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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 18 avril 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 1389) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à une heure ¼.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.

« Le conseil communal de Runkelen demande l’adoption de la proposition de loi sur les céréales, signée par 21 députés. »

« Même demande des conseils communaux de Binderveld, Muysen, Halmael-Kerkom et des cultivateurs de Bouckout. »

- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner la proposition.


« Le conseil communal de Lièvre demande le rejet de la proposition de loi sur les céréales, signée par 21 députés. »

- Même renvoi.


« Un grand nombre d’habitants des communes de Seraing, Jemeppe et Tilleur déclarent adhérer à la pétition des habitants de Verviers et de Hodimont, tendant au rejet des propositions de loi sur les céréales. »

- Même renvoi.


« Plusieurs militaires pensionnés, avant 1830, pour cause de cécité contractée au service, demandent une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi sur les entrepôts de commerce

Rapport de la section centrale

M. Cogels présente le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif au système général d’entrepôts.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. Le jour de la discussion sera fixé ultérieurement.

Projet de loi sur l’organisation de l’armée

Discussion des articles

Etat-major et officiers des troupes du génie

La discussion continue sur l’article 7 et les amendements qui s’y rapportent.

M. Brabant – Messieurs, dans une discussion d’un grand intérêt public je m’abstiendrai soigneusement de tout ce qui pourrait ressembler à une personnalité ; la cause que je me propose de soutenir devant vous est assez belle, assez fondée en principe pour qu’il ne soit pas nécessaire de recourir à un moyen odieux, à un moyen qui serait lâche, puisque j’attaquerais des personnes qui ne peuvent pas se défendre dans cette enceinte.

Le génie se divise en deux parties : l’état-major et la troupe. L’état-major se compose d’officiers de qui vous avez exigé une instruction profonde, instruction constatée par les épreuves les plus nombreuses et les plus rigoureuses. Leur service, messieurs, est de la plus haute importance, et ce luxe d’instruction, c’est-à-dire les exigences de votre loi sur l’école militaire, établissant les conditions d’admission à l’état-major du génie, ne sont certainement pas trop rigoureuses pour qu’on les compare avec l’importance du service auxquels sont appelés les officiers qui y sont soumis. La 2e partie du génie se compose de troupes, chargées d’exécuter certains travaux projetés par les officiers de l’état-major et sous leur direction. Je crois, messieurs, qu’il ne sera pas tout à fait étranger à l’objet de la discussion de vous faire un historique très-court du corps dont nous nous occupons.

Les ingénieurs n’existaient guère en France avant Vauban. Il y avait des ingénieurs, mais il n’y avait pas un corps de génie ; ce fut Vauban qui créa l’état-major.

Les travaux de siège se faisaient non pas par une troupe spéciale, mais par corvées, par les paysans des environs que l’on contraignait de coopérer aux mouvements de l’ennemi de leurs pays.

Vauban proposa à Louis XIV l’établissement d’un corps spécial de soldats qui seraient appelés à l’exécution des travaux, qui, jusqu’alors, avaient été faits par corvée.

Je vous citerai, messieurs, toutes les phases par lesquelles l’organisation de ce corps a passé.

Sapeurs : Proposés par Vauban en 1669 ;

Institués en 1671 ;

Font partie de l’artillerie en 1720 ;

En sont séparés en 1729 ;

Réunis de nouveau à l’artillerie en 1760 :

Sont incorporés dans les régiments de cette arme ;

Retournent au génie le 23 février 1793 ;

Sont organisés en 12 bataillons le 14 décembre 1793.

L’histoire des mineurs est à peu près la même.

Messieurs, vous voyez, par les différentes variations que ce corps a éprouvées en France, pays auquel, par nous et par toute l’Europe, cet arme a été empruntée, que les troupes qu’on appelle aujourd’hui troupes du génie, qu’on a appelées, qu’on appelle encore sapeurs-mineurs, ne sont pas encore tellement inhérentes au corps du génie qu’elle n’aient appartenu très-longtemps à l’artillerie.

Les auteurs qui ont écrit sur la matière ont qualifié les troupes du génie de bras du génie ; et ce que nous avons à discuter est de savoir si le bras sera confondu avec la tête ; car la tête, c’est l’état-major et les troupes de génie ? Nullement. Si nous n’avons pas d’expérience dans cette matière, nous nous en rapporterons à l’expérience des peuples qui ont une longue expérience dans cette matière. Ce que propose la section centrale n’est que le principe de ce qui a toujours existé en France, de ce qui a toujours existé depuis notre révolution jusqu’au malheureux arrêté du 4 juin 1842.

Je vais examiner cet arrêté sous le rapport de sa légalité. Je l’examinerai ensuite sous le rapport de son utilité.

Le corps de l’état-major du génie avait été organisé par l’arrêté du 1er juillet 1835 ; l’article 4 de cet arrêté porte :

« Art. 4. Nul ne peut être nommé sous-lieutenant du génie s’il n’a complété ses cours à l’école militaire et satisfait aux examens de sortie exigés pour l’admission dans l’arme du génie. »

L’école militaire n’avait pas encore, à cette époque, reçu la sanction de la législature. Ce ne fut qu’en 1838 qu’elle devint l’objet d’une loi. Voici les conditions que la loi impose impérieusement pour devenir sous-lieutenant à l’état-major du génie. D’abord, il faut entrer à l’école militaire, subir un examen d’admission. Entré à l’école militaire, d’après l’art.14, un premier classement des élèves admis à l’école est fait à la fin du premier semestre des études et, selon les résultats, les élèves continuent les études ordinaires de la première année, ou passent à la section d’infanterie. Chaque année, après la clôture des cours, les élèves subissent des examens généraux. Les examens de la première année des cours ont pour objet de faire connaître si les élèves peuvent être admis aux cours de la deuxième année.

D’après l’art. 16, les élèves sous-lieutenants qui ne satisfont pas aux examens de la troisième année ou à ceux de la quatrième année d’études, sont placés dans l’infanterie ou dans la cavalerie. Les examens de la quatrième année déterminent le classement définitif des élèves sous-lieutenants, dans l’arme pour laquelle ils sont désignés.

Ces armes sont l’artillerie, le génie, et, je crois, aussi l’état-major.

M. le ministre de la guerre reconnaît, avec moi, au moins je le crois, que l’on ne peut devenir sous-lieutenant à l’état-major du génie qu’en ayant satisfait aux six épreuves que je viens de mentionner. L’expérience, au contraire, nous a montré jusqu’à aujourd’hui qu’on pouvait avoir échoué à une épreuve, et échouer à une c’est échouer à toutes pour le génie, mais qu’il suffisait d’être apte à l’infanterie pour entrer dans le corps des troupes du génie.

Vous voyez, messieurs, qu’on ne peut devenir sous-lieutenant de l’état-major qu’en passant par l’école militaire. Il est d’ailleurs de principe qu’on ne peut que ce que la loi autorise. Or, si la loi autorise l’admission dans les troupes du génie pour un tiers parmi les sous-officiers, et pour les deux autres tiers parmi les élèves sortis de l’école militaire, elle ne dit rien sur l’état-major, et les conditions d’admission à l’état-major sont réglées par la loi sur l’école militaire.

Messieurs, l’interprétation du mot arme se prend ou dans le langage vulgaire, ou dans le langage légal. On dit : L’arme de l’infanterie, l’arme de la cavalerie, de l’artillerie, du génie. On a trouvé ces expressions dans la loi sur l’école militaire qui, dans son article 1er, dit : Les armes de l’infanterie, de la cavalerie, de l’artillerie et du génie.

On a essayé, messieurs, de fortifier ces termes employés dans l’art. 1er de la loi de 1838, par une nouvelle rédaction du budget. Tous les moyens étaient bons pour arriver à la justification de l’acte qu’on avait posé.

Voici, messieurs, comment le chap. Il du budget de la guerre avait toujours été rédigé. Cet article se partage en trois sections : la première section, solde des états-majors ; la seconde, solde et habillement des troupes ; la troisième, masse des corps, frais divers et indemnités.

(page 1390) En 1843, on a essayé, par la rédaction du budget, de vous faire donner une nouvelle sanction à l’interprétation étendue, à la signification étendue du mot arme.

Et pour cela la section Ire du budget est devenue solde de l’état-major ; la seconde section, solde et habillement des diverses armes, tandis que jusqu’alors cet article avait été libellé : solde et habillement des troupes.

Devons-nous prendre le mot arme dans son acceptation la plus étendue ? Je ne le crois pas.

Une règle d’interprétation de loi, c’est qu’une expression ne doit pas se prendre dans toute son étendue, mais dans l’étendue que comportait le terme, dans l’esprit du législateur.

Que voulait le législateur ? Il voulait un état-major dont l’instruction fût très-étendue ; il voulait des troupes ; il ne voulait pour les officiers de ces troupes que l’instruction dont ils ont besoin pour faire leur service.

Le mot arme doit se définir : nature des services incombant soit aux officiers, soit aux troupes. Or, la nature du service est essentiellement différente ; l’instruction, les conditions d’admission sont absolument différentes.

Messieurs, la loi de 1836 exige que le sous-officier des troupes de l’artillerie et du génie subisse un examen, avant d’être admis comme sous-lieutenant. En 1838, il fut établi près du bataillon ou du régiment (je ne sais plus quelle dénomination existait alors) une école d’instruction pour les sous-officiers. J’ai sous les yeux le journal militaire qui contient le programme des connaissances qui devaient être communiquées à ces sous-officiers au moyen de l’enseignement ; l’école était divisée en deux cours. Je ne parlerai que du second cours qui est relatif aux sous-officiers ; la partie de l’enseignement que j’indiquerai fera connaître implicitement ce qui faisait l’objet des études dans le premier cours.

L’enseignement se partage en un enseignement théorique et un enseignement pratique. Nous ne nous occuperons que de l’enseignement théorique.

« L’enseignement, dans le second cours, comprendra :

« La seconde partie de la géométrie,

« L’algèbre, jusqu’à la solution des équations du deuxième degré inclusivement, les proportions, les progressions et les logarithmes.

« La trigonométrie rectiligne. »

Et bien, messieurs, je suppose qu’un sous-officier des troupes du génie connût l’arithmétique complète, l’algèbre jusqu’au point que je viens d’indiquer, la géométrie complète et la trigonométrie rectiligne, ce sous-officier ne pourrait pas entrer à l’école militaire.

Le programme de l’école militaire a été constamment en augmentant de force, et cela par une raison bien simple : c’est qu’on était averti qu’on serait exigeant. Les places devenaient tous les jours plus rares, et, par conséquent, il fallait avoir des garanties d’une haute capacité de la part de ceux qui se présentaient au concours. Le premier programme qui est intervenu après la promulgation de la loi sur l’école militaire exigeait l’arithmétique complète, la géométrie élémentaire avec les propriétés des triangles sphériques, l’algèbre jusqu’à la résolution des équations numériques, les préliminaires de la géométrie descriptive. Voilà pour la partie des mathématiques. Je m’en tiendrai là.

J’ai déjà eu l’honneur de le dire, cet examen n’était que le premier pas sur six. Je vous prierai d’examiner l’importance des services par le degré d’instruction exigé, et vous reconnaîtrez sans doute, avec moi, que celui de qui on exige une instruction qui n’est pas fort étendue, est loin de remplir les conditions de celui qui a une instruction plus étendue et qui doit subir des épreuves plus nombreuses.

Me résumant sur ce point, je dis que le mot arme a été interprété par M. le commissaire du Roi dans une étendue que ne comportait pas la loi de 1836. j’en vais faire la preuve d’une autre manière, et cette interprétation ne sera certainement pas contestée par M. le ministre de la guerre.

Le mot arme n’est pas seulement employé pour le génie, il est encore employé pour l’artillerie. Or, messieurs, l’arme d’artillerie, telle qu’elle existe aujourd’hui, se compose de quatre régiments d’artillerie proprement dite, d’une compagnie de pontonniers, d’une compagnie d’ouvriers-armuriers, d’une compagnie d’artificiers et d’un escadron du train ; l’escadron du train appartient autant à l’arme d’artillerie que les troupes de sapeurs-mineurs appartiennent à l’armée du génie.

Eh bien, M. le ministre de la guerre croirait-il pouvoir faire passer un sous-lieutenant du train d’artillerie à l’ancienneté en concurrence avec des sous-lieutenants, appartenant aux régiments de l’arme, à la compagnie de pontonniers, à la compagnie d’ouvriers-armuriers ? Je ne le pense pas. Et cela est si vrai que dans l’Annuaire militaire où à la fin de chaque arme, on donne le tableau d’ancienneté des officiers pour chaque arme, on fait un tableau pour tous les corps de l’artillerie, et un tableau spécial d’ancienneté pour les officiers appartenant à l’escadron du train. Je crois qu’on fait bien. Nécessairement les officiers qui ne sont appelés qu’à commander des charretiers, ne doivent pas posséder l’instruction que doivent avoir ceux qui sont appelés à manier les pièces, à dresser des ponts pour le passage des rivières, etc., etc.

Messieurs, outre cette interprétation des termes, qui doit résulter de l’intention, je dis que l’intention s’est manifestée d’une seconde manière.

Le ministre qui avait fait passer devant les chambres la loi sur l’école militaire, qui avait pris les rênes de l’administration presque immédiatement après la promulgation de la loi sur l’avancement ; ce ministre proposa en 1838, à la signature du Roi, immédiatement après la promulgation de la loi sur l’école militaire, un arrêté organique combinant la loi de 1836 sur l’avancement et la loi de 1838 sur l’école militaire ; dans son article 49, l’arrêté disposait que l’avancement serait distinct entre les officiers de l’état-major du génie et les officiers des sapeurs-mineurs.

Jamais, messieurs, aucune protestation ne s’était élevée contre cette interprétation. Les chambres avaient voté plusieurs budgets ; la séparation était bien établie, l’état-major d’un côté, la troupe de l’autre. L’année même où la fusion a eu lieu, le budget consacrait encore la division.

Maintenant, messieurs, comment la fusion a-t-elle agi sur les intérêts des officiers appartenant aux deux corps ? Il faut d’abord savoir qu’à l’exception d’un certain nombre d’officiers venus de l’armée des Pays-Bas, et de quelques autres qui avaient été admis à l’état-major du génie, parce qu’ils étaient docteurs en sciences ou ingénieurs des ponts et chaussées, personne n’y avait été admis qu’après examen. Tous les officiers des sapeurs-mineurs avaient été conviés à cet examen ; les uns répondirent à l’invitation, un plus grand nombre d’autres crurent prudent de ne pas se présenter.

Naturellement l’avancement est d’autant moins rapide que les exigences d’une arme sont plus sévères, et les exigences, comme vous venez de le voir, sont infiniment plus sévères pour l’état-major que pour la troupe, et elles l’ont toujours été. L’avancement de ceux des officiers des sapeurs-mineurs qui avaient passé au génie a été beaucoup plus lent que celui des officiers qui étaient restés sapeurs-mineurs.

Je puis citer un exemple. De deux lieutenants de sapeurs-mineurs, l’un a subi l’examen et a passé à l’état-major du génie, l’autre est resté aux sapeurs-mineurs. Eh bien, il s’est trouvé que celui qui n’avait pas passé l’examen primait son camarade de deux ans dans le grade de capitaine.

Je parcourais ce matin encore l’Annuaire, et il se trouve que, quant aux capitaines de première classe, ce sont les sapeurs-mineurs qui sont en tête du tableau d’ancienneté ; le premier officier, avant la fusion, n’est plus que le quatrième.

De semblables faits froissent naturellement les officiers qui ont à en souffrir. Ils froissent encore les intérêts du servie. C’est un principe de hiérarchie militaire que non-seulement on doit obéissance au grade supérieur, mais encore, qu’à grade égal, le plus jeune doit obéissance à l’aîné.

Eh bien, messieurs, il résulte de là qu’un officier qui a fait preuve d’instruction, dont l’instruction est reconnue par tous, se trouve primé, dans un service savant, par un officier qui peut être aussi instruit, mais qui certainement n’a pas fourni la preuve officielle de connaissances proportionnées aux services auxquels l’arrêté de 1842 l’a appelé. Il est arrivé, messieurs, et ceci je ne crois pas qu’on le regardera comme une personnalité, je ne citerai pas le nom de l’officier ; il est arrivé qu’un jeune homme que j’aime à croire plein d’instruction, car il a satisfait à la plupart des épreuves de l’école militaire, a échoué à l’un des six examens ; il n’a pas pu être nommé officier du génie. Légalement il était exclu de l’état-major ; il ne pouvait pas y entrer ; il n’avait pas satisfait à toutes les épreuves, il ne pouvait pas devenir officier d’état-major. On l’a placé dans les sapeurs-mineurs ; on l’a fait légalement, parce qu’on ne considérait le régiment des sapeurs-mineurs que comme un régiment d’infanterie, on le considérait tellement comme un régiment d’infanterie que parmi ceux qui m’écoutent, il en est plusieurs qui sont allés de l’infanterie au régiment de sapeurs-mineurs et retournés du régiment de sapeurs-mineurs dans l’infanterie.Ce jeune homme qui, légalement, ne pouvait pas entrer dans l’état-major du génie, est devenu, par l’effet de la fusion, officier de l’état-major du génie. Je répète qu’en citant ce fait, car je ne donne pas le nom, je ne crois pas me livrer à une personnalité. J’aime à croire qu’il a un haut mérite. Il a suffit peut-être de quelque intimidation pour échouer à l’une des épreuves, peut-être à la dernière.

Les intérêts ont été froissés ; la loi a été évidemment violée pour les sous-lieutenants, très-probablement pour les lieutenants et pour les capitaines. C’est contre cet ordre de choses, c’est contre les résultats fâcheux qu’a produits l’arrêté de 1842 que se trouve dirigé l’amendement de la section centrale.

Dans cet amendement, la section centrale s’est-elle bornée à réformer l’acte illégal, cet acte injuste de 1842 ? Non, messieurs ; elle vous propose une disposition qui permettra à un règlement d’administration public de régler le passage de l’état-major à la troupe de manière à ce que l’état-major puisse, suivant l’expression employée deux fois, se frotter à la troupe. Elle permettra de faire ce qui se fait en France depuis toujours.

Le système de l’ordonnance de 1838 qui vous a été citée par l’honorable M. Malou, qui n’est que la reproduction de l’ordonnance du 2 août 1828, n’était que la consécration des traditions impériales, qui elles-mêmes n’étaient que la continuation de ce qui se passait sous l’ancien régime, avant la révolution française. Car, avant la révolution française, les officiers sortant de l’école d’application, alors établie à Mézières, servaient deux ans dans les sapeurs-mineurs, deux ans dans l’infanterie, et n’étaient employés à l’état-major comme ingénieurs, directeurs des fortifications, qu’après avoir passé quatre années dans la troupe pour devenir soldats. Eh bien, nous vous proposons une disposition qui permettra de prendre un arrêté semblable à l’ordonnance de 1838.

Messieurs, j’ai été étonné d’entendre encore une fois, dans une question pareille, invoquer des opinions de militaires français contre ce qui existe dans leur pays.

Il me semble que, dans une assemblée législative, on devrait se tenir aux actes inscrits dans le Bulletin des lois. Ces actes ont pour moi plus de valeur que des opinions isolées. Je tiens aux opinions du gouvernement sur les matières essentiellement gouvernementales. Notez que le ministre qui a contre-signé l’ordonnance de 1838, était alors un général du génie, le général Bernard.

Je vois une difficulté dans l’importance que j’attache aux opinions du gouvernement dans les matières qui sont essentiellement gouvernementales. C’est que j’ai deux gouvernements devant moi : le gouvernement de M. le (page 1391) général de Liem, et le gouvernement de M. le général Willmar, officier du génie.

Je pense que les intérêts du génie ont pu être mieux appréciés par M. Willmar, officier de l’arme, que par M. de Liem, qui y est étranger. On va me dire, c’est facile à prévoir, vous avez l’opinion d’un général très-distingué à qui je me plais de rendre hommage. Cette opinion serait de nature à me faire hésiter dans une affaire qui ressortit plus particulièrement à sa spécialité. Mais l’opinion de M. le général Goblet n’a pas toujours été la même ; il a longtemps résisté, et si, en 1842, il a consenti, il s’était pendant longtemps opposé à la fusion ; et, en définitive, il n’a pas voulu la fusion que parce qu’il la regardait comme indispensable pour que les officiers de l’état-major puissent se frotter à la troupe. Mais il y a d’autres moyens de faire que les officiers de l’état-major du génie se frottent à la troupe ; c’est d’adopter les dispositions en vigueur en France, qui ont toujours été en vigueur en France.

Messieurs, je ne lirai pas toutes les dispositions de l’ordonnance française qui sont relatives à la matière. Les passages de grade à grade dans les régiments du génie pour les sous-officiers, le passage de l’état-major dans la troupe et de la troupe à l’état-major pour les officiers sortis de l’école polytechnique et de l’école d’application, sont parfaitement exprimés. Mais c’est un peu long ; il y a à peu près deux colonnes dans Gallisset, et c’est très serré. Je me contenterai de vous dire quel est le degré d’instruction qui est exigé des sous-officiers des régiments du génie qui sont appelés à devenir officiers. Or leur demande de savoir l’algèbre, la géométrie et les éléments de la trigonométrie rectiligne, la théorie et la pratique de la levée et du nivellement, la construction des fortifications de campagne, la nomenclature des ouvrages de fortification permanents, d’avoir des notions générales sur leur propriété ; enfin de savoir dessiner des plans.

Je crois que ces connaissances sont suffisantes pour celui qui n’a qu’à diriger la troupe exécutant les ouvrages projetés, tracés, piquetés pour ainsi dire par les officiers de l’état-major. Je désire même pour les sous-officiers, à qui je porte le plus grand intérêt, que je voudrais voir encourager dans leur vocation au moyen de certaines facilités d’avancement, facilités qui ne compromettraient pas le service public ; je désire qu’on réduise le programme à ce qu’on exige en France, d’autant plus que M. le général Goblet disait que les sous-officiers n’avaient pas le temps d’étudier. Avec un programme aussi simple que celui qui est établi en France, qui satisfait à leurs fonctions, ils pourront acquérir les connaissances indispensables pour porter l’épaulette. Je voudrais, en outre, ce qui est aussi dans l’ordonnance française, qu’ils pussent être appelés à l’école d’application, à la deuxième section de l’école militaire jusqu’à un âge assez avancé.

D’après la loi sur l’école militaire, un soldat peut y entrer cinq ans plus tard qu’un jeune homme qui n’a pas servi. Je voudrais qu’on étendît jusqu’à 30 ans l’aptitude du soldat à entrer, non à l’école militaire, mais à la section d’application de l’école militaire. Cela ne serait exigé que pour ceux qui ont le désir d’entrer dans l’état-major de l’arme du génie. C’est indispensable. Comment voulez-vous qu’on soit ingénieur, c’est-à-dire qu’on projette, que l’on construise, que l’on entretienne même des fortifications permanentes, lorsqu’on n’en connaît que la nomenclature, c’est-à-dire que l’on peut, en voyant un dessin ou un ouvrage, dire : C’est un bastion, une demi-lune, un cavalier ? La nomenclature, c’est le dictionnaire du métier.

Je crois donc que la disposition de la section centrale permettra de satisfaire à ce que laissait à désirer l’organisation de l’arme du génie ; elle permettra de faire passer successivement tous les officiers de l’état-major dans la troupe pour repasser ensuite à l’état-major, de les y faire passer à différentes époques, afin d’en faire des gens aussi habiles à manier la troupe, qu’ils sont habiles à manier la plume et le compas.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) – L’arrêté du 4 juin 1842 pouvait être considéré sous trois points de vue différents :

Le point de vue de sa légalité, celui de son utilité, et enfin ses résultats sous le rapport des atteintes qu’il pouvait avoir portées aux droits acquis.

La légalité de l’acte dont l’existence a conduit à la présente discussion sera probablement justifiée par M. le ministre de la guerre ou par l’un de MM. Les commissaires.

Quant à la question d’utilité, qu’il me soit permis de continuer à croire qu’une assemblée législative peut difficilement avoir les données indispensables pour la résoudre.

En général, messieurs, quand les effets d’une organisation sont controversés par ceux qui sont les plus aptes à les juger, quand on peut trouver chez différents peuples des exemples contraires pour justifier des opinions diverses, ce ne peut être dans une assemblée nombreuse dont les membres n’ont point été à même de s’éclairer sur la matière par l’expérience, que l’on peut espérer de résoudre des questions compliquées, déjà si difficiles entre gens du métier.

Je crois donc, messieurs, que quant à l’appréciation de l’utilité de l’organisation actuelle du corps du génie, la discussion n’aura pas exercé une grande influence sur les personnes qui, en entrant ici, avaient une opinion arrêtée, soit qu’elle fût le résultat de l’étude, soit qu’elles l’eussent adoptée de confiance.

Reste encore, messieurs, la question de l’atteinte que l’arrêté du 4 juin 1842 aurait porté aux droits acquis, et il m’a paru que ce troisième objet était celui qui a produit et qui produit encore sur les membres de cette assemblée le plus grand effet. Messieurs, je le conçois facilement, l’injustice est ce qui dit naturellement vous révolter le plus, et c’est aussi ce qui ferait sur moi la plus pénible impression, si je pensais avoir approuvé un acte dont les conséquences seraient entachées d’iniquité.

Mais, dans la situation présente, j’ai une si intime conviction que l’on a respecté tout ce qui devait être respecté, que tout ce que l’on a pu avancer, dans l’ignorance où l’on était des faits, n’a produit en moi aucun sentiment pénible. Je n’ai éprouvé que le regret qu’il ne fût ni convenable, ni possible de développer ici toutes les considérations qui pouvaient vous convaincre.

Au dire de plusieurs membres, il y aurait deux classes d’officiers dont on aurait violé les droits acquis. Ce sont d’abord ceux de l’ancien état-major du génie, et puis ceux des officiers qui sont sortis ou qui sortiront encore de l’école militaire.

Quant à la première catégorie, le principal argument sur lequel on a fait reposer leurs droits est incontestablement une erreur de fait.

On a sans cesse supposé qu’il avait fallu subir, en toutes circonstances, un examen bien déterminé pour être admis à l’état-major du génie. Rien, au contraire, n’a été plus irrégulier que le mode de cette admission. Je vais, à ce sujet, messieurs, vous donner quelques explications.

Il y a encore présents au corps du génie, dans le moment actuel, 27 officiers qui, sans avoir passé par l’école militaire, sont entrés au service depuis 1830 et qui faisaient partie de l’état-major avant l’arrêté de fusion. Eh bien ! messieurs, six d’entre eux ont été admis sans examen ; neuf se sont présentés aux examens, sans un succès complet, et sont cependant restés ou revenus sans examen dans ce même état-major. Je dis, messieurs, restés ou revenus, parce que quelques-uns de ceux-ci, après avoir échoué dans leur examen, et étant immédiatement entré au bataillon de sapeurs-mineurs, ont été ultérieurement rappelés à faire partie de l’état-major sans être soumis à une nouvelle épreuve.

Enfin, 12 de ces officiers ont été maintenus à l’état-major après avoir satisfait à l’examen qu’on jugeait alors suffisant, et dont le programme n’était pas même l’objet d’un arrêté ministériel.

On l’avait établi par une simple disposition administrative.

Cette seule récapitulation vous prouve, messieurs, le peu d’importance que l’on doit attacher à cette assertion relative aux examens que l’on met en avant comme base des iniquités qui résulteraient de l’arrêté du 4 juin 1842, en ce qui concerne les officiers de l’ancien état-major.

Une autre erreur, dont la rectification est également importante, consiste à croire qu’aucune partie des officiers de sapeurs-mineurs, n’avait, jusqu’en 1842, rempli les mêmes fonctions que les officiers de l’état-major. La vérité est, messieurs, que depuis la révolution un grand nombre de ces officiers a occupé des places d’officiers d’état-major du génie. Plusieurs se sont distingués dans les travaux de construction. Il y en a même, messieurs, qui ont reçu des lettres de félicitations du ministre de la guerre ou d’autres chefs pour la manière dont ils avaient conçu ou dirigé les travaux confiés à leurs soins, comme officiers à ce même état-major. D’autres ont été décorés pour leurs services, et cependant l’on n’a point craint, messieurs, de faire ici, à propos de cette classe honorable d’officiers, des comparaisons que je ne puis attribuer qu’à la connaissance imparfaite de l’état des choses.

Je répète, messieurs, avant 1842, et depuis la révolution, les officiers de sapeurs-mineurs n’ont cessé de prendre part, en bien des circonstances comme officiers de l’état-major du génie, aux mêmes travaux que leurs camarades. Les 5/9, c’est-à-dire, plus de la moitié de ces officiers se sont trouvés plus ou moins longtemps dans cette position. Il y en a même, messieurs, qui n’en ont jamais eu d’autre et l’on pourrait vouloir, aujourd’hui, leur contester leur qualité d’officier du génie ! Mais à quelles fonctions seraient-ils donc aptes, s’ils ne l’étaient à celles que beaucoup d’entre eux ont remplies pendant quatorze à quinze ans à la plus grande satisfaction de leurs chefs ?

C’est donc une bien grande erreur encore, messieurs, de croire que, par l’acte du 4 juin 1842, on aurait voulu tout à coup transformer en officiers du génie, tous les officiers étrangers aux fonctions de l’état-major.

Comme j’ai parlé des examens qui, dans les premiers temps de la formation du corps du génie, ont eu lieu parmi les officiers de l’état-major, je tiens à compléter ma pensée, en parlant des services réels de ces officiers. Ce sont ces services, messieurs, qui, à mes yeux, sont les principaux titres, et c’est sous ce rapport surtout que je les ai appréciés de tout temps. A ce point de vue, les titres de bon nombre d’anciens officiers de sapeurs-mineurs sont, comme je viens de le démontrer, entièrement identiques avec ceux de leurs camarades de l’ancien état-major.

On perd toujours de vue les événements au travers desquels nous avons passé ; on ne veut pas se souvenir des circonstances extraordinaires où nous nous sommes trouvés et des circonstances qui en ont découlé.

Dans les premiers temps de la révolution, il y avait deux choses qui pesaient lourdement sur les hommes qui n’avaient pas reculé devant l’occupation du pouvoir.

C’était d’abord de satisfaire aussi bien que possible aux nécessités du service, et en second lieu de se défendre contre les prétentions personnelles, d’empêcher d’une manière ou d’une autre que les corps et les administrations ne fussent envahis par des gens inutiles ou nuisibles.

Voilà, messieurs, quelle fut la tâche des gens d’ordre et de modération qui n’étaient pas intimidés par la gravité des circonstances.

Ne perdez pas cela de vue, messieurs, et vous aurez la clef de beaucoup de choses inexplicables pour ceux qui, après le retour au calme, ne peuvent avoir une idée de la tempête.

Il ne faut donc pas, après 15 années, chercher à analyser les règles qui ont présidé à l’entrée dans la carrière d’un chacun.

Il faut rechercher si, depuis 15 années, il a rendu des services, s’il s’est distingué par l’application utile qu’il a faite de ses moyens, si enfin il fait honneur à sa position.

Pouvez-vous mettre en parallèle, messieurs, un examen plus ou moins (page 1392) sérieux, subi pendant plusieurs heures ou même plusieurs jours, avec ce que j’appelle, moi, un examen de quinze années dans des services effectifs, avec des preuves éclatantes de capacité ?

Ce n’est qu’en envisageant les choses de ce point de vue que l’on se trouve placé assez haut pour que des considérations très-secondaires ne viennent pas obscurcir la vérité.

Il me reste à vous soumettre, messieurs, la rectification d’une troisième erreur, également étrange, et paraît avoir fait, comme les deux premières, une égale impression sur vos esprits.

Cette erreur, messieurs, c’est de dire que les officiers de l’ancien état-major du génie ont été lésés par l’acte du 4 juin 1842, que des positions ont été enlevées. Eh bien, messieurs, non-seulement ces assertions sont inexactes, mais il est au contraire vrai de dire, et je vais vous le prouver, que l’ancien état-major du génie a obtenu par le fait même de la fusion, une amélioration de sort immédiate, amélioration qu’il n’était point possible sans cet arrêté.

Il ne suffit pas, messieurs, de défendre avec talent des hommes que l’on représente comme victimes d’une injustice ; il faut des faits pour prouver l’accusation. Aussi longtemps qu’on s’est borné à des assertions, j’aurais pu me contenter de nier. Mais j’irai plus loin, messieurs ; à l’éloquence des paroles, je répondrai simplement par des chiffres. Je vois que c’est le seul moyen qui me reste pour convaincre quelques honorables membres.

Si je compare les ressources qu’offrait l’avancement au 4 juin 1842, d’une part, le cadre de l’ancien état-major du génie, et de l’autre les cadres réunis par la fusion, je trouve les résultats suivants :

Au 4 juin 1842, les seules places vacantes dans le cadre isolé de l’état major était :

1 de lieutenant-colonel

6 de lieutenant

il y avait un major au-dessus du complet.

Eh bien, messieurs, au lieu de ces emplois, on a pu, grâce à cette fusion si fatale, dit-on, aux officiers de l’ancien état-major du génie, accorder immédiatement à ces officiers :

1 place de colonel ;

2 de lieutenants-colonels ;

9 de capitaine de 1re classe, et

1 de capitaine de 2e ;

4 de lieutenant.

Il est donc certain, messieurs, que le seul fait de la fusion a assuré immédiatement aux colonels de l’ancien état-major du génie :

1 place de colonel ;

1 de lieutenant-colonel ;

9 de capitaine de 1re classe ;

1 de capitaine de 2e classe;

Je ne compte pas les lieutenants qui ont pu être nommés depuis le 1er août 1843.

S’il m’était possible, messieurs, de vous initier ici à la pensée de conciliation qui a présidé aux diverses promotions faites depuis la fusion, vous resteriez convaincu que jamais une aussi grande amélioration, dans un service quelconque, n’a été effectuée avec plus de mesure, avec plus de soins, avec plus de soucis pour ne pas froisser les intérêts les plus dignes, parmi les bons serviteurs.

Je suis trop vieux dans les affaires, messieurs, pour jamais favoriser des injustices, pour froisser des droits acquis ; je sais trop que contribuer à une injustice c’est en quelque sorte hypothéquer sa propre personne en faveur de celle qui doit en profiter.

Je crois avoir démontré, messieurs, que les services rendus par les officiers de l’ex-bataillon de sapeurs-mineurs en bien des circonstances sont en quelque sorte identiques avec ceux qui ont été rendus par les officiers qui déjà, avant l’arrêté de 1842, étaient désignés sous la dénomination d’officiers de l’état-major du génie. C’est à raison de ces services surtout, messieurs, qu’il s’agit aujourd’hui de les comparer ; c’est le principal titre de ceux qui ont précédé l’organisation de l’école militaire. Jusque-là, comme je l’ai déjà dit ailleurs, le corps du génie peut être considéré comme étant homogène, du moins, quant aux officiers supérieurs.

Je viens maintenant, messieurs, à la seconde catégorie d’officiers envers lesquels, on aurait, dit-on, été injuste ; c’est celle des élèves sortis de l’école militaire depuis 1829 ou qui en sortiront désormais.

J’ai déjà répondu d’avance à une partie de ces allégations par l’énumération que j’ai faite, à l’ouverture de cette discussion, des promotions accordées au choix, aux officiers originaires de l’école.

J’ai eu l’honneur de vous dire que, depuis la fusion, ces élèves avaient obtenu 12 nominations au choix sur 17, choix exercé au détriment des officiers de l’ancien bataillon sans qu’aucun de ceux-ci eût été promu au détriment des autres. Je vous ai donné aussi une idée de l’avancement rapide que ces élèves trouvent dans le corps du génie, en vous faisant connaître que celui qui était sorti de l’école en 1839 était capitaine depuis 1844 ; c’est-à-dire qu’après cinq ans de service au corps du génie, il était parvenu au grade de capitaine ; et ce fait ne peut pas être considéré comme une exception, messieurs, car ses camarades le suivent de près et auront bientôt le même avantage.

Dans quels corps de l’armée, messieurs, peut-on citer un fait pareil ?

Vous savez, au contraire, que plusieurs d’entre eux ont encore de nombreux sous-lieutenants de 1832 et 1833.

Je m’attacherai à présent à la comparaison qui a été faite hier entre deux sous-officiers qui auraient deux ans de service et qui se présenteraient aux examens de l’école militaire et dont l’un réussirait tandis que l’autre retournerait servir au régiment.

Le deuxième, c’est-à-dire le moins instruit, serait, dit-on, par votre système dans la position la plus avantageuse.

Eh bien, messieurs, je veux bien admettre, quoique M. le ministre de la guerre ne l’ai point considéré comme possible en pratique, que le sous-officier pourra, au bout de quelques temps, subir dans son corps l’examen exigé pour devenir sous-lieutenant de sapeurs-mineurs et même obtenir ce grade avant celui qui serait entré à l’école militaire.

Dans ce cas, messieurs, lorsque l’élève de l’école arrivera au régiment, il pourra y trouver, il est vrai, un ancien concurrent peut-être plus ancien officier que lui de quelques mois.

Mais ces deux anciens sous-officiers ne seront cependant pas dans une position également avantageuse ; celui qui n’est pas sorti de l’école militaire aura encore une grande infériorité par rapport à l’autre ; il ne sera apte qu’à un seul service, celui de la troupe, et pour devenir l’égal de l’autre, il aura encore, d’après l’amendement de M. le ministre de la guerre, à subir une épreuve bien plus difficile pour lui. Ce sera celle de l’examen de capacité pour pouvoir être appelé à servir à l’état-major, tandis que cette faculté est acquise immédiatement à l’élève de l’école.

Vous voyez donc, messieurs, que les connaissances scientifiques de ce dernier lui conserveront encore une bien grande supériorité sur l’autre, quant à son avenir.

Quand je pris la première fois la parole, messieurs, je n’avais peut-être pas assez appuyé sur le côté de la question que je viens de considérer.

J’avais essayé de vous convaincre de la pensée vraiment militaire qui avait inspiré l’organisation actuelle. J’avais dit bien expressément sous quel rapport la question me paraissait réellement importante. C’est encore en la considérant sous cet aspect, que j’espère que vous prendrez en grande considération l’amendement du gouvernement.

Messieurs, je crois qu’il est très-utile dans cette discussion de dire quelques mots sur l’organisation du génie dans d’autres pays.

En Prusse, tous les officiers du génie sortent de la classe des sous-officiers ; le service étant obligatoire pour tous les jeunes gens, ils sont formés pour le service de l’état-major et pour celui des troupes, et employés alternativement pour l’un ou pour l’autre. Ils ne forment qu’un seul et même corps. Ils sont tous soumis à une série d’examens, et pour acquérir les connaissances nécessaires ils passent de la troupe à des écoles militaires.

En Hollande, comme nous l’avons dit hier, même égalité entre tous les officiers : ceux de l’état-major ne forment qu’un seul et même corps avec ceux de la troupe. Il n’est fait entre eux aucune différence ; ils sont employés suivant leur aptitude particulière.

En Hollande aussi on avait reconnu les inconvénients du système contraire ; on vous a lu hier l’arrêté qui, dans ce pays, a établi la même fusion que dans le nôtre.

Il est vrai que les 2es lieutenants sont ordinairement pris à l’académie militaire. Ce n’est que par exception qu’un sous-officier des troupes du génie peut être nommé lieutenant à l’état-major. Mais remarquez-le bien, messieurs, on n’empêche pas les sous-officiers d’y arriver.

La solde y est aussi la même.

En Angleterre, on le sait, les sous-officiers ne deviennent généralement par officiers. Les sujets qui se destinent au génie sont élevés à l’école de Wollwich.

Là, tous les officiers sont inscrits sur les contrôles du régiment, et classés par ancienneté sur la même liste. Ils sont employés alternativement à l’état-major et dans les troupes. Après avoir été commissionnés quelques temps, à titre d’essai comme sous-lieutenants, ils deviennent lieutenant sur le rapport de leurs chefs. Ils avancent ensuite à l’ancienneté jusqu’au grade de général-major. Parvenus à ce grade, ils quittent toujours le régiment, mais ils y reviennent ensuite pour le commander, à leur tour d’ancienneté.

Chez toutes ces nations, donc, le corps du génie réunit à la fois les officiers de l’état-major et ceux employés aux troupes. Le mode de recrutement des officiers varie suivant la différence qui existe dans l’esprit des institutions militaires de ces nations. Nous devons donc aussi, en Belgique, mettre l’organisation de tous les corps de l’armée en harmonie avec l’esprit général qui caractérise nos institutions militaires. La loi sur l’avancement vous offre les moyens d’être fidèles à cet esprit ; elle exclut toute distinction entre les officiers d’origine différentes. La question qui est soulevée aujourd’hui se réduit, au fond, à savoir s’il y a lieu de répudier les principes qui, en 1836, ont inspiré ces sages dispositions et qui ont été proclamés si hautement dans la discussion générale de la loi sur l’avancement.

Messieurs, il a été plusieurs fois question aussi dans cette enceinte de l’organisation du corps du génie français. Mais on n’a pas prouvé que ce qui est admis chez nos voisins, fût la meilleure combinaison que l’on pût adopter

Je puis parler sciemment de ce qui existait dans ce pays, lorsque je faisais partie de ce corps ; et je ne puis assurer que les résultats de l’organisation que l’on donne pour exemple fussent satisfaisants sous tous les rapports. Il est exact que pour l’avancement, les officiers sortant de l’école polytechnique étaient complètement séparés de ceux qui provenaient des sapeurs-mineurs. Mais aussi, la plupart des premiers restaient sans cesse séparés des seconds par leur répugnance pour le service de la troupe, et par suite leur passage dans les régiments ne leur laissait le plus souvent aucune aptitude au commandement.

Le but n’était donc pas atteint, soit dans le propre intérêt de ces officiers, soit dans celui du service.

Pour bien apprécier ce qui se passait alors, il faut que vous sachiez, (page 1393) messieurs, que les officiers sortis des rangs des sous-officiers étaient bien l’espèce d’hommes la plus brave, la plus calme, la plus résignée qu’on pût concevoir. La plupart d’entre eux avaient commencé par être d’excellents ouvriers, des hommes pratiques, non pour diriger, mais pour agir eux-mêmes. Vieillis dans les rangs, l’épaulette d’officier inférieur était pour eux le bâton de maréchal que rêvaient tant d’autres militaires. Telle était l’espèce d’hommes qu’en sortant de l’école, ceux qui parmi nous étaient envoyés dans les troupes du génie, rencontraient dans leur régiment.

Nous étions accueillis avec une bonté toute paternelle, toute protectrice, par ces hommes modestes ; nous étions pour eux des enfants privilégiés dont ils respectaient les études sans les comprendre et dont ils considéraient la position sans jalousie.

Ils poussaient encore plus loin leurs sentiments d’ordre et de soumission ; et, pour donner une juste idée, je ne puis mieux faire que de mentionner la manière dont les choses se passaient dans l’organisation alors existante.

Les élèves de l’école polytechnique, en sortant de l’école d’application de Metz, avaient dans les premiers grades un assez rapide avancement, et il n’y avait rien de régulier en ce qui concernait leur service dans les troupes : les une y étaient envoyés, les autres ne l’étaient pas.

Quand on y allait, c’était d’abord avec le grade de second lieutenant, et l’on se trouvait ainsi le plus jeune des officiers de sa compagnie. On était alors sous les ordres de ces anciens officiers qui tous avaient passé par les épreuves du feu, de la fatigue et de mille privations. Ces hommes nous commandaient avec douceur, et j’ose même dire qu’ils nous épargnaient souvent les parties les plus désagréables du service.

Cette situation n’était pas pour nous de longue durée ; les besoins du service réclamaient bientôt notre présence à l’état-major, ou bien nous étions forcés de faire place, dans les régiments, à de nouveaux officiers venant de l’école d’application. Mais ce n’était que momentanément que nous étions séparés de ces bons et de ces braves officiers qui nous avaient si bien accueillis ; nous venions les rejoindre 18 mois à 2 ans après, mais alors c’était pour être leurs chefs, c’était avec le garde de capitaine de deuxième ou de première classe que l’on nous voyait reparaître au régiment.

Tandis que nous avions reçu de l’avancement, ils restaient, eux, immobiles dans leur carrière, nous les retrouvions dans les grades où nous les avions laissés. Alors, messieurs, ces mêmes hommes devenaient nos subordonnés, aussi soumis, aussi scrupuleusement obéissants, qu’ils avaient été antérieurement pour nous des chefs bons et compatissants.

Cependant, dans cette nouvelle situation comme dans la première, nous entendions, pour la plupart, assez peu nos intérêts, pour désirer nous éloigner d’une position qui seule pouvait nous offrir une grande carrière militaire, une carrière véritablement militaire.

Mais, me dira-t-on peut-être, vous venez de nous donner l’idée d’une combinaison admirable. Peut-on voir une plus grande harmonie ? Peut-on trouver un meilleur exemple des avantages de la division du corps du génie en deux fractions distinctes, pour l’avancement et l’obtention d’autres faveurs ?

Messieurs, ne vous y trompez pas, la race de ces braves et modestes officiers, dont je vous ai parlé, est perdue pour ne plus se retrouver : la diffusion des lumières, les facilités d’instruction jointe à l’esprit d’égalité, si universellement répandu, l’ont fait disparaître à toujours. – Le temps a marché, et d’autres idées que celles de l’abnégation règnent aujourd’hui.

Messieurs, je ne développerai pas cette pensée, je l’abandonne à vos méditations.

Dans tous les cas et pour revenir au sujet qui vous occupe, je puis déclarer que ce court passage dans les compagnies de sapeurs-mineurs, des officiers sortis de l’école d’application n’était, pour la plupart d’entre nous, qu’une simple fiction quant aux avantage qu’ils en retiraient pour leur aptitude au commandement.

Voilà, messieurs, ce qui se passait autrefois en France, et l’on était fort loin d’obtenir un résultat qui fût aussi désirable dans l’intérêt des individus que profitable à ceux du service lui-même.

Maintenant, messieurs, quoi qu’en ai dit l’honorable préopinant, je ne puis résister à un désir que j’ai de faire une citation d’un auteur français sur l’organisation actuelle du corps du génie de son pays.

Je n’ai point fait attention à l’importance de la position particulière de l’auteur ; je ne cite ses paroles que parce qu’elles sont généralement en harmonie avec ma manière de voir.

« Là, dit cet auteur, nous trouvons, à notre grand étonnement, un pouvoir oligarchique contre lequel viennent se briser tous les services et toutes les capacités qui, pour arriver à la science, n’ont pas suivi le sentier tracé.

« Le corps du génie se compose d’un état-major très-nombreux et de trois régiments. Les officiers de l’état-major ont pour spécialité la construction et l’entretien des places fortes ; la spécialité des régiments est la construction de tous les travaux militaires devant l’ennemi. Les premiers sont donc, pour ainsi dire, des ingénieurs civils ; les seconds, au contraire, des ingénieurs tout à fait militaires.

« Les emplois d’état-major, sans exception, sont donnés aux officiers anciens élèves de l’école polytechnique, et les régiments recrutent leurs officiers deux tiers dans cette école et un tiers parmi les sous-officiers.

« Ceux qui croient à l’art. 3 de la charte constitutionnelle du 14 août 1830 s’imaginent sans doute que les officiers du génie (2/3 élèves de l’école, 1/3 anciens sous-officiers) une fois réunis dans leurs régiments, revêtus du même uniforme, faisant, en guerre comme en paix, un service tout à fait identique, ceux-là, disons-nous, s’imaginent qu’ils concourent ensemble pour l’avancement, comme cela se pratique dans l’artillerie, dans l’infanterie, dans la cavalerie, dans toute l’armée française enfin ; il n’en est rien. L’avancement est distinct dans les deux éléments qui composent un même corps d’officiers. Les anciens élèves de l’école concourent entre eux, et les officiers, sortis des rangs, concourent aussi entre eux, et seulement dans leur tiers.

« Il s’ensuit que, dans un corps militaire, les hommes les plus militaires ne possèdent qu’une fraction infiniment petite des places vacantes.

« L’artillerie, corps savant aussi, nous semble beaucoup mieux comprendre l’esprit de nos institutions.

« Une conséquence bien terrible pour les anciens sous-officiers du génie découle du mode d’avancement suivi dans le corps ; c’est que leur carrière est limitée au grade de lieutenant-colonel, tandis que, dans les autres armes, la plupart des généraux et des chefs de corps sortent de la classe des sous-officiers.

« Il n’y a pas jusqu’ici d’exemple qu’un ancien sous-officier du génie soit devenu colonel.

« Conséquemment, la classe d’officiers sortis des rangs, est dans l’impossibilité d’être jamais représentée dans le comité, et partant le mode actuel ne saurait éprouver de modifications puisque le comité est appelé à juger. »

Plus loin, messieurs, le même auteur ajoute : « Il nous semblerait assez juste que les officiers des régiments du génie et les officiers de l’état-major de cette arme pussent (en faisant leurs preuves) changer de position. Les anciens sous-officiers ne seraient plus exclus de cette spécialité. Les examens publics et sévères seraient une garantie d’instruction.

« C’est chose bien malheureuse que cet amour-propre qui nous divise toujours. L’élève des écoles vient sottement s’enorgueillir de ses études ; l’ancien soldat se pavane devant ses états de services sur lesquels sont inscrits ses titres de caporal et de sergent ; et ne savons-nous pas tous que le meilleur des écoliers, s’il cesse de travailler, devient, avant cinq ans, le plus ignorant des soldats,, tandis que le pauvre sous-officier studieux et bien trempé s’associe à tous les secrets de la science.

« Cessons donc d’être exclusifs ; rejetons l’esprit de caste, donnons tout à celui qui sert et qui sait, refusons à celui qui ignore et devient inutile, sans demander aux uns et aux autres : D’où viens-tu ? »

Je bornerai là ces citations, messieurs ; elles étaient trop appropriées à la circonstance pour qu’il ne m’ai point paru utile de vous les faire.

L’amendement présenté par mon honorable collègue le ministre de la guerre est destiné à concilier toutes les convenances ; il donne une double garantie : le mérite ne sera pas froissé en raison de son point de départ et l’Etat ne confiera pas ses intérêts à celui qui ne serait pas capable de les gérer.

C’est ce qui me fait espérer encore que vous l’adopterez. Oui, messieurs, vous l’adopterez parce qu’il est en harmonie avec les principes libéraux qui régissent la Belgique.

M. d’Elhoungne – Messieurs, je viens présenter à la chambre quelques courtes observations en réponse au discours que vient de lire M. le ministre des affaires étrangères. La chambre comprendra l’hésitation que j’éprouve, non-seulement après le discours remarquable prononcé par l’honorable M. Brabant, mais encore après l’espèce d’interdit que M. le ministre des affaires étrangères vient de jeter sur les orateurs qui ne partagent pas son opinion.

Il semblerait, en effet, messieurs, à entendre M. le ministre des affaires étrangères, que la question de fusion des troupes du génie et de l’état-major du génie, étant une question très-controversée même entre les gens du métier, il est d’autant plus difficile pour nous de discuter cette question, si nous ne sommes pas complètement incompétents pour la trancher. Je ferai remarquer à M. le ministre des affaires étrangères que nous avons, dans cette matière, pour nous guider, sinon la spécialité de nos études, au moins l’expérience de nos voisins et l’autorité des hommes spéciaux. Quant à l’autorité de M. le ministre des affaires étrangères, quoiqu’il soit un homme spécial, je la récuserai, parce que cette autorité a été par trop vacillante, parce qu’elle a par trop souvent changé pour qu’elle puisse produire sur vos esprits une bien profonde impression.

M. le ministre des affaires étrangères soutient aujourd’hui les bienfaits de la fusion : c’est fort bien ; sous le régime hollandais, M. le ministre des affaires étrangères avait pu apprécier par lui-même les bienfaits de la fusion. Mais, malgré cette expérience, lorsque M. le ministre des affaires étrangères a été appelé, après la révolution, à réorganiser l’armée du génie dans l’armée belge, on ne l’a pas vu admettre le principe de la fusion. Plus tard, lorsque le général Willmar a confirmé la séparation de l’état-major du génie et des troupes, je ne sache pas que l’honorable général Goblet ait protesté en faveur de cette fusion qui lui inspire, depuis hier, tant d’enthousiasme. Plus tard encore, quand M. de Liem a soumis à M. le général Goblet le projet de l’arrêté de 1842, l’honorable général l’a repoussé ; il y a vu les plus graves inconvénients ; ce n’est que bien longtemps après qu’il change d’avis, et qu’il finit par se rallier avec une ferveur parfaite au projet de fusion.

Tant de variations, messieurs, affaiblissent singulièrement l’autorité de M. le ministre des affaires étrangères. Aussi, quoique je n’ai pas l’honneur d’être comme lui un homme spécial, M. le ministre voudra bien me permettre de préférer à son autorité, que tant de revirements atténuent, celle d’un pays où l’on a étudié la question avec le plus grand soin, où on l’a étudiée sous toutes ses faces ; c’est-à-dire l’autorité de la France.

M. le ministre des affaires étrangères a beau faire une critique de détails du système français, je sais une chose, messieurs, c’est que l’armée française est citée dans le monde entier pour son état-major du génie ; ce que je sais, (page 1393) c’est que les revues militaires anglaises, rédigées par les hommes les plus compétents, déclarent que la première cause de la supériorité de l’armée française sur les autres armées du continent, c’est ce qu’elles appellent son admirable état major. Ne craignons donc pas d’adopter la même organisation pour notre armée ; en marchant sur les traces de la France, nous ne pouvons nous tromper.

D’ailleurs, messieurs, c’est un devoir pour nous d’examiner la question ; car c’est aussi une question financière. M. le ministre des affaires étrangères dans les deux discours qu’il a lus hier et aujourd’hui, a fait beaucoup d’efforts pour établir que les officiers de l’état-major du génie ne sont pas supérieurs en capacité aux officiers de troupes.

Mais ne croyez pas, messieurs, que dans la discussion du budget on ne tirera pas la conséquence qu’il faut diminuer la solde des officiers de l’état-major ; on en tirera la conclusion qu’il faut augmenter la solde des officiers des troupes que l’on incorpore dans l’état-major. Je sais fort bien que notre droit reste intact ; je sais bien que, lors de la discussion du budget de la guerre la chambre pourra prendre, à cet égard, la décision qu’elle jugera convenable ; mais, je vous le demande, si nous adoptons aujourd’hui la fusion est-ce que par cela même nous ne décrétons pas l’uniformité de la solde ? Est-ce que nous n’admettons pas pour tous les officiers indistinctement la solde la plus élevée ? C’est donc une question de finance, messieurs, qui vous est soumise, et votre premier devoir, c’est de l’examiner de très-près, de ne pas permettre qu’on la préjuge sans nous ; de ne pas souffrir qu’on crée, sans nous, un état de choses qui la préjuge.

Outre cette question financière, messieurs, qui nous intéresse de si près, qui intéresse de si près nos commettants, il y a dans ce débat une question de légalité. L’honorable M. Malou a peut-être jeté un voile trop officieux sur cette question ; car enfin la question de légalité est une grande chose ; la question de savoir si le gouvernement a violé la loi, est une question considérable.

Je n’ignore pas que, lorsque le gouvernement a outre-passé ses pouvoirs, il peut venir demandé à la législature un bill d’indemnité, et que, dans des circonstances données, la chambre peut octroyer ce bill ; mais lorsque la violation manifeste de la loi a froissé des droits acquis, alors la question est d’une gravité tout autre. Eh quoi ! deux fois de suite la section centrale de la chambre des représentants aurait déclaré qu’un arrêté est illégal ; que le gouvernement, par un de ses actes, a déchiré la loi ; et cette déclaration solennelle serait stérile ! A la face du pays et de l’armée, l’illégalité aurait été reconnue, proclamée, et tout serait dit ! La chambre se résignerait au silence ; elle admettrait, comme vous l’a demandé hier M. le ministre des affaires étrangères, elle admettrait son incompétence ! Non, messieurs, la chambre ne peut accepter ce rôle. Elle ne peut ni ne doit souffrir que par une flagrante violation de la loi, le gouvernement froisse des positions, sacrifie des droits acquis. Non, cela ne peut pas être. M. le ministre des affaires étrangères a beau venir dire, comme il l’a fait dans son premier discours, que l’intervention de la législature serait déplorable ; que le gouvernement doit avoir toute sa responsabilité, ce qu’il y aurait de plus déplorable, c’est que la chambre restât muette, impuissante, alors qu’une illégalité a été commise.

L’honorable M. Brabant l’a dit avec raison : la discipline repose avant tout sur le sentiment de la justice ; tolérez l’injustice chez ceux qui commandent, et il n’y a plus de discipline possible. Or, l’illégalité, c’est l’injustice réduite en système. Laissez l’illégalité triomphante, bientôt il n’y aura plus de discipline dans l’armée. J’insiste encore, messieurs, sur cette considération. Quelle est la base de cette obéissance qu’on exige du soldat ? C’est la présomption que les ordres de ses chefs sont conformes à la justice, à la loi. Le soldat n’est pas un ilote ; il n’est pas placé en dehors de la loi ; ses droits sont garantis par la Constitution, comme les droits de tous les citoyens.

De là il faut conclure, messieurs, que lorsque nous nous trouvons face à face avec une question de légalité, notre premier devoir est de la résoudre. Quoi qu’il en advienne, nous devons commencer par trancher la question de légalité, parce que force doit rester à la loi. Le reste, nous y aviserons ensuite.

Messieurs, c’est à nous, qui n’avons d’autres limites à nos pouvoirs que la Constitution et notre conscience, de faire prévaloir ce qui est juste sur ce qui est simplement utile. Une illégalité qui blesse des droits acquis, eût-elle une apparence d’utilité, nous ne pouvons ni l’approuver, ni la protéger. En la recouvrant d’un bill d’indemnité, messieurs, nous cesserions de remplir comme nous le devons notre mission de législateurs.

M. le ministre des affaires étrangères vous a dit : « j’ai l’intime conviction qu’on a respecté tous les droits acquis. » Mais, messieurs, prenez la statistique des officiers qui composaient l’état-major du génie avant la fusion. Comptez les officiers supérieurs et les officiers subalternes. Le rapport entre les uns et les autres détermine exactement les chances d’avancement qui existaient pour les officiers subalternes. Ce rapport est de 2 ½. Faites le même calcul après la fusion opérée, et vous trouverez que ce rapport est complètement changé. En effet, par la fusion le nombre des officiers supérieurs a augmenté, il est vrai, mais le nombre des officiers inférieurs à augmenté bien plus considérablement, de sorte que les chances d’avancement pour les officiers subalternes sont devenues infiniment moindres. Ainsi, les positions sont changées, les droits froissés et méconnus. Ce ne sont pas là des personnalités, ce sont des faits.

Dans cette discussion, je l’ai vu avec regret, M. le ministre des affaires étrangères a fait bon marché des examens subis par les officiers de l’état-major. Dans l’énumération qu’il vous a présentée de ces officiers, il nous a parlé avec une sorte d’affectation de ceux qui n’avaient pas subi d’examen du tout ; mais, messieurs, les officiers de l’ancien état-major qui n’ont pas subi d’examen avaient un titre légal constatant leur capacité ; ils étaient docteurs en sciences et je suis persuadé que pas un des honorables orateurs qui soutiennent M. le ministre dans ce débat ne contestera que les officiers admis de cette manière n’aient réuni toutes les conditions de capacité, et d’une capacité légalement constatée.

Messieurs, s’il fallait prouver à M. le ministre des affaires étrangères, comme il nous y a conviés dans son premier discours, que même la portion la plus instruite de l’armée a été lésée dans sa position et ses droits, par l’arrêté de fusion, cette preuve serait facile.

Il suffira d’un seul fait : Parmi ces anciens officiers de l’état-major du génie, il y a deux professeurs de l’école militaire, deux professeurs estimés, messieurs, et qui donnent des cours supérieurs. Qu’après cela, M. le ministre des affaires étrangères insinue que la partie instruite de l’état-major est désintéressée dans la question, libre à lui. Mais vous, messieurs, vous direz sans doute que quand, parmi ces anciens officiers, on a fait un éloge si brillant, et du reste si mérité, il est au moins téméraire de les exclure de la partie instruite de l’état-major du génie.

M. le ministre, après avoir dit que les officiers n’étaient pas lésés par la fusion (et j’ai répondu à cette objection) a prétendu que les élèves sortant de l’école militaire n’avaient pas souffert non plus, parce qu’ils avaient eu l’avantage dans les nominations au choix. Mais c’est là une considération secondaire que je crois inutile d’approfondir.

Quant à la comparaison qu’on a faite plusieurs fois dans ce débat entre deux sous-officiers, dont l’un aurait été admis et dont l’autre aurait échoué à l’école militaire, vous avez entendu le ministre, entraîné par l’évidence, rétablir, jusque dans les termes dont il s’est servi, la distinction entre l’état-major et les troupes. Si celui qui a échoué et qui a cependant obtenu le pas sur son concurrent, a dit M. le ministre, veut aller plus loin, il devra subir une épreuve nouvelle. Mais je demande pourquoi, dans cette épreuve nouvelle, vous voulez, par des facilités nouvelles, donner un avantage nouveau au moins digne, au moins capable des deux concurrents ? A cette question, M. le ministre des affaires étrangères, je le pense, n’aurait rien à répondre jusqu’à présent du moins il n’y a rien répondu.

Messieurs, il m’est impossible, vous le devinez, de suivre M. le ministre des affaires étrangères dans le voyage qu’il nous a fait faire dans les armées de tous les pays de l’Europe. Mais M. le ministre n’a pas été heureux, ce me semble, en citant la France et la Hollande.

J’ai déjà invoqué moi-même l’exemple de la France. J’ajouterai que la discussion qui a lieu dans cette enceinte a eu lieu également en France entre les hommes les plus compétents, entre les généraux les plus éminents ; que les arguments qu’on a fait valoir pour nous convaincre ont été développés dans les chambres françaises, et (je le dis sans vouloir blesser les susceptibilités de personne) ils y ont été développés avec tout autant, si pas avec plus de talent qu’ils ne l’ont été ici ; or, cela n’a pas empêché le gouvernement français, à travers tous les changements de ministère, de maintenir son système.

Messieurs, je le répète encore : pour moi, la question de légalité domine ce débat. Je ne puis donc m’empêcher de rendre un juste hommage à M. le ministre de la guerre, qui, dans ses différents discours, n’a jamais insisté sur la légalité de l’arrêté de juin 1842. L’honorable ministre de la guerre a apporté dans la discussion un talent, une loyauté, une franchise qu’on ne saurait méconnaître. M. le ministre de la guerre, et je l’en félicité, a su rallier bien des sympathies, et ce débat l’a fait grandir dans notre estime à tous. Pourquoi M. le ministre des affaires étrangères me force-t-il à le laisser en dehors de cet éloge ? Messieurs, je dois le dire, c’est que M. le ministre des affaires étrangères s’est laissé emporter par un sentiment de partialité évidente en faveur des officiers de troupes et au préjudice des officier de l’état-major du génie. C’est à ce point que M. le ministre des affaires étrangères a semblé dire que la représentation nationale répudiait ou dépréciait les officiers des sapeurs-mineurs. Or, est-il entré dans la pensée d’aucun de nous de contester, soit le courage, soit le dévouement, soit le bon esprit qui anime les officiers de sapeurs-mineurs ?

Ce que nous voulons, messieurs, c’est que dans l’armée comme dans toute notre organisation sociale, les droits acquis soient respectés ; c’est que les capacités qui ont subi les épreuves difficiles et multipliées par la loi, ne soient pas placées au-dessous des capacités qui sont très-réelles, j’aime à le croire, mais qui n’ont pas affronté ces épreuves si pénibles.

M. le ministre des affaires étrangères a donc eu tort d’appeler humiliantes les comparaisons qu’on a faites hier. C’étaient, au contraire, des arguments qui ont frappé les esprits par leur justesse. Mon honorable ami, M. Manilius, a jeté, en les présentant, un grand jour sur la discussion.

Messieurs, je me bornerai à ces considérations. L’honorable M. Brabant a traité la question de légalité de manière à ne laisser aucun doute sa solution. Il a établi que cette confusion qu’on demande entre les officiers de l’état-major et les officiers des troupes du génie n’est pas nécessaire pour le bien du service. Il vous en a donné la preuve au moyen de la législation française. Dans ce double examen de la question, l’honorable M. Brabant a présenté des arguments qu’on n’a pas réfutés et tels qu’il me paraît impossible que la chambre hésite dans son vote.

M. Pirson – Messieurs, après toutes les observations qui ont été présentées, il me restera peu de choses à dire sur la question qui nous occupe. Je n’ai donc demandé la parole que pour motiver mon vote.

J’ai écouté avec la plus grande attention tous les discours qui ont été (page 1395) prononcés dans la séance d’hier et dans celle d’aujourd’hui, et j’ai conservé la conviction que la fusion des officiers des troupes et de l’état-major du génie n’est nullement contraire à la loi de 1836, parce que cette loi ne fait plus de différence entre les officiers des troupes et de l’état-major du génie, qu’entre les officiers de l’état-major et des troupes de l’artillerie pour lesquels l’avancement a lieu en commun, chose qui n’est contestée par personne.

On a invoqué ce qui est écrit dans le Bulletin des lois. Eh bien, voici ce qui se retrouve dans le Bulletin des lois ; voici l’art. 7 de la loi de 1836 sur l’avancement :

« Art. 7. Les emplois vacants de sous-lieutenants, dans les troupes de l’artillerie et du génie, seront donnés exclusivement aux élèves de l’école militaire et aux sous-officiers de l’artillerie et du génie, qui, après examen, auront été reconnus capables de remplir ces emplois ; deux tiers au plus de ces emplois seront donnés aux élèves de l’école militaire, à moins d’insuffisance de sujets capables ; un tiers est assuré aux sous-officiers. »

Vous le voyez, messieurs, la loi parle dans les mêmes termes des troupes du génie et de l’artillerie : or, si vous admettez que l’avancement peut être commun pour les officiers de l’état-major et des troupes d’artillerie, ce qui n’est contesté par personne, je ne comprends pas qu’on soit fondé à soutenir sérieusement qu’il ne puisse en être de même pour le génie, puisque la loi ne fait pas de différence entre les troupes du génie et de l’artillerie, et qu’elle les met toutes deux sur la même ligne.

Je suis, en outre, convaincu que la fusion de l’avancement dans l’arme du génie sera favorable à cette arme, tout comme l’a été pour l’artillerie de campagne la réunion dans le même officier des connaissances d’artillerie proprement dites avec celles qu’exigent la conduite des voitures et les soins à donner aux chevaux. Cette mesure, cependant, messieurs, lorsqu’elle fut adoptée, donna lieu aux plus vives récriminations. Alors aussi, les officiers d’artillerie se crurent ravalés en descendant au rôle d’officiers du train ou de conducteurs et de charretiers, comme on les a qualifiés tout à l’heure, et aujourd’hui tout le monde s’applaudit de son exécution. Pour moi, messieurs, qui, en dehors de cette enceinte, suis un officier d’artillerie de campagne, qu’on me qualifie de conducteur de charretiers, peu m’importe. Avec mes camarades, je ne tiens qu’à une seule chose, c’est à bien servir le pays ; et, pour eux comme pour moi, je vous réponds que la qualification n’y fera rien, et que nous sommes prêts à verser la dernière goutte de notre sang pour le pays, si son indépendance venait a être menacée (Mouvement.)

Je dis donc que la fusion entre les officiers de l’état-major et les troupes du génie sera avantageuse pour l’armée, parce qu’il en résultera que tous les officiers pourront indistinctement satisfaire à tous les services, soit sous le rapport de la construction, de l’attaque et de la défense des places fortes, soit sous celui de la direction et de l’exécution pratique des travaux du génie.

Mon honorable collègue et ami M. d’Elhoungne a invoqué ce qui existe dans des Etats voisins ; il a cité l’exemple de la France. Je répondrai également par l’exemple des Etats voisins, et je lui dirai que le principe de cette fusion n’est pas une innovation, mais qu’il existe dans l’organisation de l’arme du génie en Hollande, en Prusse et en Bavière.

D’un autre côté, messieurs, s’il m’est permis d’employer encore le mot moi, je vous dirai que moi aussi je suis élève d’une école militaire, et que je serai désespéré que l’on admît dans cette enceinte un principe nuisible à notre école militaire, conduite et dirigée avec tant d’habilité et qui a produit d’excellents officiers au pays. Mais, en présence de la loi d’avancement elle-même, alors que cette loi assure aux officiers sortant de l’école militaire les deux tiers des emplois pour l’entrée dans les armes spéciales, et ensuite pour chaque grade supérieur toute la latitude que donne le choix, peut-on exiger davantage ?

Pour être officier d’une arme spéciale, messieurs, il ne suffit pas d’avoir de l’intelligence et de la capacité. Il faut encore savoir se prêter à la discipline militaire ; il faut s’identifier avec la vie du soldat pour apprécier ses besoins, gagner sa confiance, et pour pouvoir le commander et le manier.

D’ailleurs, messieurs, pourquoi la capacité ne se rencontrerait-elle pas aussi chez les sous-officiers qui se livrent aux études et qui travaillent pour acquérir de la science ? Faut-il donc absolument sortir d’une école militaire pour être un bon officier du génie ? Les deux plus grands ingénieurs des derniers siècles ne sont-ils pas la preuve du contraire ? Est-ce que Coehorn n’a pas fait ses premières armes comme officier d’infanterie ? est-ce que le maréchal Vauban lui-même, que l’on vous a cité au début de cette séance, n’a pas débuté dans la carrière en s’engageant dans un régiment d’infanterie ? je voterai donc pour le maintien de la fusion de l’avancement entre les officiers de l’état-major et des troupes du génie, avec les garanties que présente l’amendement de M. le ministre de la guerre ; et je suis d’autant moins embarrassé pour émettre mon vote, que M. le général Goblet et M. le commissaire du Roi se sont prononcés pour cette fusion et qu’étant tous deux officiers du génie, placés à la sommité de leur arme, ils connaissent mieux que moi les nécessités, les exigences et les besoins de cette arme.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Messieurs, on a fait un appel à ma franchise et à ma loyauté. Je viens vous en donner une preuve nouvelle. Tout en reconnaissant la bienveillance avec laquelle l’honorable M. d’Elhoungne a bien voulu parler de moi, je dois faire connaître ma pensée, aussi au point de vue de sa légalité, et je viens vous dire, qu’à ce point de vue, mon opinion diffère de celle de l’honorable membre.

Messieurs, si je ne me suis pas occupé jusqu’à présent de cette question, c’est parce que, de la manière dont la discussion avait été engagée par l’honorable M. Malou, il semblait, en quelque sorte, convenu que nous aurions laissé de côté la question de légalité, et je comptais, en conséquence, ne vous parler que de l’utilité de la mesure. Mais, puisque mon témoignage est invoqué, je dois vous le donner avec franchise, avec cette franchise que vous voulez bien attendre de moi.

Quelle que soit, messieurs, ma méfiance quand il s’agit de m’occuper de questions qui ne sont pas exclusivement militaires, de questions de droits, par exemple, j’ai trouvé celle qui vous est soumise aujourd’hui tellement grave que j’ai cru devoir m’en occuper sérieusement. Je me suis livré à un examen extrêmement attentif, et je me suis dit : Voyons d’abord si l’arrêté de 1842 est contraire aux lois sur la matière. Eh bien, messieurs, j’ai acquis la conviction que l’arrêté de 1842 est bien contraire à quelques arrêtés, mais qu’il n’est nullement contraire aux lois.

On objecte que, jusqu’en 1842, l’avancement a toujours été distinct pour les officiers de l’état-major du génie et pour ceux des sapeurs-mineurs, et que l’arrêté de réorganisation de 1842 a renversé cet état de choses, sans égard aux dispositions qui l’avaient fondé. On ajoute même que cet arrêté est illégal.

On peut répondre à cela que la séparation de l’état-major du génie et du corps des sapeurs-mineurs, ainsi que la distinction dans l’avancement ne se trouvent établies par aucune loi.

En effet, si nous consultons la loi de 1836, sur le mode d’avancement dans l’armée, nous y voyons, art 7 : « Les emplois vacants de sous-lieutenant, dans les troupes de l’artillerie et du génie, seront donnés exclusivement aux élèves de l’école militaire et aux sous-officiers de l’artillerie et du génie, qui, après examen, auront été reconnus capables de remplir ces emplois ; deux tiers au plus de ces emplois seront donnés aux élèves de l’école militaire, à moins d’insuffisance de sujets capables ; un tiers est assuré aux sous-officiers.

« Art. 8. La moitié des emplois vacants de lieutenant et de capitaine, dans toutes les armes, sera accordée à l’ancienneté dans le grade inférieur sur la totalité de l’arme ; l’autre moitié sera au choix du roi. »

Or, il est à remarquer que si, avant la loi, l’avancement était distinct entre les officiers de l’état-major du génie et ceux des sapeurs-mineurs, il était au contraire commun entre les deux parties correspondantes du corps de l’artillerie. La loi ne contient donc à cet égard rien d’exclusif, et le gouvernement ayant à réorganiser le corps des sapeurs-mineurs, était en droit d’examiner lequel de ces deux systèmes était le plus utile pour l’arme du génie, et s’il n’y avait pas lieu d’admettre un système uniforme pour les deux armes spéciales.

Quant à l’avancement aux grades de lieutenant et de capitaine, le gouvernement avait, s’il est possible, encore moins de doutes à éprouver. En effet, l’article 8, comme nous venons de le voir, fixe un mode uniforme d’avancement, non-seulement dans l’artillerie et le génie, mais dans toutes les armes, et dit que les nominations à l’ancienneté doivent se faire sur la totalité de l’arme. Or, si les expressions l’arme de l’artillerie, l’arme du génie, sont des expressions propres et consacrées par l’usage, il n’en est pas de même de celles de l’arme de l’état-major du génie, l’arme des troupes du génie, et ce ne sont évidemment pas des fractions d’un même corps que la loi a pu avoir en vue, mais la totalité du corps.

Si nous examinons la loi de 1835, sur l’organisation de l’école militaire, nous y voyons, aux articles 5 et 6, que l’enseignement est distinct pour les élèves destinés aux armes spéciales ; pour ceux qui sont destinés aux armes de l’infanterie et de la cavalerie ou de la marine ; mais aucune distinction n’est faite quant à l’instruction des élèves destinés à une même arme ; de même, les articles 14 et 16 parlent bien du classement des élèves sous-lieutenants dans les différentes armes, mais aucun n’est exclusivement applicable à une partie quelconque d’une arme, et nulle part on n’y rencontre une distinction pour l’état-major et pour les troupes du génie.

On peut donc conclure de là que, non-seulement l’arrêté de 1842 n’est pas contraire à la loi, mais même qu’il est entièrement basé sur les deux seules lois qui aient rapport à cet objet.

Mais, dit-on, il existait des arrêtés antérieurs à ces lois, et c’est en présence du statu quo résultant de ces arrêtés que les lois ont été votées. Observons d’abord que, de même qu’une loi peut modifier une loi antérieure, de même un arrêté royal peut renverser un système établi par un autre arrêté royal, et que l’arrêté de 1842 a pu détruire tout l’effet d’un arrêté d’une date antérieure, et notamment de l’arrêté de 1835. Dire qu’en votant une loi, la législature vote de fait le maintien de tous les arrêtés réglant le même objet, serait donner à une loi quelconque une portée que les chambres n’y ont jamais attachée et ne peuvent y attacher. Il est d’ailleurs à remarquer que, jusqu’à ce jour, toutes les parties de l’organisation de l’armée ont été réglées par arrêtés royaux et qu’en l’absence d’une loi d’organisation, ce qui avait été fait par un arrêté pouvait être modifié par un arrêté subséquent ; il n’existait même aucun autre moyen de le faire, aussi longtemps que la nécessité d’organiser l’armée par une loi n’avait pas été reconnue.

L’arrêté royal du 1er juillet 1835 règle la composition de l’état-major du génie, et l’art. 4 de cet arrêté s’énonce ainsi : « Nul ne peut être nommé sous-lieutenant du génie s’il n’a complété ses cours à l’école militaire et satisfait aux examens de sortie exigés pour l’admission dans l’arme du génie. »

Pour ce qui concerne l’organisation de l’état-major du génie, cet arrêté se trouve entièrement abrogé par l’art. 1 de l’arrêté royal de 1842.

Quant à la condition imposée au sous-officier, de compléter ses cours à l’école militaire, elle se trouve abrogée de fait par l’article 7 de la loi sur l’avancement, qui n’en exige plus d’autre que celle d’un examen.

L’art. 2 du même arrêté dit : « L’avancement de tous les officiers du corps du génie roulera en commun. » Mais cet arrêté est fondé sur l’art. 8 de la loi d’avancement qui, comme nous l’avons vu plus haut, détermine que les emplois à l’ancienneté seront donnés sur la totalité de l’arme, et (page 1396) quant au choix, la 2e période du même article dit que l’autre moitié des emplois vacants de lieutenant et de capitaine dans toutes les armes, sera au choix du Roi, et il est à remarquer qu’elle ne limite nullement ce choix à l’une des parties de l’arme du génie, ni d’une arme quelconque.

Ce qui précède confirme de nouveau la légalité de l’arrêté de 1842 sur l’organisation du corps du génie.

Messieurs, j’aurais beaucoup de choses à vous dire encore, mais je crois que la chambre est impatiente d’en finir ; je me bornerai donc à lui présenter quelques courtes observations.

On vous a cité la France, et l’exemple de ce pays est le principal argument qu’on a fait valoir. Eh bien, messieurs, permettez-moi de m’appuyer à mon tour sur l’exemple de la France. L’ordonnance contre-signée par le général Bertrand, dont on vous a parlé, ne concerne pas seulement le corps du génie, mais elle concerne également l’infanterie, la cavalerie et l’artillerie. Le général Bertrand est donc celui qui a réglé le mode d’avancement de l’artillerie, et je dois vous le déclarer, ce mode repose entièrement sur le principe de la fusion que nous vous demandons de consacrer pour le génie.

Dans l’artillerie française, messieurs, il n’y a aucune distinction entre les officiers d’état-major et ceux de la troupe. Il y a donc, dans l’ordonnance contre-signée par le général Bertrand, deux systèmes, le système qui a été appuyé par le comité du génie et le système qui a été appuyé par le comité d’artillerie. Puisque l’honorable M. Brabant vous a cité l’artillerie, permettez-moi de vous rapporter ce qui s’est passé en Belgique pour cette arme.

Cet honorable membre vous a dit : L’artillerie se compose : 1° de 4 régiments ; 2° de diverses compagnies d’ouvriers ; je ne les énumérai pas ; 3° des pontonniers ; 4° de l’escadron de train. L’honorable M. Brabant a seulement omis une chose que je vais ajouter : c’est que l’arme de l’artillerie se compose aussi de l’état-major de l’artillerie, qui fait corps commun avec tout le reste. J’aurai maintenant l’honneur de faire observer à la chambre que le train qui existe aujourd’hui, qui est séparé jusqu’à un certain point de l’artillerie, n’est autre que le train des équipages. Ce n’est pas ce train qui était habitué à conduire nos pièces dans les batailles ; ce n’est pas ce train qui partageait nos dangers ; ce ne sont pas ces soldats qui travaillaient avec nos canonniers. Pour cette dernière partie du train, la fusion s’est opéré ; elle s’est opérée malgré tous les obstacles que vous redoutez. Cette fusion a été faite en 1823.

Une compagnie se composait alors de deux parties ; la première était la compagnie d’artillerie ; la seconde, c’était le train destiné à conduite la batterie. Messieurs, l’un de ces éléments ne pouvait pas marcher sans l’autre, et je sais ce qui se passait à cet égard ; l’officier d’artillerie était obligé d’avoir une confiance entière dans l’officier du train pour tout ce qui concernait l’attelage. Les officiers d’artillerie ne se mêlaient pas des chevaux, on ne le forçait même pas d’en avoir en temps de paix. Nos batteries, messieurs, laissaient beaucoup à désirer sous ce rapport. Eh bien ! on s’est dit : Cet état de choses a un grand inconvénient ; il faut y remédier ; il faut opérer une fusion. Messieurs, on a fait cette fusion entre ces artilleurs et ces charretiers. Beaucoup d’officiers d’artillerie éprouvaient également alors quelque répugnance.

Les difficultés, messieurs, ont été vaincues immédiatement ; ce n’a été que l’affaire d’un moment : on a incorporé dans l’artillerie quelques officiers du train ; ces officiers y ont enseigné à connaître les chevaux, à les soigner, à les conduire, à entretenir le matériel des équipages. De notre côté, nous en avons fait des artilleurs ; et ceux dont nous n’avons pas pu faire des artilleurs, ceux-là ont subi le sort que subiront à présent les officiers de mineurs incapables, ceux-là n’ont jamais pu participer à l’avancement au choix par suite d’examen ; ils sont restés stationnaires.

On vous a cité, messieurs, quelques officiers de sapeurs-mineurs, entre autres des capitaines, qui se trouvent à la tête de la liste du corps du génie ; eh bien, messieurs, les promotions faites depuis 1842 n’ont pas été favorables à ces capitaines, et si ces officiers se trouvent les plus anciens du corps de génie, ils se sont vus devancés par des officiers de l’état-major qui, à cause de leurs capacités, ont pu être nommés au choix et qui comptent aujourd’hui parmi ces officiers supérieurs. De cette manière, messieurs, la plupart des anomalies qu’on a citées et qui étaient pour le moment inévitables, ont disparu.

Je ne crois pas que ce soit un grand avantage pour les capitaines de sapeurs-mineurs que nous avons cités, de rester ainsi à la tête des officiers de leur grade.

Plusieurs membres – La clôture !

M. Rogier – Je demande la parole.

Plusieurs membres – Parlez, parlez.

M. Rogier – Messieurs, j’ai suivi, avec toute l’attention dont je suis capable, les importants débats qui nous occupent, et je vous avoue que je ne suis pas arrivé sans quelque hésitation à une conviction sur cette matière. Je ne sais pas si le gouvernement comprend, comme une partie de la chambre doit le comprendre, toute la portée du vote qu’il s’agit d’émettre, mais, suivant moi, il sera rarement arrivé à la chambre, si elle adhère à la proposition de la section centrale, de prendre l’initiative d’une mesure aussi importante, aussi grave dans ses résultats.

Il ne s’agit, en effet, de rien moins, messieurs, que de renverser un arrêté du gouvernement, non pas seulement comme nuisible aux intérêts de l’armée, mais encore comme entaché d’illégalité. Il s’agit, en outre, de revenir sur une mesure qui a déjà trois années de durée, qui a consacré des positions nouvelles pour un très-grand nombre d’officiers, et par conséquent d’introduire peut-être des germes de désorganisation perpétuelle dans un des corps principaux de l’armée, et tout cela par une loi qui porterait alors le titre menteur de loi d’organisation.

Au point de vue de la légalité, je le déclare tout d’abord avec mon honorable ami, M. d’Elhoungne, si l’arrêté est illégal, quelle qu’en puisse être l’utilité, quels que puissent être les inconvénients de son retrait, la chambre ne pourrait le sanctionner par son vote. Aussi sur cette question de légalité, je regrette que le cabinet ne se soit pas plus ému. Comment ! l’opposition (l’opposition spéciale qui s’est formée dans cette question) vient reprocher au cabinet d’avoir de nouveau compromis la signature royale, d’avoir de nouveau violé la loi ; elle demande l’annulation de cet arrêté illégal et le ministère ne s’émeut pas ; les jurisconsultes du cabinet abandonnent à M. le ministre de la guerre le soin de défendre la question de droit !

Eh messieurs, autant nous avons confiance dans les lumières spéciales de M. le ministre de la guerre en ce qui concerne les questions militaires, autant nous pensions (et je suis persuadé que l’honorable ministre n’a pas la prétention qu’il en soit autrement), autant nous pensions que cette défense aurait été présentée avec beaucoup plus d’autorité par tel ou tel de ses collègues appelé par ses études spéciales, par sa position spéciale dans le cabinet, à traiter ce que nous appelons les questions de droit.

Il n’en est rien. C’est à M. le ministre de la guerre qu’on a abandonné la défense de cette question, qui est d’une si haute importance aux yeux de la chambre.

Aussi, messieurs, si la mesure qu’il s’agit d’apprécier par un vote de la chambre, si cette mesure restait sous le coup d’un reproche d’illégalité, je n’hésite pas à le dire, le ministère serait hautement blâmable d’en avoir abandonné la défense. Or, il est de fait que la dissertation de M. le ministre de la guerre, malgré sa bonne volonté, n’a pas jeté beaucoup de lumière sur la question de droit.

L’arrêté de 1842 est-il illégal ? Voilà un premier point que le gouvernement devrait avoir à cœur d’éclairer, sur lequel il aurait dû s’efforcer surtout d’entraîner les convictions de ceux qui veulent défendre la mesure au point de vue de l’utilité.

Envisageant la mesure à ce dernier et unique point de vue, je dirai que l’opinion de M. le ministre de la guerre, celle de M. le ministre des affaires étrangères, celle de M. le commissaire du Roi, ces trois opinions réunies devraient exercer une grande influence sur la décision de la chambre. Quant à moi, quelle que soit la confiance que j’ai dans les lumières de plusieurs de nos honorables collègues qui ont étudié avec cette question importante, je dis tout d’abord que l’opinion du général Goblet, du général du Pont, de M. le commissaire du Roi m’a paru plus décisive que l’opinion de nos collègues qui n’ont pas fait du métier des armes leur profession, qui n’ont pas fait, je dois le croire, des choses militaires leur étude principale.

Si le principe est bon, messieurs, il faut que le ministère le soutienne, qu’il cherche à le sauver, qu’il le reproduise sous une autre forme s’il venait à être repoussé sous la forme d’un arrêté qualifié d’illégal par la chambre. Car il ne faudrait pas qu’un bon principe d’organisation eût à souffrir d’une forme vicieuse dont on l’aurait revêtue.

Il est à regretter que cette importante question arrive à la fin d’une discussion qui absorbe depuis longtemps l’attention de la chambre. C’est, suivant moi, une de ces questions qu’on aurait peut-être bien fait de réserver pour une loi spéciale. J’incline beaucoup à penser que le principe en lui-même renferme une très-grande utilité pour l’armée. C’est donc avec regret que je verrais ce bon principe, ce principe de bonne organisation, c’est à regret que je le verrais disparaître, parce qu’il se serait produit sous une forme illégale.

Voyons maintenant quelles seraient aujourd’hui, pour l’armée, les suites du renversement de l’arrêté royal ? quelles serait la position de tous les officiers qui, depuis trois ans, ont profité de cet arrêté ? Et, remarquez-le bien, messieurs, l’arrêté n’a pas seulement été utile aux officiers de sapeurs-mineurs, les résultats, on nous l’a démontré, ont été très-utiles aussi, peut-être même beaucoup plus utiles aux officiers de l’état-major. Par suite du retrait de l’arrêté, tous ces officiers qui, depuis trois ans, ont acquis une position nouvelle, vont-ils reprendre leur position ancienne, ou bien, tout en réprouvant l’arrêté, admettra-t-on ce qui a été mal fait, que ce qui a été injustement fait doit être maintenu ? Si ce qui aurait été mal fait, si ce qui aurait été injustement fait ne doit pas être maintenu, si, en renversant l’arrêté royal, nous renversons en même temps toute l’organisation qui en a été la suite, je vous le demande, messieurs, de quel droit appellerions-nous notre loi une loi d’organisation ?

Au point de vue de l’ordre et de la discipline, que vous a dit, messieurs, M. le ministre des affaires étrangères ? Il vous a dit que le retrait de l’arrêté pourrait avoir des suites déplorables. Je n’ai pas besoin d’insister plus qu’il ne l’a fait lui-même sur ces suites déplorables, mais il ne faut pas pousser les hypothèses bien loin pour se figurer quelles pourraient être les conséquences d’une semblable mesure.

Enfin, messieurs, j’examinerai en peu de mots la question au point de vue gouvernemental.

Il pourra peut-être paraître singulier de voir l’un des membres les plus prononcés de l’opposition s’inquiéter ici des résultats du retrait de l’arrêté au point de vue gouvernemental. Je le ferai cependant quelque profit politique qu’il puisse résulter pour l’opposition de ce grave échec que le ministère, qu’il se le dissimule ou non, de ce grave et nouveau échec que le ministère subirait par l’adoption de la proposition de la section centrale.

Si l’arrêté est illégal, la difficulté serait grand pour tous les membres de la chambre indistinctement de donner une solution gouvernementale à la question. Sous ce rapport, il eût été à désirer que tout le cabinet se fût lever pour démontrer la légalité de l’arrêté. Mais en laissant même (page 1397) à part la question de légalité, si l’arrêté, dans la conviction du gouvernement, est bon en lui-même, si son retrait doit entraîner pour l’armée des inconvénients de tout genre, y introduire la confusion, oh ! alors, le rejet de cet arrêté serait, je le dis à la majorité, l’échec le plus considérable que le gouvernement ait reçu depuis longtemps.

Messieurs, il m’est arrivé déjà dans cette enceinte de voter indirectement l’annulation d’un arrêté royal. Il s’agissait de l’introduction, dans les cadres de l’armée, d’un officier qui, suivant la majorité de la chambre, ne devait pas y figurer. Je me suis associé alors, contre le gouvernement, au vote qui avait pour but d’annuler cet arrêté royal ; mais c’est là un procédé auquel, tout membre de l’opposition que je suis, je ne veux pas m’associer légèrement ; je ne veux le faire qu’à la dernière extrémité.

Si j’avais la conviction que l’arrêté est illégal, je serais forcé, quoi qu’il m’en coûte, de voter son annulation ; mais si la légalité de la mesure est mise hors de cause, comme je pense que le principe qu’elle consacre est bon en lui-même, et qu’il faut sauver ce principe, alors je voterai pour le gouvernement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, sans doute, nous devons attacher une très-grande importance à la question de légalité, mais la nouvelle proposition qui vous est faite par le gouvernement est rédigée de manière à mettre hors de cause cette question. C’est là, messieurs, ce que l’honorable préopinant n’a pas remarqué. (Interruption.) Qu’il veuille bien relire la disposition proposée par M. le ministre de la guerre et il reconnaîtra, comme je viens de le dire, que la question de légalité est mise hors de cause.

La question de la bonne organisation doit seule préoccuper la chambre. Si la majorité est d’accord avec le gouvernement sur la bonne organisation, en adoptant la proposition de M. le ministre de la guerre, la position se trouve entièrement régularisée, quelles que puissent être les opinions individuelles sur la question de légalité considérée isolément. Il est donc vrai de dire que c’est la question de bonne organisation qui doit déterminer le vote de la chambre.

Le gouvernement vous a proposé une disposition transactionnelle pour ne pas trop compliquer ce débat déjà si grave, il a mis hors de cause la question de légalité, il n’a pas voulu prendre une position plus absolue ; il aurait pu la prendre, en vous disant : « Il n’y a pas lieu de s’occuper, dans la loi actuelle, d’une disposition quelconque, organique du génie militaire. » Il n’a pas pris cette position absolue, il vous a proposé une disposition organique, disposition qui régularise la position, abstraction faite de la question de légalité que peut présenter l’arrêté du 4 juin 1842.

Je fais cette observation, parce que je veux rassurer l’honorable préopinant qui fait dépendre principalement son vote de la question de légalité ; le vote dépend de l’opinion que l’on a sur la bonne organisation par suite de la fusion ; si vous êtes d’accord avec le gouvernement sur la question d’organisation, en adoptant la disposition de M. le ministre de la guerre, vous régularisez la position.

J’ajouterai, messieurs, quelques considérations à l’appui de la question d’organisation.

Messieurs, c’est une très-grave question que vous êtes appelés à résoudre ; car vous posez un précédent. Le génie militaire est organisé par des lois, le génie civil ne l’est pas, il le sera peut-être un jour également. Les hommes se forment de deux manières ; les uns partent de la science pour arriver à la pratique ; les autres partent de la pratique pour arriver à la science ; mais il faut faire une position aux uns et aux autres. Si vous adoptez le système absolu qu’on vous a préconisé au nom de la science, vous faites une position privilégiée, exclusive à la première catégorie d’hommes, à ceux pour qui la science est le point de départ ; vous excluez les hommes qui deviennent de jour en jour plus rares, j’en conviens, mais qu’il ne faut pas écarter d’une manière absolue ; vous excluez, dis-je, les hommes qui partent de la pratique pour arriver à la science.

Je crois que c’est aller trop loin ; c’est créer, comme on le disait tout à l’heure, en citant un auteur français, c’est créer une véritable oligarchie. Je ne crains pas, dans le génie militaire, une espèce d’invasion de la 2e catégorie d’hommes, de ceux qui sont partis de la pratique pour arriver à la science ; ces hommes deviennent de jour en jour plus rares, mais il ne faut pas les exclure d’une manière absolue.

J’ai cité le génie civil. Le corps du génie civil n’est organisé en Belgique qu’en vertu d’arrêtés, et il l’est de manière à faire une position aux deux catégories d’hommes que je vous ai indiquées. Dans d’autres pays, on a été beaucoup plus absolu ; en France, le génie civil est aussi divisé en deux fractions, la fraction des ingénieurs et celle des conducteurs ; un conducteur en France ne peut pas arriver au grade d’ingénieur. La fraction des ingénieurs se recrute par la science seule, la fraction des conducteurs se forme par la pratique.

En Belgique, nous avons admis la fusion, un conducteur peut arriver à devenir ingénieur.

M. de Theux – Il y a identité d’examen.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous admettez qu’un homme peut se former par la pratique et arriver à ce que j’appellerai l’état-major du génie civil. Dans les examens, l’on prend en considération la manière dont la récipiendaire s’est formé.

Messieurs, on a tellement compris qu’il ne fallait pas être exclusif pour le génie civil, qu’en Belgique nous nous sommes trouvés un moment en présence de deux corps du génie civil, l’ancien corps des ponts et chaussées, et le nouveau corps qu’on avait vu subitement surgir par l’établissement du chemin de fer. Pour la création de ces grands travaux, on avait fait, avant tout, un appel aux hommes pratiques ; on s’est donc trouvé en présence de deux corps, et l’on n’a pas hésité à en opérer la fusion. Si un jour vous faites une loi organique du corps des ponts et chaussés, vous vous trouverez en présence de la même question, et au nom des hommes de la science, l’on vous demandera de faire une position inférieure aux hommes qui seront partis de la pratique seulement.

M. le ministre de la guerre vous présente une disposition conciliatrice, car, comme je l’ai fait remarquer, nous ne prenons pas une position absolue ; la disposition remplit une lacune qui existait jusqu’à présent ; elle exige de la part des sous-officiers de la troupe, pour être admis à l’état-major, de nouveaux examens qui seront déterminés par arrêté royal (Interruption.)

Je sais quelle est l’objection que l’on fait ici : Ces examens seront-ils les mêmes que ceux que l’on exige des élèves de l’école militaire ? Ils ne peuvent pas être identiquement les mêmes ; ils doivent porter sur les mêmes matières, mais il est impossible d’exiger que ces examens soient identiquement les mêmes.

Il ne fut pas néanmoins conclure de ces paroles que ces programmes ne seront qu’un jeu ; ces programmes seront publiquement annoncés ; chacun pourra juger jusqu’à quel point ces programmes présentent les garanties nécessaires. Il faut admettre que le gouvernement prend un engagement sérieux, en faisant insérer dans la loi la disposition, qu’il y aura des examens et des programmes ; la loi sera loyalement exécutée ; il y aura des examens, on arrêtera des programmes dont le public sera appréciateur, dont vous-mêmes, vous serez appréciateur chaque année. (Interruption.)

Le gouvernement ne demande pas de monopole pour l’école militaire. Il demande seulement qu’on conserve à l’école militaire les avantages qui lui sont faits, mais qu’on ne pousse pas ces avantages jusqu’au monopole. Voilà quelques-unes des considérations qui me dominent dans l’appréciation de cette question, qui est extrêmement grave : Si vous admettez l’opinion de la section centrale, vous posez un précédent ; vous arrivez avec le temps à consacrer le monopole de certains emplois publics en faveur d’un établissement. Le voulez-vous ? c’est ce que vous aurez à examiner. Mais toujours est-il qu’il faut qu’on appelle votre attention sur ce point. C’est à la science seule que vous vous adresserez pour former l’état-major du génie militaire ; on vous demandera également de vous adresser à la science seule pour former l’état-major du génie civil ; on finira par recruter dans tel autre établissement de l’Etat, telle autre catégorie de fonctionnaires. C’est là le précédent que vous posez.

On a dit que les rôles avaient été intervertis. Cette pensée a pu surgir de nouveau en entendant un organe du gouvernement repousser le monopole qu’on offre à un établissement de l’Etat. Mais si nous tenons ce langage, c’est que nous croyons rester fidèles à nos institutions ; soutenir les doctrines les plus constitutionnelles, les plus libérales. C’est au nom des libertés constitutionnelles, au nom de la liberté d’enseignement, au nom de l’admissibilité de tous les citoyens aux fonctions publiques, au nom de tous les grands principes qui font la base de nos institutions, que nous demandons à la chambre de ne pas pousser jusqu’au monopole les avantages faits à l’école militaire. Nous pensons donc que la proposition de M. le ministre de la guerre concilie les deux intérêts. Nous conservons aux hommes de science la position qui leur a été faite et nous demandons à faire une position aux hommes de pratique. On trouvera toutes les garanties dans les programmes que le gouvernement arrêtera et qui seront annuellement publiés.

M. Brabant – Messieurs, je serai extrêmement court ; je n’abuserai pas de l’attention de la chambre. Je répondrai d’abord un mot à l’honorable M. Rogier, je lui dirai que l’organisation que propose la section centrale, n’est que la reproduction de l’organisation de 1835 par M. le général Evain, la reproduction de ce qu’avait proposé à la signature du Roi, M. le général Willmar. Les termes du 1er paragraphe de la proposition de la section centrale ont le même sens que l’art. 50 de l’arrêté royal du 16 mai 1838. Nous disons dans le 1er paragraphe de l’art. 7 : « L’avancement sera distinct pour l’état-major et pour les troupes du génie. »

L’art. 50 de l’arrêté du 16 mai 1838, porte :

« L’avancement est distinct et séparé pour les officiers de l’état-major du génie et pour les officiers de troupes de cette arme. »

Ainsi l’on préfère l’article 50 de l’arrêté de M. Willmar ; pour moi, je suis prêt à l’adopter, j’en préfère la rédaction.

Je continue sur ce point. Le génie n’était pas dans le chaos avant 1842. Il y avait eu organisation en 1835 ; cette organisation avait été élargie par l’arrêté de 1838. Une partie avait sept années d’existence, l’autre quatre. La prescription, si prescription il y a, doit être en raison du temps pour celle à laquelle nous proposons de revenir, contre celle introduite par un homme étranger à l’arme, tandis que le général Willmar, auteur de l’autre organisation, appartenait à l’arme. Avons-nous voulu consacrer un monopole ? mais la disposition de M. le ministre de la guerre consacre ce que nous avons proposé ; il n’y a que M. le ministre de l'intérieur qui ait attaqué les idées de monopole de la section centrale. J’ai dit qu’en vertu de la loi et de l’arrêté du général Evain, les places de sous-lieutenant d’état-major du génie étaient exclusivement réservées aux officiers sortis de l’école militaire. M. Willmar a été plus loin ; le général Evain n’avait réservé que les places de sous-lieutenant de l’état-major du génie aux officiers sortis de l’école, le général Willmar a étendu la mesure à tous les grades. Est-ce que la loi (page 1398) de 1836 sur l’avancement des troupes, en accordant le tiers des sous-lieutenants aux sous-officiers, leur donne aussi une part dans les vacances de l’état-major ? Elle ne dit pas un mot de cela.

La loi de 1836 n’accordait donc que le tiers des sous-lieutenances de troupes aux sous-officiers sortis des sapeurs-mineurs ; et je crois que l’on peut dire que la loi de 1836 prenait l’armée dans son état d’organisation tel qu’il était alors.

Un point sur lequel j’avais insisté, c’est sur l’étendue à donner au mot arme.

J’avais cité le train d’artillerie ; M. le ministre de la guerre est entré dans des dissertations sur les changements introduits dans l’artillerie. Mais toujours est-il qu’il existe un train d’artillerie ; vous l’avez confondu avec les troupes d’artillerie ; vous avez au budget un intitulé général : artillerie et train ; à l’état-major, vous n’avez pas un seul officier du train. Ensuite, les officiers du train d’artillerie se trouvaient parmi les officiers de la troupe ; cependant, dans le tableau d’ancienneté, pour l’avancement, on a fait une catégorie distincte des officiers du train ; on a eu raison.

J’estime qu’ils savent ce qu’ils doivent savoir pour exercer convenablement leur état ; mais il ne faut pas de grandes connaissances mathématiques pour faire tourner un convoi, pour le parquer. D’après le règlement français, c’est une science si difficile qu’elle se donne en onze leçons !

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Messieurs, j’ai quelques observations encore à présenter. On vient de dire que l’école militaire va être désertée par suite de la mesure que j’ai l’honneur de proposer. J’ai besoin d’éclairer la chambre sur ce point. Par l’amendement que je vous propose, tous les emplois de sous-lieutenant dans l’état-major du génie sont réservés aux élèves de l’école ; ces emplois sont au nombre de douze. Le 2e paragraphe leur réserve les 2/3 des emplois de sous-lieutenant dans les troupes du génie, ceux-ci sont au nombre de 10 ; les 2/3 c’est 7 ; 12 et 7 font 19. Ainsi, quand 19 places sont réservées aux élèves de l’école, la part des sous-officiers est de trois places. Peut-on dire qu’il s’agit de détruire l’école militaire.

On a rappelé de nouveau l’exemple du train.

Comme je l’ai déjà dit : il y avait deux espèces de train, celui qui se battait et celui qui conduisait les équipages ; on a réuni à l’artillerie les combattants. Notre proposition est la même aujourd’hui pour les troupes du génie : nous demandons que l’officier qui doit diriger les sapeurs-mineurs, dans la tranchée et dans les travaux de mines, fasse connaissance avec eux, travaille avec eux, même en temps de paix ; mettre l’officier du génie à la tête de sa troupe seulement au moment du siège, c’est comme si l’on mettait l’officier de cavalerie à la tête de son peloton au moment de la bataille.

- La discussion est close.


M. le président – Voici l’amendement présenté par M. le ministre de la guerre :

« Les emplois vacants de sous-lieutenant dans l’état-major particulier du génie, seront donné exclusivement aux élèves de l’école militaire qui auront satisfait aux examens de sortie exigés pour les armes spéciales.

« Les emplois vacants de sous-lieutenant dans les troupes du génie, seront donnés : les 2/3 aux élèves de l’école militaire ayant satisfait aux conditions prémentionnées, à moins d’insuffisance de sujets capables ; un tiers aux sous-officiers de ces troupes qui, après examen, auront été reconnus capables de remplis ces emplois.

« Les lieutenants ou capitaine de cette dernière catégorie ne seront admis aux emplois dans l’état-major particulier du génie qu’après avoir satisfait à un nouvel examen, dont le programme sera fixé par arrêté royal.

« Les règles de passage des officiers de l’état-major particulier du génie dans les troupes de cette arme, feront l’objet de dispositions réglementaires à déterminer par arrêté royal. »

M. David propose de substituer au 3e §, la rédaction suivante :

« Les lieutenants ou capitaine de cette dernière catégorie ne seront admis aux emplois dans l’état-major particulier du génie dans les troupes de cette arme, qu’après avoir satisfait à un nouvel examen au moins aussi fort que celui déterminé pour l’examen de sortie de l’école militaire et dont le programme sera fixé par arrêté royal. »

- Le sous-amendement de M. David est mis aux voix. Il n’est pas adopté.

L’amendement de M. le ministre de la guerre est mis aux voix.

Plus de cinq membres demandant l’appel nominal, il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

79 membres ont répondu à l’appel ;

42 membres ont répondu oui ;

31 membres ont répondu non ;

6 se sont abstenus.

En conséquence, la chambre adopte la disposition. Elle formera l’article 6 du projet.

Ont répondu oui : MM. Maertens, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Pirson, Rodenbach, Rogier, Smits, Troye, Van Cutsem, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Coghen, Coppieters, d’Anethan, de Baillet, Dechamps, Dedecker, de La Coste, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Roo, de Secus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Donny, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Goblet, Huveners, Jadot, Lange.

Ont répondu non ; MM. Lejeune, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Osy, Pirmez, Sigart, Simons, Theinpont, Thyrion, Vanden Eynde, Verhaegen, Brabant,, David, de Brouckere, Biebuyck, de Chimay, de Corswarem, de garcia de la Vega, de Haerne, Delehaye, d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Saegher, de Tornaco, Dubus (aîné), Dubus (Bernard) et Liedts.

M. le président – Les membres qui se sont abstenus sont invités à en faire connaître les motifs.

M. Delfosse – Je me suis abstenu parce que, malgré l’attention que j’ai prêtée à tout ce qui a été dit, je ne suis pas parvenu à me former une opinion.

M. A. Dubus et M. Fallon déclarent s’être abstenus par les mêmes motifs que M. Delfosse.

M. de Theux – Il m’a été en quelque sorte impossible d’apprécier les conséquences de la nouvelle situation, aujourd’hui que la fusion est opérée. C’est le motif de mon abstention.

Ensuite j’aura voulu que M. le ministre de la guerre s’engageât à soumettre aux mêmes examens les sous-officiers et les élèves de l’école militaire. C’est le principe qui à été admis par M. le ministre des travaux publics et par le ministre de l’intérieur en 1837.

J’attire l’attention du gouvernement sur ce point.

M. d’Huart – Je me suis abstenu par le même motif. Il est possible que l’arrêté relatif aux examens réponde aux besoins et à ce qu’exige l’intérêt des officiers. Mais ne sachant pas s’il en serait ainsi, j’ai dû m’abstenir.

M. Dumortier – J’ai été très-opposé à la réunion des deux armes. Mais voilà trois ans qu’elle est opérée. J’ai craint que la séparation ne donnât lieu à de graves inconvénients.

Ensuite je n’ai pas trouvé, dans la disposition relative aux examens, des garanties suffisantes. C’est pourquoi je me suis abstenu.

La chambre adopte avec les chiffres ci après du projet du gouvernement le paragraphe de l’art. 2 relatif au génie :

« Génie

« (Etat-major) – Officiers supérieurs

« Colonels, 3.

« Lieutenants-colonels, 5.

« Majors, 5.

« Officiers subalternes, 47.

(Troupes) – Officiers supérieurs.

« Colonel, 31

« Lieutenant-colonel, 1.

« Majors, 2.

« Officiers subalternes, 42 ».

Corps des officiers de la gendarmerie

Sur la proposition de la section centrale, à laquelle le gouvernement se rallie, le paragraphe « Corps de la gendarmerie » est renvoyé à une loi spéciale.

L’ensemble de l’art. 2 est mis aux voix et adopté.

Section de réserve

« Art. 1. L’état-major général de l’armée et les états-majors particuliers, aussi bien que les cadres d’officiers des troupes de diverses armes, seront, à l’avenir, divisés en deux sections : la section d’activité et la section de réserve. » - Adopté.

« Art… (disposition transitoire). Les officiers qui sont aujourd’hui en activité de service et qui dépassent les limites fixées par l’art. 2, pourront être placés dans la section de réserve, quel que soit leur nombre.

« Il en sera de même des officiers actuellement en disponibilité ou en non-activité, soit par suppression d’emploi, soit pour infirmités temporaires. »

M. Verhaegen – D’après la disposition transitoire, les officiers qui sont mis en disponibilité ou en non-activité pour infirmités temporaires sont mis sur la même ligne que les officiers placés dans l’une ou l’autre de ces positions par suppression d’emploi. J’admets volontiers ce principe. Malheureusement il ne reçoit pas toute son application ; c’est-à-dire que les officiers mis en non-activité pour infirmités, ne sont pas, pour rentrer en activité, placés sur la même ligne que les officiers mis en non-activité par suppression d’emploi.

En effet, les articles 12 et 13 de la loi de 1836 sur l’avancement sont ainsi conçus :

Art. 12. Les officiers mis en non-activité, par suite de licenciement du corps ou de suppression d’emploi, auront droit, dans cette position, à l’avancement par ancienneté, et seront, en conséquence, mis à la suite de l’un des corps de leur arme, en attendant des emplois vacants de leur grade.

Art. 13. les officiers mis en non-activité pour toute autre cause n’ont pas droit à l’avancement par ancienneté et le temps qu’ils auront passé dans cette position sera déduit de celui qui fixe l’ancienneté de leur grade, s’ils sont remis en activité.

J’engagerai M. le ministre de la guerre à fixer son attention sur ce point. Si ces articles ne permettent pas de placer ces deux catégories d’officiers dans la même position, on pourrait atteindre le même résultat par les nominations au choix. M. le ministre comprendra qu’il serait injuste qu’un homme fût indéfiniment privé de son emploi, parce qu’une infirmité l’a mis momentanément dans l’impossibilité de le remplir.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – J’examinerai mûrement cette question. Pour le moment, je me bornerai à faire observer que l’art. 6 est tout à fait facultatif pour le gouvernement.

Aumônerie militaire

(page 1399) M. de Mérode – Vous venez de terminer, messieurs, ce qui regarde le personnel de l’armée. Des observations utiles ont été produites à l’égard des médecins militaires et des intendants militaires. Je demande à en présenter sur ce qui concerne un autre personnel attaché à l’armée et qui mérite aussi votre attention sérieuse, au moment où il s’agit d’organisation générale.

Messieurs, dans notre travail organisateur de l’armée, nous nous sommes occupés de tous les intérêts, sauf un seul. Nous avons adopté ces intérêts divers en tant qu’ils nous semblaient nécessaires à la sûreté de l’Etat ; mais quant à ce qui regarde l’intérêt le plus important pour les familles, on n’a pas encore songé à lui procurer satisfaction vraie. Il paraîtrait, qu’à l’égard de celui-là, rien ne puisse être amélioré, que tout soit pour le mieux. Cependant, il s’en faut, car les parents s’inquiètent, et beaucoup même, lorsque leurs enfants quittent le toit paternel pour se rendre sous les drapeaux. A peine un jeune homme a-t-il subi le sort que ses père et mère cherchent à le remplacer, font pour y parvenir les plus pénibles sacrifices ; et pourtant le service n’est pas long, nous sommes en temps de paix.

A la répugnance que j’ai rappelée dans mon dernier discours, il y a une cause particulière, une cause réformable. Je l’ai signalée et je veux la combattre avec persistance ; dût-on me donner quelque qualification que ce soit, dût-on défigurer mes intentions et mes paroles, peu m’importe. Je défends la cause du pauvre artisan, du pauvre paysan, du pauvre citoyen, quelqu’il soit, qui ne peut payer un remplaçant.

Je suis populaire, dans la bonne acception du mot. Je viens donc vous parler des aumôniers.

Le service des aumôniers n’est pas uniforme dans tout le pays. Dans trois diocèses de la Belgique, ceux de Liége, Tournay et Namur, les militaires sont sous la juridiction spirituelle des aumôniers ; dans les autres, au contraire, ils sont sous la juridiction des curés des paroisses, et ils en changent selon qu’ils changent de casernes. Il s’ensuit que les soldats ignorent s’il existe un pasteur pour eux. Personne ne les engage à garder les religieuses habitudes ; ils sont abandonnés à eux-mêmes. Leur conservation morale est livrée au hasard ; tandis que des occasions de désordre tendent à les pervertir ; chacun sait fort bien, en effet, que le militaire est plus exposé à ces occasions que celui qui est dans sa famille ; le danger qu’entraînent les grandes réunions d’hommes, particulièrement dans les villes populeuses, n’étant pas douteux.

Dans les diocèses de Liége, Tournay et Namur, l’aumônier a ses registres, il est chargé des enfants. Les soldats le connaissent, il est au milieu d’eux, d’où il résulte un grand bien pour leur moralité, leur instruction. Aussi serait-il à désirer que le même ordre existât partout ; car à quoi bon concentrer dans l’hôpital, comme à Bruxelles, un aumônier militaire qui ne peut employer ainsi, par jour, qu’une heure ou deux de son temps. Et cependant cet aumônier reçoit un traitement plus fort que celui de Mons, par exemple, qui appartient au diocèse de Tournay, et doit satisfaire aux attributions plus larges qui lui sont dévolues. Le gouvernement qui paye à Bruxelles l’aumônier purement chargé de l’hôpital, douze cents francs de plus que celui de Mons, doit vouloir qu’il soit le plus utile possible, et s’entendre avec l’autorité ecclésiastique supérieure, afin de parvenir à ce but.

Je sais que déjà M. le ministre de la guerre a fait quelque chose sous ce rapport. L’aumônier est autorisé à visiter les casernes. Mais de plus, il convient qu’il y soit encouragé, non seulement par M. le ministre de la guerre qui ne peut être partout, mais par les généraux commandants et par les chefs de corps ou de compagnie qui doivent se considérer comme les tuteurs de leurs soldats.

Maxima debetur puero reverentia, dit un adage. Je l’applique également à ce conscrit militaire que vous prenez à sa famille, dans l’inexpérience de sa jeunesse, pour le livrer à des chefs que je crois fermement obligés en conscience et honneur, de faire tous leurs efforts, afin de le rende tel qu’ils l’ont reçu et meilleur s’il se peut.

Des circulaires ministérielles ont été répandues pour qu’on laisse aux militaires la libre disposition de leur temps dans la matinée du dimanche. Cependant si l’esprit, le but de ces circulaires ne sont pas fidèlement appréciés par les chefs de corps, par les officiers en général, elles ne produisent que peu ou point de fruit ; il est une foule de moyens détournés par lesquels on peut amener leur avortement, tout en ayant l’air d’obéir à la lettre des arrêtés ministériels. Eh bien, je dois annoncer pour mon compte à M. le ministre de la guerre, qu’ainsi que je lui avais annoncé précédemment que je ne voterais plus le contingent de la milice si chaque soldat n’obtenait enfin un couchage convenable, je suis obligé à déclarer de même que je ne voterai plus le contingent de la milice, si les pères de famille ne reçoivent pas les apaisements moraux auxquels ils ont droit, quand ils sont forcés de céder leurs fils au service de l’Etat.

Les défauts que j’ai signalés, messieurs, se produisent dans d’autres armées que la nôtre. En m’exprimant avec franchise à leur sujet, je n’ai pas méconnu la discipline, le dévouement, le zèle patriotique et militaire de notre corps d’officiers. La preuve que je tiens beaucoup aux intérêts de l’armée, c’est que je les ai constamment défendus pour tous les grades, depuis le général jusqu’au simple soldat. Combien de fois ne me suis-je pas opposé aux réductions de traitements des généraux, dont la position, les charges rendent la vie chère. Combien de fois ai-je sollicité, pour le soldat, de bonnes casernes, des lits propres et séparés pour chaque homme !

Mais, quand on est l’ami d’une institution, faut-il tout admirer ? aucun blâme n’est-il permis ?

En France, dans l’ancien régime, la noblesse composait généralement le corps d’officiers de terre et de mer. Eh bien, les jeunes militaires de ce temps s’amusaient à briser les vitres des maisons pendant la nuit, se permettaient d’autres gaillardises impertinentes envers les bourgeois. Ils se battaient en duel pour oui et non, par pure bravade ; au mépris de la juste loi morale qui prohibe de tuer son semblable, hors le cas de guerre ou de légitime défense personnelle. Parce que je rappelle ces abus qui m’ont été racontés par de vieux gentilshommes, s’ensuit-il que j’aie peu d’estime pour l’ancienne noblesse ? Sous l’empire, en exerçant les recrues des provinces où le paysan est lourd, on leur donnait parfois des coups de pied, des coups de poing, afin de le mettre plus tôt en état d’envahir l’Espagne ou la Russie ; je l’ai vu de mes propres yeux. De ce que je rappelle ce fait, s’ensuit-il que je garde peu de considération pour les officiers de cette époque mémorable ? Mais, avec les mœurs constitutionnelles de notre temps, tous les genres de manières blessantes d’une nature ou d’une autre ne sont plus de saison, particulièrement en Belgique. Je désire en voir disparaître les vestiges. Je désire que le progrès moral qui amène le progrès dans les formes, je désire que les parents exempts de craintes pour leurs enfants obligés de servir l’Etat, ne s’inquiètent plus ou s’inquiètent peu, en temps de paix, de cette obligation. Si mes vœux se réalisaient complètement, ne serait-ce pas un bien pour tous ? pour l’officier, pour le jeune soldat, pour les parents de celui-ci, pour la société toute entière ? ce que j’ai dit m’a été inspiré par d’excellents officiers supérieurs ou de moindre rang. On le qualifiera peut-être de sermon. Le sermon, si sermon il y a, vient de bonne source. Je suis l’écho de militaires intelligents et généreux, qui ne craignent ni la poudre, ni les boulets, et qui conçoivent leur mission, lorsqu’elle doit être pacifique, comme lorsqu’il faudrait combattre l’ennemi. Je suis l’écho d’une foule de pères de famille pauvres ou peu riches qui ne peuvent fournir de remplaçants ; et je prie M. le ministre de la guerre, dont je connais les excellentes intentions, de les faire prévaloir efficacement dans le véritable intérêt de l’armée.

Le sujet que je viens de traiter, messieurs, est délicat, il est grave, il n’est pas agréable d’en parler, car il n’est pas facile d’en bien parler ; mais je ne suis pas ici pour mon agrément, je n’y suis pas pour éviter les difficultés.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – L’honorable membre vous a parlé d’aumôniers militaires et de leur service qui, dit-il, n’est pas uniforme.

J’aurai l’honneur de faire observer que, pour leur service d’aumônier, ils reçoivent directement les instructions des évêques, que nous ne pouvons rien leur prescrire sous ce rapport.

Nous avons donné quelques instructions, basées d’un côté sur la liberté des cultes, et de l’autre côté, sur cet intérêt que portent les pères de famille à ce que leurs enfants puissent continuer à suivre les principes religieux qu’ils ont reçus.

Messieurs, des dispositions sont prises pour que les jeunes soldats puissent se livrer aux devoirs de la religion, sans que personne vienne les entraver sous ce rapport, et pour que les aumôniers puissent être reçus dans les casernes et dans les hôpitaux. Je crois donc, messieurs, que les parents doivent avoir tous les apaisements désirables. Leurs enfants peuvent se livrer aux devoirs religieux, comme s’ils appartenaient à tout autre état que l’état militaire.

M. de Mérode – Je demande la parole.

Plusieurs membres – La clôture !

- La clôture est mise aux voix et n’est pas adoptée.

M. de Mérode – Messieurs, je n’ai qu’une observation à faire.

M. le ministre de la guerre a manifesté de nouveau les bonnes intentions que je lui reconnais. Mais, dans tout ce que j’ai dit, il a pu voir mon désir que ces bonnes intentions fussent généralement exécutée.

Chacun m’aura compris et M. le ministre de la guerre aussi.

- La discussion est close.

L’art. 6 est mis aux voix et adopté.

M. le président – Des amendements ayant été adoptés, le second vote doit être remis à lundi.

Plusieurs membres – A demain !

- La chambre consultée décide qu’elle procédera demain au second vote.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.