher pour faire la Constitution, les
lois organiques et les lois importantes qui ont été faites et exécutées,
peuvent s'unir encore pour résoudre les rares questions d'un intérêt
relativement accessoire et qui sont loin d'être insolubles. Evidemment ce n'est
pas pour le jury d'examen et la loi du fractionnement qu'il est nécessaire de
constituer une opposition libérale.
Ici la chambre me permettra de répondre plus directement aux
interpellations que l'honorable M. Verhaegen a adressées hier au cabinet. Il
vous a demandé comment les ministres qui appartiennent à des opinions
différentes pourraient se mettre d'accord sur les questions qui restent à
résoudre, notamment sur la question de l'instruction moyenne annoncée dans le
discours de la Couronne.
Messieurs, la grande difficulté dans les questions relatives à
l'instruction publique, résidait plutôt dans la loi sur l'instruction primaire
que dans celle sur l'instruction moyenne. Dans la loi sur l'instruction
primaire, le problème de la conciliation entre les grands intérêts qui étaient
en cause, l'action du gouvernement, l'action de la province, de la commune, et
l'action du.clergé, ce problème était autrement difficile à résoudre que celui
que soulève l'instruction moyenne.
La discussion de 1842 a eu lieu, elle a été solennelle ; on croyait que
dans cette discussion les deux opinions qui divisent cette chambre iraient se
briser sur un écueil inévitable ; on s'est trompé ; la loi a été votée par
l'unanimité moins trois voix. Je sais que ces trois voix ont la prétention de
représenter l'opinion publique au nom de laquelle l'honorable M. Verhaegen a
condamné hier cette loi d'instruction primaire.
Le principe que le ministère veut faire prévaloir dans la loi sur
l'instruction secondaire est celui qui trouve sa base dans le projet de 1834.
Depuis 1834, le ministère n'ignore pas que l'expérience a indiqué des
améliorations et des développements. Ces améliorations et ces développements,
il les proposera à la chambre. Il vous souvient, messieurs, que dans les
discussions politiques de 1841, quand nous interrogions le ministère sur la
question sur laquelle on nous interroge nous-mêmes aujourd'hui, dans la discussion
plus récente sur l'enseignement primaire, les honorables MM. Rogier el Devaux
n'ont cessé de déclarer que la limite de la transaction, en matière
d'instruction, pour l'opinion libérale, était la loi de 1834.
Cette limite, nous l'acceptons ; nous allons même plus loin ; nous
reconnaissons que depuis 1834, l'expérience a démontré la nécessité de donner à
la loi une certaine extension. Ainsi deux grandes questions ont été
provisoirement résolues, celle relative à l'inspection et celle concernant le
concours pour l'instruction moyenne. Quand la loi sera soumise à vos
discussions, le ministère nous fera connaître d'une manière plus explicite
quelles sont les nouvelles modifications qu'il croit nécessaire d'apporter à
cette loi qui, en 1842, était encore regardée comme suffisante par l'opinion
libérale, Ce que je puis dire, c'est que ces modifications auront pour principe
et pour résultat d'augmenter l'action du gouvernement en restant dans les
limites de nos libertés constitutionnelles.
L'honorable M. Verhaegen vous a parlé de la loi communale et des
modifications qui, en 1842, ont été apportées à cette loi. Messieurs,
l'honorable M. Verhaegen a placé le ministère dans un assez grave embarras. A
propos du jury d'examen, il a beaucoup regretté qu'on n'eût pas mieux défendu
la prérogative royale intéressée, selon lui, à la nomination par le Roi des
membres du jury. Un instant après, à propos des modifications apportées à la
loi communale, il a demandé si le ministère' n'était pas d'opinion qu'il
fallait revenir sur la disposition qui autorisait la nomination des
bourgmestres, par le Roi, en dehors du conseil, disposition qu'il a appelée
réactionnaire, quoiqu'elle eut pour objet de fortifier la prérogative royale !
L'opposition est loin d'être d'accord sur cette question.
M. Delfosse. - L'opposition tout entière a voté contre cette
disposition.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Quant à la loi sur le fractionnement à laquelle on a donné beaucoup
trop d'importance et de portée, j'ai voté pour son adoption, mais je ne l'ai
pas défendue. Je l'ai votée, non parce que j'y attachais de l'importance, mais
parce que dans la discussion j'avais cru que les raisons données pour la
défendre étaient meilleures que celles fournies pour la combattre.
Je ne fais aucune difficulté de reconnaître avec mes collègues que cette
loi, si on l'apprécie dans ses résultats, n'a pas la sympathie du cabinet. Mais
la question est de savoir s'il faut immédiatement provoquer le retrait d'une
loi qui touche à l'une de nos lois organiques les plus importantes ? Nous
n'avons pas oublié les conseils qu'on a donnés en 1842 au cabinet de ne pas
toucher légèrement aux lois organiques.
M. David. - Vous ne défendriez plus la loi du fractionnement
?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). M. le ministre des affaires étrangères. - Non ; mais le gouvernement
se demande si le moment est venu d'en provoquer le retrait, lorsque les
élections communales ne doivent avoir lieu que dans quatre ans.
Quant au jury d’examen, je n'en parlerai pas au point de vue qui m'est
personnel. J'ai déjà donné sur la position personnelle que ma conscience m'a
ordonné de prendre alors, des explications que je n'ai nul besoin de
renouveler.
La chambre sait que la majorité des deux chambres a décidé qu'une
expérience nouvelle de quatre années serait faite relativement à la loi du jury
d'examen.
On nous demande aujourd'hui (comme un de nos honorables collègues le
disait l'année dernière) ce que nous ferons en 1848.
M. Devaux. - Cette
loi a-t-elle aussi perdu vos sympathies ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - M. Devaux sait que j'ai combattu comme principe définitif, le
système de nomination des jurys par les chambres. Mais ce serait manquer à
toutes les convenances vis-à-vis de la majorité des deux chambres, si le ministère
venait déclarer qu'il ne veut pas attendre que cette expérience qu'on a voulue
soit faite. L'opposition elle-même ne pourrait, sans manquer aux convenances
parlementaires, déclarer quelles seraient ses opinions avant que l'expérience
ne fût complète.
Pour ce qui me concerne
personnellement, je viens de rappeler que, dans la discussion de la loi sur les
jurys d'examen, j'ai défendu une opinion qui n'était pas favorable au système
provisoirement adopté. Plusieurs opinions se sont fait jour. Ce n'est pas,
comme on semble le croire, une question catholique et libérale. Vous comptez
parmi vous plusieurs opinions distinctes sur cette grave question. Plusieurs
systèmes ont été proposés : système de la nomination royale, système de la
nomination par les chambres, système de jury non politique, défendu par
l'honorable M. Castiau et, si je ne me trompe, par l'honorable M. Delehaye.
Lorsque l'expérience sera accomplie, nous aurons à nous prononcer sur ; ces
systèmes.
J'ai la conviction qu'on parviendra à trouver sur cette partie de la loi
sur l'enseignement supérieur, la majorité de conciliation qu'on est parvenu à
former sur la loi elle-même, ainsi que sur la loi relative à l'instruction
primaire.
M. de Brouckere. -
Pendant dix ans, j'ai pris une part active à toutes les luttes politiques qui
ont surgi dans cette enceinte. Depuis quelque temps surtout, et pour divers
motifs que je ne crois pas devoir développer aujourd'hui, je m'étais renfermé
dans un silence dont j'eusse bien désiré ne pas sortir encore. Mais la
proposition faite par le ministère à l'occasion du projet d'adresse me semble
trop extraordinaire, trop en dehors des usages parlementaires, pour qu'il me
soit possible de ne pas rompre le silence.
Je ne viens pas, du reste, chercher à exercer la moindre influence sur
vos convictions, m'efforcer de les modifier en rien. Tel n'est pas mon rôle en
ce moment. Ce que je ferai, ce que je devais faire, c'est d'exprimer
franchement ma pensée sur l'objet de la discussion. Le ministère compte à peine trois mois
d'existence. Pendant ces trois mois, il n'a posé aucun acte significatif, aucun
acte caractéristique, dont on puisse induire quelle sera sa politique, quels
seront les principes qui le guideront. D'un autre côté, deux occasions se sont
présentées à lui d'exposer ces principes, cette politique, et non seulement il
n'en a pas profité, mais il a jusqu'ici refusé de répondre aux interpellations
bien nettes, bien explicites, et, selon moi, bien opportunes, qui lui étaient
adressées.
Il est vrai qu'il nous a expliqué comme quoi il avait pris le pouvoir,
pour qu'il ne tombât pas dans des mains qui voulaient, selon lui, en faire un
mauvais usage, un usage contraire aux intérêts du pays, un usage contraire aux
droits de la Couronne qui, pour moi, ne sont pas moins sacrés que ces intérêts.
De cette déclaration, il résulte bien que le cabinet ne fera pas ce que
voulait faire, selon lui, le ministère dont il a empêché l'avènement ; mais
nous ne pouvons en conclure ce qu'il fera. Or, ce n'est pas un programme
négatif (si je puis m'exprimer ainsi) qu'on demandait, mais quelque chose de
plus franc, de plus significatif, de plus explicite, que nous n'avons pas
obtenu jusqu'à présent.
Et cependant le ministère nous demande de déclarer à la Couronne que
nous avons en lui toute confiance, et qu'il peut compter sur le concours, sur
l'appui de la chambre en toute circonstance. Il nous dicte lé langage dans
lequel cette déclaration doit être faite, langage auquel il ne s'oppose pas du
reste, à ce qu'on apporte quelques modifications.
.l'ai dit que cette proposition du ministère était extraordinaire, en
dehors des usages parlementaires.
Elle est extraordinaire, en effet, parce que, quand on demande à
quelqu'un une déclaration de confiance, de concours, il faut donner à ce
quelqu'un des garanties par des actes ou par des engagements formels, qu'on se
montrera digne de cette confiance, de ce concours.
Elle est extraordinaire, parce que l'adresse avait été rédigée par une
commission, composée de membres choisis, si pas sous l'influence, au moins avec
l'assentiment du ministère, par une commission composée d'hommes dont pas un,
que je sache, ne lui est hostile.
Elle est extraordinaire, parce que l'honorable rapporteur est venu
déclarer que, dans la rédaction de l'adresse, il n'y avait aucune phrase
hostile au ministère, que la commission n'avait voulu que se renfermer dans une
sage et prudente abstention.
Or pareille chose s'était passée au sénat, el le cabinet s'était déclaré
parfaitement satisfait. Pourquoi donc montrer plus d'exigences vis-à-vis de la
chambre des représentants que vis-à-vis du sénat ? J'ai sous les yeux la phrase
de l'adresse du sénat, par laquelle il répond au dernier paragraphe du discours
du Trône, et celle qui vous est proposée par la commission ; et j'ose dire
qu'elle est plus positive, plus explicite que celle adoptée par le sénat. Cette
phrase, la voici :
« Les sentiments qui ont présidé à la fondation de la nationalité
belge sont encore vivants dans nos cœurs ; nous sommes toujours prêts à
travailler, de concert avec V. M., à consolider l'existence politique de la
Belgique (page 58) et à développer
tous ses cléments de prospérité ; l'attachement du pays à ses institutions
libérales, son respect pour les lois, son amour pour son Roi et pour sa jeune
dynastie, sont les plus sûrs garants de l'indépendance de notre belle patrie. »
Eh bien, qu'une semblable phrase soit proposée par la commission et que
le ministère l'adopte ; et je crois pouvoir dire qu'il ne s'élèvera pas dans la
chambre une voix pour repousser une semblable rédaction.
La proposition du ministère est en dehors des usages parlementaires. Ici
permettez-moi de vous lire quelques lignes d'un discours que j'ai prononcé en
1839, et qui semble fait pour la position actuelle. M. le ministre de
l'intérieur verra, en entendant la lecture de ces lignes, qu'il n'est pas le
seul qui, depuis quinze ans, soit resté fidèle à ses principes, conséquent avec
lui-même.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je n'ai accusé personne.
M. de Brouckere. —
Personne ne se défend.
M. le ministre de l'intérieur a dit qu'il était resté depuis quinze ans
conséquent avec lui-même. Il me permettra de faire la même déclaration.
« Dans un Etat représentatif, disais-je, où les pouvoirs sont bien
marqués, bien définis, bien distincts, où chaque pouvoir doit avoir pour devise
: franchise et publicité, il faut, pour que le gouvernement ne soit pas débordé
par les autres pouvoirs, pour qu'il inspire à tous respect et confiance, il
faut qu'il dise à chacun quel il est, où il marche ; il faut que cela soit
connu de tous.
« Il est, pour les grands corps de l'Etat comme pour la nation, deux
moyens de connaître un ministère, de savoir à quoi s'en tenir sur son
administration.
« Ou bien le ministère est composé d'hommes connus par les opinions
qu'ils ont défendues, par les actes qu'ils ont posés, par leur vie politique
antérieure, et alors le passé répond de l'avenir ; mais aussi le ministère doit
être homogène. Ou bien le ministère est composé soit d'hommes nouveaux, soit
d'hommes ayant professé jusque-là des opinions différentes ; c'est ce qu'on
nomme un ministère de coalition, ministère où chacun modifie quelque peu ses
opinions premières, dans un but d'union et d'intérêt général ; alors le
ministère, en entrant aux affaires, doit faire une sorte de profession de foi ;
il doit donner le programme de son administration future. Ainsi, messieurs,
chacun sait tout d'abord à quoi s'en tenir, les chambres, les fonctionnaires,
le pays.
« Rien de tout cela chez nous aujourd'hui ! »
Voilà ce que je disais en 1839 ; voilà ce que j'avais dit bien
antérieurement ; voilà ce que je dis encore aujourd'hui ; et aujourd'hui comme
alors je crois à la possibilité d'un ministère mixte. Mais, selon moi, son
existence ne peut être assurée ; il ne peut rendre de véritables services au
pays qu'en se soumettant aux conditions que je signalais, en 1839.
Si j'hésite à voter la proposition dictée par M. le ministre de
l'intérieur, est-ce à dire que je me défie du ministère ? Nullement.
Et tout d'abord je déclare que j'éprouve une sympathie réelle pour son
chef, dont j'ai partagé autrefois les sentiments sous bien des rapports, qui,
comme moi, est resté ce qu'il était il y a 15 ans, qui même, faut-il le dire, a
sur certains points des opinions plus avancées que les miennes.
Il y a plus : j'ose en appeler à plusieurs de mes amis qui siègent dans
cette chambre : j'ai toujours exprimé hautement le désir de voir M. le ministre
des affaires étrangères actuel faire partie du cabinet qui devait se former
après la retraite de l'honorable M. Nothomb.
Je comptais l'honorable M. d'Hoffschmidt au nombre de mes amis. Je n'ai
pas changé de sentiments à son égard.
Je professe beaucoup d'estime pour M. le ministre de la guerre.
Je ne regarde pas M. le ministre de la justice comme un homme dont
l'exagération soit à redouter.
Mais la question n'est pas dans nos sentiments personnels pour les
membres du cabinet, ou pour tel ou tel de ses membres. C'est l'ensemble du
cabinet qu'il faut voir. Ainsi, par exemple, malgré mes sentiments d'estime
personnelle pour l'honorable M. Dechamps, je ne me montrerais pas facilement
disposé à appuyer un cabinet composé de six messieurs Dechamps, moins encore un
cabinet composé de six messieurs Malou.
Or, messieurs, j'ignore la transaction qui s'est faite entre les membres
du cabinet ; j'ignore les concessions auxquelles chacun a dû consentir ;
j'ignore si dans cette transaction, dans ces concessions réciproques, une des
deux opinions qu'il s'agit de concilier, et à la conciliation desquelles je
suis prêt à travailler, n'a pas été sacrifiée à l'autre. Et, dans cette
incertitude, dois-je promettre entière confiance, concours quand même ?
Messieurs, un homme qui croit qu'il y va de son honneur de tenir sa
promesse, ne promet pas légèrement ; et lorsque l'on me demande une promesse
solennelle en ma qualité de représentant du pays, ce n'est pas user de mon
droit, c'est remplir le plus simple des devoirs que de réclamer quelques
garanties de la part de ceux à qui je veux faire cette promesse. Supposez que,
dans six mois, dans un mois peut-être, les projets de loi que l'on nous a
annoncés soient présentés et qu'ils heurtent mes principes et mes opinions, car
je ne les connais pas ; supposez que, dans les discussions qui pourront
s'ouvrir sur des projets qui nous sont soumis, le cabinet énonce des idées, des
prétentions que ma conscience ne puisse adopter. Que ferai-je alors ? Il faudra
donc que je mente à ma promesse ou que mente à ma conscience ? Je recule devant
une telle alternative. Tandis que si je reste libre vis-à-vis de ceux qui
eux-mêmes ne prennent aucun engagement vis à vis de la chambre, je siégerai ici
avec le désir d'appuyer le ministère, de le soutenir dans les mesures qu'il
présentera. Si des divergences d'opinions sur des points secondaires s'élèvent
entre nous, je m'en expliquerai franchement. Que si sa marche, son
administration, sa politique étaient en opposition ouverte avec mes opinions,
dont j'ai assez fait montre pour qu'on les connaisse, je n'hésiterai pas à me
déclarer ouvertement son adversaire ; mais auparavant j'aurai rempli vis-à-vis
de lui et dans une autre qualité un devoir que vous comprenez tous. Car,
messieurs, permettez-moi de le dire, j'ai toujours mis ma conscience au-dessus
de ma position administrative ; et s'il ne me répugnait de vous parler de
choses qui me sont tout à fait personnelles, il me serait facile de vous
démontrer que si je suis entré honorablement dans des fonctions dépendantes du
gouvernement, je m'y suis maintenu honorablement ; que plus d'une fois j'ai
offert de les résigner volontairement, et qu'un jour même ayant reçu un ordre
auquel je ne croyais pas pouvoir obtempérer, je n'ai consenti à rester en
fonctions que pour autant qu'on me dispensât d'exécuter cet ordre ; ce qui eut
lieu.
En résumé, je désire vivement et sincèrement pouvoir appuyer le
ministère, mais il me serait difficile de prendre à cet égard, en présence du
roi et du pays, un engagement solennel que je pourrais regretter, parce qu'on
n'en prend aucun vis-à-vis de la chambre.
Si la phrase dictée par M. le ministre de l'intérieur reste telle
qu'elle est, il est probable que je m'abstiendrai, à moins que l'on ne vienne
nous faire des déclarations plus positives, plus explicites que celles que nous
avons entendues. Je la voterais cependant s'il était entendu que, selon
l'explication que m'en semble avoir donné un des ministres, elle n'a que cette
portée que la chambre ne refuse pas son concours à un ministère mixte ; si par
exemple elle était conçue comme suit :
« La chambre aime à se rappeler que la Constitution sur laquelle
s'appuie la nationalité belge, est l'œuvre de la conciliation entre les hommes
modérés de toutes les opinions. Persuadés comme vous, sire, que cet esprit de
conciliation doit, pour le bonheur du pays, présider à la direction de ses plus
chers intérêts, nous venons offrir à Votre Majesté l'assurance que ce même
esprit nom guidera dans l'examen des mesures qui nous seront soumises. »
Un
membre. - Présentez un amendement.
M. de Brouckere. -
Ce n'est pas un amendement que je vous présente, c'est une opinion que j'émets.
On a beaucoup discuté ici, messieurs, si le pays pouvait être encore gouverné
par un ministère mixte. C’est la grande question ; c'est la question
principale. Eh bien, je dis, messieurs, que dans mon opinion le gouvernement
peut encore être gouverné par un ministère mixte. Cette opinion n'est pas
nouvelle chez moi ; je l'ai professée en tous temps ; j'en appelle à tous mes
amis politiques, sans en excepter un seul. Je ne dis pas pour cela qu'un
ministère homogène ne convient pas autant, mais je reconnais qu'un ministère
mixte est encore possible, si ce ministère mixte veut être juste entre les deux
opinions qui divisent le pays.
Messieurs, je m'arrêterais ici, si je ne croyais pas devoir quelques
mois de réponse à M. le comte de Mérode, ou plutôt si je ne désirais compléter
la pensée de cet honorable membre.
M. le comte de Mérode s'est élevé avec force contre la qualification que
l'on donne aux deux opinions qui divisent le pays. Je partage son opinion à cet
égard, et cela est vrai à tel point, que depuis quinze ans que je siège ici, je
ne me suis pas une seule fois servi de ces qualifications. Mais M. le comte de
Mérode a très bien expliqué comme quoi un homme appartenant à son opinion peut
être très libéral, et il a oublié d'ajouter qu'un homme appartenant à l'opinion
contraire peul être un excellent catholique.
J'ai d'autant plus tenu, messieurs, à
compléter sa pensée, qu'en lisant son discours, que j'ai ici sous les yeux, on
pourrait croire que M. le comte de Mérode regarde les hommes qui sont ses
adversaires politiques comme autant de rationalistes, professant des principes
opposés au christianisme, et presque comme des matérialistes (Non ! non !) ;... et presque comme des
matérialistes ; je ne retire rien, quoique M. de Mérode ait retiré quelque ehe
de son discours. Il y a une phrase du discours de cet honorable membre qui n'a
pas été imprimée, el que je n'ai pas oubliée. Or, je suis sûr que telle n'a pas
été l'intention de M. le comte de Mérode, et je tenais à ce qu'on ne se trompât
pas à cet égard.
M. le ministre des finances
(M. Malou). - La discussion, messieurs, dans la séance d'aujourd'hui a fait à mes yeux
un grand progrès. L'honorable M. Delfosse, se prononçant avec franchise sur la
situation du cabinet, vous a dit que la conciliation était le vœu de tous les
bons citoyens ; et s'il a blâmé la composition du ministère, c'est parce qu'il
a cru que le ministère serait impuissant pour réaliser cette œuvre, qui est le
vœu de tous les bons citoyens.
C'est déjà beaucoup, messieurs, que de savoir que nous voulons tous que
la conciliation s'opère ; qu'elle s'opère aussi large, aussi féconde pour le
pays, qu'il est possible de l'obtenir.
Nous sommes d'accord donc sur le but ; mais l'honorable membre croit que
le ministère actuel ne pourrait pas réaliser cette œuvre. Et pourquoi le
croit-il, messieurs ? Parce que, dit l'honorable membre, il y a dans le pays
une opinion que je veux croire erronée.
M. Delfosse. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre des finances
(M. Malou). - « Parce que, quels que soient les hommes qui se trouvent au pouvoir, on
ne dissipera pas cette idée qui existe dans le pays, tant que nous n'aurons pas
un ministère homogène. » Voilà, messieurs, les paroles dont j'ai tenu note.
N'est-ce pas déjà, messieurs, une chose étrange que de révoquer en
doute, malgré, a dit l'honorable membre, toutes les déclarations qui pourraient
être faites, de révoquer en doute que le ministère puisse prendre dans le pays
cette position suffisamment impartiale, suffisamment forte pour dissiper l'idée
que vous dites y exister ?
« Vous ne vivez, dit encore l'honorable membre, qu'en mendiant des (page 59) votes.» Eh ! messieurs, si
demain nous devions vivre ainsi, demain nous ne vivrions plus.
J'arrive, messieurs, aux observations de l'honorable préopinant qui
vient de se rasseoir. La proposition que nous vous soumettons, dit cet
honorable membre, est extraordinaire, elle est en dehors de tous les usages
parlementaires. Déjà, messieurs, au début de la discussion, mon honorable
collègue, M. le ministre de l'intérieur, nous a dit que dans les circonstances
analogues la chambre avait toujours exprimé sa volonté. Je ne crois pas devoir
rappeler tous les discours du Trône, toutes les adresses faites depuis 1830 ;
j'en citerai seulement deux, parce que l'analogie des situations est parfaite.
Je citerai les adresses de la chambre lors de l'avènement du ministère mixte de
1834 et lors de l'avènement du ministère homogène de 1840.
En 1834, le discours du Trône portait : « La Belgique sait
apprécier l'esprit de justice et d'impartialité qui préside aux actes de mon
gouvernement. » La chambre a répondu, et c'était un amendement de l'honorable
M. Dumortier : « Mandataires d'un peuple généreux qui a su conquérir sa
liberté, nous saurons en toute circonstance concourir avec votre gouvernement à
la régénération politique du pays. »
Dans l'adresse en réponse au discours du Trône de 1840, voici,
messieurs, de quelles expressions l'on s'est servi : « Un profond amour de
notre indépendance, une grande unité de vues entre le gouvernement et les
chambres nous feront éviter les écueils que présentent les temps difficiles,
etc. »
Vous voyez donc, messieurs, que la proposition que nous vous avons
soumise, loin d'être extraordinaire, est en quelque sorte normale.
La nécessité de cette proposition a été définie bien des fois devant
vous.
Nous avons dit que pour rester au pouvoir avec dignité, nous ne pouvions
pas accepter une adresse bienveillante, j'aime à le croire, dans la pensée des
membres de la commission, mais qui laisserait peser sur le ministère, qui
laisserait peser sur vos travaux une incertitude qui aurait été fatale à de
grands intérêts, à des intérêts que nous croyons devoir sauvegarder.
J'ai été quelque peu étonné d'entendre l'honorable préopinant dire que
le ministère refusait de s'expliquer. Je m'attendais, alors que le ministère a
déjà donné tant d'explications sur toutes les questions qui lui ont été posées,
alors que mon honorable collègue, M. le ministre des affaires étrangères,
venait encore de répondre en détail au discours de l'honorable M. Verhaegen, je
m'attendais à ce que l'honorable M. de Brouckere posât lui-même au ministère
quelques nouvelles questions sur ses actes, sur ses tendances...
M. de Brouckere. -
Mais vous ne répondez pas quand on vous interroge.
M. le ministre des finances
(M. Malou). - Quelle est la question sur laquelle les réponses données par le ministère
sont insuffisantes ? Qu'on signale ces questions et nous répondrons encore.
Il ne faut pas, messieurs, forcer les termes de la proposition qui vous
est soumise. Il ne faut pas non plus amoindrir cette proposition.
L'honorable membre paraît avoir quelque peu forcé les termes de la
proposition lorsqu'il a dit que nous venions demander d'avance toute votre
confiance, que nous venions vous demander de nous promettre votre appui en
toute circonstance, de prendre des engagements, de prendre en quelque sorte,
sous l'enveloppe d'un seul mot, l'engagement de voler des lois qui peuvent
occuper deux sessions. Messieurs, c'est là de l'hyperbole. Nous demandons la
confiance et le concours bienveillant qui nous sont nécessaires, qui seuls
peuvent nous permettre de remplir la mission pour laquelle nous sommes ici.
Mais, messieurs, est-il jamais entré dans la pensée d'aucun de nous de réclamer
votre adhésion anticipée à toutes les mesures que nous aurons à proposer ? Non,
messieurs, nous les examinerons avec vous, mais nous demandons si nous pouvons
compter dans la chambre sur une majorité assez forte, assez sympathique pour
que notre présence aux affaires ne soit pas un obstacle à l'exécution des
mesures que le pays réclame.
Voilà, messieurs, quelle sera la portée de votre vote. Voilà le vote que
nous vous demandons, et c'était pour nous un droit et un devoir de le réclamer.
L'honorable membre invoque encore ce qui s'est passé au sénat. Mais,
messieurs, ce qui s'est passé au sénat est bien simple. Mon honorable collègue,
M. le ministre de l'intérieur, avait demandé au dernier paragraphe du projet
d'adresse l'addition de deux mots ; on lui a répondu, lorsque lui-même
provoquait l'interprétation de ce paragraphe, on lui a répondu, de toutes
parts, par des expressions bienveillantes.
Mon honorable collègue avait posé nettement la question. Et d'ailleurs,
messieurs, je m'étonne de l'observation qui nous est faite à cet égard. Je ne
sais pourquoi je réponds sur ce qui s'est passé au sénat.
Sommes-nous dans notre droit lorsque nous vous demandons l'expression de
votre pensée, sommes-nous dans les convenances parlementaires ? Voilà la
question ; mais qu'on nous dise : « On a fait telle chose au sénat. »
Qu'importe, si ce que nous venons faire ici est dans notre droit ?
L'honorable membre hésite à se prononcer pour la proposition du
gouvernement, et il fait observer avec raison qu'il ne s'agit pas ici des
sentiments personnels que l'honorable membre peut éprouver pour chacun des
membres du cabinet. Non, messieurs, la question est plus haut, il s'agit de
deux choses dans le paragraphe qui nous est soumis : il s'agit de l'approbation
du principe qui a présidé à la formation du ministère, et il s'agit en deuxième
lieu (ce que l'honorable membre me paraît avoir perdu de vue), il s'agit en
deuxième lieu, de déclarer que la formation du cabinet n'est pas un obstacle à
ce que vous lui accordiez notre bienveillant concours pour accomplir la mission
qu'il a acceptée.
Les sentiments personnels : j'en honore l'expression ; mais lorsque
l'honorable membre a dit qu'il n'était pas disposé à appuyer un ministère qui
serait composé de six MM. Malou, il n'a pas été assez loin. Je vais plus loin.
S'il y avait devant vous un ministère composé de six MM. Malou, et s'il était
possible de le combattre, je le combattrais.
Il ne m'appartient pas de me prononcer sur les sentiments de
conciliation qui animeraient un tel ministère ; mais je crois que, par sa
composition même, il serait réduit à une complète impuissance : je crois qu'il
serait fatal au pays, comme on l'a dit, parce que tout en désirant que
l'opinion à laquelle j'appartiens, à laquelle je me fais honneur d'appartenir,
soit représentée et convenablement représentée. Je ne désire ni pour elle, ni
pour le pays qu'il y ait un ministère entièrement composé de cette nuance.
Ainsi donc, et que la chambre me pardonne si j'ai présenté une pensée
sérieuse sous une forme qui ne l'est pas ; mais c'est le fond même de la
discussion actuelle ; c'est la pensée même de la formation du ministère.
Déjà, messieurs, d'après les explications que je viens de vous donner,
nous pouvons conclure qu'il nous est impossible d'accepter la modification
indiquée par l'honorable membre.
En effet, messieurs, l'une des deux choses
que nous avons voulues, serait seule réalisée par cette modification : nous
saurions que l'honorable membre, sans exclure d'une manière absolue les
ministères homogènes, pourrait approuver dans les circonstances actuelles la
constitution d'un ministère mixte ; mais ce que nous ne saurions pas et ce que
nous voulons savoir, ce que nous avons le droit de sa voir pour pouvoir gérer
utilement les affaires, c'est si nous trouverons dans cette chambre une
majorité suffisamment forte, suffisamment sympathique pour présider utilement
aux destinées du pays ; c'est là ce que la modification indiquée supprimerait
de votre adresse.
M.
Dedecker, rapporteur. - Messieurs, j'ai
demandé la parole un instant, non comme rapporteur de la commission d'adresse,
mais comme député.
Je ne crois pas, messieurs, devoir m'arrêter à examiner la question
soulevée tout à l'heure par l'honorable M. de Brouckere, la question de savoir
pourquoi le gouvernement, a pris à l'égard de la chambre une attitude autre que
celle qu'il avait prise au sénat.
Les membres seuls de la commission d'adresse auraient peut-être le droit
de demander pourquoi M. le ministre de l'intérieur, dans la séance
d'avant-hier, a accusé la commission de vouloir équivoquer, de manquer de
franchise et de n'avoir pas le courage de ses opinions (Dénégation au banc ministériel), lorsque la commission n'avait fait
que reproduire en d'autres termes le dernier paragraphe du projet d'adresse du
sénat, auquel M. le ministre s'était rallié sans difficulté.
Du reste, messieurs, le ministère seul, d'après moi, est juge de la
position qu'il veut prendre vis-à-vis de la chambre ; non-seulement il en avait
le droit, mais, à mes yeux, c'était pour lui un devoir de provoquer, de la part
de la chambre, une explication sincère et franche sur la politique dont il
venait exposer les principes devant vous.
Messieurs, le dernier paragraphe, proposé par M. le ministre de
l'intérieur, en remplacement de celui du projet de la commission, renferme deux
questions qu'il importe de bien distinguer.
D'abord, la question de principe.
La chambre croit-elle que le temps des ministères de conciliation entre
les hommes modérés de toutes les opinions soit passé ? Pense-t-elle, au
contraire, que des ministères de ce genre puissent encore présider utilement
aux destinées du pays ?
Voilà pour la question de principe. Vient maintenant la question
d'application personnelle.
Le ministère actuel, par sa composition, par le système politique qu'il
a formulé, par les actes qu'il a annoncés ; ce ministère a-t-il les conditions
de consistance et de capacité nécessaires, pour obtenir de vous le concours
bienveillant qu'il vous demande ?
Voilà les deux questions que la chambre est appelée à résoudre par son
vote.
Messieurs, je n'insisterai pas sur la question personnelle, je n'irai
pas fouiller dans la biographie de chacun des ministres ; cela n'est, d'après
moi, ni convenable ni utile. Chacun de nous doit puiser dans ses convictions,
dans sa conscience, les éléments nécessaires pour apprécier les membres du
cabinet actuel. Je ne traiterai donc que la question de principe, celle de
savoir s'il faut encore à la Belgique ce qu'elle a eu depuis 15 ans,
c'est-à-dire un ministère de conciliation s'appuyant sur les fractions modérées
des deux opinions.
Vous le savez, messieurs, ce système est ancien ; ce système est au fond
de la situation politique que nous nous sommes faite, surtout depuis quatre ans
; c'est principalement depuis quatre ans qu'une opinion contraire à ce système
s'est manifestée sur ces bancs. On a proclamé que ces principes d'union et de
conciliation avaient suffi pour la solution de la question diplomatique, et
pour l'organisation intérieure de la Belgique ; mais qu'ils ne suffisaient plus
pour résoudre les questions qui se présenteraient désormais ; qu'il fallait
recourir à un nouveau système, au système des ministères homogènes, en d'autres
termes, des ministères exclusifs.
Messieurs, que la théorie des ministères de conciliation soit seule conforme
à nos antécédents parlementaires et politiques depuis quinze ans, qu'elle soit
seule conforme à nos principes constitutionnels, je ne pense pas que quelqu'un
songe sérieusement à le contester. Toute la question est donc de savoir si ce
système politique peut encore convenir aux besoins actuels du pays, à la
défense de ses vrais intérêts.
Messieurs, ou me rendra la justice de reconnaître que ce n'est pas (page 60) d'aujourd'hui que je viens
défendre pour la première fois les ministères de conciliation ; je ne suis pas
un nouveau converti à ces idées, ni un converti intéressé, le les ai
constamment et invariablement défendues ici ; je les ai défendues avec loyauté
et franchise, et j'ajouterai sans dévouement pour les personnes qui se
trouvaient au pouvoir, car je ne veux pas même avoir le mérite du dévouement
personnel pour des amis assis sur le banc ministériel ; c'est par pure
conviction que j'ai soutenu ces principes devant vous, sans acception de
personnes, parce que dans des débats qui ont une telle gravité, les questions
de personnes doivent complétement s'effacer.
Eh bien, aujourd'hui, comme toujours, je crois que le gouvernement ne
peut pas se faire parti, je crois que le gouvernement ne doit pas s'appuyer sur
le triomphe exclusif d'une opinion, en d'autres termes, sur la proscription
politique d'une autre opinion ; je crois que toutes les opinions qui existent
dans la nation, ont droit de présence et de délibération dans les conseils de
la Couronne.
Mais, messieurs, il ne suffit pas (et j'ai de sérieux motifs pour
m'arrêter sur ce point), il ne suffit point de reconnaître ces principes en
théorie. Et ici je m'adresse surtout à la majorité, à mes amis de la droite. Je
n'ai certes ni la prétention ni le droit de leur donner des conseils, mais je
dois chercher à les prémunir contre les idées qu'on ne cesse d'accréditer,
relativement à ce système de politique de conciliation ; je dois surtout
examiner avec eux si les griefs que les chefs de l'opposition articulent
éternellement contre l'application de ce système sont réels.
Les griefs de l'opposition contre les ministères de coalition peuvent se
réduire à ces deux principaux : ces ministères portent atteinte à la dignité
personnelle des membres qui en font partie ; ils manquent de franchise.
Messieurs, il importe d'examiner une bonne fois si ces deux griefs sont
fondés, afin que la majorité, après avoir adopté le principe de ces ministères
de conciliation, ne se laisse plus émouvoir par des accusations de ce genre et
ne prenne plus désormais, à l'égard de ces ministères, cette attitude équivoque
et froide qui n'a déjà que trop compromis et le gouvernement et la majorité
même.
Messieurs, par cela seul qu'un ministère s'appelle ministère de
conciliation, il doit y avoir naturellement dans ce ministère des noms qui ne
plaisent pas également à toutes les fractions de la chambre et du pays. C'est
une conséquence inévitable. Mais, que des personnes honorables, conservant
d'ailleurs entières toutes leurs opinions religieuses, philosophiques ou
politiques, se réunissent dans une pensée commune de conciliation, pour la
défense des intérêts du pays, pour le développement régulier de nos
institutions, peut-on sérieusement prétendre que, par cela seul, ces personnes
sacrifient leur honneur, leur dignité personnelle ? Je ne le pense pas.
Le deuxième grief articulé contre les ministères de conciliation, n'est
encore qu'une conséquence naturelle de la constitution même des ministères de
conciliation.
Un ministère de conciliation, dans les principes qu'il proclame devant
la chambre, dans les projets qu'il présente, dans l'attitude qu'il prend, doit
avoir constamment pour but (car c'est là sa mission), de conserver réunis les
éléments modérés des deux opinions, de neutraliser leurs tendances et
d'équilibrer leurs intérêts. Dès lors, il n'a naturellement pas, il ne peut pas
avoir l'apparente franchise d'un ministère qui serait exclusif. Mais, encore
une fois, subir cette position conciliatrice, est-ce là réellement manquer de
franchise ? Non, messieurs, c'est simplement obéir aux lois, aux nécessités
d'un système politique qu'on avoue et qu'on proclame au su et au vu de tout le
monde.
Ainsi, messieurs, il faut que les deux fractions de la chambre, il faut
que mes collègues de la majorité se pénètrent bien de cette idée, qu'un
ministère de coalition ne peut pas satisfaire à toutes les exigences extrêmes
des deux opinions, c'est-à-dire que ce ministère doit rester fidèle à ces
doctrines modérées et conciliatrices qui seules ont constitué la Belgique, et
qui seules peuvent encore présider à la conservation et au développement de ses
institutions.
Messieurs, il faut donc qu'on s'explique catégoriquement sur le système
des ministères de conciliation. Une fois admis, il faut les subir dans toutes
leurs conséquences, en accepter la complète solidarité.
Qu'on ait donc le courage de se prononcer. Croit-on ou ne croit-on pas
qu'un ministère de conciliation soit compatible avec la conservation des
sentiments de dignité personnelle et de franchise, sans lesquels
l'administration du pays ne peut marcher ? Si on ne le croit pas, qu'on ait le
courage de condamner ce système, qu'on ait le courage de renverser la ministère
qui vient le proposer encore à votre approbation, à votre sanction. Croit-on,
au contraire, qu'un pareil système politique est compatible avec la dignité et
la franchise du pouvoir, qu'on ait aussi le courage d'accepter ce système dans
toutes ses applications, qu'on ait le courage de le défendre hautement, non pas
seulement par des votes timides et amoindris par mille petites réticences, mais
avec une sympathie réelle, par des discours et par des actes.
Il est grand temps que la majorité cesse de s'entourer de mystère et de
silence ; il est temps qu'elle prenne une position digne d'elle, qu'elle
abandonne cette apparente attitude de froideur qui lui enlève toute importance
et la prive de toute initiative.
Le ministère de conciliation qui se présente devant elle, qu'elle
l'appuie franchement si elle le croit bon et utile ; sinon qu'elle le condamne
formellement et définitivement. Que la majorité me permette de le lui dire, il
y va de ses intérêts les plus chers, il y va de sa dignité même.
En effet, et j'appelle à regret son attention sur ce point, la majorité a
pu s'apercevoir dans la séance d'hier à quelles étranges, je dirai à quelles honteuses
suppositions donne lieu l'attitude équivoque et poltronne qu'elle a gardée
pendant ces dernières années. Pour ma part, comme membre de la majorité, je
prends l'engagement de soutenir énergiquement le système qui est aujourd'hui solennellement
en cause, et je désire que la majorité en fasse autant.
Croit-on, par exemple, que l'honorable M. Nothomb soit tombé parce que
son système de conciliation était frappé d'impopularité ? Pour moi, j'ai la
conviction intime, et je l'exprime courageusement, au risque de déplaire à
quelques-uns de mes amis politiques, que la froideur et l'apathie de ceux qui
auraient dû défendre l'administration de M. Nothomb, est au moins pour autant
dans la 'chute du ministère précédent que les attaques de ses adversaires.
Ne nous faisons pas illusion, messieurs ; ? une même fin attend le
ministère actuel, si l'attitude de la majorité ne change pas.
L'honorable M. Delfosse vient de dire, et non sans raison, que M. Van de
Weyer se trouve à tous égards dans la même position où se trouvait M. Nothomb.
En effet, messieurs, de part et d'autre, mêmes antécédents politiques,
mêmes services rendus à la cause de l'indépendance nationale, mêmes principes
de conciliation et de transaction, mêmes tendances à la défense impartiale et modérée
des intérêts du pays. Là où le ministère Nothomb n'a su trouver ni son
existence, ni son salut, le ministère actuel sera également impuissant à les
trouver. Aussi ajoutons avec l'honorable M. Delfosse qu'il ne suffit donc pas
au ministère actuel d'obtenir sur la question actuellement pendante un vote
approbatif ; le ministère Nothomb avait aussi un vote de confiance.
Si, après ce vote, la majorité n'a pas le courage de changer la position
de froide réserve qu'elle avait prise envers l'ancien ministère, si, la
majorité n'est pas déterminée à subir les conséquences de son vote, si elle
n'entend pas, plus tard, continuer de défendre énergiquement le ministère,
aussi longtemps, bien entendu, que la marche de celui-ci lui paraîtra conforme
aux véritables intérêts du pays, moi-même je serai le premier à désirer que le
ministère actuel soit renversé et le plus tôt possible ; car, je ne veux plus,
quant à moi, assister au spectacle d'un pouvoir qui va sans cesse se
déconsidérant et s'énervant, au grand détriment du gouvernement et du pays.
Mais, messieurs, si j'ai eu la hardiesse de faire entendre des vérités
un peu dures peut-être à cette majorité à laquelle je me fais gloire d'appartenir,
je tiens aussi à venger cette majorité des injustes attaques dont elle a été l'objet,
à la défendre dans ce qu'elle doit avoir de plus cher, son honneur et sa
considération.
Messieurs, à entendre les discours prononcés hier et aujourd'hui, il
semblerait que toute indépendance de caractère, toute franchise, ait abandonné
les rangs de la majorité, et que ces nobles qualités de l'homme politique se
soient réfugiées dans le sanctuaire de l'opposition.
M. Rogier. - Qui a
dit cela ?
M. Dedecker. - Cela résulte de vos discours.
M. Rogier. - Nous
avons cité plusieurs noms honorables siégeant sur les bancs de la droite et sur
la chute desquels nous avons gémi pour vous.
M. Dedecker. - Je comprends la signification de vos gémissements
; c'est précisément contre ces gémissements que je veux défendre la majorité.
Messieurs, ils se trompent, ceux qui croient que l'indépendance
politique n'est pas compatible avec le dévouement modeste et paisible aux idées
d'ordre et d'autorité.
Ils se trompent ceux qui pensent que l'indépendance politique consiste à
briser tous les liens et à développer l'esprit de révolte qui ne germe que trop
dans les cœurs. Soyons justes, messieurs : le système de modération, de
conservation et de paix, pour être moins éclatant, moins bruyant, a bien aussi
sa dignité et sa gloire ! Et puis, où se trouve aujourd'hui l'indépendance ?
Pour le savoir, il faut chercher où est la puissance. Eh bien, j'ai regret,
j'ai presque honte de le dire, le pouvoir aujourd'hui, vous le savez, n'est
plus là où le vulgaire pense qu'il se trouve.
Le pouvoir que nous voudrions voir respecté, chéri de tous, celui-là
n'est plus hélas ! qu'une fiction constitutionnelle. Le pouvoir réel est dans
les clubs politiques, dans les bureaux de rédaction de journaux. Voilà la
puissance réelle, agissante : la presse et l'association.
Ce n'est plus dans la direction des trônes qu'il faut chercher la
puissance avec ses séductions ou ses menaces, avec ses enivrements de triomphe
et ses ovations populaires. C'est vers cette puissance que se tournent les
courtisans du jour. On croira se montrer bien indépendant en faisant une guerre
acharnée aux autorités les plus dignes de respect des nations ; mais on ira
humblement faire sa cour au dernier des tribuns, au plus obscur des
journalistes !
On a parlé de dévouement chevaleresque à la Couronne ; il n'y a que trop
de ces dévouements pour les prétendus intérêts du peuple.
Je pourrais rétorquer l'argument de l'honorable M. Rogier.
M. Rogier. - Est-ce
à moi que cela s'adresse ?
M. Dedecker. - Ce que je vais dire, oui.
Il y a deux manières de servir la royauté, disait l'autre jour cet
honorable orateur ; je pourrais lui dire à mon tour : Il y a deux manières de
servir le peuple, il en est qui croient que pour être l’ami du peuple il faut
offrir une satisfaction à toutes ses passions, à tous ses instincts, à tous ses
préjugés ; cette manière de servir les intérêts du peuple n'est pas la mienne.
Il est d'autres hommes qui croient qu'aimer le peuple, c'est lui faire
comprendre la nécessité d'une autorité, c'est lui faire admettre la nécessité
providentielle des sacrifices et des concessions constantes pour la
conservation de la société, c'est lui faire connaître ses devoirs tout autant
que ses (page 61) droits, c'est oser
lui dire au besoin des vérités au risque de lui déplaire De ceux-là, oh l je me
fais gloire d'en être !
Je viens d'examiner si la majorité ne peut pas revendiquer ses titres à
l'indépendance ; examinons maintenant dans quels rangs se trouve la franchise
politique.
La franchise politique, messieurs, mais il me semble que c'est la
qualité qui fait complétement défaut à l'opposition. En effet, l'opposition
met-elle de la franchise dans sa constitution intérieure ? En met-elle dans ses
rapports avec les autres opinions du pays ? En met-elle dans son programme d'à
venir ?
Cette prétendue unité de vues et de sentiments, dont l'opposition se
fait un mérite existe-t-elle et repose-t-elle sur la franchise ? Or, messieurs,
si on pouvait connaître et analyser les pensées, les systèmes qui germent dans
toutes les têtes du libéralisme, qu'on serait étonné de ce mélange, de cette
confusion de principes et de sentiments qui se présentent au dehors avec une
apparence d'unité !
Non il n'y a pas d'unité, pas de franchise dans la constitution
intérieure de l'opposition ; elle ne vit, elle ne se maintient que par un
éternel équivoque ; des abîmes séparent les uns des autres les membres de
l'opposition ! Eh ! pour ne citer qu'un fait récent, aux élections dernières,
n'avons-nous pas vu surgir du jour au lendemain des programmes bien différents
? Ne voyons-nous pas apparaître distinctement dans les luttes intestines de
l'opposition un vieux et un jeune libéralisme ? Cette distinction ne se
retrouve-t-elle pas partout ? Cette distinction est-elle de notre invention ?
M. Verhaegen. - Il y a vieux et jeunes catholiques !
M. Dedecker. - La franchise existe-t-elle davantage dans
la manière d'apprécier la conduite des partis opposés ? Sous ce rapport, je
vois encore l'opposition manquant de franchise et ne cherchant qu'à accréditer
des préjugés. Ces jours-ci encore, n'ai-je pas entendu dans notre enceinte
comme dans celle du sénat, parler de projets liberticides nourris par le parti
auquel j'appartiens ? Eh bien, je le demande, où sont les faits positifs qui
puissent prouver que l'intention de mutiler l'une ou l'autre de nos libertés
constitutionnelles existe dans quelque rang que ce soit de la majorité ?
Avons-nous, oui ou non, la liberté de conscience ? Avons-nous la liberté de la
presse ? Avons-nous la liberté d'association ? Avons-nous la liberté
d'enseignement ? Qu'on respecte donc la vérité ; que l'on précise des faits, au
lieu de nourrir des préjugés dans la nation, au lieu de prendre une phrase
isolée dans un écrit ou un discours qu'on essaie de démontrer que la majorité
ne respecte pas toutes les libertés écrites dans la Constitution.
L'opposition met-elle plus de franchise dans la rédaction d'un programme
politique ? Je ne poserai qu'une question. Hier, l'honorable M. Verhaegen
exigeait pour seule condition de leur appui à M. Van de Weyer, la promesse de
retirer les modifications à la loi communale, la loi sur l'instruction
primaire, la loi sur le jury, la loi sur les fraudes électorales. Je suppose
que l'honorable M. Verhaegen serait conséquent avec lui-même et qu'un ministère
libéral arrivant aux affaires, il en exigerait les mêmes garanties que de M.
Van de Weyer.
Je demande si les hommes du parti libéral qui espèrent arriver au
pouvoir sont disposés à subir le joug qu'on leur présente et à réaliser le
programme qu'on veut leur imposer.
Voyons, un peu de franchise, messieurs l Que les positions se dessinent
; nous avons tout à y gagner.
Messieurs, je finis ; la situation est grave, disait, il y a quelques
instants, l'honorable M. Delfosse.
Oui, messieurs, moins qu'un autre, je me fais illusion sur les événements
qui se passent sous nos yeux. Oui, une lutte acharnée, profonde est engagée non
seulement en Belgique, mais dans l'Europe entière.
Cette lutte n'est plus circonscrite dans les
hautes régions de la politique ; elle est descendue jusque dans les entrailles
de la société. On a parlé hier encore des forces vives de la nation. C'est une
belle chose sans doute, aussi longtemps qu'on parvient à diriger ces éléments
vivaces et généreux ; mais j'ai bien peur que ces forces vives n'échappent
bientôt à ceux qui croient pouvoir s'appuyer sur elles pour arriver au pouvoir
et pour s'y maintenir. J'ai bien peur qu'il ne leur faille bientôt compter avec
cette génération qui s'élève et qui leur crie : Que nous importent toutes ces
luttes pour la possession du pouvoir ? Ce qu'il nous faut à nous, c'est la
solution de toutes les questions sociales.
M. de Theux. - L'honorable préopinant a demandé de la franchise
dans les débats et dans les rapports de la majorité avec le cabinet. Nous
sommes d'accord. Mais en quoi consiste cette franchise ? C'est d'abord de soutenir
et d'adopter les mesures que la majorité juge dignes d'être adoptées et de
repousser avec courage et énergie celles qu'elle croit de nature à être repoussées
; il en est encore une autre qui consiste à prévenir à temps le ministère de la
fausse voie dans laquelle il s'engage et à lui faire connaître son opinion sur
une mesure importante avant qu'elle ne soit prise. Voilà comment nous entendons
la franchise. Et de cette franchise nous pouvons affirmer en avoir donné à
l'ancien cabinet des gages constants, irrécusables. Cette ligne de conduite que
nous avons suivie jusqu'ici, nous continuerons à la suivre.
Je n'hésite pas à dire que les explications données par différents membres
du cabinet sur la ligne qu'il entend suivre, m'ont suffisamment éclairé pour
que je puisse adopter le paragraphe qui annonce le concours, bien entendu qu'il
n'exclut pas la surveillance parlementaire des actes à poser ultérieurement par
le cabinet. C'est assez dire qu'après les explications données j'adopterai le
paragraphe proposé par le gouvernement ou tout autre qui aurait la même
signification.
Il me reste, comme membre de la commission, à répondre à un grief énoncé
par M. le ministre de l'intérieur qui n'a pas été rencontré par M. le
rapporteur, à savoir que le projet d'adresse contient dans ses termes quelque
chose d'inconstitutionnel ; que s'il est permis d'exprimer dans l'adresse au
Roi de la gratitude, du dévouement, de la confiance, l'adresse pourrait dans
d'autres circonstances contenir l'expression de sentiments contraires ! Et dès
lors le précédent posé dans l'adresse aurait quelque chose d'inconstitutionnel
! Oui, messieurs ; cette expression des sentiments contraire à ceux que
renferme l'adresse mettrait à découvert l'irresponsabilité du Roi. Jamais dans
un acte parlementaire ou extra-parlementaire, la personne du Roi ne peut être
l'objet d'un blâme ni direct ni indirect. Voilà les conséquences directes de
son irresponsabilité. Cela exclut-il l'expression de nos sentiments de
gratitude, d'amour, de confiance ? En aucune manière. Combien de documents
renferment la même expression ! Les adresses de tous les corps constitués renferment
annuellement la même expression. C'est la première fois que des craintes d'inconstitutionnalité
ont été exprimées à l'occasion de la manifestation de ces sentiments.
J'avais besoin de donner ces explications pour la justification de la
commission d'adresse.
Le projet d'adresse n'était non plus ni une
équivoque, ni une réticence.
Tous les projets d'adresse ont été jusqu'à présent votés à l'unanimité
moins l'opposition d'une ou deux voix. Est-ce à dire que tous les membres de la
chambre fussent pleins de confiance dans le cabinet ? Assurément non. C'est
pour la première fois que la question d'existence du cabinet a été posée devant
vous à l'occasion d'une adresse. Cette question étant posée, il est de notre
devoir de la résoudre avec franchise. C'est ce motif seul qui me porte à
adopter le paragraphe présenté par le gouvernement, ou tout autre qui
renfermerait la même pensée.
M. Devaux. -
Lorsque j'ai posé des questions à MM. les ministres, mon intention était
d'apprécier leurs réponses et en même temps si, d'après ces réponses, le
ministère actuel convenait à la situation. Je voulais me placer en face de
cette situation, l'examiner avec sang-froid, sans précipitation. Je voulais
entrer dans quelques vues assez étendues sur les besoins qu'elle commande. Au
moment où est parvenue la séance, il me serait difficile, sans beaucoup de
temps, d'entrer dans ces explications. Je demanderai s'il ne conviendrait par
de renvoyer la discussion à demain.
- La chambre, consultée, continue la discussion à demain.
La séance est levée à quatre heures.