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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 22 avril 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1424) M. Huveners procède à l’appel nominal à une heure.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.

« Le conseil communal de Duras demande l’adoption de la proposition de loi sur les céréales faite par 21 membres. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi.


« Plusieurs habitants de Henry-Chapelle déclarent adhérer à la pétition des habitants de Verviers et de Hodimont, tendant au rejet des propositions de loi sur les céréales. »

- Même renvoi.


« Des mesureurs jurés de grains, voituriers, bateliers et ouvriers à Anvers demandent le rejet des proposition de loi sur les céréales. »

- Même renvoi.


« Plusieurs armateurs à Anvers prient la chambre de s’occuper du projet de loi sur la désertion et la fraude des gens de mer. »

« Même demande de plusieurs armateurs, négociants et courtiers à Ostende. »

M. Donny – Je demande que les pétitions dont on vient de présenter l’analyse, soient renvoyées à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi présenté dans la séance d’hier par M. le ministre de la justice, ayant pour but de combler des lacunes existant dans la législation pénale maritime, lacunes dont se plaignent vivement, et avec raison, les armateurs d’Ostende et d’Anvers qui ont signé les pétitions analysées.

- Le renvoi proposé par M. Donny est prononcé.


« Les sieurs Poncelet et de Coppin prient la chambre de s’occuper du projet de loi sur la chasse. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet.


« Plusieurs habitants de la vallée qui s’étend le long de la Meuse, de Visé à Liége, demandent que le gouvernement soit autorisé à accorder la concession du chemin de fer de Liége à Maestricht. »

M. David – Messieurs, les exploitants, houillers, carriers, chaufourniers, cultivateurs, propriétaires, constructeurs de bateaux, etc., habitants de la vallée qui s’étend le long de la Meuse, de Liége à Visé, prient les deux chambres d’accorder leur bienveillante attention au chemin de fer entre Liége et Maestricht, qu’une société propose gratuitement à l’Etat belge.

Je demande le renvoi à la commission des pétitions ; cette demande sera exhumée en temps et lieu, lorsque le projet de chemin de fer entre Liége et Namur arrivera à la chambre.

- Le renvoi est ordonné.

Projet de loi réorganisant la poste aux chevaux et les autres services de transport en dehors du chemin de fer

Discussion générale

M. Rodenbach (pour une motion d'ordre) – Messieurs, il y a quinze jours que nous avons commencé à discuter la loi relative à la poste aux chevaux. L’art. 2 du projet a été vivement combattu parce que, disait-on, le gouvernement demandait l’autorisation d’établir des services pour transporter les voyageurs, les dépêches et les marchandises.

Aujourd’hui, la question est tout à fait changée, car il s’agit d’établir de nouveaux systèmes de chemins de fer, et ce n’est plus le gouvernement qui doit les exécuter ; on vient de demander des concessions pour environ 100 lieues. Ainsi l’état de choses est complètement changé ; par suite de ce changement, M. le ministre ne doit plus tenir à son art. 2. J’en demanderai la suppression quand nous y serons arrivés.

Je demande maintenant que M. le ministre dise à la chambre s’il persiste dans son art. 2 qui me paraît désormais inutile. Je le prie de répondre à mon interpellation, car sa réponse pourra empêcher de longues discussions qui seraient sans objet.

Plusieurs voix – Ce n’est pas une motion d’ordre.

M. Rodenbach – Je demanderai alors qu’on m’inscrive pour parler sur la loi.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, je regrette beaucoup qu’une discussion aussi importante que celle sur la réorganisation de la poste aux chevaux, l’établissement d’un service de bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres, et la création de certains services, soit par subvention, soit par l’exploitation directe du gouvernement en relations avec les stations du chemin de fer, je regrette, dis-je, qu’une telle discussion soit arrivée à la fin même de la session. J’aurais désiré, dans l’intérêt du projet du gouvernement, que cette discussion pût être plus approfondie qu’il n’est possible de l’obtenir, quelques jours nous séparant de la clôture de la session des chambres.

Comme vient de l’indiquer l’honorable M. Rodenbach, les objections présentées dans la discussion générale ont surtout porté sur l’art 2 du projet, celui qui autorisait le gouvernement à établir, dans certaines limites fixées, des services de messageries en rapport avec les stations du chemin de fer.

Je maintiens, pour ma part, que cet article 2, bien loin d’être l’application mauvaise d’un mauvais principe, est une bonne application d’un bon principe. Le principe que l’on a voulu combattre est celui qui a triomphé en 1834, relativement à l’établissement du chemin de fer.

Les arguments qu’on a fait valoir contre cet article du projet sont précisément ceux qu’on présentait en 1834 contre l’exploitation par l’Etat des transports sur le chemin de fer.

L’expérience a prouvé que c’était un principe d’utilité et de progrès.

Messieurs, on s’est effrayé de laisser le gouvernement armé d’un principe semblable sans lui assigner des limites plus étroites. Selon quelques membres, il pourrait faire craindre de voir un monopole dangereux entre les mains du gouvernement.

J’ai démontré qu’il n’y avait pas de monopole en principe, puisque la concurrence est toujours admise ; qu’il n’y avait pas de monopole en fait, puisque sur 418 services de messageries existant dans le pays, il n’y en a que 77 en rapport avec les chemins de fer.

La concurrence dont on a parlé ne concernait donc que 77 services en relations avec les chemins de fer. Mais comme j’ai eu l’honneur de le dire, il n’est jamais entré dans l’intention du gouvernement de détruire tous ces services. Chacun sait que l’organisation du chemin de fer a apporté la perturbation dans les services des transports publics en dehors du chemin de fer.

Le gouvernement a cru, dans l’intérêt des localités qui ne sont pas rattachées au réseau général, dans l’intérêt du chemin de fer, pour lequel on créerait des correspondances plus étendues, plus régulières ; il a cru devoir demander l’autorisation de suppléer, dans des limites restreintes indiquées, à l’insuffisance des correspondances établies de l’industrie privée. Les objections qu’on a faites ne m’ont pas touché. On a dit que l’industrie particulière aurait soin de s’emparer de tous les bons services, que si l’Etat ne voulait pas les détruire, il ne lui resterait que les mauvais services et qu’on arriverait à une charge nouvelle qui pèserait sur le trésor public. C’est là une erreur. Le gouvernement, à l’aide des revenus des bons services, aurait pu créer des services non productifs. Cette combinaison, l’industrie (page 1425) particulière ne peut pas la faire ; elle ne peut pas se résoudre à des sacrifices.

L’Etat pouvait seul créer sans charge des services qui ne présenteraient que perte pour l’industrie particulière. Il l’aurait pu par d’autres raisons, c’est que, pour l’administration générale, le personnel, l’Etat avait ce personnel, cette administration, dans l’administration des chemins de fer, dans l’administration des postes ; il n’y avait ni administration générale, ni personnel nouveau, à créer ; de cette manière, l’Etat pouvait créer des services pour desservir les stations et les localités importantes, avec des bénéfices, tandis que des particuliers n’y auraient trouvé que perte. Par conséquent, je n’admets pas les objections qui ont été faites. On a cru que l’industrie privée pourrait suffire pour éviter les inconvénients signalés, pour remédier à la désorganisation des services en dehors du chemin de fer. Mais alors comment se fait-il que depuis dix années que les chemins de fer sont construits, elle n’ait pas pu établir ces services que réclame l’intérêt public ? Chacun sait que les services qui desservent les stations sont délabrés, sans sécurité, sans confort pour les voyageurs. Je ne comprends pas comment l’industrie ferait dans l’avenir ce qu’elle n’a pas pu faire dans le passé.

Messieurs, cependant, je dois reconnaître que les projets de concession que le gouvernement a présentés à la chambre changent jusqu’à un certain point les bases du projet relativement à l’art. 2. Je dois reconnaître que la plupart des services dont le gouvernement voulait faire des affluents pour le chemin de fer seront remplacés par les lignes nouvelles à concéder. Il est donc évident que les bases du projet sont plus ou moins modifiées à cet égard. D’un autre côté, l’art. 2 du projet ne m’est pas rigoureusement nécessaire au point de vue financier du projet. Il aurait fourni, il aurait assuré au gouvernement son fonds spécial d’une manière plus complète. C’était une source de revenu qui aurait consolidé le fonds spécial, ce n’est pas sur le service des messageries qu’il a compté, il l’a fondé sur la centralisation des 25 centimes et du revenu des services de bateaux à vapeur.

Au point de vue financier de la loi, le gouvernement n’a pas besoin du revenu de ces services de messagerie. Le projet reste entier, et il restera permis au gouvernement de réorganiser la poste aux chevaux, à l’aide des 25 centimes centralisés et du revenu du service des bateaux à vapeur à établir entre Ostende et Douvres.

Je ne renonce pas du tout au principe du projet ; je le retire ou plutôt je l’ajourne, et l’intention du gouvernement est de le représenter, soit comme mesure d’ensemble à la session prochaine, soit peut-être en demandant au budget prochain des allocations pour établir, où le besoin s’en fera sentir, des budgets sur des lignes déterminées. De cette manière, l’idée de monopole qui, selon moi, n’existe pas dans le projet, mais qui cependant à effrayer certains membres, doit complètement s’évanouir. La chambre, en votant ces allocations spéciales, pourra examiner l’utilité de chaque service à établir. Le gouvernement ne sera plus armé d’un projet général ; il présentera des projets déterminés. Peut-être le gouvernement exécutera-t-il cette idée lors de la présentation du budget prochain.

M. Rodenbach – J’avais demandé la suppression de l’article ; M. le ministre l’ajourne ; j’adhère à cette proposition, parce que c’est à peu près la même chose.

M. Zoude – Plusieurs orateurs ont considéré comme inutile, tout service de poste qui serait parallèle au chemin de fer, ils ne voudraient en conserver que dans les localités dépourvues du bienfait de cette communication : telle serait la province de Luxembourg ; j’accepte cette exception même avec reconnaissance, quoiqu’elle ne soit qu’un acte de stricte justice.

En effet, cette province, qui est encore la plus étendue du royaume, même après son morcellement, (erratum, p. 1454) est traversée par trois grand’routes qui toutes aboutissent à Arlon, mais une seule de ces voies, jouit d’un service de postes et de messageries tout à la fois, les deux autres en sont privées, bien que l’une d’elles traverse plusieurs villes des provinces de Luxembourg et de Namur.

Cependant, le vœu unanime des conseils provinciaux des deux pays, les députations permanentes ont vivement sollicité le gouvernement à organiser un service de postes qui relierait les localités importantes de Habay-la-Neuve, Neufchâteau, St-Hubert et Ciney avec Namur, et jusqu’ici les vœux, les sollicitations n’ont obtenu aucun résultat.

A la vérité, le gouvernement nous a constamment bercés d’un espoir renouvelé de mois en mois, que nos désirs seront bientôt satisfaits, et pour rendre l’illusion plus complète, et s’il m’était permis, j’emploierais le mot déception, ce service a été mis en adjudication ; mais continuant à flotter dans l’indécision, on hésite depuis longtemps à approuver un marché qui ne peut présenter de dangers que pour l’entrepreneur ; en attendant, cette ligne reste abandonnée, malgré les instances des villes intéressées, et de leurs représentants à la chambre, accusés d’insouciance par leurs commettants.

Toutefois, l’industrie privée avait établi des services particuliers dans quelques localités, mais le grand monopoleur auquel le ministre des travaux publics a fait allusion, dans une séance précédente, est venu bientôt écraser ces modestes industriels, et après avoir jeté çà et là les débris de leur entreprise, il s’est retiré à l’instant ; il lui a suffi d’inspirer la terreur aux vaincus et à ceux qui seraient tentés de les imiter ; la ville d’Houffalize, entre autres, en sait quelque chose.

Il n’est donc pas toujours exact de dire que là où il y a bénéfice à espérer, on peut compter sur l’empressement de l’industrie privée.

Avant l’occupation d’Alger par les Français, les puissances barbaresques faisaient trembler la chrétienté ; elles ne permettaient la navigation de la Méditerranée qu’aux navires qui leur payaient tribut. Eh bien, ce qu’on trouvait de si humiliant alors pour la chrétienté, s’exerce aujourd’hui sur la plupart de nos routes, au su et au vu d’un chacun ; il faut payer rançon ou périr !...

Nous demanderons à ceux qui ne veulent pas le maintien du service des postes sur les routes parallèles au chemin de fer, s’ils sont tellement assurés du respect que l’on portera à notre neutralité pour ne pas avoir à craindre que nous ne soyons forcés un jour de lever une partie de notre railway, vers l’une ou l’autre de nos frontières.

S’il devait en arriver ainsi, que deviendrait alors le service de la correspondance, lorsque celui de la poste aux chevaux aurait été désorganisé ? dans quel embarras, dans quelle confusion se trouverait alors le service public !

Si l’on dit que pareil événement n’est pas à craindre, pourquoi alors avons-nous voté un cadre d’armée, si pas hors de proportion avec notre population, au moins disproportionné à nos revenus ?

C’est que, pour être respectés, il faut se rendre respectables ; eh bien, soyons également prévoyants pour ne pas avoir à regretter un jour d’avoir été imprudents ; c’est par prévision de l’avenir que je voterai le maintien du service des postes dans toutes les directions.

D’ailleurs, la réorganisation de ce service ne doit pas peser sur le trésor ; il doit être rétribué par le produit de 25 centimes accordés jusqu’ici aux postes ; mais, d’après les observations bien judicieuses qui ont été faites lors de la première discussion du projet, ce droit est injuste, onéreux, surtout aux parties du royaume qui sont déshéritées du chemin de fer ; dès lors j’en voterai la suppression, d’autant plus qu’il est démontré, à toute évidence, et c’est un des principaux motifs indiqués à l’appui du projet de loi, que l’établissement des paquebots doit produire un bénéfice considérable. Dès qu’il en est ainsi, je demande que le gouvernement prenne une partie de ces bénéfices pour la réorganisation de la poste aux chevaux qui, ne pesant plus sur une classe particulière de la société, pourra réunir l’assentiment de la majorité.

Mais le service de ces paquebots ne pouvant être mis immédiatement en activité, je consentirai à ce que ce droit soit maintenu quelque temps, mais à la condition que le gouvernement prenne l’engagement d’en faire cesser la perception aussitôt l’organisation du service des paquebots ; je priera M. le ministre de vouloir s’expliquer à cet égard.

M. Pirmez – Messieurs, je ne viens pas faire un grand reproche à M. le ministre des travaux publics de nous avoir fait les diverses propositions rassemblées dans le projet. Il a suivi le torrent des idées dans lequel nous avons nous-mêmes, depuis bien des années, poussé le gouvernement. Elles nous ont entièrement envahis et elles triomphent aujourd’hui sans opposition.

Ces idées sont celles qui nous portent à livrer chaque jour au gouvernement des intérêts importants qui, partout ailleurs, ne sont pas mis en sa puissance et qui nous font trouver dans cet abandon un avantage matériel ou moral.

Une partie des propositions est ajournée, mais toutes les idées et les prétentions demeurent dans leur entier. Au reste, ce que j’ai à dire, regarde toutes les interventions de l’Etat dans les intérêts sociaux et il est tout aussi vrai pour les paquebots que pour les messageries.

Ne donnez pas, messieurs, une portée exagérée à mes paroles. Il est loin de moi de contester au gouvernement une grande part d’action sur tout ce qui est absolument nécessaire pour conserver et défendre une société politique. Ainsi, la justice, l’armée, la perception de l’impôt, l’administration civile n’est pas ce que j’ai en vue. Dans ce que je vais dire, il s’agit des actes et des opérations du gouvernement qui ne sont pas absolument indispensables à l’existence de la société.

Je serais désespéré aussi, si l’on cherchait dans mes paroles des allusions aux personnes. Je tâcherai de montrer les choses telles qu’elles se passent et se passeraient dans tous les temps, dans tous lieux et avec tous les hommes.

Si je m’enhardis à vous soumettre encore aujourd’hui quelques observations contre l’esprit qui nous domine et nous subjugue, c’est que je vois poindre, pour mon opinion, une faible lueur d’espérance. N’est-il pas peut-être possible, que l’aspect des travaux gigantesques exécutés dans notre pays, par la puissance des particuliers, opère un commencement de réaction dans les idées, et que cette circonstance, démontrant au moins l’inutilité du concours du gouvernement dans les opérations bonnes et utiles, nous donne la force d’abandonner le système déplorable dans lequel nous sommes engagés.

Et je dis à dessein : système déplorable. Depuis sa naissance, j’en ai suivi attentivement l’application, et je suis convaincu qu’il doit avoir des conséquences bien autrement funestes que des pertes matérielles, car il porte avec lui la dégradation morale de la société.

En considérant une nation dans son ensemble, il est assez difficile d’expliquer et de bien faire sentir les causes des bénéfices ou des pertes matérielles résultant d’un système, mais il n’en est pas ainsi d’un mal moral dont les causes sont pour chacun infiniment plus appréciables. Dans une discussion récente, que je rappelle à regret, les assertions sur les progrès de l’immoralité et de la corruption ont été si multipliées, qu’elles ont frappé tous les esprits ; mais lorsqu’on considère la voie que nous avons prise et que nous nous glorifions de suivre, on s’aperçoit facilement que, non-seulement ces progrès peuvent exister, mais qu’il est impossible qu’ils n’existent pas.

Il n’y a pas de corruption sans matière corruptible, il y en a peu lorsque la matière n’est pas considérable, et alors il est peut-être possible de la combattre et de l’anéantir ; mais si vous en amoncelez des quantités immenses, il arrive qu’aucune force ne peut plus prévenir l’invasion du mal et arrêter ses ravages.

Nous livrons au gouvernement le droit de disposer arbitrairement des (page 1426) intérêts les plus importants de la société et nous nous plaignons de la corruption ! C’est une étrange contradiction. Elle ne serait pas plus grande si nous voulions nous vendre et rester hommes libres tout à la fois.

Les idées qui ont livré et qui, chaque jour, livrent encore au gouvernement tous ces intérêts partent d’intentions généreuses, mais ces idées sont fausses. L’aspect de tant de sollicitateurs qui sont venus à leur suite ne fait-il pas faiblir la confiance qu’elles ont d’abord inspirée, et ne comprend-on pas déjà instinctivement que la perfection d’un pareil système doit en produire des armées ?

Ce système, qui recèle en lui l’immoralité, la corruption, la dégradation complète de l’homme est né, a grandi et a pris des proportions formidables à l’abri des motifs les plus purs et les plus séduisants. On s’est imaginé qu’en s’emparant des forces vives de la société, le gouvernement pouvait mieux les diriger que l’intérêt privé, que lui seul pouvait amener dans le travail une bonne répartition, assurer à chacun une juste rémunération, régulariser les efforts que chaque individu fait pour assurer son existence, et qu’on ne pouvait dans ce but, départir aux chefs de la société trop de puissance sur les intérêts matériels. C’est cette fausse idée qu’on a présentée sous des aspects bien divers, mais qui, au fond, revient au prétendu problème de l’organisation du travail.

Malheureusement cette organisation du travail est une chimère. Pour que la pensée pût la concevoir, il faudrait supposer (ce que les plus ardents organisateurs du travail n’ont jamais osé faire), il faudrait supposer la possibilité de régler le mouvement de la population, et si cette possibilité ne peut se concevoir, comment peut-on espérer d’assurer une rémunération restreinte de sa nature, à des prétendants dont on ne peut limiter le nombre et qui dépassent toujours les moyens de subsistance ?

Il résulte que le travail est toujours offert dans une proportion trop considérable pour la rémunération qu’il est possible de donner, et que par conséquent le travail est un combat. Mais il se fait un singulier abus du mot travail, qui corrompt toutes les idées, et cet abus n’a pas peu servi à élargir la voie dans laquelle nous sommes entrés. Dans sa noble et seule vraie acception, le mot travail signifie non-seulement peine, mais surtout lutte, combat. Ainsi on pourrait dire, que celui qui ne combat pas, que celui qui n’a pas d’adversaire, que celui enfin qui est placé en dehors de toute concurrence, ne travaille pas.

Je sais bien, messieurs, que nous ne nous trouvons pas ici dans une académie, ni dans une école, et que ce n’est pas le lieu de donner des définitions ; mais celle-ci m’a paru indispensable, à cause de la confusion que ce mot jette parfois dans les esprits ; elle va même jusqu’à nous faire assimiler, assigner absolument le même caractère à l’opération qu’on nomme travail, qui a lieu dans un dépôt de mendicité, dans une maison de charité quelconque où l’on trouve une subsistance assurée, qu’à l’opération qu’on nomme aussi travail, qu’un ouvrier qui, livré à son seul courage et à sa seule force, trouve dans un combat son salaire, c’est-à-dire son existence, qu’une concurrence toujours renaissante vient sans cesse lui disputer.

Ce n’est qu’au moyen d’un effrayant abus du langage qu’il est possible de faire confondre deux situations si différentes. L’une est pleine de noblesse et de dignité, c’est la liberté ; l’autre, c’est la dégradation et la servitude.

Messieurs, je vous prie de ne chercher dans mes paroles rien qui soit contraire au doux sentiment de commisération que vous désirez tous voir régner entre les hommes. Si je me suis servi de l’exemple des maisons de charité, ce n’est que pour mieux rétablir la vérité et faire bien comprendre qu’il existe presque autant de différences dans le caractère des deux opérations que je viens de donner pour exemple et qui toutes deux prennent le nom de travail, qu’il en existe entre l’action de recevoir l’aumône et l’action de la donner.

N’ennoblissez donc pas du nom de travail, des opérations à qui il en manque le premier caractère, et qui usurpent frauduleusement ce nom sacré, des opérations qui rendent le vrai, le seul travail toujours pénible et plus douloureux à mesure qu’ils se multiplient, et qu’ils n’existent qu’aux dépens du travail ! Et cela est si évident, que notre pensée conçoit bien l’existence des hommes placés dans la libre concurrence, sans celle des hommes placés en dehors, mais ne saurait jamais concevoir l’existence des hommes placés en dehors, sans celle des hommes placés dans la libre concurrence.

Si tout travail est un combat pour obtenir une rémunération, c’est donc une erreur capitale de croire que tout travail obtient naturellement une rémunération et qu’il existe ou qu’il ait jamais existé une puissance capable de faire qu’il en soit ainsi. La rémunération n’est que le prix de la victoire.

Cette vérité est triste, désolante même ; elle répugne tellement à notre nature, qu’il faut que notre raison fasse une extrême violence à notre instinct, pour que nous soyons forcés à l’admettre. Ne me faites pas un crime de l’avoir présentée à vos esprits, messieurs ; pour en avoir le courage, il ne me faut rien de moins que l’aspect de l’abîme d’abjection morale, où des idées aussi fausses que séduisantes au premier abord entraînent le pays.

N’allez pas non plus douter de cette vérité, messieurs, par la crainte ou la répugnance que vous inspirent ses conséquences. Voyez seulement si elle est, et dans ce cas, cherchons à atténuer ces conséquences, et non à les étendre.

Si on est bien convaincu que tout travail n’est pas certain de sa rémunération, et que cette rémunération c’est la vie, c’est l’existence même de l’homme, on verra qu’il doit se faire des efforts inouïs pour l’obtenir, des efforts proportionnés à son importance.

C’est la nature des moyens d’existence offerts aux individus, qui forme les mœurs d’une nation. Si la vie ne pouvait se trouver qu’après un combat avec la lance ou l’épée, chacun tâcherait d’être habile à les manier. Si elle se trouve après la lutte dans la libre concurrence du travail, chacun s’exercera à travailler, mais si l’existence se trouve après un combat de sollicitations, de ruses et d’intrigues, malheur à tous ceux qui auront trop de fierté dans le cœur, ils disparaîtront naturellement d’une pareille société et ne laisseront sur le terrain, que les plus habiles à se procurer ainsi les moyens de vivre.

Une fausse interprétation de la nature des choses, peut, malgré les intentions les plus généreuses, conduire une nation à ce résultat, et ceux-là y conduisent la Belgique qui soustraient les opérations par lesquelles on se procure l’existence, à la libre concurrence des individus.

Nous avons, depuis quinze ans, beaucoup prononcé le mot liberté, et nous lui avons donné une multitude de significations différentes. La liberté ne se trouve pas dans la jactance des mots. Si nous créons des puissances invincibles qui nous forcent à des actes serviles, notre vanterie de liberté ne les ennoblira pas ; elle ne fera, au contraire, que les rendre plus dégradants. Mais qu’est-ce dont que la liberté ? Il me semble, messieurs, que la première liberté de l’homme, c’est d’avoir le droit de vivre indépendamment de la volonté arbitraire d’un autre homme.

J’ai dit que l’existence n’était que le résultat d’un combat et d’une victoire, et que ce combat est malheureusement inévitable. Eh bien, la liberté ou la servitude, la dignité de l’homme ou sa dégradation dépend surtout des conditions, des règles de ce combat. Plus elles sont fixes, claires, constantes, indépendantes de l’arbitraire, proclamées et appliquées au grand jour, plus les hommes seront libres, auront de dignité et de passions généreuses. Mais s’il n’existe point de règle, si la victoire (et ici la victoire c’est la vie) peut être donnée en vertu d’une volonté arbitraire quelconque, il sera fait, infailliblement, tout ce que fait l’homme vis-à-vis de l’arbitraire dont dépend son existence.

Remarquez, messieurs, cette différence entre ces situations, c’est que d’un côté le combat aura lieu publiquement, au grand jour, et par des moyens que l’on peut montrer en face de tous les hommes et que, de l’autre, il se fera dans l’ombre par des moyens et avec des armes qu’on doit cacher.

Or, si l’on voulait définit l’immoralité, ne pourrait-on pas dire que c’est surtout ce qui doit se cacher ?

Pourquoi ce respect instinctif pour les corps judiciaires ? C’est uniquement parce qu’ils sont pris pour arbitres dans l’application des lois de cette lutte sans cesse renaissante et qu’ils se glorifient de ne se conduire que d’après ces lois.

Lorsque nous nous disputons les choses sans lesquelles on ne peut vivre, devant les tribunaux, sommes-nous obligés de solliciter, de supplier, de menacer, d’employer mille différentes manœuvres ? Non, nous réclamons hautement, et dans des formes qu’on ne peut enfreindre, un droit que nous croyons évident, basé sur des principes qui ont traversé des siècles, qui sont d’ailleurs débattus publiquement devant plusieurs assemblées de magistrats.

Et lorsque nous sommes vaincus, accusons-nous nos juges d’avoir cédé aux sollicitations, aux prières ou bien aux influences de l’amitié ou de la haine, à celle de la crainte ou de l’espérance, aux passions politique si ardentes parmi nous ? Non, dans le chagrin de notre défaite, nous les accusons tout au plus d’erreur, d’avoir mal entendu la loi.

Est-ce ainsi que nous combattons devant le gouvernement pour obtenir les moyens de vivre ? Chacun sait qu’il n’en est rien. Là il n’y a point de règles ni de lois précises et partant point de juste ni d’injuste. Pour triompher, on s’adresse donc naturellement à tous les intérêts, à toutes les passions qui composent l’égoïsme des hommes qui ont quelqu’influence sur le jugement.

Et comme il n’existe pas plus de forme que de fond, c’est-à-dire, pas plus de procédure que de lois, il en résulte évidemment une confusion effroyable d’actes de toute espèce, qui prennent naturellement les caractères des intérêts et des passions auxquels ils s’adressent.

Il résulte de ce que je viens de dire que la soustraction des intérêts sociaux à la libre concurrence des individus, conduit infailliblement aux actes les plus immoraux.

Ce qui doit nous effrayer pour l’avenir, c’est l’extrême facilité de suivre la pente sur laquelle nous sommes placés, et l’extrême difficulté de faire un pas en arrière, et par conséquent, d’arrêter les maux qui tendent à nous envahir.

On croirait, au premier abord, que l’absorption des intérêts sociaux par le gouvernement, est venue de sa force et de sa puissance. Chose étrange, c’est au contraire le résultat de sa faiblesse, tellement que je crois que dans l’origine les ministres qui auraient tenté de résister à cette absorption auraient succombé.

Je n’ai certes pas le droit de faire ici la critique de nos institutions, mais c’est un devoir de signaler l’abus que, pour le pays, l’expérience démontre qu’on en peut faire. La marche des événements ne prouve-t-elle pas, que l’individualité et la fraction peuvent y puiser une force qui rendrait au moindre obstacle l’ensemble impossible et que déjà le tout se trouve vaincu et rançonné par la partie ? N’est-il pas vrai que la nation considérée dans son ensemble est entièrement désarmée vis-à-vis des intérêts individuels et de localité et qu’elle ne peut leur opposer aucune résistance ? Tout ce qu’on lui prend n’est-il pas déjà regardé comme de bonne prise et comme un lucre légitime ? N’est-il pas le meilleur mandataire, le représentant qui arrache la plus forte partie de la fortune générale pour la distribuer aux intérêts locaux et individuels, et ne recevront-ils pas bientôt le nom de dupes, de ridicules théoriciens, d’utopistes, ceux-là qui tenteront de lier quelques idées pour montrer les suites de cette marche dangereuse ?

(page 1427) Sans aller fouiller les causes dans leur origine, de pareils résultats suffisent pour convaincre que nos institutions recèlent, pour la satisfaction des intérêts individuels et de localité, une puissance de beaucoup supérieure à la puissance donnée à la nation pour les combattre.

C’est cette puissance des intérêts individuels et de localité qui, pour s’approprier quelques avantages, fait passer les intérêts les plus vivaces de la société entre les mains du gouvernement, car c’est toujours au nom de l’intérêt national que cette transfusion s’opère. Tantôt c’est au nom de l’organisation du travail dont j’ai déjà parlé, tantôt c’est l’industrie, le commerce, le travail national, l’agriculture, l’exportation, mots qui souvent le lendemain ont une signification tout contraire à celle de la veille ; mais qu’importe la vague de nos expressions, quand nous avons pour nous la puissance ! Et la puissance de prendre se trouve partout ; et celle de lui résister nulle part.

Et remarquez que cette puissance croît toujours par chacune de ses faciles victoires. Plus le gouvernement aura absorbé d’intérêts, plus grande sera la nécessité pour lui d’en absorber d’autres. Ne sent-on pas que son intervention, dans toutes les opérations de la société, cause une gêne insupportable aux hommes qui travaillent, c’est-à-dire qui luttent sous le régime de la concurrence, et que ceux-ci, pressés par cet invincible adversaire, doivent faire des efforts inouïs, employer toutes les facultés que leur donne notre constitution sociale, pour se faire admettre sous sa bannière ? C’est ainsi que, marchant facilement, et souvent à contre-cœur, de victoire et victoire, le gouvernement doit devenir un pouvoir monstrueux, impuissant pour le bien et tout-puissant pour le mal. Et je l’ai dit, le bien, c’est le combat loyal, au grand jour, selon des règles et des lois. Le mal, c’est le combat déloyal, sans règle ni lois, le combat des sollicitations, de la ruse, de l’intrigue.

La conséquence de l’absorption d’une multitude d’intérêts par le gouvernement sera de rendre notre nationalité si caduque, que le moindre souffre pourrait la renverser. Quelle résistance peut opposer une multitude d’hommes toujours mécontents ? Et le nombre doit en être proportionné à la quantité d’intérêts absorbés par le gouvernement. Combien grand est déjà le nombre de ceux qui ont demandé, avec toutes les instances de la nécessité, de faire l’opération que, par dérision sans doute, on nomme rendre des services au pays et qui ont été repoussés ! Et ces hommes trouvent le gouvernement pour adversaire dans le combat de la vie. Quelle condition ! et quels sentiments doit-elle inspirer ?

Dans la proportion que ce système se développe, les contrées du pays se divisent entre elles. L’esprit des différentes contrées s’approprie certains intérêts qui sont, comme ceux des individus, livrés à la merci de la pire de toutes les puissances, celle qui est faible et arbitraire tout à la fois, celle qui est menacée et qui tremble à chaque instant pour son existence et dont toute la justice est basée, par conséquent, sur l’espoir de vivre et la crainte de mourir.

De ce conflit entre les différentes contrées, et de l’intervention du gouvernement dans des opérations qui devraient être laissées à la concurrence des individus, résulte ce concert de plaintes et de récriminations éternelles, qui doit naturellement toujours devenir plus bruyant à chaque nouvelle intervention de l’Etat et propager de plus en plus la division.

Quel rôle l’extension d’un pareil système réserve-t-elle aux représentants du pays ? Ne cherchons-nous et ne trouvons-nous pas déjà les applaudissements ou le blâme de nos commettants dans l’ardeur ou la faiblesse que nous mettons à attaquer la fortune nationale et quelquefois les intérêts d’une contrée voisine ? Et quel spectacle offrent déjà ces députations, moitié suppliantes et moitié menaçantes qui, dans le même but, assiègent le gouvernement !

Vous le voyez, messieurs, l’intervention du gouvernement dans une multitude d’opérations dégrade l’individu et dissout tous les liens moraux du corps politique. Sont-ce là les fruits que devrait nous donner le régime constitutionnel ?

Les institutions anglaises ont servi de modèle aux constitutions de plusieurs autres nations. Serait-ce pour obtenir des résultats contraires qu’on aurait essayé de les copier ? Nous ne voyons pas que le mouvement des institutions britanniques, qui fonctionnent depuis si longtemps, ait livré au gouvernement la plupart des intérêts de la société et ait placé chaque Anglais à genoux devant lui. Nous voyons, au contraire, que nulle part au monde un gouvernement ne s’en est si peu approprié, et que nulle part le citoyen n’a conservé plus d’indépendance et de dignité. Que les passions et les intérêts individuels se trouvent au sommet ou dans les rangs les plus infimes de la société, cette glorieuse nation montre ainsi que la liberté consiste bien plus à les réfréner qu’à les satisfaire.

Quand viendra le jour d’une mésintelligence entre les grandes puissances, que notre position géographique doit tant nous faire redouter, que fera la nation de tous ces intérêts qu’elle s’est appropriés malgré elle ? Ce jour-là notre crédit sera mort, et le prestige qu’il communique aux opérations du gouvernement évanoui. Ces opérations qui dans les mains des particuliers n’existent même que par la paix, loin de nous procurer des secours, deviendront une charge insupportable qui paralysera tous nos mouvements de résistance.

Que ferez-vous, par exemple, du chemin de fer, de son immense personnel et de la dette que vous avez contractée pour le construire ? S’il appartenait à des particuliers, ce ne serait pas à nous à chercher s’il est facile de répondre à cette question.

Il résulte de tout ce que je viens de dire que l’intervention du gouvernement dans les opérations qui ne sont pas absolument indispensables à l’existence de la société politique, crée et développe la corruption et pousse aux actes les plus immoraux, éteint les sentiments de nationalité, divise entre elles les parties du pays, et nous empêche de nous défendre le jour du danger.

Comment éviter ces maux ? Faire le contraire de ce que nous avons fait, refuser au lieu d’offrir, reprendre au lieu de donner. C’est très difficile sans doute, mais si nous n’avons pas cette force, il faut accepter notre destinée et ne pas nous plaindre, de l’immoralité de la corruption et de la servitude.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – La loi qui vous est soumise nous a valu un discours très-remarquable de l’honorable préopinant. La chambre n’attend pas de moi que je suive l’honorable membre dans les considérations générales qu’il vient de présenter et par lesquelles il a défendu le système de libre concurrence contre un système trop absolu, présenté par lui, de l’intervention de l’Etat dans les intérêts de la société. Je crois que le vrai est entre ces deux principes. Il est impossible de tout livrer à l’action individuelle. Ce serait une erreur de vouloir arriver à l’absorption de tous les intérêts sociaux dans les mains du gouvernement.

Je me renfermerai dans les limites de la discussion actuelle au point de vue où s’est placé l’honorable membre, c’est-à-dire au point de vue de l’entreprise de services publics.

L’honorable M. Pirmez vous a dit, en combattant le principe qui a triomphé en 1834, qu’il espérait que nous allions entrer dans une phase nouvelle, que l’expérience des pays voisins amènerait le gouvernement et la législature, en Belgique, à abandonner l’action de l’Etat dans les travaux publics, pour y substituer l’action de l’intérêt privé.

Je ne partage pas l’opinion de l’honorable membre. Je pense, au contraire, que l’initiative glorieuse que la Belgique a prise en 1834 et en 1837, en construisant et en exploitant ces grandes lignes de chemin de fer, que cette initiative est destinée à trouver des imitateurs à l’étranger. En Angleterre, le pays par excellence de l’action individuelle, une réaction a lieu, des hommes considérables du gouvernement même ont parlé depuis deux ans de la nécessité du rachat des grandes lignes, des lignes principales, par le gouvernement, afin de ne pas tomber dans ce que l’on a appelé, dans le parlement même, l’exploitation mauvaise par les compagnies, au point de vue de l’intérêt public, lorsqu’on admet cette exploitation d’une manière trop absolue.

En Allemagne, messieurs, mais on peut dire que les chemins de fer les mieux organisés, dans la Bavière, dans le grand-duché de Bâle, dans le Wurtemberg, sont les chemins de fer exploités par l’Etat. On a même été plus loin en Allemagne. Non-seulement l’exploitation par l’Etat devient de plus en plus la règle qu’on semble devoir admettre, mais on n’a pas craint ce que le gouvernement vous demandait de pouvoir faire par essai, c’est-à-dire non-seulement les transports sur les lignes de chemins de fer, mais les transports en dehors des chemins de fer, et par la poste et les messageries ; ainsi là l’idée d’un monopole complet de transports n’a pas fait reculer le gouvernement et le pays.

Je ferai remarquer ici, en passant, que l’honorable M. Pirmez s’est trompé. Ce n’est pas dans les pays constitutionnels que ces idées de monopoles ont surtout triomphé ; c’est dans les pays absolus. Ainsi, sous Louis XIV, tous les transports se trouvaient dans les mains du gouvernement. C’est au contraire dans les pays constitutionnels que l’on est arrivé à une pondération entre ces deux principes trop absolus.

En France, messieurs, quel est le principe qui domine le système de 1842 et le système qui est admis maintenant par le gouvernement ? Ce système, ce sont les concessions à courts termes. Et pourquoi ? Le gouvernement français ne croyant pas pouvoir mettre à la charge du trésor public la création actuelle de toutes les grandes lignes de chemins de fer, n’a voulu les concéder qu’à la condition de pouvoir rentrer dans la jouissance de l’exploitation par l’Etat dans un terme très-court.

En Belgique, messieurs, le gouvernement n’a pas eu d’idées absolues à cet égard. Ainsi en 1834 et 1837, il a cru utile de réserver dans les mains de l’Etat l’exploitation des grandes lignes qui ont été créées au point de vue international et au point de vue de rattacher les diverses provinces à un centre commun. Je crois que le gouvernement a bien fait. Mais aujourd’hui, messieurs, le gouvernement, précisément parce qu’il n’a pas d’idées absolues à cet égard, vous propose de consentir à l’intervention de l’intérêt privé. Si le gouvernement ne possédait pas les grandes lignes de chemin de fer, je ne vous proposerais pas cette intervention des compagnies. Mais je regarde le système de 1834 et de 1837 comme étant plus ou moins complet, et je crois qu’il est permis maintenant de concéder aux compagnies certaines lignes qui ne seront pas de grandes lignes, mais qui forment des affluents destinés à rattacher des localités au chemin de fer de l’Etat et à augmenter ses produits et ses ressources.

Ainsi, je pense que l’honorable membre s’est laissé trop impressionné par des idées trop absolues. Le gouvernement belge, qui, du reste, ne fait rien que par la loi, par l’intervention de la législature, s’est tenu jusqu’ici dans un milieu entre des exagérations, entre le système du laisser faire, du laisser passer complet, et le système que l’honorable M. Pirmez a appelé l’absorption des intérêts sociaux dans les mains du gouvernement.

De ces considérations générales, messieurs, vous me permettrez de descendre à la loi qui nous occupe. Car, enfin, le discours de l’honorable M. Pirmez s’adressait surtout au projet de loi avant le retrait de l’art. 2 ; car je ne pense pas que l’établissement de trois bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres ait pu mériter les reproches que l’honorable membre a adressés aux gouvernement.

L’honorable M. Zoude m’a demandé si, dans le cas où les revenus du service des bateaux à vapeur pourraient suffire pour le maintien et la réorganisation (page 1428) des relais, le gouvernement ne serait pas disposé à renoncer à la perception du droit de 25 centimes. Sans doute, messieurs, s’il fallait vous proposer l’établissement de cet impôt, il ne vous le proposerait pas ; mais l’impôt existe, le gouvernement en a besoin pour constituer son fonds spécial, afin de pouvoir maintenir les relais et les réorganiser. Si, dans la suite, les revenus du service de bateaux à vapeur peuvent suffire au maintien et à la réorganisation des relais, je ne fais aucune difficulté à déclare que, dans ce cas, l’intention du gouvernement est d’abandonner cet impôt, dont il n’aurait pas demande l’établissement, s’il n’avait pas existé.

Lorsque l’honorable M. Zoude a parlé de déceptions dont la province de Luxembourg aurait été victime, je ne pense pas que l’expression s’adresse au gouvernement ni à moi, en particulier : l’honorable membre sait avec quel soin j’ai étudié depuis quelques mois l’organisation du service des transports dans la province du Luxembourg ; mais voici ce qui est arrivé : j’avais chargé l’inspecteur général des postes de présenter un projet relatif aux transports publics dans la province de Luxembourg ; l’inspecteur général a proposé trois systèmes ; j’ai choisi le système le plus économique ; une adjudication a lieu, mais avant qu’elle ne fût approuvée, une compagnie de messageries est venue déclarer au gouvernement que s’il donnait suite à ce projet, elle dénonçait le service de Metz par le Luxembourg vers Bruxelles.

Sans doute le gouvernement n’a pas cédé à cette menace, mais il était de son devoir d’examiner jusqu’à quel point le système qui semblait prévaloir pourrait être maintenu, dans le cas où la menace se réaliserait.

Il a donc fallu une instruction nouvelle. J’ai demandé des renseignements à l’autorité provinciale, comme je l’ai déjà annoncé à la chambre. Ces renseignements me sont parvenus, et je puis annoncer à l’honorable membre que je serai en mesure de prendre une prochaine décision.

M. Donny – Messieurs, comme je n’aime pas à répéter les arguments des autres, je ne reproduirai pas ce qui a été dit dans une séance précédente et par l’honorable M. d’Elhoungne et par l’honorable M. d’Hoffschmidt pour établir l’utilité d’un service quotidien de bateaux à vapeur entre la Belgique et l’Angleterre. J’ajouterai seulement aux raisonnements des honorables membres une considération qu’ils paraissent avoir perdue de vue. Je pense comme eux que les avantages que présentera un service quotidien et que les facilité très-grandes que le gouvernement peut accorder en matière de visites douanières, lorsque le transport des voyageurs se fait par un bâtiment de l’Etat, je pense, dis-je que ces avantages détermineront beaucoup de voyageurs à venir en Belgique, tandis que, sans cela, ils n’y seraient pas venus ; mais je crois pouvoir ajouter que tous ces voyageurs, à très-peu d’exceptions près, feront usage, sur nos chemins de fer, de voitures de première classe et que presque tous, par conséquent, payeront le maximum de nos prix de transport. C’est là, messieurs, une considération qui est, je pense, de quelque importance en ce qui concerne les produits de nos chemins de fer.

J’éprouve maintenant le besoin de dire quelques mots en réponse à ceux de nos honorables collègues qui ont attaqué le service dont il s’agit, MM. Osy, Malou, Meeus, Eloy de Burdinne, et, en dernier lieu, l’honorable M. Pirmez.

L’honorable M. Osy ne peut consentir, dit-il, à ce que le gouvernement se fasse entrepreneur de bateaux à vapeur. Il veut abandonner cela à l’industrie particulière, et il nous donne l’assurance que l’industrie particulière ne fera pas défaut, là où elle pourra s’exercer avec les conditions ordinaires de la concurrence. Malheureusement, l’honorable membre ne nous a pas dit si, dans son opinion, une compagnie belge qui organiserait un service quotidien de bateaux à vapeur entre la Belgique et l’Angleterre, pourrait se placer dans ces conditions ordinaires de la concurrence. Je crois pouvoir, sans grands efforts, prouver à l’honorable membre qu’une compagnie semblable ne pourrait pas se placer dans ces conditions.

L’honorable M. Malou ne croit pas que, dans la sphère des intérêts qui peuvent être exploités par les particuliers, il convienne d’étendre les droits du gouvernement, s’il n’y a pas nécessité évidente, et, de plus, l’honorable membre, jugeant du futur par le passé, prédit au gouvernement que le service dont il s’agit sera plutôt onéreux qu’avantageux. J’espère pouvoir démontrer à l’honorable membre qu’ici la nécessité évidente, dont il fait une condition sine quâ non, existe bien réellement, et je crois pouvoir juger de la position qu’aura le gouvernement dans le service dont il s’agit par celle qui est tombée en partage aux particuliers dans des entreprises analogues.

L’honorable M. Meeus a raisonné dans une double hypothèse : Ou bien, dit-il, il y aura moyen, pour l’industrie particulière, de trouver l’intérêt des capitaux, et alors on fera des paquebots, on fera le service pour lequel M. le ministre des travaux publics vient demander un subside ; ou bien le service ne pourra s’organiser qu’au moyen de grands sacrifices, et, dans ce cas, le moment d’imposer de nouveaux sacrifices à l’Etat n’est pas venu, le moment n’est pas même venu d’examiner la question. J’espère pouvoir établir que le dilemme posé par l’honorable membre n’est pas en harmonie avec les faits et que, par conséquent, il manque entièrement de force logique.

L’honorable M. Pirmez vient de vous dire, messieurs, si je l’ai bien compris qu’il est immoral que le gouvernement se mette en concurrence avec l’industrie privée. L’honorable membre conviendra, sans doute, même en se tenant sur son terrain, qu’il n’y a pas plus d’immoralité du moment que l’industrie particulière se trouve dans l’impossibilité d’entrer en lice, et c’est ce que j’espère lui prouver, en répondant à l’honorable M. Osy.

Quant à l’honorable M. Eloy de Burdinne, la partie sérieuse de son discours, et c’est la seule à laquelle j’ai à répondre, rentre plus ou moins directement dans ce que nous ont dit et l’honorable M. Malou et l’honorable M. Meeus.

Je répondrai maintenant à tous ces honorables membres par un seul argument, qui me semble fort simple et qui me paraît tout aussi concluant, et cet argument je le baserai sur un fait, cité par l’honorable M. Malou lui-même, fait qui n’a été contredit par personne et que je regarde, moi, comme rapporté très-exactement. L’honorable M. Malou nous a dit, messieurs, qu’il y a eu à Anvers une entreprise de bateaux à vapeur belges, que cette entreprise était subsidiée par le gouvernement, et que, malgré les subsides qu’elle recevait, elle n’a pas eu de succès. Et pourquoi ? Serait-ce parce que les transports de voyageurs et de marchandises entre l’Angleterre et la Belgique n’étaient pas assez considérables ? Non ; évidemment non. Personne, dans cette enceinte ni en dehors, n’oserait le soutenir.

La seule cause du non-succès de la compagnie belge est celle qui a été signalée par l’honorable M. Malou, qui vous a dit, messieurs, que, malgré l’existence du subside du gouvernement, la compagnie s’est trouvée dans l’impossibilité de soutenir la concurrence contre une compagnie anglaise. Eh bien, messieurs, cette compagnie anglaise existe encore aujourd’hui, et il est probable qu’elle existera encore pendant assez longtemps, et tant qu’elle existera, elle sera dans le futur, comme elle l’a été dans le passé, un obstacle insurmontable pour une compagnie belge ; mais, veuillez remarquer, messieurs, que cet obstacle insurmontable pour l’industrie particulière, disparaît complètement quand c’est le gouvernement qui se charge du service. En effet, messieurs, aussi longtemps que la compagnie anglaise s’est trouvée en concurrence avec des particuliers qui devaient nécessairement ou faire des bénéfices ou se retirer, avec des particuliers qui ne pouvant pas disposer de capitaux aussi considérables que les siens, la compagnie anglaise a fait ce qu’on voit faire souvent quand il y a concurrence et lutte ; elle s’est résignée à transporter à bas prix, sans bénéfice, à perte même, parce qu’elle avait l’espoir fondé, je dirai plus, parce que, à raison de la position de la compagnie belge, elle avait la certitude complète de parvenir, un peu plus tôt, un peu plus tard, à écraser cette compagnie, moins puissante qu’elle, et à demeurer maîtresse du terrain. Mais quand la compagnie anglaise se trouvera en face d’un gouvernement, elle comprendra bien vite que, malgré la puissance de ses capitaux, une lutte de sacrifices serait complètement inutile, complètement stérile pour elle, et elle n’entamera pas une lutte de ce genre.

Me fondant maintenant sur le fait cité par l’honorable M. Malou et sur les considérations que je viens d’émettre, je crois pouvoir répondre à l’honorable M. Osy que l’industrie particulière belge se trouve dans l’impossibilité de se placer dans les conditions ordinaires de concurrence, et que par suite elle nous ferait défaut. Je crois pouvoir répondre à l’honorable M. Malou que, puisque l’industrie particulière ne peut organiser le service dont il s’agit, il y a nécessité évidente d’en charger le gouvernement si l’on veut que le service s’établisse. Je crois pouvoir répondre encore à l’honorable M. Malou et en même temps à l’honorable M. Meeus ainsi qu’à l’honorable M. Eloy de Burdinne, qu’ils ont tort lorsqu’ils pensent que l’entreprise sera onéreuse pour le gouvernement par cela seul qu’elle a été onéreuse pour des particuliers, et qu’ils se trompent encore lorsqu’ils pensent que l’entreprise peut être avantageuse pour l’industrie privée, par cela seul qu’elle peut donner des bénéfices au gouvernement.

J’ai maintenant quelques mots à dire sur l’art. 5 du projet, article à l’occasion duquel on a fait entendre un reproche d’injustice, reproche grave, et qui fixera toujours l’attention de cette assemblée et la mienne. Avant tout, il est bon de faire observer que l’art. 5 ne contient aucune disposition que l’on puisse qualifier d’injuste. Cet article ne fait pas autre chose qu’ordonner le versement dans les caisses de l’Etat d’une redevance qui, jusqu’ici, s’est payée entre les mains des maîtres de poste. Ce n’est pas une injustice à l’égard de ceux qui payent ; car il leur est indifférent dans quelles mains ils payent. Ce n’en est pas une non plus à l’égard de ceux qui reçoivent ; car c’est dans leur intérêt que la mesure est proposée. Aussi, n’est-ce pas précisément sur l’art. 5 qu’on a fait porter le reproche d’injustice ; on l’a fait remonter à la loi du 15 ventôse an XIII, dont je vais maintenant m’occuper.

Mais d’abord je dois faire remarquer que, lors même que cette injustice existerait réellement, le rejet de l’art. 5 du projet tout entier ne porterait aucun remède à cette injustice ; car ce rejet n’aurait d’autre résultat que de maintenir ce qui existait, par conséquent de maintenir les dispositions de la loi du 15 ventôse an XIII, que l’on trouve injuste. Ensuite, cette injustice, n’est pas évidente pour tout le monde ; elle ne l’est pas du tout pour moi. Je vais avoir l’honneur de vous expliquer ma manière de voir à cet égard.

Abstraction faite du chemin de fer, il y a deux manières de voyager en voiture. On voyage à petites journées (on dirait aujourd’hui à petite vitesse), en conservant les mêmes chevaux pendant tout le cours du voyage ; ou à grande vitesse, en changeant de chevaux, en faisant usage de relais.

Le législateur, non-seulement en France, mais dans tous les pays policés a pensé qu’il était de l’intérêt général d’établir un service public, pour assurer à ceux qui voudraient voyager à grande vitesse les relais dont ils pourraient avoir besoin. C’est là, si je ne me trompe, l’origine de la poste aux chevaux.

Après plusieurs transformations dont il est inutile de parler ici, la poste aux chevaux a été organisée en France, par la loi du 19 frimaire an VII ; cette loi a dit à tous ceux qui veulent voyager à grande vitesse : Je vous assurerai les relais dont vous avez besoin. Mais pour vous les assurer, pour que le service public que je vais établir puisse remplir le but que je me propose, j’ai besoin d’établir un monopole ; j’ai besoin de poser en principe (page 1429) que tous ceux qui voudront voyager à grande vitesse, voyager au moyen de relais, seront obligés de se servir de mes relais ou de les payer.

Je conçois qu’il puisse se trouver des personnes qui blâment ce système, qui trouvent une injustice dans ce monopole posé en principe. Mais une fois le monopole admis, pris comme point de départ, comme base du raisonnement, tous les résultats sont justifiés, même la loi du 15 ventôse an XIII.

Le monopole dont je viens de parler se trouve posé en principe dans les art. 2 et 3 de la loi du 19 frimaire an VII. Il est vrai qu’un peu plus loin la même loi fait une exception en faveur des messageries.

« Sont exceptés (dit l’art.5) les relais qui seraient établis pour le service des voitures publiques partant à jour et heures fixés et annoncés par affiches. » Mais, veuillez le remarquer, c’est là une exception, une véritable faveur, un véritable privilège accordé aux entreprises de messageries et aux voyageurs qui voudraient voyager à grande vitesse, sans employer les relais de la poste. Le législateur pouvait ne pas accorder cette faveur extraordinaire ; il pouvait n’accorder ce privilège qu’à titre onéreux, moyennant une indemnité. Certes, ni dans un cas ni dans l’autre on n’avait le droit de lui faire un reproche d’injustice, une fois le monopole posé en principe.

Dans la loi que je viens de citer, le privilège est accordé à titre gratuit. Mais il paraît que le législateur s’est aperçu bientôt qu’il avait été trop loin, qu’il avait trop fait pour les messageries et pour les voyageurs qu’elles transportent, qu’il n’avait pas fait assez pour les services publics qu’il avait établis ; il a fait un pas en arrière par la loi du 15 ventôse an XIII. Par cette loi, il a dit à ceux qui voudront voyager à grande vitesse : « Vous pourrez, si vous voulez, vous servir comme tout le monde des relais publics. Dans ce cas vous payerez d’après le tarif adopté pour tout le monde. En d’autres termes vous pourrez, quand vous le voudrez, vous placer dans le droit commun. Mais de plus je vous conserve le privilège qui vous a été accordé par la loi du 19 frimaire an VII. Vous pourrez donc, comme par le passé, vous dispenser de prendre mes relais. Seulement je ne vous accorde plus ce privilège à titre gratuit, mais à titre onéreux, vous payerez une indemnité de 25 c. par poste et par cheval, au maître de poste dont vous n’emploierez pas les relais. » On a mis ainsi une restriction très-forte à la faveur accordée par la loi du 19 frimaire an VII , mais ce n’en est pas moins une position favorable et privilégiée qu’on a faites aux messageries.

Ce qui le prouve, c’est qu’un louageur n’a pas le droit de se placer dans cette position. Il n’a pas le droit de dire : « Je ne veux pas me servir de vos relais ; j’en prendrai d’autres et je payerai aux maîtres de poste 25 c. par poste et par cheval. C’est une faveur accordée aux messageries seules. C’est une position privilégiée. Je ne puis croire qu’une faveur doive être considérée comme une injustice évidente et fragrante.

M. de Garcia – Nous ne voulons pas de privilège.

M. Donny – Je conçois, messieurs, qu’aujourd’hui que les habitudes des voyageurs sont changées, qu’aujourd’hui que le service des messageries s’est étendu, s’est perfectionné, qu’aujourd’hui surtout que le pays est traversé en quelque sorte en tous sens par des chemins de fer sur lesquels on transporte les voyageurs à bas prix, je conçois, dis-je, qu’on puisse désirer quelque chose de mieux que ce qui a été organisé par la république française. Mais mes honorables contradicteurs me permettront de leur faire observer que ce quelque chose de mieux ne saurait jamais consister dans le renversement pur et simple de ce qui existe, quand on n’a pas un système nouveau à substituer au système actuel. Or, jusqu’ici j’ai bien entendu critiquer ce qui existe ; mais je n’ai encore rien entendu proposer que l’on puisse immédiatement substituer à ce qui est aujourd’hui en vigueur.

Je voterai donc en faveur de l’art. 1er qui établit un service quotidien de bateaux à vapeur entre la Belgique et l’Angleterre. Je voterai également pour le maintien de l’indemnité maintenue par l’art. 5, reproduisant la loi du 15 ventôse an XIII, je le voterai au moins comme mesure provisoire, en attendant qu’on puisse nous proposer quelque chose de mieux ; et, en votant ainsi, messieurs, je ne croirai pas du tout me rendre complice d’une injustice.

M. Rodenbach – Messieurs, je donnerai mon adhésion à l’art. 1er par lequel le gouvernement demande l’autorisation d’acheter trois bateaux à vapeur pour le transport des voyageurs et des dépêches en Angleterre. Je lui donnerai cette adhésion surtout, parce que je suis convaincu que si le gouvernement n’établit pas ce service, que je crois devoir être très-lucratif, aussitôt que le chemin de fer de Lille à Calais sera achevé, la France en établira un.

J’aurai très-peu de choses à dire sur l’art. 2. J’en avais demandé la suppression ; M. le ministre n’a consenti qu’à l’ajournement. Comme l’ajournement est à peu près la suppression, je n’ai pas d’opposition à faire. Je reconnais toutefois que cet art. 2 était une excellente mesure pour les voyageurs ; car le gouvernement leur aurait fourni de bonnes voitures dans lesquelles ils n’auraient pas couru les dangers auxquels ils sont exposés dans les mauvaises carrioles et à un cheval qui les transportent de plusieurs de nos petites villes au chemin de fer.

Messieurs, si je suis bien informé, il existe des règlements sur les voitures publiques ; mais ils sont tout à fait tombés en désuétude. Je crois que le gouvernement devrait tenir la main à ce qu’ils fussent exécutés, et s’ils ne suffisent pas, à en établir de nouveaux. On ne peut permettre qu’à chaque instant la vie des voyageurs soit mise en danger.

L’art. 3 établit la réorganisation de la poste aux chevaux. Je crois que cette réorganisation doit se faire. Voilà plusieurs années que l’on force les maîtres de poste, notamment dans les petites villes, à tenir à la disposition des voyageurs un certain nombre de chevaux dont ils font peu d’usage aujourd’hui. Aussi, un grand nombre d’entre eux ont-ils fait des pertes considérables ; car ils sont en outre forcés de payer l’impôt établi par la loi de 1822. On nous propose par l’art. 9 de les exempter à l’avenir de cet impôt. C’est encore une disposition utile et à laquelle je donnerai mon assentiment.

Messieurs, dans l’art. 5 il est dit que le revenu des 25 centimes que l’on exige des entrepreneurs de messageries, en vertu de la loi de nivôse an XIII, sera déposé dans les caisses du gouvernement. Mais il faut que la répartition de ce fonds soit fait d’une manière équitable.

Certains maîtres de postes, messieurs, ont fait des bénéfices considérables ; il en est qui recevaient 8, 9 et 10,000 fr. par an. Je sais que leurs revenus ont diminué. D’autres maîtres de poste, au contraire, établis dans des petites villes, ne recevaient que 2 ou 300 fr. par an ; il y en avait même qui ne recevaient pas 100 fr. par an. Eh bien, je crois que, dans la répartition qui sera faite du revenu des 25 centimes, il ne faut pas que les petits soient sacrifiés aux grands. J’ai vu, dans le rapport de la section centrale, que certains maîtres de poste proposaient l’établissement de cinq catégories. Mais il résulterait, si cette proportion était adoptée, que les petits maîtres de poste qui ont le plus besoin d’être aidés par le gouvernement, seraient sacrifiés aux grands.

Ainsi, messieurs, tout en appuyant le projet, j’engage M. le ministre des travaux publics à examiner attentivement la question de la répartition du fonds spécial ; c’est au gouvernement à faire cette répartition d’une manière équitable

Messieurs, l’honorable M. Pirmez a représenté l’entreprise par le gouvernement de certains chemins de fer comme un monopole. Lorsque nous avons voté la loi sur les chemins de fer en 1834, les honorables membres qui ont pris part à ce vote se le rappelleront, notre intention formelle a été que le contribuable n’eût à supporter aucune charge du chef de cette entreprise, que le chemin de fer couvrît ses dépenses. Malheureusement, messieurs, cette intention n’a pas été remplie. On vante beaucoup les chemins de fer, et moi-même j’en suis grand partisan. Mais je dis qu’il est à regretter que les contribuables, que les campagnards qui se trouvent à de grandes distances des chemins de fer et n’en profitent nullement aient dû supporter des charges qui ne s’élèvent pas à moins de 2 p.c. de l’énorme capital employé à la construction de notre railway.

Aujourd’hui, messieurs, nous entrons dans une nouvelle voie, et j’en félicite le pays. Les Anglais viennent nous demander des concessions auxquelles ils devront consacrer un capital considérable. Mais au moins ceux qui ne profitent pas des chemins de fer n’auront pas à contribuer à la dépense. C’est pour ce motif que j’ai accueilli les projets qui nous ont été présentés. Puisque des compagnies s’offrent pour exécuter ces travaux, j’espère que le gouvernement ne viendra plus en proposer à la législature pour être exécutés aux frais de l’Etat, aux frais des contribuables. J’ai dit.

M. de Mérode – Messieurs, malgré ce que vient de vous dire l’honorable ministre des travaux publics, je conçois beaucoup mieux l’exploitation des services de transport par les gouvernements absolus que par les gouvernements constitutionnels ; dans un gouvernement absolu, l’influence du pouvoir est unique ; elle agit avec ensemble, sans tiraillement ; dans le nôtre, au contraire, comme l’a démontré l’honorable représentant de Charleroy, l’esprit solliciteur énerve la représentation nationale, tend à la corruption par une action très-fâcheuse du ministre sur le député et du député sur le ministre, comme de l’électeur sur le premier ; mais tout en félicitant notre collègue, M. Pirmez, de ses judicieuses et utiles observations, je dois reconnaître qu’elles ne peuvent aujourd’hui nous faciliter le maintien d’une institution étrangère aux inconvénients qu’il a signalés.

Il a paru en France, en 1840, une brochure intitulée : « Des postes menacées par les chemins de fer », que publia M. Jouhaud. Voici les principales considérations qu’a fait valoir l’auteur, en faveur du maintien des relais et qui méritent, messieurs, votre attention bienveillante. Ce serait une grande erreur d’appliquer à l’institution des postes, les idées qui s’attachent aux industries ordinaires servant au transport des marchandises ou des personnes. Ce n’est pas là, en effet, une de ces entreprises librement formées, courant leurs chances de leur bonne ou de leur mauvaise fortune, et qui, nées de la concurrence, doivent en subir les lois. Les postes sont instituées dans un intérêt social et à titre onéreux. Leur destination, c’est le service public assuré dans tout le pays, même là où il ne peut se faire comme spéculation productive. Seules en effet, et alors même que les chemins de fer seraient multipliés, elles offriraient entre tous les points du royaume une garantie de continuité.

Il suffit, en temps de guerre, d’enlever quelques rails de la plus longue ligne ferrée pour que les communications soient à l’instant même interrompues. Des troubles intérieurs peuvent conseiller le recours à un moyen si simple de perturbation. A l’époque de la dernière insurrection de Lyon, 20 courriers ont été expédiés de Paris en une seule journée. Que fût-il advenu s’il eût dépendu d’une poignée de factieux de se porter sur un point de la route et de défendre à la vapeur de surmonter l’obstacle invincible qu’ils pouvaient, en quelques minutes, lui opposer.

Remarquez, messieurs, que c’était à cette même époque que se produisirent les pillages de Bruxelles. J’étais alors membre du conseil des ministres, et j’engageai fortement ce conseil à expédier immédiatement des courriers dans toutes les grandes villes du royaume, afin de prévenir les autorités de se tenir sur leurs gardes. Des estafettes furent également envoyées afin de faire venir divers renforts de troupes sur la capitale ; sans leur appui, un affreux désordre se fût prolongé pendant la nuit entière qui suivit une déplorable journée, et Bruxelles aurait eu à payer les indemnités, non pas de douze ou 15 maisons saccagées, mais de quarante-cinq ; car tel était le nombre des habitations désignées par les inventeurs de ce noble exploit, (page 1430) dont les contribuables payent les frais, tandis que les fauteurs coupables, ou les provocateurs imprudents, furent, les uns exempts de toute peine, et les autres reçurent l’indemnité qu’ils n’auraient point obtenue en France, témoin M. de Curzay, à Bordeaux.

Bien loin donc de partager l’opinion de ceux qui pensent qu’il faut laisser périr les relais sur les grandes lignes, c’est-à-dire sur celles qui mettent en communication les extrémités du pays, je tiendrais particulièrement à les conserver, et je crois fermement qu’il faut avoir perdu le sens politique pour traiter si légèrement une institution d’une si haute importance que la poste aux chevaux, et ce nonobstant les chemins de fer. Et que faut-il donc pour éloigner de pareils dangers, pour que les voies de communication de natures diverses se maintiennent simultanément ? Maintenir, quant aux nouvelles voies de communication, le principe de l’indemnité pour le transport des voyageurs, en réduisant toutefois son application à un tiers ou un quart du droit précédemment perçu.

« L’Etat, disait M. Odilon-Barrot, a eu de tout temps le monopole des postes. Dès 1464 il en a confié l’exercice à des entrepreneurs. Des droits se trouvaient à côté des obligations. Ces droits, qui ont été conservés jusqu’à ce jour par tous les gouvernements, se résument en un seul le droit exclusif du transport des voyageurs.

Quand la marche du temps a commandé une dérogation à ce principe, la compensation en a été stipulée au même instant. Les waggons qui sillonnent nos chemins de fer font maintenant ce que les messageries réclamaient en 1805, leur part du privilège concédé aux relais de poste. La loi de la nécessité fut alors entendue ; elle doit l’être encore aujourd’hui. Une indemnité fut stipulée pour prix d’une partie du privilège transporté des maîtres de postes aux entrepreneurs de messageries. La même transmission s’effectue en faveur des concessionnaires des chemins de fer. Une indemnité analogue doit donc être imposée ; c’est le même intérêt à défendre ; ce sont les mêmes règles à invoquer, c’est le même principe à appliquer. Disons mieux : ce principe, tel que le consacre la loi de 1805, appliqué aux transports des voyageurs, embrasse, dans la généralité de ses termes, les créations nouvelles.

C’est ce que reconnaissait M. le garde des sceaux dans son rapport sur la concession du chemin de fer d’Orléans, lorsqu’il dit : « Le droit de 25 centimes est établi sur toute entreprise de transport de voyageurs qui parcourt plus de dix lieues par jour. »

En Belgique, messieurs, c’est le gouvernement, il est vrai, qui fait concurrence aux relais par l’exploitation directe des chemins de fer ; c’est lui qui les compromet et les ruine ; mais comme c’est lui qui est le plus intéressé à leur maintien, j’en suis convaincu pour des motifs très-graves que j’ai déjà sommairement indiqués, je déclare que le jour même où il s’empara d’une ligne quelconque, il devait payer aux maîtres de poste un dédommagement égal à celui qu’ils obtenaient des diligences ; personne ne l’eût blâmé d’en agir ainsi. Malheureusement, je l’ai dit et ne manquerai pas de le répéter encore, chaque ministre s’occupe exclusivement des intérêts qu’il a dans sa direction se souciant assez peu du reste.

Ainsi la poste aux chevaux devait demeurer une institution précieuse dans certains circonstances, mais le ministre des travaux publics ne songeait pas à la prévoyance politique, et comme celle-ci n’est dans les attributions d’aucun département ministériel, elle est passée sous jambe et on ne regrettera son absence que quand il ne sera plus temps de lui faire son lot. Mais l’Etat n’est pas le seul intéressé, au maintien des relais ; il peu survenir à des particuliers, soit à la ville, soit à la campagne, un pressant besoin de franchir rapidement une longue distance au milieu de la nuit. Si la poste existe, elle offre une ressource certaine en pareil cas. Si les relais sont en déconfiture, au contraire, on en est privé, et de bien fâcheuses conséquences peuvent être la suite de cette privation. Il est en outre un moyen d’utiliser plus habituellement les relais ; c’est de leur donner, lorsqu’ils sont situés sur les voies ferrées, l’obligation de conduire les voyageurs dans toutes les communes environnantes jusqu’à une distance de 16 à 20 kilomètres aux prix fixés par un règlement, soit en cabriolet, soit en voiture à deux chevaux. Là où les chemins seraient trop mauvais, particulièrement l’hiver, l’obligation cesserait.

J’en revient à ce que dit M. Jouhaud dans son intéressant travail : « L’administration des postes françaises a établi, dans un mémoire par elle remis à la commission du budget de 1832, et cela par des calculs certains que le droit de 25 centimes s’élève à 8 centimes par poste pour chaque voyageur. C’est environ un centime par kilomètre. Nous proposerions de diminuer le droit des trois quarts et de le réduire à 2 centimes par poste, soit un quatre de centime par kilomètre. Ce dédommagement imposé aux nouvelles voies de communication, ne pèserait pas sur les concessionnaires ou sur l’Etat ; ce serait pour les voyageurs seulement une charge minime. Quant au mode de partage de cette indemnité, il serait l’objet d’un règlement d’administration publique émané du ministre que les postes concernent. A la puissance législative à établir le principe, à l’administration supérieure à en faire une équitable application.

Soyez persuadés, messieurs, qu’il y a dans la poste aux chevaux tout autre chose qu’une institution commode pour les voyageurs riches. Les chemins de fer servent à ceux-ci comme aux autres, et la preuve qu’ils en usent, c’est la décadence des relais. Mais la poste aux chevaux est une institution nationale, politique, qu’il serait bien peu sage de laisser tomber, tandis qu’il est aisé de la maintenir et d’en faciliter, même l’usage assez fréquent, aux voyageurs de la classe moyenne, avec tant soit peu de bonne volonté et d’appui de la part des chambres et du gouvernement.

Ce qui se résume dans l’adoption de l’article 3 du projet : « Le gouvernement est autorisé à réorganiser la poste aux chevaux et à accorder des subventions aux titulaires des relais qui devront être maintenus. »

M. Osy – Messieurs, comme j’ai eu l’honneur de m’en expliquer dans une séance précédente, je partage l’opinion de l’honorable M. Pirmez. Le gouvernement doit le moins possible entreprendre par lui-même, mais il doit donner le mouvement aux entreprises. Je ne dis pas que, d’une manière absolue, toute entreprise quelconque doit être interdite au gouvernement, mais en règle générale, je pense que nous devons nous abstenir, autant que faire se peut, de faire concurrence au public.

Pour ce qui est du maintien de la poste aux chevaux sur les lignes latérales au chemin de fer, je me range à l’avis de ceux qui regardent ce maintien comme tout à fait inutile…

M. Verhaegen – Je demande la parole.

M. Osy – Vous aurez, à chaque relais, quelques chevaux qui, dans le cours de l’année, auront très-peu à faire. S’il arrivait au chemin de fer un malheur qui empêcherait la circulation, ce nombre de chevaux ne pourrait nullement suffire pour transporter les voyageurs qui, sans cette catastrophe, se seraient servis du chemin de fer.

Remarquez, d’ailleurs, qu’il n’y a pas de ville, pas même de gros bourg où l’on ne trouve carrossiers en mesure de vous fournir des chevaux et des voitures pour vous transporter où vous voulez aller. Soyez certains que si vous ne maintenez pas la poste aux chevaux, ce service de voitures se développera là où il n’existe pas encore.

Quant à l’indemnité que l’on propose en faveur des anciens maîtres de poste, je la considère comme un privilège injuste : les anciens entrepreneurs de messageries ont été obligés de faire les plus grands sacrifices par suite de la construction du chemin de fer.

Si l’on maintient les chevaux de poste sur les routes latérales au chemin de fer, il faudra bien s’imposer un sacrifice. Pour ma part, je ne puis y donner mon consentement, surtout dans les termes où le gouvernement nous fait cette proposition. M. le ministre abandonne, pour cette année, l’art. 2 relatif à l’établissement de messageries aux frais du trésor public. Je le félicite de sa résolution ; l’art. 2 aurait rencontré une vive opposition dans cette chambre. Le gouvernement annonce qu’il reproduira, l’année prochaine, cette proposition ; mais je reconnais qu’il y aura alors une amélioration, puisque le gouvernement déterminera d’avance les endroits où il jugera utile d’établir des messageries. D’après l’art. 2 qui est retiré, tout était laissé à l’arbitraire du gouvernement.

Le gouvernement croit qu’il avait besoin des messageries dont il proposait l’établissement aux frais du trésor public. Parcourons le pays et nous remarquerons qu’il s’est créé des services de voitures dans toutes les localités où anciennement il ne s’en trouvait pas. Voyez ce qui se passe dans la province de Liége et dans la province d’Anvers. A Pépinster, il existe une foule de voitures destinées à transporter les voyageurs à Spa, à Malmédy, etc. Les voyageurs pour la Hollande, trouvent à Borgerhout ou à la station même du chemin de fer, les messageries qui les conduisent en Hollande. Soyez certains que partout où le besoin de semblables entreprises se fera sentir, l’industrie particulière fera plus que le gouvernement. Si le gouvernement ne veut exploiter que les routes où aucun service n’existe aujourd’hui, il est hors de doute que l’Etat fera de grandes pertes ; si, au contraire, il veut exploiter les lignes sur lesquelles existe aujourd’hui un service de messageries, il fera crouler cette entreprise particulière, et ce sera une injustice.

Dans le but de constituer un fonds spécial, le gouvernement ne conserve que l’art. 1er, indépendamment de la taxe des 25 centimes. L’art 1er autorise le gouvernement à construire trois bateaux à vapeur. Dans le rapport du gouvernement, pas plus que dans celui de la section centrale, nous ne voyons le devis de ce que doivent coûter ces bateaux. Le gouvernement se borne à demander un million. Nous ne savons si les bateaux seront construits en fer et s’ils le seront dans le pays. Quant à moi, je suis opposé à l’établissement de ces bateaux à vapeur ; toutefois, dans l’hypothèse de l’adoption de l’art. 1er, je demande que M. le ministre s’engage à faire construire les trois bateaux dans le pays, avec publicité et concurrence.

Messieurs, je ne puis approuver le fonds spécial. L’art. 3 consacre une disposition tout à fait arbitraire. Il est dit qu’un fonds spécial est créé et que le gouvernement donnera des subventions aux titulaires qui seront obligés de continuer le service des postes. On ne nous indique pas les règles qui présideront à la distribution de ces subventions ; payera-t-on pour le nombre des chevaux qu’on doit tenir ? Le gouvernement devrait donc au moins nous donner des explications sur la manière dont il entend répartir le fonds spécial.

Messieurs, si le gouvernement établit trois bateaux à vapeur, il est certain que l’industrie particulière ne pourra lutter avec lui. En Angleterre, comme en Belgique, ces bateaux à vapeur seront considérés comme navires de guerre ; ils n’auront donc à payer de frais de port, ni à Ostende, ni à Douvres. En outre le département de la marine prêtera à ces bateaux à vapeur les équipages des bâtiments de l’Etat..

Un membre – Ces équipages sont sans emploi aujourd’hui…

M. Osy – S’ils sont sans emploi, licenciez-les, ou utilisez-les pour les voyages au long cours ; mais si on les donne à l’administration du chemin de fer, il devient impossible aux particuliers de lutter avec le gouvernement, qui aura sur eux l’immense avantage de n’avoir à payer ni frais de port, ni frais d’équipage. En outre, le gouvernement pourra tellement baisser le prix du transport des voyageurs, que le service des bateaux à vapeur qui se fait aujourd’hui péniblement d’Anvers en Angleterre, devra nécessairement crouler. On ne nous dit pas quel tarif on établira. Si le gouvernement fixe un tarif fort bas, pour le transport des voyageurs d’Ostende à Douvres, tous les voyageurs préféreront naturellement les bateaux à vapeur (page 1431) du gouvernement, et l’industrie particulière qui existe aujourd’hui, et qui a fait tant de sacrifices, devra indispensablement succomber. L’administration de la société anversoise avait déjà essayé d’établir un service pour d’autres ports que celui de Londres ; or, elle a été obligée de vendre un de ses bateaux à vapeur, et si tous les voyageurs vont prendre la voie d’Ostende, sur les bateaux à vapeur du gouvernement, la société sera peut-être obligée de suspendre entièrement le service qu’elle a exploité jusqu’ici.

Si donc le gouvernement est autorisé à se charger de cette entreprise, il est juste qu’il prenne en considération l’économie qu’il fera du chef de l’équipage, des frais de port, toutes dépenses qui ne lui incomberont pas. Si le gouvernement n’a pas égard à cette circonstance dans la fixation de son tarif, il est impossible que les particuliers continuent de lutter contre lui.

L’honorable M. Donny nous a parlé de la société qui existe à Anvers ; l’honorable membre me permettra de compléter l’historique de cette société. En effet, dans les commencements de l’établissement de la société belge, la société anglaise lui a fait une concurrence extrêmement rude, en diminuant les prix pour le transport des voyageurs et des marchandises, et en augmentant le nombre des voyages. La société belge a dû consentir à des sacrifices, et, pendant deux ans, elle s’est résignée à donner à la société anglaise une part du revenu brut perçu par la société belge.

Cet état de choses n’a pas pu continuer. On a dû recourir à l’assistance du gouvernement. Le gouvernement a pris une mesure qui a produit un excellent effet. La société anglaise, voyant la société belge soutenue par le gouvernement est entrée en arrangement avec elle ; par suite de cet arrangement, le tarif entre autres se trouve fixé. Et aujourd’hui la société belge, sans être dans une position brillante, marche cependant. Mais si le gouvernement établit des bateaux à vapeur, les conditions d’existence de la société deviendront bien plus difficiles ; le léger subside de l’Etat deviendra insuffisant, et alors on sera obligé de demander une subvention plus considérable.

En terminant, je demande de nouveau que si l’art. 1er est adopté, le gouvernement s’engage à faire construire les bateaux à vapeur dans le pays, avec publicité et concurrence.

M. de Garcia – Messieurs, le projet de loi que nous avons à discuter, contient trois matières essentiellement distinctes, et dont chacune aurait pu faire l’objet d’une loi distincte.

La première disposition se rapporte à l’établissement d’un service de bateaux à vapeur entre la Belgique et l’Angleterre.

Une autre partie de la loi a pour but la réorganisation de la poste aux chevaux ; une troisième avait pour objet l’établissement de messageries comme prolongement du chemin de fer et pour desservir les besoins de cette grande artère nationale. Ces trois matières sont de la plus haute importance ; et quant à moi, je ne rejette, au fond, le principe d’aucune de ces dispositions. M. le ministre des travaux publics a consenti à retirer la partie qui concerne les messageries. J’avoue que, malgré l’intérêt que je porte à cette fraction de la loi, c’est sans regret que j’en vois le retrait. Je dirai en peu de mots les motifs qui me portent à penser ainsi. Cette partie du projet est la plus neuve, c’est celle qui nécessite l’étude la plus approfondie et les détails les plus étendus.

Reste donc en discussion la navigation à vapeur entre Ostende et Douvres et la réorganisation de la poste aux chevaux. Je regrette que ces deux matières importantes n’aient pas fait l’objet de deux lois spéciales, parce que l’une pourrait être adoptée et l’autre rejetée, et que, par la réunion, on compromet l’une par l’autre. Quant à moi, l’établissement d’une navigation à vapeur entre la Belgique et l’Angleterre aura mon assentiment, la réorganisation des postes ne l’obtiendra que pour autant que j’aie mes apaisements sur quelques points d’exécution de la loi, qui sont restés dans le vague le plus absolu. D’abord la navigation à vapeur entre la Belgique et l’Angleterre me paraît une mesure d’utilité générale qui, dans l’ordre des choses où nous nous trouvons et à raison de l’exploitation du chemin de fer par l’Etat, doit appartenir au gouvernement. Les observations de l’honorable M. Osy n’ont nullement ébranlé ma manière de voir à cet égard. Il y a du vrai, sans doute, dans ces considérations, mais les principes les plus absolus ont leur exception, et, selon moi, c’est bien le cas ici d’en établir une.

M. le ministre des travaux publics me semble avoir établi à l’évidence que, sous tous les rapports, il y a grand avantage pour l’Etat et pour l’intérêt général à ce que le gouvernement se charge de cette exploitation. Si, à bien des égards, l’on partage les principe que nous a développés l’honorable M. Pirmez avec le talent que nous lui connaissons en économie politique, il ne faut pas, je pense, les admettre d’une manière trop absolue. Dans le système où nous sommes entrés, par la création de notre chemin de fer, la navigation à vapeur par l’Etat est un complément nécessaire de ce qui existe. Au surplus, si le principe de cette partie de la loi me convient, il y a un accessoire qui me choque et qui ne me convient nullement. C’est ce qui concerne le produit de cette navigation. A l’art. 7, je crois, il est dit, que ce produit doit former un fonds spécial, une caisse spéciale. Un principe semblable est-il dans les règles d’une bonne administration, de la bonne comptabilité de l’Etat ? Je ne le crois pas. En effet, je demanderai au gouvernement, si le fonds spécial qu’il veut établir par la loi, et qui est destiné à couvrir les frais des deux branches de services publics, celui de la navigation à vapeur, et celui de la poste aux chevaux, je demanderai, dis-je, au gouvernement, si un fonds spécial devra aussi couvrir les dépenses à résulter des pensions à accorder aux fonctionnaires de ces administrations spéciales et mises en quelque sorte en dehors des autres branches d’administration publique. Pas un mot ne nous est dit à cet égard, et ce point reste dans le vague le plus complet.

Voilà ce qui arrive quand on sort des règles ordinaires, des règles d’une bonne comptabilité ; ces règles commandent impérieusement, selon moi, que tous les services publics et généraux soient payés par le trésor public ; en s’écartant de ce principe l’on s’expose à se heurter contre des obstacles imprévus, et l’on peut compromettre des mesures administratives.

Nous nous rappelons que l’honorable M. Verhaegen, quand il s’est agi de doter la magistrature, avait demandé un impôt destiné à l’objet spécial qu’il poursuivait avec une grande persévérance. Son système, vivement combattu, combattu par le gouvernement même, a été rejeté, au moins quand au point de vie de sa destination. Personne n’a oublié les plaintes et les reproches de cet honorable membre, qui disait ouvertement qu’on avait escamoté le fonds qu’il avait créé pour la magistrature. Comment se fait-il que le gouvernement, qui combattait la mesure proposée par l’honorable M. Verhaegen, vienne maintenant présenter une mesure fondée sur un principe identique. Je ne puis m’expliquer cette conduite. Quant à moi, aujourd’hui comme alors, le principe de deux caisses dans l’Etat est faux et contraire à une administration régulière.

Je n’en dirai pas davantage au point de vue de la navigation à vapeur, mais je désire que ses produits viennent dans les caisses de l’Etat, comme tous les autres revenus publics. Quand nous serons à cet article, je proposerai un amendement, si je trouve de l’appui en faveur des idées que je viens d’émettre.

Reste la réorganisation de la poste à chevaux, question d’une très-haute gravité, question d’intérêt général et d’intérêt politique.

A ce point de vue, je partage l’opinion de l’honorable M. de Mérode. Je pense que l’organisation de la poste aux chevaux doit avoir lieu même en regard du chemin de fer ; il peut arriver telles circonstances qui nécessitent l’emploi de ce service. L’honorable comte exige aussi que ces lignes de poste soient établies seulement sur les grandes lignes, de la capitale vers les pays voisins. Ici encore, je suis d’accord avec l’honorable comte. Je demanderai à M. le ministre quel est son système à ce point de vue. Aujourd’hui, les routes les plus insignifiantes sont qualifiées de lignes de poste ; uniquement pour rançonner des petites messageries l’impôt de 25 centimes par poste et par cheval ; uniquement pour se faire un revenu d’un impôt injuste, d’un impôt contraire au progrès, au commerce et à la civilisation.

Je traiterai ce point en répondant à quelques observations de l’honorable M. Donny.

Je reviens aux interpellations que j’ai adressées à M. le ministre des travaux publics. Je lui demande positivement quelles sont les lignes qu’il entend déclarer lignes de poste. En faisant cette déclaration, et en indiquant le nombre de relais, nous serons à même d’apprécier les dépenses que nécessitera utilement la réorganisation de ce service. J’ai demandé aussi quelle était la base de l’indemnité que le gouvernement entendait accorder aux maîtres de postes ; ces données et ces renseignements sont indispensables. Voulez-vous que le gouvernement soit autorisé à réorganiser la poste, à donner aux maîtres de postes l’indemnité qu’il jugera convenir, et déclarer lignes de poste les routes qu’il lui plaira de désigner ? Ce n’est pas là faire une loi, c’est dire au gouvernement : Faites ce que vous voudrez. Moi, cela ne me convient pas.

Si je n’ai pas mes apaisements sur le système du gouvernement, sur les routes qu’il entend déclarer lignes de poste, s’il ne dit pas les indemnités qu’il entend accorder aux maîtres de poste,s’il ne fait pas connaître quel sera le minimum et le maximum de l’indemnité, en un mot, le système qu’il suivra, j’avoue que je ne pourra donner mon assentiment à la loi. Ce sera à mon grand regret, car je regarde la réorganisation de la poste aux chevaux comme très-utile, comme indispensable à la chose publique.

J’ai annoncé aussi l’intention de présenter un amendement pour supprimer le droit de 25 centimes payé par les petites messageries sur les routes déclarées lignes de poste. Dans une séance précédente, l’honorable M. d’Elhoungne et moi avons signalé l’injustice qui résultait de l’état de choses actuel. L’honorable M. Donny, pour combattre les considérations, que nous avons présentées, s’est placé à l’époque et dans les circonstances de la loi du 15 ventôse an XIII. Restant sur ce terrain et ne tenant aucun compte des changements intervenus, il s’est demandé si cette loi avait quelque chose d’injuste. En partant de là je dois reconnaître que cette mesure législative n’avait rien d’inique.

Mais il y a injustice à maintenir cette loi quand la face du pays a changé, quand les voies de communication ont subi une métamorphose.

Etes-vous dans l’état où vous étiez quand la loi de ventôse an XIII a été portée ? Non sans doute, les chemins de fer ont anéanti les besoins des postes pour la plupart des populations dans le royaume. Quelle est la fraction du pays qui supporte aujourd’hui l’impôt de la loi du 15 ventôse an XIII ? C’est précisément celle qui retire le moins d’avantage des grandes voies de communication créées avec l’impôt de tous les Belges. Les 25 centimes d’impôt qu’on veut maintenir pour alimenter le fonds spécial destiné à réorganiser la poste aux chevaux, même parallèlement au chemin de fer, seraient payés par les localités les moins bien dotées pour celles qui ne jouissent point du chemin de fer.

Je n’hésite pas à le dire, et la chambre, je l’espère, partagera mon opinion, la conservation de cet impôt est une injustice manifeste.

Tout le monde le reconnaît : la réorganisation de la poste aux chevaux doit avoir lieu dans l’intérêt social tout entier ; dès-lors vous ne pouvez en (page 1432) faire supporter les frais exclusivement par les localités les moins favorisées du pays, mais bien par la nation entière et par le trésor public.

M. le ministre a reconnu la justesse de mes observations à cet égard, en disant que s’il s’agissait d’établir ce droit, il ne le ferait pas. Par cet aveu, M. le ministre reconnaît lui-même l’injustice de cet impôt ; or, s’il serait injuste de l’établir, il est évident que les mêmes motifs doivent conduire à le supprimer…

M. Donny – Proposez quelque chose de mieux.

M. de Garcia – Mais la proposition va d’elle-même. Si le service de la poste est d’utilité publique, c’est le trésor public qui doit faire les frais nécessaires pour l’assurer.

Pour maintenir le droit de 25 centimes par cheval et par poste qu’on prélève sur les messageries, l’honorable M. Donny a dit que l’Etat a un privilège. Eh bien, je ne veux pas de privilège ; ceci peut paraître étrange jusqu’à un certain point, mais je demande l’abrogation de ce que l’honorable M. Donny qualifie de faveur et de privilège pour les localités dont je défends les intérêts dans ce moment. J’espère que je trouverai appui dans cette chambre, car je pense que personne n’y aime les mesures qui peuvent porter un semblable cachet.

Messieurs, d’après ce que je viens d’avoir l’honneur de dire, vous voyez que mes observations ont deux buts essentiels : d’abord que les frais du service de la poste soient à la charge du trésor ; qu’il n’y ait pas de fonds spécial pour un objet d’intérêt général ; en second lieu, qu’on supprime le droit de 25 centimes par cheval et par poste auquel sont soumises les messageries. Sous ces deux rapports, je me réserve de présenter des amendements quand nous en seront venus aux articles.

M. de Theux – La discussion se complique de tant de questions qu’il est très-difficile de la suivre. Il me semble qu’il serait préférable de clore la discussion générale et de passer à la discussion des articles. (Adhésion.)

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je me rallie à cette proposition.

- La chambre consultée prononce la clôture de la discussion générale.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Il sera établi entre la Belgique et l’Angleterre un service quotidien de paquebots à vapeur pour le transport des voyageurs et des dépêches.

« A cet effet, il est ouvert au département des travaux publics, pour l’acquisition de trois paquebots, un crédit de un million de francs, à couvrir par émission de bons du trésor. »

M. Osy – Comme j’ai eu l’honneur de vous l’annoncer, je demande que, si l’on adopte l’art. 1er le gouvernement s’engage à créer ce service avec publicité et concurrence.

Ce qu’on vous propose, c’est « l’acquisition » de trois paquebots. Je proposera de substituer à ce mot celui de « construction ».

A cela j’ajouterai que lorsque la société d’Anvers s’est établie, elle a acquis son premier paquebot à l’étranger. Les autres ont été construits dans le pays, à Bruges et à Anvers ; ce sont des modèles de navires. Les machines viennent d’Angleterre ; elles peuvent servir de modèles à nos ateliers, s’ils en ont besoin. Mais je suis persuadé que les ateliers belges sont assez avancés pour construire eux-mêmes ces machines, sans modèles de l’étranger. Je demande donc que la construction des machines ait lieu dans le pays.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Je ne crois pas nécessaire de revenir sur les considérations qui ont déjà été développées dans cette discussion sur l’utilité d’un service de bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres.

L’honorable M. Osy réclame du gouvernement des renseignements relativement à l’acquisition des trois bateaux que ce service nécessite. Il s’est plaint de ce que la chambre n’avait pas sous les yeux des documents suffisants, des devis, des évaluations, de manière à pouvoir éclairer son vote. L’honorable membre probablement n’avait pas sous les yeux le rapport très-circonstancié de la commission spéciale qui a examiné à fond la question des bateaux à vapeur. Dans l’exposé des motifs de la loi, j’ai rectifié ces calculs. En lisant ce rapport, à la page 23, l’honorable membre aurait pu se convaincre que le gouvernement a entre les mains une soumission de la société de Seraing, pour la construction de ces trois bateaux à vapeur.

L’honorable membre demande si le gouvernement a l’intention de les faire construire dans le pays. Oui, c’est l’intention du gouvernement. Cependant, je ne voudrais pas qu’on liât le gouvernement d’une manière trop absolue. Il y aura à examiner s’il ne serait pas utile (peut-être les constructeurs belges eux-mêmes le demanderont-ils) de pouvoir acquérir à l’étranger un bateau qui servirait de modèle aux autres. Si le gouvernement peut s’en passer, il le fera. Mais c’est un point sur lequel je désire conserver toute latitude.

Relativement à la concurrence et à la publicité, je crois qu’il est impossible d’imposer cette condition au gouvernement. Il y a très-peu d’établissements qui aient l’habitude de faire ces constructions ; le gouvernement devra choisir entre ces établissements qui sont très-peu nombreux dans le pays.

L’honorable M. Osy voudrait que l’on substituât le mot « construction » au mot « acquisition ». L’expression serait impropre ; car construction suppose un travail en régie. Or évidemment le gouvernement devra acquérir soit à l’étranger, soit dans le pays. Il me paraît donc que les termes de la loi ne peuvent être modifiés.

Je le répète ; l’intention du gouvernement est de faire construire les bateaux dans le pays. Seulement je fais une réserve relativement à la question de savoir s’il ne serait pas utile d’acquérir un bateau qui servirait de modèle aux autres.

M. de Muelenaere – Je pense qu’il doit être entendu que les paquebots seront construits dans le pays. Toutefois, je ne veux pas enlever au gouvernement une certaine latitude à cet égard. L’explication donnée par M. le ministre des travaux publics me paraît satisfaisante.

Mais, j’ai une autre observation à faire sur la rédaction du § 1er de cet article. Je vois, dans cet article, que le gouvernement serait en quelque sorte dans l’obligation d’établir entre la Belgique et l’Angleterre un service de paquebots à vapeur pour le transport des voyageurs et des dépêches, et que ce service devrait être quotidien. Je ne sais pourquoi le gouvernement devrait par la loi même être soumis à l’obligation d’un service quotidien. L’expérience pourra prouver que l’intérêt du service même, l’intérêt du trésor peut-être commandent qu’à certaines époques, ce service ne soit plus journalier. Il est donc désirable que le gouvernement ait une latitude à cet égard.

A moins que M. le ministre des travaux publics n’ait des motifs spéciaux pour que l’on conserve la rédaction, je demande la suppression du mot « quotidien », afin que le gouvernement ait tout latitude à cet égard.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je ne m’oppose pas à la suppression ; car le gouvernement restera libre d’établir ce service quotidien. Je veux seulement faire remarquer que je crois à la nécessité de ce service quotidien. Le grand défaut de nos relations avec l’Angleterre, c’est précisément de ne pas être quotidiennes. Il y a, par semaine, 4 départs de bateaux de l’office britannique, approprié au service des dépêches et non à celui des voyageurs. Il n’y a que deux jours par semaine départ de bateaux de la compagnie de Douvres. Il y a donc nécessité d’un service quotidien, afin d’amener une grande affluence de voyageurs.

Je ne m’oppose pas, je le répète, à la suppression, parce que le gouvernement reste libre d’organiser le service d’après les besoins publics.

M. d’Elhoungne – Le crédit dont il s’agit est ouvert au département des travaux publics. Je crois qu’il devrait être ouvert au département de la marine ; car il faudra que l’achat se fasse de commun accord entre les deux départements. C’est le personnel de notre marine qui doit faire le service de ces paquebots ; il devra être consulté au sujet de l’acquisition.

Je n’appuie pas la proposition de l’honorable député d’Anvers. Je crois qu’il serait dangereux d’imposer d’une manière trop absolue l’obligation de faire construire les trois paquebots dans le pays, parce que le nombre des établissements qui peuvent construire ces paquebots étant très-restreint, ils pourraient faire la loi au gouvernement, si cette obligation lui était imposée. Je pense donc que cette proposition ne peut trouver d’appui dans cette assemblée, et qu’il faut maintenir la rédaction en ajoutant « et au département de la marine ».

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – On pourrait ouvrir le crédit au gouvernement.

M. d’Elhoungne – Fort bien, s’il est entendu que le département de la marine intervient.

M. Rogier – Il faudrait entrer dans une discussion générale fort étendue, si l’on voulait répondre à toutes les observations d’un honorable député de Charleroy.

Mais comme nous aurons prochainement à nous expliquer sur le système de l’intervention de l’Etat, opposé au système de l’intervention de l’intérêt privé, nous pouvons aujourd’hui restreindre le débat. Pour moi, je ne suis absolu dans l’un ni dans l’autre système. Je ne demande pas que l’Etat fasse tout, mais je ne voudrais pas non plus qu’il ne fît rien.

L’opinion de l’honorable M. Pirmez remonte, qu’il me permette de le dire, à cette doctrine déjà un peu vieillie des économistes qui voulaient que le rôle du gouvernement consistât à ne rien faire, qu’il se bornât à la mission de lever des hommes et de l’argent.

Je crois, messieurs, que le gouvernement, en se présentant exclusivement aux populations sous l’aspect d’un gendarme, ou d’un receveur des contributions, ne fait pas précisément ce qu’il faut pour répandre parmi elle ces sentiments de sympathies et de bien-être que l’honorable préopinant prétend avoir disparu depuis que le gouvernement s’est occupé de faire le bien du pays en intervenant dans les travaux publics.

On a cité, messieurs, l’exemple de l’Angleterre, où le gouvernement ne fait rien, où l’industrie privée fait tout. Mais si l’honorable préopinant a suivi l’histoire parlementaire contemporaine, il verra que, dans ce pays de progrès, il se fait une réaction contre la maxime du laisser faire, et de la nullité gouvernementale.

Dans un mémoire remarquable émané du ministère du commerce, des agents supérieurs de l’administration de sir Robert Peel vont jusqu’à réclamer en faveur de l’Etat britannique le rachat de toutes les concessions de chemins de fer, rachat qui peut aller jusqu’à une somme de 1,500 millions de francs. Voilà ce qui est proposé aujourd’hui en Angleterre par le parti conservateur. Et pourquoi ? Parce que ce parti conservateur comprend la nécessité d’assurer le bon marché des transports au commerce et à l’industrie, parce qu’il comprend qu’il n’y a, dans l’avenir, de tranquillité pour le pays, de sécurité pour le gouvernement qu’à la condition de s’occuper surtout du bien-être des classes inférieures, de ne pas les laisser impitoyablement exposées aux persécutions, à la rapacité de l’intérêt privé.

Le tableau des vexations exercées par certains concessionnaires de chemins de fer vis-à-vis des classes ouvrières a été vigoureusement tracé, dans ce mémoire de l’administration anglaise. J’engage l’honorable M. Pirmez à se pénétrer de cette lecture. Il pourra revenir de ce qu’il y a de trop absolu (page 1433) dans ses opinions. Et vraiment, je ne comprends pas, messieurs, comment l’honorable membre, dont je ne mets pas en doute, d’ailleurs la parfaite indépendance, mais qui a toujours figuré presqu’invariablement dans les rangs des défenseurs des ministères, quels qu’ils fussent, se montre aujourd’hui si défiant vis-à-vis du gouvernement.

M. Pirmez – Je demande la parole.

M. Rogier – Messieurs, c’est parce que je suis partisan de l’intervention sage et limitée du gouvernement, que je ne voudrais pas la voir compromise dans des entreprises faites ou étudiées à la légère ; et, sous ce rapport, je dois le dire, la proposition relative aux bateaux à vapeur semble se ressentir de l’esprit qui a présidé à la rédaction de la loi entière dans laquelle cette proposition se trouve englobée. Déjà M. le ministre des travaux publics vient de faire disparaître de son projet ce qui est faisait l’élément principal.

Une idée étendue, élevée même, dominait le projet de loi. Cette idée consistait à charger le gouvernement de tous les transports dans le royaume. Messieurs, elle avait, sans doute, été profondément étudiée, et elle méritait certes d’être défendue. Mais à peine a-t-elle éprouvé quelque résistance que tout de suite M. le ministre des travaux publics s’est montré disposé à la retirer.

Mais cette première proposition retirée, la seconde qui était la réorganisation de la poste aux chevaux combinée avec l’établissement des transports par l’intervention du gouvernement, vient évidemment aussi de tomber. Car je ne pense pas que M. le ministre des travaux publics veuille se borner maintenant à demander pour les directeurs de la poste aux chevaux un subside de 3 à 400,000 fr., sans combiner la réorganisation du service de la poste aux chevaux avec l’organisation du service des transports. Je concevrais l’indemnité à accorder aux maîtres de poste, si M. le ministre avait voulu faire marcher les deux choses ensemble. Mais pouvons-nous maintenant décider que MM. les maîtres de poste, outre les 240,000 francs qu’ils reçoivent des entreprises de messageries, obtiendront, en outre, du gouvernement, un subside de 250,000 francs, sans savoir et sans déterminer quelles obligations nouvelles leur incomberont, de quels nouveaux services ils seront chargés ?

Ces dispositions me paraissent donc mériter un plus mûr examen.

Je retrouve aussi des traces de légèreté dans le système propose pour l’établissement des bateaux à vapeur. On nous a présenté le tableau comparé des dépenses qu’occasionnerait le service exploité par l’Etat et exploité par des particuliers, et on en fait entre les mains du gouvernement une fort belle affaire. Pour les particuliers, les charges sont énormes ; pour l’Etat, au contraire, ces charges sont presque nulles.

Messieurs, il ne faut pas se faire illusion : dans l’intérêt du principe de l’intervention de l’Etat, il importe d’éviter l’exagération, les faux calculs.

On dit qu’un service de transports par bateaux à vapeur aux mains de l’Etat aura à faire moins de dépense qu’un service établi par des particuliers, et voici le calcul que je trouve dans le rapport de M. le ministre :

Pour le personnel de trois bateaux à vapeur, une société aurait à dépenser 67,155 francs ; l’Etat, au contraire, ne dépensera rien. Pourquoi cela ? Parce que, dit-on ; l’Etat emploiera dans les bateaux le personnel de la marine. Mais si l’on prend à la marine son personnel pour le placer dans les bateaux à vapeur, ne faudra-t-il pas remplacer ce personnel de la marine ? J’interrogerai sur ce point M. le ministre des affaires étrangères. Si ce personnel est tellement disponible, qu’il puisse sans inconvénient passer d’une manière permanente à un autre service, je demanderai à quoi il sert aujourd’hui ? Ou ce personnel qu’on enlèverait à la marine devrait être remplacé ; ou nous devons conclure qu’il n’a rempli qu’une sinécure depuis que nous avons une marine.

Il y a plus. Le personnel de la marine ne peut suffire entièrement à desservir les bateaux à vapeur, parce que autre est le personnel des bateaux à vapeur et autre est celui de la marine. Voici à cet égard quelques détails extraits des documents fournis par M. le ministre des travaux publics.

Il y aura, outre le personnel que l’on pourrait emprunter à la marine, trois chefs mécaniciens et trois chauffeurs. Peut-être prendra-t-on ces chefs mécaniciens et ces chauffeurs au chemin de fer. Mais alors je ferai pour le chemin de fer la même observation que pour la marine. Ou il faudra remplacer ces mécaniciens et ces chauffeurs au chemin de fer, ou, s’il ne faut pas les remplacer, il y avait de ce chef des sinécures. Mais, messieurs, il n’y a pas, on peut le croire trop de mécaniciens et de chauffeurs au chemin de fer, et si on lui en emprunte, il faudra les lui rendre. Il n’y aura donc pas économie.

Il faut aussi que les bateaux à vapeur aient le personnel domestique nécessaire : trois maîtres d’hôtel à 1000 fr. ; trois cuisiniers à 1000 fr. ; six domestiques à 600 fr. Ce personnel ne pourra pas être enlevé à la marine militaire. On nous a dit aussi qu’il faut sur chaque bateau une femme de chambre, épouse légitime d’un des marins de l’équipage. (On rit). Messieurs, cette condition a été dictée par un sentiment très-moral ; comptons donc encore trois épouses légitimes pour les trois bateaux à vapeur, et ces épouses légitimes, vous ne les enlèverez pas à la marine nationale.

Voilà donc, messieurs, autant de dépenses qui ne figurent pas dans le relevé des dépenses à charge de l’Etat et qui cependant ne doivent pas être perdues de vue.

Il y aura, messieurs, un autre mécompte bien plus considérable. Trois bateaux à vapeur, desservis par une société particulière, ont à payer par an à l’Etat, en frais de pilotage, de tonnage, de fanaux, de port, une somme de 68 mille fr. M. le ministre nous dit dans son rapport : « L’Etat étant exempt de ces frais, il jouit par là d’un grand avantage. » Mais la chambre verra tout de suite qu’il y a là une grande erreur, car si le gouvernement ne reçoit pas les 68 mille francs de ses propres bateaux à vapeur, et si ces bateaux empêchent les particuliers d’établir un service, l’Etat perd évidemment ce qu’il ne perçoit pas.

On dit que nos bateaux à vapeur, ne transportant que des voyageurs, des dépêches, et des matières d’or et d’argent, seront considérés en Angleterre comme des bâtiments de guerre, et n’auront presque pas de frais à supporter. Je désire que cette assertion soit exacte ; cependant on fait figurer parmi les choses à transporter, outre les voyageurs et les matières d’argent, 150 voitures, 100 chevaux, 50 chiens.

Je ne sais si en Angleterre ces objets sont considérés comme matières d’or et d’argent ou comme dépêches (on rit) ; mais s’ils n’étaient pas considérés comme tels ou comme accessoires des voyageurs, les bateaux à vapeur ne pourront les transporter sans s’exposer à payer les droits ; ou s’il fallait renoncer aux transports des voitures et des chevaux, il y aurait 16 mille francs à retrancher de ce chef dans les recettes.

Il faut donc, messieurs, ne pas s’exagérer dans cette circonstance les avantages de l’exploitation par l’Etat, comparée à l’exploitation par les particuliers. Je ne suis pas contraire à ce que l’Etat exploite 3 bateaux à vapeur ; mais j’aurais voulu que M. le ministre eût présenté à l’appui de sa proposition des calculs plus exacts. Ceux qu’ils nous a soumis pèchent par la base, et s’il n’y avait pas, messieurs, urgence, je crois que l’on ferait bien d’ajourner toute la loi, dont la partie principale se trouve déjà retirée. D’ici à la session prochaine, M. le ministre pourrait se livrer à une étude plus approfondie de la question, et nous présenter alors un système plus complet et plus acceptable.

M. Pirmez – Messieurs, je ne vois pas où l’honorable M. Rogier trouve dans mon discours que le gouvernement ne devait se présenter aux populations que sous la forme d’un gendarme. J’ai dit qu’il ne fallait lui donner que ce qui était nécessaire à la conservation et à la bonne administration d’une société politique, et j’ai cité la justice, l’armée, la perception de l’impôt et l’administration civile. En quoi cette proposition dit-elle que le gouvernement doit apparaître sous l’aspect d’un gendarme ?

L’honorable membre dit qu’il se fait une réaction en Angleterre. Je croirai à l’exploitation des chemins de fer par le gouvernement anglais, seulement lorsque cet événement arrivera. Cette opération répugne trop à ses institutions, pour que j’y croie avant qu’il ne soit arrivé.

Je sais, ou au moins j’ai entendu dire, qu’il existait des brochures sur ce sujet, et même qu’une proposition de loi d’achat avait été faite au parlement. Mais assurément cette proposition n’a pas pour but de faire exploiter les chemins de fer par le gouvernement.

Mon discours avait pour but principal de démontrer que l’absorption d’un grand nombre d’intérêts par le gouvernement, devait amener l’immoralité et la corruption dans la société. Voilà la thèse que j’ai soutenue. C’est à cela qu’il faudrait répondre. L’honorable membre n’en a rien dit.

L’honorable M. Rogier, en me reprochant de soutenir tous les ministères, s’étonne de ce que je le combatte si fort aujourd’hui. A la vérité, je ne veux pas renverser un ministère uniquement pour le plaisir de le renverser. Je crois même qu’on ne doit pas le faire légèrement. Mais je ne lui sacrifie pas mon opinion, et moins dans la matière qui nous occupe qu’en toute autre.

Quant à l’expression d’économie politique vieillie, dont il a qualifié ce que j’ai dit, cette expression n’est ni une preuve ni un raisonnement, et chacun peut facilement en gratifier son adversaire.

M. Osy – Messieurs, vous vous rappellerez tous que sous le ministère de notre honorable président, vous aviez voté une somme de 400 mille fr. pour subsidier une société de bateaux à vapeur, et que, sous le ministère de l’honorable M. Nothomb, ces 400 mille fr. ont été capitalisés pour acheter deux bateaux à vapeur qui coûtaient 4 millions. Ce fait me semble prouver la nécessité de ne pas faire une loi aussi vague que la disposition de l’art. 1er. J’ai toute confiance dans la déclaration de l’honorable M. Dechamps, qu’il compte acheter tout au plus un seul navire à l’étranger et faire construire les deux autres dans les principaux ateliers du pays ; si j’étais sûr que l’opération se ferait pendant le ministère de l’honorable M. Dechamps, je ne demanderais rien ; mais, comme le ministère pourrait changer, je demande positivement que M. le ministre consente à ce qu’on mette au procès-verbal qu’il pourra acheter tout au plus un seul navire à l’étranger et que les autres seront construits dans le pays. A cette condition, je retire mon amendement.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, je ne trouve aucune difficulté à ce que la déclaration que j’ai faite soit insérée au procès-verbal.

Je ne veux pas prolonger cette discussion, mais je dois dire deux mots de réponse à quelques observations faites par l’honorable M. Rogier. D’après l’honorable membre, l’ajournement de l’art. 2 du projet de loi ferait perdre à ce projet le caractère d’ensemble qu’il avait primitivement. Le projet, messieurs, avait un double but ; il avait un but d’utilité générale, c’était l’établissement de bateaux à vapeur, et de certains services en dehors du chemin de fer ; il avait un autre but, la centralisation de l’impôt de 25 centimes pour former un fonds spécial. Au point de vue de l’utilité générale qu’avait le projet je conviens que l’ensemble n’existe plus au même degré que lorsque le projet a été présenté, mais il ne faut pas oublier que le but initial du projet de loi était le maintien et la réorganisation de la poste aux chevaux.

Pour maintenir et réorganiser la poste aux chevaux, sans recourir directement au trésor public, il faut trouver le moyen de couvrir une dépense qui est évaluée à 250,000 fr., et non pas à 500,000 fr., comme le dit l’honorable membre. Eh bien, au pont de vue financier du projet de loi, le retrait de l’art. 2 ne change rien à l’ensemble. On n’avait pas compté sur les services de messagerie pour constituer le fonds spécial ; le fonds spécial (page 1434) continuera d’exister à l’aide des 25 centimes centralisés, et à l’aide des revenus des paquebots à vapeur. Ainsi, messieurs, le gouvernement pourra réorganiser les relais de la poste aux chevaux, et, en deuxième lieu, il pourra desservir la ligne importante de bateaux à vapeur, sans l’article 2, comme avec l’art. 2. L’article 2 avait une utilité très-grande, et comme je l’ai déjà indiqué, je me réserve de demander au budget prochain des allocations, pour établir certains services sur des lignes déterminées.

Messieurs, je n’ai pas retiré l’art. 2 légèrement et sans motif ; j’ai indiqué les motifs qui me déterminaient à proposer l’ajournement de cet article ; c’était ce fait nouveau de concessions de lignes assez nombreuses de chemins de fer que nous sommes venus demander à la législature. Il est évident pour tous que les bases de l’organisation de ces services de messagerie, considérés comme affluents du chemin de fer, que ces bases ont été profondément modifiées par la présentation des projets dont il s’agit. J’ai dû demander des renseignements nouveaux qui ne me sont pas encore fournis, et l’ajournement de l’article 2 à la session prochaine n’a pas eu d’autres motifs que celui-là.

L’honorable M. Rogier a cru que le gouvernement ne s’était pas entouré d’assez de renseignements relativement à l’organisation du service de bateaux à vapeur. Mais, messieurs, il est arrivé bien rarement que le gouvernement réunit autant de renseignements qu’il en a réuni pour l’organisation de ce service. Ainsi, on a nommé une commission spéciale, composée des directeurs du chemin de fer, d’un fonctionnaire de la marine, d’un fonctionnaire supérieur des postes. Cette commission a fait un travail étendu. Depuis, messieurs, ses calculs ont été vérifiés. J’en ai présenté les résultats à la chambre et l’expérience faite depuis le mois d’août par la société de Douvres, a confirmé, et au-delà, toutes les prévisions de produits qui ont été présentées. Il est fort probable que quelques dépenses de personnel seront nécessaires, mais on comprendra que le gouvernement n’aura pas les frais d’administration générale que doit avoir une compagnie. Ainsi par exemple le service des dépêches se fera sur le bateau à vapeur, par le personnel des postes, comme il se fait sur les bureaux ambulants du chemin de fer. Le gouvernement espère trouver dans le corps de la marine, sans augmenter de beaucoup l’effectif de la marine, le personnel nécessaire pour desservir ces bateaux.

L’honorable M. Rogier a soutenu que les frais de pilotage et de port n’étaient pas un bénéfice pour l’Etat. La réflexion que l’on a voulu faire à cet égard, c’est que l’Etat, considéré comme rival d’une compagnie, n’aurait pas à payer, en Angleterre, par exemple, les frais de port, de fanaux et de pilotage, qui tous sont à la charge d’une société particulière. On a présenté cette observation, non pas en considérant l’Etat sous le point de vue du trésor public, mais en le considérant comme concurrent d’une société particulière.

Je le répète, messieurs, il serait impossible de s’entourer de plus de renseignements que ne l’a fait le gouvernement. Si la chambre adoptait l’ajournement proposé par l’honorable M. Rogier, le gouvernement ne pourrait que nommer une commission nouvelle composée probablement des mêmes membres qui faisaient partie de l’ancienne. Je ne vois donc pas que l’ajournement puisse présenter le moindre avantage. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président – Si personne ne demande plus la parole je déclarerai la discussion close.

- La suppression du mot « quotidien » est d’abord mise aux voix et adoptée.

- La chambre adopte ensuite la proposition tendant à substituer les mots « au gouvernement » à ceux de : « au département des travaux publics ».

L’article ainsi modifié est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à 4 heures et demie.