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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 18 mars 1844

(Moniteur belge n°79, du 19 mars 1844)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à une heure et quart.

M. de Renesse donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Van Caneghem réclame l’intervention de la chambre pour obtenir la rétrocession d’une partie des terrains qu’il a dû céder à l’administration des chemins de fer. »

- Renvoi à la commission les pétitions.


« Les habitants de Huppaye présentent des observations contre le projet de loi sur les céréales. »

« Mêmes observations des habitants de Grand-Rosière, Hottomont, Dongelberg, Melin, St.-Remi, Geest, Nodebais, Hamme-Mille, Malèves-Ste.-Marie, Wastmuet, Voroux-Goreux, Vebroux et Roloux. »

- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur les céréales.


Le sieur Louis Kessels, receveur des contributions directs et accises à Hoogstraten, né à Gauda (Pays-Bas), demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Les sieurs Pireaux et Rittel, greffiers de la justice de paix des cantons d’Aubel et de Limbourg, demandent que, dans le projet de loi sur les pensions, il soit introduit une disposition en vertu de laquelle les années de service comme commis-greffiers et greffiers par interim, soient comptées dans la liquidation de la pension des greffiers des justices de paix. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les pensions.


« Plusieurs habitants de Hal et de Lembecq prient la chambre de voter une loi qui ait pour but d’établir un fonds d’agriculture, afin de parvenir à faire disparaître la maladie connue sous le nom de pleuro-pneumonie des bêtes à cornes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal d’Arlon demande le maintien de la loi du 6 juin 1839. »

- Même renvoi.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je demande l’insertion de cette pétition au Moniteur. La question qu’elle traite est de la plus haute importance ; la chambre a déjà demandé des renseignements sur ce point ; on trouvera dans la pétition dont il s’agit une foule de détails intéressants ; la question y est réellement traitée d’une manière extrêmement lucide. Il importe donc que tous les membres de la chambre puissent en avoir connaissance, et je les prie même de la lire avec attention.

- L’insertion de la pétition au Moniteur est ordonnée.

Projet de loi sur les pensions civiles et ecclésiastiques

Discussion des articles

Titre premie. Des pensions de retraite

Chapitre II. De certaines pensions particulières
Première section. Chefs de département ministériel
Articles 15 et 16

M. le président. - Nous sommes arrivés au chap. Il. « De certaines pensions particulières », section Ier : « chefs de département ministériel. »

Il vient d’être déposé sur le bureau une proposition conçue en ces termes :

« Tout chef de département qui, depuis les événements de 1830, comptera deux années de fonctions ministérielles, aura droit à une pension de 4,000 fr.

« La pension sera augmentée de 500 fr. par chaque année ultérieure de fonctions ministérielles et pour chaque année antérieure ou ultérieure d’autres fonctions d’un soixantième du traitement qui leur est affecté.

« Elle ne pourra en aucun cas dépasser le maximum de 6,000 fr.

« (Signé) Dumortier, Dolez, de Man d’Attenrode, de Chimay, Deprey, Vilain XIIII, Kervyn, de Mérode, Brabant, Mast de Vries, Pirson, de Baillet, Savart, Devaux, Orts, de Renesse, Thyrion, Meeus, Van Cutsem, Sigart, de Terbecq, d’Hoffschmidt et Lange.

Cette proposition, si je ne me trompe, remplirait les deux articles 15 et 16 du projet. Je n’ai pas besoin de demander si elle est appuyée. (On rit.)

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, je ne sais s’il entre dans l’intention des honorables membres de substituer cette proposition aux articles 15, 16 et 17 du projet du gouvernement. Il me semble que d’après la première partie de l’amendement, il s’agirait exclusivement du passé, il s’agirait exclusivement d une disposition transitoire. (Non ! non !) C’est une explication que je crois devoir demander dès à présent.

Du reste, il me paraît qu’à raison de son importance, cette proposition pourrait être renvoyée à la section centrale.

- Le renvoi à la section centrale est prononcé sans opposition.

Section II. Fonctionnaires électifs

M. le président. - Nous passons à la section 2 du chap. Il, « Fonctionnaires électifs ».

Article 18

« Art. 18. Seront admis à la pension, indépendamment de toute condition d’âge, en cas de non-réélection :

« 1° Les membres et le greffier de la cour des comptes, les greffiers et les bibliothécaires des deux chambres, après 12 années consécutives d’exercice de ces fonctions.

« 2° Les membres des députations permanentes et les greffiers provinciaux, après 10 années consécutives d’exercice de ces fonctions. »

La section centrale propose la suppression de cet article.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je désire qu’on procède par division, même dans la discussion, et j’occuperai d’abord l’assemblée des membres de la cour des comptes.

Vous vous rappellerez, messieurs, qu’en 1841, la chambre a admis une proposition en faveur des membres de la cour des comptes non réélus, lorsqu’il si trouve qu’ils ont douze années consécutives d’exercice de ces fonctions. C’est cette disposition que nous reproduisons et dont nous vous demandons aujourd’hui le maintien par un nouveau vote.

On a dit, messieurs, que la non-réélection d’un membre de la cour des comptes devait être considérée comme une révocation. C’est là l’objection principale que l’on fait contre la disposition qui vous est présentée en faveur des membres de la cour des comptes. Je crois, messieurs, que c’est là une erreur.

La non-réélection ne peut être assimilée à une révocation ; elle peut être due à des circonstances politiques, par exemple, à un changement de majorité dans la chambre, à d’autres circonstances enfin, que chacun de vous devinera, et qui n’enlèvent rien au mérite de celui qui a occupé la place de membre de la cour des comptes. Une révocation est une peine ; c’est une véritable réprobation, il ne peut en être de même de la simple non-réélection.

Nous exigeons que les fonctions aient été remplies pendant douze années consécutives, c’est-à-dire, que les membres de la cour des comptes soient arrivés à une troisième épreuve. Ces fonctionnaires étant nommés pour six ans, douze années supposent que le membre a déjà été honoré deux fois de la confiance de la chambre.

Je crois, messieurs, qu’il faut, comme on l’a fait en 1841, introduire une disposition en faveur des membres de la cour des comptes ; je crois qu’il le faut dans l’intérêt même de la chambre.

Si vous placez les membres de la cour des comptes dans une position trop défavorable, vous éloignez de la cour des comptes les hommes de mérite qui pourraient s’offrir à vos choix ; et vous vous placez vous-mêmes dans une position défavorable pour recruter la cour des comptes dont chacun de vous apprécie l’importance.

Je crois donc, messieurs, je le répète, qu’il faut considérer isolément, comme on l’a fait en 1841, la position des membres de la cour des comptes, qu’il faut reproduire en leur faveur les dispositions qui ont été adoptées alors, et je demande qu’on procédât par division. Nous examinerons ultérieurement la position des autres fonctionnaires indiqués dans cet article.

M. de Garcia. - Messieurs, le principe de la loi actuelle sur le droit à la pension repose incontestablement sur les bons services, sur le grand âge, sur les infirmités et l’incapacité de pouvoir continuer à servir la chose publique. Déjà, à diverses reprises, dans le cours de cette discussion, l’on a cherché à porter atteinte à ce principe fondamental de toute loi de pension. Ici on veut que le fonctionnaire électif forme une exception à la règle générale que nous venons d’énoncer et qui, selon moi, ne peut être contestée. Dès lors, j’ai combattu ce principe, et c’est à regret que j’ai vu qu’il a été consacré à cette époque. Aussi, c’est une des circonstances, je crois, qui a fait rejeter la loi présentée à cette date, et je crains que si, de nouveau, l’on introduit cette exception dans la nouvelle loi, cette loi n’ait le sort de celle de 1841. Quant à moi, je le déclare, si on faussait le principe général en faveur des fonctionnaires électifs, je voterais contre le projet.

M. le ministre, pour soutenir que les conseillers et le greffier de la cour des comptes devaient recevoir exceptionnellement une pension, a argumenté de l’incertitude des majorités, de l’incertitude du principe politique. Quant à moi, je trouve que cet argument est aussi applicable aux employés nommés par le gouvernement qu’aux employés nommes par le peuple.

Messieurs, j’ai entendu avancer plus d’une fois dans cette enceinte des principes qui justifient ma manière de voir sous ce rapport. J’ai entendu proclamer qu’il devait en être ici comme en Angleterre, que lorsqu’un ministère change à raison du principe politique, les fonctionnaires doivent se retirer avec lui, soit qu’ils dussent être renvoyés comme ne devant pas obtenir la confiance d’un cabinet nouveau, soit que, par convenance, ils dussent se retirer. Si ce mode d’agir n’a pas eu lieu jusqu’ici il peut naître avec le progrès du gouvernement représentatif. Dès lors l’argument qu’on fait valoir pour demander que les fonctionnaires électifs soient pensionnés au bout de 12 ans, quelle que soit leur position physique, et leurs capacité ou incapacité, est une dérogation au principe général qui n’a pas de fondement. Il reste donc établi que les considérations tirées de la fluctuation et de la mobilité des majorités électorales en faveur des fonctionnaires, produit de l’élection, militent également en faveur des fonctionnaires de l’Etat nommés par le gouvernement qui se trouve lui-même soumis à toutes les exigences du déplacement des majorités dans la représentation nationale.

Messieurs, prenez-y garde ; en portant atteinte au principe général, vous ouvrez comme on l’a déjà observé, tant judicieusement plusieurs fois, vous ouvrez la brèche à tous les abus. Il est incontestable que le fonctionnaire électif qui n’a rempli ses fonctions que pendant douze ans n’a pas droit à une pension, en vertu du principe général ; et vous ne pouvez lui donner ce droit.

Si, par suite d’une opération électorale, un fonctionnaire électif doit abandonner ses fonctions dans la force de l’âge, avec toute l’activité de ses capacités, il ne peut avoir aucun droit à une pension. Il doit rentrer dans l’état social au rang des autres citoyens dans les catégories des contribuables. Une autre considération doit nous porter à rejeter cette exception. Nous devons prendre garde et grand soin de ne pas détruire la force du principe électif. Pour moi, je regarde les ressorts du gouvernement constitutionnel comme reposant essentiellement sur l’élection. Qu’arrivera-t-il par la dérogation qu’on vous présente ? Il arrivera qu’un fonctionnaire électif qui aura douze années de services, ou qui approchera de sa douzième année de fonctions, se moquera de votre élection : il se félicitera peut-être même quelquefois de n’être pas réélu. Je me résume, messieurs un fonctionnaire n’a doit à une pension, c’est le principe fondamental de la loi, que pour autant qu’il soit arrivé à l’âge des infirmités et qu’il ait rendu de longs services a l’Etat, ou je ne vois aucune raison plausible de faire une exception en faveur des fonctionnaires électifs. Si cette exception était admise, je craindrais, et je le dis avec regret, que cette loi n’ait le sort de celle de 1841. Quant à moi, ce motif seul suffirait pour me la faire rejeter.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je prends la parole uniquement pour rectifier un fait. On suppose que les conseillers de la cour des comptes, arrivés à leur douzième année de fonctions auraient intérêt à ne pas être réélus. Je ferai remarquer qu’un membre de la cour des comptes, arrivé à la douzième année de ses fonctions, aurait droit à une pension de 1,200 fr. Ainsi, pour obtenir une pension de l,200 fr., ce fonctionnaire renoncerait à une place de 6,000. Voyez donc, messieurs, que c’est une supposition tout à fait invraisemblable que l’on oppose à la disposition.

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, la différence qui existe entre les fonctions électives et les fonctions conférées par le gouvernement, n’a pas échappé à la section centrale ; seulement la section centrale a pensé que cette différence n’est pas telle qu’on puisse accorder aux fonctionnaires électifs des droits exceptionnels à la pension. Un premier fait, dont il faut partir, c’est que les fonctionnaires électifs, lorsqu’ils se trouvent, à raison de l’âge, du temps de service, ou des infirmités, dans les conditions générales posées par la loi, ont, comme tous les autres fonctionnaires, des titres, des droits, si l’on veut, à la pension.

Il ne s’agit donc pas de rendre défavorable la position des membres de la cour des comptes, pour ne parler que d’eux en ce moment ; il s’agit au contraire d’établir un privilège, une faveur exceptionnelle pour ces fonctionnaires. La section centrale a fait remarquer dans son rapport que si l’on pouvait invoquer l’injustice, en quelque sorte, du régime électoral, c’est-à-dire, l’élimination capricieuse à l’égard de certains fonctionnaires électifs, ce n’était point à l’égard des membres de la cour des comptes. Je suis peu touché, messieurs, de l’objection présentée par M. le ministre de l’intérieur, que les majorités pourraient changer et que des membres de la cour des comptes pourraient être éliminés pour d’autres motifs que parce qu’ils auraient démérité.

Rappelons-nous, en effet, comment les nominations se sont toujours faites. Il s’agit de savoir si les membres de la cour des comptes remplissent soigneusement leur mandat ; je ne sache pas qu’il ait jamais été question, et je ne pense pas qu’au point de vue où la chambre doit se placer, il puisse être question de considérations politiques dans de semblables nominations.

M. de Brouckere. - Il y a eu des éliminations qui certainement n’étaient pas étrangères à des considérations politiques.

Un membre. - Il y a en a eu une.

M. Malou, rapporteur. - Je ne me rappelle pas parfaitement ce qui s’est passe lors des premières élections ; elles ont eut lieu à une époque déjà éloignée ; je ne faisais pas alors partie de la chambre, d’ailleurs je ne pense pas qu’il soit possible de discuter ces faits ; je me borne à dire que, dans le choix des membres de la cour des comptes, la chambre aura nécessairement égard a des motifs tout autres qu’à des considérations politiques.

Je rappellerai encore, messieurs, que le principe essentiel, le principe conservateur de la loi, c’est qu’un fonctionnaire, pour pouvoir à être pensionné, doit être dans des conditions telles qu’il ne puisse plus rendre de services à l’Etat. Ainsi l’âge peut être quelquefois une présomption de l’impossibilité de continuer l’exercice des fonctions ; le temps de service peut être également une présomption ; quant aux infirmités, le gouvernement doit faire établir la preuve qu’elles sont de nature à entraîner cette impossibilité. Qu’arriverait-il, messieurs, si l’on exceptait les fonctionnaires électifs de ces conditions ? Si je ne me trompe, on peut être nommé membre de la cour des comptes à l’âge de 30 ans ; ainsi un homme dans la force de l’âge, âgé de 42 ans seulement, pourrait se voir daté, en vertu de la disposition proposée, d’une rente viagère.

Un membre. - De 1,200 fr.

M. Malou, rapporteur. - Mais, messieurs, cet homme qui sera nommé membre de la cour des comptes à l’âge de 30 ans, ne peut-il pas déjà avoir 9 années de services rétribués ? Or, dans ce cas, sa pension serait supérieure à 1,200 fr. On suppose encore que cet homme, à la force de l’âge ne peut consacrer son temps, son activité à aucun autre travail. Cette supposition n’est pas fondée : le membre de la cour des comptes ou d’une députation provinciale que vous voulez pensionner à l’âge de 42 ans, peut entrer dans une carrière lucrative, et dès lors le motif de la collation de la pension n’existe plus. D’ailleurs si une élimination injuste doit jamais avoir lieu, celui qui serait victime de cette injustice pourrait toujours être replacé.

On ne peut guère tirer d’induction de ce qui a été voté en 1841, par la raison bien simple, que rien n’a été voté en 1841. Les votes qui ont été émis en 1841 n’étaient que provisoires, et l’ensemble de la loi a fini par être rejeté.

M. de Brouckere. - Messieurs, je n’entends pas me prononcer d’une manière positive sur l’article tel qu’il est rédigé. Cet article me paraît susceptible de modification, mais ce qui me parait incontestable, c’est qu’il faut une disposition spéciale pour les fonctionnaires électifs. Je conçois très bien que l’on soutienne que le membre de la cour des comptes, par exemple, qui n’a que 12 années de fonctions et qui n’est pas réélu n’a guère de droit à une pension, mais la question n’est-elle pas différente s’il s’agit d’un homme qui a rendu des services pendant 12 ou 15 ans, avant d’entrer dans des fonctions électives, et qui, après avoir rempli ces dernières fonctions pendant 12 ou 15 autres années, n’est plus réélu ? Je suppose un homme entré en fonctions à l’âge de 22 ans et qui n’a que 18 années de services, lorsqu’il devient membre de la cour des comptes, cet homme a donc 40 ans ; il reste membre de la cour des comptes pendant 12 ans et il n’est plus réélus : voila un fonctionnaire comptant 30 années de services et 52 ans d’âge, et qui se trouve n’avoir plus aucune place ; voulez-vous qu’a l’âge de 52 ans il entre dans une nouvelle carrière ?

Que voulez-vous qu’il fasse ? Faut-il qu’il perde ses 30 années de services parce qu’un corps électoral, quel qu’il soit, ne l’aura plus réélu, alors cependant qu’il n’y avait aucun grief à articuler contre lui, et qu’il comptait 30 années de bons et loyaux services ? Mais ni l’honorable M. de Garcia, qui s’est prononcé d’une manière si énergique contre la proposition du gouvernement, ni aucun membre de la chambre ne voudrait consacrer une pareille injustice. Je dis donc, messieurs, qu’il faut une disposition exceptionnelle pour les fonctionnaires électifs. Cette disposition, rendez-la, si vous le voulez, plus sévère que celle qui se trouve dans le projet, mais au moins ne mettez pas les fonctionnaires électifs dans la même catégorie que les fonctionnaires nommés par le gouvernement, car véritablement ils ne sont pas dans la même position.

M. de Garcia. - Messieurs, l’honorable M. de Brouckere a cité un cas particulier qui est d’une grande force pour vous engager à admettre un système spécial pour les fonctionnaires électifs ; dès lors je reviens avec plaisir des principes absolus que j’ai commencé par développer. Je concevrais que, tout ce cas particulier ou pour d’autres cas semblables l’on proposât une disposition spéciale, mais je ne pense pas que l’on puisse, pour ce motif, déroger d’une manière générale aux principes de la loi qui exigent un certain âge et un nombre déterminé d’années de service, pour avoir droit à la pension. Ce n’est pas, au surplus, qu’il n’y ait de réponses rationnelles à opposer aux objections de M. de Brouckere. Un fonctionnaire public qui abandonne des fonctions conférées par le gouvernement pour se livrer à des fonctions électives ne doit imputer qu’à lui-même de s’être exposé aux chances et aux désavantages des fonctions électives ; il doit connaître la loi et en subit toutes les conséquences.

Prenez-y garde, messieurs ; comme je l’ai dit tout à l’heure, le ressort du gouvernement représentatif repose essentiellement sur l’élection ; je désire que les fonctionnaires électifs soient toujours sous l’influence de la réélection qui les attend ; cette influence fera qu’ils représenteront toujours l’opinion publique, qu’ils seront toujours fidèles au vœu de leurs mandataires.

Toutefois, messieurs, si l’on présentait une disposition quelconque pour ménager les fonctionnaires qui se trouveraient dans la position indiquée par l’honorable M. de Brouckere, je crois que je donnerais la main à cette disposition, Elle serait juste, selon moi, et ne pourrait ouvrir la porte à de graves inconvénients, si elle était renfermée dans un cadre bien circonscrit et bien déterminé.

M. de Mérode. - Il me semble aussi, messieurs, qu’il y a quelque chose à faire pour les fonctionnaires de l’ordre électif dont on a parlé tout à l’heure ; mais le terme de 12 ans, proposé par M. le ministre de l’intérieur, ne me paraît pas suffisant ; on avait parlé, je pense, dans une section du terme de 18 ans, et avec ce changement la disposition sera peut-être acceptable. Ne pourrait-on pas déclarer aussi que le fonctionnaire qui n’a pas encore atteint l’âge de soixante ans, ne jouira de la totalité de sa pension que lorsqu’il sera arrivé à cet âge ? On pourrait renvoyer la question à la section centrale, afin qu’elle formulât un système moins facile que celui que celui qui est proposé par M. le ministre de l’intérieur et moins rigoureux que celui qui ne ferait aucune exception en faveur des fonctionnaires dont il s’agit.

M. de Brouckere. - J’appuie la motion de l’honorable comte M. de Mérode. Je voudrais que l’on s’arrêtât à une question générale et qu’on invitât ensuite la section centrale à formuler un système d’après le principe qui aurait été admis. Selon moi, il faudrait que la chambre décidât en principe que, pour les fonctions électives, la condition d’âge ne serait pas exigée ; ce serait alors à la section centrale d’examiner combien d’années de service devraient être exigées des fonctionnaires électifs.

Ainsi, messieurs, je voudrais que l’on mît aux voix la question de savoir si les fonctionnaires électifs seront dispensés de la condition d’âge et que, si cette question était résolue affirmativement, on renvoyât les dispositions concernant ces fonctionnaires, à la section centrale avec invitation de formuler un système, c’est-à-dire, de faire une proposition, quant au nombre d’années de services qui seront exigées, pour que le fonctionnaire ait droit à la pension.

M. Desmet. - Il me paraît qu’avant de statuer sur ce point, il faut être d’accord sur le principe, faut-il faire une exception pour les membres de la cour des comptes ? Pour moi, il me semble qu’il n’y a pas lieu d’établir une exception pour les membres de la cour des comptes. D’autres fonctionnaires électifs auraient le même droit à la pension.

Messieurs, le grand argument qu’a fait valoir l’honorable M. de Brouckere, est celui-ci : il vous a cité un exemple ; il vous a dit : un membre de la cour des comptes qui aurait servi pendant 18 ans avant son entrée dans ce corps, et qui n’est plus réélu en sa dernière qualité, ne pourrait pas porter en compte ses 18 années de services. On a déjà répondu à cet argument par ceci, que le membre de la cour des comptes avait volontairement quitté sa fonction publique.

Je suppose, moi, un fonctionnaire public qui a servi son pays pendant 20 ou 25 ans ; le ministère destitue le fonctionnaire, et par suite, celui-ci perd ses droits à la pension. Je connais un fonctionnaire qui avait rendu de loyaux services pendant 20 ou 25 ans ; il n’est pas d’accord avec le cabinet sous le rapport politique ; il n’obtint pas de pension. Une preuve que ce fonctionnaire n’avait pas mal servi, c’est qu’il a été réélu à la chambre.

Je ne vois donc pas de motif pour faire une exception en faveur des membres de la cour des comptes, et si l’on faisait une exception en faveur des membres de la cour des comptes, pourquoi ne l’étendrait-on pas aux membres de la chambre ?

M. le président. - Si personne ne s’y oppose, je mets aux voix cette question :

« Sera-t-il fait une exception aux règles générales de la loi en faveur des fonctionnaires électifs ? »

- Cette question est résolue négativement.

M. le président. - Par suite de cette décision, toute la section 2 du chap. Il du titre 1er se trouve supprimée.

La chambre passe au titre II.

Titre II. Des pensions des veuves et orphelins

Chapitre premier. Etablissement de caisses de pensions
Article 33

« Art. 33. Il sera institué, par le gouvernement, des caisses de pensions au profit des veuves et des orphelins des magistrats, fonctionnaires ou employés rétribués par le trésor public, et des ministres des cultes auxquels le mariage est permis. »

M. Jadot. - Messieurs, j’ai résumé en quelques articles, dont j’aurai l’honneur de donner lecture à la chambre, mon opinion sur la portée des dispositions de la loi relatives à la caisse des veuves. Le voici :

1° Les retenues faites jusqu’à ce jour sur les traitements des fonctionnaires du département des finances actuellement en exercice sont acquises au trésor, quelle que soit la durée de leurs services et l’importance des sommes par eux versées à la caisse de pensions.

2° Il n’existera à l’avenir aucune différence entre les veuves des fonctionnaires qui ont contribué à la caisse actuelle des pensions et les veuves de ceux qui contribueront à la nouvelle caisse seulement ; en conséquence, l’Etat ne sera pas tenu de subsidier cette nouvelle caisse si l’insuffisance de ses ressources la mettait dans l’impossibilité d’acquitter les pensions des veuves de la première catégorie.

3° Afin que les veuves des hauts fonctionnaires, magistrats etc., n’aient rien de commun avec les veuves des fonctionnaires du bas étage, et notamment avec celles de comptables, le gouvernement établira des caisses par catégories, et y fera contribuer les fonctionnaires qu’il prendra dans les divers départements ministériels indistinctement à son choix.

4° L’Etat pensionnant gratuitement les fonctionnaires, l’importance des retenues qu’ils auront payées et la durée de leurs services ne sera pas prise en considération pour la liquidation des pensions de leur veuves ; c’est pourquoi, ils doivent rester étrangers à l’organisation et à l’administration des caisses dotées à leurs frais.

5° Afin de donner de la marge à la bienveillance du gouvernement, les conditions d’admissibilité à la pension varieront suivant les rangs qu’il établira lui-même avec cet esprit d’impartialité que le caractérise.

6° Le rang du fonctionnaire sera seul pris en considération pour la fixation des pensions de leurs veuves, on aura égard à l’ancienneté dans le rang, mais jamais la veuve ne pourra être privée du privilège y attaché. Quelle que courte qu’ait été la durée des fonctions de son mari, cette courte durée ne sera pas non plus un obstacle à ce que le maximum de la pension lui soit accordé.

Voici, messieurs, une esquisse des dispositions relatives aux pensions des veuves ; elles plairont, je n’en doute pas, aux ministres et aux fonctionnaires et magistrats qui peuvent prétendre à figurer dans les classes supérieures, mais je doute qu’elles soient goûtées par les membres de cette chambre qui sont désintéressés dans la question en discussion.

M. Verhaegen. - Messieurs, le chapitre I du titre Il soulève des questions très importantes que j’ai eu l’honneur de signaler déjà lors de la discussion générale.

Ce titre se lie plus ou moins au titre IV qui contient des dispositions transitoires, en ce qui concerne les droits acquis. Toutefois je réserve les observations que j’ai à soumettre, relativement à ces droits acquis, jusqu’à la discussion de l’art 64, compris sous le titre IV. Je ne dirai maintenant sur ce point que ce qui est absolument nécessaire.

Les anciennes caisses de retraite avaient une double charge : elles devaient pourvoir aux pensions des fonctionnaires eux-mêmes qui versaient, et à celles de leurs veuves et de leurs orphelins.

Les droits à acquérir, à raison de ces versements, étaient donc doubles : droits pour les fonctionnaires eux-mêmes, droits pour leurs veuves et leurs orphelins.

Aujourd’hui, on enlève tous les droits acquis, tant pour les fonctionnaires que pour leurs veuves et leurs orphelins.

On enlève aux fonctionnaires leurs droits, en ce qui les concerne personnellement, puisqu’aujourd’hui le gouvernement prend à lui tout ce qui peut se trouver dans les caisses de retraite.

M. Malou, rapporteur. - Il ne s’y trouve pas un sou.

M. Verhaegen. - Il ne s’y trouve pas un sou, prétend-on, mais j’ai dit l’autre jour pourquoi il n’y avait pas un sou. Je reviendrai tout à l’heure sur ce point.

C’est toujours le même système, mais qu’il me soit permis de le dire, c’est un système d’injustice, on dira ce qu’on voudra, mais je remplirai mon devoir jusqu’au bout. Je le répète, le système qu’on veut faire prévaloir, est un système d’iniquité et d’injustice.

On enlève aux fonctionnaires tous leurs droits, le gouvernement s’empare de la caisse dans laquelle, si le gouvernement avait fait son devoir, il devait se trouver de l’argent, beaucoup d’argent ; il s’en empare, et il dit aux fonctionnaires : Vous aurez un droit à la pension en vertu de la loi.

Maintenant, quant aux veuves qui, par suite des retenues faites sur les traitements de leurs maris, avaient aussi acquis des droits, elles n’ont plus rien, et c’est ici que je supplie les honorables membres qui ne partagent pas mon opinion de me répondre, si cela leur est possible. On dépouille complètement les veuves de leurs droits ; car elles n’ont droit à la pension qu’autant qu’il y ait des versements nouveaux dans une caisse nouvelle, comme vient de le dire très bien l’honorable M. Jadot ; il n’y aura pas de différence, si la loi est adoptée, entre les veuves des fonctionnaires qui ont versé pendant 30 ou 40 années, et les veuves des fonctionnaires qui commenceront seulement à verser après la promulgation de la loi.

Si c’est de la justice, je n’y comprends plus rien.

L’honorable M. Jadot a dit des choses très vraies dans le discours qu’il vient de prononcer. Il s’est exprimé d’une manière ironique, mais l’ironie est bonne quelquefois, alors surtout qu’il s’agit d’empêcher une injustice. L’honorable M. Jadot a formulé son système en six articles qui résument les six points principaux de la loi, relatifs aux pensions des veuves.

D’abord, a dit M. Jadot, les retenues faites jusqu’à ce jour sur les traitements des fonctionnaires du département des finances actuellement en exercice, sont acquis au trésor, quelle que soit la durée des services de ces fonctionnaires, et l’importance des sommes par eux versées dans la caisse des pensions.

En vain l’honorable M. Malou vient-il dire que cette caisse est vide, et que loin de faire tort aux fonctionnaires publics, la loi que nous discutons leur accorde certains droits qu’ils n’auraient pas sans cela. Joli système ! Il est vraiment encourageant pour ceux auxquels on va imposer l’obligation de concourir à une nouvelle caisse en faveur des veuves et orphelins, et qui un jour pourront se trouver dans la même position !

Le gouvernement avait aussi organisé et administré l’ancienne caisse de retraite, et son organisation et administration ont été telles qu’elles ont eu pour conséquence une faillite, s’il faut en croire mes honorables contradicteurs. En 1830, la caisse de retraite présentait encore un boni d’au-delà de 300,000 francs, mais en 1834, ce boni a été englouti, et le chiffre du déficit s’est augmenté d’année en année au point qu’il est aujourd’hui d’un million. A qui donc la faute de cette débâcle, si ce n’est au gouvernement qui a accordé des pensions à ceux qui n’avaient aucun droit à ces faveurs et qui de cette manière a engagé sa responsabilité en posant des actes de mauvaise administration au détriment des intéressés.

Si la caisse de retraite est en faillite, elle l’était déjà en 1831 ; pourquoi donc le gouvernement a-t-il encore, après cette époque, obligé les fonctionnaires à subir des retenues comme par le passé ? Avec le système d’aujourd’hui, ne serait-ce pas un piège tendu à leur bonne foi et en même temps un abus de la force ?

Messieurs, vous vous demanderez si un individu, par cela seul qu’il est fonctionnaire, peut être forcé à concourir un contrat de prévoyance, car c’est un véritable contrat que la loi nouvelle va lui imposer dans le prétendu intérêt de sa veuve et de ses orphelins. Ce fonctionnaire n’a-t-il pas le droit de vous dire : je sais ce que j’ai à faire dans l’intérêt de ma famille, je suis aussi prévoyant que vous ; il y a plus d’une caisse de prévoyance, et il m’appartient de faire mon choix.

Je ne sais pas si nonobstant votre loi les fonctionnaires se refusant de concourir à un contrat que vous dites dans leur intérêt, les tribunaux seraient disposés à les y contraindre, tout au moins il pourrait naître à cet égard des conflits fâcheux.

Les magistrats de l’ordre judiciaire sont certes très mal traités, et on veut encore leur faire subir une retenue. Ils réclament depuis des années une amélioration de position, et on veut la rendre plus mauvaise encore ? Voyez donc l’injustice du projet de loi à leur égard.

Quelle sera d’ailleurs l’organisation de ces caisses de retraite ? Tout est laissé à l’arbitraire du gouvernement : taux des retenues, condition d’admissibilité, déchéance, mode d’administration, rien n’échappe au pouvoir exécutif.

Mais s’il plaît un jour au pouvoir exécutif de porter la retenue à un taux exorbitant, qui l’en empêchera ?

M. Malou, rapporteur. - Il y a un maximum de 5 p. c.

M. Verhaegen. - Soit ; la retenue pourra être de 2, 3 ou 4 p. c. ; mais elle pourra aussi s’élever jusqu’à 5 p. c. ; mon argument reste donc le même, car il dépendra du pouvoir exécutif de forcer le fonctionnaire public à abandonner souvent, dans l’intérêt d’autrui, un vingtième de son traitement.

Ces dispositions portent avec elles le caractère d’une criante injustice. Pour mon compte, je n’y donnerai pas mon assentiment. Il n’y aurait dans cette loi que cette disposition et celle qui concerne l’atteinte portée aux droits acquis, que je voterai contre l’ensemble de la loi.

M. Malou, rapporteur. - Je regrette vivement que l’honorable M. Verhaegen persiste à mêler à la discussion des principes que nous posons pour l’avenir, la discussion de la question très difficile de la caisse de retraite, qui doit venir plus tard dans l’intérêt de la caisse de retraite même.

Que l’honorable membre me permette d’appeler son attention sur ce point ; cette question difficile a été plusieurs fois traitée dans cette chambre depuis 1830, et, je dois le dire, ce sont des principes diamétralement opposés à ceux que l’honorable membre soutient, qui ont prévalu dans toutes les discussions de la chambre.

Je suis néanmoins obligé de suivre l’honorable membre sur le terrain où il s’est placé. Je tracerai donc brièvement l’historique de la caisse de retraite, et je ferai connaitre la cause de son obération, Cela expliqué, j’examinerai le système du projet.

La caisse de retraite s été instituée en 1822 ; le subside du gouvernement avait été limité au maximum de 30,000 fl. ; les pensions étaient très fortes pour les fonctionnaires et pour les veuves et orphelins. Jusqu’en 1831, on s’est contenté d’une retenue de 2 p. c. sur les traitements. Il y avait encore quelques retenues accessoires. Mais la somme la plus forte, provenant des retenues, n’était que de 2 p. c. sur les traitements.

A la suite de discussions très orageuses, qui ont eu lieu en 1831 et 1832, ces retenues ont été portées à 5 p. c., leur taux actuel. Nonobstant cet accroissement de ressources, les dépenses de la caisse des retraites sont constamment augmentées, ou plutôt le déficit a toujours été croissant. La caisse de retraite n’a aujourd’hui qu’un revenu de 472,000 fr. et 1,416,000 fr. de charges.

Voilà les faits.

Quelle en est l’origine ? D’abord la constitution vicieuse de cette caisse ; ensuite quelques abus ; on a été trop facile dans la collation des pensions. Je ne veux pas nier ces abus ; mais on les a trop souvent exagérés. Pour rendre compte de l’obération de la caisse de retraite, il faut autre chose que des exceptions comme celles qu’on invoque et qu’on généralise trop. La cause principale de la déconfiture de la caisse, c’est le vice de sa constitution.

Qu’il me soit permis de citer à ce sujet un travail extrêmement remarquable fait en France. Il y a dans ce pays des caisses de retraite organisées d’après des règlements analogues à celui de la caisse du département des finances. Ces caisses, subsidiées par le trésor, sont chargées à la fois de servir les pensions des fonctionnaires, des veuves et orphelins.

Le gouvernement français s’est débattu depuis 1830 pour sortir du malaise, de la gêne, des embarras sans nombre de cette législation. Jusqu’à présent tous ses efforts ont été sans succès. Un des projets qui ont été présentés a donné lieu à un travail qui a été inséré an il du 20 juin 1840. Il contient beaucoup trop de chiffres et de calculs pour que je puisse en rendre compte. L’honorable rapporteur a examiné d’après les inscriptions de pensions et l’ensemble des faits relatifs à un grand nombre d’années, comme aussi d’après les tables de mortalité, la situation de toutes les caisses de retraite existant en France ; il a recherché quelle pouvait être, après un certain nombre d’années, la valeur de la rente viagère, de la rente perpétuelle qui pouvait résulter du versement pendant 30 années de service, des 5 p. c. de retenue, de la retenue du premier mois d’appointements, de la retenue maximum de deux mois de toute augmentation de traitement.

Ces calculs ont été faits dans deux systèmes : l’un qu’on appelle système de tontine rapide, c’est-à-dire, présentant les probabilités les plus favorables, l’autre système de tontine lente, c’est-à-dire le système contraire. Ces calculs ont été faits sur ce qui s’est passé en France depuis 1830, et sur un nombre de 68,000 fonctionnaires.

Il est démontré par ces calculs que, dans le système de la tontine rapide, au moyen de retenties bien supérieures à celles faites pour la caisse des retraites en Belgique, on ne peut constituer qu’une rente viagère de 45 centièmes du traitement et une rente perpétuelle de 20 centièmes, dans le système de la tontine rapide ; une rente perpétuelle de 16 centièmes et une rente viagère de 36 centimes dans le système de tontine lente.

Je pense que nous pouvons admettre que les données sont, proportions gardées, les mêmes en Belgique qu’en France. En prenant ce point de départ, il est évident que les calculs faits en 1822, quant aux retraites, étaient faux, que la caisse devait, au bout de peu d’années, se trouver fort obérée. Mais en 1822, jusqu’en 1831, on ne s’est pas borné à demander trop peu de produits aux retenues, mais on a aussi constitué les pensions à un taux beaucoup trop élevé. Ainsi en France, jamais il n’a été question d’accorder des pensions que du quart, du tiers et tout au plus de la moitié du traitement.

D’après le règlement de la caisse des retraites, on peut avoir beaucoup plus. Aux fonctionnaires on a accordé des pensions dans des proportions excessives, et qui dépassent le maximum absolu tacitement admis par tout le monde avant qu’il fût voté par la chambre.

Il y avait donc dans la caisse de retraite un vice que le temps devait aggraver. J’appelle sur ce point l’attention de l’honorable membre auquel je réponds ; s’il y a eu surtout déficit à dater de 1831, c’est que, à dater de cette époque, il a fallu donner le plus de pensions. Une caisse des retraites s’établit avec un revenu normal, mais le passif ne fait que commencer. Il se développe, et ce n’est qu’au bout d’un certain nombre d’années qu’il atteint son taux normal, que les extinctions et les nouvelles pensions à conférer se balancent.

S’il s’agissait de rétablir en Belgique le système qui a produit tant de maux en France et en Belgique, les résultats dont nous sommes frappés quant à l’administration la plus nombreuse, je m’y opposerais de toutes mes forces ; mais veuillez-le remarquer, il s agit de toute autre chose ; il s’agit de constituer des caisses de pension pour les veuves et orphelins seulement.

Déjà l’honorable membre, qui a tant insisté sur les abus que le gouvernement aurait commis, doit reconnaître que ces abus sont complètement impossibles quant aux veuves et orphelins. Ici les pensions n’ont qu’une cause naturelle. Il faut le décès du fonctionnaire et la survie de la veuve pour qu’il y ait droit à la pension. Ainsi fallût-il admettre, avec l’honorable membre, que, par le fait du gouvernement, la caisse de retraite est obérée, du moins le même résultat serait-il impossible quant aux caisses nouvelles.

Les retenues telles quelles sont déterminées par l’art. 38 du projet suffiront complètement pour assurer l’avenir prospère des nouvelles caisses ; je n’en veux qu’une seule preuve, c’est celle qui se trouve dans les faits relatifs à la caisse de retraite du département des finances. Il est démontré par le bilan qui nous a été remis, que, quels que fussent les vices de la constitution de cette caisse, les retenues ont suffi et suffiraient encore amplement à ce payement des pensions des veuves et orphelins si la caisse n’avait eu que cette charge à supporter.

Le principe du projet, quant aux pensions des veuves et des orphelins, est donc la tontine forcée ; c’est la création de plusieurs caisses non subsidiées, devant, par conséquent, se suffire à elles-mêmes et dont en abandonne l’organisation au gouvernement.

Ce système est-il le meilleur ? Est-il le seul possible ?

Le seul possible, il ne l’est pas. On vous propose une tontine illimitée. En France, messieurs, deux autres modes ont été indiqués. Le premier consiste dans l’épargne forcée, le second dans la tontine limitée à un certain nombre d’années.

En obligeant le fonctionnaire à l’épargne, on lui crée en quelque sorte un compte individuel, compte du capital épargné, compte d’intérêts ; ce qu’il a ainsi accumulé lui revient à lui-même à un âge donné en revient après son décès intégralement à sa veuve et à ses orphelins.

Le système des tontines limitées a un autre caractère facile à saisir. On prend, à une époque donnée, tout le personnel d’une administration, il se crée dans tout ce personnel une association sous le patronage du gouvernement et à la limite assignée par les statuts, par l’acte de société en quelque sorte, un partage se fait entre les survivants, entre les veuves et les orphelins, d’après les règles déterminées dans ces statuts.

Je pense, messieurs, que le système de prévoyance le plus simple, le plus salutaire est celui que le projet vous propose.

Je m’arrêterai peu à la question de savoir s’il faut instituer des caisses. Voyons en effet, ce qui se passe autour de nous. A défaut de ces caisses, ne voyez-vous pas à chaque instant des veuves et des orphelins de fonctionnaires qui ont longtemps servi le pays, réduits à la dernière misère ? Ne voyez-vous pas dans tous vos budgets porter cette aumône légale que vous pourrez supprimer plus tard et qui est bien insuffisante pour tous les maux que l’économie imposée par la loi, aurait épargnés aux veuves et aux orphelins de anciens serviteurs de l’Etat ?

Compter sur la prévoyance individuelle, c’est bâtir sur le sable. Que nous dit-on, en effet ? Les traitements sont insuffisants, et je reconnais qu’il en est ainsi dans beaucoup d’ordres. Mais si les traitements peuvent tout au plus suffire aux besoins de la vie, ne faut-il pas que la loi elle-même impose l’économie ? Peut-on l’attendre de fonctionnaires de rangs inférieurs, s’ils sont libres ou non, de ne pas le faire ? N’est-pas en présence de la loi seule qu’ils la feront ?

Faut-il une ou plusieurs caisses ? Si l’on veut être juste, si l’on veut être fidèle aux principes de l’équité, il faut établir plusieurs caisses. Quel est, en effet, ce principe de justice dans la création des caisses de retraite ? C’est que l’on considère chaque administration comme une espèce de réunions de camarades, qui mettent en commun, au profit des veuves et des orphelins une économie qu’ils font chacun de leur côté. Mais ce point de vue change complètement, si vous devez comprendre dans une même caisse tous les fonctionnaires du pays.

Il est des administrations où les traitements sont en général assez élevés, où les fonctionnaires sont peu nombreux, où ils sont nommés dans des conditions différentes de tous autres. Il en est enfin où le célibat est infiniment plus commun qu’il ne l’est dans d’autres administrations.

Pour prendre des exemples, je demanderai s’il serait juste, s’il serait même possible de confondre dans une même caisse la magistrature et l’immense population qui garde nos frontières contre l’invasion des produits étrangers ? Voulez-vous faire contribuer les magistrats pour le fonds des douaniers ? Voulez-vous faire contribuer les douaniers pour le fonds des magistrats ?

Il faut, je le répète, considérer chaque caisse comme une association de camarades, et alors aussi vous pouvez proportionner les retenues aux besoins de cette association ainsi divisée.

M. de Garcia. - Je demande la parole.

M. Malou, rapporteur. - Prenons encore pour exemple les magistrats. Je suppose que le gouvernement, consultant les faits relatifs à un grand nombre d’années, reconnaisse que pour assurer l’avenir de la caisse de la magistrature, il suffit d’opérer aujourd’hui (et pour moi, je crois qu’il en sera ainsi), simplement une retenue d’un et demi à deux p. c. Peut-être même ne faudra-t-il pas aller jusque-là. Dans d’autres administrations où presque tous les fonctionnaires sont mariés, où les traitements en général sont très faibles, vous devriez peut-être porter d’emblée, comme aujourd’hui au ministère des finances, la retenue à 5 p. c.

C’est dans cette différence de position des fonctionnaires que se trouvent les raisons d’existence, que se trouve la justification de l’établissement de plusieurs caisses.

Je vois, messieurs, que dans les observations que je viens de vous présenter, je me suis déjà occupé d’un ou de deux des griefs qui sont communs à l’honorable M. Jadot et à l’honorable M. Verhaegen.

Le premier de ces griefs consiste en ce que toutes les retenues faites jusqu’à présent seraient acquises au trésor : que les honorables membres me permettent de réserver ce point pour la discussion des articles 63 et 64. J’expliquerai, lorsque nous en serons à ces articles, quelles sont les bases de la transaction très désavantageuse à mes yeux que ces articles font au profit des fonctionnaires de la caisse de retraite.

Plusieurs autres griefs consistent en ce que la loi ne déterminerait pas d’une manière assez précise les cas d’admissibilité à la pension, les cas de déchéance, le mode d’administration des caisses.

J’ai sous les yeux, messieurs, les statuts des diverses caisses qui ont été instituées et dont la première remonte à l’administration de M. Nothomb comme ministre des travaux publics. Ces pièces sont déposées sur le bureau. Je prie les honorables membres de vouloir les consulter ; ils verront quelles sont les distinctions nombreuses, quelles sont les dispositions d’ordre, de garantie, dans lesquelles il faut entrer pour organiser une caisse de retenue au profit des veuves et orphelins. Ils verront aussi que dans les lois, les principes essentiels sont posés et que le reste est en quelque sorte le développement de ces principes. Si d’ailleurs on ne croit pas que la loi contienne des dispositions assez précises sur quelques points, j’entendrai volontiers les propositions qui seront faites, et nous pourrons faire passer dans la loi les dispositions qui seraient reconnues essentielles comme limites à l’action du gouvernement.

Il est, entre autres, une disposition du projet qui a déjà été critiquée par ces honorables membres et dont le sens devra être bien défini quand nous y serons arrivés ; c’est celle qui est relative au maximum des pensions des veuves et orphelins.

Il peut y avoir deux systèmes de rémunération pour les veuves et les orphelins. Dans les statuts dont j’ai déjà parlé, on a uniquement égard au dernier traitement qu’avait le fonctionnaire lui-même. Mais il est très possible, il est peut-être plus juste de substituer à cette base une autre, qui serait de proportionner la pension des veuves et des orphelins, à la pension que les fonctionnaires eux-mêmes auraient eue. De cette manière la pension de la veuve est proportionnelle aux contributions fournies par le mari.

C’est une question sur laquelle nous pouvons revenir lors de l’examen de l’art. 58.

La législation a-t-elle le droit de forcer les fonctionnaires à une retenue ? Je ne sais, messieurs, comment on pourrait lui contester ce droit.

Les traitements de beaucoup de fonctionnaires, de presque tous, sont fixés par arrêtés royaux. Pour eux un arrêté royal suffirait évidemment, et les faits le démontrent. Ce n’est pas par une loi qu’en France, pays dont les institutions, sous ce rapport, sont analogues aux nôtres, on a imposé ces retenues. En Belgique, en 1822, en 1837 et en 1839, c’est encore par des arrêtés royaux qu’elles ont été imposées. Il n’y a donc à cet égard aucune difficulté.

Les fonctionnaires dont le traitement est fixé par le gouvernement pourraient le voir réduire directement. Le gouvernement peut dont aussi les réduire au moyen d’une retenue dans l’intérêt des fonctionnaires eux-mêmes.

Il y a plus : ce sont des fonctionnaires révocables. Le gouvernement aurait donc le droit de les destituer ; et il n’aurait pas le droit de les forcer à l’économie dans l’intérêt de leurs veuves et de leurs orphelins !

Quant aux fonctionnaires inamovibles, quant à la magistrature, la loi fixe les traitements ; la loi peut, par conséquent, établir une retenue. Il pourrait arriver, nous dit-on, que des fonctionnaires, mécontents de l’établissement de ces caisses de retraite, ne comprenant pas les vues de prévoyance et de sagesse qui auraient dicté ces dispositions, attaqueraient le gouvernement devant les tribunaux. Messieurs, je crois en la sagesse des tribunaux ; la loi serait là, évidemment elle serait appliquée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je pense que pour procéder avec méthode on aurait dû, en ce moment ne s’occuper que du principe même de l’institution de caisses de veuves et d’orphelins. L’honorable rapporteur vous a fait remarquer avec raison que l’on a anticipé sur une discussion qui doit avoir lieu plus tard, relativement à la casse instituée auprès du ministère des finances. Les bases institutives de cette caisse étaient vicieuses, j’ai eu l’occasion de m’en assurer, car je puis dire que j’ai fait de cette question une étude très approfondie. J’ai institué 18 caisses de prévoyance, pour les veuves et orphelins. Je dois dire, messieurs, que quelquefois cette institution a rencontré de l’opposition, mais bientôt on en a reconnu l’immensité du bienfait.

L’honorable rapporteur, messieurs, me laisse très peu de chose à dire sur le principe de l’institution de caisses de veuves et orphelins. La question serait de savoir s’il faut abandonner cette institution à la prévoyance privée. Je n’hésite pas à répondre négativement ; l’institution est désirable ; si vous désirez l’institution pour chaque catégorie de fonctionnaire, et de magistrats, si vous désirez l’institution, il faut la prescrire par la loi, sinon vous ne l’aurez pas, je n’hésite pas l’affirmer. (Interruption). Cette institution est-elle bonne, oui ou non ? Si elle est bonne, il faut l’imposer par la loi. Il faudrait donc, messieurs, venir soutenir que l’institution de caisses de pensions pour les veuves et orphelins, que cette institution n’est pas utile ; dans ce cas, nous pourrions ne pas nous en occuper, et nous en rapporter purement et simplement aux volontés individuelles.

C’est un nouveau sacrifice, dit-on, que vous allez exiger des fonctionnaires publics, entre autres, des magistrats dont le traitement est déjà si insuffisant. Quoi que vous fassiez, messieurs, les traitements, dans l’ordre social où nous vivons, les traitements seront probablement toujours insuffisants ; ce n’est pas à dire qu’il ne faille pas augmenter certains traitements, qu’on ne donne pas à ma pensée une portée qu’elle n’a pas, mais je dis que, quoique vous fassiez, au temps où nous vivons, les traitements seront probablement toujours insuffisants. Faites, messieurs, tout ce qui est possible ; mettez autant que possible les fonctionnaires publics en état de vivre honorablement, eu égard la position qu’ils occupent, et pour les consoler précisément de cette insuffisance, faites en sorte que le fonctionnaire ne soit pas préoccupé de l’idée que sa veuve et ses enfants seront un jour dans la misère.

J’admets avec vous l’insuffisance des traitements, je dis même plus, je dis qu’ils seront probablement toujours insuffisants, quoique vous fassiez, mais je demande, comme consolation en quelque sorte de cette insuffisance, l’institution de caisses de prévoyance pour les veuves et orphelins.

Je vous ai dit, messieurs, que, sur ma proposition, un grand nombre de caisses de ce genre ont été instituées, et je dois ajouter que différentes catégories de fonctionnaires publics ont, à plusieurs reprises, exprimé au gouvernement le désir de voir instituer de semblables caisses.

Cette institution est impossible en l’absence d’une loi, en ce qui concerne, entre autres, les membres de la magistrature. On a pu instituer des caisses de veuves et orphelins pour le chemin de fer, pour la marine, pour les instituteurs, même avant l’existence de la loi du 23 septembre, mais ou ne le peut pas pour l’ordre judiciaire.

Je me résume, messieurs, et je dis qu’il s’agit d’une question de dignité pour le gouvernement, d’une question de sécurité pour les fonctionnaires publics. L’institution de caisses de pensions pour les veuves et orphelins, cette institution est-elle désirable ? Evidemment oui. Or, du moment que vous la désirez, il faut la prescrire ; si vous ne la prescrivez pas, vous ne l’aurez pas.

M. Donny. - Messieurs, j’ai dit dans une séance précédente que les irrégularités ou, si veut, les abus commis dans la collation des pensions, ne sont ni la seule ni même la principale cause du déficit de la caisse de retraite et, en cela, messieurs, je n’ai fait que répéter ce qu’a dit en 1835, dans un rapport adressé au Roi, une commission dans laquelle siégeaient et l’honorable M. de Brouckere et moi. L’honorable rapporteur de la section centrale vient de tenir le même langage, en s’appuyant sur des considérations qui méritent de fixer votre attention. Je viens, dans le même ordre d’idées, présenter quelques faits et quelques chiffres, qui, je pense, ne laisseront plus le moindre doute sur cette question.

Le règlement de 1822 est la source de tous les droits dont l’honorable M. Verhaegen s’occupe avec tant de sollicitude. Ce règlement de 1822 contient des dispositions qu’on peut qualifier de véritables absurdités financières.

Voici, messieurs, la principale de ces absurdités ; aux termes du règlement, on rémunère par une pension sur la caisse des services étrangers à l’administration, des services à raison desquels il n’a jamais été versé le moindre centime dans la caisse. Il est résulté de la des conséquences tout à fait étranges ; je me permettrai de vous en citer quelques-unes. Un douanier a reçu une pension de 1,603 francs, bien qu’il n’eût pas versé 800 fr. à la caisse ; un seul semestre de pension lui a remboursé au-delà de toutes les retenues qu’il avait subies. Un autre, qui avait contribué à la caisse pour une somme inférieure à 530 fr., a été gratifié d’une pension de 530 fr. ; un troisième a reçu une pension de 497 fr. pour moins de 530 fr. de contribution ; et toujours conformément aux dispositions du règlement.

Les versements de ces deux derniers étaient remboursés et au-delà par 8 mois de pension, seulement.

On a accordé une pension de 4,951 fr. à un employé qui n’avait versé que 3,174 fr. Il est vrai que cette dernière pension a été réduite par la commission, à un chiffre de 3,715 fr., mais encore, réduite à ce taux, 9 mois de pension ont suffi pour rembourser tous les versements effectués par le pensionné.

Voilà, messieurs, quelques faits qui serviront à vous faire apprécier combien les bases du règlement de 1822 étaient vicieuses.

Nous avons calculé, à cette époque, quelle était la proportion entre les pensions qui, raisonnablement parlant, auraient dû tomber à la charge de la caisse de retraite et celles qui ont été accordées d’après les bases vicieuses que je viens de signaler, et nous avons trouvé que les pensions accordées à raison de services pour lesquels jamais rien n’avait été versé dans la caisse, formaient les 4/10 de toutes les pensions accordées. Partant de cette donnée, j’ai fait un petit calcul que je vais vous soumettre. J’ai comparé entre eux les chiffres officiels de tout ce qui a été versé dans la caisse depuis 1831 jusqu’en 1842, c’est-à-dire, pendant 12 ans ; de tout ce qui a été payé par la caisse, et enfin de tout ce qui aurait été payé par elle si les bases du règlement avaient été rectifiées selon nos calculs de 1835. Voici les résultats auxquels je suis parvenu :

Pendant ces 12 années, on a payé en pensions aux employés, aux veuves et aux orphelins un total de (chiffres ronds) fr. 11,500,000 ; mais comme les 4/10 de cette somme auront été payés pour des services à raison desquels la caisse n’avait pas reçu un seul centime, je déduis de ce chef, fr. 4,500,000

Et il me reste fr. 6,800,000 pour le chiffre des pensions que la caisse aurait dû payer, si son règlement ne contenait pas des dispositions absurdes.

Je passe maintenant aux ressources au moyen desquelles il fallait faire face à cette dépense.

L’on a réellement payé fr. 11,300,000

Sur cette somme, le trésor a fourni fr. 6,100,000

De sorte que la caisse a payé par ses propres ressources fr. 5,200,000.

A ces ressources, rassemblées depuis 1830, il faut ajouter ce qu’on a reçu de la Hollande du chef de l’actif créé avant la révolution, fr. 900,000

Et l’on arrive ainsi à fr. 6,100,000, somme exclusivement formée par les employés, sans le moindre concours du gouvernement.

Maintenant je compare entre eux, d’un côté, cet actif de la caisse, fr. 6,100,000, et d’un autre côté , la dépense que je viens de réduire au chiffre de 6,800,000, et je trouve une insuffisance de fr. 700,000

Si donc le règlement ne contenait que des dispositions rationnelles, on aurait eu assez de ressources pour payer pendant l’espace de douze ans, toutes les pensions des employés, des veuves et des orphelins, sauf une insuffisance de 7 à 800,000 francs, qui résulte probablement d’irrégularités commises dans la collation des pensions, tant avant la révolution que depuis.

Cette insuffisance de 7 à 800,000 francs correspond assez bien aux résultats constatés en 1835 par la commission de révision. Elle a trouvé, en effet, que la masse des pensions révisées par elle était susceptible d’être diminuée d’un quinzième environ, du chef de l’application irrégulière du règlement, et si l’on rend le quinzième des 11,300,000 fr. payés pendant les douze dernières années, on arrive précisément à une somme de 7 à 800,000 fr.

Vous voyez, au reste, que le déficit énorme de la caisse provient bien moins de ces irrégularités que des dispositions absurdes du règlement qui, en 12 ans, ont absorbé une somme de 4,500,000 fr. environ.

L’honorable M. Verhaegen est de nouveau venu vous parler des droits acquis qu’on enlève aux employés et à leurs veuves.

Messieurs, j’ai dit que ces droits étaient illusoires dans l’état actuel des choses et l’honorable membre en est convenu ; il aurait été difficile en effet de le nier car il n’y a plus rien dans la caisse.

Mais, dit l’honorable membre, les veuves de ces employés sont sacrifiées.

Je lui ai déjà répondu dans une séance précédente, que, selon moi, la loi sera une excellente affaire pour tous les intéressés ; plusieurs fonctionnaires supérieurs qui connaissent parfaitement la situation des choses sont venus me dire qu’ils partageaient mon opinion, qu’ils étaient étonnés du langage tenu par l’honorable M. Verhaegen, et que ce langage, s’il venait à être pris en considération par la chambre, nuirait à leurs intérêts.

Mais supposons que ces employés supérieurs n’aient pas compris leur intérêt ; supposons que moi-même je sois complètement dans l’erreur. Eh bien, je l’ai déjà dit, je suis tout prêt à conserver aux employés du département des finances la position qu’ils ont aujourd’hui ; qu’on les laisse en dehors de la loi actuelle, qu’on leur abandonne leur caisse ; qu’on leur donne leur subside de 30,000 francs par an ; que l’on fasse calculer par une commission le tort que le gouvernement a pu faire à la caisse par des admissions anticipées à la retraite, par de fausses applications du règlement, et qu’on accorde de ce chef une indemnité ; je vais plus loin : qu’on leur donne un subside annuel non de 30,000 francs ou 30,000 florins, mais de 100,000 francs ; qu’on aille même plus loin, s’il le faut encore, et l’Etat fera une excellente affaire, en laissant aux employés des finances leur caisse de retraite avec les charges de cette caisse et avec tous les droits que le règlement de 1822 leur accorde sur ce fonds tant pour eux que pour leurs veuves et orphelins. Nous paierons l’indemnité et le subside annuel et nous ne nous en inquiéterons plus.

M. de Garcia. - Messieurs, une retenue sur les traitements des fonctionnaires peut-elle être imposée par la loi ?

M. le président. - Cette question se présentera à l’art. 35.

M. de Garcia. - J’aurai l’honneur de faire remarquer que les observations que je veux présenter se rattachent à l’art. 33, à certains égards ; et que dans l’ordre de mes idées, j ai à examiner (le principe ayant été contesté), si la loi peut imposer une retenue forcée aux fonctionnaires.

M. le président. - Cette discussion ferait double emploi avec celle qui aura lieu sur l’art. 35.

M. de Garcia. - Je me bornerai dès lors à faire une simple interpellation au gouvernement ; je lui demanderai si les caisses de retraite qu’il s’agit d’établir, en vertu du projet de loi, seront établies pour chaque département, ou si l’on pourra réunir deux départements différents, pour former une seule caisse.

M. Verhaegen. - Messieurs, je suis d’accord avec les honorables préopinants qu’il convient de réserver ce qui concerne la caisse de retraite jusqu’à la discussion des art. 63 et 64 ; je me bornerai donc, pour le moment, à m’occuper de l’art .33.

Je persiste à dire que le système qu’on nous propose est un système injuste. J’ai présenté dans une précédente séance des observations qui ont fait ressortir cette injustice et on n’y a pas répondu. Il est bon d’être prévoyant même dans l’intérêt d’autrui ; mais il ne faut pas que, sous prétexte de prévoyance, on enlève aux uns pour donner sans raison aux autres.

On veut que tous les fonctionnaires, sans exception, soient forcés de subir une retenue sur leurs appointements.

M. le président. - M. Verhaegen, ces observations s’appliquent à l’art. 35, où il est question de savoir si la retenue sera forcée ou volontaire.

M. Verhaegen. - J’attaque le système général, en prenant pour point de départ l’art. 33. Du reste, je n’ai plus qu’une seule observation à faire ; elle répond à une objection de l’honorable rapporteur.

Je suppose dans une même administration deux employés assis l’un à côté de l’autre. Ils ont les mêmes appointements. L’un est pauvre, et parce qu’il est pauvre, il ne s’est pas marié ; car il a un père dans la misère et il doit pourvoir à ses besoins, l’autre est riche, il s’est marié, il a femme et enfants.... Eh bien, d’après le projet de loi, ces deux employés subiront la même retenue, avec cette différence dans les résultats que si le pauvre meurt, son malheureux père n’obtiendra rien, tandis que le riche laissera une pension à sa veuve et à ses orphelins, et cette pension aura été faite avec les deniers du pauvre ! Voilà le système de la loi, voilà l’injustice qu’elle renferme mise à nu.

Je n’en dirai pas davantage, messieurs ; une loi qui entraîne de pareilles conséquences, ne peut pas recevoir mon approbation,

D’un autre côté, je me suis plaint de ce que, tout en décrétant un principe, on ne faisait rien au fond ; en effet, on veut faire une loi et on se borne à présenter un cadre entièrement vide. On force les fonctionnaires à subir une retenue sur leurs traitements et on abandonne tout le reste à la merci du pouvoir exécutif !

Si les caisses de prévoyance sont si utiles, si on veut parer aux inconvénients d’autrefois, qu’on ait donc le courage de présenter un projet de loi organisant ces caisses avec toutes les garanties que commandent les circonstances.

Et ici, je me permets de prendre acte et des paroles de l’honorable M. Malou et de celles de l’honorable M. Donny. Il s’agit, il est vrai, de la caisse de retraite, mais l’objection se rattache à l’art. 33. L’honorable M. Malou et, après lui, l’honorable M. Donny ont dit que le système de 1822 était un système vicieux, et que c’est à ce vice qu’est dû le désastre dont les fonctionnaires publics sont aujourd’hui la victime.

Les pensions ont été trop fortes, et les retenus étaient trop faibles, a dit l’honorable M. Malou. Le système de 1822 contenait des vices et des absurdités financières, a dit l’honorable M. Donny. Eh bien, s’il en est ainsi, comment veut-on laisser l’organisation des nouvelles caisses à l’arbitraire de ce même pouvoir exécutif qui naguère a commis des fautes si grossières ?

Comment veut-on lui faire l’abandon d’une prérogative si importante et si nécessaire à raison des précédents abus ? Quoi, on reconnaît les vices de l’organisation faite par le gouvernement en 1822, et on va s’exposer aux mêmes inconvénients en suivant une marche semblable en 1844. Les ministères qui se succéderont seront-ils plus infaillibles que les ministères précédents ? D’où vient donc aujourd’hui ces excès de confiance ?

Messieurs, comme je le disais tantôt, au lieu de nous présenter un ensemble de loi, on nous présente un cadre dans lequel le gouvernement placera tout ce qui lui plaira. Vous voyez qu’il n’a pas fallu pour cela grand effort d’imagination : on force les fonctionnaires à une retenue et on abandonne le sort de cette retenue au pouvoir exécutif ; c’est une association de camarades, c’est une société, un contrat aléatoire, disait, il n’y a qu’un instant, l’honorable M. Malou. Singulière association que celle dans laquelle certains individus sont tenus à des obligations très onéreuses qui ne seront peut-être compensées par aucun avantage. Singulière association que celle dont le sort dépend du bon vouloir du gouvernement ; quant à moi, je ne la sanctionnerai pas par mon vote.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Je comprendrais l’honorable préopinant s’il venait vous dire: j’admets comme utile l’institution de la caisse des veuves et des orphelins, mais je trouve qu’il faut dans l’indication des bases aller plus loin que le projet de loi, qu’il faut ajouter aux bases indiquées, d’autres bases encore. Je comprendrais ce langage. Je suis très embarrassé pour deviner la pensée de l’honorable membre. Je ne sais si en principe il est contraire à l’institution de toute caisse de veuves et d’orphelins.

M. Verhaegen. - Non, si c’est facultatif.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - S’il trouve que la loi n’a pas indiqué assez de bases alors qu’il veuille bien se joindre à nous pour l’indication de bases offrant des garanties plus nombreuses.

M. Verhaegen. - Ce n’est pas à moi à faire votre loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je sais que ce n’est pas à vous seul à élaborer la loi, mais nous faisons une loi en commun, nous pourrions compter sur votre coopération si vous étiez d’accord avec nous sur le principe.

Nous établirions une caisse non seulement pour chaque département, mais pour chaque catégorie de fonctionnaires. Nous indiquons dans la loi certaines bases ; si on trouve qu’elles ne présentent pas assez de garanties, qu’on en ajoute d’autres. On prévoit, messieurs, de grands excès de pouvoir de la part du gouvernement. Chacun de vous devine comment ces caisses s’institueront. Le gouvernement formera, pour chaque caisse à instituer, une commission. C’est cette commission qui, composée de fonctionnaires des catégories appelées à former une caisse, préparera les règlements qui devront être convertis en arrête royal. Voilà comment les choses se sont passées chaque fois qu’il s’est agit d’instituer une caisse de veuves et d’orphelins.

Il y a une loi où l’on a été moins défiant que dans celle-ci envers le gouvernement. Ainsi l’art. 27 de la loi du 23 septembre 1842 se borne à dire que le gouvernement continuera à instituer des caisses pour les veuves et les orphelins des instituteurs. Voici comment on s’y est pris pour rédiger ces règlements. La députation a convoqué une réunion d’instituteurs appartenant à diverses conditions. Ils ont rédigé un premier projet qu’ils ont soumis à la députation. Après avoir été revu par elle, ce projet a été renvoyé à cette réunion, puis soumis au gouvernement, qui y a fait ses observations, et on a fini par avoir un projet complètement élaboré qui, en dernière analyse, a été l’ouvrage commun de la députation de la réunion d’instituteurs et du gouvernement. C’est ainsi qu’on a procédé. Personne n’a soulevé de réclamations contre le règlement général appliqué aujourd’hui aux instituteurs des neuf provinces du royaume. La loi avait été plus loin que celle-ci. Elle n’avait indiqué aucune base. Aujourd’hui, au contraire, nous en indiquons ; si on trouve qu’elles ne sont pas suffisantes, qu’on en propose d’autres.

M. de Garcia. - Ce que vient de dire M. le ministre de l’intérieur pourrait, je crois, me dispenser de renouveler l’interpellation que déjà j’ai adressée au gouvernement ; des paroles prononcées par M. le ministre de l'intérieur, il me semble résulter qu’une caisse de retenue au moins sera constituée à chaque département. Si telle n’était pas la pensée du gouvernement, je combattrais la mesure. On a dit que l’art. 37 décidait la question dans le sens que je désire. Cela ne me paraît nullement établi, et loin de là, c’est qu’aux termes de cet article, il est évident que le gouvernement, à cet égard, fera tout ce qu’il voudra. L’art. 37 dit que le gouvernement organisera les caisses de pensions en réunissant les fonctionnaires qu’on jugera à propos de rattacher à une même caisse. Il ne dit nullement qu’il ne réunira pas les employés de deux départements pour une même caisse. Un ordre de choses semblable, pourtant, pourrait être désastreux, pour certaine catégorie de fonctionnaires. Supposons, par exemple, qu’une caisse commune soit constituée pour les fonctionnaires de l’ordre judiciaire et ceux du département des affaires étrangères : l’ordre judiciaire serait appelé à pourvoir par des retenues considérables, aux grosses pensions des veuves et des orphelins des fonctionnaires du département des affaires étrangères, ce serait souverainement injuste, d’autant plus que l’ordre judiciaire est très mal payé et que par une conséquence nécessaire, les veuves et les orphelins de ces magistrats jouiront de pensions très modiques. Quant moi, je ne consentirai jamais à ce que la loi laisse au gouvernement une faculté semblable.

Je ne veux pas qu’on fasse des magistrats, des camarades des fonctionnaires du département des affairez étrangères au point de vue des pensions ; je pourrais citer encore d’autres fonctionnaires, des fonctionnaires d’autres départements entre lesquels il serait injuste d’établir des relations de camarade pour concourir à alimenter une caisse commune pour les pensions des veuves et des orphelins. Par une association semblable, les uns paieraient beaucoup pour recevoir peu de chose et les autres paieraient peu pour recevoir beaucoup. Il faut donc qu’il soit parfaitement reconnu qu’une pareille association ne pourra avoir lieu dans aucun cas.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il ne faut pas supposer des choses invraisemblables, je ne veux pas me servir d’un autre mot. Comment supposer la création d’une caisse commune à deux ordres de fonctionnaires aussi différents que la magistrature et les agents des affaires étrangères ? Sur quoi fonde-t-on cette supposition ? Cite-t-on un précédent à l’appui d’une invraisemblance de ce genre ? A-t-on institué une caisse commune pour tous les employés ? Non ; on a institué plusieurs caisses ; on a compris dans une caisse les ingénieurs des ponts et chaussées, dans une autre on a compris les ingénieurs des mines, dans une autre, les employés du chemin de fer ; on a établi une quatrième caisse pour la marine, qui alors était dans les attributions du ministre des travaux publics, une cinquième pour le pilotage. Ces cinq caisses ont été successivement instituées.

Jamais il n’est entré dans les intentions du ministre qui avait ces attributions, de réunir, d’amalgamer ces catégories de fonctionnaires.

Je vous cite cinq caisses pour un même département. Ce n’est pas tout, elles n’ont jamais été instituées que d’après des projets élaborés sous la direction du chef du département par une commission composée de fonctionnaires appartenant à tous les rangs de ceux qui devaient concourir à la caisse. Si le gouvernement procédait d’une autre manière, ce ne serait plus un bienfait, la magistrature protesterait contre l’institution d’une caisse commune à elle et au corps diplomatique. Ainsi les objections tirées de la supposition qu’on ferait une caisse commune à des catégories de fonctionnaires n’ayant rien de commun, dont les traitements et les charges sont différents, tombent, car c’est supposer des choses invraisemblables ; car il n’en sera pas ainsi. Le gouvernement procédera comme l’ancien ministre des travaux publics.

M. Malou, rapporteur. - Je ferai remarquer que c’est à l’art. 37 que nous pourrons discuter la question de savoir s’il devra y avoir plusieurs caisses par département ministériel ou si on pourra opérer une fusion de plusieurs catégories de fonctionnaires d’ordres différents. Je ne veux pas prolonger maintenant cette discussion ; j’y reviendrai quand nous en serons à l’art. 37. Sans cela il serait impossible d’en sortir.

M. Orts. - Remarquez bien, messieurs, que dans ce moment, nous votons sur la question de savoir si, oui ou non, on établira une caisse de retraite pour les veuves et les orphelins. M. le ministre dit : Il ne s’agit que de voir si cela sera avantageux ou non, vous n’avez à vous occuper que de cela. Mais pour juger si réellement cela présente des avantages, il y a plusieurs questions sur lesquelles il faut avoir toute satisfaction.

J’anticipe peut-être mais je ferai cette simple question.

Lorsque les titulaires en fonction auront versé dans la caisse des retraites pour les veuves et orphelins, est-il sûr que les veuves et orphelins auront toujours leur pension ? Je ferai remarquer que l’article 37 porte que les statuts organiques des caisses arrêtés par le roi détermineront les conditions d’admissibilité à la pension des veuves et orphelins, ainsi que les règles qui serviront à la liquidation de leur pension, d’où je tire la conséquence qu’il pourra exister des dispositions aux termes desquelles, dans un cas donné, les veuves et orphelins n’auront pas de pension. Je demanderai si, dans l’opinion du ministère, les veuves et orphelins ne doivent avoir leur pension que s’ils sont dans le besoin. Je ferai remarquer que puisqu’il a été décidé que la question de fortune ou de besoin ne serait pas prise en considération pour les fonctionnaires mêmes, à plus forte raison doit-il en être de même pour les veuves et orphelins, car les fonctionnaires verseront à la caisse des retraites pour que leurs veuves et orphelins obtiennent une pension. Il y a là une espèce de contrat. Il me semble donc que les veuves et orphelins doivent toujours avoir droit à une pension.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Assurément.

M. Orts. - Cependant l’article parle de conditions d’admissibilité. Ce n’est donc relatif qu’au taux des pensions. Quoique ce soit assez sérieux, c’est moins important que la question de savoir s’il sera permis de refuser une pension à des veuves et orphelins.

S’il pouvait dépendre du gouvernement de refuser une pension à des veuves et orphelins, je préférerais qu’il ne fût pas établi de caisse des retraites.

(Erratum au Moniteur n°80 du 20 mars 1844 :) Il est évident que les conditions d’admissibilité ne peuvent être subordonnées à des conditions de fortune personnelle. Cela ne se fait pas. Les caisses qui existent ne sont pas instituées d’après ce principe.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les conditions d’admissibilité dont parle l’article 37 se rapportent à d’autres faits que ceux relatifs à la fortune personnelle. Si l’article n’est pas clair ou pourra le rendre plus précis quand nous y serons arrivés. Il y aura des arrêtés royaux portant institution de chaque caisse. Ils seront préparés par des commissions. Ces commissions ne serons pas composées par des magistrats appartenant tous aux mêmes corps. Il s’y trouvera des membres de la cour de cassation, des cours d’appel, des tribunaux de première instance et des justices de paix. C’est ainsi qu’on a toujours procédé chaque fois qu’il s’est agi d’instituer des caisses de prévoyance, c’est ainsi que pour la caisse de pilotage on a formé une commission où il y avait de simples pilotes. Voilà comme on agira pour la magistrature. Je n’hésite pas à dire que le gouvernement agira de manière à ne pas s’attirer une protestation de la magistrature.

- L art. 33 est mis aux voix et adopté.

Article 34

« Art. 34. Ces caisses seront alimentées au moyen de retenues faites sur les traitements et suppléments de traitement.

« En aucun cas, elles ne pourront être subsidiées par le trésor public. »

- Adopté.

Article 35

« Art. 35. Tous les magistrats, fonctionnaires et employés, rétribués par le trésor public, ainsi que les ministres des cultes désignés à l’art. 33, contribueront à la caisse qui leur sera assignée. »

M. Jonet. - Je demanderai au gouvernement et à la section centrale s’ils entendent forcer les magistrats à verser à la caisse des retraites, avant que leurs traitements aient été augmentés, conformément au projet de loi. S’il en était ainsi, je déclare que je voterais contre l’article et contre la loi.

M. Malou, rapporteur. - Plus que personne je regretterais le retard apporté à l’amélioration du sort de la magistrature. J’espère que ce retard, parce qu’il a été très long, ne le sera plus guère ; mais il est impossible, ce me semble, de subordonner ces améliorations d’avenir à un retard dans l’amélioration du sort de la magistrature. Dans l’intention de la section centrale, les magistrats, comme tous les autres fonctionnaires, seraient immédiatement compris dans l’art. 35.

M. Coghen. - Je partage entièrement l’opinion de l’honorable député de Nivelles. Il me semble impossible qu’on puisse aujourd’hui sur des traitements reconnus insuffisants, obliger les magistrats à verser dans une caisse de pension pour leurs veuves et orphelins. Au moins faudrait-il, à mon avis, qu’on subordonnât cette mesure à l’adoption du projet de loi relatif à l’augmentation des traitements des membres de l’ordre judiciaire. De cette manière, on serait équitable. On est généralement d’accord que les traitements sont insuffisants ; dès lors comment retrancher sur ces traitements de quoi fournir à une caisse pour des veuves et orphelins ? Ce serait rendre plus pénible encore la position pénible déjà de la magistrature.

(Erratum au Moniteur n°80 du 20 mars 1844 :) M. Orts. - La difficulté est sérieuse en ce qui concerne la magistrature, car outre l’inamovibilité de l’ordre judiciaire, tel qu’elle est décrétée par la constitution, il existe, quant à cet ordre, une circonstance particulière. On a dit : quoi que vous fassiez, les traitements seront toujours insuffisants ; cependant on a protesté contre les inductions qu’on pourrait tirer de cette phrase relativement à cette classe de fonctionnaires, mais une chose bien singulière selon moi c’est que (erratum Moniteur n°80 du 20 mars 1844 :) quoique la vie soit devenue beaucoup plus coûteuse ; depuis 1830 la magistrature, loin de recevoir une augmentation, a subi une véritable diminution de traitement. Je vous prie de ne pas le perdre de vue. Les conseillers à la cour d’appel, outre leur traitement de 5,000 fr., avaient droit à une indemnité de service pour les fonctions de juges en cassation qu’ils remplissaient. Ces indemnités de service étaient de (erratum Moniteur n°80 du 20 mars 1844 :) 500 fl. Aujourd’hui les conseillers des cours d’appel en sont privés et ils ont perdu ainsi une partie notable de leur traitement.

C’est en présence d un état pareil qu’il s’agit dès aujourd’hui de faire subir une forte retenue à la magistrature, spécialement à la magistrature d’un ordre supérieur. Vous savez combien cela sera pénible pour cette classe de fonctionnaires. On dit : Mais quelques mois peut-être seulement nous séparent du moment où la loi d’augmentation des traitements de la magistrature sera votée. Fasse le ciel qu’il n’y ait qu’un retard de quelques mois ; j’espère qu’il en sera ainsi ; mais si cette loi n’était pas admise, que deviendrait la magistrature, qui, des aujourd’hui, serait soumise à une retenue pouvant aller jusqu’à 5 p. c., et cela dans la position où elle se trouve et où je n’entrevois plus d’amélioration si, ce qu’à Dieu ne plaise, le projet de loi dont je viens de parler était rejeté.

Je pense, avec l’honorable préopinant, que pour la magistrature il serait bien plus inconvenable de rendre la retenue tout au moins facultative jusqu’au vote de ce projet de loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Personne plus que moi, sans doute, ne reconnaît combien est urgente et désirable l’augmentation des traitements de l’ordre judiciaire, mais d’un autre côté il n’est pas moins urgent, il n’est pas moins désirable, de s’occuper de la position quelquefois si malheureuse des veuves des magistrats. L’expérience de tous les jours prouve la nécessité d’assurer un sort à ces veuves forcées maintenant de venir annuellement solliciter des secours. Il faut que cet état de choses cesse. L’intérêt, la dignité de la magistrature le commandent.

Malgré l’insuffisance des traitements actuels de magistrats et le désir que j’ai de les voir augmenter, je pense qu’il convient de leur imposer le nouveau sacrifice d’une légère retenue, pour que le sort de leurs veuves et orphelins soit ainsi assuré.

Je vais plus loin, je pense que si même la loi sur l’augmentation des traitements de l’ordre judiciaire était rejetée ou ajournée (j’espère bien qu’il n’en sera pas ainsi), il faudrait néanmoins maintenir la caisse que vous allez créer et que les magistrats, malgré la modicité de leurs traitements, devraient être obligés d’y contribuer ; sans cette obligation, il est à craindre qu’ils ne fassent guère d’économie sur leur modique traitement, et que des magistrats sauf fortune personnelle ne laissent dans le besoin leurs veuves et leurs enfants.

Je le répète, la situation réellement affreuse dans laquelle se trouvent plusieurs veuves de magistrats doit nous engager à faire cesser si un triste état de choses. Chaque année plusieurs veuves de magistrats qui ont rempli une honorable carrière sont forcées de renouveler leur demande de secours, pour lesquels on portait annuellement au budget 10,000 fr., somme qui a été, cette année, augmentée, sur ma demande, de 2,000 fr. Cette somme est répartie en secours de 200 à 300 fr, que des veuves de magistrats sont obligées de venir solliciter comme une aumône.

M. Verhaegen. - Il peut être très convenable de venir au secours des veuves et orphelins des magistrats ; mais il est aussi et avant tout très convenable d’assurer l’existence des magistrats eux-mêmes. Je ne veux pas répéter à cet égard les considérations que j’ai fait valoir naguère pour prouver qu’il n’y aura pas de véritable indépendance pour la magistrature aussi longtemps qu’elle ne sera pas mieux rétribuée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Avant de songer à ceux qui viendront après, il faut songer à ceux qui existent. La retenue peut être de 5 p. c. Ainsi à des juges des tribunaux de troisième ou quatrième classe, qui ont peine le nécessaire, vous allez retrancher le vingtième de leurs appointements : ce sera aggraver encore leur position.

Quant aux paroles qui ont été prononcées en faveur de la magistrature, quant aux promesses si souvent renouvelées de faire droit enfin à de justes réclamations, je sais qu’en penser. Tous les ans, c’est la même chose. Dans le discours du trône même, des promesses semblables ont été faites et comme toutes les autres elles sont restées vaines. Tous les prétextes pour retarder l’exécution ont été mis en avant ; ainsi on a prétendu que l’état du trésor ne permet pas cette augmentation de dépense. Qu’ai-je fait en réponse à cette objection ? J’ai prouvé qu’il y avait moyen de pourvoir à cette dépense sans grever le trésor, en faisant payer l’augmentation par ceux qui avaient besoin de l’administration de la justice. J’ai proposé 4 centimes additionnels aux droits de greffe, etc. On les a pris parce qu’ils étaient bons à prendre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce n’est pas l’honorable membre qui a fait cette proposition.

M. Verhaegen. - C’est moi qui le premier en ai fait la proposition, le Moniteur en fait foi. On s’est emparé des mes voies et moyens et on les a jetés dans le gouffre du budget !

Dans cet état de choses, je crois devoir formuler dans l’amendement ci-après l’opinion émise par mes honorables amis MM. Jonet, Coghen et Orts :

« Sont exempts de la retenue les magistrats de l’ordre judiciaire, jusqu’à ce qu’il ait été pourvu à l’amélioration du sort de la magistrature. »

Si quelques-uns de mes honorables collègues jugent à propos d’y ajouter les magistrats de l’ordre administratif, j’y donnerai mon assentiment dans l’espoir que l’amendement aurait plus de chance de succès.

M. Malou, rapporteur. - Il est de l’intérêt de la magistrature de ne pas demander d’exemption.

M. Jonet. - La magistrature préfère que l’on ne s’occupe pas d’elle.

M. Malou, rapporteur. - Mais si de bonnes raisons peuvent être données, je suis certain qu’elle les approuvera.

Je dis qu’il est de l’intérêt de la magistrature de constituer immédiatement la caisse des retraites, parce que ce n’est autre chose qu’un contrat aléatoire entre tous les magistrats. Ainsi un magistrat, au moyen d’une retenue d’un jour, de six semaines peut-être, est assuré de laisser une pension à sa veuve et à ses orphelins. C’est là un très grand intérêt.

L’article 57 porte :

« Art. 57. Les pensions prennent cours à dater du 1er du mois qui suit le décès. »

Il ne s’agit que des veuves des magistrats dont le décès aura lieu après que la caisse sera constituée.

L’exception qu’on propose n’aurait donc d’autre effet que d’ajourner un bien-être ; car si l’institution est bonne, il ne faut pas la différer ; si elle est mauvaise, il ne faut pas l’établir.

- L’amendement de M. Verhaegen est mix aux voix ; il n’est pas adopté.

L’art. 35 est mis aux voix et adopté.

Article 36

« Art. 36. L’avoir des caisses de pensions, sauf les sommes nécessaires pour le service courant, sera placé en rentes sur l’Etat ou en obligations du trésor. »

M. Malou, rapporteur. - Je n’ai qu’une seule observation à présenter sur cet article. Je désire que le gouvernement prenne en considération le vœu exprimé dans le rapport de la section centrale, c est-à-dire qu’il fasse inscrire et immobiliser les capitaux anciens des caisses. D’après l’état qui nous a été remis pour la caisse du pilotage, cette caisse possède une inscription nominative de 240,000 florins à 2 1/2 et 347,000 francs en fonds au porteur.

Les caisses qui vont être fondées seront très nombreuses. Dans les premières années, leur actif s’accroîtra ; il est à désirer que les fonds soient inscrits et immobilisés au nom de ces caisses.

Je recommande ce point à l’attention du gouvernement.

- L’art. 36 est mis aux voix et adopté.

Article 37

« Art. 37. Les statuts organiques des caisses, arrêtés par le Roi et insérées au Bulletin officiel, détermineront :

« 1° Les fonctionnaires ressortissant à une même caisse ;

« 2° Le taux des retenues à prélever sur les traitements et suppléments de traitement, d’après les bases indiquées au chapitre suivant ;

« 3° Les conditions d’admissibilité à la pension des veuves et orphelins, ainsi que les règles qui serviront à la liquidation de leurs pensions ;

« 4° Les cas de déchéance ;

« 5° Le mode d’administration des caisses. »

M. Verhaegen. - Je disais tantôt que nous ne faisons rien que dire que tous les fonctionnaires seront tenus à souffrir un prélèvement. Les conditions d’admissibilité, les règles qui serviront à la liquidation, les cas de déchéance et le mode d’administration, c’est tout c’est ce que devait régler la loi. Je conçois que la section centrale ait trouvé plus facile de renvoyer tout cela au pouvoir exécutif ; mais cette manière de procéder ne nous donne aucune garantie. Je demande s’il ne conviendrait pas de dire que les statuts organiques seront soumis à l’approbation de la législature. Pourquoi ne pas régler par une loi un contrat forcé qui doit avoir les plus graves conséquences ? Vous nous avez dit, vous avez répété que le règlement de 1822 a amené des inconvénients, qu’il y avait trop d’un côté et pas assez de l’autre ; que c’était une absurdité financière ; et vous allez abandonner cette matière à l’arbitraire du pouvoir exécutif, qui pourra se tromper en 1844, aussi bien qu’en 1822. Si cela n’est pas réglé par la loi, que ses statuts organiques soient au moins soumis à l’approbation de la législature.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si la législature devait être appelée à approuver les statuts organiques des caisses de prévoyance, on lui réserverait un travail énorme ; il y aurait certainement une douzaine de caisse de pensions ; on vous soumettrait donc une douzaine de statuts organiques. Je crois qu’il ne faut pas engager la législature dans un travail de ce genre, d’autant plus que ce serait sans nécessité.

Les statuts organiques des caisses seront élaborés par des commissions de membres pris dans chaque catégorie de fonctionnaires ou de magistrats : ces statuts organiques ainsi préparés seront en quelque sorte homologués par un arrête royal. Voilà comment ces statuts organiques trouvent place dans le Bulletin officiel. Est-il nécessaire de dire dans la loi qu’ils seront ainsi préparés par des commissions ? non, cela ne peut être inséré dans la loi ; la déclaration du gouvernement doit suffire. Jamais il n’en a été autrement ; c’est ainsi qu’on a agi pour les caisses maintenant établies. Le gouvernement se gardera bien d’avoir une autre conduite à l’égard de la magistrature.

C’est par des commissions composées de chaque catégorie de fonctionnaires, y compris les pilotes, que le gouvernement a fait préparer jusqu’à présent les statuts organiques ; évidemment il maintiendra ce système pour la magistrature, placée bien plus haut que tous les fonctionnaires pour lesquels il s’est agi jusqu’à présent d’établir des caisses de prévoyance.

Pour l’établissement d’une caisse de ce genre, c’est le conseil des ponts et chaussées, auquel avaient été adjoints plusieurs ingénieurs qui n’en font pas partie ordinairement, que les statuts ont été préparés. On agira de même pour les cours et tribunaux.

M. Orts. - Il faut nécessairement que je revienne sur le § 3 de l’art. 37. car je n’ai pas du tout mes apaisements sur le sens de ce paragraphe : « Les conditions d’admissibilité à la pension des veuves ou orphelins » Ces mots se traduisent naturellement de cette manière-ci : La question de savoir si une veuve ou un orphelin est admissible, c’est-à-dire, a droit à la pension ; mais je prétends, moi, que pourvu que le fonctionnaire ait versé à la caisse pendant sa vie, sa veuve a droit à la pension, qu’elle soit riche ou qu’elle soit pauvre, qu’elle appartienne à telle classe de la société ou qu’elle appartienne à telle autre. Je ne me fais donc pas une idée de ce que peuvent être les conditions d’admissibilité ; je conçois qu’il y ait à régler le taux de la pension, mais quant à l’admissibilité, il me paraît qu’il suffit que l’époux ou le père ait versé pour que la veuve ou les orphelins soient nécessairement admis. D’après cela, messieurs, j’aurais pense qu’une partie de ce § 3 était inutile ; qu’il suffisait de dire : « Les règles qui serviront à la liquidation de leurs pensions. »

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Il peut se présenter plusieurs cas où, malgré les versements effectués par le fonctionnaire, la veuve n’ait pas droit à la pension ; je vais citer un de ces cas qui est prévu par tous les règlements qui attribuent des pensions aux veuves.

Il est arrivé que des fonctionnaires très âgés, complètement infirmes, épousassent une jeune femme pour lui donner une pension ; au décès du pensionnaire, après un an, six mois ou six semaines, une pension était ainsi frauduleusement acquise à sa veuve. Il est même arrivé que le mariage se faisait au lit de la mort. C’est, messieurs, ce qu’ont voulu prévenir les règlements. D’après le règlement-loi de 1822, il faut au moins 3 années de mariage pour que la veuve et les orphelins aient droit à la pension. Une condition analogue peut être introduite dans les règlements qui seront faits par les intéressés eux-mêmes comme on l’a fait observer tout à l’heure. Ces intéressés soumettront leurs propositions au gouvernement qui statuera sur ces propositions.

M. Malou, rapporteur. - Je ferai remarquer à l’honorable membre que les dispositions du titre II ne sont pas les seules qui s’occupent des pensions des veuves et orphelins ; le chapitre II du titre III s’occupe également de ces pensions. Il y a diverses règles à cet égard, il peut y avoir diverses causes de déchéance : quelques-unes de ces causes sont indiquées dans la loi, il en est d’autres que les statuts établiront, avec le concours des intéressés. La véritable question est celle qui a été indiquée par M. le ministre de l'intérieur : Est-il possible de voter ici les statuts de caisses de veuves et orphelins ? Il suffit avoir vu les statuts des caisses déjà établies pour reconnaître que cela est impossible, que la section centrale, suivant sur ce point ma proposiiton du gouvernement, devait se borner à poser quelques principes généraux.

J’ai déjà répondu à une observation de l’honorable M. Verhaegen que le faux calcul fait en 1822 provenait principalement de ce que l’on avait voulu faire servir par une seule caisse et au moyen d’une faible retenue les pensions des fonctionnaires et celles des veuves et orphelins, que nous faisions tout autre chose aujourd’hui et que le faux calcul de 1822 aura au moins cette utilité de nous en éviter un semblable, que le gouvernement, éclairé par l’expérience, ne commettra plus les fraudes qui ont été commises alors.

Ainsi, messieurs, la délégation que l’on propose de donner au gouvernement est nécessaire ; il est impossible de voter ici tous les détails des statuts de caisses de veuves et orphelins. Pour les conditions d’admissibilité par exemple, il y a une foule de distinctions à faire ; que l’on prenne le règlement de la caisse de retraite du chemin de fer, et on verra que, d’après l’équité et la justice et d’après la variété infinie des faits, il faut que le gouvernement fasse plusieurs distinctions. Si l’on pouvait supposer que le gouvernement, de concert avec les fonctionnaires eux-mêmes, qui seront consultés, fera tourner la loi contre le but qu’elle est destinée à atteindre, il faudrait, pour ainsi dire, abroger le pouvoir exécutif ; il ne faudrait plus donner au gouvernement le droit d’exécuter les lois, si vous supposiez qu’il va les exécuter tout à rebours. Ce qu’a fait le gouvernement jusqu’à présent en cette matière me rassure, car les caisses que le gouvernement a fondées sont parfaitement organisées, elles se portent admirablement bien.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, nous ne pouvons assez répéter cette déclaration-ci : le gouvernement n’imposera pas les statuts organiques des caisses de veuves aux diverses catégories de fonctionnaires ni à la magistrature, ce n’est pas abandonné à lui-même que le gouvernement fera ces statuts, ces statuts seront arrêtés par le roi, dit l’art. 37, mais nous ajoutons qu’ils seront préparés par des commissions, c’est ainsi que la chose s’est toujours faite. Ces commissions, messieurs, seront prises dans la magistrature pour ce qui concerne la magistrature ; elles seront composées de manière que chaque position, chaque rang y soit convenablement représenté. La commission de la magistrature ne seront donc pas prise exclusivement dans les cours d’appel, par exemple, ou dans la cour de cassation ; ce sera une commission mixte de magistrats, en ce sens que, depuis la cour de cassation jusqu’aux juges de paix, toute la hiérarchie se trouve représentée. C’est cette commission mixte, ainsi composée, qui préparera les statuts organiques, et je ne doute pas que les statuts organiques préparés par cette commission ne soient purement et simplement homologués par l’arrêté royal. Supposer le contraire, supposer que le gouvernement contrariera la magistrature, qu’il fera tourner contre elle le bienfait de la loi, c’est supposer que le gouvernement agisse d’une manière absurde.

Qu’on se défie du gouvernement mais qu’au moins la défiance soit justifiée par l’intérêt du gouvernement. Ici le gouvernement n’a aucun intérêt à tourner contre la magistrature le bienfait de la loi ; il a un intérêt tout contraire. Si la loi est adoptée, la législature aura voulu qu’elle soit un bénéfice. Eh bien, le gouvernement se mettrait en opposition avec la législature s’il agissait de la manière que ce bienfait dût amener en quelque sorte une protestation de la part de la magistrature.

J’ai rappelé comme on a agi à l’égard de simples administrations. On n’a jamais imposé des statuts organiques à des administrations, on ne l’a pas même fait à l’égard du chemin de fer. Les employés ont été consultés, on a constitué une commission où tous les rangs se trouvaient représentés, depuis les chefs de station jusqu’au plus simple employé ; c’est cette commission, ainsi formée, qui a présenté les statuts organiques. Je le demande, messieurs, lorsque le gouvernement a agi avec tant d’égards envers des administrations qu’il a complètement sous la main, ne tomberait-il pas dans la dernière inconséquence, ne se mettrait-il pas en contradiction avec lui-même, s’il venait à manquer d’égards à la magistrature ?

M. Orts - Messieurs, l’explication que l’honorable ministre des finances m’a donnée me rappellent une phrase prononcée un moment auparavant par M. le rapporteur de la section centrale. Cet honorable membre a dit qu’il s’agissait ici d’un contrat aléatoire, et il a ajouté que le fonctionnaire qui se marierait lorsqu’il n’a plus que quelques années à vivre ne profiterait pas du bénéfice de ce contrat. Mais depuis quand, messieurs, ce fonctionnaire a-t-il versé ? Il a commencé à verser lorsqu’il était encore dans le célibat ; il a versé à la caisse depuis l’émanation de la loi jusqu’à sa mort. Maintenant on examinera si la veuve et les orphelins de ce fonctionnaire sont admissibles à la pension. Mais à quel arbitraire cela ne va-t-il pas donner lieu. Il arrivera peut-être une fois sur mille qu’une fraude semblable à celle que l’on a signalée se commettra, et c’est pour un cas aussi rare que vous abandonnerez au pouvoir exécutif le droit de décider si dans telle ou telle circonstance on admettra à la pension la veuve et les orphelins d’un fonctionnaire qui a versé à la caisse depuis l’émanation de la loi jusqu’au jour de son décès.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, j’ai cité une disposition qui se trouvé dans le règlement actuel, mais je déclare que ce sera aux intéressés à décider eux-mêmes quelles seront les conditions d’admission. Si les magistrats préfèrent que, dans le cas dont il s’agit, la veuve soit admissible à la pension, ils devront prendre en considération que cette circonstance augmentera plus ou moins les charges qu’ils devront s’imposer pour alimenter la caisse. Dans tous les cas, ce sera aux intéressés eux-mêmes à se prononcer sur ces questions. Quant à moi, si j’avais à exprimer mon opinion personnelle dans une commission de l’ordre administratif, je demanderais que dans le cas dont il s’agit la veuve ne fût pas admissible à la pension.

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, l’honorable M. Orts me paraît avoir mal saisi ma pensée. J’ai invoqué la nature aléatoire du contrat pour établir l’intérêt qu’a la magistrature à voir instituer immédiatement les caisses de retraite. Quelles que soient les dispositions que l’on adoptera à l’égard de la magistrature, soit que l’on exige un certain nombre d’années de mariage pour que la veuve ait droit à la pension, soit qu’on s’abstienne de l’exiger, ce sera l’une des conditions du contrat aléatoire connu d’avance. Il me paraît d’ailleurs que cette question ne peut pas souffrir une longue discussion ; si des veuves qui ne sont pas sérieuses (on rit) (passez-moi l’expression) pouvaient avoir droit à une pension à charge de la caisse de retraite, cette caisse serait presque impossible ; un grand nombre de personnes se marieraient in extremis. (Réclamations.)

Je dis qu’on se marierait souvent à un âge fort avancé, seulement afin d’assumer une rente viagère à des personnes très jeunes, et que dès lors l’existence des caisses serait presque impossible.

Il sera très facile de démontrer à ceux qui participeront à l’organisation des caisses qu’il est de leur intérêt d’exiger quelques années de mariage, pour donner aux veuves des droits à la pension.

- L’article 37 est mis aux voix et adopté.

La chambre remet la suite de la discussion à demain à 1 heure.

La séance est levée à 5 heures moins un quart.