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Sommaire
1)
Pièces adressées à
2)
Dépôt du rapport sur le projet de loi relatif au canal latéral de
3) Projet de loi sur l’organisation de l’armée. Discussion générale. Inadéquation de la portée du projet de loi, portée du principe de neutralité garantie, découragement dans l’armée par suite de mesures de favoritisme, du statut défavorable des officiers et de la position du régiment de réserve (Delehaye), réponse à l’interpellation de M. Castiau et portée de la loi (du Pont), considérations générales sur le nombre et la qualité des militaires (Lys, Pirson) garde civique (Pirson), portée de la loi et considérations générales (de Man d’Attenrode, Beuckers)
(page 1287) (Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une
heure un quart. La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de
la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.
Pièces adressées à
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces
adressées à la chambre :
« Le sieur
Niels-Jean Falk, second de navire au long cours, à Anvers, né à Bergen
(Norwège), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au
ministre de la justice.
_______________________
« Plusieurs
cultivateurs dans la commune d’Anseroeul demandent l’adoption de la proposition
de loi sur les céréales présentée par 21 députés. »
« Même
demande des cultivateurs d’Estampuis, Leers-Nord, Erregnies, Pecq, St-Léger,
Warcoing, Estaimbourg, Blandain, Templeuve, Nechin, Ramegnies-Chin, des membres
de l’administration communale de Heur-le-Tixhe, de propriétaires et
cultivateurs de Tongres. »
- Renvoi à
la section centrale qui sera chargée d’examiner la proposition de loi.
__________________
« Plusieurs cultivateurs de
Thulin, St-Guislain, Boussu et Hornu prient la chambre d’ordonner une
enquête sur les chances d’accident que présente à tout instant la traversée à
niveau de la station de Mons à Quiévrain, par les chemins de fer concédés du
Haut et du Bas-Flénu et de St-Ghislain. »
M. Sigart – Déjà
dans la discussion du budget des travaux publics on nous a signalé le danger
des passages à niveau de divers chemins de fer industriels sur le railway de
l’Etat ; j’étais en position et j’ai eu un moment le désir d’ajouter
quelques traits au tableau que l’on nous a signalé. Si je ne l’ai pas fait,
messieurs, c’est que je croyais le mal sans remède. Aujourd’hui, voici venir
une pétition qui prétend que ce remède existe, et qui demande une enquête pour
le constater. Nous touchons au terme de nos travaux, je crois donc que c’est le
cas où jamais, pour la chambre, d’ordonner un rapport, et un très-prompt
rapport.
- Cette
proposition est adoptée.
____________________
« Plusieurs
brasseurs, distillateurs, fabricants, aubergistes et fermiers à St-Nicolas
demandent le rejet de la proposition de loi sur les céréales présentée par 21
députés. »
- Renvoi à
la section centrale qui sera chargée d’examiner la proposition.
_____________________
« Message
de Monsieur le ministre de l'intérieur, accompagnant l’envoi des avis de la
commission d’agriculture du Hainaut, de la chambre de commerce de Charleroi, de
la députation permanente du Hainaut, de la commission d’agriculture et de la
députation permanente du Limbourg sur la question des céréales. »
- Dépôt sur
le bureau pendant la discussion de la loi.
M. le président – Je saisis cette occasion pour faire remarquer
que la chambre a renvoyé aux sections de janvier la proposition faite par 21
membres et aux sections de février le projet de loi adopté par le sénat. Il
serait convenable que les mêmes sections examinassent les deux projets. J’en
propose le renvoi aux sections de février, qui seront convoquées demain.
- Adopté.
______________________
« Il
est fait hommage à la chambre par M. Vandermaelen, fondateur de l’établissement
géographique, des six premières feuilles qui ont paru de la carte topographique
du royaume à l’échelle de 1/80,000. »
- Dépôt à
la bibliothèque.
M. Lesoinne, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif au
canal latéral de
- La chambre ordonne l’impression et la distribution
de ce rapport, et met (page 1288) le projet de loi à l’ordre
du jour en même temps que celui relatif au chemin de fer de Jurbise.
Discussion générale
M. le président – La discussion continue sur l’ensemble du
projet de loi.
La parole
est à M. Delehaye.
M. Delehaye – Un honorable ministre, aux connaissances, à
l’activité duquel chacun de nous rend hommage, vous disait hier que, quoique
placé dans des conditions plus favorables que nous pour apprécier le projet
d’organisation présenté, il n’était pas capable d’en apprécier les diverses
dispositions. Si lui, qui a à sa disposition les documents du ministère, qui
peut à toute heure du jour consulter ses collègues, s’exprime ainsi,
pensez-vous que le congrès, déclarant que les chambres seraient appelées à
régler l’organisation militaire du pays, ait entendu par organisation de
l’armée un projet tel que celui qui nous est présenté ? Quand le congrès a
parlé d’une organisation militaire, il a entendu l’organisation de tout ce qui
se rattache à la défense du pays, tout ce qui constitue l’armement militaire,
la garde civique, la marine, l’avancement, l’enrôlement, le maintien, la
construction ou la démolition de forteresses, en un mot tout ce qui lui est
propre.
Voilà ce
qu’on peut appeler l’organisation militaire d’un pays. Mais prétendre que ce
qu’on nous a soumis, consistant à énumérer le nombre de régiments, déclarer
combien d’hommes appartiendront à chacun de ces régiments, soit l’organisation
dont a parlé le Congrès, non, messieurs, c’est là une erreur, et il serait
inutile de chercher un exemple dans aucun autre pays constitutionnel de
l’Europe, vous n’en trouverez aucun dont les chambres aient été appelées à
statuer sur de semblables questions.
Remarquez
une chose, messieurs, c’est que presque tous les militaires, tous les hommes de
l’art, et je parle des hommes de l’art d’un grand mérite, qui ont traité la
question, ont émis une opinion différente. Si les uns ont voulu que
l’infanterie fût plus forte que la cavalerie, d’autres ont voulu le
contraire ; d’autres ont fixé un contingent plus nombreux, une proportion
plus forte à la cavalerie. Il y a, je le répète, presque autant d’opinions que
d’individus que se sont occupés de la question.
Que
résulterait, messieurs, pour la chambre, si le projet de loi était
adopté ? L’armée se trouve aujourd’hui représentée par un honorable
général qui appartient à l’artillerie. Eh bien, j’ai entendu dire que c’est précisément
l’artillerie qui est la plus favorisée par le projet.
Messieurs,
je désire que l’honorable général du Pont reste longtemps encore à la tête du
département de la guerre ; mais supposons un moment que le ministre actuel
vienne à être remplacé par un général de cavalerie ou d’infanterie ; qui
vous dira que ce général admettra le système qui vous est proposé ? Qui
vous dit qu’un autre général, appartenant à une autre arme, ne sera pas
entièrement opposé à ce système ?
Ainsi, en
adoptant les dispositions qu’on vous propose, non-seulement vous vous enlevez
le droit de modifier à l’avenir le chiffre du contingent de l’armée, de statuer
sur tout ce qui concerne l’armée, mais il peut se faire qu’un
nouveau ministre, venant aux affaires, ne partage pas l’opinion
consciencieusement émise par M. le ministre actuel. Ainsi, non-seulement, comme
vous le disait hier Monsieur le ministre de l'intérieur, le vote du contingent
de l’armée ne serait plus qu’une formalité oiseuse que vous rempliriez parce
que
Messieurs,
nous ne devons pas perdre de vue la position de neutralité qui nous est faite.
Je sais aussi que l’armée, pour qui cette neutralité est surtout funeste, ne
l’a pas acceptée avec satisfaction. Mais enfin elle a compris que notre
position est telle que, placés au milieu des grandes puissances, il a fallu se
courber devant une volonté à laquelle il nous était impossible de
résister ; et ce n’est pas trop présumer de notre armée que de dire
qu’elle respectera aussi bien que nous la décision qui a été prise à notre
égard.
Dans un
pareil état, l’avancement ne saurait être rapide ; l’armée conçoit que la
neutralité est un obstacle à ces avancements que nous voyons se reproduire
souvent dans un pays dont la condition politique est parfaitement indépendante.
Messieurs,
quelles sont les conséquences de cette neutralité ? L’avons-nous acceptée
par goût ? Evidemment non. Il y a plus, cette neutralité nous a été
imposée, non pas dans notre intérêt, mais dans l’intérêt des puissances qui
nous avoisinent. C’est parce qu’il convenait aux cinq puissances qui ont décidé
de notre sort, que
Ainsi,
messieurs, cette question de neutralité doit dominer toute la question. Il n’en
est pas d’autre, pas même la question des finances, qui doive exercer sur nous
une influence aussi grande. Eh bien, messieurs, examinons les différentes
phases qui peuvent se présenter en présence de notre neutralité ?
Le deuxième
danger, c’est une attaque de la part d’une puissance de la force de la nôtre,
de
Reste une
troisième éventualité, c’est celle d’une lutte entre deux puissances du premier
ordre. Supposons, par exemple, que la guerre éclate entre
Supposons
que les forteresses du midi soient menacées ; votre armée de campagne
viendra à leurs secours, mais alors vous abandonnerez à l’étranger les
forteresses du nord, entièrement privées du secours de l’armée de campagne qui
sera employée au sud. Il suffira d’un coup de main pour s’en emparer, et ainsi
vous courez précisément au danger que vous voulez éviter.
La
prodigalité, disait hier un honorable député de Bruxelles, ne consiste pas à
dépenser trop, mais elle consister à dépenser mal à propos. Ici il y aurait une
véritable prodigalité à vouloir mettre sur pied une armée considérable. L’armée,
telle qu’elle existe aujourd'hui, avec le patriotisme qui l’anime, avec les
connaissances de ses officiers, cette armée sera toujours suffisante pour
repousser les attaques d’une puissance de même ordre que
Quant aux
autres éventualités, nous ne devons pas y songer, car alors ce n’est pas
l’armée que le gouvernement veut mettre sur pied, qui pourrait suffire à la
défense du territoire.
On nous a
parlé beaucoup, messieurs, du découragement de l’armée ; on nous a dit
qu’il fallait relever le moral de l’armée. En effet, j’ai quelquefois
l’occasion de me trouver en rapport avec plusieurs officiers, et j’ai cru
remarquer aussi qu’il y a quelque découragement dans l’armée ; mais ce
découragement cessera-t-il quand vous aurez déclaré qu’il y aura tant de
régiments de telle autre, tant de régiments de telle autre arme ? Ce qui
décourage l’armée, c’est que nous avons été témoins d’une partialité, je ne
dirai pas inconcevable, mais d’une partialité révoltante. Nous avons vu, par
exemple, mettre à la retraite des hommes à la fleur de l’âge, bien portants et
propres au service, tandis qu’on en maintenait d’autres qui se trouvaient dans
des conditions bien moins favorables.
Je citerai,
à cet égard, un exemple, et je le ferai d’autant plus volontiers, que le fait
ne concerne pas M. le ministre de la guerre. M. le ministre des affaires
étrangères vient de mettre en disponibilité un homme à la force de l’âge, un
homme qui avait gagné tous ses grades dans le service actif, un homme qui
appartenait à une arme spéciale, tellement spéciale qu’il est presque
impossible de la trouver encore en Belgique ; je veux parler de la marine.
Eh bien,
messieurs, de pareils faits doivent nécessairement décourager l’armée.
Nous avons
vu un autre fait, et je vous avoue, messieurs, que je ne sais pas si le
ministère actuel s’en est rendu coupable ; on a accusé le gouvernement
d’entretenir dans l’armée une espèce d’espionnage. C’est là ce qui doit
démoraliser l’armée. Rien n’est plus propre, en effet, à décourager des hommes
d’honneur, des hommes loyaux, comme le sont généralement des officiers belges.
Une
troisième cause de découragement, c’est la triste position que l’on fait aux
officiers et aux sous-officiers mis à la retraite. Le gouvernement fait tout ce
qu’il peut pour empirer la position de ces derniers. Comment qualifier la
mesure qui a été prise par M. le ministre des travaux publics consistant à ne
pas admettre, pour certains emplois du chemin de fer, des hommes âgés de plus
de 27 ans ? Il résulte de là qu’un homme qui a été sous-officier pendant
dix ans, qui s’est conduit toujours de la manière la plus honorable, ne peut
pas obtenir une place au chemin de fer, parce qu’il est âgé de plus de 27 ans.
Voici,
messieurs, un autre fait. Je connais un capitaine, je ne le nommerai pas pour
ne pas empirer encore sa position ; je suis convaincu que M. le ministre
de la guerre a trop de loyauté pour faire un grief à cet officier, de
l’observation que je vais présenter, mais comme les ministres changent, je ne
veux pas l’exposer aux chances de l’avenir. Je ne citerai pas le nom du
militaire dont il s’agit ; ce capitaine a plus de 30 ans de service ;
il a fait plusieurs campagnes ; il était à la bataille de Waterloo ;
il vient d’être mis à la retraite avec une pension de 800 fr., tandis que, si
l’on avait attendu trois mois de plus, il avait droit à 1,000 ou 1,100 fr. Je
le demande, est-ce là un acte de loyauté ? Est-ce ainsi qu’on obtiendra
une bonne armée ?
Ce qui doit
encore décourager l’armée, c’est le cumul qu’on admet au profit de certains
officiers. J’en connais un qui occupe à la fois cinq ou six places ; il
est, tour à (page 1289) tour, supérieur et inférieur, et en ces différences
qualités, il s’adresse des correspondances à lui-même comme à son supérieur, et
en terminant la lettre, il ne manque jamais de s’adresser le compliment
d’usage : « Je suis dans les sentiments de haute estime, etc. »
Eh bien, messieurs, au moyen des différentes places que l’on a données à cet
officier, on pourrait contenter cinq à six personnes, et dans une armée aussi
restreinte que la nôtre, il faut tâcher, autant que possible, que tout le monde
soit satisfait de sa position.
Enfin, il
est un autre motif de découragement pour l’armée, et celui-ci je l’indique
d’autant plus de plaisir que je suis persuadé que la sympathie de M. le
ministre est acquise à ceux auxquels je vais faire allusion. Je veut parler du
malheureux régiment de réserve. Il y a quelques années, les officiers de ce
régiment, contrairement aux dispositions de la loi, ont subi une réduction de
traitement qui a eu pour résultat une misérable économie de 90 à 100,000 fr.
Pour en venir là, on a condamné les officiers à une position excessivement
gênante.
Toute cela,
messieurs, n’est-il pas de nature à décourager l’armée ? Lorsque de
pareils faits sont posés, est-il étonnant que des officiers quittent
M. le ministre de la guerre
(M. Du Pont)
– La loi sur
l’avancement s’y oppose.
M. Delehaye – Je le sais bien, mais le gouvernement cherche
quelquefois à faire modifier les lois ; je désire vivement qu’il ne soit
apporté à la loi sur l’avancement aucune modification de nature à permettre une
mesure semblable à celle dont je viens de parler.
Messieurs,
je vous ai avoué que les questions militaires ne sont pas de ma compétence.
Mais aussi j’ai eu recours aux lumières des hommes spéciaux, aux écrits concernant
la matière, et ce dont je suis le plus convaincu, c’est que
Mais il
faut que cette armée soit fortement organisée, il faut surtout qu’on relève son
moral, et un des meilleurs moyens d’obtenir ce résultat, c’est de donner aux
officiers et aux sous-officiers en retraite la préférence pour les places
qu’ils pourraient remplir. Je ne vois pas pourquoi l’on ne donnerait pas à des
officiers en retraite des places de commissaire de district, de gouverneur
même ; pourquoi ne leur donnerait-on pas également des recettes ? Je
connais, pour ma part, des officiers très-instruits, très-capables de remplir
convenablement les fonctions que je viens d’indiquer. De cette manière on
encouragerait véritablement l’armée. Si l’on prenait de semblables mesures, si
l’on faisait tout ce qui est possible de faire pour encourager l’armée, je dis
que 25 mille hommes suffiraient pour repousser toute attaque de la part d’une
puissance de l’ordre auquel nous appartenons.
Votre
armée, dis-je, est assez forte pour repousser victorieusement une pareille
attaque.
Je n’en
dirai pas davantage pour justifier mon vote.
Je voterai
non-seulement contre le projet du gouvernement, mais contre celui de la section
centrale, parce que cette matière rentre dans les attributions du pouvoir
exécutif, parce qu’il n’ y a pas d’exemple que jamais un pouvoir exécutif, ait
saisi une législature d’un projet tel que celui qui nous est présenté, parce
qu’il n’y a parmi vous personne, sauf
le très-petit nombre qui fait partie de l’armée, qui puisse dire s’il faut
plutôt 10,000 hommes d’infanterie et 5,000 hommes de cavalerie que l’inverse.
Personne d’entre vous, pour ainsi dire, ne peut apprécier la proportion entre
l’infanterie, la cavalerie, l’artillerie et le génie.
Remarquez
d’ailleurs que votre résolution ne changerait rien à l’affaire ; car, je
vous le demande, qu’auriez-vous fait ? En votant le budget du département
de la guerre que faites vous ? Vous prenez en considération le nombre
d’hommes qui sont sous les armes. Quelle différence y a-t-il à voter le projet
présenté ? La seule que voici : c’est qu’avant de voter le budget,
vous votez le nombres des hommes composant l’armée. Quelles en seraient les
tristes conséquences ? Que vous seriez lié les mains pour le budget, pour
la fixation du contingent. Ensuite dans le projet tel qu’il est, il pourrait se
faire que l’organisation que vous adopteriez pourrait bien ne pas convenir à
celui qui serait appelé à remplacer le ministre actuel ; il serait gêné
dans ses travaux et pourrait décliner la responsabilité de sa conduite.
Si, au lieu
d’un général appartenant à l’artillerie, vous aviez un général de cavalerie ou
de génie, il est possible qu’il préférât des proportions tout autres que celles
du projet, et dans ce cas vous devriez de nouveau voter une loi d’organisation.
Un de mes
honorables amis a dit que le projet, tel qu’il est présenté, est une
mystification. Quelque fort que soit ce terme, je ne puis en employer d’autre.
C’est une mystification d’autant plus inconcevable, que c’est le gouvernement
qui abandonne sa prérogative, pour en investir le corps législatif, qui vient
abandonner aux discussions de la chambre une question qui est dans ses attributions.
M. d’Huart – Et
M. Delehaye –
En réponse
à l’honorable membre qui me fait l’honneur de m’interrompre, je dirai qu’en
France il y a également une disposition qui charge les chambres de régler
l’organisation de l’armée, et que cependant jamais les chambres n’ont été
appelées à régler l’effectif de l’infanterie, de la cavalerie, du génie et de
l’artillerie.
Puisqu’on a
invoqué l’histoire, je rappellerai que pendant la révolution française les
assemblées voulurent se mêler de l’organisation de l’armée, et d’envoyer aux
armées en campagne, des dispositions qui modifiaient les plans des généraux.
Qu’arriva-t-il ?
Que les généraux ne tinrent aucun compte de ces ordres ; et c’est ainsi
qu’ils sont parvenus à sauver la république et le grand principe dont nous
profitons encore aujourd’hui.
Je me
résume. J’ai déclaré que l’organisation projetée appartient au pouvoir
exécutif. Sur ce point nous devons envisager et nos ressources et les dangers
auxquels nous nous exposons. Selon moi, il n’y a aucun danger ; et nos
ressources sont telles que vous ne pouvez dépasser le chiffre de 25 millions
pour le département de la guerre. Je voudrais que le gouvernement mît à la
disposition du gouvernement 25 millions, moyennant quoi, il organiserait
l’armée comme il l’entendrait, sauf aux chambres à forcer le ministère à
changer les résolutions qu’il pourrait prendre, si elles n’étaient pas
satisfaites de cette organisation.
On aurait
tort d’organiser l’armée en vue d’une lutte contre les grandes puissances. Car
lutter contre ces puissances ce serait vouloir lutter contre
Cette
position est critique, sans doute, mais le gouvernement l’a plusieurs fois
acceptée. C’est ainsi qu’il a proposé aux chambres de se conformer à la
décision de
Je me borne
à former le vœu qu’on mette à la disposition du ministre de la guerre, la somme
de 25 millions de francs ; il en disposera. Libre ensuite à la chambre de
refuser ou d’accorder sa confiance au gouvernement, suivant que celui-ci aura
répondu à son attente. C’est vous dire, messieurs, que toute proposition qui
aura pour effet de nous imposer aujourd'hui une dépense excédant cette somme,
n’aura point mon assentiment.
M.
le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Dans le discours prononcé hier par l’honorable M. Castiau, et dans
celui que vient de prononcer l’honorable M. Delehaye, il a été soulevé quelques
questions importantes ; et il a été adressé quelques reproches au ministre
de la guerre. Je ne m’attacherai pas à me justifier longuement de ces
reproches ; je dirai seulement que, quant à ce qui a été dit de
l’arbitraire, du favoritisme et de la partialité qui tendraient à régner dans
l’armée, je dois protester de toutes mes forces contre une pareille
supposition, et que je ne puis accepté aucun blâme à cet égard.
J’ai déjà
eu l’occasion de faire connaître à la chambre quels sont les principes qui me
guident. J’y serai fidèle, tant que j’aurai l’honneur de siéger sur ce banc. Je
n’ai jamais eu d’autre mobile que l’intérêt général. Je continuerai à donner
tout mon temps à l’accomplissement consciencieux de mes devoirs ; je
m’attacherai à me conformer toujours à nos lois et règlements, à m’entourer, dans
mes travaux, des documents et des propositions que m’adresseront les chefs de
l’armée.
Je passe à
l’examen des questions spéciales.
L’honorable
M. Castiau a trouvé notre système de recrutement mauvais. Quoique la discussion
de cette question doive se présenter tout naturellement lorsque la chambre
s’occupera du projet de loi sur la milice, je crois devoir répondre dès à
présent sur ce point.
Cet
honorable membre a dit que nous n’avons pas suffisamment étudié ni appliqué le
système de recrutement prussien.
Je me
propose, messieurs, d’établir ici que si notre système de recrutement est bon
et peut être reconnu comme tel par tous, c’est précisément à cause de sa
connexité avec les systèmes admis en Prusse, en France, en Sardaigne et chez la
plupart des nations renommées pour leur organisation militaire.
Pour le
moment, messieurs, il me suffira de comparer les bases du recrutement chez les
principales de ces nations.
Remarquons
d’abord, messieurs, que l’organisation de la force armée est loin d’être
uniforme dans les divers Etats de l’Europe. Il est cependant quelques principes
sur lesquels on semble généralement d’accord, et l’un de ces principes est que
la force publique doit se composer de trois parties, savoir :
1 ° L’armée
permanente ;
2° La
réserve de l’armée permanente ;
3° Les
gardes citoyennes.
Il a été
reconnu partout que les engagements volontaires ne suffisent pas pour
l’entretien de l’armée permanente et ne fournissent aucune ressource pour la
réserve.
Dans
quelques pays, comme en Prusse, en Autriche, en Bavière et dans la plupart des
Etats de la confédération germanique, le service est obligatoire pour tous les
citoyens. Tous les jeunes gens, soit de l’âge de 19, soit de l’âge de 20 ans,
sont généralement inscrits, et le gouvernement désigne les hommes qui doivent
entrer dans le contingent annuel.
Dans
d’autres pays, tels qu’en France, en Belgique, en Hollande, en Sardaigne (page
1290), les jeunes gens de 18, 19 ou 20 ans sont également inscrits,
et c’est le sort qui désigne ceux qui doivent prendre place dans les régiments.
Au bout
d’un nombre d’années qui, en général, est plus considérable lorsque l’effectif
du pied de paix est plus fort relativement à l’effectif de guerre, ces jeunes
militaires rentrent dans leurs foyers et y jouissent, soit de congés temporaires,
soit de congés illimités. C’est, en général, de ces hommes en congé que se
composent :
1° Le
complément de l’armée active ;
2° La
réserve de cette armée.
Passons à
l’exposé de quelques détails sur l’application de ces principes dans la plupart
des Etats.
En Prusse,
l’âge de l’inscription est 20 ans ; le service est d’abord de 5 ans dans
l’armée, dont 1 ½ à 3 ans consécutifs dans les rangs, et le reste en congé dans
la réserve de l’armée ; ensuite de 7 ans dans le premier ban de la
landwehr, et de 7 ans dans le deuxième ban.
Les
sous-officiers et soldats sont ainsi placés de l’âge de 25 à 30 ans dans
l’armée permanente et sa réserve proprement dite ; de 25 à 32 dans la
landwehr du 1er ban, que l’on peut considérer comme la véritable
réserve de l’armée active ; de 32 à 39 dans le landwehr du 2e
ban, qui a le plus d’analogie avec les gardes nationales ou civiques ; ils
passent ensuite de l’âge de 40 à 50 ans dans le landsturm.
L’Autriche
n’a pas de mode de recrutement uniforme. En général, les jeunes gens de 19 à 29
ans sont inscrits pour le service. Le gouvernement en dispose à volonté selon
ses besoins.
Dans les
provinces autrichiennes, la durée du service est ordinairement de 14 ans passés
en activité ou en congé ; dans les provinces italiennes, elle n’est que de
8 ans.
En sortant
de l’armée active, le soldat de toute arme entre dans la landwehr pour y rester
jusqu’à l’âge de 38 ans.
En Bavière,
l’inscription se fait à 20 ans ; la durée du service dans l’armée
permanente est de 6 ans, dont une partie est passée en congé.
La réserve
se compose : 1° de tous les militaires qui ont accompli leur temps de
service (ils doivent y passer 14 ans) ; 2° des conscrits que le sort n’a
pas appelés sous les drapeaux (ils sont compris dans la réserve pendant 20 ans).
Il résulte
du rapport sur le budget bavarois que cette réserve n’est pas encore
organisée ; toutefois, en cas de guerre, le gouvernement pourrait disposer
des classes qui la composent.
En
Hollande, le tirage au sort a lieu à 18 ans ; la durée du service des
miliciens est de cinq années, dont la première passée dans les foyers, la
seconde, six et même trois mois au corps et le reste en congé, sauf la réunion
annuelle pendant un mois.
La
schuttery s’étend depuis l’âge de 25 jusqu’à 35 ans. Le maximum d’effectif du
premier ban est de 2 p.c. de la totalité des hommes inscrits. Ils appartiennent
d’abord, pendant cinq années, au détachement actif de leur arrondissement, et
pendant cinq autres années à la réserve.
En Piémont,
c’est à 19 ans que les jeunes gens sont appelés au service. Le contingent de
chaque année se divise en deux catégories. La première est celle des soldats
permanents ou d’ordonnance. Ces militaires doivent servir sous les drapeaux
pendant huit ans consécutifs. La deuxième catégorie est celle des soldats
provinciaux. Leur service dans l’armée active est aussi de huit ans, dont 14
mois seulement sous les armées. Ils passent ensuite huit ans dans les
bataillons provinciaux qui forment la réserve de l’armée.
Dans cet
état, l’effectif du pied de paix se compose : 1° Des soldats de
l’ordonnance ; 2° dans l’infanterie, d’une classe ; dans la cavalerie
et dans l’artillerie, de trois classes de provinciaux.
On
n’incorpore dans l’ordonnance d’autre partie du contingent annuel que celle qui
est nécessaire pour compléter cette partie de l’armée, qui se compose du reste
des volontaires et des remplaçants.
Les soldats
appartenant à l’ordonnance proprement dite sont congédiés définitivement au
bout de 8 ans de service consécutif ; les soldats provinciaux le sont au
bout de 16 ans dans l’infanterie et de 13 ans dans l’artillerie et la
cavalerie.
Cette
organisation a, de fait, beaucoup de rapports avec celle de l’armée belge, où
l’on compte également, d’un côté, les soldats permanents, savoir : les
volontaires et une partie des remplaçants, et de l’autre, les soldats
temporaires ou miliciens.
En Belgique
aussi, les premières classes des soldats temporaires concourent avec les
volontaires pour former des bataillons actifs, et les dernières classes forment
des bataillons de réserve. Seulement, la durée du service des soldats
temporaires est en Belgique de 8 ans, tandis qu’elle est de 16 en Sardaigne.
C’est cette différence qui permet à ce dernier pays de porter son effectif de
guerre à 140,000 hommes, tandis que notre maximum est de 80,000.
En France,
le tirage au sort se fait à l’âge de vingt ans, la durée du service a été
successivement de 6 et de 7 ans. D’après le projet de loi qui a déjà fait
plusieurs fois l’objet des discussions à la chambre des pairs et à de la chambre
des députés, cette durée sera à l’avenir de 8 ans et comptera à dater du 1er
juillet de l’année dans laquelle les jeunes militaires ont été inscrits.
Une partie
du temps de service est passée sous les drapeaux, l’autre en réserve ; les
soldats de la réserve sont soumis à des revues régulières, mais ne sont pas
encore encadrés.
Parlerons-nous
des ukases qui règlent les levées en Russie, de la durée du service, qui y est
de 25 ans ; enfin, des colonies militaires de ce pays ?
Parlerons-nous
des troupes suédoises, dont une partie se recrute par des engagements
volontaires, et dont les autres, composées de soldats entretenus par des
propriétaires fonciers, forment l’armée indelta (ce qui signifie distribuée sur
le sol) ?
De
pareilles institutions sont trop contraires à celles qui régissent notre pays,
pour qu’il puisse être utile d’établir une comparaison. Constatons seulement
que
Quant à
l’Angleterre, quant à l’Espagne, etc., les armées de ces pays se composent de
deux parties : 1° : les troupes de ligne ; 2° les milices.
Il résulte
de ce qui précède, que le recrutement de l’armée belge, qui trouve son origine
dans les lois de milice hollandaise, a beaucoup de rapport avec celui qui est
usité en Prusse, en Bavière, en Piémont et en France.
Si les
chambres admettent le projet de loi de milice qui leur a été soumis, l’âge de l’inscription,
qui est de 18 ans aujourd’hui, comme en Hollande, sera de 19 ans, comme en
Piémont et en Autriche. L’incorporation conformément au projet de loi français,
comptera à dater du 1er juillet, ce qui reculera de fait de 18 mois
l’âge fixé pour l’appel au service militaire, et nous rapprochera entièrement,
sous ce rapport, du système prussien ou bavarois.
De même
qu’en France, en Hollande et dans le Piémont, une fraction assez importante de
notre armée se compose de volontaires.
La durée du
service des miliciens est de 8 ans, comme en Piémont, dans les provinces
italiennes de l’Autriche, comme on le propose en France.
Nos
miliciens seraient, comme en Prusse, pendant 5 ans, en activité ou en congé
limité.
Nous aurions
trois classes de réserve, tandis que
De même
qu’en Prusse, en Autriche, en Piémont et dans presque tous les Etats allemands,
notre réserve serait exclusivement composée de soldats exercés, et nous
cesserions, comme on semble le désirer généralement en France, de compter dans
une partie de nos levées, de jeunes soldats non encore exercés.
Enfin, de
même qu’en France et en Hollande, nos gardes citoyennes s’alimenteraient
annuellement d’une bonne partie de miliciens et de volontaires qui auraient
achevé leur terme dans l’armée permanente.
Tant de
points de similitude avec des armées qui passent pour être les mieux
organisées, plaident en faveur de notre système de recrutement, et les
nombreuses améliorations que l’expérience nous y a fait successivement
introduire, sont encore la garantie que ce système doit satisfaire pleinement à
tous nos besoins.
Dans les
différentes occasions où les diverses classes de milices et toutes nos réserves
ont été réunies, vous avez pu, messieurs, vous faire une idée des résultats de
nos lois actuelles et de ce que sera l’armée quand vous aurez introduit dans
les lois de milice les modifications qui vous ont été proposées.
Vous avez
pu voir avec quelle promptitude nous pouvons réunir, au besoin, nos nouveaux
permissionnaires, et combien il aura fallu peu de temps de rappel sous les
armes, pour prendre tout l’aplomb de vieilles troupes.
Vous avez
pu voir, sous le rapport économique, notre système est des plus avantageux, en
ce qu’il permet de disposer à chaque moment d’une armée de 80,000 hommes, alors
que, d’après le budget, on n’en solde que 30,000.
Gardons-nous
de renoncer à la légère à des institutions qui sont le fruit de longues
épreuves, pour en admettre d’autres que toutes les nations ont repoussées
jusqu’ici ou dont l’histoire des peuples nous font voir les funestes résultats.
Gardons-nous
bien, d’une part, d’admettre un effectif tel qu’on puisse le garder
perpétuellement sous les drapeaux, et de renoncer à la formation des réserves
exercées qui font aujourd’hui la force des armées.
Gardons-nous,
d’un autre côté, de négliger de nous préparer longtemps d’avance à la guerre et
de nous en remettre pour la défense du pays, à des armées levées à la hâte, que
l’honneur national animera sans doute, mais qui sentiront toute leur
infériorité dès qu’elles seront opposées à des troupes instruites et bien
disciplinées, qui joindront au même degré de patriotisme toute la force de
l’esprit de corps, toute la constance qu’inspire l’homme militaire.
Les
modifications introduites dans le projet de loi sur la milice sont celles qui
ont été indiquées par des notabilités militaires. Toutes pensent qu’au moyen de
ces modifications, notre système sera excellent. De longues années d’épreuve
leur donnent cette confiance.
Je pourrais
encore m’appuyer de l’opinion de ces hommes d’expérience et de ces généraux
étrangers qui ont, pendant plusieurs années, compté dans les rangs de notre
armée. La bonne composition de nos troupes ne leur a jamais paru douteuse, ils
les ont toujours jugées capables de remplir dignement leur mission. Oui,
messieurs, c’est à la tête de nos soldats formés selon les institutions
militaires actuelles que ces officiers distingués comptaient continuer ou
achever une carrière de gloire.
(page
1291) Améliorons encore, mais ne condamnons pas un système auquel
nous avons dû ces armées de 1832, 1833 et 1839 que vous trouviez dignes alors
de défendre les intérêts et l’honneur belges et qui, si les circonstances
l’eussent permis, auraient dignement répondu à votre patriotique attente.
L’honorable
M. Castiau a soulevé aussi la question de l’emploi de l’armée aux travaux
d’utilité publique. Messieurs, nous avons déjà commencé l’étude de cette
question, et un arrêté du 29 septembre
Cela se
conçoit, messieurs, d’après le principe établi en France, et adopté chez les
autres nations, en ce qui concerne le salaire des soldats travailleurs. Ce
principe est celui-ci : c’est qu’il faut ajouter à la solde et aux autres
allocations du soldat ce qui est nécessaire pour arriver à un salaire égal à celui
de l’ouvrier bourgeois.
Or,
messieurs, il est une circonstance qui n’étonnera personne, c’est que le
militaire employé aux travaux d’utilité publique ne produit pas la même somme
de travail que l’ouvrier civil. Cela s’explique facilement, messieurs. Un
ouvrier ordinaire travaille pour subvenir à son entretien et à celui de sa
famille entière, tandis que le soldat a moins de soucis et se trouve déjà
pourvu de sa solde, de son pain, de tout ce qui lui est nécessaire. Il est
aussi la plupart du temps moins exercé au travail spécial que l’ouvrier
ordinaire. Aussi, il est admis, messieurs, que le travail du soldat n’est au
travail de l’ouvrier que dans la proportion de 6 à 10. Vous comprendrez dès
lors facilement que si vous payez ce soldat qui ne produit que six, autant que
l’ouvrier qui produit dix, le travail vous coûtera beaucoup plus cher, et que
l’emploi de l’armée aux travaux est en général une mauvaise opération.
Faut-il en
conclure, messieurs, qu’il ne faille jamais employer l’armée à des travaux d’utilité
générale ? Telle n’est pas notre opinion, et c’est dans la conviction
contraire que nous avons préparé l’arrêté dont j’ai eu l’honneur de vous parler
tantôt. Si les circonstances dans lesquelles l’armée s’est trouvée pendant
longtemps, se représentaient, si nous devions nous tenir sur un pied de
rassemblement, alors, messieurs, assurément, il serait avantageux d’employer
une partie de nos soldats répandus dans les cantonnements aux travaux d’utilité
générale, et en pareil cas nous n’aurions qu’à appliquer le règlement que nous
avons préparé.
Entre
temps, messieurs, je vous ferai remarquer que notre effectif actuel ne permet
pas d’employer une partie de l’armée aux travaux. Cet effectif suffit à peine
aux nombreux services dont l’armée est chargée dans les différentes garnisons.
D’ailleurs cet effectif comprend toujours les jeunes levées, les hommes qui ont
besoin d’être tenus sous les drapeaux pour y être exercés.
Je dis donc
que l’application de l’armée aux travaux ne pourrait se faire sur le pied actuel.
Il se
présente une autre question : Serait-il utile, par exemple, d’appeler
2,000 hommes de plus sous les armes pour leur faire exécuter des travaux ?
Cette question, messieurs, se trouve déjà résolue par les explications que je
viens de vous donner, et d’où il résulte que 2,000 militaires que vous
appelleriez sous les armes vous coûteraient plus cher que 2,000 ouvriers civils
que vous emploieriez aux travaux.
Nous avons
fait à ce sujet tout ce que nous pouvons faire pour le moment.
Je viens de
vous dire que nous avions établi un règlement pour le cas où des circonstances
favorables se présenteraient. D’un autre côté, messieurs, nous avons eu
l’honneur de vous soumettre un projet de loi d’après lequel il serait créé des
compagnies de pionniers, et nous avons cru devoir faire des essais qui nous
missent à même de juger de l’utilité que nous pourrions trouver plus tard à
l’emploi de nos pionniers. J’ai d’abord envoyé cinquante disciplinaires au camp
de Beverloo. Les résultats du travail (je m’en suis assuré l’année dernière à
l’époque du camp) ont été des plus favorables, autant sous le rapport matériel
que sous le rapport moral. Ces hommes, occupés du matin au soir, savaient
éviter les punitions auxquelles ils s’exposaient continuellement auparavant.
Beaucoup
d’entre eux se sont corrigés, et ont mérité de rentrer dans leur régiment.
L’utilité de la mesure ayant été reconnue, ce détachement a été porté à 150, et
nous avons formé le projet d’employer également les disciplinaires aux travaux
de déblai qu’il y aura à faire pour la citadelle de Diest.
Je passe
maintenant à la question des limites du projet de loi.
Avant de
vous présenter ce projet de loi, j’ai dû examiner quelles limites il convenait
de lui donner, pour accomplir le vœu de l’article 139 de
Les
principales parties de l’organisation de l’armée sont réglées depuis longtemps,
soit par des lois spéciales, soit par
Vous le
voyez, messieurs, toutes les bases de l’organisation ont leur sanction dans des
lois existantes. Il ne s’agit donc point de faire une loi organique proprement
dite, qui englobe toutes les parties de l’organisation de l’armée ; il
s’agit seulement de compléter la législation, afin de donner au pays de
nouvelles garanties d’une bonne administration et d’une sévère économie des
deniers de l’Etat.
J’ai pensé
que ce but sera atteint par le projet de loi que j’ai eu l’honneur de vous
présenter, messieurs. Les cadres de tous les états-majors sont fixés dans ce
projet, et le nombre global des officiers de troupes y est déterminé par armes
et par catégories.
Il me
semble que la législature doit trouver dans cette loi toutes les garanties
qu’elle peut désirer. Aucun emploi d’officiers ne pourra désormais être conféré
au delà des limites qui y sont fixées. C’est là le seul objet dont les chambres
puissent avoir encore à se préoccuper.
La
prérogative du commandement serait illusoire si la loi déterminait dans tous
ses détails la composition de chaque régiment, de chaque bataillon, de chaque
compagnie ; si elle ne permettait pas de modifier cette composition
suivant les progrès de la tactique et les enseignements de l’expérience.
J’ai
consulté, messieurs, les antécédents législatifs, et je n’ai trouvé nulle part
une loi qui détermine, d’une manière permanente, la composition des cadres à
l’armée. Je parle des pays monarchiques-constitutionnels ; car
Avant cette
époque, l’assemblé constituante avait, par son décret du 28 février 1793,
proclamé le roi : « Chef suprême de l’armée. »
Elle avait
ensuite résolu, dans le même décret, que les sommes nécessaires à l’entretien
de l’armée seraient votées annuellement par le législateur ; qu’il en
serait de même du nombre d’hommes dont l’armée serait composée et de la solde
de chaque grade.
Ce décret
posait le double principe d’un budget annuel de la guerre et d’une loi de
contingent, principe également consacré par notre constitution de 1830.
Mais à
dater du 22 mai de la même année, l’assemblée constituante commença à entrer
dans une voie qui s’écartait plus ou moins des principes qui ont servi de base
à notre régime constitutionnel actuel : elle décréta, sous cette date, que
« le droit de paix et de guerre appartient à la nation. » Et
cependant elle reconnut encore au roi, par le même acte, le droit de veiller à
la sûreté extérieure du royaume, de maintenir ses droits et ses possessions, et
elle ajouta ces paroles remarquables : « Lui seul peut faire les
préparatifs de guerre proportionnés à ceux des Etats voisins, distribuer les
forces de terre et de mer, ainsi qu’il le jugera convenable, et en régler la
direction en cas de guerre. »
Vinrent
ensuite un grand nombre de décrets et d’ordonnances fixant les bases de
l’organisation de l’armée et déterminant le nombre d’individus de chaque grade
dont l’armée serait composée, toutes dispositions portées sous l’influence des
événements qui se succédaient. Dispositions analogues cependant à celles du
projet de loi qui vous est aujourd’hui présenté.
Le 21 du
mois de juin 1791 eurent lieu la fuite du roi et son arrestation à Varennes. Le
décret du 25 du même mois le suspendit de ses fonctions et ordonna sa mise en
état d’arrestation. Les gardes nationales prirent alors, dans les
préoccupations de la législature, la place de l’armée.
Ce fut dans
ces circonstances que le roi accepta
Cette
Constitution ne reconnaissait au roi, ni le droit de proposer les projets de
loi à législature, ni le droit de faire la guerre. Et cependant elle le
proclamait chef suprême de l’armée, et elle n’attribuait au corps législatif
d’autre prérogative militaire que celle de statuer annuellement sur le nombre
d’individus dont l’armée serait composée, sur la solde et sur le nombre
d’individus de chaque grade.
On sait ce
qui se passa l’année suivante : la monarchie fut détruite officiellement
le 10 août. Depuis longtemps déjà elle avait cessé d’exister autrement que de
nom.
Je n’ai pas
à vous entretenir des lois de la république : ce régime n’a rien de commun
avec celui dans lequel nous vivons. Tout fut réglé par des lois,
Depuis
lors, il n’y est plus d’exemple en France d’une loi fixant la composition des
cadres.
Les bases
du projet que j’ai eu l’honneur de vous soumettre sont (p. 1292) conformes à
« La
commission, naturellement appelée à donner son opinion sur les modifications
qui sont apportées dans les cadres constitutifs des corps de l’armée, ne
pouvait se dispenser de vous faire remarquer les changements qui ont été
apportés dans le cadre de l’intendance, depuis le vote du budget de 1843.
« L’organisation
du 27 août 1840, rapprochée de celle du 21 janvier, présente les résultats
suivants : (…)
« Après
avoir rappelé la mobilité à laquelle l’organisation de l’intention a été successivement
soumise, nous ferons ressortir les changements qui apparaissent entre les deux
ordonnances constitutives, etc.…
« Sans
doute, M. le ministre de la guerre a L’INCONTESTABLE DROIT de modifier
l’organisation des cadres des divers corps et services de l’armée ; cela
est du domaine de l’administration. Cette faculté reste entière ; mais
il est aussi du devoir de vos commissions d’examiner quel effet ces
modifications peuvent avoir sur les dépenses de l’Etat, pour le présent et pour
l’avenir ; et même cela dût-il n’apporter aucun changement dans les
dépenses, elle n’en doit pas moins exprimer son opinion sur tous les actes
d’administration. Cet examen approbatif et critique ne saurait lui être
contesté. »
Voilà,
messieurs, comment on comprend les attributions de la législature, sous le
régime de la monarchie constitutionnelle, dans ce même pays où, sous un régime
bien différent, l’organisation de l’armée fut réglée par une loi. Certes
Ce n’est
pas d’ailleurs sans de graves motifs que partout on a laissé au gouvernement le
soin de régler la composition des différents corps de l’armée. Rien en effet
n’est moins susceptible de fixité. Les sciences militaires font tous les jours
des progrès, et chacun d’eux peut avoir pour résultat quelques modifications
des cadres.
Les
découvertes modernes font présager bien des modifications nouvelles encore. Se
condamner à rester stationner au milieu du mouvement général, ce serait, pour
Les
événements aussi, les vicissitudes politiques peuvent nécessiter à chaque
instant des modifications dans l’organisation de l’armée. De simples troubles
dans un pays voisin peuvent suffire pour imposer à la prudence du gouvernement
des mesures de précaution. Ces mesures il faudrait souvent en soumettre
l’adoption à des débats législatifs, si la loi comprenait tous les détails. Or,
tout le monde doit comprendre combien cette publicité serait dangereuse,
compromettante pour le pays dans certaines circonstances.
Il est,
vous le voyez, messieurs, une foule de considérations qui s’opposent à une
organisation de détail immuable.
En France,
une loi a été portée qui fixe le cadre des officiers généraux seulement, et
encore cette loi avait été réclamée par les chambres, non dans un but
d’économie, ni pour empêcher le gouvernement de modifier l’organisation de
l'armée, selon les besoins et les circonstances, mais dans l’intérêt seul et
formellement exprimé des officiers généraux, afin d’assurer leur position, afin
d’empêcher qu’on ne mît à la retraite les vieilles gloires de l’empire. Le
gouvernement accéda volontiers à ce vœu, comme le gouvernement belge accède
aujourd’hui à un autre vœu de la représentation nationale. Mais il est à
remarquer que nous allons plus loin qu’on ne l’a été en France, puisque nous
proposons de limiter le nombre d’officiers dans chaque arme et dans chaque catégorie.
Nous allons aussi loin qu’il est possible de le faire, pour donner un
sens complet au n°10 de l’article 139 de
M.
Lys – L’organisation de l'armée est une
des plus graves questions que la chambre ait à résoudre.
Avec des
corps de nouvelle formation, composés de soldats non rompus au métier, on a des
traînards, de l’hésitation et trop souvent du désordre sur le champ de
bataille ; on n’a jamais l’ensemble, ni le sang-froid désirables, qui sont
les causes et les éléments du succès. Certes, l’enthousiasme a produit de
grandes choses, mais l’enthousiasme peut faiblir et plus d’une fois la tactique
a triomphé de l’enthousiasme ; et alors le découragement, la
démoralisation, et à leur suite les maladies signalent les retraites et les
font dégénérer en déroute.
Que si maintenant
on remarque que les armées ont aujourd’hui acquis une mobilité inouïe ;
que si l’on remarque que l’on fait aujourd’hui manœuvrer des centaines de mille
hommes avec une précision, une célérité prodigieuses ; que l’on envahit un
pays entier comme autrefois on occupait une province, on reconnaîtra qu’il faut
à
Quant à la
force numérique de cette armée, elle doit être calculée d’après nos relations
internationales, l’étendue et les ressources du pays. Le chiffre proposé par la
section centrale, d’accord avec le gouvernement, n’est-il pas en disproportion
avec la force et les ressources du pays ? C’est un point qui, à nos yeux,
est hors de doute.
La section
centrale adopte le chiffre de la force numérique proposé par le gouvernement.
Elle se borne à vous demander quelques réductions sur les grades supérieurs,
principalement dans l’infanterie ; et on arrive ainsi à vouloir créer un
état de choses qui aura pour résultat de faire au pays une faible économie de
267,000 fr. La question capitale, celle qui domine toute la loi d’organisation
de l'armée, c’est la fixation du chiffre de sa force numérique ; a-t-on examiné et discuté la question de
savoir : si les ressources dont peut disposer le pays lui permettent de
grever son budget annuel d’une somme aussi considérable ? A-t-on examiné
et discuté la question de savoir si le chiffre de quatre-vingt mille hommes
permettait, en cas de guerre, à
Il est
contraire à tous les principes de faire des dépenses énormes, lorsque les
dépenses doivent être reconnues insuffisantes pour atteindre le but que l’on se
propose. La fixation de la force numérique de l’armée constitue donc toute la
difficulté. Et cette fixation dépendant du système de défense du pays, nous
avons dû être surpris du silence gardé par la section centrale, sur l’existence
de nos forteresses, sur leur défense et sur le besoin d’une armée pour tenir la
campagne. Le rapport est muet, sur une partie aussi essentielle, et qui aurait
dû longtemps occuper la section centrale.
Inutilement
et à pure perte, créez-vous des cadres pour 80 mille hommes, car cette armée
serait insuffisante pour défendre vos frontières contre l’invasion de
l’ennemi ; il vous faudrait une armée plus forte pour garnir vos places
fortifiées et pour faire respecter votre territoire. Vous voulez organiser une
armée suffisante pour tous les besoins qui se présenteront, soit pour la
défense des forteresses, soit pour tenir la campagne ; mais si vous aviez
une guerre, le besoin de garnir vos forteresses et de tenir la campagne
existerait, et vous devez en convenir, ce ne serait pas avec 80 mille hommes
que vous y satisferiez. L’armée qui vous serait nécessaire est tout à fait en
disproportion avec l’étendue et les ressources du pays. Cela est si vrai, qu’il
vous faudrait au moins deux cent mille hommes pour la défense seule de vos
forteresses, qui n’ont été construites que pour servir de boulevards au midi,
par les puissances qui y avaient intérêt et qui entendaient alors pourvoir à
leur défense. C’est là le langage que nous a tenu hier M. le ministre des
affaires étrangères.
M. le
ministre nous a donné la preuve qu’une armée de 80 mille hommes serait tout à
fait insuffisante en temps de guerre, et en effet, il nous (page 1293) a dit que les forteresses
qui ont été construites au midi, par les soins des puissances alliées,
l’avaient été dans leur intérêt contre
Vous
dépenserez donc tout à fait inutilement des sommes considérables pour conserver
vos cadres de 80 mille hommes, pendant tout le temps que nous n’aurons pas la
guerre.
Et si une
guerre européenne surgit, vous serez alors forcés de dépenser des centaines de
millions, et tout cela à pure perte. Et en effet ce ne sera plus 28 millions
que vous devrez porter à votre budget pour l’armée mais 80 à 100 millions. Je
dirai donc avec l’honorable comte de Mérode : Comment
La section
centrale a cru devoir s’occuper essentiellement de quelques économies, que je
ne puis admettre, parce qu’elles tendraient, selon moi, à la désorganisation de
l’armée.
L’on vous
propose, messieurs, de maintenir les cadres d’une armée de 80,000 hommes, c’est
la proposition du gouvernement ; on n’a introduit d’autres changements dans
le projet ministériel, que de réduire le nombre des officiers supérieurs.
Je ne puis
accueillir un pareil système. Si vous adoptez que les cadres d’une armée de
80,000 hommes seront indispensables pour la défense du territoire, il faut, par
voie de conséquence, maintenir le système du gouvernement dans son entier.
En effet,
il y a, dans le projet du gouvernement, 1905 officiers subalternes, et 1098
d’après la section centrale ; et pour ces 1095 officiers subalternes, il
n’y a, d’après le projet du gouvernement, que 98 officiers supérieurs. D’après
le projet de la section centrale, il n’y aurait plus que 82 officiers
supérieurs.
Vous devez,
messieurs, ne rien faire qui puisse nuire à l’esprit militaire dont les
officiers doivent être animés ; il ne faut rien faire qui puisse diminuer
chez eux l’amour de leur état ; il faut dès lors leur conserver l’espoir
d’arriver au grade d’officier supérieur ; amoindrir le nombre de ces
officiers, c’est décourager principalement les officiers d’infanterie, c’est
pour ainsi dire les réduire à un état d’ilotisme, qui leur ferait gagner le
dégoût de la carrière militaire. Ce que je dis ici, messieurs, n’a rien
d’exagéré, et, en effet, sous le système actuel, ainsi dans la réduction
proposée, il y a encore aujourd’hui 52 lieutenants de 1832 et 17
sous-lieutenants de la même année. Or, un pareil état de choses est, à coup
sûr, bien fait pour faire réfléchir la chambre ; il démontre qu’en
maintenant les cadres d’une armée de 80,000 hommes, il faut également adopter
les chiffres du gouvernement. Quant à moi, convaincu que
Cette
marche aurait eu pour résultat de dégrever considérablement le budget, et, en
cas de guerre, de ne pas voir
Ce système
aurait eu, à notre avis, pour résulter infaillible de rétablir en peu de temps
les rapports proportionnels qui doivent exister entre les cadres et le nombre
des officiers en activité de service, et, par suite, de rétablir un avancement
beaucoup plus prompt.
La section
centrale vous propose encore de revenir sur la décision qui a assimilé les
officiers du corps des sapeurs-mineurs aux officiers du génie ; elle
maintiendrait pour le passé tous les effets de l’arrêté du 4 juin 1842, et ne
le rendrait sans effets que pour l’avenir.
Quelles
serait le résultat d’une pareille mesure ?
Quelques
officiers privilégiés conserveraient leur position.
Les
officiers actuels des sapeurs-mineurs la perdraient. C’est là un affront pour
ceux-ci, et un avantage non mérité pour ceux-là.
Ou l’arrêté
du 4 juin 1842 consacrait une injustice, alors il faut lui enlever tous les
effets qu’il a pu produire.
Ou cet
arrêté tendait à effacer une distinction entre deux corps d’officiers, appelés
à concourir au service dans la même arme, ainsi que le soutiendra M. le
ministre de la guerre ; alors maintenez le, mais ne prenez pas de
demi-mesure pour couvrir une injustice.
J’ai
soutenu, en 1843, que l’assimilation dont il s’agit consacre une injustice
crainte ; que l’arrêté du 4 juin 1842 est entaché d’inconstitutionnalité,
et en effet, messieurs, que porte l’art. 124 de
« Les
militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions, que de
la manière déterminée par la loi. »
Ainsi la
position de l’officier dans l’armée, son rang dans le grade dont il est revêtu,
constitue, pour l’officier, des droits qui ne peuvent lui être enlevés, qu’en
suivant les formes déterminées par la loi. »
Or, que fait
cet arrêté ? Il statue.
Que
l’avancement de tous les officiers du corps du génie sera commun. Ainsi le
ministre, par un acte de sa volonté, confond la position des officiers des deux
corps qui avaient toujours été distincts. Il détruit toute l’économie de la loi
du 16 juin 1836, et bouleverse le système d’ancienneté admis par cette loi.
Rien de
plus facile que de prouver que cet arrêté du 4 juin 1842 enlève des positions
acquises, et qu’il déroge à la loi. L’art. 50 de l’arrêté du 16 mai 1838
porte :
« L’avancement
est distinct et séparé pour les officiers de l’état-major du génie et pour les
officiers des troupes de cette arme. »
Aux termes
de cette disposition, les officiers des sapeurs-mineurs ne pouvaient concourir
avec les officiers du génie ; les positions acquises aux officiers du
génie, sous l’empire de cet arrêté, basé sur une loi, ne peuvent donc pas être
modifiées par un arrêté subséquent, à moins que l’article 124 de
La loi du
16 juin 1836, art. 9, confirme cet état de choses ; elle n’admet la
promotion des sous-officiers au grade d’officiers, qu’après examen, et cet
examen est déterminé par les articles 11 à 17 de la loi du 18 mars 1838, sur l’école
militaire. Ainsi, messieurs, la combinaison de la loi du 18 juillet 1838 avec
ces lois et arrêtés, donne la preuve que les sous-officiers ne peuvent être
revêtus du grade d’officiers qu’en subissant le même examen que les élèves de
l’école militaire ; en d’autres termes, messieurs, que les conditions
d’admissibilité à l’emploi ou grade, sont les mêmes pour tous ceux qui aspirent
à entrer dans l’armée du génie ; c’est dans ce sens et en exécution de
cette loi, qu’a été porté l’arrêté du 16 mai 1838 ; ainsi, messieurs, le
législateur n’a voulu permettre d’appeler au grade d’officier du génie, que
ceux qui justifieraient préalablement des connaissances reconnues nécessaires
pour cette partie du service militaire. C’est là une condition dont il n’est pas
permis de se départir.
Quelles
sont maintenant les conséquences et le résultat de l’arrêté du 4 juin
1842 ? C’est que l’on a créé officiers du génie, des militaires qui
n’avaient pas préalablement justifié, dans les formes déterminées, posséder les
connaissances requises ; c’est que l’on a érigé en principe que la volonté
ministérielle est plus forte que la loi, qu’il lui suffit de se manifester pour
suppléer au défaut de connaissances exigées dans l’intérêt du service, ou tout
au moins pour dispenser de faire la preuve que l’on possède ces connaissances.
Si doit en être ainsi, à quoi bon déterminer les conditions requises pour
devenir officier du génie, s’il est permis au gouvernement d’accorder des
dispenses ? Que deviennent, en présence des actes du ministre, les
garanties d’aptitude que vous avez stipulées dans les dispositions que l’on a
soumises à votre sanction ?
Ce n’est
pas tout encore : le système d’ancienneté, organisé par la loi du 16 juin
1836, est complètement anéanti ; le rang des officiers du génie n’est plus
ce qu’il était avant l’inconcevable arrêté du 4 juin 1842 ; les officiers
du génie peuvent être aujourd’hui primés par des officiers appartenant au corps
des sapeurs-mineurs, et il y en a beaucoup dans ce cas. N’est-ce pas se jouer
de la loi de 1836 que de décréter, par un simple arrêté, un système dont les
résultats sont d’anéantir des positions dont l’existence est due à la loi dont
le pacte social a garanti si solennellement la conservation.
Ce n’est
pas tout, messieurs ; je n’ai encore envisagé l’arrêté du 4 juin 1842,
qu’au point de vue de la légalité ; mais remarquez donc, en outre, que cet
arrêté a attribué aux officiers des sapeurs mineurs une augmentation de
traitement dont nul n’avait soupçonné la nécessité pendant toute la période qui
s’est écoulée depuis notre révolution jusqu’à la conclusion du traité de paix
avec
Remarquez
encore, messieurs, que cette augmentation a lieu en 1842, contre le vœu formel
que vous aviez manifesté en 1836. Alors le gouvernement avait porté le
traitement des officiers des sapeurs mineurs au taux des traitements des
officiers du génie et, avec raison, vous avez voulu ne l’accorder qu’à ceux
d’entre eux qui étaient délégués à l’état-major.
La volonté
ministérielle a voulu vous prouver qu’elle était au-dessus de la vôtre.
Inutilement
donc M. le ministre de la guerre vient-il de nous dire que les chambres ne
doivent pas faire de l’administration, que c’est là le fait du gouvernement ;
qu’elles doivent se borner au contrôle des dépenses, car (page 1294) c’est là
à quoi nous nous bornons en démontrant que le ministère a commis un excès de
pouvoir en portant l’arrêté du 4 juin 1842.
J’ai voulu,
messieurs, en renouvelant les observations faites à ce sujet en 1843, vous
démontrer que la chambre doit se borner à priver de tous ses effets quelconques
cet arrêté du 4 juin 1842, qu’elle ne peut admettre ni le système de cet
arrêté, ni celui de la section centrale qui lui donne des effets momentanés,
consacrait le privilège pour quelques-uns aux dépens des autres.
Ce n’est
donc pas ainsi que j’avais entendu l’organisation de l'armée.
Venise, que
l’on a citée, n’avait pas telle garantie ; nous ne portons ombrage à
personne.
Je dirai
avec l’honorable M. de Garcia. Pourquoi nous épuiser en efforts superflus, en
dépenses inutiles, pour une défense garantie par l’état des choses :
bornons-nous à être en mesure de pouvoir attendre les secours des nations, qui
ont un intérêt au maintien de notre nationalité, contre la volonté desquelles
nous ne pourrions pas résister.
La grande
majorité de la chambre a manifesté en 1843 sa volonté de voir réduire le
chiffre de notre armée ; c’est dans cette intention qu’elle sollicitait
alors M. le ministre de la guerre de lui présenter une loi d’organisation. Elle
ne manquait pas de confiance en lui, elle était disposée à lui accorder
provisoirement les fonds demandés au budget, mais elle entendait voir réduire
l’armée, et son vote sur l’article 1er est une preuve incontestable.
On vous
demande aujourd’hui pour l’armée un budget de 28,022,000 fr. et on vient vous
dire que l’on ne peut plus descendre à un chiffre inférieur.
Mais
rappelez-vous qu’en 1843, on vous demandait 29 ½ et à cause de la cherté des vivres et
fourrages 30 millions. C’était là, disait le ministre, un budget normal dressé
d’après les exigences les plus impérieuses du service et de notre position
politique, dans les limites des ressources financières que l’on peut y
consacrer.
D’autres
économies, ajoutait le ministre, ne pourraient se réaliser, sans amener une
désorganisation qui porterait atteinte aux prérogatives du Roi et serait
compromettante pour l’avenir du pays.
J’en rends
grâces à l’honorable ministre de la guerre actuel, il a su descendre à
28,022,000, ainsi de près de 1,500,000
fr., et cela n’amène ni désorganisation ni violation de droits. Le pays ne se
trouve pas compromis.
Réduisons nos cadres, messieurs, à ceux nécessaires pour une armée de 50
à 60 mille hommes, qui sera plus que suffisante pour garantir notre neutralité,
et vous verrez alors le budget de la guerre descendre à vingt-cinq millions,
taux promis depuis 1831.
Ne vous
trompez pas, messieurs, sur les besoins considérables que l’état de guerre vous
occasionnerait et qui amèneraient à leur suite la ruine de
Car, ne le
perdez pas de vue, toutes les prétendues économies que l’on vous procure sur le
budget de la guerre, ne sont dues qu’à la moindre quantité de soldats sous les
armes, et à la suppression des approvisionnements que l’état de paix permet de
négliger, et dont le besoin deviendra par suite beaucoup plus considérable et
plus coûteux en cas de guerre.
Le vœu du
pays demande une réduction notable dans les forces militaires, et le pays ne
veut et ne peut pas vouloir une misérable économie de 267,844 fr. 50 centimes,
au risque de démoraliser l’armée et de la désorganiser.
Que si la
chambre décide que les cadres de 80,000 hommes doivent être maintenus, il faut,
dans ce cas, être conséquents : adoptez également la proposition du
gouvernement pour le nombre d’officiers supérieurs. Dans cette matière,
l’économie est quelquefois fort dangereuse. L’état militaire est devenu
aujourd’hui une carrière à peu près sans issue et sans avenir ; ne jetez
pas plus de découragement qu’il n’y en a déjà, car vous courrez le risque de
détourner des jeunes gens d’intelligence et d’avenir, d’embrasser une carrière
où, dans le moment du danger, ils pourraient rendre des services signalés.
Je voterai,
messieurs, pour toute proposition qui aura pour objet de réduire les cadres,
mais je voterai contre toute proposition qui n’aura, à mon avis, d’autre
résultat que d’affaiblir le moral de l’armée, sans économie notable pour le
trésor.
Les
officiers de l’armée ont des droits acquis ; j’entends qu’ils soient
accordés ou qu’une indemnité convenable leur soit accordée. Vous avez satisfait
à toutes vos obligations, envers les magistrats, envers les membres des corps
administratifs, envers tous les employés de l’Etat ; la même justice
appartient à l’armée, et son organisation doit être combinée avec les besoins
du trésor, tout en respectant les droits acquis.
M.
Pirson – Messieurs, l’organisation des
forces militaires d’un pays est une question très-grave, si délicate, qui exige
tant de prudence, tant de ménagement dans ses développements que ce n’est pas
sans une timidité de ménagement et une grande défiance envers moi-même que je
prends la parole dans cette discussion. Mais ma position personnelle m’ayant
mis à même de m’identifier avec les besoins de l’armée, comme de connaître son de ses intérêts, qui sont aussi
ceux du pays, je ne venais lui prêter le concours de mes faibles talents.
A titre d’homme spécial, ayant pu acquérir déjà quelque expérience, j’ose
espérer que vous voudrez bien accueillir les observations que je pourrai être
dans le cas de présenter dans cette discussion, avec cette bienveillance que
vous m’avez témoignée dans d’autres circonstances.
Tout
d’abord, messieurs, qu’il me soit permis d’expliquer combien je suis heureux
que tous mes honorables collègues de la section centrale se sont montrés animés
des meilleures intentions envers l’armée ; j’aime à penser que ces
sentiments de sympathie ne se sont pas modifiés ; et qu’au besoin ils se
révéleront dans le cours de la discussion publique. Hier déjà, les honorables MM. Castiau et de Chimay nous ont
donné une preuve de leur sympathie pour l’armée.
L’honorable
prince de Chimay, dans un discours éminemment national, si patriotique, où il a
reproduit tous les principaux faits d’armes auxquels se sont associés nos
ancêtres et nos contemporains, discours dont je désirerais que M. le ministre
de la guerre ordonnât l’impression, pour être distribué dans tous les
régiments ; l’honorable prince de Chimay, dis-je, vous a exprimé le vif
intérêt qu’il porte à l’armée. Cette sympathie, j’en ai la conviction, se
trouve sur tous les bancs de notre chambre. Aussi, j’en nourris l’espoir, ceux
d’entre vous qui ont voté contre le budget de la guerre en 1843 parce qu’à leur
point de vue, il n’avait pas satisfait à l’art. 139 de
Le principe
de l’utilité, de la nécessité d’une armée énergiquement organisée pour la
défense de notre territoire et de notre indépendance, n’a pas été contesté dans
le sein de votre section centrale. Ce principe y a été admis à l’unanimité. Si
quelques dissentiments y ont éclaté, le désaccord s’est manifesté sur des
questions d’application, sur des questions de fait, sur des questions
d’appréciation, d’attributions. Mais que l’armée en soit bien convaincue, c’est
un de ses membres qui le lui dit avec vérité, jamais, non jamais, ni son
utilité, ni son dévouement n’y ont été révoqués un seul instant en doute.
Maintenant,
messieurs, j’aborderai l’examen de la question principale qui a servi de base
au travail de votre section centrale. Pénétré des nécessités que crée pour
Si cette
base n’existait pas, si on le la déterminait pas, tout d’abord, je ne sais
réellement pas comment vous pourriez procéder, car je ne sais pas comment on
pourrait organiser les parties d’un tout, si ce tout n’était pas connu.
Je ne sais
comment vous pourriez fixer le cadre des officiers généraux, le cadre des
officiers de l’état-major, celui du service de santé, et celui du service de
l’intendance, si cette base n’existait pas.
Quelle doit
être la force de l’armée ? Telle est donc, messieurs, la question qui a
été posée dans le sein de votre section centrale et sur laquelle j’exprimerai
mon opinion.
Les considérations
qui doivent déterminer cette force, reposent sur sa destination, sur notre
position politique, sur les moyens de défense que présente le pays, sur notre
population et sur nos ressources financières.
Les deux
considérations que j’ai indiquées en premier lieu sont entièrement liées entre
elles.
En effet,
le traité qui a reconnu l’indépendance de
Malgré les
opinions contraires qui ont été présentées dans la séances d’hier par les
honorables MM. Castiau et de Garcia, et dans celle d’aujourd’hui par
l’honorable M. Lys, je n’en suis pas moins profondément convaincu qu’une armée
de 80,000 hommes de bonnes troupes, commandées par des officiers instruits,
imposera toujours à nos voisins et que la neutralité qui nous est garantie par
les traités, ne peut nous préserver d’une guerre, qu’autant que cette
neutralité aura pour appui constant une armée énergiquement organisée.
Cette
condition me paraît d’autant plus nécessaire à remplir qu’en cas de guerre,
Située
comme elle l’est entre les frontières françaises et le Rhin, le seul moyen,
pour
Messieurs,
le pays qui accepte une position de neutralité, ne peut pas, s’il se respecte,
s’il veut être respecté, abandonner entièrement à d’autres le soin de ses
intérêts et de sa défense. Pour prétendre au titre de nation, il faut, avant
tout, avoir foi en soi-même ; car s’abandonner soi-même, c’est provoquer
l’abandon des autres. Une armée, et une armée qui mérite ce nom, c’est la
condition sine qua non de l’existence d’un pays. L’expérience et l’évidence des
faits ont mis tous les hommes politiques d’accord sur ce point capital.
D’ailleurs, le traité qui a reconnu notre indépendance, nous ayant imposé la
condition de neutralité, nous a par cela même imposé le devoir de la
défendre ; et pour y parvenir, nous avons besoin d’une armée d’autant plus
nombreuse que notre frontière, dépourvue d’obstacles naturels est attaquable
sur un plus grand nombre de points à la fois.
Messieurs,
rappelons-nous 1814 et 1815. Qu’y a-t-il de plus pénible au monde que
l’occupation militaire ? Qui ne sent tout ce qu’elle a de poignant pour
l’homme attaché à ses foyers, qui a tout à la fois à souffrir comme citoyen et
comme père de famille ? L’occupation militaire traîne toujours après elle
des douleurs qui ne se rachètent point par de l’argent, et cependant ce sont
des douleurs inévitables, qui attendent le pays dans l’avenir, s’il ne possède
les moyens suffisants d’entretenir une bonne armée. En effet, en cas de guerre,
si
Et puis,
messieurs, comme M. le ministre des affaires étrangères l’a dit à la séance
d’hier, s’il est vrai qu’un traité peut être violé, c’est quelque chose aussi
qu’un principe sur lequel tout le monde a été d’accord, et si nous remplissons
fidèlement les obligations qui nous ont été imposées par l’acte du 19 avril
1831 , nous sommes en droit d’espérer que la même loyauté sera observée
par les autres puissances signataires du traité. Il me paraît donc que, sous le
rapport politique et en raison de la mission que l’armée doit remplir, il
serait imprudent à
Il me reste
à examiner les trois autres considérations que j’ai également indiquées comme
devant concourir à déterminer le chiffre de l’armée sur le pied de
guerre ; c’est-à-dire les considérations qui se rapportent aux moyens
naturels de défense que possède le pays, à notre population et à nos ressources
financières.
Personne de
vous ne l’ignore, messieurs,
Je n’occupe
pas une position militaire assez élevée pour avoir la prétention de déterminer
d’une manière absolue le chiffre auquel doit être portée notre armée sur le
pied de guerre, pour satisfaire à toutes les exigences d’une bonne défense du
pays.
Il me
semble qu’à cet égard une grande latitude d’appréciation doit être laissée au
chef de l’Etat qui, plus que personne, est intéressé à la conservation de
l’intégrité du territoire, et dont la sollicitude éclairée, fortifiée de
l’expérience des meilleurs officiers, présente des garanties que tous,
messieurs, vous devez reconnaître.
Je me
bornerai à faire remarquer que des hommes très-compétents dans la matière, et
je citerai entre autres le général Desprez qui jouissait d’une réputation de
capacité militaire si méritée, ont estimé que ce chiffre ne pouvait être
inférieur à 80,000 hommes.
Je
considère aussi ce chiffre de 80,000 hommes comme le minimum des forces qui
nous sont nécessaires pour pourvoir à la défense du pays. Il faut que, tout en
y comprenant le concours des gardes civiques, on puisse distraire de cette
armée les garnisons nécessaires à la défense des places fortes, et qu’il reste
encore assez de troupes pour pouvoir manœuvrer en s’appuyant sur ces places
fortes.
Je pense
dès lors que les cadres de notre armée doivent être organisés de manière à
pouvoir incorporer 80 mille hommes, qu’il faut leur conserver une consistance
suffisante sur le pied de paix, parce qu’à une époque surtout où tous les arts
sont en progrès, la guerre non plus ne saurait se faire avec quelque chance de
succès que par des hommes dressés de bonne heure au métier des armes et qui lui
consacrent tout ce qu’ils ont d’énergie, de zèle et de dévouement.
Messieurs,
dans la séance d’hier, M. le ministre de la guerre a examiné si ce chiffre de
80,000 hommes ne se trouvait pas trop élevé par rapport à la population du
pays. Il vous a dit que, généralement, il avait été admis que le contingent de
l’armée sur le pied de guerre pouvait être calculé à raison du cinquantième de
la population. Si vous adoptez, pour le pied de guerre, le chiffre de 80,000
hommes, la population du pays étant de 4 millions 200 mille habitants, notre
contingent ne sera que le 53e de la population ; ce chiffre
n’est donc pas trop élevé.
Pour le
pied de paix, M. le ministre de la guerre vous a dit encore que presque tous
les publicistes et économistes s’accordent à dire que le contingent de l’armée
permanente peut être portée au centième de la population, sans porter atteinte
aux intérêts si dignes de sollicitude de l’agriculture, de l’industrie et du
commerce.
L’expérience
paraît avoir consacré ce principe. Dans la plupart des Etats d’Europe, il a
servi approximativement de base à la fixation du chiffre de l’armée permanente,
et
Enfin,
messieurs, la cinquième considération que j’ai également indiquée comme devant
concourir à la fixation du chiffre de l’armée permanente, ce sont les
ressources financières du pays. Pour arrêter mon opinion à cet égard, j’ai
examiné quels étaient les revenus de toutes les puissances de l’Europe, et quelle
part de leurs revenus ces puissances affectaient, en temps de paix, au service
du département de la guerre. J’ai trouvé que cette part était comprise entre le
quart et le tiers des revenus totaux. Eh bien, messieurs, pour pourvoir à la
défense de notre territoire et de notre indépendance, que vous
demande-t-on ? Sont-ce des sacrifices hors de proportion avec les
ressources du pays, des sacrifices plus grands encore que ceux que s’imposent
les autres puissances ? Du tout, les autres puissances consacrent, sur le
pied de paix, le tiers ou le quart de leurs revenus aux dépenses du budget de
la guerre ; on vous demande la même chose. Cependant
Par suite
des considérations que je viens de présenter contrairement à l’opinion de
l’honorable M. de Garcia, j’estime donc que le chiffre de 80 mille hommes pour
le pied de guerre est celui qui doit être admis ; c’est aussi celui qui a
été adopté à l’unanimité par votre section centrale.
Quant à la
décomposition de ce contingent dans les différentes armes, M. le ministre de la
guerre, après avoir déduit deux mille hommes pour la gendarmerie, a réparti les
78 milles hommes restant comme suit :
61,000
hommes pour l’infanterie,
7,200
hommes pour la cavalerie,
8,200
hommes pour l’artillerie,
1,600
hommes pour le génie,
Total :
78,000 hommes
D’après
cette répartition, la cavalerie se trouve être le 8e de
l’infanterie, l’artillerie le 7e (et pour le corps d’armée en
campagne de 3 bouches à feu par 1,000 hommes d’infanterie, et de 4 bouches à
feu par 1,000 hommes de cavalerie) ; et le génie le trente-huitième de
l’infanterie.
Cette
répartition est conforme aux règles généralement admises. Voici ce que dit à
propos de la proposition des différentes armes d’une armée, le major Fallot
dans son cours d’art militaire, si estimé et qui a été traduit en plusieurs
langues étrangères :
« Quant
à la proportion des armes qui la composent (l’armée), elle varie suivant la
nature du pays. On en peut se passer absolument d’aucune ; mais dans un
pays de plaines, la cavalerie et l’artillerie seront plus nombreuses,
relativement à l’infanterie, que dans un terrain très-accidenté, dans des
chaînes de hautes montagnes, où ces armes peuvent rarement agir. On estime que
la cavalerie doit être le quart de l’infanterie, lorsque le théâtre de la
guerre est un pays ouvert, mais cette proportion diminue jusqu’au huitième ou
au dixième, quand on prévoit devoir agir dans de hautes montagnes, ou n’avoir à
combattre que des troupes venues d’outre-mer, et n’ayant, pour cela même,
qu’une faible cavalerie, vu la difficulté de placer et de nourrir beaucoup de
chevaux sur les vaisseaux. La proportion de l’artillerie est de 3 à 4 pièces de
canon de bataille par 1,000 hommes, sans compter l’artillerie de siège,
destinée à la défense de places fortes.
« Une
remarque bien essentielle est, que lorsqu’un Etat compte pour sa défense sur le
concours de ses levées extraordinaires, garde nationale, milice ou landsturm,
l’armée permanente doit contenir de la cavalerie et de l’artillerie dans une
proportion infiniment plus forte que celle indiquée, puisqu’il sera facile de
renforcer promptement l’infanterie en y incorporant des hommes peu exercés,
tandis qu’il faut un temps bien plus considérable pour former, non-seulement
des cavaliers et des canonniers, mais les chevaux sans le concours desquels ces
armes ne peuvent agir. Des cavaliers braves et exercés, montés sur des chevaux
de remonte, auront un immense désavantage devant des hommes de qualité
inférieure, montés sur des chevaux habitués aux manœuvres et à la fatigue.
Quelques chevaux vicieux ou effrayés suffiront souvent pour occasionner la
perte des pièces dans les rapides mouvements que l’artillerie sait à présent
exécuter. Dans ces pays, par conséquent, on doit, même au sein de la paix,
malgré la (p. 1296) dépense,
entretenir la cavalerie et l’artillerie telles que l’exigerait l’armée la plus
forte qu’un pareil Etat compte pouvoir mettre sur pied.
« Les
troupes du génie doivent être en rapport avec le nombre des places fortes, les
sièges qu’on suppose avoir à soutenir ou à former : en France, elle
également le quarantième de l’infanterie ; chez nous elles ne sont que le
cinquantième, proportion trop faible, vu le grand nombre et l’importance de nos
forteresses. »
Je vous
ferai remarquer qu’à l’époque où ce volume a été écrit, en 1837 , les
troupes du génie n’atteignaient que le cinquantième de notre infanterie ;
mais depuis lors on en a augmenté le chiffre et on l’a porté au
trente-huitième ; c’est qui est une proportion convenable. La
décomposition du contingent, dans les différentes armes proposée par M. le
ministre de la guerre ayant paru à votre section centrale satisfaire aux
conditions qu’imposait la constitution topographique du pays, elle l’a adoptée
comme base de son travail.
Avant de terminer, messieurs, sans vouloir entreprendre de suivre
l’honorable députe de Tournay dans tous les développements dans lesquels il est
entré hier, à l’appui de son système, je crois cependant utile de combattre une
des considérations qu’il a présentées, c’est-à-dire celle qui a rapport à la garde
civique.
L’honorable
membre vous a dit qu’on aurait pu organiser la garde civique de manière à ce
qu’elle pût au besoin rendre les mêmes services que l’armée permanente. Cette
opinion, je ne la partage pas ; je ne crois pas même qu’elle soit
susceptible de résister à un examen sérieux. En tout cas un pareil système
n’aurait pas pour résultat de procurer des économies aux contribuables ni de
soulager la population sous le rapport du service militaire. Bien au
contraire ; il serait très impopulaire en Belgique ; et il
présenterait dans son application des difficultés qui me paraissent
insurmontables.
En effet,
messieurs, pour qu’une garde civique pût, à l’instar de la landwehr prussienne,
suppléer au besoin à l’armée régulière, il faudrait qu’elle fût habillée,
équipée et armée, exercée et manœuvrée, et constituée avec des cadres en état
de l’instruire, et de former son éducation militaire.
J’indiquerai
d’une manière très-sommaire les principales difficultés pratiques que
rencontrerait un pareil système, sous le rapport de l’habillement et de
l’équipement, de l’entretien de l’armement, des lieux de rassemblement, des
époques de rassemblement et de la constitution des cadres.
Sous le
rapport de l’habillement et de l’équipement. Qui payerait les frais d’habillement et
d’équipement. Serait-ce l’Etat ? Seraient-ce les provinces ?
Seraient-ce les communes ? Vous pourrez bien dégrever le trésor public, en
décrétant, dans la loi à intervenir, que tous les frais d’habillement et
d’équipement seront supportés par les communes, comme je l’ai remarqué dans le
projet que vient de nous présenter Monsieur le ministre de l'intérieur, mais
les dépenses à faire de ce chef n’en subsisteraient pas moins ; et
qu’importe au contribuable de payer au nom de l’Etat ou au nom de la commune ?
En
définitive, ce sera toujours lui qui devra payer, je ne crois pas qu’il trouve
plus d’économie à habiller et équiper la garde civile, qu’à habiller et équiper
la troupe de ligne.
Sur le
rapport de l’entretien de l’armement, abandonnerez-vous ses armes à la garde
civiques ? Dans d’affirmation, surtout dans les campagnes, je doute fort
qu’elles soient convenablement entretenues et qu’elles ne soient promptement
détériorées. Dans les régiments, ce n’est déjà que par une surveillance active,
journalière et incessante que l’on parvient à les conserver en bon état. Dans
la négative, serait-il sans inconvénients et sans dangers d’établir des dépôts
d’armes dans un trop grand nombre de localités ? Car je ne suppose pas,
messieurs, que lors des prises d’armes ou des rassemblements vous vouliez
obliger les gardes civiques des campagnes à aller au loin quérir leur armement
dans les arsenaux de l’Etat.
Sur le
rapport des lieux de rassemblement. Le projet du gouvernement se tait à cet
égard ; je le conçois, car ce point présente de très-grandes difficultés.
Cependant pour qu’une garde civique puisse suppléer à l’armée permanente, il ne
suffit pas qu’elle connaisse le maniement des armes, il faut encore qu’elle
soit exercée et manœuvrée, car en présence de l’ennemi, comment manœuvrer des
masses d’hommes, si ces masses ne sont pas initiées aux combinaisons des
mouvements, combinaisons dont l’exécution ponctuelle peut seule procurer la
victoire. La bataille de l’Isly qui a eu lieu, il y a peu de temps, est là encore
pour confirmer ce que j’avance. Où se feront donc les rassemblements ?
Sera-ce
dans les chefs-lieux de province, d’arrondissement ou de canton ? En tout
cas, ces rassemblements ne seront-ils pas onéreux ? ne faudra-t-il pas
payer une solde à cette garde civile mobilisée ? Les contingents
seront-ils égaux ? ne faudra-t-il pas pour l’instruction faire refluer des
hommes d’un canton ou d’un arrondissement dans un autre ? ne faudra-il pas
réunir des moyens de subsistance et préparer le casernement. Ou bien imposera-t-on
aux habitants la charge des logements militaires, qui, on peut le dire, seront
d’autant plus désagréables à supporter qu’il faudra admettre au foyer de la
famille des soldats moins disciplinés, et dans la force de l’âge et des
passions.
Sous le rapport
de l’époque des rassemblements. Vous le savez, messieurs, l’hiver ne se prête pas à la pratique des
exercices militaires. Ce n’est qu’en été ou en automne que les rassemblement
pourront avoir lieu. Eh bien ! c’est à cette époque de l’année que les travaux
agricoles, les professions manuelles, telles que charpentiers, maçons,
ardoisiers, menuisiers, réclament le plus de bras. Il faudra donc que les
laboureurs quittent leurs champs, les ouvriers et les jeunes gens des villes,
leurs ateliers, leurs boutiques et leurs comptoirs ; que les notaires, les
avocats, les professeurs, les industriels, les artisans, les médecins, les
propriétaires, les fonctionnaires s’affublent du mousquet pour aller se livrer
à la pratique des exercices militaires ? Avec nos institutions politiques,
avec le caractère de nos habitants, je n’hésite pas à le dire, je doute
très-fort que vous puissiez obtenir ce résultat. En tout cas, l’industrie, le
commerce, l’agriculture souffriraient considérablement de ce système, qui
serait en outre nuisible aux arts, aux sciences, à l’instruction , aux
institutions publiques.
Sous le
rapport de la formation de cadres. Comment constitueriez-vous les cadres de cette garde civique ?
Messieurs,
quand on veut changer de système, il ne suffit pas qu’en théorie il paraisse le
meilleur, il faut encore l’examiner au point de vue pratique. Eh bien, je suis
intiment convaincu qu’une loi qui aurait pour objet de diminuer le chiffre de
l’armée, afin de lui substituer la garde civique, contrarierait plus les goûts,
les habitudes et les mœurs de la nation et nuirait plus à la totalité des
intérêts du pays que le régime actuel.
Je n’ignore
pas, messieurs, que dans les pays absolus, qu’en Prusse, par exemple, la
réserve ou la garde civique appelée Landwehr a été instituée de manière à
rendre les mêmes services que l’armée permanente. Mais, en Prusse, toute
l’organisation sociale est subordonnée à l’intérêt militaire. En Prusse, tout
le monde est obligé de servir dans
Messieurs,
l’organisation militaire d’une nation doit être en harmonie avec ses
institutions politiques et appropriée au caractère et aux mœurs de ses
habitants.
Cette
considération a toujours été le point de départ de tous les hommes politiques
et de toutes les supériorités militaires qui se sont occupés de l’organisation
des armées. De là vient qu’en Russie, qu’en Autriche, qu’en Prusse, qu’en
France, qu’en Espagne, qu’en Angleterre, les organisations militaires sont
dissemblables. Il ne faut donc pas trop se préoccuper de ce qui se fait en Prusse
et dans les Etats allemands, car de même qu’il n’y a aucune analogie entre
leurs institutions et les nôtres, on ne peut songer à adopter leur système.
Messieurs,
c’est parce que j’ai foi dans cette maxime d’un publiciste distingué que les
lois qui ne sont pas conformes aux habitudes et aux affections des peuples,
sont des paroles et rien de plus ;
C’est parce
que, sans méconnaître les services que pourrait rendre en temps de guerre la
garde civique pour la défense des forteresses, je pense qu’une garde civique
active, soumise à des réunions et à des exercices périodiques, exigerait des
dépenses considérables, et aurait pour effet
une aggravation de la loi du recrutement.
C’est parce
que, sans avantage pour les contribuables, on porterait atteinte aux intérêts
de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, en distrayant tous les ans de
leurs travaux, les laboureurs et les artisans des villes et des campagnes.
C’est parce
qu’un pareil système serait bien plus coûteux, bien moins sûr et bien plus
vexatoire, qu’il ne me paraît pas possible d’admettre en Belgique un système
d’organisation militaire, dans lequel la garde civique soit amenée à remplir un
rôle actif.
M.
de Man d’Attenrode –
Messieurs, depuis que je siège dans cette enceinte, toujours je me suis
prononcé en faveur d’une armée fortement constituée, parce que je l’envisageais
comme l’une des bases indispensables de notre existence nationale. J’ai donc
été presque malgré moi, dans cette circonstance importante, entraîné à dire mon
opinion sur le projet de loi, bien que mes études aient été dirigées d’un tout
autre côté depuis 2 ans.
Après le
traité de paix de 1839, la législature espéra, que la transition inévitable du
pied de guerre au pied de pais diminuerait les charges des contribuables.
Le
gouvernement, il faut le dire, met peu de bonne volonté à exécuter cette
mesure ; et je me rappelle fort bien que, loin de réduire l’état-major, il
augmenta le nombre des généraux de brigades, qu’il porta de 16 à 18 ; il eut
recours ensuite à divers moyens pour l’éviter.
La chambre
alors mis le gouvernement en demeure de l’exécution en se refusant à toute
discussion du budget de la guerre ; jusqu’après l’adoption d’une loi sur
l’organisation de l’armée.
J’ai été un
de ceux qui ont appuyé cette demande d’organisation, et je désire vous en dire
les motifs. J’avais cru voir peu d'empressement à amener des économies,
très-compatibles avec l’organisation sur pied de paix ; j’avais remarqué
peu de zèle, peu de bonne volonté pour rendre l’armée réellement forte et
puissance pour la défense du pays. L’infanterie, la base de toute armée, était
très-négligée, oubliée ; la force des compagnies était réduite à un
effectif tellement insignifiant, qu’un bataillon osait à peine se produire en
public.
On élevait
des gardes élevés, et on y maintenait des hommes incapables (page
1297) de rendre des services,
des hommes qui n’inspiraient aucune confiance à leurs subordonnés.
Les grades
avaient l’air de n’être faits que pour des hommes, tandis qu’ils ne sont faits
que pour le service du pays.
J’espérais
tout de l’organisation, dont parle
Un projet
de loi paraît enfin ; il est intitulé Projet d’organisation de l'armée. Je
vous avouerai, messieurs, que ce projet de loi ne me satisfait que
médiocrement, car je le demande à M. le ministre de la guerre, l’armée
serait-elle plus fortement organisée, après que ce projet aura été transformé
en loi ? la défense du pays serait-elle mieux assurée ? je ne le
pense pas. Car que nous demande-t-on ? c’est tout simplement de consacrer
par une loi permanente, ce qui existe au nom de la loi annuelle du budget, ce
qu’on nous demande, c’est un vote de confiance, car il tend à fixer une
organisation dont la chambre est peu à même de saisir les motifs et les
détails.
Je ne vois
qu’un seul avantage dans l’adoption de ce projet de loi, c’est un effet moral
pour l’armée qui, bien à tort selon moi, se méfie de notre bonne volonté pour
son existence, car la chambre a-t-elle jamais refusé ce qui était nécessaire à
son existence ?
Les lois
qui la consacraient n’ont-elles pas toujours été votées à une grande
majorité ?
Au reste,
puisque l’armée tient à ce gage, je le lui donnerai de grand cœur, et je suis
persuadé que la grande majorité de cette chambre sera de mon avis.
Mais il ne
faut pas se le dissimuler, messieurs, quand nous aurons voté la loi que nous
discutons, et qui fixe les cadres existants, nous aurons à examiner des
questions beaucoup plus intéressantes pour constituer nos forces
défensives ; et je pense même qu’il eût été plus rationnel de les examiner
avant le projet en discussion ; les questions auxquelles je fais allusion
concernent l’époque du tirage au sort des miliciens, la durée du service, et la
base du contingent, une loi de recrutement en un mot.
J’entends
parler encore de ce projet de modifications au code pénal militaire, qui tend à
faire sortir de l’atmosphère infecte des prisons plus de mille hommes qui y
perdent leur honneur, leur moral, et cela
aux dépens des contribuables ; et je forme le vœu que la chambre ne
se sépare pas sans avoir discuté et voté ce projet de loi important, car il y
aurait réellement conscience à perpétuer cet état de choses pendant un an,
quand avec un peu de bonne volonté on pourrait y mettre fin. Je demanderai donc
à l’honorable M. Malou quand il sera à même de déposer son rapport.
Je viens de
parler de la nécessité d’une loi qui fixe la durée du service ; ces
paroles m’amènent à attirer votre attention sur une question très-grave.
La durée
obligatoire du service est pour le moment, par suite d’une loi transitoire
votée après le traité de paix de 1839 de huit années ; il est probable que
cette disposition sera maintenue, car si vous adoptez le projet qui fixe le
cadre, la loi dite d’organisation, vous aurez implicitement résolu cette
question ; en effet, le cadre présupposant une armée de 80,000 hommes sur
pied de guerre, et le pays ne pouvant guère produire des levées annuelles de
plus de 10,000 hommes, il faudra bien fixer le temps, pendant lequel l’homme est
disponible pour le service militaire, à huit années.
Je pars
donc de l’hypothèse que le service exigible restera fixé à huit ans. Mais en
temps de paix, les miliciens sont loin de servir huit ans. Dans l’infanterie on
les retient un an, ce qui, selon moi, est trop peu ; dans la cavalerie et
l’artillerie, on les retient environ trois ans, si je ne me trompe. Eh bien, où
est la loi qui fixe ce temps de service réel ? Il n’y en a pas, on ne
nous en propose même pas ; et le pouvoir exorbitant de retenir les hommes plus
ou moins longtemps en service, loin de leurs familles, n’est pas même réglé par
un arrêté royal ; ce pouvoir est abandonné au ministre de la guerre !
Ce pouvoir
est exorbitant dans l’intérêt des personnes ; mais, je le déclare, je le
trouve tout aussi exorbitant dans l’intérêt du pays.
Je sais
fort bien que l’honorable ministre de la guerre mérite toute notre confiance.
Mais enfin les hommes passent, et ce qui n’est pas un abus sous un ministre,
peut le devenir sous un autre.
Ne vous
rappelez-vous pas, messieurs, que l’on disait en 1831 au congrès, que le pays
pouvait disposer pour sa défense de 60,000 hommes ? Et quand il s’agit,
ensuite, d’y avoir recours au mois d’août, à peine 30,000 hommes furent-ils
disponibles. Sous le régime actuel, il dépend donc du ministre de la guerre de
réduire l’effectif de nos bataillons et de nos escadrons à un chiffre
insignifiant ; et c’est ce qui est encore arrivé pour l’infanterie, il y a
quelques années ; on aurait alors fait voyager l’effectif d’une compagnie
dans une diligence, et voici ce qui devint le produit des économies qui
résultèrent de cette mesure : il servit à construire les baraques du camp
de Beverloo, qui, soit dit en passant, sont dans le plus pitoyable état.
Je pense
donc, messieurs, qu’il faudra qu’une mesure soit adoptée pour mettre fin à cet
état de choses.
Si
l’adoption du projet en discussion nous laisse encore à discuter les projets de
loi qui constituent le plus réellement l’organisation de l'armée, M. le
ministre de la guerre aura, de son côté, à s’occuper de mesures intérieures
d’ordre d’une grande importance ?
C’était, je
pense, en 1837 ; mon honorable ami, M. Brabant, fit ressortir
l’insuffisance des règlements du service intérieur hollandais, dont grand
nombre de dispositions ne sont plus applicables, et qui sont encore en vigueur
en Belgique. Je réclamai aussi la promulgation de nouveaux règlements ;
les ministres de la guerre qui se sont succédé n’ont pu que nous faire des
promesses, car le besoin de règlements nouveaux est positif ; eh bien,
qu’à-t-on fait pour y satisfaire ? On n’a rien fait, tandis que les
projets de règlements dirigés par des commissions, dorment dans les cartons du
ministère depuis nombre d’années.
Il est
temps cependant que des règlements appropriés aux besoins de l’armée, viennent
régler son service intérieur, définir les attributions attachées aux divers
grades, les devoirs à remplir envers les chefs, les rapports entre ceux qui
composent cette grande unité qu’on appelle l’armée. Ce qui le prouve, c’est que
M. le ministre de la guerre s’est vu obligé de provoquer un arrêté royal
spécial pour définir les attributions des lieutenants-colonels, dont la
position paraît menacée par la section centrale. Ces règlements ont une
influence immense sur la discipline, sur l’instruction, sur l’esprit de corps,
sur la tenue, et je dirai même sur l’attrait que devrait inspirer le service de
son pays. De bons règlements indiqueraient aux officiers un service plus
attrayant que celui qui se borne, paraît-il, aujourd’hui, à vérifier la propreté
des havres-sacs et des gamelles.
De bons
règlements inspireraient aux officiers ce qu’ils ont à faire pour faire
respecter la discipline sans ces formules grossières, qui semblent devoir
assaisonner trop souvent le commandement.
Il paraît
que c’est un usage que l’armée hollandaise à légué à l’armée belge. Voulez-vous
savoir ce qu’ont répondu aux autorités françaises les soldats belges si
nombreux qui, fatigués de traîner le sabre en garnison, désertent l’armée pour
aller se battre en Algérie ? Ils répondent aux généraux qui leur demandent
pourquoi ils désertent : qu’ils sont bien vêtus, bien nourris, mais que
leurs chefs les traitent avec dureté, avec manque d’égards.
Messieurs,
quand on a à côté de soi un modèle aussi admirable que l’ordonnance sur le
service intérieur de l’armée française de 1833, je dis qu’il est impardonnable
de laisser pour régle de conduite à l’armée belge, depuis 10 ans, les
pitoyables règlements hollandais de 1814.
Voici les
considérants de l’ordonnance française du 2 novembre 1833 ; ils nous sont
tout à fait applicables ;
« Louis-Philippe,
etc.
« Vu
l’ordonnance du 13 mai 1818 sur le service intérieur ;
« Considérant
les changements apportés depuis cette ordonnance dans l’organisation, le
service, l’instruction, la tenue et l’administration intérieure des
régiments ;
Voulant,
d’ailleurs, établir des principes qui concilient de plus en plus les intérêts
du service, la dignité des officiers, la considération due aux sous-officiers,
et le bien être du soldat. »
Je ne résiste
pas à vous citer un extrait de l’article qui concerne les principes généraux de
la subordination.
« Si
l’intérêt du service demande que la discipline soit ferme, il veut en même
temps qu’elle soit paternelle ; toute rigueur qui n’est pas de nécessité,
toute punition qui n’est pas déterminée par le règlement ou que ferait
prononcer un sentiment autre que celui du devoir, tout acte, tout geste, tout
propos outrageant d’un supérieur envers son subordonné, sont sévèrement
interdits. Les membres de la hiérarchie militaire, à quelque degré qu’ils y
soient placés, doivent traiter leurs inférieurs avec bonté, être pour eux, des
guides bienveillants, leur porter tout l’intérêt, et avoir envers eux tous les
égards dus à des hommes dont la valeur et le dévouement procurent leurs succès
et préparent leur gloire. »
Voici le
commandement de l’article 328 concernant les punitions :
« Sont
réputés fautes contre la discipline et punis comme telles, suivant leur
gravité :
« De
la part du supérieur, tout propos injurieux, toute voie de fait envers un
subordonné, toute punition injustement infligée ;
« De
la part de l’inférieur, tout murmure, mauvais propos ou défaut d’obéissance,
quelque raison qu’il croie avoir à se plaindre, l’infraction de punitions,
l’ivresse, pour peu qu’elle trouble l’ordre public ou militaire, le dérangement
de conduite, les dettes, les querelles entre militaires ou avec des citoyens,
le manque aux appels… »
Ce sont là
des principes que je voudrais voir inscrits en tête des règlements intérieurs
de l’armée belge.
J’espère
que M. le ministre de la guerre prendra ses observations en
considération ; j’espère qu’il en comprendra l’importance. Il nous demande
de régler le cadre, de le fixer d’une manière conforme aux besoins de la
défense du pays ; je répondrai à son appel ; mais je me crois
quelques droits à lui demander à mon tour de régler le service, de le régler
d’une manière stable et uniforme avec la sanction royale.
J’ai peu de
choses à dire, concernant les garanties que nous offre la neutralité, qui est
une des conditions de notre existence, après les paroles prononcées dans la
séance d’hier et d’avant-hier.
Un homme
d’Etat a dit récemment à la chambre des députés que
Nous
saurons nous montrer capables de l’occuper et de la défendre au besoin.
Je dirai,
en terminant, un mot des forteresses.
Contrairement
à ce qui a été dit par un honorable membre, je pense que la section centrale a
fort bien fait de ne pas traiter la question des forteresses dans son rapport,
l’intérêt de la défense du pays exige cette réserve.
Il est
possible qu’il existe des forteresses ; dont la démolition pourrait
s’effectuer sans dangers mais pour faire ce choix, tout en tenant compte (page
1298) des intérêts de notre défense et de l’honneur du pays, il faut
écarter l’intervention étrangère et, quant à moi, j’ai été entièrement
satisfait, j’ai reçu tous mes apaisements en entendant la déclaration de M. le
ministre des affaires étrangères, au début de cette discussion, qui nous a dit
qu’aucun traité relatif à la démolition des forteresses ne serait exécuté sans
notre consentement. Or, comme j’ai confiance dans le patriotisme de la
législature, je n’ai pour le moment rien à demander de plus au gouvernement, et
j’approuve la réserve qu’il a mise dans cette question délicate.
M. Beuckers, commissaire du Roi – J’ai mission d’ajouter quelques observations
aux développements que M. le ministre vous a donnés dans le but de justifier la
forme et le cadre du projet de loi. Ces observations vous présenteront la
question sous un point de vue plus étroit ; mais elles auront peut-être le
mérite de caractériser la situation sous l’influence de laquelle le projet a
été conçu et nous est présenté ; situation dont il me semble que les
honorables membres qui ont attaqué le projet n’ont pas suffisamment tenu
compte.
Depuis dix
ans bientôt, on a vu dans cette enceinte à chaque discussion du budget de la
guerre, à propos de tous projets de loi intéressant l’armée, se renouveler des
réclamations pressantes, les instances les plus vives, pour obtenir que le
gouvernement soumît à la législature une loi d’organisation militaire.
L’opinion de la chambre était à cet égard tellement bien arrêtée que les dissidences
qui existaient sur cet objet ont été sinon la cause unique, du moins le motif
déterminant le rejet du budget de la guerre de 1843 et de la retraire de
l’honorable général de Liem.
Voici,
messieurs, quel était, du reste, le fond de ces dissidences ? Le général
Evain qui a été, je pense, le premier ministre qui ait eu l’occasion de
s’expliquer sur cet objet, et tous ses successeurs depuis, ont soutenu que
l’article 139 de
Cette thèse
est soutenue in extenso dans une note dont le contenu ne peut avoir échappé au
souvenir des membres de la chambre, et qui fait partie du document en réponse
aux observations de la section centrale sur le budget de la guerre de 1843. Eh
bien, cette opinion du gouvernement n’a pas trouvé faveur auprès de la
législature ; le vote de 1843 et les discussions qui l’ont précédé ont
prouvé suffisamment que la chambre exigeait quelque chose au delà des lois sur
le recrutement et des autres lois que j’ai rappelées.
Dans cette
situation, en présence de l’opinion de la chambre, à qui appartient, d’après
« Si,
dis-je, toutes ces limites doivent être respectées, ce qui paraît peu
contestable, la fixation du cadre d’officiers se présente tout naturellement
comme l’objet de la loi que la chambre exige.
Sur ce
point, le gouvernement se rencontre avec les opinions émises sur ce point par
un grand nombre de membres de la chambre ; tous s’accordent en ceci qu’ils
présentent la fixation des cadres, les uns comme l’objet unique, les autres
comme l’objet principal de la loi d’organisation.
Dans la discussion de la loi sur l’avancement, l’honorable M.
Desmaisières exprime le regret qu’une loi d’organisation n’ait pas précédé le
vote de la loi alors en discussion, afin disait-il, d’être sûr de ne pas sortir
des limites tracés par les lois constitutives des cadres de l’armée.
L’honorable
M. de Brouckère s’exprimait comme suit lors de la discussion du budget de
l’armée de 1838. Faut-il que la loi règle l’organisation de l'armée, en ce sens
que cette loi établisse combien
il y aura de généraux de division, de généraux de brigade, de colonels, de
majors, d’officiers de tout grade ?
Dans le
rapport sur le budget de la guerre pour l’exercice 1841, la fixation des cadres
est également indiquée, un des objets essentiels de la loi d’organisation.
Je pourrais
multiplier ces citations ; mais pour ne pas abuser des moments de la
chambre, je crois pouvoir m’en rapporter à vos souvenirs.
Il y a plus
d’ailleurs, on pourrait soutenir jusqu’à un certain point, qu’il y a de la part
de la chambre une adhésion formelle à la circonscription de la loi. A la fin de
la discussion du budget de la guerre de 1843, Monsieur le ministre de
l'intérieur s’est positivement expliqué sur la manière dont le gouvernement
entendait ce mot organisation.
« Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, vous disait Monsieur le ministre de l'intérieur,
il est bon qu’on sache dès à présent ce qu’il faut entende par une organisation
de l'armée. Faut-il entendre une organisation dans ses moindres détails ?
Veut-on, par exemple, une organisation semblable à celle qui résultait, en
France, de la loi du 23 fructidor an VII, où tous les détails de l’armée
étaient déterminés d’une manière permanente ? Evidemment non ; le
gouvernement ne peut pas prendre l’engagement de vous apporter une loi de ce
genre, l’armée deviendrait complètement stationnaire ; ce serait voter
comme loi les développements du budget et annihiler toutes les prérogatives .
M. Castiau – Mais la loi fait tout cela.
M. Beuckers, commissaire
du Roi – Non
messieurs ; et pour vous en convaincre, je me permettrai de vous rappeler
le contenu des lois de fructidor an VII. La première, celle du 23, fixe pour l’an
VIII, la composition de l’armée dans tous ses détails, et fixe la solde pour
tous les grades, à partir du ministère de la guerre.
Celle du 26
fructidor, qui appartient au même système, règle le rétablissement des masses
divisées en abonnements, à raison de tant par homme, sous les dénominations de
masses de boulangerie, de fourrages, des étapes, du chauffage, du logement, des
hôpitaux, de l’habillement, de l’entretien et des remontes.
Suivent
d’autres lois encore, concernant le matériel, les fournitures, les travaux
militaires, etc., dont je vous épargne le détail ; ce qui précède pouvant
suffire pour prouver que Monsieur le ministre de l'intérieur avait raison de
dire qu’en votant d’une manière permanente une loi semblable à celle de
fructidor an VII, vous immobilisiez tous les détails du budget. Et la raison en
est fort simple, c’est que les lois de fructidor n’étaient autre chose que le
budget de l’an VIII.
Un membre – Mais
pourquoi nous renvoyer à un budget ?
M. Beuckers, commissaire
du Roi –
Evidemment, messieurs, en citant les lois de l’an VII pour exemple, on
désignait les matières qu’elles contiennent et non leur caractère
spécial ; et, à mon tour, j’ai raison de prétendre qu’on ne peut rien
conclure de ceci contre le projet de loi, ou qu’il n’y a pas la moindre
analogie entre ces dispositions et les lois de l’an VII.
Si l’on
entend, au contraire, par organisation de l’armée, une loi qui décréterait
certains principes généraux ou cadres généraux, il y aura moyen de nous
entendre, puisque je cite des précédents que nous offre le gouvernement
français ; ce serait une loi qui se rapprocherait plus ou moins de celle
du 4 août 1839, et nous croyons que, sans sortir des limites de la prérogative
royale, une loi de ce genre n’est pas impossible.
Cette déclaration
si expresse, messieurs, a été acceptée sans objections par la chambre, bien que
toutes les dissidences fussent appelées à se manifester. Le caractère de la loi
a été depuis lors nettement défini ; le paragraphe du programme
ministériel qui a été rappelé dans la discussion n’exige point
d’interprétation. L’engagement que prenait le ministre, successeur du général
de Liem, était positif et explicite.
Et
remarquons, messieurs, qu’à cet égard même Monsieur le ministre de l'intérieur
nous a dit, ailleurs, qu’il faisait la déclaration qui précède avant que le
ministre qui recueillerait la succession du général de Liem sût à quoi il
s’engageait. C’est en acquit de cet engagement que le projet de loi que vous
examinez en ce moment vous est présenté, loi toute spéciale et qui ne pouvait
être différente de ce qu’elle est. Du reste, tout en restant dans la pensée de
cette déclaration ministérielle, le gouvernement l’a exécutée dans le sens le
plus large, car la loi française de 1839 ne fixe que le cadre des officiers
généraux et la loi qui vous est soumise arrête ceux de tous les grades
indistinctement.
Les
engagements qui ont été produits contre la fixation des cadres, font donc,
messieurs, le procès à ce qu’on pourrait appeler une décision prise, à une
convention au moins implicite entre la chambre et le gouvernement.
Le plus
décisif de ces engagements, sur lequel on a insisté le plus, c’est que la loi
enchaîne dorénavant la prérogative de la chambre, en ce qui concerne le vote du
contingent et celui du budget.
Les
considérations présentées par Monsieur le ministre de l'intérieur dans la
séance précédente, ont pu vous rassurer à cet égard ; mais il est à
remarquer de plus que les rapports obligés qu’on a supposés exister entre la
fixation des cadres et le contingent n’existent pas, du moins dans le sens
qu’on leur a attribué.
Il est
vrai, que, pour déterminer, les limites des cadres à conserver en temps de
paix, on a dû prendre pour base un effectif du pied de guerre ; mais le
contingent que vous votez annuellement ne dépend pas du cadre des officiers.
Et ce qui
le prouve, c’est que le chiffre du contingent a souvent varié sans que le cadre
ait subi des variations ; la seule différence qui a pu en résulter, c’est
que, d’après les besoins du moment, les cadres ont été plus ou moins remplis.
Le même
argument a pris une autre forme aujourd’hui. On vous a dit que le vote de loi
vous engageait en ce qui concerne la loi de recrutement. Mais, messieurs,
permettez-moi de vous faire remarquer que dans tout état de questions la loi de
recrutement doit reposer sur une base qui est la fixation de l’effectif de
l’armée, que cette loi devait avoir pour effet d’alimenter.
Eh bien,
cette base vous est fournie par la loi que vous discutez aujourd’hui, et à ce
titre on peut soutenir avec raison que cette loi devait nécessairement précéder
celle du recrutement.
Il ne faut
pas non plus que de ce côté on craigne quelque surprise. La loi de recrutement
qui fonctionne actuellement, est déjà depuis plusieurs années (page
1299) appliquée à un effectif de 80,000 hommes. Les effets du
système sont donc déjà connus et appréciés dès aujourd’hui.
Non,
messieurs, loin de vouloir abdiquer ou restreindre sa prérogative en exigeant
une loi constitutive des cadres, la chambre a voulu augmenter les moyens de
contrôle, en limitant le droit que le gouvernement avait dans l’absence de la
loi, d’étendre les cadres à volonté, de créer de nouveaux grades. C’est ainsi
qu’on s’exprimait.
A cet
égard, aussi, il n’existe pas d’équivoque sur les intentions de la chambre ;
ses opinions qui se sont fait jour dans cette enceinte et dans une autre, se
sont clairement expliquées là-dessus.
Le
gouvernement, messieurs, a pu, en cette circonstance, se rendre avec
empressement au voue de la chambre, parce que ce vœu s’accordait avec ce que sa
propre sollicitude pour les intérêts de l’armée devait lui inspirer, et ceci,
me conduit à considérer la seconde face de la question des rapports de la loi
avec les budget des dépenses.
Sur ce
point encore, si mes souvenirs me servent bien, messieurs, c’est encore la
représentation nationale qui a pris l’initiative ; plusieurs de ses
membres vous ont signalé les inconvénients sans nombre qu’amenaient les
discussions constamment renouvelées sur la composition et la force des cadres, discussion
qui venaient remettre en question toutes les positions de nombreux officiers,
positions souvent bien chèrement et bien laborieusement acquises.
Oui,
messieurs, le mal moral dont l’armée a tant souffert était bien là. Chaque
discussion du budget de la guerre a été jusqu’ici pou l’armée, une époque
d’incertitude et de crise qu’on attendait avec crainte, qu’on suivait avec
anxiété et pendant laquelle, qu’il me soit permis de le dire, la haute
confiance que l’armée aime à placer sans restriction dans tous les grands
pouvoirs de l’Etat, ne conservait pas toujours sa force.
Ce sont là
des faits que je crois pouvoir citer sans autre intention que de les constater.
Mais ces faits constituent une situation grave à laquelle le projet qui vous
est soumis doit enfin apporter un remède définitif. C’est bien là qu’était la
cause du malaise qu’on nous a signalé, et c’est à tort que quelques honorables
membres placent cette cause ailleurs.
- La séance
est levée à 4 heures et demie.