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Chambre
des représentants de Belgique
Séance du vendredi 22 décembre 1843
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétitions
relatives à l’application de la contribution personnelle aux hôteliers (Cogels, Verhaegen), à l’impôt sur
le sel (Pirmez)
2) Projet de loi tendant à proroger la loi relative à
l’orge (Mast de Vries, Desmet, Simons)
3) Projet de loi portant le budget du département de la justice pour l’exercice 1844.
Discussion générale. (A : Révision des codes judiciaires (procédure civile
et criminelle, code pénal, commerce, faillite, contrainte par corps pour cause
de dettes…) ; B : régime des prisons ; C : phénomène de la
« haine de cense » ; D : question sociale) ((A, B, C) (Savart-Martel, d’Anethan), B (de Brouckere, d’Anethan), D
(domicile de secours, dépôt de mendicité) (Rodenbach),
(A, D (paupérisme), traitements de la magistrature) (Van
Cutsem), (A, C, D (paupérisme, bureaux de bienfaisance, enfants trouvés,
asile d’aliénés et modalités d’internement), B) (Castiau,
d’Anethan), B (de Brouckere))
4) Formation du comité secret
(Moniteur
belge n°357, du 23 décembre 1843)
(Présidence de M. Liedts)
M. de
Renesse fait l’appel nominal à
midi et demi.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la dernière séance
; la rédaction en est adoptée.
M. de
Renesse présente l’analyse des
pièces adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Jean-Baptiste-Théodore
Bourgeois, domicilié à Séloignes, né à Landouzy-la-Ville (France), demande la
naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre
de la justice.
« Les hôteliers et
aubergistes de diverses villes réclament contre l’application qui leur est
faite, de la contribution personnelle. »
M.
Cogels. - Comme vous venez de l’entendre,
messieurs, les hôteliers se plaignent de l’application qui leur est faite de la
loi sur la contribution personnelle. Cette loi, la même que celle qui est
encore en vigueur en Hollande, est appliquée en Belgique d’une manière tout à
fait différente.
Un projet de loi qui nous
a été présenté, mais qui semble retiré, faisait droit aux griefs des hôteliers.
Je propose de renvoyer la requête à la commission des pétitions avec demande
d’un prompt rapport, afin que M. le ministre des finances puisse examiner la
réclamation et y faire droit avant que les rôles de la contribution personnelle
soient mis en recouvrement.
M. Verhaegen. - J’avais en
quelque sorte prévenu le désir des pétitionnaires en parlant de leurs justes
griefs dans la discussion du budget des voies et moyens. J’appuie donc et
fortement la proposition de l’honorable M. Cogels. L’affaire est d’autant plus
urgente que les pétitionnaires se plaignent d’une véritable injustice. Voici en
deux mots, messieurs, ce dont il s’agit : Les hôteliers et aubergistes sont
frappés d’un droit de patente à raison du nombre de leurs chambres garnies ;
ils paient en outre la contribution personnelle à raison de ces mêmes chambres,
de sorte qu’il y a réellement double emploi.
- La proposition de M.
Cogels est mise aux voix et adoptée.
_________________________
« Le sieur Notte,
conseiller communal à Gembloux, soumet des observations relatives au projet de
loi sur les successions. »
- Renvoi à la commission
des pétitions.
« Les potiers de
Bouffioulx présentent des observations concernant l’impôt sur le sel. »
M.
Pirmez. - Je demanderai que cette pétition
soit communiquée aujourd’hui à M. le ministre des finances et qu’elle reste
ensuite déposée sur le bureau pendant la discussion relative au second vote du
projet de loi sur le sel, qui doit avoir lieu demain. Il est possible que M. le
ministre change la détermination qu’il avait prise précédemment en ce qui
concerne l’exemption du droit dont jouissaient différentes industries.
M.
le président. - Le but de M. Pirmez
serait atteint si le bureau communiquait officieusement la pétition à M. le
ministre des finances.
M.
Pirmez. - Oui, M. le président.
- Le dépôt sur le bureau
est mis aux voix et adopté.
________________________
« M. Wodon fait hommage à
la chambre d’un exemplaire de son ouvrage, intitulé Des moyens de fertiliser
les Ardennes, le Condroz et
- Dépôt à la
bibliothèque.
________________________
Par dépêche en date du 20
décembre, M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) transmet à la chambre 106 exemplaires du rapport de
la commission qui a été nommée par le gouvernement, à l’effet d’examiner la
question relative à la remonte de la cavalerie au moyen des chevaux indigènes.
- Dépôt à la bibliothèque
et distribution à MM. les membres de la chambre.
M. Mast de Vries fait le rapport suivant. - Messieurs, la loi temporaire du 25
décembre 1842, modifiant celle des céréales du 31 juillet 1834, se trouve de
plein droit abrogée au 31 décembre 1843. Le peu de temps qui nous sépare de
cette époque ne permettra point de discuter la nouvelle loi des céréales
proposée par le gouvernement, et les motifs qui ont déterminé la chambre à
voter la loi du 25 décembre 1842 continuant d’exister, les sections chargées de
l’examen de la loi des céréales ont disjoint de ce projet les dispositions
concernant les droits d’entrée sur l’orge, pour en faire l’objet d’une loi
séparée.
La section centrale,
après avoir pris connaissance de ce projet, admettant les motifs qui ont
déterminés les sections, vous propose, à l’unanimité, de proroger la loi du 25
décembre 1842 jusqu’au 31 décembre 1844, et en conséquence elle a l’honneur de
vous proposer le projet de loi suivant :
« Léopold, etc.
« Nous avons, de
commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. Par
dérogation à la loi du 31 juillet 1834, l’entrée de l’orge sera soumise au droit
de quatre francs (4 fr.) par 1000 kilog. et ce jusqu’au 31 décembre 1844
inclus, à moins que le gouvernement ne juge utile de modifier ce droit avant
cette époque.
« Art. 2. Lorsqu’aux
termes de la loi du 31 juillet 1834, le froment sera exempt de droits à
l’entrée, le gouvernement pourra soumettre le seigle au même régime.
« Les pouvoirs résultant de la disposition qui précède, cesseront
au 31 décembre 1844, s’ils ne sont renouvelés avant cette époque. »
« Art. 3. La
présente loi sera obligatoire le troisième jour après sa promulgation. »
M.
le président. - A quel jour la
chambre veut-elle fixer la discussion de ce projet ?
M. Mast de Vries, rapporteur, et M.
Desmet. - On pourrait voter de
suite.
D’autres membres. - Demain.
M.
Simons. - Je ne pense pas que l’adoption de
ce projet rencontre la moindre opposition et, comme il est urgent, je crois
qu’il conviendrait de le voter immédiatement.
- La chambre décide
qu’elle s’occupera immédiatement du projet.
M. le ministre de l’intérieur (M.
Nothomb) déclare se rallier à la
proposition de la section centrale.
- Personne ne demandant
la parole sur l’ensemble du projet, la chambre passe aux articles.
Les trois articles dont
le projet se compose, sont successivement mis aux voix et adoptés sans
discussion, Conformément à une décision prise hier par la chambre, M. le
président tire au sort le nom du membre par lequel on commencera l’appel
nominai. Le sort désigne M. Duvivier.
Il est ensuite procédé au
vote par appel nominal sur l’ensemble du projet qui est adopté à l’unanimité
par les 62 membres présents.
Ce sont : MM. Duvivier,
Eloy de Burdinne, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lebeau,
Lesoinne, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Morel-Danheel, Nothomb, Osy,
Pirson, Rodenbach. Rogier, Savart, Scheyven, Sigart, Simons, Van Cutsem,
Vandensteen, Van Volxem, Verhaegen, Verwilghen, Vilain XIIII, Zoude, Angillis,
Brabant, Castiau, Cogels, David, de Baillet, de Brouckere, de Chimay, de
Corswarem, de
Discussion générale
M.
le président. - L’ordre du jour
appelle maintenant la discussion du budget de la justice. La discussion
générale est ouverte.
La parole est à M.
Savart.
M. Savart-Martel. - Messieurs, ce n’est pas comme rapporteur de la section
centrale, c’est comme membre de la chambre que je vais avoir l’honneur de vous
soumettre quelques observations.
Messieurs, dans tous les
pays constitutionnels, le budget est l’occasion des remarques et observations
qui tendent à améliorer la position du pays.
Aussi, quoique les
plaintes et doléances dont je vais occuper l’assemblée ne soient guère de
nature à influer sur le chiffre du budget, c’est le moment, je crois, de vous
les soumettre.
Vous le savez, messieurs,
la justice est le premier besoin des peuples ; c’est pour obtenir justice
qu’ont été créé les rois.
En vain rendrez-vous
l’Etat puissant au-dehors par d’heureuses conceptions diplomatiques, par la
force, l’attitude et le génie militaire ; en vain déploierez-vous toutes les
ressources de l’imagination pour encourager le commerce, l’agriculture, les
arts et l’industrie : si la justice n’est d’un accès facile aux concitoyens ;
si les vices de la législation ne sont corrigés à temps, vos soins seront
superflus, car le travail et le génie veulent la certitude de conserver ce
qu’ils auront acquis.
Le congrès national, qui
a si bien mérité de la patrie, était pénétré de cette vérité, lorsqu’il déclara
l’urgence, la nécessité de la révision des codes qui constituent notre
législation. Douze années se sont écoulées, et il n’a été satisfait que très
imparfaitement à cette nécessité.
Cependant, la science du
droit est aujourd’hui très avancées ; les monuments de la jurisprudence sont
multipliés, toutes les controverses sont connues ; évidemment cette révision
serait des plus faciles.
Il ne s’agit point ici,
messieurs, de formuler un vaste code, ni de refondre la législation , on
n’exige pas même de conceptions nouvelles dans la plupart des cas, il suffirait
de mettre fin à des doutes sérieux, en érigeant en loi l’une ou l’autre des
opinions admises en jurisprudence.
Sauf le système
hypothécaire, éminemment vicieux, personne ne pense à attaquer le code qui nous
régit.
Les lacunes sont presque
imperceptibles, et il ne présente pas vingt questions vraiment controversées.
Un peu de zèle, un peu de bonne volonté (et certes l’un et l’autre existent
dans le pays) rendrait parfaite, autant que possible, notre législation civile
; surtout si l’on retouche aussi prudemment les lois relatives à la contrainte
par corps en matière civile et commerciale.
Le code de procédure ne
vaut rien, absolument rien. Presque toutes ses dispositions sont en haine des
créanciers au profil des débiteurs, et trop souvent au profit du dol, de la
fraude et de la mauvaise foi.
Quant à moi, dont le
devoir fut de l’observer depuis sa naissance, donc pendant une pratique de
trente-sept ans, j’assisterai de bon cœur à ses funérailles. Non seulement ce
déplorable système fourmille de formalités inutiles, gênantes et dispendieuses
; mais il porte l’iniquité jusqu’à l’absurdité, témoin le titre des enquêtes et
celui des saisies immobilières.
Soit, messieurs ! qu’on
ne refonde pas en entier ce code malencontreux ; car je conçois combien cela
serait difficile avec nos discussions par amendements et sous-amendements.
Mais il y a loin de la
révision à la refonte totale. Pourquoi maintenir cent dispositions inutiles ?
pourquoi ce luxe de nullités ? pourquoi ces délais entassés les uns sur les
autres, sans la plus légère garantie pour celui qui se trouve dans la nécessité
d’exercer ses droits.
Sans doute, il faut des
formes pour l’administration de la justice : parfois, elles protègent le droit.
Je sais que le mieux est souvent l’ennemi du bien ; aussi, loin de moi l’idée
de passer d’un extrême à un autre ; mais toute nullité sans grief paraît
injustice et devrait être supprimée.
Où en sommes-nous,
messieurs, avec cette déplorable disposition qui, en matière de commerce comme
en matière civile, oblige d’exécuter dans le court délai de six mois , les
jugements obtenus par défaut ?
Il en résulte, en
pratique, les inconvénients les plus graves. Souvent elle force à exécuter un
débiteur qu’il faudrait au contraire ménager dans l’intérêt du créancier même.
Notre pays est une vaste frontière.
Quand il plaît au condamné de dépasser la borne qui nous sépare des Etats
limitrophes, le jugement tombe en péremption, car tout le monde sait que la
force exécutoire expire à la frontière.
Le motif de pareille
péremption nous est donné rondement par le tribunal dans les termes que voici :
« il est inutile de prendre un défaut qu’on ne veut point exécuter de
suite.» (Voir le discours du tribun présentant la loi.) Comme s’il n’arrive
point souvent qu’un créancier ait intérêt d’avoir sentence, soit pour obtenir
hypothèque générale sur les biens venus et à venir de son débiteur, soit pour
éviter la prescription, soit pour faire valoir ses droits à l’époque où le
débiteur viendrait à meilleure fortune, soit même pour en justifier vis-à-vis
des tiers.
D’ailleurs, le débiteur
peut être, ou paraître solvable ; et quoiqu’il soit vrai que le code de
procédure laisse toute facilite à la partie condamnée, de soustraire son actif
à l’exécution de la sentence, l’orateur aurait dû se dire aussi que le créancier
a pu raisonnablement ne pas compter sur cet événement frauduleux. Il aurait pu
se dire qu’il y aura toujours plus de mauvais débiteurs, que de mauvais
créanciers.
Passerai-je au code de
commerce ? Il force des juges, souvent étrangers à la science du droit, de
suivre avec la procédure des formes hérissées de nullités et de déchéances.
Dans la pratique, l’on a
singulièrement étendu la compétence consulaire, à tel point que, sur une
véritable question de commerce qui se présente accidentellement, on place ces
magistrats dans la nécessité de se prononcer sur vingt ou trente questions de
droit ou de pratique.
Honneur ! honneur à ces
magistrats qui se dévouent gratuitement à vider les différends qu’amènent
presque nécessairement les opérations commerciales ! c’est une raison pour que
la législation leur rende plus facile l’exercice de leurs pénibles fonctions.
La révision de la
législation des faillites et sursis, spécialement ordonnée par le congrès, n’a
rien produit encore qu’une modification interprétative que le sénat nous a
retournée.
Le jury a été rétabli, il
est vrai, mais les accusés étant jugés dans les chefs-lieux de province
seulement, et l’exécution des condamnations se faisant presque toujours loin
des localités où les crimes ont été commis, ces condamnations ne remplissent
pas leur but, car en exécutant les criminels, la société n’exerce pas un acte
de vengeance, mais une mesure préventive d’autres crames.
Qu’il me soit permis
d’ajouter que de grands coupables osent compter souvent sur la clémence royale.
En Belgique, les peines
des travaux forcés n’existent que de nom. Par la force des choses, il n’y a
guère de différence entre la peine des travaux forcés et celle de la réclusion.
Notre système pénitentiaire n’est, d’ailleurs, pas très rigoureux, en sorte que
la plupart des condamnés (gens qui d’ordinaire sont pousses au crime par la
débauche et la misère) trouvent dans les prisons de l’Etat une vie animale
meilleure que beaucoup de nos ouvriers qui, en travaillant nuit et jour pour
nourrir leur famille, ne sont point encore assurés du pain quotidien.
Je ne connais point assez
le régime des prisons pour louer ou blâmer, mais je fais les vœux les plus
sincères pour qu’une partie des sommes énormes que coûtent les prisons, puisse
un jour être appliquée à l’amélioration de la classe ouvrière, de cette classe
la plus nombreuse et aussi la plus intéressante, car de la philanthropie pour
les criminels, c’est presque de la duperie.
Je n’entrerai point ici
dans l’examen du code pénal ; je me bornerai à appeler l’attention sur une
spécialité de délits heureusement inconnus dans une grande partie de nos
provinces, mais qui s’accroît singulièrement dans quelques parties de
l’arrondissement judiciaire de Tournai.
Je veux parler de la
« haine de cense », véritable vendetta dont les effets ne sont pas
moins déplorables que les crimes qui désolent
Déjà la presse,
sentinelle avancée, qui veille sur tous les droits et avertit même le pouvoir,
vous a informés, messieurs, de ce qu’on entend chez nous par « haine de cense ».
C’est la vengeance
qu’exerce ou fait exercer celui qui occupant des terres à titre de location,
s’en voit privé a la fin du bail, soit parce que le propriétaire veut les
cultiver lui-même, soit parce qu’il veut les concéder à un tiers.
Le détenteur qui occupe à
titre locatif dans la localité de mauvais gré, se regarde tellement comme
possesseur incommutable, qu’il n’est pas rare de lui voir traiter de la
jouissance et la partager entre ses enfants, soit par contrat de mariage, soit
par donations entre vifs et testamentaires. D’autres fois, il la cède à des
tiers argent comptant, nonobstant telle défense que contienne le bail ; et si,
dans un temps plus ou moins éloigné, le propriétaire veut disposer de son bien,
il est soumis à la « haine de cense » dont les effets vont
aujourd’hui jusqu’aux plus grands excès.
Déjà, sous le règne de
Marie-Thérèse de glorieuse mémoire, la « haine de cense » désolait
certaine partie de
Cette auguste princesse
voulut y pourvoir par un édit qui ne fut que faiblement exécuté. Cet édit cessa
d’ailleurs comme bien d’autres, par le droit nouveau.
Sous le régime français,
la « haine de cense » s’exerçait ordinairement par des menaces et
blessures, et surtout par la destruction des instruments aratoires, genre de délit
qui nécessita une loi de l’an VIII, dérogeant au code de brumaire an IV ; mais
la « haine de cense » a fait aujourd’hui de tels progrès qu’elle
procède à la destruction des bâtiments de ferme et des bestiaux, par
l’empoisonnement de écuries et des animaux, par l’incendie et l’assassinat. Ce
tableau, messieurs, n’a rien d’exagéré.
Et quoique l’opinion
publique ne se trompe presque jamais, la conviction des coupables est d’autant
plus difficile, que d’ordinaire le crime ne se commet point directement par
l’occupeur évincé, mais par un tiers qui obtiendra le même service
éventuellement dans son intérêt.
En vain les magistrats se
hâtent-ils de constater le crime ; en vain emploient-ils pour sa répression
tout ce que peuvent suggérer le zèle et l’aptitude, il est presque sans exemple
qu’ils obtiennent, directement au moins, le moindre témoignage sur sa
culpabilité.
Il faut savoir attendre
pour saisir le coupable, et cette attente même est désolante.
Pourquoi ce silence ?
c’est que les honnêtes gens redoutent pour eux-mêmes, pour leur famille, pour
leurs maisons et leurs propriétés, la vengeance des accusés.
C’est que, d’autre part
la « haine de cense » semble chose juste, raisonnable et toute
naturelle à plusieurs habitants du plat pays.
Récemment, un magistrat,
informé d’un meurtre, se rend dans un village très sujet à la « haine de
cense », et s’informe au bourgmestre du logis de tel individu que la
rumeur publique signalait comme auteur du fait. Le bourgmestre, qui exerce
l’état de brasseur, répond ne connaître personne de ce nom. Une demi-heure
était à peine écoulée qu’un gendarme arrêtait l’individu cheminant vers la
France à pas précipités. Ramené près du cadavre où se faisait l’autopsie, il
avouait le fait, et l’on apprit avec étonnement qu’il était le tonnelier du
brasseur-bourgmestre.
Hâtons-nous de dire que
l’homicide avait eu lieu malheureusement, mais non criminellement.
Ce fait, que je prends au
hasard entre plusieurs, vous donnera l’idée de la manière dont sont reçus
parfois les officiers du parquet lors de la recherche ou la poursuite des
crimes et délits, et vous concevrez facilement qu’avec les idées qui dominent
dans quelques localités, quant à la « haine de cense », les coupables
sont assez portés à croire à l’impunité.
Les gardes-champêtres sont
d’ailleurs d’une institution déplorable ; leur position n’est pas heureuse, ils
n’ont en expectatif aucun avancement, et il leur faudrait beaucoup de caractère
pour résister à leurs besoins. La plupart sont sous l’influence et à la merci
de leurs voisins, compères et amis ; et parfois on en rencontre qui partagent,
quant à la « haine de cense » , une opinion transmise de père en
fils.
S’il était possible
d’augmenter le corps de la gendarmerie, cette institution si utile au pays, et
si bien administrée, et de les répartir plus abondamment dans les communes
rurales, dans celles surtout où règne ce qu’on nomme le mauvais gré, les crimes
seraient moins faciles, les coupables compteraient moins sur l’impunité.
Messieurs, je n’ai pas la
prétention d’improviser ce qui serait à faire pour la sécurité du plat-pays ;
mais l’ordonnance de Marie-Thérèse est un document à consulter. D’autre part,
l’instruction solennelle, le jugement des accusés dans la ville rapprochée des
lieux où domine la « haine de cense », et l’exécution dans la commune
qui a éprouvé les effets de ce crime, seraient peut-être au nombre des moyens ;
mais on doit se hâter, car ce crime, la terreur des honnêtes gens, marche
actuellement tête levée, il gagne du terrain.
Qu’il me soit aussi
permis, messieurs, à l’occasion du mauvais gré, d’appeler l’attention sur
l’insuffisance des art. 305, 306 et 307 du code pénal, concernant les menaces.
Les menaces, dans le
plat-pays surtout, sont une véritable oppression. Elles constituent une
position d’autant plus insupportable, que c’est le danger de chaque jour, de
chaque heure, de chaque moment. C’est l’épée de Damoclès constamment suspendue
sur la tête du menacé. Chaque instant peut être le moment fatal amenant la
ruine ou la mort.
Sous l’empire du droit
actuel, la peine criminelle n’est applicable que dans le concours de deux
circonstances, savoir, qu’il y ait eu menace par écrit, avec ordre ou
condition.
Sans le concours de ces
deux circonstances, la peine est simplement correctionnelle.
Tout le monde sent
combien il est facile au crime d’échapper à la vindicte publique, tout en
portant dans nos campagnes le trouble, l’inquiétude et la désolation.
Les menaces ne se font
point ordinairement par écrit, car cette pièce serait le premier élément de
l’instruction criminelle. Elles se font souvent par une croix ou une boîte
d’allumettes apposée sur la maison menacée.
Lors des menaces
verbales, qui sont parfois publiques, car on ne se gêne point dans les localité
du mauvais gré, on se garde bien de préciser l’ordre ou la condition ; cela
serait inutile ; l’ordre ou la condition ne sont compris que trop facilement.
La « haine de
cense » connaît le point où sa menace donnerait action à la police
judiciaire ; comme nos grands coupables, les habitués des bagnes surtout,
savent jusqu’où ils peuvent pousser leurs crimes, avec assurance de ne point
subir le dernier supplice.
Au surplus, ne croyez
pas, messieurs, que la « haine de cense » soit le crime des localités
ou les terres seraient louées à chers deniers. -
C’est souvent le
contraire ; ce crime existe là surtout où les terres n’ont guère subi
d’augmentation depuis plusieurs années, là où les locations sont en-dessous de
la valeur fixée par le cadastre ; là où le propriétaire obtient à peine 1 1/2 à
2 p. c. de ses capitaux immobilisés.
Un mot, un seul mot,
messieurs, sur les bois et forêts. Ce genre de propriété n’a d’autre protection
que l’ordonnance de 1669, faite pour un temps où les bois n’avaient pas la
dixième partie de la valeur actuelle, et comme les pénalités sont fixées à
raison de l’ancienne valeur, il en résulte qu’un adroit délinquant peut voler,
payer l’amende et y gagner encore. Est-il raisonnable de maintenir une
législation qui laisse parfois une prime au condamné ?
Messieurs, en appelant
votre attention sur la nécessité de réviser notre législation, je n’ai fait
qu’indiquer quelques-uns des points les plus saillants ; vous concevrez
facilement que ce serait là un ouvrage de cabinet, dont les détails ne
pourraient guère appartenir à la tribune parlementaire.
Mais, permettez-moi de le
dire, ce n’est point par des lois isolées, sur chaque question, que nous
satisferons aux devoirs imposés par le congrès, quant à la révision des codes.
De nombreuses années s’écouleraient avant que nous ayons atteint ce but, c’est
en amendant et améliorant chaque code dans un seul corps de lois, dans un
travail à peu près semblable à l’édit perpétuel de 1611, décrété pour nos
provinces par les archiducs Albert et Isabelle.
Une commission peu
nombreuse, présidée par le ministre de la justice, dont le zèle ne nous fera
point défaut, sans doute, une commission travaillant avec activité pendant un
mois ou deux, serait à même de présenter à la législature un projet complet.
Elle rendrait ainsi un important service au pays.
Mon devoir, messieurs,
serait peut-être de terminer en vous rappelant la nécessité d’améliorer la
position de la magistrature judiciaire, mais l’assemblée étant saisie d’un
projet à cet égard, c’est lors de la discussion que mes réflexions pourront
être plus utilement soumises à la chambre.
Organe de la section
centrale, je me bornerai à faire observer pour le moment que plusieurs
sections, et notamment la section centrale, ont émis le vœu que nous puissions
nous occuper de ce projet durant cette session. Tel fut également le vœu du
sénat l’an dernier et tel est le désir qu’a récemment encore exprimé le
discours du trône.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, l’honorable M. Savart vous a parlé avec beaucoup de raison
des vices de la législation. Il vous a indiqué différents titres de nos codes
qui devraient recevoir de nombreuses et d’utiles améliorations.
Je tiens à faire
connaître à la chambre l’état dans lequel j’ai trouvé ces questions, au moment de
mon arrivée au ministère ; je tiens également à exposer à l’assemblée ce que je
suis dans l’intention de faire pour atteindre le but que l’honorable M. Savart
a en vue.
Mon honorable
prédécesseur avait proposé au Roi, le 24 décembre 1841, la nomination de deux
commissions ; l’une de ces commissions devait s’occuper de la révision des
différents objets de législation suivants : des faillites, des sociétés civiles
et commerciales, des assurances, de la contrainte par corps ; l’autre
commission avait pour mission d’examiner les questions relatives à la vente,
aux hypothèques, à la saisie immobilière, aux frais de justice en matière
civile et criminelle, au contrat de mariage et à la séparation de biens.
Ces commissions étaient
composées de plusieurs magistrats, elles se sont rassemblées plusieurs fois,
mais aucun travail n’a été fait. Je me suis adressé aux présidents de ces
commissions, et l’un et l’autre m’ont répondu que le gouvernement devait
considérer ces commissions comme dissoutes, qu’il était impossible d’en réunir
les membres , et que ces membres, remplissant d’autres fonctions, n’avaient pu
se livrer à aucun travail.
Je me propose de
recomposer ces commissions, et je les chargerai d’un travail moins long que
celui qui leur avait été primitivement demandé, et qui, je pense, les a un peu
effrayées.
Je partage entièrement
l’opinion de l’honorable M. Savart, que nous ne pouvons pas nous occuper de
faire entièrement de nouveaux codes, et que nous devons nous borner à combler
les lacunes qui existent, et à tâcher de fixer par des lois les points sur
lesquels la jurisprudence s’est diversement prononcée.
L’honorable M. Savart a
signalé notamment comme très défectueuse l’ordonnance de l669 sur les eaux et
forêts. Je me suis occupé de cet objet, et une commission sera incessamment
nommée pour la révision de cette législation, révision pour laquelle j’ai déjà
rassemblé les éléments au département de la justice, et pour laquelle encore
nous pourrons nous aider de ce qui a été fait dans un pays voisin.
Tous les codes ont été
passés en revue par l’honorable M. Savart. Il vous a parlé des vices qui se
trouvent dans chacun d’eux, notamment dans le code de procédure civile, code
qu’il a présenté comme défectueux sous tous les rapports, principalement à
cause des nullités nombreuses qu’il prononce et à cause des formalités inutiles
qu’il prescrit. Ce code est sans doute susceptible de recevoir d’importantes
améliorations. Les commissions dont j’ai parlé tout à l’heure s’occuperont
aussi d’un travail relatif à cet objet.
Passant ensuite au code
pénal, l’honorable M. Savart a critiqué le système des pénalités ; il a
prétendu qu’il n’existe pas assez de différence entre les peines, et il a dit
que l’individu condamné aux travaux forcés n’était pas condamné à une peine
plus sévère que celui qui est condamné à la réclusion.
Je reconnais que les
observations de l’honorable M. Savart sont parfaitement fondées. Je reconnais
que, d’après le système actuel des prisons, il n’y pas de différence notable
dans les peines, car la différence ne consiste que dans la différence du
salaire attribué à chaque détenu pour le travail qu’il fait. Cela me paraît un
véritable vice, qui appelle une prompte réforme. Je ne suis pas encore bien
fixé sur la réforme qu’il sera possible d’introduire. Un système pénal doit
avoir pour but l’intimidation et la moralisation. Le principe de moralisation
ne comporte pas de différence ; il est difficile de graduer celui
d’intimidation en restant dans les limites que l’humanité commande.
Je ne sais encore à quel
système il faudra s’arrêter ; j’étudie cette question, et jusqu’à présent je
n’ai trouvé de solution que dans la longueur même de la peine. Il sera
peut-être possible de trouver un autre système qui permettra d’établir la
différence dans la peine même, abstraction faite de sa durée ; je m’occupe
spécialement de cette question.
L’honorable M. Savart, en
parlant des crimes et délits, s’est principalement occupé de la répression d’un
crime très fréquent dans l’arrondissement de Tournay, d’un crime qui, je dois le
dire, déshonore réellement un pays civilisé.
Il est très vrai que les
propriétaires des terres dans l’arrondissement de Tournay ne peuvent pas
librement disposer de leurs propriétés, majorer les baux, en changer les locataires.
Mes honorables prédécesseurs, et notamment M. Ernst, se sont occupés de cette
question. Des instructions ont été envoyées par lui au parquet de Tournay, il a
indiqué la marche qui, d’après lui, devrait être suivie pour extirper ce crime.
J’ai également, depuis mon entrée aux affaires, envoyé des instructions dans le
même sens, et j’en attends un heureux résultat. Le procureur du roi de
l’arrondissement de Tournay et le juge d’instruction, magistrats pleins de zèle
et de fermeté, réuniront leurs efforts pour atteindre ce but, et parviendront,
j’ai lieu de l’espérer, à déraciner un crime qui déshonore, je le répète, une
nation civilisée..
L’honorable M.
Savart a indiqué comme un moyen de parvenir au but que, comme lui, je désire
atteindre, l’augmentation de la gendarmerie. La gendarmerie rend les plus
grands services, cela est vrai. Je verrai si, d’après le personnel de l’arme,
il y a moyen de l’augmenter dans l’arrondissement de Tournay, et je
m’entendrai, à cet égard, avec M. le ministre de la guerre.
L’honorable M. Savart a
indiqué encore un autre moyen, l’exécution des arrêts qui devrait avoir lieu
dans les communes où le crime a été commis. Cela regarde les cours qui
prononcent les arrêts, et qui ont la faculté d’ordonner que l’exécution aura lieu
dans telle ou telle localité.
En terminant, l’honorable
M. Savart a parlé de l’augmentation des traitements de l’ordre judiciaire. Je
ne dois pas dire que je m’associe de tout cœur au vœu exprimé par l’honorable
M. Savart ; je regarde comme un devoir d’engager la chambre à s’occuper de la
loi proposée, et je considérerai comme un véritable bonheur pour moi, de
pouvoir parvenir à la faire voter.
M. de Brouckere. - Messieurs, l’honorable M. Savart vient
d’entretenir la chambre de notre système d’exécution des peines prononcées par
les tribunaux et les cours d’assises, et il vous a dit que ce système était
déplorable. M. le ministre de la justice a reconnu l’exactitude de ses
observations. Permettez-moi de vous en présenter, à mon tour, quelques-unes sur
le même sujet :
J’ai plus d’une fois
signalé, messieurs, combien ce système était vicieux. Plusieurs fois aussi l’on
m’a promis de s’occuper des moyens de le modifier : jusqu’ici cependant l’on
n’en a rien fait, ou si l’on a fait quelque chose, les mesures que l’on a
prises n’ont en aucune manière atteint le but auquel il fallait tendre.
Selon moi, messieurs, et
je vais tâcher de vous le démontrer, le système général d’exécution des peines
prononcées par les tribunaux et les cours est illégal, injuste, immoral ; il
est dangereux pour la société ; il engage au crime, et, s’il y a eu
augmentation dans le nombre des crimes, si, depuis quelques années nos cours
d’assises ont retenti de faits tels qu’ils font frémir, non moins par les
circonstances horribles dont ils étaient accompagnés, que par l’insouciance, je
dirai l’impudeur des coupables ; c’est à ce déplorable système qu’il faut en
attribuer la première cause.
Une semblable matière
prêterait à de très longs développements. Pour ne point vous arrêter trop
longtemps, je ne ferai qu’indiquer brièvement les principaux vices du système,
me réservant d’en parler plus longuement lorsque le moment en sera venu.
D’après nos lois pénales,
il existe trois sortes de détentions pour peines. (Je laisse de côté ce qui
concerne le système pénal militaire qui réclame aussi une prompte réforme.) Il
existe donc trois sortes de détentions, lesquelles résultent de la condamnation
aux travaux forcés, de la condamnation à la réclusion, de la condamnation à
l’emprisonnement.
A ces trois sortes de
détentions, il faut en ajouter une quatrième, celle qui est la suite d’une
condamnation pour mendicité ou d’une condamnation portant que celui contre qui
elle est prononcée demeurera, après avoir subi sa peine, à la disposition du
gouvernement. J’aurai tantôt l’occasion de dire aussi quelques mots de cette
quatrième sorte de détention.
Les trois premières sont
prononcées par la loi pour des faits différents et selon le degré de
criminalité de ces faits ; aussi la loi a-t-elle eu soin d’établir une
différence entre ces détentions, et il en devait être ainsi, car la peine
prononcée pour un crime emportant les travaux forcés et celle qui est la suite
d’un simple délit correctionnel doivent différer non seulement par le temps de
la détention, mais aussi par sa nature. Aujourd’hui, les condamnés aux travaux
forcés sont enfermés dans la maison de force de Gand ; les condamnés à la
réclusion dans celle de Vilvorde ; les condamnés à un simple emprisonnement
correctionnel dans la maison de correction de St.-Bernard. Quant aux femmes et
aux enfants, les premières sont toutes envoyées dans la prison de Namur, les
autres sont enfermés dans un quartier de celle de St.-Bernard.
Ceux d’entre vous qui ne
se sont pas occupés spécialement de l’administration des prisons croient sans
doute, et ils doivent le croire, que conformément à la loi et comme le
réclament la justice, la raison, la moralité, la sûreté publique, le régime de
Gand est plus sévère que celui de Vilvorde, celui de Vilvorde plus sévère que
celui de St.-Bernard. Qu’ils se détrompent ; il n’existe point de différence
entre le régime de ces trois maisons, ou, s il en existe une, elle est tout à
l’avantage des grands criminels. Je sais très bien que l’on alloue à ces derniers
une moindre part dans le produit de leur travail ; mais, en résultat, cette
moindre part est souvent plus élevée que la part plus forte attribuée aux
condamnés correctionnels. J’ai comparé, messieurs, des listes de paiement, et
je me suis convaincu qu’en général les condamnés criminels touchent plus
d’argent que les condamnés correctionnels.
La cause en est facile à
comprendre : dans une prison correctionnelle, la plupart des détenus ne
résident qu’un temps assez court ; ils n’ont guère le loisir d’apprendre un
métier lucratif ou de devenir de bons ouvriers ; les condamnés criminels, au
contraire, ayant au moins une détention de cinq ans à subir, ont tout le temps
de se former et finissent par gagner d’assez bonnes journées. Du reste, la
maison de Gand est la plus belle, la mieux entretenue, de manière que, de tous
les condamnés, ce sont ceux ayant les travaux forcés à subir qui sont le mieux
logés ; la nourriture est la même, mais, si j’en crois certains rapports, les
condamnés correctionnels la reçoivent dans des gamelles en bois, la mangent
avec des cuillers en bois , accroupis sur le pavé, s’ils ne préfèrent rester
debout ; les condamnés aux travaux forcés ont des gamelles et des cuillers en
métal et mangent commodément assis à des tables.
Ainsi donc, messieurs,
une condamnation aux travaux forcés, prononcée pour un crime, dont les
circonstances auront révolté la société tout entière, cette condamnation sera
la même que celle prononcée pour un simple délit correctionnel ; il n’y aura de
différence que quant au terme de la détention, et cinq ans de travaux forcés ne
seront pas plus durs à supporter que cinq années d’emprisonnement
correctionnel.
On comprend tout d’abord
quelles doivent être les conséquences de ce monstrueux système. Quelques faits
cependant les feront mieux saisir. De ceux qui sont à ma connaissance
personnelle, je ne citerai que les plus concluants. J’en puise d’ailleurs les
circonstances à des sources certaines.
En 1841 plusieurs
condamnés, détenus à Saint-Bernard, mais qui l’avaient été précédemment à
Vilvorde et à Gand, trouvant la vie plus agréable dans ces deux dernières
prisons, demandèrent à retourner dans l’une d’elles. Comme de raison, on n’eut
aucun égard à leurs réclamation ; ils les renouvelèrent en les accompagnant de
menaces ; leur mécontentement à Saint-Bernard était tel, disaient-ils, que dans
un moment d’exaspération, ils ne pourraient s’empêcher de faire un malheur. Ce
que ces gens appellent un malheur, c’est un coup de couteau donné à la première
victime qui se présente à leurs coups, et ce malheur qu’ils annonçaient comme
inévitable, devait avoir pour but de faire changer leur condamnation
correctionnelle en une condamnation criminelle, car aujourd’hui une
condamnation aux travaux forcés est, dans certains cas, une faveur,
comparativement à une condamnation à l’emprisonnement.
M. le ministre, on le
conçoit facilement, n’eut pas plus d’égard à ces nouvelles démarches qu’aux
premières qui avaient été faites ; l’on se contenta de punir disciplinairement
leurs auteurs. Mais à l’expiration de leur peine disciplinaire, ils frappèrent
cinq on six détenus de coups de couteau. Malheureusement pour eux, ils ne
frappèrent pas assez fort et le résultat de leur combinaison ne fut qu’une
nouvelle condamnation à 10 ans d’emprisonnement, de manière que leur but était
manqué. Aussi n’hésitèrent-ils point à présenter une nouvelle requête, qui fut
rejetée comme les précédentes ; l’un d’eux, alors, le nommé Vanderdonck,
instruit par cette expérience et déterminé à atteindre la fin qu’il s’était
proposée, à peine rentré à Saint-Bernard, enfonça son couteau jusqu’à la garde
dans le dos de l’adjoint commandant, qui faillit en mourir, et cela, pendant
que ce fonctionnaire recevait le transport et lisait à haute voix le règlement
à ceux qui le composaient. Son premier coup de couteau ne lui ayant pas réussi,
il en avait donc porté un second, mais cette fois il avait frappé plus fort et
avait choisi pour victime, au lieu d’un détenu, un employé supérieur qui ne lui
avait rien fait, contre lequel il n’avait aucune vengeance à exercer.
Eh bien, messieurs, au
moyen d’un double crime, Vanderdonck a atteint son but ; il voulait être
transféré à Gand ; ayant à subir la peine des travaux forcés à perpétuité ; il
a obtenu la récompense qu’il attendait de sa combinaison ; selon ses désirs, il
est détenu à Gand, et son sort n’est pas empiré quant au terme de la détention,
car il avait plus d’années d’emprisonnement à subir qu’il n’en a probablement à
vivre.
Un autre fait.
En 1842, trois détenus,
les nommés De Cleyn, De Coninck et Lepaige, détenus à Saint-Bernard, avaient
sollicité leur transfert à la maison de force de Gand, dont le régime, selon
eux, était bien préférable à celui de la maison de correction de St.-Bernard.
Sur le refus qu’ils éprouvèrent, ces détenus commirent presque simultanément
trois tentatives d’assassinat sur leurs codétenus, Condamnés pour ces crimes, à
dix ans d’emprisonnement et étant allés en appel à Bruxelles, ils adressèrent à
M. le ministre de la justice, de la prison de cette ville, une requête dans
laquelle ils se plaignaient de la sévérité avec laquelle on les traitait à
St.-Bernard et demandaient à subir leur peine à la maison de force de Gand. Si
on les contraignait à retournera St. Bernard, ils craignaient, disaient-ils
aussi, que leur exaspération ne leur fît commettre un nouveau crime.
M. le ministre consulta,
sur cette demande, la commission administrative, qui répondit que, loin de
pouvoir être accueillie, une demande présentée sous une semblable forme
méritait un châtiment exemplaire, et que, dans ce but autant que par mesure de
prudence, les détenus De Kleyn, De Coninck et Lepaige seraient, à leur arrivée
à St-Bernard, séquestrés dans une cellule isolée, jusqu’à ce qu’on fût fondé à
croire qu’ils étaient venus résipiscence.
Cet avis ayant obtenu
l’approbation de M. le ministre, on signifia aux détenus en question qu’ils
seraient reconduits à St.-Bernard. Dès ce moment, ils concertèrent un nouvel
assassinat. Le ministère public fut probablement instruit de leur dessein, car
il donna l’ordre de les surveiller particulièrement, et de les séparer dans les
prisons où ils feraient étape. Nonobstant ces précautions, De Kleyn, sans doute
averti, exécuta le coup tout seul : au moment où un gardien de la prison de
Malines le renfermait dans une cellule particulière, il se précipita sur lui et
lui porta trois coups de couteau. Une visite minutieuse faite postérieurement
sur Lepaige et De Coninck fit découvrir qu’ils étaient également parvenus à
soustraire un couteau à la surveillance de la gendarmerie.
De Kleyn déclara devant
la cour d assises qu’il regrettait d’avoir dû se porter à cette extrémité ;
qu’il ne connaissait aucunement le gardien qu’il avait frappé, et ne pouvait
par conséquent avoir contre lui de motif de vengeance, mais qu’il ne voulait à
aucun prix retourner à St-Bernard.
Condamné pour ce fait, il
se félicite sans doute en ce moment dans la maison de force de Gand, où il est
détenu, du succès de sa criminelle action.
Peu après on fut forcé de
placer dans des cachots isolés six ou huit individus détenus à St.-Bernard qui
avaient proféré des menaces de mort, si on ne les transférait pas dans la
maison de Gand. De ce nombre étaient De Coninck et Lepaige, et un nomme
Stanleyn, qui environ un an avant avait adressé à M. le ministre une pétition
dans le style de celle rapportée plus haut.
Enfin, il y a peu de mois
qu’est rentré à St.-Bernard un détenu qui, sous prétexte de remords de
conscience, s’était accuse d’avoir assassiné un homme, et qui, lorsque
l’instruction eut prouvé qu’il ne pouvait être l’auteur de ce crime (tout
faisait même présumer qu’il y avait eu suicide), reconnut qu’il avait induit la
justice en erreur, et qu’il l’avait fait parce qu’il espérait par ce moyen être
condamne aux travaux forcés et quitter St.-Bernard, dont le séjour lui était
devenu insupportable.
Cet homme a renouvelé
cette déclaration devant les fonctionnaires administratifs ; il a tout au plus
22 ans. Il avait commencé sa carrière par être détenu dans un dépôt de
mendicité ; là il déclara avoir volé pour échanger le régime de cet
établissement contre celui de la prison, et plus tard, il s’accusait d’un
assassinat, parce que, selon lui, on est beaucoup mieux encore dans une maison
de force que dans une maison de correction.
Je pourrais multiplier
ces exemples qui, vous le voyez, s’étendent jusqu’aux dépôts de mendicité, que
j’ai indiqués tout à l’heure : je pourrais vous démontrer qu’il est arrivé
plusieurs fois encore que des individus détenus dans ces dépôts commettaient
des délits, ou bien s’accusaient de délits qu’ils n’avaient point commis, dans
le but d’être transférés à St.-Bernard.
Je vous ai dit, en
commençant, que le système actuel était illégal, et en effet, messieurs, il est
le résultat d’arrêtés, de simples instructions ministérielles, qui ont abrogé
la loi. Je sais bien que les boulets et les chaînes ne sont plus de notre
temps, pas plus que n’en sont la marque et l’exposition publique, qu’une loi
devrait supprimer ; mais toujours est-il qu’il résulte des articles 15, 21 et
du code pénal que la loi a voulu qu’il y ait une différence marquée dans les
régimes imposés des coupables, selon qu’ils sont condamnés aux travaux forcés,
à la réclusion, ou au simple emprisonnement.
J’ai dit qu’il était injuste,
parce qu’en effet la raison et l’équité sont d’accord avec la loi, pour vouloir
que la peine soit proportionnée à la gravité du fait pour lequel elle a été
prononcée.
Jai dit qu’il était
immoral, dangereux pour la société, qu’il engageait au crime, qu’il était la
cause première des attentats extraordinaires commis depuis quelques années ;
et, en effet, du moment où il est établi, reconnu que le régime de la maison de
force de Gand n’est pas plus effrayant que celui de la maison de force de
Vilvorde, celui de cette maison pas plus que celui de la maison de détention de
Saint-Bernard, et celui de cette dernière maison pas plus que celui d’un dépôt
de mendicité, voici les raisonnements auxquels doivent nécessairement se
livrer, après quelque expérience, ces hommes abrutis par la débauche, endurcis
dans le crime, parvenus à étouffer toute conscience, ces hommes qui ont l’ordre
et la prévoyance en horreur, et qui veulent vivre à l’aventure et au jour le
jour, ou acheter une existence assurée au prix de leur liberté.
S’ils mendient, ils sont
condamnés à quelques jours de prison et sont ensuite détenus pendant une couple
d’années dans un dépôt de mendicité ; autant vaut-il voler que mendier ou faire
les deux choses en même temps ; car il est rare qu’un simple vol soit puni de
plus de deux années d’emprisonnement, et deux années passées à St-Bernard ne
sont pas plus dures que deux années passées au dépôt ; fléau de nos
cultivateurs, ils parcourent donc nos campagnes par bandes, faisant profession
de mendier, menaçant ceux qui osent leur refuser, volant si on ne leur donne
pas assez, et dès qu’ils en trouvent l’occasion.
Mais, si le simple vol
correctionnel ne leur suffit point, s’il n’est pas pour eux d’un assez bon
produit, pourquoi reculeraient-ils devant un vol avec effraction, avec
escalade, devant un vol commis sur chemin public, avec violence, sur les
personnes ; pourquoi s’effraieraient-ils même à l’idée d’un meurtre, si c’est
pour eux un moyen plus sûr de perpétuer le vol, d’en rendre la preuve difficile ?
Ce qui peut leur arriver de pire, c’est d’être envoyés pour un temps plus ou
moins long, à perpétuité même, dans la maison de force de Gand. Mais on n’est
pas plus mal à Gand qu’à Vilvorde, à St.-Bernard, ou bien à un dépôt de
mendicité. Et quant au terme de la détention, les mots à perpétuité même n’ont
rien d’effrayant. Une fois entré dans la prison, où d’ailleurs on n’est pas
mal, où l’on est bien nourri, bien logé, où l’on gagne assez pour avoir
journellement quelque argent de poche et se former un pécule pour le moment où
l’on sortira, où l’on est continuellement en société avec ses pareils, une fois
entré dans la prison, dis-je, on se montre obéissant, souple, on cherche à
rendre quelques services dans l’intérieur de la maison et l’on obtient successivement
des réductions de peine qui amènent, au bout de quelque temps, la mise en
liberté. On commence alors par dépenser en débauches le pécule amassé pendant
le temps de la détention, sauf à reprendre, quand on n’a plus rien, la vie que
l’on menait auparavant.
Voilà, messieurs, le
point de dégradation auquel est arrivée une partie de la société ; aussi les
récidives se sont-elles accrues dans une progression effrayante, et si l’on ne
se hâte de substituer au système dont je viens de signaler les abus, un système
plus juste et plus moral, je ne crains pas de dire que cette démoralisation ira
toujours croissant et qu’elle finira par être menaçante pour la société.
En effet, messieurs, aux
considérations que j’ai fait valoir, ajoutez encore cette dernière, qui n’est
pas moins frappante, qui m’a préoccupé depuis longtemps, et que j’ai trouvée
énergiquement exposée dans un travail officiel, c’est que, s’il est vrai que
nos prisons ne laissent rien à désirer sous le rapport de l’ordre matériel,
s’il est vrai que les prisonniers sont convenablement logés, nourris, habillés,
qu’ils sont bien soignés en cas de maladie, qu’on les encourage au travail, et
qu’au besoin on leur enseigne un métier, il est vrai aussi, d’un autre côté,
que sous le rapport moral, bien autrement important, tout y est désordre,
misère et corruption. Le crime y est presque en honneur ; il y est enseigné par
les plus experts à ceux qui sont moins avancés dans cette horrible carrière.
C’est un titre à la considération parmi les détenus que d’être plus astucieux,
plus pervers, plus corrompu que les autres. Sans cesse en réunion, on ne
s’occupe que de moyens d’évasion et de crimes à commettre lorsqu’on sera libre,
et pour démoraliser un homme, il serait difficile d’employer un meilleur moyen
que de l’envoyer pendant quelque temps dans une de nos prisons. C’est là que se
combinent et se préparent la plupart des grands crimes ; et si parfois, ramènes
par les exhortations de l’aumônier, par les bons conseils de quelques employés,
par les remords d’une conscience qui n’est pas entièrement étouffée, certains
détenus sortent repentants de leurs crimes, et faisant de bonnes résolutions
pour l’avenir, il n’arrive que trop souvent, l’expérience est là pour le
prouver, que rencontrant sur leur chemin un de leurs anciens camarades, ils
sont débauchés par lui et entraînés par toutes sortes de moyens, voire même par
la menace, à l’aider dans l’exécution de ses nouveaux projets à lui donner ce
que, dans le langage de ces gens, on appelle un coup de main.
Mais, dira-t-on, tout d
abord, vous nous avez signalé le mal, faites-nous connaître le remède. Au
système dont vous venez de dévoiler les abus, quel système voulez-vous donc
substituer ?
Ce système, messieurs,
résulte des considérations mêmes dans lesquelles je suis entré. J’indiquerai,
du reste, en très peu de mots, ce qu’il y a à faire, selon moi, pour remédier
aux vices que j’ai signalés, pour arrêter les progrès d’un mal qui devient
alarmant.
D’abord, la base du
système de détention devrait être l’isolement et le silence ; non point si l’on
veut l’isolement absolu, mais l’isolement avec certains ménagements, certaines
restrictions graduées d’après la nature de la peine.
Il faut, en second lieu,
non seulement adopter un principe, mais faire effectuer la séparation des
détenus d’une même prison en différentes catégories, séparation absolue,
séparation telle que les détenus d’une catégorie différente, n’auraient jamais
la moindre relation ensemble, qu’ils ignoreraient même la présence l’un de
l’autre dans la même prison
En troisième lieu, on
doit introduire une différence sensible, non seulement quant au degré
d’isolement, mais quant au régime de couchage et de nourriture, quant au
travail auquel ils seraient astreints, entre les condamnés d’espèces
différentes ; une différence sensible aussi entre les salaires qui leur sont
alloués, et arrêter même qu’aucun argent de poche, aucune douceur, ne seraient
accordés aux condamnés aux travaux forcés à perpétuité, si ce n’est comme
récompense, en cas de bonne conduite.
Enfin, une chose non
moins indispensable, c’est le nombre de ces grâces, de ces commutations de
peines périodiques, sur lesquelles les détenus comptent trop, et qu’on prenne
la résolution de ne solliciter du roi de semblables faveurs pour les récidifs
que dans des cas extraordinaires et tout à fait exceptionnels. Les détenus
comptent tellement sur une réduction de peine au bout du temps, qu’ils se
plaignent, quand ils ne l’obtiennent pas, comme on se plaint d’une injustice,
d’un passe-droit.
Voilà, messieurs,
les principes qui devraient, selon moi, servir de base au système d’exécution
des peines. Je n’ai fait que les indiquer, et je ne veux ni les développer, ni
entrer dans les questions de détail, d’abord parce que cela m’entraînerait trop
loin, en second lieu parce que j’aime peu à traiter ici des questions
d’administration, que je préfère abandonner à la sagacité du gouvernement.
Si j’avais voulu
m’occuper de l’administration, j’aurais eu à révéler bien des fautes, bien des
abus, j’ai la confiance que M. le ministre de la justice y mettra un terme, en
reformant l’organisation actuelle. Je le conjure de s’occuper sans délai de cet
important objet ; qu’il appelle pour l’éclairer, s’il le veut, une commission
composée d’hommes dont la longe expérience puisse lui être utile ; qu’il
arrête, en attendant, quelques mesures, dont la première devrait être, selon
moi, la suppression de la cantine pour les condamnés aux travaux forcés à
perpétuité, mais qu’il comprenne bien que s’il parvient à réformer
convenablement notre système pénitentiaire, à diminuer ainsi le nombre des
crimes, à moraliser plus ou moins cette classe d’hommes, heureusement peu
nombreuse encore, qui est aujourd’hui le rebut et la terreur de la société, il
aura rendu à son pays le plus grand service que celui-ci puisse attendre de
lui.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, l’honorable M. de Brouckere a commencé par dire que le
système suivi jusqu’à présent pour les prisons est un système illégal. Je ne
puis admettre cette assertion. Il suffit d’examiner les articles du code pénal
qui parlent des prisons pour se convaincre que tout ce qui concerne le régime
des prisons est abandonné aux soins du gouvernement.
En effet, messieurs, le
code pénal se borne à dire que les condamnés à la réclusion seront enfermés
dans une maison de force, ceux à l’emprisonnement dans une maison de
correction. Le régime de ces maisons n’est pas réglé par la loi, c’est donc au
gouvernement qu’est remis ce soin, de même qu’il est chargé de régler et de
déterminer les salaires. Les règlements que le gouvernement a faits à cet égard
ne peuvent donc pas être qualifiés d’illégaux.
Il y a plus, messieurs,
quand les bagnes ont été supprimés, ils l’ont été par un arrête du roi
Guillaume, antérieur, je pense, à la promulgation de la loi fondamentale, et
cet arrêté les a remplacés par ce qui existe maintenant. L’arrêté dont il
s’agit ayant été pris par le roi Guillaume, à une époque où il était investi du
pouvoir législatif, il n’y a encore là rien que l’on puisse taxer d’illégalité.
C’est donc à tort que
l’honorable M. de Brouckere a considéré le régime actuel des prisons comme
illégal.
L’honorable membre a
parlé de l’augmentation des crimes et délits et des récidives. Je suis heureux
de pouvoir dire que cette augmentation n’existe pas, au moins depuis quelques
années. J’ai ici un tableau des crimes et délits commis depuis 1840, et voici
les résultats que j’y trouve :
En 1840,il y a eu 328
accusations ;
En 1841, il y en a eu 325
;
Et en 1842, dernière
année dont on puisse avoir le relevé, en ce moment, il y en a eu 333.
Vous voyez donc,
messieurs, que les crimes et délits n’ont pas augmenté, et je suis heureux
d’avoir à faire une semblable déclaration.
Voici maintenant,
messieurs, le tableau des récidives, depuis 1836 :
En 1836, sur 543 accusés
149 en état de récidive ;
En 1837, sur 504 accusés,
il y en avait 155 en état de récidive ;
En 1838, il y en a eu sur
449 accusés 137 en état de récidive ;
Et enfin, en 1842 (pour
passer quelques années), nous comptons 415 accusés, dont seulement 119 en état
de récidive.
Je ne vois donc pas qu’on
puisse dire que le nombre de récidives soit augmenté, au moins depuis un
certain nombre d’années.
En répondant tout à l’heure
à l’honorable M. Savart j’ai reconnu les vices du système actuel des prisons,
en ce sens qu’il n’y a pas de différence, quant à la peine ou plutôt quant à la
manière de la subir ; j’ai reconnu qu’à Vilvorde, à Gand et St-Bernard, le
régime était le même, qu’il n’y avait pas de gradation ; j’ai reconnu que
c’était un abus qui appelait une réforme immédiate.
J’aurais désiré que
l’honorable M. de Brouckere, qui a également signalé ces abus, eût bien voulu
nous indiquer les remèdes pour les détruire, mais toutes les améliorations
qu’il nous a signalées existent déjà maintenant ou du moins sont en voie
d’exécution, et je vais avoir l’honneur de le prouver à l’instant
L’honorable M. de
Brouckere vous a présenté une prison comme un lieu où le crime serait en
honneur, où chaque individu se vanterait du crime qu’il a commis et engagerait
son voisin à en commettre de semblables. Il vous a dit qu’il était temps de
chercher à moraliser cette classe de malheureux et d’empêcher que les prisons
ne soient de véritables foyers d’immoralité.
L’honorable M. de
Brouckere. n’ignore pas sans doute que tous nos efforts tendent à ce but, que
pour l’atteindre nous cherchons, autant que possible, à introduire dans les
prisons les bienfaits de l’élément religieux, que des aumôniers sont attachés à
toutes les prisons, que les religieux sont également admis, que des
instructions morales et religieuses sont très régulièrement données aux
détenus, et que ceux-ci sont, jusqu’à l’âge de 40 ans, obligés de fréquenter
l’école. Ainsi, religion, morale, instruction, rien n’est négligé, on fournit
même aux détenus des livres de morale, et l’on autorise dans les prisons la
lecture à haute voix. Je pense, messieurs, qu’il est impossible d’employer des
moyens plus efficaces que ceux auxquels on a eu recours jusqu’ici pour parvenir
à moraliser les détenus. Je pense que tout ce que l’honorable M. de Brouckere a
indiqué comme devant être fait, se fait maintenant, ou est sur le point de se
faire.
L’honorable M. de
Brouckere a parlé du système d’isolement comme étant également un moyen de
moralisation. Je partage entièrement son avis à cet égard. Je dois faire
connaître à la chambre, ce que cet honorable membre n’ignore pas sans doute,
que ce système est adopté par le gouvernement. Les travaux, pour le mettre à
exécution, sont poussés à Vilvorde avec la plus grande activité et sont presque
terminés à Gand. Le système adopté est un système mixte, il existe deux
systèmes d’isolement : le système d’isolement complet, où le condamné reste
dans sa cellule seul, jour et nuit, y travaille et n’en sort qu’un moment pour
se promener seul dans un préau, et le système mixte d’isolement qui consiste
dans l’isolement du détenu pendant la nuit, et le travail en commun et en
silence dans des ateliers. C’est ce dernier système que nous avons
provisoirement adopté. Nous avons pensé que le système d’isolement complet
n’avait pas encore pour lui l’expérience et que nous ne devions pas entraîner
le pays dans des frais considérables, en vous proposant des mesures législatives
pour établir un système appuyé par les uns, combattu par les autres, et dont
les avantages sont encore incertains.
Le silence est établi
dans les ateliers où l’on travaille en commun ; le silence doit également
régner dans les cours, où les détenus devront se promener en rang, un jour à
côté de l’un, le lendemain à côté d’un autre, de manière à empêcher que des
liens d’amitié ou d’autres rapports ne s’établissent entre les détenus. Nous
pensons par ces moyens atteindre un des buts qu’on doit se proposer, celui de
moraliser les détenus, d’empêcher qu’il ne s’établisse entre eux de liens
criminels et que l’un ne pervertisse l’autre.
L’honorable M. de
Brouckere a signalé encore comme un des moyens qu’on peut employer, celui
consistant à priver le détenu d’argent de poche, à ôter dans certains cas le
salaire et à ne l’accorder uniquement que comme une récompense. Je lui dirai
que, par un arrêté contresigné par M. Ernst les salaires ont été supprimés, et
il a été établi qu’on ne donnerait aux détenus que des gratifications quand ils
les auraient méritées par leur conduite et par un travail assidu. Par cet
arrêté, il est réservé au ministre de majorer ces gratifications quand les
détenus se rendraient dignes de cette faveur, de manière que si dans les
prisons des individus m’étaient signalés comme ne remplissant pas les devoirs
qui leur sont imposés, j’aurais le droit de les priver de toute rémunération.
Enfin l’honorable M. de
Brouckere vous a parlé des commutations de peines périodiques, il a dit que les
condamnés comptaient sur ces commutations et considéraient comme une espèce
d’injustice le refus d’une grâce, alors qu’ils l’attendaient. L’honorable
membre sait que les commutations sont proposées par les commissions des prisons
: Un arrêté du régent fixe les époques auxquelles ces commutations seront
proposées. Il ne dépend pas du ministre d’empêcher ces propositions de
commutations. Au reste, depuis que je suis au ministère, je ne pense pas qu’on
puisse m’accuser de n’avoir pas été assez sévère à l’égard des commutations.
Les demandes ont été presque toutes rejetées parce qu’elles ne me semblaient
pas motivées sur des faits de nature à mériter la moindre faveur.
Je trouve que cet arrêté
du régent présente de grands inconvénients, en ce que les détenus comptent sur
des commutations à époques fixes. Je proposerai le retrait de cet arrêté pour
ôter aux condamnés l’idée qu’ils peuvent espérer, à certaines époques, des
commutations de peine. A cet égard, je suis d’accord avec l’honorable membre,
ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai l’intention de proposer le retrait de cet
arrêté qui ne s’applique, au reste, déjà plus dans plusieurs prisons.
Je pense que notamment
dans la prison de Gand, on ne fait des propositions que quand la commission
pense qu’il y a réellement des sujets qui méritent une commutation, mais
qu’elle ne se croit plus astreinte, en vertu de l’arrêté de 1831, à faire des
propositions à époques fixes.
M. de Brouckere. - A St-Bernard et à Mons, cela se fait encore.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - C’est possible, mais je suis certain que cela ne se fait plus à Gand.
L’honorable M. de
Brouckere a, en outre, engagé le gouvernement à supprimer les cantines pour les
condamnés aux travaux forcés à perpétuité.
Déjà de grandes
modifications ont été faites au régime des cantines, déjà l’on y a défendu la
vente de plusieurs objets qui s’y débitaient jadis, de manière que les cantines
dans les prisons sont loin de pouvoir répondre aux désirs des détenus. D’autres
suppressions d’objets jadis tolérés dans les prisons ont eu lieu et ont amené
des conflits. A Alost et à Gand, la suppression du tabac a produit une émeute
qu’il a fallu réprimer par la force ; cette résistance ne nous arrêtera pas, nous
irons peut-être plus loin encore, mais il faut prévoir les conflits qui
pourront résulter des mesures à prendre et être en position de les comprimer.
On devra peut-être attendre, pour supprimer les cantines que toutes les
cellules soient faites, et qu’on soit ainsi entièrement maître des nombreux
détenus qui se trouvent dans les prisons.
J’ai dit qu’il y
avait égalité dans la manière de subir les peines à Saint-Bernard, à Vilvorde
et à Gand. D’après ce qu’à dit l’honorable M. de Brouckere, il semblerait que
le régime de Saint-Bernard est plus sévère que celui des autres prisons.
Cependant le régime
alimentaire est absolument le même partout, il n y a de différence que quant au
salaire qui est plus élevé à Saint-Bernard que dans les autres prisons. Il est
possible qu’à cause des localités, les détenus se trouvent mieux à Gand. Nous
tâcherons d améliorer la maison de St-Bernard. Mais, je le répète, la
différence entre cette maison et celle de Gand ne peut consister que dans les
locaux et non dans le régime. La maison de Gand a été construite pour la
destination à laquelle elle sert, elle est parfaitement bien tenue. Celle de
St-Bernard l’est également, mais les locaux n’y sont pas aussi bien disposés.
Cette différence, signalée par l’honorable M. de Brouckere, est un mal, je
m’efforcerai de le faire disparaître, et je compte, pour atteindre ce but, sur
le concours et l’expérience de l’honorable membre.
M.
Rodenbach. - Dans une
précédente séance, l’honorable M. de Muelenaere a signalé une imperfection de
la loi sur le domicile de secours ; et M. le ministre, sur l’interpellation du
député de Courtray, a promis de présenter un nouveau projet de loi. Je me
permets de remémorer cette promesse à M. le ministre, parce que cette loi est très
urgente. Je crois devoir lui signaler en même temps une autre imperfection. Je
veux parler des dépôts de mendicité. Vous savez que, d’après l’art 1er de la
loi du 13 août 1833, toutes les personnes qui se présentent aux dépôts de
mendicité, on est tenu de les recevoir aux frais de la commune. S’il ne
s’agissait que de vieillards d’infirmes, d’aveugles, on concevrait que cet
asile dût leur être ouvert, mais les faux mendiants, les vagabonds, des hommes
de 25 à 30 ans, ont le droit de se faire admettre dans ces dépôts de mendicité,
cela me paraît une iniquité, c’est enlever leur bien aux malheureux. Ces frais
sont tellement exorbitants dans nos communes, que nos administrations ne
peuvent plus y suffire. La ville de Bruxelles paie au dépôt de mendicité de
M.
Van Cutsem. - Messieurs, ce n’est
pas pour combattre le chiffre global d’environ onze millions demandé au budget
de 1843 à 1844, par M. le ministre, pour l’administration de la justice, ce
n’est pas pour blâmer la direction qu’il a donnée aux affaires depuis qu’il est
à la tête de son département que je prends la parole, c’est pour rappeler à M.
le ministre que telles et telles parties de notre législation civile,
commerciale et pénale ont besoin de modifications. C’est pour vous soumettre
quelques réflexions sur des sommes demandées pour satisfaire à certains besoins
du service, c’est pour vous faire part d’une idée qui devrait, d’après moi, si
elle est susceptible d’exécution, augmenter la considération dont la
magistrature jouit, et donner des garanties nouvelles aux justiciables, que je
réclame quelques instants votre bienveillante attention.
Je demanderai à M. le
ministre, à quelle époque il croira pouvoir saisir la chambre d’un projet de
loi tendant à modifier notre système légal actuel en matière d’expropriation
forcée, de particulier contre particulier, à quelle époque il nous soumettra
ses vues sur un nouveau régime hypothécaire, quand il nous proposera la
révision de nos lois commerciales en matière de faillite, lois qui donnent
chaque jour lieu à de nouveaux abus et par suite à de nouvelles plaintes, quand
il mettra nos lois pénales en harmonie avec l’Etat actuel de notre société, car
enfin ce code pénal qui n’est plus de nos jours, qui était fait pour un
gouvernement despotique et non pour un gouvernement constitutionnel, est trop
prodigue de la peine de mort, et par cela même qu’on lit à chaque page, que
tels et tels faits sont punis de mort, on acquiert la conviction que cette
sévérité draconienne est souvent la cause de l’impunité de certains crimes, que
la société a le plus grand intérêt à voir punir ; et pour ne parler que d’un
seul de ces crimes qui presque toujours échappe à la vindicte publique, je ne
vous dirai un mot que de l’infanticide, que la société a cependant le plus
grand intérêt à voir punir ; je demanderai encore à M. le ministre, s’il ne
croit pas, comme moi, que notre tarif judiciaire en matière civile est à revoir
pour le mettre en harmonie avec la valeur actuelle de l’argent et les besoins
des officiers ministériels dont il fixe le salaire ; je prierai aussi M. le
ministre de me dire s’il ne pense pas encore que le tarif des frais de justice
criminelle doive être changé pour les mêmes raisons, et encore parce que les personnes
qui devaient, avant la construction des chemins de fer, à passer trois jours
hors de chez elles pour satisfaire à un mandat de justice, peuvent faire
aujourd’hui tous les trajets d’aller et de retour en Belgique en un seul jour,
ne doivent plus se voir allouer les indemnités qui leur étaient accordées
lorsque les moyens de transport n’étaient pas aussi accélérés ; enfin, M. le
ministre ne songe-t-il pas à doter le pays d’une nouvelle loi sur l’exercice de
la profession de notaire, d’une loi telle que des hommes qui sont obligés
d’avoir les mêmes connaissances, aient les mêmes moyens d’existence, d’une loi
telle que les notaires des chefs-lieux des cours d’appel ne puissent plus venir
instrumenter dans les plus petites communes du pays, pour y enlever aux
notaires de campagne leurs moyens d’existence.
Les réformes que je
demande ont déjà eu lieu en France, en matière de faillite et de banqueroute
par la loi du 28 mai 1838, en matière de saisie immobilière par celle du 2 juin
1841, d’autres au code pénal par une révision de ce corps judiciaire ; il n’y a
qu’en Belgique où, depuis 1830, nous n’avons pas vu soumettre à la chambre, par
les ministres qui se sont succédé au département de la justice, des projets de
loi qu’on a le droit d’attendre de ce département ; j’ose espérer que le
ministre actuel fera mieux que ses prédécesseurs et qu’il dotera le pays de
quelques-unes de ces lois dont nous avons un si grand besoin.
Un chiffre dans le budget
de la justice m’a frappé cette année comme les années précédentes, c’est celui
qui est pétitionné pour les frais d’exécution et d’instruction criminelle ; ce
chiffre est de 679,000 fr. pour une population de quatre millions d’âmes,
lorsqu’en France on ne demande qu’environ 500,000 fr. pour une destination
semblable et pour une population égale à celle de
Est-ce que le peuple
belge serait moins moral que le peuple français, est-ce que le peuple belge ne
mériterait plus aujourd’hui, depuis notre régénération politique, son ancienne
réputation de moralité, puisque c’est depuis douze ans seulement que les frais
de justice ont si considérablement accru ; ou y a-t il d’autres causes qui portent
nos populations au crime ?
Pour moi, je pense, à en
juger d’après ce qui se passe dans l’arrondissement qui m’a envoyé dans cette
enceinte et où le nombre de crimes et délits a doublé depuis une douzaine
d’années, que c’est la misère qui est cause de cette grande augmentation dans
les frais de justice criminelle. Arrivé à un certain degré de dénouement,
l’homme cesse tout à coup de lutter contre le malheur, sa volonté éteinte ou
fatiguée n’est plus capable d’un seul effort et il se laisse entraîner sans
résistance jusqu’au dernier abîme du paupérisme ; c’est cette misère qui est la
suite de la déplorable position de notre industrie linière dans les Flandres et
non pas du juste châtiment d’une vie d’imprévoyance et de désordre qui pousse
l’homme au crime en détruisant en lui tons ses instincts généreux.
Ce qui prouve mieux que
tout ce que je pourrais dire pour vous le démontrer, que la misère en Belgique
doit être attribuée à l’absence de travail, et non aux vices des malheureux, ce
sont les efforts que le gouvernement, le clergé et tous les hommes de bien font
pour donner aux classes laborieuses du travail qui commence à manquer dans
toutes les parties du pays.
Si la misère n’est pas
coupable en Belgique, si c’est cette misère qui porte l’homme au crime, ne
sommes-nous pas forcés de dire que le criminel est plus à plaindre qu’à blâmer
; ne devons-nous pas consacrer alors tous nos moments à soustraire le
prolétaire à la fâcheuse nécessité qui l’attend, en lui donnant de l’ouvrage,
seule ressource qui puisse le faire rester dans le chemin de la vertu, parce
que l’aumône dégrade l’homme du peuple, tandis que le travail l’élève à ses
propres yeux ; oui, messieurs, l’homme qui a le sentiment de sa propre dignité
n’est jamais vicieux, n’est jamais criminel, il n’y a de pervers dans
l’humanité que celui qui oublie ce qu’il se doit à lui-même.
Après vous avoir dit
quelques paroles des malheureux qui occupent la justice, qu’il me soit permis
de vous dire un mot de la magistrature, non pas pour vous parler de cette
position que le souverain désire lui voir donner par vous, quoique je pourrais
bien vous dire, en vous parlant de ceux qui occupent les derniers échelons de
la hiérarchie judiciaire. tels que les juges de paix et leurs greffiers, que
leur position est insupportable, qu’il est injuste de donner aux garçons de
bureaux dans l’administration du chemin de fer un traitement aussi fort que
celui alloué aux juges de paix, et trois fois aussi élevé que celui que
reçoivent leurs greffiers ; mais à quoi bon vous entretenir de ces faits, vous
les connaissez comme moi, et vous savez comme moi que les enfants de certains
juges de paix, qui n’ont pas de fortune personnelle, deviennent domestiques
pour vivre, que les enfants de certains greffiers, qui n’ont que les ressources
de leur place, reçoivent des aliments de leurs voisins pour ne pas mourir de
faim, vous savez tout cela comme moi, pourquoi donc vous parlerais-je de ces
fonctionnaires pour vous apitoyer sur leur sort et vous porter à l’améliorer.
Je ne vous entretiendrai donc pas de la magistrature dans ce but, je ne vous en
dirai quelques mots qu’avec la pensée d’augmenter la considération dont elle
doit jouir pour atteindre le but de son institution.
L’intérêt de la société a
toujours demandé, et il demande à présent plus que jamais, que la magistrature
soit forte et honorée ; mais le respect qui doit l’entourer ne serait ni
sérieux ni durable s’il ne tirait son origine que des attributions que la loi
lui confère, et s’il ne résidait surtout dans la conviction de chacun, que le
magistrat est un homme de savoir ; or, on n’aura de véritables garanties de
science qu’en exigeant de lui des études et des examens plus sévères que ceux
qui sont nécessaires pour la profession d’avocat, qu’en ouvrant dans les
universités de l’Etat des chaires principalement destinées aux jeunes gens qui
veulent entrer dans la magistrature.
Quand ces jeunes gens
auront fait les études que je viens d’indiquer, on devrait leur faire subir un
surnumérariat judiciaire et les admettre, seulement après cette épreuve, à
faire partie d’un corps qui dispose de l’honneur et de la vie de tous.
Dans le siècle qui a
précédé celui où nous vivons, cette épreuve pouvait ne pas être nécessaire,
parce qu’alors la magistrature avait les traditions de famille, l’éducation de
famille qu’elle n’a plus aujourd’hui et qui pouvaient remplacer l’institution
du surnumérariat judiciaire. Napoléon, ce grand génie de l’organisation
gouvernementale, n’a-t-il pas été convaincu qu’il fallait remplacer, dans
l’éducation du magistrat, les traditions de famille par quelque chose qui pût
atteindre le même but ? N’a-t-il pas créé des auditeurs près les tribunaux de
première instance, près les cours d’appel, pour que ces jeunes gens, élevés,
pour ainsi dire, au sein de la magistrature, vivant au milieu d’elle, entourés
de l’exemple de ses vertus, remplaçassent dignement leurs devanciers ; en
agissant ainsi, il a substitué, pour eux, à l’éducation de famille, l’éducation
de la compagnie dont ils devaient faire un jour partie. Ce que Napoléon a fait
pour la France dans les premières années de ce siècle, pourquoi notre
gouvernement ne le ferait-il pas pour
Si
L’idée que j’énonce n’a
pas encore été bien approfondie par moi, elle m’est venue, elle m’a souri, je
la méditerai, et, en attendant, je la communique à M. le ministre de la justice
et à toutes les personnes qui veulent bien penser à donner à leur pays des
institutions qui puissent augmenter la somme de son bien-être.
Si le gouvernement
croyait pouvoir donner suite à mon idée, la magistrature aurait pour école
spéciale l’auditorat, comme l’armée a ses écoles militaires, comme j’espère que
l’administration aura un jour la sienne dans un conseil d’Etat ; si un jour il
y a un auditorat, le pays aura une succession de magistrats qui réuniront en
eux l’instruction, l’intégrité, l’indépendance et la dignité.
M.
Castiau. - Si le ministère de la justice est
en ce moment sans signification politique, puisque le chef de ce département a
été pris en dehors des combinaisons parlementaires, il n’en est pas moins l’un
des plus importants par l’étendue, la variété et la multiplicité de ses attributions.
Ainsi cette
administration touche à la fois aux intérêts les plus élevés et aux intérêts en
apparence les plus intimes de notre société.
Elle touche aux intérêts
les plus élevés, car elle embrasse les intérêts législatifs, les intérêts du
culte même, par les traitements des ministres des cultes. Elle touche aux
intérêts les plus douloureux, aux intérêts qu’on a l’habitude de considérer
comme les plus infimes, puisque cette administration s’étend aux bureaux de
bienfaisance, aux hospices, et à cette question du système pénitentiaire qui
vient d’être agitée dans cette enceinte. C’est là, il faut le reconnaître, un
rude fardeau pour celui qui accepte une telle tâche.
Avant donc de donner à M.
le ministre de la justice ma confiance et mon vote, je désire l’interpeller sur
quelques-unes des questions et des améliorations qui se rattachent à son
administration. Je tiens, avant tout, à connaître le programme des réformes
qu’il veut réaliser dans la vaste et difficile administration qui lui est
confiée.
Et d’abord, si je reviens
sur une question déjà agitée au début de cette séance, celle de la révision des
codes, c’est parce que je ne puis m’associer à cette pensée exprimée par mon
collègue M. Savart, et appuyée et développée par M. le ministre de la justice,
que la révision des codes devrait se borner à trancher quelques points douteux
de la jurisprudence. Je crois que la révision qu’a voulue la constitution doit
embrasser un cadre plus vaste, qu’elle ne doit pas se renfermer dans des
questions de jurisprudence et de procédure, qu’elle doit porter sur des titres
entiers, et surtout sur les principes mêmes et les bases de la législation
impériale.
Il ne faut pas se le
dissimuler, et il faut avoir le courage de l’avouer : le code civil lui-même
porte, dans de nombreuses dispositions, l’empreinte de la pensée réactionnaire
de l’empire. On y trouve la pensée intime de ses projets ambitieux et
rétrogrades, de ses retours au passé ; c’est là qu’il avait déposé, dans les
dispositions relatives aux majorats et aux substitutions, le germe de toutes
les institutions aristocratiques qu’il voulait restaurer. Il y a donc lieu
d’attaquer et d’extirper de nos institutions civiles le principe et les
conséquences de toutes ces pensées réactionnaires et de réviser l’ensemble de cette
législation. C’est là le travail et l’œuvre, ce que notre constitution toute
démocratique a eu en vue, lorsqu’elle a mis à l’ordre du jour la révision, non
de quelques articles des codes, mais de la législation impériale tout entière.
Cependant, je ne
pousserai pas l’exigence jusqu’à demander la révision immédiate et instantanée
de tous nos codes. Evidemment, c’est là une œuvre difficile, une œuvre de
patience et de réflexions, une œuvre qui exige de lentes et nombreuses
méditations. Mais j’aurais voulu qu’indépendamment de la nomination des
commissions dont on vient de vous parler, on préparât le grand travail de
révision en consultant les cours d’appel et les tribunaux de première instance,
les parquets, les jurisconsultes et les barreaux des principales villes du
pays. C’est ainsi qu’on procédait sous le régime impérial. Je crois que cette
tradition, du moins, devrait être suivie en cette circonstance.
Si je pense que la
révision des codes doit être une œuvre lente, mûrie par l’expérience, les
méditations et les lumières de tous ceux qui s’occupent d’études et des travaux
législatifs, je n’en crois pas moins qu’il y a dans nos codes des dispositions
tellement vicieuses qu’elles devraient disparaître à l’instant même, Ainsi,
l’honorable M. Savart (et sous ce rapport je suis de son avis) a signalé les
vices de la législation hypothécaire. Ce système est déplorable, il est dénonce
à l’Europe, depuis 20 ans, comme l’un des systèmes les plus arriérés qui
existent. Il est démontré que le système de semi-publicité qu’il consacre, est
menaçant pour la propriété autant que pour le crédit public et le crédit
agricole. Il suffirait de quelque dispositions qui fissent disparaître les
charges occultes et qui complétassent le système de publicité si timidement
essayé, pour faire disparaître les principaux inconvénients du régime actuel,
déjà l’on vous a parlé de nos lois de procédure et de la nécessité de leur
révision ; on nous a signalé surtout les abus et les vices des lois sur
l’expropriation forcée. Ces lois sont, en effet, combinées de telle sorte que
par la complication des actes, la multiplicité des formes et l’énormité des
frais, elles frappent les créanciers et ruinent, en même temps, le débiteur.
Parfois les frais de poursuite excèdent la valeur de l’immeuble exproprié, et
c’est là un immense scandale.
Les mêmes critiques
peuvent s’adresser, dans le code de commerce, au titre des faillites dans les
dispositions de ce titre et la complication des formes et des actes qu’il
consacre, tout semble calculé pour écraser le débiteur ; et j’ai été
étrangement surpris d’entendre dire, au commencement de la séance, que tontes
nos institutions législatives, que nos lois de procédure et de commerce avaient
été rédigées en haine du créancier, pour favoriser la fraude et la mauvaise foi
du débiteur.
Je dis, au contraire, que
nos institutions de procédure, que nos institutions commerciales, que nos lois
sur l’expropriation forcée et les faillites semblent destinées à écraser, à
ruiner le débiteur malheureux souvent et de bonne foi. Et voyez l’inconséquence
: en même temps qu’on vous disait que nos institutions commerciales étaient
rédigées en haine des créanciers, on vous citait la loi sur la contrainte par
corps. Peut-on cependant dire raisonnablement que cette loi soit faite en haine
du créancier ? Mais cette loi sur la contrainte par corps, en cas
d’insolvabilité du débiteur, abandonne au créancier le droit effrayant, le
droit terrible d’attenter à sa liberté et de confisquer en quelque sorte sa
personne, quelle que soit l’importance de la créance.
C’est ainsi que pour une
misérable créance de 150 francs on voit un créancier emprisonner son débiteur
pendant cinq ans, c’est-à-dire que vous punissez l’insolvabilité, le malheur
des mêmes peines que le vol, que l’escroquerie, des mêmes peines que les actes
les plus odieux, les plus infâmes qu’ait prévus la législation pénale.
Et c’est bien autre chose
encore quand il s’agit de la contrainte par corps pour condamnation à des
dommages-intérêts.
Cette peine se change
alors en une peine d’emprisonnement perpétuel. Il n’y a pas moyen de mettre un
terme à cette odieuse mesure. Ainsi, dans ce cas vous punissez l’insolvabilité
de la même peine que celui qui a commis le crime le plus grave après
l’assassinat, le meurtre. Le débiteur malheureux et le meurtrier sont mis
presque sur la même ligne ! Et c’est en présence de ces dispositions
impitoyables, jusqu’à la cruauté, qu’on vient dire que les créanciers sont sans
recours et sans droits, que nos institutions sont dirigées contre eux, et qu’elles
ont pour but de favoriser en quelque sorte la fraude et la mauvaise foi du
débiteur.
Je ne puis, messieurs,
abandonner ce qui est relatif aux intérêts législatifs, je dirai aussi un mot
sur une question qui a été également soulevée par mon collègue, M. Savart ;
c’est la question relative à ce qu’il appelle la « haine de cense ».
Je regrette de me trouver encore sur ce point en contradiction avec l’honorable
M. Savart, non pas que je ne déclare comme lui et comme vient de le faire M. le
ministre de la justice, que ce crime déshonore la civilisation, mais je suis en
désaccord avec lui, quand, pour frapper ce crime, il vient faire appel à je ne
sais quelle ordonnance de Marie-Thérèse, lorsqu’il vient nous parler
d’exécutions et de supplices. Toutes ces impitoyables rigueurs, les supplices
et ces exécutions sanglantes, ont été essayées. Qu’ont-elles produit ? Rien ;
car vous reconnaissez vous-même que ce crime est plus commun, plus enraciné,
plus effrayant que jamais.
Qu’y a-t-il donc à faire
? Car finalement ce n’est pas avec vos exécutions et vos échafauds que vous en
finirez avec ce préjugé.
Ce préjugé, messieurs, il
est le résultat de l’ignorance. Eh bien ! combattez-le donc par le moyens qui
atteignent l’ignorance ; combattez-le par l’instruction publique ; combattez-le
en vous adressant à l’intelligence, à la raison, à la conscience des
populations rurales. Développez dans les campagnes les sentiments du droit et
du devoir, le respect de la propriété, le respect de la dignité humaine.
Adressez-vous, je le répète, à l’intelligence et non à ces formes sanglantes
renouvelées de l’ancien régime, et dont l’inutilité a été démontrée à la
dernière évidence par l’impuissance d’étouffer le préjugé dont vous vous
plaignez.
J’abandonne enfin,
messieurs, ce qui est relatif aux intérêts législatifs pour arriver à d’autres
intérêts qui n’ont pas encore été signalés dans cette enceinte et qui sont bien
dignes cependant de fixer votre attention, les intérêts de la bienfaisance
publique. M. le ministre de la justice ne doit pas oublier que ses attributions
s’étendent également sur tout ce qui est relatif à la bienfaisance publique, et
spécialement sur l’organisation des bureaux de bienfaisance.
Les bureaux de
bienfaisance ! c’est, il faut bien le reconnaître, la taxe des pauvres sous un
autre nom ; les bureaux de bienfaisance c’est la question du paupérisme, c’est
cette question grosse de difficultés, grosse de dangers, peut-être ; c’est
cette question qui dans l’avenir agitera les sociétés européennes plus
violemment peut-être que les luttes des patriciens, des plébéiens et des
esclaves n’agitèrent jadis la société romaine.
En effet, ce fait du
paupérisme est un fait qui éclate maintenant partout et qui frappe de toutes
parts les regards attristés ; et ce n’est pas seulement l’existence, mais le
développement de ce fait malheureux que nous voyons signaler chaque jour. Cette
incontestable progression existe en effet dans la plupart des Etats de l’Europe
; elle est constatée en Angleterre, la terre classique du paupérisme ; elle est
constatée en France, elle est constatée en Hollande, elle l’est en Belgique ;
car s’il faut en croire les renseignements et les statistiques, il y aurait
certaines provinces où le cinquième, le quart peut-être de la population,
serait inscrit sur les listes de la bienfaisance publique.
Qui donc pourra sonder la
profondeur de cette plaie sociale, qui pourra indiquer et faire toucher du
doigt, en quelque sorte, les causes de son existence et de son développement ?
Divers systèmes ont été
essayés pour y parvenir. Les uns, pour faire preuve d’érudition, sans doute, et
comme pour calomnier la cause de la liberté humaine, ont prétendu que le
paupérisme se rattachait à l’esclavage, que le paupérisme était apparu au monde
le jour même de l’abolition de l’esclavage ; et comparant la position de
l’esclavage de Rome à celle de nos pauvres, ils ont prétendu que la position du
premier était moins malheureuse que celles de nos pauvres, et même de nos
ouvriers.
Les autres ont rattaché
l’existence du paupérisme au développement de la population, et en sont arrivés
aux plus impitoyables théories pour arrêter ce développement de la population.
D’autres encore ont voulu
faire retomber le paupérisme et ses conséquences sur l’industrie, sur les
machines, sur ces inventions merveilleuses, qui sont cependant, il faut le
reconnaître, l’honneur et la gloire de la civilisation.
Il en est qui sont allés
plus loin et qui ont accusé de l’existence et des malheurs du paupérisme, la
vieille organisation aristocratique des sociétés européennes, cette
organisation qui, dans certains pays qu’on vous a déjà cités, en Angleterre,
par exemple, met en présence l’extrême richesse et l’extrême pauvreté, cette
organisation qui nous montre des fortunes colossales, fabuleuses, pour me
servir d’une expression déjà produite dans cette enceinte, et qui, à côté de
ces fortunes fabuleuses, nous montre la misère poussée à ses dernières
conséquences ; cette organisation qui, à côte d’une minorité jouissant dans
l’oisiveté et le plaisir de tous les avantages de l’opulence, nous fait voir
des milliers, des millions de prolétaires exténués de besoins et de travaux et
succombant mourant, de faim, parfois de misère et de faim, au milieu de toutes
les richesses qu’ils ont créées.
Si l’on n’est pas
d’accord sur les causes du paupérisme, on l’est bien moins encore sur les
remèdes à y apporter. C’est ici que nous nous trouvons en présence d’opinions
divergentes, et que nous sommes lancés dans un véritable chaos d’opinions
contradictoires.
Les uns, en effet,
pensent en finir avec le paupérisme, par l’établissement des caisses d’épargne
et des caisses de prévoyance.
Les autres vont plus loin
; ils croient qu’il est temps de s’occuper d’un classement plus régulier de la population
; il pense qu’il faut enfin ramener vers les champs et les travaux agricoles
ces parties flottantes de la population qui, livrées à l’industrie, en
subissent tous les contrecoups et toutes les crises, et qui souvent est jetée
du jour au lendemain, sans travail et
sans pain sur le pavé des rues.
D’autres ne s’arrêtent
pas à ces palliatifs. Ils pensent que le moment est venu pour la vieille Europe
de se débarrasser d’une partie de l’excédant de sa population, de l’exporter
vers les contrées lointaines et désertes. Le mot de colonisation est prononcé,
et déjà il a été répété dans cette enceinte, à l’une de nos dernières séances.
Il en est ensuite qui
pensent en finir avec le paupérisme par une nouvelle organisation du travail et
par de nouveaux règlements fixant les droits et les deniers des maîtres et des
ouvriers.
D’autres enfin
désespérant de la société, en quelque sorte, et lui jetant le cri d’anathème et
de mort, sont allés à la recherche de nouvelles formules, de nouvelles
combinaisons sociales. Ils ont dans leur aspiration vers l’avenir dans leurs
rêves, si l’on veut évoquer de nouvelles synthèses humanitaires, un nouvel
ordre social, au sein duquel disparaîtraient toutes les iniquités des temps
présents pour laisser régner enfin les lois de la justice et d’égalité, ces
lois, en vertu desquelles il n’y aurait plus d’autres distinctions parmi les
hommes que celles résultant de l’intelligence, de l’activité, de la capacité,
du mérite et du dévouement.
Comme vous le comprenez,
messieurs, je ne viens pas aborder devant vous toutes ces questions, et
transformer cette tribune en une chaire de philosophie et de sciences sociales.
Laissons donc aux
penseurs et aux méditations du cabinet, laissons tous les esprits d’élite le
soin de résoudre, d’approfondir, du moins, tous ces problèmes. Seulement soyons
justes pour ceux qui se consacrent à l’examen de hautes et difficiles
questions, disons que ceux qui, tourmentés par les douleurs de la société,
cherchent à améliorer sa triste position, et le font, non pas pour exciter les
passions et les colères de la multitude, mais en s’adressant aux intelligences
et aux convictions, en exprimant gravement leurs vues et en demandant qu’on les
éclaire, disons qu’ils remplissent une mission sociale ; ne les poursuivons donc
pas de nos sarcasmes et de nos ironies ; alors même qu’on ne partagerait pas
leurs convictions, rendons du moins hommage à leur dévouement et à leur bonne
foi.
Je me hâte maintenant,
messieurs, d’abandonner ces questions qui touchent cependant de tous les côtés
à la réforme du paupérisme, pour me renfermer dans les limites de ce qui est
possible et immédiatement applicable. J’en reviens aux bureaux de bienfaisance
et à leur organisation actuelle.
A quoi servent maintenant
les bureaux de bienfaisance ? Quel est leur but ? que font-ils ? Ce que font
les bureaux de bienfaisance, messieurs, ils font l’aumône. L’aumône ! c’est le
dernier mot des bureaux de bienfaisance actuels ! C’est quelque chose, sans
doute, mais ce n’est pas tout. L’aumône, en effet, a quelque chose d’humiliant,
je dirai même de flétrissant pour les classes qui sont obligées d’en subir la
honte. Et la preuve, c’est qu’en-dehors de vos classes si nombreuses inscrites
hautement sur les listes de la bienfaisance publique, vous avez cette classe
intéressante de malheureux qui reculent devant la flétrissure de l’aumône, qui
préféreraient mourir de faim plutôt que de tendre la main au pain de la pitié
et de s’exposer à de durs refus.
Eh bien, voilà cette
classe si intéressante de la société qui, dans l’état actuel de nos
institutions de bienfaisance, est sans secours et sans patronage. Il y a donc
ici un grand vice dans le système actuel de la bienfaisance publique, et ce
vice ne peut disparaître que par la transformation de l’aumône. Oui, il faut que
l’aumône s’efface et se transforme ; il faut que la loi moralisante du travail
remplace la loi humiliante de l’aumône ; il faut que les classes ouvrières et
ces pauvres intéressants, qu’on appelle les pauvres honteux, puissent enfin
jouir des avantages de la bienfaisance sociale.
Cette nécessité de la
substitution du travail à l’aumône a déjà été reconnue par le gouvernement, je
m’empresse de le déclarer ! Des comités de bienfaisance ont été institués. Mais
ces comités sont peu nombreux et n’existent que dans deux provinces, je crois.
Je voudrais savoir si M. le ministre de la justice s’associe, pour tout ce qui
appartient aux bureaux de bienfaisance, à cette pensée d’amélioration populaire
; je voudrais savoir s’il entend pousser les bureaux de bienfaisance dans cette
voie nouvelle ; s’il entend user de toute son influence administrative pour les
engager, pour les contraindre, s’il est nécessaire, à substituer, autant que
possible, le travail au pain qu’ils ont l’habitude de jeter aux malheureux.
La question des bureaux
de bienfaisance, messieurs, se rattache à celle des hospices, et ici également.
il y a beaucoup à faire. Il est fâcheux d’abord que l’administration des
hospices ne soit pas centralisée et réunie dans les mêmes mains que
l’administration des bureaux de bienfaisance. Ces deux administrations tendent
au même but ; elles ont toutes deux pour but le soulagement de l’humanité
souffrante. Il est donc malheureux, je le répète, qu’on ne puisse réunir et
confondre ces deux administrations qui devraient s’entraider mutuellement, et
qui, dans l’état actuel des choses, arrivent souvent à se contrarier et à
paralyser mutuellement leurs communs efforts vers le but qu’elles veulent
atteindre.
Il y aurait du reste pour
les hospices la même question à résoudre que pour les bureaux de bienfaisance.
L’hôpital, en effet, a quelque chose d’humiliant aussi, quelque chose qui
répugne vivement à cette partie de la population pauvre qui a conservé le
sentiment de sa dignité. Eh bien ! il faut également rendre hommage à ce
scrupule, qui a quelque chose de moral et de juste ; il faut l’encourager et le
développer ; il faut que l’individu puisse trouver, sans sortir de sa famille,
ces secours qu’il lui répugne de venir demander à la porte d’un hôpital.
En attendant ces réformes,
parcourons quelques-uns des hospices, dont la situation réclame le plus
vivement l’attention du gouvernement et des chambres ; les hospices des enfants
trouvés d’abord, de ces enfants qui n’ont jamais connu les caresses d’une mère
et les joies de la famille.
Ces enfants, messieurs,
devraient être les enfants d’adoption de la société. Pense-t-on cependant que
la prévoyance sociale veille avec assez de sollicitude sur ces malheureux
enfants ? Ne sait-on pas qu’ils sont pour la plupart abandonnés dans les
campagnes, et que quand arrive l’âge de l’émancipation, ils sont livrés à
eux-mêmes sans guides et sans protection ? Ne devrait-on pas faire cesser cet
abandon et prouver à ces malheureux, qu’à défaut de famille, la société veille
sur eux et les environne de sa sollicitude et de sa pitié ?
A l’occasion des hospices
des enfants trouvés, je ne puis passer sous silence une question importante,
celle de la suppression ou de la conservation des tours. Cette question est
restée jusqu’ici indécise, elle a été abandonnée à l’arbitraire des
administrations provinciales. Qu’en est-il résulté ? C’est que dans certaines
provinces les administrations provinciales, obéissant à des considérations
d’économie plutôt qu’à des sentiments d’humanité et d’ordre public, ont ordonné
la suppression des tours. C’est que dans d’autres provinces on s’est arrêté
devant les conséquences désastreuses que pouvait entraîner cette suppression.
Dans le Hainaut, par
exemple, nous avons conservé le tour existant au chef-lieu de la province ;
mais nous l’avons conservé, parce que l’administration provinciale a été
effrayée par l’horrible catastrophe et les crimes qui avaient suivi la
suppression du tour établi à Tournay. Qu’en est-il résulté ? C’est que le
Hainaut est maintenant, en quelque sorte, le rendez-vous général des enfants
trouvés.
La plupart des antres
provinces se débarrassent de cette charge en la faisant retomber sur notre
province. Est-ce là, messieurs, de l’équité ? Est-ce là de la justice ? Le
gouvernement et la loi devraient-ils se prêter à un tel arbitraire, quand il
s’agit de questions qui peuvent devenir des questions de vie et de mort ?
Ce n’est pas tout encore,
messieurs, nous avons à nous occuper d’autres misères encore. Une autre classe
d’infortunés réclame nos sympathies non moins vivement que celle en faveur de
laquelle je viens de faire entendre ma voix. Je veux parler des aliénés. Ces
malheureux ont été considérés longtemps au sein de la société comme de
véritables parias ; on les traitait souvent comme des bêtes enragées, si je
puis m’exprimer ainsi, qu’on se croyait le droit de maltraiter, de battre et
d’enchaîner. Depuis lors, sans doute, quelques sentiments de pitié, quelques
sentiments d’humanité ont prévalu ; de faibles tentatives de réforme ont été
essayées, mais dans le plus grand nombre d’établissements leur position est
restée, à peu près, ce qu’elle était anciennement ; tout concourt à y rendre
leur position intolérable ; leur état s’y aggrave et devient incurable.
Ce ne sont pas ici,
messieurs, je vous prie de le croire, des peintures d’imagination, des misères
créées en quelque sorte à plaisir ; ce sont des faits constatés, et constatés
non seulement par l’expérience, mais par les hommes mêmes que le gouvernement
avait chargés de la mission spéciale de visiter les établissements d’aliénés,
et d’en rendre compte.
Cette commission,
messieurs, a rempli scrupuleusement, consciencieusement sa mission. Eh bien,
dans le rapport qu’elle a soumis au gouvernement, il y a des passages à faire
saigner le cœur, tant, messieurs, ils sont déchirants, tant le sort de ces
malheureux est digne de pitié. Cependant, messieurs, jusqu’à présent rien n’a
été fait encore dans l’intérêt de l’amélioration du régime des aliénés.
Pour vous prouver toute
l’urgence de cette réforme que le gouvernement paraît abandonner en ce moment,
je vous demanderai la permission, messieurs, de vous lire quelques-unes des
lignes qui terminaient ce rapport. Vous pourrez juger alors, messieurs,
combien, dans cette circonstance, l’incurie du gouvernement est coupable.
Voici, messieurs, ces
quelques lignes :
« Lorsque le mal est
latent, lorsque l’abus se perpétue à l’ombre, ignoré, pour ainsi dire, loin de
tous les regards, il peut être jusqu’à un certain point excusable de n’y pas
porter remède, mais lorsque la victime est là sous nos yeux, lorsque le sang
jaillit de ses blessures, lorsqu’elle se traîne à nos pieds pour demander
protection, ne serait-ce pas le comble de la cruauté que de la repousser
froidement et de refuser tout soulagement à ses souffrances ? Il est reconnu
maintenant que l’état déplorable dans lequel se trouvent les insensés en
Belgique entraîne chaque année l‘incurabilité et occasionne la mort d’un grand
nombre de ces infortunés. Ce que l’on dirait de l’homme qui laisserait périr
sous ses yeux le faible enfant qu’il pourrait sauver sans effort, ne
pourrait-on pas le dire à plus forte raison de la société qui, par son
indifférence ou son incurie, condamnerait à une mort certaine des centaines de
pauvres insensés dont, à l’aide de quelques faibles sacrifices, elle pourrait
conserver l’existence et restaurer la santé ? Et que l’on ne vienne pas
entremêler à cette question de vie ou de mort, la question d’argent ; nul
sacrifice ne doit coûter lorsqu’il est reconnu indispensable ; que l’on diffère
certains travaux, que l’on réduise certaines dépenses, en raison de la pénurie
des ressources, rien de mieux ; mais la raison d’économie doit céder, suivant
nous, à la raison d’humanité ; et la société qui se refuserait à alléger les
maux de ses aliénés, sous prétexte de charges que lui imposent ses routes, ses
canaux, son armée, serait tout aussi coupable, nous paraît-il, qu’un individu
qui laisserait mourir de faim ses vieux parents plutôt que de leur donner une
petite partie de la somme qu’il destine à la construction d’une maison. La
conscience sociale n’a pas d’autres règles que la conscience individuelle : ce
qu’ordonne ou défend celle-ci doit également être ordonné ou défendu par
celle-là. S’il en était autrement, la justice aurait deux poids et deux
mesures, l’humanité une double nature ; l’individu serait en perpétuelle
contradiction avec l’être collectif qui embrasserait toutes les individualités,
l’anarchie succéderait à l’ordre, et le monde n’offrirait plus que l’image du
chaos.
« Si nos convictions
étaient moins vives, moins profondes, M. le ministre, nous n’aurions pas
recours à ce langage qui pourra paraître exagéré. Mais notre position, nos
devoirs, nos attributions nous mettent chaque jour en présence des infortunes
en faveur desquelles nous élevons la voix, nous touchons, nous, presque
journellement ces plaies hideuses que d’autres nient parce qu’elles sont
soustraites à leurs regards : est-il étonnant dès lors que nous élevions la
voix avec énergie, et que nous invoquions comme un droit ce que d’autres avant
nous n’ont peut-être demande qu’à titre de bienfait ?
« Et notre voix sera
écoutée, nous en avons l’intime conviction, ce ne sera pas en vain, M. le
ministre que vous aurez pris l’initiative en nous appelant autour de vous pour
seconder vos généreux efforts. Les chambres ne pourront rester indifférentes au
tableau que vous mettrez sous leurs yeux, et vis-à-vis de la grande infortune à
laquelle il s’agit de porter remède, les rivalités, les dissentiments locaux
feront place ; il faut l’espérer, à un concours sincère et persévérant.»
Voilà, messieurs, la
question d’humanité.
A côté de cette question
d’humanité se présente une question assez grave de légalité. La détention des
aliénés, dans l’état actuel de nos institutions législatives, n’est entourée
d’aucune garantie. La plupart des aliénés sont détenus et détenus à perpétuité
sans même qu’on ait rempli à leur égard la formalité de l’interdiction ; ils
pourront être détenus à perpétuité par le caprice et l’arbitraire des familles,
il n’existe non plus aucune garantie que leur captivité cessera avec leur
démence.
Vous voyez donc,
messieurs, qu’il y va ici des droits les plus précieux de la liberté
individuelle et d’une question qui est presque une question de
constitutionalité.
Voilà déjà bien des
misères passées en revue, messieurs, et cependant je n’ai pas tout dit encore
et je ne suis pas arrivé au terme de la pénible carrière que j’ai cru devoir
parcourir aujourd’hui devant vous.
Il faut que je vous dise,
à mon tour, quelques mot de cette question pénitentiaire, quoique déjà elle ait
été touchée avec un talent supérieur, par mon honorable ami M. de Brouckere,
J’adhère de toutes mes forces à ce que nous disait, il n’y a qu’un instant, cet
honorable collègue sur l’état et les vices de nos maisons centrales et de nos
prisons. Vainement M. le ministre a-t-il opposé à cet énergique tableau ses
dénégations officielles ; les faits parlent plus haut que les prétentions
ministérielles. Oui, nos prisons sont des foyers de démoralisation et d’infamie
; oui, le crime y est en honneur, ainsi que vous l’a dit M. de Brouckere ; les
détenus s’y dépravent et s’y corrompent ; c’est l’enseignement mutuel du crime.
Tous ceux qui y entrent sont perdus à jamais et on ne sort de vos prisons
qu’avec de nouvelles pensées de perversité, de vengeance et de projets
criminels.
Ces abus effrayants,
qu’il niait d’abord, M. le ministre ne les a-t-il pas reconnus dans la suite,
en proclamant lui-même la nécessité d’une réforme pénitentiaire ? Il a même
trouvé cette matière tellement importante, qu’il a demandé du temps pour
l’étudier, pour consulter les théories et les faits et interroger tout ce qui a
été dit et tenté sur ce difficile sujet. Et dans le moment même où il
prétendait ne pas avoir suffisamment étudié la question pour la résoudre, il
est venu nous parler du système auquel le gouvernement se serait définitivement
arrêté : le travail en commun et en silence pendant le jour et la séparation
seulement des détenus pendant la nuit.
Si c’est ce système que
le gouvernement est arrivé après toutes ses études, je n’ai pas à l’en
applaudir, car c’est, de tous les systèmes, le plus mauvais et le plus
détestable. Ce système perpétuerait tous les abus, tous les excès du régime
actuel de nos prisons. Vos aggravations et vos rigueurs, sachez-le bien,
seraient inutiles. Vainement vous imposeriez à des détenus vivant et
travaillant en commun, la loi d’un silence absolu ; la nature et la conscience
se révolteraient contre vos prescriptions et seraient plus fortes que vos
règlements. Une langue de convention, une langue de signes remplacerait bientôt
ces communications et les rapports que vous auriez voulu interdire.
Et puis ne voyez-vous pas
que le système objet de vos prédilections, laisse subsister le principal
inconvénient, la principale objection que nous élevons contre le régime actuel
des prisons, la possibilité, pour les détenus vivant en commun, de s’unir par
tous les liens du crime et de se retrouver, à leur sortie de prison, pour
marcher ensemble à de nouveaux forfaits ? Vous n’aurez donc rien fait en
réalité et votre prétendue réforme sera aussi détestable que le régime actuel.
Il n’y a pas de milieu :
il faut empêcher les détenus de communiquer entre eux, non seulement par la
parole, mais par le geste, mais par la pensée et l’intelligence. Il faut, il
faut surtout les empêcher de se connaître, car une fois unis par la solidarité
du crime et de la peine, il n’y a à attendre d’eux que de nouveaux excès et de
nouveaux méfaits.
Il n’y a donc, messieurs,
qu’un seul moyen d’en finir avec les abus du régime actuel des prisons, ce
moyen a été indiqué par M. de Brouckere, c’est la réclusion solitaire, non pas
telle que l’a définie M. le ministre de la justice, et qu’elle avait d’abord
été organisée dans le système américain, car on a reconnu que la réclusion
solitaire, telle qu’elle a été organisée d’abord dans les prisons de
Philadelphie, par exemple, allait au-delà du but ; elle était cent fois trop
rigoureuse ; cette réclusion, c’était le secret, le secret avec toutes ses
tortures et ses angoisses. L’individu enfermé dans la fatale cellule était
séparé, en quelque sorte, des vivants ; aucune figure humaine n’apparaissait
devant lui ; on lui refusait même la consolation du travail. Qu’en est-il
résulté ? c’est qu’on a prétendu que l’homme ainsi livré perpétuellement aux
horreurs du secret et de ses remords, n’avait devant lui d’autre alternative
que la démence et le suicide.
Aussi l’on a senti la
nécessité de modifier la rigueur extrême des premiers essais de
l’emprisonnement solitaire. On a conservé l’emprisonnement individuel, on a
continué à empêcher toute espèce de rapport entre les détenus, mais on ne leur
a plus ôté jusqu’à la distraction du travail. En séparant les détenus les uns
des autres, on a senti le besoin de les mettre en rapport avec tous ceux qui
pourraient leur apporter des paroles morales et des bons exemples. On a joint
au travail l’enseignement moral et religieux ; on a même autorisé les visites
des parents et des amis, et, avec tous ces tempéraments, on a reconnu que le
système pénitentiaire combiné avec la réduction de la durée des peines, peut
seul réaliser tous les avantages de la réforme pénale.
J’ai donc lieu de
m’étonner que M. le ministre de la justice vienne déclarer que cette question,
la reforme pénitentiaire, n’a pas été étudiée encore en Belgique, lorsque dans
les autres pays on ne s’est pas contenté de l’étudier et qu’en s’est empressée
de la réaliser.
Ce système, messieurs,
n’est plus en question aujourd’hui chez les autres peuples. En Angleterre le
système des prisons cellulaires est établi et définitivement jugé. Il y existe
déjà des prisons modèles ; douze pénitenciers nouveaux y sont en construction
en ce moment. La France va suivre l’exemple de l’Angleterre ;
Je me trompe ; un essai y
a été fait, un essai en miniature en quelque sorte, dans la prison de Tongres
et pour 40 détenus seulement.
Je croyais, messieurs,
que cet essai allait être renouvelé sur une plus grande échelle, dans les
prisons de Liége et de Verviers, prisons pour lesquelles on nous demande des
fonds en ce moment. Les paroles de M. le ministre de la justice ont fait
évanouir cet espoir, puisque maintenant il se déclare le partisan de la
captivité en commun pendant le jour et de la séparation pendant les nuits
seulement. Que M. le ministre veuille donc s’expliquer de nouveau : Quel
système entend-il suivre à Liége et à Verviers ? Si le gouvernement entend
persister dans les voies de la routine, je combattrai de toutes mes forces sa
déplorable persistance.
L’opinion publique, je
l’espère, triomphera dans cette circonstance des tendances vraiment rétrogrades
du gouvernement. En attendant j’adjurerai la chambre de repousser le crédit qui
lui serait demandé pour perpétuer un système détestable et qui ne tarderai pas
à être abandonne.
Voilà, messieurs, les
principales améliorations que nous attendions de M. le ministre de la justice.
La section centrale, déjà, avait cru devoir l’interpeller sur quelques-unes de
ces améliorations, et notamment sur la réforme du régime des aliénés. Eh bien,
M. le ministre de la justice s’est contenté d’exprimer un vœu stérile de
sympathie. Il a déclaré que la solution de toutes ces questions se liait à des
nécessités d’économie, et que le gouvernement était arrêté en cette circonstance
par une question d’argent.
Cette réponse n’en est
pas une, elle n’est pas digne de la position qu’occupe M. le ministre de la
justice. Quand on tient le pouvoir, c’est à la condition de gouverner,
c’est-à-dire de se mettre à la tête des améliorations, de prendre l’initiative,
de combattre les difficultés et les résistances, et de trouver les moyens et
les ressources nécessaires pour assurer le succès de tous les projets utiles et
salutaires.
Il s’agit d’une question
d’argent !...Eh ! mon Dieu ! l’on n’est pas retenu par cette considération,
quand on vient demander plus d’un million pour la diplomatie, quand on vient
demander 28 millions pour l’armée, quand on vient demander un demi-million pour
le palais de justice de Gand, quand on vient vous demander plus d’un million
peut-être pour les tours de Malines et d’Anvers, quand on vient vous demander
je ne sais quelle somme pour l’amélioration de la race chevaline, à laquelle on
s’intéresse souvent plus qu’à l’amélioration de la race humaine. Oh ! alors, on
n’invoque pas les considérations d’économie ; on n’est pas retenu par des
questions d’argent ! On prodigue, on jette des millions ; mais quand il s’agit
d’intérêts sacrés, des intérêts de l’humanité et du malheur, on se livre à des
scrupules d’économie, et on vient dire : Nous ne pouvons rien ; nous sommes
arrêtés par une question d’argent.
Messieurs, l’obstacle
devant lequel on se retranche pour se refuser à toute amélioration, n’est
qu’une preuve de mauvais vouloir, et rien de plus. Si l’on voulait réduire
quelque peu notre luxe diplomatique (ce qui malheureusement n’est plus possible
pour cette année), réduire aussi notre luxe militaire ; si l’on voulait réduire
encore notre luxe artistique, qui me paraît aussi quelque peu exagéré, si l’on
voulait supprimer ou du moins suspendre tant de dépenses inutiles et stériles
qui figurent dans nos budgets, on parviendrait à trouver les sommes nécessaires
pour réaliser la plupart des réformes que j’ai eu l’honneur d’indiquer.
Du reste, s’il
fallait, pour combler le vide du trésor et entamer ces réformes, recourir à une
taxe spéciale, si cette taxe était réservée à l’amélioration du régime de nos
prisons, de nos hospices, de nos bureaux de bienfaisance et au soulagement de
toutes les misères humaines, si cette taxe était équitablement répartie, si
elle pesait sur le superflu de l’opulence, je crois qu’elle serait accueillie
avec faveur, et que le pays tout entier applaudirait à l’emploi qu’on en
ferait.
Les réformes dont j’ai
l’honneur d’entretenir la chambre ne sont sans doute pas des réformes bruyantes
et pompeuses qu’environne l’éclat d’une éphémère popularité ; mais ce sont des
réformes morales, des réformes humaines qui témoigneront, autrement que par vos
paroles, de votre sympathie envers les classes souffrantes. Ces reformes,
croyez-le bien, messieurs, ont aussi leur récompense ; elles ont leur
récompense dans la satisfaction que procurent l’accomplissement d’un devoir et
la certitude d’avoir fait le bien ; elles ont leur récompense, car si vous les
réalisez, elles feront inscrire vos noms parmi ceux des bienfaiteurs de
l’humanité.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, l’honorable M. Castiau a parlé d’abord de ma position dans
cette chambre. Il a annoncé qu’il ne pouvait pas dès maintenant m’accorder sa
confiance, attendu que j’avais été choisi en-dehors du parlement.
Messieurs, je n’ai certes
pas la prétention de conquérir d’emblée la confiance de l’honorable M. Castiau
; je ne lui demande, quant à présent, qu’une bienveillante réserve, et j’espère
que cette réserve pourra plus tard se changer en confiance, si, comme j’en suis
convaincu, il reconnaît que tous mes actes sont marqués au coin de la justice
et de l’impartialité.
Messieurs, je vais tâcher
de répondre au discours que vous venez d’entendre. Je suis d’accord avec
l’honorable M. Castiau sur plusieurs points ; quant à plusieurs autres points,
je diffère d’opinion avec lui, parce qu’il me semble que quelques-unes des
réformes qu’il a demandées ne sont pas des réformes actuellement réalisables.
L’honorable M. Castiau a
d’abord exprimé ses regrets de ce que je n’ai pas annoncé une réformé générale
des codes ; il a pensé que je voulais me borner à faire décider par une loi des
points douteux de jurisprudence et que je ne voulais pas attaquer les principes
mêmes. Si je me suis exprimé de manière à faire naître cette opinion chez
l’honorable M. Castiau, je me suis mal énoncé.
J’ai dit, et je répète,
qu’il ne peut être question de présenter maintenant des projets de nouveaux
codes ; mais je pense qu’il y a des modifications importantes à introduire dans
les codes qui existent. Mon intention a donc été de dire qu’il faut maintenir
le système général du code qui nous régit actuellement, en en modifiant
seulement quelques principes, et en y apportant les améliorations que la
jurisprudence a indiquées.
Passant au chapitre de la
bienfaisance, M. Castiau s’est occupé des bureaux de bienfaisance. L’honorable
membre a dit que ces bureaux accomplissaient imparfaitement leur mission, en se
bornant à faire l’aumône, qu’il fallait venir au secours des pauvres honteux et
leur fournir du travail.
Je suis en cela
parfaitement d’accord avec l’honorable M. Castiau. J’ai déjà agi en
conséquence. Une circulaire récente, que j’ai adressée à tous les bureaux de
bienfaisance, témoigne de mes intentions qui sont d’accord avec celles de
l’honorable M. Castiau.
Je ne me suis pas
seulement adressé aux bureaux de bienfaisance, mais j’ai encore fait un appel
au clergé. Tous les évêques se sont empressés de donner des instructions
nécessaires aux curés faisant partie de bureaux de bienfaisance, pour les
inviter à seconder les intentions du gouvernement et à s’efforcer de fournir du
travail aux ouvriers qui n’en auraient pas.
Des comités industriels,
qui seront secondés par les bureaux de bienfaisance, ont été formés dans deux
provinces.
L’honorable M. Castiau a
parlé ensuite des enfants trouvés. Leur entretien est une charge communale et
provinciale, et le gouvernement attendra à cet égard les propositions qui
pourront lui être faites par les députations permanentes. La question soulevée
par l’honorable membre est une question excessivement grave, de même que celle
des tours dont il a également parlé.
Il n’existe plus en
Belgique que six tours, l’un dans le Hainaut, et cinq dans d’autres provinces.
La question de savoir s’il est utile de maintenir ou de supprimer les tours,
divise les personnes les plus éclairées qui se sont occupées de cet objet. Je
n’ai certes pas la prétention de trancher, quant à présent, une question d’une
telle gravité à laquelle je n’étais pas préparé et qui doit faire de ma part
l’objet de longues et sérieuses méditations.
L’honorable M. Castiau
s’est ensuite occupé des aliénés.
Le gouvernement n’a pas perdu
de vue cette importante question. Une commission a été nommée par le
gouvernement pour proposer des moyens d’améliorer le sort des aliénés. Cette
commission a présenté un rapport des plus remarquables, et tous les
établissements de
Il existe en Belgique 37
établissements, 14 seulement appartiennent à des administrations publiques, les
autres échappent à tout contrôle, quant au régime intérieur. La commission a
formulé un système tout nouveau. Elle veut changer tout ce qui existe, et d’une
charge provinciale et communale, elle propose de faire une charge
gouvernementale. Elle veut qu’il soit établi des hospices gouvernementaux, des
hospices au nombre de quatre qui seraient destinés à renfermer tous les aliénés
du pays.
Il s’agissait de calculer
la somme nécessaire à la réalisation de ce projet. Or, d’après les
renseignements qui nous ont été fournis, et notamment par la députation
permanente du conseil provincial du Hainaut, chacun de ces quatre hospices
coûterait un million ; ce qui ferait, pour mettre le nouveau plan à exécution,
une somme de 4 millions. Eh bien, je pense n’avoir rien dit d’indigne de ma
position, en avançant que dans l’état actuel de nos finances, j’étais arrêté
par la question d’argent, et je ne crois pas que je puisse, avec quelque chance
de succès, venir présenter un projet de loi ayant pour objet de demander un
crédit de 4 millions pour la création des quatre hospices d’aliénés.
De plus, quand ces
hospices pourraient-ils être établis ? De longues années s’écouleraient encore
; et pendant tout le temps qui serait consacré à l’érection de ces hospice, les
établissements actuellement existants seraient négligés, et aucun subside ne
pourrait leur être accordé par le gouvernement qui devrait consacrer tous ses
fonds à la construction des quatre hospices, de manière que, pendant de
nombreuses années, le régime des aliénés serait singulièrement empiré.
De plus, ce système
exigerait un changement relativement aux obligations des communes et des
provinces ; il faudrait pouvoir contraindre les communes à envoyer leurs
aliénés dans les nouveaux hospices, ce qui augmenterait considérablement les
charges communales en privant les communes de la faculté d’entretenir les
aliénés dans leur domicile ou dans des hospices dont le prix serait moins
élevé. Non seulement il faudrait pouvoir obliger les communes à y envoyer leurs
aliénés, mais, pour que ces hospices pussent subsister, il faudrait pouvoir
obliger également les particuliers à y envoyer leurs pareils aliénés. Il serait
difficile de consacrer cette obligation, car comment concilier une pareille
mesure avec les principes de liberté qui nous régissent ?
J’ai suivi jusqu’à
présent le système qui était suivi depuis plusieurs années, notamment depuis le
ministère de M. Leclercq. On a donne des subsides aux établissements existants,
quand ils en ont demandé, et ces subsides ont toujours été accordes à certaines
conditions. Quand un subside est sollicité pour un établissement, je demande
quel est le plan d’organisation, quels sont les moyens qu’on emploie, quelle
est la disposition du local. J’envoie ensuite les renseignements que j’ai
recueillis à un professeur distingué qui s’occupe de cet objet, et je le prie
d’indiquer les améliorations qu’il croit utile de faire ; j’en informe le chef
de l’établissement, et je lui déclare que le subside ne sera accordé qu’autant
que les améliorations indiquées seront exécutées. C’est ainsi que j’ai agi. Je
crois qu’en accordant des subsides de cette manière, on peut plus facilement
améliorer le sort des aliénés qu’en créant des établissements qu’on ne pourrait
exécuter qu’avec beaucoup de temps, si toutefois je pouvais obtenir les fonds
nécessaires de la législature.
On a parlé aussi de la
détention même des aliénés. Ils ne sont pas retenus d’une manière arbitraire
dans les hospices ; ils y sont ou par suite d’une déclaration du conseil de
famille ou par suite d’ordre du bourgmestre qui a compétence à cet effet, aux
termes de la loi communale. Ces établissements sont d’ailleurs visités, à
certaines époques, par le procureur du roi. Dès que ce magistrat acquiert la
conviction que des personnes détenues ne sont plus atteintes d’aliénation
mentale, il donne à l’instant l’ordre de les mettre en liberté.
Passant aux prisons,
l’honorable membre a pensé que j’étais en contradiction avec moi-même, en
disant que la question du système des prisons n’était pas étudiée, qu’il
fallait attendre qu’on ait eu le temps de le faire, et en déclarant ensuite que
le gouvernement avait adopté le système d’isolement mixte, d’isolement pendant
la nuit et de travail en commun, mais en silence, pendant le jour.
Je ne crois pas m’être
mis en contradiction avec moi-même. J’ai dit que le système n’était pas encore
jugé ; je n’ai pas dit qu’il n’était pas étudié, j’ai dit que les résultats du
système ne sont pas encore connus. J’ai dit que les personnes qui s’occupent de
cet objet ne sont pas d’accord entre elles, qu’en France, notamment, on est
loin d’être unanime à cet égard. Je connais le rapport de M. de Tocqueville qui
est favorable à l’isolement complet. D’autres philanthropes qui s’occupent de
cette question, sont d’un avis opposé ; ils prétendent que ce système
d’isolement complet a tous les inconvénients qu’a signalés l’honorable
préopinant, qu’on reproche au système américain quant à l’effet qu’il produit
sur l’intelligence des détenus. Je dis que ce système n’est pas encore jugé,
par conséquent je ne puis pas me prononcer sur la bonté de ce système. Je ne
dis pas qu’il n’obtiendra pas à la fin la préférence : l’expérience se fait,
nous verrons si cette expérience sera concluante. Jusqu’à présent, nous avons
adopté l’isolement de nuit et le travail en commun le jour. C’est déjà une
amélioration, nous verrons plus tard s’il y a lieu d’en introduire d’autres,
l’expérience, je le répète, sera notre guide. En France, le système d’isolement
complet est établi dans une seule prison, la prison de
Ce système n’est pas
établi depuis assez longtemps pour qu’on puisse savoir si les individus soumis
à ce régime reviennent à la vertu ou persistent dans leur perversité. Le
système d’isolement complet est dit-on, jugé en France et en Angleterre. En
France, comme je viens de le dire, on n’en a commencé l’expérience qu’à la
prison de
En Angleterre je le sais,
le système américain est adopté. Mais il y a ici une remarque à faire, c’est
qu’en Angleterre les condamnés à perpétuité sont envoyés à Botany-Bay, les
peines perpétuelles ne sont pas subies dans les prisons où ce régime est
établi, ce ne sont là que des lieux de passage où l’on épure, en quelque sorte,
les condamnés à perpétuité pour les envoyer ensuite a Botany-Bay. L’exemple est
donc mal choisi, il n’est pas concluant, car il ne s’applique pas à des peines
de même durée que celles pour lesquelles il s’agirait d’établir ce nouveau
système en Belgique.
L’honorable membre
a terminé en me demandant ce que je comptais faire de la prison de Liége. Mon
intention est de la faire sur le modèle de celle de Tongres dont a parlé
l’honorable M. Castiau, prison qui n’est pas encore occupée mais qui va l’être.
Dans cette prison est établi le système d’isolement complet. C’est une maison
d’arrêt, une maison de justice où les peines subies seront d’une durée de six
mois au plus. Pour une prison de cette espèce, on doit convenir que c’est le
seul système qu’on puisse établir. Car on ne peut pas craindre les inconvénients
qu’on reproche au régime d’isolement pour les peines de longue durée. Je suis
convaincu d’ailleurs que c’est un immense avantage pour le prévenu qui, pouvant
être reconnu innocent, n’aura pas été confondu avec des individus déjà souillés
par le crime. Ce système doit prévaloir pour les maisons d’arrêt et de justice,
autant dans l’intérêt des prévenus que de la vindicte publique.
Je suis décidé à
approuver les plans qui m’ont été proposés pour la prison de Liége et qui
consacrent le système adopté pour la prison de Tongres.
Comme je le disais en
commençant, je suis d’accord avec l’honorable M. Castiau sur plusieurs points,
je diffère sur quelques autres principalement sur le rapport pratique et la
possibilité de réaliser ses vues.
M. de Brouckere. - Messieurs, j’avais terminé le discours que j’ai
prononcé à l’ouverture de cette discussion, en déclarant que j’avais la plus
grande confiance dans M. le ministre de la justice, mais je vous avoue que si je
devais en juger par la réponse qu’il ma faite, ma confiance serait
considérablement diminuée, car cette réponse me prouve qu’il n’a pas sondé la
plaie jusqu’au fond, qu’il ne connaît pas toute l’étendue du mal ; mais je ne
veux pas le juger sur cette réponse, je fais un appel à son zèle pour qu’il
aille par lui-même examiner l’état des choses ; j’ai la conviction intime
qu’après qu’il aura suivi ce conseil, il reconnaîtra que je n’ai été exagéré en
aucun point de mon discours.
Quant aux récidives, M.
le ministre a pris, pour me répondre, quelques chiffres, je ne sais de quelle
année. Je veux en citer deux qui parleront davantage. Il résulte du travail
officiel, que j’ai entre les mains que la récidive à la prison de St.-Bernard
était de 50 p. c. en 1840, et qu’elle
est aujourd’hui de 75 p. c. Sur quatre détenus, il y a trois récidives, et on
dira après cela que les récidives diminuent. Je dis, moi, que depuis une
certaine période elles augmentent d’une manière effrayante et que c’est le
résultat du système suivi. A Philadelphie, on a adopté le système de
l’isolement complet, et le nombre des récidives est tombé à 5 p. c. Comparez le
système de Belgique du travail en commun avec le système américain de
l’isolement complet ;
Je le répète, pour ma
responsabilité, j’ai puisé ces chiffres dans un rapport officiel que j’ai sous
les yeux.
On a prétendu que je
m’étais trompé en disant que le système qu’on suit était illégal. Je soutiens
mon dire. Je vais le prouver en vous citant les différents articles du code
pénal.
L’article 15 porte :
« Les hommes
condamnés aux travaux forcés seront employés aux travaux les plus
pénibles. »
Je m’arrête ici ; on a
supprimé les chaînes et les boulets qui ne sont plus de notre époque ; mais il
reste ceci : les hommes condamnés aux travaux forcés seront employés aux
travaux les plus pénibles.
Voyons l’article 21,
relatif à la réclusion :
« Tout individu de l’un
ou de l’autre sexe, condamné à la peine de la réclusion sera renfermé dans une
maison de force et employé à des travaux dont le produit pourra être en partie
appliqué à son profit. »
Ainsi pour les condamnés
aux travaux forcés, ce sont les travaux les plus pénibles.
Un membre. - C’est le bagne.
M. de Brouckere. - Le bagne, ce sont les chaînes et les boulets dont
je ne veux pas plus que vous.
Qu’est-ce que font les
cours d’assises qui tous les jours prononcent la peine des travaux forcés ? Un
de mes voisins me dit que cette peine n’existe plus !
Pour les condamnés à la
réclusion, ce sont les travaux établis dans la prison où ils sont détenus, avec
la faculté de leur donner une part des bénéfices.
Voici maintenant pour les
peines correctionnelles ; voyez quelle différence dans la rédaction :
« Quiconque aura été
condamné à la peine d’emprisonnement sera renfermé dans une maison de
correction, il y sera employé à l’un des travaux établis dans cette maison,
selon son choix »
Et ici on ne vous dit
plus que les détenus auront une petite part de leur solde ; on semble établir
un tout autre régime.
Mais je n’ai qu’une chose
à prouver, c’est que dans le système des codes, comme le prescrivent d’ailleurs
la justice, l’équité, la raison, il faut qu’il y ait une différence entre le
régime auquel sont astreints les condamnés à perpétuité, les condamnés à la
réclusion et les condamnés à l’emprisonnement :
la loi le veut.
J’ai entendu avec un
étonnement extrême M. le ministre de la justice dire à la chambre que j’avais
parfaitement fait connaître les vices du système actuel (car il reconnaît en
partie l’existence de ces vices), mais que je n’avais pas fait connaître le
remède à y apporter. Ne vous ai-je pas cependant exposé tout mon système
pénitentiaire, sans entrer dans des détails, il est vrai ; mais n’en ai-je pas
indiqué toutes les bases ? Et comme si M. le ministre de la justice
s’appliquait à se contredire, un instant après il a dit qu’une partie des
remèdes que j’ai indiqués avait été introduite dans le régime des prisons,
qu’on avait fait droit en partie à mes réclamations. Oui, j’en conviens, on a
cherché des demi-remèdes. Ce sont des remèdes efficaces que je veux. Les
remèdes que j’ai indiqués seront efficaces.
Ainsi j’ai indiqué comme
base du système pénitentiaire l’isolement et le silence. Mais, dit M. le
ministre, on a appliqué dans plusieurs prisons le système de l’isolement
pendant la nuit. C’est ne rien faire. C’est faire une dépense inutile que
d’adopter le régime de l’isolement, et laisser subsister le régime de la
communauté pendant le jour. Il faut l’isolement comme base ; ce sera
l’isolement absolu pour les condamnés qui méritent cette peine ; et l’isolement
sera modifié, selon que la culpabilité sera moins grande. Quand je parle
d’isolement absolu, ce n’est pas en ce sens qu’un homme serait enfermé dans un
cachot et ne verrait jamais figure humaine. Je veux dire qu’il faudra une
séparation entière avec les codétenus. Mais il faut que plusieurs fois dans la
journée, le détenu soit visité par différentes personnes : par l’aumônier, par
quelques-uns des employés de la prison, par les religieux et les religieuses
qui sont attachés aux grands prisons, et qui y rendent de grands services, par
les membres de la commission administrative et enfin par des personnes
charitables qui ne demanderont pas mieux que de faire une œuvre de charité, et
qui feront plus pour le bien de l’humanité que tous les systèmes qu’on veut
introduire.
J’ai dit qu’il fallait
séparer les détenus par catégories ; mais on comprend que l’indication que j’ai
faite de ce second moyen doit coïncider avec le premier. Ainsi la peine la plus
élevée sera l’isolement absolu, entendu comme je viens de l’expliquer.
Viendrait ensuite
l’isolement moins sévère, c’est-à-dire, qu’à certaines heures du jour les
détenus pourraient se voir ; mais on les séparerait d’une manière absolue par
catégories. Il faudrait que ces catégories fussent abandonnées à la commission
administrative ; car si vous faites des catégories, en disant que la première
comprendra les condamnés de 20 à 10 ans ; la seconde, les condamnés de 10 à 5
ans, vous n’atteindrez pas le but. Ce n’est pas d’après la durée de la peine,
c’est d’après le plus ou moins d’immoralité des détenus, qu’il faut établir les
catégories ; et c’est à la commission administrative à les fixer.
J’ai dit qu’il faut
établir, en troisième lieu, des catégories différentes quant au régime de
couchage et de nourriture, et quant à la solde des détenus, et partir de ce
point que les condamnés aux travaux forcés à perpétuité ne doivent avoir aucun
argent de poche. M. le ministre de la justice dit : Sur ce point, je suis
d’accord avec vous ; un arrêté a décidé qu’on pourrait supprimer l’argent de
poche. Mais nous ne sommes pas d’accord ; il ne faut pas que ce soit
l’exception, il faut que ce soit l’exception pour les condamnés aux travaux
forcés à perpétuité.
Enfin, j’ai indiqué comme
quatrième moyen auquel il faut absolument avoir recours, la suppression des
grâces et des commutations de peine périodiques. Cette suppression, a dit M. le
ministre de la justice, a eu lieu dans une ou deux prisons. Je l’ignore. Ce que
je puis affirmer c’est qu’elle n’a pas eu lieu dans plusieurs établissements.
Je dis que c’est très fâcheux, parce que les détenus, calculant qu’à telle
époque des grâces seront accordées, cherchent à se bien conduire pendant
quelques semaines, pendant quelques mois qui précèdent une présentation. Au
bout de quelques années, ceux qui sont adroits peuvent obtenir plusieurs
commutations, et être mis en liberté. Il faut que ce système cesse.
A Dieu ne plaise que
j’attaque jamais la prérogative qu’a le Roi de faire grâce, quand une
condamnation est trop sévère, ou quand le condamné donne des preuves évidentes
de repentir. Mais il faudrait, selon moi, un rapport spécial sur chaque demande
en grâce ; il faudrait que le ministre de la justice soumît à la clémence
royale un arrêté spécial pour chaque individu ; il faudrait que l’on fit cesser
ces commutations de peine en masse, ces grâces accordées souvent à l’adresse, à
la fourbe, à l’astuce.
Je ne crains pas de dire
que quand vous aurez introduit les quatre améliorations que j’ai signalées, le
nombre des condamnations et particulièrement des récidives diminuera
singulièrement. Quand les gens pour qui la prison n’a rien d’effrayant
aujourd’hui, sauront qu’après une première condamnation, ils seront, la
seconde, traités fort sévèrement, quand ils sauront que la condamnation aux
travaux forcés à perpétuité est très sérieuse, et que, sauf des cas extraordinaires
et rares, la condamnation sortira ses effets, je le répète, le nombre des
condamnations et des récidives diminuera singulièrement.
Je parle de cela à la
chambre, en homme qui, depuis 20 ans, n’a jamais cessé de faire partie de
l’administration des prisons, et que le hasard a attaché à l’administration des
prisons de catégories différentes.
Je dois ajouter une
dernière considération.
M. le ministre de la
justice dit : Je suis d’accord avec l’honorable M. Castiau en un sens :
j’admets l’isolement absolu pour les personnes détenues préventivement. Mais je
lui dirai : Vous faites les choses à rebours ; c’est précisément pour les
prévenus que je ne veux pas d’isolement absolu. Comment, vous appliquez le
maximum de la peine à des hommes qui ne sont pas condamnés.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan) - C’est un adoucissement.
M. de Brouckere. - C’est au contraire une aggravation telle que, dans
mon opinion, la peine la plus sévère serait l’isolement absolu. Vous faites les
choses à rebours, en appliquant l’isolement absolu à des prévenus, qui sont
présumés non coupables. On doit à ceux-ci le plus d’égards possible ; ne les
isolez-pas ; séparez-les par catégories ; faites une catégorie spéciale des
détenus pour dettes, qui sont ceux qui méritent le plus d’égards. Faites une
catégorie des prévenus de délits, une autre des prévenus de crimes ; et vous
aurez parfaitement divisé les individus détenus dans les maisons de justice.
Mais n’appliquez pas l’isolement aux prévenus ; car c’est appliquer la peine la
plus sévère ceux qui méritent le plus d’égards.
- La discussion générale
est continuée à demain.
FORMATION DU COMITE SECRET
- La chambre se forme en
comité secret à 3 heures trois quarts.
(Remarque du webmaster : l’objet de ce comité secret n’est pas
mentionné dans le Moniteur.)
A cinq heures moins
quelques minutes, la séance publique est reprise.
M.
le ministre des finances (M. Mercier) - Je demande que l’on fixe demain en premier lieu à
l’ordre du jour, le vote définitif du projet de loi sur le sel. Le sénat, à
cause de cette discussion a renvoyé à mardi la discussion du budget des voies
et moyens.
- Cette proposition est
adoptée.
Sur la proposition de M. Delfosse, la chambre fixe la séance de demain à 11 heures.
La séance est levée à 5
heures.