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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 30 janvier 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 641) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et un quart.

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse communique l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de l’administration communale de Veltweset demandent la construction du chemin de fer d’Ans à Hasselt par Tongres. »

« Même demande de l’administration communale de Munsterbilsen, Zutendael et Beverst. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.


« Plusieurs cultivateurs de Clemskerke demandent une augmentation de droits d’entrée sur les céréales. »

M. Rodenbach – Messieurs, nous avons déjà reçu des pétitions de cultivateurs de la Flandre occidentale qui demandent une augmentation de tarif sur les céréales étrangères. En voici encore une qui arrive, je ne pas bien de quelle commune…

M. de Renesse – De Clemskerke.

M. Rodenbach – C’est encore de la Flandre. Eh bien, messieurs, je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission avec invitation de nous présenter un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Van Cutsem présente plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation.

(page 642) Ces rapports seront imprimés et distribués. La chambre en fixera ultérieurement la mise à l’ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l'exercice 1845

Discussion générale

M. Verhaegen – Messieurs, dans la séance de samedi dernier, j’ai eu l’honneur de vous faire connaître les raisons pour lesquelles je refuserais dorénavant ma confiance à chacun des membres du cabinet ; je m’étais réservé de développer ultérieurement les griefs que j’avais à faire valoir contre le cabinet tout entier. C’était pour remplir cette tâche dont je m’étais fait inscrire ; mais depuis, messieurs, des membres de la majorité se sont fait entendre, des discours très importants ont été prononcés, et je tiens, avant tout, à en prendre acte ; je tiens à constater des faits, que, plus d’une fois, dans cette enceinte, j’aurai l’occasion de vous rappeler ; je tiens aussi, messieurs, à répondre à certaines attaques dirigées, d’abord contre moi personnellement, ensuite contre l’opinion libérale, à laquelle je me fais gloire d’appartenir.

Le discours de l’honorable M. Dumortier, homme de la majorité, est un « événement ». C’est un acte de franchise qui fait honneur au caractère de cet honorable membre, et nous n’attendions pas moins de lui. Souvent nous invoquerons ce discours à l’appui de nos assertions, car désormais il appartient à l’histoire.

M. Dumortier, l’un des membres les plus influents de l’opinion catholique a rappelé des faits graves ; il a pensé tout haut, lorsque d’autres se bornaient à penser tout bas ; il a constaté des vérités bien dures pour son parti. Les révélations que nous devons à sa franchise, aucun membre de la majorité n’a osé les démentir. Seulement quelques-uns de ses amis politiques se sont permis, et encore avec beaucoup de ménagement, de combattre les conséquences qu’il avait tirées de ses prémisses.

Je dis que les faits narrés par l’honorable M. Dumortier n’ont pas été démentis par la majorité, car l’honorable M. de Mérode, dans un moment d’impatience, s’est borné à lui répondre par cette apostrophe : « Puisque vous y allez de la sorte, vous ne serez pas à l’avenir admis dans nos réunions. » Non sans doute parce qu’il n’avait pas dit vrai, mais parce qu’il avait trop dit, parce que d’après lui il avait été indiscret.

Le discours de l’honorable M. Dedecker, je suis obligé de le proclamer, est un brandon de discorde jeté dans le pays. C’est un appel à toutes les passions. C’est un discours auquel je puis, sans aller trop loin, donner le nom d’incendiaire.

M. Dedecker, dans ses provocations, est allé beaucoup plus loin que MM. les ministres de l’intérieur et de la justice, dont le but évident était de renouveler ces scènes, de raviver ces querelles, ces haines dont le cabinet, dans d’autres temps, avait eu l’adresse de profiter.

Quelles qu’aient été ces provocations, nous n’y répondrons que par le silence et par le mépris, ce serait de donner trop beau jeu à nos adversaires que de les suivre sur le terrain brûlant où, en désespoir de cause, ils ont jugé à propos de se placer.

Messieurs, je pourrais résumer en deux mots le discours de M. Dedecker. Lui aussi, en disant des vérités très-dures au ministère, l’a tenu constamment sous ses pieds. A l’en croire, M. Nothomb, est son homme, son très-humbe valet ; le cabinet est dévoué à ses ordres, et pour qu’il puisse compter sur la continuation de son appui, il faut, de sa part, une soumission plus grande encore que par le passé, une soumission complète à ses volontés !

Que sais-je, d’après les paroles de l’honorable membre, il semblerait même que le marché soit déjà conclu !! Dans ses exagérations, dans ses appels réitérés aux passions, n’avons-nous pas entendu des critiques amères contre les productions littéraires au dedans et au dehors ?

La condition que M. Dedecker impose au ministère, la condition dont il fait dépendre sa misérable existence, c’est la censure à l’intérieur et une loi sur la réimpression en ce qui concerne les productions littéraires de l’étranger ; et déjà M. Nothomb paraît avoir accepté cette condition humiliante ; car en répondant je ne sais à quel orateur, faisant allusion aux réclamations des ouvriers typographes, il a glissé dans son premier discours une phrase qui coïncide fort bien avec celle de l’honorable M. Dedecker. Nous verrons ce qui en arrivera dans la suite.

L’honorable M. Dedecker est aussi, lui, homme de la majorité, de même que l’honorable M. Dumortier ; qui donc a parlé au nom de cette majorité ? est-ce l’honorable M. Dedecker ? est-ce l’honorable M. Dumortier ?

M. de Mérode – Chacun a parlé pour son compte.

M. Verhaegen – Cette majorité si unie, si compacte, si disciplinée, où est-elle donc ? Où sont dans ces circonstances solennelles ses orateurs, ses organes ?

Je ne parlerai pas du discours de l’honorable M. Cogels ; déjà on en a fait justice.

Parlerai-je du discours de l’honorable M. de La Coste, dont les formes plus ou moins diplomatiques sont peut-être plus en harmonie avec les allures de la droite ? « M. de la Coste n’accorde sa confiance au ministère que sous bénéfice d’inventaire. » Messieurs, l’expression est heureuse, mais est-elle adoptée par la majorité ? Nous verrons.

Quant à l’honorable M. Malou, sauf quelques variantes, il a répété ce qu’avait dit l’honorable député de Louvain, il est à croire que M. Malou serait allé plus loin, si une interpellation venue de nos bancs, ne l’avait engagé à s’arrêter sur la pente sur laquelle il s’était placé.

Voilà, messieurs, comme je dessine en gros les divers discours prononcés au nom de la majorité, ou, comme le prétend M. de Mérode par des membres de la majorité, chacun parlant pour son compte.

Nous reviendrons, messieurs, sur tous ces discours ; nous avons hâte de répondre aux reproches qu’on nous a adressés, à nous personnellement et à l’opinion à laquelle nous avons l’honneur d’appartenir.

On m’a reproché, à moi personnellement, « d’avoir attaché le ministère au Pilori, et en outre d’avoir mis à nu les intrigues du parti libéral ! » Ces expressions, dont j’ai tenu note, se sont rencontrées dans deux discours différents.

J’aurais mis à nu les intrigues du parti libéral, parce que, répondant à une espèce de démenti que M. le ministre des finances avait eu l’imprudence de jeter à l’honorable M. Delfosse, j’ai parlé de ce qui s’était passé dans nos réunions de la rue de l’Escalier.

Mais à quoi donc la faute ? Pourquoi M. Mercier a-t-il commis l’imprudence de venir faire des observations qui nécessairement devaient provoquer une réponse ? Pouvions-nous laisser au ministre des finances le champ libre ? Pouvions-nous lui permettre de jouir en paix de tous ses avantages, et en même temps de nous adresser des démentis.

En agissant comme nous l’avons fait, nous nous sommes placés sur le terrain de la légitime défense.

Et puis, après tout, nos réunions ne sont pas secrètes : toujours elles ont lieu au grand jour ; l’opinion libérale ne vit, elle, que de publicité, et aucun de nos amis, j’en suis convaincu, ne reculera devant une responsabilité commune. Nos réunions ne sont pas des conciliabules, car, d’après l’opinion de l’honorable M. de La Coste, des réunions ne deviennent des conciliabules que lorsque les ministres y sont admis ; or, l’opinion libérale n’a jamais admis de ministres à délibérer avec elle, jamais elle n’a envoyé de députation à un ministre quelconque ; ses réunions sont des réunions d’amis, où tous énoncent franchement, ouvertement, leur opinion, et dont tous acceptent les résultats sans arrière-pensée.

Messieurs, la vie de notre opinion est dans les principes, elle n’est pas dans les noms propres. Nous pouvons regretter quelquefois des défections ; mais ces défections, quelles qu’elles soient, ne compromettent jamais l’existence du parti.

Je saisirai cette occasion pour répondre à une autre objection qui prend sa source dans des récriminations. Souvent, messieurs, on s’attaque à des noms propres, et, passez-moi l’expression, souvent dans cette enceinte, on vient faire de l’histoire ancienne ; mais en procédant de cette manière, aura-t-on détruit les griefs articulés contre le ministère ? Sera-ce parce qu’autrefois on aura eu des abus à reprocher à d’autres que les abus actuels devront être tolérés ? Quant à moi, je répudie ce genre d’argumentation. Dès le principe, je me suis placé sur le véritable terrain de l’opposition ; quels que puissent être les hommes au pouvoir, dans le présent comme dans l’avenir, je combattrai, je condamnerai les abus, comme je les ai combattus dans le passé.

Messieurs, ce que j’ai dit à M. le ministre des finances, je pouvais, je devais le lui dire. M. le ministre des finances marchait d’accord avec nous avant sa deuxième entrée au ministère ; et c’est une nouvelle imprudence de sa part que de venir vous parler aujourd’hui des hommes modérés des deux opinions qui divisent le pays et la chambre. Qui donc a donné à M. le ministre des finances le droit de ranger ses anciens amis dans les extrêmes, et de se considérer lui, comme modéré ? (Interruption.)

Voilà les provocations que vous vous êtes permises, M. Mercier, et ce sont ces provocations qui me donnent le droit de vous répondre : Vous étiez ce que j’étais, vous n’avez pas le droit de me placer dans d’autres conditions.

« Des révélations, dit-on, ont dévoilé des intrigues. »

Si j’ai dévoilé des intrigues, je n’ai pas dévoilé les intrigues d’un parti, j’ai dévoilé les intrigues d’un seul homme qui appartenait à ce parti ; j’ai dit comme cet homme était venu au pouvoir, comment il avait usé de nos ressources, de nos moyens communs pour y arriver. (Interruption.)

Ce que j’ai condamné, M. Mercier, c’est votre avènement au ministère de 1843. Vous n’avez pas, dites-vous, failli à votre programme, vous êtes resté libéral, comme vous l’étiez à votre entrée au ministère ; et pourquoi donc ne repoussez-vous pas sur les bancs où vous vous trouvez les attaques dirigées contre l’opinion que vous revendiquez comme vôtre ? ce que nous vous reprocherons toujours, c’est d’avoir pris place à côté de M. Nothomb dont vous aviez flétri la politique.

M. Mercier était entré une première fois au ministère ; vous savez tous, messieurs, comment. Il était tombé avec ceux qui l’avaient élevé sur le pavois ; comme eux il aurait dû avoir la patience d’attendre. Dans un temps plus ou moins éloigné, il aurait pu rentrer au ministère ; il a été trop pressé de jouir et sa position politique, il l’a perdue pour toujours !

Messieurs, ne devions-nous pas, nous membres de la gauche, nous tenir sur nos gardes, après des renseignements très-utiles qui nous ont été fournis par des membres de la majorité ? L’honorable M. Dedecker, entre autres, n’a-t-il pas fait des révélations importantes touchant de bien près à l’exécution de ce prétendu programme qui fait la seule excuse de M. le ministre des finances ?

L’honorable M. Dedecker ne nous a-t-il pas appris que l’opinion catholique est dans l’habitude de laisser faire ses affaires par des libéraux ? Vous savez, messieurs, par quels libéraux ? D’après M. Dedecker (et je cite textuellement le Moniteur), M. Nothomb n’est entré au ministère que « pour comprimer les efforts de l’opinion libérale ». Les efforts de M. Nothomb ont réussi, et l’honorable M. Dedecker espère bien qu’ils réussiront encore au mois de juin prochain. Sur ce dernier point, toutefois, les opinions sont partagées ; ainsi, l’honorable M. Dumortier n’est pas de l’avis de l’honorable M. Dedecker.

Eh, messieurs, voyez la franchise de l’honorable M. Dedecker ! A ce qu’il vient de dire, il a osé ajouter que si certains libéraux n’avaient pas été assis au banc ministériel, la loi de l’instruction primaire n’aurait pas été si bonne qu’elle l’est, pour l’opinion catholique.

(page 643) Entendez-vous, M. Mercier. L’aveu est précieux, vraiment. Pour qui donc nous prend-on dans cette enceinte ? Comment l’opinion qu’on appelle catholique (le mot est sorti de la bouche de ceux auxquels je réponds) l’opinion catholique vient décimer nos rangs ; elle spécule sur des apostasies successives ; elle fait un appel aux transfuges de notre opinion, et après cela on ose encore nous jeter le gant !

La loi de l’instruction primaire a donc été le point de mire de la majorité, s’il faut en croire l’honorable M. Dedecker, et son but a été atteint, parce qu’il y a eu des hommes sortis de l’opinion libérale qui se sont soumis à sa volonté et qui ont fait ce que des ministres catholiques ne seraient jamais parvenus à faire ; car on l’a avoué, un ministère pris dans la droite n’aurait jamais fait passer cette loi…

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Trois voix seulement ont protesté contre cette loi.

M. Verhaegen – Je me félicite, avec mes honorables amis Delfosse et Savart, de n’avoir pas été dupe de cette intrigue. Si, grâce à la comédie que vous ne cessez de jouer au sein de la représentation nationale, vous avez, à cette époque, recueilli des voix sur nos bancs, aujourd’hui le temps de l’illusion est passé ; aussi, mes honorables amis, assis à mes côtés, m’autorisent-ils à vous déclarer qu’en donnant un vote favorable à la loi de l’instruction primaire, ils avaient compté sur une exécution franche et loyale, et que s’ils avaient pu croire que vous leur tendiez un piège, leur conduire eût été toute différente.

Dans tous les cas les regrets de nos amis prouvent que nous, du moins, quoique nous ne fussions que trois, nous n’avons pas été dupes du ministère !

« M. Nothomb n’est venu au pouvoir que pour comprimer les efforts de l’opinion libérale. » Et vous, M. Mercier, libéral par excellence, vous vous êtes assis à côté de M. Nothomb, qui n’est venu au pouvoir que pour comprimer notre opinion commune ! Oh ! la position est belle vraiment ! Si ces paroles vous contrarient, sachez que ce ne sont pas nos paroles à nous, que ce sont les paroles des membres de la majorité, de cette majorité à laquelle vous faites acte de soumission, dont vous n’êtes en définitive, que l’instrument ! Vous êtes contrarié, n’est-ce pas ? mais c’est que la vérité est unie ; on a beau vouloir la cacher, la torturer, il arrive un jour où les positions se dessinent et où les masques tombent.

Et quelle a donc été votre défense contre les reproches que je vous adressais déjà dans mon premier discours, contre les reproches qui n’étaient que la réponse à vos provocations ? Quelle a été votre défense ? Vous êtes venu nous dire que vous aviez condamné M. Nothomb comme se trouvant à la tête du ministère de 1841, ayant à ses côtés des hommes qui ne vous inspiraient aucune confiance, mais qu’il en avait été tout autrement en 1843 alors que les hommes de 1841 avaient disparu… Vous avez donc oublié que c’est contre le chef du cabinet qu’étaient dirigées vos attaques et celles de votre ami M. d’Hoffschmidt. Nous avons cité vos discours, et nos objections sont restées sans réponse. Oui, vous avez condamné la politique de M. Nothomb ; oui, dans la séance du 16 mars 1843, vous aviez donné à cette politique la qualification de politique de « déception » ; oui, vous aviez condamné la politique de cet homme à côté duquel un mois plus tard vous êtes allé vous asseoir après avoir déclaré à la face du pays que vous ne vouliez pas assumer la responsabilité qui pesait sur lui ; vous aviez dit tout cela et vous avez pris pour collègue, pour chef celui que vous poursuiviez de votre blâme et de votre mépris. Votre excuse, votre seule excuse, c’est que M. Nothomb n’était plus en 1843 entouré de ces hommes qui avaient éveillé vos méfiances en 1841, et qu’il y avait un changement complet dans sa position ; mais M. Malou a donné un démenti formel à votre assertion : M. Malou, homme de cette majorité qui vous tient sous ses pieds, nous a dit hier que « le ministère de 1843 n’était que la continuation du ministère de 1841 », qu’il n’y avait eu aucun changement ; que les principes, le programme, la direction étaient restés les mêmes ; qu’au fond, les hommes étaient aussi restés les mêmes.

M. Malou – Il aurait fallu être aveugle pour dire que ce sont les mêmes hommes.

M. Verhaegen – Quand je dis que ce sont les mêmes hommes, vous savez la signification attachée à ces expressions, c’est au moral et non au physique.

Je ferai remarquer d’ailleurs à M. Mercier, que les paroles prononcées dans la séance d’hier par l’honorable M. Malou, trouvent leur complète confirmation dans les faits qui se sont passés relativement à la loi sur le jury d’examen ; et nous n’aurions pas eu le droit de parler de défections !

La majorité, par la bouche d’un de ses membres, a osé se vanter de décimer nos rangs : en se déclarant incapable de prendre, par ses hommes, les rênes du gouvernement, elle a avoué qu’elle ne pouvait compter que sur les hommes de la gauche, sur certains hommes de la gauche, s’entend, de la trempe de M. Mercier ; et à côté de cet aveu constatant son impuissance dans la chambre, cette majorité naguère si altière, a encore avoué son impuissance dans les comices. L’honorable M. Dedecker, répondant à je ne sais quelle objection, n’a-t-il pas dit avec une naïveté vraiment étonnante : « L’opinion à laquelle j’appartiens a perdu ; oui, elle a perdu beaucoup, mais elle aurait perdu encore davantage si elle n’avait pas conservé M. Nothomb au pouvoir » Aveu précieux, aveu que nous aurons occasion de vous rappeler quelquefois à vous, messieurs de la droite.

Vous avez dans les dernières élections, dites-vous, fait des pertes qui vous ont été sensibles ; vous avez perdu dans l’opinion du pays, c’est vous qui le dites encore, et vous auriez perdu davantage, si au lieu d’avoir sur le banc ministériel M. Nothomb et consorts, vous aviez eu des hommes francs et loyaux, des hommes sortis de vos rangs ! Par ces paroles au moins imprudentes, vous avez confessé à la face du pays votre impuissance au dedans comme au dehors, vous avez condamné votre parti !...

Ces aveux si précieux, dont nous venons de prendre acte vont directement à l’adresse de nos ministres : « Nous avons perdu, mais nous aurions perdu davantage, si des membres appartenant à l’opinion catholique avaient été au banc ministériel. » La majorité avait donc fait un pacte avec des hommes sortis de l’opinion libérale, et entre autres avec M. Mercier. La conduite de ces anciens libéraux se trouve aujourd’hui mise à nu par les membres de la majorité. La majorité a donné un certain appui au ministère ou plutôt elle a toléré son existence, mais à la condition bien expresse qu’il fut soumis aveuglément à toutes ses volontés, qu’il fît droit à toutes ses exigences.

Messieurs, ce que disait l’honorable M. Dumortier dans une des précédentes séances est trop remarquable pour que je ne vous rappelle pas ses paroles. Avec cette franchise, qui honore son caractère, il a fait tomber bien des masques, et nos amis politiques auront pu se convaincre que souvent ils ont été dupes de comédies joués dans cette enceinte.

« Messieurs, disait l’honorable M. Dumortier, dans une des dernières séances : Nous avons pendant ces deux années usé infiniment de popularité en faveur de M. le ministre de l'intérieur ; la majorité a voté pour lui et en sa faveur des lois qui lui répugnaient, que jamais elle n’eût votées et que, pour mon compte, je n’aurais jamais votées si ce n’avait été pour le maintenir au pouvoir.

« Nous avons voté la loi relative à la British-Queen ; nous avons voté la loi sur les indemnités, la loi sur les pillages, la loi sur l’entrepôt d’Anvers et encore beaucoup d’autres dont personne ne voulait en cela ; encore une fois, nous avons usé beaucoup de popularité au service de M. Nothomb.

« Nous avions le droit d’attendre, nous de la majorité, que le lendemain nous trouverions en lui une légitime réciprocité. Le jour des élections approche, que fait M. le ministre de l'intérieur ? »

« Nous avions un ministère pour lequel nous avions fait de grands sacrifices, un ministère que, pendant deux ans, nous avions chaudement défendu. Ce ministère devait nécessairement, au jour de élections, nous rendre les services que nous lui avions rendus…

« Eh bien, que fait M. Nothomb ? Le ministère travailla sourdement contre tous les orateurs du parti catholique, comme deux ans auparavant, il avait travaillé contre les orateurs du parti libéral.

« Combattre les libéraux par les catholiques, combattre les catholiques par les libéraux. Voilà la politique de M. Nothomb. »

Je crois, messieurs, qu’on ne peut rien dire de plus fort, rien de plus explicite, et en même temps rien de plus vrai, car personne n’a osé démentir les paroles de M. Dumortier.

Si nous avions voulu assurer nos votes quand même, à MM Mercier, Nothomb et leurs collègues, si nous avions consenti à donner notre adhésion pleine et entière à tous les actes du ministère, à des actes que nous désapprouvions parce qu’ils étaient mauvais, oh ! MM. les ministres seraient peut-être devenus libéraux. Mais notre opinion ne procède pas ainsi elle ne fait pas trafic de ses votes, elle ne vote qu’en âme et conscience, notre opinion est une opinion de principes et non une opinion de spéculation !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous avez voté la plupart de ces lois, à commencer par la loi relative à la ville de Bruxelles.

M. Verhaegen – Toutes les lois que j’ai votées, je les ai votées en âme et conscience, et je vous défie d’oser me dire que j’aurais jamais donné un vote contrairement à mes convictions.

M. de Garcia – Je vous défie de faire ce reproche à aucun membre de la majorité.

M. de Theux – Comme membre de la majorité, je répondrai sur ce point aux observations de l’honorable M. Verhaegen.

M. Verhaegen – Pourquoi cette irritation ? Ce n’est pas à moi que vos reproches devraient s’arrêter ; si ces paroles vous irritent, adressez vos reproches à votre collègue de la majorité dont j’ai reproduit les quelques phrases, il vous répondra.

M. Rodenbach – Personne n’a le droit de parler au nom de la majorité.

M. le président – Ces expressions de l’orateur, que cite M. Verhaegen, ont été relevées comme inconvenantes, parce qu’il n’est pas permis de présenter une partie de la chambre comme ayant émis des votes contraires à ses convictions.

M. Verhaegen – M. le président a certes le droit de nous faire des représentations, mais il nous est permis aussi de lui répondre. J’ai donc l’honneur de répondre à M. le président que je trouve les paroles dont je viens de donner connaissance à la chambre dans le discours de l’honorable M. Dumortier, que je citerai plus d’une fois encore, parce qu’il est devenu un document parlementaire, et qu’il appartient désormais à l’histoire ; je trouve ces paroles dans le Moniteur, mais je n’y ai pas trouvé l’observation dont vient de parler notre honorable président.

M. Dumortier – Ce que j’ai dit est bien simple, et je désire qu’on n’en tire pas d’induction contre la loyauté de la majorité. Lorsqu’on a à examiner une question purement administrative dans le parlement, cette question ne se présente pas sous un seul point de vue. Il y a très-souvent deux choses à examiner dans les propositions qui nous sont soumises : la question d’existence du ministère et la proposition en elle-même. Toutes les questions ne sont pas des questions de liberté, nationalité ou de moralité : lorsque nous avons à délibérer sur des propositions purement administratives, la question d’existence ministérielle l’emporte souvent sur d’autres considérations moins importantes. Je ne citerai qu’un exemple à cet égard . Lorsque notre honorable président était ministre de l’intérieur, j’ai entendu l’honorable M. Delfosse dire : « Puisque nous avons un bon ministère, je (page 644) voterai la loi. » Il s’agissait aussi alors de questions administratives. Eh bien, messieurs, la majorité a fait la même chose : se trouvant entre deux nécessités, ou d’amener le renversement d’un ministère qui lui convenait, ou de concourir à l’adoption d’une loi administrative qu’elle n’approuvait pas, il lui est arrivé souvent de voter pour la loi administrative, et c’est ainsi que naguère encore pour faire passer des mesures qui lui convenaient, elle demandait qu’on en fît des questions de cabinet. On ne peut donc tirer de mes paroles aucune accusation contre la majorité.

M. Delfosse – La doctrine de M. Dumortier n’a jamais été, elle ne sera jamais la mienne. Cela est si vrai que sous le ministère de 1840 qui avait, jusqu’à un certain point, mes sympathies, j’ai voté contre divers projets de loi, auxquels ce ministère attachait quelqu’importance. Des amis m’ont même dit alors : Prenez garde ! vous allez ébranler le ministère. Je leur ai répondu : Que m’importe le ministère ? Ma conscience avant tout.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Cette doctrine qui a été produite par l’honorable M. Dumortier a été si peu la nôtre, que lorsqu’il s’est agi de la loi des sucres, nous n’avons pas voulu en faire une question de cabinet. La chambre voudra bien se le rappeler.

M. de Mérode – Je dois repousser le système de l’honorable M. Verhaegen, qui veut toujours établir l’honorable M. Dumortier comme l’interprète, le représentant de la majorité. Quant à moi, je récuse entièrement cette représentation.

M. le président – Je renouvelle à tout le monde l’observation que je ne souffrirai jamais que l’on mette en doute la liberté des consciences dans cette chambre, et qu’on insinue que les lois sont votées dans cette enceinte sans indépendance. Tout ce qui tendrait à incriminer les intentions d’une partie de la chambre sera toujours relevé comme contraire à l’ordre.

M. Verhaegen – Je dois croire que l’observation de M. le président ne s’adresse pas qu’à moi car je serais en droit de lui répondre que le discours de l’honorable M. Dumortier qui, comme je le disais tantôt , fait partie des documents parlementaires, se trouve dans le Moniteur, et que l’observation telle qu’elle a été faite par M. le président ne s’y trouve pas.

M. le président – Si M. Verhaegen avait lu le Moniteur, il y aurait trouvé le rappel à l’ordre au passage qu’il a cité.

M. Verhaegen – Plusieurs membres semblent désavouer maintenant l’honorable M. Dumortier (interruption) ; désavouent-ils aussi l’honorable M. Dedecker ? (Nouvelle interruption.)

M. le président – N’adressez pas d’interpellation à la chambre.

M. Rodenbach – L’opinion de M. Dedecker est une opinion personnelle.

M. Verhaegen – Je n’ai pas l’habitude d’interrompre mes honorables collègues, et je désire aussi qu’on ne m’interrompe pas. Les interruptions toutefois servent à quelque chose : elles nous mettent à même de juger la conduite de certains interprètes de l’opinion qu’on appelle catholique. Pourquoi donc, rejette-t-on, en quelque sorte, comme indigne, l’honorable M. Dumortier (Vives réclamations à droite). Mais si vous ne le rejetez pas, vous l’acceptez donc ? (Interruption.) Enfin, messieurs, l’acceptez-vous au moins « sous bénéfice d’inventaire » (Hilarité.) Bientôt, on ne verra, dans l’honorable M. Dumortier, qu’un député mixte. (Nouvelle hilarité.)

Qu’il me soit permis de répondre un mot à l’honorable comte de Mérode : ce qu’il vient de dire à droit de m’étonner ; lui qui dans le moment même n’a pas osé donné un démenti à l’honorable M. Dumortier, mais qui s’est borné à lui dire : « qu’il ne serait plus admis désormais aux réunions de la droite » proteste après coup, et pourquoi ? parce que l’honorable M. Dumortier a été trop franc, parce qu’il n’a pas été assez discret.

Messieurs, je continue mes citations, sûr que je suis, que pour celles que j’ai à vous communiquer encore, il n’y a pas eu de rappel à l’ordre. Voulez-vous savoir comment MM. les ministres sont soumis aux volontés de la majorité ? Ecoutez, ce que disait, dans la séance du 29 janvier, l’honorable M. Dumortier :

« La question des droits différentiels… ! Mais, messieurs, de quel droit le ministre de l’intérieur actuel se présente-t-il comme en étant l’auteur ? Mais ignore-t-il que lorsqu’il a été question d’agiter ce grave et immense intérêt dans le parlement, il était un de ceux qui se sont opposés le plus à ce système ? Ignore-t-il que cette question, due entièrement à l’initiative d’un des nôtres, de l’honorable M. de Foere, n’a été votée par le parlement que parce que la majorité le voulait, l’exigeait ! C’était donc non pas un acte de triomphe, mais un acte de soumission à la majorité. Qui a fait la loi des droits différentiels ? C’est la chambre et non le cabinet ? Qui a fait la motion ? C’est la chambre…

Ainsi, encore une fois, M. le ministre de l'intérieur n’a aucun droit de se prévaloir ici d’un vote qui lui a été imposé par la majorité. »

Une soumission, l’entendez-vous ? Une très-humble soumission à la majorité !

Et ici, on ne donnera pas un démenti à l’honorable M. Dumortier, car l’honorable membre. Dedecker lui-même, en défendant le ministère, a dû convenir que M. Nothomb a subi l’influence de la majorité dans la loi des droits différentiels.

Ainsi voilà bien M. Nothomb et tous ses collègues esclaves de la majorité, soumis à ses volontés !

C’est, comme je l’ai dit dans une autre circonstance, la majorité qui a un ministère, et non pas le ministère qui a une majorité.

Messieurs, je tiens à vous citer un autre passage encore du discours de l’honorable M. Dumortier. Il s’agissait de ce qui s’est passé quant à la loi des jurys d’examen ; vous y verrez ce qui caractérise à la fois et le ministère et la majorité dont il est le très-humble serviteur.

Voici les termes dont il s’est servi.

« Par la loi sur le jury on faisait le procès à la majorité, on sacrifiait ce qu’elle avait de plus cher. Et savez-vous ce qu’on avait fait pour tâcher de réussir ? On avait chercher dans les embrasures de croisées à détacher quelques membres de la minorité qu’on savait ne pouvoir réunir sans cela. La majorité resta unie et compacte. Dans cette position difficile, la majorité eut des conférences ; l’orateur qui m’a précédé y ayant fait allusion, me force à entrer à ce sujet dans quelques détails. Cet honorable membre ayant accepté au nom de la majorité de rendre la loi temporaire, la majorité s’était comptée ; elle eût pu en finir une bonne fois et rendre la loi définitive ; mais on avait encore des égards pour la position d’un ministre de l’intérieur qui avait fait la promesse formelle qui si la loi était temporaire, il voterait avec nous. Pour ménager donc sa position, un des membres accepte la mission de proposer la loi temporaire, il dit même à l’assemblée, donc peut-être trente membres sont ici présents : Vous venez de reconquérir un vote, je présenterai la proposition, je suis des vôtres. L’honorable membre présente la loi temporaire au nom de la majorité, et vote un instant après contre la majorité ; digne ami de M. le ministre de l'intérieur qui vote aussi contre la majorité. »

Personne non plus n’a osé donné un démenti à l’honorable M. Dumortier.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Mais j’ai donné un démenti.

M. Verhaegen – Mais nous savons tous que, quand la loi a été présentée, plusieurs membres du cabinet ont déclaré que c’était une satisfaction donnée à la gauche. L’honorable M. Dumortier nous a expliqué après cela comment le revirement s’est opéré ; il nous a fait voir comment nous, défenseurs du projet, nous avons été obligés de le défendre contre M. Nothomb, « plus que contre tout autre ». La comédie, messieurs, qui été jouée, la voici : M. Nothomb a adopté dans les conciliabules de la droite un amendement, destiné à lui accorder grâce, et d’après lequel la loi, entièrement changée par la section centrale, ne serait que temporaire. En séance publique, il a voté contre l’amendement, après avoir compté les voix de la majorité, sûr qu’il était que l’appoint de sa voix n’était pas nécessaire ; puis avec tous ses collègues, il a voté pour la loi ainsi amendée.

Tout ce que nous avons appris à cet égard n’a fait que confirmer nos prévisions ; nous nous en étions d’ailleurs déjà expliqués dans la discussion, et nous n’avons pas été dupes.

Messieurs, j’ai à répondre maintenant aux attaques dont l’opinion libérale a été l’objet de la part d’un des membres du cabinet et de la part de trois orateurs de la majorité.

S’il faut en croire M. le ministre des travaux publics, l’opposition aurait eu, dans l’intervalle de quatre ans, deux systèmes différents ; elle aurait usé de tactiques, d’intrigues, de ruse. (Cette dernière expression n’est pas de M. le ministre des travaux publics, elle est d’un des membres de la majorité, car je donne à chacun ce qui lui appartient.)

Et pourquoi a-t-elle usé de tactique ? parce que, dans ces derniers temps, elle a été trop modérée. Autrefois, dit-on, elle attaquait la majorité comme rétrograde, comme réactionnaire ; aujourd’hui ces attaques si vives ont subitement cessé, et elles sont remplacées par des attaques contre le ministère ; on va même jusqu’à laisser supposer qu’il existerait une alliance, une coalition entre certains membres de la gauche et de la droite. Quant à moi, messieurs, je ne connais rien de semblable alliance, et je crois que la droite n’en connaît pas davantage.

M. de Tornaco – Le mot intrigue le ferait supposer.

M. Verhaegen – Sans doute, comme vous me le faites remarquer, cette expression est de M. le ministre des travaux publics. C’est lui qui s’est permis l’insinuation ; que ses amis politiques lui répondent, c’est à eux qu’est réservée cette tâche.

Messieurs, chacun des partis peut conserver le terrain qui lui est spécial, tout en se plaçant momentanément sur un terrain commun : ce terrain commun est celui sur lequel nous nous trouvons aujourd’hui.

Nous aurions usé de tactique ! nous aurions usé d’intrigues ! on a été jusqu’à dire que nous aurions caché notre drapeau !

L’opposition, à en croire certains orateurs, a été trop modérée dans ces derniers temps comme elle a été trop exagérée dans d’autres ! Vraiment, si nous nous en rapportions à quelques honorables membres, jamais l’opposition n’aurait été dans des limites convenables ; tantôt elle aurait été trop modérée, tantôt trop exagérée.

Si un grand nombre de membres de la gauche se trouvent en ce moment sur un terrain commun avec plusieurs honorables membres de la droite, c’est qu’il y a à l’ordre du jour une question qui intéresse tous les partis, toutes les nuances d’opinions.

Cette question, comme on vous l’a dit, est une question de moralité, et il ne fallait pas, pour cela, d’autre preuve que la position des partis : lorsque à un jour donné les partis oublient ou suspendent leurs haines, lorsqu’à un jour donné, des griefs contre un ministère sont devenus des griefs communs, c’est que le débat se rattache à une question de haute moralité politique.

Le terrain commun a été exploré sans engagement aucun, sans idée préconçue, sans conciliabule.

Est-ce à dire, pour cela, que nous avons abandonné notre drapeau ? Est-ce à dire que les membres de la droite qui se trouvent avec nous sur un terrain commun ont abandonné le leur ? L’honorable M. Dumortier, par exemple, parce qu’il est d’accord avec nous pour combattre le ministère, aurait-il abandonné ses opinions catholiques ? Personne de vous, messieurs, n’oserait le lui dire en face ni même le supposer.

De quel droit alors osez-vous suspecter la gauche ? Nous trouvons-nous dans une autre position que MM. Dumortier et ses collègues ? Nous aurions abandonné notre drapeau. Y avez-vous songé ? ce drapeau que nous ne voulons (page 645) pas profaner, que nous n’avons pas l’habitude de promener, de mettre inutilement à découvert dans toutes les discussions, ne vous l’ai-je pas montré avec orgueil tout récemment encore dans la discussion du budget de la justice ? Ne vous rappelez-vous plus qu’à l’occasion de mon discours j’ai été l’objet d’attaques très-vives, non-seulement dans cette enceinte, mais dans la presse. Sachez-le bien,ce drapeau que nous arborerons de nouveau avant la fin de la discussion du budget de l’intérieur, alors qu’il s’agira des détails, ce drapeau, sacré pour nous, nous ne l’abandonnerons jamais !

Nous aurions abandonné notre drapeau, parce que, discutant avec des membres de la droite une question de haute moralité politique contre le ministère, nous avons consenti à suspendre nos anciennes querelles ; en un mot, parce que nous avons fait preuve de modération ! Oh, nous le savons, du reste, c’est cette modération qui désespère le ministère, qui fait peur à certains hommes qui appuient le ministère.

N’avons-nous pas vu dès le début de cette discussion, M. le ministre de la justice faire un discours uniquement destiné à vous rappeler les détails de l’affaire de Verviers ? Il a espéré sans doute nous conduire sur un terrain brûlant ; mais il s’est trompé ; à cette provocation dont le but n’échappera à personne, nous nous bornerons à répondre que la justice a prononcé dans l’affaire de Verviers, comme bientôt elle prononcera dans l’affaire de Watermael-Boitsfort !

Après le discours de l’honorable M. d’Anethan, et venu, messieurs, ce brandon de discorde dont je vous parlais en commençant. Que n’a pas fait l’honorable M. Dedecker pour réveiller les haines ? que n’a-t-il pas fait pour nous attirer sur le terrain qu’il s’était choisi ? Il a fait appel à toutes les passions ; il est allé jusqu’à jeter (et je ne vais pas trop loin en m’exprimant ainsi), l’effet fera apprécier la cause, il est allé, par son discours, jusqu’à jeter la perturbation dan le pays.

Et quelles sont, en définitive, ces idées ? quelles sont ces théories de l’ami intime de M. le ministre des travaux publics ? On a osé parler naguère, dans cette enceinte, des relations d’amitié qu’on a prétendu compromettantes alors qu’elles échappaient au contrôle de la chambre. Mais vous, M. Dedecker, ne vous apercevez-vous pas qu’en développant à la tribune certaines théories, que votre parti n’oserait avouer, vous compromettez l’honorable M. Dechamps, dont vous avez les inspirations comme ami politique dévoué ?

Ces idées sont subversives des principes constitutionnels et d’ordre social.

Oui, messieurs, le discours de l’honorable M. Dedecker a eu pour but d’éveiller les passions, de jeter la perturbation dans le pays, ; et, nous vous le déclarons tout d’abord, quoique nous ayons été nous-mêmes l’objet d’insinuations et d’attaques odieuses, nous ne descendrons pas jusqu’à répondre directement à l’honorable membre. Nous nous bornerons à lui dire que si, contrairement à l’opinion de plusieurs de ses amis, il soutient que les partis en Belgique seront éternels, que les drapeaux des partis doivent être acceptés avec leurs souillures et leurs déchirures, que la lutte est engagée entre la foi et l’incrédulité, entre la moralité et l’immoralité, entre la négation et l’affirmation…

M. Dedecker – Je n’ai pas dit cela.

M. Verhaegen – Vous l’avez dit.

Que si même dans l’intérêt de certaine opinion on osait demander un jour d’appliquer à ceux qui attaquent le dogme, les mêmes peines qu’on applique aux parricides, aux régicides, nous nous bornerons à lui dire que ce ne sera pas en dressant des échafauds qu’on fera respecter ce qui au fond, est respectable ; que, pour inspirer le respect, il ne reste que le seul appel aux convictions sincères et que la violence ne serait que le retour de l’inquisition. Pour ce qui nous concerne personnellement, nous lui dirons que notre opinion est notre propriété, que la Constitution en assure le libre exercice, et que, pour les actes que nous posons, alors qu’ils ne sont pas réprouvés par les lois, nous n’en devons compte qu’à Dieu et à notre conscience.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je demande la parole.

M. de Mérode – Je l’ai demandée pour un fait personnel.

M. de La Coste – Et moi aussi.

M. Verhaegen – Nous aurions caché notre drapeau ! Nous l’aurions abandonné ! Notre drapeau, messieurs, vous le connaissez, tout le pays le connaît, et j’ai assez foi dans mon opinion pour dire qu’il commande le respect ; que partout il sert de ralliement ! Ne serait-ce pas peut-être ce drapeau, ce signe de ralliement que redoutait l’honorable M. Dedecker lorsqu’au commencement de son discours, il nous disait que l’opinion catholique avait perdu, beaucoup perdu, mais qu’elle aurait perdu plus encore, si le ministre de l’intérieur n’était arrivé aux affaires pour comprimer les efforts de l’opinion libérale !

Notre drapeau, messieurs, il est aux couleurs vives et ineffables ! notre drapeau, nous pouvons le montrer, l’avouer à la face du pays !

Mais votre drapeau, messieurs, qui vous attaquez, quel est-il donc ? J’ai le droit de vous le demander, puisque vous avez parlé du nôtre. Vous êtes hommes de la majorité, vous l’avouez. Hommes de la majorité, votre drapeau est et ne peut être que le drapeau du ministère ; il ne m’en faut d’autre preuve que le discours de l’honorable M. Dedecker et de ses amis. Qui dit majorité, dit ministère. La majorité ! mais c’est ce qui constitue l’appui du ministère, c’est la consécration de ses actes. La majorité abdiquerait si elle n’adoptait pas le programme des hommes qu’elle appuie ; sans le drapeau du ministère, la majorité serait dépourvue de signe de ralliement ! et ce drapeau, elle doit l’accepter tel qu’il est avec ses souillures et ses déchirures, sous peine de n’être plus.

Ayez donc le courage, vous, messieurs de la majorité, de vous présenter en face du pays tenant en main le drapeau du ministère avec ses souillures et ses déchirures, et osez, s’il le faut, braver l’opinion publique pour se sauve garder !

Les questions de confiance ne sont pas des questions relatives. Il ne s’agit pas de dire : J’accorde la confiance à un ministère à certains égards et fait des réserves pour d’autres, votre position, en deux mots, la voici :

Vous devez adopter le ministère aux yeux du pays, ou vous devez le répudier ; vous devez l’accepter tout entier ou le répudier tout entier, votre drapeau, encore une fois, c’est le drapeau du ministère, vous n’en avez pas et vous ne pouvez pas en avoir d’autre. Ce drapeau, vous le connaissez tous, et vous le connaissez si bien qu s’il faut s’en rapporter à des discours prononcés sur les bancs du centre, ce drapeau, vous n’osez pas l’avouer, ce n’est que sous bénéfice d’inventaire que vous l’acceptez. Sous bénéfice d’inventaire ! mais la succession est donc bien mauvaise, puisque vous n’osez pas vous soumettre aux dettes qui la grèvent. Mais par cela même vous répudiez le ministère car l’héritier qui accepte une succession sous bénéfice d’inventaire ne respecte guère la mémoire de son auteur, il n’a pas foi dans sa position.

Messieurs, il est vraiment respectable ce drapeau, déchiré comme il a été dans la dernière séance, je ne sais en combien de lambeaux ; une partie porte : « Ministérialisme quand même », mais avec des conditions imposées aux ministère.

Une autre partie porte : (ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’honorable M. de La Coste qui s’est servi de l’expression en répondant à l’honorable M. de Mérode), une autre partie porte ; « Confiance homéopathique. ». (Hilarité.) Il s’agit donc d’une très petite dose, d’un millionième, d’un billionième, du trillionème de confiance ! (Nouvelle hilarité.)

Sur une troisième partie sont inscrits ces mots : « Confiance sous bénéfice d’inventaire. »

Sur une quatrième partie se trouve : « Confiance diplomatique. »

Sur une cinquième partie on lit : « Confiance pour 5/6, pour 4/6, pour 3/6, pour 2/6, pour 1/6 ».

Voilà donc le drapeau de la majorité : il n’est plus tricolore, comme vous le voyez ; il est couvert, non pas même de plusieurs couleurs primitives mais de couleurs composées d’après le système homéopathique. (On rit.) Et vous qui tenez en mains ces guenilles, vous avez osé nous parler du drapeau du parti libéral !

Je devais, messieurs, à mon opinion, qui a été violement attaquée, de répondre aux attaques dirigées contre elle. Cette réponse je l’ai donné sans irritation, et surtout sans sortir des convenances parlementaires ; vous me rendrez de nouveau cette justice, que si l’on a fait un appel aux passions, c’est par la modération que nous avons répondu à cet appel.

Messieurs, vous le savez, il me restait une tâche à accomplir et c’est pour remplir cette tâche que je réclame encore pendant quelques moments votre bienveillante attention.

J’ai eu l’honneur de vous rappeler tantôt que dans une précédente séance, j’avais indiqué les raisons pour lesquelles je refusais mon appui à chacun des membres du cabinet, et que je me réservais de développer dans un second discours mes griefs généraux contre le ministère. Si je m’étais arrêté aux considérations que je viens d’exposer, le cabinet, messieurs, eût réellement obtenu ce qu’il désirait : il a cherché, par des questions toute personnelles, à distraire l’attention de la chambre de la véritable question qu’elle a à examiner, mais son but, il ne l’atteindra pas : jusqu’ici je n’ai pas encore dit un mot qui soit relatif aux griefs généraux contre le ministère ; j’ai déblayé le chemin et maintenant j’entre en matière.

J’ai à vous prouver, messieurs, que le ministère ne peut avoir votre confiance, soit que vous le placiez vis-à-vis de l’étranger, soit que vous le placiez vis-à-vis du pays, vis-à-vis de la chambre, de chacun des partis qui divisent la chambre, soit enfin que vous le placiez vis-à-vis de la Couronne.

Vis-à-vis de l’étranger !... Et quelle confiance peut donc vous inspirer un ministère qui se trouve en face de l’étranger dans la position que vous connaissez ? un ministère qui a reçu des démentis publics et officiels en face de l’Europe, et qui n’a pas eu le courage d’y répondre, qui a cherché des subterfuges, au jour solennel, en tournant autour de la question, et qui, plus tard, a jeté des grands cordons à des hommes dont après coup ils prétend avoir eu à se plaindre ! Je ne répéterai pas tout ce qui a été dit précédemment par l’honorable M. Devaux, il me suffit de faire remarquer que le ministère n’a rien répondu à ce grief capital.

C’est le retrait de certain arrêté sur les vins et soieries d’Allemagne qui a amené les représailles ; ce retrait, on l’ai dit, constituait un acte de mauvaise foi ; le manifeste prussien en est la preuve irréfragable ; ce sont les représailles qui ensuite ont amené le malheureux traité du 1er septembre que le ministère a considéré comme une bonne fortune et contre lequel je me félicite d’avoir voté.

Messieurs, non-seulement il s’est agi, dans nos discussions, de l’art. 19, il s’est agi encore des articles 5 et 6, et il m’importe aujourd’hui, alors que l’occasion s’en présente pour la première fois, de faire connaître au pays que l’imprévoyance, l’imprudence, la légèreté du ministère, ont été au moins aussi grandes, en ce qui concerne les art. 5 et 6, qu’en ce qui concerne l’art. 19.

A-t-on donc oublié que M. le ministre des finances lui-même a dû convenir, dans un de nos comités secrets, que pour que le pavillon belge soit mis à l’avenir sur la même ligne que le pavillon étranger (jolie faveur, vraiment !) il faudra, on disait d’abord un arrêté, on a dit ensuite une loi abrogeant certains articles de la loi des droits différentiels, à peine votée et élaborée si péniblement ? Ainsi il est entendu que pour que notre pavillon puisse jouir des mêmes avantages que le pavillon du Zollverein, il faut commencer par modifier une loi importante ! Quand et comment cette modification se fera-t-elle ?

(page 646) Quelle confiance, messieurs, aurez-vous dans des hommes qui se sont mis aux genoux de l’étranger, comme ils se sont mis aux genoux des chambres ? Eh ! mon Dieu, ces hommes aujourd’hui si grands, ces hommes si altiers, quel était donc leur rôle vis-à-vis de nous et vis-à-vis de l’étranger ? Mais a-t-on oublié ces comités secrets qui nous ont révélé tant de fautes, tant de bassesses ? a-t-on oublié cette mémorable séance où MM. les ministres, les uns après les autres, venaient nous dire :

« Oui, nous avons commis des fautes ; oui, nous avons agi avec légèreté, avec imprudence, avec imprévoyance, accusez-nous de toutes ces fautes, de ces légèretés, de ces imprudences, de ces imprévoyances, mais ne nous accusez pas d’un manque de foi, nous voulons tout perdre, vous en avez le droit, hors l’honneur… »

Tel était le langage tenu en face de tous les membres de cette assemblée, en face des fonctionnaires publics qui y siègent et qui, en dehors de cette enceinte, doivent leur concours au ministère ; Singulière conduite pour inspirer le respect à ses agents et obtenir la confiance et l’appui qui ne sont que le résultat de ce respect ! Et le ministère a cru qu’un comité secret pouvait le sauver.

Ensuite, messieurs, ne savons-nous pas tous de quelle manière, abandonnant les voies ordinaires de la diplomatie, le ministère a demandé grâce à l’étranger ? N’a-t-il pas eu un affront de plus à subir lorsque sur cette demande en grâce est arrivée l’apostille favorable du roi de Prusse, très-flatteuse pour le chef de l’Etat belge, mais flétrissante pour les membres du cabinet ? Et ce ministère, vous le considéreriez encore comme capable de traiter dignement avec l’étranger ?

Quelle est d’ailleurs la position de nos hommes d’Etat vis-à-vis de l’étranger, eux qui, par des contrats auxquels ils sont intervenus, ont rendus des capitalistes dupes, dupes de leur bonne foi. J’entends parler, messieurs, de cet emprunt ou vente de lots, si on l’aime mieux, dans l’intérêt de la compagnie de Guatemala, et ici, permettez-moi quelques courtes réflexions. Le ministère, vivement attaqué sur ce point, a détourné l’attention de la chambre au moyen de certaines digressions ; il n’a pas rencontré des objections qui lui avaient été faites par mon honorable ami M. Devaux ; je vais, moi, les lui rappeler et je le sommerai d’y répondre.

Le ministère a concouru à la convention du 21 juillet 1844 ; le secrétaire intime de M. le ministre de l'intérieur était présent, lors de la conclusion, dans l’intérêt du gouvernement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je le nie.

M. Verhaegen – Comme toujours, M. le ministre nie, mais après coup. Je ne sais pas si en face de certains honorables membres on oserait renouveler ce démenti.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je renouvelle la dénégation.

M. Verhaegen – Le fait est tellement vrai que lorsqu’il s’agissait de certaines conditions à insérer dans l’acte, il a fallu, pour terminer, promettre deux décorations de l’ordre de Léopold. Cette promesse devait être ratifiée ; il y a eu des allées et des venues, et finalement après ratification, on a conclu ! On dénie l’intervention du secrétaire particulier de M. Nothomb, déniera-t-on aussi les décorations accordées ?... M. le ministre se tait donc, M. le ministre consent, car il m’a interrompu parce qu’il n’existait pas de preuves écrites de cette intervention, mais il n’ose pas dénier la collation des décorations, parce que les arrêtés sont signés et que ce sont là des preuves, quoi qu’on n’ait pas osé les publier !

Vous voyez, messieurs, que M. le ministre ne dit rien ; je ne puis pas le forcer à parler, mais vous comprendrez bien par ce silence que toutes mes assertions restent debout.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne veux pas, en vous répondant toujours, consacrer le principe, que vous auriez le droit de m’adresser toutes les questions que vous jugeriez convenables.

M. Verhaegen – L’observation est réellement étonnante ! Je ne vous faisais pas d’interpellation, M. le ministre, quand il n’y a qu’un instant je parlais de votre secrétaire qui est intervenu dans la convention ; vous avez pris mon assertion comme une interpellation, et vous m’avez interrompu. Continuant, j’ai dit que le second fait qui prouvait à mes yeux que vous aviez pris une part active à la convention du 21 juillet 1844, c’est que vous aviez donné deux décorations, que vous n’osez pas aujourd’hui faire connaître au pays ! Et maintenant vous venez m’objecter que je vous fais une interpellation, et vous dites que vous n’y répondrez pas. Je comprends que je vous embarrasse : vous avez compromis dans cette circonstance la signature royale, vous avez découvert la Couronne ! On ne joue pas ainsi avec des croix d’honneur, on ne fait pas un semblable trafic, ce n’est pas notre opinion qui donnera jamais l’exemple d’un pareil scandale ! (A gauche : Très-bien !)

Encore un mot de la position du ministère vis-à-vis de l’étranger : quelle confiance aurez-vous dorénavant dans des hommes qui, par leur conduite, ont exposé le sort de toutes nos relations avec la France ? je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit à cet égard, car le ministère n’a répondu à aucune des nombreuses observations ; la conduite tenue par M. le ministre des travaux publics, lors de l’inauguration du chemin de fer rhénan, les opinions professées par son intime ami, l’honorable M. Dedecker, et que M. le ministre des travaux publics ne désavouera certainement pas, et beaucoup d’autres faits encore seront des obstacles permanents à des négociations avantageuses avec la France ; et vous, mes honorables collègues des Flandres, vous regretterez peut-être un jour ce qui a eu lieu dans cette circonstance, lorsqu’il s’agira du sort de l’industrie linière à laquelle nous portons tous intérêt.

Quelle est ensuite la position du ministère dans le pays ? Comment le pays peut-il avoir confiance dans des hommes qui n’ont aucun égard pour les contribuables, qui n’ont rien fait pour l’amélioration de notre système financier ? On s’était vanté d’avoir équilibré les recettes et les dépenses. Mensonge, s’il en fût jamais ! Il est aujourd’hui démontré que cet équilibre est purement fictif ; car les recettes qu’on vante sont des recettes extraordinaires ; ce sont le produit de la vente de domaines, de rentes, de parcelles de terrains contiguës au chemin de fer, etc., etc. ; le déficit est resté au fond le même, et l’équilibre n’est qu’une chimère. Ensuite le ministère oublie-t-il qu’il a demandé et obtenu de nouveaux impôts, des impôts odieux par leur base, parce qu’ils frappent surtout la classe nécessiteuse, classe dont le gouvernement a toujours complètement négligé les intérêts ?

Qu’avez-vous fait, MM. les ministres, pour extirper le paupérisme qui dévore nos populations ? Qu’avez-vous fait pour l’organisation du travail, organisation dont les pays étrangers s’occupent depuis longtemps ? Qu’avez-vous fait pour parer à tous les inconvénients que la misère entraîne ? Qu’avez-vous fait pour l’agriculture ? Vous n’avez fait qu’une seule chose pour l’agriculture, et c’est une dérision ! L’honorable M. de Tornaco vous l’a rappelé, vous avez fait les plans des chemins vicinaux et, chose curieuse !, vous avez dépensé au delà de 600,000 fr. pour cette belle œuvre ! Vous avez répondu à mon honorable ami que vous aviez agi en vertu d’une loi ; mais non, vous avez agi en vertu d’un arrêté, au moyen duquel vous avez abrogé la loi.

Il y avait une loi qui ordonnait aux communes de faire des plans, et qui permettait au gouvernement d’intervenir pour un tiers de la dépense ; eh bien, contrairement à la loi, vous avez fait un contrat de la main à la main avec un individu que vous vouliez favoriser ; c’est maintenant l’Etat qui s’arroge un droit que la loi reconnaît aux communes, et en le faisant, l’Etat contracte des obligations énormes ; on fait des contrats, et on n’a pas même recours à l’adjudication publique !

Et c’est ce cette manière qu’on administre ! c’est de cette manière qu’on vient répondre aux exigences de l’agriculture ! mais ce n’est là qu’un sarcasme. On n’a rien fait pour l’agriculture dans un pays essentiellement agricole ; je me trompe encore une fois, on a dépensé plus de 600,000 fr. pour faire des plans. Et qu’ont produit ces plans bien coloriés, bien reliés, il est vrai ? des inexactitudes, et rien de plus. Dans le Brabant, il y a plus de 300 communes ; eh bien, savez-vous combien de plans on a déjà remis pour le Brabant ? Treize ; et savez-vous combien on en a approuvé ? Trois. Je dois croire que les mêmes choses se passent dans les autres provinces. Et c’est pour atteindre ce but qu’on a dépensé une somme énorme par pur esprit de favoritisme et en violant ouvertement la loi !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Toutes les pièces ont été communiquées à la chambre.

M. Verhaegen – Et qu’avez-vous fait des fonds du trésor ?

Vous les avez jetés par portes et fenêtres, vous avez donné des pensions à ceux qui n’y avaient aucun droit ; en ne faisant aucun compte des représentations que nous vous avions faites dans la dernière session, vous avez mis à la retraite des fonctionnaires qui pouvaient longtemps encore rendre des services à l’Etat ; vous les avez mis à la retraite, en leur accordant, à titre de pension, le plus souvent la totalité de leurs appointements.

Et pourquoi avez-vous agi ainsi ? Pour pouvoir placer vos créatures ! Disons-le ouvertement, messieurs, les places en Belgique ne sont plus, dans les mains du ministère, que des ressources électorales ; et les deux faits que, dans une séance précédente, nous avons articulés à charge de M. le ministre de la justice, nous les maintenons sans rien en retrancher.

Quant à la prodigalité avec laquelle on dépense l’argent du trésor, le ministère est en contradiction avec ses antécédents. Dans la session précédente, M. Mercier avait dit qu’il y aurait équilibre entre les recettes et les dépenses, pour autant, toutefois, qu’on ne s’occupât plus de nouveaux travaux publics.

Or, il y a quelques temps, le ministère est venu nous présenter, avec emphase, un projet de loi, distribuant des canaux, des routes, des chemins de fer à toutes les parties du royaume. Il y en a pour douze millions, et l’on créera, pour subvenir à ces dépenses, des bons du trésor, dont on déplorait naguère l’existence ; je le comprends, on a besoin de tout le monde, et on veut accorder une satisfaction à tout le monde : on doit se faire une majorité à tout prix. Nous avons tous apprécié le but de la tactique à laquelle s’est livré le ministère, quand, la veille même de la discussion actuelle, il a fait réglé l’ordre dans lequel serait examiné le projet de loi sur les travaux publics.

Mais le ministère n’a pas seulement mis en péril les intérêts du pays, il n’a pas seulement exposé la fortune publique, il a encore tenté de compromettre la fortune privée, la fortune des pauvres. Et ici, revient se dresser comme un terrible cauchemar sur la tête du ministère, cette éternelle affaire de Guatemala. Le ministère n’a pas dit un mot pour justifier sa conduite à l’égard des bureaux de bienfaisance. L’observation faire par l’honorable M. de La Coste est saillante, et le ministère ne saurait y répondre. Le ministère a confié les bureaux de bienfaisance à engager leurs fonds dans cette malencontreuse entreprise ; il a failli exposer la fortune des malheureux. Il ne s’est adressé, a-t-il dit, qu’à des pauvres riches. Ah ! l’expression est nouvelle… Les pauvres riches ! Je n’ai pas le courage de rencontrer de pareilles assertions, la moralité publique en fera justice.

M. le ministre de l'intérieur, par ses arrêtés, donnait crédit à l’entreprise, et lui-même n’y avait aucune confiance ; c’est quelque temps avant l’appel fait aux bureaux de bienfaisance, le 19 décembre 1843, qu’il exprimait à cette tribune ses craintes au sujet de Guatemala :

« Messieurs, disait-il le 19 décembre 1843, il ne s’agit pas d’une émigration (page 647) forcée, ce qui reviendrait à l’exportation ; il s’agit de régulariser l’émigration volontaire. Quiconque veut émigrer est libre de le faire, il n’y a pas en Belgique de loi contre l’émigration.

« Je me demande, messieurs, jusqu’à quel point nous sommes compétents dans cette chambre pour examiner cette question. Il s’agit d’un établissement privé. Convient-il que nous venions louer ce projet ? dire que la réussite est certaine ? Je ne sais pas si beaucoup d’entre vous prendraient cette responsabilité, mais, d’un autre côté, certaines convenances exigent qu’on ne décrie pas cet établissement ; c’est un essai que l’on fait, essai qui selon moi, a un but très-honorable, etc. »

C‘était aussi dans ce sens que parlait l’honorable comte de Mérode, à la franchise duquel je me plais à rendre hommage, dans cette circonstance ; M. de Mérode disait : « Nous ne nous sommes adressés qu’aux communes riches ; telle commune qui a 10 à 15,000 livres de rente, pouvait bien risquer mille à quinze cents francs, mais pas au-delà, car, certes, il y avait des chances à courir. »

Et c’est trois mois après, le 31 mars, que parut un arrêté royal contre-signé Nothomb, qui approuve la souscription de mille lots à 1,000 francs chacun et engage les communes, les bureaux de bienfaisance et corporations à y prendre part.

D’après l’art. 5, la liste devait être ouverte dans les communes par les soins des administrations communales.

L’art. 3 autorise les receveurs des contributions à recevoir le montant des souscriptions et à effectuer le versement au trésor pour compte de la compagnie.

D’après l’article 3, la souscription devait être annoncée par le Moniteur ; elle devait durer un mois dans chaque commune, à dater du dépôt de la liste.

Le préambule de cet arrêté était emphatique, et était destiné à inspirer aux communes, aux bureaux de bienfaisance et aux corporations, un crédit imaginaire.

Ensuite, le gouvernement a accordé à la compagnie des navires et lui a fait plusieurs avantages. Enfin est intervenue la convention du 21 juillet, vous savez comment. La conduite du gouvernement est sans exemple ; je le défie de se justifier ; il ne s’agit pas de tourner autour de la question ; j’interpelle de nouveau le ministère sur chacun des actes qui ont été signalés par d’honorables orateurs et par moi.

On nous a parlé de commerce. ;. Mais le ministère ne cesse de compromettre les intérêts du commerce. En voulez-vous une preuve nouvelle à ajouter à tant d’autres ? Voyez ce qui vient de se passer à Anvers, quant au transit, qui est, en ce moment, le point de mire de notre métropole commerciale.

Le développement du transit par le chemin de fer est une des nombreuses promesses de nos gouvernants ! Or, depuis le commencement des gelées et la fermeture successive de la navigation sur Hambourg, sur la Hollande comme sur Anvers, la plupart des marchandises destinées à passer en transit par le Zollverein ont été dirigées sur Ostende pour être expédiées à Cologne par le chemin de fer.

Eh bien, la presque totalité de ces marchandises a été arrêtée à Ostende par les exigences du ministère des finances. En effet, avant de permettre que les douaniers prissent les marchandises pour les convoyer jusqu’à la frontière, le receveur de la douane d’Ostende a exigé du commerce un cautionnement du triple des droits de consommation, cautionnement parfaitement inutile. Il y avait là six chargements de coton filé expédiés le même jour de Hulll pour le Zollverein, et dont les journaux ont parlé, il y avait pour des millions de valeur que le commerce ne demandait qu’à transporter au chemin de fer ; mais la douane, régie par des règlements surannés, n’a voulu les confier à ses agents qu’avec un cautionnement de triple valeur sans but et sans utilité. Voilà comment on dégoûte le commerce !

Le ministère en face du pays !...

Mais quel bien peuvent opérer dans les pays des hommes qui humilient les administrations communales ? Vous connaissez tous la conduite qu’ils ont tenue à Verviers, nous n’y reviendrons plus ; et puis ce ne sont pas seulement des humiliations, c’est encore l’oubli complet dans lequel on les laisse ; ainsi à Berchem, arrondissement d’Audenarde, vous laissez la commune sans bourgmestre depuis deux ans ; à Dadizeele vous vous refusez à nommer un échevin, nonobstant les vives réclamations du conseil communal.

Le ministère en face du pays !... Nos hommes d’Etat ont-ils donc oublié leur conduite vis-à-vis l’ordre judiciaire que le pays entoure de son respect ? Ont-ils oublié que la loi récente qui a amélioré le sort de la magistrature a couru de grands risques dans leurs mains inhabiles ? Et l’armée qu’en adviendra-t-il ? Ce que la majorité voudra, le ministère s’effaçant pour ne pas se compromettre, s’il vit encore ?

Le ministère, en face de la chambre !... Nous avons dû parler des fonctionnaires qui siègent dans cette enceinte,et nous devons en parler encore. Pourquoi le ministère continue-t-il à augmenter le nombre de ces fonctionnaires ? Il semble que tous ses efforts tendent à rendre plus palpable ce que certains publicistes appelle « un abus ». Ce n’était pas assez du nombre que vous connaissez, il fallait encore l’agrandir !

Le ministère ne veut que des fonctionnaires amovibles, et les fonctionnaires inamovibles, les élus du peuple pour remplir certaines missions, il les repousse, il les poursuit de sa haine ; c’est ainsi que le ministère a osé repousser notre digne collègue M. Osy, par le seul motif qu’il lui dit des vérités. Le ministère avait juré guerre à mort à M. Osy ; lorsque les concitoyens de cet honorable membre l’avaient porté à l’unanimité à la chambre de commerce, il a osé n’avoir aucun égard à cette présentation ; il a osé, le mot est presque trop fort, car, en frappant, le ministère toujours se cache et il cherche à justifier des faits de haine par des faits qui n’ont aucune signification. Toujours timide, même en se portant à de mauvaise actions, il a fait à l’égard de quelques autres candidats ce qu’il a fait à l’égard de M. Osy. Vrai gouvernement de bascule ! c’est ainsi qu’en donnant une décoration à une nuance d’opinion, il en jette une aussi à une autre nuance ; il jette des décorations à pleines mains, il en fait trafic, il en fait commerce ; et c’est là un ministère qui prétend avoir la confiance du pays et de la chambre !

Le ministère vis-à-vis de la chambre !...

Mais ne se rappelle-t-il plus de la conduite qu’il a tenue dans un des derniers comités secrets ? A-t-il oublié ce démenti solennel jeté dans deux séances successives à un membre de la représentation nationale, sur un fait important ? Il s’agissait de cette minute du traité, qui déjà a fait tant de bruit. Ce fut moi qui signalai une circonstance décisive dans mon opinion, j’interpellai le ministère sur cette circonstance une première fois le 16 décembre, une seconde fois le 17 ; on me répondit par un démenti formel, insolent même quant aux expressions ; j’insistai, et le 18 décembre, j’obtins une satisfaction complète : le ministère avoua son erreur ; il y avait eu, d’après lui, deux minutes ; et c’est avec de pareils précédents qu’on ose revendiquer la confiance de la chambre !

Le ministère vis-à-vis de chacun des deux partis qui divisent la chambre !...

Mais les orateurs de la majorité l’ont dit, le gouvernement a été constamment un gouvernement de bascule, cherchant à dépopulariser tour à tour les deux opinions,combattant successivement dans les comices les hommes de l’un et de d’autre parti ; M. Dumortier a dépeint le gouvernement en termes énergiques : « Il a voulu, a-t-il dit, combattre les catholiques par les libéraux, et les libéraux par les catholiques. »

Le ministère vis-à-vis des deux partis de la chambre !...

Sans égard à des positions parlementaires, il porte atteinte à des droits acquis, il brise des influences ; il mécontente à la fois deux hommes influents appartenant à des opinions différentes ; il frappe à droite, il frappe à gauche, et tout cela pourquoi ? dans l’espoir d’atteindre un but électoral et en même temps pour assouvir une vengeance !

De toutes ces prémisses je tire la conséquence que le ministère veut éloigner de la chambre tous ceux qui le gênent, qu’il veut augmenter le nombre des fonctionnaires amovibles et décimer les corps indépendants. Le ministère a écarté M. Osy de la liste des candidats pour la chambre de commerce d’Anvers ; je le défie d’expliquer cette élimination ; il l’a écarté parce que sa présence le gênait. M. Nothomb ne veut pas de chambres de commerce composées d’hommes indépendants, son organe l’a dit en termes explicites, comme M. d’Anethan ne veut plus des chambres de notaires : corps délibérants, corps consultatifs, tous devraient être à la dévotion du gouvernement. S’il en est ainsi, le régime constitutionnel n’est qu’un leurre, qu’une dérision : mieux vaudrait un gouvernement absolu !

Enfin le ministère vis-à-vis de la Couronne !

Quelle a été la conduite du ministère vis-à-vis de la Couronne ? Constamment il a abandonné les prérogatives royales, quand sa position lui commandait cet abandon ; il a abandonné les prérogatives de la Couronne, d’abord dans la loi sur le jury d’examen. Nous connaissons maintenant quelle comédie il a jouée, pour arriver à ce résultat ; ce n’est plus un mystère, nous savons comment il se fait que lui qui voulait attribuer la nomination du jury au Roi, recule tout en faisant un simulacre de défense pour tromper l’opinion libérale qui le soutenait ; il a sourdement conspiré contre son projet, prenant l’engagement d’y renoncer si on rendait la loi temporaire. Sa position était en jeu, il a fait fi de la prérogative royale que nous, membres de l’opposition, nous avons défendue jusqu’au bout, rencontrant, à la fin de la discussion, parmi nos plus chauds adversaires, M. Nothomb lui-même.

Ensuite, dans le projet sur la promulgation des lois, nous avons vu quel cas font les ministres des prérogatives royales ; ils ont exclu de la formule le chef de l’Etat qui, cependant, aux termes de la Constitution, est une des trois branches du pouvoir législatif ; et voyez le misérable résultat que le ministère a obtenu ; son projet était rejeté à parité de voix lorsqu’est entré M. le ministre des travaux publics, qui a vidé le partage, et qui, par son vote, chose singulière ! a consacré l’atteinte portée aux droits de la Couronne !

Puisque je parle de la loi concernant le Moniteur, je dois rappeler que M. le ministre de la justice nous a fait il y a fort peu de temps de forts belles promesses et a pris des engagements qui n’ont pas été tenus.

A la suite des crainte que nous avons manifestées, M. d’Anethan s’est engagé à faire surveiller la correction, et s’est en quelque sorte rendu garant de celui qui serait chargé par lui de cette besogne ; en effet, lorsqu’il s’agit du texte des lois, la correction est chose de la plus haute importance ; eh bien, depuis sa promesse, depuis son engagement, le Moniteur est moins correct que jamais. Le proposition de M. Osy, par exemple, voici comme elle a été consignée au journal aujourd’hui officiel : « La chambre a-t-elle la confiance du ministère ? » (On rit).

Et puis ouvrez le numéro de dimanche, vous trouvez : Samedi, 26 janvier. Vous avez un numéro du samedi 25 janvier et un numéro du samedi 26 janvier. C’est dans ce journal qu’on doit chercher le seul texte officiel. Le numéro seul du 26 janvier contient 8 errata !

M. d’Elhoungne – C’est comme dans le ministère !

M. Verhaegen – Que sont pour le ministère les prérogatives royales ? Quel respect attache-t-il à la signature du Roi ? Vous rappelez-vous, messieurs, l’arrêté royal sur l’entrée des bestiaux qu’on a défendu d’abord, qu’on a soutenu inutile ensuite, et qu’on a fini par retirer ? Singulier respect pour la Royauté !

Vous rappelez-vous le projet de loi sur les entrepôts francs ? qu’a-t-on fait encore dans cette circonstance de la signature royale ? Nous savons tous ce qui en est advenu. Je ne veux pas faire entrer dans nos débats ce qui doit y rester étranger : vous savez, messieurs, à quoi je fais allusion.

(page 648) Par l’arrêté relatif aux affaires de Verviers, que le ministère a dû retirer, la signature royale a de nouveau été compromise.

Voilà des circonstances qui méritent de fixer toute l’attention du pays, des chambres et de la Couronne.

On a l’air vraiment de prendre la Couronne par-dessus le compte. La majorité est soumise au ministère. Est-ce que la Royauté, par hasard, serait aussi soumise à MM. les ministres ? On fait fi de la signature royale ; les arrêtés royaux deviennent des lettres mortes !

Sur l’affaire de Guatemala, j’en ai assez dit. Ce que je pourrais dire de plus sortirait des bornes parlementaires ; c’est ce que je ne veux pas faire ; et on m’en sera gré.

La question a été posée par l’honorable M. Osy : « Le ministère a-t-il la confiance de la chambre ? » Cette question était très-simple ; on pouvait répondre par oui ou par non. Eh bien ! M. Nothomb s’est levé ; il a combattu la position de la question, et il a prétendu qu’il fallait une adresse.

Mais c’était encore là un soutènement qui ne devait avoir d’autre but que de rendre la position du ministère forte, au détriment de la Couronne. Je ne sais si depuis on l’a compris ; car certains membres qui étaient disposés à voter contre le ministère, dans la question de confiance, seront peut-être arrêtés par des scrupules. Certains bruits ont transpiré, et ces bruits pourraient bien venir en aide au ministère agonisant.

Si l’on avait eu, en réalité, les égards que l’on doit à la Couronne, on ne l’aurait pas constamment mis en jeu ; on l’aurait laissée au dehors de nos débats.

La question de confiance était une question toute simple, toute naturelle. Il était facile à chacun de membres de cette assemblée de dire au ministère à la face du pays : Vous avez, ou bien Vous n’avez pas ma confiance. On a voulu détourner cette question en posant une question d’adresse ; mais une question d’adresse renferme toujours une question de confiance, et une question de confiance est une question absolue et non une question relative.

Ah ! l’honorable M. Dechamps l’a très-bien compris. Aussi, je rends hommage aux principes de l’honorable ministre sur ce point. Toutefois, je ne sais comment il se mettra d’accord avec certaines allégations parties des bancs supérieurs à celui où il siège.

Certains honorables membres ne veulent accorder au ministère qu’une confiance partielle ; d’autres veulent seulement lui accorder une confiance homéopathique ; (on rit) une confiance sous bénéfice d’inventaire. (On rit.) Cette confiance n’est pas bien certainement celle qu’accepterait l’honorable M. Dechamps. Dans sa dignité d’homme et de ministre, il a déclaré qu’il ne voulait pas d’une demi-confiance, d’une confiance mixte, d’une confiance imperceptible en quelque sorte.

Voilà, messieurs, ce que disait M. le ministre des travaux publics dans une séance précédente :

« Messieurs, je désire plus vivement que personne que le vote politique que la chambre est appelée à émettre, nous dise si nous pouvons compter sur un appui assez formel pour rendre le gouvernement fort et respecté, pour que les affaires du pays ne soient pas entravées par l’hostilité des uns et par l’hésitation ou l’indifférence des autres.

« Nous avons posé des actes importants avec le concours de la majorité ; ce concours devra nous être conservé. S’il devenait douteux, nous ne pourrions accomplir la tâche qui nous a été imposée, et nous ne pourrions pas spécialement résoudre cette grande question d’intérêt national, la question de l’armée, à laquelle l’avenir de notre existence politique est attaché.

« C’est donc plus encore de l’appui moral de la majorité que de ses votes, que nous avons besoin pour diriger utilement les intérêts confiés à notre responsabilité.

« Le vote et l’attitude de la chambre nous diront si nous pouvons rester assis sur ces bancs avec dignité, avec la confiance, que les graves devoirs attachés aux fonctions ministérielles, nous pourrons les remplir »

Voilà ce qui est digne, ce qui est louable. Voilà le langage d’un homme qui se respecte. Mais ce langage sera-t-il celui de M. Nothomb, de M. Mercier ? Nous en doutons, car il y a une très grande différence entre le caractère de M. le ministre des travaux publics et celui de ses deux collègues. Quelle conséquence amènera cette différence de caractère ? Le temps nous l’apprendra.

Avant de terminer, je dirai à M. Nothomb : Vos avez fait, il y a quelques jours, un acte de contrition ; à genoux, devant la majorité, vous lui avez demandé pardon des péchés qu’elle vous a rappelés avec certaine amertume. L’absolution que vous nous demandez, la majorité vous la donnera peut-être ; mais nous saurons avant peu à quel prix, à quelles conditions.

(erratum, p.648) M. de Mérode – L’honorable préopinant vient de me reprocher la prétendue naïveté d’une interruption que je me suis permise à l’égard de M. Dumortier, qui venait ici parler de réunions politiques privées, fort légitimes, fort raisonnables en elles-mêmes, mais qui ne doivent pas être dans cette enceinte, le sujet d’affirmations et de dénégations sans valeur au milieu de discussions parlementaires.

M. de La Coste – Je regretterais vivement que l’honorable M. de Mérode attachât plus d’importance que moi-même à un bon ou mauvais mot qui s’est présenté à mon esprit quand je lui adressais la parole.

Mais je dois une réponse à l’honorable M. Verhaegen.

Je ne donnerai pas une troisième édition de mon discours ; vous êtes pressés d’entendre d’autres orateurs. La première édition, telle que je l’ai prononcée, sera dans le Moniteur. L’honorable M. Verhaegen a donné une seconde édition de quelques-uns de mes passages qui lui ont paru les plus intéressants. Je prends la liberté de me référer à la première édition.

J’ai exprimé mon opinion librement, comme il convient à un membre tout à fait indépendant. Je n’ai pas été l’organe de la majorité ; si j’avais eu l’honneur d’être choisi pour tel, je le proclamerais hautement. Cependant des adhésions assez nombreuses me font penser que d’autres membres aussi indépendants et aussi consciencieux, partagent mon opinion, à laquelle je ne retranche rien.

Mais, puisque l’honorable M. Verhaegen n’a pas fait la même réserve que moi, puisqu’il n’a pas dit qu’il ne parle pas au nom de l’opinion libérale, je dois supposer, d’après le système qu’il a exposé, que l’opinion libérale admet tout ce qu’il veut bien nous dire. Je dois donc, à cette opinion libérale que je ne considère pas comme placée sous un autre drapeau que nous, à cette grande opinion dont je respecte les convictions, je lui dois une explication.

L’honorable M. Verhaegen a paru croire que j’appelais conciliabules les réunions des membres de l’opinion libérale, et que je donnais un autre nom à celles des membres de la majorité. Il n’y a rien de semblable dans mon discours. S’il y a une épigramme, elle s’adresse à des personnes, qui, par un zèle un peu exagéré, traiteraient de conciliabules toutes les réunions qui peuvent ne pas avoir le bonheur de plaire à ceux qui sont au pouvoir.

M. Dedecker (pour un fait personnel) – Quand j’ai parlé au début de la séance d’hier, il a été, je pense, entendu par tous que j’ai parlé en mon nom personnel. Il était dès lors parfaitement inutile que les honorables MM. de La Coste et de Mérode vinssent dire que personne ici n’a reçu mission de parler au nom de la majorité. Telle n’a jamais été ma prétention. Membre le plus jeune de la majorité je n’ai jamais eu la prétention d’être son organe et de me constituer son mandataire. L’honorable M. Verhaegen, de son côté, n’avait donc pas non plus le droit de rendre, soit le cabinet, soit l’un ou l’autre de ses membres, responsable des paroles que j’ai prononcées hier.

En cette occasion comme en toute autre, j’ai parlé de conviction, sans m’inquiéter si mes paroles pouvaient déplaire à qui que ce fût, même aux hommes qui sont au pouvoir, et que, dans cette circonstance, j’ai cru devoir défendre.

Si j’ai commis des naïvetés, selon l’expression de l’honorable M. Verhaegen, si j’ai fait des aveux précieux, je consens volontiers qu’il en prenne acte, mais je ne puis consentir qu’elles soient interprétées d’une manière aussi exagérée qu’il vient de le faire. C’est pour ce motif que je crois devoir relever quelques observations de l’honorable membre et donner à la chambre quelques explications.

Mon intention n’est pas de répondre à toutes les attaques que l’honorable M. Verhaegen a dirigées contre moi dans le discours qu’il vient de prononcer. Je n’examinerai pas s’il est vrai que, dans mon langage franc et ouvert, j’aurais dit que la majorité est impuissante qu’elle doit spéculer sur l’apostasie du libéralisme. Telle n’a pas été, telle n’a pu être ma pensée ; telle ne doit pas en être non plus l’interprétation. J’ai dit (et je crois que c’est là un fait bien glorieux pour la majorité) que l’opinion catholique a conservé la majorité jusqu’à ce jour, n’a cessé de donner un exemple rare d’abnégation personnelle, de désintéressement, en consentant à ce que des hommes qui n’appartenaient pas complètement à ses rangs, mais qui offraient des garanties de capacité et de modération, fissent les affaires du pays, pour ainsi dire, au nom de cette majorité.

A cette occasion, messieurs, qu’il me soit permis de répéter une réflexion que je vous ai présentée hier. Je souhaite que cet exemple de modération soit toujours suivi dans ce pays, et si jamais une majorité libérale vient, comme on nous en menace, remplacer dans cette enceinte la majorité catholique j’attends d’elle qu’elle montre la même abnégation, qu’elle n’examine pas à quels rangs appartiennent les hommes qu’elle voudra investir de sa confiance.

Messieurs, on m’a reproché encore d’avoir dit, dans mon opinion, la lutte entre les partis doit être éternelle. Cette opinion, messieurs, n’est pas de moi ; elle est partie d’autres bancs ; ce sont les théories opposées, constamment par les honorables MM Devaux et Lebeau à M. le ministre de l'intérieur.

M. Devaux – Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Dedecker – Ces honorables membres ont dit que la transaction entre tous les éléments des deux partis n’est pas possible.

M. le président – Veuillez vous renfermer dans le fait personnel.

M. Dedecker – Voici surtout, messieurs, les deux faits personnels sur lesquels je tiens principalement à m’expliquer.

On m’a accusé d’avoir compromis nos relations avec la France. Ce grief, messieurs, serait grave, s’il était fondé. Mais quand j’ai dit que je me défie de l’invasion, en Belgique, de certaines idées françaises, quand j’ai dit que j’ai peur, pour mon pays, de l’inoculation de certain esprit français, je dirai plutôt de certain genre d’esprit français de mauvais aloi, et qui est propagé ici par des moyens et dans des intentions que je m’abstiendra de qualifier, et qu’on répand dans tous nos provinces, je crois que j’ai fait acte de sincère patriotisme. Le véritable danger pour notre nationalité, gît, d’après moi, dans la destruction et même dans l’affaiblissement du principe religieux.

Qu’il me soit permis, à ce propos, messieurs, de relever une autre observation de l’honorable M. Verhaegen, que je ferais peut-être mieux de regarder comme une plaisanterie, comme une nouvelle figure de rhétorique. (On rit.)

J’avais cité, dans mon discours, un passage du comte de Maistre, où l’illustre écrivain démontre quelle est la culpabilité de ceux qui affaiblissent le sentiment religieux chez une nation. A ce propos, M. Verhaegen m’accuse de présenter à la Belgique la perspective d’échafauds dressés, voire même de désigner les victimes.

Messieurs, vous savez fort bien que la modération est dans mon caractère et dans mes habitudes. Si donc je maintiens que ceux-là qui essayent d’ébranler les opinions profondément religieuses de nos populations, sont coupables ; cependant, personne ici, comme vous le disait hier l’honorable M. Malou, ne peut sérieusement accuser un collègue d’avoir des idées sanguinaires. Je suppose donc que c’est par forme de plaisanterie que l’honorable M. Verhaegen m’a prêté des opinions aussi exagérées.

(page 649) M. Verhaegen – Je n’ai, messieurs, qu’un mot à dire. Quant à l’honorable M. Dedecker, il n’a rien répondu à mes assertions. J’ai cité ses paroles. Vous avez parlé de peines contre l’infanticide, le parricide, le régicide. Vous avez cité le fameux ouvrage de M. de Maistre qui professe ces doctrines. Mais du reste, je n’incrimine pas vos intentions, je ne prétends pas que vous avez la prétention de couper des têtes. (On rit.)

Quant à l’honorable M. de La Coste, j’aurai l’honneur de lui faire remarquer que voici les paroles que j’ai extraites de son discours : « Les réunions de la droite ! quand les ministres y sont sont des réunions ; quand les ministres n’y sont pas, ce sont des conciliabules. »

M. de La Coste – Je n’ai pas dit cela.

M. Verhaegen – Vous l’avez dit ; à moins que cela ne se trouve plus dans la seconde édition du Moniteur. (Nouvelle hilarité.) Mais j’ai tenu note de vos paroles.

M. de La Coste – Je n’ai rien dit de semblable.

M. Verhaegen – Pardonnez-moi ; ma mémoire ne me fait point ainsi défaut.

M. de La Coste – Mes propres paroles, telles qu’elles ont été recueillies par MM. les sténographes se trouvent au Moniteur ; je n’y ai rien changé. Il serait vraiment déplorable que nous dussions invoquer le témoignage de personnes étrangères à la chambre.

M. Devaux – Hier, messieurs, pendant plus d’une heure, un orateur vous a entretenu de moi personnellement. Il me semble que ma personne avait très-peu à faire dans cette discussion. Car il ne s’agissait pas de savoir si la chambre a confiance en moi, mais de savoir si elle a confiance dans le ministère.

Malgré cette circonstance, j’ai gardé le silence. Je le garderais encore aujourd’hui, parce que je n’aime pas de prendre la parole pour des faits personnels ; mais j’ai vu un honorable membre prendre l’occasion d’un fait personnel pour réfuter le discours de l’honorable M. Verhaegen ; et si l’on entre dans cette voie, force me sera de prendre aussi la parole.

Il me sera impossible de laisser sans réponse ce qui a été dit de moi. Mais mon intention n’est nullement de me livrer à des personnalités contre des membres de cette chambre qui ne sont pas en cause ; je préférerais donc, dans l’intérêt de la dignité de nos débats, ne pas prendre la parole pour un fait personnel, et la reprendre à mon tour de parole ; je pourrais alors, tout en rencontrant des observations qui ne me sont pas personnelles et dans lesquelles on m’a attribué des opinions que je n’ai pas, ne pas être circonscrit dans la limite des faits personnels et me livrer à des considérations d’une nature différente.

Je ne ravirai donc pas leur tout de parole aux orateurs déjà inscrits, et me réserve le mien.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, puisque la discussion doit se prolonger encore, puisque d’autres orateurs doivent pour la seconde fois se faire entendre, je dois dès lors être très-court en ce moment, exposé que je suis probablement à devoir prendre de nouveau la parole.

L’honorable M. Verhaegen vous a dit vers la fin du grand discours qu’il vient de prononcer : « Je ne veux pas faire entrer dans cette discussion ce qui ne doit pas y entrer. » Si l’honorable membre avait été fidèle à ce principe, je crois qu’il aurait supprimé au moins la moitié de ses observations. Le ministère doit être jugé d’après ses actes officiels, d’après ses actes publics, et c’est aux actes officiels, aux actes publics qu’il aurait fallu s’en tenir.

C’est ainsi que si je voulais immédiatement revenir sur la grande accusation à laquelle donnent lieu les relations du gouvernement avec la société de colonisation, je dirais que ces relations ne doivent être jugées que par les actes officiels ; que je m’en réfère, par exemple, quant à la souscription au texte officiel de l’arrêté royal du 31 mars, texte qui ne renferme pas, comme le suppose l’honorable membre, l’engagement à souscrire, texte qui laisse les communes et les établissements parfaitement libres ; je dirais que quant à l’emprunt, je m’en réfère aussi de nouveau au texte de la convention du 21 juillet, convention qui n’est qu’un acte provisoire et conditionnel ; ce sont là des actes officiels en dehors desquels on persiste à invoquer des incidents tout personnels dont on ne devrait pas entretenir cette assemblée.

L’honorable membre vous a dit que nous avions une absolution à demander à l’assemblée devant laquelle nous nous trouvons. Je pense, messieurs, que si quelqu’un a une absolution à demander, c’est celui qui s’est permis l’accusation la plus grave, une accusation qui met en doute l’indépendance des votes parlementaires. C’est cette accusation que je voulais repousser, lorsque j’ai demandé la parole. C’est là, messieurs, une chose extrêmement grave, que de venir mettre en doute l’indépendance parlementaire…

M. Verhaegen – J’ai cité des faits.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Et sur quoi fonde-t-on cette accusation si grave, cette accusation qui doit déconsidérer la chambre devant le pays ?

Il y a, je l’avoue, il y a trois lois, messieurs, qui ont été votées malgré certaines répugnances. Ces trois lois étaient des loi d’argent : c’était la loi relative aux indemnités réclamées en faveur de ceux qu ont éprouvé des pertes par les événements de la révolution ; c’est la loi réclamée en faveur de la ville de Bruxelles, et dans la dernière session, c’était la loi spéciale sur la pension des ministres. Ce sont là, messieurs, j’en appelle à vos souvenirs, les trois lois qui ont rencontré le plus de répugnances depuis quatre ans.

Eh bien, la loi sur la ville de Bruxelles a été appuyée par l’honorable M. Verhaegen.

M. Verhaegen – Je l’ai appuyée par conviction.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il a appuyé cette loi qui avait été votée la première fois à la majorité d’une voix ; circonstance qui atteste, je le reconnais, qu’il avait bien des répugnances. L’honorable M. Verhaegen a soutenu cette loi, et il vient de me dire qu’il l’a soutenue par conviction.

M. Verhaegen – Certainement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Et pourquoi supposez-vous que tous ceux qui ont voté la loi ne l’ont pas votée par conviction ?

La loi sur les indemnités réclamées pour les événements de guerre de la révolution, a été votée à une très-grande majorité, et je pense que l’honorable M. Verhaegen en a fait partie.

Enfin, la troisième loi que j’ai citée, n’a pas été adoptée par l’honorable M. Verhaegen ; mais l’honorable M. Dumortier qui, avant-hier, semblait douter également de l’indépendance de certains votes, a été un des plus ardents promoteurs de cette troisième loi.

Voilà, si vous voulez consulter vos souvenirs, les trois lois qui, depuis quatre ans, ont excité le plus de répugnances dans cette chambre. Mais de ce que ces lois ont excité des répugnances, faut-il en conclure qu’elles n’ont pas été votées librement ? Messieurs, toute demande d’argent, tout sacrifice pécuniaire, excitera toujours des répugnances dans cette chambre.

M. Dumortier – Et la British-Queen ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – La loi régularisant l’achat de la British-Queen a été demandé par le gouvernement comme un bill d’indemnité ; c’est-à-dire que j’ai dû formellement déclarer à la chambre qu’une faute avait été commise, qu’on avait méconnu le texte d’une loi et que dès lors on demandait un bill d’indemnité. En demandant ce bill d’indemnité, on rendait hommage aux prérogatives parlementaires ; on ne méconnaissait aucun droit parlementaire, et, dans cette circonstance, on a fait ce qui s’était pratiqué plusieurs fois.

Voilà, messieurs, les actes qui devraient motiver cette accusation extrêmement grave adressée à la chambre, accusation qui mettrait en doute devant le pays l’indépendance de ses votes. Toutes les grandes mesures, messieurs, ont été votées par des majorités très-imposantes. On accuse tour à tour le ministère et la majorité parlementaire, mais on ne remarque pas assez que ces accusations sont contradictoires. Quand on veut accuser le ministère, on l’accuse, ordinairement, d’être à la remorque de la majorité, et un instant après, s’en prenant à la chambre elle-même, on accuse la majorité d’être à la remorque du ministère. Que faut-il conclure, messieurs, de ces accusations contradictoires. C’est qu’il existe entre la chambre et le gouvernement des rapports véritablement dignes et du gouvernement et de la chambre. Quand des lois sont portées devant vous, on fait un appel libre à vos discussions, et la loi devient le résultat de nos délibérations communes, libres de part et d’autre.

J’ai dû être d’autant plus étonné de l’attitude prise par l’honorable M. Verhaegen que, dans une autre circonstance très-mémorable, il a revendiqué en quelque sorte l’indépendance parlementaire. Vous vous rappellerez tous, messieurs, que dans la discussion de la loi sur les sucres, l’honorable membre invitait le ministère à ne pas faire de cette question une question de cabinet, comme il en était sollicité par d’autres personnes appartenant au côté où siège l’honorable M. Verhaegen. Aujourd’hui l’honorable membre dit que l’indépendance parlementaire, qu’il revendiquait alors, a été méconnue. Il est des circonstances où lui-même a voté avec la majorité ; cela est arrivé pour deux des lois qui ont rencontré des répugnances. Et de quel droit voudriez-vous dire que vous seul avez voté librement, consciencieusement et que tous ceux qui ont voté, soit pour la loi relative à la ville de Bruxelles, soit pour la loi des indemnités, n’ont pas voté librement. Ceux qui étaient étrangers à la ville de Bruxelles n’ont-ils pas peut-être voté encore plus librement que ceux qui pouvaient être attachés à cette ville par un lien électoral ?

En terminant, messieurs, je dirai un mot de ce drapeau que l’honorable membre veut arborer. Le libéralisme, messieurs, a plus d’un drapeau. Le libéralisme a un drapeau sur lequel on a inscrit le respect de tous les droits, sur lequel on a inscrit le blâme de tous les excès. Il y a un autre drapeau, celui du faux libéralisme, sur lequel on a inscrit le mépris des droits d’autrui, drapeau qui accepte tous les moyens, jusqu’à l’émeute même, pour compromettre les libertés publiques. Il y a un terrain que l’honorable membre nous a interdit, c’est le terrain où l’on pourrait se trouvé placé si l’on examinait les événements qui ont eu lieu à Verviers. J’ignore si l’honorable membre se plaçant avec nous sur ce terrain ne serait peut-être pas embarrassé de nous dire quel est le drapeau du libéralisme qu’il arborerait.

M. Verhaegen (pour un fait personnel) – M. le ministre a commis une grave imprudence en parlant de la loi des sucres. Il se rappellera qu’il a déclaré à la chambre qu’il ne faisait pas de cette loi une question de cabinet pour laisser aux fonctionnaires leurs allures franches.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Les fonctionnaires n’ont pas besoin de ma déclaration.

M. de Theux – L’honorable M. Verhaegen a pris vivement à partie les sentiments intimes de la majorité de cette chambre. Vous vous rappellerez, messieurs, que dans une séance précédente, l’honorable M. Dumortier, accusant M. le ministre de l'intérieur d’une immense ingratitude envers la majorité après la clôture de la session de 1842-1843, que l’honorable M. Dumortier nous a dit que la majorité avait perdu beaucoup de sa popularité en soutenant M. le ministre de l'intérieur, en votant plusieurs lois importantes malgré les vives répugnances qu’elle avait pour ces lois. L’honorable membre nous a cité le vote des fonds nécessaires pour payer le prix d’achat de la British-Queen ; il vous a cité la loi des indemnités, la loi qu’il a, mal (page 650) à propos, appelée la loi des pillages, qui était simplement la loi approuvant la convention avec la ville de Bruxelles ; il vous a cité également la loi sur l’entrepôt d’Anvers. Messieurs, aussitôt que j’ai entendu cette assertion de l’honorable M. Dumortier, je suis monté au bureau me faire inscrire pour réfuter ces assertions de l’honorable membre.

En effet, messieurs, j’ai voté chacune de ces quatre lois, mais je dois le dire que je n’ai jamais entendu voter ces lois malgré mes convictions malgré mes vives répugnances. Je les ai votées, messieurs, parce que je les considérais comme d’utilité publique, et pour aucun autre motif. L’honorable membre a été d’autant plus dans l’erreur, que si ces lois avaient été l’objet indirect d’une question ministérielle, il est probable qu’elles eussent été votées principalement par la majorité de cette chambre. Mais ce n’est pas ainsi, veuillez recueillir vos souvenirs, ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées ; rappelez-vous, messieurs, que chacune de ces lois a été votée de commun accord par la plus grande partie de la gauche et par la plus grande partie de la droite. (Interruption). Une seul de ces lois pouvait avoir (erratum : p.676) une portée ministérielle, c’était la loi relative à la British-Queen, parce qu’elle renfermait une question de responsabilité pécuniaire pour MM. les ministres, en cas de rejet ; mais, messieurs, la chambre, reconnaissant que le ministère était sorti des termes de la loi, n’a pas cependant voulu rendre pécuniairement responsables les ministres en aveu d’une faute. Eh bien, dans ce cas, la majorité a fait ce qu’on fait quelquefois dans des questions d’argent ; elle a accordé un bill d’indemnité. Ainsi, la chose s’est terminée d’une manière digne pour la chambre, je dirai même d’une manière utile pour le pays ; car si nous devions compter par sous et deniers ce qu’aurait coûté un changement de ministère à cette époque et mettre la somme de la dépense en comparaison du prix de la British-Queen, à coup sûr le compte eût été au détriment de l’Etat, tout en rendant le ministère personnellement responsable.

La loi des indemnités !... Mais, messieurs, cette loi avait été présentée par le ministère de 1840 ; elle a été défendue par le ministère de 1841. Nous nous sommes si peu mis à la dévotion du ministère, en adoptant cette loi, que nous y avons introduit des amendements d’une grande importance. Nous avons notamment rejeté les indemnités, en ce qui concernait les poldres ; nous avons réduit plusieurs propositions ministérielles, dans une proportion considérable. Ce n’est pas ainsi, messieurs, que l’on agit lorsqu’on veut absolument adopter des lois dans l’intérêt du pouvoir.

Je dois encore regretter, dans cette circonstance que, dans le discours d’ouverture de la session de 1841 , comme dans le discours d’ouverture de la session de 182, on ait, en ce qui concerne l’incendie de l’entrepôt d’Anvers, donné en quelque sorte gain de cause aux réclamations diplomatiques, réclamations que j’avais combattues et je crois avec succès, pendant tout le temps que j’avais occupé le département des affaires étrangères. Quoi qu’il en soit, nous avons cru qu’il y avait une certaine utilité à accorder une indemnité pur les marchandises d’entrepôt, et nous avons tenu compte des engagements pris envers les cabinets étrangers relativement aux réclamations de cette nature ; d’un autre côté, il ne nous était pas permis d’admettre les indemnités au profit des étrangers du chef de marchandises perdues à l’entrepôt, sans admettre en même temps, et à plus forte raison, des indemnités pour nos concitoyens qui avaient subi des pertes de la même nature.

La convention avec la ville de Bruxelles !.. ; Non-seulement j’ai voté pour cette convention, mais je l’ai appuyée de ma parole. Je dirai plus, messieurs, je me considère en grande partie comme l’auteur de cette convention…

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je me plais à le reconnaître.

M. de Theux – D’honorables amis avaient bien voulu se charger de négocier de ma part avec la régence de Bruxelles, relativement à la cession de quelques locaux et de ses collections d’objets d’art. La convention, qui a été négociée de cette manière, est celle qui a été adoptée en quelque sorte littéralement, car la chambre a rejeté les argumentations auxquelles M. le ministre de l'intérieur avait consenti, en dehors des propositions de la commission que j’avais instituée. A cette occasion, je rappellerai que nous pouvions d’autant plus facilement négocier cette convention, que nous avions fait écarter le principe de l’indemnité des pillages, principe qu’il eût été dangereux de reconnaître, pour la sécurité de nos principales cités, qu’il eût été immoral de reconnaître et contraire à l’honneur du gouvernement. Aussi, messieurs, malgré toutes les oppositions que j’ai pu rencontrer dans les premiers temps de la part de la régence de Bruxelles, malgré la position critique où l’on a cherché à placer le gouvernement, j’ai toujours, avec une énergie inébranlable, repoussé le principe de l’indemnité des pillages, mais j’ai été heureux de pouvoir d’une manière honnête, loyale, venir au secours de la capitale, pour répare des désastres que je considère en grande partie comme étant de force majeure.

L’entrepôt d’Anvers !... Mais, messieurs, c’est une question de simple administration. L’entrepôt primitif avait aussi été construit avec le concours du gouvernement ; les nécessités du commerce ont exigé un agrandissement de cet entrepôt, et nos avons consacré à cet objet une somme de 1,500,000 francs, dont l’intérêt sera certainement couvert par les recettes mêmes de l’entrepôt.

Après avoir passé en revue ces diverses lois, j’ajouterai, messieurs (et ici je veux faire en quelque sorte réparation d’honneur à M. le ministre des finances qui a occupé le banc ministériel pendant les deux sessions de 1841 et de 1842), j’ajouterai, dis-je, qu’après avoir voté les dépenses dont je viens de parler, nous avons aussi voté les ressources nécessaires pour les couvrir au moyen des projets que cet honorable ministre des finances nous avait présentés. Mais tout en acceptant les lois d’impôt qui nous ont paru dignes d’être acceptées, nous avons usé d’une entière indépendance à l’égard de celles qui nous semblaient ne pas mériter nos suffrages. De ce nombre étaient un projet de loi sur les bières et un projet de loi sur la contribution personnelle. A la vérité, ce dernier projet n’a point été discuté ; mais ils ont rencontré dans les sections et dans les manifestations individuelles des membres de cette chambre une opposition assez vive pour que le gouvernement fût obligé de les retirer. A cette occasion, qu’il me soit permis de rappeler une manœuvre électorale qui n’a pas laissé d’obtenir un grand succès en 1843.

On disait dans quelques districts : « la majorité de la chambre vote tout ce que le gouvernement propose ; » il existe un projet de loi sur la contribution personnelle qui grève considérablement les habitants des campagnes, et qui dégrève les riches contribuables de nos cités. Alors on leur a fait des comptes simulés des contributions dont ils seraient grevés, et celles dont les riches seraient dégrevés. Ces comptes étaient assurément faux de tout point, mais ils ont obtenu le succès désiré. D’honorables collègues, accusés de ministérialisme quand même, malgré l’indépendance de leur caractère, malgré les votes qu’ils avaient émis, dans une foule de circonstances, contre les intentions du ministère, ont été victimes de cette manœuvre.

L’honorable M. Dedecker, défendant hier M. le ministre de l'intérieur du reproche qui lui était adressé par l’honorable M. Dumortier, a dit en parlant d’un de nos collègues, récemment rentré dans nos rangs, aux applaudissements de cette chambre, que sa réélection avait été en quelque sorte le fait du gouvernement…

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Non.

M. de Theux – L’honorable membre a été blessé de cette assertion, et moi-même j’en ai été vivement froissé, parce que cette assertion est inexacte. L’honorable M. Peeters avait fait en quelque sorte un testament politique ; les opinions morales, professées par feu notre collègue, sont aussi celles de son successeur. Ce successeur a d’ailleurs fait preuve de tant de talent dans nos discussions, de tant de dévouement au pays, qu’on peut être assuré que son élection est le fait spontané des électeurs du district et non le résultat d’influence du gouvernement. Et ici, pour m’expliquer clairement, je dis aussi que le gouvernement a vu avec plaisir la rentrée de cet honorable collègue dans cette enceinte ; mais le principal organe du gouvernement dans la province, s’est abstenu de prendre une part quelconque à l’élection.

J’arrive, messieurs, à la discussion de l’adresse, et je déclare à l’instant même que je ne voterai pas pour l’adresse, parce qu’elle renferme une mise en demeure à la Couronne, de changer le cabinet, et que cette mesure ne me paraît pas commandée par les circonstances.L’honorable M. Verhaegen, récapitulant les divers discours qui ont été prononcés dans cette enceinte, au sujet du plus ou moins de confiance accordée au ministère, du plus ou moins de réprobation qui doit l’atteindre, a dit qu’il ne peut plus y avoir deux opinions. Le ministère, selon l’honorable membre, est intimement lié à la majorité, il doit avoir toute sa confiance ; ou bien, la majorité doit se séparer du ministère avec l’opposition.

Je n’admets pas ce dilemme, et je pense qu’il existe une troisième position qui est digne, qui est vraie, et qui est dans la nature des choses. Cette position est une position de réserve à l’égard d’un cabinet nouveau, jusqu’à ce qu’il ait posé des actes nombreux qui prouvent et son talent et les bonnes intentions dont il est animé pour les intérêts du pays, jusqu’à ce que, par une durée suffisante, il ait montré qu’il ne nourrit aucun sentiment de réaction contre la majorité. Cette position peut surtout être prise vis-à-vis d’un cabinet qui est encore récent dans les affaires (nous ne sommes qu’au début de la deuxième session), vis-à-vis d’un cabinet dont trois membres ont été pris en dehors du parlement.

Le cabinet, messieurs, a un caractère mixte, j’en conviens, et à ce point de vue, il aurait pu prétendre à développer chez nous de plus en plus le sentiment de la conciliation. Mais le cabinet, tel qu’il est formé, quoique mixte, n’a pas le droit de se dire le représentant de la droite et de la gauche. Et ici je fais ajouter une observation, observation que j’ai toujours renfermée en moi-même, jusqu’à ce que l’occasion s’offrît à moi de la communiquer à la chambre.

L’entrée d’un membre de la gauche dans le cabinet de 1843 n’a pas concilié la gauche au gouvernement, elle a opéré un certain refroidissement dans le sein de la droite. Ce fait, messieurs, est notoire ; personne ne peut le nier.

Toutefois, nous ne voulons pas faire de ce fait l’objet d’un grief personnel ; nous nous renfermerons aujourd’hui, comme nous nous renfermerons à l’avenir, dans la discussion des actes.

La retraite du premier ministère de M. Nothomb n’a pas été la conséquence d’actes parlementaires. Ce ministère, en 1843, s’est dissous d’abord par la retraite spontanée de M. Van Volxem, alors ministre de la justice, puis par la retraite de l’honorable comte de Briey, à la suite d’un dissentiment qui s’était manifesté au sein du cabinet, relativement aux statuts de la banque ; en dernier lieu, par la démission de M. le ministre de la guerre, à la suite d’un vote de la chambre. Nous pouvons donc dire, avec vérité, que le ministère n’a pas échoué en 1843, devant le parlement, mais qu’il a péri par des causes spéciales au cabinet.

J’avais d’autant plus besoin de faire cette objection, que quelquefois on a attribué la chute du cabine au concours qu’il avait prêté à des lois prétendument impopulaires : la réforme de la loi communale, et la réforme de la loi électorale.

Il n’en est pas ainsi. Le ministère avait obtenu la majorité dans la chambre ; il aurait pu attendre la suite des événements, et l’expérience est venue justifier ces lois.

En effet, toutes les difficultés d’exécution qu’on avait signalées, ont disparu (page 651) dans la pratique ; ces lois ont reçu partout une exécution pleine et entière, une exécution facile. La partialité dont elles semblaient devoir être suivies, au profit de la droite, et au détriment de la gauche, n’a pas existé. Ces lois, nous les avons toujours envisagées comme des lois de justice, comme des lois de sincérité dans les élections, comme des lois de pure administration. Voilà le caractère que nous leur avons assigné dans la discussion ; ce caractère, je crois qu’elles l’ont dans la pratique.

Je disais tout à l’heure qu’une partie de cette chambre avait de justes motifs pour se tenir dans une attitude de réserve, et ici je dois déclarer que je parle uniquement d’après les observations que j’ai faites, et non pas comme mandataire d’aucune faction de cette chambre, car nous n’avons reçu à cet égard aucune espèce de mandat ; il n’y a pas eu de réunion préparatoire ; personne n’a été autorisé à parler, dans cette discussion, au nom de la majorité. Je répète donc que nous avions de justes motifs de nous tenir dans une attitude de réserve. Je vous ai d’abord indiqué la recomposition du ministère en 1843. de l’aveu de presque tous les orateurs qui ont pris part au débat, cette recomposition du ministère a été un tour à gauche. C’et là un fait palpable que personne ne peut nier. Néanmoins, nous n’en avons pas pris texte pour nous déclarer hostiles au ministère, mais nous y avons un motif suffisant pour prendre une attitude d’observation.

Un second fait, c’est le projet de loi sur le jury d’examen… Quoiqu’il me répugne de revenir sur cette matière qui a été tant débattue, je dois en dire quelques mots, pour faire part à la chambre de circonstances qui n’ont pas été signalées dans la discussion.

En 1842, l’honorable M. Dubus a fait un rapport, au nom de la section centrale qui proposait de rendre définitive l’intervention des chambres dans la nomination du jury d’examen. M. le ministre de l'intérieur avait donné son assentiment à cette proposition, et ainsi disparaissait en quelque sorte, pour M. le ministre de l'intérieur, la nécessité de se conformer au vote émis par lui dans la mémorable discussion de 1835.

A la vérité, M. le ministre de l'intérieur pourra nous dire : Le système était changé. Oui, j’en conviens, il l’était, en ce qui concerne les examens de la candidature ; mais les examens du doctorat, qui sont les examens principaux, qui donnent droit à exercer une profession dans la société, ou à être admis à certains emplois publics ; ces examens devaient toujours être subis devant un jury composé, comme il l’avait été précédemment, par le gouvernement et par les deux chambres. Et là était le point capital…

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Les matières étaient changées.

M. de Theux – Cela importait peu.

J’ajouterai qu’il est à ma connaissance que le changement de système, de la part du gouvernement a été en quelque sorte adopté à l’époque même de la formation du cabinet de 1843. Et ceci donne plus de force aux observations que j’ai présentées sur la composition même du cabinet.

Je dirai encore que la présentation du projet de loi sur le jury d’examen m’a paru, à un certain degré, une infraction au programme du ministère ; le programme du ministère était de maintenir les lois adoptées par la majorité et de prendre pour point de départ les choses dans l’état où elles étaient. Or la loi sur le jury d’examen était en vigueur depuis 1835. Il est vrai qu’elle n’était en vigueur que temporairement, qu’elle était sujette à révision. Mais, pour demander à la majorité l’abandon du système qu’elle avait si chaudement défendu en 1835, il aurait fallu que des circonstances nouvelles, des circonstances graves se fussent produites depuis 1842, époque à laquelle M. le ministre de l'intérieur avait consenti, dans le sein de la section centrale, au maintien de l’ancien système de nomination du jury d’examen.

Le ministère a donc, sans nécessité, demandé à la majorité de se déjuger, et une semblable démarche est toujours une faute de la part d’un cabinet.

Une autre faute a été commise, en ce qui concerne la loi des céréales. Cette loi fut votée, il y a de longues années, sur la proposition de l’honorable M. Eloy de Burdinne, et ce fut la majorité de cette chambre à qui l’on dut principalement le vote de cette loi. Elle aussi a pris fortement en mains la défense des intérêts agricoles. Cependant M. le ministre de l'intérieur a encore demandé à la majorité de se déjuger à l’égard d’une loi si importante pour la prospérité du pays à laquelle la majorité attachait le plus grand intérêt. Cette faute est réparée ; le ministre, tenant compte de l’opposition que son projet de loi rencontrait dans cette enceinte et dans le pays, l’a retiré.

Parlerai-je de l’administration ? Je toucherai peut-être ici une matière un peu délicate, mais l’honorable M. Verhaegen a fait des critiques très-vives sur la manière dont le gouvernement conférait les emplois. Cette critique sera reçue avec faveur dans le pays, parce que le gouvernement a peu d’emplois à sa disposition et que le nombre des compétiteurs est très-grand. Tous ceux qui n’auront pas obtenu ce qu’ils avaient demandé trouveront que le ministère confère les emplois avec injustice. Nous n’irons pas aussi loin, mais nous avons souvent entendu dire par un grand nombre de collègues que le ministère n’était pas sans impartialité dans la collation des emplois. On a été jusqu’à soutenir que voulant donner des apaisements à la vivacité de l’opposition qu’il rencontrait sur certains bancs de cette chambre, ses faveurs étaient accordées de préférence à des candidats qui n’avaient pas pu obtenir l’appui des membres de la majorité. Je ne puis pas assurer le fait, car je n’ai fait aucune rechercher pour le constater. Je ne fais que rendre compte d’opinions que j’ai entendu émettre très-fréquemment.

Les orateurs de l’opposition ont reproché au ministère de manquer d’homogénéité. Ce reproche est palpable. Nous avons ce manque d’homogénéité dès l’ouverture de la dernière session. Je dirai même que la discussion du budget de l’intérieur dans la même session nous en a donné la preuve plus manifeste. Cette preuve nous l’avons eue encore dans le cours de la présente session. Aujourd’hui le ministère parait être revenu au principe de l’homogénéité. Je l’en félicite, car s’il en était autrement, nous serions autorisés à croire que les membres du cabinet commencent à lire dans l’avenir, par conséquent que la situation est critique.

Voilà la conclusion que je pourrais tirer du manquer d’homogénéité. J’aime mieux l’attribuer à la courte existence du cabinet et à la manière subite dont il s’est formé. Dorénavant, j’espère qu’on restera dans les vrais principes du gouvernement représentatif et que nous verrons tous les collègues accepter la responsabilité des actes du cabinet et se soutenir mutuellement. La majorité, plus que la minorité, a le droit d’exiger de l’homogénéité dans le cabinet, car quoi qu’on fasse et qu’on dise, il y a toujours quelques liens de solidarité entre la majorité et le ministère, mais ce lien, nous ne l’admettons pas dans toute l’étendue qu’a voulu lui donner l’honorable M. Verhaegen ; loin de là, nous en avons donné des preuves manifestes dans les quatre sessions qui ont eu lieu depuis la chute du cabinet de M. Lebeau. Nous avons toujours fait preuve de la plus complète indépendance, rejetant les projets qui ne nous convenaient pas, censurant les actes du cabinet et modifiant d’autres projets d’une manière très-profonde.

Je me résume et je déclare que je ne veux pas voter l’adresse proposée par l’honorable M. Osy ; et après tous les faits que je viens d’exposer, vous devez convenir qu’en agissant ainsi, mes collègues et moi, en suivant la même marche, nous ferons preuve de modération. Pour ma part, je ne veux pas qu’on attache d’autres conséquences à mon vote ; que nous étant renfermé dans une attitude d’observation lors de la formation du cabinet, nous voulons conserver la même attitude jusqu’à ce que la confiance soit née des actes du ministère, non pas d’actes de faveur pour la majorité, je n’en réclame pas, je défie qui que ce soit de signaler un seul acte de faveur que nous ayons réclamé de la part du cabinet. Mais nous resterons dans cette attitude jusqu’à ce que nous ayons acquis la certitude que le cabinet ne veut pas amener la majorité à se déjuger, jusqu’à ce que nous ayons acquis la conviction par une série d’actes, que le ministère fait le bien du pays.

M. Dumortier – Ce n’est pas moi qui ai pris l’initiative.

M. de Mérode – Le commérage est indigne d’une grande assemblée politique, et je ne pense pas que l’honorable préopinant voulût ici raconter ce qui se passe, ou ne se passe pas, dans les réunions auxquelles il assiste.

Oui, je suis assez naïf pour croire que si quelqu’un des amis de M. Verhaegen venait imiter ici M. Dumortier, il appliquerait la même apostrophe et dirai comme moi : On ne vous admettra plus nulle part.

Quant au discours de M. Dedecker, messieurs, il appartient à l’honorable membre comme à chacun appartient son œuvre, comme à l’honorable M. Verhaegen appartiennent ses doctrines, ses écrits, ses lettres ou ses adresses aux électeurs dont je ne rendrai pas solidaires nos collègues qui siègent autour de lui.. C’est par le même motif que je ne suis pas solidaire de l’interprétation qu’il a plu à M. de La Coste de donner à mon appui sincèrement accordé au gouvernement. Si l’homéopathie est aussi active que j’ai été prononcé dans les circonstances présentes, je ne me ferai plus traiter désormais que par l’homéopathie.

M. de Foere – Je ne vous placerai pas devant une pénible dissection de paroles et d’opinions individuelles comme un honorable préopinant vient de vous en donner l’inutile spectacle. En effet, quelle est la valeur des conséquences générales que l’on prétend tirer d’opinions isolées, d’opinions dont personne dans cette chambre n’accepte la solidarité ? Quel a été le produit de cette pitoyable discussion ? Elle a fait lever plusieurs membres pour prendre la parole pour des faits personnels, qui jettent, à juste titre, la déconsidération sur nos délibérations. Chaque orateur doit porter la responsabilité de ses propres paroles.

Quant à moi, messieurs, je le déclare ! je n’accepte pas pour mon compte plusieurs opinions qui ont été énoncées par deux honorables membres de la droite, que le député de Bruxelles vient de combattre longuement ; je déclare et outre, et d’avance, que je ne parlerai au nom d’aucun parti, au nom de qui que ce soit. Je parlerai dans l’intérêt du pays, je m’exprimerai avec franchise, et j’accepte, pour mon compte et pour mon compte seul, la responsabilité de mes propres paroles, de mes propres opinions et de toute ma conduite parlementaire. Je n’autorise qui que ce soit à attribuer mes intentions et mes appréciations politiques à aucun autre membre de la chambre.

Je ne prendrai pas non plus pour thèse un système d’accusation qui a pour objet l’immoralité publique du cabine actuel. Cette position serait grave. Cependant je ne blâme aucun membre qui se pose sur ce terrain ; mais quand un membre isolé de cette chambre ou quand un parti prend une position semblable, il faut pouvoir la justifier jusqu’à la démonstration. On n’arrive pas à ces démonstration par des sinuosités oratoires, par des argumentations tortueuses, et moins encore par des paroles sonores, faites plutôt pour la scène et pour les masse que pour un parlement. Ces manœuvres sont usées à toutes les tribunes parlementaires. Pour défendre une semblable position parlementaire, il faut pouvoir s’appuyer sur des faits tellement évidents qu’ils ne laissent aucun doute dans les esprits devant lesquels ces faits d’immoralité politique sont articulés. C’est ce que les accusateurs (page 652) de la gauche n’ont pas fait. Il faut formuler ces accusations d’immoralité politique d’une manière nette et précise ; il faut les prouver par des faits incontestables, par des faits facilement saisissables par tous les esprits et ne pas recourir à des interprétations forcées, à des conclusions qui font violence à la raison humaine. Lorsque ces accusations ne sont pas évidemment fondées, elles ne sont que d’odieuses banalités, les ressources ordinaires des partis qui ne se respectent pas.

Mais il reste, disent les plus adroits, la politique des expédients. Cette politique a deux faces. L’une, c’est cette politique pour laquelle tous les moyens sont bons pour arriver au but, soit que ces moyens soient conformes ou non à la probité, à la morale. Cette politique, c’est celle qui prend pour maxime : « Ce que la politique conseille, la morale l’autorise. ». Cette politique d’expédients, je la condamne de toutes mes forces ; je lui voue toute ma réprobation ; je la repousse avec indignation, quel que soit le parti qui s’en fait une arme politique. L’autre politique d’expédients est celle qui choisit ses moyens dans le cercle des mesures que la morale ne désavoue pas, des mesures que la situation suggère, que la prudence conseille, que les circonstances désignent, mais toujours des mesures autorisées et avouables par les principes de la morale. Cette politique d’expédients, non seulement, je l’approuve ; mais je la crois nécessaire a telle enseigne, qu’un cabinet quelconque qui, dans quelque pays qu’il soit placé, ne la mettrait pas en pratique, commettrait fautes sur fautes. Un semblable ministère, devant se mouvoir au milieu des passions politiques les plus violentes, et les plus contradictoires, ce ministère, dis-je, serait impossible ; il serait, à juste titre, traité par tous les partis d’incapable et de nigaud. Je comprends qu’un ministère semblable est dans les vœux les plus ardents de l’opposition.

Or, les adversaires décidés du cabinet actuel ont-ils défini, avec précision et avec netteté, des expédients réprouvés par la morale, auxquels ce cabinet aurait eu recours pour atteindre son but ? Je ne le pense pas. Aucun fait allégué n’a revêtu l’évidence de la démonstration.

L’histoire parlementaire nous apprend que tous les ministères du monde ont été accusés par l’opposition, de n’employer qu’une politique d’expédients et quelquefois, vous ne l’ignorez pas, cette grave accusation, entendue dans le sens immoral, a été justement appliquée. En Angleterre, les Grenville, les Fox, et d’autres cabinets se sont attirés, par leurs actes, cette accusation flétrissante.

En effet, la morale politique, sous ces cabinets, a été ouvertement, audacieusement outragée. Mais, ce qui est digne de toute votre attention, c’est que depuis longtemps cette immoralité politique a fait son temps en Angleterre, et aujourd’hui que se passe-t-il dans ce pays ? Il s’élève un parti, composé d’hommes respectables par leurs caractères, par leurs talents, par leurs nobles intentions, par leurs généreux sentiments et par leur position sociale. Ce parti se pose sous la dénomination de « jeune Angleterre », et, ce qui est remarquable, ce parti prétend que les deux grands partis politiques whigs et tories, qui gouvernent alternativement l’Angleterre, n’ont qu’une politique d’expédients, et le seul programme que ce parti formule, le seul but qu’il se propose d’atteindre, c’est de débarrasser l’Angleterre de cette politique d’expédients Vous le voyez, messieurs, aucun ministère n’a pas échapper à l’accusation qui a été dirigée contre le cabinet actuel.

Savez-vous, messieurs, où on arrive avec cette tactique parlementaire ? où mènent ces odieuses accusations d’immoralité politique, lorsqu’elles ne sont pas fondées sur des faits évidents et incontestables ? On aboutit à la déconsidération des pouvoirs. Les masses, qui sont incapables d’apprécier les diverses situations ; les masses, qui ne voient pas comme nous, le jeu caché des passions des partis, et ne possèdent pas le talent de l’analyse logique ; les masses, dis-je, flétrissent tout pouvoir et détestent les institutions nationales. Bientôt on arrive à la dissolution de la société, par les causes mêmes auxquelles sa conservation avait été confiée.

Je ne pense pas qu’on ait tenu compte de la position difficile que le cabinet actuel a prise. Il est composé d’éléments discordants, et il a, en outre, la prétention de tenir la balance entre les oscillations de deux partis extrêmes qui tendent à s’absorber l’un par l’autre. Quand on a assez vécu pour connaître les hommes, leurs passions, leurs intérêts, leurs exigences, il est facile de voir les graves embarras et d’énumérer les nombreux écueils contre lesquels un ministère semblable doit chaque jour manœuvrer.

Formé, comme je l’ai dit, d’éléments hétérogènes, il doit d’abord commencer à se mettre d’accord avec lui-même. Il a à lutter contre des agents dissolvants qu’il recèle dans son propre sein. Il doit éviter les conséquences qu’une haute parole a attachées à l’omne regnum in se divisum. Tels membres du cabinet doivent éprouver des tentations pour donner quelque satisfaction à la droite ; tels autres doivent en éprouver pour dorer la pilule à la gauche. Il faut avouer que, pour se maintenir à la hauteur d’une semblable position, les membres du cabinet doivent être doués d’une force herculéenne d’abnégation que l’on suppose difficilement à la nature politique des hommes. Les uns représentent l’un des côtés de la chambre, les autres représentent l’autre. Si cette double représentation n’est pas sentie, si elle n’est pas palpable, si elle ne se traduit pas en faits, les deux côtés de la chambre, composés de natures humaines, se sentent disposés à croire qu’aucun d’eux n’est représenté au cabinet, et que tous deux sont joués au profit de leurs représentants ministériels. Voilà une première source de susceptibilités, une première cause qui fait planer sur le ministère des soupçons d’immoralité politique.

En voici une autre qui met à chaque instant le cabinet en état de suspicion. Je suis loin de vouloir soutenir que jamais le cabinet n’ait donné lieu à des accusations fondées, non pas d’immoralité politique mais de rupture de cet équilibre qui est inscrit sur son drapeau. Mais, si dans d’autres situations, il fait un pas qui paraît être un mouvement vers la droite, il est accusé par la gauche ; s’il fait un mouvement qui semble prendre une direction vers la gauche, il subit les accusations de la droite. Il n’est donc pas étonnant qu’un ministère, qui est placé sur un terrain aussi brûlant, ait ébranlé la confiance des deux côtés de la chambre, et qu’il ait inspiré à l’honorable M. Osy l’espoir de voir recueillir l’une ou l’autre de ses deux propositions. Mais ce qui est étonnant, c’est que lorsque tout s’use dans ce monde, le ministère, subissant constamment le frottements des deux côtés de la chambre, ne se soit pas usé plus tôt. Je ne m’explique pas ce phénomène parlementaire que par la crainte qu’éprouve la majorité de tomber dans une situation ministérielle plus mauvaise que celle dans laquelle elle se trouve placée. C’est cet instinct de la raison humaine qui conseille à un grand nombre des membres de la droite de choisir entre deux maux le moindre, et de continuer d’honorer le cabinet actuel de la tiédeur de son appui.

Cette crainte, qui travaille l’esprit d’une partie de la majorité, est-elle fondée ? Je ne le pense pas. Un cabine mixte est dans toutes les bouches. La modération politique est sur toutes les lèvres. C’est une évidence nécessité de situation proclamée sur tous les bancs de la chambre. Dans cette position, nul doute que la sagesse de la Couronne ne fît tomber son choix sur des hommes politiques dont les antécédents présenteraient la même garantie de modération et planteraient au milieu de nous et dans les phrases de leur programme, le drapeau du juste milieu. Mais aussi nous serions refoulés dans la même situation. Les imaginations brûlantes, les hommes ardents qui siègent des deux côtés de la chambre, les timides causeurs des salons découvriraient bientôt des déchirures dans ce drapeau, et bientôt nos débats offriraient de nouveau le triste spectacle d’animosités personnelles, si déplorables pour les grands intérêts du pays et si étrangères au but de la noble mission que le pays nous a confiée. Dieu sait si même la durée des désappointements personnels, les échecs continuels des fractions impétueuses et des ambitions déçues ne feraient pas grandir les déplorables déchirements parlementaires. Telles sont les considérations, bien ou mal fondées, qui révèlent un autre motif pour lequel une partie de la droite prononcera, je pense, un vote de conservation, sans être inconséquente avec elle-même.

Mais à qui la faute, si le cabinet actuel est conservé ? qui a inspiré ces craintes à une partie de la droite ? Evidemment, messieurs, ce sont les agressions injustifiables et maladroites d’une partie de la gauche. C’est l’esprit qui anime cette fraction, tant dans le sein de cette assemblée qu’en dehors dans ses organes avoués. Si elle veut que le mal qui ronge le parlement et le pays se prolonge et s’aggrave, si c’est sa politique que la représentation nationale, que les institutions du pays soient flétries dans l’opinion sage du pays, qu’elle persiste dans ses violences parlementaires elle aura en même temps l’amère satisfaction de se poser les plus utiles défenseurs et les plus ardents conservateurs du cabinet actuel.

Je passe à un autre ordre d’observations.

Dans quelle proportion les intérêts du pays ont-ils progressé sous l’administration actuelle ? Quel progrès a-t-il été fait en législation utile au pays ? Les finances de l’Etat ont-elles été administrées d’après des règles gouvernementales universellement reconnues ? le commerce, l’industrie, l’agriculture ont-ils reçus, sous le gouvernement actuel, les développements dont ils étaient susceptibles ? jusqu’à quel point, non-seulement le ministère, mais les deux partis qui divisent la chambre, se sont-ils conservés dans l’estime publique ? Quelle est aujourd’hui le degré de respect du pays à l’égard de nos institutions fondamentales ? comment fonctionnent-elles eu égard aux véritables intérêts du pays ? quel usage a-t-on fait des éléments qui constituent la nationalité du pays ?

A mon sens, le terrain, indiqué par ces questions, est à peu près le seul sur lequel les débats actuels auraient dû être placés. Parlementairement parlant, je n’en comprends pas d’autre, dans des discussions qui ont pour objet l’appréciation politique d’un ministère.

Quoique ce soit là le seul cercle utile au pays dans lequel nos débats actuels auraient dû se renfermer, je ne me suis pas fait illusion sur le caractère pernicieux aux intérêts du pays, ou tout au moins stérile en résultats utiles, que ces débats auraient pris.

En effet, de certains bancs de la chambre je me suis attendu à un pessimisme ministériel et de certains bancs de la droite à un quasi-optimisme.

La plupart des discours qui ont été prononcés sur les bancs de la gauche ressemblent à ces réquisitoires amers de certains procureurs du Roi qui ennuient et vexent les avocats, tantôt par d’adroits, tantôt par de maladroits lieux communs. Je me permettrai d’invoquer ici le témoignage de quelques membres de la gauche qui, dans leur carrière d’avocat, doivent avoir été souvent placés en présence de ces réquisitoires dans lesquels la culpabilité des accusés était poussée à un tel degré d’outrance qu’il a jeté l’ennui et la vexation dans leurs esprits. Seulement je regrette qu’ils n’aient pas mieux profité de leur propre expérience.

Je me suis souvent demandé si enfin l’opposition extrême ne comprendra pas qu’elle sert mal sa propre cause et, avec elle, celle du pays ? Il est bien prouvé par l’histoire parlementaire, et cette opposition ne doit pas l’ignorer, que la seule voie sage et utile que les partis puissent suivre, avec honneur et succès, pour la défense de leur cause, soit la voie qui mène directement au cœur des grands intérêts nationaux, celle de l’impartialité et de la modération qui n’excluent ni la franchise ni la fermeté. C’est la seule qui soit en même temps utile au pays, la seule enfin qui puisse être honorée de l’approbation et de l’appui du pays. Mais je conçois que l’on ait choisi un autre terrain ; je le conçois d’autant plus que la plupart des adversaires du cabinet placés sur ce terrain, auraient dû s’avouer complices des actes pernicieux aux intérêts du pays que le ministère a posés.

(page 653) Afin que mes paroles et mes intentions ne soient pas dénaturées, je prie la chambre de reconnaître la position que je prends dans ces débats. Je n’ai demandé la parole ni pour ni contre l’administration actuelle, mais sur cette administration. Je ne m’associe, en aucune manière, à la traction extrême de cette chambre qui, depuis longtemps, s’est constituée en opposition ouverte contre le ministère. Les griefs que je formulerai contre le cabinet sont tout autres. Ils diffèrent même à tel point que souvent la majorité et la minorité s’en sont constituées complices. C’est dire, en d’autres termes, que je puiserai ces griefs dans les véritables intérêts du pays. Le ministère actuel sera conservé, ou il ne le sera pas ; dans les deux cas, j’aurai rempli consciencieusement mon devoir ; j’aurais contribué, par mes faibles moyens, à éclairer soit les conseillers actuels de la Couronne, soit leurs successeurs, sur les intérêts du pays, et, en adoptant cette marche, j’aurai la consolation d’avoir du moins essayé d’enlever à ces graves discussions le déplorable caractère de stérilité en résultats utiles au pays.

J’ai toujours déploré comme une grave imprudence les éloges exagérés que les divers partis adressent à leurs amis politiques, lorsque alternativement ils occupent les bancs du ministère. Si ces exagérations n’exerçaient aucune influence sur les votes des lois, elles ne porteraient à aucun conséquence, le temps en ferait justice. Mais les majorités ne sont que trop disposées à voter les lois par une aveugle confiance dans l’habilité des hommes qui sont au pouvoir. Cette disposition dote souvent le pays de lois mauvaises. Cette disposition, nuisible aux intérêts du pays, est encore augmentée par des votes qui sont accordés dans un intérêt de conservation ministérielle.

Je prie les honorables membres qui ont proclamé M. Nothomb comme un homme éminent, comme un homme d’Etat consommé, je les prie de croire que je ne serai ni injuste, ni ingrat envers lui. Je m’efforcerai d’être juste ; les efforts seront faciles, car, dans l’intérêt du pays, je désirerais vivement qu’un homme public, qu’un homme qui est à la direction des affaires du pays, eût justifié les titres qu’on lui attribue avec tant de prodigalité.

Que l’honorable ministre de l’intérieur possède à un haut degré la facilité de parole, que presque toujours sa parole soit pleine de mesure et de convenance en même temps qu’elle est ferme et courageuse ; que dans ses luttes contre l’opposition il ait la probité parlementaire de ne pas dénaturer l’opinion de ses adversaires ; qu’il comprenne admirablement bien sa situation politique ; qu’avec une grande sagacité et avec un cou d’œil rapide et sûr, il saisisse le côté vulnérable de ses adversaires ; que dans ses combats parlementaires il suive, avec prudence et dextérité, le conseil qu’Horace a donné aux poètes ; quae tractata nitescere non possunt relinquit ; qu’il brise et écrase des foudres de sa parole les adversaires maladroits qui viennent se jeter sur ses pas ; certes ces hautes qualités, personne, je pense, ne s’avisera de les lui contester. Mais ce que je lui conteste, et ce que je lui conteste dans l’unique intérêt du pays, c’est d’être un homme d’Etat éminent, un homme d’Etat consommé ; ce que je lui conteste, ainsi qu’au cabinet, c’est de posséder, à un haut degré, des connaissances exactes et positives en administration des finances du pays, en législation et en diplomatie commerciale, connaissances autrement importantes aux vrais intérêts du pays que les qualités que je viens de lui reconnaître. Quelle que soit son habilité parlementaire, je lui dénie même le talent d’éviter soigneusement des contradictions et des inconséquences qui ont fait planer sur lui des soupçons, quoique non fondés, de recourir à des expédients politiques désavoués par la morale publique.

Pour apprécier un ministère à sa valeur, il faut examiner l’ensemble de ses actes. C’est de cet ensemble que doit résulter la juste appréciation du cabinet, et la solution de la question de savoir si l’administration actuelle mérite, ou non, la confiance du pays.

Le premier acte par lequel le ministère s’est signalé à l’opinion du pays, c’est son opiniâtre persistance dans l’exécution d’une des plus malheureuses conceptions qu’une réunion d’hommes qui se donnent le titre d’hommes d’Etat, ait pu imaginer. Telle était la navigation transatlantique à vapeur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’était une loi.

M. de Foere – Oui, c’était une loi ; mais la loi avait été ouvertement transgressée. C’était pour vous un devoir de plus, de ne pas continuer cette transgression.

Jamais acte commercial plus stupide n’a été posé ; dans les rapports maritimes et commerciaux dans lesquels le pays se trouvait relativement aux Etats-Unis, jamais moyen plus onéreux au pays, et, en même temps plus inutile au but que l’on se proposait d’atteindre, n’a été employé. Je ne répéterai pas les motifs sur lesquels je base cette assertion, je les ai suffisamment développés lorsque ce malheureux projet a été l’objet de nos délibérations. Aussi, cette faute inqualifiable est aujourd’hui dans toutes les convictions.

On sait que la première conception de ce projet, à jamais déplorable, n’appartient pas au cabinet actuel ; mais ce qui aggrave, à mes yeux, sa participation active à l’exécution de ce projet, c’est que, selon toutes les probabilités, et d’après mes informations, le ministère était, à peu près, convaincu d’avance de l’énorme folie de cette entreprise, et que, malgré cette conviction presque entière, il a persisté dans son exécution, sacrifié les intérêts les plus graves et exposé le pays à la risée du monde commercial tout entier.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je n’ai pas eu cette conviction.

M. de Foere – Vous l’avez eue, ou vous ne l’avez pas eue ; j’arriverai bientôt à cette hypothèse.

M. le ministre de l'intérieur à persiste. Il a persisté, m’a-t-on dit, de crainte qu’on ne lui reprochât que l’extravagance de cette conception n’ait point été démontrée par l’expérience. J’ai dit que, selon toutes les probabilités, le ministère avait, à peu près, la conviction de l’immense sottise de cette entreprise. Je ne veux pas exagérer les faits, l’exagération des faits ne peut servir les intérêts d’aucune cause. Mais de deux choses l’une : le ministère avait ou non cette conviction préalable ; dans le premier cas, c’est un acte de faiblesse impardonnable que de sacrifier ses convictions et d’immenses intérêts du pays, soit à des craintes puériles, soit à un intérêt de conservation ministérielle.

D’autre l’autre cas, s’il n’a pas eu cette conviction préalable et qu’il ait voulu faire des essais sérieux, cette position de la question vous donne une première mesure de l’insuffisance du cabinet pour diriger les affaires du pays.

Une disposition formelle de la loi de 1822 porte que les navires des nations étrangères ne seront affranchis des droits qui pèsent sur le corps de leurs navires que lorsqu’elles accordent, sous le même rapport, la réciprocité aux navires du pays. Eh bien, malgré toutes les réclamations de la chambre et du commerce, le ministère a persisté dès son début jusqu’au traité avec le Zollverein dans la transgression ouverte de cette loi, en accordant l’exemption de ces droits à la Prusse, qui a persisté à maintenir les mêmes droits contre nos navires.

Je n’accepterai pas comme justification l’observation qu’en prenant la direction des affaires du pays, le ministère avait trouvé cette mesure accomplie ; je lui répondrai d’avance que la scandaleuse transgression d’une loi n’en justifie pas la continuation. Si un abus flagrant pouvait être continué par cela seul qu’il existe, il faudrait renoncer à toute délibération parlementaire. A défaut de principes, les débats seraient impossibles.

Le blâme qui pèse sur ce grief est aggravé par deux raisons. La première : le ministère a avoué cette transgression de la loi dans ses négociations avec le Zollverein ; il en a même fait un moyen de négociation. Je vous le demande, messieurs, quelle est l’idée que l’Allemagne doit se former d’un gouvernement qui se permet des violations aussi ouvertes à la loi, et d’une représentation qui a toléré si longtemps si peu de respect pour la sainteté de la loi, alors surtout, que nous venions de sortir d’une révolution qui en partie avait été faite, disait-on, parce que le pouvoir contre lequel on s’était élevé avait substitué le régime des arrêtés au régime de la loi ? Ce n’est pas seulement la loi que l’on méprise, ses devoirs que l’on transgresse, c’est encore l’honneur national que l’on sacrifie ainsi que d’autres intérêts du pays !

Je dis d’autres intérêts du pays. C’est la deuxième raison pour laquelle ce grief est aggravé. Plus on s’approchait de l’achèvement du chemin de fer d’Anvers à Cologne, plus il devenait urgent de ne pas laisser subsister cette violation de la loi. La question envisagée sous ce point de vue constitue le cabinet actuel plus coupable que ses prédécesseurs. Je m’explique. Il était dans les prévisions du pays tout entier qu’un rapprochement commercial avec le Zollverein était possible, même probable. Il est dans les aveux du cabinet que, pour traiter, il nous manquait des éléments de concession. Il est encore dans ses aveux que la Prusse attachait une immense importance à sa navigation dans nos ports. Ces deux opinions étaient partagés par tous ceux qui avaient étudié la situation et les besoins relatifs.

Eh bien, malgré tous ces aveux, le cabinet actuel a laissé subsister une concession gratuite, une concession illégale. Avant la loi des droits différentiels maritimes, il existait un droit différentiel qui frappait le corps des navires étrangers, ces droits ont été abolis en faveur de la Prusse, sans loi et contre les dispositions formelles des lois existantes. C’était se désarmer d’avance ; c’était se préparer un terrain de négociations excessivement onéreuses, comme le résultat l’a prouvé ; c’était encore se mettre en contradiction flagrante avec ses propres opinions plusieurs fois exprimées.

Quelle est la position que la Prusse a prise dans cette grave situation ? Comme de raison, la Prusse a réclamé le statu quo comme base des négociations et vous avez dû vous soumettre à d’autres concessions très-onéreuses pour le pays.

C’est sur ce terrain qu’a complètement échoué le simulacre de réponse que M. le ministre des travaux publics a essayé d’opposer à cette partie du discours de M. d’Elhoungne, qui reprochait avec fondement au ministère l’absence de toute réciprocité juste et réelle dans le traité avec le Zollverein.

M. le ministre des travaux publics a continué de porter sur le même terrain son argumentation contre l’honorable député de Gand. Pour amoindrir toutes les concessions qui avaient été faites, par le traité, au Zollverein, il s’est vu réduit à la nécessité d’invoquer toutes les concessions qui, préalablement au traité, avaient été faites à l’Allemagne. Or, qui les avait faites ? C’est en grande partie le cabinet actuel même. Ce sont ces concessions faites gratuitement avant le traité et sans aucune prévoyance, que nous lui reprochons.

Le système de transit figure encore en première ligne parmi ces concessions imprudentes. Ce système a été porté par le ministère au-delà des dernières limites que traçaient les véritables intérêts du pays bien entendus. L’Allemagne était beaucoup plus intéressée à ce transit que nous-mêmes. Nos négociateurs auraient pu s’en faire une arme puissante de négociation, mais les avantages de cette nature avaient été gratuitement concédés. La Prusse a encore habilement réclamé le statu quo comme base de négociations.

Mais, ce qui, sous ce rapport, mérite plus spécialement l’attention de la chambre, c’est la réponse que M. le ministre de l'intérieur a faite à l’objection qu’une partie de la chambre avait élevée contre cette concession préalable (page 654) exorbitante et gratuite. Le ministère a répond que ce transit était le fait de la chambre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous avez été rapporteur de ce projet de loi.

M. de Foere – Oui, je l’ai été deux fois. Bientôt je m’expliquerai sur cette position de la question. La chambre, a-t-il dit, n’a élevé aucune réclamation contre l’extension qui a été successivement donnée au transit. La chambre est faussement accusée d’un fait exclusivement imputable au pouvoir dirigeant ; je vais le prouver :

Nous avons une loi de transit discutée et votée en 1836. Voilà le seul acte auquel la chambre a pris une part directe à une loi de cette nature. Depuis cette époque et surtout depuis l’entrée au ministère actuel, il a été porté à cette loi des modifications très-importantes, tellement essentielles que la loi de 1836, de simple loi de formalités et de garanties qu’elle était, a été totalement dénaturée. Le transit passif, envisagé par toutes les nations comme commerce secondaire, comme auxiliaire de leur commerce actif, ce transit, dis-je, est devenu le système commercial fondamental du pays. Il est impossible de ne pas voir dans les stipulations du traité avec le Zollverein la consécration complète de ce système de transit passif, érigé en première ligne, en système de commerce du pays. Je ne discuterai pas cette question. Le moment n’est pas opportun. Mais, plusieurs fois, dans les discussions sur le traité avec l’Allemagne, le ministre de l’intérieur a exprimé lui-même ses appréhensions et ses doutes relativement à l’extension qui a été donnée à ce système de transit ; il a dit, entre autres choses, qu’il ne savait pas si l’on n’était pas allé trop loin dans ce système ; mais il a soutenu, en même temps, contre les objections d’une partie de la chambre que, si on était allé trop loin, c’était le fait de la chambre. Or, voici la direction qui a été imprimée à cette grave question par le pouvoir dirigeant. Le gouvernement nous a présenté, tous les ans, pendant quatre années consécutives, un projet de loi tendant à lui accorder un vote de confiance qui l’autorisait à apporter à la loi existante sur la matière telles modifications qui, sans compromettre les intérêts commerciaux et industriels du pays, pourraient lui être utiles. Chaque année le gouvernement promettait de soumettre dans la session suivante à la chambre un projet définitif dans lequel le système de transit le mieux approprié aux intérêts du pays serait proposé. Chaque année la chambre a patienté ; elle a accepté ces promesses. Au surplus, la chambre n’a entendu d’autres modifications que celles qui se rattachaient aux formalités du transit et aux garanties qu’il devait présenter contre la fraude ; elle n’a aucunement entendu investir le gouvernement du pouvoir de dénaturer entièrement les lois existantes sur la matière et moins encore la chambre a entendu accorde au ministère le droit d’ériger un système de transit tel que celui qu’il a établi dans le traité avec le Zollverein.

Telle est la marche que cette question a suivie dans la chambre. Il en résulte que jamais elle n’a eu les honneurs d’un débat. Toute la chambre le sait. Cependant M. le ministre de l'intérieur affirme que ce système est l’ouvrage de la chambre. Après ce simple exposé des faits, j’abandonne l’assertion de M. le ministre de l'intérieur à l’appréciation de la chambre. Toujours est-il que toute cette partie du discours de M. d’Elhoungne est restée toute entière et que les antécédents du traité avec l’Allemagne, comme les négociations mêmes, ont été posés et conduits avec une déplorable imprévoyance. Les concessions faites au Zollverein, comparées à celles que nous avons obtenues, ont conservé leur caractère d’exorbitance telle qu’aucun autre traité européen de réciprocité n’offre un exemple semblable.

Je n’ai pas tout dit relativement à l’insuffisance avec laquelle les négociations du traité ont été conduites. Il est évident, il est de l’aveu du cabinet, que l’intérêt qui a dominé de notre côté, dans les négociations était l’industrie métallurgique. Sous ce rapport, le gouvernement se trouvait en présence d’un pays qui éprouvait le plus grand besoin de nos fers. Tous ceux qui ont étudié dans les traités mêmes les vues et la conduite de la diplomatie commerciale qui ont dirigé tous les négociateurs, sont convaincus de cette vérité, que la principale habilité des gouvernements consiste dans une connaissance exacte des besoins, et, par conséquent, des désirs du pays avec lequel on est en voie de négociation. Eh bien, une grande partie de l’Allemagne éprouvait les besoins les plus urgents de nos fers ; ces besoins avaient été plusieurs fois manifesté par plusieurs parties de l’Allemagne, et le ministère n’a su tirer aucun parti d’une situation aussi avantageuse. Il a imposé au pays des conditions très-onéreuses à remplir envers le Zollverein.

Messieurs, l’heure est très-avancée, je suis d’ailleurs fatigué, je demande à continuer demain.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.