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d’intention
Chambre
des représentants de Belgique
Séance du vendredi 3 mai 1844
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment transit sur le bétail (Malou)
2)
Projet de loi proposant un impôt sur le tabac (Rogier, de Corswarem, Dumortier, Mercier, Dumortier, Mercier, de Haerne)
3)
Projet de loi accordant la grande naturalisation (Delaroche-Blin)
4)
Motion d’ordre relative à la loi d’organisation de l’armée (de
Man d’Attenrode, Manilius)
5)
Conclusions de la commission d’enquête parlementaire (commission « de
Foere ») et système des droits différentiels. Politique commerciale du
gouvernement (notamment : A : négociations avec les Etats-Unis) (Delfosse, Mercier, A (de Foere, Nothomb, Nothomb, de Foere), Lesoinne, Desmet, Rodenbach, Nothomb)
(Moniteur
belge n°125, du 4 mai 1844)
(Présidence de M.
d’Hoffschmidt, vice-président.)
La séance publique est ouverte à deux
heures.
M.
Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière
séance ; la rédaction en est adoptée.
M.
Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la
chambre :
« Plusieurs éleveurs de bestiaux
dans la commune de Neuve-Eglise demandent que l’arrêté sur le transit du bétail
soit retiré. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
M. Malou. - Je demanderai que la commission des pétitions soit invitée à faire
un prompt rapport sur cette pétition.
- Cette proposition est adoptée.
M. de Corswarem. -
J’ai l’honneur de présenter le rapport de la section centrale qui a été chargée
d’examiner le projet de loi proposant un impôt sur les tabacs.
M. le président. -
La chambre veut-elle fixer aujourd’hui le jour de la discussion ? (Non ! non !)
M. le
ministre des finances (M. Mercier) -
Aussitôt que le rapport sera présenté, je demanderai à la chambre de fixer le
jour de la discussion.
M.
Rogier. - L’impression du rapport durera-telle
longtemps ? Il serait nécessaire de connaître les conclusions dans un bref délai.
M. le rapporteur pourrait nous les faire connaître.
M. de Corswarem. -
Messieurs, le projet qui avait été primitivement présenté par M. le ministre
des finances, a été considérablement modifié par lui, après plusieurs
pourparlers que la section centrale a eus avec lui.
La section centrale n’a pas admis un
droit à la fabrication ni au débit. M. le ministre des finances se rallie aux
propositions de la section centrale, mais maintient cependant le droit au
débit.
La section centrale propose un droit
d’accise dans le genre de celui que paient le sel, les vins, les sucres. Elle
propose de frapper le tabac indigène d’un droit de 26 francs par cent kilog.,
et le tabac étranger d’un droit de 30 francs par cent kilog., indépendamment
des droits de douane existants.
Il y une grande simplification dans
les formalités.
D’après le projet primitif, le tabac
indigène ne pouvait être livré qu’à l’exportation et à la fabrication ; d’après
le projet de la section centrale, il pourra également être livré à la
spéculation ; on pourra l’acheter et le conserver pour le revendre ensuite.
Nous vous proposons un drawback à la
sortie du tabac fabriqué. Il serait de 32 francs par cent kil. de cigares, et
de 30 fr. par cent kil. de tabac autrement fabriqué.
Pour le tabac de la récolte de 1844
et le tabac indigène qui sera trouvé en feuilles par le recensement, la section
centrale propose de ne lui faire payer que la moitié du droit, soit 13 francs.
Pour tous autres tabacs qui seront trouvés par le recensement, elle propose de
faire payer les deux tiers du droit, soit 20 fr. par 1.00 kil.
On jouirait, pour le payement
du droit, de termes de crédit sous caution, qui ne commencera, cependant, que
du jour où le tabac sera livré au fabricant. Tant que le tabac restera en
entrepôt, il ne sera assujetti à aucun droit ; et quand il sortira de
l’entrepôt, le droit sera dû et devra être payé par tiers de 3 en 3 mois.
M.
Rogier. - Je demanderai que l’impression du rapport ait
lieu le plus tôt possible. Il peut exercer de l’influence sur la discussion
actuelle.
M.
Dumortier. - Je demande la parole.
M. de Corswarem. -
D’après les renseignements que j’ai reçus, le rapport pourra être imprimé et
distribué mardi ou mercredi.
M. Dumortier. -
Je voulais proposer à la chambre d’ordonner l’impression au Moniteur de demain au moins du projet de
loi, afin qu’il puisse être connu immédiatement par nous, ainsi que par le
commerce, l’industrie et l’agriculture.
J’ajouterai qu’un projet de cette
importance ne me paraît pas de nature pouvoir traîner longtemps dans les
cartons. Il s’agit d’une mesure de rétroactivité, d’une mesure, par conséquent,
selon moi, éminemment odieuse. En second lieu, il s’agit de frapper les
produits de l’agriculture, mesure que je considère aussi comme odieuse. Il ne
me paraît pas que le pays puisse rester longtemps sous le poids de semblables
possibilités.
Je demanderai donc à la chambre,
aussitôt que le projet sera distribué, qu’elle interrompe la discussion des
conclusions de l’enquête parlementaire pour s’occuper du projet de loi sur les
tabacs. Il faut que l’industrie sache immédiatement à quoi s’en tenir.
Lorsqu’un projet est de nature à jeter de la perturbation dans l’industrie et
du mécontentement dans le pays, moins on le laisse en suspens, mieux on agit
Du reste, je pourrai renouveler ma
motion, lorsque le projet aura été distribué.
M. le
ministre des finances (M. Mercier) -
Je demande que l’impression du rapport et du projet de loi soit hâtée autant
que possible ; mais je demande, en outre, que le projet ne soit point publié
sans le rapport ; il faut connaître ce dernier pour l’appréciation convenable
du projet.
Nous connaissons quelles sont les
bases du projet ; cela doit suffire pour le moment. J’espère que, dans très peu
de jours, et en faisant les démarches nécessaires, le rapport pourra être
imprimé et distribué.
Je m’abstiendrai de répondre aux
qualifications que l’honorable M. Dumortier a données au projet. Il me semble
que lorsqu’une loi n’est pas en discussion, on devrait s’abstenir de prononcer
un jugement prématuré. Si je me plaçais sur le même terrain que l’honorable
préopinant, je devrais prouver que cette loi n’est rien moins qu’odieuse ; et
il me serait facile de prouver qu’il n’en est pas qui doive être plus populaire
en fait de lois d’impôts. Il n’y a pas un seul consommateur qui ait élevé la
moindre plainte. S’il y a divergence sur quelques formalités, il n’y en a pour
ainsi dire pas dans le public sur le principe de l’impôt.
Quant à l’exécution, l’honorable
rapporteur a déjà annoncé à la chambre que les mesures qui avaient été
considérées comme trop gênantes par les sections, ont été écartées du projet.
Je suis aussi désireux que
l’honorable député de Tournay que cette loi puisse être discutée le plus
promptement possible. Je désirerais qu’on pût fixer dès aujourd’hui le jour de
cette discussion. Si tout à l’heure je n’ai pas proposé de le fixer, c’est que
je n’ai pas voulu qu’il y eût surprise, que j’ai cru que chacun devait avoir
pris connaissance du rapport et du projet, avant de décider la mise à l’ordre
du jour. Mais je désire vivement que cette discussion ait lieu sous le plus
bref délai ; il est temps de mettre un terme aux exagérations ; il est temps
que la vérité se fasse jour.
M. Dumortier
(pour un fait personnel). - Messieurs, je n’admets pas la critique que M. le
ministre des finances a bien voulu faire de mes paroles. Nous sommes ici pour émettre notre opinion sur les projets présentés,
de quelque part qu’ils viennent. La lecture des projets ordonnée par le
règlement, la présentation des rapports aussi ordonnée par le règlement, ne
sont pas de vaines formalités. C’est un appel fait à chacun de nous d’éclairer
nos collègues sur les propositions qui sont faites. Je dis donc que j’étais
fondé à qualifier dans ma manière de voir le projet sur les tabacs, et je n’ai
de reproche à accepter ni de M. le ministre des finances ni de tout autre.
Mais puisque M. le ministre des
finances m’amène sur le terrain des reproches, je lui dirai qu’il ne pourra
jamais nous prouver que des mesures de réaction, que la recherche à
l’intérieur, ne sont pas intolérables ; et, quant à moi, je ne pourrai jamais
donner mon assentiment à de pareilles mesures.
M. le
ministre des finances (M. Mercier) -
Mes observations ne tendaient qu’à épargner le temps de la chambre. Il est
évident que si, à l’occasion d’une mise à l’ordre du jour, on veut discuter le
projet, on fait perdre un temps précieux sans résultat possible.
M. de Haerne. - Messieurs, je m’abstiendrai de qualifier la loi ; mais je vous rappellerai
qu’avant les vacances, j’ai appelé plusieurs fois l’attention de la chambre sur
cet objet important. Je vous ai dit alors que je craignais la rétroactivité
pour la culture ; que même la probabilité de cette rétroactivité serait une
entrave pour la culture. Depuis lors, messieurs, j’ai eu l’occasion de me
confirmer dans mon opinion, et je puis assurer que beaucoup de cultivateurs
sont décidés à ne pas planter. Je demande donc que la chambre s’occupe du
projet le plus tôt possible ; car le moment de faire les plantations est
arrivé.
- La chambre décide qu’elle fixera le
jour de la discussion après la distribution du rapport.
DEMANDES EN NATURALISATION
M.
Henot. - J’ai l’honneur de déposer divers rapports sur
des demandes en naturalisation.
PROJET DE LOI ACCORDANT LA GRANDE NATURALISATION A M.
DELAROCHE-BLIN
M.
Lejeune. - J’ai l’honneur de présenter le projet de loi
par lequel la commission des naturalisations vous propose, par 3 voix contre 2,
d’accorder la grande naturalisation de M. Delaroche-Blin, et en second lieu
divers rapports sur des demandes en naturalisation.
- L’impression et la distribution de
ces pièces est ordonnée. La chambre fixera ultérieurement le jour où elle s’occupera
de ces objets.
(Moniteur
belge n°126, du 5 mai 1844) - M. de Man d’Attenrode
(pour une motion d’ordre) - Messieurs, le gouvernement a présenté au
commencement de la session un projet d’organisation de l’armée, qui a été
défini avec assez de justesse par le dénombrement de l’armée.
La chambre jugeant que la discussion
de cette loi serait peut être de nature à modifier le budget de la guerre, a
renvoyé la discussion du budget de la guerre après l’examen du projet de
l’organisation de l’armée.
Qu’est-il résulté de cette décision ?
C’est qu’à l’heure qu’il est, au mois de mai, nous n’avons pas encore de budget
de la guerre et nous n’avons pas même le rapport sur le projet d’organisation
de l’armée.
Au train dont vont les choses, les
dépenses du département de la guerre finiront par se régler encore, en 1844,
par un crédit global ; et la chambre conviendra que ce mode n’est rien moins
que régulier ; je demanderai donc à un membre de la section centrale, quand
elle sera à même de déposer le rapport sur l’organisation de l’armée.
(Moniteur
belge n°125, du 4 mai 1844) M. Manilius. - Messieurs, depuis la
malheureuse maladie de M. le ministre de la guerre, la section centrale a été
arrêtée dans ses travaux ; plus tard ses membres ont dû s’occuper de l’examen
du projet de loi sur les tabacs. En ce moment, M. le président est indisposé ;
aussitôt qu’il reviendra, nous reprendrons l’examen du projet relatif à
l’organisation de l’armée.
CONCLUSIONS DE LA COMMISSION D’ENQUETE PARLEMENTAIRE
(COMMISSION « DE FOERE ») ET SYSTÈME DES DROITS DIFFERENTIELS
Discussion générale
M.
Delfosse. - Messieurs, dans une précédente séance, M. le
ministre de l’intérieur avait promis de déposer sur le bureau de la chambre le
tableau des exportations et des importations faites par
M. le
ministre des finances (M. Mercier) -
Les renseignements que l’honorable membre demande peuvent, dés à présent, être
déposés sur le bureau. Cependant, pour les coordonner de manière à ce qu’ils
soient plus facilement compris, j’en ferai faire pour demain un tableau général
comprenant les importations et exportations des principaux articles qui ont eu
lieu du côté de
M. Delfosse. - Ce qu’il y a de plus
important, ce sont les exportations et les importations entre la Belgique et la
Hollande, mais il serait aussi à désirer que nous puissions connaître le
chiffre des importations et exportations entre la Belgique et la France. Je
demanderai que ces tableaux, lorsque M. le ministre aura pu se les procurer,
soient insérés au Moniteur, afin que
tous les membres de la chambre puissent eu prendre connaissance.
M. le
ministre des finances (M. Mercier) -
Ces tableaux seront déposés dans la séance de demain et publiés dans le Moniteur d’après- demain.
(Moniteur
belge n°128, du 7 mai 1844) M. de Foere. - M. le ministre de
l’intérieur, en me répondant dans le comité secret, a pris une position très
commode. J’avais prévenu l’assemblée que je ne serais entré que dans la
question internationale en exposant notre situation envers
Placé sur ce terrain sur lequel le
débat n’avait point été établi, M. le ministre de l’intérieur commet de graves
erreurs relativement à la législation des Etats-Unis, sur leurs entrepôts. Je
vais, messieurs, vous le démontrer.
Il existe aux Etats-Unis une loi,
encore aujourd’hui en vigueur, d’après laquelle le président peut traiter de
réciprocité sur l’une et sur l’autre base. Il lui est resté complètement
facultatif de conclure des traités sur l’importation réciproque des produits du
sol et de l’industrie, ou d’y ajouter l’autre base, celle des marchandises
étrangères. Telles sont les dispositions de la loi américaine du 3 mars 1815.
M. le ministre de l’intérieur assure
que les Etats-Unis ne veulent traiter que sur la triple base, celle des
produits industriels, des produits du sol et des marchandises étrangères.
La loi de 1815 détruit l’assertion du
ministre. En outre, les faits prouvent que les Etats-Unis traitent de
réciprocité sur les deux premières bases, c’est-à-dire les produits du sol et
de l’industrie. Ils ont conclu ainsi des traités avec l’Angleterre, la France,
le Mexique, le Hanovre et le Portugal. Le gouvernement américain a traité sur
les trois bases avec le Danemark,
Ce sont là des preuves de fait qu’il
est complètement facultatif au gouvernement américain, de traiter, soit sur les
deux premières, soit sur les trois bases à la fois.
Maintenant, messieurs, j’irai plus
loin, et je prouverai, en opposition directe avec l’assertion du ministre, que
les Etats-Unis ne veulent même plus traiter que sur les deux premières bases.
La commission de commerce et de navigation des Etats-Unis avait été chargée de
présenter au parlement américain, un rapport sur plusieurs pétitions relatives
au commerce et à la navigation. Ce document parlementaire a été déposé sur le
bureau, le 28 mai 1842. Veuillez, messieurs, remarquer la date, qui est récente.
La principale question qui occupe les trois quarts du rapport avait pour objet
l’opportunité d’apporter des restrictions à la navigation étrangère, exercée
dans les ports des Etats-Unis, par suite même des traités de réciprocité,
conclus sur les trois hases. Après avoir prouvé, par une suite de
raisonnements, basés sur des faits extrêmement concluants, que les traités de
réciprocité (je prie M. le ministre de l’intérieur de le remarquer), fondés sur
la triple base du sol, de l’industrie et des entrepôts, étaient contraire au
commerce et à la navigation des Etats-Unis, la commission a conclu à une
résolution contenant cette double disposition : 1° Le président est
chargé d’informer les Etats, dont les traités conclus sur la triple base,
étaient expirés et qui devaient cesser d’être en vigueur après un an
d’avertissement préalable, que les Etats-Unis renonçaient à leurs traités, et
qu’ils cesseraient d’être en vigueur après l’expiration d’une année.
Les Etats qui se trouvaient dans ce
cas étaient le Danemark,
1830 : 9,000
1831 : 11,000
1832 : 22,000
1833 : 29,000
1834 : 25,000
1835 : 28,000
1836 : 39,000
1837 : 70,000
1838 : 37,000
1839 : 41,000
1840 : 41,000
1841 : 41,000
L’augmentation du tonnage des
autres Etats a été aussi constamment progressive. C’est la raison principale
pour laquelle le gouvernement des Etats-Unis ne veut plus traiter sur la triple
base. M. le ministre de l’intérieur soutient, au contraire, et il ne cesse de
le répéter, que les Etats-Unis ne veulent traiter que sur la triple base.
Je vous l’ai dit, messieurs, M. le
ministre de l’intérieur avait pris ses aises ; il s’était choisi une position
extrêmement commode, en s’écartant de la question internationale ou politique,
pour se porter sur les entrepôts transatlantiques dont je n’avais pas parlé, et
que j’avais distraits de l’autre question.
Je demanderai maintenant à M. le
ministre de l’intérieur lui-même s’il n’est pas complètement dans l’erreur.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Du tout. Je demande la parole.
M.
de Foere. - Si M. le ministre veut en avoir la
conviction, je soumettrai à son examen le rapport des Etats-Unis ; il est
extrêmement concluant.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Si vous le désirez, je vous répondrai immédiatement.
M.
de Foere. - Je ne demande pas mieux que M. le ministre
s’explique ; c’est le moyen de ne pas égarer la discussion sur ce point
important.
M. le ministre de l’intérieur
s’écarte de nouveau complètement de la question que j’ai traitée. Il croit que
j’ai confondu deux choses distinctes ; d’un côte, le droit du gouvernement de négocier
des traités de réciprocité et de les soumettre à la sanction de la chambre,
conformément à l’art. 68 de la constitution ; de l’autre, le droit du
gouvernement de traiter avec les Etats-Unis pour la suppression réciproque des
droits différentiels ou des surtaxes qui existent de part et d’autre, droit que
M. le ministre demande, et qu’il prétend d’ailleurs être inscrit dans la
législation actuelle. Or, je n’ai touché ni à l’une ni à l’autre de ces
questions. M. le ministre de l’intérieur a plusieurs fois soutenu que les
Etats-Unis ne veulent plus négocier des traités en dehors de la triple base ;
il a répété plusieurs fois que les Etats-Unis ne veulent conclure des traités
que sur les bases de l’importation réciproque des produits du sol, de l’industrie
et des marchandises étrangères aux deux pays. J’ai soutenu que cette assertion
était évidemment erronée, et je crois l’avoir démontré. La chambre a dû
comprendre que c’était la seule question qui fût en discussion.
Personne ne conteste d’ailleurs au
gouvernement le premier droit. Quant à l’autre, je ne pense pas qu’il en soit
investi en vertu de la loi de 1819 ou de 1822. Je crois que, s’il en usait pour
une convention commerciale, il agirait contrairement à l’art. 68 de
Si M. le ministre de l’intérieur
voulait traiter sur la triple base avec les Etats-Unis, il serait complètement
en contradiction avec une assertion qu’il a émise dans une autre séance.
Il n’a pas voulu traiter avec
Or, la navigation générale de
l’Amérique a une puissance extraordinaire ; sa capacité monte au-delà de 2
millions de tonneaux contre 130 navires belges, et l’honorable ministre
voudrait traiter de réciprocité avec les Etats-Unis, même sur la triple base !
C’est une contradiction flagrante.
Je ne me suis jamais opposé à un
traité de réciprocité avec les Etats-Unis, aux conditions auxquelles la France
et l’Angleterre ont traité avec cette nation, c’est-à-dire, en admettant la
réciprocité d’importation des produits du sol et de l’industrie des deux pays.
Un traité semblable n’empêche pas les navires américains de prendre chez nous,
avec nos produits, les marchandises étrangères entreposées dans nos ports. Les
navires belges chargeront, de leur côté, dans les ports des Etats-Unis, les
produits de leur sol et de leur industrie, avec les marchandises qui ne sont
pas originaires de ce pays. C’est ce qui se pratique en France et en Angleterre
relativement aux Etats-Unis, et il serait dangereux de vouloir être plus sage
que ces deux nations.
Il se présente une autre question sur
cet objet. Je ne comprends pas la distinction que fait M. le ministre de
l’intérieur, sous certain rapport, entre la base qu’il admet, § 3 de l’art. 2
de son projet d’amendement, pour les traités de réciprocité, et entre la 2ème
catégorie qu’il propose aussi comme amendement au projet de la commission
d’enquête. Par cette catégorie, il veut favoriser les entrepôts des Etats-Unis
par un droit moindre ; et lorsqu’il veut traiter avec les Etats-Unis, alors il
demande à traiter sur les deux bases, qui sont celles sur lesquelles la France,
l’Angleterre, le Portugal, le Hanovre et le Mexique ont traité.
Je
demande maintenant si M. le ministre de l’intérieur est bien conséquent avec
lui-même, lorsqu’il nous propose d’un côté un amendement qui tend à favoriser
les marchandises étrangères aux Etats-Unis, et lorsque, de l’autre, tout en
soutenant que les Etats-Unis ne veulent traiter que sur les trois bases, il
veut traiter avec eux de réciprocité sur les deux premières bases en excluant
la troisième. C’est bien là le sens du § 3 de l’art. 2 de son projet
d’amendement.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Non ! non !
M.
de Foere. - Je soutiens que c’est là le vrai sens de ce §
3. Sur l’interpellation de l’honorable M. Fleussu, M. le ministre de
l’intérieur a très bien interprété lui-même son § 3 dans ce sens. C’est ainsi
qu’il a expliqué, avec beaucoup de justesse, le terme originaires. C’est, en effet, ainsi, que dans le langage classique
des traites de réciprocité, on entend toujours le terme originaires.
On entend exclusivement par les mots produits originaires, les produits du
sol et de l’industrie d’un pays.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Vous êtes complètement dans l’erreur ; si vous me le permettez, je donnerai une
explication.
M.
de Foere. - Bien volontiers.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Je profite avec empressement de la permission que veut bien me donner l’honorable
orateur.
Nous ne venons pas demander pour la
couronne le droit de négocier ; nous n’avons pas besoin de demander ce droit ;
il est écrit dans la constitution (art. 68) :
« Le Roi fait les traités de
paix, d’alliance et de commerce. Les traités de commerce n’ont d’effet qu’après
avoir reçu l’assentiment des chambres. »
Nous ne venons donc pas demander une
faculté reconnue par la constitution, nous ne réclamons pas l’autorisation de
traiter ; nous disons qu’une demande de ce genre est surabondante ; nous n’avons
pas besoin de faire inscrire dans une loi quelconque une autorisation comme
celle que porte le projet de la commission d’enquête. Là n’est pas la question.
L’honorable orateur confond toujours
deux choses, et cette confusion donne lieu à la discussion qui s’est établie
entre lui et moi ; il confond ce qu’un gouvernement peut faire par traité, et
ce qu’il peut faire par proclamation, c’est-à-dire par un acte du pouvoir
exécutif, acte qui, étant rendu, devient immédiatement obligatoire.
Il existe aux Etats-Unis d’Amérique
un décret du 3 mars 1815, décret qui permet au président de supprimer toutes
les surtaxes de douane et de navigation sur les produits du sol et de
l’industrie en faveur des navires de tous pays qui ne perçoivent aucun droit
différentiel de ce genre.
Nous vous demandons, pour le
gouvernement belge, les pouvoirs qui sont accordés au président des Etats-Unis
d’Amérique, dans les indiqués par le décret américain du 3 mars 1815 ; en
d’autres termes, nous vous demandons de pouvoir supprimer les surtaxes de
douane, c’est-à-dire les droits différentiels pour les produits du sol et de
l’industrie d’Amérique, du moment que le président des Etats-Unis d’Amérique,
usant des pouvoirs que lui donne le décret du 3 mars 1815, nous déclare, de son
côté, qu’il supprime également les surtaxes de douane, c’est-à-dire les droits
différentiels sur les importations des produits de notre sol et de notre
industrie.
Voilà tout ce que nous vous demandons
; nous laissons absolument intactes et la question des entrepôts et celle du
droit constitutionnel de négocier reconnu à la couronne ; nous n’avons pas à
nous occuper de ces deux questions. Nous disons qu’il est prudent de donner au
Roi les mêmes pouvoirs qu’on a donnés au président des Etats-Unis d’Amérique ;
nous disons que cette disposition n’est pas inconstitutionnelle ; nous disons
enfin qu’elle est nécessaire. C’est le seul moyen qui existe pour maintenir
entre les Etats-Unis d’Amérique et nous le statu quo. (Interruption.)
Aujourd’hui, les produits du sol et de
l’industrie des Etats-Unis d’Amérique sont reçus en Belgique sans droits
différentiels. (Réclamation.) Il n’y
a d’autres droits différentiels que les 10 p.c. qui sont accordés à notre
pavillon ; mais il n’y a pas de surtaxe de droits de navigation. De plus, nous
remboursons aux Etats-Unis le péage de l’Escaut, et en compensation de ce
remboursement, ils ont bien voulu ne pas avoir égard aux 10 p. c. De plus, ils
ont considéré que leur marine étant beaucoup plus importante que la nôtre, ils
devaient aussi ne pas traiter d’une manière aussi rigoureuse notre petite
marine marchande.
Voilà donc quelle est notre position
par rapport aux Etats-Unis d’Amérique ; il y a réciprocité, quant à
l’importation des produits du sol et de l’industrie ; il y a réciprocité en
notre faveur, en ce sens que nous ne sommes pas frappés aux Etats-Unis d’une
surtaxe de droits de douane et de navigation. Nous demandons le statu quo, le
maintien de cet état de choses, et, pour le maintenir, nous demandons que le
gouvernement soit autorisé à supprimer les droits différentiels, quant aux
produits du sol et de l’industrie des Etats-Unis d’Amérique, quand ces produits
sont importés par pavillon américain, et ce, à la condition que les Etats-Unis
d’Amérique maintiendront l’état de choses actuel ; cela ne peut pas être
entendu autrement ; l’article est rédigé de la manière la plus claire.
Reste maintenant la question
des entrepôts ; nous ne nous en occupons pas. Le droit constitutionnel de la
couronne reste entier et doit rester entier ; il n’est pas en votre pouvoir de
le restreindre. Est-ce que le rapporteur de la commission d’enquête croirait
pouvoir limiter le droit constitutionnel qu’a la couronne de négocier ? Mais le
gouvernement pourra négocier à ses risques et périls.
Ainsi, ne confondons pas deux choses
tout à fait distinctes : le droit accordé au gouvernement de faire, par simple
proclamations, qui devient obligatoire, et le droit, je ne dirai pas de faire,
mais de tenter de faire par un traité de commerce qui a encore besoin de l’assentiment
des chambres. Voilà deux choses que l’honorable M. de Foere a toujours
confondues, et c’est par suite de cette confusion que cette discussion se
perpétue.
M.
de Foere. - Un traité a été négocié avec les Etats-Unis,
qui n’a point été soumis à la sanction de la chambre ni à la ratification du
gouvernement du roi. Ce traité a été négocié sur la triple base et avant
Quant à leur susceptibilité, il n’est
pas rationnel de supposer qu’une nation aussi fière de ses institutions
républicaines, ne voulût pas respecter les droits de la nation belge,
représentée par ses chambres législatives, et n’eût aucun égard à sa
constitution. Le traité n’a pas même été soumis à la sanction de la législature
; il était évidemment contraire aux intérêts du pays. Les Etats-Unis eux-mêmes
ont jugé depuis que de semblables traités sont contraires à leurs propres
intérêts.
Un traité sur la triple base serait
contraire an système que vous invoquez vous-même. Les Etats-Unis font des
retours de tous les pays ; quand ils ont satisfait aux besoins de leurs
échanges commerciaux et de leur navigation, et qu’il en est résulté un trop
plein sur leurs marchés, ils viennent jeter les marchandises coloniales qui ne
sont pas les produits de leur pays, dans les ports belges. Ce sont des
marchandises contre lesquelles ils ont déjà échangé leurs propres produits.
Notre statistique atteste que chaque
année de semblables marchandises coloniales, importées des Etats Unis, montent
au chiffre de deux millions de valeur. C’est autant restreindre les échanges
que vous pouvez faire vous-mêmes dans les pays lointains ; c’est, dans la même
proportion, détruire le but du système que vous acceptez et que vous proposez ;
c’est ce que l’Angleterre et la France ne veulent pas ; c’est ce qu’aucun pays
maritime et industriel à la fois ne peut vouloir. C’est autre chose pour les
villes anséatiques,
Le but du système maritime que la
commission d’enquête propose est dans les relations directes, établies pour opérer
des échanges commerciaux, soit par navires belges, soit par navires étrangers.
Le gouvernement accepte le système entendu dans ce sens. Ce ne sont pas des
relations directes, prises dans un sens purement nominal, que nous entendons.
M. le ministre soutient que je me
suis particulièrement préoccupé des intérêts de la marine du pays. Si telle
avait été ma préoccupation, je ne me serais pas associé au système que propose
la commission d’enquête. J’aurais mis en avant le système anglais. L’Angleterre
ne veut recevoir dans ses ports les produits de l’Asie, de l’Afrique et de
l’Amérique, que par ses propres navires et par les navires appartenant aux pays
de production. C’est là le système que j’aurais préconisé, si je m’étais
particulièrement préoccupé de la marine du pays. Ce système maritime aurait
rempli ce but.
Lorsque l’Angleterre l’a établi, sa
marine était insignifiante comparativement à la nôtre, Vous avez devant vos
yeux les résultats immenses qu’il a produits en industrie, en commerce et en
navigation considérée comme instrument de commerce et d’industrie. De l’aveu de
l’Angleterre, mille fois répété, c’est à ce système qu’elle doit exclusivement
ces beaux résultats auxquels la France tend par des moyens semblables. Nous ne
présentons pas ce système ; nous permettons aux navires étrangers de venir de
tous les pays du monde, soit qu’ils appartiennent, ou non, à ces pays, nous
apporter leurs produits avec cette seule différence qu’ils payeront un droit de
douane plus élevé que les navires belges, venant des mêmes pays, et vous nous
accusez de présenter un système qui est exclusivement protecteur de la marine
nationale.
J’avais dit que, si
Ces relations directes resteraient
stériles. C’est ce que M. le ministre n’a pas compris. Il a voulu attirer les
navires étrangers ; il a pensé que ces navires exporteraient nos produits dans
les pays lointains. Or, aucun navire hollandais, après déchargement, ne
resterait une heure dans le port d’Anvers ; il retournerait dans les ports
d’Amsterdam ou de Rotterdam pour prendre les chargements que
Quant à la catégorie des ports situés
au-delà du détroit de Gibraltar et au-delà du Sund, cette disposition,
présentée comme amendement, par le gouvernement, est aussi directement
contraire au but du système qu’il admet : il serait permis aux navires de la
France d’importer chez nous de ses ports situés sur
La disposition, exécutée par nos
propres navires, ne favoriserait pas davantage nos exportations. Le tarif de la
France exclut nos produits dans le port de Marseille aussi bien que dans les autres
ports français. Déjà j’ai fait remarquer que les tarifs jouent un grand rôle
dans la question maritime. Il faut diriger vos navires de préférence vers les
pays dont les tarifs ne vous excluent pas et où vous pouvez exercer un commerce
d’échanges. En considérant la question sous ce rapport, vous voyez que votre
double catégorie pour les ports situés au-delà de Gibraltar et du Sund serait
directement contraire au but qui est toujours l’échange commercial entre nos
produits et les produits des autres pays.
Nous entretenons un commerce maritime
dans l’Orient et dans le Levant qui se développe de plus en plus ; est-il bien
de notre intérêt d’aller prendre à Marseille des produits de l’Orient et du
Levant ? N’est-il pas de votre intérêt, lorsque vous exportez dans ces contrées
d’y prendre des marchandises de retour plutôt qu’à Marseille où le tarif
repousse vos produits ?
Dans cette situation,
convient-il l’intérêt du pays à établir cette catégorie qui est injurieuse à
quelques ports d’Espagne et qui doit indisposer contre nous son gouvernement ?
Je comprends que si M. le ministre a
pu recevoir des inspirations d’une maison de commerce ayant des relations avec
le port de Marseille, mais ces relations indirectes d’entrepôt sont évidemment
contraires aux intérêts généraux du pays.
Je me bornerais ces considérations
concernant l’entrepôt des Etats-Unis et des ports situés au-delà de Gibraltar
et du Sund.
Nous traiterons séparément la
question des chiffres relative à l’importation directe par navires nationaux et
par navires étrangers.
(Moniteur
belge n°125, du 4 mai 1844) M.
Lesoinne. - Lorsqu’il s’agit d’une mesure
aussi importante que celle de modifier d’une manière complète le système
commercial d’un pays, on doit procéder avec la plus grande circonspection. Il
faut d’abord se rendre bien compte de la situation commerciale et industrielle
de ce pays, voir s’il se trouve, sous ce rapport, dans une position plus
défavorable que les nations qui l’avoisinent. Si le commerce et l’industrie
sont en souffrance, il faut rechercher attentivement quelles sont les causes
qui ont amené cet état de souffrance, afin de n’y appliquer que des remèdes qui
puissent leur venir en aide d’une manière efficace, et on doit bien se garder
de se tromper dans le choix de ces remèdes ; car l’erreur pourrait avoir ici
les suites les plus fatales. Il faut aussi, autant que possible, ménager tous
les intérêts, avant d’adopter un système nouveau, en bien peser les
conséquences, voir si, par les moyens que nous voulons employer dans le but de
nous créer des relations nouvelles, nous ne compromettrons point des relations
déjà existantes ; eu un mot, il ne faut pas sacrifier le certain pour
l’incertain ; enfin, si nous voulons adopter un système déjà en vigueur chez d’autres
nations, bien examiner si nous nous trouvons dans une position telle qu’il
puisse nous être également favorable.
La commission a extrait de l’enquête
que le commerce extérieur dans son rapport avec l’industrie du pays, était en
souffrance.
On ne peut contester, pour certaines
industries surtout, la vérité de cette proposition ; mais à quelles causes
faut-il attribuer cet état de choses ? Après les événements de 1830,
Il est encore vrai que plusieurs
Etats de l’Europe repoussent par des droits prohibitifs une quantité de nos
produits. Adopteront-ils, sans provocation de notre part, un système plus
restrictif encore à notre égard ? J’ose espérer qu’ils ne le feront pas. Je
pense que les populations commerçantes des différents pays de l’Europe
s’apercevront enfin combien les entraves qu’on apporte au libre-échange des
produits sont nuisibles à leurs véritables intérêts, en ce qu’elles tendent à
l’anéantissement du commerce légal au profit de la contrebande.
On a beaucoup parlé de l’Angleterre,
et on a attribué au système prohibitif suivi par elle les immenses progrès
qu’elle a fats en industrie. On pourrait peut-être avec plus de raison les
attribuer à d’autres causes.
Entourée par l’océan, possédant la
première marine du monde et les ports les plus magnifiques, avec des colonies
dont la population s’élève peut-être à 150 millions d’habitants, avec ses
richesses minérales et métallurgiques, l’Angleterre fut la première qui, par
ses découvertes en mécaniques, trouva le moyen de centupler et au-delà sa
production ; jouissant d’une constitution libérale, comme nous l’a dit M. le
ministre de l’intérieur en nous rappelant un discours de M. Pitt. Pendant que
sur le continent l’industrie restait stationnaire et que les jurandes et les
maîtrises s’opposaient à son développement, on conçoit que l’Angleterre
approvisionnât des pays qui ne pensaient pas devoir s’occuper de la fabrication
d’objets de consommation qu’on venait leur offrir à bon compte, et qui
trouvaient dans leur propres ressources les moyens de se les procurer. Dans ces
circonstances l’Angleterre put concevoir la pensée de se réserver
l’approvisionnement exclusif du globe ; mais l’ambition industrielle, comme
toutes les autres ambitions, aveugle le plus souvent les nations, même les plus
prévoyantes. Pendant les guerres de l’empire l’impossibilité dans laquelle se
trouva une grande partie du continent, de se procurer les objets qu’elle était
dans l’habitude de retirer des pays étrangers, fut cause que l’on dut chercher
à tous prix les moyens de remplacer ces mêmes objets. De là, tendance des
esprits vers d’autres industries que celles qui existaient déjà dans le pays.
Après la paix, les diverses nations
du continent, dans le but de conserver ces industries, adoptèrent un système
plus ou moins protecteur ; et il est à remarquer que ce ne sont pas les
Pays-Bas qui adoptèrent le système le plus prohibitif où l’industrie prit les plus
grands développements. Alors l’Angleterre, toujours dans le but de se conserver
l’approvisionnement du continent, mit en œuvre tous les moyens possibles pour y
parvenir, jusqu’aux plus absurdes ; elle prohiba la sortie des machines,
défendit à ses ouvriers de passer sur le continent. Etranges mesures, qui ne
pouvaient manquer d’avoir un résultat diamétralement opposé à celui que le
gouvernement anglais d’alors en attendait. En effet, les ingénieurs et
mécaniciens anglais, ne pouvant exporter leurs produits, durent naturellement
chercher à s’établir dans les Pays-Bas, qui, tout en leur offrant une existence
assurée, leur permettaient d’exercer librement leur industrie, et la
concurrence contre les produits anglais s’en accrut d’une manière considérable.
Les yeux, alors, commencèrent à s’ouvrir, et l’on reconnut la vérité de cet
axiome des économistes politiques, qu’un pays ne peut payer les produits d’un
autre pays qu’avec ses propres produits.
Dès lors on put prévoir les
conséquences du système prohibitif et l’Angleterre, malgré ses immenses
débouchés, ses moyens de transports économiques et mille autres avantages en
fut la première victime. C’est alors qu’elle crut devoir se relâcher de son
système et apporter des modifications à son tarif. Je conviens que les
réductions opérées jusqu’à ce jour, ne postent pas sur des objets qui puissent
faire grande concurrence à son commerce intérieur, et il est naturel de croire
qu’elle ne touchera à ceux-ci qu’en dernier lieu. Cependant ces réductions de
tarif qui se sont succédé, prouvent que les idées se sont modifiées à l’égard
du système suivi jusqu’à ce jour ; une ligue puissante s’est formée pour
renverser les lois sur les céréales, et les idées de liberté commerciale se
répandent de plus en plus parmi les classes laborieuses de l’Angleterre.
On conçoit, en effet, que lorsque
tous les pays veulent se suffire à eux-mêmes et fabriquer à tout prix sous la
protection de droits prohibitifs les objets dont ils ont besoin, les
transactions commerciales doivent pour ainsi dire cesser entre eux ; et avec
les puissants moyens de production dont on dispose aujourd’hui, lorsque les
transactions commerciales s’arrêtent, l’immense population ouvrière qui peuple
nos villes de fabrique, tombe dans la plus affreuse misère. Car voilà où a
conduit le système prohibitif dans tous les pays où il est en vigueur ; cela
est prouvé par les enquêtes que les gouvernements de ces pays ont fait faire,
et le résultat a été que le paupérisme faisait des progrès tellement
effrayants, que si l’on n’y apportait remède, l’existence de la société se
trouverait compromise. Un publiciste français a dit la misère est l’énigme du
siècle ; devinez l’énigme, ou le sphinx vous dévorera.
J’ai cru devoir entrer dans ces
détails parce que je pense qu’il a été dans l’esprit de tous les membres de
cette chambre, lorsque l’on a ordonné l’enquête commerciale, de venir en aide à
l’industrie et de soulager en même temps la misère des classes laborieuses, et
j’ai voulu faire voir que le régime protecteur était inefficace pour atteindre
ce but, et que la France, et surtout l’Angleterre, étaient, sous ce rapport,
dans une situation aussi malheureuse au moins que la nôtre.
Examinons maintenant si nous nous
trouvons dans une situation telle que les droits différentiels puissent exercer
une influence favorable sur notre commerce et notre industrie.
Les droits différentiels, selon le
rapport de la commission d’enquête doivent avoir pour résultat de favoriser
l’exportation des produits du pays, on ne dit pas quels produits sont susceptibles
d’être exportés ; seulement, on prévient qu’ils doivent pouvoir lutter en prix
et en qualité avec les produits similaires de l’industrie étrangère. Comme,
malgré cette condition, plusieurs industriels, confiant dans le travail de la
commission, auraient pu concevoir l’espoir de trouver, vers les marchés
transatlantiques, un écoulement facile pour leurs produits, je crois qu’il sera
utile de faire connaître l’état de ces marchés et la manière dont les affaires
se traitent généralement ; je dirai là-dessus ce que j’ai appris par ma propre
expérience.
D’après la manière dont s’exprime le
rapport de la commission d’enquête, on serait porté à croire que les navires
dont les retours seront favorisés par les droits différentiels, partiront avec
une cargaison de produits belges, el que nos armateurs, cause de la faveur qui
leur sera accordée sur leurs retours, se chargeront bien volontiers du
placement des produits de l’industrie belge à leurs risques et périls.
Messieurs, à moins d’être bien certain du placement de ces produits, je doute
que nos armateurs consentent à faire cette opération, je pense, comme mon
honorable ami M. David, qu’ils préféreront se contenter du bénéfice que la loi
leur accordera sur leurs retours, que de risquer de compromettre le succès de
leur opération en se chargeant d’une cargaison dont ils ne seraient pas
certains de se défaire avec bénéfice.
On se fait en général une idée assez
fausse sur la manière dont se traitent les affaires sur les marchés
d’outre-mer. On serait tenté de croire que lorsque des produits réunissent les
conditions de qualité et de prix exigés par la commission d’enquête, on n’a
qu’à les envoyer sur ces marchés et qu’ils y seront immédiatement vendus avec
bénéfice. Il n’en est rien, messieurs, une expédition de marchandises, dans des
conditions plus favorables encore, faite à l’aventure, ne présenterait qu’une
perte presque certaine. Les industriels de tous les pays manufacturiers
d’Europe qui sont en relations suivies avec les pays d’outre-mer, ont tous, sur
ces différents marchés, soit une maison, soit un parent, soit un homme, en un
mot, jouissant de toute leur confiance, qui ne travaille que pour eux seuls,
qui leur transmet les commandes et soigne les retours ; et sans cela il
est impossible d’y faire des affaires, car là tous les industriels, non
seulement de pays différents, mais du même pays, s’y font une concurrence
acharnée, et les transactions présentent souvent peu de sécurité. Et puis,
messieurs, ces marchés vous présentent-ils une si grande garantie de stabilité,
que vous puissiez compter sur des relations régulières ? La législation
variable de ces pays ne peut-elle pas porter le trouble dans ces
relations ? Les Etats-Unis ont dernièrement élevé leur tarif sur plusieurs
de nos articles, et le gouvernement du Mexique a interdit aux étrangers de
s’établir dans ce pays.
Et c’est sur ces marchés le plus
souvent encombrés de produits européens similaires aux nôtres que l’on veut
pousser nos industriels et leur faire croire qu’ils ne pourront trouver que là
un écoulement sûr et facile pour leurs produits.
Mais, messieurs, je vous ai dit la
manière dont les affaires s’y traitent à présent. Si l’on veut être vrai avec
les industriels de
On a dit que nous ne devions pas nous
inquiéter de l’exportation des produits naturels de
Je ferai observer que, quant aux
charbons, cela n’est pas exact.
Nous avons aujourd’hui à soutenir une
forte concurrence en Hollande avec les charbons anglais et prussiens ; ils nous
ont même enlevé une partie de ce marché, Amsterdam et Rotterdam sont
approvisionnées par les Anglais. Nous avons déjà baissé les prix de nos
charbons jusqu’à leurs dernières limites ; si l’on nous enlève la possibilité
de diminuer nos frais de transports en frappant les retours d’un droit
exceptionnel exagéré, nous risquons de perdre entièrement ce débouché.
M. le ministre a dit que, s’il n’y
avait pas de droits différentiels pour
Messieurs, les industries qui ont
pour objet l’exploitation des produits du sol occupent aussi une grande
population ouvrière ; elles ne sont pas dans une position à pouvoir faire des
sacrifices ; elles peuvent avoir besoin aussi, pour exporter leurs produits de
retours avantageux. Devons-nous leur poser des entraves ? devons-nous sacrifier
leur avenir aux chances extrêmement problématiques des relations lointaines ?
c’est ce que je laisse à votre sagesse de décider. L’industriel belge est à la
fois laborieux et prudent ; il n’aime pas à se lancer inconsidérément dans des
opérations hasardeuses. Aussi ne voyons-nous pas chez nous les faillites se
succéder comme dans les autres pays industriels. Ceci est-il un mal ? je ne le
crois pas. La probité commerciale est un sûr garant pour attirer les affaires
dans un pays. Sachons la conserver aussi longtemps que nous pourrons.
Messieurs, on a dit qu’il ne fallait
plus se faire illusion sur les relations à établir avec les pays voisins, Je
pense qu’il serait bien plus dangereux encore de se faire illusion sur celles à
établir avec les marchés transatlantiques. J’ai dit, quant à ces marchés, ce
que j’en savais par ma propre expérience, avec franchise et sans préoccupation
des intérêts de localité.
J’ai laissé de côté la
question des représailles ; si des représailles ont lieu contre nous, cela ne
pourra qu’aggraver notre position, bien que, dans mon opinion, les représailles
sont souvent aussi contraires au pays qui les adopte, qu’à celui contre lequel
elles sont dirigées. J’ai voulu examiner quelle influence les droits différentiels
exerceraient sur notre commerce et notre industrie, si même nos relations avec
les nations étrangères ne subissaient aucune modification ; je pense que cette
influence sera nulle, quant à nos exportations vers les marchés d’outre-mer,
mais qu’elle pourra nuire à nos exportations vers les pays qui nous entourent.
J’ai voulu avertir les industriels de
mon pays des difficultés qu’ils rencontreraient sur ces marchés, afin qu’ils ne
se laissent pas séduire par les espérances qu’aurait pu faire naître chez eux
le rapport de la commission d’enquête.
La plus grande partie de nos
exportations se fait vers les nations voisines ; je m’opposerai à tout ce qui
pourrait compromettre nos relations avec elles, parce que ce sont ces relations
qui présentent le plus de sécurité et qui font vivre le petit commerce, et, par
conséquent, le plus grand nombre de nos industriels, et que je ne crois pas
qu’elles nuisent au haut commerce ; je continuerai à m’y opposer jusqu’à ce
qu’on m’ait prouvé qu’il soit dans l’intérêt général d’en faire le sacrifice.
(Moniteur
belge n°126, du 5 mai 1844) M. Desmet. - Je crois que nous
pourrions nous entendre sur la liberté du commerce, que nous pourrions tous
être du même avis : c’est que nous devrons l’adopter, lorsque tous les autres
pays l’admettront. C’est dans ce sens qu’a parlé l’honorable M. Castiau ; il
vous a dit que nous devions espérer que tous les autres pays lèveraient leurs
barrières. Mais quand tout le monde ferme ses barrières, et que
Je crois donc que je peux dire que
dans cette chambre, quand on parle en faveur de cette liberté, c’est dans le
sens qu’y a donné l’honorable député de Tournay, c’est dans la supposition que
les autres pays auraient la même liberté, et alors
Tous les pays du continent ont chez
eux la protection industrielle ; l’honorable M. Castiau n’a pu citer que
contrées où la liberté commerciale était en usage, il vous a cité
On n’en pourra pas dire de même pour
Si donc, nous sommes contre la
liberté de commerce, c’est particulièrement pour procurer du travail à la
classe pauvre, à la classe souffrante des ouvriers ; notre opinion est donc
bien plus charitable que celle des partisans de cette liberté, qui ne voient
que l’intérêt ce consommation, je pourrais même dire celui des riches, et
négligent celui des nécessiteux.
Messieurs, à présent, pour ce qui
regarde la protection qu’on nous propose par le système des droits
différentiels, je pense pouvoir avancer que ces droits, tels qu’ils sont
présentés par le gouvernement et même par la commission d’enquête, sont
suffisants en présence des besoins du commerce, de l’industrie de
En faveur des systèmes qu’on
présente, on nous cite en premier lieu l’Angleterre ; mais on se trompe
étrangement ; cette nation et son gouvernement, comme sa législature, ont
toujours compris que le principal élément de la prospérité d’un peuple était le
travail, et qu’il fallait faire tout ce qu’il était possible pour le conserver
dans le pays et garantir par tous les moyens son marché intérieur ; on sait
quels moyens les Anglais emploient encore tous les jours pour atteindre ce but.
Ils l’ont toujours fait depuis l’origine du fameux acte de navigation qui ne
repose que là-dessus.
Il en est de même en France ; l’on
s’occupe, avant tout, du marché intérieur. Je tiens en main un rapport fait, le
6 mars dernier, par M. le ministre du commerce. Que dit-il :
« Il faut d’abord défendre et
protéger le travail national. Ensuite encourager la marine marchande, lui
assurer un appui des comptoirs, des points de relâche dans les contrées
éloignées, et finalement chercher tous les moyens d’approprier de plus en plus
les productions de ses industries aux besoins de l’intérieur et du
dehors. »
Il me paraît que l’économie politique
du moment actuel est ici complètement développée, et il me paraît aussi qu’il
serait extrêmement dangereux de ne pas prendre chez nous les mesures qui sont
absolument nécessaires pour assurer à notre industrie le travail et le marché
intérieur.
Messieurs,
Si nous voyons, messieurs, comment
ces 80,000,000 de produits étrangers sont partagés, nous remarquons, comme je
vous le disais encore, il ya peu de temps, que
Qu’introduit la France en Belgique ?
Elle y introduit tous objets dont on pourrait se passer. Je n’en excepte que
les vins, et encore ce n’est pas là un objet de première nécessité ; on voit
qu’en Angleterre, dans l’esprit de protection, le claret français y est
fortement imposé.
Messieurs, je vous donne ici, non pas
les tableaux statistiques de Belgique, mais les tableaux statistiques de
France. J’y trouve que l’importation des produits français en Belgique est de
41 millions, tandis que l’exportation des produits belges en France n’est que
de 77 millions ; mais dans ces 77 millions, il y a environ 22 millions de
produits qui n’appartiennent pas à notre sol, qui y viennent de l’étranger et
que le commerce place en France. Ce sont les laines pour 9 millions, les
graines oléagineuses pour 7 millions, les bois communs pour 4 millions, et une
partie du bétail qu’on peut calculer à 2 millions ; de sorte que, de nos
propres produits, nous n’exportons vers la France que pour 55 millions. Et
quels sont ces produits ; En voici la liste : tissus de lin pour 12 millions ;
houille 12 millions ; chevaux 5 millions ; bestiaux 2 millions ; fils de lin 3
millions, et divers articles qui comprennent les armes, fontes, chaux, étain,
cuivre, zinc, etc., et dont le montant s’élève à 21 millions. Ce sont bien là,
à l’exception des toiles, tous articles de matière première et que la France a
grand intérêt de recevoir. Et quant aux toiles, elles se remplacent par les
fils à tisser. Voici ce que nous trouvons dans le rapport du ministre français,
que j’ai cité plus haut : « Depuis le traité du 16 juillet 1842,
l’importation des toiles belges est tombée de 7,600,000 kil. à 4,200,000 kil. »
Le ministre français aurait dû ajouter : Nous devons cela à l’amendement du
député de Lespaul, à la rigueur avec laquelle la douane française traite les
toiles dites blondines, et à la grande mesure prise par le maréchal Soult, pour
les linges dont a besoin l’armée. Mais cette mesure a été tellement perfide à
l’égard de
Voyons à présent ce que la France
nous livre : à l’exception des vins, vous n’y trouverez que des produits
manufacturés qui procurent beaucoup de travail, et dont nous pourrions nous
passer, qui font tort à nos industries propres : 1° pour 6 millions de tissus
de soie ; 4 millions de tissus de coton ; 4 millions de tissus de laine : pour
4 millions de vins et pour 23 millions d’articles de l’industrie parisienne.
Vous devez remarquer que
Messieurs, un second avantage de la
possession du marché intérieur, c’est le progrès de l’industrie. Aujourd’hui
nos industriels ne sont pas sûrs de pouvoir placer les produits qu’ils
fabriquent. Mais dès que le marché intérieur leur sera garanti, assurés qu’ils
seront de pouvoir placer une quantité considérable de leurs fabricats, ils
feront des progrès.
Comment pourrait-on, avec les seuls
droits différentiels, introduire des produits dans les pays étrangers, si nous
ne pouvons lutter, en même temps par les progrès avec la concurrence étrangère
? Les Anglais et les Allemands font, chaque jour, des progrès ; et ils ont
l’avantage de pouvoir exporter dans les pays éloignés. Assurez à votre
industrie le marché intérieur ; elle pourra aussi faire des progrès et lutter
ensuite avec avantage contre l’étranger.
Messieurs, je le répète, ce qu’il
faut surtout vous procurer, c’est le travail. Les partisans de la liberté du
commerce vous parlent du bien-être du peuple. Maïs quel est le véritable
bien-être ? C’est de donner du travail aux ouvriers qui en dépendent. Faites-y
bien attention, messieurs, jusqu’à présent la classe ouvrière ne demande que du
travail, mais craignez qu’un jour ne vienne, en continuant de rester dans un
système vicieux, où elle demandera du pain et de quoi vivre et se vêtir sans
qu’elle parle de travail ; évitez particulièrement de ne pas traîner la classe
nécessiteuse dans cette démoralisation.
La conservation intacte du marché
intérieur est un moyen efficace de conclure des traités et d’agrandir
respectivement ce marché. Il est clair comme le jour que quand vous accordez
aux autres nations tout ce qu’elles ont besoin pour placer leurs produits,
elles ne traiteront pas avec vous pour faire des concessions ; c’est l’histoire
de notre pays depuis la révolution de 1830.
Messieurs, je regrette vivement que
l’importance du marché intérieur n’ait pas été mieux comprise quand on nous a
présenté le projet que nous avons devant nous ; on aurait cependant dû
connaître les besoins du pays ; ou aurait dû savoir que la simple mesure des
droits différentiels était insuffisante, que même elle ne pouvait être que le
corollaire de la première, qui était celle de la protection industrielle.
Vraiment on devrait croire que l’on n’a pas voulu mettre la main sur les
industries rivales de l’Europe, qu’on a voulu ménager et ne rien faire d’utile
pour
Messieurs, le système différentiel,
tel qu’il est présenté par le gouvernement et par la commission d’enquête, repose
seulement sur le pavillon et sur les arrivages directs. Le système auquel je
fais allusion repose aussi sur le pavillon et sur les arrivages directs, mais
surtout sur l’importation et l’exportation des produits manufacturés.
Messieurs, quel a été le but de
l’honorable M. Cassiers ? il a voulu pourvoir à tous les besoins du pays, au
déficit du trésor, en ménageant le foncier, et garantir le marché intérieur ou
protéger efficacement l’industrie ou le travail national et finalement protéger
la marine marchande, ou procurer des débouchés au placement de nos fabricats.
Je crois qu’il a complètement réussi. Il établit trois catégories de produits
manufacturés, de denrées et de matière première. Ce classement est logique et
rationnel. Chacune des catégories a besoin d’être différemment imposée. Il
impose, en principe, les fabricats à 10 pour cent d’additionnel sur les valeurs
respectives qui sont établies au tableau statistique du commerce ; les denrées
à 7 1/2 pour cent et les matières premières seulement à 2 1/2 p c. C’est ici en
quoi consiste sa protection directe pour l’industrie nationale ; alors, pour
protéger la marine, ou, pour mieux dire, les exportations, il accorde des
primes ou des défalcations sur les droits imposés ; lesquelles primes il proportionne
ou élève plus ou moins d’après le pavillon national ou étranger, ou celui de
l’étranger assimilé au nôtre, d’après les arrivages, soit directs, soit des
entrepôts, soit des pays éloignés et hors d’Europe, soit des pays d’Europe.
Mais ici il faut remarquer que les primes ne sont accordées que quand
l’exportation se fait et quand elle est réellement constatée ; c’est ici la
grande différence avec les autres projets qui n’accordent les primes que pour
les arrivages, d’où il pourrait résulter que les navires, pour jouir des
avantages des primes, arriveraient, directement des pays de production avec une
cargaison qui serait débarquée en Belgique, mais qu’ils croient pour le retour
charger des fabricats anglais, allemands ou français ; le projet avise aussi à
ce que les navires n’aient pas la faculté de charger des objets encombrants,
comme des briques et tuiles de Boom ou des pierres pour les digues.
Ce système est le même que celui qui
est suivi en Hollande dans le royaume des Deux-Siciles et dans d’autres pays.
C’est lui qui, je pense, irait au devant de tous les intérêts ; on peut le
supposer, car c’est l’incertitude de l’exportation que la chambre de commerce
de Liège critique le plus dans les projets du gouvernement et de la commission
; voici ce qu’on lit dans le troisième rapport de cette chambre, page 61 de la
brochure : « Les droits différentiels que l’on demande n’auraient aucune
analogie avec ceux de
« En Hollande, ce n’est point le
pavillon seul qui jouit du bénéfice différentiel, mais la marchandise qu’il
couvre, pour être admis à importer à Java au droit de 12 1/2 p. c., il ne
suffit pas que le navire soit hollandais, il faut que la marchandise qu’il
transporte soit d’origine nationale. En Hollande, c’est la cargaison de sortie
qui règle et détermine la jouissance de la prime différentielle. Chez nous, au
contraire, elle est acquise à l’arrivage… »
C’est un point essentiel que la
constatation de l’exportation et qui, comme je le pense, rallierait beaucoup
d’opinions aux droits différentiels.
On critique le système de M.
Cassiers, l’établissement des catégories ; mais l’honorable auteur vous dit
pourquoi il est obligé de procéder par catégorie ; le temps manque pour réviser
article par article le tarif, mais on peut ajouter que la difficulté serait
grande dans notre chambre de réviser utilement tout le tarif, et on pourrait
encore dire que le système des catégories donnera moins de prise aux critiques
des gouvernements étrangers.
On critique les chiffres, mais on
peut les modifier, nous ne disons pas que tous les détails du projet sont parfaits,
mais nous pensons que le crédit, que le système est une heureuse idée ; c’est
la même chose pour les chiffres proposés dans le projet du gouvernement, si
l’on devait les voter, certainement nous n’aurions pas fait un grand pas dans
la protection.
On critique l’assimilation du
pavillon étranger au nôtre dans certains cas, mais c’est une nécessité pour
l’introduction d’un nouveau système et où il faut spécialement soigner les
exportations de nos produits.
On critique les avantages qui sont
donnés aux navires venant d’Europe ; on pourrait encore dire que c’est par
nécessité, mais on doit prendre attention que ce n’est uniquement que pour les
matières premières et certainement on devra voir une nécessité de pouvoir se
procurer au commencement quelques matières premières indispensables à nos
fabriques, comme les bois de teinture, indigo, etc., qu’on ne prend que dans
l’Europe. Je pense qu’il ne faut pas non plus détruire de suite le cabotage qui
est une industrie assez lucrative. Mais, comme je l’ai déjà dit plus haut, on
peut corriger et modifier dans les détails, et j’engage beaucoup les membres de
la chambre ainsi que le ministre d’examiner de près le projet de l’honorable
sénateur de St-Nicolas.
Messieurs, j’ai encore deux mots à
dire. Tout à l’heure on a parlé de colonies. Je suis contraire aux colonies
quand on les envisage comme moyen exclusif de vendre les produits de notre
industrie, mais je les crois utiles comme point d’appui, comme point de
relâche, comme moyen d’établir des comptoirs. Dans tous les pays éloignés, vous
avez contre vous les possessions anglaises, françaises, allemandes. Comment
pourriez-vous établir des comptoirs si vous n’avez pas aussi des colonies qui
nous soient propres, où vous exerciez la souveraineté ?
Il est aussi une chose, messieurs,
qu’il ne faut pas perdre de vue c’est que si vous voulez donner à notre
industrie la protection dont elle a besoin, vous devez vous créer les moyens
d’exécuter vos tarifs. Or, c’est précisément là ce qui nous manque dans ce
moment-ci : les marchandises étrangères s’introduisent en France par la
Hollande et surtout par Maestricht et par la Meuse, à 6 p. c. C’est un
négociant qui m’a signalé ce fait, et je pourrais le prouver. Eh bien,
messieurs, cela prouve qu’il y a quelque chose à faire pour assurer l’exécution
du tarif ; il ne suffit pas d’avoir des droits élevés, il faut encore prendre
les mesures nécessaires pour que ces droits soient réellement perçus.
Je pense, messieurs, que le projet de
loi présenté par la commission et modifié par le gouvernement devra être
amendé, et je crois qu’il devra l’être dans le sens de M. Cassiers, afin que
l’industrie reçoive immédiatement satisfaction. Je sais bien que le
gouvernement a promis que l’on discuterait la question de la protection
industrielle immédiatement après la question des droits différentiels ; mais je
crains bien que ses promesses demeurent sans effet, et que si nous adoptons les
droits différentiels tels qu’ils sont proposés par la commission et par le
gouvernement, on ne fasse rien ensuite pour l’industrie. C’est à quoi nous
devons prendre attention. J’ai dit.
M.
Rodenbach. - Messieurs, je déclare
d’abord que je suis partisan des droits différentiels, mais je pense que les
chiffres proposés par la commission d’enquête sont trop élevés. Avec de
semblables droits et alors que vous n’avez que 130 bâtiments, il est impossible
que vous puissiez encore faire des affaires, car il entre annuellement dans le
seul port d’Anvers 1,500 navires ; il est impossible que vos 130 bâtiments
importent les marchandises qui sont maintenant importées par les 2,000 navires
que vous recevez annuellement dans les ports d’Anvers et d’Ostende.
Quant au projet du gouvernement, je le
préfère à celui de la commission, mais je trouve qu’il a le défaut contraire,
qu’il ne va pas, lui, assez loin. Je pense qu’il n’établit pas des droits assez
élevés, notamment en ce qui concerne le café. Si j’ai bien compris M. le
ministre, il nous a dit que lorsque le café arriverait directement de Batavia,
il ne paierait pas un droit plus élevé que le café importé par navires belges ;
mais, messieurs, alors les bâtiments hollandais feraient une rude concurrence
aux nôtres ; il me semble qu’il faudrait non pas les imposer fortement, mais
leur faire payer au moins quelque chose de plus qu’aux navires belges.
Vous devrez aussi rembourser
le péage ; maintenant vous payez de ce chef 8 ou 900,000 fr. par an et si vous
admettez avec des conditions si favorables les navires hollandais qui viennent
de Batavia, vous aurez un remboursement immense à faire.
Il me semble que ce système n’est pas
admissible et qu’il faudra majorer les chiffres du projet du gouvernement, sans
toutefois aller aussi loin que la commission d’enquête. Il faudra prendre ici
ce qu’on appelle une espèce de juste milieu entre le projet ministériel et
celui de la commission d’enquête. J’espère que des amendements seront présentés
dans ce sens.
Je me réserve, messieurs, de
présenter ultérieurement des observations plus étendues. Je demanderai
seulement à M. le ministre s’il est d’intention de rembourser le péage de
l’Escaut aux navires hollandais qui arrivent de Batavia, et si, dans son
projet, il admet réellement ces navires aux mêmes faveurs que les navires
belges.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
L’honorable préopinant est complètement dans l’erreur ; le navire étranger
venant du lieu de production et le navire belge venant également du lieu de
production, ne sont pas traités de la même manière. Je prierai l’honorable
membre de vouloir bien se faire rendre compte des pièces qui ont été
distribuées et notamment du projet de loi ; il reconnaîtra par là qu’il est
complètement dans l’erreur sur les bases mêmes du système que nous proposons.
Quant à la question du remboursement
du péage de l’Escaut, c’est une question tout à fait distincte que celle que
nous traitons en ce moment ; c’est une question qui pourra être examinée dans
d’autres circonstances.
- La séance est levée à 4 heures et
1/4.