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d’intention
Chambre
des représentants de Belgique
Séance du vendredi 26 janvier 1844
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétition
relative au droit à la pension pour les commissaires de police (Donny)
2) Demande en grande naturalisation
3) Projet de loi portant le budget du département de
l’intérieur pour l’exercice 1844. Motion d’ordre relative à la traduction
flamande des lois dans le Bulletin officiel (Delfosse,
Dedecker, Verhaegen, Nothomb, de Mérode, d’Huart, de Foere, Rodenbach), prescription de créances de la dette
belgo-hollandaise (Malou)
3) Projet de loi relatif au transit des laines (David)
4) Projet de
loi portant le budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1844.
Motion d’ordre relative à l’orthographe flamande dans les livres destinés à
l’instruction primaire et à l’instruction moyenne (Verhaegen,
Dedecker, Verhaegen, Nothomb), question des partis politiques (Verhaegen, Fleussu), orthographe
flamande (d’Huart, de Foere),
inspection et concours (instruction moyenne) (Devaux, Nothomb), écoles normales de l’Etat et influence du clergé
dans l’enseignement, instruction primaire et moyenne (Orts,
Nothomb), absence d’une école primaire supérieure dans
l’arrondissement de Philippeville (de Baillet-Latour,
Nothomb), écoles normales de l’Etat, instruction
primaire et influence du clergé dans l’enseignement, question politique
générale (Delfosse, Verhaegen),
écoles normales de l’Etat (Orts), école vétérinaire de
l’Etat (Rogier, Nothomb, David)
(Moniteur
belge n°27, du 27 janvier 1844)
(Présidence de M. Liedts)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à midi et
quart.
M.
Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente,
dont la rédaction est adoptée.
M.
de Renesse présente l’analyse des pièces
adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Berlize,
sous-lieutenant au 1er régiment de ligne, prie la chambre de statuer sur sa
demande en naturalisation. »
- Renvoi à la commission des
naturalisations.
_______________________
« Plusieurs habitants de Lancontrée présentent des observations contre le projet de
loi sur les céréales. »
« Mêmes observations des habitants
de diverses communes du Brabant, de la commune de Dilsen, des propriétaires et
cultivateurs de Burdinne et du canton de Bodognée. »
- Renvoi à la section centrale
chargée de l’examen du projet de loi.
_______________________
« Le sieur Jacquet prie la
chambre de lui faire obtenir une récompense pour des services qu’il a rendus
lors de la révolution. »
« Le sieur Gilkinet,
pharmacien, à Ensival, demande que les médecins dans le plat pays ne soient
plus autorisés à préparer et à fournir les médicaments nécessaires à leurs
malades. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
_______________________
« Le sieur Desmet, maître de poste, à
« Même demande du sieur Rueloux, maître de poste, à Charleroy, Leleux,
maître de poste, à Louvain, et de la veuve de Neubourg, maîtresse de poste, à
Leuze. »
- Renvoi à la section centrale
chargée de l’examen du projet de loi.
« Les commissaires de police d’Ostende
et de Furnes demandent que les commissaires de police soient admis, comme les
membres de l’ordre judiciaire, à obtenir une pension de retraite sur la caisse
de l’Etat. »
- Sur la proposition de M. Donny, renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi
relatif aux pensions.
_______________________
M.
Savart-Martel, indisposé par suite d’une chute,
s’excuse de ne pouvoir assister à la séance.
DEMANDE EN GRANDE NATURALISATION
M.
Delehaye, au nom de la commission des naturalisations,
dépose le rapport sur la demande de grande naturalisation formée par M. le
colonel Chapelié.
- La chambre ordonne l’impression et
la distribution de ce rapport.
Motion
d’ordre
M.
Delfosse. - Nous avons eu hier, sur la langue flamande,
une discussion que je crois très intéressante, mais à laquelle je n’ai pas
compris grand’chose. Je crois que beaucoup de mes
honorables collègues n’y ont pas compris plus que moi. Cette discussion se
rattache au budget de l’intérieur, en ce qui concerne l’instruction primaire. Sous
ce point de vue, une interpellation a été adressée à M. le ministre de
l’intérieur par l’honorable M. Orts ; M. le ministre de l’intérieur a répondu à
cette interpellation. Je conçois que quelques membres de cette chambre
répliquent à leur tour à M, le ministre de l’intérieur. Mais je pense qu’après
cette réplique la discussion sur la langue flamande doit, pour le moment, être
close.
En ce qui concerne M. le
ministre de la justice, nous n’avons pas en ce moment à nous occuper de la
question ; il fallait s’en occuper dans la discussion du budget de la justice,
ou bien il faut en faire l’objet d’une discussion spéciale. (Approbation.)
Si nous ne faisons pas ainsi, nous
serons entraînés beaucoup trop loin. Cela pourra retarder de plusieurs jours le
vote du budget de l’intérieur.
Je
demande donc que la chambre, après avoir entendu ceux qui voudraient répliquer
à M. le ministre de l’intérieur sur la question qui se rattache au budget en
discussion, fixe un jour pour la discussion spéciale. (Appuyé.)
M. Dedecker. - Je conçois parfaitement tout ce qu’il y a de fondé dans
l’observation de l’honorable M. Delfosse. En effet, il ne convenait guère de
commencer un débat pour lequel la chambre n’est pas compétente. Mais
l’honorable M. Delfosse aurait dû faire son observation avant l’incident de la
séance d’hier. Mais pour être juste, après avoir entendu toutes les attaques
dirigées contre ce qu’il y a de plus distingué dans la littérature flamande,
vous devez entendre la contrepartie.
M. Delfosse. -
Si je n’ai pas proposé plutôt l’ajournement hier, c’est que je ne savais pas
dans quelles limites l’honorable M. de Foere renfermerait sa proposition. Avant
qu’il prît la parole, je pouvais croire qu’il ne s’occuperait que de questions
relatives au budget de l’intérieur.
M. Verhaegen. - Au point où est arrivée la
discussion, il me semble impossible de l’arrêter. Je vais vous dire pourquoi.
L’honorable
M. de Foere nous a dit hier beaucoup de bonnes choses, et je le déclare, comme
l’a déclaré l’honorable M. Orts, je partage en tout point sa manière de voir ;
non pas que j’en fasse un motif d’opposition contre M. le ministre de la
justice ; non pas que j’y voie, comme on l’a prétendu, un coup d’Etat. M. le
ministre a été induit en erreur, j’en suis convaincu, et je l’engage à retirer
son arrêté pour que la question reste intacte.
Ainsi,
que l’on ne suspecte pas mes intentions ; si j’appuie l’honorable M. de Foere,
c’est que je suis convaincu qu’il a raison, c’est qu’il y aurait manque de
courage, surtout quand il s’agit d’un adversaire politique, de ne pas le
soutenir, quand il est dans le vrai. Je me propose donc d’appuyer à tous égards
les observations qui vous ont été soumises par l’honorable M. de Foere.
Quant
à la motion d’ordre, je dirai d’abord que M. le ministre de l’intérieur vient
encore une fois de se séparer de son collègue de la justice. (Dénégation de la part de M. le ministre de
l’intérieur.)
Messieurs,
M. Nothomb, ne nous a-t-il pas déclaré qu’il ne voulait prescrire jusqu’à
présent aucune marche ? Or, il s’agit de l’instruction primaire.
D’après
l’interpellation de l’honorable M. Orts, il nous importe de savoir quelle
langue on entend enseigner dans les écoles, si c’est le flamand ou le
hollandais. Je me réserve de prouver qu’avec les modifications d’orthographe
introduites dans l’arrêté qui fait l’objet de l’attaque, c’est de la langue
hollandaise qu’il s’agit.
M.
le ministre de l’intérieur ne veut pas prendre de parti ; il laisse liberté
entière à toutes les provinces ; je répète qu’ainsi il se sépare de son
collègue de la justice, puisque ce dernier prescrit une orthographe spéciale,
et qui, au fond, est hollandaise, relativement à la traduction du Bulletin officiel.
M. le président. - Je ferai remarquer à
l’honorable membre qu’il discute le fond.
M. Verhaegen. - Mais, M. le président,
c’est la motion d’ordre.
M.
le ministre de l’intérieur laisse liberté entière mais la grammaire ne laisse
pas de liberté, car elle est une et indivisible. Que M. le ministre de
l’intérieur nous dise donc quelle grammaire il se propose d’adopter pour les
écoles primaires ? laisser liberté entière, c’est dire
qu’il pourra y avoir plusieurs grammaires pour la même langue, selon les
diverses localités. Encore une fois, cela n’est pas possible ; que M. le
ministre ait donc le courage de prendre un parti
M. le président. - Je rappelle à l’honorable membre que la motion d’ordre est seule en
discussion. Quand viendra la discussion du fond, il pourra dire au fond tout ce
qu’il jugera convenable.
M. Verhaegen. - Je n’ai qu’un mot à
ajouter c’est que la discussion a été engagée par l’autorisation qu’a donnée la
chambre à l’honorable M. de Foere, de publier son discours. Veut-on aujourd’hui
revenir de cette décision ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne me suis pas séparé de mon honorable collègue de la justice ;
mais j’ai fait une distinction fondée qu’on ne peut nier.
Je
sais que beaucoup de personnes voudraient me séparer de M. le ministre de la
justice, non seulement grammaticalement, mais autrement. (On rit.)
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) -
Cela ne sera pas.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les positions sont tout a fait distinctes : M. le ministre de la
justice a été chargé par une loi de publier le Bulletin officiel ; il doit joindre au Bulletin officiel pour les provinces flamandes une traduction. Pour
ce travail il a dû choisir une orthographe. Avait-il le droit de faire ce choix
? Evidemment oui. A-t-il bien fait de donner la préférence à l’orthographe
nouvelle ? C’est une question purement littéraire.
Quelle
était ma position ? Je suis appelé à appliquer la loi sur l’instruction
primaire. Cela me donne-t-il le droit d’adopter une orthographe pour la langue
flamande et de la rendre uniforme dans le pays ? Je ne le crois pas. Mais je
ferai une hypothèse qui fera comprendre ma position. Je suppose que, dans mes
moments de loisir, je m’occupe à faire une grammaire flamande (on rit), je dis que, pour cette grammaire,
j’aurais le droit de choisir une orthographe ; je me donnerais la mission que
M. le ministre de la justice a trouvée dans une loi.
M. Maertens,
rapporteur. - Ce ne serait pas la grammaire du ministre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce serait la grammaire d’un tel devenu grammairien.
Voilà
la différence des positions. Je ne me suis pas séparé de M. le ministre de la
justice. Les positions sont tout à fait différentes. Les explications que j’ai
données hier doivent faire cesser toute discussion, quant à l’instruction
publique.
La
chambre aura à décider si elle veut prolonger cet incident, s’il n’est pas
nécessaire de répondre au discours de l’honorable M. de Foere.
M. de Mérode. - Je suis un des premiers inscrits pour la discussion entamée hier. A.
cet égard, je renonce à la parole. Mais comme l’honorable M. de Foere s’est
expliqué d’une manière assez étendue, en faveur de son opinion ; comme je
connais beaucoup de membres qui ne sont pas Hollandais, qui ne veulent pas de
réunion à
M. d’Huart. - J’appuie de tous mes efforts la motion d’ordre faite par l’honorable
M. Delfosse, Elle devrait être adoptée, par cette seule considération, que la
question ne concerne nullement le budget du ministère de l’intérieur. Ensuite,
s’il s’agissait d’entendre un seul membre qui voulût répondre à l’honorable M.
de Foere, mieux vaudrait ne pas ajourner la discussion. Mais vous avez quinze
ou vingt honorables députés des Flandres qui voudront prendre la parole, et qui
feront bien, s’ils croient avoir quelque chose de nouveau à dire.
Je
crois donc, je le répété, qu’il faut adopter la proposition de l’honorable M.
Delfosse et ajourner la discussion spéciale. Ainsi les honorables membres qui
veulent y prendre part auront tout le temps de se préparer.
M. de Foere. -
Messieurs, la discussion qui a été soulevée sur l’arrêté du premier janvier se
rattache directement à l’instruction primaire. Il n’est pas douteux que les
instituteurs primaires seront influencés par ceux qui partagent l’opinion de la
commission, lorsqu’on leur dira que le gouvernement vient de substituer la
langue hollandaise à la langue flamande. Ces pauvres instituteurs, craignant de
perdre leur place, n’oseront pas résister à ces influences.
Déjà,
comme je vous l’ai dit, certains inspecteurs ont exercé de nombreuses
influences directes sur les instituteurs ; ils invoqueront maintenant l’arrêté
du 1er janvier à leur appui, et je sais que l’on a déjà employé cette
argumentation, que le gouvernement est pour le dialecte hollandais. Ils
adopteront donc les huit règles de la commission. C est à tel point que la
nouvelle feuille flamande imprimée à Bruxelles, dans l’intérêt de l’adoption de
ces huit règles...
M. d’Huart. -
C’est le fond.
M. de Foere. -
Je suis dans la question. Voici le texte d’une décision qui a été prise depuis
l’arrêté du 1er janvier dans une réunion tenue à Louvain.
M. le président. - Toute la question se borne
maintenant à savoir si l’on discutera.
M. de Foere. Dans ce cas, je bornerai là mes observations.
Il est certain que la question se rattache directement à l’instruction primaire.
Je m’oppose donc à la motion de l’honorable M. Delfosse et je demande que la
discussion continue.
- La motion de M. Delfosse tendant à remettre à un autre jour la
discussion sur l’arrêté du janvier, est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - La chambre veut-elle fixer immédiatement ou ultérieurement le jour
de cette discussion ?
M.
Rodenbach. - Je propose de la fixer
immédiatement après celle du budget de l’intérieur.
M. Malou. - Il y a déjà plusieurs
projets dont la discussion est fixée après celle du budget de l’intérieur. Une
de ces lois notamment est assez urgente ; le sénat devant se réunir
prochainement, il est à désirer qu’elle soit discutée avant cette réunion. Je
veux parler du projet de loi relatif à la prescription des créances comprises
dans l’article 64 du traité. Je propose donc de fixer la discussion sur la
langue flamande après celle des objets déjà à l’ordre du jour.
- La
proposition de M. Malou est adoptée.
M. David (pour une motion d’ordre). -
Je ferai remarquer qu’il est un projet extrêmement important et extrêmement
urgent ; c’est celui relatif au transit des laines en masse, sur lequel je vous
ai fait rapport dernièrement. Ce projet, qui n’a qu’un article, ne donnera pas
lieu à de longues discussions. Je demande donc qu’il soit mis à l’ordre du jour
avec les autres projets qui s’y trouvent déjà.
-
Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
Discussion
des articles
CHAPITRE XVIII. - Instruction
publique
Enseignement
moyen
Article 3
« Art. 3. Frais d’inspection des
athénées et collèges : fr. 7,300 »
M. le président. - Nous rentrons dans la
discussion du budget de l’intérieur.
La
discussion continue sur l’interpellation de M. Orts.
M. Verhaegen. - Messieurs, je l’ai déjà
dit, je pense que la réponse qui a été faite par M. le ministre de l’intérieur
à l’interpellation de mon honorable ami M. Orts, n’est pas suffisante, en
présence de la position qu’a faite au gouvernement M. le ministre de la justice
par l’arrêté du 1er janvier. C’est ce que je me propose de vous démontrer.
Messieurs,
loin de moi de vouloir séparer le cabinet en deux camps, je repousse de toutes
mes forces les insinuations que s’est permises à cet égard M. le ministre de
l’intérieur.
M.
le ministre de l’intérieur a saisi cette occasion pour vous dire que,
« quelques efforts que l’on fasse, il ne se séparera jamais de M. le
ministre de la justice. » Je m’empresse, messieurs, de prendre acte de
cette déclaration ; elle établit la solidarité du ministère ; et à ce prix
seulement le ministère peut être homogène. Mais, je le répète, je repousse pour
ma part les insinuations auxquelles on s’est livré à mon égard ; l’objet auquel
on a fait allusion m’est parfaitement étranger ; je le déclare tout haut.
Messieurs,
l’interpellation de l’honorable M. Orts portait sur un fait important : comme
je l’ai déjà dit, M. le ministre de l’intérieur n’a pas répondu à
l’interpellation d’une manière satisfaisante ; en présence de l’arrêté de son
collègue le ministre de la justice, M. Nothomb ne peut plus dire aujourd’hui
que chacun fera ce qu’il jugera à propos ; le terrain n’est plus libre ; une
entrave a été apportée à cette liberté par l’arrêté de M. le ministre de la
justice. L’honorable abbé de Foere vient de vous le démontrer, et en effet,
pour un grand nombre d’instituteurs l’arrêté du 1er janvier servira de règle,
ils y puiseront les règles de la grammaire, et ils croiront, en agissant ainsi,
complaire au gouvernement.
Si on
veut laisser une liberté pleine et entière, que l’on se mette donc d’accord,
que M. le ministre de la justice retire l’arrête du 1er janvier, qui, s’il faut
s’en rapporter à M. Nothomb, est insignifiant.
Messieurs,
il s’est passé hier une chose fort extraordinaire, et je dois le dire, en même
temps très pénible. L’honorable abbé de Foere a eu de la peine à se faire
entendre ; son discours a été accueilli par des murmures d’impatience.
Qu’il
me soit permis de le dire, messieurs, plusieurs membres de cette assemblée
n’étaient pas à même de comprendre la question, et cependant elle est d’un
haute gravité ; si au lieu d’être traitée en 1844, elle avait été traitée en
1831, le discours de l’honorable M. de Foere, au lieu d’être accueilli par des
murmures, aurait été couvert de patriotiques applaudissements. Il y aurait eu
même quelque danger à présenter une thèse contraire.
Messieurs
je pense qu’a raison de ce qui s’est passé hier il y aurait manque de courage à
ne pas soutenir l’honorable abbé de Foere : la question, messieurs, ainsi qu’il
vous l’a dit, tient à des sentiments de nationalité. Quant à moi, je suis né
flamand, et je ne rougirai jamais de mon origine.
Nous
avons, messieurs, deux langues maternelles. C’est un arrêté de M. le ministre
de l’intérieur du 15 octobre 1843, sur le concours, qui nous l’apprend :
d’abord, nous avons la langue française, et c’est à celle-là, quoique né
Flamand, que je donne la préférence, parce qu’elle est à la fois langue
maternelle et langue universelle ; nous avons ensuite la langue flamande qui,
aussi, est une langue mère, mais à la condition seulement qu’on la conserve
dans sa pureté primitive et qu’on n’en fasse pas une langue bâtarde.
Je
lis avec plaisir, dans mes moments de loisir, certains auteurs flamands. Je ne
lis pas les auteurs hollandais. Il fut une époque où l’on nous obligeait
d’apprendre la langue hollandaise ; cette langue nous était imposée, et c’était
là un des véritables griefs de la révolution. Ceux qui, comme moi, appartenant
au barreau, ont été obligés d’étudier laborieusement cette langue étrangère,
savent ce qui leur en a coûté. La langue flamande nous était familière, mais il
ne nous fut point permis d’en faire usage.
Qu’on
ne vienne pas nous dire, messieurs, que nous voulons rétrograder, que nous nous
opposons au progrès ; certes nous voulons le progrès, mais il n’y a pas de
progrès à substituer une langue à une autre langue.
M. le président. - Je rappellerai que la
question du fond a été remise à un autre jour.
M. Verhaegen. - Je veux prouver que M. le
ministre de l’intérieur n’a pas du tout répondu a
l’interpellation de mon honorable ami (Interruption.)
Je comprends fort bien que ceux de nos honorables collègues qui n’ont pour
langue maternelle que la seule langue française, n’attachent
pas une bien grande importance à cette autre langue maternelle, à laquelle
nous, Flamands nous tenons comme signe de notre origine. M. le ministre de
l’intérieur ne peut donc pas se borner à nous laisser dans le vague alors qu’un
précédent a été posé par son collègue de la justice. Il faut à cet égard qu’il
ait le courage de revenir à un système d’unité.
Pourquoi veut-on maintenir l’arrêté du 1er janvier ? si
la chose est si ridicule qu’on voulait le faire croire hier, lorsqu’on
interrompait à tous moments, par des rires, le discours de l’honorable M. de
Foere, si la chose est si risible, pourquoi donc s’en occuper par un arrêté ? ce qu’il y a de plus risible en définitive, c’est l’arrête,
c’est donc le gouvernement qui a donné matière à toute cette raillerie.
Je
demande donc qu’on s’explique catégoriquement ; adopte-t-on l’arrêté, oui ou
non ? Si M. le ministre de l’intérieur persiste dans sa réponse, alors il faut
qu’il engage son collègue de la justice à retirer l’arrêté du premier janvier.
M. Dedecker. -
Oui, messieurs, la question soulevée hier par l’honorable M. de Foere a son
importance, mais je crois qu’elle a un autre genre d’importance que celui qu’y
attache l’honorable M. Verhaegen. C’est je pense d’une manière tout à fait
incidente que l’honorable M. Verhaegen s’est épris tout à coup d’une langue à
laquelle il songeait probablement fort peu, il y a huit jours. Il a eu le
bonheur de voir dans cette discussion un moyen de trouver quelques voix de plus
contre le budget de l’intérieur.
M. le président. - Je prie l’orateur de ne
pas incriminer les intentions.
M. Dedecker. -
Toute la discussion soulevée par l’honorable M. de Foere est une discussion
intentionnelle : il a supposé que tous ceux qui sympathisent avec la nouvelle
orthographe flamande sont des factieux. (Interruption.)
L’honorable M. de Foere a prononcé plus de vingt fois les mots de faction. (Oui ! oui !) La discussion a été placée sur un terrain glissant,
mais ce n’est certes pas par moi, et puisque hier on a suspecté, incriminé les
intentions de tant de personnes respectables, il me semble qu’il devrait bien
m’être permis de rechercher les motifs de la sympathie toute nouvelle que
l’honorable M. Verhaegen manifeste pour la langue flamande.
M. le président. - Veuillez ne pas perdre de
vue la décision que la chambre vient de prendre.
M. Dedecker. -
La chambre vient de décider qu’elle ne s’occupera pas en ce moment de la
question de linguistique soulevée par l’honorable M. de Foere, en tant qu’elle
se rapporte à l’arrêté du 1er janvier dernier, mais elle a décidé en même temps
qu’elle discuterait aujourd’hui le point le savoir si M. le ministre de
l’intérieur doit s’abstenir, oui ou non, d’adopter une orthographe pour les
livres destinés aux écoles primaires.
Je
dis que l’honorable M. Verhaegen n’a pas su faire cette distinction
essentielle. L’honorable ministre de la justice devait nécessairement adopter
une orthographe pour la traduction flamande des lois et arrêtés insérés au Bulletin officiel ; il devait
nécessairement adopter l’une orthographe ou l’autre. De cette manière M. le
ministre était bien forcé de prendre fait et cause pour l’une ou pour l’autre.
Eh
bien ! messieurs, depuis six ans le gouvernement a nommé une commission, il a
ouvert un concours, il s’est formé en congrès scientifique de deux cents
personnes réunies à Gand, tout cela pour amener l’adoption d’un système qui a
prévalu, qui a été adopté par l’unanimité des personnes qui s’occupent de la
langue flamande, a un très petit nombre d’exceptions près.
N’est-il
pas tout naturel que ce soit ce système orthographique qui ait obtenu la
préférence du gouvernement ?
M. le président. - Je prie l’orateur de bien
vouloir se renfermer autant que possible, dans la question en discussion.
M. Dedecker. -
J’y arrive M. le président. Je voulais seulement démontrer que M. le ministre
de la justice, alors qu’il se trouvait dans la nécessité de faire un choix, ne
savait en faire un autre que celui qu’il a fait. Voilà pour ce qui concerne
l’arrêté du 1er janvier, mais, comme je le disais, il y a distinction à faire
entre ce qui est relatif à cette mesure et la conduite à tenir par M. le
ministre de l’intérieur, quant à l’approbation des livres destinés à l’enseignement primaire. Je crois qu’ici M. le ministre de
l’intérieur peut sans aucune espèce d’inconséquence se séparer de son collègue
de la justice ; et quelque partisan que je sois de la nouvelle orthographe, je
pense que le M. le ministre de l’intérieur ferait une chose imprudente, s’il
imposait à qui que ce soit une opinion quelconque dans une matière aussi
délicate. Je crois qu’il n’a pas le droit de le faire. Il doit respecter toutes
les opinions en cette matière et laisser l’ensemble des principaux écrivains le
soin d’amener avec le temps l’unité dans l’orthographe flamande.
Ainsi,
messieurs, d’un côté, j’approuve de tout cœur la conduite tenue par M. le
ministre de la justice et sans être le moins du monde inconséquent, j’approuve
de tout aussi bon cœur la conduite que se propose de tenir l’honorable ministre
de l’intérieur.
M. Verhaegen. - Je ne sais pas pourquoi l’honorable préopinant se permet de
suspecter mes intentions ; M. le président, en l’interrompant, a fait acte
d’impartialité. Je déclare que j’ai parlé de conviction. J’ai fait abnégation
de tout sentiment d’animosité, de toute pensée d’opposition contre un membre
quelconque du cabinet. Je voulais, à en croire l’honorable M. Dedecker,
détacher des voix de la majorité de M. le ministre de l’intérieur. Ne vous y
trompez point, messieurs, ma conduite n’est pas du tout celle qu’on me suppose.
Si je suis décidé à voter contre le budget de l’intérieur, ce n’est pas à
raison des personnes, je ne réduis pas la question à ces proportions ; je
voterai contre le budget de l’intérieur à raison de certains principes qui ne
me conviennent point et que je ne cesserai de combattre par tous les moyens qui
seront en mon pouvoir. Que M. Dedecker le sache bien, je ne fais partie
d’aucune coalition ; si toutefois une coalition existe, ce que j’ignore.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois de nouveau protester contre l’idée qu’il y aurait
contradiction dans la manière d’agir des deux ministres. J’ai dit que je
maintenais le principe de la liberté, et ce principe, je l’applique à M. le
ministre de la justice. Mon honorable collègue est chargé de publier le Bulletin officiel avec une traduction
flamande ; pour cette traduction, il a fait choix d’une orthographe ; il était
dans son droit ; il a commencé par user à son profit du principe de liberté que
j’ai posé hier. Il n’y a donc ici aucune contradiction.
Quelle doit être la portée de l’arrêté du 1er janvier ? Je l’ai déjà
dit, cet arrêté ne préjuge rien quant à la question en général, cet arrêté ne
décide qu’une seule chose, c’est que M. le ministre de la justice usant de la
liberté que nous accordons à tout le monde, a adopté l’orthographe nouvelle
pour le Bulletin officiel. Il ne faut
tirer de cette mesure aucune autre conclusion ; ce n’est pas un précédent qui
atteste de la part du gouvernement le parti pris d’imposer uniformément une
orthographe.
M. Verhaegen. - Je dois ajouter un mot aux paroles que j’ai prononcées tout à
l’heure. Quand j’ai dit que je ne faisais partie d’aucune coalition, si
toutefois il pouvait en exister, j’ai voulu faire comprendre, entre autres, que
je n’entendais pas me ranger parmi les amis politiques au nom desquels avait
parlé l’honorable M. Dolez dans la discussion générale du budget de l’intérieur
; je tenais à dessiner ma position pour qu’il ne restât point d’équivoque sur
ce point.
M. Fleussu. - On vient de parler de coteries, de coalitions, puis on a fait
allusion au discours de l’honorable M. Dolez, dont je regrette l’absence en ce
moment ; je ne puis supposer que l’honorable M. Verhaegen ait eu l’intention
d’appliquer à M. Dolez les mots coteries, coalitions ; l’honorable M. Dolez
n’est point homme de coterie ; il a pu exprimer les sentiments de quelques-uns
de ses collègues, d’après la connaissance qu’il en aura probablement acquise
sur ces bancs mêmes et par suite de relations qui s’établissent entre
collègues.
M. d’Huart. - Je voulais dire quelques mots sur la question qui nous occupe, mais
l’honorable M. Dedecker a déjà présenté à peu près toutes les observations que
je voulais faire valoir.
L’honorable
M. Verhaegen engage M. le ministre de l’intérieur à trancher la question et à
adopter d’une manière décisive telle ou telle orthographe pour les livres dont
on se sert dans les écoles primaires. Eh bien, moi, j’engage M. le ministre de
l’intérieur à n’en rien faire, à suivre la marche qu’il vous a fait connaître
hier, à examiner les livres quant au fond, sans s’occuper en aucune manière de
la forme de l’orthographe. C’est là, je pense, ce que demandent nos honorables
collègues des Flandres, et je crois que M. le ministre fera d’autant mieux
d’agir de la sorte que la question devra être discutée ultérieurement.
M. de Foere. -
Messieurs, la discussion s’établit sur l’interpellation de l’honorable M. Ors,
et sur la réponse que l’honorable M. ministre de l’intérieur lui a faite.
Dans
sa réponse, M. le ministre de l’intérieur vous a dit qu’il en faisait une
question de temps, que le temps décidera s’il existera, ou non, majorité pour
ou contre le système de la commission et que, quant à lui, il usera entre-temps
de la plus grande réserve. M. le ministre de l’intérieur vient, en même temps,
de soutenir le droit qu’avait, selon lui, son collègue de la justice de faire
choix entre l’une ou l’autre orthographe, et il s’est aussi constitué solidaire
de l’acte du 1er janvier de son collègue. Il y a, selon lui, sur ce point
homogénéité et solidarité d’opinion. Cependant, messieurs, il a y contradiction
évidente entre les deux ministres. L’un a basé exclusivement l’opportunité de
son arrêté du 1er janvier sur l’immense majorité qui, selon lui, existe dès
aujourd’hui en faveur des règles de la commission ; l’autre ministre soutient,
au contraire, que cette majorité n’existe pas aujourd’hui, mais que le temps la
décidera. Il est donc évident que l’un ministre ruine complètement la seule
base sur laquelle l’autre avait fondé l’opportunité de son arrêté. Je le
demande, où sont maintenant l’homogénéité et la solidarité de leur opinion
commune ?
M.
le ministre de l’intérieur a répondu à l’interpellation de l’honorable M. Orts
que, relativement à l’instruction primaire, il restera neutre entre les deux
orthographes, qu’il usera de la plus grande réserve jusqu’à ce que le temps ait
décidé la question de la majorité. J’aurai l’honneur, messieurs, de vous
administrer la preuve la plus évidente que M. le ministre de l’intérieur ne
reste pas neutre, qu’il n’use pas de la plus grande réserve dans la question.
En approuvant l’arrêté du 1er janvier, en s’associant à l’opinion de M. le
ministre de la justice, il décide la question dès aujourd’hui. Il est
infaillible que les instituteurs primaires ne voient pas dans l’arrêté du 1er
janvier l’opinion du gouvernement. Ils y verront, en toutes lettres, que le
gouvernement adopte de préférence les huit règles de la commission alors
surtout que le ministre de l’intérieur, le chef de l’instruction publique,
vient de déclarer ouvertement que son collège de la justice a bien fait
lorsqu’il a pris son arrêté. J’en conclus que sa déclaration de neutralité
n’est pas sincère ; j’en conclus qu’alors même qu’elle fût sincère, sa
déclaration ne peut plus avoir aucune valeur réelle. L’arrêté du 1er janvier
est une manœuvre adroitement employée pour amener la majorité du corps des
instituteurs primaires. Les intrigants s’empareront de l’arrêté de M. le
ministre de la justice, approuvé par son collègue de l’intérieur, pour
continuer à exercer les influences que déjà, depuis longtemps, ils ont exercées
sur les institutions primaires. Ces pauvres maîtres d’école craindront de
perdre leur place, d’être mal notés, s’ils n’adoptent pas les huit règles
d’orthographe hollandaise pour laquelle les deux ministres viennent de se
prononcer. Je soutiens que la question de majorité du corps enseignant est
décidée dès à présent et que le ministre de l’intérieur détruit d’une main ce
qu’il déclare vouloir laisser intact de l’autre.
- La clôture sur l’incident est demandée, elle est mise aux voix et
adoptée.
« Art.
3. Frais d’inspection des athénées et collèges, fr. 7,300 »
M. Devaux. -
Messieurs, c’est encore d’administration que je veux entretenir la chambre ;
elle me pardonnera donc d’entrer dans quelques détails.
M.
le ministre de l’intérieur fait inspecter les athénées depuis deux ans, mais je
ne puis qu’approuver cette mesure, je crois que l’inspection pourrait être
mieux organisée.
M.
le ministre de l’intérieur a chargé de l’inspection des collèges les
professeurs d’autres collèges ; les professeurs d’un collège ont inspecté
d’autres collèges. Ainsi les professeurs du collège de Liége ont inspecté
l’athénée de Namur, et ainsi de suite.
Si
cette mesure n’a pas un caractère permanent, elle est assez indifférente
j’engage M. le ministre de l'intérieur à ne pas la rendre permanente ; il
comprendra qu’il est de l’intérêt de l’instruction qu’il n’en soit pas ainsi.
Pour
que ces inspections soient utiles, il faut qu’elles soient faites avec beaucoup
de soin ; il faut qu’elles puissent donner au gouvernement une véritable idée
de la situation des divers établissements et que le gouvernement puisse mettre
sous les yeux de chaque administration communale le résultat de l’inspection du
collège de la localité pour lui en faire connaître le côté faible. Or, vous
comprenez que si on charge le chef de l’établissement de telle ou de telle
ville, d’inspecter l’athénée ou le collège de telle autre ville, sauf l’année
suivante à faire au contraire inspecter celui-ci par celui-là, un inspecteur
qui est lui-même sujet à inspection sera peu porté à un examen envers des
professeurs qui peuvent devenir ses inspecteurs à lui-même.
J’engage
donc M. le ministre de l’intérieur à ne pas prolonger cette mesure. Je crois
qu’il serait plus naturel d’employer, pour l’inspection, d’anciens professeurs,
et surtout des professeurs d’universités.
Les
collèges sont assez difficiles à inspecter. Je pense qu’il vaudrait mieux ne
pas les inspecter tous, mais seulement une partie chaque année ; de cette
manière, l’inspection pourrait être plus approfondie ; il ne suffit pas que les
inspecteurs interrogent les élèves, il faut qu’ils entendent les professeurs,
il faut qu’ils voient la manière dont ils donnent leurs leçons ; c’est ainsi
qu’on parvient à découvrir le fort et le faible de chaque enseignement, chose
d’ailleurs assez difficile.
Maintenant
je demanderai à M. le ministre de l’intérieur s’il désire que je rattache à
l’article en discussion ce qui se rapporte au concours des athénées et des
collèges.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui.
M. Devaux. -
Soit.
Messieurs,
vous savez que le concours des athénées et collèges a été institué en 1840. Il
s’est prononcé deux opinions à ce sujet dans la chambre, l’une favorable, l’une
défavorable au concours. J’ai déjà dit dans cette enceinte que j’étais très
favorable au concours ; c’est cette mesure que l’on doit la réorganisation de
l’enseignement moyen dans la plupart des grandes villes du royaume.
M.
le ministre de l’intérieur, lorsqu’il est entré au pouvoir, ne s’est prononcé
ni pour ni contre, ou plutôt il s’est prononcé à la fois pour et contre. Vous
vous rappellerez que dans son programme d’installation il a blâmé le concours
dans ses détails, et il la maintenu chaque année, M. le ministre de l’intérieur
remanie le concours ; ces remaniements, dans mon opinion, sont malheureux pour
la plupart. Le ministre fait moins bien que ce qui existait.
Dans
le principe, on faisait concourir la classe supérieure de chaque établissement,
et on la faisait concourir sur chacune des branches enseignées dans la classe ;
de cette manière tous les élèves étaient sûrs qu’ils comparaîtraient un jour au
concours, toutes les classes passant par le concours, chaque administration
communale pouvait, au bout de quelques années, savoir quelle était la force des
études dans son collège, en comparaison des autres établissements.
Aujourd’hui,
c’est le sort qui désigne et la matière et la classe, il en résulte que c’est
une espèce de loterie. Les élèves n’ont plus le même stimulant. On ne sait
quelle classe concourra, sur quelles matières portera le concours ; les
administrations municipales ne connaissent plus la force des études dans leurs
établissements. En cas d’insuccès, on dit à l’administration communale :
le sort a désigné telle classe, si telle autre classe avait été concouru,
l’établissement aurait eu plus de succès. On lui dit encore le sort a désigne
telle branche d’enseignement, s’il avait désigné telle autre branche,
l’établissement l’aurait sans doute emporté.
Ce
règne du hasard introduit dans le concours est donc très défavorable, il
empêche les élèves d’être stimulés, comme ils l’étaient lorsqu’ils étaient
certains de comparaître un jour au concours ; il empêche les administrations
communales de se faire une véritable idée de la situation de l’instruction dans
leurs collèges.
J’ajoute
que, comme on tire au sort entre toutes les classes, deux classes, l’une pour
les classes supérieures et l’autre pour les classes inférieures, il peut
arriver que la même classe soit appelée deux années de suite, et que les autres
soient exclues.
On a
joint maintenant au concours une espèce de programme très minutieux indiquant
les branches d’enseignement à répartir entre les diverses classes.
C’est
un programme extrêmement détaillé. Je ne veux pas dire qu’il soit entièrement
mal conçu mais je pense qu’il est fâcheux que le gouvernement veuille établir
cette uniformité parfaite entre tous les établissements. Qui est assez savant,
assez sûr de lui, en fait d’enseignement, pour dire que sa méthode est la
meilleure de toutes, qu’il n’y en a pas, qu’il n’en naîtra pas de meilleure.
Je
ne dis pas qu’on ne puisse guider plus ou moins les collèges qui laissent à
désirer, mais je ne voudrais pas qu’on imposât un programme uniforme à tous les
établissements, de manière qu’il n’y eût plus de concurrence entre les méthodes
; ce serait proscrire l’expérience de toute innovation, décourager et empêcher
tout progrès ultérieur, car, encore une fois, le gouvernement n’est pas sûr
d’avoir trouvé la perfection.
Au
concours écrit on a joint un concours oral. Les meilleurs élèves, ceux qui ont
obtenu le plus de points, on les fait se transporter à Bruxelles, et ils y
subissent un examen oral, qui exerce une influence décisive sur le résultat du
concours. Cette mesure me paraît mal conçue Des enfants sont transportés d’un
point du pays à l’autre. Des enfants quelquefois de dix ans sont transportés à
Bruxelles ; les parents sont obligés de les confier à des maîtres d’étude ou de
se déplacer eux-mêmes. Ce n’est pas là le seul inconvénient.
L’examen
oral, qui, d’ailleurs, intimide les enfants, ne peut jamais avoir la même
précision que le concours écrit, Les réponses sont fugitives ; quand il y a
contestation entre les juges, il est difficile d’apprécier le mérite absolu de
ces réponses. Un autre inconvénient de l’examen oral, c’est qu’il est à la
défaveur des élèves flamands. En Flandre, on enseigne en français, parce que
c’est la langue des hautes études et des livres, mais il est vrai de dire que
la plupart des élèves n’apprennent le français qu’à l’école ; ces élèves, dans
les premières années, ont plus de difficulté à s’exprimer en français. A la fin
de leurs études, cette difficulté disparaît jusqu’à certain point. Mais dans
les premières années, ils éprouvent plus de difficulté quand ils doivent
répondre oralement à un jury ; c’est un grand désavantage pour eux.
Un
autre inconvénient encore de ce voyage des enfants à Bruxelles est celui-ci :
pour l’examen écrit, on prend toute précaution, l’élève ne peut pas signer son
travail, il doit mettre son nom dans un billet cacheté qui n’est ouvert
qu’après le jugement. Quand, au contraire, il doit comparaitre
devant le jury, il n’y a plus de secret, il est inutile de lui faire mettre son
nom dans un billet cacheté. De là nécessairement des soupçons de partialité
aujourd’hui, dans l’avenir, je suis loin de dire que ces soupçons seront
fondés, mais ils existeront. Pour l’examen écrit on admet le secret, par
l’examen oral on est forcé de le violer.
J’ai
une autre observation encore à faire sur la négligence extrême avec laquelle on
rédige les matières sur lesquelles s’établira le concours. Il est arrivé, par
exemple, qu’on a envoyé du ministère de l’intérieur aux divers collèges, par un
délégué de ce département, un texte grec à traduire. Les pauvres élèves ont
travaille à la sueur de leur front pour comprendre ce qu’on leur avait envoyé ;
ils tâchaient d’en deviner le sens, c’était inintelligible. On avait mal copie
un extrait d’un recueil grec. On a dû annuler le concours et recommencer
quelques jours après sur nouveaux frais. Cela atteste de la légèreté de la part
des personnes qui sont chargées de ce soin. Je vais en donner une autre preuve.
Je la trouve à la page 335 du volume relatif à l’instruction moyenne que M. le
ministre vous a fait distribuer, c est un texte français envoyé du ministère de
l’intérieur à tous les collèges pour être traduit en latin.
Pour
vous donner une idée de la littérature dont le ministère de l’intérieur envoie
des modèles aux collèges, je me bornerai à lire deux phrases de ce morceau.
Voici
la première : Il s’agit de Crésus, roi de Lydie.
« Ce
prince n’est pas moins célèbre par les trésors qu’il hérita de ses ancêtres, que
par l’or que roulait le fleuve Pactole (un prince célèbre par l’or que roule un
fleuve) qui, descendant du mont Tmolus et passant sous son palais, traversait
la ville capitale de Sardes, que par les tributs qu’il recevait des
florissantes villes de commerce de son royaume. » (On rit.)
Voilà
un échantillon de la littérature donnée pour modèle aux collèges par le
ministère de l’intérieur.
Voici
la dernière phrase qui finit l’histoire de Crésus :
«
Crésus jouit le reste de ses jours de la confiance de Cyrus et de celle de son
fils Cambyse et fut membre du conseil
d’Etat. » (Hilarité générale.)
On ne dit pas si ce fut en service ordinaire ou en service
extraordinaire.
C’est
probablement la traduction faite sans intelligence de quelque passage d’un
auteur ancien.
Je
vous avais dit que je pourrais signaler tel ou tel acte du ministère de
l’intérieur en fait d’instruction publique qui touchait au ridicule, je crois
avoir tenu ma promesse.
M le
ministre de l’intérieur vous a dit qu’en supprimant la place d’administrateur
de l’instruction publique, il s’était chargé de traiter lui-même les affaires.
Je pense pour son honneur qu’il n’a pas traité celle-là. Les employés du
ministère ont donc trop d’ouvrage, ou ne paraissent pas attacher aux matières
d’instruction l’importance qu’elles méritent.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je remercie l’honorable préopinant de n’avoir pas attaché trop
d’importance à certains détails qu’il vient de faire connaître ; ce sont de ces
accidents qu’il est bien difficile d’empêcher.
En
effet, la besogne a été très forte à la division de l’instruction publique ; le
personnel n’a pas été assez considérable. Je me félicite que la chambre ait
bien voulu enfin cette année me mettre à même de fortifier cette administration
devenue si importante.
L’honorable
préopinant vous a entretenus de deux objets : l’inspection et le concours.
Il
vous a dit avec raison que l’inspection des athénées et des collèges soulève
des questions très délicates. Nos idées ne sont pas fixées sur le système
d’inspection ; je n’hésite pas à répondre que je ne regarde pas comme une
mesure définitive celle que l’honorable membre a citée. On peut se demander
s’il ne faut pas avoir pour l’enseignement moyen une inspection permanente et une
inspection extraordinaire ; c’est une question qu’on ne pourra résoudre qu’à la
suite de différents essais. En général, ces questions ne peuvent pas se
résoudre à priori, il faut tenter des expériences qui sont quelquefois
malheureuses, il faut j’y résigner ; on ne peut pas procéder autrement.
Je
passe au concours.
Dans
la circulaire par laquelle j’ai annoncé ma rentrée aux affaires, je n’ai pas
blâmé le concours ; j’ai dit que, bien que quelques personnes en eussent
contesté la légalité, j’entendais maintenir l’institution.
C’était
un fait que je citais pour qu’on sût que la question de stricte légalité ne
m’avait pas échappé, et que malgré ce doute je croyais devoir conserver la
mesure. Il est vrai que d’année en année on a fait des changements au système
des concours. C’est encore parce que, selon moi, il faut faire des essais
successifs pour arriver à découvrir le meilleur mode. Ici encore on ne peut pas
procéder à priori. On a d’abord pensé que chaque année le gouvernement devait
désigner la classe ou la branche appelée au concours.
Le
ministre était assiégé de sollicitations ; on lui demandait de désigner de
préférence les classes supérieures. Il en résultait que cette désignation
pouvant se présumer on ne s’occupait dans les établissements que de ces
classes, il faut bien le dire : on mettait quelques élèves en serre-chaude,
passez-moi le mot.
Pour
moi, un établissement ne consiste pas seulement dans les classes supérieures,
il constitue un ensemble, il faut que chaque classe soit également forte, parce
que chaque classe est également nécessaire. Un établissement pourrait être très
faible dans son ensemble, bien qu’il vînt à produire au concours un certain
nombre d’élèves très forts en rhétorique, de même qu’un établissement pourrait
être assez fort en n’offrant pas d’élèves distingués en rhétorique. Frappé de
ces objections, on a dit alors : il ne faut pas que ce soit le ministre, mais
le sort qui désigne.
Cet
essai, nous l’avons fait ; c’est ce que l’honorable préopinant a critiqué, et
jusqu’à un certain point avec raison. Je crois qu’on s’était engagé chaque fois
dans un système extrême.
A la
suite de ces deux essais, je suis arrivé à un troisième, c’est là ce qui a
échappé à l’honorable préopinant.
Voici
ce que porte l’arrêté du 15 octobre dernier, art. 2 : « Deux des sept classes,
comprises dans le programme, sont appelées à concourir. Le sort désigne une
classe. Le gouvernement a désigné ensuite une autre. »
On a
donc combiné pour le concours prochain les deux moyens : le sort et
l’indication par le ministre. C’est peut-être là le mode auquel il faudra
définitivement s’arrêter. Les critiques que l’honorable préopinant a adressées
à la désignation par le sort m’avaient été faites, j’en ai tenu compte ; je
regrette que l’honorable membre n’ait pas pris connaissance du dernier arrêté ;
néanmoins, je l’avais fait distribuer récemment à tous les membres de la
chambre.
Le
concours consiste dans une épreuve écrite et dans une épreuve orale. L’épreuve
orale se fait à Bruxelles. Autrefois il n’y avait qu’une épreuve écrite. On a
prétendu qu’elle ne présentait pas de garanties suffisantes, qu’il fallait y
ajouter une épreuve orale. Mais cela ne s’applique pas à tous les élèves qui
ont concouru. On ne fait pas venir tous les élèves à Bruxelles.
On
n’appelle à Bruxelles que les élèves, en faveur desquels il existe une
présomption ; cette présomption, la voici : « Sont admis à l’épreuve
orales tous les concurrents qui ont, sur 800 points, obtenu 550 points et
au-delà. » (Arrêté royal du 5 octobre 1843, art. 14 § 3).
On a
trouvé dans cette deuxième épreuve une garantie. Je conçois que ce déplacement
des élèves ait ses inconvénients. Mais avec la facilité des communications qui
existe dans le pays, ces inconvénients sont devenus bien moindres. Je ne pense
pas du reste que des réclamations se soient élevées contre cette deuxième
épreuve.
Un membre. -
Et les pauvres !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Aux élèves pauvres on a payé une indemnité pour frais de déplacement,
indemnité prise sur le budget de l’intérieur.
Cette
épreuve orale a lieu à Bruxelles, et l’élève est interrogé non seulement sur le
travail qu’il a fait, mais encore sur les parties du programme de
l’établissement auquel il appartient, pour toutes les classes inférieures qu’il
est censé avoir suivies. De cette manière, on s’assure de la bonté de
l’établissement dans son ensemble.
Enfin
on a maintenu par l’arrêté du 15 octobre une disposition de l’arrête précédent,
qui détermine un programme. Le concours se fait entre les établissements
d’instruction moyenne. Or, qu’est-ce qu’un établissement d’instruction moyenne
? Pour le savoir, il a fallu indiquer le programme de l’enseignement moyen. Il
ne m’a pas paru qu’il fût trop minutieux. J’ai reçu quelques réclamations l’an dernier.
J’y ai fait droit dans le dernier arrêté. Si d’autres réclamations fondées
m’étaient adressées, j’y ferais droit sans croire mon amour-propre engagé.
Il
est évident que si vous faisiez une loi sur l’enseignement moyen, vous seriez obligés
d’y insérer un programme ; c’est ce que vous avez fait dans la loi sur
l’enseignement supérieur et dans la loi sur l’enseignement primaire. Vous
diriez que les matières suivantes doivent nécessairement être enseignées dans
les établissements qui voudraient être considérés comme athénées et collèges.
Je n’ai pas fait autre chose : en l’absence d’une loi, il m’a fallu dire que
les seuls établissements admis au concours seraient ceux qui offriraient le
programme d’enseignement annexé à l’arrêté ; sinon il y aurait eu arbitraire
dans l’admission au concours, et même impossibilité d’appréciation.
Ce
programme a exercé une influence heureuse ; je suis convaincu que si
l’honorable préopinant critique quelques détails sur lesquels je puis passer
condamnation, il doit apprécier le principe. Il est résulté de ce programme que
tous les établissements d’instruction moyenne se sont complétés et coordonnés
d’après ce programme. C’est un grand résultat. Le programme, d’ailleurs, a été
réclamé par presque tous les établissements.
L’honorable
préopinant a rappelé que l’idée primitive du concours ne m’appartient pas. J’ai
toujours eu soin d’en convenir moi-même ; l’idée appartient à celui qui, le
premier, l’a mise à exécution ; je n’ai jamais caché son nom.
Je
ne crois pas me hasarder, en disant que si mon honorable prédécesseur avait eu
plus longtemps à appliquer cette idée, il eût agi comme moi, c’est-à-dire qu’il
eût fait successivement des essais pour arriver à découvrir le véritable
système.
C’est
ce que j’ai fait ; je ne crois en rien avoir donné un démenti à l’idée
première.
-
L’art. 3 est mis aux voix et adopté.
Article 4
« Art.
4. Subsides annuels aux établissements d’enseignement moyen et industriel
(écoles de Gand et de Verviers), autres que les écoles d’arts et métiers et les
ateliers d’apprentissage : fr. 167,100 »
-
Adopté.
Article 5
« Art. 5. Indemnité aux professeurs
démissionnés des athénées et collèges : fr. 5,000 »
-
Adopté.
Article 6
« Art.
6. Frais d’inspection. - Frais des écoles normales et des écoles primaires
supérieures. - Dépenses des cours normaux. - Encouragements, subsides aux
communes et secours : fr. 681,000 »
M. Orts. - M. le ministre de
l’intérieur nous a assez souvent répété sous quel point de vue il envisageait
la loi du 23 septembre 1842 pour que nous ayons à lui demander compte de
l’exécution de cette loi. C’est, à l’entendre, le plus beau fleuron de sa
couronne ministérielle ; il nous l’a répété presque à chaque occasion où on l’a
attaqué relativement à la marche générale de son administration.
Eh
bien, quoique M. le ministre de l’intérieur nous ait dit hier : « J’ai beaucoup
fait dans l’espace de 18 mois qui nous sépare de l’adoption de la loi, je
prétends malgré cette déclaration de M. le ministre de l’intérieur, que s’il a
beaucoup fait, sa marche a été contraire à ce qu’il aurait dû faire ; enfin,
pour me servir d’une expression qui peindra toute ma pensée, qu’il a travaillé
au rebours. Quant aux choses à organiser, il a donné la préférence à certains
points qui n’étaient pas en première ligne, et il a laissé dans un état de
langueur d’autres parties de la loi qui demandaient une prompte organisation.
Vous
le savez, la loi du 23 septembre
La
loi du 23 septembre
L’institution
des établissements décrétés par la loi sur l’enseignement primaire se réduit à
des principes extrêmement simples : d’abord il y a des écoles primaires
supérieures gouvernementales. A ces écoles primaires gouvernementales devaient
être attachés des cours normaux. Il existe en outre deux grandes écoles
normales créées par le gouvernement.
Les
écoles privées peuvent être admises au bénéfice de la loi, et même des écoles
normales privées peuvent participer à toutes les faveurs que la loi assure à
ceux qui fréquentent les écoles normales gouvernementales.
D’après
cela, il est évident que l’organisation des écoles gouvernementales devait préaller. Le gouvernement a-t-il suivi cette marche ? Non ;
je vais l’établir en citant quelques faits, et en les rapprochant des
dispositions de la loi.
D’abord
j’insiste sur les dispositions de l’art. 35 de la loi sur l’enseignement
primaire
L’art.
35 de cette loi porte :
« Il
sera immédiatement établi, par le gouvernement, deux écoles normales pour
l’enseignement primaire, l’une dans les provinces flamandes, l’autre dans les
provinces wallonnes.
« Dans
chaque province, des cours normaux pourront être adjoints par le gouvernement à
l’une de ces écoles primaires supérieures. »
L’art.
10 de la loi statue qu’après quatre ans, les conseils communaux choisiront
leurs instituteurs parmi les candidats qui justifieront avoir fréquenté avec
fruit pendant deux ans les cours d’une école normale du gouvernement, ou les
cours normaux adjoints à une des écoles primaires supérieures, ou bien (et
remarquez-le, cela est placé en dernière ligne, comme de droit) une école
normale attachée à une institution privée, mais adoptée par le gouvernement.
Vous
voyez donc, messieurs, que quatre ans après l’introduction de la loi, les
communes sont obligées de prendre leurs instituteurs parmi ceux qui, pendant
deux ans, ont fréquenté les cours normaux.
Que
fait M. le ministre de l’intérieur ? La loi est promulguée le 23 septembre
1842. Combien de temps croyez-vous qu’il attende pour organiser les deux écoles
normales du gouvernement ? Il attend jusqu’au 11 novembre 1843, c’est-à-dire,
près de 14 mois après la promulgation de la loi. Et à qui confie-t-il la direction
de ces deux écoles normales ? A deux membres pris dans un corps que je
respecte, dans un corps digne certainement de diriger l’instruction de la
jeunesse, dans le clergé. Mais il ne se borne pas là, et vous allez voir tout
de suite la grande impartialité de M. le ministre de l’intérieur ; peu de temps
après l’arrêté qui organise les écoles normales gouvernementales, et par un
arrêté du 17 décembre, le gouvernement adopte les sept écoles normales confiées
à la direction du clergé et placées respectivement dans tous les diocèses, sauf
celui de Malines. Or, comme on vous l’a déjà fait observer, c’est dans le
diocèse de Malines que M. le ministre de
l’intérieur place les deux écoles normales gouvernementales, et il confie
la direction de ces écoles à des membres pris dans le clergé.
Je
vous le demande, est-ce là tenir la balance d’une main juste et impartiale ? Eh
quoi ! Vous aviez déjà huit écoles modèles que vous avez depuis transformées en
écoles primaires supérieures ; vous avez quantité de chefs d’institutions
privées qui se sont distingués dans la carrière, qui ont fait preuve de leurs
talents, de leurs sentiments religieux et de leur moralité, et pas un n’a été
jugé digne par vous d’être mis à la tête, je ne dirai pas des deux écoles
normales gouvernementales, mais d’une seule.
C’est,
messieurs, répandre le découragement parmi cette classe si respectable de la
société. La place de directeur d’une des écoles normales du gouvernement est
pour un instituteur vieilli dans la carrière ce qu’on appelle vulgairement le
bâton de maréchal de France, dans l’instruction primaire, il n’y a rien
au-dessus de cette place ; c’est un poste de confiance, c’est la plus honorable
récompense des services rendus. Je dois avouer que si j’étais moi-même
instituteur et un de ceux qui se sont distingués dans la carrière, cet acte
aurait répandu dans mon âme le plus profond découragement. Et soyez-en
persuadés, il a été envisagé de cette manière par de respectables instituteurs.
Et
que M. le ministre de l’intérieur ne me dise pas : Auriez-vous trouvé parmi ces
chefs d’institution des hommes capables ? Ici j’en appellerai de l’honorable M.
Nothomb, ministre de l’intérieur, à l’honorable M. Nothomb, député siégeant sur
nos bancs ; et je lui demanderai si, à l’époque où il siégeait parmi nous, il
aurait approuvé un pareil acte de partialité.
Lors
de la discussion de la loi sur l’enseignement primaire, un honorable membre
ayant demandé à M. le ministre de l’intérieur s’il confierait la direction des
écoles normales au clergé, il répondit qu’il ne fallait pas en faire une
obligation au gouvernement. Et M. le ministre de l’intérieur avait raison ; si
sa réponse avait été autre, je pense que plusieurs voix lui auraient manqué, et
qu’il n’aurait pas réussi à faire passer une loi aussi importante contre trois
voix seulement d’opposition.
Je
dis, messieurs, que M. le ministre de l’intérieur, en déclarant que l’on ne
pouvait pas faire une obligation au gouvernement de choisir un prêtre pour
diriger les écoles normales gouvernementales, a fait ses réserves, qu’il a
déclaré qu’il verrait ce qu’il y aurait à faire.
Je
sais que M. le ministre de l'intérieur avait le pouvoir de faire ce qu’il a
fait ; mais pour moi, c’est un acte que je qualifie de partial ; c’est là un de
ces actes qui détruisent cette foi robuste que nous avions placée dans
l’exécution de la loi ; c’est un acte qui inspirera peut-être plus d’un
repentir.
Vous
croyez, messieurs, qu’après avoir organisé les deux écoles normales, M. le
ministre de l’intérieur va instituer les cours normaux qui devaient être
attachés à chaque école primaire supérieure. Il n’en fait rien ; et au moment
où je parle, ni à Bruxelles, ni à Bruges, ni à Liège, il n’existe de cours
normaux organisés. J’avais adressé à M. le ministre de l’intérieur une demande sur
ce point ; je n’ai pas obtenu de réponse.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’en donnerai une.
M. Orts. - Tous ces cours devraient
être organisés, puisque vous avez eu la volonté et le loisir de donner
l’existence gouvernementale aux sept écoles normales du clergé, il vous eût été
tout aussi facile de créer les cours normaux près des écoles primaires
supérieures.
Mais
voici peut-être pourquoi cela n’a pas été fait, ou du moins il est permis de le
soupçonner. Quatre ans après la promulgation de la loi, les instituteurs
communaux devront être pris parmi ceux qui auront fréquenté des institutions
normales pendant deux ans. Nous voilà dans la seconde année depuis l’adoption
de la loi ; dans deux ans, la prescription de la loi devient donc obligatoire ;
et pour peu que vous tardiez encore, les élèves des écoles normales du clergé
seront en mesure de se présenter, tandis que ceux qui auraient pu profiter de
l’instruction normale dans les écoles primaires supérieures, et il y en a une
par arrondissement, arriveront trop tard,
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous êtes dans l’erreur.
M. Orts. - Mais pour qu’on puisse
fréquenter un cours normal, il faut qu’il ait été institué. Je voudrais savoir
comment les élèves qui auront été à l’école primaire supérieure de Bruxelles
par exemple, pourront faire des études normales pour pouvoir se présenter dans
deux ans comme instituteurs, ils pourront aller à Nivelles ou à Lierre, ou dans
un des sept établissements cléricaux ; mais dans les autres villes, chefs-lieux
d’arrondissements, vous avez négligé jusqu’ici d’organiser cette partie si
intéressante de l’enseignement. Je vous en signale les inconvénients.
Il
est, messieurs, un autre point sur lequel je crois devoir fixer l’attention de
M. le ministre de l’intérieur.
L’art.
15 de la loi sur l’enseignement primaire est des plus importants. Ce n’était
pas tout d’avoir créé l’enseignement primaire ; il fallait savoir comment les
écoles du gouvernement et les écoles communales seraient dirigées. Il ne
fallait pas laisser les écoles sous le régime de l’arbitraire, permettre que
dans l’une on suivit telle règle, telle méthode, dans l’autre telle autre.
L’article
15 de la loi y a pourvu ; il porte :
« Le
règlement arrêté par le conseil communal sur la proposition de l’inspecteur
provincial, l’inspecteur cantonal entendu, et approuvé par la députation du
conseil provincial, sauf recours au Roi, déterminera dans chaque commune la
rétribution des élèves, le mode de recouvrement, les jours et les heures de
travail, les vacances, les modes de punitions et de récompenses. »
Ce
règlement, comme vous le voyez, ne peut pas émaner d’un conseil communal. Le
conseil communal n’a ici aucune initiative ; c’est l’inspecteur provincial qui
doit le lui proposer. Or, ni à Bruxelles, ni à Liége, ni à Gand, le règlement
n’a été proposé.
M.
le ministre de l’intérieur nous dit que c’est à lui qu’il faut s’adresser
lorsqu’il s’agit d’agents appartenant à son ministère ; il assume sur lui toute
la responsabilité. Je demande comment il se fait qu’il laisse dans un pareil
état les écoles gouvernementales ?
Entre-temps
les écoles restent privées de cette direction que trace l’art. 15 de la loi ;
les punitions, les heures de travail, le paiement des rétributions, tout cela
est laissé dans le domaine du futur contingent.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a d’anciens règlements.
M. Orts. - Voulez-vous voir jusqu’où
va cette négligence à exécuter sous ce rapport la loi du 23 septembre 1842 ? Il
suffira de la comparer avec un arrêté royal organique de la loi, et qui porte
la date du 26 mai 1843.
Par
cet arrêté, on trace la règle à suivre dans les écoles primaires pour des
questions qui ne touchent pas effectivement au mode de travail, à tout ce qui
est l’administration intérieure de l’école, mais qui concernent principalement
l’admissibilité des pauvres à titre gratuit dans les écoles primaires.
Voici
comment on a fixé sa marche à suivre : avant la fin de juillet, toutes les
familles pauvres doivent annoncer quels sont les enfants qu’elles désirent
placer dans les écoles primaires.
Cette
liste est close au 1er du mois d’août. Le conseil communal doit au mois
d’octobre, avant la rentrée des classes, arrêter la liste de tous ceux qui sont
admis à fréquenter gratuitement les écoles primaires ; de plus, cette liste
doit être approuvée par la députation permanente, et l’on ajoute même :
« sauf recours au Roi. » Ce qui prouve bien l’importance qu’on y
attache.
Maintenant
cela s’est fait à Bruxelles et, j’en suis sûr, dans les autres villes ; au 1er
octobre on a arrêté la liste des enfants qui étaient admis dans les écoles
pendant l’année scolaire 1843-1844 ; mais dans le cours de cette année scolaire
il y a des déplacements continuels ; une foule d’enfants quittent l’école, une
foule d’autres demandent à y être reçus ; qui doit autoriser ces admissions ?
Est-ce encore le conseil communal ? C’est l’arrête du 26 mai 1843 qui a réglé
ce point. Voici ce que porte à cet égard l’art. 15 de cet arrêté :
«
Art. 15. Les instituteurs, chefs des écoles communales ou adoptées, ne peuvent
admettre, à titre gratuit ou moyennant rétribution, que les enfants portés sur
la liste définitivement arrêtée et qui leur sont adressés par l’administration
communale.
« Toutefois,
après l’admission de tous les enfants portés sur cette liste (voir art. 11)
d’autres peuvent être admis à quelque époque que ce soit, s’il reste des places
vacantes. Les règles d’admission seront établies, dans chaque localité, par le
règlement dont il est parlé à l’article 15 de la loi du 23 septembre
1842. »
Eh
bien, messieurs, ce règlement n’a pas encore été proposé par l’inspecteur
provincial à Bruxelles. On assure qu’il ne l’a pas été davantage à Gand, à
Bruges, à Liége, de manière que si l’administration communale s’en était tenue
à la lettre de la loi, elle aurait pu voir les écoles désertes avant le mois
d’août prochain ; car, ainsi que je viens de le dire, beaucoup d’enfants
quittent l’école dans le cours de l’année, et, aux termes de la loi,
l’administration communale se serait trouvée dans l’impossibilité d’admettre un
seul nouvel élève puisque le mode d’admission des enfants qui se présentent
dans le cours de l’année doit être déterminé par un règlement qui n’existe pas.
Je
le demande, messieurs, est-ce là l’exécution franche et intelligente de la loi
? Y a-t-il là de l’activité ? Est-ce là cette marche à laquelle nous étions en
droit de nous attendre ?
Qu’a
fait l’administration communale de Bruxelles dans cet état de choses ? Elle a
cru que la lettre tuait et que l’esprit vivifiait. Elle ne s’est pas renfermée
dans la stricte légalité, et je crois qu’elle a bien fait ; elle a décidé que
le collège échevinal recevrait tous les mois les enfants réunissant les
conditions légales d’admission gratuite qui se présenteraient, jusqu’à
concurrence des places vacantes. Cela n’était pas conforme à la loi, j’en
conviens, mais c’était indispensable, si l’on ne voulait s’exposer à voir les
écoles désertes.
Eh
bien, messieurs, je dis que ce sont là des points essentiels qui auraient dû
attirer toute l’attention de M. le ministre de l’intérieur. Ce sont là des
articles de la plus haute importance qui sont restés en souffrance par
l’incurie du ministère.
Si
M. le ministre de l’intérieur ne trouve pas assez de temps, s’il n’a pas été en
état d’organiser des dispositions aussi urgentes dans un espace de 18 mois (car
il y a 18 mois que la loi est décrétée), oh, quand il s’est agi d’aller au-delà
de la loi, il ne s’en est pas fait faute. A Virton et à Thuin, il existait des
écoles communales ; elles ont été non seulement adoptées comme écoles
communales, mais on y a ajouté des cours d’humanité, on en a fait des athénées,
des collèges au petit-pied, et l’on est venu bouleverser par là tout le système
de l’instruction primaire. En effet, M. le ministre doit se rappeler qu’il a
répété sans cesse, dans la discussion de la loi, qu’il n’y avait aucune
conséquence à tirer du régime établi pour l’enseignement primaire au régime à
établir pour l’enseignement moyen. En attendant, cependant, on transforme des
écoles primaires en écoles secondaires, et lorsqu’on examine la situation de
Virton et de Thuin on reconnaîtra que les élèves qui ne peuvent faire que
jusqu’à leur troisième dans les espèces d’athénées de ces villes (car remarquez
bien qu’on n’a pas voulu que le cours d’humanités fût complet), on reconnaîtra
que ces élèves, après avoir achevé leur troisième, vont passer dans l’un ou
l’autre des collèges cléricaux qui se trouvent à peu de distance de Virton et
de Thuin.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ou municipaux.
M. Orts. - Je préférerais que les
élèves entrassent de prime abord dans les collèges dont je viens de parler ;
car s’ils vont d’abord faire deux ou trois années d’études à Virton ou à Thuin,
et qu’ils passent ensuite dans un autre collège, ce sera une perturbation
complète dans leurs études.
Je
vous avoue, messieurs, que je ne comprends pas cette confusion entre
l’enseignement primaire et moyen, surtout en présence des dispositions de la
loi du 23 septembre 1842, car l’art. 34 de cette loi détermine positivement les
matières qui doivent être enseignés dans les écoles primaires supérieures ;
voici en effet ce que porte cet article :
«
Art. 34. Outre les objets énoncés dans l’art. 6, l’enseignement dans ces écoles
comprend :
« 1°
Les langues française et flamande et, au lieu de celle-ci, la langue allemande
dans la province de Luxembourg ;
« 2°
L’arithmétique ;
« 3°
Le dessin, principalement le dessin linéaire, l’arpentage et les autres
applications de la géométrie pratique ;
« 4°
Des notions des sciences naturelles applicables aux usages de la vie ;
« 5°
La musique et la gymnastique ;
« 6°
les éléments de la géographie et de l’histoire, et surtout de la géographie et
de l’histoire de
Je
défie, du reste, qui que ce soit de trouver dans la loi ni même dans les
discussions auxquelles elle a donné lieu, la moindre chose qui puisse permettre
au gouvernement de confondre un établissement d’instruction primaire avec un
établissement d’instruction moyenne.
Voilà,
messieurs, autant d’actes qui prouvent une exécution partiale, une exécution
faite d’une manière à retarder l’organisation complète de ces institutions que
le gouvernement doit protéger avant tout, auxquelles il doit toute sa
sollicitude.
J’avais
oublié, messieurs, d’ajouter encore une considération à celle que j’ai
présentées relativement au retard apporté à l’organisation des cours normaux
qui doivent être attachés à chacune des écoles primaires supérieures. Je vous
disais qu’après deux années de fréquentation de ces cours, on pouvait être
admis comme instituteur dans les écoles communales ; mais il y a mieux, c’est
que l’art. 28 de la loi sur l’enseignement primaire (et ici je rends hommage à
la sollicitude du législateur, qui a décrété cet article, à la sympathie qu’il
a montrée dans cette occasion pour les jeunes instituteurs), l’art. 28, dis-je,
autorise le gouvernement à accorder des bourses jusqu’à concurrence de 200 fr.
aux élèves qui désirent suivre les cours normaux des écoles primaires
supérieures. Il est clair que tous ceux qui peuvent fréquenter ces cours avec
fruit ont l’espoir de prendre part à cette libéralité, si encourageante ; mais
au train dont vont les choses, je crains fortement qu’ils ne soient devancés et
que ces faveurs, qui doivent nécessairement être distribuées avec discrétion et
avec l’économie que commande la situation de nos finances, ne soient absorbées
par ceux qui auront eu le bonheur de suivre les cours normaux (déjà adoptés par
le gouvernement) de l’un ou de l’autre des établissements du clergé.
Il
est bien d’autres points, messieurs, que je pourrais signaler, mais sur
lesquels je crois devoir garder un silence prudent, car rien ne me répugne
autant que des questions personnelles. Si M. le ministre de l’intérieur élevait
des doutes sur la question de savoir s’il aurait pu trouver un directeur pour
l’une au moins des écoles normales du gouvernement, parmi les instituteurs
laïques, je lui rappellerais qu’il a cru devoir décorer un homme éminemment
remarquable appartenant à cette classe d’instituteurs, et j’ajouterai que s’il
avait voulu fixer son choix pour la place de directeur de l’une au moins des
écoles normales de l’Etat, sur un instituteur laïque, il n’aurait nullement été
embarrassé d’en trouver plusieurs qui la méritassent à tous égards.
Dans tout cela, messieurs, je vois un système qui ne peut que m’inspirer
la plus grande défiance, et qui me fait comprendre encore davantage la
nécessité ou nous sommes de conserver toute notre sympathie pour ces dignes
pères de familles qui rendent de si grands services à l’instruction et qui,
quoique n’appartenant pas à l’ordre honorable et respectable du clergé, ont
cependant les plus grands titres à toute notre bienveillance.
Ce
système, suivi par M. le ministre de l’intérieur, m’inspire une défiance telle,
que la loi de 1842 m’apparaît menaçante pout l’opinion à laquelle j’appartiens,
et qu’il faudra des actes importants, empreints de justice et d’impartialité,
pour dissiper des craintes légitimes et fondées. C’est vous dire assez,
messieurs, que je ne voterai pas pour le budget de l’intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, « La loi organique de l’enseignement primaire n’a pas reçu
sur tous les points son exécution ; sur quelques points le gouvernement est
allé au-delà de la loi. » Tel est le résumé du discours que vous venez
d’entendre, je vais passer en revue les faits de l’honorable préopinant a cités
à l’appui de cette double accusation.
Les
lois, messieurs, se votent à jour fixe, mais ne s’exécutent pas toujours ainsi.
Elles reçoivent une exécution successive. Fallait-il plutôt commencer par telle
disposition que par telle autre ? Ce sont là des questions subordonnées aux
circonstances.
La
marche que j’ai suivie était la seule possible ; si quelques points sont encore
sans exécution, c’est que je n’ai pu leur donner la priorité.
Deux
dispositions de quelque importance ne sont pas encore exécutées, l’honorable
préopinant vous les a signalées.
L’art.
15 exige qu’il soit fait un règlement dans chaque commune pour la tenue de
l’école ; ce règlement doit être arrêté par le conseil communal, sur la
proposition de l’inspecteur provincial et de l’inspecteur cantonal.
Il
est évident qu’il fallait, avant tout, pour que ce règlement pût être présenté
aux conseils communaux, que les deux inspections provinciale et cantonale
fussent organisées. D’ailleurs, messieurs, y avait-il à ce point péril en la
demeure ? Je ne le pense pas, car il faut supposer que, dans chaque école
communale, il y a un règlement quelconque ; je ne puis pas admettre que les
écoles communales aient existé jusque-là sans règlement ; or, les anciens
règlements continuent à rester en vigueur.
La
deuxième disposition, restée sans exécution, et que l’honorable préopinant n’a
fait qu’entrevoir, c’est celle qui concerne les conférences cantonales ; l’art.
14 de la loi suppose qu’il y aura des conférences cantonales entre les
instituteurs. Ces conférences exigent un règlement ; mais pour que ces conférences
puissent avoir lieu, il fallait encore que l’inspection fût préalablement
organisée.
La
loi a reçu son exécution dans toutes ses grandes bases. On a commencé par
instituer l’inspection provinciale, puis l’inspection cantonale. La dépense de
cette dernière inspection étant à la charge des provinces, les conseils
provinciaux ont, l’été dernier, alloué la somme nécessaire.
Voilà
ce qu’on a dû faire d’abord ; il fallait établir les autorités qui constituent
ce que j’appellerai, en me servant d’un mot employé hier, le gouvernement de
l’instruction primaire. Le ministère ne pouvait pas procéder autrement ; il
fallait bien qu’il eût à sa disposition les nouveaux agents que la loi lui
donne.
L’honorable
préopinant trouve qu’on a mis beaucoup de retard à l’organisation des écoles
primaires supérieures de l’Etat, et à l’institution des deux écoles normales.
Parlons
d’abord des écoles primaires supérieures.
La
loi porte qu’il pourra y avoir une école primaire supérieure par arrondissement
judiciaire. Ces écoles portent le titre d’écoles primaires supérieures de
l’Etat, mais il ne faut pas en conclure que le gouvernement puisse, par sa
seule action, établir une école de ce genre. Non, messieurs, la loi suppose le
concours des autorités communales le gouvernement n’y n’intervient que pour une
somme de 3,000 fr. au plus. C’est la commune qui fournit le local, et qui
pourvoit au surplus des dépenses, si les trois mille francs, donnés par le
gouvernement, joints aux rétributions scolaires, ne suffisent pas aux frais de l’établissement.
Il
fallait donc traiter avec les villes, le gouvernement ne pouvait pas procéder
autrement. Telle est la disposition de la loi.
A-t-on
bien ou mal fait d’adopter cette disposition ? Telle n’est plus la question :
l’honorable préopinant ne veut pas corriger la loi, il veut seulement qu’elle
soit exécutée.
Il y
a 27 arrondissements judiciaires. Voyons ce qui a été fait.
Il
existait 8 écoles-modèles à l’époque où la loi a été promulguée. Ces huit
écoles ont été transformées en écoles primaires supérieures comme le veut la
loi. Il a de plus été institué 12 écoles primaires supérieures nouvelles. Voilà
de compte fait 20 écoles de ce genre.
M. Orts. - J’ai parlé des cours
normaux.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je m’occupe maintenant des écoles primaires supérieures, je viendrai
tout à l’heure aux cours normaux.
L’honorable
préopinant m’a accusé d’incurie, de négligence. C’est un reproche auquel je
suis très sensible ; je crois au contraire, qu’on a mis la plus grande activité
à exécuter la loi du 23 septembre 1842.
Une voix. -
Où sont situées ces écoles ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Puisqu’on le désire, je vais énumérer les villes.
Les
huit écoles modèles à transformer en écoles primaires supérieures existaient à
Anvers, Malines, Bruxelles, Louvain, Gand, Mons, Tournay et Namur.
On
établi douze écoles primaires supérieures nouvelles dans les villes suivantes :
Jodoigne, Bruges, Furnes, Alost, Renaix, Thuin, Stavelot, Limbourg, Marche,
Neufchâteau, Virton et Dinant. Voilà donc 20 écoles primaires supérieures
instituées sur les 27 que le gouvernement peut établir ; des négociations sont
ouvertes avec sept villes, afin d’arriver à l’établissement des sept écoles qui
manquent encore, pour épuiser les pouvoirs que la loi donne au gouvernement.
Je
demande, messieurs, si des faits semblables dénotent de l’incurie de la part du
ministère de l’intérieur. En bien peu de temps, on a transformé les huit écoles
modèles, on a institué 12 écoles primaires supérieures nouvelles, et on est en
négociation avec des villes pour l’établissement des 7 écoles que le
gouvernement peut encore ériger ; car il faut au gouvernement, je le répète, le
concours des autorités locales, ne fut-ce que pour fournir les locaux
nécessaires.
L’honorable
préopinant m’a adressé un deuxième reproche, quant aux écoles primaires
supérieures.
La
loi dit qu’il pourra être adjoint des cours normaux à une école primaire
supérieure dans chaque province. Qu’avez-vous fait, dit l’honorable préopinant,
pour organiser ces cours normaux ?
J’ai
fait tout ce qu’il a été possible de faire. J’ai adressé aux gouverneurs des
provinces et aux inspecteurs toutes les instructions nécessaires ; je crois, messieurs,
pouvoir me borner à vous faire connaître ce qui a été fait à Bruxelles. Qu’il
me soit permis seulement de m’étonner que ces faits soient inconnus à
l’honorable préopinant ; personne, après moi, dans cette enceinte, n’était plus
à même que lui de les connaître.
Voici
ce que j’écrivais au gouverneur du Brabant, le 25 mars dernier :
«
Bruxelles, le 25 mars 1843.
« A
M. le gouverneur de la province de Brabant.
« Monsieur
le gouverneur,
« Aux
termes du 2ème paragraphe de l’art. 35 de la loi du 23 septembre 1842, le
gouvernement est autorisé à adjoindre des cours normaux à l’une des écoles
primaires supérieures de chaque province.
« J’ai
l’intention d’appliquer cette disposition à l’école primaire supérieure de
Bruxelles.
« Je
crois devoir vous communiquer dès aujourd’hui, mes vues à l’égard de cet
enseignement normal et pédagogique, en vous priant d’en donner connaissance à
MM. les membres de la commission administrative de l’école, ainsi qu’à M.
l’instituteur directeur.
« Il
sera d’abord accordé un certain nombre de bourses consistant, pour la première
année, en une admission gratuite à l’école. On choisira pour titulaire de ces
bourses, des jeunes gens appartenant à des familles honnêtes, mais peu aisées.
«
Déjà un certain nombre d’admission de ce genre a eu lieu à l’école primaire
supérieure à Bruxelles ; les élèves qui jouissent de cette faveur, formeront le
noyau de l’institution normale.
« Le
directeur de l’école sera chargé d’exercer sur ces jeunes gens une surveillance
toute spéciale, d’étudier leurs caractères et leurs dispositions et d’éveiller
en eux, autant que possible, la vocation indispensable pour faire un bon
instituteur.
« Les
élèves qui (par suite de cet examen qui pourra durer une ou deux années) auront
été reconnus propres à la profession d’instituteur recevront sur les fonds de
l’Etat des bourses instituées par l’art. 28 de la loi. Ils pourront également
en obtenir sur les fonds provinciaux eu conformité de l’art. 24.
« Lorsqu’ils
en seront arrivés à ce point, le gouvernement prendra des mesures pour qu’ils
soient internés dans l’école et
soumis à une surveillance constante et active.
«
Quand ils auront achevé leur cours d’études, ils pourront être employés comme
assistants dans l’école même, ou envoyés en qualité d’instituteurs dans les
écoles des villes ; ils se trouveront d’ailleurs dons les termes de l’art. 10
pour être exemptés de l’agréation.
« Vous
voyez par ce qui précède, M. le gouverneur, que pendant les deux ou trois
premières années, la dépense résultant de cette organisation sera très peu
importante.
«
Il suffira que le gouvernement accorde à l’école une légère augmentation de
subsides, afin que les admissions gratuites qui d’ailleurs seront limitées, ne
portent point préjudice aux intérêts de la caisse, et peut-être aussi afin
d’indemniser l’instituteur directeur du surcroît de travail qui doit en
résulter pour lui.
« Telles
sont, M. le gouverneur, mes vues générales sur l’organisation de l’enseignement
normal dans les écoles primaires supérieures.
« Un
règlement plus détaillé sera prochainement arrêté pour ce service, et des
instructions précises seront données à MM. les directeurs des écoles primaires
supérieures.
« Veuillez,
M. le gouverneur, demander à la commission administrative de me faire parvenir
la liste des élèves de l’école, actuellement admis à titre gratuit et qui
pourraient dès cette année être considérés comme aspirants-élèves-instituteurs.
« Le
ministre de l’intérieur,
«
Nothomb. »
Cette
circulaire a été communiquée à la commission administrative de l’école primaire
supérieure de Bruxelles, celle-ci l’a transmise au directeur de l’école ; le
directeur de l’école a rendu compte de l’exécution qu’il donnait à cette
circulaire ; il l’a entièrement approuvée, et la commission administrative l’a
également approuvée, puisqu’aucune objection ne m’a été faite. J’ai sous les
yeux le rapport du directeur de cette école, je ne veux pas lire entièrement ce
rapport, dans lequel le directeur indique les élèves qu’il a choisis, je me
contenterai de donner lecture du dernier paragraphe du rapport :
« Il
est bien entendu, messieurs, c’est à la commission administrative que le
directeur s’adresse, et l’honorable préopinant doit connaître cette commission.
« Il
est bien entendu, que ces divers degrés d’aptitude ne peuvent se rapporter
qu’au présent ; il est évident que dans le cours des études ces degrés
varieront à l’infini. C’est donc une très bonne mesure de la part du
gouvernement, que d’avoir accordé un certain temps d’épreuves aux jeunes gens
admis dans la section normale !... »
La
commission administrative s’est bornée à envoyer le rapport du directeur au
gouverneur, et le gouverneur me l’a transmis. J’en ai conclu que la marche que
j’avais indiquée était approuvée par la commission administrative.
M. Orts. - Les cours ne sont pas
organisés.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On dit que les cours ne sont pas organisés. C’est une erreur ; ils
sont organisés, en ce sens, que des élèves sont choisis et doivent suivre les
cours ordinaires de l’école, pour que l’on puisse s’assurer de leurs
dispositions et de leur vocation. Quand le temps d’épreuve requis sera rempli,
ils entreront dans la section normale proprement dite de l’établissement. Ainsi,
eu égard au système que le gouvernement a adopté en cette matière et contre
lequel aucune objection n’a été présentée, l’administration n’a pu jusqu’à
présent faire plus qu’elle n’a fait. Si d’ailleurs la commission administrative
croit qu’une marche plus accélérée fût possible, pourquoi ne me l’a-t-elle pas
fait savoir ?
Pourquoi
s’est-on borné à me transmettre ce rapport que je tiens en main. Je le déclare
donc ici aujourd’hui, que ces faits ont reçu de la publicité ; si on pense
qu’on peut imprimer plus de rapidité à l’organisation des cours normaux de
l’école supérieure de Bruxelles, qu’on indique les moyens, qu’on ne se borne
pas à adhérer purement et simplement à la circulaire que j’ai transmise, par
l’intermédiaire du gouverneur, à la commission de cette école. Je ne reculerai
pas devant les moyens qu’on a eu tort de me laisser ignorer jusqu’à présent.
Une circulaire du même genre a été adressée aux gouverneurs des autres
provinces, pour établir des cours normaux auprès d’écoles primaires supérieures
; ces instructions ont reçu le commencement d’exécution que les circonstances
comportaient.
Je
dis également que si, quant à ces écoles supérieures, il y des moyens d’accoler
l’établissement des cours normaux, je les appliquerai ; mais encore une fois,
il faut que les commissions administratives me les fassent connaître.
Résumons-nous
sur ce premier chef d’accusation.
On
disait : vous n’avez pas mis assez d’empressement à instituer les 27 écoles
primaires supérieures, ni à annexer à 9 d’entre elles des cours normaux. J’ai
prouvé que, sur les 27 écoles primaires supérieures 20 sont instituées ; des
négociations sont ouvertes, négociations nécessaires pour établir les 7 autres.
Quant aux cours normaux, j’ai transmis les instructions nécessaires aux
commissions administratives ; la marche que j’ai indiquée a été approuvée,
notamment à Bruxelles.
Ici
vient se placer l’accusation que, sur certains points j’aurais été dans
l’exécution de la loi au-delà de la loi. J’ai attaché, dit l’honorable
préopinant, dès cours de latinité aux écoles primaires supérieures de Thuin et
de Virton. L’expression est inexacte. A Thuin et à Virton, existait un collège
; sur la demande du conseil communal, j’ai laissé subsister certains cours de
latinité. Je n’ai violé aucune des dispositions de la loi ; j’aurais pu laisser
subsister tout le collège préexistant ; il se trouve qu’au lieu du collège
entier, on n’a laissé subsister que certains cours de latinité.
M. Devaux. -
L’inspection ecclésiastique s’appliquera-t,-elle à ces cours de latinité ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non.
M. Devaux. -
Ces cours de latinité seront-ils sous le régime de la loi sur l’enseignement
primaire ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non.
Ainsi
l’école primaire supérieure est placée sous le régime de la double inspection,
mais les cours de latinité, débris, pour ainsi dire, de l’ancien collège,
subsistent en dehors de ce régime. Il n’y a donc là aucun excès de pouvoir. On
aurait pu laisser subsister, comme à Bruxelles, à la fois l’athénée et l’école
primaire supérieure.
M. Orts. - C’est ce qu’il fallait
faire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Toutes les villes n’ont pas les ressources de Bruxelles ; le
gouvernement ne donne pas à toutes les villes pour leur collège 25 mille francs
par an. A Thuin, par exemple, on est plus modeste, on s’estime heureux de
pouvoir, à côté de l’école primaire supérieure, conserver certains cours de
latinité. L’honorable préopinant a cru pouvoir se permettre un soupçon ; il a
pensé qu’on avait eu en vue un moyen de recrutement pour les collèges qu’il
appelle cléricaux et qu’il suppose à proximité des écoles primaires supérieurs
auxquelles subsistent certains cours de latinité. Je demande sur quel fait on
peut établir ce soupçon ?
Je
sais que, non loin de Virton, il y a un collège qu’on a appelé clérical, le
collège de Bastogne, mais, d’un autre coté, il y a un athénée à Arlon, et la
distance de Virton à Bastogne est plus grande que celle de Virton à Arlon. (On rit.) Si c’est un système de
recrutement, je ne vois pas pourquoi ce serait plutôt au profit de Bastogne.
Ainsi,
c’est encore là un fait très secondaire, d’une explication très facile, et sur
lequel on a eu tort de fonder un système ayant pour but d’appliquer à
l’enseignement moyen le régime de l’enseignement primaire. (Interruption.) Je sais ce qui a pu
donner lieu ce soupçon, puisque le mot a été employé, je le répète c’est la
tentative faite à Ath. Je vais sur ce point donner une explication. Ce n’est
pas moi qui avais imposé l’arrangement que le conseil d’Ath a proposé à
l’évêque de Tournai. C’est le conseil communal qui l’a proposé. (Interruption.)
Il
est très vrai que le fait a été ainsi présenté par les journaux, mais je l’ai
déjà expliqué dans cette chambre, on aurait dû avoir égard à mon explication ;
on me répondra ici : ce sont des conseillers qui ont eu l’idée de conclure
cet arrangement avec l’évêque de Tournay. Le conseil communal d’Ath faisait en
cela beaucoup moins que n’ont fait d’autres conseils communaux. Qu’on lise le
rapport sur l’enseignement moyen ; on verra qu’ailleurs on est allé beaucoup
plus loin. On ne s’est pas borné à demander l’inspection, des conseils
communaux ont livré le collège entier à l’autorité ecclésiastique, et les
ministres d’alors ne l’ont pas empêché. Cette tentative faite à Ath est restée
sans résultat, l’arrangement n’a pas été, en définitive, accepté par le clergé.
La tentative ne forme donc pas le précédent qu’on semble redouter.
J’arrive
au deuxième chef d’accusation : les écoles normales. On m’accuse d’avoir
apporté un retard calculé à l’établissement des écoles normales de l’Etat, et
d’avoir agi de manière à laisser prendre le devant aux écoles normales
ecclésiastiques. C’est là une accusation grave, mais elle ne résiste pas à
l’examen des faits.
L’art.
35 de la loi organique porte qu’il sera établi immédiatement par le gouvernement
deux écoles normales, l’une dans les provinces wallonnes, l’autre dans les
provinces flamandes. J’ai déclaré, dans la discussion, que ces établissements
ne seraient pas donnés aux villes qu’on choisirait, sans qu’on exigeât un
sacrifice de leur part. (Interruption.)
J’ai
annoncé qu’on exigerait les locaux. Un grand nombre de villes se sont adresses
au gouvernement, j’ai fait examiner les locaux offerts, et j’ai trouvé que les
villes qui méritaient la préférence étaient Lierre et Nivelles. J’ai cru que
ces villes étaient bien situées pour des établissements de ce genre, elles ont
fait tous les sacrifices nécessaires ; des travaux d’appropriation ont été
faits et n’ont été achevés qu’en novembre dernier. Exiger donc plus tôt
l’établissement des écoles normales, c’était supposer que le gouvernement
trouverait d’emblée les travaux préparés. Je m’attendais ce reproche et j’avais
cru le prévenir.
C’est
un arrêté royal du 10 avril dernier, qui a décidé la question entre les villes
concurrentes et a désigné les villes de Lierre et de Nivelles. Il a été ajouté
que cette désignation ne serait définitive que quand chacune de ces villes
aurait fourni les locaux et terrains nécessaires, et dans un état tel qu’ils
pussent satisfaire à la destination qui leur était donnée. On s’est mis à
l’œuvre ; les villes ont fait de grands frais, et tous les travaux ont été
terminés en novembre.
Le
choix fait par l’arrêté du 10 avril n’était que provisoire ; par un nouvel
arrêté du 20 novembre, le Roi a déclaré que ce choix était définitif.
Mais,
dit l’honorable préopinant, j’ai laissé prendre les devants aux sept écoles
normales ecclésiastiques.
Ici
il y a de la part de l’honorable membre une erreur de droit.
La
loi, art. 10, exempte de l’agréation les élèves qui justifieront d’avoir
fréquenté avec fruit, pendant 2 ans, les cours d’une école normale primaire
soumise à l’inspection depuis deux ans.
Ces
deux décisions courent non pas à dater de la loi, mais à dater de l’approbation
du régime de l’inspection. (Interruption.)
Cette
erreur est fondamentale ; votre accusation, qu’il me soit permis de le
dire, et j’insiste là-dessus, porte à faux.
M. Orts. - Vous ne m’avez pas
compris.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je vous ai parfaitement compris.
Il
faut que les élèves, pour être exemptés de l’agréation, aient suivi les cours
pendant deux années dans un de ces établissements agréés par l’Etat depuis deux
ans, à partir, non de la date de la loi, mais du jour où le gouvernement a
commencé l’inspection.
Vous
allez voir quelles précautions j’ai prises, vous allez décider si je n’ai pas
tenu, d’après l’expression de l’honorable préopinant, la balance d’une main
ferme.
Ce
n’est pas moi qui ai créé les sept écoles normales ecclésiastiques. C’est un
fait ancien. Ce fait résulte de la liberté constitutionnelle d’enseignement.
Cela
posé (et il ne s’agit de corriger ni la constitution, ni la loi organique ; il
s’agit seulement de leur exécution) ; j’ai donc trouvé sept écoles normales ecclésiastiques
instituées. Les évêques, qui les avaient instituées, se sont adressés à moi,
pour obtenir ce qu’on appelle l’agréation ; c’est-à-dire, qu’ils ont demandé
que le gouvernement appliquât à ces établissements l’inspection civile.
Savez-vous quand les évêques se sont adressés au gouvernement pour obtenir le
bénéfice de la loi ? Le 28 janvier 1843. Eh bien, je crois qu’en droit j’aurais
dû immédiatement accorder l’agréation. Je ne l’ai pas fait. Voici pourquoi :
J’ai
prévu que je m’exposais à une accusation. J’ai dit : « Comment agréer
immédiatement les sept écoles normales, me trouvant dans l’impossibilité
d’établir en même temps les deux écoles normales de l’Etat ? Je suis dans
cette impossibilité, parce que je n’ai pas les locaux nécessaires. L’agréation,
je la donnerai, mais il faut que ce soit en même temps que les deux écoles
normales de l’Etat seront instituées. Je désiré que le
clergé ne prenne pas les devants sur les deux écoles normales de l’Etat. » Ce
langage a été compris. Je le répète, les évêques ont attendu, renonçant ainsi à
l’espèce de droit qu’ils avaient de me demander l’agréation immédiate.
Les
deux écoles normales de l’Etat ont pu être établies en novembre dernier,
lorsque les locaux ont été complètement appropriés et mis à ma disposition.
L’agréation,
sollicitée par les évêques, le 28 janvier, leur a été alors accordée ; les
évêques avaient attendu plus de dix mois.
Mais
ce n’est pas tout. J’ai dit tout à l’heure que les deux années couraient à
partir du jour où l’inspection commencera dans les sept établissements agréés.
Les deux écoles normales sont instituées ; mais les cours ne sont pas encore
organisés, en ce sens qu’il faut bien recruter les élèves, ce qui se fait en ce
moment. Les écoles ne seront donc ouvertes que le 9 avril prochain,
c’est-à-dire le mardi de Pâques, jour où commence le deuxième trimestre de
l’année. Croyez-vous qu’en agréant les sept écoles ecclésiastiques, j’aie
ajouté que l’inspection commencera à partir du jour de l’agréation ? Les
sept écoles ecclésiastiques auraient encore une fois pris les devants, puisque
les cours des écoles normales de l’Etat ne devaient s’ouvrir que le 9 avril.
Voici ce que j’ai cru devoir faire insérer dans l’arrêté d’agréation :
«
L’offre des cinq évêques est agréée ; en conséquence, le 9 avril 1844, les sept
écoles normales primaires seront placées sous le régime d’inspection et admises
au bénéfice attribué par la loi à cette position. »
Ainsi
j’ai pris toutes les précautions pour que les écoles normales ecclésiastiques
agréées ne prissent pas les devants sur les écoles normales de l’Etat. J’ai
tenu en suspens l’agréation ; et en l’accordant, j’ai déclaré qu’elle aurait
ses effets à partir du 9 avril, jour où les cours des écoles normales de l’Etat
seront seulement ouverts.
Vous
voyez que cette accusation, comme je le disais, ne résiste pas à l’examen des
faits.
Mais
le grand grief, c’est d’avoir placé à la tète des écoles normales de l’Etat des
ecclésiastiques. Voici comment je m’étais expliqué dans le cours de la
discussion de la loi sur l’instruction primaire. Je cite cette explication, non
pas que je sois considéré comme définitivement engagé, non pas que j’aie agi
forcément par suite de cet engagement ; mais j’ai cru que le système était bon
; si l’avenir prouve le contraire,. on
pourra en revenir.
Un membre. -
C’est ce que l’on ne fera pas.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pourquoi pas si le système offrait de graves inconvénients. Voici ce
que je répondais à plusieurs membres de la chambre qui voulaient faire insérer
dans la loi une disposition qui portât que les directeurs des écoles normales
de l’Etat seraient nécessairement des ecclésiastiques.
« L’honorable
comte de Mérode, M. Dumortier et moi, nous avons le même but : c’est ce qui arrivera
dans la pratique ; mais je dis que vous ne pouvez pas aller aussi loin dans les
termes de votre loi. On m’a demandé si je nommerais un ecclésiastique
principal. Je n’hésite pas à dire oui, si, comme gouvernement, je le fais
librement ; non, si on me l’imposait. Je ne veux pas que cela me soit imposé
par la loi. Je veux, en un mot, que le gouvernement conserve sa libre action.
Je demande que dans les termes de la loi, on n’aille pas plus loin que ne
l’exige le système de la loi.
« Il
est très possible, très probable, que si je suis appelé à exécuter la loi, je
propose au Roi de nommer deux prêtres directeurs des deux écoles normales ;
maïs le gouvernement restera libre de son action ; il saura s’il doit maintenir
ou faire cesser cet état de choses. »
Il
n’y avait donc pas eu d’engagement absolu. En tenant ce langage, j’avais
présenté à l’esprit des réflexions faites très sagement par plusieurs
honorables membres qui vous avaient dit : Il y a telle chose que je ne veux pas
voter, si c’est inséré dans la loi, et que j’admets, si c’est fait
administrativement, parce que ce que le gouvernement fait administrativement,
il peut le défaire administrativement. J’ai trouvé le système bon. En présence
des sept écoles normales ecclésiastiques, dont je ne pouvais empêcher
l’existence, il était prudent de mettre à la tête des deux écoles de l’Etat des
ecclésiastiques. Ces ecclésiastiques sont des hommes distingués, qui
comprendront parfaitement la mission qui leur est donnée. Mais, objectera-t-on,
si la dignité, l’indépendance du gouvernement, se trouvaient compromises dans
l’avenir ! Alors, le gouvernement userait de son droit ; ces deux
ecclésiastiques ont été nommés par lui ; il pourrait les révoquer.
Un membre. -
Le gouvernement serait dans l’embarras.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nullement ; comme l’a dit l’honorable M. Orts, on trouverait parmi
les laïques des hommes en état de les remplacer. Je le reconnais avec lui.
J’aime que le clergé sache que 1e gouvernement ne serait pas dans l’embarras.
Le gouvernement serait libre de révoquer ou de ne pas révoquer. Le reste est
une question de personnes. Il s’agit de savoir si les personnes qui
composeraient le gouvernement auraient le courage de prononcer une révocation.
M. Delfosse. -
Vous n’auriez pas ce courage.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si une révocation était nécessaire, j’aurais le courage de la
prononcer ; j’ai eu ce courage en d’autres circonstances.
Est-ce
une chose si nouvelle, que de confier la direction des écoles normales
primaires à des ecclésiastiques ? J’ai sous les yeux le rapport fait par
M. Cousin sur l’instruction primaire en Allemagne. J’appelle principalement
votre attention sur le rapport concernant
M. Delfosse. -
Je le crois bien.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous le croyez bien. Mais pourquoi le gouvernement belge n’aurait-il
pas la même confiance dans le clergé ? Est-ce que le clergé belge a pris là une
position hostile au gouvernement ? Est-ce que ces nominations engagent la
liberté d’action du gouvernement ? Si l’honorable préopinant croit que je
n’aurais pas le courage de révoquer des directeurs ecclésiastiques, d’autres
auraient ce courage. Il suffit que la liberté d’action du gouvernement ne soit
pas engagée. Le reste est une question de personnes.
Moi,
je crois qu’on pouvait sans crainte donner cette marque de confiance au clergé
belge. Je crois que les deux ecclésiastiques qui sont devenus, par leur
nomination, des fonctionnaires publics comprennent leur mission, et
l’accompliront dignement, loyalement.
Je
crois avoir discuté les différents faits qui ont été cités par l’honorable
préopinant.
Je ne m’arrêterai pas à l’arrêté royal, relatif aux pauvres. Il est vrai
que cet arrête se réfère au règlement communal nouveau qui aurait dû être fait
; ce règlement n’existe pas. Mais je suppose qu’il existe quelque ancien
règlement. S’il n’y en avait pas, ce serait de l’anarchie ; car l’absence de
règlement s’appelle anarchie.
La
loi sur l’instruction primaire a été exécutée avec toute la célérité toute la
loyauté possible. Si certains points sont encore sans exécution, c’est qu’ils
ne pouvaient recevoir plus tôt leur exécution, ou qu’il s’agissait d’objets
secondaires. L’exécution devait d’ailleurs être successive. Ou ne pouvait
exécuter la loi instantanément, en un seul jour.
En
terminant, je repousse de nouveau le reproche d’inaction, et avec plus de force
toutes ces insinuations qui dénotent un système de défiance.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, j’avais eu l’intention d’abord de présenter un amendement
au littera C de l’art. 6 du chapitre XVIII. Je voulais faire porter de 84,000 à
123,000 fr. le chiffre destiné à couvrir, concurremment avec les provinces et
les communes, les dépenses pour les écoles primaires supérieures. J’ai craint
qu’on ne m’opposât, comme fin de non-recevoir, l’art. 23 la loi du 23 septembre
1842. Mais si je ne présente pas d’amendement, je n‘en dirai pas moins toute ma
pensée sur cet article parcimonieux et sur l’application qui en a été faite.
La
chambre, quand elle a voté l’article 33 de la loi du 23 septembre 1842, qui
décide, en principe, qu’il pourra y avoir une école primaire supérieure par
arrondissement judiciaire, n’avait pas entendu, sans doute, voter un supplément
d’iniquité en faveur de certains arrondissements et au profit de certains autres.
La chambre n’avait pas entendu, j’en suis certain, que le fait seul, pour un
arrondissement, d’être privé d’un tribunal de première instance, entraînerait
la privation d’une école primaire supérieure. La chambre n’a sûrement pas voulu
dire : Il y a des arrondissements dont les habitants sont condamnés à faire
vingt ou trente fois douze lieues pour obtenir justice ; si les habitants ont
d’assez bonnes jambes pour courir après une justice qui semble fuir devant eux,
leurs enfants doivent eu avoir d’aussi bonnes pour courir après l’instruction.
Ce
que n’avait pas dit la chambre, le ministre de l’intérieur l’a pris pour dit.
Il a laissé pauvres ceux qui étaient pauvres, pour tout donner aux riches. Si
j’avais cru pouvoir proposer un amendement, j’aurais parlé au nom de tous les
arrondissements aussi malheureux que le mien ; je laisserai à leurs
représentants le soin de les défendre, et en quatre mots, je dirai quelle est
la situation de celui qui m’a confié le mandat législatif.
Il y
a des moments, messieurs, où je crois que l’arrondissement de Philippeville est
arrivé trop tard dans la famille belge, et que, lorsqu’en 1815, une politique
ennemie de la France a donné cet arrondissement en pâture au gouvernement des
Pays -Bas, il n’y avait plus place déjà pour un nouvel enfant au foyer de la
famille.
L’arrondissement
de Philippeville, dont la population est de 46,875 habitants, n’a pas de
tribunal de première instance. Les habitants, comme je le disais tout à
l’heure, ont huit, dix et douze lieues à faire pour obtenir justice, et comme
la justice d’un tribunal obéré est nécessairement lente, ils ont le trajet à
faire quinze, vingt ou trente fois ; je n’accuse en rien le zèle des juge du
tribunal de Dinant, mais que voulez-vous que fasse un tribunal qui, à la fin de
l’année judiciaire 1842, comptait 303 causes arriérées ?
J’ai
autant à dire à propos de tous les départements ministériels. J’aurai à
demander humblement à M. le ministre de la guerre de nous donner une garnison à
peu près suffisante pour garder la poudre qui, un jour, nous fera sauter. Ce
serait trop exiger de lui sans doute, que d’espérer lui faire comprendre qu’une
petite ville de guerre, étranglée dans une ceinture de pierre, n’a pas d’autres
moyens d’existence que sa garnison.
Je
néglige les autres départements ministériels et je reviens à mon sujet.
La
loi du 23 septembre 1842 permettait à M. le ministre de l’intérieur de créer
une école d’enseignement primaire supérieur par arrondissement judiciaire.
Croyez-vous, messieurs, que M. le ministre se soit fait le raisonnement bien
simple : « J’ai là deux arrondissements ; l’un a tout, l’autre rien. Celui
qui n’a rien compte pourtant 46,875 habitants. Il y a là des enfants qui ont
besoin d’instruction ; si je donnais à cet arrondissement l’école dont Dinant,
avec son collège, n’a que faire ! si je lui donnais
l’école primaire supérieure ! Je suis vraiment heureux d’avoir trouve cette
idée-là ! Etre juste, être humain, une fois en passant, sans que cela tire à
conséquence, cela doit faire du bien ; il faut que j’essaie !» Non, messieurs,
M. le ministre n’a pas fait ce raisonnement, parce que Dinant a un tribunal,
Dinant doit avoir l’école primaire supérieure ; Dinant a un collège, qu’importe
! Dinant aura, avec son collège, l’école primaire supérieure : abondance de
bien ne nuit pas. M. le ministre m’a pourtant donné un motif ; mon respect pour
une auguste personne me défend de le répéter ici à
moins que je ne sois interpellé par M. le ministre lui-même.
Je
voulais donc, en premier lieu, proposer un amendement qui aurait obligé le
gouvernement à être juste envers les arrondissements seulement administratifs,
comme envers les arrondissements judiciaires ; mais, je le répète, on aurait pu
m’opposer une fin de non-recevoir. Je me borne donc à déclarer
que si je n’obtiens pas l’assurance que, sur le chiffre énorme de l’art. 6, si
largement livré à l’arbitraire, justice sera rendue à mon arrondissement en ce
qui touche l’instruction primaire, en réservant mon vote sur le budget dans son
ensemble, je voterai contre toutes les allocations demandées pour l’instruction
publique, puisqu’après tout, ceux que je représente n’y ont aucune part.
Je
m’attends à une réponse, et je la préviens : Votre arrondissement me dira-t-on peut-être,
n’offre pas assez, nous ne pouvons nous arranger avec lui. Moi, messieurs, j’ai
toujours pensé que c’est aux pauvres surtout qu’il faut donner, et qu’il faut
leur donner en raison directe de leur pauvreté.
M.
le ministre de l’intérieur est trop bien pénétré des saintes doctrines du
christianisme pour méconnaître cette-là.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l’honorable préopinant a fait la critique de la loi. La
loi ne permet d’établir qu’une école primaire supérieure par arrondissement
judiciaire. A l’époque où elle a été discutée, la ville de Dinant s’était
adressée au gouvernement pour obtenir une école primaire supérieure. Il en a
même été question dans cette chambre, et sans vouloir dire qu’il y avait des
engagements, je dois néanmoins rappeler qu’il y avait priorité de demande de la
part de cette ville.
Veuillez,
messieurs, vous rappeler les paroles qui ont même été prononcés par le
respectable collègue que nous avions alors pour représentant de la ville de
Dinant.
L’honorable
membre savait donc lui-même, je lui en demande bien pardon, en droit, qu’il ne
pouvait y avoir qu’une école primaire supérieure par arrondissement ; on savait
en outre en fait que la ville de Dinant s’était déjà adressée au gouvernement
et qu’elle avait été appuyée dans cette chambre.
Maintenant faut-il établir, par dérogation la loi, une deuxième école
primaire supérieure à Philippeville ? C’est une question de fait que je veux
bien examiner, et si à la suite des négociations qui sont ouvertes avec la
ville de Philippeville, je reconnais qu’une deuxième école peut être établie
dans l’arrondissement, voici ce que je ferai : je m’adresserai à la chambre, et
au lieu de mettre à l’article du budget : « Subsides pour les 27 écoles
primaires supérieures, » je mettrai : « Subsides pour les 27 écoles
primaires supérieures établies en vertu de l’art. 33 de la loi organique de
l’instruction primaire, et d’une 28ème école que le gouvernement est autorisé à
établir à Philippeville. »
En effet,
le gouvernement devra trouver dans le libellé de la loi l’autorisation qui lui
manque en présence du texte de l’art. 33. J’attends que cette négociation avec
la ville de Philippeville soit arrivée à son terme.
M. Delfosse. -
Messieurs, si la discussion générale n’avait pas été close dans la séance de
samedi, j’aurais pris la parole, non pas pour faire connaître les motifs de mon
opposition à M. le ministre de l’intérieur, ils sont suffisamment connus, mais
pour ne pas paraître adhérer à toutes les doctrines professées sur les bancs où
j’ai l’honneur de siéger.
Je
puis en ce moment, sans sortir de l’objet en discussion, produire quelques-unes
des considérations que je voulais émettre.
Je
suis du petit nombre de ceux qui ont voté contre la loi sur l’instruction
primaire. Je ne m’en repens pas ; je m’en félicite, au contraire. Cette loi
commence à porter ses fruits.
L’honorable
M. Orts vient de vous le dire. Deux ecclésiastiques ont été nommés pour diriger
les écoles normales de l’Etat. On a choisi, en outre, pour inspecter les
écoles, des hommes qui, j’en suis sûr, ont l’agrément du clergé. On peut
affirmer, d’après les choix connus, qu’il y aura entre les inspecteurs civils
et les inspecteurs ecclésiastiques l’entente la plus touchante et la plus
cordiale.
Aussi
les évêques n’ont-ils pas hésité un instant à placer leurs écoles normales sous
le régime de l’inspection de la loi. Ils savaient d’avance que cette inspection
n’aurait rien de gênant pour eux.
Désormais,
il n’y aura dans le pays que des instituteurs façonnés par le clergé. Le clergé
aura la direction exclusive de l’enseignement primaire.
Ces
choses-là étonnent l’honorable M. Orts. Elles ne m’étonnent pas messieurs, on a
dû s’y attendre le jour où la loi a été votée.
Le
jour où l’on a dit dans la loi que la partie religieuse, et surtout la partie
morale de l’enseignement serait confiée aux soins du clergé, le jour où la loi
a lié la compétence du gouvernement en matière de morale, ce jour-là les
laïques ont été dépossédés, ce jour-là on a proclamé que le prêtre est seul
apte à diriger l’enseignement primaire. Car, que serait l’enseignement primaire
sans la religion et sans la morale ?
Cette
position faite au clergé, messieurs, n’est en harmonie ni avec les mœurs, ni
avec l’esprit du siècle. Il fut un temps où le clergé marchait à la tête de la
civilisation, où il avait seul le dépôt des lumières ; mais ce temps est loin
de nous. Les lumières sont aujourd’hui répandues dans toutes les classes de la
société ; nul n’a le droit d’en revendiquer le monopole.
Le
clergé, comme corps, a fait de grandes pertes depuis 1789. De là quelques
regrets du passé ; de là, un peu de mauvaise humeur contre le présent ; de là,
certaines prétentions auxquelles il faudrait résister.
Je
respecte les droits et les intentions du clergé. Mais je dis qu’il y a en lui,
comme corps, certains souvenirs, certains mécontentements, certaines exigences
contre lesquelles il faudrait prémunir la jeunesse.
Eh
bien, c’est le contraire qui a été fait ; par la loi sur l’instruction
primaire, on a livré la jeunesse au clergé ; on a donné au clergé un moyen sûr
et facile de communiquer, sans contrôle, ses idées et ses sentiments.
Ce
n’est pas ainsi qu’on agit en France. En France, on soutient que l’Etat doit
maintenir son action et son autorité sur l’éducation publique ; on dit
hautement qu’il les maintiendra.
Je
sais bien que chez nous l’enseignement est libre et qu’il ne l’est pas en
France ; mais c’est justement parce que nous avons la liberté d’enseignement
que le gouvernement aurait dû se réserver une action plus forte sur les écoles
créées par la loi. C’est quand on est désarmé sur un point, qu’il est bon de se
fortifier sur les autres.
Mais
pour cela il aurait fallu du courage et M. le ministre de l’intérieur en a
constamment manqué. Il a toujours faibli en présence du clergé. Il n’a pas osé
maintenir, que dis-je, il n’a pas osé réclamer le droit de l’Etat.
C’est
là, messieurs, un de mes principaux griefs contre le ministre de l’intérieur.
Mon opposition n’est pas une opposition de personne, c’est une opposition de
principes.
Je repousse M. le ministre le ministre de l’intérieur pour le motif que
je viens d’indiquer ; je le repousse pour la loi sur la nomination des
bourgmestres ; je le repousse pour la loi sur les fraudes électorales ; je le
repousse pour la loi sur le fractionnement ; je le repousse pour la partialité
avec laquelle il a exécuté ces lois ; je le repousse enfin pour tout le mal
qu’il fait au pays.
Un
honorable député de Mons, qui appuie les cinq sixièmes du ministère dans un but
louable, j’aime à le reconnaître, a paru croire que tout serait fini par la
retraite de M. le ministre de l’intérieur. C’est une illusion, messieurs, la
retraite de M. le ministre de l’intérieur serait une bonne chose, une chose
morale, à laquelle les deux opinions devraient travailler ; mais elle ne
finirait pas tout. Rien ne sera fini tant que les principaux griefs de
l’opinion libérale ne seront pas redressés. Jusque-là, et je crois ici exprimer
la pensée de beaucoup de mes collègues, nous resterons dans l’opposition, non
par goût, mais par devoir.
(Moniteur belge n°28, du 28 janvier 1844)
M. Verhaegen. - Messieurs, le discours de l’honorable M. Orts vient de me prouver
que plusieurs des honorables membres qui siègent sur nos bancs n’ont donné un
vote favorable à la loi de l’instruction primaire que parce qu’ils avaient
encore quelque foi dans la loyauté et la sincérité politique du gouvernement.
Moi qui, depuis très longtemps, avais formé mon opinion sur la sincérité et la
loyauté du cabinet, j’ai voté contre et je m’en félicite.
Je
m’attendais, je dois le dire, à la partialité qui a présidé à l’exécution de la
loi. Une conviction bien profonde m’a guidé dans la discussion de l’année
dernière ; les plaintes qui surgissent aujourd’hui justifient à tous égards mon
opposition.
Le
fait d’ailleurs avait précédé ce qu’on appelait le droit. M. le ministre de
l’intérieur était resté dans l’inaction, nonobstant tous les avertissements que
je m’étais permis de donner, et le clergé s’était insensiblement emparé du
terrain. C’est M. le ministre de l’intérieur, lui-même, qui vient de faire
revivre mes anciens griefs en répondant à une objection de l’honorable M Orts :
« Il y avait sept écoles normales créées par l’épiscopat, vous a-t-il dit.
C’était un fait accompli dont j’ai dû subir les conséquences. »
Oui
le clergé avait fondé sept écoles normales, en partie avec les fonds de l’Etat,
le ministère les a vu créer, puis il les adoptées et subsidiées et comme si ce
n’était pas encore assez, il vient de conférer la direction des deux seules
écoles normales du gouvernement à des ecclésiastiques, de sorte que le clergé
est en possession du monopole, dans toute la force du terme !!
Plus
d’une fois, messieurs, à cette tribune, je vous ai fait remarquer que le
gouvernement qui avait tout à faire pour l’instruction primaire, abandonnait le
terrain au clergé ; plus d’une fois je lui ai dit que s’il ne se pressait pas,
il arriverait trop tard, et aujourd’hui il confesse qu’il n’est plus temps ! !
Si
le gouvernement, lorsque je l’ai sommé de le faire avait établi immédiatement
ses écoles normales ; s’il les avait établies sur des fondements solides, il
aurait pu soutenir la concurrence contre le clergé, et son devoir l’y
obligeait, car la constitution veut une instruction aux frais de l’Etat, et par
suite dirigée par l’Etat Nos avertissements ont été dédaignés, nos paroles ont
été traitées d’exagérées, il fallait avoir foi dans la prudence et la loyauté
du gouvernement, et c’est aujourd’hui le gouvernement qui ose venir nous dire
que c’est un fait accompli ! ! Mais si c’est un fait accompli, à qui donc la
faute ? au gouvernement seul qui l’a laissé
s’accomplir ! ! au gouvernement qui n’a pas voulu nous
écouter et qui se permettait de nous accuser d’exagération ! !
L’inaction
du gouvernement en ce qui concerne l’instruction primaire lui était imposée par
ceux dont il gère les affaires, défense lui était faite de laisser discuter la
loi, avant qu’il n’y eût un fait accompli, son existence ne lui était assurée
qu’à ce prix. L’honorable M. Nothomb, qui ne cesse de se dire homme d’affaires,
a fort bien compris sa position, il a géré, très bien géré les affaires de
certain parti, toujours il a négligé les nôtres, les nôtres qui sont celles du
pays tout entier ! !
Toutes
les places étant prises et le gouvernement ne s’en étant réservé aucune, il
fallait sanctionner le fait par le droit. La loi que M. le ministre est parvenu
à faire voter par la chambre n’a d’autre couleur que celle du fait accompli, et
dès lors personne ne pouvait se tromper sur l’exécution qui y serait donnée.
Qu’il me soit permis de le répéter : ce qui vous a été signalé comme un abus
grave au sujet des écoles normales et de l’inspection civile, je l’avais prévu
lors de la discussion de la loi ; toutes les écoles normales, sans en excepter
une seule, comme j’avais l’honneur de vous le dire tantôt, sont au pouvoir du
clergé, et quant à l’inspection civile, telle qu’elle a été organisée par M. le
ministre de l’intérieur, elle n’est qu’une mystification ajoutée à toutes les
autres : la partialité qui a préside aux nominations des inspecteurs civils
prouve que le ministère, comme toujours, s’est mis à genoux devant l’épiscopat.
Dans la plupart des localités, si toutefois on en excepte quelques grandes
villes, les inspecteurs civils ont été choisis dans la classe des hommes les
plus rétrogrades et les moins aptes à remplir ces fonctions ; je ne crains
point de le dire tout haut, les inspecteurs civils nommés par le gouvernement
m’inspirent, en général, beaucoup moins de confiance que les inspecteurs
ecclésiastiques. Voila cependant où nous en sommes réduits !
La
liberté d’enseignement proclamée par la constitution, a été changée en monopole
au profit du clergé. Le fait a précédé le droit et ce fait était dû à
l’inaction du gouvernement. Maintenant je crains bien qu’on suive la même
tactique, pour une autre liberté qui nous est tout aussi chère, j’entends
parler de la liberté de la presse !
Déjà
depuis quelque temps on s’occupe en fait à détruire peu à peu la liberté de la
presse ; encore une fois le gouvernement reste inactif, et quand on pourra
invoquer le fait accompli, on vous proposera de le sanctionner par le droit, on
vous présentera un projet de loi sur la presse comme corollaire de la loi de
l’instruction primaire. Ne veut-on pas tous les jours que les journaux
libéraux, quelque modérés, quelque impartiaux qu’ils soient, sont mis à
l’index, et que ceux qui les lisent sont menacés des foudres de l’Eglise.
M. le président. - Vous rentrez dans la
discussion générale.
M. Verhaegen. - Je veux dire à M. le
ministre de l’intérieur pourquoi je voterai contre son budget.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cela ne m’étonne pas le moins du monde.
M. le président. - Vous pouviez dire cela
dans la discussion générale : je suis obligé maintenant de vous inviter à vous
renfermer dans l’article en discussion.
M. Verhaegen. - Nous sommes arrivés au
chapitre de l’instruction primaire, et j’ai le droit d’examiner tout ce qui s’y
rattache, on plutôt ce que certain parti veut y rattacher ; n’a-t-on pas vu
naguère, dans une commune rurale, un inspecteur civil accompagné d’un
inspecteur ecclésiastique, se permettre une violation de domicile à l’égard
d’un instituteur, faire des recherches multipliées pour découvrir quelques
numéros de l’Observateur et de l’Echo de Bruxelles ? N’est-ce pas la une grave
atteinte à la liberté de la presse ?
Dans
l’instruction primaire on voulait des garanties pour la religion et la morale,
on a demandé et on a obtenu la censure pour les livres dont il serait fait
emploi dans les écoles ; comme conséquence de ce principe et dans l’intérêt de
la religion et de la morale, on finira par demander une censure pour la presse
; déjà cette censure existe en fait, et la lettre pastorale des évêques sur les
mauvais livres et les mauvaises publications en a été le signal. Partout le
clergé est à l’œuvre, le ministère laisse faire et plus tard il se joindra à
l’épiscopat !!
Messieurs,
les craintes que j’énonce en ce moment, ou plutôt les prévisions que je me
permets de vous communiquer sont les mêmes que celles dont je vous parlais
naguère au sujet de l’enseignement primaire ; ces craintes, ces prévisions
m’ont valu des reproches d’exagération, et aujourd’hui les événements les
justifient et ces événements sont devenus des faits accomplis, pour me servir de
l’expression de M. Nothomb.
Plusieurs
faits se sont accomplis, sous le ministère de M. Nothomb, parce que l’intérêt
du parti qui le soutient le voulait ainsi ; la qualification d’homme d’affaires
qu’il s’est donnée chaque fois que l’occasion s’en est présentée lui convient à
plus d’un titre.
Oui,
M. Nothomb est un véritable homme d’affaires, il a bien soigné les intérêts de
ses mandants en nous enlevant nos franchises communales, en faisant adopter la
loi de l’instruction primaire, la loi apportant des modifications au système
électoral, en un mot toutes les lois réactionnaires qui nous pèsent si
cruellement. Qu’a-t-il fait pour notre opinion et pour le pays ? Absolument
rien ; car, il faut bien le dire, si d’autres lois importantes ont été votées
sous son ministère, telles que la loi des indemnités, la loi en faveur de la
ville de Bruxelles, le traité final avec
Messieurs,
la position de M. le ministre de l’intérieur est désormais nettement dessinée.
Il s’appuie dans cette chambre sur une majorité factice, je dis factice, parce
que cette majorité n’a pour lui aucune sympathie et qu’elle ne lui donnera son
concours qu’aussi longtemps qu’il gérera ses affaires, mais M. Nothomb est loin
de pouvoir s’appuyer sur une majorité dans le pays. (Bruit.) Messieurs, les murmures qui accueillent mes dernières
paroles m’autorisent de les expliquer par quelques faits qui sont devenus
historiques : Le ministère Villèle a été aussi un ministère d’affaires, il
avait une majorité dans la chambre, parce qu’il faisait les affaires de cette
majorité, mais il n’avait pas les sympathies de
M. le président. - Revenons-en à la discussion
de l’article qui est en ce moment soumis à la chambre, vous êtes tout à fait
dans la discussion générale.
M. Verhaegen. - C’est l’interruption qui a
été cause de cette digression. J’en remercie du reste les interrupteurs.
Je
n’ai plus qu’un seul mot à dire. Sous le gouvernement des Pays-Bas nous avions
aussi au banc ministériel un homme à grands expédients ,
et qui avait le talent de caresser sans cesse la majorité qui le soutenait au
pouvoir ; cette majorité se composait de presque tous les députes des provinces
septentrionales dont il soignait les intérêts aux dépens des provinces
méridionales et de quelques députés de ces dernières provinces qui donnaient
son appoint. Ce ministre, tout impopulaire qu’il était dans le pays, a résisté
à de nombreuses attaques en invoquant l’appui d’une majorité dans la chambre ;
le roi Guillaume lui-même, aux demandes incessantes de renvoi que légitimait
une impopularité toujours croissante ne répondait que par ces mots :
« Pourquoi renverrais-je un ministre qui peut compter sur une majorité
dans le parlement ? »
Si le roi Guillaume s’était rendu au vœu si généralement exprimé par les
provinces méridionales, il aurait évité, ou au moins retardé la catastrophe.
Vous connaissez les suites de son obstination !
Lorsqu’il
n’y eût plus d’affaires à gérer dans l’intérêt des provinces septentrionales,
lorsque la révolution eût mis feu à un conflit entre ces provinces et les
provinces méridionales, la majorité d’autrefois fit défaut au ministre du roi
Guillaume. L’impopularité qui l’avait poursuivi en Belgique, le poursuivit
aussi en Hollande. Il tomba abandonné de tous ceux qui naguère encore se
disaient ses amis. Que M. Nothomb y réfléchisse bien. Lorsqu’il ne restera plus
rien a faire dans l’intérêt de l’opinion qui le
soutient aujourd’hui, sa chute sera devenue inévitable et sa carrière politique
définitivement close.
(Moniteur belge n°, du janvier 1844) M. Orts. - Il m’est impossible, messieurs, de laisser passer sans réponse le
discours de M. le ministre de l’intérieur. Il lui a plu de mettre dans ma
bouche deux propositions auxquelles je n’ai même pas pensé. M. le ministre de
l’intérieur m’a toujours représenté comme lui ayant reproché de ne pas avoir
organisé les écoles primaires supérieures. Mais je n’en ai pas dit un mot.
Quant aux huit écoles modèles qui existaient, il n’avait rien à y organiser, la
loi les organisait pour lui. Voici, en effet, ce que porte l’art. 33 :
« Les
écoles modèles du gouvernement, actuellement existantes, sont maintenues et
prendront le titre d’écoles primaires supérieures. »
Vous
n’aviez donc rien à faire sous ce rapport.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il fallait les réorganiser.
M. Orts. - Il n’y avait rien à
réorganiser, il n’y avait qu’un simple arrêté à prendre pour changer le nom de
ces établissements, et du jour au lendemain, les professeurs et employés des
écoles modèles se sont trouvés transformés en professeurs et employés des
écoles primaires supérieures.
Je
ne vous ai pas reproché non plus de ne pas avoir organisé dans un assez bref
délai les écoles normales ; je vous ai reproché de ne pas avoir organisé assez
à temps les cours normaux qui devaient être attachés aux écoles primaires
supérieures ; c’est à l’organisation de ces cours que vous n’avez pas donné
l’impulsion active que vous deviez y donner.
C’est
ainsi que vous avez supposé que je vous aurais reproché d’avoir laissé prendre
le pas aux écoles normales épiscopales sur les deux écoles normales de l’Etat.
Je n’en ai pas dit un mot. J’aurais commis une véritable erreur de date. Je
vous ai même indiqué la date des deux arrêtés. Je vous ai dit que vous avez
posé la première pierre d’organisation des deux écoles normales de l’Etat par
l’arrêté du 11 novembre 1843, et j’ai ajouté que vous aviez adopté, peu de
jours après, les sept écoles normales cléricales ; et je m’empresse de le dire,
vous étiez dans votre droit en les adoptant ; à Dieu ne plaise que je vous
conteste le droit que vous confère la loi. Mais vous n’avez pas apporté les
mêmes soins, la même promptitude à l’organisation des cours normaux près des
écoles primaires supérieures, ces cours sont cependant, en fait d’instruction
normale, ce qu’il y avait de plus urgent à organiser.
Vous
êtes venu nous rendre compte d’une correspondance que vous avez échangée avec
le gouverneur du Brabant, qui est votre agent.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Et avec la commission administrative.
M. Orts. - Cette correspondance est
du mois de mars 1843, tandis que la loi organique est du 23 septembre 1842.
Vous avez représenté au gouvernement du Brabant qu’il fallait songer à
organiser les cours normaux à attacher à l’école normale supérieure de
Bruxelles. Ces cours ne sont pas encore en activité. A qui la faute ? Pourquoi
avons-nous des inspecteurs provinciaux et des inspecteurs cantonaux ? C’est pour
tenir la main à l’exécution prompte des dispositions de la loi.
Et à
cette occasion je pourrais dire qu’il y a des inspecteurs provinciaux qui
gardent pendant un mois en portefeuille le rapport à faire sur la proposition
d’adoption d’écoles primaires. Ce fait existe, et pourquoi ? Parce que
peut-être il convient de tergiverser dans cette circonstance.
Quoi
qu’il en soit, l’inspectorat n’a pas été créé pour constituer une sinécure.
C’était aux inspecteurs du Brabant à tenir la main à ce que le cours normal
près de l’école primaire supérieure de Bruxelles fût promptement ouvert.
En
ce qui concerne l’art. 10 de la loi, on a prétendu que j’avais commis une
erreur de droit ; que c’est à partir du jour où le régime d’inspection est créé
que commence à courir le délai dont il est question dans cet article.
Mais,
messieurs, l’art. 10 de la loi est précis, il nous apprend qu’un élève
instituteur, avant de pouvoir être appelé aux fonctions d’instituteur communal,
doit avoir, pendant deux ans, fréquenté les cours, soit d’une des écoles
normales du gouvernement, soit de la section normale établie près d’une école
primaire supérieure, soit enfin les cours d’une école normale privée. Il suffit
de lire l’art. 10 de la loi, pour être convaincu que tel est le sens de cet article.
Or,
comment voulez-vous qu’une école primaire supérieure, où les cours normaux ne
sont pas organisés en 1844, puisse envoyer ses élèves en 1846 pour être nommés
instituteurs dans des écoles communales. Je disais donc à M. le ministre de
l’intérieur que s’il négligeait d’organiser en 1844 les cours normaux, les
élèves qui auront suivi ces cours, ne pourraient pas lutter avec les élèves
sortants soit des écoles normales de l’Etat, soit des écoles normales privées,
adoptées par le gouvernement. Voilà quelle était ma réclamation.
Je
sais bien que, pour être admises à jouir du bénéfice de l’art. 10 de la loi,
les écoles normales privées doivent avoir accepté depuis deux ans le régime
d’inspection. Mais je ne parle pas des écoles du clergé, je parle des cours
normaux annexés aux écoles primaires supérieures.
Quoi
qu’il en soit, le temps est venu d’organiser ces cours.
Maintenant
qu’a-t-on répondu à cette observation sur laquelle j’insiste, à savoir que le
sort des écoles primaires dépend d’un bon règlement, d’un règlement qui soit
précis et, autant que possible, uniforme sur les points importants que renferme
l’art.15, tels que le système des récompenses et des punitions, le mode de
travail, etc.
Rien
n’est fait, et pourquoi ? Parce que les inspecteurs provinciaux nommés depuis
plus d’un an ne proposent pas de règlement ; ils placent les communes dans une
position qui est celle de la force d’inertie ; elles ne peuvent pas adopter un
règlement, parce qu’on ne leur propose rien. Dans son arrêté organique, le gouvernement
dit, que pour les élèves à recevoir dans le cours de l’année, il faut recourir
au règlement dont il s’agit à l’art. 15 de la loi, on cherche ce règlement, et
on ne le trouve pas, parce que l’inspecteur chargé de le proposer au conseil
communal n’en a rien fait.
Il y
a là, je le répète, une véritable incurie ; j’en accuse M. le ministre de
l’intérieur, parce que, dans une précédente séance, il s’est élevé avec force
contre les suppositions, qu’il fallait s’en prendre à un autre qu’à lui-même ;
ainsi mon observation subsiste. Si cela dure il y aura anarchie ; voilà, me
paraît-il un grief sérieux.
Quant
à ce que j’ai dit relativement à la nomination des directeurs des deux écoles
normales du gouvernement, je supplie la chambre de croire qu’il n’y a de ma
part aucune insinuation personnelle contre les honorables ecclésiastiques
placés à la tête de ces établissements, J’ai dit qu’il était inconcevable que
tandis qu’il n’existait pas d’écoles normales privées autres que celles du
clergé, adoptées par le gouvernement, vous eussiez confiée la place de
directeur dans les deux écoles normales de l’Etat à des ecclésiastiques dont je
respecte le caractère ; mais il me paraît que l’ordre civil pouvait bien avoir
une part dans ces faveurs, et comme l’a dit M. le ministre de l’intérieur
lui-même, il existe parmi les instituteurs de l’ordre civil des hommes dignes
d’occuper ces fonctions. Messieurs, vous le savez comme moi, les instituteurs
recommandables sous tous les rapports, appartenant à l’ordre civil, sont dans
une position qui mérite toute la sympathie du gouvernement. Il y en a une foule
qui, ayant vu décliner, par suite d’une concurrence que nous connaissons tous,
les établissements qu’ils dirigeaient, sollicitent aujourd’hui jusqu’à des
places de simples moniteurs dans les écoles primaires. J’ai dit sur ce point
toute ma pensée.
M.
le ministre de l’intérieur, pour rester fidèle à son programme de conciliation
lors de la discussion de la loi du 23 septembre 1842, aurait dû apporter dans
la nomination des fonctionnaires, et spécialement des directeurs des deux
écoles normales de l’Etat, plus de justice distributive et surtout plus
d’impartialité.
Je
crois, au moyen de ces observations, avoir établi que M. le ministre de
l’intérieur s’est placé dans une position très commode, en m’attribuant des
objections que je n’avais pas faites, et en se dispensant assez adroitement de
répondre à mes véritables objections.
- La
clôture est demandée de toutes parts.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne pourrais répondre aux deux avant-derniers orateurs, et même à
certains égards à l’honorable préopinant, qu’en rentrant dans la discussion
générale ; je crois dès lors devoir renoncer à la parole.
- La
clôture est mise aux voix et prononcée.
L’art.
6, instruction primaire, 681,000 fr. est mis aux voix et adopté.
Article
transféré (école vétérinaire)
M. le président. - C’est ici que vient se
placer l’article du budget relatif à l’école vétérinaire, et qui a été tenu en
suspens.
(Moniteur belge n°28, du 28 janvier 1844)
M. Rogier. - Messieurs, je ne veux pas rentrer dans la discussion générale. Je
n’ai pas pris part à la discussion du chapitre de l’instruction publique, parce
que j’avais déjà eu occasion de faire connaître mon opinion sur la politique de
M. le ministre de l’intérieur et du cabinet. Les observations que j’ai à
présenter en ce moment sont purement administratives ; je pense que, quels que
soient les hommes qui siègent au banc des ministres, l’opposition ne doit pas
toujours se borner à un rôle purement critique ; elle doit aussi pousser aux
améliorations et chercher, autant que possible, à les faire accepter par le
ministère, alors même que ce ministère n’aurait pas ses sympathies politiques.
Les
détails consignés dans le rapport de la section centrale sur l’école
vétérinaire de l’Etat m’ont suggéré quelques réflexions que je demande à vous
soumettre. Il résulte de ce rapport que le nombre des élèves a décru
sensiblement d’année en année. En 1831, il était de 134, en 1838, il était de
130, en 1840, de 90, en 1842, de 66 et en 1843, 1844, il est de 46 élèves.
Pour
ces 46 élèves on nous demande une somme de 150 mille fr. ; chacun de ces
élèves, pour devenir vétérinaire, a quatre années d’études à faire. C’est donc
une somme de 60 mille fr. qui sera dépensée pour former une cinquantaine de
vétérinaires, ou 12,000 fr. par élève. C’est très cher en supposant que tous
les élèves deviennent vétérinaires.
Ce
n’est pas que je veuille critiquer en principe l’établissement et
l’administration de notre école vétérinaire. Je crois qu’elle a déjà fait
beaucoup de bien au pays et quelle peut encore en faire beaucoup. Le pays
manquait de vétérinaires, l’école en a produit et doit encore en produire.
Quant au nombre décroissant des élèves, il est expliqué par les conditions plus
sévères qui ont été imposées à leur admission. Beaucoup d’élèves dans le
principe étaient admis avec trop de facilité.
Je
ne puis pas blâmer ce qui a été fait. Je pense que c’est sous l’administration
de M. Liedts que des examens plus sévères ont été exigés. Mais je demande si un
établissement qui coûte 600,000 frs. pour former 50
vétérinaires, si un pareil établissement remplit complètement son but, s’il ne
pourrait pas recevoir plus d’extension et rendre plus de services. Je demande,
en un mot, si l’école vétérinaire doit continuer à produire seulement des
médecins vétérinaires, si l’enseignement ne pourrait pas y devenir un
enseignement agricole, si de la même manière que nos quatre universités
produisent des centaines de médecins, d’avocats, d’ingénieurs, d’autres
établissements ne pourraient pas produire des agriculteurs, des ingénieurs
agricoles. Que l’on compare le nombre des élèves qui fréquentent l’école
vétérinaire et ceux qui fréquentent les quatre universités. Chaque année nos
universités jettent dans le pays 400 jeunes gens titres ou non titrés, brevetés
ou non brevetés avocats, médecins, ingénieurs ; ceux qui obtiennent des
diplômes poursuivent bien ou mal leur carrière ; ceux qui n’en obtiennent pas
deviennent très souvent, il faut l’avouer, un embarras pour leur famille ou
pour la société.
Je
ne viens pas me poser ici en ultraconservateur, je ne veux point parquer les
paysans dans les campagnes, attacher invinciblement chaque individu au sol.
Mais je dis que c’est un mal d’entraîner trop de jeunes gens hors de la
carrière paternelle. Nos institutions laissent un libre développement à tous
les essors, à toutes les aptitudes extraordinaires : je ne crois pas que ces
facultés restent ignorées et stériles au fond des campagnes ; s’il se présente
des facultés hors ligne elles sauront se faire jour et prendre leur place,
grâce à nos belles, à nos bonnes institutions.
Je
le répète, tandis que nos 4 universités produisent chaque année 4 à 500 élèves
qui obtiennent des diplômes ou, ce qui est pis, qui n’en obtiennent pas, tandis
que les universités font une si large part à l’enseignement de la médecine, du
droit, et du génie civil, notre établissement agricole ne fournit qu’un nombre
insignifiant, je ne dirai pas d’ingénieurs agricoles, je ne dirai pas
d’agriculteurs, mais de simples médecins pour les animaux.
Il y
a malheureusement, messieurs, non pas seulement dans les villes, mais même dans
les campagnes, une sorte de dédain pour l’agriculture. Nos campagnards croient
avoir atteint un grand but quand ils ont poussé leur fils dans la carrière du
barreau, du notariat ou de la médecine. Qu’arrive-t-il ? Une place de notaire
vient à être vacante, 20 ou 30 candidats se présentent appuyés par toute espèce
de moyen. De là ces abus qu’on signale si souvent, les incessantes pétitions
dont les ministres sont accablés et la faiblesse avec laquelle on cède souvent
à certaines obsessions.
L’enseignement
agricole devrait amener à lui beaucoup de ces activités qui aujourd’hui
s’égarent dans des établissements qui ne leur sont pas destinés. Ce n’est pas
50 élèves vétérinaires que je voudrais voir à l’établissement de Bruxelles,
mais 3 ou 400 élèves agronomes. Je voudrais que ces jeunes gens allassent
ensuite se disperser dans les campagnes, répandre les nouveaux procèdes de culture,
d’engrais, de fabrication, de mécanique et qu’ils le fissent non pas
superficiellement et comme à l’aventure, mais avec toute la maturité, toute
l’autorité que doit donner une science bien acquise.
On a
cité les projets de colonies commerciales comme bons à occuper l’activité de
nos populations. Je ne suis pas contraire au système des colonies extérieures ;
loin de là, je souhaiterais voir le gouvernement s’engager plus hardiment dans
cette voie, et encourager sagement mais efficacement ces établissements
extérieurs. Mais nous avons des colonies intérieures beaucoup plus importantes
à favoriser. Savez-vous qu’en Belgique il reste encore 386 mille hectares de
terre incultes, l’étendue de toute une province, de la province de Brabant !
N’est-ce pas là une carrière immense ouverte à l’activité des Belges ? Nous
sommes témoins en ce moment du zèle et de l’activité avec lesquels on se
précipite vers les colonies transatlantiques. Ne pourrait-on pas déployer la
même hardiesse, le même zèle pour entreprendre la colonisation de notre propre
sol ? Il y a des provinces tout entières à conquérir dans notre propre
royaume.
Nos
fils de fermier n’ont pas encore d’enseignement qui leur convienne. J’irai plus
loin, les fils des propriétaires que deviennent-ils, que font-ils ? Ils ont
abandonné la carrière des armes qui était autrefois l’apanage des fils de
famille. Aujourd’hui ils dédaignent cette carrière. Est-ce parce que le
privilège est disparu ? Je n’en sais rien. Mais c’est là un fait ; et je
n’hésite pas à le dire, il est regrettable de voir un si grand nombre de fils
de famille préférer l’oisiveté à la noble carrière des armes. Le clergé qui
autrefois comptait tant de noms et de positions respectables où se recrute-t-il
aujourd’hui ? Généralement dans les classes les moins éclairées de la
population. Les fils de famille dédaignent la carrière ecclésiastique qui a été
si glorieusement parcourue par de si beaux noms. De là encore une des causes de
l’affaiblissement de l’influence du clergé. Eh bien n’ai-je-pas raison de le
dire, le rôle des fils de famille en Belgique où, pour exercer de l’influence,
pour avoir de l’importance, pour être quelque chose, il faut faire quelque
chose, ce rôle est nul ou presque entièrement effacé.
Ne
serait-il pas désirable de voir beaucoup de ces jeunes gens fréquenter une
université agricole, se former là à l’étude des connaissances agronomiques, et
rapporter ensuite dans leurs propriétés de bons préceptes, de bons exemples,
une utile et féconde activité.
L’agriculture
n’est pas une carrière à dédaigner. C’est la première industrie ; c’est
l’industrie mère, l’industrie nourricière de toutes les autres, la mamelle de
l’Etat, pour me servir de l’expression connue de Sully, Sully l’honnête, le
loyal, le grand ministre. Envisagée à ce point de vue, l’agriculture
n’offre-t-elle pas une carrière des plus honorables, une carrière des plus
attrayantes pour toutes les positions, pour toutes les fortunes ?
J’engage
donc M. le ministre de l’intérieur, lorsqu’il nous présentera la loi, annoncée
dans le rapport de la section centrale, sur l’école vétérinaire, à s’occuper
des moyens de donner une grande extension à l’enseignement agricole. Il ne
suffit pas, je le répète, de faire des artistes vétérinaires. On en a déjà
fait, on en fera encore. Mais ce qu’il faut au pays, ce sont des agriculteurs
instruits. A côté de ces études agricoles, qui continueront dans
l’établissement de la capitale, puisqu’il y a là un commencement
d’organisation, il faut dans les diverses provinces des fermes-modèles,
appropriées aux circonstances diverses de la configuration et de la nature du
sol. L’enseignement agricole est impuissant, s’il ne marche accompagné de
l’application. Avant de propager des procédés nouveaux, il faut s’assurer de
leur bonté, de leur efficacité, et c’est dans les fermes-modèles que doivent
s’effectuer ces essais.
De
tels établissements existent dans d’autres pays : on en a obtenu les meilleurs
résultats. Pourquoi n’en obtiendrait-on pas les mêmes avantages s’ils
existaient chez nous ?
Beaucoup
d’établissements agricoles ont été fondés dans diverses contrées de
l’Allemagne. Des expositions de produits agricoles ont lieu. Des fêtes
agricoles sont données aux habitants des campagnes. Ici, dans ce pays
essentiellement agricole, il n’est presque jamais question des habitants des
campagnes. On a été jusqu’à leur reprocher et vouloir leur interdire les fêtes
du chemin de fer.
Le
chemin de fer est fait pour l’habitant des campagnes tout autant que pour celui
des villes.
Je
ne désire pas que les campagnards se déplacent pour venir s’établir dans les
villes ; mais je veux entre les villes et les campagnes des relations d’utilité
réciproque que le chemin de fer doit avoir pour but d’établir, de favoriser et
d’entretenir.
J’ai
vu sourire à l’expression d’ingénieurs agricoles ; je crois l’expression juste.
Les ingénieurs des ponts et chaussées, les ingénieurs des mines formeraient, avec les ingénieurs agricoles, trois catégories de
fonctionnaires, ayant chacun des attributions très distinctes et bien
déterminés Si j’avais dit que les ingénieurs du tabac l’expression aurait paru
encore plus hasardée. Eh bien, les manufactures de tabac, en France, par qui
sont-elles dirigées ? Par des ingénieurs sortis de l’école polytechnique.
Pourquoi beaucoup de nos établissements agricoles, au lieu d’être abandonnés à
la routine, à l’ignorance, ne seraient-ils pas dirigés par des ingénieurs
sortis de nos grands établissements agricoles ?
Voilà
les observations que j’avais à faire. J’espère que M. le ministre de
l’intérieur voudra bien les prendre pour ce quelles peuvent valoir. Je les
abandonne à son appréciation.
(Moniteur belge n°, du janvier
1844) M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Je me bornerai à répondre à l’honorable préopinant, que ces considérations ont
beaucoup de valeur à mes yeux. Je lui sais gré de les avoir présentées, malgré
l’inattention de la chambre.
Je
crois que si l’école dont il s’agit, et qui a une existence provisoire, est
définitivement maintenue, il faut qu’elle ait un double but, comme les grands
établissements de ce genre en Suisse et en Allemagne. (Approbation).
M. David. - II me semble que la
chambre est fatiguée ; je lui proposerais d’autoriser l’insertion de mon
discours au Moniteur.
-
Cette proposition est adoptée.
(Moniteur belge n°28, du 28 janvier 1844,
reprenant le discours dont il est fait
mention ci-dessus :) M. David. - Certes, messieurs, il faut
reconnaître qu’au point de vue élevé où s’est placé l’honorable M. Rogier, pour
traiter la question de l’école vétérinaire de l’Etat, il court peu de chance de
se voir dépasser par moi. Je vais néanmoins hasarder la critique de ce qui se
fait maintenant à cette école. Si l’on passait légèrement sur les observations
judicieuses de mon honorable collègue, dont les conseils ne tendent qu’à faire
tirer parti d’un établissement qui pourrait devenir si utile, on consacrerait
la dilapidation à pure perte, tandis qu’avec les éléments que le gouvernement possède,
il peut déverser beaucoup de bien sur le pays ! Le système de M. Rogier a donc
mon approbation, et je trouve qu’à côté des développements qu’il vient de nous
donner, on peut encore dire un mot d’une autre plaie que l’école vétérinaire
était appelée à guérir, et qui, faute d’une loi spéciale, subsiste
malheureusement en plein : je vais parler de l’empirisme vétérinaire.
N’est-il
pas déplorable de voir accorder annuellement une aussi énorme somme pour
l’entretien de l’école vétérinaire ; alors qu’à côté d’elle, on laisse
subsister l’empirisme, ce fléau de notre agriculture et de notre économie
rurale ? Agir avec si peu de prévoyance, n’est-ce pas détruire d’une main ce
que l’on a édifié de l’autre ? Et pourquoi forcer les élèves de l’école
vétérinaire à faire pendant 4 à 5 années successives d’aussi sérieuses études
pour l’obtention d’un diplôme sans, au préalable, leur avoir assuré les moyens
de pratiquer leur art avec quelque succès ? Pourquoi ne pas donner, à notre
époque, une loi répressive sur l’exercice illégal de la médecine vétérinaire,
alors qu’il en existe pour la médecine humaine plus importante sans doute, mais
aussi plus difficile à combiner ?
Je
sais très bien, et je m’attends à ce que M. le ministre me réponde qu’il a tout
préparé, qu’il s’occupe activement de la chose, mais une fois le chiffre voté,
tout est relégué dans les cartons pour ne raverdir
que l’année suivante, à pareille époque, ou pareille occasion. C’est-à-dire,
quelques jours avant la discussion du budget. Voilà 4 ou 5 ans que les
vétérinaires sont bernés de la sorte ; ils ne sont du reste pas mieux traités
que les pauvres pharmaciens des campagnes, en faveur desquels j’ai si souvent
élevé la voix dans cette enceinte, et qui languissent dans l’attente d’une
autre loi que l’Académie de médecine élabore avec une si désespérante lenteur.
Et
puis, fût-on même de bonne foi ; accordât-on une loi répressive, on n’en est
pas au bout ; reste alors à organiser le service vétérinaire civil et le mettre
en rapport avec les exigences du pays, cela se pratique partout ailleurs. Ici
au contraire on continue à créer tous
les ans bon nombre de vétérinaires alors que le pays en est surabondamment
pourvu.
Là
ne s’arrête pas ma critique : Je dirai que l’école vétérinaire est montée sur
un pied par trop coûteux. Pourquoi ce luxe de professeurs ? professeurs
ordinaires, extraordinaires, directeur, et aumônier ? A quoi bon, par exemple,
ces professeurs extraordinaires ? A quoi bon, ce directeur qui n’est pas
professeur, qui n’enseigne rien et ne me paraît servir à rien ? S il faut un
directeur, qu’il soit au moins professeur, qu’il donne des leçons, autrement le
titulaire actuel n’est qu’une dispendieuse superfétation.
L’aumônier
qu’a-t-il à faire dans une école vétérinaire ? autrefois
il n’en était pas question et les élèves n’étaient ni plus ni moins religieux.
On les conduisait à la messe le dimanche à la chapelle publique de la paroisse,
qui est ouverte à tout le monde. Pourquoi a-t-on reformé ce mode à la fois
orthodoxe et économique ?
Vous
parlerai-je du professeur de grammaire française, d’arithmétique et de
géographie, toutes branches élémentaires que l’on enseigne dans les écoles
primaires ? Eh bien, des professeurs semblables se trouvent attachés à cette
coûteuse école.
Le
chiffre énorme de fr. 153,500 que cet établissement coûte annuellement au pays
provoque encore une autre observation. C’est que les trois écoles vétérinaires
de France, Alfort, Lyon et Toulouse, ne coûtent à une
nation de 35 à 36 millions d’âmes que la somme de 492,200 fr., soit 820 fr. par
élève par an. Comparez, je vous prie, et rappelez-vous le chiffre que vous
annonce à l’instant l’honorable M. Rogier et qui veut de me surprendre par sa
réduction. Nous avons tout au plus actuellement, a-t-il dit, 40 élèves à
l’école vétérinaire ! Eh bien, messieurs, ces 40 élèves, en admettant que la
décroissance du chiffre s’arrête, ces 40 élèves auront coûté à l’Etat, chacun,
l’énorme somme de 3,830 fr. Or, il faut, pour l’éducation d’un vétérinaire, 4
ou 5 années. Mais, où allons-nous, grand Dieu, si, au lieu de faire des
économies, nous portons la prodigalité jusqu’à payer l’éducation de
vétérinaires qui ne sont admis qu’en très petit nombre, à fonctionner, la somme
effrayante de 15 à 18 mille francs !
De
plus, pourquoi continuer à allouer des bourses, des subsides, à affranchir même
du service militaire les jeunes gens qui sont élèves à l’école vétérinaire ?
C’était peut-être bien dans le principe de la création de l’école, lorsqu’il y
avait pénurie de vétérinaires dans le pays mais aujourd’hui qu’ils y
fourmillent, que les trois quarts d’entre eux vivotent, trament une pauvre
existence, sont honteux de leur position, regrettent amèrement et leurs peines
et leurs études dans cette triste carrière, pourquoi, dis-je, continuer à faire
de nouvelles dupes, en les amorçant par des avantages ruineux pour l’Etat et
perfides pour eux-mêmes ? Il faut donc supprimer ces bourses ou subsides
tout d’abord et n’admettre dorénavant à l’école que le jeune homme d’une
position assez aisée pour qu’il puisse y faire ses études à ses propres frais,
et une fois diplômé, attendre avec tranquillité sa clientèle à l’abri de
grandes et pénibles privations.
En
parlant ainsi, c’est dans l’hypothèse qu’il faille continuer l’école
vétérinaire à Bruxelles ; car je pense, et un grand nombre de bons esprits sont
d’accord sur ce point, qu’il serait beaucoup plus rationnel, bien plus
économique surtout, si l’on rattachait cette école vétérinaire à l’une ou
l’autre de nos universités de l’Etat. Tous les professeurs qui y enseignent
peuvent donner à peu de chose près des cours de médecine vétérinaire, et cet
enseignement ne perdrait certes rien au change. Du reste, l’année dernière,
dans cette enceinte, cette même question fut soulevée mais trop peu soutenue
par son auteur, elle fut abandonnée comme tant d’autres qui fourniraient
matière à de sages et réelles économies.
Messieurs,
il est une chose que je désirerais savoir par l’organe de M. le ministre de
l’intérieur lui-même. C’est celle-ci : l’école vétérinaire mérite-t-elle la
double qualification d’école vétérinaire et d’agriculture de l’Etat ? Le titre
est pompeux, messieurs, et on s’y laisserait facilement prendre en voyant les
efforts que fait le pays en faveur de son agriculture. Mais des personnes bien
informées m’ont assuré que ce titre n’était qu’un leurre, que jamais on n’y a
sérieusement professé l’agronomie, qu’elle ne compte qu’un seul professeur
allemand dans tout le corps professoral de l’école d’agriculture. Vous avouerez
qu’un seul professeur ne pourrait, en quelque, sorte, qu’effleurer la
généralité de cette vaste science. Quel avenir peut donc s’offrir aux jeunes
gens qui se laissent allécher par le programme en question, programme qui ne
leur laisse que déception après, car avant tout il paraît que l’école est
essentiellement école vétérinaire, et rien de plus. M. le ministre de
l’intérieur voudra, j’espère, bien me donner quelqu’appaisement sur ce point, car avant tout, notre confiante
jeunesse ne doit pas être trompée.
Concluons
de tout ce qui précède qu’en premier lieu il faut extirper l’empirisme, source
de tant de pertes pour notre agriculture. Disons ensuite que si l’on maintient
l’école vétérinaire il faut y introduire toutes les réformes d’une sage
économie, faire que cette école coûte le moins possible à l’Etat et quelle soit
organisée de manière à ce que le nombre de vétérinaires qu’elle est appelé à
créer, soit en rapport avec les véritables besoins du pays. Je demanderai que
dès à présent le gouvernement supprime les bourses et toutes les faveurs qu’il
a pu accordés jusqu’à ce jour, particulièrement la faveur d’être libéré du
service militaire, faveur au moyen de laquelle on peut faire tomber sa mauvaise
chance sur un malheureux qui ne peut, ni se faire remplacer, ni entrer à
l’école vétérinaire.
Il
m’est revenu qu’avant le tirage de la milice, des jeunes sens en ont fait une
spéculation. Ils se présentaient à l’école vétérinaire quelque temps avant le
tirage. Si le sort au tirage leur étaient favorable, ils quittaient l’école, en
cas contraire, ils devenaient vétérinaires pour le même prix à peu près (un
petit subside aidant), que celui qu’ils auraient dû donner pour se procurer un
remplaçant.
Pour
moi, je l’ai déjà à peu près dit, il me paraît bien évident que l’on pourrait
se passer d’une école vétérinaire spéciale à Bruxelles telle qu’elle est
aujourd’hui, parce que cet établissement est excessivement coûteux, et qu’il ne
rend pas les services qu’on a le droit d’en attendre. Si l’on veut instituer
quelque chose de véritablement utile et ménager le trésor, il faut faire
concourir à l’enseignement de cette science le corps universitaire qui enseigne
les sciences médicales, et donne 2 ou 3 cours près, l’instruction en ce qui
concerne la médecine vétérinaire. Et ces 2 ou 3 cours spéciaux, ne pourrait-on
pas alors les faire donner par des professeurs vétérinaires que l’on aurait
choisis ad hoc ?
Vous
le voyez, messieurs, il y a ici moyen de faire des économies, en soutenant et
protégeant la science, en améliorant la position de tous, celle des vétérinaires
comme celle de l’agriculteur ; mais je sens qu’il est trop tard pour cette
année. Un amendement ne serait pas facile à improviser. Des choses aussi
sérieuses ne s’improvisent d’ailleurs pas ; j’appelle du reste l’attention de
la chambre sur les observations de M. Rogier et les miennes, toutes faibles
qu’elles soient. La chambre aura le temps de les méditer, car nous ne les
aborderons plus qu’à la session prochaine.
J’espère
qu’alors le ministre qui nous présentera le budget de l’intérieur, aura eu soin
d’introduire de sérieuses reformes dans un établissement dont le but a été
louable, a même rendu des services dans son principe, mais qui n’est que la
source d’une dépense exagérée relativement à notre population.
(Moniteur belge n°, du janvier 1844) -
L’article est mis aux voix et adopté.
La
séance est levée est levée à 4 heures trois quarts.