Accueil Séances
plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note
d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 31 janvier
1844
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétition relative à la traduction flamande des lois dans le Bulletin
officiel (Dedecker)
2) Projet de loi relatif à la
prescription des créances mentionnées à l’article 64 du traité du 5 novembre
1842
3) Interpellation relative à
l’arrêté du 1er janvier 1844, relative à l’orthographe flamande dans le
Bulletin des lois (d’Anethan,
Dedecker, de Roo, de Foere, Rogier, de Corswarem, Dumortier, Nothomb, Verhaegen)
4) Projet de loi instaurant un
droit d’enregistrement sur les actes de naturalisation (Malou)
5) Communication du gouvernement
confiant temporairement les compétences du ministre de la guerre au ministre
des affaires étrangères (Du Pont)
6) Explications portant sur
l’arrêté relatif au transit du bétail hollandais
7) Interpellation relative à
l’arrêté du 1er janvier 1844, relative à l’orthographe flamande dans le
Bulletin des lois (de Foere, Nothomb,
Cogels, Nothomb, Verhaegen, de Foere, Nothomb)
(Moniteur
belge n°33, du 2 février 1844)
(Présidence de M.
Liedts)
M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et 1/4.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la
séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Les membres du conseil communal d’Overhespen, présentent des observations contre le projet de
loi sur les céréales. »
« Mêmes observations du conseil communal de Neerhespen, Wanghe, Elixem, des propriétaires et cultivateurs de Berlo, Niel, Saint-Trond, Herke-Saint-Lambert,
Zepperen. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen
du projet.
_______________________
« Plusieurs imprimeurs et libraires, domiciliés à
Gand, demandent que l’arrêté royal du 1er janvier 1844, relatif à la traduction
du Bulletin officiel en langue flamande, ne soit pas rapporté. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion sur les
interpellations relatives à cet arrêté.
_______________________
« Plusieurs armateurs, négociants, fabricants,
cultivateurs et débitants de tabac de diverses villes et communes, présentent
des observations contre le projet de loi sur les tabacs. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le
projet de loi sur les tabacs.
_______________________
« Le sieur Coulon,
capitaine pensionné, prie la chambre de lui faire obtenir la pension qu’il a
demandée par sa requête du 12 novembre 1842. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Par message, en date du 30 janvier, le sénat informe
la chambre qu’il a adopté le projet de loi sur la police de la voirie.
Pris pour notification.
_______________________
M. Dedecker. - Messieurs, on vient de vous présenter l’analyse d’une pétition des
principaux imprimeurs de la ville de Gand. J’appelle l’attention spéciale de la
chambre sur cette pétition. C’est, je crois, la cinquième pétition relative à
la langue flamande qui arrive à la chambre. Les quatre premières n’ont pu être
analysées dans cette séance, parce que le bureau a éprouvé quelque répugnance à
vous en rendre compte à cause de certains termes un peu acerbes qui s’y
trouvent. Je respecte les susceptibilités du bureau, cependant il importe que
la chambre soit informée de l’existence de ces pétitions. L’une nous est
arrivée de Bruxelles, une autre d’Anvers ; deux viennent de Louvain. Elles sont
signées par les principaux littérateurs et instituteurs de ces trois villes ;
elles ont surtout pour but de justifier les tendances et l’esprit de notre
jeune littérature flamande, tendances et esprit que l’honorable M. de Foere a
si étrangement dénaturés dans une séance précédente.
PROJET DE LOI CONCERNANT LA
PRESCRIPTION DES CREANCES MENTIONNEES A L’ARTICLE 64 DU TRAITÉ DU 5 NOVEMBRE
1842
Second vote des articles et vote
sur l’ensemble du projet
M. le président. - Le
premier objet à l’ordre du jour est le second vote du projet de loi concernant
la prescription des créances mentionnées à l’art. 64 du traité du 5 novembre
1842.
Un amendement a été introduit à l’art. 1er. Il est
conçu en ces termes :
« Aucune réclamation relative aux créances des
autres catégories dont il est fait mention à l’art. 64 du traité conclu avec
les Pays-Bas, le 5 novembre 1842, pour la liquidation desquelles les parties se
sont pourvues en temps utile, ne sera admise après le même délai. »
- Personne ne réclamant la parole, cet amendement
est définitivement adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur
l’ensemble du projet.
49 membres prennent part au vote.
48 votent pour le projet.
1 vote contre.
En conséquence le projet est adopté ; il sera
transmis au sénat.
Ont voté pour : MM. de Villegas, Duvivier, Eloy de
Burdinne, Fallon, Goblet, Huveners, Lange, Lebeau, Lesoinne, Liedts, Lys,
Malou, Mercier, Nothomb, Orts, Osy, Peeters, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier,
Scheyven, Sigart, Simons, Thyrion, Troye, Van Cutsem,
Vandensteen, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII,
Cogels, de Baillet, de Chimay, de Corswarem,
Dedecker, de Foere, de Garcia de
A voté contre : M. Verhaegen
INTERPELLATION RELATIVE A L’ARRETE DU 1er JANVIER 1844, RELATIVE A
L’ORTHOGRAPHE FLAMANDE DANS LE BULLETIN DES LOIS
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, j’ai demandé la parole au commencement de la discussion pour
remettre la question sur son véritable terrain. Je n’ai pas envie, messieurs,
et la chambre probablement n’a pas plus envie que moi de traiter ici une
question littéraire, une question de grammaire. Je dois uniquement justifier
l’arrêté du 1er janvier 1844 au point de vue constitutionnel et je dois de plus
établir que, d’après les faits qui existaient, qui m’étaient connus, qui
avaient été recueillis au moment où l’arrêté a été porté, j’ai agi comme je
devais agir en le proposant à la signature du Roi.
Comme je l’ai déjà dit dans une précédente séance,
la loi du mois de septembre
La loi se borne à dire qu’il faut une traduction
dans cette langue, sans indiquer quelle est l’orthographe qu’il convient de
suivre. Il donc évident que, dès qu’une traduction flamande est faite, la loi
est exécutée et qu’en faisant procéder à cette traduction, quelle que soit
l’orthographe adoptée, le ministre n’a fait qu’exécuter la loi et remplir la
mission qui lui est confiée.
L’on ne soutiendra sans doute pas que j’aurais dû
m’adresser à la chambre pour lui demander quelle orthographe je devais adopter.
L’honorable M. de Foere, pour combattre la
constitutionnalité de l’arrêté du premier janvier 1844, prétend que, loin
d’exécuter la loi, j’y ai contrevenu. Il vous dit : la constitution, art. 23,
porte que l’emploi des langues usitées en Belgique est réglé par la loi. La loi
de
En s’exprimant ainsi, l’honorable M. de Foere,
messieurs, a présenté la question sous un jour inexact. Ce n’est pas ici une
question entre la langue flamande et la langue hollandaise, c’est uniquement
une question entre deux orthographes de la même langue.
Et ici, messieurs, je dois protester de la manière
la plus énergique contre cette allégation de l’honorable M. de Foere, que mon
intention, en proposant au Roi l’arrêté du premier janvier 1844, aurait été
d’introduire la langue hollandaise à la place de l’idiome flamand. Cette
intention n’a jamais été et ne pouvait être la mienne. L’orthographe qui a été
adoptée n’est point l’orthographe hollandaise. Quelques ressemblances existent,
il est vrai ; mais cela n’est pas étonnant, vu l’origine commune des deux
langues ; néanmoins il y a des différences notables, des différences
essentielles entre l’orthographe hollandaise et l’orthographe de la commission.
Je demanderai de plus si la langue consiste uniquement dans l’orthographe, si
l’on ne tient aucun compte du génie de la langue, de la tournure et de la
construction des phrases.
Et je dirai que, quant à tous ces points, l’arrêté
de 1844 n’a rien innové. L’arrête de 1844 s’est borné à adopter pour la
traduction du Bulletin officiel des
règles qui avaient été indiquées par une commission nommée par le gouvernement
et qui avaient été sanctionnées par une assemblée de littérateurs, tenue à
Anvers, et ensuite par le Tael-Congres de Gand.
Voilà uniquement ce que j’ai fait. Je me suis borné
à déclarer que cette orthographe serait celle suivie par moi, mais je n’ai pas
prescrit aucune innovation, aucun changement, quant à la rédaction même, qui
continuera a être purement flamande, et laissera subsister les différences
spéciales qui séparent le dialecte flamand du dialecte hollandais.
M. de Foere. - Je demande la parole.
M. de Corswarem. - Je la demande aussi.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Je dois donc protester de la manière la plus formelle contre ce que dit
ou suppose, à cet égard, l’honorable M. de Foere ; l’honorable membre a soulevé
à ce sujet une question de nationalité ; mais que font à notre nationalité
quelques règles d’orthographe ? Elle est assise sur des bases trop solides pour
qu’un rapprochement vers le langage de nos voisins puisse y porter atteinte ;
je dis rapprochement, car des différences essentielles séparent toujours les
deux idiomes.
La protestation que je fais en ce moment, messieurs,
n’est pas une protestation isolée ; c’est aussi celle de toutes les personnes
qui se sont occupées de cette question et qui ont adopté l’orthographe de la
commission. Je demanderai à la chambre la permission de lire un passage d’une
lettre adressée à M. le gouverneur de
« On a prétendu que c’étaient là des innovations
qui tendaient à l’adoption des principes orthographiques usités en Hollande.
Nous allons démontrer, en peu de mots, combien cette allégation est fausse et
erronée, et que, si les hommes instruits qui se sont occupés de cette partie de
la grammaire, se sont rencontrés avec les meilleurs auteurs hollandais, ce
n’est nullement chez ces derniers que l’on a dû chercher ces innovations. On
les a posées dans le génie particulier de la langue et dans les principes qui
constituent l’élément teutonique en général. En effet, nos adversaires, au lieu
de crier à l’hollandisme, auraient pu nous taxer de
germanisme, puisque la distinction entre l’article masculin au nominatif et
l’article masculin à l’accusatif, de même que l’orthographe économique et le
mode d’écrire ei,
au lieu de ey,
subsistent également chez nos voisins de l’Allemagne. »
Ainsi, messieurs, vous voyez, d’après cette lecture,
que la commission, pas plus que les littérateurs qui ont adopté l’orthographe
de la commission, n’ont eu en vue d’adopter les principes orthographiques
usités en Hollande ; mais ils ont adopté les principes qu’ils ont, disent-ils,
puisé dans le génie même de la langue flamande. Il me semble donc que les
allégations contraires ne peuvent avoir aucune espèce de force ; ce sont ces
allégations, non seulement sans preuve, mais encore démenties par des preuves
contraires émanées de corps savants.
Je ne conçois pas comment l’on peut appeler langue hollandaise la langue dont je me sers
pour la traduction des lois et arrêtés ; je ne conçois pas comment on peut lui
donner ce nom à cause des changements orthographiques qui y ont été introduits.
Mais, messieurs, ces changements successifs d’orthographe s’introduisent dans
toutes les langues. Certes, la langue française ne s’écrit pas d’après la
dernière édition du dictionnaire de l’Académie, comme elle s’écrivait, selon
l’édition de ce dictionnaire de 1790, par exemple. Des changements assez
importants, des substitutions, des suppressions, des additions de lettre ont
été introduits dans le nouveau dictionnaire, et cependant il n’est venu dans
l’idée de personne de soutenir que la langue française de 1835 n’était plus la
langue française, parce qu’elle différait, quant à l’orthographe, de celle de
1790. Il peut y avoir eu des améliorations, des innovations dans la langue
flamande, mais certes ces changements ne constituent pas un changement de
langue.
II y a eu, avant mon entrée au ministère, dans la
traduction flamande du Bulletin officiel,
des changements très nombreux.
En 1830 et en 1831 on a suivi un système mixte ; en
1832 et en 1833, on a adopté le système de Desroches, celui dont parle
l’honorable M. de Foere.
En 1834 et en 1835, on a adopté de nouveau le
système mixte qui ne diffère du système de la commission qu’en deux points
seulement. En 1837, on est revenu au système de Desroches jusqu’à la fin de
1838. En 1839, on a adopté le système de la commission, et on l’a suivi jusqu’à
la fin du 1er semestre de 1840 ; pendant le 2ème semestre de cette année, on
est revenu au système de Desroches qu’on a suivi jusqu’à la fin de l’année
1841, époque à laquelle on a complété le système de Desroches, à l’aide des
accents. L’on s’est conformé à ce système jusqu’à la fin de 1843.
Voilà les différents systèmes qui ont été suivis, et
jamais on n’a soutenu que l’un ou l’autre de ces systèmes changeait le
caractère même de la langue, que l’un ou l’autre de ces systèmes était une
déviation de la loi de 1831 qui ordonnait l’emploi de la langue flamande.
Messieurs, ces changements successifs s’expliquent facilement,
par les différentes orthographes qui sont en usage dans les diverses provinces,
et même dans les divers districts du royaume. Ces différents dialectes avaient
même engagé le gouvernement provisoire à ne pas faire faire une traduction du Bulletin officiel par l’administration
elle-même, mais a laissé à tous les gouverneurs le soin de faire les
traductions suivant le dialecte adopté dans leur province. L’arrêté du
gouvernement provisoire du 16 novembre 1830 avait établi cette marche. La loi
de 1831 est venue la changer, en chargeant le gouvernement de faire la
traduction, et par conséquent, de la faire d’une manière uniforme pour toutes
les provinces.
Maintenant, en présence de ces différends systèmes,
il fallait nécessairement opter, parce qu’il n’était pas libre au gouvernement
de ne pas exécuter la loi de 1831. J’ai donc fait un choix, et je me suis
décidé pour le système d’orthographe qui paraissait être suivi par la majorité
du pays ; je l’ai adopté, comme l’avait fait un de mes prédécesseurs de 1839,
et je l’ai adopté, comme je le dirai tout à l’heure, à la suite de faits
nouveaux qui m’ont paru exiger qu’on revînt au système de 1839, système dont on
avait momentanément dévié. Je me suis borné à déclarer que j’adoptais cette
orthographe pour le journal officiel dont la traduction m’est confiée, mais je
n’ai imposé ni conseillé cette orthographe à aucune des autorités qui sont
placées dans les attributions du département de la justice. Je n’ai fait à cet
égard aucune recommandation soit aux tribunaux, pour la rédaction flamande des
jugements correctionnels, ni aux notaires pour les actes et protocoles.
J’ai fait ce qu’avaient fait tous mes prédécesseurs
; j’ai fait ce qu’a fait notamment l’honorable M. Raikem, qui avait adopté la
nouvelle orthographe en 1839 ; seulement j’ai cru devoir faire connaître la
marche que j’allais suivre ; j’ai cru devoir le déclarer par un arrêté royal ;
j’ai déjà indiqué les motifs pour lesquels j’avais cru devoir recourir à cette
mesure ; j’ai pensé que, puisqu’un arrêté royal était nécessaire pour
m’autoriser à faire la division du Bulletin
officiel qu’il me paraissait convenable d’adopter, il était en même temps
opportun l’indiquer dans l’arrêté l’orthographe qui serait désormais suivie ;
je comptais, de cette manière, empêcher les changements d’orthographe qui,
depuis la révolution jusqu’à ces derniers temps, ont fait du Journal officiel une véritable
bigarrure.
Je me félicite d’avoir adopté cette marche, parce
que de cette manière j’ai donné de la publicité à ce que j’avais envie de
faire, parce que j’ai appelé sur cet objet la discussion, et que, d’après les
renseignements qui pourront être fournis, d’après les éléments qui pourront
être recueillis ultérieurement, je serai à même de m’assurer si la mesure qui a
été adoptée peut être maintenue ou doit être modifiée.
Les observations que je viens d’avoir l’honneur de
présenter à la chambre ne me paraissent laisser aucun doute sur la
constitutionnalité de l’acte que j’ai posé, et ce que je viens de dire en
dernier lieu me conduit à l’examen des motifs pour lesquels j’ai adopté cette
orthographe plutôt qu’une autre. Je tiens à convaincre la chambre que, dans
cette circonstance, je n’ai pas agi à la légère, que je ne me suis décidé pour
le système d’orthographe que j’ai adopté qu’à la suite de renseignements
longuement et consciencieusement recueillis.
Messieurs, comme je vous le disais, la langue
flamande présente des variations nombreuses, quant à l’orthographe, suivant les
différentes provinces, je dirai même suivant les différents districts où elle
est parlée.
Cet état de choses ayant été connu de l’honorable M.
de Theux, ministre de l’intérieur en
« On demande une dissertation critique sur les
points controversés en matière d’orthographe, de déclinaison et de conjugaison
dans la langue flamande, avec indication des moyens les plus propres pour
conduire à l’uniformité, d’après les principes fondamentaux de la langue,
l’usage général et l’autorité des écrivains anciens et modernes ; de telle
sorte que le système proposé comme préférable puisse être reçu dans toutes les
provinces du royaume où cette langue est peu usage. »
Vous voyez, messieurs, qu’il était uniquement
question de la langue flamande et qu’il fallait se baser, pour arrêter les
principes de cette langue, sur l’autorité des écrivains anciens et modernes du
pays.
A la suite de cet arrêté, différents mémoires furent
adressés au ministère de l’intérieur, et une commission fut nommée, à l’effet
d’examiner ces mémoires. Cette commission était composée des membres dont les
noms suivent :
M. Willems, membre de l’Académie royale des sciences
et belles-lettres de Bruxelles ;
Bormans, professeur à l’université de Liége ;
Le chanoine David, professeur à l’université de
Liége ;
Le chanoine Desmet, membre de l’académie royale des
sciences et belles-lettres de Bruxelles ;
D’Holster, professeur à l’athénée de Gand ;
Et Verspreeuw, professeur
à l’athénée d’Anvers.
La commission, après de laborieuses et savantes recherches,
décida à l’unanimité qu’il y avait lieu à adopter les règles d’orthographe
qu’elle indique dans le rapport qui fut adressé par elle à M. le ministre de
l’intérieur, sous la date du 18 août 1839.
C’est à la suite du rapport de cette commission que
l’orthographe, admise par elle, avait été introduite au Bulletin officiel, par l’honorable M. Raikem, et que cette
orthographe fut maintenue pendant près de 18 mois. Par suite de réclamations
qui n’ont pas laissé de traces au ministère (car je n’ai rien trouvé d’écrit ce
sujet) l’orthographe a été modifiée, L’orthographe de Desroches, avec quelques
modifications a été reprise.
A la suite de ce rapport de la commission, il y a eu
des réunions de littérateurs flamands à Anvers et à Gand.
A Anvers, 72 personnes se trouvèrent réunies, et ces
personnes adoptèrent l’orthographe de la commission. Cette réunion a eu lieu le
11 octobre 1841, à Anvers, sur la demande du gouverneur de cette province ;
elle était composée des personnes les plus capables de décider la question.
Cette réunion de littérateurs et de savants fut à peu près unanime pour
adopter, avec de légères modifications que nous avons également admises, les
conclusions de la commission royale.
Après cette réunion, une nouvelle assemblée, sous le
nom de Tael-Congres, eut lieu à Gand. Dans cette réunion où se trouvèrent 42
personnes et où tous les littérateurs du pays avaient été appelés, on décida
également que l’orthographe de la commission était la plus conforme au génie de
la langue ; on adopta cette orthographe avec la légère modification proposée
par la réunion d’Anvers et que nous avons également adoptée, comme je l’ai déjà
dit.
Voilà l’état de la question, quand j’ai eu à décider
comment on traduirait le Bulletin
officiel pour l’année 1844. Il y avait évidemment des opinions différentes
; et pourtant, comme je l’ai dit tantôt, il était nécessaire de choisir,
puisque le Bulletin officiel ne
pouvait rester sans être traduit. Il fallut donc se décider pour l’une ou
l’autre orthographe.
A cet effet, j’ai recherché quelle était celle qui
réunissait le plus grand nombre de partisans, je n’en ai pas fait une question
littéraire, mais une question de majorité.
Cette majorité m’a paru exister en faveur de
l’orthographe de la commission ; l’opinion émise par les réunions nombreuses de
littérateurs à Anvers et à Gand m’en fournissait la preuve. J’aurais pu,
d’après cela, considérer la question comme tranchée.
Néanmoins je ne l’ai pas voulu. Pour m’entourer de
plus de lumières encore, les gouverneurs de province ont été consultés. M. le
ministre de l’intérieur leur a demandé quelle était l’orthographe qu’on
adoptait dans leur province, et qu’ils croyaient préférable d’adopter
désormais.
Le gouverneur de
« Aucune société ne m’a fait connaître son opinion
sur cet ouvrage, et pour ce qui concerne les littérateurs flamands, trois
seulement m’ont répondu dans le temps. Dans leur missive, ces hommes de lettres
s’accordaient à dire qu’ils adoptent le système de la commission, mais ils ne
se dissimulaient pas que, pour juger le travail du professeur Bormans, il leur fallait du temps. »
La conclusion du rapport du gouverneur de la
province d’Anvers porte :
« De tout ce qui précède, il résulte à
l’évidence, me paraît il, que l’opinion dominante de ceux qui, dans cette
province, s’occupent spécialement de la langue flamande, est en faveur du
système adopté dans le Tael-Congres de Gand, et je serais heureux, M. le
ministre, si le contenu de ce rapport pouvait répondre à votre attente et
aider, en quelque chose, au rétablissement de l’uniformité dans l’orthographe
et la grammaire flamandes. »
Le gouverneur de
« Ce rapport résume d’une manière nette et lucide
l’état de la question et justifie par des raisonnements et des exemples les
bases y proposées, pour arriver à une complète uniformité dans l’orthographe de
la langue flamande.
« C’est le système orthographique adopté en 1841 par
le congrès de Gand que la société met en avant, et toutes les autres sociétés
littéraires de la province, de même que les auteurs, en général, se sont
ralliés à cette opinion.
« L’adoption de ce système constitue donc
l’opinion dominante dans ma province sur la question de l’orthographe flamande.
« Qu’il me soit permis de faire des vœux, M. le
ministre, pour que le gouvernement prenne les mesures qui paraîtraient le plus
convenables afin d’asseoir, le plus promptement possible, d’après ce système,
l’uniformité si désirable dans l’orthographe de cette langue. »
Le gouverneur du Limbourg écrivait le 19 décembre
1843.
« Il résulte de ces pièces, M. le ministre, que
cette province est à peu près partagée entre les deux systèmes qui se disputent
la priorité. Cependant, d’après ma conviction, je crois pouvoir dire que la
partie éclairée des personnes qui s’occupent de l’instruction de la jeunesse,
préfèrent assez généralement l’orthographe des grammairiens hollandais et la
considèrent comme plus rationnelle et plus conforme au génie de la langue. Du
reste, M. le ministre, quant au principal, c’est-à-dire la construction des
phrases, ce sont sans contredit les écrivains hollandais qu’on suit. »
Il est à remarquer que les deux systèmes dont parle
le gouverneur du Limbourg, ne sont pas le système de la commission et celui de
Desroches, mais le système de la commission et celui de la langue hollandaise
pure ; ainsi, d’après le gouverneur du Limbourg, il existe une différence bien
tranchée entre l’orthographe hollandaise et celle de la commission ; et sa
province est a peu près partagée entre ces deux systèmes. Ce rapport réfute
péremptoirement ce qui a été dit sur l’identité qu’il y aurait entre les deux
orthographes ; c’est une nouvelle preuve à ajouter à celles que j’ai déjà
fournies.
Entre ces deux orthographes, l’orthographe
hollandaise et celle de la commission, nous n’avons pas hésité à adopter cette
dernière qui réunit la majorité dans les autres provinces.
M. le gouverneur du Brabant, dans son rapport du 15
décembre 1843 termine ainsi :
« En terminant, j’exprimerai de nouveau
l’opinion déjà émise dans mon rapport du 14 novembre 1841, qu’il conviendrait
que le gouvernement prît, le plus tôt possible, en ce qui le concerne, une
décision sur la question d’orthographe, eu adoptant l’opinion de l’immense
majorité des personnes instruites dans la partie flamande du pays. On ne peut
douter que son exemple ne fût immédiatement suivi par plusieurs administrations
qui n’attendent probablement que l’impulsion de l’autorité supérieure pour se
ranger définitivement du côté du vrai savoir, des talents éminents et du
patriotisme éclairé. »
Voilà les renseignements dont je me suis entouré
pour décider non pas quelle serait l’orthographe qui devrait être adoptée
partout, non pas pour arrêter définitivement un système d’orthographe, car,
comme vous l’a dit, dans une séance précédente, M. le ministre de l’intérieur,
c’est une question de temps, mais pour décider de l’orthographe actuelle du Bulletin officiel. Je devais, à cet
égard, prendre un parti et, il est évident, qu’en présence des opinions et des
faits recueillis, je ne pouvais prendre d’autre parti que celui auquel je me
suis arrêté.
J’avais encore obtenu d’autres documents, et je
demanderai à la chambre la permission de lui lire un rapport qui a été adressé
sur cet objet à M. le ministre de l’intérieur, par une personne bien
compétente, le professeur David, professeur de littérature flamande et
d’histoire nationale, à l’université de Louvain.
Voici ce qu’il écrivait le 15 décembre 1843 :
« Le système de la commission n’a cessé de
faire des progrès, au point qu’il est vrai de dire qu’aujourd’hui tout ce qu’il
y a de littérateurs dignes de ce nom dans les provinces flamandes, s’est
déclaré en faveur de la nouvelle orthographe. Les écrits de messieurs Willems, Ledeganck, Bormans, Bogaerts, Nolet, Conscience, Van Ryswyck, Van den Steene, de Jonghe, Van Duysen, Heiderscheidt et d’une foule d’autres écrivains en sont la
preuve constante. Il en est de même, M. le ministre, pour une autre classe
d’ouvrage encore plus nombreuse, celle des livres classiques. L’immense
majorité de ceux qui ont vu le jour depuis trois ans, et même, on peut le dire,
tous ceux qui ont un véritable mérite, sont rédigés d’après les principes
orthographiques de la commission.
« Dans les sociétés littéraires, l’uniformité
est encore plus grande. Celles de Louvain, d’Anvers, de Bruxelles, de Gand, et
plusieurs sociétés de rhétorique des deux Flandres dont je vois quelquefois des
programmes ou des recueils, suivent toutes ce système proposé par la
commission. Il en est encore de même dans les grands établissements
d’instruction publique. Les petits séminaires de Malines, de Saint-Trond et de
Saint-Nicolas, les écoles normales des dernières villes, les collèges de
Louvain, d’Anvers, de Gand, de Courtrai, de Thielt, enfin les collèges des
jésuites n’enseignent d’autre orthographe que celle de la commission. Le seul
petit séminaire de Roulers a fait jusqu’à présent de l’opposition, quoiqu’il y
ait plusieurs professeurs qui sont d’un avis contraire ; mais, chose
remarquable, M. le ministre, les élèves eux-mêmes ont reconnu que leurs maîtres
avaient tort, et quoiqu’on leur enseignât des règles contraires, ou n’a pu les
empêcher de suivre le système de la commission, ainsi que nous l’ont déclaré
quelques-uns d’entre eux qui font en ce moment leurs études universitaires à
Louvain. La même chose est arrivée dans d’autres établissements qui étaient
restés en arrière.
« Vous le voyez, M. le ministre, l’opinion générale
parmi les personnes capables d’avoir une opinion en fait de langue et
d’orthographe, s’est déclarée en faveur du système proposé par la
commission. »
Il me semble que je ne dois rien ajouter à ce que je
viens de vous lire pour établir la position où je me suis trouvé, au moment où
a été pris l’arrêté du 1er janvier 1844. Tous ces rapports devaient me donner
la conviction que l’opinion dominante dans le pays, était l’opinion de la
commission de 1839. J’ai adopté son orthographe qui est celle de toutes les
personnes qui s’occupent de la langue et de la littérature flamande. Je pense,
dans cette circonstance, avoir bien agi.
Si maintenant des renseignements
ultérieurs me prouvent que j’ai en tort, que ce que j’ai considéré comme une
majorité n’est qu’une véritable minorité, il est évident que le gouvernement,
qui n’a aucun intérêt à maintenir l’arrêté du 1er janvier 1844, s’empressera de
le rapporter.
Qu’a voulu le gouvernement en prenant cet arrêté ?
Mais rien autre chose que de suivre l’orthographe de la majorité. Je le répète,
ce n’est aucunement pour moi une question de littérature et de grammaire ;
c’est uniquement une question de majorité. Or, je crois que, d’après ces
renseignements, dont l’inexactitude ne m’a nullement été prouvée par les
discours de l’honorable M. de Foere, je ne pouvais faire autrement que je n’ai
fait.
En me résumant, messieurs, je crois avoir
suffisamment prouvé que l’arrêté du 1er janvier 1844 était parfaitement
constitutionnel ; et je pense avoir également établi que, dans l’état de la
question, au moment où a été signé l’arrêté, il était nécessaire de prendre une
décision et que cette décision ne pouvait être autre que celle qui a été prise
par moi.
Je me bornerai à ces observations, ne voulant en
aucune manière, je le répète, entrer dans la question littéraire.
M. Dedecker. - Messieurs, l’honorable ministre de la justice que vous venez
d’entendre, a défendu devant vous le côté constitutionnel de la question qui a
été soulevée récemment par l’honorable M. de Foere. Je me propose, quant à moi,
de rétablir quelques faits, de retracer l’historique du mouvement et des
progrès de la littérature flamande, d’en justifier l’esprit et le but.
J’exprime de nouveau mes regrets que cette question
doive être agitée devant cette chambre, qui ne peut pas se constituer en
Académie, devant cette chambre dont un grand nombre de membres ne parlent pas
la langue flamande, et ne peuvent, par conséquent, comprendre le fond même du
débat.
En commençant, j’éprouve le besoin de dire que, dans
cette question, je suis complètement désintéressé : je n’ai jamais écrit en
flamand. Je me suis toujours intéressé, il est vrai, aux développements de la
littérature flamande, à la réhabilitation de ma langue maternelle ; mais mon
nom n’a jamais été mêlé aux débats linguistiques agités dans nos provinces
flamandes, de sorte que j’ai sur l’honorable M. de Foere l’avantage de ne pas
être juge et partie dans ma propre cause. Si donc j’ai, à plusieurs reprises, insisté
pour la continuation de ces débats, si j’ai réclamé la parole, ce n’est pas
pour le seul plaisir de parler devant vous ; vous savez que je n’ai pas
l’habitude d’abuser de vos moments. J’ai agi ainsi uniquement par amour de la
vérité, par un profond sentiment de justice et de délicatesse, par le désir de
défendre des personnes absentes qui ont été attaquées sans ménagement par M. de
Foere.
Messieurs, avant de vous exposer l’historique de ce
qu’a fait le gouvernement et de ce que, d’après moi, (et probablement d’après
vous, lorsque vous connaîtrez l’ensemble de la question,) il devait faire,
qu’il me soit permis de rétablir des faits qui ont été dénaturés par M. de
Foere.
Toute l’argumentation de mon honorable adversaire
peut se résumer dans cette proposition : « le flamand proposé par la
commission n’est plus du flamand ; c’est du hollandais. » Cette
proposition repose sur deux erreurs fondamentales. D’abord M. de Foere a
supposé que pour les provinces flamandes, le hollandais est une langue
essentiellement étrangère. Messieurs, je ne puis pas admettre cette donnée. Le
hollandais et le flamand sont deux dialectes d’une seule et mène langue.
Jusqu’à l’époque de l’émancipation des provinces-unies la langue était la même,
pour le génie comme pour la forme ; il n’y avait aucune espèce de différence.
Jusqu’au XVIème siècle, tous nos anciens auteurs flamands et hollandais,
écrivaient de la même manière. Seulement depuis la réforme, depuis la
séparation des provinces du Nord de celles du Midi,
M. de Roo. - Ce n’est pas exact.
M. Dedecker. - Puisque l’honorable M. de Roo conteste ce fait historique, j’invoquerai
à l’appui de ce que je viens de dire l’opinion qu’en 1817 et 1818 l’honorable
M. de Foere exprimait lui-même, dans le 3ème volume du Spectateur Belge.
Voici ses paroles :
« Le dialecte flamand ne dérive pas du
hollandais. Avant la scission des Provinces-unies, ces deux dialectes n’en
faisaient qu’un, non seulement quant au fond mais encore quant aux formes... La
langue flamande, commune à toutes les provinces septentrionales au seizième
siècle, a éprouvé depuis, en Hollande, des perfections qui, toutefois, n’ont
porté aucun changement au fond de la langue. »
Et ailleurs : « Si les auteurs hollandais
s’expriment en général plus purement, plus énergiquement que les auteurs flamands,
si le style des premiers a plus de grâce, d’harmonie et d’élégance, ce n’est
point la différence de la langue qui l’emporte chez eux sur les derniers, mais
une connaissance plus exacte, des talents plus exercés, une plus grande
habitude de la littérature, une culture plus soutenue de notre langue. »
Voilà l’opinion de l’honorable M. de Foere en 1817
et 1819. Cependant, messieurs, vous l’avez entendu l’autre jour ; cet honorable
membre a basé toute son argumentation sur ce fait qui est, selon moi, une contre-vérité
historique, que pour les provinces flamandes, la langue hollandaise est une
langue essentiellement étrangère.
M. de Foere. - J’ai dit que c’étaient deux dialectes différents.
M. Dedecker. - Vous avez parlé de langue étrangère, à tel point que vous avez insisté
sur le danger politique d’imposer une langue étrangère aux populations, vous
avez été jusqu’à évoquer le souvenir de la tyrannie hollandaise qui voulait
imposer sa langue aux provinces wallonnes. Vous avez dit que ce fut là l’un des
principaux griefs de
L’honorable membre a donc, selon moi, commis une
première erreur fondamentale en soutenant que le flamand et le hollandais sont
deux langues différentes. C’est, je le répète, une seule et même langue ;
seulement, depuis une certaine époque, le dialecte hollandais a été cultivé,
perfectionné, tandis que le dialecte flamand est resté stationnaire.
Une deuxième erreur radicale a été commise par
l’honorable M. de Foere : il a prétendu que l’orthographe proposée par la commission
(mais non imposé, comme on l’a dit), est de tous points conforme à
l’orthographe hollandaise. C’est encore un fait matériellement inexact.
Malgré les modifications introduites dans
l’orthographe flamande par la commission, il y a encore loin de l’orthographe
de la langue hollandaise. D’abord, il y a la différence du redoublement des
voyelles, redoublement qui est d’invention hollandaise et qui ne se rencontre
pas dans cette ancienne littérature flamande à laquelle on cherche à rattacher
la nouvelle. Ensuite, comme vous l’a fort bien dit M. le ministre de la
justice, ce n’est pas seulement ce point orthographique qui constitue la
différence entre le hollandais et le flamand ; le caractère des deux peuples
étant opposé, le génie de leur langue doit être tout autre. Le hollandais est
beaucoup plus compassé, plus flegmatique, plus roide que le flamand ; ajoutez-y
que, depuis une cinquantaine d’années, l’influence allemande a été très grande
sur la langue hollandaise. De là loi sont venus des termes plus nébuleux. des
tournures plus longues, plus traînantes que celles qu’on trouve dans notre
langue flamande.
Ainsi, messieurs, ces deux points me paraissent
matériellement établis et reconnus : C’est que, d’abord, le hollandais et le
flamand ne sont pas deux langues essentiellement différentes mais deux
dialectes d’une même langue ; c’est qu’ensuite l’orthographe proposée par la
commission n’est pas l’orthographe hollandaise.
L’orthographe proposée par la commission, messieurs,
n’est pas d’ailleurs une orthographe d’invention moderne ; elle a son
fondement dans l’histoire de notre littérature, c’est l’orthographe qui a été
suivie depuis Van Maerlant, jusqu’à Vondel et Cats.
La plupart de mes collègues flamands savent que dans toutes les familles, à
coté du vieux et du nouveau Testament se trouve ce qu’on appelle le père Cats (Vader Cats). Eh bien, c’est de cette orthographe que tend à
se rapprocher la commission et qui, par conséquent, appuie ses propositions sur
la littérature ancienne de ce pays. Cette même orthographe fut suivie dans
toutes les Bibles en langue vulgaire qui ont paru au 16ème, au 17ème et au
18ème siècles, avec l’approbation de l’autorité ecclésiastique.
C’est seulement à la fin du 18ème siècle qu’un
Hollandais, Desroches, est venu dans ce pays. Il a commencé par publier un
catéchisme grammatical, consacrant des principes à peu près identiques avec
ceux proclamés par la commission. Quelques années après, ayant accepté une
fonction publique dans la ville d’Anvers, il a refait son orthographe d’après
les usages de cette ville, et il a alors composé son dictionnaire, dont vous a
parlé l’honorable M. de Foere ; mais cet ouvrage n’a nullement été publié par
ordre du gouvernement pour fixer l’orthographe flamande ; c’était, au
contraire, un dictionnaire destiné à faciliter et à régulariser dans les
provinces flamandes l’étude de la langue française.
L’honorable M. de Foere a comparé le dictionnaire de
Desroches au dictionnaire de Johnson et à celui Della
Crusca. Quelque disposé que je sois à reconnaître les
services rendus par Desroches aux études historiques, je ne puis m’empêcher de
dire que le parallèle établi entre ces dictionnaires et celui de Desroches,
c’est tout bonnement une plaisanterie.
L’autorité de Desroches était si contestée, même de
son vivant, que nonobstant son influence comme secrétaire de l’Académie de
Bruxelles, tous les mémoires flamands publiés par ce corps savant (car vous
savez que quelques-uns des mémoires académiques de la première série ont été
publiés en flamand), tous ces mémoires académiques, dis-je, sont écrits dans
une orthographe autre que celle de Desroches.
M. Dumortier. - Est-ce celle de la commission ?
M. Dedecker. - Je ne dis pas ; mais ce qu’il importe de prouver ici, et ce que je
crois pouvoir assurer, c’est que ce n’est pas celle de Desroches.
Je vais plus loin, messieurs, et je dis que, depuis
la fin du siècle dernier jusqu’à nos jours, ce n’est nullement, comme on l’a
prétendu, l’orthographe de Desroches qui a été universellement, et
exclusivement admise par nos populations. L’honorable M. de Foere sur ce point
est encore dans l’erreur. Tous les mémoires ou poèmes envoyés aux concours
littéraires ouverts du temps de l’administration française, tous les actes
publics des diverses autorités, tous les livres, tous les journaux, en un mot
tout ce qui sert à constater l’état de la littérature flamande à cette époque,
prouve que l’orthographe de Desroches était loin d’être généralement suivie. Il
y avait réellement anarchie, sous ce rapport, dans les provinces flamandes ; et
cette anarchie a continué sous l’administration hollandaise, dont les efforts
pour perfectionner la langue de nos provinces ont échoué contre les sentiments
de répulsion excités par les principes d’indifférence religieuse professés dans
les livres élémentaires à l’usage des écoles.
En 1830, le sentiment de la nationalité se fit jour
aussi dans le domaine de l’intelligence. On éprouva le besoin de faire
disparaître ces divergences d’opinion en matière orthographique. Toutes les
personnes qui s’intéressaient au développement de la littérature flamande
comprenaient que ce développement n’était possible qu’après l’adoption d’un
système uniforme, toutes étaient unanimement d’accord pour demander au gouvernement
qu’il voulût user de son autorité afin d’introduire l’unité dans l’orthographe.
En présence des inconvénients universellement
reconnus, des vœux unanimement exprimés, le gouvernement pouvait-il s’abstenir
? Non ; le gouvernement avait mission d’intervenir ; mais il ne pouvait prendre
sur lui de résoudre cette question de son propre chef ; car alors je conçois
qu’il y eût eu des réclamations fondées. Que devait donc faire le gouvernement
? Que fit-il ?
En avril 1836, quatorze littérateurs, parmi lesquels
figurait l’honorable M. de Foere, démontrèrent à M. le ministre de l’intérieur
la nécessité d’introduire l’uniformité dans l’orthographe flamande. J’ai les
pièces sous les yeux ; j’ai même toute la copie de la correspondance de M. le
ministre de l’intérieur sur ce point.
Ces quatorze littérateurs proposèrent deux systèmes
: de mettre au concours la question de savoir quel était le moyen le plus
naturel d’introduire cette uniformité ; ou bien, de subsidier la publication
d’un recueil, consacré à l’émission et à la défense de toutes les opinions
raisonnables sur la question orthographique. Le 2 du mois de mai, M. de Theux
demanda des renseignements ultérieurs sur les moyens d’introduire l’uniformité
dans la langue flamande. Le 25 juin
M. le ministre de l’intérieur par un arrêté du 6
septembre 1836, ouvrit ce concours. Un certain nombre de littérateurs
répondirent à cet appel par l’envoi de mémoires, où la question était traitée
d’une manière toute spéciale. Le 4 du mois d’octobre, M. le ministre de
l’intérieur accorda un subside de 600 fr. en faveur de
Il fallait alors nommer une commission pour examiner
les mémoires envoyés au concours. Jusque-là, les mesures prises par le
gouvernement reçurent l’approbation de tous les littérateurs indistinctement.
C’est de la nomination de cette commission, et ce fait est significatif, que
date cette opposition qui cherche à diviser nos provinces flamandes.
Cependant, examinons quelle était la composition de
cette commission.
Cette commission, nommée par arrêté du 15 juillet
1837, était composée, non de membres « qui s’étaient fait nommer
eux-mêmes, » comme l’a dit M. de Foere, ce qui est une injure bien moins
pour les membres de la commission, que pour l’honorable M. de Theux qui aurait
permis que ces membres se nommassent eux-mêmes ; cette commission, dis-je,
était composée des savants et littérateurs professeurs dont voici les noms que
je livre à l’appréciation de la chambre : MM. Bormans,
professeur ordinaire l’université de Liége ; David, professeur ordinaire à
l’université de Louvain, dont les connaissances historiques et philologiques ne
sont contestées par personne ; D’Hulster, que M. de
Foere. dans le Spectateur belge de 1820 place lui-même au premier rang de nos
littérateurs ; Willems, membre de l’académie royale et de la commission
d’histoire ; le chanoine Desmet, membre des deux mêmes sociétés savantes, et
plusieurs d’entre vous ont connu au Congrès national ; Ledeganck,
l’un de nos littérateurs les plus distingués, membre du conseil provincial de
la Flandre orientale, et inspecteur provincial pour l’enseignement primaire ; Verspreeuwen, professeur à l’athénée d’Anvers, et connu par
ses études spéciales sur la langue flamande.
Voilà, messieurs, les sept membres dont se composait
la commission. Trois membres y représentaient les Flandres, trois autres les
provinces de Brabant et d’Anvers, un autre le Limbourg ; et certainement, comme
l’a dit tout à l’heure M. le ministre de la justice, ces noms offraient toutes
les garanties d’impartialité et de savoir.
Cette commission se réunit plusieurs fois pour
examiner les mémoires envoyés au concours. M. Bormans
fut nommé rapporteur le 6 octobre 1838, et une année après il publia son
rapport sur ces mémoires. Les bases de ce rapport avaient été examinées par la
commission tout entière les 17 et 18 du mois d’août dans deux longues séances ;
et pour tous ceux qui ont vu le rapport de M. Bormans,
c’est certainement un des livres les plus remarquables qui aient paru sur la
science linguistique. Depuis 50 ans des questions de linguistique ont spécialement
préoccupé le monde savant et je ne crains pas de le dire, en Allemagne, en
Hollande et en France, rien, pour le fond des questions controversées, n’a paru
de plus remarquable. C’est un monument de profonde érudition et de sagacité
philologique.
Je vous le demande, messieurs, le gouvernement
pouvait-il s’y prendre d’une manière plus sensée, plus prudente pour arriver à
former une opinion digne du siècle, en harmonie avec les progrès de la science
? Evidemment, de l’aveu de tous les hommes impartiaux, il ne pouvait pas suivre
un mode meilleur que celui qu’il a suivi. Ce mode est, du reste, celui que
conseillait M. de Foere en 1820. Voici en effet ce que disait alors cet
honorable membre :
« L’examen, la discussion et une convention
raisonnable et honorable pourront seules introduire l’unité de grammaire et
d’orthographe. Si donc nous voulons atteindre ce but tant désiré des deux
côtés, émettons le vœu que le département de l’instruction publique nomme une
commission composée d’un nombre égal de philologues flamands et hollandais,
chargée d’examiner les points de différence entre les deux idiomes et de les
réduire à une unité de système en fixant des règles générales et invariables. »
Vous voyez, messieurs, qu’a cette époque M. de Foere
allait bien plus loin : il voulait tout bonnement établir l’unité entre le
hollandais et le flamand. Il paraît qu’alors il ne concevait pas sur
l’abâtardissement de notre langue et de notre caractère les craintes qui
semblent le tourmenter aujourd’hui.
La nomination d’une commission étant reconnue le
meilleur moyen d’arriver à la solution des questions linguistiques, il faudra
naturellement reconnaître l’autorité de cette commission et respecter ses
opinions ; cela paraît raisonnable, n’est-ce pas ? M. de Foere, aujourd’hui si
tenace dans son opposition, était autrefois de cet avis.
Voici, messieurs, la conduite que l’honorable membre
conseillait de tenir ; ces conseils alors qu’il semble aujourd’hui avoir
complètement oubliés, qu’il me soit permis de les lui rappeler.
« Tout bon citoyen se conformera aux décisions de
cette commission, et, sachant que les règles de langues ne sont pas des
principes absolus, mais positifs, ou de simple convention, quelles que fussent
ces décisions, nous-mêmes nous nous ferons un devoir patriotique d’en
recommander l’adoption et l’usage. » (On
rit.)
J’ai dit, messieurs, que cette commission était
composée des hommes les plus compétents. J’ajouterai qu’on a eu tort (et tout
ce qui se passe aujourd’hui concourt à le prouver), de ne pas en nommer M. de
Foere ; cet honorable membre aurait fort bien pu en être ; même, si mes
renseignements sont exacts, sa nomination fut proposée au gouvernement.
Continuons l’exposé des faits.
Lorsque la commission eut examiné les diverses
questions controversées, lorsqu’elle eut recommandé certaines règles
orthographiques, on voulut voir si la commission avait réellement exprimé
l’opinion des littérateurs flamands. Il fallait une ratification de sa
conduite, une sanction à ses propositions. Dans ce but on convoqua une réunion
générale, un congrès scientifique que M. de Foere, avec sa modération
ordinaire, qualifie de comédie.
Cette réunion, sous le nom de Tael-Congres, eut lieu
à Gand au mois d’octobre 1841. Tous les principaux littérateurs s’y donnèrent
rendez-vous ; les sociétés littéraires d’Anvers, de Gand, de Louvain, de
Bruxelles et des autres villes appartenant aux provinces flamandes y envoyèrent
officiellement, et après une mûre discussion préalable, des députations
chargées d’y défendre leurs opinions et d’y exprimer leurs sentiments.
Aux délibérations de Tael-Congres prirent part ces
42 personnes, toutes des plus recommandables. A leur tête figurent MM. le
chanoine David, Willems, le chanoine de Ram, le chanoine Desmet, Blommaert, Bormans, Serrure, Ledeganck, Van Duyse, Conscience, de Laet ; des
notaires, des bibliophiles, des instituteurs, des professeurs de collèges et
d’athénées.
Il y eut aussi des membres de cette chambre, parmi
lesquels se trouvait l’honorable M. Lejeune ; il y eut aussi d anciens membres
de la chambre et notamment MM. Vergauwen et Verdussen. M. de Foere avait aussi
reçu une convocation, mais il jugea à propos de ne pas s’y rendre, et je crois
que, dans son intérêt, il a bien fait ; mais toujours est-il qu’on ne l’a pas négligé,
qu’on ne lui a manqué en rien. L’honorable membre, soit dit en passant, au lieu
de se renfermer dans une opposition non motivée, aurait dû, s’il n’ambitionne
que le triomphe du système le plus rationnel, le plus logique, se rendre à ce
congrès et y défendre consciencieusement son opinion.
Les travaux du congrès furent sérieux et utiles.
Pendant deux jours, toutes les questions litigieuses furent de nouveau
examinées avec soin. Après de vifs débats, les huit points proposés par la
commission furent, les uns à l’unanimité, les autres à une immense majorité,
admis par les savants et les littérateurs réunis à Gand.
Maintenant, messieurs, il faut examiner si ces
points qui avaient ainsi été adoptés en principe, furent aussi admis dans la
pratique. Je l’avoue, il y eut quelques réclamations. Il y en eut une de la
part d’une société de Bruges dont l’honorable M. de Foere est président ; il y
eut aussi une réclamation de la part de quelques professeurs du petit séminaire
de Roulers ; il y en eut une troisième de la part de quelques personnes
d’Anvers, mais évidemment en minorité dans cette ville, comme le prouve le
procès-verbal de la réunion tenue le 11 octobre sur la convocation de M. de
Brouckere, gouverneur.
Il y eut donc quelques réclamations, et cela se conçoit,
messieurs : des personnes d’un certain âge, habituées dès leur jeunesse à
employer une orthographe, n’iront pas en adopter une nouvelle à la fin de leur
vie. Quelques vieux ecclésiastiques, dont je respecte infiniment le caractère,
mais que l’on ne peut certes considérer comme une autorité dans une pareille
question, quelques bourgmestres et secrétaires de communes qui croyaient
peut-être que cette question allait être pour eux une question d’existence,
qu’ils allaient perdre leur place si la nouvelle orthographe était adoptée.
Voilà, messieurs, les personnes qui réclamèrent contre l’orthographe adoptée
par le congrès de Gand.
Voyons, messieurs, si le reste du pays admet les
points orthographiques proposés par la commission et adoptés par le Tael-Congres.
Je passerai en revue tous les éléments principaux de notre littérature, et nous
nous convaincrons que partout, dans les institutions comme chez les individus,
sous l’influence de l’autorité ecclésiastique et de l’autorité administrative,
l’orthographe de la commission a, de fait, triomphé. Vous avez d’abord
l’université catholique de Louvain qui, certes, est bien compétente et à l’abri
de tout soupçon : elle adopte, dans le cours de littérature flamande qui s’y
donne, l’orthographe de la commission. A cette université est attachée une
société littéraire composée de professeurs et d’élèves ; dans ses publications
elle a, dès le premier jour, adopté l’orthographe de la commission. Cette
orthographe est suivie dans tous les collèges de jésuites indistinctement. Elle
est suivie dans tous les petits séminaires, à l’exception de celui de Roulers,
et encore là, il y a divergence d’opinion à cet égard. L’orthographe de la
commission est suivie dans tous les athénées et collèges municipaux de nos
grandes villes, à l’exception d’un ou de deux ; le collège communal de la ville
même que représente ici M. de Foere, le collège communal de Thielt, a aussi
adopté l’orthographe de la commission. Toutes les revues scientifiques et
littéraires qui paraissent en flamand, au nombre de 6 ou 7, le Belgisch Museum, le Middelaer, le Kunsten-letter-blad, le Noordstar, le Biekorf, etc.,
toutes ces revues sont écrites d’après les principes orthographiques de la
commission Il n’y a eu en Belgique qu’une seule revue qui suivait l’ancienne
orthographe ; si je ne me trompe, elle n’a pas pu se soutenir, il n’en a paru
qu’une ou deux livraisons. Les principaux journaux qui se publient dans les
différentes provinces flamandes suivent l’orthographe de la commission, adoptée
récemment encore par le journal flamand (Vlaemsch Belgie), fondé a Bruxelles. Il y a bien, sans doute,
quelques journaux qui ne suivent pas encore cette orthographe, mais il est à
remarquer qu’ils ne suivent pas non plus l’orthographe de Desroches ; loin de
là, ils sont rédigés dans d’autres orthographes individuelles, et différentes
entre elles, derniers débris de cette anarchie grammaticale, dont j’ai parlé
plus haut. J’oubliais de faire remarquer à la chambre que, parmi les journaux
qui suivent l’orthographe de, la commission, se trouve un journal publié dans
la localité qui a envoyé l’honorable M. de Foere dans cette enceinte, le Thieltenaer. Tous les centres littéraires suivent tous
l’orthographe de la commission ; toutes les sociétés dont font partie les
littérateurs les plus distingués, les hommes les plus éminents, ont toutes
adopté l’orthographe de la commission : la société de Gand de Tael is gansch het volk, la société
d’Anvers, met l’Olyftak, la société de Louvain Tyd en Vlyt, etc.
Toutes les pièces de théâtre (il y en a une quarantaine qui ont été faites en
quatre ou cinq ans et qui attirent en foule les populations bourgeoises de nos
villes flamandes), toutes ces pièces sont écrites dans l’orthographe de la
commission, aucune dans celle de Desroches. Tous les grammairiens suivent
l’orthographe de la commission. Depuis que la commission a proposé les huit
points, il a paru 19 grammaires. De ces 19 grammaires, deux seules
recommandent, non l’orthographe de Desroches, mais une orthographe modernisée ;
aussi prétend-on qu’elles ne se vendent pas et aucuns soutiennent que, pour
faire cesser l’opposition soulevée contre les propositions de la commission, le
gouvernement devrait tout simplement acheter quelques fonds de magasins. Au
contraire, sur les 19 grammaires publiées en conformité des principes proposes
par la commission, plusieurs en sont à la troisième édition. Ce sont les
grammaires dont voici les auteurs : Mussely, Pietersz, David, Heiderscheidt,
Van Nerum, Willequet, Courtemans, Olinger, d’Hulster, Van West, Lassens, Devieze, etc.
M. de Foere. - Toujours les mêmes noms dont les antécédents sont connus.
M. Dedecker. - C’est une insinuation injurieuse. Puisque je suis assez réservé pour ne
pas rechercher les petits motifs secrets de l’opposition que rencontre le
système de la commission, vous devriez aussi respecter les intentions de vos
adversaires.
M. de Foere. - Je n’attaque pas les intentions.
M. Dedecker. - Vous n’attaquez pas les intentions ? Mais toute votre argumentation
repose sur de perfides insinuations... Au reste, nous en viendrons à cette
question-là.
Continuons la revue de toutes les forces littéraires
des provinces flamandes. Je vous ai parlé des sociétés, des journaux, des
revues, du théâtre ; il me reste à prouver que tous les littérateurs proprement
dits, sans une seule exception, messieurs, (je défie M. de Foere de m’en citer
une seule de quelqu’importance), ont adopté
l’orthographe de la commission. Qu’il ne dise pas qu’il n’y a là que des poètes
et des romances, il y a aussi des savants du plus haut mérite. Je me
contenterai de citer ici Bormans, David et Serrure,
hommes distingués, qui honorent le corps professoral de nos universités ; Cannaert, auteur de recherches historiques sur notre ancien
droit pénal en Flandre ; Willems, dont la réputation est européenne ; Snellaert, auteur d’un mémoire couronné par l’Académie
royale de Bruxelles ; Ledeganck, traducteur du code
civil ; Blommaert, qui consacre une partie de son temps et de sa fortune à
publier les principaux monuments de notre vieille littérature.
Ainsi, messieurs, de quelque côté que je me tourne
pour constater l’état actuel de la littérature flamande, je trouve partout
l’orthographe de la commission. Qu’est-ce donc que l’honorable abbé de Foere
oppose à tout ce mouvement littéraire ? Quelques procès-verbaux de bourgmestres
de village, quelques formules de notaire ou d’huissier, c’est-à-dire, tout ce
qu’il y a de plus routinier ! Il va plus loin, il va jusqu’à invoquer à l’appui
de ses idées et de ses assertions, quoi ?...
Les écriteaux de vos rues ! J’avais cru jusqu’ici
que, pour apprécier une littérature, pour juger le mouvement intellectuel d’une
époque, il fallait consulter la presse périodique et quotidienne, le théâtre,
l’enseignement, les publications en prose et en vers ; il paraît que je me
trompais, il faut s’en référer, et sans appel, à quelqu’obscur
notaire de village, à quelque barbouilleur d’enseignes ou d’écriteaux !
Tout ceci n’est que burlesque, mais il y a quelque
chose de plus sérieux dans l’opposition de M. de Foere. Il a attaqué les
intentions, les tendances de tant d’honorables littérateurs, parmi lesquels
figurent des ecclésiastiques auxquels il est lié par une longue communauté de
sentiments, de vues et même de persécutions sous le gouvernement hollandais et
qui lui ont toujours montré la plus franche sympathie.
M. de Foere. - Je n’ai pas attaqué ces littérateurs.
M. Dedecker. - Vous avez dit que les partisans du système de la commission constituent
une faction antinationale.
M. de Foere. - Je ne voulais parler que des meneurs.
M. Dedecker. - C’est-à-dire, les hommes qui composaient la commission ? Parmi eux
figurait le chanoine Desmet qui a été longtemps et qui est encore je pense,
votre ami. Du reste, dans l’imperceptible fraction de littérateurs qui continue
son opposition contre le système de la commission, il y a aussi, je pense, des
meneurs. M. de Foere doit les connaître mieux que personne.
M. de Foere. - Des poètes !
M. Dedecker. - Mon honorable adversaire n’a pas toujours professé tant de dédain pour
les poètes et les romanciers. Ce dédain qu’il affecte aujourd’hui pour les
poètes et les romanciers me prouve une chose, c’est qu’il ne les a pas lus,
car, s’il avait lu leurs productions il serait fier d’une littérature qui produit
des chefs-d’œuvre aussi remarquables.
Je continue et je demande à la chambre qu’elle
m’accorde encore quelques moments d’attention : j’ose garantir que j’ai étudié
cette question consciencieusement. Je dis donc que, pour soupçonner l’esprit de
nos jeunes littérateurs, pour porter contre eux une accusation aussi odieuse
que celle de nourrir des arrière-pensées de restauration, de provoquer des
mouvements antinationaux, il faut ne pas savoir apprécier les personnes
auxquelles ces accusations s’adressent, il faut se méprendre sur la portée
d’une question d’orthographe. Peut-on faire consister le sentiment national
dans une question d’orthographe ? Si on est antinational pour quelques ï ou a
au lieu de quelques y et ae, que
diriez-vous de ceux qui appartiennent aux provinces wallonnes dont la langue
est absolument la même que celle de la France ? Il faudrait imposer aux
Wallons, pour qu’ils puissent rester nationaux, quelque vieux langage français,
quelqu’orthographe de Joinville ou de Clément Marot.
La conclusion est rigoureuse. Si vous accordez à la question d’orthographe
assez de portée pour croire qu’elle constitue à elle seule une question de
nationalité pour les Flamands, vous devez arriver à la même conclusion pour la
partie wallonne de
Comprenez-vous tout ce qu’il y a d’exagéré dans une
pareille conclusion, pour ne rien dire de plus ? Tout cela prouve que ce n’est
pas dans l’orthographe que réside le sentiment national ; ce sentiment se
révèle de mille manières. La littérature nationale, c’est celle qui se conforme
à nos mœurs, à nos usages, qui s’inspire à l’étude des époques les plus
intéressantes de notre histoire, qui célèbre les héros de la patrie, qui
recueille avec soin les traditions de la famille pour relier le présent au
passé. Sous ces divers rapports, voyons ce que notre jeune littérature a
produit.
Cette littérature s’est-elle occupée des époques les
plus intéressantes de notre histoire ? Je citerai en tête le Lion de Flandre,
magnifique roman de Conscience, digne de la plume Walter Scott, et célébrant la
lutte gigantesque des communes flamandes contre la France ; Het
Huis van Wezenbeeck, Hembyse,
Anna Hugonet, romans qui se rapportent aux épisodes
les plus dramatiques de nos guerres intestines.
La littérature flamande a-t-elle chanté les grands
noms, chers à nos souvenirs ? Nous avons un poème sur Ambiorix,
ce hardi défenseur de notre indépendance contre l’absorbante centralisation des
Romains ; un poème sur Liderick de Buck, premier
forestier de Flandre ; un autre poème sur Marie-Thérèse qui a valu à son auteur
un superbe cadeau de la cour de Vienne ; un autre poème encore d’une dame qui a
traité avec une mâle vigueur l’héroïque mort du comte d’Egmont. Au théâtre,
nous avons une tragédie sur Artevelde, le ruwaert de
Flandre, une comédie bien populaire sur des scènes de la vie privée de
Charles-Quint, d’autres comédies sur Rubens, Van Dyck, etc.
La jeune littérature flamande a-t-elle favorisé la
connaissance de notre passé ? Un instituteur de mérite de
La jeune littérature flamande a-t-elle recueilli les
traditions du pays ?
A Anvers on publie actuellement des scènes de la vie
intérieure de nos ancêtres sous le titre de : De goede
oude tyd. A Gand on publie
par livraisons un recueil intitulé
Quant à nos mœurs, à nos coutumes, j’ai à vous citer
l’Eloge des Poldres, par un estimable ecclésiastique, où l’on exalte la vie
heureuse et paisible des habitants de ces contrées encore si originales. J’ai à
vous signaler encore un tableau de la vie domestique fait de main de maître ;
c’est sous une forme saisissante (hoe men schilder wordt), l’histoire de la
plupart de nos artistes. Je regrette de ne pas voir ici notre honorable
collègue M. Brabant, qui s’occupe avec tant de zèle de l’étude de la langue
flamande ; il vous raconterait les émotions qu’il a éprouvées à la lecture de
cet ouvrage, car lui ne rougit pas de se laisser émouvoir par un poète ou un
romancier. Ledeganck va publier l’Eloge de l’agriculture.
Voilà encore un livre qui est bien destiné à entretenir l’attachement des
Flamands à leur pays si renommé depuis si longtemps pour les progrès de son
agriculture
Plus de dix histoires de
Je termine l’inventaire des richesses nationales de
notre littérature flamande. Ah je vous le demande, messieurs, une littérature
qui, en 5 ou 6 ans, a produit tant de livres remarquables, où le sentiment
national respire à chaque page, cette littérature serait antinationale, parce
que quelques lettres ont été changées à son orthographe ! Y pense-t-on ?
L’honorable M. de Foere avait un plus beau rôle à
jouer. Au lieu de s’opposer, avec une fermeté qui pourrait bien dégénérer en
opiniâtreté, à la régénération de la littérature flamande, il aurait dû
seconder le mouvement, le diriger, afin qu’il reste toujours dans la voie de la
nationalité, du respect pour nos mœurs et nos principes religieux. Heureusement
que d’autres ecclésiastiques l’ont compris ainsi, que l’épiscopat belge
lui-même a deviné, d’instinct, l’avenir de cette littérature qu’on voudrait
aujourd’hui proscrire. Comment l’honorable M. de Foere qui se dit si attaché à
sa langue flamande, a-t-il oublié qu’il y avait au-dessus de la question
secondaire de l’orthographe, la question autrement importante de la littérature
elle-même ? Au lieu de chercher à la développer, comment est-il allé jusqu’à
susciter contre elle toute espèce de défiance, et cela parce qu’elle ne se sert
pas de l’orthographe préférée par lui ?
Il nous a cité quelques phrases échappées dans la
chaleur de l’inspiration, à des écrivains qui ont traité un peu cavalièrement
de provinces wallonnes, les habitants de Bruxelles. J’ai regretté de voir M. de
Foere faire de semblables citations, j’ai regretté de le voir faire un appel
dangereux à ces passions mesquines de vanité et de rivalité entre provinces.
L’honorable membre aurait dû mieux dissimuler la
joie qu’il éprouvait à envenimer ces querelles qui doivent nécessairement jeter
de l’irritation dans les esprits. Ce n’est pas en excitant des défiances entre
les diverses provinces, ce n’est pas en ameutant les provinces wallonnes contre
la littérature flamande, que l’on contribuera aux progrès de cette littérature.
Ceux qui s’intéressent réellement à cette littérature, devraient savoir au
besoin sacrifier leurs idées personnelles à ses intérêts les plus chers. Cela
serait d’un vrai Flamand.
L’honorable M. de Foere a semblé craindre que
l’adoption de l’orthographe de la commission ne nous mettre trop en contact
avec nos voisins du nord.
Mais tout le monde sait bien qu’à l’heure qu’il est,
Du reste, messieurs, je le dis
sincèrement, pour moi ce débat, dans ces conséquences, n’a aucune espèce
d’importance. Quelle que soit la décision de la chambre, quelle que soit la
conduite du gouvernement, la jeune génération marche ; l’esprit de routine, les
préjugés auront beau se mettre en travers, ils ne réussiront pas à entraver le
mouvement national. C’est une marée montante qui finira par engloutir les
intelligences retardataires, les volontés obstinées qui essaient encore
d’opposer une digue impuissante à son cours. Ainsi, messieurs, la question de
savoir quelle conduite le gouvernement doit tenir, pour moi, cette question
n’en est pas une ; je n’y attache, moi, aucune importance ; mais, je le conjure
au nom de la littérature flamande, au nom des plus chers intérêts du pays, de
maintenir son arrêté. Qu’il ait le courage de combattre l’esprit de routine et
de préjugé ; qu’il donne de l’air, de la liberté à cette littérature flamande,
si forte d’audace et de jeunesse qui, elle aussi, saura ajouter quelques
fleurons à la couronne de notre glorieuse Belgique.
Un gouvernement doit savoir s’élever au-dessus de
toutes ces petites rancunes personnelles ; un plus vaste horizon doit s’ouvrir
devant ses regards. Qu’il décide une fois pour toutes s’il veut se laisser
dominer par quelques idées étroites, par quelques préjugés mesquins, ou bien
si, jaloux de contribuer à une œuvre de lumière et de progrès, il donnera la
main à cette jeune littérature pleine de sève et de vie à laquelle l’avenir
appartient.
M. de Roo. - Messieurs, il y a deux questions qui se présentent la question de
constitutionnalité et la question linguistique. Sur la première je suis
d’accord, avec M. le ministre de la justice, qu’on ne s’est pas écarté des
termes de la constitution. En effet, d’après l’art. 23 de la constitution,
l’emploi des langues est réglé par la loi dans les actes de l’autorité
publique. La loi de
Or, M. le ministre de la justice, par son arrêté de
Mais une autre question est celle de savoir si M. le
ministre a fait bon choix de sa prétendue langue flamande.
M le ministre dit que c’est la langue parlée par la
généralité du pays flamand qu’il a adoptée. Je dirai à M. le ministre, le
défiant de produire la preuve de son allégation, que pas un seul individu
flamand ne parle la langue par lui préconisée. C’est un véritable baragouin, un
dialecte amphibologique, un semi-hollandais, un rêve de quelques poètes qui
veulent singer le hollandais. Et je dirai avec mon honorable collègue M. de
Foere, que, s’ils avaient osé, ou s’ils devaient s’assembler encore, ce ne
serait plus le semi-hollandais, mais le hollandais tout pur qu’ils nous
proposeraient, et ils feraient mieux, car ce serait alors une unité, un
ensemble qu’ils proposeraient et non une rapsodie, un dissemblage
qui n’est ni l’une ni l’autre des deux langues.
L’honorable préopinant a cité plusieurs et quantité
d’auteurs, même une centaine, qui ont écrit dans le dialecte de la commission
ou Tael-Congrès. Or, ladite commission n’existe que depuis 6 ans. Je vous
demande jusqu’où porte cet argument. Il y a certainement quelques ouvrages
récents qui sont sortis des plumes de ces mêmes MM. Bormans,
David, Willems et Van Ryswyck, membres de ladite
commission. Il va sans dire qu’ils ont suivi leur œuvre. Quelques auteurs
ensuite ont suivi et suivront encore l’orthographe de la commission, et aussi
longtemps que M. le ministre ne retirera pas son arrêté, tous les instituteurs
des provinces, parce qu’ils se croient un devoir de s’y conformer malgré eux,
le suivront.
L’honorable M. Dedecker a également dit qu’avant le
XVIème siècle, c’était le hollandais qui formait la langue universelle, et il a
cité, entre autres auteurs, Cats, pour le prouver. Eh bien, je citerai le même
auteur pour soutenir le contraire, car Jacob Cats a écrit tout purement en
flamand ; qu’un auteur l’a traduit, même en hollandais (M. Sandelin)
; eh bien, à ce sujet je dirai comme a dit M. Dedecker relativement à la
grammaire de M. Behaegel, que tous les exemplaires se
trouvent encore dans la boutique de l’imprimeur.
Messieurs, si on avait amélioré la langue primitive,
je consentirais volontiers à y acquiescer. Mas, lorsqu’il est prouvé par des
honorables auteurs, entre autres M. Bon, vous prouvant le contraire, et il ne
faut pas être grammairien pour le comprendre.
En effet, la langue flamande est riche par elle-même
; elle a presque pour la signification de chaque chose un mot propre ; il est
vrai que des mots s’écrivent souvent par les mêmes lettres, avec la seule
distinction d’un accent. Je vous citerai un seul exemple pris entre beaucoup de
l’ouvrage de M. Bon que j’ai entre les mains : Beet veut dire betterave ; et beét avec un accent
veut dire morsure. En bien, lorsqu’on dit : de
beet is rood,
d’après la nouvelle orthographe qui fait main-basse sur tous les accents, on ne
sait si c’est la betterave ou la morsure qui est rouge. Il en est de même des
articles ; le masculin et le féminin se distinguent parfaitement dans le
flamand ; eh bien, la commission a encore amalgamé les deux articles
distinctifs, a pris l’article féminin pour le masculin, de manière qu’on ne
connaît plus le genre.
Messieurs, je vous citerais quantité d’autres malheureuses
innovations, si ce n’était pas trop faire de la grammaire. En un mot, j’ai
prouvé que la commission a fait rétrograder la langue ; de riche et claire
qu’elle était, on l’a rendue douteuse et obscure.
Au lieu de conjurer M. le ministre, comme a fait
l’honorable M. Dedecker, de vouloir donner suite à son arrêté, pour moi, je
l’engagerai fortement à le rapporter et à se tenir à l’orthographe de ses
prédécesseurs.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Qui donc ?
M. de Roo. - L’honorable M. Van Volxem entre autres, qui siège à mes côtés. De cette
manière il rendrait le texte de la loi compréhensible pour toutes les autorités
belges-flamandes. C’est aussi le dialecte que suivent toutes les administrations,
tous les tribunaux où l’on plaide encore en flamand, et on ne manquerait pas de
taxer de Hollandais celui qui en ferait usage. Que l’on relire cet arrêté, et
tous vos auteurs, tous vos instituteurs écriront et enseigneront le véritable flamand,
tel que l’écrivaient nos pères et tous avant le système de la commission.
(Moniteur
belge n°37, du 6 février 1844) M. de Foere. - Messieurs, l’honorable ministre de la justice, en abordant la question
qui nous occupe, vous a dit qu’il la poserait sur son véritable terrain. Moi
aussi je suivrai cette marche ; je poserai aussi la question sur son véritable
terrain ; mais il sera tout autre que celui que l’honorable ministre de la
justice et l’honorable M. Dedecker ont cru devoir choisir. J’examinerai la
constitutionnalité de l’arrêté du 1er janvier. En effet, c’est la question
principale qui soit ici en discussion, sans que les autres qui s’y rattachent
perdent rien de leur importance.
Toute la chambre comprend que, si la langue
hollandaise, ou, ce qui est la même chose, le dialecte hollandais est une des
langues usitées en Belgique, son emploi dans les actes de l’autorité publique
doit être réglé par une loi et non par un arrêté. C’est le texte formel, le
sens incontestable de l’art. 23 de la constitution.
Donc, pour établir l’inconstitutionnalité de
l’arrêté du 1er janvier, et au point où en est venue la discussion, il reste
seulement à prouver qu’il existe une différence essentielle entre la langue
flamande et entre la langue hollandaise, ou que ce sont deux dialectes
différents.
J’invoquerai, en premier lieu, l’opinion générale,
le sens commun qui n’a jamais varié sur cette question. En Belgique, ni en
Hollande, il n’a jamais existé un seul homme qui n’ait pas considéré le
dialecte hollandais comme essentiellement distinct du dialecte flamand, au
point même que, pour exprimer la distinction entre ces deux idiomes, l’usage
commun s’est toujours servi de ces termes : langue hollandaise, langue
flamande.
L’honorable ministre de la justice et M. Dedecker
sont donc en opposition formelle avec l’opinion générale et avec le sens
commun. En cherchant aujourd’hui à confondre les deux langues, afin de défendre
l’arrêté du 1er janvier contre l’accusation d’inconstitutionnalité, mes
honorables contradicteurs rejettent la question, sur quoi ? sur quelque
différence de voyelles et de consonnes. Or, les huit règles de la commission,
admises par l’arrêté du 1er janvier dans la traduction des lois et arrêtés,
sont puisées exclusivement dans la langue hollandaise et transforment, à la
double voyelle près, la langue flamande en langue hollandaise.
C’était aussi l’opinion de M. Falck que déjà je vous
ai citée. Dans les sociétés, dans ses conversations, cet ambassadeur a souvent
fait remarquer que les Belges, qui écrivent selon les huit règles de la
commission, adoptent aujourd’hui la langue hollandaise qu’ils avaient rejetée
avant la révolution. Le fait est connu de tous ceux qui ont été admis dans la
société de l’ambassadeur hollandais. L’honorable M. Devaux, en faisant
ressortir, en 1840, la même contradiction, a exprimé la même opinion sur la
distinction essentielle entre la langue flamande et la langue hollandaise,
qu’alors vous n’avez pas combattue. « Vous avez repoussé, disait-il, la
langue hollandaise, et aujourd’hui vous voulez tout imprimer en
hollandais. »
En second lieu, je prouverai par les adversaires
mêmes de la langue flamande que le dialecte flamand est essentiellement
distinct du dialecte hollandais.
M. Willems, de 1819 à 1821, publia un ouvrage
intitulé : Dissertation sur la langue flamande relativement aux provinces
méridionales du royaume des Pays-Bas. Jusqu’en
Donc, de l’aveu de M. Willems, la langue hollandaise
est essentiellement différente de la langue flamande, et, par conséquent, selon
M. Willems lui-même, l’arrêté du 1er janvier est inconstitutionnel.
Dans sa dissertation, M. Willems fait aussi l’éloge
du savant Desroches, et il ajoute que sa grammaire a été très souvent
réimprimée et qu’elle a été longtemps considérée comme la meilleure qui eût été
publiée dans le Brabant. J’appelle sur ce fait l’attention de l’honorable M.
Dedecker ; il pourra rectifier, sous bien des rapports, les opinions erronées
qu’il vient d’énoncer.
Je n’entre pas dans les motifs qui ont engagé M.
Willems à adopter, après 1824, le dialecte hollandais. J’abandonne cette
question à ses propres appréciations.
Après 1824 et surtout après que la commission eut
produit ses huit règles devant le public, M. Willems et les autres membres de
la commission qui, comme lui, avaient déjà préjugé la question, furent souvent
accusés de vouloir introduire dans le pays la langue hollandaise. Loin de se
défendre contre cette accusation, M. Willems l’admet et voici comment il se
justifie. Dans une lettre, adressée par lui au Journal de
« Ces règles (de la commission) nous rapprochent de
la littérature de nos anciens frères du Nord. Je ne pense pas que ce soit un
crime de travailler à réconcilier la littérature flamande avec celle de nos
voisins du Nord. »
Tel est le jugement de M. Willems lui-même à l’égard
de la distinction entre les deux langues et à l’égard de la substitution de
l’une à l’autre.
Il y a plus : M. Willems s’est exprimé d’une manière
plus claire et plus absolue. Dans son Belgisch Museum, qu’il publie encore aujourd’hui...
M. Rogier. - Je demande la parole.
M. de Foere. - … M. Willems soutient, en termes propres, qu’il y aurait de la folie à
ne pas nous réunir par la langue aux Hollandais ; het
zou dwaesheyd zyn ons door de tael met de Hollanders niet te vereenigen. »
Cette assertion est-elle assez claire ? Si elle l’est,
je crois être fondé à dire que dès à présent les trois quarts du discours de M.
Dedecker tombent en ruine.
Antérieurement à la nomination de la commission, M.
David, dans les deux éditions de sa grammaire de 1834 et 1836, avait écrit :
« La langue hollandaise est à tous égards la
nôtre. »
La commission a publié ses huit règles en 1839. De
toutes parts des réclamations s’élevaient contre le caractère hollandais de ces
règles. Il est probable que M. David ait senti la gravité de cette objection et
qu’il ait cherché à en amoindrir l’importante lorsqu’il s’est écrié depuis dans
son Middelaer :
« Non ! loin, très loin de nous l’idée de
proposer aux Flamands l’adoption du hollandais ! »
M. Willems ne s’est pas mis, comme M. David, en
contradiction avec lui-même. Il a été, sous le rapport des huit règles de la
commission, loyal et sincère. Selon lui, ce serait une sottise de ne pas se
réunir, pour la langue, aux Hollandais.
Pendant que M. David se livrait, dans son Middelaer, à cette exclamation, il écrivit cet ouvrage en
hollandais, moins la double voyelle aa et uu
! Je reviendrai tantôt sur cette légère différence qui constitue aujourd’hui la
seule exception orthographique.
Le savant grammairien Behaegel
s’était opposé aux huit règles de la commission. Lui aussi accusait la
commission de transformer la langue flamande en langue hollandaise. M. Behaegel avait étudié pendant 40 ans les sciences
grammaticales. M. D’Hutster, autre membre de la
commission a écrit contre lui une diatribe dans laquelle il s’exprime ouvertement
en faveur de l’usage de la langue hollandaise. C’est là aussi de la sincérité.
C’est le troisième membre de la commission qui soutient, contre le ministre de
la justice, qu’il y a une langue flamande et une langue hollandaise. Donc,
selon ces trois membres de la commission, l’arrêté n’est pas constitutionnel.
En Hollande, comme en Belgique, le hollandais a
toujours, sans exception, été reconnu comme un dialecte distinct du flamand. Il
est inutile d’accumuler ici des milliers de passages pour prouver cette
assertion. Jamais il ne s’est élevé à cet égard aucune contestation. Je me
bornerai à un seul passage des écrits du savant Bilderdyk.
Non seulement il y confirme mon assertion ; il y proteste, en outre, comme dans
une autre citation que déjà je vous ai alléguée, contre le système de Weiland et de Siegenbeek qui a
été imposé à
« Ou peut tirer, dit Bilderdyk,
un bon parti du flamand et un grand nombre de stupidités de nos grammairiens,
qui nous ont été imposés, ne seraient jamais entrées dans leur cerveau, s’ils
avaient aussi étudié le dialecte flamand. »
Messieurs, ce qui prouve, de la manière la plus
évidente, la distinction entre le flamand et le hollandais, ce sont les écrits
mêmes dont M. Dedecker vous a fait l’énumération. Examinez ces publications ;
ce ne sont pas seulement des changements essentiels apportés à la grammaire et
à la syntaxe de la langue flamande ; c’est tout le génie, tout le caractère de
la langue hollandaise transporté dans ce qu’on appelle la langue flamande.
C’est aussi la tendance directe des auteurs de ces écrits.
Enfin, messieurs, je vous citerai un dernier fait
qui prouve que le hollandais est un dialecte entièrement distinct du flamand,
aussi bien sous le rapport de la prononciation que sous celui de toute la
structure et le génie des deux dialectes. Les ministres hollandais
communiquaient, soit verbalement, soit par écrit, avec les membres des
Etats-généraux ; il est arrivé souvent que les membres des provinces flamandes
ne comprenaient pas le langage des ministres hollandais, au point même que l’on
a fait des réponses contrairement aux questions qui avaient été posées parce
qu’on n’en avait pas compris le sens. Cette difficulté de se comprendre m’a été
avouée hier et avant-hier par deux anciens membres des Etats-généraux. Au
surplus, le fait a été déclaré publiquement dans la séance du 16 février 1821.
Je conclus des considérations dans lesquelles je
suis entré que la langue hollandaise n’est pas la langue flamande, et qu’en
conséquence, l’arrêté du 1er janvier est inconstitutionnel.
Je n’ai pas besoin de prouver que, depuis notre
réunion à
Cependant il leur est resté une seule ressource. M. Dedecker
a prouvé que nos adversaires sont réduits à signaler une seule différence entre
le hollandais de la commission et le flamand tel qu’il est usité dans le pays.
C’est la double voyelle aa
et uu,
tandis que, sous tous les autres rapports, la grammaire, la syntaxe, tout le
genre et le caractère de la langue hollandaise sont substitués à la langue
flamande.
Mais cette seule différence ne tardera pas à
disparaître, soit par notre propre fait, soit par celui de
La dynastie qui règne en Hollande, la maison de
Nassau, encouragée par ses expériences, a écrit dans ses annales : Je persévérerai.
Une voix. - Je
maintiendrai.
M. de Foere. - J’ai dit : dans ses annales. Si vous préférez : Je maintiendrai, le terme m’est indifférent. L’un et l’autre ont la
même portée. Ceux qui sont initiés dans les secrets de la diplomatie et ce
secret n’en est plus un, savent que la Hollande ou plutôt la dynastie saisira
la première occasion qui, dans toutes les éventualités, s’offrira pour
reconquérir soit la Belgique tout entière, soit une partie de la Belgique. Or,
faire disparaître la distinction qui existe entre deux langues, effacer jusqu’a
la dernière différence, enlever l’obstacle de la langue, former ensuite le
pays, au moyen de la langue et des livres hollandais, aux usages, aux mœurs,
aux institutions et au caractère hollandais, c’est là, il faut en convenir, une
politique fort adroite pour encourager les espérances de la dynastie
hollandaise. D’un autre côté, il n’y a pas d’homme d’Etat qui n’ait attaché une
grande importance à la conservation d’une langue propre qui est l’instrument le
plus efficace pour maintenir les mœurs, les usages, les habitudes, les
institutions, en un mot, l’esprit national tout entier d’un pays.
L’histoire prouve que toutes les dynasties
conquérantes ont cherché à effacer, par la langue écrite, ou par les livres,
les mœurs, les usages, le caractère différents des pays conquis.
Il eût été désirable que les historiens nationaux,
que M. Dedecker a cru devoir relever, au lieu d’exhumer de vieilles chroniques,
eussent examiné cette question historique extrêmement importante dans ce débat
relatif à la langue du pays. Je demanderai à M. Dedecker et à toute la chambre
: Pourquoi sommes-nous restés si étrangers aux Hollandais par les mœurs, les
usages, le caractère et les institutions ?
N’est-ce pas uniquement parce que nous étions restés
étrangers au dialecte hollandais et qu’en conséquence
Maintenant, messieurs les ministres, voulez-vous
faciliter, dans des éventualités possibles, la réunion de
Il existe dans les provinces où on parle le flamand
une opinion que cette transformation actuelle du dialecte flamand en dialecte
hollandais, ou cette tendance directe opérer cette transformation est un
commencement de réaction vers
M. Dedecker. - C’est odieux, c’est calomnieux.
M. le président. - Il
n’est pas loyal d’attaquer dans cette chambre des personnes qui ne peuvent se
défendre. Je sais que l’honorable membre n’a pas nommé ces personnes ; mais
elles ont été nommées par l’honorable M. Dedecker. Rien n’autorise à rattacher
ces personnes à une conspiration.
M. de Foere. - C’est ce que je ne fais pas. Je constate une opinion qui existait dans
le pays et qui même existe encore aujourd’hui. Des journaux du temps ont même
signalé cette opinion. Elle est constatée par un journal d’Anvers et par un
autre de Bruxelles. J’ai sur moi le Commerce
belge, si vous le désirez, je vous donnerai lecture de l’article. Cette
opinion est-elle fondée ou ne l’est-elle pas ? Est-ce un préjugé bien ou
mal fondé ? C’est ce que je ne recherche pas en ce moment. Je le répète, je ne
constate qu’un fait et je crois en avoir le droit. Seulement je voulais en tirer
la conséquence que le gouvernement devrait respecter ces préjugés ou ces
opinions et ne pas les braver gratuitement.
Au surplus, le premier devoir des ministres du Roi
est de couvrir la couronne. Non seulement les populations, mais les hommes qui
comprennent toute la portée de cette substitution du dialecte hollandais au
dialecte flamand s’étonnent de ce que le Roi ait pu apposer sa signature à
l’arrêté.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - C’est inconstitutionnel.
M. de Foere. - Pas du tout. Je ne fais que constater un nouveau fait. Les populations
ne comprennent pas le mécanisme constitutionnel.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Il faut le leur apprendre.
M. de Foere. - Des personnes mieux instruites ne comprennent souvent pas elles-mêmes
que les ministres seuls soient responsables. Dans l’opinion publique, on met
souvent le Roi en cause ; sans doute, c’est indûment. Je ne vous tiens pas un
langage inconstitutionnel. C’est moi, au contraire, qui couvre la couronne.
C’est aussi le premier devoir des ministres, surtout dans des questions qui
intéressent la nationalité du pays.
Il est une autre question grave que les ministres
auraient dû prendre en considération. Ces mêmes littérateurs, dont M. Dedecker
a pris la défense, ont placé l’intérêt de leur langue hollandaise sur un
terrain autrement brûlant. Ils jettent des brandons de discorde entre les
provinces flamandes et wallonnes. Je vous ai cité leurs paroles : « Plus
de langue française, s’écrient-ils, dans le conseil des ministres ! plus de
langue française autour du trône ! voilà leurs tendances directes ! »
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Qu’est-ce cela veut dire ?
M. de Foere. - Si vous ne savez pas ce que cela veut dire, je ne voudrais pas être
dans votre position. (On rit.)
Voilà, en même temps, leurs progrès ! la
proscription de la langue française, la langue de la société et du bon goût, la
langue de toutes les cours européennes.
N’existe-t-il pas dans le pays assez d’éléments de
discorde ? Faut-il semer la défiance et la division entre les provinces
flamandes et wallonnes ? déclarer la guerre à l’une des langues nationales, à
la langue française, dont la plus belle qualité est sa clarté, qualité qu’elle
doit en grande partie à ses accents. La commission abolit les accents dans la
langue qu’elle propose. Elle la rend obscure et, néanmoins, c’est cette langue
que l’on adopte, dans la traduction du Bulletin
des lois et arrêtés, où l’on devrait surtout tenir à la distinction des
mots et à la clarté de leur expression.
Je n’ai qu’un mot à répondre au long discours de
l’honorable M. Dedecker. Je n’entrerai pas dans la réfutation d’une foule
d’inexactitudes graves qui lui sont échappées. Mais quels sont les littérateurs
qu’il vous a cités ? Précisément ceux, au moins la grande majorité, qui, du
temps de notre réunion à
M. de Mérode. - Si c’est réellement un progrès,
on fera bien de l’adopter.
M. de Foere. - Sans doute ; mais tout en faisant abstraction de la question de
nationalité, je vous offre la démonstration que sept des huit règles sont
contraires à tous les principes sur lesquels les savants ont fondé les belles
qualités des langues. L’étymologie, la dérivation, la régularité, la
distinction, la clarté, les affinités, la facilité dans l’enseignement et
l’usage sont impitoyablement sacrifiés à ces règles.
Puisque l’honorable M Dedecker a cru devoir parler
avec mépris de la revue flamande, publiée par une société de Bruxelles, qui
porte le titre Amour de la patrie, je
le défie, ainsi que les littérateurs qu’il a cités, de réfuter le premier
article de cet ouvrage périodique. Il est écrit, m’a-t-on dit, par M. Behaegel. C est un chef-d’œuvre de style et de
raisonnement. Cet article a précisément pour objet la question qui nous occupe
actuellement. Il vaudrait mieux réfuter ce travail et entrer dans le fond de la
question, que de vanter le progrès et s’extasier sur la jeunesse et la jeune
littérature.
M. Dedecker. - Qu’on réfute, si l’on peut, le rapport de M. Bormans.
M. de Foere. - Je suis charmé que l’honorable membre porte mon attention sur le
rapport de M. Bormans. La commission a posé ses huit
règles de la manière la plus absolue. Elles n’étaient accompagnées d’aucune
discussion, ni d’aucune explication grammaticale. Deux ans après, M. Bormans produit son rapport. Dans mon opinion et dans celle
de beaucoup de personnes compétentes, c’est une masse indigeste de 6 à 7 cents
pages dans lesquelles le rapporteur passe légèrement outre les mémoires qui ont
été envoyés au concours, dans le but de rechercher les moyens d’établir
l’uniformité dans la langue flamande et non dans la langue hollandaise. Il
passe à côte de la question qui était posée, et les sept huitièmes de son gros
volume sont absorbés par des vieilleries et des ergoteries étrangères à la
question posée par l’arrêté de 1836.
Messieurs, l’honorable M. Dedecker vous a cité le
texte de l’arrêté qui a ouvert le concours des mémoires. Je suis heureux qu’il ait
encore attiré mon attention sur ce point. Quel a été le but avoué de cet arrêté
? Celui de rechercher les moyens d’établir l’uniformité dans l’orthographe
flamande. Ce but est ouvertement exprimé par le texte même de l’arrêté. Mais,
au lieu de proposer des règles pour établir un parfait accord dans
l’orthographe flamande, ou pour faire disparaître les différences qui, lors de
notre réunion à
Ces huit règles sont tout à fait étrangères au but
de l’arrêté. Il en est de même du rapport de M. Bormans.
La commission n’a pas rempli sa mission. Pour établir l’uniformité dans
l’orthographe flamande, la commission nous propose l’idiome hollandais !
M. Dedecker. - C’est complètement faux.
M. de Foere. - L’idiome hollandais, moins la double voyelle aa et uu. Voilà le produit de la
commission et du rapport de M. Bormans. Je vous ai
déjà dit les raisons pour lesquelles il est probable que cette dernière
différence disparaîtra, soit par notre propre fait soit par celui de
M. de Mérode. - Et ce que vous avez écrit dans le Spectateur ?
M. de Foere. - Je suis charmé que M. le comte de Mérode me fasse rappeler ce que j’ai
écrit dans le Spectateur. L’honorable M. Dedecker vous en a donné lecture.
Cette opinion que l’honorable membre a cru opposer victorieusement à mon
opinion actuelle est, au contraire, complètement la même, et justifie, sous
tous les rapports, ma conduite actuelle dans cette question. Il résulte, de la
manière la plus évidente, des passages cités, qu’alors, comme aujourd’hui, j’ai
considéré les deux dialectes flamand et hollandais comme essentiellement
différents. J’ai même employé, dans le texte cité, le terme d’idiomes qui
emporte avec lui la signification de différences plus prononcées que celles qui
existent entre deux dialectes.
Nous étions alors en 1819 et 1820. Deux dialectes
d’une même langue étaient en présence, le dialecte flamand et le dialecte
hollandais. Nous voulions arrêter, à cette époque, les tendances bien connues
du gouvernement à nous imposer l’idiome hollandais. Dans cette situation, j’ai
proposé qu’il fût nommé une commission, composée d’un égal nombre de Flamands
et de Hollandais, pour examiner les moyens d’en venir à une transaction. Mon
but, en 1819 et 1820, était de sauver, s’il était possible,
quelques caractères et une partie du génie de la langue flamande et d’empêcher
l’invasion exclusive de la langue hollandaise. Alors, comme je l’ai dit, nous
étions en présence de deux idiomes différents dont l’un tendait à dominer officiellement
l’autre, tandis qu’en 1836 et 1837, lorsque les deux arrêtés ont été portés,
nous étions presque exclusivement en présence de la langue flamande, et, s’il
existait quelques différences dans l’orthographe de cette langue, c’étaient ces
seules différences que, selon le texte même de l’arrêté de 1836, il fallût
faire disparaître.
Messieurs, je devrais entrer dans d’autres
développements ; mais je me sens fatigué. Je crois, du reste, que la chambre
est assez éclairée sur la question de l’inconstitutionnalité de l’arrêté du 1er
janvier et sur celle de la nationalité.
(Moniteur belge n°33, du 2 février 1844) - La clôture est demandée.
M. Rogier (contre la clôture). - Messieurs, il ne s’agit pas ici d’un débat entre
des voyelles et des consonnes. Le débat a pris un caractère et des proportions
tout à fait dignes de fixer l’attention de l’assemblée, Je m’oppose donc à la
clôture. Des considérations importantes ont été émises, d’autres pourront
l’être encore. Je crois que lorsque la chambre s’occupe de la langue d’une des
grandes parties du pays, elle fait chose très sérieuse, et je demande que la
discussion continue.
- La clôture est mise aux voix ; elle n’est pas
adoptée.
M. de Corswarem. - Il ne s’agit pas de discuter
si la nouvelle orthographe est préférable à l’ancienne, ni si les règles posées
par Desroches doivent disparaître devant celles établies par le Tael-Congres.
Avec le temps, l’étude et les discussions scientifiques décideront ces questions.
Il serait téméraire d’oser, dès à présent, indiquer l’époque à laquelle elles
seront résolues. Elles ne le seront même probablement que lorsqu’un grand homme
aura écrit un œuvre de génie en langue flamande. Chacun alors l’imitera et il
servira de modèle, jusqu’à ce qu’un plus grand viendra le remplacer. Mais,
comme les grands hommes n’apparaissent pas souvent et qu’il faudra, selon
toutes les probabilités, qu’il en apparaisse un grand nombre avant qu’il y en
ait un qui se servira du flamand, il est à craindre qu’il nous faudra patienter
longtemps, avant de voir cette langue atteindre les dernières limites de la
perfection.
Nous n’avons à examiner que la constitutionnalité,
la légalité, l’opportunité et la nationalité de l’arrêté du 1er janvier, auquel
l’honorable M. de Foere dénie ces caractères. La constitutionnalité, la
légalité, ayant été prouvées à l’évidence par M. le ministre de la justice, je
me dispenserai de le faire une seconde fois ; restent son opportunité et sa
nationalité.
Pour savoir si l’arrêté est opportun, nous devons
examiner ce qu’est le flamand et dans quelle position il se trouvait au moment
où l’arrêté a été pris.
M. Dedecker nous a dit : Personne n’ignore que le
flamand et le hollandais ne sont que les deux branches d’un même dialecte, le
bas-allemand, het nederduitsch.
Le bas-allemand a été écrit et parlé exactement de la même manière, mais
prononcé différemment, presque, selon chaque localité, dans toute
En Hollande, le dialecte bas-allemand ayant continué
à être exclusivement employé, non seulement par le peuple, mais aussi par les
stathouders et leurs cours, les classes supérieures de la société, les savants,
et surtout les professeurs des universités, a été amélioré et transformé de
manière qu’il a bientôt constitué une branche distincte du bas-allemand, très
différente de ce que ce dialecte était primitivement.
Dans les provinces flamandes de
Vers le milieu du siècle dernier, un Hollandais,
Jean Desroches venu en Belgique, sentit la nécessité de raboter un peu le
bas-allemand de ce pays. L’honorable M. de Foere nous a dit que l’Académie de
Bruxelles l’avait chargé de cette tâche. Je ne sais si ce fait est exact, mais
je donnerais gros pour qu’il le fût. Il prouverait que les littérateurs belges
d’alors, pénétrés de l’infériorité de la branche du bas-allemand en usage dans
leur pays, ne trouvèrent rien de mieux que de charger le seul Hollandais qui
fût parmi eux, du soin de l’améliorer.
Quoi qu’il en soit, Desroches fit une grammaire et
un dictionnaire à l’usage des Flamands. Mais qu’introduisit-il par là en
Belgique ? Il y introduisit, ainsi que vous l’a dit M. Dedecker, un hollandais
suranné de Cats. S’il n’y introduisit pas celui de Vondel, qu’il connaissait
cependant, c’est bien certainement parce qu’il trouva que la transition aurait
été trop brusque. Entre le bas-allemand des Belges et la langue du poétique et
sublime Vondel, il y avait une trop grande distance pour essayer de la franchir
d’un saut ; Desroches le savait trop bien pour le tenter, et eut la prudence de
poser la langue du bon et vieux Cats, comme point intermédiaire entre les deux
extrémités. S’il revenait encore aujourd’hui, je suis bien certain qu’il ne
s’arrêterait pas à ce point intermédiaire ; il ne se contenterait plus du seul
pas qu’il a fait ; il ferait le deuxième que nos adversaires ne veulent point
que nous fassions.
Si l’honorable M. de Foere ne veut pas admettre que
le flamand de Desroches soit le vieux hollandais de Cats, il ne niera pas
cependant que c’est le flamand du siècle dernier, et il conviendra avec moi,
j’espère, qu’il n’y a aucune langue vivante qui n’ait fait des progrès depuis
un siècle. Pourquoi donc vouloir arrêter le flamand à une époque déjà séculaire
? Pourquoi vouloir l’empêcher de subir des améliorations et des
perfectionnements ? Parce que, dit-il, tendant à se rapprocher du hollandais,
il tend à hollandiser le flamand ! Mais alors il doit dire aussi que la
tendance du wallon à se rapprocher du français, tend à franciser les provinces wallonnes, et que les Hainautois,
parce qu’ils parlent le français, sont aussi mauvais Belges que les Alsaciens
sont mauvais Français parce qu’ils parlent l’allemand. L’honorable M. Dedecker
vous a fait ressortir toute l’exagération de cette assertion de l’honorable M.
de Foere ; je ne m’y arrêterai donc pas davantage.
Voila à quoi se réduit la question de nationalité,
et celle d’opportunité se réduit à savoir si M. le ministre de la justice
devait préférer, pour la traduction des actes officiels, le flamand du siècle
dernier à celui du siècle présent. Evidemment non, car c’eût été vouloir
établir que depuis un siècle le flamand avait atteint les dernières limites de
la perfection ; c’eût été nier tous les progrès qu’il a fait depuis, et il est
encore fort loin d’être parfait. Si M. le ministre de la justice eût adopté
l’ancienne orthographe, je me serais rangé parmi ses adversaires, et je lui
aurais fait un grief d’avoir répudié les progrès faits par la langue, tandis
qu’aujourd’hui je le remercie d’avoir eu le courage de les suivre.
M. Dumortier. - Messieurs, si la discussion, maintenant ouverte devant nous, était
purement grammaticale, je ne viendrais pour me mêler à ces débats ; étranger à
la langue dont il s’agit maintenant, mon rôle serait de garder le silence ;
mais, à mes yeux l’objet qui soulève ces débats a une bien autre importance. La
question soulevée par mon honorable collègue et ami M. de Foere, me touche
profondément, je ne viendrai pas la restreindre aux mesquines proportions d’une
question de personne. Les personnes doivent rester en dehors de ces débats ;
que nous importe ce qu’a dit tel ou tel à telle époque ? Ce qui nous importe,
c’est de conserver au pays ce grand caractère national qui fait sa force et sa
plus grande puissance, c’est que nous puissions opposer une barrière aux envahissements
de l’étranger, afin de consolider de plus en plus notre indépendance et notre
dynastie.
Vous comprenez donc d’avance, messieurs, que toutes
mes sympathies sont pour la vieille langue flamande. Loin de moi de vouloir le
moins du monde décourager les littérateurs flamands ; au contraire, j’applaudis
à leurs efforts, je les félicite des magnifiques travaux qu’ils ont produits ;
mais, je le demande, ces travaux sont-ils ou ne sont-ils pas indépendants de la
question de grammaire, de l’orthographe de la langue parlée par le peuple ? Là
est toute la question. Or, il me paraît évident que les progrès de la
littérature sont tout à fait indépendants des principes de grammaire appliqués
à la langue que parle le peuple. En effet, messieurs, examinez les progrès de
la langue française : certes, personne ne dira que le siècle de Louis XIV
n’était et ne demeurera probablement longtemps le siècle le plus brillant de la
littérature française.
Eh bien, ceux qui ont écrit les ouvrages magnifiques
de ce grand siècle employaient l’ancienne orthographe française. Nul doute, par
conséquent que les littérateurs qui honorent à un si haut degré
Messieurs, avant de prendre part à ces débats, j’ai
voulu me faire expliquer les différences qui existent entre la nouvelle
orthographe que l’on paraît vouloir adopter en ce moment, et l’ancienne
orthographe. Etranger à la langue flamande, je connais uniquement les règles de
la grammaire générale, mais je dois dire que ces différences sont telles, à mes
yeux, qu’elles occasionnent un bouleversement total de la langue anciennement
parlée dans nos provinces flamandes (interruption)
; j’en ai pour preuve ce qu’a dit tout à l’heure mon honorable ami M. Dedecker
et ce que vient de dire l’honorable M. de Corswarem.
Que vous a dit l’honorable M. Dedecker ? Il vous a dit qu’il resterait toujours
une énorme différence entre les deux langues : celle de la phraséologie.
Eh bien, je le demande, quand on est forcé d’en
venir à cette conclusion, qu’il ne reste d’autre différence que celle de la
phraséologie, n’est-ce pas avouer que la
différence se réduit à peu près à rien ? Et l’honorable M. de Corswarem vient de s’exprimer bien plus nettement encore ;
il a ouvertement déclaré que les modifications que l’on vent introduire à la
langue flamande ont pour but d’amener la réunion littéraire entre le Nord et le
Midi de l’ancien royaume des Pays-Bas.
Il résulte donc bien positivement des paroles de ces
deux honorables membres, il résulte clairement de leurs aveux, que
l’introduction le la nouvelle orthographe est un bouleversement complet de la
langue flamande, que c’est une réunion à la langue hollandaise.
Eh bien ! je ne veux point, moi, de cette réunion
littéraire entre le nord et le midi ; je ne veux point que la langue flamande
soit modifiée, de manière à devenir la langue parlée en Hollande. Je ne veux
point qu’il n’y ait d’autre différence entre la langue hollandaise et la langue
flamande, que celle qui résulte de la forme de la phrase.
II est une réflexion, messieurs, qui m’a
singulièrement frappé : cette réflexion, je la soumettrai à votre attention.
Sous le gouvernement précédent, la pensée la plus chère du roi Guillaume,
c’était de dénationaliser
Quelle fut la marche suivie sous ce rapport par le
gouvernement hollandais, à l’égard des provinces flamandes ? Son système était d’introduire
la langue hollandaise dans ces provinces par l’instruction, et pour atteindre
ce but il introduisit des modifications successives afin d’infiltrer peu à peu
la langue hollandaise dans nos provinces flamandes, et d’arriver ainsi
insensiblement à la fusion qu’il désirait si vivement. Dans toutes les écoles
on introduisit des grammaires qui, à ce que m’ont assuré les hommes les plus
compétents, renfermaient, à bien peu de chose près, les principes que l’on veut
introduire aujourd’hui. Voilà, messieurs, la marche que suivait le gouvernement
hollandais. Eh bien, dans toutes les communes des Flandres, un pétitionnement
unanime s’est élevé contre ce système, et lorsque nos armées victorieuses
eurent expulsé l’étranger de notre territoire, la première chose que firent
toutes les communes des Flandres, du Limbourg, du Brabant et de la province
d’Anvers, la première chose que firent toutes les communes de nos provinces
flamandes, depuis Nieuport jusqu’à Venloo, cc fut d’expulser ces livres des
écoles et de reprendre l’ancien enseignement de la langue flamande.
M. Dedecker. - Ce n’était pas à cause de l’orthographe.
M. Dumortier. - Voilà, messieurs, les faits qui se sont passés. Il me semble qu’ils renferment
un grand enseignement pour ceux qui veulent vous faire rétrograder à un système
que
M. Dedecker. - Ce n’était pas à cause de l’orthographe ; c’était à cause des
sentiments religieux.
M. Dumortier. - Il y avait l’un et l’autre.
Dans la discussion qui nous occupe, il est encore
une autre chose, qui m’a vivement frappé. C’est que les personnes qui défendent
si chaudement la conservation de l’ancienne langue flamande dans toute sa
pureté, ont écrit sur leurs bannières ces mots si chers à nos cœurs : l’amour
de la patrie ; tandis que les personnes qui s’attachent à introduire les
innovations, appellent à eux, quoi ? Un rapprochement littéraire de
Eh bien messieurs, en présence de ces deux faits, je
n’ai point à hésiter ; je donne l’appui de ma parole et de mon vote à ceux qui
sont animés de l’amour de la patrie (interruption)
; je ne prétends point qu’il n’y a pas d’amour de la patrie chez les autres,
mais je dis que toutes nos sympathies sont pour ceux qui appellent à eux
l’amour de la patrie, favorisant une diversité de langage, propre à nous
séparer de plus en plus d’une nation qui peut un jour songer à nous
reconquérir.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Il n’y a rien à craindre.
M. Dumortier. - Il n’y a rien à craindre en ce moment, mais l’avenir peut réserver des orages
à l’Europe, et les gouvernements, les hommes d’Etat ne doivent pas seulement
songer au présent ; ils doivent profiter des enseignements de l’histoire et
prévoir les éventualités qui peuvent se réaliser.
Nous n’avons pas changé de langage ; la langue que
nous parlons, est une langue faite depuis longtemps ; mais le langage que vous
voulez introduire, dites-moi, y a-t-il une commune en Belgique où on le parle ?
Y a-t-il une seule administration communale qui en fasse usage dans ses actes ?
Il y a six ans cette langue était même complètement inconnue.
M. Dedecker. - Vous n’en savez rien.
M. Dumortier. - Je vous défie de me prouver le contraire. Il y a six ans cette langue
était inconnue dans l’Europe entière avant le Tael-Congres ; on ne s’en doutait
même pas, et voilà le langage que l’on veut aujourd’hui imposer à nos provinces
flamandes et contre lequel elles s’élèvent avec une si grande force, je dirai
avec un fanatisme patriotique.
Je viens, messieurs, d’exposer en peu de mots les
motifs pour lesquels j’attache une immense importance à la conservation de la
langue nationale. Si des progrès doivent se faire, que ces progrès se fassent
lentement, qu’ils se fassent par la force même des choses, mais ce que je ne
puis admettre, ce que je ne puis concevoir, c’est qu’un gouvernement qui a pour
mission de défendre l’indépendance nationale, de protéger la dynastie qui
représente cette indépendance, qu’un pareil gouvernement vienne prêter les
mains à un système qui ne tend à rien moins qu’à nous rapprocher des ennemis
que nous avons dû combattre et que nous devrons peut être combattre encore un
jour. Sous ce rapport la question est grosse d’avenir.
Cette question, messieurs, est surtout importante,
aujourd’hui qu’il s’agit de savoir comment vont être établies les écoles
publiques.
L’intention du gouvernement est-elle, oui ou non
d’introduire dans les écoles nouvelles l’emploi d’une langue qui est, à peu de
chose, près la langue hollandaise ? L’intention du gouvernement est-elle de
conserver dans les communes, la vieille langue qui fait des Flandres la partie
la plus vivace du pays au point de vue de la nationalité ?
Voilà ce que je désire savoir, et c’est
principalement pour avoir ce renseignement que j’ai demandé la parole.
Dans mon opinion, il est du devoir du gouvernement
du protéger de tous ses moyens l’ancienne littérature flamande. Je dis plus :
un gouvernement doué de la sagacité qui discerne et de la perspicacité qui voit
loin, aurait dû de prime abord opposer une barrière aux innovations qu’on a
cherché à introduire dans cet idiome ; il aurait dû faire comprendre aux
littérateurs flamands que ce n’est pas une question de grammaire qui peut
arrêter les élans de leur génie ; on peut, quand on a du génie, écrire dans
toutes les langues du monde, et certes la langue de Vondel et de Cats peut
fournir encore bien des chefs-d’œuvre, il n’y a rien de commun entre une
question d’orthographe, une question de grammaire, et les chefs- d’œuvre
littéraires qui ont signalé la régénération de
Messieurs, je terminerai par une dernière réflexion.
En 1830, immédiatement après la révolution, un vote
solennel a eu lieu dans cette chambre, vote qui pouvait avoir de grandes
conséquences, mais qui a sauvé le pays..., je veux parler du vote qui a exclu
les Nassau. Beaucoup d’entre vous ont pris part à ce vote mémorable ; eh bien,
je vous le demande, tous les membres de cette chambre, qui ont participé à ce
vote, n’ont-ils pas en même temps voté l’exclusion de la langue hollandaise ?
C’est la nationalité, c’est l’indépendance du pays que le sénat a consacré par
son vote, et il est, à mes yeux, incontestable que la mesure que nous
combattons et qu’il est de notre devoir de combattre
aujourd’hui, est un retour vers le passé, retour que la chambre ne peut et ne
veut approuver. Que, si en 1830, un homme se fût levé dans cette enceinte, pour
faire parler à nos Flamands la langue hollandaise, il n’y eût pas eu assez de
sifflets dans le pays pour accueillir une proposition aussi antinationale.
Je dis qu’en présence de pareils faits tous les bons
citoyens doivent s’unir pour engager les littérateurs flamands à écrire leurs
productions dans la véritable langue flamande ; ils doivent s’unir pour engager
le gouvernement à employer tous ses efforts pour garantir cette langue contre
toute innovation qui serait un retour vers les idées hollandaises ; je suis persuadé
que si le gouvernement faisait comprendre à nos littérateurs que c’est cette
langue à laquelle il attache le plus d’importance au point de vue de la
nationalité, la question serait bientôt tranchée.
Ces littérateurs ont trop de patriotisme pour aider
à renverser une barrière qui doit protéger contre les éventualités de l’avenir
de notre indépendance, notre dynastie, notre nationalité. (Très bien ! très bien !)
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l’honorable
préopinant a eu quelques mouvements oratoires, qui m’ont entraîné moi-même, et
j’ai eu besoin de me dire que pour avoir ces mouvements oratoires, il a dû
donner à la question une portée qu’elle n’a pas.
M. le ministre de la justice, par l’arrêté du 1er
janvier 1844 qu’il a contresigné, a résolu une question toute spéciale, on ne
peut assez le répéter, la question toute spéciale de l’orthographe du Bulletin officiel ; quant à
l’orthographe flamande, il n’a résolu que cette question-là, question que j’appellerai
presque une question personnelle à M. le ministre de la justice. (C’est cela !)
J’ai déjà dit que l’arrêté ne devait pas avoir un
autre caractère. Cet arrêté n’a pas résolu la question générale de
l’orthographe flamande en Belgique, cette question générale subsiste ; et cela
est tellement vrai que, malgré M. le ministre de la justice, les parquets, le
greffes, dans les provinces flamandes peuvent continuer à suivre l’orthographe
qu’on a suivie précédemment. Ils restent, en un mot, complètement libres. La
question d’orthographe n’est donc résolue que quant au Bulletin officiel et même en ce qui concerne seulement l’édition
faite à Bruxelles par M. le ministre de la justice.
M. Rodenbach. - Je
demande la parole.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Il en résulte dès lors que,
dans
La question générale n’est donc pas résolue et ne
pouvait pas l’être.
J’ai dit quelle était la position que le
gouvernement comptait prendre quant à l’instruction primaire. J’ai dit que,
selon moi, le droit qu’a le ministre de l’intérieur, d’approuver les livres
destinés à être employés dans les écoles primaires ; que ce droit n’emportait
pas celui de décider, quant à l’instruction primaire, la question
d’orthographe. Je l’ai dit et je le répète aujourd’hui.
Mais, messieurs, je ne dois pas néanmoins dissimuler
à la chambre que je pourrais me trouver souvent dans un singulier embarras.
L’honorable M. Dedecker vous a énuméré tous les
auteurs qui ont adopté l’orthographe nouvelle. Il se trouve que ces auteurs sont
aujourd’hui en majorité. Il y a 115 écrivains qui suivent la nouvelle
orthographe ; beaucoup de ces ouvrages sont consacrés où peuvent servir à
l’instruction primaire ; j’en ai la collection au ministère de l’intérieur. Il
y a entre autres 19 grammaires. Je ne possède, au contraire, que deux ouvrages
dans l’ancienne orthographe qui sont destinés à l’instruction. L’un de ces
écrivains est M. Behaegel, qu’on a plusieurs fois
cité, et, en le nommant, je dois saisir cette occasion pour faire connaître
avec quel soin j’ai cherché à rester impartial dans la question. M. Behaegel publie sous le titre de Tydschrift
der Onderwyzers, un journal destiné aux institutions
primaires. Ce recueil s’imprime à Bruges, il en paraît une livraison tous les
deux mois ; or, M. Behaegel reçoit un subside sur le
budget du ministère de l’intérieur, et je n’ai pas mis pour condition à cette
subvention qu’il eût à abandonner l’ancienne orthographe, pour adopter
l’orthographe nouvelle. Le département de l’intérieur reçoit un certain nombre
d’exemplaires de ce recueil, et les distribue entre des sociétés
d’instituteurs.
Le deuxième écrivain qui conserve l’ancienne
orthographe flamande, et qui publie des livres pour l’instruction primaire, est
M. Bon. J’ai entre les mains la grammaire flamande de cet auteur, grammaire qui
est adoptée à l’Athénée royal de Bruxelles et dans les écoles communales de la
capitale.
Ainsi, je ne pourrai indiquer au besoin que deux
ouvrages flamands écrits pour les écoles dans le système de l’ancienne
orthographe, et je me trouve, avec ces deux ouvrages, en présence des ouvrages
de 115 auteurs, ouvrages, dont la plupart sont également destinés ou peuvent
servir à l’instruction publique. Voilà l’embarras dans lequel je me trouverai,
pour conserver une complète neutralité.
Néanmoins, je laisserai chacun libre. Un instituteur
qui sera placé à Bruxelles, par exemple, devra suivre l’orthographe à laquelle
le conseil communal de Bruxelles a donné la préférence pour l’Athénée royal et
pour les écoles primaires. A Gand, au contraire, l’instituteur suivra
l’orthographe nouvelle qui y est adoptée.
Cette proposition peut paraître bizarre, mais ce
n’est pas la faute du gouvernement si cette situation se présente. C’est le
résultat de circonstances indépendantes de la volonté de l’administration.
L’honorable M. Dumortier peut
donc être complètement rassuré, l’arrêté du 1er janvier 1844 n’a résolu qu’une
question spéciale et en quelque sorte personnelle à M. le ministre de la
justice ; la question générale reste tout entière, et chacun demeure libre
quant à la question générale de l’orthographe. C’est la force des choses, comme
l’a dit l’honorable M. Dumortier, qui doit résoudre la question, elle ne peut
être résolue par aucune assemblée, pas même par une assemblée de littérateurs,
c’est le temps qui doit la résoudre, c’est la majorité qui se produira à la
suite du temps, dans le sein des populations mêmes ; ce sont aussi les
littérateurs qui la résoudront ; ce n’est pas notre faute, si cent et quinze
auteurs ont adopté l’orthographe nouvelle, tandis que deux seulement parmi les
écrivains connus persistent dans l’ancienne orthographe. Je saisis cette
occasion pour faire connaître ce fait, afin que ceux qui sont partisans de
l’ancienne orthographe, ne l’abandonnent pas légèrement, s’ils veulent
continuer la lutte.
M. Verhaegen. -
Messieurs, je l’ai dit dans une précédente séance, c’est parce que le discours
de l’honorable M. de Foere avait été accueilli par des murmures d’impatience
sur certains bancs, et par une explosion d’hilarité sur d’autres, que je me
suis décidé à prendre part à la discussion.
La question qui s’agite est beaucoup plus grave
qu’on ne pourrait le croire au premier abord, et je conjure mes honorables
amis, ceux-là surtout qui ne connaissent pas la langue flamande, de me donner
quelques moments de bienveillante attention et de les mettre ainsi à même de
les convaincre de notre bon droit. Nous sommes, de notre côté, toujours
disposés à les écouter lorsque les intérêts de leurs provinces sont en
présence.
Messieurs, si des débats que je considère comme très
importants, puisqu’il s’agit de sacrifier une de nos langues maternelles à une
langue étrangère, pouvaient être considérés comme risibles par ceux qui ne sont
pas en état d’apprécier la question, à qui donc serait la faute, si ce n’est au
gouvernement qui a soulevé ces débats par son arrêté du 1er janvier ?
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Le gouvernement n’a fait qu’exécuter la loi.
M. Verhaegen. -
J’entends dire de toutes parts, et M. le ministre de l’intérieur vient encore
de le répéter, que la question qui s’agite n’est pas de la compétence du
gouvernement, et que c’est au temps seul à la décider ? M. le ministre de la
justice est-il donc en dehors du gouvernement ? Pourquoi s’est-il arrogé une
compétence qu’on refuse au gouvernement entier ?...
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Je demande la parole.
M. Verhaegen. -
Pourquoi M. le ministre de la justice s’est-il placé sur un terrain que ses
prédécesseurs ont considéré comme un terrain brûlant et qu’ils ont constamment
évité ?
Je ne prétends pas que M. le ministre de la justice
ait eu des mauvaises intentions, et s’est laissé circonvenir par des hommes
qui, depuis 1839, poussés par une idée fixe et par des sentiments
d’amour-propre, avaient assiégé de leurs réclamations tous les cabinets qui se
sont succédé ; il a été induit en erreur ; lui, j’aime le croire, ne connaît
pas à fond les principes de la langue flamande.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Je vous demande pardon.
M. Verhaegen. - M.
le ministre n’était pas à même d’apprécier la question, tout le monde en sera
convaincu aussi, tout ce que je lui reproche, c’est de refuser de reconnaître
son erreur et de découvrir la royauté en s’opiniâtrant à maintenir le
malencontreux arrêté du 1er janvier.
Messieurs, si j’avais pu voir, comme l’a affirmé
l’honorable M. Dedecker, que les membres de la prétendue commission n’avaient
eu pour but que le progrès, oh ! loin de les combattre, je me serais empressé
de leur voter des remerciements ; car personne plus que moi ne désire le
progrès surtout pour les campagnes ; je ne demanderais pas mieux, dans
l’intérêt de l’opinion à laquelle j’appartiens, que de contribuer à éclairer
par mes efforts les habitants du plat pays qu’on cherche par tous les moyens
possibles à maintenir dans l’ignorance. Mais, pour réussir, il faut d’abord que
ceux que nous voulons éclairer comprennent bien la langue dans laquelle nous
nous adressons à eux ; or, messieurs, je le déclare sans crainte d’être
démenti, car je suis compétent dans cette matière, que si on adopte
l’orthographe nouvelle, que moi j’appelle l’orthographe hollandaise, aucun
campagnard à quelque partie de
Messieurs, on vous le disait tantôt ; après la
révolution de 1830 on a repris partout l’orthographe de Desroches, la langue
flamande dans toute sa pureté remplaça immédiatement la langue hollandaise, à
laquelle s’attachaient de si fâcheux souvenirs !
L’honorable M. de Corswarem
prétend que dans plusieurs localités flamandes on est loin de parler d’après
Desroches ; mais il y a une grande différence entre parler et écrire : si dans
les provinces flamandes on ne parle pas parfois d’après Desroches, au moins
partout on écrit d’après Desroches. Les diverses inflexions, on le conçoit,
amènent des différences dans le langage, et ces différences existeraient aussi
avec l’orthographe hollandaise, mais la langue écrite ne subit pour cela aucune
variation, au contraire elle conserve des principes uniformes de grammaire et
de syntaxe ; il en est de la langue flamande comme de toutes les autres langues
: à Naples, à Rome, à Milan des inflexions différentes produisent un langage
différent, quoique partout ce soit la langue italienne écrite de la même
manière ; à Dresde, à Berlin, à Vienne c’est toujours la même langue allemande,
soumise suivant les localités à des inflexions variées.
La langue flamande, comme toutes les autres langues,
a fait des progrès ; mais ces progrès sont indépendants de ceux qu’a pu faire
la langue hollandaise. Certes, les progrès de la langue flamande ne consistent
point dans la transformation de cette langue en langue hollandaise, ce serait
là un progrès honteux et antinational que, pour mon compte, je repousserais de
toutes mes forces.
Les auteurs modernes ont apporté quelques modifications
aux principes de Desroches et M. Bon, dont l’honorable M. Dedecker a parlé avec
assez de légèreté, les a indiquées dans ses ouvrages, il les a même admises
dans la nouvelle grammaire qu’il a faite pour un grand nombre d’écoles
communales, et notamment pour celles de Bruxelles ; ce sont là les progrès de
la langue flamande proprement dite, qu’il n’est pas permis de confondre avec ce
qu’on appelle les progrès de la langue hollandaise.
Messieurs, je ne vous parlerai plus des principes
distinctifs de la langue, on vous en a dit assez à cet égard ; qu’il me suffise
de vous dire, par forme de résumé, que si les huit règles de la commission
étaient admises, ce ne serait plus du flamand mais du hollandais qu’on ferait
usage, et la question de constitutionnalité placée sur ce terrain ne peut être
douteuse pour personne.
Messieurs, on nous parle de commission nommée par le
gouvernement ; il semblerait, d’après cela, qu’une autorité compétente ait été
appelée à donner son avis ; qu’une académie nationale ait fait un travail que
M. le ministre de la justice a pris pour base de l’arrêté royal du 1er janvier,
mais il n’en est rien : Les membres de la prétendue commission se sont arrogé
un pouvoir qu’ils n’avaient pas, qu’ils ne pouvaient pas avoir.
En 1837, une commission fut nommée pour juger une
question linguistique qui avait été mise au concours ; le concours eut lieu aux
frais du budget, et il ne produisit aucun résultat ; alors les membres de cette
commission saisirent l’occasion de leur réunion pour préconiser une orthographe
nouvelle et faire un rapport à ce sujet au gouvernement. Ce rapport n’eut
aucune suite nonobstant les démarches incessantes de MM. Willems, Bormans, David et collègues ; tous les cabinets
résistèrent, M. d’Anethan seul, induit en erreur, a
posé un acte auquel tous ses prédécesseurs ont successivement refusé leur
adhésion.
M. le ministre oublie ce qui s’est passé il y a
quelques années. Qu’il remonte avec nous à l’époque de 1837 ; qu’il lise ce
qu’écrivaient les journaux du temps ; il trouvera, entre autres dans
l’Emancipation du 23 août 1837, un article qui dessine nettement l’opposition
des hommes par lesquels il s’est laissé entraîner. Cet article porte :
« Presque tous les membres de cette commission sont
partisans d’un même système, tandis que les autres n’y sont pas représentés.
Que conclure de là ? Oserons-nous le dire ? Le gouvernement n’a pas agi de
bonne foi, en choisissant de préférence les partisans d’un système quel qu’il
soit, ou qu’il s’est laissé tromper par trop de confiance. S’il faut à chacun
la faculté de défendre ses droits, c’est surtout dans une question encore en
litige et de si haute importance que celle-ci. »
M. Dedecker. - C’est
de M. de Foere.
M. Verhaegen. - Voilà, messieurs, ce qu’on écrivait en 1837. Cet article, fait dans un
temps non suspect, nous laisse voir de quelle manière certains hommes avaient
conçu le projet de substituer la langue hollandaise à la langue flamande et par
quels moyens ils voulaient réussir. Le gouvernement de cette époque fut d’abord
induit en erreur ; mais, éclairé par la presse, il finit par apprécier le but
et l’importance de la démarche. L’honorable M. de Theux, alors ministre de
l’intérieur, résista, et ses successeurs suivirent son exemple, car à
l’avènement de chaque cabinet nouveau, les membres de la prétendue commission
linguistique renouvelèrent leurs tentatives.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - C’est inexact !
M. Verhaegen. -
Entendez, messieurs (c’est un renseignement utile), ce que disait l’organe du
gouvernement en 1837 ! Je lis dans l’Indépendant ce qui suit :
« Il serait curieux d’obtenir quelques détails
sur cette académie, dont personne, si ce n’est le correspondant du Nouvelliste,
ne soupçonnait l’existence. En attendant, il est juste de remarquer que toute
l’intervention du gouvernement s’est bornée à ouvrir un concours sur une
question relative à l’orthographe, et à nommer une commission chargée de juger
les mémoires ; mesures prises à la demande de plusieurs littérateurs flamands
réunis en société libre, et non légale ni ministérielle. Sans doute les règles
qu’elle a posées trouveront des contradicteurs comme des approbateurs. Ces
débats sont même utiles en ce qu’ils donnent lieu aux divers systèmes de se
faire jour et d’obtenir un examen plus approfondi. Mais si quelques personnes
ont cru transformer une discussion littéraire en une affaire de parti ; si
elles veulent à propos de l’i et de
l’y, ressusciter les querelles des kiskis et des kankan, il est
probable qu’elles ne recueilleront, pour prix de leurs efforts, que la risée
publique. Il est encore plus probable que le gouvernement se gardera de
descendre dans la ridicule arène où on l’appelle mal à propos. Il a, ce nous
semble, toute autre chose à faire. »
Si, contre mon attente, la discussion actuelle
pouvait un jour être l’objet de la risée publique, la faute, comme je l’ai dit
déjà, en serait au gouvernement, qui, contrairement aux enseignements de son
organe avoué, contrairement aux actes qui ont suivi ces enseignements, s’est
arrogé un pouvoir qu’il n’avait point.
En vain l’honorable M. d’Anethan
invoquerait-il une autorisation momentanée de M. Raikem, alors ministre de la
justice, par suite de laquelle on aurait permis pendant un ou deux semestres de
se servir pour la traduction du journal officiel, de l’orthographe hollandaise,
car M. Raikem s’est bien gardé de sanctionner cette tolérance par un arrêté
royal, et d’ailleurs il avait bientôt reconnu son erreur, lui qui n’avait
aucune connaissance de la langue flamande.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Ce n’est pas exact.
M. Verhaegen. -
Avant comme après M. Raikem, tous les ministres qui se sont succédé ont rejeté
l’orthographe hollandaise et ont prescrit l’orthographe flamande pour la
traduction du journal officiel sans toutefois ajouter le nom du roi cette
mesure.
M. de Theux, comme je l’ai dit, est le premier qui a
résisté aux tentatives des novateurs. Voici ce qu’il répondit à M. Bon,
professeur de langue flamande, à l’athénée, qui, ayant conçu des craintes à la
suite de ces tentatives, demandait au gouvernement des instructions pour la publication
de sa nouvelle grammaire.
« Bruxelles, le 6 décembre 1839
« En réponse à votre honorée, du 29 novembre
dernier, j’ai l’honneur de vous informer que, si le gouvernement s’attache à
faciliter l’examen des questions littéraires, il ne se croit pas le droit de
les décider. En conséquence c’est à vous seul à choisir pour la nouvelle
édition de votre grammaire flamande le système d’orthographe que vous jugerez
le plus convenable.
« Recevez, etc.
« Pour le ministre de l’intérieur et des
affaires étrangères,
« Signé, Dugniolle.
« A M. François Bon, professeur, etc. »
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - J’adopte ces principes.
M. Verhaegen. - Si
vous les adoptez, alors vous devez nécessairement retirer l’arrêté du 1er
janvier.
M. Bon, que M. Dedecker a eu tort d’attaquer,
puisqu’il n’était pas ici pour lui répondre, vaut bien les écrivains et les
grammairiens dont il vous a parlé avec tant d’emphase ; M. Bon est professeur à
l’athénée de Bruxelles, ses ouvrages out été appréciés comme ils méritent de
l’être par les littérateurs flamands ; il ne demande pas les sympathies des
littérateurs hollandais ; entre autres marques de distinction, il invoque avec
un juste orgueil le témoignage qu’a bien voulu lui donner, non pas le roi
Guillaume, mais le roi Léopold. Voici ce témoignage :
« Bruxelles, 19 avril 1843
« Monsieur !
« Le Roi et
« L’intendant de la liste civile,
« (Signé) Conway. »
Voilà M. Bon, voilà ce que le Roi pense de ses
ouvrages, voilà l’importance que le roi Léopold attache au caractère et à la pureté
de la langue flamande, que son ministre de la justice semble méconnaître !
L’honorable M. Dedecker a invoqué à l’appui de son
système, ce qu’il appelle, lui, des autorités irrécusables. Les nombreux
ouvrages de littérature flamande, a-t-il dit, sont tous écrits d’après
l’orthographe de la commission, aucun n’est écrit d’après l’orthographe de
Desroches ; erreur : un seul imprimeur, à Roulers, M. Van Hee,
a édité, depuis 1830, 15 ouvrages flamands, écrits d’après l’orthographe de
Desroches et quant aux ouvrages signalés par M. Dedecker ce sont des ouvrages
hollandais écrits, depuis 1839, par ces mêmes hommes qui veulent aujourd’hui
nous imposer la langue hollandaise.
Messieurs, nous avons vu comment l’honorable M. de
Theux lorsqu’il était ministre de l’intérieur,
a résisté à toutes les tentatives de M. Willems et consorts, nous avons vu
aussi comment l’erreur de l’honorable M. Raikem fut immédiatement réparée ;
qu’il me soit permis d’ajouter que l’honorable M. Leclercq, dès son avènement
au ministère introduisit l’usage de la véritable orthographe flamande d’après
Desroches ; qu’à son tour l’honorable M. Van Volxem (c’est un de ses actes
auquel du moins il m’est permis de donner mon approbation), a montré sa
sympathie pour la langue flamande ; et ce qu’il a fait comme ministre de la
justice il l’avait fait déjà comme chef de l’administration communale.
En 1840, le collège des bourgmestre et échevins de
la ville de Bruxelles avait nommé une commission d’hommes instruits et
impartiaux, pour faire un rapport sur la question alors vivace de l’orthographe
flamande.
Cette commission, après un travail long et
consciencieux, termina son rapport par la conclusion suivante :
« En conséquence la commission est unanimement
d’avis que l’orthographe flamande mise en bons principes par Desroches modifiée
par plusieurs auteurs modernes, est la seule qui convienne à être enseignée
tant à l’athénée royal, qu’aux écoles communales de Bruxelles.
Le collège des bourgmestre et échevins sanctionna ce
rapport et le 31 octobre 1840 une circulaire fut adressée par M. Van Volxem aux
instituteurs communaux ainsi conçus :
« Monsieur,
« Ensuite de la décision que vient de prendre
le collège, nous avons l’honneur de vous inviter à enseigner dans votre école
la langue flamande, d’après les principes de Desroches, modifies par les
auteurs modernes.
« La plupart des modifications apportées audit
système étant accueillies par M. Bon dans sa 2ème édition de sa grammaire
flamande, nous vous invitons à la prendre pour base dans l’enseignement de
l’orthographe flamande ; nous vous prions aussi de porter votre attention sur
les livres dont les élèves feront usage, afin d’éviter l’emploi de ceux qui ne
seront pas en harmonie avec la grammaire dont nous venons de parler, etc. »
Vous voyez, messieurs, je m’empresse de le dire en
passant, que la langue flamande a fait des progrès : et en effet les
modifications aux principes de Desroches, indiquées par les meilleurs auteurs,
ont été accueillies par M. Bon, la commission nommée par le collège des
bourgmestre et échevins de la ville de Bruxelles, et après elle le collège
lui-même les a constatées ; enfin les principes primitifs ainsi modifiés sont
enseignés dans toutes les écoles, il n’est donc pas vrai qu’on veuille tenir la
langue flamande stationnaire et hors du progrès.
La marche suivie par l’administration communale est
celle qui a été constamment suivie par le gouvernement et qui avait été adoptée
sous l’empire par M. Lambrechts, ministre de la justice, dont nous sommes toujours
fiers de citer le nom. Il a fallut que la religion de l’honorable M. d’Anethan fût surprise pour qu’il ait pu dévier de cette
voie.
L’honorable M. Nothomb partagera aussi l’opinion de
l’honorable M. le Theux. Ce qu’il vient de nous dire en est la preuve, sauf que
la conclusion qu’il tire de ses prémisses est inadmissible. Il ne veut pas,
dit-il, se rendre solidaire de l’arrêté du 1er janvier ; c’est une question
toute spéciale qui a été décidée par M. le ministre de la justice. Quoi ! La
traduction du Bulletin officiel est,
d’après M. Nothomb, une question spéciale ! Mais n’est-ce pas un acte commun à
tous les membres du cabinet ? Les arrêtés de tous les ministères ne
figurent-ils pas dans le même recueil ? C’est une question spéciale, dit-on. La
signature royale serait-elle donc une vaine formalité qui n’engagerait pas la
responsabilité ministérielle ?
D’ailleurs, comme on vous l’a déjà dit, le Bulletin officiel ne servira-t-il pas de
règle aux instituteurs ? Dans un grand nombre de communes rurales, le même
individu remplit les fonctions de secrétaire et d’instituteurs de la commune.
Cet individu aura-t-il donc une orthographe comme secrétaire, et une autre
orthographe comme instituteur ? Ce serait une bigarrure dont il n’y aurait pas
d’exemple.
Nous avons deux langues maternelles, voulez-vous
subsister à la langue maternelle flamande, la langue hollandaise ; si vous le
voulez, ayez au moins le courage de le dire.
Mais non ! on n’aura pas ce courage, on voudra
tourner la difficulté parce qu’on craindra, en adoptant l’orthographe
hollandaise de froisser de justes susceptibilités nationales. En 1839, lorsque
les membres de la prétendue commission commençaient à se remuer, voici ce que
disait à la tribune de cette chambre mon honorable ami M. Gendebien :
« Jeune encore, je commençais à défendre le pays
contre les empiétements qu’il était facile de prévoir. Je quittai brusquement
la carrière politique, indigné de la faiblesse de ceux qui se sont soumis à un
des actes qui ont le plus contribué à la chute de Guillaume qui imposa la
langue hollandaise soi disant nationale aux provinces méridionales ; je prédis
alors que cet acte, contre lequel on n’avait pas eu le courage de résister,
amènerait la chute de Guillaume ! » (Séance du 16 mars 1839.)
Ces paroles de l’honorable M. Gendebien resteront à
toujours gravées dans nos mémoires ; elles me rappellent cette époque où moi,
Flamand, possédant les principes de ma langue, je fus obligé, sous peine de
renoncer au barreau, de suivre tous les soirs les leçons de M. Sommerhausen et d’étudier laborieusement la langue
hollandaise après les fatigues qu’amène une nombreuse clientèle.
D’après ce que je viens de dire, messieurs, vous
comprendrez que nous devons tenir à notre langue flamande ; cette langue, comme
toutes les autres, a fait des progrès ; ces progrès ont été signalés par M. Bon
et par d’autres auteurs modernes ; ce n’est pas le progrès que veulent MM.
Willems et consorts ; ce qu’ils veulent, c’est la transformation du flamand en
hollandais.
Tous les membres de la prétendue commission
(l’honorable M. de Foere l’a fait remarquer plus d’une fois) ont constamment
confondu les deux langues ; ils ont soutenu que le flamand n’est autre chose
que le hollandais. Qu’il me soit permis, en quelques mots, de résumer leurs
paroles :
« Ce serait une folie de ne pas nous unir par la
langue aux Hollandais, » a dit M. Willems. (Belgisch
Museum, 2ème partie.)
« La langue hollandaise est, à tous égards, la
nôtre. » (M. David avant-propos de ses grammaires.)
« Peut-on être plus lourd que de ne pas voir que
notre langue et celle des Néerlandais du Nord a toujours été la même langue et
qu’elle l’est encore. » (Rapport de la commission, par M. Bormans,
p. 353.)
M. Bormans ajoute au même
endroit ce que le gouvernement hollandais n’a jamais osé dire ; que « ceux qui
soutiennent le flamand de Desroches sont de grands et petits prophètes, des
lourdauds, des Flamands bâtards, des adversaires ignorants, à qui il faut
fermer la bouche. »
Et ces messieurs, en attaquant si violemment la
langue flamande, attaquent en même temps la langue française, qui a toujours
vécu la paix avec la langue flamande.
(Erratum,
Moniteur belge n°34, du 3 février 1844 :) J’ai lu quelque part que le
néerlandais représente la civilisation, le flamand la barbarie, le français la
corruption.
Vous voyez qu’en nous attaquant, ils font acte de
modestie !
Maintenant, messieurs, je vous le demande, de quel
côté est la passion ; d’où part l’oppression ?
M. le ministre de l’intérieur croit échapper à la
solidarité de l’acte posé par son collègue de la justice, en disant que la
question n’est pas décidée et que le terrain reste libre ; mais si le terrain
reste libre, qu’on fasse donc disparaître l’entrave apportée à cette liberté
par l’arrêté du 1er janvier, arrêté qui concerne tons les membres du cabinet,
puisque tous les actes des divers départements ministériels doivent subir la
même traduction dans le même journal officiel.
Ce qui, d’après M. Nothomb, ne serait qu’une misère,
ce qui d’après lui ne pourrait être que l’objet de la risée publique, pourquoi
donc le maintient-il ? Pourquoi donc, à raison de cette misère, veut-il
découvrir la royauté ? que M. le ministre de l’intérieur en convienne : lui,
est d’avis que l’arrêté du 1er janvier ne peut rester subsister.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’en conviens pas.
M. Verhaegen. - Si
vous voulez le maintenir, alors votre proposition est bien plus fausse ;
l’arrêté prescrit, pour tous les actes les divers ministères, l’orthographe
hollandaise, et vous, M. Nothomb, vous admettez l’orthographe flamande, en même
temps que l’orthographe hollandaise ; c’est une bigarrure dont il n’y a pas
d’exemple, c’est aussi un soufflet donne à votre collègue de la justice. Si
votre langage est franc, retirez donc l’arrêté du 1er janvier.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’en ai pas le droit.
M. Verhaegen. -
Vous n’en avez pas le droit ; mais quelle orthographe enseignera-t-on dans les
écoles primaires, dans les écoles normales ? Le temps, dites-vous, décidera ;
et dans l’intervalle restera en suspens l’une des questions les plus
importantes, celle de la langue nationale en rapport avec l’instruction !
N’oublions pas que la langue nationale est le moyen
le plus propre à conserver à un peuple son caractère primitif et à l’embraser
de l’amour de la patrie et de l’indépendance !
Qu’un peuple qui abjure sa langue se prépare à subir
le joug de l’étranger.
M. Malou (pour une motion d’ordre). -
Messieurs, ma motion d’ordre n’est nullement relative à la langue flamande.
Dans la séance d’hier, la chambre a adopté
différents amendements au projet de loi sur le droit d’enregistrement qui
frapperait les naturalisations. Ces amendements ont besoin d’être coordonnés.
J’ai entrepris de le faire, et je demanderai à la chambre qu’elle veuille bien
ordonner l’impression de la rédaction nouvelle qui ne change d’ailleurs rien
aux principes adoptés hier. De cette manière chacun des membres aura sous les
yeux la rédaction que je crois devoir proposer comme étant préférable à celle
des divers amendements qui ont été adoptés.
M. le président. -
Cette rédaction a été déposée sur le bureau, s’il n’y a pas d’opposition elle
sera imprimée et distribuée.
M. le président. - La
parole est à M. le secrétaire pour donner lecture à la chambre d’une
communication du gouvernement.
M. Huveners, secrétaire, donne lecture de l’arrêté suivant :
« Léopold, etc.
« Considérant que l’état de la santé de notre
ministre de la guerre le met momentanément dans l’impossibilité d’expédier les
affaires de son département ;
« De l’avis du conseil des ministres ;
« Sur la proposition de notre ministre de la justice
;
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Notre ministre des affaires étrangères aura la
signature du département de la guerre pendant la durée de l’indisposition de
notre ministre susdit.
« Notre ministre de la justice est chargé de
l’exécution du présent arrêté.
« Donné à Laeken, le 31 janvier 1844.
« LÉOPOLD.
« Par le roi :
« Le ministre de la justice,
« d’Anethan. »
M. le président. - Cet
arrêté est pris pour information.
EXPLICATIONS PORTANT SUR L’ARRETE
RELATIF AU TRANSIT DU BETAIL HOLLANDAIS
- Il a été également déposé sur le bureau des explications
sur l’arrêté relatif au transit du bétail.
M. Malou. - Je demande que ces
explications soient imprimées et distribuées.
- Cette proposition est adoptée.
INTERPELLATION RELATIVE A L’ARRETE DU 1ER JANVIER
1844, RELATIVE A L’ORTHOGRAPHE FLAMANDE DANS LE BULLETIN DES LOIS
M. le président. - La
clôture est demandée.
M. de Foere. - Sur quoi ?
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Sur la discussion qui vient de
nous occuper. Il y a lieu de passer à l’ordre du jour, à moins qu’on ne nous
fasse une proposition.
M. de Foere. - Des propositions peuvent résulter de la discussion.
M. Lebeau. - Faites-en une.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Il n’y a d’autre résultat que
celui-ci : c’est la déclaration faite par le gouvernement que l’arrêté royal du
1er janvier de cette année n’a décidé qu’une question spéciale et que la
question générale de l’orthographe flamande reste entière devant les
populations comme devant les autorités qui restent devant le pays parfaitement
libres. Voilà tout le résultat de la discussion.
M. Lebeau. - Il n’y a pas de résultat ; il n’y a eu que des explications.
M. de Foere (contre la clôture). - M. le ministre de l’intérieur vient de nous dire
que la question générale, celle de l’instruction primaire, n’était pas décidée.
Mais ce n’est pas sur cette question qu’a porté la discussion. Elle a porté
uniquement sur l’arrêté du 1er janvier. Cet arrêté, messieurs, reste comme acte
du gouvernement. Il sera exhibé à tous les instituteurs ; il leur sera donné
comme un exemple à suivre ; les partisans de la nouvelle orthographe s’en
serviront pour influencer les instituteurs.
Plusieurs membres.
- C’est le fond.
M. le président. - Cela n’a aucun rapport avec la clôture.
M. Cogels (sur la clôture). - Messieurs, lorsque j’ai réclamé la parole, c’était
principalement pour demander à quoi nous conduiraient tous ces débats ; car
aucune proposition n’est formulée. Cependant il me semble que l’honorable M. de
Foere, qui a soulevé la question, a eu tout le temps d’y réfléchir et qu’à la
fin de son discours, il aurait pu poser des conclusions, c’est-à-dire faire une
proposition. Si maintenant nous devons attendre que cette proposition naisse de
débats ultérieurs, qu’aurons-nous ? de nouveaux appels directs à la discorde.
Car au fond à quoi a mené toute cette discussion ? Certainement ce n’est pas à
rétablir la concorde, mais plutôt à jeter la désunion dans le pays ; je crois
qu’il vaut mieux étouffer un débat qui ne peut avoir aucun bon résultat, et je
propose l’ordre du jour.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb)
- Je ne pense pas qu’on puisse remettre cette discussion à demain, à
moins qu’on ne nous fasse une proposition rentrant dans les termes du
règlement. On n’a pas fait de proposition ; dès lors nous demanderons pour le
moment l’ordre du jour.
J’ai dit qu’il y avait 115 auteurs qui écrivaient
dans l’orthographe nouvelle.
M. le ministre de la justice, chargé de publier le Bulletin officiel, s adopté la même
orthographe, ce qui fait qu’il y a aujourd’hui 116 auteurs. Voilà tout.
M. Verhaegen. - Messieurs, on veut absolument
changer la question qui s’est présentée. Il s’agit ici d’une question générale
qui touche tous les ministères ; car les arrêtés de tous les départements, de
celui de l’intérieur, de celui des travaux publics, de celui des finances, de
celui de la guerre, sont insérés au Bulletin
officiel et par suite de la décision de M. le ministre de la justice, ils
s’y trouveront en langue hollandaise.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Cela n’est pas exact.
M. de Foere. - Je demande la parole.
M. le président. - Sur
quoi ?
M. de Foere. - Pour faire une proposition.
Messieurs, en premier lieu, on peut arriver à la
proposition résultant de la discussion, et qui tendrait à prier le Roi de
retirer l’arrêté.
En second lieu, nous pouvons laisser à
l’appréciation du ministère la question de savoir s’il retirera ou non l’arrêté
dont nous vous avons démontré l’inconstitutionnalité.
En troisième lieu, une proposition qui peut résulter
de ces débats, c’est de demander que, puisqu’une commission a été nommée en
1836, commission qui avait une opinion arrêtée d’avance, il en soit nommé une
parmi les littérateurs qui professent une opinion tout à fait contraire, pour
que la question soit bien instruite au fond ; mais qu’entre-temps, afin qu’il y
ait impartialité, M. le ministre de la justice retire son arrêté.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - La nomination d’une commission
semblable est absolument impossible, et je saisis cette occasion pour révéler à
la chambre un autre embarras qui existe en ce moment. On demande la formation
d’une académie flamande ; eh bien ! je dis que l’institution de cette académie
déciderait la question. Aujourd’hui tout le monde a pris parti, et si vous
instituez une académie flamande ou une commission nouvelle, je dis que celui
qui fera les nominations résoudra la question. Il saura d’avance où sera la
minorité.
Je dis plus, si vous établissez une académie
flamande, ne fût-elle composée que de 25 personnes, je vous défie de ne pas
nommer en majorité les écrivains qui oui adopté l’orthographe nouvelle. Les
littérateurs les plus distingués ont adopté cette orthographe. Vous y mettrez
les trois ou quatre écrivains qui suivent l’ancienne orthographe, mais la
majorité appartiendra à l’orthographe nouvelle, à moins que vous n’y mettiez
des inconnus.
Si l’honorable M. de Foere le juge convenable, qu’il
propose une adresse en se conformant au règlement. Mais en attendant, c’est
l’ordre du jour qui doit être adopté.
M. de Foere. - Je demande la parole.
M. le président. - M.
de Foere, vous êtes toujours libre de faire une proposition, mais vous avez
parlé deux fois sur la clôture ; je ne puis plus vous accorder la parole, à
moins que la chambre n’en décide autrement. (Non ! non !)
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
La chambre passe à l’ordre du jour.
La séance est levée à 5 heures.