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Chambre
des représentants de Belgique
Séance du lundi 25 mars 1844
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Projet de loi relatif au rendiguement du polder de Lillo (+indemnités par suite
des événements de 1830-1831 et navigation de l’Escaut) (Règlement de la chambre
et compte-rendu inséré au Moniteur (Rodenbach, d’Hoffschmidt, Nothomb, B. Dubus)) (Dechamps, Rogier, Desmet, Nothomb,
Huveners, Rodenbach, Cogels, Dumortier)
3)
Projet de loi établissant un mode définitif de nomination du jury universitaire
((+homogénéité gouvernementale) (Nothomb, (+proposition
de démission comme membre du gouvernement) Dechamps, Devaux, Nothomb, Dechamps), Jonet, Vilain XIIII, Nothomb, de Brouckere, Vilain XIIII,
Nothomb, (rappel au règlement de la chambre (Liedts)), Cogels, Lys,
de Haerne, Delehaye)
(Moniteur belge n°86, du 26 mars 1844)
(Présidence
de M. Liedts.)
M.
Huveners procède à
l’appel nominal à 1 heure et quart. La séance est ouverte.
M. de Renesse donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en
est approuvée.
PIECES ADRESSEES A
M.
Huveners. - M. Dolez
fait connaître par lettre qu’une indisposition l’empêche d’assister à la
séance.
- Pris pour
information.
M. de Garcia demande un congé de quelques jours pour cause
d’indisposition.
- Le congé
est accordé.
Motion d’ordre
M.
Rodenbach (pour une motion d’ordre). - Dans la séance de samedi, M. le
ministre de l’intérieur a soumis à la chambre une proposition tendant à décider
ce jour-là si l’on voterait le projet de loi relatif au rendiguement du polder
de Lillo ou non. Cette motion a été votée par 30 voix contre 22. Ainsi on
devait procéder au vote samedi même ; mais immédiatement après, 7 membres ont
quitté la salle ; il ne restait plus que 43 membres. J’ai fait observer à M. le
vice-président que, lorsque la chambre n’était pas en nombre, les antécédents
de la chambre voulaient qu’on ne continuât pas les travaux parlementaires. Ce
sont les antécédents de tous ceux qui ont présidé la chambre. M. le président a
fait remarquer qu’on pouvait continuer. J’ai protesté formellement pour qu’on ne
votât pas.
Cette
protestation se trouve dans l’Indépendance
et dans les autres journaux. Dans le Moniteur
on n’en rend pas compte. On vient de me dire qu’on a donné l’ordre au Moniteur de ne pas insérer ma
protestation. Ce n’est pas par amour-propre que je me plains, puisque ma
protestation a été insérée dans les autres journaux et qu’on sait que le Moniteur est peu lu. Mais je désirerais
savoir si l’on peut continuer les débats, lorsque la chambre n’est pas en
nombre. Je ne pouvais passer cela sous silence, Je désirerais savoir pourquoi a
été donné au Moniteur cet ordre
occulte de ne pas insérer ma protestation.
M. d’Hoffschmidt. - Comme j’ai eu l’honneur de présider la
séance de samedi dernier, je tiens à donner quelques explications sur le fait
que vous a signalé l’honorable préopinant. Il y a eu deux votes par appel
nominal, à la fin de la séance de samedi. Le premier a eu lieu sur une question
posée par M. le ministre de l’intérieur, et tendant à ce que la chambre décidât
si l’on procéderait au vote du projet de loi dans la séance même.
Cet appel
nominal a constaté la présence non seulement de la majorité, mais de 52
membres. Par conséquent, la chambre était en nombre. Un instant après, une
réclamation a été faite par l’honorable M. Rodenbach, contre la continuation de
la discussion, attendu, disait-il, que la chambre n’était plus en nombre
suffisant pour pouvoir délibérer.
M. le
ministre de l’intérieur a demandé alors l’appel nominal dans le but de
constater le nombre des membres présents. Cet appel a eu lieu sur l’amendement
de M. Lys, et il s’est trouvé, en effet, que l’assemblée n’était plus composée
que de 45 membres. Après cela et après quelques observations présentées par M.
le ministre de l’intérieur, la séance a été levée. Voilà comment les faits se
sont passés ; j’en appelle à tous les membres qui étaient présents. (Adhésion générale.)
L’honorable membre se plaint de ce qu’un ordre aurait été donné au Moniteur de ne pas insérer sa
protestation ; Je déclare que si cet ordre a été donné, il n’est pas venu de
moi. Je n’avais aucun intérêt à ce que la protestation de l’honorable M.
Rodenbach ne fût pas insérée dans le compte-rendu de la séance. J’avais
intérêt, au contraire, à ce que les paroles que j’avais prononcées fussent
insérées ; je regrette qu’elles ne l’aient pas été. Quant à ma conduite, comme
président, elle a été ce qu’elle devait être, c’est-à-dire, conforme au
règlement.
Puisque l’honorable M. Rodenbach élève des doutes à cet égard, je
citerai le texte de la constitution. Voici ce que porte le § 3 de l’article 38
;
« Aucune
des deux chambres ne peut prendre de résolution qu’autant que la majorité de
ses membres se trouve réunie. »
Or, aucune
résolution n’a été prise, lorsque la chambre n’était plus en majorité. Quant à
la discussion, d’après tous nos antécédents, elle peut continuer quoique la
chambre ne soit plus rigoureusement en nombre. J’ai consulté sur ce point MM.
les secrétaires, qui ont été de cet avis. J’ai eu aussi l’occasion de constater
qu’il en est de même à la chambre des députés de France.
Voilà,
messieurs, comment les faits se sont passés. Après cela je suis vraiment
surpris de la réclamation qui vient de se produire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je déclare, à mon tour, qu’aucun
ordre n’a été donné au Moniteur de la
part du ministère.
M. Dubus, questeur. - Comme la sténographie du Moniteur est dans les attributions de la
questure, on pourrait supposer qu’un ordre a été donné par elle. Je déclare
donc, à mon tour aussi, que la questure n’a donné aucun ordre de supprimer un
passage quel qu’il soit, de la séance.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) (pour une autre motion d’ordre) -
Mon intention n’est nullement d’intervertir l’ordre du jour sur la question du
jury universitaire. Mais à la séance de samedi, vous vous en souvenez tous, sur
la motion de M. le ministre de l’intérieur, la chambre avait décidé qu’un vote
sur une question de haute utilité publique, et à laquelle s’attache une grande
urgence, le rendiguement du polder de Lillo, aurait lieu à la séance même. Si
le vote n’a pas eu lieu, c’est parce que la chambre ne s’est plus trouvée en
nombre.
Il serait
infiniment regrettable que le rendiguement du poldre ne pût avoir lieu cette
année. Il est évident que, si cette décision est ajournée après la discussion
du projet de loi relatif au jury universitaire, nous déciderons par cela même,
je le crains, que les travaux ne seront pas exécutés en 1844.
J’avais
compris qu’il ne s’agissait plus d’une discussion épuisée samedi, mais
simplement d’un vote qui était resté suspendu. Je demanderai s’il ne serait pas
possible, sans revenir à une discussion sur le projet, que la chambre complétât
son vote, sauf à stipuler que le gouvernement s’engagerait à présenter un
rapport aux chambres sur la question du concours des propriétaires.
Le
gouvernement, de cette manière, serait autorisé, par le vote de la chambre, à
procéder aux travaux qui ont un caractère d’utilité et d’urgence.
La question
des propriétaires soulevée à la séance de samedi se trouverait réservée.
M. Rogier. - Mon intention n’est pas non plus d’intervertir l’ordre du jour fixé
pour aujourd’hui. Mais je crois que la chambre tombera facilement d’accord sur
la proposition déposée sur le bureau. La discussion n’a porté samedi que sur la
question du concours des propriétaires. Tout le monde était d’accord sur la
nécessité et sur l’urgence des travaux. Ma proposition a donc pour but
d’autoriser le gouvernement à exécuter les travaux de rendiguement du polder de
Lillo, tout en réservant la question du concours des propriétaires. Rien
n’empêche de régler par une loi nouvelle toutes les questions qui se rattachent
à ce concours.
Je crois
que cette proposition doit avoir l’assentiment de la chambre, d’autant plus
qu’elle ne retardera pas la discussion que tout le monde a hâte d’aborder.
M.
le président. - L’amendement
de M. Rogier est ainsi conçu :
« Le
gouvernement est autorisé à exécuter le rendiguement du polder de Lillo. »
Il est de
mon devoir de rappeler qu’à une séance précédente il avait été convenu que le projet
de loi relatif au jury universitaire serait irrévocablement mis à l’ordre du
jour pour cette séance.
M.
Desmet. - Avant de
m’expliquer sur la proposition de M. Rogier, je voudrais
savoir si la chambre maintient son ordre du jour. Je ne vois pas pourquoi elle
ne le maintiendrait pas. Nous ne savons pas quelles sont les intentions du
gouvernement au sujet du recours contre les propriétaires. Il est évident que
nous ne pouvons réserver cette question, sans que le gouvernement se soit
expliqué sur cet objet.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La clôture a été proposée et
prononcée samedi sur les amendements.
M.
Desmet. - Elle n’a pas
été prononcée.
M.
le président. -
D’après le procès-verbal, la clôture n’a pas été prononcée.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est différent.
Alors je me
borne à déclarer que l’amendement de l’honorable M. Rogier rentre dans la
catégorie de ceux qui ont été acceptés par le gouvernement samedi dernier. Le
paragraphe additionnel proposé par l’honorable M. Malou avait la même portée.
Je ne vois entre les deux propositions aucune différence.
M.
Huveners. - J’ai
demandé la parole lorsqu’on a prétendu que la discussion était close. Cela
n’est pas. Je puis le prouver.
Plusieurs membres. - On est d’accord.
M. Huveners. - Soit. Maintenant on nous propose d’examiner une proposition tendant
à autoriser l’Etat d’exécuter le rendiguement du polder de Lillo ; mais il faut
que le concours soit consacré en même temps. Pour moi je proteste contre un
projet de loi où cette question ne serait pas formellement exprimée.
Il y a une
autre question. On prétend qu’il y a du danger, qu’il faut que le rendiguement
se fasse immédiatement. J’ai suffisamment prouvé que non, qu’il ne s’agit que
d’une différence de 20,000 fr. entre les soumissions les plus basses.
Je préfère
exposer le gouvernement à perdre ces 20,000 fr. que de le voir faire le
rendiguement complètement à ses frais.
Je demande
donc qu’on passe à l’ordre du jour qui avait été définitivement fixé, et qu’on
ne reprenne la discussion du projet de loi sur le rendiguement du polder de Lillo
qu’après celle du projet de loi sur le jury universitaire.
M.
Rodenbach. - Je demande aussi qu’on passe à l’ordre du jour.
Je
rappellerai les paroles prononcées par M. le ministre de l’intérieur lui-même
dans la séance de samedi. Il nous a dit : Nous avons d’abord à l’ordre du jour
de lundi la discussion du projet de loi sur le jury universitaire, et ensuite
restera également à l’ordre du jour, et immédiatement après, la discussion du
projet de loi sur le rendiguement du polder de Lillo.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas dit cela.
M.
Rodenbach. - Si l’on veut recourir au Moniteur,
on verra que ce sont les expressions qu’a proférées M. le ministre de
l’intérieur. De plus, il y a quatre ou cinq jours, il a déclaré lui-même que la
discussion du projet de loi sur le jury universitaire était définitivement
fixée à lundi. Je ne crois pas qu’on doive changer l’ordre du jour.
M.
Cogels. - Messieurs,
s’il s’agissait de rouvrir une discussion sur le fonds de la question, je
serais le premier à m’opposer à ce qu’on votât aujourd’hui sur le rendiguement
du poldre de Lillo ; mais il paraît que, par la proposition qui vous est faite,
la question de concours est complètement réservée, et dès lors je ne verrais
aucun inconvénient à ce qu’on votât immédiatement. Du reste, c’est également
l’avis de la majorité de la section centrale que j’ai consultée à cet égard.
M.
Dumortier. -
Messieurs, si ma mémoire est fidèle, nous avons dans la séance de samedi
commencé par décider que la discussion était close ; par conséquent, on en
était arrivé à ce point qu’on demandait s’il y avait lieu de passer au vote de
la loi (réclamations), et remarquez
que c’est précisément sur le vote que la chambre ne s’est plus trouvée en
nombre.
Il me
semblait donc que l’on pouvait très bien terminer aujourd’hui cet objet
important, sans longue discussion ; car les amendements sont déposés sur le
bureau, la chambre n’a plus qu’à les voter. On ne peut plus recommencer une
discussion qui est close ; le règlement s’y oppose.
M.
le président. - Je
ferai remarquer à l’orateur que la discussion n’a pas été close ; le
procès-verbal n’en fait pas mention.
M.
Dumortier. - Si la
discussion n’a pas été close, comment se fait-il donc qu’on ait passé au vote ?
Du reste,
je m’en rapporte au procès-verbal ; mais j’avais pensé que lorsqu’on passait au
vote, cela entraînait la clôture de la discussion, et je crois que beaucoup de
membres l’ont pense comme moi, Qu’avons-nous donc voté ? Au reste s’il n’en est
pas ainsi, la discussion doit être recommencée sur la question des polders ;
mieux vaut passer l’ordre du jour.
Plusieurs membres. - L’ordre du jour !
- L’ordre
du jour est mis aux voix et adopté.
Discussion générale
M.
le président. - Le
gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non, M. le président.
M.
le président. - La
discussion s’établit sur le projet de loi du gouvernement.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs il y a huit ans que l’instruction
supérieure a été réorganisée. Une question est restée non résolue ; elle vient
aujourd’hui nous arrêter au milieu d’une session que nous aurions voulu
consacrer tout entière aux intérêts matériels. J’espère que ce sera un incident
et non une catastrophe. (Mouvement.)
Le
législateur de
La question
était donc inévitable, et cependant le jour où elle a été posée, elle a frappé
les esprits comme si elle était imprévue. C’est que nous aimons, messieurs, à
nous faire illusion sur les dangers ; nous aimons, aussi longtemps que
possible, à les voir dans le lointain.
Les
espérances et les alarmes que la question a fait naître n’étaient pas en dehors
de nos prévisions. Tout en reconnaissant l’impossibilité de nous soustraire à
cette fatale discussion, c’était pour nous à la fois un droit et un devoir de
prendre la position, que comporte, selon nous, la question froidement
considérée en elle-même, et qu’exige l’ensemble des intérêts qui nous sont
confiés.
Cette
position, je la reprends aujourd’hui. Je me replace où j’étais au 21 février
dernier, en vous présentant le projet de loi. J’ignore et je veux ignorer tout
ce qui s’est passé depuis. C’est une discussion que j’ai demandée et que nous
acceptons loyalement.
Permettez-moi,
messieurs, de vous rappeler les quelques mots que j ai prononcés en quittant la
tribune, le 21 février, en réponse à une interpellation de l’honorable comte F.
de Mérode. Je lui disais :
« Nous
nous adressons librement aux intelligences, et j’espère que toutes les
intelligences accepteront librement cet appel. Nous garderons dans cette
question la position que nous avons eue dans d’autres circonstances graves, ou,
pour réussir, nous n’avons pas fait de question de cabinet ; cette fois, nous
n’en faisons pas non plus. Nous continuons à avoir la même confiance dans la
chambre, nous ne voulons violenter aucune conviction ; ce que nous demandons,
c’est une discussion dégagée de toute arrière-pensée, un examen de la question
en elle-même et pour elle-même. »
C’est avec
la même confiance qu’aujourd’hui, messieurs, nous vous renouvelons cet appel.
Le terrain sur lequel nous sommes placés, nous y restons encore. Nous ne
faisons donc pas de l’adoption du projet que nous maintenons, une question de
cabinet. Ce n’est pas à dire cependant qu’en-dehors de ce projet tout puisse
également être accepté par nous. Notre déclaration n’est que négative en ce
sens que le projet que nous maintenons n’est pas une question d’existence pour
nous. Le cours de la discussion nous montrera quelle autre déclaration il y
aura peut-être lieu de faire.
Dans ces
observations préliminaires je ne m’attacherai qu’à quelques traits généraux.
Le projet
de loi, messieurs, est devenu l’objet d’éloges et d’attaques également
imméritées.
Pour le
louer on y a vu la revendication d’une grande prérogative royale ; pour
l’attaquer, on y a vu une atteinte à une grande liberté, la liberté de
l’enseignement.
Je repousse
également et l’attaque et l’éloge.
Je repousse
l’éloge ; car il m’est impossible, je le déclare, d’admettre que, pour le droit
public belge, il s’agisse ici d’une prérogative essentielle du pouvoir royal.
Je repousse
l’attaque ; car, selon moi, la liberté d’enseignement ne peut pas être
confondue avec la collation des grades académiques, considérés comme conditions
de l’exercice de certaines fonctions, comme conditions de l’exercice de
certaines professions.
Je vais
m’arrêter successivement à chacune de ces propositions.
Je dis que,
dans le droit public belge, je suis forcé de reconnaître qu’il ne s’agit pas
ici de revendiquer une prérogative inhérente au pouvoir royal. Dans d’autres
pays, messieurs, on pourrait se placer sur ce terrain ; mais le droit public
belge présente des caractères particuliers. Dans d’autres pays, par exemple, où
le roi à la nomination à tous les emplois administratifs et judiciaires
indistinctement, la collation des grades académiques considérés comme
conditions d’exercice de ces fonctions administratives ou judiciaires, peut
être regardée comme une conséquence du droit même de nomination. Mais telle
n’est pas la position faite en Belgique à la royauté. Le pouvoir exécutif n’a
que la nomination aux fonctions administratives désignées par des lois
spéciales ; et quant aux fonctions judiciaires, vous connaissez les restrictions
qui se trouvent dans notre constitution.
Il est donc
impossible de soutenir qu’en Belgique la collation des grades académiques est
une conséquence du droit de nomination à toutes les places administratives et
judiciaires a attribuée ou inhérente à la royauté dans d’autres pays.
Mon
intention est de mêler aussi peu que possible des noms propres à cette
discussion. Cependant je suis forcé, à l’appui de cette première proposition,
de remonter au projet primitif qui vous a été présenté.
On était tellement
convaincu qu’il ne s’agissait pas d’un attribut essentiel de la royauté, que
dans le premier projet présenté le 31 juillet 1834, on proposait la formation
d’un jury, à la fois en dehors de l’action des chambres et presque entièrement
de l’action du gouvernement.
Permettez-moi,
messieurs, de vous donner lecture de quelques articles de ce projet que
probablement beaucoup d’entre vous ont perdu de vue ; ce sont les articles 70,
71 et 72.
« Art.
70. Ces jurys seront composés de la manière suivante :
« 1°
Le jury chargé de l’examen de candidat en philosophie et lettre ou en sciences,
sera composé d’un professeur de chaque université, de trois membres désignés
par l’académie belge, dont un sera pris dans son sein ;
« 2° Pour
l’examen de candidat en droit, le jury sera composé d’un professeur de chaque
université et de trois membres désignés par la cour de cassation dont un sera
pris dans son sein ;
« 3°
Pour l’examen de candidat en médecine, d’un professeur de chaque université et
de trois médecins ; à cet effet, les commissions médicales des diverses
provinces choisiront chacune deux médecins, parmi lesquels le gouvernement
désignera successivement les examinateurs. »
Ici,
messieurs, peur le jury de médecine on fait intervenir le gouvernement, parce
qu’il n’y avait pas encore d’académie de médecine ; il est très probable que
si, à cette époque, il avait existé une académie de médecine, ou lui aurait
accordé le mêmes attributions qu’à l’académie des sciences et belles-lettres de
Bruxelles pour la nomination du jury de philosophie et lettres. Ce n’est
qu’accidentellement et par nécessité, à défaut d’une institution centrale pour
les sciences médicales, qu’on fait intervenir le gouvernement pour la formation
du jury de médecine.
« Art.
71. Pour les examens de docteur, il y aura trois professeurs pris dans les deux
universités, et quatre autres membres désignés de la même manière que pour
l’examen de candidat. »
« Art.
72. Les règlements ou arrêtes détermineront l’ordre d’après les professeurs
seront appelés à chaque session des jurys d’examen. »
On a,
messieurs, dévié de cette première pensée et, au lieu de laisser le jury se
former en dehors du gouvernement et des chambres, on a fait remonter le jury
aux chambres et au gouvernement ; il n’en est pas moins vrai qu’il est
impossible de soutenir qu’en Belgique la nomination du jury d’examen puisse
être considérée comme un attribut essentiel de la royauté et l’on aurait pu
consacrer le système du premier projet, des articles 70, 71 et 72 dont je viens
de donner lecture, sans méconnaître aucune attribution du gouvernement royal.
J’arrive,
messieurs, à la deuxième proposition. Le projet n’est pas une atteinte portée à
la liberté d’enseignement. Comment, messieurs, lui donner ce caractère
lorsqu’en 1835, une proposition beaucoup plus absolue, faite par l’honorable
comte Félix de Mérode, celle de la nomination du jury par le roi sous
conditions, lorsque cette proposition n’a échoué qu’à une voix de majorité ?
C’est supposer qu’en 1835 il se trouvait à la chambre une quasi-majorité, ayant
à sa tête l’honorable membre que je tiens de citer, qui était anime du désir de
détruire la liberté d’enseignement.
La liberté
de l’enseignement est écrite dans notre constitution, c’est une conquête de la
révolution de 1830 ; je l’accepte non seulement comme un fait historique devenu
irrévocable selon moi ; je l’accepte aussi et sincèrement comme un principe
fondamental ; mais gardons-nous d’en exagérer les conséquences. Qu’est-ce que
la liberté de l’enseignement ? C’est le droit de propager les connaissances
humaines. C’est un droit naturel et religieux, si l’on veut, mais qui ne crée
aucun effet civil, pas plus que le droit naturel d’association, écrit également
dans notre constitution.
Ce sont là
des droits qui ne peuvent créer par eux-mêmes aucun effet civil, il faut une
intervention particulière de la législature une délégation spéciale et
formelle. Hors de là la liberté de l’enseignement, la liberté d’association ne
peuvent pas créer des effets civils.
Certaines
professions, certaines fonctions exigent des certificats de capacité, des
grades académiques. Comme titres purement scientifiques, les grades académiques
peuvent être considères comme dérivant ou comme pouvant dériver de la liberté
d’enseignement. Aussi l’article 6 de la loi du 27 septembre 1835 porte-t-il que
les universités peuvent conférer des grades scientifiques. Cet article 6, que
vous connaissez tous et dont je n’ai pas besoin de donner lecture, cet art.
Ce n’est
pas, messieurs, la constitution qui exige pour l’exercice de certaines
fonctions, de certaines professions, des certificats de capacité, des grades
académiques ; ce sont des lois spéciales.
Un écrivain,
aujourd’hui membre de cette chambre, a soutenue, dans une brochure très
remarquable, que la liberté d’enseignement entraînait même l’abolition de ces
lois spéciales, qui exigent comme conditions d’admissibilité à certaines
fonctions, à l’exercice de certaines professions, des certificats de capacité,
et, en ce qui concerne les études universitaires, des grades académiques. Il
prétend que la liberté d’enseignement a abrogé toutes ces lois, que c’est à
l’autorité appelée à choisir, à apprécier si le candidat qui se présente et qui
a étudié, n’importe où, est digne de sa confiance ; que de même c’est aux
particuliers à apprécier si l’individu qui veut les guérir ou plaider pour eux
est digne de leur confiance. Je crois, messieurs, que la liberté d’enseignement
ne va pas jusque-là. Pour moi, je le répète, la liberté d’enseignement n’est
qu’un droit naturel et religieux, mais il ne crée aucun effet civil. Les lois
qui exigent pour certaines professions, pour certaines fonctions, des grades
académiques, des certificats de capacité, ces lois subsistent et la collation
des grades académiques est restée dans le domaine de l’autorité civile.
Je me sers
de ces expressions autorité civile,
je ne dis pas que la collation de ces grades soit nécessairement restée dans le
domaine du pouvoir royal. C’est pour d’autres raisons que je suis amené à
demander en faveur du pouvoir royal la collation des grades légaux.
Ainsi
certaines lois exigent que des fonctions et des professions soient soumises à
des certificats de capacité, à des grades académiques ; ces lois subsistent
malgré la liberté d’enseignement. La collation des grades académiques, des
grades légaux, cette collation est restée du domaine de l’autorité civile.
Comment ce droit sera-t-il exercé ? Il doit être exercé par l’autorité la plus
capable d’atteindre le but que l’on a en vue dans la collation des grades
légaux académiques.
J’ai
cherché, messieurs, dans l’exposé des motifs, que je vous ai soumis à l’appui
du projet de loi, à expliquer ce qu’il faut attendre du jury central d’examen ;
j’ai dit que, sans refuser toute part aux études privées, qui cependant ne
présentent qu’un intérêt secondaire, le jury d’examen doit offrir la
représentation non permanente des établissements et des sciences. Je crois que
cette définition est à peu près acceptée par tout le monde. Eh bien, je dis
que, pour obtenir un jury d’examen avec ce caractère, il faut un mode de
nomination non politique. (Interruption.)
Il faut un
mode non politique, et je me demande si l’intervention des chambres constitue
un mode non politique. Je reste convaincu que de tous les pouvoirs, le plus
politique est nécessairement la chambre, et que son intervention donne
inévitablement au jury un caractère politique.
Je ne veux
pas, messieurs, discuter des noms propres, mais il est évident que l’on verra
toujours dans les choix faits par les chambres une prédilection en faveur de
l’un ou de l’autre établissement, établissement auquel se rattacheront des
idées politiques.
Il faut un
mode non politique de nomination ; s’il en était autrement, le caractère du
jury changerait avec les majorités parlementaires. A moins de faire redescendre
le jury dans les régions où le plaçait le projet de loi de 1834, il faut
attribuer la nomination au gouvernement, à certaines conditions. (Exclamation.)
On m’arrête
pour me dire que le gouvernement est aussi un pouvoir essentiellement politique
; la nomination par le gouvernement sera donc également un mode politique de
nomination. Messieurs. Il n’est pas possible d’admettre que toutes les
attributions dévolues au gouvernement supposent un rôle politique. Le
gouvernement a des attributions qu’il exerce en dehors de son rôle politique,
abstraction faite de son rôle politique, et si on ne supposait pas le
gouvernement capable de faire abstraction de son rôle politique, il a y
certaines attributions qu’il faudrait immédiatement lui retirer. (Interruption.) Oui, le gouvernement a un
grand nombre d’attributions qui ne lui sont attachées que parce qu’on le
suppose capable de faire abstraction de son rôle politique dans l’exercice de
ces attributions. J’ai déjà cité des attributions de ce genre : la collation
des bourses, même pour les universités. Si vous supposez que le gouvernement
n’est pas capable de faire abstraction de son rôle politique, vous devez lui
refuser toute confiance pour la collation des bourses.
Vous devez
pousser plus loin votre défiance ; vous devez même retirer au gouvernement la
plupart des nominations : Si vous croyez que le gouvernement ne peut pas faire
abstraction de son rôle politique dans les nominations, ne devez-vous pas
craindre que, en ce qui concerne les universités de l’Etat, il ne montre des
prédilections, ne devez-vous pas craindre que lorsqu’il s’agira de nommer des
juges, par exemple, il ne s’enquière de l’origine des études faites par les
candidats qui se présentent. (Interruption.)
Oui, si vous craignez qu’il soit inévitablement porté à favoriser les deux
universités de l’Etat, en ne nommant que des solliciteurs qui ont étudié dans
ces universités, vous devez aussi lui enlever le droit de nommer les juges.
Vous voyez donc, messieurs, qu’à moins de dépouiller le gouvernement d’une
foule d’attributions, vous devez admettre qu’il a des attributions qui ne lui
ont été données, je le répète, que parce qu’on le suppose capable de faire
abstraction de son rôle politique, parce qu’on a reconnu qu’il est capable
d’exercer ces attributions en faisant abstraction de toute sympathie politique.
Mais,
messieurs, ce n’est pas sans conditions que nous proposons de déléguer au gouvernement
la formation du jury ; nous avons entouré la nomination de garantie : nous
obligeons le ministre qui doit faire les propositions à la couronne, à entendre
les chefs des établissements gouvernementaux et libres, et c’est après s’être
concerté avec eux, qu’il fait les propositions.
Je dis,
messieurs, que, dans cette condition, il y a un puissant moyen d’empêcher le
gouvernement de céder à certaines prédilections. Il y a nécessité pour lui, par
la présence des personnes qu’il doit consulter, avec lesquelles il doit se
concerter, il y a nécessité pour lui de faire abstraction de son rôle
politique.
Il y a, en
outre, pour lui, une responsabilité à laquelle les chambres, échappent
nécessairement (interruption) ;
évidemment ce qui fait que le gouvernement est forcé, pour certaines
nominations, de faire abstraction de son rôle politique, c’est qu’il y a pour
lui une responsabilité ; il n’y a pas de responsabilité pour les assemblées
agissant collectivement, surtout si c’est au scrutin secret.
On soutient
que la liberté d’enseignement est mieux garantie par le mode de nomination du
jury provisoirement introduit en 1835.
La liberté
d’enseignement est un principe de notre droit public, c’est un principe en
quelque sorte fondamental de la société belge ; et vous attacheriez ce
principe, cette base immuable à l’élément mobile, très mobile de l’élection !
Si l’on
vous disait : on peut par une loi abolir la liberté d’enseignement, vous seriez
effrayés ; et ici, vous avez moins qu’une loi, vous avez la formation du jury
d’examen dont vous faites dépendre la liberté d’enseignement ; vous avez cette
formation par un concours mystérieux des deux chambres et du gouvernement. Si
ce concours perd le caractère d’impartialité que vous y cherchez, la liberté
d’enseignement elle-même sera compromise, elle le sera d’une manière occulte,
qui échappe à toute responsabilité.
J’ai
signalés dans mon exposé des motifs, le vice principal qu’offre le jury sous le
rapport scientifique depuis 1835 : c’est la permanence ; les mêmes hommes ont
été continuellement réélus. C’est cette réélection permanente, convenue en
quelque sorte à l’avance, qui a rendu toute intervention du gouvernement
inutile dans la formation du jury par les chambres ; mais, remarquez-le bien,
du moment que vous admettez un renouvellement annuel, vous arrivez forcément à
une intervention occulte du ministère dans la formation du jury par les
chambres.
Pour
échapper à cette intervention, on s’est résigné à la permanence, c’est-à-dire
qu’on a continuellement réélu les mêmes membres ; aucun concert avec le
gouvernement n’était alors nécessaire ; mais, dès l’instant que, chaque année,
vous remplacez l’un des titulaires désigné par le sort, qu’on me permette de le
dire, je porte aux chambres le défi de remplacer le titulaire sortant sans
qu’il y ait concert secret avec le ministère. Vous aurez donc l’intervention du
gouvernement, mais vous l’aurez occulté, vous l’aurez sans responsabilité.
Ceux qui ne
veulent pas de l’intervention du gouvernement, ont été nécessairement amenés à
la permanence, car la permanence seule rend l’intervention du gouvernement
inutile. Une fois qu’il était admis que chaque année, à moins de décès ou de
démissions (cas rares), les mêmes membres étaient réélus, le gouvernement
n’intervenait pas, on n’avait pas besoin de se concerter avec lui, soit pour le
choix des personnes ; soit pour la coordination des matières, mais à l’avenir
il n’en sera plus ainsi ; chaque année, le sort désignera le titulaire sortant
; et, je ne puis assez le répéter, pour le choix du titulaire nouveau, il
faudra que le gouvernement intervienne d’une matière occulte ; il faudra qu’il
se concerte avec la majorité parlementaire.
Ainsi,
d’une part, je ne trouve pas que la liberté d’enseignement soit garantie dans
le mode ancien de nomination du jury ; d’autre part, je dis à ceux qui
craignent l’intervention du gouvernement, que du moment qu’ils admettent la
nécessité du renouvellement annuel d’un membre par chaque jury et chaque
chambre, ils auront l’intervention ministérielle, mais ils l’auront mystérieuse
et sans responsabilité.
Je m’arrête
à ces observations générales. Je tenais, messieurs, à disculper de certains
reproches le projet qui vous est présenté. Je tenais aussi à ne pas accepter
tous les arguments qu’on a fait ou qu’on fera valoir en faveur du projet.
J’ai dit,
en commençant, que j’ignorais, que je voulais ignorer tout ce qui s’est passé
depuis la présentation du projet. Il est cependant une accusation que je dois
repousser, sans attendre qu’elle se produise dans la discussion. J’espère,
d’ailleurs, qu’elle ne se produira pas.
On a supposé que le gouvernement avait présenté ce projet de loi sur les
injonctions d’un ou même de deux gouvernements étrangers.
La
question, messieurs, était ouverte. Il était impossible que le gouvernement ne
vous présentât pas un mode de solution, et ce mode de solution, le gouvernement
vous l’a présenté, en se plaçant au point de vue le plus gouvernemental ; je
crois, qu’à moins de sortir de son rôle, le gouvernement ne pouvait pas agir
autrement, ne pouvait pas exercer autrement l’initiative que la constitution
lui a dévolue. C’est donc par nécessité que nous avons agi ; et en vous
proposant le mode de nomination qui vous est soumis, nous n’avons fait que
consulter les principes gouvernementaux. On peut nous accuser de les avoir
exagérés, mais on reconnaîtra du moins que nous nous sommes renfermés dans
notre mission gouvernementale, et qu’en ce qui me concerne personnellement, je
me suis montré conséquent avec tous mes précédents.
Ce n’est
donc pas à l’étranger qu’il fallait aller puiser nos inspirations. Le
gouvernement français n’est pas intervenu, et n’a jamais songé à intervenir
dans la présentation de ce projet. Mais qu’il me soit permis de le dire, il y a
cependant une intervention : la France intervient ; nous sommes en présence
d’une grande lutte entre l’épiscopat français et l’université de France. Le
projet de loi a été accueilli par le libéralisme français, à tort comme un
succès, par le catholicisme français, et toujours à tort, comme un mouvement de
recul dans le système de la liberté d’enseignement. Fâcheuse coïncidence que je
déplore, et qui rend plus regrettable encore la nécessité où nous nous sommes
trouvés de vous saisir cette année de cette question périlleuse.
M.
le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - La chambre me permettra de lui parler de ma
position personnelle qui est liée à la discussion de cette loi et à la
situation créée par cette loi.
En offrant
au Roi la démission de mes fonctions ministérielles, j’ai cru remplir un
devoir, et mon intention n’a pas été d’augmenter les embarras de la situation,
et de jeter le moindre blâme sur mes collègues. Je sais mieux que personne que
le ministère pouvait difficilement échapper à la nécessité de porter devant les
chambres la loi du jury, qui était un legs fâcheux que les ministères
précédents lui avaient laissé.
Ma
démission exige des explications que je sens le besoin de donner à la chambre,
afin qu’aucune équivoque ne puisse atteindre la conduite que j’ai cru devoir
tenir.
Ces
explications, je les renfermerai dans les limites d’une étroite réserve que la
chambre appréciera, réserve dont personne ne pourra me faire sortir.
(Erratum, Moniteur belge n°87, du 27 mars
1844) La question du jury a été acceptée et discutée par le ministère,
comme elle vous a été, messieurs, présentée à vous-même le 22 février, non
comme une question de cabinet, non comme un principe essentiel sur lequel un
ministère se forme, auquel il attache son existence, et qui lie chacun de ses
membres, mais comme un objet indiqué et soumis à notre libre examen.
La
déclaration faite par M. le ministre de l’intérieur le 22 février, qu’il ne
faisait pas de ce projet une question de cabinet, n’a pu avoir, n’a et pas eu
d’autre sens. Cette déclaration qui était une condition même de la présentation
du projet de loi, m’était donc acquise à moi comme à chacun de vous. Si ce
projet n’a pas été présenté sans mon aveu, cette présentation n’a donc pu aliéner
ma liberté d’opinion et de vote.
Mes
collègues et moi, nous nous étions mis d’accord dès l’origine sur un point,
c’est que le système de 1835 ne pouvait être conservé sans subir d’importantes
modifications. Les vices du jury de 1835 ont été signalés dans l’exposé de M.
le ministre de l’intérieur, et personne ne les conteste plus aujourd’hui.
Pour
corriger ces vices du jury, fallait-il toucher au mode même de nomination, là
et de quelle manière le fallait-il ? c’était le point où commençaient mes réserves.
Dans
l’exposé des motifs de la loi, M. le ministre de l’intérieur n’a pas considéré
l’intervention des chambres comme inconstitutionnelle, ni la nomination du jury
par le roi comme une prérogative essentielle du pouvoir exécutif. Aucun
principe de constitution ou de gouvernement n’était donc, à nos yeux, engagé
dans le débat. Cela me suffisait pour dessiner ma position.
J’étais dès
lors placé entre une double alternative Je pouvais rester dans le cabinet, en
réservant mon opinion et mon vote dans cette question ouverte, sauf à apprécier
la conduite que le résultat de la discussion m’imposerait. Je pouvais me
retirer librement et loyalement du ministère.
Cette double alternative, je me la suis nettement posée, dès la veille
de la présentation du projet, et je pourrais ici invoquer le témoignage de mes
amis politiques, qui ne l’ont pas ignorée.
Au lieu de
conserver la liberté de mon vote dans le cabinet, comme j’en avais le droit,
j’ai préféré me retirer.
En restant
assis à côté de mes collègues pendant cette discussion, ma punition,
justifiable à mes yeux, eût été mal comprise par le pays ; j’aurais craint que
mes convictions eussent pu paraître suspectes et qu’un doute pesât sur ma
sincérité. J’avais besoin, en cette occasion, que ma parole fût libre, et ma
retraite seule la rendait telle.
Et puis,
messieurs, j’étais entré dans un ministère mixte, où chacun sait qui je
représentais, de quelle opinion j’étais la caution. Nous avions écrit dans
notre programme qu’un ministère qui serait forcé de ne s’appuyer exclusivement
que sur l’un des deux côtés de la chambre serait un ministère fatal au pays.
Or, les circonstances ont voulu que cette question divisât la chambre en deux
camps, et que le ministère ne trouvât d’appui pour cette loi que dans un seul
côté de la chambre, le côté de l’opposition. Ce fait m’étant connu, ma présence
dans le ministère devenait impossible, à moins que je n’eusse consenti à n’y
être plus la caution de personne.
Sans doute
un homme politique ne peut pas se laisser imposer une conviction par un parti,
si cette conviction n’est pas la sienne, et la discussion du fond prouvera que
je n’ai subi aucun joug de ce genre ; mais un dissentiment d’opinion existât-il
entre mes amis politiques et moi dans une occasion qu’on a faite grave, mon devoir
serait encore de défendre mon opinion sur les bancs de la chambre où je ne
représente que moi-même, et non sur les bancs ministériels où je représente une
opinion qui pouvait me demander compte non de mes propres convictions, mais de
l’exercice de mon influence comme ministre. (Très bien.) Ma démission, même dans ce cas, serait un acte de
loyauté politique que j’aurais dû accomplir.
M.
Devaux. - Je remercie l’honorable
M. Dechamps d’avoir donné des explications à la chambre. Il était convenable,
en effet, que la chambre fût informée de la position du ministère autrement que
par la voie des journaux et par le changement de place d’un des ministres qui
vient de s’asseoir sur un autre banc que celui de ses collègues.
L’honorable
membre a désiré, dit-il (et je l’en loue), qu’il ne pût rester aucune équivoque
sur sa position actuelle.
Je crois,
pour le mettre à même d’atteindre ce but, devoir lui déclarer que ses explications
ne paraissent pas suffisantes, qu’il n’a pas suffisamment éclairci la position
du cabinet à son égard, ni la sienne à l’égard du cabinet et de la chambre.
Ce qu’il y a de plus important à savoir pour la chambre, c’est si l’honorable
membre avait donné son assentiment au projet de loi à sa présentation.
L’honorable membre a laissé, sous ce rapport au moins dans mon esprit, une
certaine obscurité sur les faits. L’honorable membre s’est-il retiré parce
qu’il n’avait pas donné son assentiment au projet de loi ? Ou bien s’est-il
retiré parce que ses amis politiques n’ont pas approuvé le projet auquel il
avait adhéré ?
La chambre
a intérêt à savoir si M. le ministre des travaux publics a été d’accord avec
ses collègues, au sujet du projet de loi, non pas après, mais avant sa
présentation.
L’honorable
M. Dechamps a dit qu’il ne s’agissait pas d’une question de cabinet ; cependant
il est convenu que cette question était tellement grave que la présentation du
projet avait, dans son opinion, changé le caractère politique du cabinet, qui
était mixte et qui a cessé de l’être. Quelle a été, à l’égard de la
présentation du projet de loi qui entraîne une telle conséquence, la conduite
de l’honorable membre ?
Je désire
(l’honorable membre doit le désirer lui-même) que l’explication soit complétée,
qu’il veuille bien faite connaître s’il avait adhéré au projet de loi, ou s il
y a refusé son adhésion seulement depuis que la chambre en est saisie. La
retraite d’un ministre à la suite de la présentation d’un projet de loi qui
changerait, dit-on, le caractère politique du cabinet, est un fait assez
important pour que les motifs en soient précisés devant la législature.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pour moi, il résulte des
explications données par l’honorable M. Dechamps, que le projet a été présenté,
le 21 février, du consentement de l’honorable membre, mais avec une réserve. Le
projet n’a pas été présenté à son insu, sans son aveu. Le projet a été présenté,
mais avec une réserve qui lui est restée acquise. Cette réserve est celle-ci :
je l’ai faite publiquement en répondant à l’interpellation de M. de Mérode :
c’est que ce projet de loi n’était pas une question de cabinet.
L’honorable
M. Dechamps avait l’option de donner deux sens différents à cette déclaration.
Il vous à dit : de deux choses l’une, il pouvait rester au banc ministériel, et
attendre le vote ou se rendre libre dès le commencement de la discussion. C’est
ce qu’il a fait. Il ne m’appartient pas de rechercher s’il a bien ou mal fait
en se plaçant plutôt dans l’un que l’autre cas de l’alternative.
Pour moi,
au nom de mes collègues et au mien, je tiens à déclarer que ce qui résulte pour
nous des explications de l’honorable M. Dechamps, c’est que le projet de loi a
été présenté, non à son insu, avec son désaveu, mais de son consentement et
avec la réserve qui a été faite par lui ; c’est ce qu’il m’importe de
constater. Je ne pense pas que l’honorable M. Dechamps me désavoue.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Je n’ajouterai que bien peu de
mots à ce que vient de dire l’honorable ministre de l’intérieur. Je crois
m’être exprimé assez clairement pour être compris de tout le monde. J’avais
déclaré que le projet n’avait pas été présenté à mon insu, avec mon désaveu,
mais j’ai expliqué de quelles réserves j’avais entouré ce consentement.
La
déclaration faite par M. le ministre de l’intérieur devant la chambre, qu’il ne
faisait pas de cette question une question de cabinet, qu’il ne s’agissait pas
dès lors d’un principe à emporter de haute lutte, cette déclaration nous avait
été faite dans le conseil même, elle était la condition de la présentation du
projet ; elle m’était donc acquise. Je dois comprendre que la liberté de mon
vote et de mon opinion m’était garantie sur les questions que j’avais
réservées.
Quant à mon
opinion même sur le fond du débat, je me réserve de la faire connaître lorsque
mon tour de parole sera venu. J’ajourne sur ce point toute explication.
M.
le président. - La
discussion est close sur l’incident. Nous reprenons la discussion sur
l’ensemble du projet. La parole est à M. Jonet.
M.
Jonet. - Messieurs, je
viens soutenir le projet de loi parce que, selon moi, il tend à rendre au roi
une de ses prorogatives constitutionnelles, que la loi du 27 septembre 1835 lui
a enlevée pour la donner aux chambres, qui, de leur côté, selon moi encore, n’y
avaient aucun droit.
Je soutiens
cette proposition parce que je la crois conforme au texte et à l’esprit de
notre charte politique, et parce qu’elle a pour but de parer à des
inconvénients graves, que le système d’élection des membres des jurys d’examen,
par les chambres, a fait naître ; et peut-être, de parer aux dangers que la
continuation de ce système pourrait nous faire courir, sous le rapport de nos
libertés.
Le congrès
national, messieurs, après avoir proclamé cette grande vérité, que tous les
pouvoirs de la nation, a pris soin de diviser les pouvoirs, car en fait la
réunion des pouvoirs, c’est l’absolutisme, et l’absolutisme, bon peut-être au
moyen-âge, ne pouvait convenir à
Les
pouvoirs divisés, il a fallu fixer et limiter leurs attributions respectives,
et le congrès a rempli cette tâche de manière qu’au corps législatif appartient
le droit de faire les lois, au roi appartient le droit de les exécuter et de
les faire exécuter, aux cours et tribunaux appartient le droit de les appliquer
dans les affaires contentieuses dont la connaissance leur est dévolue.
Tout cela
résulte des dispositions textuelles des articles 25, 26, 29, 30 et suivants de
la constitution du 7 février 1831, qui nous régit, et dont nous avons juré
l’observance.
Le pouvoir
législatif exercé collectivement par le roi, la chambre des représentants et le
sénat, a donc exclusivement le droit de faire des lois ; et ce droit ne lui est
contesté pas personne.
Mais en
a-t-il d’autres ? Peut-il s’en donner d’autres par une loi, quand la
constitution ne les lui donne pas elle-même ?
Je vous
prie, messieurs, de vouloir bien me suivre sur ce terrain tout constitutionnel,
et d’examiner avec moi les deux questions fondamentales et décisives que je
viens de poser.
1ère
question. Le corps législatif a-t-il d’autres pouvoirs que celui de faire des
lois ?
Je réponds
: Oui, le corps législatif a d’autres droits quand la constitution les lui
donne ; non, il n’en a pas d’autres quand la constitution ne les lui a pas
donnés.
Développons
cette vérité.
Outre le
droit de faire la loi, le corps législatif a, entre autres choses, le droit
d’accorder la naturalisation à des étrangers ; il a ce droit, il est
incontestable, mais il ne l’a que parce que l’art. 5 de la constitution le lui
confère ; il ne l’aurait pas si la constitution ne le lui avait pas donné.
Ailleurs
qu’en Belgique, c’est le chef de l’Etat, c’est-à-dire le pouvoir exécutif qui
accorde la nationalité aux hommes qui n’appartiennent point au pays ; et nous
pouvons donner pour exemples, la France, sous Napoléon ; les Pays-Bas, sous Guillaume
; la France, sous Louis-Philippe, et presque tous les Etats constitutionnels de
l’Europe.
Outre
quelques autres droits particuliers que la constitution belge donne aux trois
branches du pouvoir législatif, prises collectivement (voir les art, 2, 5, 3,
82, etc.), notre contrat politique en donne encore quelques-uns à l’une ou à
l’autre de ces branches prises isolément.
C’est ainsi
que les art. 90 et 134 donnent à la chambre des représentants le droit
d’accuser les ministres.
C’est ainsi
que l’art. 99 confère au sénat le droit de présenter au roi une liste de deux
candidats pour chaque place qui devient vacante à la cour de cassation.
C’est ainsi
enfin, que l’art. 116, pour des raisons spéciales résultant de la nature même
de l’institution, attribue à la chambre des représentants seule le droit de
nommer et de révoquer les membres de la cour des comptes.
Tous ces
droits, le corps législatif ou chacune des branches qui le composent, les ont,
parce que la constitution les leur donne par des dispositions expresses ; mais,
si notre pacte social ne les leur avait pas conférés par la nature même des
choses, les attributions du pouvoir législatif et de chacune de ses branches
devraient se restreindre à la mission de faire des lois, mission pour laquelle
il a été institué.
Après avoir
défini les attributions ordinaires ou extraordinaires du premier pouvoir de
l’Etat, la constitution a dû fixer et limiter les fonctions des deux autres.
Voici, à cet égard, comment elle s’exprime :
« Au Roi, dit
l’art. 29, appartient le pouvoir exécutif.
« Les
contestations qui ont pour objet des droits civils, disent les art. 92 et 93 de
la constitution, sont exclusivement du ressort des tribunaux. Les contestations
qui ont pour objet des droits politiques sont du ressort des tribunaux sauf les
exceptions établies par la loi. »
Je ne
soulèverai pas dans cette enceinte la question de savoir si un des pouvoirs
peut empiéter sur les attributions des autres ; ce serait faire injure aux
honorables membres qui composent cette assemblée ; ce serait mettre en doute ce
qui n’est douteux pour personne. L’organisation sociale serait détruite si
cette supposition pouvait se réaliser ; permettre de pareils empiètements, ce
serait jeter le désordre et la confusion dans l’administration du pays.
Cela dit,
je me demanderai, toujours constitutionnellement parlant, à quel pouvoir
appartient le droit de nommer aux fonctions établies par la loi ? Et
spécialement à quel pouvoir appartient et doit appartenir le droit de nommer
les membres des jurys, chargés par une loi de conférer les grades scientifiques
et académiques ?
La réponse
à ces deux questions est facile à donner, puisque l’article 29 de la
constitution que nous avons transcrit plus haut, statue en termes formels : «
Au roi appartient le pouvoir exécutif. »
Le roi a le
pouvoir exécutif ; donc, quand le corps législatif a fait une loi pour
l’exécution de laquelle des agents ou des fonctionnaires sont nécessaires,
c’est au Roi à les nommer.
Sans cela,
il n’aurait réellement pas le pouvoir que l’art. 29 de la constitution lui
attribue.
Mais, me
demandera-t-on peut-être, nommer les membres des jurys d’examen, est-ce bien
faire un acte de pouvoir exécutif ?
Mais
qu’est-ce donc, si ce n’est pas cela ? A coup sûr, ce n’est pas faire une loi ;
à coup sûr encore, ce n’est pas juger une contestation que la constitution
attribue exclusivement aux tribunaux. Si ce n’est pas faire une loi, si ce
n’est pas juger un procès, c’est donc nécessairement faire un acte
d’administration, et cet acte d’administration à qui peut-il appartenir si ce
n’est au Roi ?
Une
question analogue s’est élevée en France il y a quelques années ; permettez que
je vous dise comment elle a été résolue.
Il
s’agissait d’expropriation pour cause d’utilité publique.
L’art. 545
du code civil avait fixé le principe en disant : « Nul ne peut être
contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et
moyennant une juste et préalable indemnité. »
Le code
n’ayant rien dit de plus, il était naturel de se demander qui déciderait que
l’expropriation demandée avait réellement l’utilité publique pour cause ?
Qui
prononcerait l’expropriation ?
Qui
fixerait l’indemnité ?
Serait-ce
le corps législatif ?
Serait-ce
le pouvoir exécutif ?
Serait-ce
l’autorité judiciaire ?
Chacun de
ces systèmes avait ses partisans.
Pour
s’éclairer, l’empereur cru prudent de consulter son conseil d’Etat.
Le conseil
d’Etat de Napoléon était, nous le savons tous, composé d’hommes instruits, dont
certes on ne contestera pas le mérite.
Eh bien,
voici comment le conseil d’Etat résolut la question qui lui était posée :
« Du
18 août 1807.
« Le
conseil d’Etat, après avoir entendu la section de législation sur le renvoi qui
lui a été fait par S. M. impériale et royale, de l’examen de la question de
savoir si le concours de l’autorité législative est nécessaire lorsqu’il s’agit
de l’exécution de l’art 545 du code civil.
« Est
d’avis que, dans ce cas, le concours de l’autorité législative n’est pas
nécessaire, et que la nature même des choses s’oppose à ce qu’elle puisse
intervenir avec la sûreté et la dignité qui lui conviennent.
« La
loi n’est autre chose qu’une règle commune aux citoyens : elle établit les
principes généraux sur lesquels reposent leurs droits politiques et civils. Le
point de savoir si la règle a été violée dans l’application au droit d’un
particulier et une simple question de fait ; il s’agit alors d’exécuter la
règle, et non d’en créer une nouvelle.
« La
société a intérêt à ce que le principe ne soit changé que par la même autorité
qui l’a établi : l’intérêt social n’est point blessé par l’erreur ni même par
l’injustice dans la décision du fait particulier ; c’est un préjudice
individuel. Les lois les plus sages et les plus claires n’empêcheront jamais
qu’il n’y ait des erreurs ou des injustices dans leur application. On a
toujours regardé comme une garantie politique que la même autorité qui fait la
loi ne soit pas chargée de l’exécution, Il est d’ailleurs impossible que la loi
intervienne alors avec sûreté et dignité.
« Avec
sûreté parce que la question de fait dépend, le plus souvent, de connaissances
locales, et que le corps législatif n’est point organisé pour éclaircir et pour
juger des questions de fait.
« La dignité
de ce corps en est blessée, parce qu’on transforme les législateurs en simples
juges ; et le plus souvent encore l’objet du jugement est-il du plus médiocre
intérêt, etc. »
Cet avis,
messieurs, fut approuvé par l’empereur ; de plus, il fut publié et inséré au Bulletin des lois, sous le n°2675.
Cette
insertion n’avait certes pas pour but d’apprendre au gouvernement ce qu’il
savait très bien, puisqu’il avait l’avis entre les mains ; mais la publication
avait un but plus étendu, c’était de faire connaître à la France entière les
principes de droit public et de sagesse que l’avis contenait ; c’était de faire
connaître au pays :
1° Que la
loi est une règle commune aux citoyens, qui établit les principes sur lesquels
reposent leurs droits civils et politiques.
2°
Qu’appliquer la loi aux faits, c’est exécuter la règle et non en créer une
nouvelle ;
3° Qu’il
est dangereux que l’autorité qui fait la loi, soit chargée de l’exécuter ; et
4° Que la
nature même des choses s’oppose à ce que l’autorité législative puisse
intervenir dans l’exécution des lois avec la sûreté et la dignité qui lui
conviennent.
Je livre,
messieurs, cet avis à vos méditations ; il mérite toute votre attention, alors
surtout que, sans nécessité aucune, on veut que vous vous immisciez dans des
affaires qui ne sont pas les vôtres, puisque la constitution, en vous donnant
une mission plus élevée, ne vous a pas donné celle que, par esprit que je ne
qualifierai pas ici, plutôt que par esprit de convenance sociale, on veut à
tort vous faire remplir.
Jusqu’ici
je n’ai traité la question que dans ses rapports avec l’art. 29 de la
constitution, et je crois vous avoir démontré que, dans l’absence d’une
disposition constitutionnelle qui vous donnerait le droit de nommer les membres
des jurys d’examen, comme l’art. 116 vous a donné le droit de nommer les
membres de la cour des comptes, vous n’avez pas et vous ne pouvez avoir la
nomination des membres des jurys d’examen, puisque la constitution, par une
disposition générale, l’a conférée au Roi, cette nomination.
Il faut
maintenant que j’examine le projet qui vous est soumis dans ses relations avec
l’article 66 de notre loi fondamentale.
Cet art. 66
porte :
« Le Roi
confère les grades dans l’armée.
« Il
nomme aux emplois d’administration générale et de relation extérieure, sauf les
exceptions établies par les lois.
« Il
ne nomme à d’autres emplois qu’en vertu de la disposition expresse de la
loi. »
D’après cet
article donc le Roi nomme aux emplois d’administration générale.
Mais
qu’est-ce qu’un emploi d’administration générale ?
L’emploi
qui a pour but de juger si les jeunes gens qui se destinent à des fonctions ou
professions spéciales, telles que celles de juge, de médecin, d’avocats, etc.,
ont assez d’instruction pour les remplir. Est-il un emploi d’administration
générale, ou n’est-il qu’un emploi d’administration particulière ?
Pour moi,
la question n’est pas douteuse, et je réponds que c’est là un emploi
d’administration générale.
En effet,
l’administration générale est celle qui concerne le pays entier ; tandis que
l’administration provinciale, par exemple, ne concerne qu’une partie du pays,
comme l’administration communale ne concerne que les parties de province
appelées communes, et enfin comme l’administration des églises, des hospices,
des bureaux de bienfaisance, etc., ne sont que des administrations
particulières.
L’administration
générale est confiée au roi et à ses ministres.
L’administration
provinciale et communale est confiée aux conseils provinciaux ou communaux,
d’après les règles tracées aux art. 31 et 108 de la constitution. Les
administrations particulières sont réglées, elles, par des lois spéciales et
particulières.
Les
fonctions des jurys d’examen ne sont pas restreintes à une commune, ni à une
province ; elles embrassent le pays entier, le pays dans sa généralité, tous
les hommes, en un mot, qui veulent obtenir en Belgique des diplômes de
candidats ou de docteur ; donc ces fonctions constituent une partie de
l’administration générale donc la nomination à ces fonctions appartient au Roi,
d’après l’art. 66, comme nous avons démontré que cette nomination lui
appartenait déjà d’après l’art. 9.
Ici se
présente une objection tirée de la dernière partie du second paragraphe de
l’art. 66 même qui porte : « il nomme, le Roi, aux emplois d’administration
générale, sauf les exceptions établies par la loi. »
A la règle
établie, la loi peut faire des exceptions ; donc, dit-on, par la loi que nous
discutons, nous pouvons donner aux chambres la nomination des membres des jurys
d’examen, quoique ces emplois appartiennent bien réellement à l’administration
générale du pays.
Cette
objection fait naître la seconde question que nous avons posée plus haut, et
voici ce que j’y réponds :
La loi peut
faire des exceptions au droit qu’a le Roi de nommer aux emplois d’administration
générale, j’en conviens ; mais de là résulte t-il que le corps législatif
puisse se donner à lui-même, corps législatif, des nominations autres que
celles qui lui sont expressément conférées par la constitution même ?
Je ne le
crois pas ; et, loin de là, je pense qu’il y aurait un grand danger à le
décider autrement.
La
constitution, avons-nous vu, a divisé les pouvoirs qui tous doivent être
exercés de la manière établie par la constitution (art. 25, 26, 29 et 30).
A quoi
servirait cette division si le corps législatif, méprisant la volonté du
congrès, pouvait les réunir à sa discrétion ?
La réunion
des pouvoirs, avons-nous vu aussi, mène à l’absolutisme ; et qui oserait soutenir
que l’absolutisme a la sympathie des Belges ? Qui oserait soutenir que le
congrès national a permis qu’il fût rétabli au profit du pouvoir législatif,
alors qu’il faisait tout pour ne pas le donner au pouvoir exécutif ?
L’art.
Ainsi, par
exemple, le corps législatif pourrait donner à chaque université le droit de
nommer ses représentants dans les jurys : mais il ne peut pas se donner cette
prérogative à lui-même
1° Sans
compromettre sa dignité ;
2° Sans
détruire les garanties sociales ;
et 3° sans
rompre l’équilibre établi par le congrès, entre le pouvoir législatif et le
pouvoir exécutif.
Autre
considération : La constitution, en donnant le pouvoir exécutif au roi, a rendu
les ministres responsables des actes qu’ils contrôlent et qu’ils contresignent.
(Art. 63, 64, 90 et 134).
Mais qui
répondra des actes du corps législatif, si jamais on lui permet de s’immiscer dans
les actes de l’administration ? La constitution n’a pas réglé cette dernière
responsabilité comme elle a réglé la première ; et elle ne l’a pas réglée,
parce qu’elle n’a pas supposé que jamais semblable immixtion pût avoir lieu. On
ne croit guère à ce qui n’est pas vraisemblable, à ce que l’on considère comme
impossible. Les anciens étaient dans cette position lorsqu’ils faisaient des
lois pénales sans établir de peine contre les parricides.
La
responsabilité, messieurs, n’est point un vain mot ; elle devrait exister
contre la chambre comme elle existe contre les ministres, si la loi pouvait
leur donner toute ou partie de l’administration ; mais cette responsabilité
contre qui l’exercerait-on ? à quelle juge la soumettrait-on ? qui accuserait
la chambre qui elle-même est chargée d’accuser les ministres ? que deviendrait
sa propre dignité ? quelle sûreté, quelle garantie le pays aurait-il encore ?
En vérité, quand on y songe, on est tout étonné de voir qu’en 1844, on veuille
encore rétablir des principes qui n’étaient bon qu’alors qu’il fallait
restreindre par tous les moyens possibles, les pouvoirs trop absolus des rois.
Si cela
était vrai, serait-ce aux chambres qu’il faudrait donner cette nomination ?
l’autorité des chambres est-elle tellement faible que, pour la mettre
convenablement en rapport avec celle du Roi, il faille nécessairement prendre
quelque chose à celle-ci pour la donner à l’autre ?
Evidemment
rien de semblable n’existe, et par conséquent, restons dans les bornes de nos
attributions ; faisons des lois ; exécutons-les pour ce qui nous regarde, mais
ne nous chargeons jamais de l’exécution qui appartient à un autre pouvoir, ou,
dans des cas donnés, à d’autres autorités que vous aurez indiquées. Respectons
les limites que la constitution nous a tracées, si nous voulons que nos actes
soient respectés et aient de la force ; soyons fiers et jaloux de nos droits,
mais n’allons point au-delà, car au-delà il n’y a que malheur, désordre et
confusion.
Il est
fâcheux que la politique intérieure, et, je dois le dire, que l’esprit de parti
se soit mêlé à une semblable question.
Sans cet
esprit, jamais la question qui nous divise n’aurait été soulevée, j’en ai la
conviction intime ; le bon sens dont le peuple belge est fier, et qui le
distingue de beaucoup d’autres peuples ; le bon sens des hommes impartiaux ; le
bon sens de ceux qui veulent maintenir l’œuvre du congrès dans toute sa pureté
; le bon sens de ceux qui sincèrement veulent rendre à César ce qui est à
César, aurait suffi pour refuser aux chambres le droit de nommer les membres de
nos jurys d’examen.
A tout cela
qu’oppose-t-on ? La liberté de l’enseignement !
Quoi, c’est
au nom de la liberté de l’enseignement que vous voulez vous immiscer dans
l’exercice d’un pouvoir que le congrès national à soigneusement séparé du vôtre
? Quoi ! c’est au nom d’une des nombreuses libertés que notre constitution de
1831 nous a garantie, que vous voulez marcher sur cette même constitution, sans
laquelle vous seriez encore régis par des lois Vanmanniennes, peut-être ?
Quoi ! la
liberté de l’enseignement sera compromise parce que ce sera le roi, et non la
chambre, qui désormais nommera aux fonctions de jurés ! Quoi ! cette liberté
sera exposée, parce que le Roi nommera ces membres, non arbitrairement, mais
d’après des règles que vous aurez tracées à l’avance ! Quoi ! elle sera
compromise, parce que, à l’avenir, la grande majorité des jurés ne serait plus
prise dans un seul établissement, mais devait l’être en nombre égal, dans les
quatre grands corps enseignants, que la liberté que vous invoquez a institués
dans le pays !
Je suis
confondu, je dois le dire, quand j’entends faire de pareilles objections. J’ai
toujours pensé, et je pense encore, que la justice, l’égalité dans les droits
de tous, était de l’essence de toute liberté ; sans justice, sans égalité de
droit, il y a favoritisme, privilège et faveur, mais il n’y a pas de liberté,
quand, en matière d’enseignement, l’un a tout et l’autre rien, il y a monopole
; mais monopole et liberté, sont deux choses qui s’entrechoquent, qui
s’entredétruisent et qui, par conséquent, ne peuvent jamais se trouver à côté
l’un de l’autre dans le même lieu, dans le même pays.
Non, le
projet du gouvernement n’est pas contraire à la liberté de l’enseignement, loin
de là, il la protège. Ce qui, au contraire, l’aurait tuée dans un temps peu
éloigné, cette liberté, c’est le système adopté en 1835, que l’on veut
continuer au futur. On connaît les produits de ces systèmes, les statistiques
sont sous nos yeux. Tout pour l’un, rien pour les autres, est le résultat le
plus positif de sa mise à exécution pendant 9 ans.
Les amis, les vrais amis de la liberté de l’enseignement n’en veulent
plus, de ce système ; pour conserver cette liberté, ils veulent d’abord que
l’on rende au roi ce que la constitution lui a donné ; ils veulent que le roi,
investi du pouvoir exécutif, nomme seul les examinateurs, parce que ces
examinateurs appartiennent à l’administration générale du royaume. Ils veulent
ensuite que les quatre universités existantes dans le pays soient également,
autant l’une que l’autre et pas plus l’une que l’autre, représentées dans les
jurys d’examen ; ce que les amis de la liberté de l’enseignement veulent, il
paraît que le gouvernement de 1844 le veut aussi. Eh bien ! qu’il le veuille
sérieusement ; que sincèrement, franchement et énergiquement il revendique la
prérogative que le gouvernement de
En parlant
comme je viens de le faire, je dois déclarer que je n’ai d’autre but que de
préserver notre belle constitution du 7 février 1831 de toute atteinte : celui
de conserver au pouvoir royal les attributions, toutes les attributions et rien
que les attributions que la constitution lui a départies ; celui de maintenir les
chambres dans les bornes que la constitution leur a assignées ; celui de
sauvegarder la liberté de l’enseignement ; et, enfin, celui d’être juste pour
tout le monde, pour le roi, pour les chambres, pour les associations comme pour
les particuliers.
Si je me
suis trompé, on me le dira ; si ou ne me réfute pas et si j’ai dit la vérité,
je voterai pour le projet qui tend à consacrer des principes conservateurs de
cette hardie liberté de l’enseignement, qu’aucun peuple n’a mise en pratique
avant nous, et que peut-être aucun peuple ne proclamera au futur.
M. Vilain XIIII. - C’est avec un sentiment de véritable
douleur que j’ai vu présenter le projet de loi que je désapprouve. Jusqu’ici
les différents ministères qui se sont succédé n’avaient jamais essayé de
toucher aux libertés que nous avons conquises en 1830 : L’opposition pouvait
peut-être leur reprocher quelque atteinte à l’exercice de nos droits
politiques, mais nos grandes libertés, celles sur lesquelles reposent tout notre
pacte social, la liberté de conscience, la liberté de la presse, la liberté
d’association, la liberté d’enseignement, étaient sauves. Le projet de loi sur
le jury d’examen est le premier acte d’hostilité contre l’une de ces grande
libertés, et je le déplore comme un malheur public, comme une atteinte portée à
notre nationalité : oui, comme une atteinte à notre nationalité, car notre
individualité, notre caractère national, tout ce qui distingue le peuple belge
des nations voisines, tout ce qui fait notre bonheur et notre gloire est
concentré dans le titre II de la constitution : le titre II de la constitution
est un admirable arsenal ouvert à tous les partis, à toutes les opinions, où le
dernier des citoyens, où la femme la plus timide peut, à chaque heure du jour,
trouver des armes qui le rendent invincible : supprimez ce titre II, et nous ne
serons plus en présence que de droits politiques comme il en existe dans la
plupart des pays constitutionnels, nous n’aurons plus devant nous que des
intérêts matériels, qui tous nous convieront à une réunion avec l’un ou l’autre
pays voisins. Ces grandes libertés que seuls entre les nations nous possédons
aussi complètes, constituent le caractère de la nationalité belge, et du jour
où
Messieurs,
si le projet de loi du gouvernement me semble dangereux, il ne me paraît pas
moins (manque un mot) pour la dignité
du pays. M. le ministre de l’intérieur vous propose de déclarer que l’épreuve
d’un grand jury national, faite depuis huit ans, ne vaut rien, que les grands
corps de l’Etat, les élus de la nation, la chambre des représentants, le sénat
agissant de concert avec le Roi, ne sont pas aptes à élire le jury ; il vous
propose de remplacer ce grand jury national par une commission du gouvernement.
Messieurs, que diriez-vous d’un ministre de l’intérieur ou d’un ministre de la
justice qui viendrait proposer de remplacer nos jurys criminels siégeant en
cours d’assises, par une commission du gouvernement. Un cri d’indignation ou
plutôt un long éclat de rire parti de tous nos bancs accueillerait une pareille
proposition ; et cependant, quelque peu de confiance qu’il me reste dans mon ancien
ami, M. le ministre de l’intérieur, je crois assez en ses lumières et en sa
moralité, pour penser qu’il saurait choisir un jury suffisamment éclairé et
assez impartial pour condamner les assassins et les voleurs, pour absoudre les
innocents ; dans ces nominations, du moins, il ne serait pas juge et partie.
Mais, messieurs, si un pareil projet ne serait pas même discuté et resterait
enseveli sous les huées de la chambre, si le système de faire juger les
prévenus par une commission gouvernementale est contraire à tous les principes
et soulèverait l’indignation de tous les criminalistes, pourquoi donc
voulez-vous faire juger les élèves par commission ? Le jury d’examen rend,
comme les jurys de cours d’assises, des verdicts sans appel ; comme eux il condamne
des citoyens à des peines graves, souvent supérieures à plusieurs années de
prison, il enlève aux élèves refusés leur réputation, dix on douze années
d’études, aux familles des élèves un capital considérable perdu dans ces années
d’éducation, il ferme toute carrière à ces jeunes gens, il les condamne à
mourir de faim ou à chercher par de nouvelles études et moyennant de nouveaux
frais une existence inconnue. Voilà des peines et de bien graves peines,
appliquées sans appel par le jury d’examen, et vous voulez les faire prononcer
par des commissions ministérielles nommées par un ministre qui est juge et
partie dans la question ! Ah ! MM. les libéraux, permettez-moi de le dire, ce
système n’est pas libéral.
Mais quels
sont donc les motifs si puissants à invoquer pour enlever aux grands corps de
l’Etat la nomination du jury ? Un fait, un seul pourrait, à mon avis, proclamer
leur incompétence : il faudrait prouver que le jury a mal jugé, qu’il a été
partial, qu’il a condamné des innocents. Où sont les innocents qui élèvent la
voix ? où sont les élèves refusés qui se plaignent ? où sont les réclamations
des familles ? Il n’y en a pas. Depuis huit ans que siège le jury, il n’y a pas
eu une seule injustice signalée, pas une décision contre laquelle on ait réclamé.
Et cependant c’est là seulement la condition essentielle d’un bon jury :
l’impartialité des jugements, tout le reste n’est qu’accessoire. Les jurys ne
sont pas institués pour l’avantage de tel ou tel établissement, de tel ou tel
professeur, la société ne réclame que deux choses : le renvoi des élèves
ignorants, l’admission aux grades des élèves capables. Or, je le proclame, sans
crainte d’être démenti, le jury d’examen a, depuis huit ans, entièrement et
dignement rempli sa mission ; d’une part les examens ont été difficiles et
sévères, de l’autre pas un élève renvoyé ne s’est plaint ; le jury a jugé sans
lâcheté comme sans injustice, il a été impartial.
Mais si ses
arrêts sont inattaquables, quels reproches avez-vous donc à lui faire, quels
reproches avez-vous à adresser à ceux qui l’ont nommé ? Ce ne peuvent être,
dians tous les cas, que des reproches d’un ordre tout à fait secondaire.
Examinons-les.
Premièrement
on dit que les chambres ont été partiales dans le choix des jurés, qu’elles ont
choisi en grande majorité les jurés parmi les professeurs de l’université de
Louvain. Voyons les faits. Depuis 1835 jusqu’aujourd’hui les chambres ont nommé
:
73 jurés
choisis en dehors du corps professoral,
65
professeurs de l’université de Louvain,
38
professeurs des universités de l’Etat
et 16
professeurs de l’université de Bruxelles.
Messieurs,
je n’hésite pas à le dire, si les chambres eussent eu seules la nomination du
jury, ces choix seraient déplorables ; ils seraient entachés de la plus révoltante
partialité ; mais en faisant ce choix, les chambres savaient que le
gouvernement était là pour rétablir l’équilibre ; la majorité des chambres
accordait sa confiance au ministre de l’intérieur qui faisait, dans un sens
contraire, des nominations tout aussi partiales que celles de la chambre. M. de
Theux, M. Rogier, M. Nothomb ont eu, sous ce rapport, le même système et
toujours avec l’approbation de la majorité des chambres. En définitive, le jury
d’examen a été, depuis huit ans, composé de la manière suivante :
85 jurés
choisis en dehors du corps professoral,
76
professeurs de l’université de Louvain,
55
professeurs de l’université de Bruxelles et
120
professeurs des universités de l’Etat.
Vous voyez,
messieurs, que M. le grand-maître des universités de l’Etat n’a pas à se
plaindre : sur le total de 336 jurés, nommés depuis huit ans, les universités
de l’Etat en comptent 120, c’est-à-dire plus du tiers, et remarquons, en
passant, que les 85 jurés, choisis en dehors du corps professoral, sont tous ou
presque tous fonctionnaires publics, appartiennent tous à la grande machine
gouvernementale. L’université de Bruxelles peut élever la voix et se plaindre,
je l’avoue ; elle n’a pas été partagée comme elle aurait pu l’être, mais il est
cependant à observer que la résidence du jury d’examen à Bruxelles donne aux
professeurs de cette université un avantage considérable ; l’expérience a
prouvé l’absence fréquente des examinateurs de Louvain, de Gand et de Liège et
la présence constante des jurés de Bruxelles, qui peuvent continuer leurs
cours, tout en siégeant au jury. J’éprouve cependant un regret sincère que
l’université de Bruxelles n’ait pas eu quelques nominations de plus, et celle
de Louvain quelques jurés de moins, mais quant à l’Etat, il ne peut pas se
plaindre. Du reste le système de la section centrale obvie à cette répartition
inégale, il maintiendra désormais l’équilibre d’une manière satisfaisante.
Le second
reproche, adressé au jury d’examen, tel qu’il a été constitué
jusqu’aujourd’hui, est le défaut de roulement des jurés. J’avoue que ce
roulement est une chose désirable, et qu’il perfectionnera l’institution du
jury, mais ce n’en est cependant pas une condition essentielle. Je ne connais
pas de pays où ce roulement ait lieu : la permanence des examinateurs est un
fait dans les Pays-Bas, en France, en Allemagne, en Angleterre, en Italie : à
l’école polytechnique, école modèle pour la hauteur des études, et la force des
élèves, les examinateurs sont permanents, et cependant c’est sur le défaut de roulement
que M. le ministre de l’intérieur a bâti son acte d’accusation contre la
chambre : le défaut de roulement a renversé l’enseignement universitaire, il
décourage les professeurs, amollit les élèves, il établit le monopole, empêche
le progrès des sciences, enfin le défaut de roulement est quelque chose de
tellement effroyable qu’il a exclu
Quoi qu’il
en soit, messieurs, de l’exagération de l’échafaudage ministériel, je répète
que le roulement entre les examinateurs me paraît une condition, sinon
essentielle, du moins désirable d’un bon jury. Or la section centrale me semble
avoir heureusement résolu ce problème : désormais il y aura roulement entre les
jurés, tout en conservant la nomination par les chambres.
J’ai eu
l’honneur de vous dire, en commençant, que je considérais le projet de loi du gouvernement
comme une atteinte à la liberté d’enseignement : permettez-moi de motiver cette
opinion. Je ne vous dirai pas que l’université de Louvain excite la jalousie
des autres universités ; je ne vous dirai pas qu’une coalition de MM. les
examinateurs des universités de Gand, de Bruxelles et de Liége peut se former
contre les élèves de l’université de Louvain : non, je ne veux pas croire à la
possibilité d’une coalition aussi honteuse et du reste elle m’importerait peu.
Plus on sera sévère pour l’université catholique et plus je le préfère : ce
n’est pas le nombre des élèves, ce n’est pas la masse des admissions qui
importe à la gloire de Louvain, c’est la hauteur des études, c’est la science
de l’enseignement, c’est la force des élèves, c’est l’éclat des examens. Les
examens restent publics, je ne crains donc pas d’injustice flagrante qui
soulèverait le pays, mais j’accepterais avec joie une sévérité rigoureuse et
quelque peu partiale : au bout de peu d’années la qualité d’élève de Louvain,
devenue plus rare, serait un brevet d’honneur et de capacité dans la société,
et les plaideurs et les malades se chargeraient de venger Louvain de la
partialité du jury. Ce n’est donc pas cette partialité que je crains, mais ce
que je redoute par-dessus tout, c’est l’influence directe du gouvernement sur
le corps professoral libre, c’est l’introduction officielle, et de par la loi,
de M. le ministre de l’intérieur dans le sein des universités libres. Il faut
prendre les hommes et les professeurs tels qu’ils sont. La qualité de juré est
vivement et à juste titre ambitionnée par les professeurs de toutes les
universités : c’est un honneur, c’est une facilité pour le cours qu’ils
donnent, enfin, c’est un avantage pécuniaire considérable. Or, il est certain
que si c’est le ministre de l’intérieur qui devient le dispensateur de ces
grâces, l’autorité du recteur sera annulée et remplacée par l’influence
gouvernementale ; à part les exceptions, le ministre de l’intérieur disposera
des professeurs comme bon lui semblera ; dès ce moment la liberté disparaît et
la corruption domine. Voilà le côté hideux du projet de loi ; c’est cette
conséquence odieuse qui se cache sous des dehors d’égards et de respect que je
repousse avec indignation ; plutôt l’oppression, plutôt la persécution que la
corruption, et si j’avais l’honneur d’être recteur de l’université de Louvain,
je vous déclare qu’en présence de votre loi, je défendrais à tous mes
professeurs, sous peine de destitution, d’accepter votre mandat de juré.
Et à ce propos j’ai une question à adresser à M. le ministre. Le projet
de loi porte ce qui suit : « Les jurys sont composés, les
administrateurs-inspecteurs et recteurs des universités de l’Etat et les chefs
des deux universités libres, actuellement existantes entendus, de manière que,
dans chaque section, ces quatre
établissements soient représentés. »
Vous
l’entendez, messieurs, pour que le jury puisse exister, pour que la loi puisse
être mise à exécution, il faut nécessairement que les chefs des deux
universités libres consentent à ce que leurs établissements soient représentés.
Eh bien, je demande à M. le ministre si, avant de présenter son projet de loi,
il s’est assuré du concours des chefs des deux universités libres ? Il est
possible qu’il possède la promesse du chef de l’université de Bruxelles, mais
j’affirme qu’il n’a pas celle du recteur de Louvain , et, dans ce cas, je dis
que M. le ministre de l’intérieur se joue du roi et des chambres en venant
présenter à la législature un projet de loi que l’abstention, le silence, l’immobilité
d’un seul homme peut rendre inexécutable. Que M. le recteur de l’université de
Louvain refuse son concours, comme j’en ai l’espoir et admirez, je vous prie,
l’attitude de M. le ministre, se présentant dans quelques semaines devant la
chambre, sa loi à la main et nous disant : Cette loi que je vous ai proposée,
cette loi que vous avez votée, cette loi que le roi a sanctionnée, cette loi je
ne puis l’exécuter, et pourquoi ? Parce qu’il existe en Belgique un monsieur,
sur lequel je n’ai aucune action, aucun pouvoir, que je ne puis destituer ni
fourrer en prison, ni mettre à l’amende, et qui, lorsque je me suis présenté
chez lui, m’a prié de le laisser en repos, qui a repoussé mes offres comme une
corruption, mes faveurs comme un piège et qui m’a dit, pour toute réponse à mes
avances : Timeo Danaos et dona ferentes.
Voilà, M.
le ministre, les embarras que je vous prédis, l’échec qui vous attend.
Je résume
mes observations, je voterai contre le projet de loi, parce qu’il porte une
atteinte à la liberté d’enseignement : j’adopte le projet de la section
centrale, parce qu’il remédie aux inconvénients d’un ordre secondaire, que
l’expérience a signalés dans l’exécution de la loi de 1835.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si l’honorable préopinant ne m’avait pas
directement adressé une question en terminant son discours, j’aurais gardé le
silence, j’aurais craint, en lui répondant, de donner involontairement à la
discussion un ton passionné qu’elle ne prendra que malgré moi.
J’aurais
donc laissé sans réponse les provocations que renferme son discours. La
question que m’adresse l’honorable membre me force à prendre immédiatement la
parole ; cette question est celle-ci : Vous dites dans le projet de loi que le
jury sera pris dans les quatre universités, les chefs des établissements libres
entendus ; vous êtes-vous assuré du consentement et du concours, entre autres
du chef de l’université catholique de Louvain ? Si vous ne vous en êtes pas
assuré, vous vous jouez des chambres et du Roi.
Ce n’est
pas moi qui me joue des chambres et du roi, c’est celui qui suppose qu’une loi
de l’Etat peut rester sans exécution.
M. Vilain XIIII. - Comment ferez-vous ?
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne puis pas supposer qu’il y ait en
Belgique des citoyens qui se refusent à l’exécution d’une loi. (Applaudissements dans les tribunes.)
M. le président. - Je rappelle au public que les manifestations
sont interdites. Si elles se renouvellent, je ferai évacuer les tribunes.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je vous réponds que je ne puis pas supposer
qu’il y ait en Belgique des citoyens qui se refusent à l’exécution d’une loi.
C’est une supposition qu’il ne faut pas faire et dont vous n’aviez pas besoin.
M. le vicomte Vilain XIIII. - Comminez des peines.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il n’est pas nécessaire de comminer des
peines ; je n’ai besoin que d’invoquer le titre de citoyen belge et les devoirs
que ce titre entraîne. Le devoir de tous les citoyens est d’exécuter les lois
de l’Etat, et quand ces lois supposent le concours d’un citoyen, ce citoyen
doit donner son concours, sauf à adresser ses réclamations au pouvoir
législatif qui a porté la loi. Voilà comment j’entends le devoir des citoyens
belges.
Non,
messieurs, je ne me suis pas assuré du concours des chefs des établissements libres
et je n’avais pas à m’en assurer.
M. de Brouckere. - Il y a une autre réponse, le projet de loi
n’exige pas le concours des chefs des établissements libres, il porte seulement
qu’ils seront entendus.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je m’en tiens à ma réponse, elle est
suffisante.
Je regrette
que l’honorable membre ait cru devoir introduire certaines qualifications dans
son discours, je le répète, il n’en avait pas besoin. Je proteste contre
l’expression de honteux dont il s’est servi pour qualifier le projet de loi. Il
n’appartient à personne de donner l’épithète de honteuse à une proposition
faite en vertu de l’initiative royale. Elle eût été faite en mon nom seul, que
personne n’aurait eu le droit de la qualifier ainsi ; je ne reconnais ni dans
la vie privée, ni dans la vie publique, à personne le droit de qualifier de la
sorte soit une de mes paroles, soit un de mes actes.
Je
terminerai par une simple réflexion. Je désire cependant que l’honorable
préopinant n’y trouve rien de désobligeant pour lui ; comment pouvais-je croire
qu’il regarderait comme un projet honteux la reproduction d’une proposition qui
n’a été rejetée, en 1835, qu’à une voix de majorité, d’une proposition qui
avait été faite par l’honorable comte Félix de Mérode et adoptée par
l’honorable préopinant ?
M. Desmet. - Ce n’était pas dans le même sens.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La proposition était la même, que dis-je, c’était la
nomination sans conditions par le roi. L’acte est-il devenu honteux parce que
nous ajoutons des conditions, parce que le ministre de l’intérieur doit
consulter les chefs des quatre établissements ? Sauf ces conditions, la
proposition est restée la même ; elle offre plus de garanties. Veut-on
l’ancienne proposition ? En la reproduisant, retrouverai-je l’appui que j’ai
trouvé en 1835 auprès de M. le comte de Mérode et de l’honorable préopinant ?
Je sais maintenant que le dernier n’est plus de l’opinion qu’il avait alors. Je
regrette qu’il n’ait pas trouvé plus tôt l’occasion de faire une rétractation
publique de son opinion de 1835, et de la qualifier comme il vient de le faire
; peut-être une rétractation publique semblable aurait-elle pu agir sur mes
déterminations.
M. Vilain XIIII. - M. le ministre de l’intérieur me met en
contradiction avec moi-même, à cause du vote que j’ai émis en 1835 sur la
proposition de l’honorable comte de Mérode. Mais, messieurs, depuis huit ans
bien des choses se sont éclaircies, bien des choses se sont passées. En 1835,
nous étions devant la nécessité d’organiser une des conséquences de la liberté
d’enseignement, nous n’avions d’exemple à chercher chez aucun peuple, nous
n’avions de précédents à invoquer nulle part, nous étions dans une incertitude
complète. Quand j’ai voté alors pour la proposition de M. le comte de Mérode,
je croyais que les chambres ne pourraient pas nommer un jury d’examen. Tels ont
été les motifs de ma conduite.
J’ai été
éclairé par l’expérience. Depuis huit ans, les chambres et le roi ont-ils
composé un jury si mauvais qu’on doive recourir à un autre mode de nomination ?
Je ne suis pas une borne après tout, je n’ai pas une intelligence pour la
laisser à l’état de caillou inerte et immobile là où les circonstances de
chaque jour peuvent le jeter. En 1835, je croyais que la nomination des jurys
d’examen par les chambres était impossible, huit années d’expérience m’ont
prouvé le contraire. Je me suis trompé en 1835, je l’avoue franchement en 1844,
voilà tout.
Quant à
l’expression honteux, que M. le ministre de l’intérieur a particulièrement
distinguée dans mon discours, en voici l’explication.
M. de Mérode. - Retirez-la.
M. Vilain XIIII. - J’ai dit qu’il était honteux pour la
dignité du pays de venir déclamer à la législature, après un essai de huit ans,
que les chambres n’étaient pas capables d’élire un jury national. Du reste,
comme vient de me le conseiller M. le comte de Mérode, je veux bien retirer
l’expression ; on la remplacera par telle épithète que l’on voudra.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas reproché à l’honorable
préopinant d’avoir changé d’avis. Chacun en a le droit. Mais je soutiens
qu’après un vote public, non rétracté par un vote public, ceux qui ont voté
ensemble ont le droit de présumer que l’occasion se représentant, ils voteront
encore ensemble. Pourquoi n’avez-vous pas saisi une occasion de faire connaître
que des faits nouveaux vous engageaient à changer d’avis ? Loin d’adresser un
reproche à l’honorable membre, j’ai exprimé un regret dans des termes que,
selon moi, il devait accepter ; j’ai exprimé le regret de n’avoir pas connu
plus tôt ce changement d’opinion, qui aurait pu agir sur mes déterminations
personnelles. Je pense qu’en attachant une semblable importance à une
rétractation de l’honorable membre, je suis loin de lui manquer d’égards. C’est
le contraire.
Je me félicite que l’honorable préopinant ait bien voulu retirer
l’expression de honteuse qu’il avait appliquée à la proposition. J’exprime un
vœu, c’est que la discussion puisse continuer avec calme et dignité. Si vous
pensez que le système de 1835, introduit à une voix de majorité, doive
prévaloir, rendez-moi grâce puisque j’ai bien voulu, à mes risques et périls,
j’en sais déjà quelque chose, accepter la discussion publique pour lui donner
enfin solennellement la consécration nécessaire.
M. le président (M. Liedts). - M. Cogels a déposé l’amendement suivant :
« Le
mode de nomination qui sera adopté par la chambre ne sera que provisoire et
pour quatre ans.»
Avant de
donner la parole à l’honorable auteur de l’amendement pour le développer, je
dois engager les orateurs à s’abstenir de toute qualification blessante en
parlant du projet de loi ; s’ils ne le faisaient pas, je serais dans la
nécessité de les rappeler, si pas au règlement, aux convenances. Si je tolérais
de semblables qualifications à l’égard du projet de loi, je devrais les tolérer
aussi contre les conclusions de la section centrale. Je ne veux les tolérer ni
d’une part, ni de l’autre. (Très bien !
très bien !)
M.
Cogels. - Messieurs,
la proposition que j’ai l’honneur de faire, n’est pas nouvelle. Produite à la
chambre, par un honorable député de Tournay, lors de la mémorable discussion du
mois d’août 1835, elle fut adoptée par la chambre, presque sans discussions, à
une très grande majorité. Les motifs qui la firent accueillir avec cet
empressement subsistent tout entiers, mais il est aujourd’hui des motifs plus
graves, des considérations d’un ordre plus élevé qui n’existaient pas à cette
époque. C’est ce que je tâcherai de vous démontrer. En 1835, on se trouvait pour la première fois
dans le cas de régler l’exécution de l’article 17 de la constitution.
Cet article
consacrait en Belgique une liberté dont on ne trouvait d’exemple dans aucun des
Etats de l’Europe. Certainement il ne nous permettait pas d’adopter le système
de la France, ni de quelques Etats monarchiques absolus ; il ne nous permettait
pas même d’accepter le système de l’Angleterre ou des Etats-Unis, où les
universités existent en vertu d’une charte qui leur donne le pouvoir de
conférer les grades. Nous devions donc concilier cette liberté illimitée de
l’enseignement avec les restrictions fort sagement imposées aux carrières
professionnelles ; il fallait que l’on pût instituer un jury central
indépendant, impartial, de manière que les élèves qui auraient reçu leur
instruction ailleurs que dans les établissements publics pussent être soumis à
l’examen comme les autres. Nous avons eu une expérience de huit années, Cette
expérience est-elle complète, je vous le demande ; elle n’a eu véritablement
lieu que pour un seul point, c’est l’impartialité du jury lui-même.
Effectivement, sous ce rapport, il ne s’est élevé aucune plainte contre le
jury. Mais on nous prouve une chose, c’est que les hommes de science seront presque
toujours des hommes impartiaux, et qu’ils le seront d’autant plus que vous ne
leur donnerez pas un caractère politique.
L’expérience
n’a pas été complète sous un autre rapport. Ainsi, déjà depuis un certain
nombre d’années on se plaint de la permanence du jury et de l’influence
fâcheuse que cette permanence exerce sur le développement de la science ; Il
est vrai que par la disposition introduite dans le projet de la section
centrale, cette permanence viendra à disparaître ; mais, messieurs, n’est-ce pas
ici une nouvelle expérience que vous faites, et êtes-vous certains que d’autres
inconvénients ne se présenteront pas, ne vous obligeront pas, dans un terme
plus ou moins rapproché, de modifier la loi.
Il y a
plus. C’est que l’enseignement supérieur lui-même doit être réglé encore en ce
sens que l’on ne sait pas s’il faudra que l’examen comprenne toutes les
matières que la loi avait stipulées. Déjà, en 1838, on avait proposé des
modifications ; mais le projet de 1838 est retiré et M. le ministre de l’intérieur
nous a manifesté l’intention de porter les modifications non pas par un projet
de loi général, mais par des projets de loi partiels, parce qu’ils ont plus de
chance d’adoption dans la chambre, et surtout plus de chances d’une discussion
immédiate.
On nous a
parlé, messieurs, de la liberté d’enseignement qui se trouverait compromise par
la nomination du jury universitaire confiée exclusivement au gouvernement.
Messieurs,
c’est une opinion que je ne puis partager ; car si vous vouliez que cette
liberté fût pleine et entière, il ne faudrait pas de jury d’examen. Que la
nomination soit confiée au gouvernement ou qu’elle soit confiée à une majorité,
la liberté n’existe plus pleine et entière. Pour qu’elle soit pleine, il faut
qu’elle existe pour tous ; il faut qu’elle existe pour les minorités, quelque
faibles qu’elles soient.
Quant à la
prérogative royale, elle est complètement en dehors de la question ; car,
certainement, si la prérogative royale avait pu être compromise, les différents
ministères qui se sont succédé depuis 1835, n’auraient pas laissé subsister un
semblable état de choses.
Vous voyez
donc, messieurs, que la loi qui nous régit a eu d’abord un caractère
provisoire, et que ce caractère, elle ne l’a pas perdu. Ici je puis m’appuyer,
de l’aveu même de la section centrale, qui nous dit que la loi de
Ce que je
voudrais surtout, messieurs, ce serait de dépouiller la nomination du jury
d’examen de tout caractère politique, et c’est pourquoi, dans les discussions
qui ont eu lieu dans les sections, j’ai dû, quoiqu’à regret (car on éprouve
toujours du regret, dans une circonstance comme celle-ci, à se séparer
momentanément des amis politiques avec lesquels on est habitué à voter), j’ai
dû, dis-je, obéissant à mes convictions, continuer à me prononcer de préférence
pour le système du gouvernement, si le système devait être définitif.
Mais
j’accepterai volontiers comme provisoire le système de la section centrale ; je
l’accepterai à titre de complément de l’expérience commencée, parce que je
pense que d’ici à quatre ans nous serons mieux éclairés sur ce qui convient
réellement.
Il est
d’autres considérations d’un ordre plus élevé qui m’engagent à faire cette
déclaration.
Vous ne
devez pas vous le dissimuler, messieurs, quel que soit le système qui triomphe
aujourd’hui, il ne triomphera probablement qu’à une faible majorité. Or, dans
des questions d’un ordre moral aussi élevé, il faut la sanction d’une forte
majorité, sinon les lois, au lieu de produire du bien, ne font que du mal ; au
lieu d’éteindre les dissensions, de calmer les luttes de parti, elles ne font
que leur fournir un nouvel aliment. Des lois d’un intérêt moral aussi élevé,
lorsqu’elles ne sont pas sanctionnées par une forte majorité, les partis les
subissent, mais ils ne les acceptent pas. Et ici je vous citerai un exemple.
Pour la loi sur l’instruction primaire, cette loi qui avait soulevé tant de
discussions dans cette chambre avant qu’elle ne fût soumise définitivement à
nos délibérations, cette loi qu’on représentait comme un brandon de discorde,
eh bien, par un moyen de transactions, on est parvenu cependant à obtenir un
vote presque unanime. La loi est sanctionnée, et elle est acceptée sans
réclamation par tous les partis, par tout le pays.
Il n’en est
pas de même des lois d’intérêt matériel, et surtout des lois d’intérêt matériel
purement local. Ainsi nous avons vu la rente pour la ville de Bruxelles votée à
une seule voix de majorité, après une très forte opposition. Le vote une fois
émis, on n’en a plus parlé, et tous les ans la rente est portée au budget, sans
qu’elle soulève la moindre réclamation.
Il n’en
serait pas de même, il est vrai, pour des lois matérielles qui seraient d’un
intérêt plus général pour le pays. Ainsi, il en serait autrement pour des lois
commerciales, pour les lois d’impôt. Ici je reconnais qu’il faudrait également,
pour les sanctionner, une majorité plus ou moins considérable.
Voyons,
messieurs, quels seront les résultats de la discussion si elle continue à être
portée sur le terrain où on l’a placée d’abord, c’est-à-dire si nous devons
continuer à nous trouver en présence de deux projets définitifs. Ici je
m’expliquerai avec une entière franchise, Vous le savez tous et on s’y attend
suffisamment, la conséquence inévitable, c’est une dislocation du cabinet. Eh
bien, cette dislocation, je ferai tous mes efforts pour la prévenir. Et ici je
ne suis guidé par aucune affection personnelle, je ne suis guidé par aucune
considération particulière, c’est simplement dans les intérêts les plus chers
du pays que je désire le maintien du cabinet.
En effet,
Messieurs, si à l’époque où nous nous trouvons, le cabinet venait à se disloquer,
où en serions-nous ?
M.
Rogier. - Il est
disloqué.
M.
Cogels. - Il ne l’est
pas complètement et surtout il ne l’est pas définitivement.
La
démission de M. le ministre des travaux publics n’est pas acceptée que je
sache.
Je vous le
demande, à quoi en serions-nous ? D’abord quant à notre système commercial que
nous sommes à la veille de discuter ? Certainement, quelles que fussent les
connaissances, quelles que fussent les talents des nouveaux ministres qui
viendraient s’asseoir à ces bancs, il leur faudrait au moins le temps
d’examiner les questions graves qui leur sont soumises.
Je dirai
plus ; il est des questions qui sont en voie d’exécution et dont vous pourriez
compromettre le succès.
Nous avons
la loi de conversion qui a été votée, et qui est en pleine voie d’exécution. Je
ne dis pas qu’un changement de cabinet pourrait faire manquer l’opération, mais
il pourrait la rendre moins facile.
Vous avez
la loi d’emprunt. Peut-être déjà des négociations sont-elles ouvertes. Ces
négociations ont été entreprises sous la responsabilité du cabinet actuel ; il
est à désirer qu’elles se terminent sous la même responsabilité.
Nous avons
la question commerciale qui probablement demandera une discussion très longue.
Eh bien, je regarde la dislocation du cabinet comme un ajournement presque
indéfini, ou au moins comme un ajournement au-delà de l’année prochaine de
notre système commercial.
Nous avons
les modifications au tarif ; nous avons les traités de commerce qui sont
impossibles tant que la question commerciale n’est pas résolue. Nous avons
l’organisation de l’armée ; nous avons encore le budget de la guerre ; et nous
avons ensuite, messieurs, la promesse faite par le ministère, de nous présenter
avant la fin de la session actuelle, les budgets de l’année prochaine que je
rappelle au cabinet et à la chambre ; car je désire vivement que ces budgets
puissent nous être présentés et que nous puissions sortir de la voie désastreuse
dans laquelle nous marchons depuis nombre d’années ; voie désastreuse qui nous
oblige constamment à voter les budgets presque sans examen, d’accorder
constamment des crédits provisoires, et qui nous empêche de porter dans nos
recettes et dans nos dépenses cet équilibre tant désiré.
Vous voyez
donc messieurs, que nous aurions une session stérile. Remarquez, de plus, que
la session prochaine sera nécessairement écourtée. Car pour 1845 nous nous
trouvons de nouveau en face d’un renouvellement partiel de la chambre, et vous
le savez, tous les deux ans, à cause de ce renouvellement, la chambre est
obligée de se séparer à la fin d’avril ou au commencement de mai.
Messieurs, je viens de vous démontrer que si nous restons en présence
des deux projets de loi définitifs, ni l’un ni l’autre ne pourra être voté à
une très grande majorité. Quelle en sera la conséquence ? Ce sera de perpétuer
ces divisions de parti que je voudrais voir disparaître. Et encore, messieurs,
si ces divisions de parti pouvaient se renfermer dans cette enceinte, si elles
ne devaient pas s’étendre au-dehors, si ces drapeaux du catholicisme et du
libéralisme que nous voyons déployer constamment, ne devaient pas l’être dans
les masses peu éclairées ! Car, vous devez en convenir tous, si ces deux
drapeaux doivent se promener dans nos campagnes, dans les masses peu éclairées,
vous n’aurez que fanatisme d’un côté, démoralisation de l’autre. (Murmures.)
J’entends
des murmures parce que j’ai dit : démoralisation de l’autre. Messieurs,
j’estime le vrai libéralisme, mais je n’en dirai pas autant du faux libéralisme
; pour qu’un homme soit vrai libéral, il faut qu’il soit éclairé. Un libéral
ignorant ne croit l’être qu’autant qu’il puisse insulter aux ministres de la
religion et à tout ce que ses ancêtres ont respecté. (Réclamations à gauche.) Oui, messieurs, il en est ainsi. Il n’y a
pas de règle sans exception ; mais en généralisant, je crois dire une vérité ;
et alors, messieurs, de l’opposition naît la haine des partis ; la haine des
partis que le véritable sentiment religieux réprouve, et que je qualifie de
fanatisme.
Vous voyez
donc, messieurs, que la proposition que je vous fais n’a pas seulement pour but
d’amener une conciliation dans la chambre, mais qu’elle a pour but de l’amener
dans le pays tout entier. J’espère que la chambre voudra l’accueillir encore
comme elle l’a accueillie en 1835.
M.
Lys. - Le projet
de loi sur la composition du jury d’examen soulève une de ces questions vitales
qui attire, à juste titre, l’attention de tout le pays. Le projet ministériel a
pour base fondamentale la nomination des membres du jury par le gouvernement.
Le projet que la section centrale présente à votre appréciation, a pour base le
maintien du système actuel de nomination, avec quelques modifications de
détail, qui se rapprochent du principe du renouvellement obligé du personnel du
jury.
Je ne puis,
messieurs, me rallier au système que la majorité de la section centrale vous
propose de rendre définitif, de provisoire qu’il était précédemment ; je pense
que le système du gouvernement, tout incomplet qu’il peut paraître, doit
obtenir nécessairement la préférence, par le motif capital que ce projet a pour
résultat de rendre au pouvoir exécutif la plénitude de ses attributions naturelles
; car c’est faire de l’administration, que de nommer des membres du jury
d’examen.
Sans doute,
l’enseignement est libre ; sans doute, toute mesure préventive est interdite ;
mais ne croyez pas messieurs, que le principe de la liberté de l’enseignement soit
nullement compromis par le projet de loi du gouvernement. De quoi s’agit-il, en
effet ? Il est quelques professions dont l’exercice ne peut être permis sans
avoir donné, au préalable, des garanties de moralité et de science. L’intérêt
de la société exigeant qu’il soit justifié que ceux qui aspirent à l’exercice
de ces professions possèdent certaines connaissances indispensables, pour
pouvoir répondre à la confiance du public, il a fallu établir des examens ; le
droit de procéder à ces examens était, sous le régime antérieur à la loi de
1835, confié aux universités. On a cru qu’il était indispensable d’enlever aux
universités de l’Etat le droit de conférer les grades académiques, parce que
l’on a suspecté de partialité les corps universitaires de l’Etat, lorsqu’ils
seraient appelés à statuer sur le sort des candidats appartenant à des
institutions rivales ; on a voulu, par l’institution du jury d’examen, obtenir
une garantie contre l’injustice possible des juges appelés à statuer sur
l’admission d’élèves qui auraient puisé leurs connaissances dans des études
privées et empêcher ainsi que l’art. 17 de la constitution ne devienne une
lettre morte.
La défiance
que l’on nourrit contre les corps universitaires, investis précédemment du
droit de conférer les grades académiques, a rejailli sur le gouvernement
lui-même. Ou a cru que la garantie d’impartialité ne serait pas complète, si la
nomination du jury n’était attribuée, pour la plus grande partie, aux chambres
législatives.
En
principe, le gouvernement ne peut et ne doit jamais être mis en état de
suspicion légale ; car la conséquence d’une pareille situation, c’est d’accuser
l’organisation des pouvoirs de l’Etat d’être vicieuse ; c’est, par suite, faire
croire à la nécessité de changer cette organisation. Il est dangereux
messieurs, d’ériger en loi, que dans certaines matières, la responsabilité
ministérielle ne suffit pas ; il est dangereux de proclamer que le contrôle
ordinaires des chambres ne peut suffire, pour sauvegarder l’un des principes
constitutionnels inscrits sur le fronton de notre édifice politique ; il est
dangereux de faire faire de l’administration par les chambres législatives et
de reporter ainsi sur elles la responsabilité qui s’attache nécessairement et
inévitablement aux actes administratifs, quelque haut placé que soit leur
auteur.
La
constitution a tracé d’une manière claire et précise les attributions des
différents corps de l’ordre politique ; elle a posé en principe, dans son
article 26, que le pouvoir législatif s’exerçait collectivement par le roi, la
chambre des représentants et le sénat ; elle a proclamé dans son article 29
qu’au roi appartenait le pouvoir exécutif.
Les
chambres législatives ne peuvent donc pas s’occuper d’administration, car ce
serait, de leur part, commettre une inconstitutionnalité.
Or, nommer
les membres du jury d’examen n’est-ce pas faire un acte d’administration ?
Nul ne
soutiendra sérieusement sans doute, que procéder à la nomination des membres
d’une commission instituée par une loi, c’est poser un acte législatif ; que si
l’on est forcé d’admettre que ces nominations sortent du cercle ordinaire des
attributions du pouvoir législatif, qui ne peut, lui, s’occuper que d’actes
généraux, obligeant tout le pays, il faut bien reconnaître que les nominations
des membres du jury constituent un acte purement administratif.
L’art. 67
de la constitution ne porte-t-il pas que le Roi fait les règlements et arrêtés
nécessaires pour l’exécution des lois ? La plénitude du pouvoir exécutif réside
donc dans la personne du Roi ; c’est à lui seul que la constitution a entendu
le confier. La chambre ne peut, par suite, s’immiscer dans des actes qui
rentrent dans les prérogatives de la couronne. Il est vrai que l’art. 66
dispose : que le Roi ne nomme à des emplois, autres que ceux qui y sont
indiqués, qu’en vertu de la disposition expresse de la loi ; il est vrai
encore, que l’art. 78 de
Le principe
de l’attribution du pouvoir exécutif au Roi étant l’une des bases de notre organisation
politique, il ne faut argumenter des dispositions, que j’appellerai de détail,
qu’avec une extrême réserve ; parce que évidemment de pareilles dispositions, à
moins que leur texte n’indique clairement le contraire, n’ont pas été
introduites pour modifier des articles de principe.
Sans doute,
le roi ne peut conférer les emplois publics qu’en vertu d’une disposition de la
loi ; mais est-ce à dire pour cela que ce droit peut être attribué au pouvoir
législatif ? On conçoit parfaitement que
Ce mode de
nomination ne présente-t-il pas toutes les garanties désirables ? Le
contreseing du ministre engage sa responsabilité ; la législature peut lui
demander compte de ses actes. Il est même possible de stipuler un surcroît de
garanties. Il suffit de déterminer les conditions que devront réunir les choix
à faire par le gouvernement, et toutes les susceptibilités doivent avoir leurs
apaisements. Ne serait-il pas plus qu’inconvenant, plus que dangereux, de
proclamer à la face du pays, à la face de l’Europe, que le pouvoir exécutif ne
présente aucune garantie de justice et d’équité, quand il s’agit d’instruction
publique. Que l’on y prenne garde, la route dans laquelle on nous convie
d’entier est pleine d’écueils ; le terme de cette route, c’est la
déconsidération infaillible du pouvoir dans l’esprit des populations ; or, rien
n’est plus périlleux pour un pays, que d’être gouverné par un pouvoir privé de
la confiance des masses.
Quels
intérêts si grands, si importants sont donc à ce point compromis, qu’il faille,
d’un côté, violenter les principes constitutionnels sur la division des
pouvoirs, et d’autre part, signaler le gouvernement, comme n’ayant pas la
confiance d’une certaine opinion, confiance qu’il aurait dû, au contraire,
mériter par tous les avantages qui résultent pour l’université catholique de la
convention du 30 novembre 1835, avec la ville de Louvain :
« Tous
les bâtiments de l’université ;
Le jardin
botanique, bâtiments, serres, arbres, plantes ;
Les
collections des cabinets d’histoire naturelle et d’anatomie, d’instruments de
physique et de chirurgie, du laboratoire de chimie ;
La
bibliothèque ;
Tout le
mobilier déposé dans les bâtiments de l’université ; »
tout cela à
été mis au pouvoir de la ville, et, sert à l’usage de cette université.
La liberté
de l’instruction sera-t-elle menacée dans ses fondements, parce que
l’université catholique n’aura plus qu’un seul représentant dans le jury
d’examen ? Mais n’est-il pas absurde, illogique, de confondre un principe
constitutionnel, que nul ne songe à attaquer, avec une institution privée, qui,
ne reposant que sur des volontés privées, peut cesser d’être dans un temps plus
ou moins éloigné.
Si
maintenant nous quittons cet ordre d’idées et si nous nous demandons ce
qu’exigent de nous les progrès des études et le développement des sciences, qui
osera contester que la politique doit rester complètement étrangère aux choix des
hommes appelés à ne décider que sur le degré de connaissances acquises par tel
ou tel élève ? Les opinions politiques, les croyances, ne peuvent pas être
prises en considération, quand il s’agit uniquement de savoir si on possède
telle science ? quand il s’agit uniquement de constater si tel candidat réunit
les connaissances scientifiques requises, pour obtenir un grade académique !
Il serait
dangereux, messieurs, de livrer la science aux oscillations de la politique et
à ses revirements ; la science ne dépend pas d’une majorité et de ses
revirements ; c’est nuire au progrès des études et à leur développement, que de
les laisser dominer par la question politique.
Si le
système de la section centrale pouvait être admis par la chambre, il aurait les
conséquences les plus désastreuses sur l’avenir des études et sur le progrès
des sciences. Le besoin d’obtenir un diplôme fera que l’élève au lieu d’étudier
la science pour la science, commencera par se demander quelle est la majorité
qui domine le pays ? et ensuite quel est l’établissement qui a les sympathies
de cette majorité ! La conséquence de ce calcul est facile à présenter :
l’élève suivra les cours de l’établissement favori de la majorité, non pas
parce que la science y est mieux enseignée que dans les institutions rivales,
mais parce que cet établissement représente la majorité politique.
Qui ne sent
combien un pareil système est dangereux pour les sciences et pour les
institutions elles-mêmes ? Sous le régime que l’on veut consacrer, ce ne sera
plus la science et ses développements progressifs qui feront la fortune des
établissements d’instructions, ce sera la pensée politique seule, ce sera le
besoin de se créer une position et de se donner un état qui feront la
prospérité de toute université au détriment des autres. La science, au lieu
d’être la seule, ou au moins la principale condition de succès, ne sera plus
qu’une considération d’un ordre purement secondaire ou accessoire.
Que
deviendront les jeunes générations en présence de ces oscillations politico-scientifiques
? Il est facile de prévoir l’avenir que l’on prépare au pays ;
Quel est
l’homme qui voudra s’associer à une œuvre, qui peut exciter une influence aussi
funeste sur le sort des études et sur l’avenir des sciences ? Ne mêlons point,
messieurs, les intérêts de la politique du jour avec l’instruction de la
jeunesse ; séparons soigneusement les deux choses : elles reposent sur des
principes tout à fait différents et s’appliquent à une tout autre sphère
d’idées.
Comment
veut-on, d’ailleurs, qu’une assemblée délibérante se livre aux investigations
que nécessite le choix d’un examinateur ? Une assemblée délibérante n’a pas, et
ne peut pas avoir des éléments administratifs que possède le gouvernement ;
elle doit : ou s’en rapporter aveuglement à ce que lui disent quelques-uns de
ses membres, ou bien : elle doit consulter le gouvernement. Une assemblée
compromet, dans le premier cas, sa responsabilité, sur des renseignements, qui,
pour être donnés de bonne foi, peuvent cependant être erronés ; dans le second
cas, l’assemblée avoue son impuissance et fournit la meilleure preuve du vice
du système.
Il est
d’ailleurs impossible d’éviter que les choix faits par une assemblée
délibérante, si sage qu’on la suppose, ne soient cependant l’expression des
idées et de la pensée de la majorité dominante ; des choix ainsi faits seront
nécessairement plus ou moins mauvais, et le juges ne présenteront pas aux
élèves le degré d’impartialité qu’ils son en droit d’exiger.
Le projet
du ministère satisfait à toutes les exigences raisonnables. Les divers
établissements sont représentés dans le jury d’examen, sur le pied de l’égalité
la plus parfaite ; quelle est donc l’université actuelle qui peut trouver
mauvais ce système ?
L’université
catholique entend-elle, peut-être réclamer une supériorité sur les autres
universités ? L’université catholique veut-elle dominer dans le pays ? Le
rapport de la section centrale n’avoue pas que telles sont les prétentions de
l’université de Louvain ; néanmoins on peut facilement induire de ce rapport
que tel est le désir secret, qui se produira peut-être bientôt au grand jour.
Si cela est, et cela arrive, que devient l’impartialité du jury ? Ce n’est donc
pas seulement la liberté de l’instruction que l’on veut protéger, on vise plus
haut, on cherche à dominer.
Et puis,
voyez le singulier système que vous propose votre section centrale. Aucune
durée n’est assignée aux fonctions des membres du jury d’examen nommés par la
chambre ; c’est le sort qui doit indiquer le membre sortant. Il peut résulter
de cette combinaison, qu’un membre ne sort pas désigné par le sort pendant un
très long laps d’années ; ce membre se perpétuera ainsi dans les fonctions et
le roulement que l’on veut établir ne sera qu’un jeu de hasard.
Sans doute, messieurs, le nombre d’établissements d’instruction
supérieure peut augmenter ; sans doute aussi, ce nombre peut diminuer, mais une
éventualité plus ou moins éloignée ne doit pas vous empêcher de faire une loi,
dont la destination principale est de régler ce qui existe aujourd’hui. Quand
l’état de choses changera, on pourra introduire des modifications de détail
dans la loi. S’il en était autrement, s’il fallait ne faire des lois que pour
autant qu’elles pussent s’appliquer à toutes les éventualités, il faudrait
renoncer à l’exercice du pouvoir législatif. Il faudrait renoncer à faire usage
d’aucun progrès dans les sciences ; car qui peut assurer que la science est
arrivée à son dernier terme ? Pour nos chemins de fer, par exemple, n’aurait-on
pas dû en construire, avant qu’il n’eût été bien constant qu’il était
impossible de les construire mieux ?
Hâtons-nous
de le dire, ce système aurait pour résultat de rendre impossible tout
gouvernement, et d’arrêter toute organisation politique ; car qui nous dira
que, plus tard, il ne se passera pas des faits qui nécessiteront des
changements ?
Le système
du projet de loi ministériel rend à la prérogative royale toute la plénitude de
son action. Ce projet concilie toutes les exigences.
La chambre
s’associa, je l’espère, à la pensée de ce projet de loi ; elle comprendra qu’il
est temps que la politique cesse de dominer l’instruction ; elle comprendra,
sans aucun doute, que le progrès de la science, que le succès des études sont
compromis, quand ils sont mêlés aux luttes politiques des partis.
Profondément
convaincu de la nécessité de remettre au gouvernement les nominations des
membres du jury d’examen, je voterai pour le projet de loi, tel qu’il vous est
proposé par le ministère. J’ai dit.
M. de Haerne. - Messieurs, les paroles qui ont été
prononcées, il n’y a qu’un moment, par l’honorable M. Cogels rentrent
entièrement dans le sens de l’interpellation que j’ai faite au ministère dans
une séance précédente. Je suis d’accord avec l’honorable membre sur le danger
qu’il y aurait à voir le ministère tomber dans ce moment. Moi aussi j’attache
la plus grande importance à ce que la discussion de la question commerciale et
de la révision des tarifs puisse avoir lieu cette année, et le pays s’y attend
généralement, C’est pour cette raison, messieurs, que j’ai cru pouvoir, il y a
quelques jours, prendre la liberté de demander que le projet irritant, la
question périlleuse comme on l’appelle, que le projet qui vous est soumis en ce
moment fût ajourné jusqu’après la discussion de la question commerciale.
J’ai eu le
malheur de ne pas être bien écouté ; quelques honorables membres ont assez mal
accueilli ma proposition ; je ne sais pas si l’honorable M. Cogels était
présent à cette séance, mais s’il avait compris mes paroles, il aurait, je
pense, partagé mon avis et il aurait peut-être appuyé ma proposition, qui
aurait eu alors plus de chances d’être admise. Quoi qu’il en soit, messieurs,
je dois déclarer qu’il n’entre pas dans ma manière de voir de rien apporter
d’irritant dans cette discussion, et si par l’entrainement ou par distraction
il m’échappait quelques paroles qui pût blesser soit les honorables ministres,
soit un membre quelconque, je prie la chambre de croire que cela n’est
nullement dans mes intentions et je rétracte d’avance tout ce qui pourrait
avoir ce résultat.
Messieurs,
malgré le désir exprimé par M. le ministre de l’intérieur dans son exposé des
motifs, de se renfermer dans la question scientifique, malgré ce désir, qu’il a
manifesté de nouveau tout à l’heure, je crois que tout le monde est convaincu,
avec moi, qu’il est impossible de ne pas aborder la question sous le point de
vue politique. Comment pourrions-nous nous renfermer dans la question
scientifique, lorsque l’opinion publique, dès la présentation du projet de loi,
y a vu avant tout une question politique, et cela non seulement dans notre
pays, mais encore à l’étranger ? C’est sous ce point de vue que la question a
été envisagée en France par toutes les opinions. Cette intervention de
l’opinion publique en France, qui est fâcheuse sous un rapport est heureuse
sous un autre rapport, comme j’aurai l’honneur de le faire voir.
Ainsi,
messieurs, la question qui nous occupe a une double face ; elle un côté
politique et un côté scientifique. Pour ce qui regarde le côté politique de la
question, je me hâte de déclarer que, selon moi, la composition du jury doit
nécessairement émaner en partie des corps législatifs, afin qu’il y ait une
plus grande garantie pour la liberté ; je crois que l’intervention des chambres
est nécessaire à cet effet, mais cela ne m’empêche pas d’avoir sur la question,
sous le point de vue scientifique des idées particulières, que je vous
demanderai la permission de vous exposer. Il y a peut-être témérité de ma part
à venir vous exposer un projet nouveau après la discussion qui eu lieu dans les
sections et dans la section centrale, mais je vous ferai remarquer, messieurs,
qu’à l’époque où le projet a été présenté, et lorsqu’il a été examiné dans les
sections, je n’avais pas encore l’honneur de siéger dans cette enceinte, et
que, par conséquent, il m’a été impossible de m’en occuper alors, et de faire
connaître mon opinion, à laquelle, je l’avoue, j’attache un certain prix, parce
qu’elle est le résultat de l’expérience que j’ai acquise dans la position où je
me suis trouvé depuis une dizaine d’années, par les rapports presque
journaliers que j’ai eus avec les professeurs, et avec les élèves des diverses
universités.
Mais avant
de vous exposer, messieurs, en quoi consiste mon projet, je dois arrêter un
moment votre attention sur le côté politique de la question, et, sous ce
rapport, je dois d’abord m’élever contre une opinion. Il a fait entendre que la
liberté n’était pas en cause, que dans le système de la nomination par le
gouvernement, la liberté restait sauve. Si l’on entend par là que le
gouvernement ne veut pas porter une atteinte directe à la liberté, en
détruisant l’un ou l’autre établissement, j’admets volontiers que telle n’est
pas son intention ; mais là, messieurs, n’est pas la question : en matière de
liberté la question est dans les garanties, et je soutiens que les chambres
offrent plus de garanties que le ministère. Il en est ainsi de toutes les
libertés ; en raisonnant dans le sens de M. le ministre, on pourrait dire, en
général, que la chambre n’est pas nécessaire à la conservation des libertés,
qu’on peut confier le maintien des libertés aux soins du ministère ; mais, dans
ce cas, il faudrait dire que le gouvernement constitutionnel est un rouage
inutile, et que l’on peut tout aussi bien confier les droits, les liberté des
citoyens à un gouvernement absolu. Ce sont des garanties qu’il faut avant tout,
et c’est ici une garantie directe que j’invoque. La nomination par les chambres
offre une garantie plus directe que la nomination par le gouvernement, le gouvernement
n’étant lui-même, en quelque sorte, qu’une émanation des corps législatifs, une
émanation de la nation, avec laquelle il devrait toujours marcher d’accord,
mais avec laquelle il est quelquefois en opposition.
Messieurs,
j’aurai l’honneur de vous présenter un système différent, d’un côté, de celui
du gouvernement, et, de l’autre côté, de celui de la section centrale. Ce
système placerait les établissements d’instruction supérieure non seulement
au-dessus de l’influence gouvernementale, mais encore au-dessus de l’influence
parlementaire. Cela ne m’empêche pas de dire que je préfère l’intervention
directe des chambres à l’intervention directe du gouvernement, s’il faut opter
entre les deux influences.
Messieurs,
l’honorable M. Cogels a fait tout à l’heure allusion à un principe que je
regarde, moi, comme fondamentale, que je regarde comme la base de tout notre
ordre politique et social. L’honorable membre vous a fait voir les dangers de
cette scission qui a éclaté malheureusement dans le pays depuis quelques aunées
; je partage tout à fait son avis à cet égard, et je vous prierai de me
permettre d’appeler un moment votre attention sur l’état de choses qui existait
avant que cette scission n’éclatât. Alors, messieurs, on invoquait l’union de
part et d’autre, alors les libéraux s’entendaient avec les catholiques pour
travailler au développement des libertés publiques, au maintien de nos droits,
à la défense de nos franchises contre les ennemis de l’intérieur et de
l’extérieur. C’était une heureuse époque, alors une entente cordiale régnait
parmi nous tous.
Eh bien,
messieurs, je demande que ce principe de l’union soit appliqué à la matière qui
nous occupe. Le principe de l’union n’est, après tout, que le principe de la
constitution, mais il est certaines questions dans lesquelles les principes
constitutionnels ne sont pas d’une application directe et immédiate ; on peut,
par certaines tendances, porter atteinte aux libertés, sans violer ouvertement
la constitution. C’est dans ces cas qu’il faut un principe pour
l’interprétation des lois, pour l’interprétation de la constitution et ce
principe c’est le principe de l’union ; d’après ce principe, vous le savez,
messieurs, il y avait égalité pour tous, liberté pour tous, toutes les libertés
étaient mises sur la même ligne : la liberté de l’enseignement oral, d’un côté,
la liberté de l’enseignement écrit, ou la liberté de la presse, de l’autre ; la
liberté d’association politique était mise sur la même ligne que la liberté
d’association religieuse ; la liberté de conscience et la liberté des opinions
avaient aussi à nos yeux une même valeur politique ; toutes les libertés
étaient égales, et nous tous, comme citoyens belges, nous les respections
toutes au même titre.
Eh bien,
messieurs, je dis qu’il doit encore en être de même ; je dis que la liberté
d’enseignement doit nous être tout aussi chère que la liberté de la presse, par
exemple. Quant à nous, s’il s’agissait de porter atteinte à la liberté de la
presse, si une loi était proposée pour restreindre d’une manière quelconque
cette liberté, certes nous nous lèverions avec force contre une loi semblable.
Il faut que nous en agissions de même pour maintenir intacte la liberté de
l’enseignement et pour l’entourer de toutes les garanties possibles. J’invoque
ici les principes de l’union, je demande l’égalité de droit pour tous les
établissements d’instruction supérieure. L’égalité des personnes doit être
consacrée de la même manière.
Tous les
droits doivent être égaux, toutes les prérogatives doivent être mises sur la
même ligne. C’est ainsi qu’a été entendue l’union, cette union qui a fait notre
force à l’intérieur, qui a fait notre gloire à l’étranger, qui a consacré notre
nationalité. Sans ce principe,
Je disais
tout à l’heure que l’intervention de la France, ou plutôt de l’opinion française
à laquelle M. le ministre de l’intérieur a fait allusion, était une
circonstance heureuse à certains égards. Qu’est-ce qui se passe en ce moment en
France ? Il n’y a qu’un cri parmi les catholiques français, pour réclamer la
liberté comme en Belgique ! Je sais que, d’un autre côté, on nous traite en
France de théocrates. Mais les écrivains qui nous jettent à la tête ces
épithètes flétrissantes, sont les mêmes qui, dans d’autres occasions, nous font
passer pour des corsaires, pour des pirates, que sais-je encore ; qui, quand
ils sont un peu de meilleure humeur, nous traitent de singes et de Bédouins. (On rit.)
Laissant de
côté ces quelques écrivains qui nous dénigrent, if faut pardonner à leur
légèreté, eu égard à l’urbanité de la nation. Je dis, messieurs, que c’est un
point important pour la nationalité belge que cette opinion favorable qui se
manifeste en France, par rapport aux libertés consacrées dans notre pays.
Remarquez que de tous les peuples qui nous entourent, il n’en est pas un seul
dont nous ayons plus à craindre pour notre indépendance que
Dans une
séance précédente, lorsqu’il s’est agi des lois de conversion et d’emprunt, on
a montré tout l’avantage qu’il y avait à placer des fonds belges à l’étranger,
parce qu’il y a là un lien d’intérêt qui attache l’étranger à notre pays.
Mais il
s’agit ici d’un lien autrement puissant, c’est un lien moral, c’est un capital
moral que nous plaçons dans le cœur des catholiques français, des catholiques
étrangers en général.
Ne croyez
pas, messieurs, que ces sympathies politiques ne se traduisent jamais en faits.
Permettez-moi de vous rappeler une époque de douloureuse mémoire, une époque
que je voudrais voir effacer des annales de
Mais, la
liberté de l’enseignement s’élève à toutes les autres libertés. Il est
impossible de toucher à une pierre de cet édifice, sans les ébranler toutes.
Si les
peuples étrangers portent tant d’intérêt à notre liberté religieuse et à notre
liberté civile, et y voient des motifs d’espérance pour eux, ne devons-nous pas
maintenir intactes ces libertés précieuses qui sont pour nous des réalités ?
J’aurais
désiré que le ministère, avant de nous soumettre une loi si périlleuse, se fût
d’abord livré à une expérience. Que n’a-t-il, depuis quelques années, introduit
ce qu’on appelle le roulement ou la rotation dans le jury, tel qu’il a été fait
par les chambres ? alors nous aurions pu savoir en connaissance de cause
jusqu’à quel point cela pouvait nous conduire au but qu’on désire atteindre. Je
crois qu’on peut atteindre ce but aussi bien avec les chambres qu’avec le
gouvernement ; mais si des essais avaient été faits, nous serions maintenant
plus éclairés.
Messieurs,
je vous ai fait voir le rapport qui existe entre le principe fondamental sur
lequel reposent les libertés publiques d’une part et la liberté de
l’enseignement en particulier d’autre part. Je vous ai fait voir la nécessite
de cette union. Permettez-moi encore une réflexion à cet égard.
La division
fatale qui a éclaté entre les catholiques et les libéraux depuis quelques
années n’est pas belge ; elle n’est non plus allemande, ni anglaise, elle est
française.
Messieurs,
cette division, cette dénomination de parti catholique et de parti libéral tiennent
à ce qui s’est passé en France, alors que ce pays était partagé entre le
gallicanisme d’un côte et le philosophisme de l’autre.
Messieurs,
la division entre catholiques et libéraux n’est pas rationnelle, parce qu’il y
a des catholiques qui sont de très bons libéraux, et des libéraux qui sont de
fort bons catholiques. Cette division est injuste, parce qu’elle tend à
confondre l’innocent avec le coupable ; cette division entrave le progrès, elle
empêche la réalisation des projets les plus nécessaires au bonheur de la
patrie.
Messieurs,
il suffit que le pays, que les chambres soient partagés en deux partis égaux et
irréconciliables pour qu’une faction hostile à la liberté se glisse au milieu
des deux camps, et, par des intrigues et des machinations secrètes, tâche de
faire pencher le ministère d’un côte ou d’un autre, et de l’attirer dans un
piège, afin de le compromettre avec l’autre parti. Le cabinet tombe, et, à la
suite de cette chute, comme après une bataille, il règne une terreur panique,
et pendant bien du temps, on ne fait plus rien, toutes les mesures les plus
utiles au pays sont abandonnées. Voilà quelles sont les conséquences de la
désunion, et voila comment un parti formé, soit à l’étranger, soit dans le
pays, parti gagné peut-être par l’or, peut conduire un pays aux bords de
l’abîme.
Messieurs,
nous avons un honneur à revendiquer du chef des libertés, que nous défendons
tous au même titre et au même prix, c’est que nous devançons à cet égard les
autres nations. Et si la France, renonçant d’un côté à ses idées gallicanes qui
s’effacent de jour en jour et de l’autre au philosophisme ; si la France
consacrait la liberté pleine et entière de la même manière que nous, elle
ferait de grandes choses non plus par la conquête et par la force, l’esprit du
siècle tend à fermer cette voie, mais par l’influence morale qu’elle est
appelée à exercer en Europe ; et
Permettez-moi,
messieurs, d’émettre encore une idée pour clore la première partie de mon
discours, celle relative au côté politique de la question que nous traitons. En
vertu du même principe que j’ai proclamé et sur lequel j’ai peut-être déjà
insisté trop longtemps, je dis que tous les établissements d’instruction
politique doivent être sur le même pied, nous devons les respecter tous dans la
même mesure. Ce serait un attentat à la liberté constitutionnelle que de
vouloir, par des moyens législatifs et des moyens gouvernementaux, nuire à l’un
ou à l’autre de ces établissements. On se forme souvent des préjugés sur
l’opinion de certains hommes à l’égard de certains établissements. Un reproche
qu’on fait souvent, c’est que les catholiques voudraient, par des mesures
gouvernementales favoriser directement une université qui leur est chère au
détriment des autres. Je dois vous dire, messieurs, que, dans ma pensée,
l’existence des établissements rivaux est un bien pour l’université catholique.
Je m’explique, messieurs. Il faut, dans ce siècle de liberté et de discussion,
il faut qu’il y ait lutte paisible, et cette lutte doit contribuer au bonheur
de chaque parti en particulier, elle est à l’avantage de tous. S’il n’en était
pas ainsi, s’il n’existait qu’un seul établissement, nous serions trop en
dehors de l’esprit du siècle ; une réaction serait inévitable, réaction qui
serait provoquée, soit par l’opinion du pays, soit par celle de l’étranger.
Puis la concurrence est toujours favorable, elle tend à bannir les vices des
établissements respectifs. Voyez ce qui s’est passé autrefois à l’université de
Louvain, alors qu’elle était privilégiée ; n’y a-t-il pas eu une époque à
laquelle une erreur flétrie par l’Eglise s’y était timidement réfugiée ; alors
l’université de Louvain était en quelque sorte le boulevard du jansénisme qui
s’y cachait sous des formés insidieuses Si une université rivale avait existé,
il est à croire que le même inconvénient ne se serait pas présenté,
l’établissement rival aurait recueilli un grand nombre d’élèves et la force des
choses aurait obligé l’université de Louvain à rester dans le cercle qui lui
était tracé. L’influence que les divers établissements exercent les uns sur les
autres ne peut que contribuer, généralement parlant, au triomphe des bonnes
doctrines et aux progrès de la science. Ainsi, loin de nuire à aucun, nous
devons les maintenir tous au nom des principes de liberté en vertu desquels les
universités particulières sont érigées.
J’en viens
maintenant à la partie scientifique.
Un grand nombre de voix. - A demain ! à demain !
Plusieurs membres. - Présentez un amendement.
M. de Haerne. - Plusieurs de mes collègues
m’engagent à déposer un amendement. Je vous dirai que telle n’est pas mon
intention, je voulais exposer mon système, mais je n’ai pas l’intention de
formuler une proposition ; si vous voulez me le permettre, je développerai mon
système en peu de mots, sauf à y revenir demain pour les détails.
Un grand nombre de voix. - A demain ! à demain !
M.
Delehaye. - Je demande
à déposer un amendement.
M.
le président. - Cet
amendement est ainsi conçu :
« Léopold,
etc.
« Art.
1er. Les art. 41 et 42 de la loi du 27 septembre 1835, sont remplacés par les
dispositions suivantes :
« Art.
41. Il y a quatre jurys d’examen, savoir :
« Le
jury de philosophie et lettres ; il est subdivisé en deux sections :
« La
1ère section fait l’examen de l’épreuve préparatoire.
« La
2ème section fait les examens de candidat et de docteur en philosophie et
lettres.
« Le
jury des sciences ; il fait les examens de candidat et de docteur, tant pour
les sciences naturelles que pour les sciences physiques et mathématiques.
« Le jury
de droit ; il est subdivisé en deux sections :
« La
1ère section fait l’examen de candidat en droit.
« La
2ème section fait l’examen de docteur en droit.
« Le
jury de médecine ; il est subdivisé en trois sections :
« La
1ère section fait l’examen de candidat en médecine.
« La
2ème section fait le 1er et le 2ème examen de doctorat.
« La
3ème section fait les examens de docteur en chirurgie et de docteur en
accouchements.
« Chaque
section du jury se compose de cinq membres titulaires et de cinq suppléants.
« Art.
42. Dans le mois qui précède l’ouverture de la première session, chacune des
quatre universités actuellement existantes, nommera un membre effectif et un
suppléant pour chaque section du jury.
« La
nomination du cinquième membre titulaire et de son suppléant, pour chacune des
deux sections du jury de droit, sera faite par la cour de cassation.
« La
nomination du cinquième membre titulaire et de son suppléant, pour chacune des
trois sections du jury de médecine, sera faite par l’académie royale de médecine.
« La
nomination du cinquième membre titulaire et de son suppléant, pour chacune des
deux sections du jury de philosophie et lettres, et pour le jury des sciences,
sera faite par l’académie des lettres et des sciences de Bruxelles.
« Ces
nominations auront lieu à la suite d’un tirage au soit, qui déterminera les
parties de l’enseignement que chaque université, la cour de cassation,
l’académie de médecine, l’académie des lettres et des sciences devront
respectivement faire représenter au sein de chaque jury.
« A
cet effet, et sur la proposition des recteurs des universités de l’Etat, et des
chefs des universités libres, les matières qui, aux termes de la loi du 27
septembre 1835, doivent faire l’objet des examens, seront classés par arrêté,
en cinq parties distinctes par numéro d’ordre.
« Le
tirage au sort pour fixer l’ordre de nominations à faire par chaque corps, aura
lieu, au jour indiqué, par arrêté royal, en présence des délégués des
universités.
« Les
membres des jurys sont nommés pour une année.
« Nul
ne peut être membre titulaire d’un même jury pendant plus de deux années
consécutives. »
- Il sera
imprimé et distribué ainsi que celui déposé par M. Cogels.
La séance
est levée à 4 heures 3/4.