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d’intention
Chambre
des représentants de Belgique
Séance du jeudi 28 mars 1844
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Projet de loi établissant un mode définitif de nomination du jury universitaire
(Lebeau, Dumortier, (+question
de la responsabilité ministérielle) Dumortier, (impartialité
du président de la chambre (Dumortier, Liedts)), Lebeau, de
Foere, (+question de la responsabilité ministérielle, concours dans
l’enseignement moyen) Orts, de Theux)
(Moniteur
belge n°89, du 29 mars 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M. Dedecker
fait l’appel nominal à une heure et quart.
M. de Renesse lit le
procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Dedecker
présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
PIECE ADRESSEE A LA CHAMBRE
« Plusieurs propriétaires de Moll,
Gheel et Meerhout demandent des mesures répressives du braconnage. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
_________________________
« Plusieurs fabricants et
teinturiers en fils de soie demandent que les soies à coudre et pour la
passementerie soient soumis à un droit d’entrée de 5 à 6 fr. »
- Renvoi à la commission d’industrie.
Discussion générale
M.
Lebeau. - A l’émotion qui a succédé tout à coup au
calme et à l’indifférence avec lesquels s’accomplissaient nos travaux
législatifs, il est aisé de voir qu’un intérêt moral de l’ordre le plus élevé
est aujourd’hui en question dans cette enceinte. J’en félicite la chambre et le
pays. Je ne suis pas, je l’ai prouvé, contempteur des intérêts matériels. Je
sais ce que les grands pouvoirs de l’Etat leur doivent de sollicitude ; mais je
sais aussi quelle suprématie doit être accordée par les grands pouvoirs de
l’Etat, et par la nation aux intérêts moraux.
L’honorable vicomte Vilain XIIII nous
le disait naguère avec l’accent d’une profonde conviction : C’est par les
intérêts moraux que vivent surtout les nationalités. Sans les intérêts moraux,
sans le respect, la sympathie qu’ils excitent dans un pays, ce pays peut bien
figurer dans les chartes du droit public européen ; mais il n’a point de
racines dans le sol.
Si, comme je l’ai entendu trop dire,
depuis quelque temps, le culte presqu’exclusif des intérêts matériels devait
dominer dans les préoccupations du pays, de la législature et du gouvernement,
il arriverait des jours où l’on ne songerait plus qu’à s’absorber, soit dans
une puissance du Nord, soit dans une puissance du Midi, selon qu’on aurait plus
de chance de vendre d’un côté ou de l’autre un peu plus de fer, un peu plus de
charbon, un peu plus de toile, un peu plus de coton.
Comment ne serions-nous pas fiers de
notre jeune nationalité, lorsque déjà elle a l’honneur d’être invoquée comme
modèle par les plus antiques et les plus illustres des nations qui nous
avoisinent ?
Du sein de la vieille Angleterre,
cette terre classique du laissez faire et du laissez passer, quel est le cri
qui s’échappe aujourd’hui ? « Les chemins de fer comme en Belgique
! »
Du sein de la France financière, quel
est le cri qui s’échappe aujourd’hui ? « La conversion comme en Belgique
! »
Du sein de la France religieuse et
peut-être du sein de l’Irlande, quel est le cri qui s’échappe aujourd’hui ?
« La liberté comme en Belgique ! »
Et lorsque cette nation si jeune
encore, et déjà si estimée, est ainsi encouragée à persévérer dans la marche
qu’elle n’a cessé de suivre depuis sa glorieuse émancipation, je dis avec
l’honorable M. Vilain XIIII : La nationalité avant tout, et comme garantie de
la nationalité la suprématie incontestée des intérêts moraux, des libertés
publiques.
Je voterai, messieurs, pour le projet
de loi du gouvernement, et en cela j’espère, je compte, que je prendrai part à
un acte sérieux. Je voterai pour le projet du gouvernement, et cependant,
messieurs, je veux aussi sérieusement qu’aucun de vous, la liberté
d’enseignement ; je la veux aujourd’hui, comme je la voulais avec mes amis
politiques en 1829, lorsque je contribuais à fonder avec eux l’union des
catholiques et des libéraux.
Je la veux comme je la voulais en
1830, lorsque, simple et obscur écrivain, j’étais sur le point d’expier dans
les prisons de l’ancien gouvernement, la part que j’avais prise à la
revendication de nos libertés civiles et religieuses. Je la veux comme je la
voulais en 1830 et en 1831, lorsque, membre du comité de constitution, je
contribuais à la faire inscrire en termes formels dans un projet de pacte
fondamental, lorsque membre du congrès national et membre du gouvernement, je
contribuais à faire de cette promesse de la constitution, une vérité.
Est-ce à dire, messieurs, qu’en 1829,
en 1830, en 1831, nous faisions acte d’imprévoyance, nous cédions à
l’enthousiasme du moment ? Est-ce à dire que nous ne prévoyions pas que la
liberté d’enseignement pouvait engendrer quelques inconvénients, quelques abus
? Est-ce à dire que nous fussions assurés qu’à l’aide de cette liberté
d’enseignement, nous ne verrions jamais, par l’effet d’un prosélytisme,
légitime d’ailleurs, prévaloir sur nos doctrines, sur nos convictions, d’autres
doctrines, d’autres convictions ? Non, messieurs, entendre ainsi la liberté
c’est la méconnaitre complètement ; il faut l’entendre pour les autres comme
pour soi.
Ce que nous voulions alors, ce que
nous voulons aujourd’hui, c’est que cette faculté de prosélytisme, accordée par
la constitution à toutes les opinions, s’exerce toujours à armes loyales, à
armes égales, que jamais la minorité ne soit légalement opprimée par la
majorité, que jamais la législation ne vienne faire pencher la balance en
faveur d’une opinion contre l’autre.
Une autre liberté inscrite aussi dans
la constitution, c’est celle de la presse. Il appartient surtout aux hommes qui
ont passé par le pouvoir de vous dire que cette liberté a aussi ses abus, qu’il
lui est arrivé souvent de dénaturer indignement les intentions et les
caractères. Mais ces abus n’ont point ébranlé notre confiance dans la liberté
de la presse, et si elle était menacée, nous la défendrions comme nous
défendrions la liberté d’enseignement.
En fait de liberté, il ne faut pas
chercher le bien absolu ; il faut compter un peu avec elles comme les banquiers
avec leurs opérations par compte de profit et pertes.
Je me demande d’où vient la profonde
émotion qu’a excitée dans une partie de cette chambre et dans une partie du
pays la proposition de remettre à la prérogative royale le choix des membres du
jury d’examen. Messieurs, ce n’est pas la première fois que cette proposition
surgit dans cette enceinte. Vous savez de quels bancs elle est partie ; elle
n’est point venue de ce côté ; elle a été produite sous les auspices d’un des
plus fermes défenseurs des libertés religieuses. On vous l’a rappelé, et je ne
me fait point, croyez-le bien, un puéril plaisir de mettre l’honorable comte de
Mérode en contradiction avec lui-même, c’est sous les auspices de cet honorable
comte que la proposition de remettre la nomination des jurés au roi, a vu le
jour dans cette enceinte. Eh ! messieurs, à l’appui de cette proposition, une
argumentation excellente, comme celles qu’a coutume de mettre en avant
l’honorable comte, a été produite. Permettez-moi de rappeler quelques-unes de
ses paroles :
« M. le comte F. de Mérode. - Si les chambres sont et doivent
toujours être à l’avenir une autorité juste et capable de bien faire le choix
des examinateurs, je suis prêt à le leur attribuer exclusivement. Mais je doute
de cette justice, je doute de cette capacité, parce qu’il manque aux assemblées
délibérantes une responsabilité suffisante. Qu’est-ce en effet qu’une
responsabilité qui pèse sur cent personnes dominées par des opinions politiques
et religieuses divergentes ? Rien ou a peu près rien : je suis tout à la fois
ministre et représentant. Si comme ministre j’avais à prendre part à la
composition d’un jury d’examen, certes j’aurais plus de crainte de mal remplir
ma tâche que je ne mettrais d’importance à donner mon centième vote inconnu du
public.
« Dans cette hypothèse aurai-je
toujours la patience de prendre toutes les informations utiles sur le compte de
20 à 30 personnes que je serai appelé à choisir par scrutin secret et, je le
répète, sans aucune responsabilité ? Souvent je m’en rapporterai à un collègue,
que je tiendrai pour bien informé, et ne prendrai pas d’autre souci. Au
contraire, le ministre, ou le ministère chargés de ce soin devraient
nécessairement s’acquitter équitablement des obligations qui leur seraient
imposées, les erreurs commises par des examinateurs infidèles ou incapables
retombant sur les hommes dont ils se trouveraient les mandataires. Je vois là
une garantie qui ne se trouve point dans la nomination par les chambres qui ne
sont pas à l’abri des passions et des préjugés du moment et qui, en outre
agissent sans contrôle. »
Ce n’était pas là, messieurs, une
opinion isolée ; voici d’autres noms qui se sont ralliés à la proposition de
l’honorable comte de Mérode ; ce sont, je pense, des autorités que vous ne
récuserez pas : les honorables MM. Brabant, vicomte Vilain XIIII, Demonceau,
Quirini, professeur à l’université catholique, le comte Cornet de Grez, de
Longrée, Bosquet, Eloy de Burdinne et Verdussen, tous ces honorables membres, à
la suite de l’honorable comte de Mérode, ont vote, en 1835, contre
l’intervention des chambres dans la formation du jury d’examen.
Cette opinion, messieurs, s’est
également produite au sénat ; et là plus d’une autorité respectable a pris sous
son patronage l’opinion repoussée par une voix de majorité seulement, à la
chambre des représentants. Au sénat, où, sans blesser cette assemblée, je puis
dire qu’il règne peut-être une susceptibilité plus vive encore à l’égard de la
grande question qui vous occupe ; voici le langage que tenait M. le comte
Vilain XIIII.
« J’appuierai l’amendement de M.
d’Haussy, (qui tendait à faire nommer le jury par le roi.)
« M. le comte Vilain XIIII. - J’appuierai l’amendement de M. de
Haussy... Moi aussi je crois qu’il y a d’extrêmes difficultés à faire nommer
les jurés par les chambres, et cependant je veux la liberté de l’enseignement
demandé sous le gouvernement hollandais. Seulement je crois que le mode proposé
pour la composition des jurys et très vicieux. Membre des états-généraux
pendant onze ans et depuis quatre ans que je fais partie de cette assemblée,
j’ai pu me convaincre de la difficulté de faire faire des nominations par les
corps constitués. J’en appelle à tous mes collègues ; je demande s’il en est un
seul qui soit à même de nommer 24 membres des jurys ? Personne assurément, et
alors il faudra recevoir l’influence de l’un ou de l’autre.
« Depuis 34 ans, messieurs, j’ai
constamment occupé des fonctions publiques, et pourtant je ne pourrai faire le
choix qu’on réclame. Qu’arrivera-t-il pour des membres plus jeunes que moi où
depuis moins longtemps dans les affaires ? Qu’arrivera-t-il ensuite d’une
nomination sans responsabilité, sans contrôle ? il en peut résulter de graves
inconvénient. Si c’est le gouvernement qui nomme, eh bien, nous conserverons
une part d’influence par le contrôle que nous exercerons sur lui. Je veux la
liberté de l’enseignement, mais le surcroît d’attribution qu’on veut donner aux
chambres me paraît dangereux. »
Alors, messieurs, la confiance dans
le gouvernement était si grande qu’on ne limitait en aucune façon le choix de
la couronne ; pas de limites, pas d’obligations de choisir dans tel ou tel
corps enseignant ; latitude complète. Et aujourd’hui, messieurs, lorsque la
représentation dans le jury de tous les établissements est assurée on se défie
de l’action de la couronne ! Il m’est impossible, messieurs, de m’expliquer un
pareil revirement d’opinion, car la seule explication que je puisse donner, je
n’oserais la produire sans risquer de blesser les convenances parlementaires.
Que prévoyaient ceux qui voulaient
écarter l’intervention des chambres ? Les tendances politiques, l’impossibilité
morale de maintenir une balance égale entre les divers établissements et les
diverses opinions ; une irresponsabilité complète et le vote secret, l’excitant
le plus puissant, en cette matière, aux écarts des passions politiques.
Que répondait-on ? On disait qu’on
calomniait les chambres ; que les chambres auraient pour mission, mission
qu’elles accompliraient religieusement, de faire représenter dans le jury les
établissements libres, que le gouvernement pourvoirait à la représentation des
universités de l’Etat. On se gardait bien alors de dire que les choix des
chambres seraient politiques et qu’ils devaient être politiques. Si on avait
émis une pareille opinion à l’époque où l’on a discuté la loi de 1835, je fais
assez d’honneur à tous les membres de la chambre d’alors pour oser dire qu’il
n’aurait pas eu dix voix pour appuyer le système qui a prévalu.
Alors, messieurs, on protestait de
toutes parts que la politique serait étrangère aux nominations des chambres ;
on protestait que l’impartialité la plus scrupuleuse dicterait ces nominations.
Eh bien, qu’est devenue cette impartialité ? Que sont devenues ces promesses ?
L’honorable M. Fleussu vous l’a fait voir hier, par la plus évidente
démonstration, celle des chiffres ; il vous a fait voir que, pendant huit ans,
l’université de Louvain a obtenu 40 voix dans cette chambre, l’université de
Bruxelles, pas une seule ; que le sénat, moins partial que la chambre, a
accordé 25 nominations à l’université de Louvain, et 16 à l’université de
Bruxelles ; et le gouvernement dont on se défie tant, le gouvernement qui
représentait alors des opinions plus en harmonie peut-être avec les principes
qui dirigent l’université de Louvain, qu’avec les principes de l’université de
Bruxelles, le gouvernement a nommé douze jurés dans l’université de Louvain, 29
dans l’université de Bruxelles.
L’honorable M. de Theux, à qui je
suis bien aise de rendre justice dans cette circonstance, l’honorable M. de
Theux a choisi constamment deux au moins et parfois quatre jures par session
dans l’université de Bruxelles. L’honorable M. Rogier n’a pas été au-delà de
trois.
Ces rapprochements entre les actes du
gouvernement responsable et les actes des chambres irresponsables, et agissant
en secret, sont frappants ; ils dispenseraient en quelque sorte d’autres
arguments pour appuyer le projet de loi du gouvernement.
J’ai dit, et c’est à dessein que je
me suis servi de ces expressions, que le sénat avait été moins parfait que la
chambre des représentants. Mais une circonstance qui n’a pas encore été
remarquée, c’est que le sénat n’a pris, dans l’université de Bruxelles, des
jurés que pour les facultés de droit et de médecine. Dans la faculté de
philosophie et lettres, dans la faculté des sciences, où l’enseignement lui a
paru plus spécialement connexe avec certaines doctrines religieuses, le sénat
ne s’est pas fait aussi complètement violence ; par des scrupules réels mais
assurément mal fondés, il n’a nommé pendant huit ans aucun juré dans la faculté
de philosophie, et dans la faculté des sciences de l’université de Bruxelles. Tel
est du moins le résultat de mes recherches.
Les choix ont donc été partout,
excepté de la part du gouvernement, des choix plus ou moins partiaux, plus ou
moins politiques. Est-ce que j’en fais un reproche à la chambre ? Est-ce que
j’en fais un reproche au sénat ? Messieurs, vouloir que des corps politiques ne
fassent pas des choix politiques, ce serait injuste, ce serait nier le cœur
humain ; ce serait vouloir que l’arbre ne porte pas de fruits, que le fleuve ne
coule pas vers son embouchure, que la pierre qui se détache du flanc de la
montagne ne roule pas jusque dans l’abîme.
S’il y a iniquité, ce n’est pas
l’iniquité de l’homme, l’iniquité des corps délibérants, c’est l’iniquité de la
législation, et c’est celle-là qu’il vous appartient de redresser aujourd’hui.
On avait dit, et je n’en fais aucun
doute, car je n’éprouve ici le besoin de méconnaître aucune intention,
d’offenser aucun caractère, on avait dit et on était sincère : les chambres
représenteront impartialement l’enseignement libre, le pouvoir d’enseignement
donné aux frais de l’Etat. Eh bien, ni l’une, ni l’autre de ces prévisions ne
sont réalisées. L’enseignement libre n’a été qu’imparfaitement représenté par
les chambres législatives. Il a fallu le concours du gouvernement pour que
cette mission dévolue aux chambres et désertée au moins par l’une d’elles fût
pleinement accomplie par le pouvoir, j’entends parler de la représentation des
établissements libres.
Sous le ministère de l’honorable M.
de Theux (et j’ai peut-être tort de trop l’en louer car cette règle
d’impartialité est nécessairement plus ou moins celle de tous les ministres ;
c’est la loi de leur salut, c’est l’accomplissement de leur devoir, c’est le
cri de leur conscience politique), sous le ministère de M. de Theux, le
gouvernement n’a rétabli la balance qu’en accordant dans ses nominations un
avantage marqué à l’université de Bruxelles sur l’université de Louvain.
Messieurs, le système est donc jugé,
le système est irrévocablement jugé par la seule argumentation des chiffres.
Il est dans la nature des chambres
comme corps politique, de faire entrer la politique jusque dans le choix
qu’elles font au sein même des universités de l’Etat. Je ne puis pas apporter
ici des noms propres mais si je le faisais, vous verriez que la pensée politique
des chambres se fait jour jusque dans le sein des universités de l’Etat ; que
la plupart des jurés pris dans ces établissements appartiennent à une nuance
politique plus ou moins prononcée, plus ou moins en harmonie avec celle de la
majorité de la chambre.
Savez-vous quelle est la conséquence
de cette invasion de la politique dans les corps scientifiques ? c’est de le
diviser aussi en membres catholiques et en membres libéraux, c’est de faire
pénétrer la politique, la division politique jusque dans le sanctuaire de la
science qui devrait leur être à jamais fermé ; c’est d’exciter peut-être
certains hommes à ne pas cultiver exclusivement la science, à s’occuper quelque
peu et trop à coup sûr, de ce qui se passe au-dehors, pour mériter l’honneur de
figurer parmi les membres du jury d’examen.
Vous qui parlez sans cesse des
dangers d’étendre cette division en catholiques et en libéraux, voilà,
sachez-le bien, les conséquences certaines, quoique moins aperçues, de la
faculté qu’ont les chambres d’intervenir au sein des universités pour le choix
des membres du jury.
La section centrale reconnaît que vos
choix sont des choix politiques. La mission des chambres, dit l’honorable
rapporteur, c’est de faire entrer dans la composition du jury l’élément de l’opinion nationale dont les chambres
sont l’ouvrage, et d’assurer ainsi la liberté d’instruction par un jury
impartial... (Interruption de la part de
M. de
L’honorable rapporteur, en insérant
ce paragraphe dans le rapport qu’il a été chargé de présenter à la chambre,
s’en est sans doute approprié les principes. Le passage que j’ai cité d’abord
et qui est bien de lui est du reste en harmonie avec ce qui se trouve plus loin
: « vos choix, est-il écrit dans le rapport, sont des choix politiques. »
Choix politiques et jury impartial !
Voilà pour les prémisses de singulières conséquences ! je ne comprends pas
comment un homme de quelque portée d’esprit, un homme grave peut réunir deux
choses qui hurlent ensemble comme les mots : choix politiques, jury impartial…
Mais si c’est l’opinion nationale, c’est-à-dire l’opinion de la majorité qui
fait les jurys impartiaux, supposez permanente cette opinion que vous appelez
nationale, vous aurez alors l’oppression permanente de la minorité.
Que si par le jeu naturel du
gouvernement représentatif, l’opinion nationale se déplace, alors vous aurez
messieurs l’oppression alternative des minorités. Craignez que chacune d’elles
échauffées encore de l’ardeur de la lutte n’éprouve le besoin d’user à son tour
de cruelles représailles.
Messieurs, prenons-y garde, ce n’est
pas la première fois qu’il vous arrive d’avoir trop de confiance dans le
pouvoir électif et de trop vous défier de l’autorité royale. Songez à ce qui
est arrivé pour la nomination des bourgmestres.
Quand on a discuté la loi
d’organisation communale, on se défiait de la prérogative royale, comme à tort
on s’en défie aujourd’hui. Le pouvoir électif n’ayant pas répondu à la
confiance excessive qu’on avait mise en lui, on a été trop heureux de recourir
à l’intervention royale. Craignez, si le système de la section centrale vient à
être consacré par le vote de la chambre, craignez qu’il ne vous arrive avec les
jurys d’examen ce qui vous est arrivé précédemment, et qu’il ne puisse vous
être opposé par vos adversaires cette irrévocable fin de non recevoir :
« C’est vous qui avez fait la loi, subissez-en les conséquences. »
Je veux faire une question et
l’adresser à votre bonne foi, à votre plus intime conviction. Supposez que
depuis huit ans la chambre des représentants ait traité l’université de Louvain
comme vous avez traité l’université de Bruxelles. Interrogez-vous, descendez au
fond de vos consciences, et dites-moi si vous ne demanderiez pas le changement
de la loi comme un acte d’équité, comme une réparation de la plus grande
urgence ? Descendez dans votre for intérieur, demandez quels seraient vos
sentiments, si la majorité de la chambre, avec la haute opinion que vous,
messieurs, avez de la moralité, de la force des études de l’université de
Louvain, avait exclu systématiquement et en masse du jury d’examen des
professeurs de cet établissement ? quels cris ne se seraient pas élevés de vos
bancs contre cette prescription t Ne diriez-vous pas qu’il faut se hâter de la
faire cesser ? L’université de Bruxelles a le droit de tenir le même langage,
de se plaindre d’être victime de la partialité de la chambre ; elle a le droit
incontestable de réclamer dans la composition des jurys d’examen une plus juste
part, c’est un droit qu’aucune loi ne peut équitablement empêcher de recevoir
sa consécration.
Je me permettrai de poser ici un
dilemme. Les majorités n’aiment pas qu’on mette leur longévité en question ;
c’est ce que je ne ferai pas ; mais de deux choses l’une : ou vous resterez
majorité, et alors par l’influence naturelle que vous avez sur le ministère,
par le besoin absolu qu’il a de marcher avec vous, puisque c’est sa loi de
salut, vous êtes sûrs que ses choix ne vous seront pas hostiles ; ou bien par
hasard, la majorité viendra à changer, vous deviendrez minorité ; je vous prie
de ne pas prendre cette prévision pour une injure ; encore une fois ce n’est
qu’une hypothèse. (On rit.) Oh !
alors si la majorité, dans le choix des jurys d’examen, ne tient aucun compte
des opinions que vous représentez, de vos sympathies pour un établissement qu’à
bon droit sans doute vous respectiez, que peut-être vous croyez seul bon, ne
voyez-vous pas à quelles représailles vous vous exposez ? Quel serait votre
recours ? vous n’en auriez aucun. Vos plaintes à qui les adresseriez-vous ? Le
nom des membres de la majorité n’est pas connu, grâce au vote secret.
D’ailleurs, comment une minorité peut-elle se plaindre d’une majorité ? Comment
surtout parviendrait-elle à en avoir raison ?
On a dit qu’il ne fallait pas
s’attacher exclusivement aux choix des chambres, qu’il fallait surtout voir
l’ensemble des nominations ; que si les chambres avaient été partiales, on
était obligé de le reconnaître, le gouvernement a rétabli l’équilibre, on a
même été jusqu’à dire, c’est l’honorable M Vilain XIIII, que les choix très
exclusifs des chambres, s’ils n’avaient été corrigés par les choix du
gouvernement, eussent été déplorables. On comptait donc sur le ministère pour
rétablir l’équilibre. Singulier aveu que celui-là ! On comptait sur le
ministère pour rétablir l’équilibre ! l’équilibre entre les divers
établissements est donc une loi pour le ministère ; l’impartialité pour les
universités est donc une loi pour le ministère ! De quel droit vouliez-vous
qu’il se montrât impartial, quand vous lui donniez l’exemple de partialité ?
C’est, dit-on, l’opinion nationale qui détermine le choix des chambres ; et vous
reconnaissez au ministre le droit de faire des choix en opposition avec
l’opinion nationale, c’est-à-dire avec celle qui domine dans les chambres ; vous
l’en louez même ! Je ne comprends rien à pareille argumentation. Est-ce que,
par hasard, il y a en Belgique tel établissement qui doit être mis à l’index ?
tel établissement qui serait hostile à la morale publique ? hostile à la
nationalité, qui ne méritât pas de voir figurer ses délégués, ses représentants
parmi les membres du jury d’examen ? Vous n’en croyez rien, car si vous disiez
cela, vous feriez la critique la plus amère des choix du sénat. Comment, en
outre, expliquer votre silence, je dirai même vos éloges, sur les soins du
gouvernement à rétablir un juste équilibre. Sur l’honorable impartialité de ses
choix, lorsqu’il s’est attaché et qu’il a dû s’attacher à faire représenter
spécialement dans le jury l’établissement que l’opinion soi-disant nationale,
avait systématiquement écarté ?
S’il est reconnu que les choix des
chambres sont des choix politiques, et que des choix politiques sont contraires
à la justice, pourquoi ne pas déférer au ministère, à qui vous avez reconnu
assez d’impartialité pour faire des choix en opposition avec ceux des chambres,
ce mandat d’impartialité qu’il a religieusement rempli à l’égard du jury
d’examen ?
Messieurs, on a parlé des fonctions
de grand-maître des universités de l’Etat dans les attributions du ministre de
l’intérieur, on a fait de ce grand-maître une espèce d’ogre tout prêt à dévorer
les établissements libres, pour faire fleurir les établissements de l’Etat.
Mais sans tenir compte de l’immense différence
entre notre prétendu grand-maître à celui de l’université de France,
dispensatrice unique de l’enseignement, est-ce que l’intérêt politique d’un
ministre, est-ce que sa position parlementaire, est-ce que le besoin de
conserver l’appui de la majorité, l’estime et les égards de l’opposition, ne
parlent pas mille fois plus haut à ses yeux que l’intérêt secondaire pour lui
de favoriser les universités de l’Etat aux dépens des établissements libres ?
Mais si le ministre, en qualité de grand-maître des universités de l’Etat,
était l’ennemi naturel des établissements libres, veuillez m’expliquer comment
l’université de Bruxelles va au-devant de sa propre chute et veut se suicider
en demandant instamment qu’on accorde la faculté de nommer tous les jurys d’examen
au gouvernement lui-même ? et dans quel moment l’université de Bruxelles
adresse-t-elle ses vœux à la législature ? Dans un moment où le pouvoir est
chez vous, sur vos bancs, dans un moment où le pouvoir est loin et des soutiens
naturels de l’université de Bruxelles et des amis politiques de ceux qui ont
contribué à fonder et qui maintiennent cet important établissement.
Si jamais on a donné la mesure de la
confiance bien désintéressée qu’on peut avoir dans un gouvernement, c’est quand
l’université libre de Bruxelles vient réclamer comme une garantie
d’impartialité le concours, que dis-je, l’intervention exclusive de celui-là
même qu’on lui montre comme ennemi de l’établissement libre ?
Messieurs, pour échapper au dilemme
de l’intervention des chambre ou du choix par la couronne, un honorable membre
a présenté un amendement d’après lequel le choix serait fait par différents
corps scientifiques. J’ai été à une autre époque assez porté à appuyer ce
système, mais la réflexion n’a pas tardé à m’en montrer les dangers. D’abord
ces nominations auraient également lieu au scrutin secret, probablement en
grande partie dans le sein même de ces corporations. Il pourrait s’établir une
sorte de trafic, un échange de bons procédés. Il y aurait en outre, nous l’avons
vu, irresponsabilité ; et de plus la politique est un fluide tellement subtil
qu’elle s’introduirait même dans le sein de ces corporations ; et il ne serait
pas impossible que lorsque ces corporations scientifiques se recruteraient, la
couleur politique donnât pour l’admission des droits plus efficaces que les
titres scientifiques. Donnez des droits politiques à une corporation, par la
tendance naturelle des choses, elle deviendra de plus en plus politique. C’est
ainsi que les anciens états provinciaux, dont les principales attributions
étaient administratives, mais qui élisaient les membres des états-généraux,
devinrent peu à peu et surtout dans les dernières années du gouvernement des
Pays-Bas, de véritables cours politiques. Voilà le danger d’attribuer à des
corporations des nominations politiques.
Je préfère à tout le choix du
gouvernement, mais le choix libre de gouvernement, le choix sans condition.
De part et d’autre il a été donné
d’excellentes raisons à l’appui de ce libre arbitre, et je dois dire qu’il y a
dans le rapport de la section centrale des considérations qui donnent beaucoup
à réfléchir sur le danger de prescrire d’une manière expresse et absolue au
gouvernement des nominations dans tel ou tel corps. Nous savons quels sont les
établissements qui existent aujourd’hui, nous savons par quelles qualités ils
se recommandent à la confiance du gouvernement et des familles.
Mais l’avenir nous est inconnu ; il
peut s’élever des établissements qui remplissant toutes les conditions de la
loi extérieurement en viennent à professer des doctrines hostiles à nos
institutions, peut-être à notre nationalité. Je voudrais que, dans ces cas
extrêmes, qui, je l’espère, ne se présenteront jamais, le gouvernement pût
mettre de tels établissements à l’index, sauf à dire aux chambres pourquoi il
l’a fait.
J’aime donc mieux le choix libre du
gouvernement ; voici encore une des raisons pour lesquelles je l’aime mieux,
c’est que sa responsabilité sera plus entière, plus complète, et que par
conséquent la puissance de votre contrôle sera et plus entière et plus
puissante. Le gouvernement ne pourrait, comme dans l’autre système, essayer de
justifier certaines nominations qu’il aurait faites, en se réfugiant derrière
l’obligation de puiser dans tel et tel établissement aux termes de la loi.
Ainsi le résumé de mes observations
est ceci : Le système de la section centrale est de tous le plus mauvais ; le
système du gouvernement est de tous le moins mauvais. Je n’en connais qu’un
bon, ce serait que
Le jury (si le système du
gouvernement est admis) sera désormais, dit-on, une commission royale.
Pour quiconque se laisse effrayer par
des mots, voilà tout un anathème ; mais je me rassure un peu contre l’épouvante
qu’inspire à certains membres la qualité de commission royale attribuée au jury
proposé, lorsque je vois avec quelle facilité on appelle le gouvernement à
concourir à la composition des jurys d’examen. Comment, tout ce que le
gouvernement fait est suspect en cette matière, et non seulement vous l’appelez
à concourir à la composition du jury ; mais vous comptez sur son impartialité
pour détruire l’effet de votre partialité.
De sorte qu’au moment même où vous
reconnaissez votre faillibilité comme assemblée délibérante, que l’équilibre
est rompu par vos choix, vous reconnaissez qu’il faut l’impartialité du
gouvernement pour le rétablir.
Ainsi c’est au moment où vous
reconnaissez au gouvernement le privilège de l’impartialité, que vous déclarez
qu’un jury nommé par lui ne formerait qu’une commission royale.
Qu’est ce donc que le ministère dans
un gouvernement représentatif ? C’est l’émanation des chambres agréée par le
Roi, ou le choix du Roi agréé par les chambres. Le ministère, c’est vous ;
c’est nous. Le gouvernement, que d’anciens publicistes qualifiaient, peut-être
avec raison alors, d’ulcère, c’est vous-même ; il naît de votre concours, de
vous-même. C’est tomber dans un anachronisme étrange que de voir encore cet
antagonisme entre le gouvernement et le peuple ; c’est se reporter à une époque
où le principe électif ne présidait pas à toute l’économie sociale, comme il le
fait dans un gouvernement parlementaire.
On a dit que le pouvoir est essentiellement
politique dans tous ses actes. M. le ministre de l’intérieur a déjà appelé
l’attention de la chambre sur une distinction qui doit frapper tous les
esprits.
Il y a dans les attributions
gouvernementales deux caractères bien distincts ; le caractère politique et le
caractère administratif.
Quand le gouvernement agit comme
pouvoir politique, il fait des actes politiques des nominations politiques ; il
est dans son droit. Mais quand le gouvernement est appelé à faire de
l’administration, il ne peut faire de la politique. Voyez la différence quand
il fait des actes politiques, agissant comme pouvoir politique, il est dans son
droit.
Quand il fait de la politique,
quoique appelé à faire de l’administration, il manque à son devoir. Voila une
immense différence dans un cas, il exerce un droit, dans l’autre il remplit un
devoir. Ainsi, quand il nomme un gouverneur, un commissaire d’arrondissement,
il a le droit de les choisir de sa couleur politique ; il a le droit de les
congédier s’ils ne sont plus avec lui en communion politique. Mais quand il
nomme des notaires des juges, des commissions d’agriculture, des chambres de
commerce, il ne peut faire acte politique, à moins de manquer à tous ses
devoirs, et chacun de vous a le droit de lui en demander compte à cette
tribune.
La garantie de la responsabilité
ministérielle est donc entière dans le système que j’indique ; du reste, je ne
le propose point, car je me rallie au projet du gouvernement, dans lequel je
trouve aussi la garantie de la responsabilité ministérielle, garantie immense à
mes yeux, et la première de toutes dans cette matière.
Vous en avez eu encore un exemple à
l’une de vos dernières séances.
Vous avez entendu comment
l’honorable M. Dumortier a fait subir à. M. le ministre de l’intérieur les conséquences
de la responsabilité ministérielle, à propos de la formation du jury
universitaire. Supposez que ce jury eût été le produit de l’élection,
l’honorable M. Dumortier aurait pu avoir les plus légitimes sujets de plainte
et de reproche contre cet acte, il n’aurait pu les adresser à personne ; la
raison en est simple : il n’aurait su à qui s’adresser ; d’ailleurs on n’a pas
de colère à épancher contre 60 ou 100 personnes, que d’ailleurs on ne connait
pas, grâce au scrutin secret.
La responsabilité ministérielle, dit
l’honorable M. Dumortier, est un mot vide de sens, une garantie illusoire.
M.
Dumortier. - Oui, faute d’une loi qui l’organise.
M.
Lebeau. - Mais nous avons donc joué, sous le gouvernement
du roi Guillaume, une comédie de 15 ans ; car tous deux nous n’avons cessé de
la réclamer ; nous avons apposé notre nom à des pétitions qui la réclamaient.
Quel était le sens de ces pétitions ?
Etait-ce la responsabilité ministérielle, comme la réclame l’honorable M.
Dumortier ? Voici, quant à moi, comment je l’expliquais dans un livre, que
quelques mois avant la révolution, je publiai sous l’inspiration des
circonstances de l’époque :
« Je tiens assez peu au droit
d’accusation judiciaire contre le ministre ; mais sans leur responsabilité
devant la chambre et la nation, pour les actes du pouvoir royal, il est évident
que nous avons le despotisme, momentanément déguisé sous quelque forme. »
Voilà dans quels termes on parlait
généralement alors de la responsabilité ministérielle.
En Angleterre, depuis près d’un
siècle, on n’a pas porté, je crois, une accusation contre un ministre. Est-ce
que pour cela l’Angleterre n’a pas la responsabilité ministérielle ? En France,
depuis 1830, la responsabilité ministérielle n’est pas organisée par une loi.
Est-ce qu’on croit pour cela la France sous un régime despotique ? En Belgique,
n’a-t-on pas mis en pratique le dogme de la responsabilité ministérielle ?
L’honorable M. de Theux n’a-t-il pas su, par vous surtout, honorable collègue,
en 1840, ce que c’était que la responsabilité ministérielle ? Et vos amis en
1841, ne l’ont-ils pas aussi mise en pratique ? Etait-ce alors un vain mot ?
M.
Dumortier. - Ce n’est pas un motif pour sacrifier les
libertés publiques.
M.
Lebeau. - La responsabilité ministérielle, comme l’a
dit M. le ministre de l’intérieur, personne ne l’a mise plus en pratique que
vous ; car il n’est jamais sorti de votre bouche un éloge en l’honneur des
ministres, si ce n’est un éloge posthume.
M.
le président. - Veuillez -vous adresser à
l’assemblée ou au président.
M.
Lebeau. - Il n’y a rien de désobligeant dans mes
paroles. Au reste, je me conforme à l’observation de M. le président et je
m’adresse à l’assemblée.
L’honorable membre qui a si peur que
la responsabilité ministérielle ne soit illusoire, n’a pas, je le répète, accordé
un mot d’éloge aux ministres, avant qu’ils ne fussent bien et dûment morts (on rit).
M.
Dumortier. - Il y en a assez, sans moi, qui les
flagornent.
M.
Lebeau. - Mais je ferai observer notre honorable
collègue que, sans parler de la responsabilité parlementaire au sujet de
laquelle nous sommes tous d’accord, nous avons la responsabilité judiciaire au
plus haut degré ; nous l’avons aux termes de la constitution qui porte :
« Art. 134. Jusqu’à ce qu’il y
soit pourvu par une loi, la chambre des représentants aura un pouvoir
discrétionnaire pour accuser un ministre, et la cour de cassation pour le
juger, en caractérisant le délit et en déterminant la peine.»
Voila un pouvoir discrétionnaire,
effrayant s’il en fût. Qui donc a intérêt à ce que cette responsabilité soit
réglée par une loi comme le demande l’honorable M. Dumortier ? Ce n’est pas la
chambre ; c’est le ministère.
Il est vrai que, dans l’article dont
je viens de donner lecture, il y a la restriction suivante :
« Néanmoins, la peine ne pourra
excéder celle de la réclusion, sans préjudice des cas expressément prévus par
les lois pénales. »
Est-ce par hasard cette restriction
qui embarrasse l’honorable M. Dumortier ? Et voudrait-il qu’on y substituât la
peine de mort ? Est-ce que, pour lui prouver qu’il y a une responsabilité
ministérielle en Belgique, il faudrait qu’on pendît un ministre tous les dix
ans ? (On rit.) L’honorable M.
Dumortier est-il de l’avis de ce tribun anglais, qui ne pouvait croire à la
responsabilité ministérielle, avant que la constitution de son pays ne fût
imprimée sur peau de ministre ? (Hilarité
générale, à laquelle prend part l’orateur lui-même.)
Au point de vue pratique, la
nomination par le gouvernement est encore ce que vous devez préférer, si l’on
veut que les établissements et les sciences soient convenablement représentés.
Il faut des correspondances, il faut
des conférences, tantôt avec les administrateurs des universités de l’Etat,
tantôt avec les administrateurs des établissements libres. Tous ces moyens
d’administration, messieurs, sont impraticables soit de la part des chambres,
soit de la part des corps scientifiques, des corps collectifs. Ni les chambres,
ni les corporations ne peuvent se mettre en rapport avec les universités, elles
ne peuvent administrer. Voilà encore, messieurs, une des raisons qui
condamnent, je le dis à regret, le système de mon honorable collègue, M.
Delehaye.
Le gouvernement seul est à même, en
donnant à ces opérations une certaine suite, d’échelonner d’une manière
équitable la représentation des établissements et des sciences. Vous avez un
exemple des difficultés de cette tâche dans les représentations de l’université
de Gand. Elle vous fait remarquer que, dans la faculté de philosophie et
lettres seule, quinze matières d’enseignement se trouvent réunies. Comment
voulez-vous, messieurs, que des corps législatifs, que des corps scientifiques
puissent entrer dans tous les détails de l’organisation universitaire et y
appliquer équitablement les choix à faire d’année en année ? Cela est
absolument impossible.
On a beaucoup parlé, messieurs, des
améliorations introduites par le projet de la section centrale sur le projet
ministériel, et sur le statu quo. Eh bien, je dirai, comme plusieurs de mes
honorables collègues : si on repousse le projet du gouvernement, j’aime
beaucoup mieux le statu quo, que le système de la section centrale.
Ainsi, la rotation pour les personnes
qui a été portée si haut dans les discours de ceux qui appuient le projet de la
section centrale, je la trouve, moi, complètement illusoire. Les noms propres
seuls seront changés, mais les mêmes établissements peuvent être inféodés au
jury. Et, messieurs, il y a surtout le moyen de rendre cette rotation
complètement illusoire dans la faculté donnée aux chambres et au gouvernement
par la section centrale, de substituer immédiatement au titulaire qui se
retire, son suppléant pris probablement dans la même faculté et dans le même
établissement.
On dit, messieurs, que le jury a été
jusqu’à présent parfaitement impartial. Soit, je veux le croire. D’ailleurs, il
y avait une assez grande garantie de ses opérations, c’est la publicité qui y
préside. Mais êtes-vous bien sûrs que cette impartialité soit acceptée par tout
le monde ? Avez-vous pénétré dans le sein de toutes les familles ? Etes-vous
bien certains que tel jeune homme sorti, soit d’une des universités de l’Etat,
soit de l’université de Bruxelles, et renvoyé par le jury, n’ait pas reporté
dans son cœur et n’ait pas fait partager à sa famille des soupçons de
partialité ? N’est-ce pas déjà un mal, messieurs que ces soupçons aient une
apparence, aient un prétexte quelconque ? Cela ne suffirait-il pas pour
empêcher, par la loi, qu’un établissement reçoive une prépondérance trop
marquée dans la composition du jury d’examen ? Qu’on ne s’y trompe pas,
messieurs, l’impartialité du jury n’est pas le but principal de la loi ; le but
véritable de la loi, c’est l’équilibre, c’est l’impartialité entre les
établissements.
Je remarque ensuite dans le projet de
la section centrale un vice nouveau et bien grave : c’est la limitation de la
prérogative royale par le fait même de l’action parlementaire. Aujourd’hui,
quels que soient les choix de la chambre ou du sénat, le gouvernement est libre
dans son action. Mais si le système de la section centrale et accepté, le
gouvernement verra les pouvoirs qu’il tient de la loi actuelle singulièrement
restreints. Il suffira que la chambre des représentants prenne un juré dans une
des universités de l’Etat, que le sénat en prenne un autre, pour que le
gouvernement ne puisse plus puiser dans la même faculté et pour la même section
un seul professeur de cette université, quelle que soit sa position, quelles
que soient ses lumières. Sous ce rapport il est évident que la position du
gouvernement est empirée.
Un honorable membre me dit que c’est
une erreur. J’entendrai volontiers ses explications. Mais cette erreur m’est
commune avec beaucoup de membres de cette chambre.
Messieurs, j’ai déjà entretenu trop
longuement la chambre, et je me hâte de finir.
Je voterai donc contre le projet de
la section centrale et pour le projet du gouvernement ; et en émettant ce vote,
je crois rendre un nouvel hommage à la liberté de l’enseignement, à laquelle je
suis aussi dévoué que qui que ce soit dans cette enceinte.
Messieurs, qu’il me soit permis de
vous présenter une dernière et bien importante considération.
Ce n’est pas
Voilà, messieurs, ce qu’on peut dire
à l’étranger. Songez-y bien ; une grande et sainte solidarité lie les
catholiques de
M. le président. - Toute marque d’approbation
est interdite.
M.
Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, j’étais loin de m’attendre à ce que, dans une discussion aussi
grave, aussi solennelle, un membre de cette chambre serait venu, s’écartant de
la discussion elle-même, m’offrir comme jouet à l’assemblée et présenter ma
pensée comme une pensée sanguinaire. J’étais loin de m’attendre à voir
l’honorable préopinant venir ici m’accuser de ne croire à la responsabilité
ministérielle que lorsque j’aurais vu pendre un ministre tous les dix ans, ou
lorsque j’aurais vu l’acte de cette responsabilité imprimé sur la peau d’un
ministre. (Hilarité). Voilà
cependant, messieurs, les paroles que vous avez entendues.
Lorsque j’ai proclamé dans cette
enceinte que la responsabilité ministérielle n’était qu’un vain mot chez nous,
j’ai ajouté que c’était parce que nous n’avions pas de loi qui réglât cette
responsabilité. Et aussi longtemps que nous n’aurons pas satisfait à cette
prescription de la constitution, je le répète, il restera démontré pour moi que
la responsabilité ministérielle en Belgique n’est qu’un vain mot.
On a parlé, messieurs, de fiel et de
colère, Mais ne pourrais-je pas demander à celui qui m’interpelle de la sorte,
dans lequel de nos deux cœurs se trouvent le fiel et la colère ? Est-ce
peut-être parce qu’il y a dix ans, à la suite d événements que je ne
rappellerai pas, j’ai demandé qu’on appliquât ce principe à la responsabilité
vis-à vis de l’honorable préopinant, qu’il vient me représenter comme un homme
sanguinaire, comme un homme qui voudrait voir pendre un ministre tous les dix
ans, qui voudrait voir la charte de la responsabilité ministérielle imprimé sur
la peau d’un ministre ?
Eh ! messieurs, quand nous avons vu
qu’en Belgique les lois pouvaient être méprisées, quand nous avons vu qu’en
Belgique des ministres pouvaient transgresser les lois qui protègent la liberté
des citoyens et que la responsabilité ministérielle était nulle en présence de
pareils faits, n’étais-je pas en droit de dire que la responsabilité
ministérielle n’existe pas en Belgique ?
Vous parlez de responsabilité
ministérielle ; mais commencez par accepter le système qui régit la France et
l’Angleterre ; n’ayez point le quart de la chambre composé de fonctionnaires
amovibles, toujours prêts à voter en faveur du ministère ! N’admettez point au
banc des ministres un homme qui vient proclamer que tout agent du gouvernement
qui votera contre lui dans cette enceinte, sera passible de destitution.
Lorsque de pareilles doctrines sont professées inopinément à cette tribune,
peut-on encore parler de responsabilité ministérielle ?
Je regrette, messieurs, qu’on me force
à rappeler certains souvenirs, mais la mansuétude a ses bornes, et lorsque l’on
vient me représenter comme un homme sanguinaire, alors c’est un devoir pour
moi, je ne dirai pas de rappeler mais de faire allusion à certains précédents.
« Mais, dit l’honorable membre, M.
Dumortier n’a jamais adressé d’éloges aux ministres. » Non, messieurs, je n’ai
jamais adressé d’éloges aux ministres ce n’est point là mon rôle ; ce ne l’a
jamais été, ce ne le sera jamais. Vous-mêmes avez été ministres ; vous n’avez pas
manqué des gens qui faisaient votre éloge, les flatteurs ne vous ont pas
manqué, mais je n’étais pas du nombre, et si c’est cela que vous attendez de
moi, vous ne l’obtiendrez jamais.
Voyez, du reste, la
contradiction on prétend que la responsabilité des ministres existe, on prétend
qu’elle existe dans sa plénitude....
M.
le président. - Ce n’est pas là un fait personnel.
M.
Dumortier. - Aux termes d’une loi votée par le congrès,
celui qui a été injurié dans un écrit périodique, a droit à 30 lignes ; je n’en
prendrai pas d’avantage.
M.
le président. - Veuillez-vous restreindre dans le
fait personnel.
M.
Dumortier. - Je m’y renferme.
Voyez donc, messieurs, la
contradiction : on vient dire que la responsabilité ministérielle existe et au
même moment l’honorable membre, avec cette lucidité qu’il sait si bien mettre
dans ses discours quand il défend la vérité, au même moment l’honorable membre
nous démontre que dans la loi présentée il n’y a plus de responsabilité pour le
gouvernement. Mais que l’honorable membre se mette donc d’accord avec lui-même.
M.
le président. - Ce n’est point là un fait personnel.
M.
Dumortier. - Je n’ai point fini ; je suis juge de la
question de savoir si c’est un fait personnel.
M.
le président. - Si M. Lebeau avait dit ce que vous
lui faites dire, je l’aurais rappelé l’ordre, mais vous avez mal compris ses
expressions et j’ai la conviction qu’aucun membre de l’assemblée n’a vu quelque
chose de personnel dans les paroles de M. Lebeau.
M.
Dumortier. - Mais vous l’avez rappelé à l’ordre.
M.
le président. - Je ne l’ai pas rappelé à l’ordre.
Je l’ai rappelé au règlement, parce qu’il s’adressait à vous au lieu de
s’adresser à l’assemblée ou au président.
M.
Lebeau - Si M. Dumortier voulait me permettre de lui
donner une explication...
M.
Dumortier. - Je n’ai plus que deux mots à dire pour
rencontrer les expressions finales du discours de l’honorable membre. « Vous
voulez, dit-il, avoir raison par la complicité, par l’iniquité de la
législature. »
M.
le président. - M. Lebeau n’a pas dit cela ; je ne
l’aurais pas permis : il n’a parlé que de la législation, ce qui est bien
différent.
M.
Dumortier. - Soit. Il ne s’agit point de jouer sur les
mots. Qui est-ce qui fait la législation si ce n’est la législature ?
M.
le président. - Lorsque le gouvernement et la
section centrale proposent la réforme d’une loi, il est permis à tout membre de
la chambre de qualifier la loi dont on propose ainsi l’abrogation, de l’appeler
mauvaise, détestable, inique même, comme d’autres peuvent l’appeler bonne,
excellente. Je ne puis donc pas vous continuer la parole pour répondre à M.
Lebeau. Encore une fois, ce n’est pas là un fait personnel.
M.
Dumortier. - Je vois bien, M. le président, que vous êtes
beaucoup plus rigoureux pour les uns que pour les autres.
M.
le président. - Si la chambre partageait l’avis de
M. Dumortier, il ne me resterait qu’à descendre du fauteuil.
De toutes parts. - Non ! Non !
M.
le président. - Si je permets quelquefois d’aller
plus loin que je ne voudrais qu’on aille, c’est pour ne pas interrompre l’orateur,
c’est pour éviter des incidents qui font toujours perdre du temps à la chambre.
Quant au reproche que me fait M. Dumortier, d’être plus sévère pour l’une que
pour l’autre, j’y suis très sensible et je dois le prier de le rétracter.
M. Dumortier. -
Je ne le rétracterai pas. (A l’ordre, à
l’ordre.)
M.
le président. - M. Dumortier, je vous prie, de
nouveau de retirer votre expression.
M.
Dumortier. - Ce qui m’a indigné, M, le président, c’est
d’entendre dire que je voudrais voir la responsabilité ministérielle écrite sur
peau de ministre.
M.
le président. - Il y a quelque fois dans un
discours des choses détournées que je puis ne pas approuver, mais qu’il est
impossible au président de relever, sans interrompre à chaque pas les orateurs.
M.
Lebeau. - Messieurs, je suis douloureusement affecté
(et ce que je dis ici n’est point une précaution oratoire), je suis
douloureusement affecté de la méprise de l’honorable M. Dumortier. Je vous
l’avoue, je ne comprends pas qu’un homme d’esprit, comme l’honorable membre,
ait pu se tromper un seul instant sur le sens de mes paroles. Comment !
J’aurais attribué à M. Dumortier un caractère sanguinaire ?
Mais, messieurs, personne ne
connaît mieux que moi la bonté de cœur de cet honorable collègue. Personne ne
connaît mieux que moi la générosité de ses élans, de son premier mouvement.
Lorsque j’ai dit que l’honorable M. Dumortier ne flattait que les morts, loin
de chercher à le blesser, je lui ai adressé, sous le voile de la plaisanterie,
un très grand éloge. Quand je l’appelle flatteur des puissances déchues, c’est,
permettez-mol de le dire, le plus grand éloge qu’on puisse adresser à un homme
politique. L’honorable M. Dumortier sait quels sont mes rapports avec lui, il
sait quelle est mon estime pour son cœur, il sait que, malgré les divergences
d’opinions qui nous séparent, je lui porte une amitié sincère. Si dans mes
paroles, il y a quelque chose qui fût de nature à blesser ses susceptibilités,
je déclare rétracter tout ce qui pourrait avoir ce triste résultat. Je déclare
que l’honorable M. Dumortier est un des hommes parlementaires dont j’apprécie
le plus les qualités de cœur et pour lequel j’ai le plus de sympathie.
M.
Dumortier. - Je m’associe de tout cœur aux sentiments que
vient d’exprimer l’honorable M. Lebeau. Pour mon compte, je déclare rétracter
tout ce qui pourrait être blessant pour qui que ce soit dans cette chambre. (Bien, bien.)
M.
de Foere. - Messieurs, je ne jetterai pas, à l’exemple de
l’honorable préopinant, dans la discussion une foule d’idées qui lui sont
totalement étrangères.
Afin de ne pas la prolonger
inutilement je tâcherai de la restreindre dans un cercle dans lequel le débat
de la grave question qui nous occupe me paraît être concentré.
Dans mon opinion, et, je crois
pouvoir me permettre d’ajouter, dans l’opinion des membres de la chambre qui
ont analysé les débats avec justesse, nous n’avons devant nous que deux
objections qui méritent l’attention de la chambre.
L’une a été avancée, dés l’ouverture
de la discussion, par l’honorable ministre de l’intérieur, appuyé pendant ces
débats par plusieurs membres de la chambre et, en dernier lieu, par l’honorable
préopinant. C’est l’opinion qui croit que le gouvernement offre plus de
garantie d’impartialité que les chambres dans la nomination du jury d’examen,
et qu’en conséquence, cette nomination doit lui être exclusivement attribuée.
L’autre objection a été d’abord
soutenue par les honorables MM. Jonet et Lys, et ensuite par les honorables MM.
Fleussu et Verhaegen. Cette objection a pour objet la question
constitutionnelle.
La nomination do jury d’examen par
les chambres, selon nos honorables adversaires, serait la confusion du pouvoir
législatif et du pouvoir exécutif ; ce serait un empiétement du premier de ces
pouvoirs sur le dernier enfin ce serait une atteinte portée à la prérogative
royale. Donc il faudrait restituer au roi cette prérogative qui lui aurait été
enlevée par la loi de 1835. Je crois avoir dessiné nettement les positions de
nos adversaires. Examinons maintenant la valeur des armes avec lesquelles ils
les ont défendues.
Les chambres, disent-ils, sont des
corps politiques. Les nominations du jury d’examen doivent être étrangères à la
politique ; elles doivent lui être soustraites. Si elles sont faites par les
chambres, elles seront influencées par les partis politiques ; elles auront,
plus ou moins, selon les situations, la couleur des majorités parlementaires
par lesquelles elles seront dictées.
J’accepte ces prémisses dans toute
leur rigueur ; si je les accepte, c’est une preuve que nous n’avons pas
l’intention de reculer devant aucune objection fondée, quelque sévère qu’elle
puisse paraître aux yeux de nos adversaires. Aussi, cet acte de conformité
d’opinion sur un point important n’est pas, de ma part, une concession c’est
une profession de foi politique ; elle est dans mon intime pensée, dans ma
profonde conviction, fondée sur l’évidence des faits.
Je ne recule pas, comme vous voyez,
devant les mots choix politique et choix impartial que l’honorable M.
Lebeau vient de jeter dans cette séance comme un épouvantail, comme une
contradiction palpable, comme deux idées qui sont inconciliables, comme deux
idées qui s’excluent et hurlent de se trouver ensemble. Oui, les majorités
parlementaires sont des corps politiques et j’ajouterai même qu’il est
impossible qu’elles soient autre chose, ou qu’elles soient des masses qui
restent inertes, lorsque l’impulsion leur est imprimée par les intentions et
les principes qui les forment et les animent.
Mais si nous sommes d’accord sur un
fait qui entre dans le fond de ce débat, nous sommes loin de l’être sur les
conséquences que, de part et d’autre, nous en tirons. Avant d’entrer plus loin
dans la discussion, je prie mes honorables adversaires de ne pas perdre de vue
que la plus grande somme d’impartialité dans la nomination du jury d’examen est
la solution que nous tous, sans exception, nous recherchons dans ces
délibérations. Comprendre nettement le but d’une discussion, c’est en faciliter
l’intelligence.
Les membres les plus intelligents ont
sans doute déjà compris que ma tâche consiste à rétorquer contre nos
adversaires les conséquences qu’ils ont tirées des prémisses que nous posons de
commun accord.
Eux, ils veulent que les nominations
du jury soient exclusivement attribuées au gouvernement. Or, chez nous, le
gouvernement, ce sont des ministères parlementaires, par conséquent des corps
politiques, mus et agités, dans toute leur essence, par les impulsions et les
influences des partis politiques et particulièrement par les majorités
parlementaires qui leur confient le maintien de leurs principes et de leurs
intérêts, et qui, pour cette raison, les appuient et les soutiennent. S’il en
était autrement, une invariable loi naturelle ne s’accomplirait pas ; ces
ministères parlementaires n’auraient pas l’instinct de leur propre conservation.
Déjà l’honorable ministre de
l’intérieur a accepté ces prémisses ; j’aime à croire que mes autres honorables
adversaires les accepteront également. S’ils les admettent, la discussion se
simplifie considérablement et elle s’établit désormais exclusivement sur
d’autres faits dont nous allons examiner la justesse et la valeur.
Si le jury est nommé par le
ministère, je soutiens, contre l’assertion de M. Lebeau, que le jury sera
inévitablement transformé en commissions gouvernementales. L’histoire de tous
les gouvernements parlementaires est là pour démontrer à l’évidence que toutes
les commissions gouvernementales ont été composées d’une majorité de membres
dévoués à la cause du gouvernement et d’une minorité destinée à couvrir la
partialité et à fasciner les yeux du public. Il en a été de même des
commissions parlementaires dans lesquelles les intérêts politiques des
ministères étaient engagés. Entre plusieurs autres exemples, je vous cite les
commissions d’adresse. Les différents cabinets ont attaché toujours un vif
intérêt et pris une large part à leur nomination.
Ce serait une grande simplicité ou
une vraie niaiserie d’examiner isolément la valeur intrinsèque des propositions
et des lois, quelqu’impartiales qu’elles puissent paraître sous le rapport de
leur fond et de leurs formes.
Il faut nécessairement compter, dans
leur discussion, avec les positions, les vues, les intérêts et les passions de
ceux qui sont chargés de leur exécution. Une commission de jury d’examen, nommé
par le gouvernement, doit subir nécessairement leurs influences.
En effet, il faut l’avouer, ce sont
là les tristes enseignements de l’histoire de la nature humaine que, dans la
confection des lois, surtout dans leurs moyens d’exécution, la législature doit
prendre en mûre considération, sous peine de se jeter à côté des questions, de
manquer totalement le but et de tomber dans de déplorables déceptions.
Si les influences plus ou moins
partiales qui seront exercées sur la nomination du jury sont reconnues de part
et d’autre, soit que cette nomination ait lieu par le gouvernement ou par les
chambres, le débat se réduit à la question de savoir 1° De quel côté se
trouvera la plus grande impartialité dans la nomination du jury, et 2° lequel
des deux côtés pourra éviter avec le plus de facilité et de résultat les
difficultés graves qui s’opposeront à la pratique de cette impartialité
L’honorable M, Verhaegen a déjà
compris que je me place ici dans une position qu’il a prise lui-même, et que,
par conséquent, je ne m’en crée pas une à ma convenance selon les exigences de
mon argumentation et du but que je désire atteindre.
L’honorable membre a fait observer
avec beaucoup de justesse, que, dans cette discussion, qui présente deux côtés
saisissables, il faut choisir celui qui présente le moins d’inconvénients.
Cette opinion est, sans doute, partagée par tous les membres de la chambre et
comme nous ne devons pas nous attendre que la providence de M. Lebeau se
manifeste à cette chambre, nous allons rechercher ce côté qui présente le moins
d’inconvénients.
Lorsque nos honorables adversaires
objectent contre la nomination du jury par les majorités des chambres, il me
semble qu’à l’exception de mon honorable et aimable voisin qui siège à ma
gauche, ils n’ont pas remarqué qu’aucun ministère parlementaire, quoi qu’il
fasse, ne puisse se soustraire à ces majorités. Tous doivent en subir
nécessairement les influences plus ou moins exigeantes selon les exigences
mêmes de ces majorités. Tous les ministères s’appuient sur elles ; elles sont
leur condition d’existence. L’instinct de leur propre conservation les porte
fatalement à respecter ces majorités et à obéir à leurs influences. M. Thyrion
l’a reconnu, les majorités parlementaires sont debout devant les ministres.
Donc l’objection que nos adversaires ont élevée contre la nomination du jury
par les chambres, cette même objection ils l’ont élevée contre eux-mêmes, ou
contre le gouvernement auquel ils veulent attribuer exclusivement cette
nomination. Cependant, je resterai dans les termes d’un raisonnement modéré ;
quoique la position à laquelle j’ai amené jusqu’à présent la question, semble
m’autoriser à pousser mes conséquences plus loin, je n’en conclurai cependant
pas que l’objection de nos adversaires soit entièrement dissipée. Seulement je
dirai que, s’ils veulent sincèrement, comme je n’en doute pas, la plus grande
somme d’impartialité dans la nomination du jury, la loi de 1835 renferme les
éléments nécessaires pour tempérer les exagérations des majorités
parlementaires d’un côté, et les exagérations du gouvernement de l’autre, et
établir l’équilibre.
L’honorable M. Lebeau vient de le
reconnaître lui-même, Il a établi en fait incontestable que, sous le ministère
de M. de Theux et de M. Rogier, la balance a été établie. Si le fait est
reconnu par l’honorable préopinant, que deviennent ses autres argumentations
contre les influences des majorités parlementaires en présence de la loi de
tempérament et de balance de 1835 ? Quelle est surtout la valeur de cette
assertion, que « le système de 1835 est irrévocablement jugé par le seul
fait des chambres et des chiffres qu’il a présenté comme une démonstration
? » Ses propres aveux détruisent le sens de ses paroles. Chez nous, les
majorités parlementaires ont voulu s’assurer d’avance de leurs choix. Il était
ouvertement reconnu par une pratique constante de la loi de 1835, que le sénat
et le gouvernement, par leurs nominations, auraient établi la balance, et si la
majorité parlementaire avait fait des choix en dehors de ses principes, la
balance aurait été encore rétablie par les nominations subséquentes. Telle a
été l’économie pratique de la loi de 1835. Je persiste à soutenir que cette
harmonie et cette impartialité seraient rompues, si les nominations étaient
faites exclusivement par les chambres d’un côté, ou exclusivement par le
gouvernement de l’autre, et j’en conclus que, pour maintenir cette balance et
pour conserver cette impartialité, il faut rester dans les termes de la sage
loi de 1835.
En second lieu, nos honorables
adversaires ne semblent pas avoir remarqué qu’ils s’engagent dans une impasse
d’où il leur est difficile de sortir.
En invoquant à leur appui les
influences partiales des majorités parlementaires, ils attaquent la nature même
du gouvernement constitutionnel et représentatif. Ces majorités sont
essentielles à ce gouvernement, et elles ne s’établissent qu’avec l’intention
directe de chercher à réaliser leurs principes, leurs vues, leurs intérêts
politiques et même quelquefois, ce qui est un grand malheur, leurs passions
particulières. Eh bien, si dans la confection des lois, de semblables motifs
pouvaient être invoqués contre les majorités pour leur enlever une partie de
leurs prérogatives constitutionnelles, ou pour écourter leurs pouvoirs,
dérivant de la constitution et de la nature des choses même, où serait la
possibilité de tout parlement ? Le jour où, pour atteindre ce but, vous
commenceriez à mettre ces motifs en discussion et à les faire prévaloir contre
les influences des majorités, de ce jour-là daterait l’atonie, et j’irai
jusqu’à dire l’agonie des parlements. Ils ne seront plus que des corps énervés,
sans puissance comme sans action. L’histoire de Charles I et de Charles II est
là pour vous en fournir la démonstration. C’est donc une des nécessités
humaines, comme tant d’autres, qu’il faut subir, sous peine de vous écraser
vous-même.
Il n’est pas nécessaire de faire
observer aux intelligences classiques de la chambre que, lorsqu’une opinion
conduit à la destruction de l’autorité d’où elle émane et, par conséquent, à
l’absurde, prise en elle-même, elle ne peut être vraie ; elle ne peut être
soutenable.
Le gouvernement se trouve-t-il en
présence de cette question, dans la même condition ? La proposition se
présente-t-elle sous le même point de vue, lorsque vous l’examinez sous le
rapport des nominations du jury faites par le gouvernement ? Ici la question
entre tout entière dans le cœur du gouvernement parlementaire.
En effet, quel est le but de ce
gouvernement généralement reconnu ? Quelle est ici notre mission hautement
avouée ? L’opinion publique, qui semble dominer aujourd’hui, a voulu, à tort ou
à raison, (je ne discute pas le principe ; je prends le fait tel qu’il se
présente devant nos yeux), cette opinion a voulu un gouvernement représentatif.
Non seulement elle a supposé les erreurs, les influences partiales, les
intérêts particuliers, les abus et les passions des gouvernements, mais elle
les a admis en fait et, par conséquent, en principe ; elle les a posés comme
l’unique base de la nécessité du gouvernement parlementaire. Afin d’obvier
autant que possible à tous les abus (et vous connaissez aujourd’hui la juste
valeur de cette possibilité), cette opinion publique a voulu que les chambres
législatives contrôlassent et restreignissent l’action de ces gouvernements.
Elle a voulu que la législature leur dictât non seulement la loi, mais encore
les moyens d’exécuter la loi. Or, c’est dans une semblable disparité de
situation entre le gouvernement et les chambres que la majorité (erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars
1844 :) de nos honorables adversaires prétende trouver une similarité
de position.
J’ai constaté la volonté de l’opinion
publique, et les bases de cette volonté relativement au gouvernement
parlementaire que nous avons établi ; j’ai admis en fait, et en fait
inévitable, les influences politiques du gouvernement et des chambres ; si ces
faits sont admis par la chambre, que devient le raisonnement de l’honorable M.
Fleussu qui, vous a dit, avec l’énergie qu’on lui reconnaît : « La politique
doit rester étrangère à la nomination du jury d’examen. »
Savez-vous où conduit ce raisonnement
? Pris dans ses conséquences rigoureuses, il conduit à dire : Les gouvernements
ne doivent pas commettre des abus, donc les chambres législatives sont un
rouage inutile ; on ne doit pas voler ; par conséquent, il ne faut pas de lois
pénales contre les voleurs. C’est une argumentation aussi absurde dans laquelle
l’honorable M. Lebeau vient d’entrer. Lorsque le gouvernement, a-t-il dit, fait
des actes d’administration, il ne peut faire de la politique.
Entre ce qui est permis de faire aux
gouvernements et ce qu’ils font en réalité, la distance est immense. C’est
parce qu’ils font souvent ce qui ne leur est pas permis de faire, que les
contrôles des pouvoirs législatifs et judiciaires sont établis. L’honorable
préopinant s’est appuyé sur une distinction qu’il a faite entre des actes
d’administration et des actes politiques. Il aurait mieux fait de prendre les
affaires gouvernementales telles qu’elles se présentent dans les faits
généralement reconnus, au lieu d’établir des distinctions vaines, distinctions
que les réalités détruisent. Je persiste à soutenir qu’il n’est aucun acte
d’administration, aucune nomination gouvernementale qui ne puisse être dicté
par des principes politiques et par les influences des majorités
parlementaires. Dès lors, je suis en droit de soutenir aussi que l’absurdité de
la distinction de l’honorable M. Lebeau est démontrée par les faits
universellement reconnus.
Et qu’a fait M. Lebeau lui-même
lorsqu’il était au ministère ? plusieurs actes de l’administration de son
ministère n’ont-ils point été dictés par ses opinions politiques ? En
assimilant les destitutions aux nominations, n’a-t-il pas aussi destitué par
motifs politiques, deux fonctionnaires assez élevés dans la hiérarchie administrative
? Que l’on cesse donc de soutenir que les gouvernements, en faisant des actes
d’administration, ne peuvent pas faire de la politique.
Il est vrai, tout en avouant que le
ministère est aussi un corps politique et que dans les nominations du jury, il
peut ne pas faire abstraction de son rôle politique, l’honorable ministre de
l’intérieur, et après lui, l’honorable M. Fleussu, ont cherché à nous faire
tomber en contradiction. Ils nous ont fait observer que beaucoup d’autres
nominations sont abandonnées à la discrétion du gouvernement, et que ces
nominations pourraient lui être aussi disputées par la même raison qu’elles
sont influencées par les principes et les vues politiques qui dominent dans les
différents cabinets. C’est exagérer la thèse. Croient-ils, peut-être que, si la
législature eût à sa disposition des moyens de contrôler efficacement et de
diriger dans des vues droites et justes, ces autres nominations, elle n’en
userait pas avec empressement ? Si la législature disposait des moyens de prévenir
même les injustes destitutions politiques, semblables à celles que nous avons
vu pratiquer, nul doute, qu’elle ne les employait.
Dans les choses humaines, il faut se
restreindre dans le cercle des possibilités, sous peine de tomber dans les
erreurs des métaphysiciens politiques, ou d’empirer le mal tout en voulant y
remédier.
Ces nominations et ces destitutions,
faites par des motifs politiques, ne restent d’ailleurs pas sans contrôle, ni
sans châtiments, lorsqu’elles ont été injustes. Les chambres et le pays les
observent avec rigueur pour apprécier la moralité des ministres. Lorsque les
majorités ne sont pas corrompues, les chambres punissent ces abus en retirant
aux cabinets qui s’en sont rendus coupables, leur appui et le pays les arrête
en dirigeant contre ces ministères, les élections avec vigueur. Déjà des
ministères précédents ont subi la juste réaction qui, pour ces causes, s’est
opérée contre eux dans les chambres et dans l’opinion publique.
Au surplus, la constitution, inspirée
par l’expérience des abus en fait de nominations, et de la bonne administration
du pays, a eu soin d’en soustraire elle-même quelques-unes au pouvoir exécutif.
Le principe qui nous conduit, la juste anxiété qui nous anime pour la
conservation intacte d’une précieuse liberté, sont donc déposés dans la
conservation même, et c’est contre ce principe et contre cette sage servitude
que, remarquez-le bien, messieurs, le cabinet actuel s’élève, tout en
reconnaissant que la prérogative royale et constitutionnelle n’est pas engagée
par la nomination du jury d’examen faite par les chambres ! Et, remarquez-le,
en outre, l’honorable ministre de l’intérieur s’oppose à ces nominations faites
par les chambres, en avouant que, combinées avec les nominations du
gouvernement, elles ont présenté jusqu’ici un caractère d’impartialité.
Le gouvernement se trouve
relativement à la nomination du jury d’examen dans une position extrêmement
difficile, dans laquelle l’impartialité lui est presque impraticable. Quoi ! il
a devant lui, d’un côté, les deux universités de l’Etat que, comme
gouvernement, il est obligé de soigner et de protéger particulièrement, et,
d’un autre côté, il est tenu par la religion du serment constitutionnel de
respecter, de protéger et de maintenir la liberté d’enseignement dans
l’existence des deux universités libres, et il croit pouvoir se jeter, sans
imprudence dans cette délicate position, sans que son action soit tempérée par
l’intervention des chambres ! Convenez-en, messieurs, placé dans une position
aussi délicate relativement à un intérêt aussi grave, le ministère jouerait
gratuitement, contre les intérêts du pays, sa responsabilité morale et sa
dignité de conseiller de la couronne.
Aussi les partis, ceux surtout qui se
posent dans la chambre comme hommes gouvernementaux, ces partis, lorsqu’il
entrerait dans leur situation politique, dans leurs convenances et dans leurs
intérêts, ne cesseraient de vexer et d’accabler le gouvernement, si tant était
qu’il fût possible de rester impassible au milieu du conflit des passions
politiques. Ils exigeraient impérieusement que les universités de l’Etat
fussent particulièrement protégées, comme déjà ces exigences se sont plusieurs
fois produites devant la chambre.
Afin que les nominations du jury
restent acquises aux chambres dans l’intérêt de la plus grande proportion
d’impartialité qu’il soit possible d’atteindre, il me reste une autre tâche à
remplir. Il faut encore prouver que ces nominations parlementaires ne portent
aucune atteinte à la prérogative royale.
J’aborde l’objection soulevée par les
honorables députés de Nivelles, de Verviers, de Liège et de Bruxelles. Ils ont
soutenu le projet de loi du gouvernement, parce qu’il restitue au Roi une
prérogative qui lui aurait été enlevée par la loi de 1835.
L’honorable M. Jonet a soutenu cette
thèse avec le plus de talent. L’impartialité et la loyauté parlementaires
veulent que je m’attache à mon adversaire le plus redoutable. L’honorable
membre a posé en prémisses la distinction constitutionnelle des pouvoirs. Les
chambres, a-t-il dit, n’ont pas le pouvoir de faire autre chose que des lois,
excepté lorsque la constitution leur confère d’autres pouvoirs, mais alors ces
pouvoirs sont déterminés par la constitution. Or, la constitution n’a pas
conféré aux chambres le droit de nommer le jury d’examen. En conséquence,
l’honorable membre soutient que les chambres, en s’attribuant le droit de
nommer ce jury, empiètent sur les attributions du pouvoir exécutif auquel le
droit de nomination appartient exclusivement.
Telle est, si je ne me trompe,
l’analyse substantielle et exacte du discours de l’honorable député de
Nivelles.
J’accepte aussi les prémisses qu’il a
posées en invoquant le principe général qui a pour objet la distinction des
pouvoirs. Je les accepte dans toute leur rigueur ; je les accepterais aussi
dans toutes leurs conséquences rigoureuses, si l’honorable membre avait défini,
d’une manière juste, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. La question
est tout entière dans la justesse de ces définitions.
Avant de procéder plus loin avec
l’honorable député de Nivelles, je dois m’arrêter un instant à une
quasi-assertion, émise, dans la séance d’hier, par l’honorable M. Fleussu. Cet
honorable membre vous a dit qu’il faut être circonspect quant à l’application
et la constitution de l’axiome de droit : ce qui n’est pas défendu est permis.
Il est allé jusqu’à dire : « Ce qui peut être vrai en droit criminel serait une
hérésie en droit constitutionnel. » J’aurais beaucoup à dire à l’honorable
député de Liége sur cette assertion plus que singulière ; mais je me bornerai à
lui demander une seule question : si un arrêt d’une cour supérieure quelconque
ayant pour objet un acte appartenant au droit constitutionnel, était basé sur
la violation de cet axiome de droit et qu’il fût porté devant la cour de
cassation, l’honorable membre croit-il sérieusement que cette cour suprême
sanctionnerait l’arrêt ? J’abandonne maintenant mon honorable adversaire à ses
méditations, pour rentrer dans la controverse avec l’honorable M. Jonet.
La constitution a-t-elle posé des
limites au pouvoir législatif relativement à la confection des lois et à leurs
moyens d’exécution, autant que ces lois et ces moyens exécutifs ne soient pas
évidemment contraires à d’autres dispositions constitutionnelles ? La
proposition contraire me paraît insoutenable et je ne pense pas qu’aucun membre
de la chambre entreprenne de la soutenir.
Poussons la question jusqu’au cœur
même du débat. Le pouvoir législatif usurpe-t-il le droit d’intervention dans
la nomination du jury d’examen, par la raison que les nominations appartiennent
constitutionnellement au pouvoir exécutif ?
Ici surgit la question de savoir si
ces nominations entrent comme éléments législatifs, ou comme moyens d’exécuter
les lois, dans les attributions du pouvoir législatif. Dans mon opinion,
l’affirmative est évidente. (Erratum
Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) La constitution n’a nulle part
limité la législature, quant à la détermination des moyens d’exécuter les lois.
L’honorable M. Verhaegen a demandé ces limites, mais je lui demanderai si des
limites, autres que celles qui sont directement contraires à d’autres
dispositions de la constitution étaient à déterminer, quelle autorité serait
investie du pouvoir de fixer ces limites ? Dans quelle proportion leur cercle serait-il
restreint ? Je ne pense pas que l’honorable M. Verhaegen, lui si
constitutionnel, si jaloux des droits et des prérogatives des chambres, soit
disposé (erratum Moniteur belge n°90, du
30 mars 1844 :) à les écourter ; mais, si tant était qu’il le voulût,
je lui demanderais seulement qu’il eût la bonté de découvrir dans quelque coin
de théorie, le point de départ et le point d’arrêt, et de ler fixer pour
l’instruction de la chambre.
Jamais la législature n’a été bornée
à aucune restriction quant au droit de fixer les moyens, d’exécuter les lois,
alors que ces moyens n’étaient pas directement en opposition avec des
dispositions constitutionnelles.
Mais, dit l’honorable M.
Jonet, d’après la constitution, au roi seul appartiennent les nominations aux
emplois. Or, cette opinion est ouvertement contredite par l’article 66 de la
constitution. Cet article est conçu en ces termes : « Le Roi nomme aux
emplois d’administration générale et de relation extérieure sauf les exceptions
établies par la loi. Il ne nomme à d’autres emplois qu’en vertu de la
disposition expresse d’une loi. »
Voilà donc le pouvoir législatif
expressément et ouvertement investi, par la constitution même du droit
d’établir des exceptions par la loi pour ce qui regarde les nominations aux
emplois. Le pouvoir exécutif est même limité, dans ses nominations aux emplois,
par les dispositions expresses de la loi ; or il appartient au pouvoir
législatif seul de porter des lois et, par conséquent d’établir, quant aux
nominations aux emplois, les exceptions ; il appartient aussi au pouvoir
législatif de porter ces dispositions de la loi en vertu desquelles le Roi
nomme à d’autres emplois.
La nature du pouvoir exécutif est
clairement déterminée. Ce pouvoir n’a d’autre droit que celui d’exécuter les
lois telles que les chambres les ont votées. Si le pouvoir exécutif s’avisait
d’employer des moyens d’exécuter les lois, autres que ceux qui ont été établis
par la loi même, il empiéterait évidemment sur les attributions du pouvoir
législatif.
Je conclus des observations que j’ai
eu l’honneur de présenter à la chambre 1° que, dans l’intérêt de la
conservation intacte de la plus précieuse de nos libertés publiques et
constitutionnelles et dans celui de maintenir la plus grande somme
d’impartialité dans la nomination du jury d’examen, les chambres doivent
intervenir dans ces nominations, et 2° que cette intervention n’empiète en rien
sur la prérogative royale.
Si la chambre, comme je le pense,
cherche le moyen de conserver aux nominations du jury la plus grande impartialité,
j’ai lieu d’espérer qu’elle adoptera mes conclusions.
M.
Orts. - Messieurs, il est vraiment déplorable, au point de
vue de la science, il est fatal à la prospérité des établissements
d’instruction universitaire, qu’une question toute de science ait été déplacée.
Une seule pensée domine le débat, comme elle divise les esprits : La
nomination des membres du jury d’examen doit-elle subir l’influence politique ?
Le projet ministériel rejette cette pensée comme funeste au bien-être de
l’instruction universitaire ; la section centrale la proclame comme une
nécessité, par là même qu’elle confie le choix du jury à des corps
essentiellement politiques.
De là deux systèmes en présence : le
premier, c’est la nomination par les chambres et par le gouvernement ; le
second, c’est la nomination confiée au gouvernement seul.
Mais, dit-on, le gouvernement, de
même que les chambres, présente l’intervention d’un corps politique.
C’est vrai, messieurs, mais avec
cette différence que les chambres ont des attributions exclusives, uniques : La
politique est leur caractère essentiel, elles ne sont pas en même temps corps
administratifs.
Le gouvernement, je dois en convenir,
exerce aussi un pouvoir politique, mais à côté de ce pouvoir, le gouvernement
en exerce un autre très important : c’est le pouvoir administratif.
Ainsi, un fait qui m’est acquis, et
que personne ne contestera, c’est que sous le rapport politique, je dois bien
moins me défier d’un corps qui joint à sa qualité de pouvoir politique la
qualité de pouvoir administratif, que d’un corps essentiellement et
exclusivement politique.
Un second fait qui m’est acquis,
c’est celui-ci.
La section centrale avoue, et ici
elle n’aurait pu s’empêcher de faire cet aveu, la section centrale avoue que dans
les nominations du jury d’examen, il y a eu partialité de la part des chambres.
La section centrale indique même comme cause de ce fait la nature toute
politique des fonctions des chambres.
« La majorité, dit-elle,
représente l’opinion du pays, nous ne sommes que l’émanation de l’opinion
publique, nous sommes donc un corps essentiellement politique, nous devons être
partiaux, lorsque la politique nous commande d’être partiaux. »
Mais le ministère qui est aussi un
corps politique mixte en quelque sorte, c’est-à-dire un corps politique sous un
rapport, et un corps administratif sous un autre rapport ; le ministère nous
présente-t-il les mêmes dangers au point de vue de la partialité ?
Ici, je dois le dire, le gouvernement
nous offre une garantie dans sa responsabilité, qui, non seulement est légale,
mais qui est en même temps morale, tandis que, d’autre part, les chambres ne
présentent ni responsabilité légale, ni responsabilité morale, et je le
prouverai à l’instant même.
La responsabilité légale de la part
du gouvernement est écrite dans le pacte fondamental. Différents articles s’en
occupent. L’art. 89 de la constitution porte :
« Art. 89. Aucun ordre verbal ni
écrit du Roi ne peut soustraire un ministre à la responsabilité. »
L’art. 90 met à côté du principe de
la responsabilité ministérielle la plus forte des sanctions : c’est le droit de
traduire les ministres devant la chambre des représentants comme jury
d’accusation, et de les faire juger par la cour de cassation.
L’art. 91 va encore plus loin : lorsqu’un
ministre est condamné, il n’a pas même le bénéfice dont jouit tout autre
citoyen, celui de grâce de la part du Trône ; le droit du Trône est ici limité
; le ministre n’obtient grâce que sur la demande de l’une des deux chambres.
Enfin, messieurs, l’art. 139 statue
qu’un des objets dont la législature aura à s’occuper, comme présentant la plus
grande urgence, c’est une loi organique de la responsabilité ministérielle, loi
dont le principe avait été écrit dans l’art. 90.
Voilà donc pour la responsabilité
légale du ministère.
Mais, dit-on, cette loi organique de
la responsabilité ministérielle, où est-elle ?
Messieurs, l’initiative étant accordé
par la constitution à chacune des branches de la législature, chacun de vous
aurait pu depuis longtemps proposer une pareille loi à la chambre, s’il avait
cru qu’il fût utile d’organiser plus tôt le principe de la responsabilité
ministérielle.
Maintenant, la responsabilité morale
du ministère est immense ; tous ces actes sous patents, publics ; la presse
dénonciatrice est là pour signaler tous les cas de responsabilité qui
pourraient naître des actes posés par le ministère.
L’honorable M. Dumortier a voulu
établir que le ministre, dans le choix des jurys des concours universitaires et
humanitaires, avait été bien malheureux et avait encouru une grave
responsabilité. M. le ministre de l’intérieur a répondu à la plupart des
observations de l’honorable membre. Il est cependant deux motifs que M. le
ministre de l’intérieur a oublié de faire valoir en ce qui concerne le concours
des collèges, motifs qui ont, à mes yeux, un grand caractère d’importance.
Lorsque M. le ministre de l’intérieur
changea le programme de son prédécesseur pour appeler au concours, non pas la
rhétorique seulement, mais les différentes classes composant un athénée ou un
collège, à tour de rôle par la voie du sort combiné avec le choix du ministre,
il y avait un motif bien grave, c’était celui non de s’assurer quel collège
possédait la rhétorique la mieux organisée, mais de donner l’impulsion à toutes
les autres classes, de faire en sorte que tous les professeurs composant un
athénée ou un collège eussent des motifs puissants d’émulation. Sous ce
rapport, je pense que la mesure était excellente. Il y avait une autre raison
d’en agir ainsi.
D’après le règlement qui a organisé
les concours pour l’enseignement moyen, il faut que, dans un athénée ou un
collège, les progrès de toutes les classes soient combinés, car dans le rapport
sur les résultats du concours, on assigne un rang de prééminence, non d’après
les prix qu’obtiennent les élèves, mais d’après le rang que chaque classe
occupe dans un collège, respectivement à la même classe dans un autre collège.
Je reviens, après cette digression, à
la question de garantie que je dis être très forte au point de vue moral, aussi
bien qu’au point de vue légal dans les ministres, et que je soutiens être nulle
sous le rapport légal dans le chef des chambres. En effet, notre Constitution,
art. 44, déclare qu’aucun membre des chambres ne peut être recherché à l’occasion
d’un de ses votes. Ainsi, absence totale de responsabilité devant le pacte
fondamental.
Il y a également absence de
responsabilité morale, car le vote est secret. Comment voulez-vous qu’un membre
de l’une des deux chambres réponde d’un vote même moralement, quand le vote est
inconnu ? Il est donc vrai de dire que, tandis que je trouve le caractère de la
responsabilité sous deux rapports dans le ministère, je ne le trouve sous aucun
rapport dans les chambres. A ce seul point de vue la conclusion n’est pas difficile
à prendre. Les chambres me présentent l’absence complète de responsabilité ; le
gouvernement me la présente sous un double rapport. Dès lors il convient, selon
moi, de confier le choix des jurys d’examen au ministère plutôt qu’aux
chambres.
Ici se présente naturellement cette
question. La nomination appartient-elle au Roi seul ? ou appartient-elle aux
chambres législatives et au Roi ? Si c’étaient là une simple question de
convenance, dans l’intérêt scientifique des établissements, il faudrait déjà la
résoudre dans le sens du projet ministériel. Mais que devient cette question
quand vous la placez sur le terrain de la constitution ? L’honorable député de
Nivelles et l’honorable député de Liége, ont établi d’une manière si large, si
complète, qu’on ne peut y revenir sans tomber dans des redites, que toute
l’économie des dispositions constitutionnelles atteste que les auteurs du pacte
fondamental n’ont pas voulu confier un acte de pure administration au pouvoir
législatif.
Mais abandonnant pour un instant ce
terrain et me plaçant dans une pure hypothèse, qui est celle-ci : le texte de
la constitution n’est pas obstatif à ce que les chambres nomment les jurys
d’examen, alors se présenterait cette grave question : y a-t il lieu, aux
termes de l’art. 66, d’établir une exception là où la règle exclut les
chambres. L’art. 66 pose comme règle fondamentale que le Roi nomme à tous les
emplois, sauf les exceptions établies par les lois. Je conviens avec
l’honorable M. de Foere, qu’on peut faire exception à la règle. Mais est-il
jamais tombé dans la pensée de qui que ce soit, que quand l’exception donnerait
lieu à plus d’inconvénients que la règle, on ferait de l’exception la règle et
de la règle l’exception ?
Il est démontré que, sous le rapport
de l’influence politique, les chambres présentent plus de danger que le
ministère. Il est en aveu, que les chambres, en raison de leur nature
politique, sont partiales, il est constant qu’elles sont irresponsables ; il
est établi, d’autre part, que le ministère s’est toujours montré impartial et
que sur lui seul pèse une responsabilité et légale et morale. Eh bien,
m’emparant de l’art. 66, je demande en faveur de quelle autorité faut-il
maintenir la règle ? Le bon sens répond en faveur de celle qui est responsable
et impartiale. Maintenant pour arriver à une solution contraire, vous devez
créer par la loi une exception, pour dépouiller précisément l’autorité qui
présente le plus de garanties. Conçoit-on la nécessité d’une exception à créer
par la loi, au principe formant la règle, et cela pour dépouiller le corps
responsable au profit du corps irresponsable.
La question envisagée sous ce point
de vue ne présente plus l’ombre du doute. Je ne vois pas par quelle subversion
de principe, on créerait une exception qui présenterait des inconvénients, que
n’a pas la règle. Je dis que l’art 66, entendu d’après le bon sens, et
l’interprétation légale n’admet pas que, dans ce cas, la loi vienne dépouiller
le pouvoir de son droit de nomination inscrit comme règle dans le § 1er de
l’article.
Je dis donc que, s’il est vrai que la
règle présente plus de garantie, il ne faut pas créer témérairement une
exception à cette règle.
Je pourrais admettre votre exception
si par une interversion de position, le ministère était irresponsable, et les
chambres responsables.
Dans cette hypothèse, je concevrais
qu’il y aurait lieu de faire fléchir la règle et d’établir une exception. Le
cas étant contraire, vous ne pouvez pas déshériter le gouvernement d’un droit
qui lui est conféré par la constitution.
Maintenant, qu’il me soit permis de
faire valoir une autre considération. Quoi ! vous avez un moyen d’échapper à ce
reproche de partialité que vous avouez vous-même être la conséquence de votre
position comme corps essentiellement politique, et vous ne voulez pas y avoir
recours ? Vous repoussez le projet de loi du gouvernement ; mais y avez-vous
bien songé ? Il est de la dignité de la chambre de ne pas faire de
l’administration dans cette circonstance, son devoir est de s’abstenir d’actes
administratifs, quand, à côté de ces actes, se place le reproche fondé de
partialité. Ainsi la dignité du pouvoir législatif comme les principes de la
constitution s’opposent à ce que vous mainteniez aux chambres législatives le
droit de concourir à la nomination du jury d’examen.
A côté de ces deux grands systèmes
ont surgi divers amendements.
Je dois vous le dire, j’ai regardé
tous les amendements, sauf un seul, comme des espèces d’échappatoire, comme des
efforts qu’on avait l’air de tenter pour rendre moins mauvais le projet de loi
dont on ne partageait pas les principes. Un seul de ces amendements attaque la
question au cœur, c’est l’amendement de l’honorable M. Delehaye, c’est le seul
qui fasse disparaître l’intervention des corps politiques. L’honorable M.
Lebeau a signalé des inconvénients que, selon lui, présentait la proposition de
M. Delehaye.
Les motifs qu’a fait valoir
l’honorable M. Lebeau m’ont frappé ; mais, je le dis ici, tout en accordant au projet
du gouvernement la préférence, si le système qu’il consacre ne devait pas être
accueilli par la chambre, le seul auquel je me rallierais est celui de M.
Delehaye ; j’y verrais cette garantie à laquelle nous tenons tant, que la
partialité cessera de se manifester dans la nomination du jury d’examen. Comme
je pense que cet amendement n’a pas été présenté sans avoir été mûrement
médité, j’espère que son auteur aura prévu les objections de l’honorable M.
Lebeau et saura défendre sa proposition.
Messieurs, j’ai franchement énoncé
mon opinion sur la question politique. Je l’ai basée sur la loi, ou plutôt sur
la constitution qui est la loi des lois.
Mais lorsque je porte mon attention
sur la question scientifique, j’éprouve de vrais regrets de la direction que
l’on a imprimée au débat. Nous eussions été heureux si la question était restée
sur le terrain où l’avait placée M. le ministre de l’intérieur.
Quoi ! les chambres concourront à la
nomination d’hommes qui doivent juger de la capacité de notre jeunesse studieuse
? Mais la plupart des membres de la chambre sont éloignés de 15 ou 20 ans de
l’époque où ils fréquentaient l’université ; les membres du sénat en sont plus
éloignés encore ; car il faut avoir 40 ans pour faire partie de cette
assemblée. Mais, depuis 10 ans seulement, que de perfectionnement, que de
découvertes, que de théories nouvelles n’ont pas pris naissance dans la partie
scientifique ! Et l’on voudrait que des membres appartenant à la législature
fussent compétents pour apprécier le mérite des membres d’un jury, qu’ils
fussent à la hauteur de toutes les connaissances nouvelles ou perfectionnées ?
En vérité c’est exiger l’impossible d’hommes dont la mission est de concourir à
la confection des lois et non d’enseigner les sciences et les lettres.
Je dis donc que les chambres ne
peuvent concourir, avec le gouvernement, à la formation du jury, non seulement
parce que je ne reconnais pas aux chambres les connaissances positives qu’il
faut avoir pour faire ce choix, mais parce que le pouvoir à qui vous contestez
le droit de nomination a tous les moyens que vous n’avez pas pour connaître les
hommes.
D’abord, son devoir est de s’enquérir
quels sont les hommes les plus capables, les plus à la hauteur de la science ;
son devoir est de se mettre au courant de ce qui se passe non seulement dans
les deux universités qu’il dirige seul, mais encore dans les établissements
libres ; car le gouvernement a senti combien il importe de faire un large et
loyal appel à ces institutions. Il les a conviées à ces fêtes de la science,
aux concours. L’un des établissements libres y a noblement répondu.
Croyez-vous que, lorsque le ministère
invite les universités libres à prendre part à ces concours, il ne doit pas en
connaître le personnel ? Il le connaît aussi bien que celui des universités de
l’Etat.
Il y a plus, l’Etat distribue des
bourses aux établissements libres comme à ceux du gouvernement ; dès lors,
n’est-il pas naturel qu’il se fasse rendre compte de ce qui se passe dans ces
établissements, puisqu’il entre dans ses attributions de donner des récompenses
à ceux qui, sous le rapport du perfectionnement de l’instruction, ont su s’en
rendre dignes.
Vous voyez donc que le ministère, par
la nature de ses fonctions et de ses obligations, est dans le cas de connaître
parfaitement par lui-même tous les établissements universitaires, tandis que
vous ne les connaissez que par des renseignements indirects.
Est-il nécessaire de rappeler comment
les choses se passaient ? On l’a dit dans les sections, à la section centrale,
à la chambre. Un membre recommandait tel ou tel professeur, de tel ou tel
établissement et la plupart d’entre nous, pleins de confiance en un collègue,
votaient pour lui ; car nous n’avions aucune moyen de contrôle. Il est certain
que nous remplissions ce devoir de confiance avec abandon, sans le discernement
que le gouvernement mettra dans les choix qu’il fera.
Je crois avoir établi que, sous le
rapport de la question scientifique, il faut, dans l’intérêt des établissements
universitaires et pour la prospérité des bonnes études, donner au gouvernement
le droit de nomination.
Permettez-moi de le dire, en
terminant, il est bien pénible de voir en 1844, le gouvernement constitué dans
une espèce de suspicion sous le rapport de la prérogative royale, tandis qu’en
1842, à cette époque ou la commune, assise sur les bases constitutionnelles et
libérales, marchait dans sa force et dans sa liberté, à cette époque, où elle
avait le bonheur de voir l’exercice de la prérogative royale restreinte, quant
au choix du bourgmestre, ceux élus du peuple aux membres seuls du conseil
communal ; à cette époque, enfin, où l’on n’avait aucun reproche à faire aux
communes, c’était nous qui étions constitués en suspicion, parce que nous nous
élevions contre une extension de cette prérogative qui confisquait, selon nous,
les libertés communales au profit du pouvoir.
Maintenant, on ne vous demande
pas de faire un changement à une législation établie, on vous demande de faire
cesser un état provisoire en désaccord avec l’art. 66 de la constitution. Vous
voudriez admettre à cet article une exception que rien ne justifie, mais songez
qu’il s’agit d’une loi nouvelle, et permanente. N’oublions pas, surtout, qu’il
est bien plus difficile d’abroger une loi permanente que de prendre un bon
parti, quand on se trouve encore dans un état provisoire.
J’ose donc espérer que vous ne serez
pas, en 1844, plus difficile qu’en
Je crois avoir énoncé d’une manière
assez explicite mon opinion, je me rallierai au projet du ministère, sauf à
voter pour l’amendement de l’honorable M. Delehaye, si le projet du
gouvernement n’était pas adopté.
- Cette proposition est mise aux voix
et adoptée.
M. de Theux
(pour une motion d’ordre). - Il serait à désirer que la loi relative au jury
fût votée cette semaine, pour être transmise au sénat en temps utile. Je
proposerai donc que la chambre se réunisse demain à onze heures précises.
- Cette proposition est mise aux voix
et adoptée.
La séance est levée à 4 1/2 heures.