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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 9 mai 1844
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétition relative au droit de patente dû par certains négociants en
bois (de Nef)
2) Proposition de loi relative au
transit du bétail hollandais (Malou, Mercier,
Malou)
3) Conclusions de la commission
d’enquête parlementaire (commission « de Foere ») et système des
droits différentiels. Politique commerciale du gouvernement (de Renesse, Donny, David, (+navigation commerciale sur la Meuse) Donny, Dumortier, Nothomb, Osy)
(Moniteur
belge n°131, du 10 mai 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M. Huveners fait l’appel nominal à midi un quart.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction
en est adoptée.
M.
Huveners présente l’analyse des pièces adressées
à la chambre :
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Les sieurs Stache, Grosjean et
Adnet réclament l’intervention de la chambre pour que le gouvernement donne
suite à la demande relative à la suppression des lignes télégraphiques entre
des villes du royaume. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
« Les propriétaires de bois et
négociants en bois indigènes dans la province d’Anvers, réclament contre
l’interprétation que l’administration des contributions directes et patentes a
donnée à la loi du 18 juin 4842. »
M. de Nef. - La réclamation des propriétaires de bois, dans la province d’Anvers,
contre la prétention de l’administration des patentes, me semble très fondée ;
il doit y avoir eu un malentendu, parce qu’il est évident que les marchands de
bois ne peuvent être assujettis qu’à une patente dans la commune de leur propre
domicile, et point à des patentes dont chacune s’élève à 30 fr. environ pour
chaque vente de bois scié, dans d’autres communes, dont bien souvent
l’importance ne s’élève que de 80 à 100 fr. Ce serait le moyen de faire
déprécier les propriétés de bois, et tel ne peut certes être ni l’esprit, ni la
lettre de la loi du 18 juin 1842. Je prie donc la chambre d’envoyer cette
pétition à la commission des pétitions avec la demande d’en faire un prompt
rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - Messieurs, à la séance d’hier,
il a été déposé sur le bureau une proposition de loi qui a été renvoyée aux
sections ; elles en ont toutes autorisé la lecture. En conséquence, la parole
est M. Malou pour donner lecture de cette proposition.
M. Malou. -
Nous avons l’honneur de soumettre à la chambre la proposition suivante :
« Léopold, etc.
« Nous avons de commun accord,
avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. unique.
A dater de la promulgation de la présente loi, l’article 8 de la loi du 31
décembre 1835 (Bulletin officiel, n°866) sur le bétail, reprendra force et
vigueur. Il n’y pourra être dérogé à l’avenir que par une loi.
« (Signés)
Malou, Delehaye, de Roo, d’Elhoungne, Manilius, Vandensteen, de Foere, Zoude,
de Meer de Moorsel, de Man d’Attenrode, Rodenbach, Danheel, Desmet, de Naeyer,
de Corswarem, Vanden Eynde, Wallaert, Kervyn, Maertens, Coppieters, de Meester,
Henot, Huveners, Dumortier, de Florisone et Verwilghen. »
M. le président. - Quel jour l’honorable
membre désire-t-il présenter les développements de cette proposition ?
M. Malou. -
Je suis à la disposition de la chambre ; si elle le permet, je donnerai
immédiatement lecture de ces développements ; je ne serai pas long.
- La chambre, consultée,
décide qu’elle entendra immédiatement les développements de la proposition.
(Note
du webmaster : le Moniteur de ce jour reprend le développement de cette
proposition, non reprise dans la présente version numérisée. En conclusion
de ces développements : M. Malou. - C’est à regret, qu’il nous soit permis de le dire encore, que nous
recourons à l’initiative parlementaire pour obtenir le redressement de ce grief,
mais c’est, nous en avons la conviction, par les motifs les plus sérieux
d’intérêt général, c’est enfin en présence d’une nécessité bien constatée.)
M. le président. - La proposition étant
appuyée par plus de cinq membres, la discussion est ouverte sur la prise en
considération.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, le moment n’est pas venu de discuter l’opinion émise par
l’honorable auteur de la proposition ; mais je crois de mon devoir de relever,
dès à présent, une inexactitude qui forme le point de départ, en quelque sorte,
des développements qu’il vient de donner,
D’après l’honorable membre il
semblerait que le gouvernement se soit refusé d’unie manière positive et
absolue de retirer la disposition qu’il a prise à l’égard du bétail, et que,
pour que cette disposition fût rapportée dans quelque situation que ce soit, il
ne restait à la chambre d’autre moyen que celui que l’honorable membre a
conseillé.
Je rétablis les faits en rappelant
que dès le premier jour et chaque fois qu’il a été question de cet objet, j’ai
annoncé à la chambre que si le transit devenait préjudiciable à l’agriculture,
que s’il acquérait un certain développement, le gouvernement croirait devoir
prendre des mesures pour sauvegarder les intérêts agricoles.
La proposition tend donc à
amener immédiatement une mesure que le gouvernement consentait à prendre dès
qu’il aurait trouvé que par l’importance du transit, nos intérêts agricoles
étaient quelque peu menacés.
Cette déclaration a été omise au
point de départ du discours de l’honorable membre. Ce n’est que vers la fin
qu’il en est fait une légère mention. Cependant, je tiens à faire remarquer à
la chambre qu’il ne s’agit pas d’un refus formel de la part du gouvernement, et
en déclarant que le gouvernement attache tout autant de prix à la prospérité de
l’agriculture que qui que ce soit dans cette chambre, qu’il reconnaît que
l’intérêt agricole est le premier intérêt du pays. Mais le gouvernement n’a pas
pensé que jusqu’ici les faits fussent tels que cet intérêt fût le moins du
monde lésé.
Telle est la seule différence entre
l’opinion de l’honorable auteur de la proposition et celle du gouvernement. Le
gouvernement a pensé qu’il n’y avait pas opportunité à retirer l’arrêté dans
les circonstances actuelles ; et l’honorable membre est d’avis que, quelles que
soient les circonstances que, quelle que soit l’insignifiance du transit, que
quelle que soit la promesse du gouvernement, il faut rapporter immédiatement
cet arrêté.
M. Malou. -
Messieurs, en donnant lecture des développements de la proposition que j’ai
signée de concert avec 25 de mes collègues je n’ai pas lu les notes qui les
accompagnent. Si les déclarations de M. le ministre ne sont pas reproduites,
j’ai donné l’indication aussi fidèle que possible des numéros du Moniteur où se trouvent ces déclarations
toujours les mêmes et qui se reproduisent encore aujourd’hui.
Il n’y a donc, dans ces
développements, aucune omission volontaire ou calculée. J’ai suivi l’ordre qui
m’a paru le plus méthodique pour indiquer les divers éléments de la question.
Le dissentiment qui se reproduit
aujourd’hui est aussi toujours le même. Nous soutenons que l’existence seule de
l’arrêté est une lésion permanente de l’intérêt agricole et que cette lésion
existe indépendamment du chiffre du transit. C’est là ce que je me suis attaché
à démontrer.
Il y a un second point qui est établi
: c’est que l’arrêté n’a pas été sans effet ; qu’il a immédiatement sextuplé le
mouvement de l’exportation du bétail de Hollande en France, et qu’il a
complètement interverti les conditions de la concurrence des produits nationaux
et des produits étrangers sur les marchés du département du Nord.
Je sens qu’à l’occasion de la prise
en considération, il est impossible de discuter entêtement le fond de la
proposition. Je tenais cependant à indiquer ces deux points, parce qu’il me
paraît démontre par là que quel que puisse être le mouvement du transit sur le
chemin de fer, il y avait lieu déjà, il y a longtemps, lorsque les premières
démarches ont été faites, de retirer l’arrêté, et qu’il y a encore lieu
aujourd’hui de le faire. Il y a peut-être plus, l’on peut regretter que
l’arrêté ait été pris.
- La proposition est prise en
considération. Elle sera, ainsi que les développements qui l’accompagnent,
imprimée et distribuée.
La chambre en renvoie l’examen aux
sections.
CONCLUSIONS
DE LA COMMISSION D’ENQUETE PARLEMENTAIRE (COMMISSION « DE FOERE ») ET
SYSTÈME DES DROITS DIFFERENTIELS
Discussion générale
M. le président. - Dans la séance d’hier,
l’honorable M. de la Coste a présenté un amendement qu’il a développé ; mais
jusqu’ici il n’a pas été appuyé. Je demanderai si cinq membres l’appuient.
- L’amendement est appuyé ; en
conséquence il fera partie de la discussion.
M. de Renesse. - Messieurs, je ne croyais prendre aucune part à la grave discussion
de la question des droits différentiels ; mais, désirant motiver mon vote
négatif, j’émettrai seulement quelques considérations, tout en avouant que,
dans le principe, lorsque j’ai examiné avec la plus grande attention les
documents et rapports présentés à la chambre par la commission d’enquête
parlementaire, j’avais cru que l’on pourrait admettre un système de droits modérés différentiels pour
parvenir, par ce moyen, à provoquer l’exploitation de nos produits nationaux
vers les contrées lointaines et d’outre-mer ; mais, par suite de la longue
discussion qui vient d’avoir lieu, après avoir mûrement pesé les arguments que
l’on à fait valoir contre l’établissement des droits différentiels, et les
différents écrits qui combattent ce système, je n’ai plus la même conviction,
si, effectivement, l’adoption de ce système commercial pouvait influer efficacement
sur l’amélioration et l’extension de nos relations de commerce, et avoir
réellement pour effet de procurer des débouchés à nos produits fabriqués ; ce
doute s’est encore fortifié, lorsque j’ai vu les partisans les plus avoués du
système différentiel ne pouvoir se mettre d’accord, soit sur l’application et
le taux des droits à établir, soit sur la manière la plus avantageuse de mettre
ce système à exécution.
Si ce système doit être si utile à
nos relations avec les pays transatlantiques ; s’il devait être la panacée
universelle pour porter un remède prompt et surtout sûr aux souffrances de
certaines de nos industries, il me semble que ceux qui approuvent tant
l’établissement des droits différentiels devraient premièrement s’entendre
entre eux avant de vouloir le mettre à exécution, pour ne point par sa fausse
application porter parfois le plus grand préjudice aux véritables intérêts du
pays.
Dans l’incertitude, si le système
différentiel peut être réellement profitable aux intérêts généraux de la Belgique,
je préfère ne pas l’admettre comme essai ; je crois qu’il est plus prudent de
conserver le commerce certain et actuel, de tâcher de trouver d’autres moyens
pour le maintenir et l’encourager, que de courir après l’incertain sans trop
savoir où le système de droits différentiels pourrait nous conduite ; il
provoquerait peut-être une crise commerciale tout à fait défavorable au pays et
contraire aux prévisions et désirs des partisans de l’application de ce nouveau
régime de commerce.
Ce système, d’ailleurs, paraît porter
le plus grand préjudice aux intérêts commerciaux et industriels de plusieurs de
nos provinces, où déjà certaines industries sont en souffrance ; ce serait
encore empirer leur position, que vouloir leur enlever leurs moyens actuels de
communication, c’est-à-dire leur commerce direct avec les pays avoisinants, et
les rendre entièrement les tributaires de nos ports d’Anvers et d’Ostende.
Je crois cependant qu’il faut, dans
l’intérêt de notre industrie, prendre quelques mesures pour procurer au moins
le marché intérieur à nos produits nationaux, actuellement en partie repoussés
des marches étrangers, dont les gouvernements ne semblent nullement portés à
adopter des tarifs plus modérés envers nous, quoique nous recevions jusqu’ici
leurs objets fabriqués à des droits de douane bien inferieurs à ceux de ces
pays.
J’admettrai volontiers
quelques modifications aux droits de douane, pour protéger celles de nos
industries qui ont trop à souffrir de la concurrence étrangère ; mais il me
paraît que cette révision de nos tarifs ne devrait être que partielle ; en
outre, pour faciliter l’exportation de nos produits, l’on pourrait peut-être
établir avec quelque utilité, que les navires indistinctement, qui
importeraient des marchandises étrangères, jouiraient d’une diminution sur les
droits de douane, si, par contre, ils exportaient une certaine quantité de nos
produits du sol ou fabriqués, en maintenant,
toutefois, pour la navigation nationale, une déduction de 10 p. c. sur
le montant des droits de douanes dont elle jouit, d’après l’article 10 de la
loi du 26 août 1822 ; de cette manière, il me semble que l’on pourrait
encourager notre commerce avec les nations étrangères sans provoquer de
représailles, et sans porter un grand préjudice à notre commerce par terre,
rivières et canaux, qui, d’ailleurs, d’après les états statistiques, est le
commerce le plus important et le plus sûr.
Je voterai contre le principe
d’étendre le régime des droits différentiels, et, pour le cas où l’on jugerait
nécessaire de modifier certains droits de douane, pour accorder une protection
suffisante et légitime à quelques-unes de nos industries contre la rude
concurrence étrangère, j’y donnerai mon assentiment.
M. Donny. - Messieurs, je viens réfuter les principales observations qu’on vous
a présentées contre le système des droits différentiels. Je le ferai en vous
citant des faits dont je puis immédiatement administrer la preuve et en vous
présentant des chiffres à l’appui desquels je puis déposer des pièces sur le
bureau.
Pour mettre quelque ordre dans mes
paroles, je m’attacherai principalement aux discours de mon honorable ami, M.
David, et de l’honorable M. Lesoinne, et je le ferai par ce double motif que
ces honorables collègues possédant des connaissances pratiques, ont dû faire et
ont fait, en effet, de l’impression sur quelques membres de cette assemblée, et
que, d’un autre côté, il est facile de rattacher aux discours de ces deux
orateurs à peu prés toutes les observations qu’on vous a présentées.
Je commencerai par le discours de
l’honorable M. David :
Mon honorable ami vous a fait le
tableau le plus sombre, je dirai même le plus noir des destinées que le système
des droits différentiels réserve au port d’Anvers, au second port de la
Belgique, celui d’Ostende, aux ports de l’intérieur et enfin à la province de
Liége. Pour Anvers, l’inactivité et des bassins vides ; pour les autres ports,
la mort de la navigation ; pour la province de Liége, une ruine certaine.
Voilà, s’il faut en croire l’honorable membre, les résultats inévitables du
système des droits différentiels.
Pour ce qui concerne le port
d’Anvers, je dirai peu de chose. Je me bornerai à répondre a l’honorable membre
que, lorsqu’il s’agit de la prospérité du port d’Anvers, je me permets d’attacher
plus d’importante aux lumières et aux opinions de la chambre de commerce de
cette ville qu’à celles de la chambre de commerce de Liége ; comme j’attache
aussi beaucoup plus d’importance, en cette matière, à l’opinion de l’honorable
M. Lys qu’à celle de l’honorable M. David. Tant que le projet de loi sur les
droits différentiels ne causera pas d’inquiétudes à deux de nos honorables
collègues qui connaissent si parfaitement les intérêts du commerce anversois,
et qui savent si bien les défendre dans cette enceinte, je pense que
l’honorable M. David, et moi, et la chambre tout entière, nous pouvons être
parfaitement tranquilles sur le sort de cette localité importante.
Quant aux autres ports, l’honorable
M. David leur prédit la perte de la navigation. Et pourquoi ? Parce que,
dit-il, le nouveau système ne peut leur apporter aucun avantage et doit, au
contraire, leur causer d’énormes préjudices. Le projet ne peut leur apporter
aucun avantage ; car dans ces ports, dit l’honorable membre, on ne peut penser à
construire pour la navigation lointaine ; dans ces ports le commerce
transatlantique, le commerce de long cours est impossible. La loi leur causera,
au contraire, un grand préjudice, parce que le système des droits différentiels
doit manifestement anéantir le cabotage et que le cabotage est le seul genre de
navigation qui soit réservé à ces localités.
Messieurs, si l’honorable
membre avait, comme moi, connaissance de ce qui se passe dans ces ports, il
aurait raisonné d’une manière toute différente, ou plutôt il n’en aurait pas
parlé. On construira pour la navigation au long cours dans le port d’Ostende,
par la raison toute simple qu’aujourd’hui, sous l’empire d’une législation
moins favorable aux voyages de long cours que celle qu’on nous propose, on
construit. Si l’honorable membre doute du fait, je suis prêt à lui mettre sous
les yeux une longue liste de bâtiments construits sur les chantiers d’Ostende
depuis la révolution ; bâtiments d’un fort tonnage, destinés aux voyages de
long cours et qui en font.
Mon honorable ami me dit qu’il n’a
pas voulu faire allusion à Ostende. J’accepte son observation ; et dès lors je
ne parlerai plus d’Ostende. Mais je parlerai de Bruges.
M. David. -
J’ai parlé des ports secondaires.
M. Donny. - Je vois que j’ai eu tort d’appliquer à Ostende et à Bruges le nom de
ports secondaires ; mais l’honorable membre me permettra de dire…
M. David. -
Si vous vouliez me permettre de donner une explication ?
M. Donny. - Volontiers.
M. David. -
Lorsque j’ai parlé de ports secondaires, j’ai entendu par là les ports dans
lesquels il est impossible aux navires d’un gros tonnage d’entrer. Si je suis
bien informé, des armateurs de Gand ont voulu faire arriver directement dans le
port de cette ville des cargaisons de coton ; mais les navires qui les
portaient ont rencontré dans le canal de Terneuzen des difficultés qui ont fait
renoncer à ces sortes d’opérations. Il faut donc ranger dans la catégorie des
ports secondaires, ceux qui, par leurs abords, sont inaccessibles aux navires
propres à la navigation au long cours.
M. Donny. - Maintenant que j’ai compris la pensée de l’honorable membre, je ne
parlerai plus de ce point. Il est entendu que par ports secondaires l’honorable
membre n’a entendu ni Ostende ni Bruges ; c’est du port de Gand, du port de
Termonde et d’autres qu’il a voulu parler.
Puisqu’il n’y a plus de craintes à
concevoir pour les ports d’Ostende et de Bruges, il ne me reste qu’à parler du
cabotage, qui, d’après l’honorable membre, doit être anéanti et dans les ports
secondaires et dans le port d’Anvers, et certainement aussi dans les ports
d’Ostende et de Bruges.
Déjà M. le ministre de l’intérieur
vous fait remarquer que si le nouveau système doit restreindre pour quelques
denrées coloniales le transport fait aujourd’hui par le cabotage, d’un autre
côte, ce nouveau système laisse au cabotage la plus grande partie de son
aliment actuel et lui procure un avantage nouveau, avantage résultant d’une
majoration des droits de douanes qui procurera un encouragement plus grand au
cabotage, auquel on donne aujourd’hui pour toute protection sur les droits de
douane, sauf les articles sel, sucre et thé, une prime de 10 p. c. J’ajouterai
à ce qu’a dit M. le ministre, quelques faits qui n’ont pas encore été signalés
à la chambre. J’ai fait le relevé de ce qui alimente le cabotage et j’ai rangé
les matières qu’il transporte dans l’ordre de leurs quantités respectives.
En premier lieu je trouve le sel ; le
cabotage belge transporte par année au-delà de 30,000 de sel. C’est là son
aliment principal, et c’est là, comme vous le savez, un article que le cabotage
doit continuer à transporter. Le nouveau système n’apporte aucun changement à
l’état des choses actuel, quant au sel.
En deuxième ligne se présente le
sucre. On importe, par le cabotage au-delà de 10,000 tonneaux de sucre. Je
conviens que si l’amendement du gouvernement devait être adopté tel qu’il est
présenté, il y aurait quelque chose de vrai dans l’observation de l’honorable
M. David. Le cabotage ne serait certes pas anéanti ; mais il souffrirait, et si
le chiffre du gouvernement devait être mis aux voix, je serais le premier à le
combattre de toutes mes forces ; mais il faut être juste, M. le ministre de
l’intérieur nous a prévenu que, sur ce point, il ferait des changements en
faveur du cabotage. Il a reconnu que son chiffre ne pouvait être mis aux voix tel qu’il était présenté. Ces changements, nous
devons les attendre, et jusqu’à ce qu’ils soient proposés, je dois croire
qu’ils seront tels que le cabotage pourra les accepter.
En troisième ligne se trouve
l’exportation des écorces. Le nouveau tarif ne change rien à ce qui concerne
cette exportation qui s’élève à plus de 8,000 tonneaux.
Nous avons ensuite, en quatrième
ligne, l’importation des graines, en cinquième ligne, l’importation des grains,
en sixième ligue l’importation des laines en masses, en septième ligne
l’exportation des sucres raffines, en huitième ligne l’exportation du lin. Eh
bien, messieurs, tous ces articles, le cabotage les conservera malgré les
changements qu’il s’agit d’apporter à la législation.
Je trouve enfin, en neuvième ligne,
l’importation du coton, qui est de mille et quelques tonneaux, et en dixième
ligne, l’importation du café, qui est de 970 tonneaux. Vous le voyez,
messieurs, ces deux articles, dont le cabotage peut perdre en partie le
transport, s’élèvent en tout à 2,000 tonneaux.
M. David. -
Et les cuirs ?
M. Donny. - Les cuirs ne viennent qu’après : leur transport ne s’élève pas à 600
tonneaux.
Ces 2,000 tonneaux de coton et de
café, messieurs, ne vont point être enlevés entièrement au cabotage ; ce serait
une grande erreur de le croire. En effet, messieurs, si nous fixons notre
attention sur les cotons des Indes orientales, qui sont à peu près les seuls
que l’on emploie en Belgique, qui sont tout au moins ceux que l’on y emploie en
plus grande quantité, les cotons des Indes orientales pourront continuer à
venir des entrepôts d’Europe au même droit auquel ils en viennent aujourd’hui.
Le cabotage qui les importe aujourd’hui pourra donc encore les importer dans la
suite.
Il est vrai que la position sera
changée dans ce sens que l’on pourra faire venir des cotons directement de
Amérique, à des droits beaucoup moindres ; mais, messieurs, on n’a cessé de
vous dire, et ce sont surtout les adversaires des droits différentiels qui ont
tenu ce langage, on n’a cessé de vous dire qu’il se trouvait des occasions
d’acheter le coton dans les entrepôts d’Europe, à meilleur marché qu’on ne
l’achète dans les colonies. S’il en est ainsi, lorsque ces occasions se
présenteront, le cabotage ira encore chercher le coton. Le commerce profitera
de ces circonstances et alors l’importation du coton se fera par le cabotage au
même droit qu’aujourd’hui.
Quant au café, le cabotage en
périra-t-il entièrement le transport ? Mais non, messieurs, comment croire (et
c’est une observation déjà faite par l’honorable M. Cogels), comment croire que
les classes aisées de la Belgique iront renoncer au café Cheribon, et le
remplaceront par du café Brésil, pour une différence de 2 ou 3 centimes à la
livre ? il est impossible que l’on puisse sérieusement
s’arrêter à une semblable idée. Le cabotage ne perdra donc que peu de chose sur
ces denrées coloniales, et ce qu’il perdra il le regagnera, au moins en partie,
sur la majoration de droits que le système nouveau établira sur les autres
marchandises.
Pour ne pas fatiguer l’attention de
la chambre, je ne continuerai pas la lecture de ma liste.
Après avoir rassuré la chambre sur le
sort des ports et du cabotage, il me reste à lui parler de celui de la province
de Liége.
L’honorable membre auquel je réponds,
vous a dit, messieurs (et il a dit vrai), que la province de Liége est une des
plus riches, une des plus actives du royaume. Il vous a dit que la province de
Liége était comblée des bénédictions de la Providence et il a encore dit vrai ;
seulement j’ajouterai, moi, pour compléter le tableau, que la province de Liége
est comblée, non seulement des bénédictions de la Providence, mais encore des
bénédictions du tarif, bénédictions qui lui ont assuré le monopole du marché
intérieur pour les produits de ses principales industries, avantage que bien
peu de provinces en Belgique possèdent.
M. David. -
Nous ne sommes pas les seuls.
M. Donny. - Non, vous n’êtes pas les seuls, le Hainaut possède cet avantage
comme vous ; ainsi les autres provinces ne sont pas si bien partagées.
Les avantages que la province de
Liège a reçus de la nature, développés par l’industrieuse activité de ses
habitants, et les avantages artificiels que le tarif lui assure, voilà,
messieurs, les bases les plus solides, les bases réelles de la prospérité dont
jouit la province de Liège, prospérité qui est telle que l’honorable membre a
déclaré lui-même que Liège est la seule province du royaume qui n’ait pas de
plaintes à formuler, pas de demandes à faire. J’en félicite la province de
Liège, je voudrais pouvoir en dire autant de toutes les autres.
Le système contre lequel on s’élève
tant, va-t-il donc faire disparaître ces bases si solides de la prospérité de
la province de Liège ? Mais non, messieurs ; certes, il n’entre dans l’esprit
d’aucun de nous de porter le moindre préjudice aux avantages matériels que
possède cette province ; au contraire, chaque fois que l’occasion s’en est
présentée, nous nous sommes tous empressés de donner de l’extension à ces
avantages. A-t-on donc oublié ce que nous avons fait pour la Meuse ? A-t-on
oublié ce qui, en perspective, nous attend encore ? A-t-on oublié que, pour
assurer la prospérité de la province de Liège, nous avons englouti des millions
dans la vallée de la Vesdre ? Je n’en fais point de reproches. J’ai voté ces
dépenses et je suis prêt à en voter encore lorsque l’occasion s’en présentera,
mais au moins que la province de Liège soit raisonnable ; lorsque l’on fait
tant pour elle, qu’elle permette au moins qu’on fasse quelque chose pour les
autres ; Si nous ne pouvons pas jouir de la même prospérité, qu’elle nous
permette au moins de vivre modestement.
Quant aux avantages artificiels, ceux
que le tarif assure à la province de Liége, s’agit-il aujourd’hui d’y porter la
moindre atteinte ? Mais, mon Dieu, non ! Dans l’intérêt des autres provinces,
dans l’intérêt des provinces maritimes surtout, on aurait pu demander l’entrée
des houilles anglaises ; on aurait pu demander l’introduction des produits
métallurgiques étrangers. L’a-t-on fait ? Non ; on consent à laisser à la
province de Liége et au Hainaut, puisqu’on veut que je parle aussi du Hainaut,
le monopole exclusif du marché intérieur, pour les houilles et les produits
métallurgiques. Mais, messieurs, il ne faut pas qu’on s’y trompe ; ce qu’on n’a
pas réclamé jusqu’ici, ce qu’on ne réclame pas encore, on peut le demander. Et
pourquoi ne l’a-t-on pas demandé ? Je vous en dirai la raison : c’est que le
pays tout entier a considéré le monopole dont jouit la province de Liége, comme
la conséquence naturelle, nécessaire, d’un système général de protection.
L’on a voulu laisser à la province de
Liège le monopole du marché intérieur pour ses principales industries, parce
qu’on s’est attendu à obtenir en retour le même avantage en temps opportun.
Nous avons le monopole du poisson, me
dit-on ; mais ce monopole ne suffit pas pour enrichir la nation tout entière.
Il faut au pays bien plus que le monopole du poisson.
Du moment que le système général de
protection, que nous avons eu en vue, doit s’écrouler, du moment que pour une
partie du pays, le système de liberté doit remplacer le système de protection,
dès ce moment l’état des choses change ; ce qui, dans le système de protection
générale, n’était qu’une conséquence, devient alors un hors-d’œuvre, une
exception, un privilège ; et ce privilège ne peut subsister à toujours.
Qu’on y songe bien : du jour où il
sera bien constaté que les autres provinces de la Belgique ne peuvent pas, à
leur tour, recevoir de protection de la part de celles qui ont aujourd’hui le
monopole, de ce jour-là, on sera bien près de voir commencer une lutte sérieuse
entre la liberté et le monopole.
Et de quoi Liége se plaint-il,
pourquoi repousse-t-il le système ? je vais vous le
dire,
Depuis hier, car les traités que nous
avons faits avec la Hollande ont été ratifiés en 1843, et c’est à peine si
aujourd’hui ils ont leur plein effet ; depuis hier, Liége a vu naître, à côté
des deux bases si solides de sa prospérité, une source nouvelle de bénéfices, le
commerce fluvial.
Cette source de prospérité est
précieuse pour Liège sans aucun doute ; mais il ne faut point perdre de vue
qu’elle est uniquement due à la convention hollando-belge ; et ce que Liége ne
doit pas oublier, c’est que cette convention n’a été ratifiée par les chambres
que sous la réserve du système des droits différentiels, Si à l’époque de la
discussion de la convention hollando-belge, les chambres avaient pu croire que
cette convention ferait un jour obstacle à l’établissement des droits différentiels,
à la modification de notre système commercial, la convention hollando-belge
n’aurait pas été sanctionnée ; et moi-même, tout le premier, je me serais élevé
contre une convention qui devait avoir un semblable résultat, et j’aurais
trouvé à côte de moi, sur la brèche, la grande majorité de la chambre ; je n’en
ai pas le moindre doute.
Liège a dû se dire : « Du jour
de la ratification de la convention hollando-belge jusqu’au jour de la
promulgation d’une loi sur les droits différentiels, je vais avoir la
jouissance libre et absolue de la Meuse ; mais cette jouissance sera précaire,
temporaire ; je tâcherai, lors de la discussion de la loi des droits
différentiels, de la conserver encore, aussi étendue que possible ; mais je ne
puis pas me faire illusion, je ne conserverai pas cette jouissance absolue
au-delà d’un certain terme. »
Si Liége n’a pas raisonné de cette
manière, Liège s’est fait illusion, et les autres provinces de la Belgique ne
doivent pas être aujourd’hui victimes des illusions que la province de Liége a
pu se faire.
Et puis l’on parle comme si le
nouveau système allait fermer la Meuse ; on a même été jusqu’à le dire en
termes exprès.
Il n’en est rien, Il a déjà été dit
et avec raison, que les exportations par la Meuse n’ont pas de connexion
nécessaire avec les importations par ce fleuve ; or, qu’on y réfléchisse, Liège
n’est pas une province maritime, c’est une province agricole, une province
industrieuse. Le seul intérêt légitime qu’elle puisse opposer aux intérêts des
provinces maritimes, c’est l’intérêt de ses exportations, et nullement celui de
ses importations.
Certes, si la province de Liège peut
jouir également des faveurs d’importation, si elle le peut, sans froisser trop
vivement les intérêts des provinces maritimes, rien de mieux ; mais Liège n’a
pas le droit de venir opposer aux intérêts des provinces maritimes un intérêt
d’importation. (Interruption.)
L’on me dit : « mais n’est-ce donc
pas assez que l’intérêt des exportations ? » Je réponds que les réclamations
dans l’intérêt des exportations seraient des réclamations légitimes, mais
j’ajoute que le nouveau tarif ne frappe pas les exportations et que dès lors,
il n’y a aucun motif d’élever des réclamations de cette nature.
L’on raisonne comme si on n’allait
plus faire d’exportations par la Meuse ; mais pourquoi n’en ferait-on plus ?...
Serait-ce parce que le tarif frappera
les importations ? Mais du moment que les importations et les exportations
n’ont pas de connexion nécessaire, pourquoi la diminution des importations
amènerait-elle l’anéantissement des exportations ? Et puis, l’établissement des
droits différentiels va-t-il faire diminuer les importations par la Meuse aussi
fortement qu’on le suppose ? Mais, non ; la raison que j’ai donnée, il y a un
instant, pour vous rassurer sur le cabotage, je puis la reproduire ici pour
vous rassurer sur la Meuse : le café Chéribon ne cessera pas d’entrer par la
Meuse pour les classes tant soit peu aisées, parce que ces classes ne voudront
pas boire du mauvais café pour faire une économie dérisoire de deux centimes et
demi par livre de café.
On a dit, et ceci est peut-être le
seul côté sérieux de l’opposition de Liège ; on a dit : Les exportations par la
Meuse peuvent être paralysées par les représailles de la Hollande.
Je n’ai pas l’intention d’établir une
discussion publique sur la question de représailles, je n’en dirai que deux
mots, et ce sera pour faire connaître mon opinion sur ce point délicat.
Lorsqu’une nation indépendante
s’occupe de régler son système commercial, elle ne doit pas, elle ne peut pas
se préoccuper trop vivement de la crainte des représailles ; sans cela, elle
est frappée d’impuissance dans ses délibérations. Mais j’ajouterai qu’elle ne
doit pas non plus braver les représailles, que surtout elle ne doit pas les
provoquer.
Si, dans la circonstance actuelle, la
Hollande prend des mesures de représailles contre nous, dans mon opinion comme
dans celle du gouvernement, ces représailles seront injustes, et dès lors le
gouvernement devra les repousser avec la plus grande énergie ; aussi je
n’hésite pas un seul instant à lui accorder, à cet effet, tous les pouvoirs
qu’il demande dans le projet de loi, et je lui accorderai de plus tous ceux
qu’il pourrait encore demander dans la suite, si les premiers devenaient
insuffisants. En fait de lutte commerciale, je ne veux pas de ces luttes à
coups d’épingles qui peuvent durer des années, qui peuvent devenir un état
normal ; j’aime cent fois mieux une lutte énergique, une lutte vive qui, après
un terme plus ou moins court, puisse amener un traité de commerce.
Et puisque j’ai prononcé le terme de
traité de commerce, je dirai encore deux mots, pour énoncer l’opinion que je
m’en forme.
Je n’ai jamais cru qu’il fût possible
de faire avec la France un traité de commerce dans lequel la Belgique ne fût
pas dupe. Je n’ai pas non plus désiré bien vivement l’union commerciale avec la
France, parce que cette union commerciale m’a toujours paru plus ou moins
dangereuse pour notre nationalité. Je n’ai pas cru que les négociations
commerciales avec le Zollverein pussent avoir des résultats quelque peu
avantageux pour nous. Mais j’ai toujours pensé, et je pense encore que la
nation avec laquelle nous pouvons faire des traités de commerce, c’est la
Hollande ; c’est, selon moi, la seule nation avec laquelle il nous soit
possible de traiter avec un avantage réciproque.
Toutefois, je ne suis pas de l’avis
de ceux qui pensent que le gouvernement aurait dû tout d’abord ouvrir des
négociations avec la Hollande, pour obtenir un traité de commerce. Je ne crois
pas que dans la position où nous nous trouvons actuellement, un pareil traité
soit possible et je dirai pourquoi ; c’est que la Hollande est aussi satisfaite
du statu quo que nous le sommes peu. Autrefois, les produits des colonies de la
Hollande s’écoulaient en Belgique, et réciproquement les produits industriels
de la Belgique s’écoulaient dans les colonies hollandaises. Depuis lors, l’état
des choses est changé ; l’équilibre est rompu, et il l’a été exclusivement au
détriment de la Belgique. Les produits coloniaux de la Hollande viennent encore
s’écouler chez nous, mais nos produits industriels ne peuvent plus directement
se rendre à Java. Ce statu quo est une position que nous ne pouvons pas, que
nous ne devons pas accepter comme situation normale.
Le gouvernement hollandais fera
naturellement tous ses efforts pour maintenir un état de choses qui lui
convient ; mais il arrivera un jour, et ce jour sera plus prochain encore, si
le système des droits différentiels est adopté ; il arrivera un jour où la
haute intelligence des hommes éclairés qui se trouvent à la tête du
gouvernement des Pays-Bas comprendra que la Belgique ne peut pas traiter sur la
base du statu quo, qu’elle ne peut traiter que sur des bases qui donnent autant
d’avantages à son industrie que la Hollande peut en recevoir pour ses intérêts
coloniaux ; dès que ce jour sera venu, l’on pourra traiter et l’on traitera.
Mais, vous a-t-on dit, comment
voulez-vous que la Hollande traite avec vous d’une manière qui vous soit
favorable ? Il lui est impossible d’admettre dans ses colonies les produits
manufacturés de la Belgique à des conditions plus favorables qu’elle n’y reçoit
les produits manufacturés anglais.
C’est là une question que je ne veux
pas examiner pour le moment, que je ne veux surtout pas traiter publiquement.
Mais je répondrai à mes honorables adversaires que l’entrée directe des
marchandises belges à Java n’est pas la seule base sur laquelle l’on puisse
traiter avantageusement avec la Hollande. Il ne serait peut-être pas difficile,
je pense, de trouver d’autres combinaisons qui donneraient satisfaction aux
intérêts coloniaux de la Hollande, dans la même mesure que la Hollande
donnerait satisfaction à nos intérêts industriels, et certes le gouvernement
belge trouvera dans sa sagesse des bases équitables, des bases pratiques de
négociation quand le moment sera venu de négocier.
L’honorable M. David vous a présenté
une observation qui a été développée ensuite et mise dans tout son jour par
l’honorable M. Delfosse. Cette observation la voici : ce système des droits
différentiels qui doit amener des relations directes entre la Belgique et les
pays transatlantiques ne peut pas procurer de grands avantages à notre
industrie. Vous le voyez, on importe aujourd’hui des ports transatlantiques dans
les ports belges une masse de marchandises coloniales, et l’on exporte très peu
de marchandises belges pour ces mêmes ports transatlantiques. Pourquoi
augmenter ce mouvement d’importation dans les ports belges ? vous
avez déjà plus d’importation de marchandises coloniales qu’il n’en faut pour
exporter vos produits.
Vous aurez beau augmenter les
importations de ces marchandises, vous n’augmenterez pas pour cela vos
exportations. Voilà l’observation qu’on a faite, et l’on a cité à l’appui des
chiffres applicables à divers pays de production.
M. le ministre de l’intérieur y a
déjà répondu, il vous a fait voir que la plus grande quantité des marchandises
importées des ports transatlantiques étaient introduites sous pavillon
étranger, et que la plus grande quantité de marchandises exportées de la
Belgique étaient exportées sous pavillon national. Comparant ensuite d’une part
les importations faites sous pavillon belge avec les importations faites sous
pavillon étranger, et d’autre part, les exportations faites sous pavillon belge
avec les exportations faites sous pavillon étranger, il en a tiré cette
conséquence logique, cette conséquence fondée sur des chiffres, que l’industrie
doit désirer que les importations de denrées coloniales se fassent
principalement sous pavillon belge, par des navires venant directement des pays
de production. Ce résultat est démontré ; je ne pense pas qu’on le conteste.
Je ne pense pas qu’on pourra
contester que l’industrie à intérêt à ce que des navires belges aillent
chercher directement les denrées coloniales dont nous avons
besoin. S’il en est ainsi, les chiffres produits par nos honorables
adversaires, expliqués par M. le ministre de l’intérieur, fournissent un
excellent argument en faveur des droits différentiels ; car quelle est la
première base, le premier principe, le principe fondamental des droits
différentiels ? c’est qu’il faut favoriser avant tout
les importations directes sous pavillon national. Je pourrais faire des
raisonnements analogues sur les importations faites d’autre manière, mais je ne
pourrais que répéter ce qu’a dit M. le ministre de l’intérieur et je n’aime pas
à répéter ce que d’autres ont dit.
Dans une discussion de cette nature
ce qui frappe plus encore que les raisonnements et les chiffres, ce sont les
faits. Je viens vous citer des faits à l’appui du système des droits
différentiels, des faits à l’appui des chiffres de M. le ministre de
l’intérieur. Ces faits, je les cite preuves en mains. Je suis prêt à déposer
les documents dont je suis porteur et qui consistent en factures d’achats faits
en Belgique, et de comptes de ventes faites à l’étranger.
En 1842, le navire Hélène-Eugénie,
construit dans le port d’Ostende, appartenant à un armateur ostendais et chargé
dans le port d’Ostende, a pris à bord pour le transporter à Guayaquil dans la
mer du Sud un chargement de machines confectionnées par l’établissement du
Phénix à Gand. Ce chargement embarqué, il restait un creux de 30 tonneaux.
L’armateur avait grand intérêt à faire partir son navire immédiatement, et cependant
il a fait ce qu’aurait fait en cette circonstance tout autre armateur, il a
voulu utiliser le creux de 30 tonneaux, et ne trouvant pas d’expéditeurs qui
voulussent charger pour cette destination, il a complété le chargement à ses
propres dépens ; il a acheté des clous, des bouteilles, des dames-jeannes, du
genièvre, et d’autres articles dont le détail serait superflu. Quand le navire
est arrivé à sa destination, on a vendu ces marchandises, et l’armateur a fait
un bénéfice d’au-delà de 3 mille francs, ce qui représente un fret de plus de
100 fr. par tonneau. Cette opération était satisfaisante et, par suite, de
nature à être renouvelée. Dans un instant, je dirai pourquoi elle n’a pas pu
l’être.
Un autre navire, l’Aigle, se trouvait
en charge en destination pour Rio Janeiro et Valparaiso. L’armateur n’ayant pu
obtenir un chargement complet pour ces destinations, s’est également formé à
ses propres risques et périls un chargement de marchandises indigènes ; il a
pris des charbons pour lest, des étoffes printanières, du genièvre, des
dames-jeannes, des clous, des céruses, des verres à vitres, des sucres
raffinés, des pommes de terre et jusqu’à des chaises de Malines.
Un membre. - Des chaises de Malines !
M. Donny. - Oui des chaises de Malines qui ont donné 100 p. c. de bénéfice. Le
résultat de cette opération a été celui-ci : à l’exception des pommes de terre
qui s’étaient échauffées et qui ont donné une perte, on a fait sur tous les
articles des bénéfices et des bénéfices marqués ; et le total de l’opération a
été un excellent fret. C’était encore là une opération de nature à être
renouvelée, et que l’armateur aurait certainement renouvelée s’il avait pu.
Mais la chose était impossible.
Maintenant je vais vous expliquer
pourquoi des opérations de cette nature ne peuvent pas être renouvelées sous
l’empire de la législation actuelle. Ces deux navires arrivés à Guyaquit et à
Valparaiso, ainsi que je viens de le dire, avaient réalisé un bénéfice, mais
bénéfice et navires se trouvaient à l’autre bout du monde. Il s’agissait de
faire revenir le bénéfice et le navire, il n’y avait que deux manières
d’obtenir ce résultat sans perte, c’était, ou bien de tâcher de se procurer un
chargement pour la Belgique ou pour l’Europe, ou bien d’acheter soi-même des
marchandises du pays pour les apporter en Belgique. Ni l’une ni l’autre de ces
opérations n’était possible. Trouver un fret, il ne fallait pas y songer, car à
côté du navire belge se trouvaient des navires anglais, et ces navires devaient
obtenir la préférence ; la raison en est fort simple. Le navire anglais peut
arriver avec des marchandises des pays transatlantiques dans son propre pays et
en Belgique, tandis que le navire belge peut arriver en Belgique et ne peut pas
arriver en Angleterre. Ceux qui ont une cargaison pour l’Europe prennent le
navire anglais et non le navire belge.
Il n’y a pas possibilité pour un
navire belge dans ces parages de trouver un fret. Cela est tellement vrai qu’un
de ces deux bâtiments, partis en 1842, est obligé encore aujourd’hui de faire
le cabotage dans la mer du Sud ; il transporte des marchandises d’un port à
l’autre et il ne pourra revenir que quand il aura trouvé une occasion d’obtenir
un fret pour l’Europe.
L’autre moyen, ai-je dit, est
d’acheter un chargement et de le rapporter en Europe.
A Valparaiso, on aurait pu charger du
salpêtre et des cuirs, mais en arrivant en Belgique on aurait trouvé sur le
marché des salpêtres et des cuirs importés par d’autres nations. On devait
importer ces marchandises sans protection, sans avantage aucun. C’était
s’exposer à une perte presque certaine.
Si le système des droits
différentiels avait été mis en vigueur, pendant ces dernières années comme il
le sera bientôt, j’espère, les navires dont je viens de parler auraient obtenu,
au moment de leur déchargement, des cargaisons pour la Belgique, parce que les
cargaisons qu’on veut envoyer de ces parages en Belgique auraient été réservées
aux navires belges, par lesquels on aurait eu à payer des droits moins élevés
que par pavillon anglais ou autre. Et si, à cette époque, il ne se fût pas
trouvé dans les ports de la mer Pacifique de chargements destinés pour la
Belgique, alors ou aurait pu prendre pour le compte de l’armateur un chargement
soit de salpêtre, soit de cuirs, et ce chargement serait arrivé en Belgique, en
payant des droits moins élevés qu’un chargement similaire apporté sous pavillon
étranger. Au moyen de la différence des droits, l’armateur aurait pu se trouver
indemnisé. A peine revenu en Belgique, il en serait reparti avec une nouvelle exportation de produits belges. Vous
concevez donc que l’établissement des droits différentiels doit être avantageux
à l’industrie du pays, et favoriser l’exportation de ses produits.
Maintenant je dirai quelques mots sur
le discours de M. Lesoinne. Cet honorable membre vous a dit (c’est le langage
qu’ont tenu tous les adversaires des droits différentiels) que l’Angleterre
commence à suivre une marche politique plus libérale, qu’elle se relâche de son
hostilité contre la concurrence étrangère. C’est là une grave erreur. Déjà on
vous a cité des faits qui ont pu vous convaincre que l’Angleterre est aussi mal
disposée que jamais contre l’industrie étrangère.
L’honorable M. Cogels, dans la séance
d’hier, vous a d’ailleurs expliqué parfaitement les causes des concessions que
paraît faire l’Angleterre. Il vous a fait voir que les besoins de la métropole
croissant d’année en année, tandis que les produits coloniaux décroissent aussi
d’année en année, l’Angleterre, non par principe, mais par la force des choses,
a dû modifier la marche qu’elle avait suivie jusqu’ici.
J’aurai l’honneur de vous citer un
fait tout récent qui vous fera voir combien l’Angleterre est ombrageuse
vis-à-vis de l’industrie des autres peuples, combien elle est disposée à prendre
immédiatement des mesures positives pour écarter ses concurrents. Vous verrez
qu’elle est loin d’être libérale ainsi qu’on le suppose.
Jusqu’en novembre ou décembre 1842,
il était permis d’importer en Angleterre sous pavillon étranger, du minerai de
cuivre, à la condition de le fondre en entrepôt et d’exporter les produits de
la fonte. En novembre ou décembre 1842, ou a change la loi. A compter du 1er
janvier 1843, toute importation de minerai de cuivre sous pavillon étranger est
défendue.
Je vais maintenant vous expliquer les
causes de ce changement de législation.
Quelques bâtiments belges s’étaient
rendus à Valparaiso, avec des marchandises belges qui s’étaient très bien
vendues. On faisait ainsi un commencement de concurrence aux marchandises anglaises
qui se trouvaient sur ce marché. Mais ces opérations ne pouvaient se continuer
que moyennant un retour. Je vous ai déjà expliqué qu’un armateur belge ne
pouvait expédier aucun retour pour la Belgique. Mais il y avait, dans le pays,
une matière d’encombrement qui pouvait servir de retour pour l’Angleterre :
C’était le minerai de cuivre. Les bâtiments belges transportèrent en Angleterre
du minerai de cuivre, pour le fondre dans l’entrepôt et l’exporter en lingots.
C’était un bien faible commencement de concurrence ; et, cependant, il a suffi
de ce commencement de concurrence pour décider immédiatement l’Angleterre, la
puissante Angleterre, à modifier sa législation.
L’honorable M. Lesoinne et d’autres
membres encore vous ont présenté un argument qui m’a paru étrange. Ils vous ont
dit : Mais si vous décrétez le système des droits différentiels, si vous donnez
des avantages à la navigation nationale, qu’en résultera-t-il ? Les armateurs
vont se presser de faire partir leurs navires des ports belges, afin d’accélérer
leurs voyages, d’en faire un plus grand nombre dans un temps déterminé, et
d’obtenir ainsi le plus souvent possible la jouissance des bénéfices que la loi
leur accorde. Je dirai d’abord que soit qu’il y ait des avantages dans le
tarif, soit qu’il n’y en ait pas, un armateur est toujours extrêmement pressé
de faire naviguer ses navires ; il ne les laisse pas reposer, quad il peut
faire autrement. Ainsi que le tarif lui fasse ou non des avantages, sous ce
rapport il ne changera rien à sa conduite.
Mais on a été plus loin : on a dit
que les armateurs feraient partir leurs navires, alors même qu’ils devraient
les faire partir sur lest.
C’est un argument que je ne conçois
pas dans la bouche de personnes qui ont des connaissances pratiques, comme les
honorables MM. David et Lesoinne.
M. Delfosse. - La chambre de commerce d’Anvers l’a dit également.
M. Donny. - Je ne conçois pas mieux cet argument dans la bouche de la chambre de
commerce d’Anvers.
L’argument ne serait pas fondé, mais
je le concevrais si la loi accordait une prime à l’armateur, si la loi lui
disait : Pour chaque tonneau de café que vous importerez sur vos navires, de
Cuba, ou du Brésil dans un port belge, je vous payerai 25 francs.
Mais ce n’est pas ce que fait la loi
; elle ne donne rien à l’armateur ; elle donne une prime à l’expéditeur ; elle
lui dit : Lorsque vos denrées coloniales seront importées par navire belge,
vous aurez moins de droits à payer. Ce n’est pas l’armateur, c’est l’expéditeur
qui jouit de la réduction des droits. Ainsi l’argument tombe à faux ; car
l’expéditeur et l’armateur font deux. Mais alors même que la loi accorderait
une prime à l’armateur, l’argument ne serait pas fondé. En effet, on dit que
l’armateur presserait ses voyages ; il devrait les presser beaucoup pour faire
sept voyages au lieu de six, ou si l’on veut, six voyages au lieu de cinq ; et
alors qu’aura-t-il gagné ? Au bout de six voyages, il aura gagné une livre
sterling par tonneau de café transporté pendant le dernier voyage. Pour gagner
cette livre sterling, au bout de six voyages, il aura négligé 5 ou six frets de
départ. Mettez le fret de départ aussi bas que vous voudrez, réduisez-le au
taux le plus minime, vous ne pourrez jamais le réduire au-dessous d’une livre
sterling pour cinq ou six voyages.
M. Delfosse. - Cela dépend du temps pendant lequel il faudrait attendre une
cargaison.
M. Donny. - L’honorable membre qui m’interrompt paraît croire qu’on ne s’occupe
de la cargaison du deuxième voyage que quand le navire est de retour du
premier. Il n’en est pas ainsi. Sitôt qu’un armateur a connaissance qu’un
navire est sous voiles pour revenir dans la patrie, il prend ses précautions ;
il fait publier qu’à telle ou telle époque il fera de nouveau partir son navire
pour telle ou telle destination. Quand le navire revient dans la patrie, il
trouve parfois une cargaison à peu prés complète, qu’il peut embarquer
immédiatement après son déchargement. Le temps nécessaire pour préparer la
seconde cargaison est ainsi tout trouvé pendant que le navire est en voyage de
retour de sa première expédition.
L’honorable M. Lesoinne a dit : Mais
on a tenté depuis longtemps des exportations lointaines, elles n’ont pas
réussi.
M. Lesoinne. -
Je n’ai pas dit cela.
M. Donny. - Je l’avais compris ainsi. Puisque j’ai mal compris, je rétracte ce
que j’ai dit quant à l’honorable M. Lesoinne. Mais je maintiens mon observation
; car j’entends dire derrière moi qu’il est vrai qu’on a fait des exportations
transatlantiques qui n’ont pas réussi.
De ce fait, on aurait tort de
conclure qu’on ne peut faire avec succès des expéditions lointaines.
L’honorable M. Lys vous a dit que non seulement des expéditions lointaines,
mais même des expéditions pour Naples n’ont pas réussi. Peut-on conclure de là
que nous devons renoncer à faire des expéditions dans la Méditerranée ?
Certainement non. Si des expéditions n’ont pas réussi, c’est qu’elles étaient
probablement composées de marchandises qui n’étaient pas de nature à soutenir
la concurrence étrangère sur le marché étranger ; c’est peut-être aussi parce
qu’elles n’étaient pas bien combinées.
Il y a trois manières d’expédier avec
succès vers les pays lointains :
L’un est celui qu’a signalé
l’honorable M. Lesoinne ; il consiste à envoyer sur les lieux, soit d une
manière permanente, soit d’une manière passagère un agent ou un subrécargue qui
dirige toutes les opérations. Mais comme l’honorable membre l’a dit lui-même,
c’est un mode d’expédition qui n’est employé que par des maisons puissantes. Ce
n’est pas un mode que peuvent employer de petits fabricants, le petit commerce.
Un autre mode d’expédition consiste
dans des achats que l’armateur fait pour son propre compte. C’est de ce mode
d’expédition que j’ai eu l’honneur de vous entretenir tout à l’heure ; mais,
vous le concevez, c’est encore là un moyen d’expédition très restreint, parce que
tous les armateurs ne sont pas disposés à accepter le rôle de commerçant,
d’expéditeur.
Mais il est un troisième mode qui est
pratiqué par d’autres pays avec le plus grand succès, et je pense que c’est à
ce mode qu’a fait allusion l’honorable M. David, lorsqu’il a fait un appel à
une entente cordiale entre le fabricant et l’armateur.
Voici, messieurs, comment la chose se
fait. Pour me faire mieux comprendre, je restreindrai l’exemple que je vais
vous citer à une opération partielle.
Un armateur envoie un navire, je
suppose, dans la mer du Sud. Il veut charger à bord de ce navire des clous. Il
s’adresse à un fabricant et lui dit : « Je vous achète cent barils de
clous, mais à une condition, c’est que, de votre coté, vous chargerez sur mon
navire cent barils de clous, pour lesquels vous me payerez un fret modique dont
nous conviendrons, et, à l’arrivée du navire au lieu de destination, les deux
cents barils de clous seront vendus pour compte commun. » Cette opération,
je viens d’avoir l’honneur de vous le dire, se fait très communément par
d’autres nations.
Vous allez comprendre, messieurs,
l’avantage de cette manière d’expédier. Je suppose que ces clous se vendent au
lieu de production a raison de 1,400 fr. les cents barils, et qu’arrivés au
lieu d’expédition on puisse les vendre avec un quatorzième de bénéfice,
c’est-à-dire, à 1,500 fr. les cent barils. Voici le résultat de l’opération
pour le fabricant, il a vendu 100 barils de clous à l’armateur et a reçu de ce
chef 1,400 fr. ; il en a expédié 100 barils pour lesquels il reçoit 1,500 fr.,
ensemble 2,900 fr. Mais par contre, il a dû payer un fret, je suppose, de 100
fr. Il lui reste donc 2,800 fr. qui forment précisément le prix de ses 200
barils de clous vendus sur place. Il a donc fait une bonne affaire ; il a
débarrassé son trop plein de 200 barils de clous, comme s’il les avait vendus
sur place, et, veuillez-le remarquer, il n’aurait pas fait cette opération, si
l’armateur n’était venu la lui proposer.
Quant à l’armateur, il a reçu 1,500
fr. pour les cent barils de clous et 100 fr. de fret, en tout 1,600 fr. Par
contre, il a dû payer 1,400 fr. pour l’achat de ses clous, il lui reste 200 fr.
de bénéfice. C’est le fret des 200 barils de clous. Il a fait un fret, c’est
tout ce qu’il devait faire, l’opération est satisfaisante pour lui comme pour
le fabricant.
Mais au lieu d’opérer de cette
manière, supposons maintenant un négociant qui se présente chez un fabricant de
clous, qui lui achète 200 barils pour 2,800 francs, qui les charge sur un
navire partant pour les Indes au fret de 200 francs et qui les vende 3,000
francs. Il aura payé 3,000 francs, il aura reçu 3,000 francs. Il n’aura ni
gagné ni perdu sur le capital. II aura perdu, car il aura perdu l’intérêt de
ses fonds et il aura couru toutes les changes de l’opération
sans aucun bénéfice.
Il me reste, messieurs, une dernière
observation.
L’honorable M. Lesoinne vous a
fait remarquer, avec raison, que dans les pays transatlantiques il faut vendre
à long terme et que très souvent on n’est pas assuré de la rentrée de ses fonds
au bout du terme fixé. C’est là, je pense, un inconvénient que l’honorable
membre a signalé, et il n’est que trop réel. Mais, messieurs, cet inconvénient
vient précisément en aide au système des droits différentiels, et voici comment
:
Lorsque l’on expédie aujourd’hui des
marchandises pour être vendues dans les Indes, quelle est l’opération ? une vente pure et simple. Il faut donc être soumis, dans ce
cas, aux termes de crédit, aux éventualités, aux chances à courir. Mais
lorsqu’au lieu de faire simplement une vente, on fait à la fois une vente de
marchandises expédiées d’Europe et un achat de marchandises pour importer en
Europe, l’opération change de caractère. Le consignataire qui fait la vente à 6
mois, par exemple, fait aussi des achats à six mois, et, moyennant un ducroire
sur le prix de la vente, il fait immédiatement le compte de l’armateur ; il le
crédite de ce qui a été vendu, le débite de ce qui a été acheté, et, avant le
départ du navire, le compte est arrêté et soldé. Dès lors, le long crédit dont
on a parlé et par conséquent les dangers à courir ne sont plus pour le compte
de l’armateur, mais pour le compte du consignataire des colonies.
Je crois, messieurs, avoir à peu près
rencontré toutes les objections qui nous ont été faites, et je puis ainsi
mettre un terme à mes observations.
M. Dumortier. - Messieurs, je viens défendre le système des droits différentiels et
la création d’une marine marchande. Mais je dois d’abord vous déclarer que je
subordonne cette défense à diverses conditions : la première, de ne faire acte
d’hostilité envers aucune des puissances qui nous environnent et avec
lesquelles nous faisons le commerce ; la seconde, de ne frapper l’industrie
d’aucune localité du pays ; la troisième, d’amener des droits différentiels,
non pas par une mesure brusque, mais par un système progressif et successif.
Voilà, messieurs, comment j’entends l’établissement d’un système complètement
avantageux au pays et de nature à éviter toute espèce de secousse.
Messieurs, une chose qui a frappé
depuis longtemps le pays, c’est la gêne que nous éprouvons dans les relations
commerciales depuis les événements de 1830. Depuis lors, chacun a pu remarquer
la rareté progressive du numéraire en Belgique, la difficulté des relations
commerciales et surtout l’appauvrissement graduel du pays. Car il y a
appauvrissement graduel du pays, lorsque le numéraire y devient de plus en plus
rare, et que le commerce ne peut se relever.
A quelles causes cet état de choses
doit-il être principalement attribué ? Selon moi, à deux causes
principales : d’abord à la dette énorme que chaque année nous devons payer
à la Hollande, et en second lieu à la différence de la balance commerciale
entre la Belgique et l’étranger. Il va sans dire que si chaque année nous
exportons une plus grande quantité de numéraire que nous ne pouvons en
introduire, nous arrivons nécessairement à un appauvrissement graduel du pays.
Or, les tableaux du commerce sont là et ils démontrent clairement que chaque
année la balance commerciale est entièrement à notre désavantage.
Prenez les tableaux du commerce,
messieurs ; vous y verrez que les importations de mises en consommation sont,
année commune, de 200 millions, tandis que nos exportations et par terre et par
mer ne s’élèvent généralement qu’à une somme de 140 à 143 millions ; déficit,
par conséquent, de 57 à 60 millions chaque année.
Je sais bien que l’on n’a pas tenu
compte dans les tableaux, du commerce, et que l’on n’a pu y tenir compte de
toutes les exportations qui se font par le commerce interlope ; un nombre
considérable de ces exportations y est cependant renseigné ; et la balance du
commerce ne nous donne pas non plus l’import des marchandises importées en
fraude dans le pays. Mais, admettons que les exportations par commerce
interlope qui ne se trouvent pas renseignées dans la balance commerciale,
s’élèvent au chiffre bien exagéré de 30 millions par année, et ce serait
énorme, cependant nous arrivons toujours à avoir chaque année un déficit
d’environ 30 millions.
Et vous voulez, messieurs, que le
pays puisse s’enrichir avec une pareille balance commerciale ? Manifestement ce
n’est pas possible. En continuant encore ainsi pendant un certain nombre
d’années, avec le système qui nous régit depuis 1830, nous devons arriver à un
appauvrissement graduel du pays, et c’est ce que chacun de nous veut absolument
éviter.
D’où vient, messieurs, que nous
arrivons à ce résultat ? C’est que les importations transatlantiques ne sont
pas remplacées par des exportations transatlantiques. Chaque année, vous le
savez fort bien, nous consommons pour 60 millions de denrées tropicales, et
nous n’exportons que pour une somme incomparablement plus faible vers les
colonies, pour quelques millions seulement, Dès lors, la balance est entièrement
à notre préjudice. N’envoyant pas dans les colonies des marchandises en échange
de celles que nous recevons, nous devons y envoyer du numéraire, soit
directement, soit indirectement par la voie des autres puissances ; et ainsi
nous arrivons nécessairement à l’appauvrissement graduel du pays.
Depuis la révolution, divers systèmes
commerciaux ont été préconisés. D’abord on a défendu pendant plusieurs années
dans cette enceinte, et avec beaucoup de talent, je dois le dire, le système de
la liberté commerciale. Je suis heureux pour mon pays, messieurs, de devoir
dire que ce système n’a jamais eu d’écho dans cette enceinte. J’en félicite
hautement mon pays, car j’ai toujours pensé que, dans la situation où nous nous
trouvons, ce que l’on veut bien appeler la liberté du commerce était la chose
la plus funeste qui pouvait arriver à la fortune publique, en ce sens qu’avec
cette liberté de commerce, bientôt nos ouvriers se seraient trouvés sans
ouvrage. Or ce qui est avant tout digne de notre sollicitude, ce que nous
devons protéger par tous nos efforts, ce qui fait la première source de la
richesse et même de la morale publique, c’est le travail national, le travail
de l’ouvrier. C’est pour lui, et non pour de vaines théories, que nous devons
combattre.
Certainement si toutes les puissances
qui nous environnent voulaient admettre la liberté de commerce, je crois bien
que la Belgique trouverait pour ses produits des débouchés suffisants. Mais ce
n’est évidemment pas, lorsque nous sommes entourés de puissances qui repoussent
nos produits, lorsque chaque année le tarif de toutes les nations de l’Europe
subit dans l’un ou l’autre de ses articles une modification à notre préjudice ;
ce n’est pas surtout lorsque ces puissances cherchent à faire chaque jour de
plus en plus leurs affaires par elles-mêmes et dans leur propre intérêt, que
nous ne devons pas chercher à faire aussi nos affaires par nous-mêmes et dans
notre propre intérêt, en assurant au travail national tout le développement,
toute l’activité possible. Or l’intérêt bien entendu d’une nation, c’est
d’assurer avant tout son industrie le marché intérieur. C’est ce que nous avons
cherché à faire depuis 1830 ; les lois que nous avons portées ont
successivement augmenté la protection sur les objets provenant de nos principales
fabriques. En cela nous avons amélioré sensiblement la position de l’industrie
dans le marché intérieur, et bien souvent malgré les efforts du gouvernement.
Un autre objet sur lequel on fondait aussi
de très grandes espérances, c’était le transit. Pendant bien des années c’était
là un objet sur lequel on comptait. Pour ma part, messieurs, je le déclare,
j’ai été et je suis encore très grand partisan du transit ; mail il faut
s’entendre, il y a transit et transit ; le transit que nous devons chercher à
faire prévaloir c’est celui qui laisse le plus de bénéfice possible au pays.
Or, le système que l’on a encouragé pendant longtemps, c’est précisément le
transit, qui laisse le moindre bénéfice. Sans doute l’étranger doit trouver
très bien que nous encouragions ce système, mais nous qui avons reçu de la
nature une position admirable pour les relations commerciales, nous devons
profiter de cette position et favoriser le transit, qui laisse le plus de bénéfice
au pays. Placés comme nous le sommes entre l’océan et l’Allemagne, qui n’a point de port de mer, nous devons créer chez nous un
grand marché où puissent venir s’échanger les produits de toutes les nations.
Notre chemin de fer d’Anvers à Cologne lie maintenant le port d’Anvers à
l’Allemagne rhénane, à la Bavière, à la Suisse, et à tous les affluents du
Rhin. Anvers et Ostende sont les meilleurs ports du continent d’Europe sur la
mer du Nord, Anvers n’a point de port qui puisse
rivaliser avec lui ; Ostende est certainement le meilleur port de la Manche,
surtout depuis les travaux que nous y avons faits.
Bruges ensuite est dans la position
la plus heureuse pour la construction des navires, chacun sait que les navires
qui se construisent à Bruges, peuvent rivaliser avec les meilleurs navires du
monde. Gand peut aussi, comme ville industrielle, rendre de très grands
services ; cette ville est également devenue port de mer depuis la construction
du canal de Terneuzen. Nous sommes donc dans la position la plus admirable que
nous puissions imaginer pour le commerce, et cependant nous sommes réduits à un
simple commerce de commission.
Ici, messieurs, je dois rencontrer
une objection. On a parlé de la possibilité de la réunion des villes
anséatiques au Zollverein, du préjudice que cet événement pourrait causer à
notre commerce.
Eh bien, je dis que cette réunion, si
elle s’effectuait, ne pourrait occasionner aucune espèce de préjudice à nos
ports de mer, parce que la distance qui sépare les ports anséatiques du duché
du Rhin et de la Suisse est trop grande pour que jamais les villes anséatiques
puissent enlever au port d’Anvers l’admirable position dans laquelle il se
trouve relativement à toutes les populations rhénanes et à celles qui ont des
affluents au Rhin.
Ainsi, messieurs, l’intérêt de la
Belgique est de se créer un marché au moyen duquel le commerce d’Anvers se
développe comme il doit, au moyen duquel le commerce d’Anvers devienne un
commerce d’achat et de vente au lieu d’être simplement un commerce de commission
et de passage. Un transit de passage ! Mais, messieurs, ce n’est rien pour un
pays, c’est faire les affaires d’étrangers et non les nôtres. Si l’on imaginait
un moyen de transport plus économique encore que le chemin de fer, si l’on
poussait, par exemple, comme on l’a prétendu, faire les transports en ballon ;
certainement il pourrait s’opérer de cette manière un grand transit ; mais, je
le demande, quel avantage ce transit procurerait-il à la nation qui le
posséderait ? Non, messieurs, encore une fois, le transit qui présente les
avantages c’est celui qui donne lieu à un commerce d’achat et de vente et qui
ne se borne pas à un simple commerce de commission, mais qui fait de nos ports
un grand marché commercial.
Eh bien, messieurs, le système que
nous avons aujourd’hui en l’absence des droits différentiels, en l’absence
d’une marine marchande, ce système ne mène qu’à un commerce de commission ;
jamais, avec ce système, on ne fera d’Ostende et d’Anvers de véritables
marchés, si nécessaires à la prospérité du pays.
Depuis 12 ans, messieurs, nous avons
cherché à relever notre marine. Vous le savez, à l’époque de la révolution les
ports de la Belgique et surtout le port d’Anvers, avaient une marine qui
grandissait d’une manière vraiment prodigieuse, mais le jour de la révolution
nous avons eu la douleur de voir cette magnifique marine émigrer en Hollande.
En 1830, 30 à 35 frégates chargeant
chacune de 500 à 1,000 et à 1,200 tonneaux, ont quitté le port d’Anvers pour se
rendre en Hollande. A la suite de ce fâcheux événement, le gouvernement et les
chambres ont voulu trouver le moyen de remonter la marine belge. A cet effet on
a imaginé la création de primes. Ce moyen était, sans doute, fort généreux,
mais il faut bien en convenir, ce moyen n’a amené aucun résultat, car
aujourd’hui nos navires sont moins nombreux qu’ils l’étaient lorsque les primes
ont été créées ; tant il est vrai, que ce qu’il faut à l’industrie, c’est la
protection et non l’aumône. Chaque jour nous voyons décroître notre marine : en
1837 nous avions encore 152 navires, aujourd’hui nous n’en avons plus que 134,
et remarquez bien, messieurs, que ces 134 navires qui nous restent sont d’un
tonnage de 2 à 300 tonneaux, tandis que nous avons perdu ces magnifiques
frégates de 500 à 1,200 tonneaux.
Il faut donc, messieurs, en venir à
un autre système pour relever notre marine, et il faut absolument la relever,
car sans marine il n’est pas de commerce, pas de prospérité possible pour un
pays.
J’ai dit, messieurs, que les marchés
voisins se resserrent chaque jour davantage. Vous savez, en effet, comme moi,
qu’il ne se passe pas une année sans que chacune des puissances qui nous
environnent, n’élève ses droits de douanes et nous exclue de plus en plus de
ses marchés ; dans un pareil, état de choses, que devons-nous chercher ? Une
seule planche de salut nous reste, ce sont les exportations lointaines. Ce que
le gouvernement doit chercher à encourager c’est l’esprit d’entreprise, qui
n’existe plus, parce que nous n’avons plus de marine marchande. Nous n’avons que
des navires étrangers qui viennent rompre charge dans nos ports, sans presque
jamais rien y prendre. C’est pour cela que l’esprit d’entreprise fuit le pays
et qu’il ne nous reste qu’un commerce de commission. Deux mille navires
fréquentent chaque année nos ports et nous ne possédons que 134 vaisseaux.
C’est en favorisant la création d’une marine nationale qu’on encouragera
l’esprit d’entreprise, qu’on encouragera le véritable commerce d’exportation,
que des débouchés nouveaux seront ouverts à notre industrie.
Nous n’avons, messieurs, aucun espoir
de conclure des traités de commerce avec les nations qui nous entourent ; vous
savez combien les rêves que nous avions chéris sont devenus chimériques ;
cependant je dois exprimer le regret que l’on n’ait pas tenté d’une manière
efficace, immédiatement après la signature du traité des 24 articles, de faire
un traité de commerce avec la Hollande. Je crois avoir eu l’honneur de le dire
dans cette enceinte, immédiatement après la solution de nos différends avec la
Hollande ; il me paraît que nous étions tous en rapport dans une position
extrêmement avantageuse : la Hollande est un pays qui a des colonies où
abondent les produits tropicaux, les denrées coloniales, les cafés, les sucres,
les cotons, en un mot, tous les objets dont nous avons besoin, et la Hollande
n’a pas de manufactures. Nous, au contraire, nous n’avons pas de colonies, nous
manquons de denrées coloniales et nous avons des manufactures qui demandent des
débouchés.
C’eût donc été une excellente idée de
chercher à reconstituer sous le rapport commercial l’union des provinces
méridionales et des provinces septentrionales de l’ancien royaume des Pays-Bas.
Certainement cette union purement commerciale ne pouvait présenter aucun
inconvénient politique, et elle eût été extrêmement avantageuse aux deux pays
sous le point de vue industriel. Malheureusement le gouvernement paraît ne pas
avoir compris l’importance d’une union de cette nature et bientôt le
gouvernement hollandais est venu poser des actes qui rendent dorénavant une
semblable union impossible. Ces actes sont surtout les traites conclus avec la
France et avec le Zollverein.
C’est donc, encore une fois, en
nous-mêmes que nous devons trouver des ressources, c’est en faisant nos
affaires nous-mêmes que nous devons chercher à relever notre commerce et notre
industrie chancelants.
Quel est le but, messieurs, de l’acte
de navigation que l’on vous propose en ce moment ? car,
remarquez-le bien, la loi qui nous est soumise est véritablement un acte de
navigation.
Eh bien, messieurs, le but de cet
acte de navigation c’est de favoriser la création d’une marine marchande.
Autrefois, la Belgique avait une des plus belles marines du monde, et c’est
alors aussi que son commerce était le plus développé ; toutes les fois, au
contraire, que le commerce maritime a décliné en
Belgique, le commerce des manufactures y a subi la même décadence. Sous les
ducs de Bourgogne, lorsque la Flandre avait la plus belle marine du monde,
lorsque ses vaisseaux sillonnent les mers, ses grandes cités étaient aussi les
plus florissantes du monde et lorsque le traité de Munster est venu frapper de
mort le port d’Anvers, le commerce et l’industrie du pays entier ont
immédiatement succombé ; nos marchands et nos industriels, forcés de quitter le
pays, ont transplanté noire industrie ailleurs. Il en a été de même toutes les
fois que la marine a cessé d’être florissante.
Ainsi, messieurs, l’histoire nous
démontre qu’il y a une corrélation intime, absolue, entre l’importance du
commerce maritime et l’importance des manufactures.
A cet égard, permettez-moi,
messieurs, de vous rappeler les paroles d’un des plus grands hommes d’Etat de
l’Angleterre, en ce qui concerne la matière dont nous nous occupons. Le célèbre
Huskisson, dans le discours qu’il a prononcé au parlement anglais, dans la
séance du 22 mars 1825. Le célèbre Huskisson s’exprimait en ces termes :
« Sous l’influence de quelles
circonstances l’Angleterre fonda-t-elle son système de navigation ? Lorsque,
comparativement à ce qu’elle est maintenant, sa marine commerciale était
insignifiante, et ses capitaux médiocres ; avant que ses manufactures ne
fussent établies, et lorsqu’elle exportait son grain, ses laines et beaucoup
d’autres de ses matières premières. Elle l’a établi à une époque où, d’un autre
côté, la Hollande et les Pays-Bas, c’est-à-dire, la Belgique, étaient puissants
en richesses et en manufactures, et faisaient la plus grande partie du commerce
de transport de l’Europe et du monde entier. Qu’est-il arrivé depuis ? La
marine marchande de ces contrées est toujours allée en diminuant, et celle de
la Grande-Bretagne est maintenant immense. Mais, dans le cours de cette
révolution, l’Angleterre est devenue le centre des capitaux et des manufactures
; elle importe maintenant fréquemment et n’exporte jamais de grain ; elle tire
de toutes les parties du monde les matières premières qu’elle leur renvoie en
produits manufacturés. Telle était déjà notre situation, bien que dans un
moindre degré de splendeur, lorsque l’Amérique devint indépendante. Elle
commença par nous appliquer le système que nous avions adopté à l’égard de la
Hollande. Elle était alors pauvre, n’avait qu’une très petite marine
commerciale, point de manufactures, exportait des grains et des matières brutes
; et nous savons ce qu’est maintenant sa marine. »
Voilà, messieurs, ce que disait, en
1825, l’homme le plus éminent que l’Angleterre possédait sous le rapport des
matières commerciales. Le célèbre Huskisson prenait précisément pour exemple la
prospérité de l’Angleterre, et la position où se trouvaient, vis-à-vis de ce
pays, la Belgique et la Hollande, à l’époque de l’établissement des droits
différentiels, à l’époque de l’établissement de l’acte de navigation.
C’est donc contre la Belgique que
l’acte de navigation a été établi ; ou, s’il n’a pas été spécialement dirigé
contre la Belgique, il a du moins eu pour résultat de faire tomber la marine,
le commerce et les manufactures en Belgique, et de transplanter ces
manufactures, ce commerce et cette marine dans la riche Angleterre, et cet
avantage, l’Angleterre l’a dû à son système de droits différentiels.
Messieurs, l’expérience le prouve,
partout où les droits différentiels ont été introduits, la marine marchande
s’est toujours successivement développée. Ce ne sont pas des primes qu’il faut
à l’industrie, il lui faut des protections. Nous pourrons supprimer les primes
dans quelques années, quand nous serons parvenus à rétablir notre marine
marchande, grâces aux mesures de protection qui, du reste, ne coûteront rien au
pays.
Messieurs, la question de la marine
marchande embrasse quatre questions différentes ; d’abord, la construction des
navires eux-mêmes ; en second lieu, la question de la pêche ; en troisième
lieu, la question du cabotage ; enfin la question des navigations de long cours.
Relativement à la construction des
navires, il faut remarquer qu’il est éminemment déplorable que cette
construction ait presque cessé dans le pays.
On parle souvent de manufactures ;
mais est-il une manufacture qui emploie plus de bras, qui laisse plus de
bénéfices dans le pays que la manufacture des vaisseaux ? La construction des
vaisseaux est la manufacture par excellence, elle est en même temps la
manufacture la plus productive ; car tout est travaillé dans le pays ; et si
une partie des matières premières vient de l’étranger, au moins toutes sont
mises en fabrication dans le pays. Vous tirerez le fer de vos mines, vous
emploierez le zinc, le cuivre, les toiles, les cordages ; quand vous aurez une
marine marchande respectable, vous aurez besoin de nourrir, de vêtir vos
matelots. Vous pouvez pourvoir à tous ces besoins par les produits de notre
sol. La construction des navires est donc une véritable manufacture et une
manufacture qui en fait mouvoir cent autres.
Un second objet bien digne de l’attention
de la législature, c’est la pêche. La pêche, messieurs, c’est l’agriculture de
la mer. Déjà nous avons fait beaucoup en faveur de la pêche. Les droits
différentiels que nous avons établis pour la pêche ont amené ce résultat,
qu’elle s’est développée successivement, qu’elle peut maintenant soutenir la
concurrence avec l’étranger ; et l’on peut espérer de voir bientôt le port
d’Ostende et tous les autres ports de la Belgique, devenir de plus en plus
florissants. La pêche, c’est la pépinière des matelots. Si nous avions dû créer
une marine marchande d’une manière trop rapide, nous n’aurions pu trouver assez
de matelots sans la pêche.
Je le répète, messieurs, le résultat
des droits différentiels que nous avons établis en faveur de la marine qui se
livre à la pêche est une nouvelle garantie des résultats que nous devons
attendre de l’acte de navigation que nous sommes appelés à voter. Je dis que,
puisque la marine destinée à la pêche a eu de si beaux développements, grâce
aux mesures de protection qui ont été prises, des succès semblables attendent
notre marine marchande, lorsque nous aurons établi le système des droits
différentiels d’une manière générale sur la navigation de long cours.
J’arrive maintenant au cabotage.
Nous avons aussi des lois qui
protègent déjà notre cabotage. Ainsi la loi qui ordonne des droits
différentiels sur l’introduction du sel lui est extrêmement favorable ; l’on
sait qu’une grande partie de notre marine marchande s’adonne aussi
principalement au cabotage, et cela précisément à cause des droits
différentiels qui existent sur cet article ; aussi s’introduit-il en Belgique
peu ou point de sel par des navires étrangers.
Eh bien, le résultat que vous avez
atteint, en accordant au pays tous les bénéfices de cette opération, vous
l’atteindrez, pour ce qui concerne la navigation transatlantique, quand vous
aurez admis l’acte de navigation.
Messieurs, quelle est l’idée
dominante de l’acte de navigation ? ici, je ne puis
partager l’opinion de M. le ministre de l’intérieur. M. le ministre de
l’intérieur a dit et répété à diverses reprises que l’idée dominante des droits
différentiels n’est pas de créer une marine, mais d’amener l’exportation des
produits coloniaux par le rétablissement des relations directes.
C’est là, messieurs, une grave
erreur. Je crois que le but que nous devons nous proposer, c’est, avant tout,
de créer une marine marchande.
Certainement, la question des
exportations est une question immense. Mais les relations directes seules n’y
suffisent pas. Ouvrez les états statistiques du commerce, ils établissent, avec
toute la puissance, la vérité des chiffres, que ce n’est qu’avec une marine
nationale que les exportations peuvent avoir lieu.
Un journal de Bruxelles, l’Observateur, dans son numéro du 2 mai,
a présenté un résumé de la navigation du pays par pavillon et par navire. Il
résulte de ce tableau que de 1838 à 1842, c’est-à-dire dans une période de cinq
années, la moyenne des exportations a été de 80,000 tonneaux, et que sur ces
80,000 tonneaux, les 134 navires belges que nous avons, ont exporté près de la
moitié des produits du pays.
Ainsi, messieurs, les faits
viennent démentir complètement la théorie. La théorie, la voici : « Si vous
établissez des relations directes avec les pays transatlantiques, vous
favoriserez par là l’exportation de vos propres produits vers les pays
transatlantiques. Le navire qui nous viendra directement des colonies, sans
aller prendre ses marchandises dans les ports d’Europe, chargera à Anvers,
Ostende ou dans tout autre port de la Belgique, des produits industriels du
pays, et il les exportera vers les contrées d’où il est venu. » Voilà la
théorie ; mais l’expérience lui donne un démenti complet. Nous savons, en
effet, que la plupart des navires étrangers qui nous apportent des produits des
contrées transatlantiques, quittent le pays avec très peu ou point de produits
nationaux. Voila ce qu’a démontré à l’évidence l’honorable M. Delfosse. C’est
que le négociant étranger ne connaissant pas comme le négociant indigène les
produits de notre sol, laisse presque toujours le navire partir à vide.
Souvent, le capitaine seul prend quelque peu de nos marchandises, pour le
produit de son fret ; mais le négociant belge connaît parfaitement les produits
du sol ; il connaît le bon marché de nos fabricats, et il peut les exporter
mieux que personne.
Ainsi, ce n’est pas la création de
relations directes que nous devons nous proposer ; nous devons nous proposer la
création d’une marine marchande, car cette marine est à la fois moyen et but,
et elle amènera avec elle de toute nécessité l’exportation des produits
indigènes. C’est donc vers ce but que nous devons tendre de tous nos efforts,
sans nous occuper de l’établissement des relations directes, comme le veut M.
le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois supposer que je n’a pas eu l’avantage de vous avoir eu hier pour auditeur.
M. Dumortier. - Voici que vous avez dit : « L’idée dominante des droits
différentiels n’est pas de créer une marine, le but est d’amener l’exportation
de nos produits nationaux par l’établissement de relations directes. » Or, si
ce but était vrai la marine nationale serait inutile, et l’expérience démontre
que les relations directes sans marine nationale ne favorisent nullement nos
exportations.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je regrette que l’honorable
M. Dumortier n’ait pas été hier au nombre de mes auditeurs ; s’il avait été
présent, il saurait que j’ai dit qu’il ne suffisait pas d’avoir des relations
directes avec les lieux de production ; que les relations avantageuses avec les
lieux de production étaient celles que nous avions par le pavillon belge. J’ai
appuyé cette opinion sur des faits.
M. Dumortier. - J’entends dire autour de moi, que votre opinion d’hier est restée la
même. Du reste, si M. le ministre de l’intérieur s’est converti aux droits
différentiels qu’il repoussait, il y a quatre ans, je le félicite de cette
conversion ; j’aime beaucoup les conversions, surtout lorsqu’elles sont
sincères.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Relisez mon discours d’hier
; j’ai rappelle hier que je ne m’étais jamais prononce d’une manière positive
sur le système des droits différentiels.
M. Dumortier. - Je viens de prouver à l’assemblée que le but que nous devons nous
proposer, est bien moins la création de relations directes que l’établissement
d’une marine marchande nationale ; et pour parvenir à développer cette marine,
nous devons nécessairement accorder des droits différentiels aux provenances.
Mais, avant tout, nous devons
réorganiser la marine nationale, et par là nous créerons la grande manufacture
des vaisseaux en Belgique, nous stimulerons l’esprit d’entreprise qui viendra
favoriser l’exportation des produits de nos manufactures, et nous ne verrons
cet esprit d’entreprise que lorsque nous aurons en Belgique des personnes
portées par les intérêts mêmes qu’elles ont pris à la navigation, à faire des
exportations lointaines.
Messieurs, divers orateurs ont dit :
Voyez l’Angleterre, elle abandonne elle-même son système de droits
différentiels.
Déjà mon honorable collègue, M.
Donny, qui a parlé avant moi, a répondu à cet argument d’une manière
victorieuse.
Pour mon compte, je suis profondément
convaincu que l’Angleterre aimerait mieux abandonner tout son système de droits
prohibitifs, proclamer et réaliser les idées de liberté commerciale dont elle
est si éloignée, que de renoncer à son acte de navigation. Et pourquoi
l’Angleterre vient-elle parler d’abandonner son acte de navigation ? C’est
parce qu’elle a le bénéfice des brevets d’invention. Ecoutez ce que dit cet
égard Huskisson dans le discours que j’ai déjà eu occasion de citer tout à
l’heure.
« Que la Chambre veuille bien
réfléchir sur ces circonstances, avant de décider qu’il y a sagesse, qu’il y a
nécessité de nous engager dans une lutte semblable avec des pays pauvres et
sans manufactures. Demandons-nous et examinons sérieusement si un système de
droits différentiels, maintenant que le brevet d’invention, si je puis ainsi
m’exprimer, qui nous en avait donne l’exploitation exclusive, est expiré, n’est
pas plutôt l’expédient d’un pays placé dans une situation telle que celle où
j’ai montré qu’était l’Angleterre à son origine, que la ressource d’un Etat qui
possède aujourd’hui la plus grande marine commerciale du monte. Peut-être, à
l’examen, trouvera-t-on qu’il serait d’une sage
politique de détourner ces pas de ce système, plutôt que de les y aiguillonner,
ou même de leur fournir un prétexte pour entrer dans cette carrière. »
Ainsi, si en Angleterre on parle de
supprimer les droits différentiels, c’est afin d’empêcher que l’exemple de la
prospérité que ce système a amené chez cette puissance ne donne à d’autres
l’idée de l’imiter.
Voyez par là, messieurs, combien
l’Angleterre est éloignée de faire des concessions en pareille matière.
L’orateur qui m’a précédé vous a cité des exemple.
J’en citerai un à mon tour. Vous vous rappeler les vives discussions qui ont eu
lieu dans cette enceinte peu de temps après la révolution, à propos des
prétentions du Trinity-House qui ne voulait pas recevoir nos navires sur le pied
des pavillons étrangers. Voilà comment l’Angleterre entend la liberté
commerciale et la suppression des droits différentiels.
Tout partisan que je suis, messiers,
du système des droits différentiels, je subordonne mon vote à cette nécessité
que la loi ne doit être hostile à aucune des puissances qui nous avoisinent.
Les droits différentiels sont-ils par eux-mêmes hostiles aux autres puissances
? Non, puisque toutes les puissances nous en ont donné l’exemple. L’Angleterre
en a donné le premier exemple.
La France, après l’empire, n’avait
plus de marine marchande ; elle a rétabli sa marine commerciale sous la
restauration au moyen des droits différentiels. La Prusse eut recours au même
moyen pour se créer une marine marchande. La Hollande a ses droits différentiels
à sa manière ; elle a un avantage de 10 p.c. par ses navires ; en outre, elle
exploite à elle seule ses colonies, qui soit les plus belles du monde. Cette
exploitation exclusive n’est-elle pas aussi un véritable droit différentiel ?
Les Etats-Unis n’ont-ils pas créé leur marine au moyen des droits différentiels
? Aucune des puissances qui nous environnent ne peut donc élever de grief
contre la Belgique, parce qu’elle adopterait le système des droits
différentiels. Mais, cependant, on pourrait lui adresser des reproches, si elle
adoptait ce système à l’égard d’une nation plutôt que de l’autre. C’est pour
cela que je demande qu’on prenne, dans la tarification, une mesure générale, et
qu’on ne prenne de mesure exceptionnelle contre personne, afin de ne pas
justifier des mesures de représailles.
Des représailles sont-elles à
craindre si nous adoptons le système les droits différentiels ? Je dois dire
que je déplore certaines paroles imprudentes plutôt dictées par la colère que
par la raison, et qui ont été prononcées dans cette enceinte. Plusieurs
orateurs ont représenté la Hollande comme pouvant, comme devant prendre des
mesures de représailles, si nous adoptions le système des droits différentiels.
Je déplore ces paroles. Elles sont inconsidérées. Nous ne devons donner des
armes à personne contre notre pays. Il ne faut pas qu’on puisse dire que des
paroles prononcées par des élus de la nation ont donne ouverture à des mesures
contraires à nos intérêts. Mais je me hâte de le dire, messieurs, la Hollande ne
peut pas trouver mauvais que nous établissions le système des droits
différentiels puisqu’elle nous en a donné l’exemple et par terre et par mer. Je
viens de vous expliquer son système de navigation relativement à ses colonies.
Quant à ses droits différentiels par terre, je vais y arriver en démontrant
combien le système qui est admis aujourd’hui en Hollande est hostile à
l’industrie de la Belgique.
La France et les Etats-Unis ne
peuvent pas se plaindre de ce que nous adoptions ce système, puisqu’il est en
vigueur chez eux. La Hollande aurait-elle des plantes à élever ? Mais il suffit
de jeter les yeux sur les traités qu’elle a conclus avec les nations voisines
pour voir combien elle a établi de droits différentiels contre notre propre
industrie.
Je tiens en main le traité conclu
entre la France et les Pays-Bas le 25 juillet 1840. Je n’hésite pas à déclarer
que ce traite est un véritable acte d’hostilité contre la Belgique ; que toutes
les faveurs accordées à la France le sont au détriment de la Belgique puisqu’elles
s’appliquent à des objets manufacturés que nous produisons comme la France et
que nous exportions autrefois en Hollande.
Lisez l’art. 10 : vous verrez que S
M. le Roi des Pays-Bas consent à abaisser, en faveur des produits français, les
droits d’entrée établis par le tarif général, savoir :
De 4 à 2 florins par livre sur les
étoffes, tissus et rubans de soie.
De 10 à 6 p. c. de la valeur sur la
bonneterie, la dentelle et les tulles.
De 6 à 3 p. c. de la valeur sur la
coutellerie et la mercerie.
De 10 à 6 p. c. de la valeur sur les
papiers de tenture.
D’un quart du chiffre actuel sur les
savons de toute nature, les porcelaines blanches et autres que dorées, aux
mêmes droits que 1a faïence, etc., etc.
Vous le voyez, tous les objets sur lesquels
on accorde des faveurs, sont des objets que fabrique la Belgique : les
porcelaines, les dentelles, les bonneteries, etc.
Ce sont là des objets que nous
fournissons à la Hollande. Comment la Hollande pourrait-elle venir parler de
représailles quand elle nous a mis dans une position qui pourrait justifier des
représailles de notre part ?
Je tiens à démontrer à tout le monde
que la Belgique est complètement dans son droit, quand elle établit le système
différentiel, et que la Hollande a la première pris l’initiative des droits
différentiels contre nous.
Il demeure constant que les objets
pour lesquels la France a traité, ont une prime de 50 p. c. sur les droits que
la Hollande impose à ses frontières contre nos produits.
Je vous le demande, en présence de
pareils faits, la Hollande serait-elle en droit de parler de représailles ?
Manifestement non, puisque c’est elle qui a donné l’exemple des droits
différentiels, non contre les autres puissances mais contre nous, puisque nous
ne pouvons importer nos produits sur les marchés hollandais qu’en payant 50 p.
c. de plus de droits que la France. Voulez-vous examiner le traité fait entre
la Hollande et le Zollverein, vous trouverez le même résultat.
Je tiens en mains le traité passé le
31 janvier 1839, entre le royaume des Pays-Bas et la Prusse et le Zollverein.
« S. M. le roi des Pays-Bas
consent à admettre par les frontières entre les Pays-Bas et la Prusse :
« 1° Les étoffes, tissus et
rubans de soie au taux de 2 florins des Pays-Bas.
« 2° Bas et bonneterie, dentelles
et tulles au taux de 5 p.c. de la valeur,
« 3° Coutellerie et mercerie au
taux de 3 p. c. de la valeur, etc. »
M. Delfosse. - Il n’existe plus.
M. Dumortier.- S’il n’existe plus, il a existé et a consacré le principe de droits
différentiels contre notre industrie ; d’ailleurs, le traité avec la France qui
repose sur les mêmes bases et est même plus étendu existe toujours, et la
Hollande ne désire certes pas le supprimer. Vous voyez donc, messieurs, que la
Hollande nous a elle-même montré la voie du système différentiel et qu’il y a
un système général, de la part de la Hollande, de faire des concessions pour
des concessions. Je prétends que nous devons chercher à arriver à un système
semblable. Mais pour cela il faut avoir quelque chose à lui offrir. Or, la
Belgique n’a plus rien à offrir maintenant, elle est dans cette position
qu’elle invite chaque jour la Hollande à s’asseoir journellement à sa table et
que la Hollande ne l’invite jamais.
Je dis donc que la Hollande n’aurait
pas le droit de se plaindre de nous voir adopter le système des droits
différentiels, quand elle a donné l’exemple de mesures prises contre la
Belgique ; alors surtout que notre système sera général, sera dépouillé de tout
caractère d’hostilité contre elle.
Elle aurait d’autant moins le droit
de se plaindre de la mesure que nous établissons en système général, tandis
qu’elle agissait coutre nous par mesure spéciale.
D’ailleurs, ce n’est que sur notre
propre consommation, que nous établissons des droits différentiels ; nous n’en
mettons ni sur le transit, ni sur le commerce d’entrepôt. La Hollande pourra
faire par notre pays le commerce de transit et le commerce d’entrepôt comme
auparavant. Mais notre industrie maritime, comme notre industrie
manufacturière, nous avons le droit de les protéger par des droits
différentiels comme la Hollande l’a fait chez elle.
Messieurs, s’il était question de
faire une guerre de douane à la Hollande, guerre que je veux éviter, quelle
serait la nation qui aurait le plus à y perdre ? Ce serait la Hollande, car
nous consommons une énorme quantité de produits hollandais qui se vendent au
profit du trésor public.
La Hollande vend annuellement à la
Belgique pour 38 millions de ses produits. Est-ce que c’est là un marché à
dédaigner ? C’est un marché considérable qu’on a tout intérêt à ne pas chercher
à réduire. Et ce ne sont pas les droits différentiels qui empêcheront de
consommer du café Java. C’est le goût du pays, et les droits sont tellement peu
considérables, qu’ils n’équivaudront qu’à 1 1/4 centime pat livre. Ce n’est pas
pour cela qu’on cessera de consommer du café Java.
Messieurs, dans la question des
droits différentiels, il y a deux choses à considérer : le système et le
chiffre. Quant au système, j’en vois deux en présence : celui de la chambre de
commerce d’Anvers adopté par M. le ministre de l’intérieur et celui de la
commission d’enquête. Or, je dois le déclarer, je crois qu’il y a un vice dans
chacun de ces systèmes, et qu’en prenant ce qu’il y a de bon dans l’un et
l’autre, nous pouvons faire une loi excellente.
Ce que je regarde comme vicieux dans
le système de la commission d’enquête, c’est l’établissement de droits
différentiels sur la navigation par les rivières et canaux. En effet, nous ne
recevons aucun produit colonial de la France par rivières et nous ne pouvons
pas en recevoir des Etats de la confédération germanique.
La seule puissance qui puisse nous
envoyer et qui nous envoie en réalité les produits coloniaux par rivière, c’est
la Hollande par la Meuse. Il résulte de ces considérations que le tarif de la
commission d’enquête présente les apparences d’une agression contre une
puissance que nous devons ménager pour établir de bons rapports avec elle.
La chambre de commerce d’Anvers et M.
le ministre de l’intérieur proposent la suppression de cette disposition. Ainsi
tombe toute apparence d’hostilité ; car du moment qu’une mesure s’applique aux
uns comme aux autres, du moment qu’elle est générale, personne n’a plus se
plaindre. En plaçant la Meuse sur le pied du cabotage par pavillon national,
nous ôtons tout motif de plainte à la Hollande, et nous faisons droit aux
justes réclamations de l’une de nos plus belles et de nos plus importantes
cités.
D’un autre côté, je trouve le système
de la chambre de commerce et de M. le ministre de l’intérieur non moins
vicieux, toujours vis-à-vis de la Hollande. En effet, on accorde une faveur aux
provenances au-delà de Gibraltar, ces provenances sont exclusivement du port de
Marseille. C’est donc un avantage accorde à la France. On accorde le même
avantage aux provenances au-delà du Sund. Ces provenances sont principalement
celles de la Prusse. C’est donc un avantage accordé à Prusse.
Maintenant, si nous accordons à deux
puissances voisines un avantage que nous refusons à une troisième, nous faisons
vis-à-vis d’elle acte de mauvais voisinage qui doit, à
juste titre, exciter son mécontentement. Si, au contraire, comme je le disais
tout à l’heure, on prend une mesure uniforme et générale, personne n’est
frappé, aucune puissance n’a à se plaindre d’hostilité de notre part. Je
conçois que l’on établisse une différence pour les provenances au-delà du cap
de Bonne-Espérance et du cap Horn. Là il s’agit de la grande navigation ; dans
l’intérêt de cette navigation, il convient d’établir une différence. Mais il
n’y a aucun motif pour accorder un avantage à la navigation au-delà du Sund et
de Gibraltar. Je le répète, il faut là une mesure uniforme, s’appliquant à
toutes les puissances. Personne alors n’aura à se plaindre de nous et nous
éviterons tout acte d’hostilité et par là jusqu’au prétexte de représailles.
Quant à la question de chiffres, je
dois déclarer à l’assemblée que ceux du gouvernement et de la chambre de
commerce d’Anvers ne me paraissent pas assez élevés. Il y a même contradiction
dans le système de M. le ministre de l’intérieur. Que nous dit-on, en effet ?
Commençons par des chiffres modérés ; nous augmenterons ensuite.
D’autre part, on nous dit encore :
vous n’avez aucune concession à faire à l’étranger ; il faut établir des droits
différentiels pour pouvoir faire des concessions et amener des traites de
commerce. Mais si vous établissez des droits différentiels tels que vous soyez
obligés de les augmenter, ce ne sera pas là des concessions possibles. Vous
n’aurez qu’un moyen de faire des concessions, ce sera de supprimer les droits
différentiels, et alors vous aurez annulé un système dont dépend tout l’avenir
commercial et maritime du pays.
Je maintiens donc que les chiffres de
la commission d’enquête sont extrêmement modérés, les plus faibles que l’on
puisse adopter, si l’on veut arriver à des traites de commerce au moyen de
concessions réciproques. Il nous faut un tarif tel que, pour obtenir ces
traités, nous puissions faire des concessions. Réfléchissez bien, messieurs, à
cette position. Il faut éviter de tomber ici dans la faute où nous sommes
tombés pour notre système de douanes. Pourquoi n’avons-nous pu faire aucun
traité particulier avec les puissances qui nous entourent ? Pourquoi, pour la
convention relative aux toiles, avons-nous dû sacrifier une partie du revenu
public ? Parce que nous avons un tarif trop bas, un tarif tellement bas, qu’il
équivaut à peu près à la liberté commerciale et que nous ne pouvons faire de
concessions sans réduire les droits d’entrée à des proportions infinitésimales.
Nous avons donc sur ce point une
expérience acquise assez chèrement. Ne commettons pas la même faute.
N’établissons pas des droits tellement bas, que nous ne puissions faire de
traité de commerce.
Messieurs, j’appelle de tous mes vœux
un traité de commerce avec la Hollande. Mais pour que ce traité soit possible,
il ne faut pas des droits tellement bas, qu’on doive les élever dans quelques
années. Cette question est donc de la plus haute importance. N’adoptons pas un
tarif dont les chiffres soient d’une hauteur exagérée. Mais craignons de tomber
dans l’exagération inverse. Pour moi, je n’ai ici aucun intérêt d’amour-propre,
puisque j’étais étranger à la commission d’enquête. Mais je dois rendre à la
commission cette justice que ses chiffres sont très modérés, tellement modérés,
qu’ils ne s’élèvent pas au huitième des droits différentiels dont la France a
favorisé sa marine. La chambre doit les adopter pour que nous puissions faire
des traités de commerce. Je la supplie de porter la plus sérieuse attention sur
ce point important.
Une autre question qui se présente et
sur laquelle je dois appeler aussi, messieurs, toute votre attention, est celle-ci
: Nous avons vu notre marine marchande décroître à ce point que nous n’avons
plus que 134 navires de 300 tonneaux environ. II est évident qu’une telle
marine est absolument insuffisante pour les premiers besoins. J’ai la
conviction profonde que les droits différentiels vont rendre l’activité à nos
chantiers, A défaut de droits différentiels, on ne pouvait construire de
navires en Belgique à cause de la protection que la navigation reçoit dans les
autres pays par les droits différentiels. Mais pour les constructions
maritimes, il faudra quelque temps. Dans l’intervalle, il pourrait y avoir une
augmentation de fret qui serait au préjudice de la Belgique.
Je pense qu’il faudrait prendre une
mesure pour l’empêcher. Cette mesure, je la trouve dans l’établissement de
droits progressifs. Il faudrait que les droits différentiels, tels qu’ils
seront fixés, fussent réduits à la moitie, en 1845, aux 3/4 en 1846, et
n’atteignent leur taux normal qu’en 1847. Ainsi nous assurerons la création
d’une marine marchande, favorable au commerce et à l’industrie, et nous
éviterions les réclamations, qu’une mesure qui serait immédiatement complète,
ne manquerait pas de soulever ; et la mesure s’opérant sans secousse sera bien
moins sentie par le commerce étranger.
Il y a du reste, dans le projet du
gouvernement, une disposition qui doit pourvoir à bien des besoins, je veux
parler de celle qui donne au gouvernement la faculté de nationaliser dans la
première année des navires étrangers en s’entourant de toutes les garanties possibles.
Je regarde cette mesure comme indispensable, dans l’état de dépérissement et
d’appauvrissement de notre marine marchande.
En résumé, nous avons à faire une loi
d’une grande importance. Mais nous devons éviter de rien insérer dans cette loi
qui soit hostile aux nations qui nous environnent. Nous mettrons ainsi Liége
dans une position satisfaisante. Cette ville sera, quant aux produits
hollandais, dans la même position qu’Anvers par le cabotage. Nous devons mettre
toutes les puissances sur la même ligne. Pour cela il nous faut écarter la
disposition relative à la navigation au-delà du Sund et de Gibraltar.
D’un autre côté, nous
éviterons toute secousse, en établissant une échelle successive progressive de
droits différentiels.
Je prie la chambre de prendre ces
observations en considération. J’entrerai dans d’autres développements, quand
nous discuterons successivement les questions de principes. Mais j’adjure la
chambre d’être persuadée qu’elle n’a rien à craindre de l’établissement des
droits différentiels, que les autres puissances ne peuvent nous en faire un
grief, puisque toutes, elles nous ont donné l’exemple. Je prie la chambre de se
bien pénétrer de cette pensée, que c’est par l’établissement des droits
différentiels, et seulement par cette mesure, qu’elle pourra doter le pays
d’une marine marchande, et assurer ainsi l’avenir de notre commerce et de notre
industrie. En finissant je dois le déclarer, je n’ai jamais, depuis la
révolution, voté une loi si féconde en heureux résultats. Je lui donnerai
volontiers mon assentiment pourvu qu’elle ne soit hostile à aucune puissance,
parce que cette loi résume à elle seule tout l’avenir commercial et industriel
du pays.
M. Osy. - D’après la tournure que les discussions ont prise depuis quelques
jours, il n’y a véritable lutte qu’entre ceux qui croient que le projet de loi
doit ramener une prospérité commerciale au pays, en donnant les moyens
d’augmenter et d’avoir finalement une flotte marchande pour pouvoir aller
chercher nous-mêmes les produits des colonies dont nous avons besoin pour notre
consommation et pour notre commerce avec l’Allemagne, et par là nous donner les
moyens de pouvoir exporter les produits de nos industries, et ceux qui,
contraires à la loi, craignent les représailles de la Hollande, et de voir
fermer la Meuse pour les exportations ; mais la perte des importations est si
minime qu’il ne faut pas s’y arrêter.
Si on nous proposait des mesures qui
seraient dirigées contre la Hollande ou contre toute autre puissance, je serais
le premier à les combattre ; mais nous faisons ce que faisait le roi des
Pays-Bas en 1822 pour établir un système commercial. C’est à cette époque que,
pour favoriser la marine marchande, on a établi les droits différentiels, en
les fixant à 10 p. c. sur toutes les importations, tant matières premières,
toutes les denrées coloniales et même les produits de l’industrie étrangère.
Aujourd’hui nous ne faisons que suivre le même principe, en favorisant les
importations des pays de production, en donnant une faveur au pavillon
national, mais en disant tout haut à toutes les puissances que nous sommes
prêts à négocier et leur accorder les mêmes avantages.
Ce système commercial est un nouveau
code greffé sur les lois de 1822 que nous ne trouvons pas suffisantes pour
établir une marine marchande et faciliter nos exportations, et nous augmentons
les droits différentiels. C’est une mesure générale, et qui n’est hostile à
aucune nation ; et la Hollande, pas plus que l’Angleterre, ne peut se plaindre,
si on veut être juste et considérer froidement les principes commerciaux que
nous voulons introduire, et qui doivent faire de votre beau port, un port belge
et non étranger.
La Hollande n’a non seulement pas
suivi ce système en Europe, depuis 1822, mais elle l’a établi à ses colonies ;
car le navire hollandais, allant en Hollande avec des cafés. ne
paye que 2 fr. ; l’étranger, allant en Hollande, paye le double. Et finalement,
l’étranger partant de Batavia pour un port autre que celui de la mère-patrie,
est obligé de payer 5 fr. par picul de 60 kilog., soit près de 18 fr. par
tonneau, tandis que nos droits différentiels sont beaucoup plus modérés.
Nous ne suivons donc que les leçons
reçues de notre ancien souverain ; ce sont ses principes que nous ne faisons
que renforcer et même nous allons plus loin : nous mettons notre gouvernement à
même d’offrir, à la suite de négociations, les mêmes avantages au pavillon
hollandais qu’au pavillon belge venant des colonies hollandaises ; mais dans
l’espoir de trouver un débouché à Java, nous établissons un droit différentiel
entre les arrivages de long cours à ceux de quelques fleuves et personne ne
pourra se plaindre de nous voir adopter un système commercial de protection
pour notre marine, ce que font toutes les puissances, et je suis persuadé que
le cabinet de La Haye est trop juste pour vouloir prendre des représailles et
rompre la bonne intelligence qui règne entre les Belges et les Hollandais.
Le traité de navigation du 5 novembre
1842 assimile les deux pavillons, pour la navigation par les eaux intérieures
et les canaux, et nous ne proposons pas d’y faire le moindre changement. Ce
même traité a fait tomber la surtaxe de 2 francs par tonneau, que nous avons
payée sur la houille jusqu’à la ratification de ce traité. La Hollande peut
avoir des droits différentiels pour les importations par mer et par terre, et
nous grever plus que les arrivages d’Angleterre ; mais en nous frappant on
frapperait en même temps la Prusse, pour les arrivages de la Roer, et alors
seulement on nous deviendrait hostile en nous mettant hors du droit commun ;
c’est ce que la Hollande ne fera pas et les Hollandais eux-mêmes réclameraient
si le gouvernement adoptait un pareil système injuste.
N’oublions pas, messieurs, que lors
de la discussion du traité de navigation du 5 novembre, on nous a dit, et
l’exposé du projet de loi en fait foi, que cette convention n’est pas un
obstacle aux modifications qu’il serait reconnu utile d’apporter ultérieurement
à notre législation pour les importations par mer.
Les deux gouvernements ont donc dû
avoir prévu ce cas, d’autant plus que c’est depuis 1840 que nous nous occupons
d’un changement à introduire aux arrivages par mer.
Je n’ai donc aucune inquiétude de
représailles de la part de la Hollande, et comme ce sont les seules craintes de
nos adversaires et surtout des députés de Liége, je vous avoue que je puis
hardiment, sans nuire à leur industrie et à leur navigation, leur demander pour
les importations, le petit sacrifice d’une surtaxe de tout au plus 25 fr. par
tonneau et encore seulement pour quelques marchandises, pour pouvoir favoriser
notre navigation de long cours ; et encore si le Midi veut s’approvisionner à
Anvers, au lieu d’aller à Rotterdam, il y trouvera des marchandises importées
au petit droit, et les denrées coloniales pour les fabriques lui viendront à
des droits moindres que maintenant et si le goût change, de boire du café
Brésil et Saint-Domingue, au lieu de café Java, cette denrée lui sera livrée à
meilleur compte qu’à présent.
Dans le Hainaut, les Flandres, les
goûts ont changé depuis que nous avons un marché de café des Indes
occidentales, et tous les ans, la consommation des cafés des Indes orientales
diminue dans ces provinces, comme, depuis quelques années, les Brésiliens
imitent les Indiens et mettent plus de soin à cueillir et à choisir le café.
J’espère bien que par la suite, par
des arrivages directs, notre marché sera fourni de café Java.
Ne craignant donc pas pour les
exportations de 200,000 tonneaux sur la Meuse, nous demandons tout au plus le
léger sacrifice d’une importation de 10,000 tonneaux ; et ainsi c’est bien loin
de vouloir fermer la Meuse, et quand Liège considère que nous fermons l’Escaut
aux importations de houilles et de fer, que nous payons avec une énorme surtaxe
pour favoriser nos houillères et hauts fourneaux, nous pouvons hardiment dire
que le sacrifice est du côté des habitants du Nord, en faveur de nos frères du
Midi. Cependant, le charbon et le fer nous sont plus nécessaires que le café et
les épices aux consommateurs de Liége et du Hainaut. Nous sommes certains d
conserver notre surcharge sur les houilles et sur le fer, au lieu de les
chercher en Angleterre ; tandis que j’ai la presque certitude de voir Anvers
devenir un marché qui fournirai tous les besoins du pays au plus bas droit du
tarif.
Je regrette donc cette lutte entre le
Midi et le Nord et je ne crois pas que la justice soit du côté de Liége. Si je
faisais à cette partie du pays un grand tort pour avoir pour nos ports de mer
un léger bien, je serais le premier à me joindre aux habitants du Midi ; mais
je crois vous avoir prouvé que ce sera le contraire. Faisons des lois qui
n’exigent pas trop de sacrifices, mais sachons faire réciproquement des
concessions, car sans cela il sera impossible d’être nation.
Je vous l’ai déjà dit, messieurs, mes
intérêts particuliers (et tout le monde pourra vous le dire à Anvers), seront
fortement lésés par le système que je soutiens ; il faut donc que ma conviction
soit bien grande, qu’un nouveau système commercial devient nécessaire au pays,
si vous ne voulez pas voir dépérir vos industries, faire d’Anvers une colonie
étrangère et voir votre chemin de fer seulement exploité par l’étranger.
Depuis bien des années, j’étais
persuadé que ce serait le seul moyen de relever le commerce et l’industrie de
la Belgique, du choc violent que nous avons ressenti de la révolution, et
toujours j’ai été en dissentiment avec mes associés, négociants faisant la
commission ; mais étant député et devant tous mes soins aux intérêts qui me
sont confiés, je ne pouvais plus juger la question de la même manière qu’eux,
et tous les jours je reçois les lettres qui devraient m’ébranler ; mais ma
conviction est trop profonde pour que je puisse changer d’opinion, ou seulement
me taire, et je dois à ma conscience et à mon devoir d’apporter ma part dans
cette grave discussion.
La chambre de commerce de Liége et
nos honorables collègues de cette province ont souvent parlé des contradictions
depuis 1840 de la chambre de commerce d’Anvers. A ce sujet je dois un mot
d’explications.
Avant le traité de paix avec la
Hollande et l’établissement du chemin de fer, Anvers ne pouvait guère importer
plus de marchandises, que pour la consommation de la Belgique. Par les eaux
intérieures et par terre, il nous était impossible de concourir avec la
Hollande et nous ne pouvions pas établir de marché pour l’exportation, et si
nous avions créé avant le temps un système pour favoriser notre navigation et
notre commerce, nous aurions induit le public en erreur, on aurait trouvé un
marche encombré et nos importations auraient dépassé les besoins du pays ; et,
au lieu de faire du bien, nous aurions occasionné à nos négociants un grand mal
et beaucoup de pertes.
Mais depuis la convention du 5
novembre, et l’ouverture du chemin de fer rhénan, nous pouvons lutter avec la
Hollande. Nous avons récupéré un très grand marché, l’Allemagne et la Suisse,
et quoiqu’il soit toujours difficile de former de nouvelles relations, notre
réputation de probité, d’activité et surtout la sympathie des Allemands nous feront
promptement récupérer nos relations commerciales d’avant 1830.
Ce n’est donc que depuis l’année
dernière que nous pouvons attirer des marchandises et offrir Anvers comme un
vaste marché, sans crainte d’encombrements ; ainsi, depuis l’ouverture de nos débouchés,
les opinions ont dû se modifier, tant dans la chambre de commerce que dans le
public, et si on n’est pas tout à fait d’accord sur les détails, la bourse
entière (saut peut-être les maisons qui ne font que la commission étrangère),
comme la marine, sent le besoin de changer de système et d’étendre celui de
1822 et de donner plus de protections à la marine nationale et favoriser les
arrivages des pays de production, et d’offrir aux industriels l’occasion de
vendre leurs produits. Comme nous avons tous les éléments pour travailler à
aussi bon compte que les Anglais et les Français, il faut que nos industriels
rivalisent avec leurs voisins pour faire aussi bien et aussi bon marché qu’eux.
Cela ne dépend que de leur génie et de leur volonté, et je crois toujours que
l’industrie cotonnière n’est pas encore là ou elle devrait être, parce qu’à
deux époques du temps de l’empire et pendant notre réunion avec la Hollande,
ils ont été par trop protégés par des prohibitions et des droits élevés, et
qu’ils gagnaient trop facilement de l’argent et n’ont pas suivi les progrès du
siècle : économie et bon marché.
La matière première leur sera livrée
sans paiement de droit, ce qui n’est pas le cas en Angleterre et en France (en
France le coton paie 22 fr. par 100 kil.), et comme la main-d’œuvre et la vie
sont ici à beaucoup meilleur compte qu’en Angleterre, nous devrons prospérer.
Les négociants donneront l’occasion de pouvoir exporter à bon compte et les
fabricants faisant tous leurs efforts pour pouvoir livrer la marchandise à
aussi bon compte que les Anglais et les Français, nous trouverons des débouchés
et les armateurs achèteront de préférence les produits de votre industrie.
Je voudrais, dans cette question, que
tous les députés ne vissent que le bien-être de la généralité du pays ; être
persuadés que toutes les provinces et toutes les branches de commerce et
d’industrie se donnent la main, et il ne pourrait en résulter qu’un bien-être
général.
Si Anvers ne considérait pas qu’une
marine marchande fait le bien-être de tout le pays, il pourrait peut-être se
contenter de son lot actuel (sauf la malheureuse loi des sucres et la menace de
voir détruire une des branches les plus importantes de son commerce et de son
industrie, le tabac), et je suis persuadé qu’Anvers deviendra un grand marché
de produits coloniaux pour la consommation du pays et de son transit ; mais
Anvers est persuadé que, dans ce cas, nous serons un véritable port étranger et
que le bien-être de son commerce ne rejaillira pas sur le reste du pays. Il croit
donc nécessaire, pour que tout le monde puisse profiler de votre plus belle
artère, qu’il faut changer de système commercial, avoir une marine, la protéger
par des droits différentiels, pour avoir des arrivages directs, et nous sommes
persuadé que si l’industrie fait encore quelques progrès, que nous faciliterons
et augmenterons considérablement les exportations de nos produits industriels
et de notre sol.
La grande objection que nous a faite
l’honorable M. Lesoinne, pour l’exportation de nos industries, c’est que, pour
réaliser avec avantage, il faut, dans les colonies, des personnes de toute
confiance, pour ainsi dire, un soi-même. Je conviens, avec mon honorable ami,
qu’il est toujours dangereux de se confier à des étrangers, qui sont souvent
nos rivaux ; mais un bon système commercial amènera dans les colonies des
établissements belges, qui donneront tous leurs soins aux intérêts de la
mère-pairie. Déjà, à la Havane, nous avons trois maisons anversoises qui
prospèrent, et qui donnent toute garantie à nos exportateurs. On en établira au
Brésil et à Manille lorsque, par des droits protecteurs pour nos retours, nous
pourrons y lutter avec les Anglais et Américains ; aussi, je ne doute pas
qu’avant peu d’années nous y verrons des Belges.
Les capitaux, l’activité, la probité
et l’intelligence ne manquent pas aux Belges ; mais il faut de la stabilité et
de bonnes lois de commerce et de navigation.
L’honorable M. Lys nous a dit qu’avec
notre système les Anglais prendront pour leurs navires le pavillon belge et
continueront de cette manière à faire le même commerce, en nous important leurs
chargements de retour aux droits les plus modérés de notre tarif. Je crois
devoir lui faire observer que, pour obtenir le pavillon belge, il faut que le
navire soit réellement propriété belge et les lois sur cette matière donnent à
ce sujet toute garantie, il ne peut pas y avoir des intéressés étrangers, et on
est obligé de faire toutes les déclarations voulues, sous serment, au tribunal
civil.
On ne peut donc pas en faire une
affaire simulée.
M le ministre de l’intérieur vous a
donné hier les renseignements précis, pour vous prouver que les étrangers
n’exportent presque rien tandis que notre faible marine fait tout ce qu’elle
peut pour votre industrie ; cela doit vous donner la conviction que, quand nous
aurons une véritable marine marchande et des lois protectrices, nous trouverons
moyen de débarrasser nos industriels de leur production ; mais, ayant tous les
éléments de succès, il ne faut pas qu’ils restent stationnaires.
Je ne vous dirai que quelques mots de
nos relations avec Haïti.
Une seule maison, qui y a un
établissement, s’occupe de ce commerce, à 2 navires belges et se borne à
recevoir des retours, pour des marchandises des manufactures anglaises qu’on
lui consigne, et jusqu’à présent elle n’a pas eu besoin de faire des
exportations pour son compte. Mais je sais que cette maison vient de contracter
avec une maison de Gand pour une grande partie de toiles de lin ; il faut donc
croire que nous pouvons maintenant concourir avec l’Angleterre et la Silésie,
et vous voyez, messieurs, que, quand il y a moyen, à égalité de prix, nos
armateurs s’adresseront à vos industriels.
Je conclus donc par dire qu’étant
persuadé que le système du gouvernement, sauf quelques légers changements de
tarif et de libellés du projet de loi, nous amènera un bien-être pour tout le
pays, et, ne partageant pas les craintes de nos collègues de Liége, je donnerai
mon consentement au projet de loi qui nous est soumis.
- La séance est levée à 4 heures.