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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 20
décembre 1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative à l’impôt sur le sel
(Desmet)
2) Projet
de loi prorogeant la loi des péages sur les canaux et rivières (Osy,
de Garcia, Rodenbach)
3)
Projet de loi relatif à l’impôt sur le sel (A : exemption du droit
(notamment pour les industries du tabac et/ou de la pêche) ; B :
lutte contre la fraude aux frontières ; C : imposition de l’eau de
mer ; D : caractère antisocial de la taxation du sel ; E :
fixation du taux de l’impôt)
a)
Discussion générale ((B, C, A) (Osy), (D, A, C, B) (Desmet), (C) (Scheyven), (D) (Eloy de Burdinne, Mercier), (Cogels), (A, C) (de Brouckere, Mercier), D (Eloy de Burdinne, Angillis), (de Mérode), (E, C, convention
commerciale avec la France, A) (Delehaye))
b)
Discussion des articles. (E, D) (Verhaegen), E (Mercier), B (Zoude), (E) (Verhaegen, Mercier), D (Delfosse), E (Osy, Mercier),
convention commerciale avec la France (Delehaye, Mercier, Delehaye), A (de Brouckere, Cogels, Mercier, Cogels, Coghen,
Osy, Zoude, Pirmez,
Desmet, Lys, Mercier,
de Mérode, Verhaegen, Vandensteen, Coghen, Verhaegen, Castiau, David, Zoude, Mast de
Vries, Lys, Mercier, Osy), C (Osy, Thienpont,
de Villegas, Henot,
Donny, Osy, (+B) (Vilain XIII, Cogels), Rodenbach)
(Moniteur belge n°355, du 21 décembre 1843)
(Présidence de M. Liedts)
M.
de Renesse fait l’appel nominal à midi
un quart.
M.
Dedecker donne lecture du procès-verbal de la
dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M.
de Renesse présente l’analyse des pièces
adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Antoine Spada,
professeur à l’athénée royal de Namur, né à Ravenne (Italie), demande la
naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la
justice.
________________________
« Le sieur Falise, fabricant de cartes à Liége, demande une protection
plus efficace pour les produits de cette industrie. »
- Renvoi à la commission
d’industrie.
« La chambre de commerce d’Alost présente des
observations contre les dispositions du projet de loi sur le sel qui limitent
la faculté de puiser l’eau de mer et soumettent cette eau à un droit d’accise
de 20 centimes par hectolitre. »
M. Desmet. - Comme
cette pétition concerne le projet de loi en discussion, je demande qu’elle soit
déposée sur le bureau.
- Le dépôt est ordonné.
M.
Osy, rapporteur. - Messieurs, la loi du 30 juin 1842, relative à la réduction des péages
sur les canaux et rivières de l’Etat, expirant au 31 décembre 1843, votre
section centrale s’est occupée pendant plusieurs réunions de cette question
importante.
La section centrale n’ayant pas
le temps nécessaire pour mûrir les propositions du gouvernement et pour vous
faire un rapport détaillé, m’a chargé de vous proposer une loi transitoire
tendant à proroger la loi du 30 juin 1842 au 20 juin 1844 ; d’ici la cette
époque, elle espère d’être à même de vous faire des propositions définitives.
M. de Garcia. - Je demande la discussion immédiate de la
proposition de la section centrale, qui demande la prorogation de la loi.
M. Rodenbach. - Le gouvernement demande que
l’on vote pour trois ans la loi sur les péages, la section centrale propose de
ne la proroger que jusqu’au 1er juin. Il est inutile de faire imprimer le
rapport, tout le monde comprend qu’il ne s’agit que d’une loi toute temporaire.
Je demande que le vote ait lieu immédiatement.
M. le président. - MM. les ministres que ce rapport concerne ne
sont pas à leurs bancs.
M.
Osy. - M.
le ministre de l’intérieur entre dans la salle.
M. le président. - La section centrale a fait un rapport sur la
loi des péages ; elle propose de la proroger jusqu’au 1er juin. La chambre
paraît disposée à voter immédiatement sur cette proposition.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je désirerais connaître les
motifs de la proposition de la section centrale. Je propose de remettre cet
objet à l’ouverture de la séance de demain, avec d’autant plus de raison, que souvent
des membres se plaignent après coup qu’il y a eu surprise.
- La discussion du rapport sur
la loi des péages est renvoyée à demain.
Discussion
générale
M.
Osy. - Messieurs,
nous assistons à un étrange spectacle. En 1842, le gouvernement avait présenté
un projet de loi sur le sel. Ce projet a été retiré par M. le ministre actuel,
car il nous a présenté un système tout à fait nouveau. Sous le ministère de M.
Duvivier, comme sous le ministère de M. d’Huart et celui de M. Smits, le
système du gouvernement était que, pour pouvoir empêcher la fraude, on
n’établirait tout au plus que deux ports d’importation.
Aujourd’hui M. le ministre des
finances propose une disposition où l’on ne détermine pas les ports
d’importation. Aujourd’hui on a créé un nouveau port de mer à Termonde. Nous ne
savons pas si M. le ministre propose également de permettre l’importation du
sel par Termonde. Les prédécesseurs de M. Mercier ont tous été d’avis qu’en
permettant l’importation dans l’intérieur, on s’exposait à donner ouverture à
la fraude. Cependant je ne m’opposerai pas a ce que des importations directes
puissent avoir lieu à Louvain, à Gand, à Bruges, à Bruxelles, si je reçois, de
la part de M. le ministre des finances, l’assurance qu’on pourra prendre des
mesures convenables pour empêcher la fraude. Mais j’avoue que si je me rappelle
l’opinion émise par trois anciens ministres et la section centrale qui a fait
un rapport au mois de mars dernier, je ne suis pas rassuré sur ce point.
Cependant je veux bien
regarder ces villes intérieures comme ports d’arrivages directs, parce que si
des navires de mer peuvent y arriver, elles trouveront là un débouché pour
divers produits de leur industrie. Je ne suis donc pas contraire à cette
disposition, mais sous la responsabilité de M. le ministre actuel et à charge
par lui de nous démontrer que tous ses prédécesseurs
avaient tort.
Un autre objet qui est
beaucoup plus important, c’est celui de l’importation de l’eau de mer. Ici
encore l’honorable M. Mercier ne se trouve pas d’accord avec l’honorable M.
Smits qui, cette année encore, était d’avis qu’on pouvait autoriser
l’importation de l’eau de mer au-dessous de trois degrés. Je ne puis mieux
combattre l’opinion de M. le ministre des finances actuel, qu’en donnant
lecture de ce que disait son prédécesseur, l’honorable M. Smits, dans l’exposé
des motifs du projet de loi qu’il a présenté en 1842 :
« Le projet de loi
présenté en 1836 soumettait l’eau de mer à un droit de 50 centimes par
hectolitre, réduit par la section centrale à 30 centimes. Cette proposition est
supprimée. L’eau de mer d’ailleurs ne procure pas un bénéfice assez important
pour que le droit dont elle serait frappée, tel minime qu’il fût, n’en prohibât
l’emploi.
« D’un autre côté, la
perception offrirait de grandes difficultés. En effet, comment constater à
Ostende, par exemple, les quantités d’eau de mer introduites dans les salines
alors qu’elle peut être puisée partout ? Il faudrait exercer une surveillance
de tous les instants, assujettir la circulation à des formalités, créer un
personnel pour cet objet ; obliger enfin le trésor à des dépenses et
l’industrie à des entraves, que ne comporte pas le mince intérêt que l’on en
retirerait. Un fait digne d’attention encore, c’est qu’à Ostende, seule
localité où l’eau de mer offre réellement des avantages, l’on ne trouve, à
l’exception de l’eau de pluie, que des eaux saumâtres, et qu’en interdisant
leur emploi, on forcerait les sauniers à faire venir leur eau d’ailleurs,
tandis qu’ils trouvent à leur porte celle que la mer y conduit.
« Ces considérations nous ont
paru déterminantes. Nous ne pensons pas que l’exemption de l’accise puisse
nuire aux sauniers de l’intérieur, puisque, dans les localités avoisinant la
mer, les frais de combustible sont nécessairement plus élevés, ce qui rétablit
l’équilibre. »
Voilà quelle est l’opinion de
l’honorable M. Smits. C’était également l’opinion de l’honorable M. d’Huart en
1836.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - M. d’Huart avait proposé de
la frapper d’un droit de 50 centimes.
M.
Osy. -
L’eau de mer en deçà de Lillo a au plus un degré.
Maintenant, si vous examinez
avec attention les amendements proposés par l’honorable M. Mercier et déposés à
la séance d’hier, vous verrez qu’il impose des formalités qu’on peut appeler
vexatoires. Je me bornerai à vous en citer une : « Au moment de puiser
l’eau de mer, le déclarant en indiquera la densité par mention expresse faite
sur cette déclaration. »
De manière qu’on devra faire
la déclaration de la densité de l’eau de mer au moment où on la puise. La marée
peut être plus forte qu’on ne le suppose. Il est impossible de prescrire une
pareille déclaration. Je conçois que quand le bateau est rempli d’eau de mer on
puisse la peser et en connaître la densité, mais on ne peut faire la de
déclaration de la densité de l’eau de mer avant de l’avoir puisée. Je ne
pourrai pas donner un vote approbatif à la loi, si on ne reprend pas l’article
5 qu’avait proposé l’honorable M. Smits.
Un troisième objet sur lequel
j’appellerai l’attention de la chambre, ce sont les exemptions accordées à
certaines industries. Par la loi de 1822, le gouvernement s’était réservé la
faculté d’accorder, par règlement administratif, des exemptions de droit sur le
sel. Aujourd’hui M. le ministre ne veut plus accorder d’exemptions que pour la
pêche et pour les produits chimiques.
Dans le tableau qui est
imprimé au Moniteur, nous voyons la
somme des exemptions données aux diverses industries, mais nous ne voyons pas
le chiffre des exemptions accordées pour la pêche ; M. le ministre pourrait
nous le faire connaître. Les exemptions accordées à 360 fabriques, s’élèvent à
3,333,000 kil. M. le ministre propose de retirer les
exemptions à toutes ces fabriques, à l’exception des établissements de produits
chimiques. Eh bien, sur ces 3,333,000 kil., les huit
établissements de produits chimiques qui existent dans le pays, figurent pour
2,595,0000, de sorte que les 332 fabriques auxquelles on veut supprimer
l’exemption n’en jouissent que pour 7 à 800 mille kil. Et pour si peu de chose,
vous allez porter préjudice à une foule d’industries, les tanneries, les
papeteries, les fabricants de tabac, les savonneries, l’engrais des terres, la
nourriture des bestiaux, les poteries, les faïenceries. Celle qui en emporte la
plus grande part est la fabrication de tabacs, qui jouit de l’exemption pour
191,000 kil., qui se partagent entre 94 fabricants.
Je ne parlerai de la mesure
proposée que sur la fabrication des tabacs. Déjà nous avons sur le tabac un
impôt plus élevé que nos rivaux les Hollandais ; ils sont de plus exempts du
droit sur le sel qu’ils emploient dans la fabrication, comment pourrons-nous
lutter avec nos voisins pour l’exportation ? La fabrication des tabacs est une
des industries qui ont prospéré dans notre pays. Avant, tous nos tabacs nous
venaient de
Je ne pourrai donc pas me rallier à l’amendement de M. le ministre des
finances ; car il tend à conserver l’exemption pour les grands et la biffer
pour les petits. C’est toujours ce système qui consiste à ménager les grands et
à frapper les petits.
Ainsi, je propose de
retrancher l’article et de conserver ce qui se trouve dans la loi de 1822. Si
donc on adopte l’art. 5 qui supprime un grand nombre
d’exemptions, je ne pourrai donner mon vote approbatif à la loi.
Pour le débarquement à l’intérieur,
je ne m’y oppose pas, mais en laissant à M. le ministre des finances la
responsabilité de la possibilité de fraude ; car, je me suis nullement rassuré
à cet égard.
M. Desmet. - Je ne ferai pas d’observations spéciales,
concernant l’art. 5, relatif à l’usage de l’eau de mer. Je me bornerai à une
observation générale.
Quand on considère combien est
exorbitant l’impôt sur le sel, puisqu’il est de 5 fois la valeur de l’objet
imposé, puisqu’il est de 500 p. c., on ne peut contester
que cet objet ne doive être pris en considération. La valeur réelle du sel
n’est que de 4 fr.. et
l’impôt sur le sel s’élève jusqu’à 18 fr. Qui paie cet impôt ? Les gens les
plus pauvres, qui en ont besoin, qui ne peuvent vivre sans sel, qui en ont
besoin pour manger leurs pommes de terre. Je fais cette remarque, parce que le
sel étant imposé, quoiqu’il soit pour la classe pauvre une matière première,
une matière de première nécessité, il ne doit y avoir pour personne, ni
privilège, ni exemption.
Quelles sont aujourd’hui les
vues de la loi actuelle ? J’en vois trois : c’est d’abord l’exercice tracassier
qui ne donne pas de garanties, et qui donne, au contraire, des moyens de
fraude, parce que l’exercice est trop compliqué.
Une preuve qu’il y a fraude,
c’est que dans tel et tel endroit, dans telle et telle saunerie, on livre le
sel raffiné à meilleur marché que ne coûte le sel brut avec le droit et les
frais de fabrication.
Le second vice, c’est
l’exemption. Je crois que les exemptions donnent beaucoup de prise aux
privilèges. Le projet de loi consacre encore deux exemptions : celle pour la
pêche, pour la salaison des poissons, et celle pour la fabrication des produits
chimiques.
Lorsqu’on n’exempte pas du
droit le pauvre, pour qui le sel est, si je puis m’exprimer ainsi, une première
matière première, quoique je désire beaucoup protéger la pêche nationale, je
dois cependant la comprendre la suppression dans l’exemption. Si l’on veut
protéger davantage la grande pêche, qu’on augmente la prime ; mais qu’on
n’exempte pas du droit le pêcheur, de préférence au pauvre qui a besoin de sel.
On demande aussi l’exemption
du droit sur le sel employé à la fabrication de la soude ; mais la soude est
employée en grande partie à la fabrication de la glace. C’est assurément un
objet somptuaire, employé par le riche. Je le répète, le pauvre, qui a besoin
de sel pour manger ses pommes de terre, doit payer le droit. Dès lors, le riche
doit, à plus forte raison, payer le droit sur le sel employé pour lui faire
manger de la glace.
Je demande la suppression de
toutes les exemptions, de tous les privilèges. Quand l’impôt du sel pèse sur la
classe indigente, il ne doit faire l’objet d’aucun privilège. Nous devons subir
cet impôt ; mais lorsqu’il atteint le pauvre, le riche ne doit pas y échapper.
Je crois que le troisième vice
est l’abus que l’on ferait de l’usage de l’eau de mer. Je n’entrerai pas dans
cette discussion. J’y viendrai, quand on discutera l’amendement de l’honorable
ministre des finances et l’art. 5. Mais je dois faire observer que les abus
auxquels donne lieu l’usage de l’eau de mer sont connus ; il y a des
procès-verbaux qui les constatent ; on a vu de l’eau de mer mêlée au sel de
roche. Quand on considère que vous imposez l’eau de mer à 3 degrés à 20 c.
l’hectolitre, quand on voit que la saumure à 25 degrés donne 35 kilog. de sel, on peut très bien
dire que l’eau ayant trois degrés donne 4 kilog. On
peut donc établir sur l’eau de mer un droit de 5 centimes, quand il y a un
droit de 18 centimes sur le sel de roche.
Mais ce n’est pas seulement
pour cela qu’il faut imposer l’eau de mer ; c’est parce qu’alors il y aura
exercice, et qu’on pourra voir s’il y a fraude au moyen de l’eau de mer. Je
crois donc qu’il n’y a aucun inconvénient à imposer l’eau de mer, surtout au
taux modéré qui est proposé.
Je vois que l’on veut à
présent laisser débarquer le sel dans l’intérieur, Je ne suis pas contraire à
cette proposition ; car il faut que tout le monde ait des avantages. Mais
croit-on qu’il n’y aura pas de fraude ? Je n’oserais pas le dire. Mon opinion a
toujours été qu’il ne devrait y avoir qu’un port pour le débarquement du sel,
celui d’Ostende. Cependant, puisqu’on veut modifier la loi sous ce rapport, il
faudra bien subir d’autres ports. Mais je demanderai à M. le ministre des
finances, lorsqu’il autorise le débarquement du sel à Bruxelles, à Louvain, et
par le canal de Termonde à Gand, pourquoi il n’en autorise pas le débarquement
à Termonde S’il n’y a pas d’inconvénient à laisser débarquer le sel dans
plusieurs villes de l’intérieur, pourquoi ne pas le laisser débarquer aussi à
Termonde, Alost, etc., etc., afin que le transport du sel soit moins coûteux
pour le sel.
Aujourd’hui qu’il y a un
entrepôt à Termonde, je crois qu’on pourrait y autoriser le débarquement du
sel. Je n’y verrais pas d’inconvénient.
J’ai dit que la fraude était extrêmement facile. Je le prouverai par un
exemple. Sous le régime français, un bâtiment venant de la mer se dirigeait
vers Termonde. On vint éveiller la nuit le maire de la commune de Bosterhout, village à une lieue de Termonde ; on lui dit
que le bâtiment était en péril, qu’il était échoué. Le maire s’y rendit, dressa
procès-verbal, reconnut que le navire était réellement en péril. On crut le sel
perdu. Ce n’est que quelques années après que l’on apprit par un des hommes de
l’équipage que la totalité du sel était débarquée.
Quoi qu’il en soit, je ne veux
pas m’opposer au débarquement du sel à l’intérieur. Mais je désire que
l’exercice se fasse aussi bien que possible ; car il sera difficile d’échapper
toujours à la fraude. Je crois que les meilleurs moyens pour l’empêcher sont
l’exercice continuel et la circulation avec documents. Mais je pense que du
moment qu’on autorise le débarquement du sel dans les grandes villes, il n’y a
pas d’inconvénient à le laisser aussi débarquer à Termonde.
M. Scheyven. - Après tout ce qui a été dit à la séance d’hier et ce que nous avons
entendu à la séance de ce jour sur la question de savoir s’il convient d’imposer
l’eau de mer, je serai très court. Je ne dirai que peu de mots pour motiver mon
vote.
Le motif principal que l’on a
donné pour frapper d’un droit l’eau de mer, c’est qu’on croit voir une cause de
fraude et un grand bénéfice dans l’emploi de cette matière : Si ce fait est
vrai, il ne faut point se borner à la frapper d’un droit et d’un droit
exorbitant, il faut la prohiber entièrement. Cette mesure aurait au moins
l’avantage de la franchise, et ne serait pas plus funeste que la première, qui
produirait le même résultat.
On a dit que plusieurs
sauniers qui n’étaient pas dans la position à pouvoir se servir de l’eau de mer
ont fermé leur usine, et on en donne pour cause, qu’ils ne pouvaient lutter
avec ceux qui se trouvent à proximité de la côte, c’est là une erreur que déjà
l’honorable M. Donny a détruite hier en vous signalant que dans les villes
voisines de la mer et qui avaient l’avantage de se servir de cette eau,
plusieurs sauniers ont cessé leurs travaux. Si donc il y avait un si grand
avantage pour ceux-ci, comment s’expliquer ces derniers faits ? Comment
concevoir encore qu’à Bruxelles, où il existe six salines, il n’y en a que deux
qui emploient l’eau de mer, que cependant ils peuvent faire chercher à Anvers ;
si l’usage de l’eau de mer était si favorable, pourquoi ne s’en serviraient-ils
pas tous ? Cela seul me semble prouver suffisamment l’erreur de ceux qui
croient que la lutte n’est pas égale, et qu’il y a grand avantage pour ceux qui
sont dans la position de pouvoir employer cette matière.
Je crois que la véritable
cause, pour laquelle plusieurs salines sont fermées, est que l’on produisait
plus que ce qui était nécessaire à la consommation et que dès lors la
conséquence inévitable était la fermeture de quelques usines. Il en a été de
cette industrie comme de beaucoup d’autres. Du moment que la production excède
notablement la consommation, le nombre doit en diminuer. Si la position de ceux
qui font usage de l’eau de mer était si favorable, comment se fait-il que le
nombre n’en est pas augmenté, et que ceux qui ne l’emploient point aient pu
continuer à exister jusqu’à ce jour ?
Quant à moi, je ne pense point
qu’il y ait un avantage à employer l’eau de mer, tel que l’on puisse la
soumettre à un droit ; cette opinion, M. Smits, prédécesseur de M. le ministre
des finances actuel, l’a déjà émise dans l’exposé des motifs. « L’eau de
mer, y est-il dit, ne procure pas un bénéfice assez important, pour que le
droit dont elle serait frappée, tel minime qu’il fût, n’en prohibât l’emploi. »
Ainsi, le résultat que l’on
obtiendrait en frappant l’eau de mer d’un droit quelconque, serait de priver le
pays d’une matière qui a une valeur ; ce serait nuire aux usines qui
l’emploient aujourd’hui, et ruiner un nombre considérable de bateliers qui
vivent du transport de cette eau dans l’intérieur.
S’il y a quelque bénéfice à
s’en servir, ceux qui l’emploient ont aussi un autre désavantage, celui de
payer plus cher le combustible que ceux qui se trouvent dans le voisinage des
houillères ; il n’y a donc que compensation.
Je comprendrai que si le projet de loi avait pour objet de permettre
l’érection d’établissements pour l’évaporation de l’eau de mer, que l’on
pourrait soutenir que ceux qui se trouvent à proximité de la mer ont une
position plus favorable que les autres ; mais ces établissements sont
formellement défendus par l’art. 5. L’amendement que M. le ministre des
finances a proposé, à la séance d’hier, dans le § 8 de cet article, qui défend
l’usage de l’eau de mer excepté pour la fonte du sel brut, doit, du reste,
donner tout apaisement à ceux qui croient que l’eau de mer peut encore être une
source féconde de fraude et procurer un avantage sur les autres usines. Mais
aller plus loin, la frapper d’un droit quelconque, c’est placer les sauniers
qui sont à proximité de la mer dans une position à rendre la concurrence
impossible, et anéantir leurs usines. Je ne pourrais jamais donner mon
assentiment à un semblable système ; aussi je n’hésite pas à déclarer que si la
disposition qui tend à frapper l’eau de mer d’un droit quelconque était
adoptée, je voterai contre la loi.
M. Eloy de Burdinne. - Je ne m’attendais pas à prendre la parole dans la discussion de ce
projet de loi.
Depuis longtemps, je demande
que la loi sur le sel soit rapportée. Mais ce n’est pas là ce que propose M. le
ministre des finances. Il propose d’exempter de l’impôt la salaison du poisson
et la fabrication des produits chimiques. Je vous avoue que si le ministre
proposait la suppression de l’impôt sur le sel, je serais heureux de lui prêter
mon appui ; car de tous les impôts, c’est le plus immoral, le plus injuste, le
plus impopulaire. C’est l’impôt le plus injuste ; car il ne frappe pas
également tous les habitants. Il y a un privilège pour cet impôt : c’est celui
de faire payer aux malheureux 4 fois plus d’impôt que ne payent le rentier, le
financier, l’homme, en un mot, qui se nourrit d’aliments moins communs que la
pomme de terre. Comment, messieurs, vous imposez le sel qui sert à saler la
viande que mange la classe pauvre, qui n’a pas le moyen de manger de la viande
fraîche, et vous exempteriez de l’impôt le sel qui sert à saler le poisson,
nourriture de la classe aisée. Eh bien, n’est-ce pas là une injustice
révoltante !
Exempterez-vous de l’impôt le
cultivateur qui sale ses terres ?
Exemptez-vous de l’impôt sur
le sel celui qui s’en sert pour préparer son grain destiné à la reproduction ?
Oui, me dira-t-on ; la loi accorde l’exemption sur le sel pour l’agriculture.
Mais, messieurs, les dispositions de la loi sont telles que les cultivateurs,
pour éviter de se déplacer, n’en réclament pas le bénéfice ; on entoure cette
exemption de trop de formalités, et d’ailleurs les campagnards en général ne
connaissent pas cette exemption ni les moyens de s’affranchir du droit.
Messieurs, croyez-moi,
diminuez l’impôt sur le sel de moitié et n’accordez l’exemption à aucune espèce
d’industrie. Percevez un droit très léger sur le sel provenant de l’eau de mer,
par le motif que l’eau de mer peut se prendre chez nous et qu’on ne doit pas
aller la chercher à l’étranger.
En diminuant de moitié l’impôt
sur le sel, on me dira qu’on réduit les ressources du trésor. Mais vous avez
des moyens d’augmenter les ressources du trésor, sans frapper des impôts sur la
classe malheureuse. Imposez, comme je vous le disais dans une séance
précédente, la consommation du sucre a raison de 25
centimes par kilog. en plus
que l’impôt qui pèse sur cette denrée, et vous aurez de ce chef trois millions
de revenus de plus que vous n’en recevez. Imposez à raison de 25 centimes le kilog. de tabac. On consomme
annuellement 12 millions de kilog. de tabac en
Belgique ; à raison de 25 centimes par kilog., vous obtiendrez encore 3 millions de revenus. Voilà donc
une augmentation de ressources de 6 millions. Sacrifiez 2 millions de l’impôt
sur le sel, vous aurez un avantage net pour le trésor de 4 millions.
En résumé, messieurs, je répète ce que l’ai déjà dit plusieurs fois dans
cette enceinte, je ne pourrai jamais donner mon assentiment à des propositions
qui auraient pour but de perpétuer un impôt que je considère comme immoral,
comme odieux, et qui devrait disparaître de notre système financier ; d’autant
plus que je vous donne le moyen de réparer les pertes que vous feriez par
l’abolition ou la réduction de l’impôt sur le sel.
Si donc M. le ministre des
finances voulait consentir à réduire d’abord l’impôt sur le sel de moitié, je
donnerais mon assentiment à ses propositions ; sinon, quoi qu’il arrive, je
déclare devoir en conscience voter contre le projet.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je crois devoir faire
observer à l’honorable membre qu’il ne s’agit pas dans ce moment du droit sur
le sel ; il s’agit simplement de modifier le régime de la loi. Quant au droit
sur le sel, l’honorable membre l’a voté dans la loi des voies et moyens.
Si donc l’honorable membre se
prononce contre le projet par les motifs qu’il a donnés, il arrivera qu’il
repoussera des dispositions qu’il considérerait peut-être comme très bonnes et
l’impôt sur le sel n’en existera pas moins.
Ce n’est pas que je veuille méconnaître toutes les observations de
l’honorable membre. Certes, il est peut-être fâcheux d’être obligé d’avoir
recours à des impôts de cette nature, mais, d’un autre côté, que l’honorable
membre veuille bien prendre en considération les besoins du trésor qui doit
faire face à toutes les dépenses de l’Etat ; qu’il fasse attention que, dans ce
moment, nous n’avons pas encore de ressources suffisantes ; qu’il remarque, je
le répète, qu’il s’agit uniquement d’apporter des améliorations au régime de la
loi sur le sel, et que, si elle est rejetée, le droit ne continuera pas moins à
être perçu, mais avec un système moins bon que celui que nous proposons
d’établir.
Je fais ces observations,
parce que je vois qu’il y a de la confusion dans la discussion, Tout à l’heure
l’honorable M. Osy vous disait encore que je voulais, par mes nouvelles
propositions, supprimer certaines exemptions. Or, je n’ai rien changé, quant
aux exemptions, au projet qui vous a été proposé il y a un an.
M. Cogels. - Messieurs, la discussion générale a porté sur
les articles 4, 5 et 6 du projet ; c’est également sur ces articles que
j’aurais des observations à faire, mais je pense que la discussion serait beaucoup
plus claire, si je présentais mes observations à chacun de ces articles. Si
donc la chambre voulait clore la discussion générale, je renoncerais à la
parole, pour le moment.
M. de Brouckere. - Messieurs, l’honorable M. Eloy de Burdinne
vient de s’élever coutre l’impôt sur le sel, et, à cette occasion, il vous a
dit qu’il vaudrait beaucoup mieux diminuer l’impôt sur le sel et augmenter
l’impôt sur le tabac.
Messieurs, je suis tout
disposé, quant à moi, à voter les majorations d’impôt qui seront présentées par
le gouvernement, parce que je suis de ceux qui pensent qu’il est plus que temps
d’augmenter nos ressources financières. J’irai même beaucoup plus loin, à cet
égard, que M. le ministre des finances, et je compte m’en expliquer à une
prochaine occasion.
C’est donc à tort, je me
permettrai de le dire en passant, que l’honorable M. Mercier a cru, lorsque
hier nous demandions qu’on donnât la priorité à la discussion du budget de la
justice, que nous faisions cette proposition, parce que nous avions quelque
répugnance à voter les majorations d’impôt. Pour ma part, je déclare que je
n’en ai aucune ; je ne veux pas acheter la popularité en compromettant l’avenir
de mon pays. Je regarde la position de nos finances comme telle qu’il est de la
plus grande urgence d’augmenter nos ressources financières.
Je suis donc tout disposé, je
le répète, à voter les majorations que l’on demande à la loi sur le sel, et
lorsque le moment viendra de discuter la question de savoir s’il faut augmenter
l’impôt sur le tabac, je m’expliquerai à cet égard ; mais il me paraît que ce
n’est pas le moment d’agiter cette question ; nous nous occupons du sel et non
de l’industrie des tabacs.
Cependant, comme l’honorable
M. Eloy de Burdinne nous en a parlé, je dirai que je trouve souverainement
injuste, alors que vous voulez accorder une faveur à certaines industries, et,
entre autres, à celle de la fabrication de la soude, que vous n’accordiez pas
la même faveur aux fabricants de tabac, et je proposerai un amendement que je
déposerai dès maintenant sur le bureau et par lequel j’assimile la fabrication
de tabac à la fabrication des produits chimiques.
Je dis que vous ne pouvez pas
faire pour une industrie ce que vous ne faites pas pour l’autre. Si vous
rejetez la faveur que l’on demande pour les fabriques chimiques, je retirerai
mon amendement ; mais si la proposition de M. le ministre des finances, en ce
qui concerne les produits chimiques est adoptée, j’insisterai pour qu’on étende
l’exemption aux fabricants de tabac.
Messieurs, l’industrie des
tabacs mérite quelques égards. L’honorable M. Eloy de Burdinne lui-même vous
l’a dit : il entre en Belgique des tabacs pour une somme énorme, et je crois
que c’est se placer au-dessous de la réalité, que de fixer cette somme à 15,000,000 de francs ; une très grande partie de ces tabacs
est destinée à l’exportation. J’ai donc raison de dire que cette industrie
mérite des égards. Mais, je le répète, ennemi des privilèges, je n’en demande
pas pour cette industrie, si vous n’en accordez pas pour d’autres.
Messieurs, puisque j’ai la
parole, je présenterai quelques observations fort
courtes relativement à l’impôt dont on veut frapper l’eau de mer.
En frappant l’eau de mer d’un
impôt, le gouvernement n’a pas, je crois, l’intention d’établir une disposition
qui soit grandement favorable au trésor public. Cet impôt ne produira rien.
Quel est donc le but qu’on se
propose ? C’est de faire taire quelques réclamations contre ceux qui, par leur
position, peuvent profiter de l’avantage de se servir de l’eau de mer,
c’est-à-dire contre ceux qui habitaient soit les bords de la mer, soit les
bords d’une rivière où l’eau est plus ou moins salée. Et quand je dis qui habitent les bords de cette rivière, je me trompe, l’eau de
mer est transportée à une assez grande distance, et l’on en a fait même usage à
Bruxelles.
Ainsi, le but évident de la
disposition proposée par le gouvernement, c’est d’empêcher certains habitants
du pays de profiter d’un avantage qui leur est donné par la nature ; et pourquoi
? parce que tous les habitants ne jouissent pas du
même avantage.
Vous me permettrez, messieurs,
de vous dire que, selon moi, c’est une singulière manière de raisonner et
d’entendre la justice distributive.
A suivre un pareil
raisonnement, savez-vous où vous arriveriez ?
Il y a plusieurs localités où
l’on a des hauts fourneaux ? il faudra que vous
fassiez une distinction, par exemple, entre les hauts fourneaux situés près des
houillères et ceux qui en sont éloignés. Il faudra que vous disiez : vous, propriétaire
d’un haut-fourneau, très avantageusement situé, il faut que je vous frappe d’un
impôt, car sinon les propriétaires des hauts-fourneaux moins bien situés ne
pourront pas soutenir la concurrence contre vous.
Il vous faudra aller plus
loin.
La houille est devenue
aujourd’hui, entre toutes les choses qu’on emploie dans les fabriques, la chose
qui coûte le plus cher par l’usage fréquent qu’on en fait. Eh bien, il faudra
que vous établissiez une sorte d’échelle et que vous disiez à tous les
fabricants du pays, que vous les traiterez d’autant plus mal qu’ils sont plus
rapprochés d’un charbonnage ; car celui qui est plus près d’une houillère paie
le combustible moins cher que celui qui en est plus éloigné, parce qu’il a
moins de frais de transport à payer.
Voulez-vous, messieurs que je
vous cite encore d’autres exemples ? Eh bien, il est reconnu que l’eau de
certaines rivières est plus favorable à la fabrication de la bière que l’eau
d’autres rivières, il faudra donc que, pour les brasseries situées dans des
localités où l’eau est la plus favorable à la fabrication de la bière, vous
établissiez un impôt spécial ; car les brasseurs de ces villes-là étant
favorisés par la nature, il est très difficile aux autres brasseurs de soutenir
la concurrence.
Si je le voulais, messieurs,
je multiplierais ces exemples à l’infini. J’en tire cette conséquence, qu’il ne
faut pas de ces rivalités dans un même pays ; laissez chacun jouir des
avantages que la nation lui a donnés. Vouloir priver les habitants de quelques
localités de certains avantages que d’autres n’ont
pas, c’est vouloir porter préjudice à la prospérité publique.
Mais, dira-t-on, vous
reconnaissez vous-mêmes que cet impôt est si minime, pourquoi donc vous y
opposer ? Pourquoi je m’y oppose ? Mais ce n’est pas à cause des quelques
centimes que l’on payera lorsqu’on ira chercher de l’eau de mer ou de l’eau
salée quelconque ; c’est parce que cette disposition nécessite une quantité de
formalités souvent très difficiles à remplir, parce qu’elle donnera lieu à une
quantité de tracasseries, parce qu’elle forcera les personnes qui, aujourd’hui,
se servent de l’eau salée, à y renoncer, bien moins à cause du minime impôt
dont vous la frappez, et qui ne produira rien au trésor public, que pour se
soustraire à toutes les formalités si désagréables et si difficiles à remplir,
pour se soustraire à toutes les tracasseries qui résulteront de la disposition.
Je dis, messieurs, que les formalités dont il s’agit, seront difficiles à
remplir ; en effet, il sera très difficile à celui qui envoie un bateau
chercher de l’eau de mer, de faire sa déclaration de manière à éviter toute
espèce de poursuite.
En résumé, messieurs, je suis disposé à voter toutes les majorations
d’impôt proposées et qui devront apporter de nouvelles ressources au trésor,
parce que le trésor a un besoin urgent de ressources nouvelles. Je voterai
donc, en général, les propositions qu M. le ministre
des finances nous soumet relativement au sel, mais, je le répète, point
d’exemptions, ou bien justice pour tout le monde, et vous ferez pour les
fabricants de tabac ce que vous faites pour les fabricants de produits
chimiques. Enfin, il me sera difficile, à moins que M. le ministre des finances
ne me donne de bonnes raisons à l’appui de sa proposition, il me sera difficile
de consentir à imposer l’eau salée, car je considère cette disposition comme
injuste et tracassière et comme ne pouvant donner aucun avantage au trésor
public.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, la loi que nous
discutons tend, sous deux rapports seulement, à augmenter les revenus de l’Etat
; d’abord, en établissant un impôt sur l’eau de mer, ensuite en supprimant
certaines exemptions. On vous dit que ce n’est pas une loi d’impôt, attendu
qu’il ne s’agit que de modifier le régime actuellement en vigueur ; eh bien, je
crois que s’il ne s’agissait que de modifier ce régime, la loi serait
probablement déjà votée. Toutes les objections que nous avons entendues jusqu’à
présent portent précisément sur les deux mesures qui doivent profiter au
trésor.
Qu’il me soit permis,
messieurs, de faire une observation : Je ne doute nullement de la sincérité des
paroles de l’honorable préopinant, mais, en général, on se montre assez disposé
en principe à voter de nouvelles ressources pour combler le déficit du trésor ;
mais lorsqu’une fois les impôts sont proposés, ils sont toujours défectueux, et
l’on trouve des raisons de les repousser par son vote.
Quant
aux exceptions, l’honorable membre n’a pas fait attention qu’il y a une différence
énorme entre la pêche nationale et les fabriques de sulfate de soude, d’une
part, et les autres industries qui ont joui jusqu’ici de l’exemption. Pour les
deux industries en faveur desquelles nous conservons l’exemption, le sel est un
élément principal, le droit dont ces industries seraient frappées s’élèverait à
un chiffre énorme si l’exemption ne leur était pas accordée, et il leur
deviendrait impossible de soutenir la concurrence étrangère. Quant aux autres
industries, comme les fabriques de tabacs, par exemple, dont l’honorable membre
a pris à cœur la défense, alors même qu’il n’y aurait point d’abus (et nous
sommes convaincus que l’abus existe), il y aurait encore une raison suffisante
pour ne point leur accorder l’exemption, c’est que l’avantage qui en résulte
pour elles est tout à fait insignifiant ; ainsi l’exemption dont les fabricants
de tabac ont joui jusqu’ici, réduit le prix de leurs produits d’un à un
demi-centime, à peu près, par kilogramme ; pour d’autres industries la faveur
de l’exemption se réduit aussi à très peu de chose.
Messieurs, j’avais cru pouvoir
attendre la discussion de l’article 5 pour répondre aux objections qui ont été
faites contre les dispositions relatives à l’eau de mer ; la discussion ayant
continué sur ce point, je ne puis plus garder le silence ; on nous a dit : Mais
il faudrait aussi prendre en considération les avantages dont jouissent
certaines industries, alors, par exemple, qu’elles se trouvent plus près des
endroits où l’on extrait la houille dont elles font usage et que, par
conséquent, elles obtiennent le combustible à des prix moins élevés. Messieurs,
ce n’est pas uniquement la considération des grands avantages dont peuvent
jouir les raffineurs qui emploient l’eau de mer, qui m’a porté à me rallier à
l’amendement de la section centrale, que j’ai toutefois modifié d’une manière
favorable aux raffineurs qui se trouvent dans ce cas ; un motif plus puissant a
concouru à me déterminer à soutenir cette proposition. Il y a, messieurs, une
immense différence entre le combustible dont on se sert dans beaucoup
d’industries, et l’eau de mer qu’emploient certains raffineurs ; il s’agit ici
de la substance même sur laquelle l’impôt est assis ; « l’eau de mer, nous
dit-on, est un produit naturel. »
Mais, messieurs, le sel est
aussi un produit naturel, nous pourrions découvrir des mines de sel dans le
pays ; faudrait-il pour cela exempter le sel de tout impôt ? L’eau de mer
renferme du sel ; nous frappons le sel d’un droit d’accise, il n’y a point de raison pour exempter de l’impôt le sel se trouva
dans l’eau de mer, plutôt que tout autre sel. Ce serait là d’ailleurs,
messieurs, sous le point de vue économique, une absurdité dont il est facile de
se convaincre. En effet, l’honorable M. Mast de Vries nous a dit que les navires
qui vont chercher l’eau de mer contiennent de 250 à 300 hectolitres ; le
transport d’un semblable navire coûte 50 francs, il résulte de là, d’après des
calculs que j’ai faits et dont la chambre me dispensera de donner ici les
détails, que le sel provenant de l’eau de mer revient à 17 fr., tandis que le
sel brut ordinaire ne nous coûte que 4 fr. Ne serait-il pas absurde, ne
serait-il pas contraire à l’intérêt général d’encourager, par des faveurs
légales, nos raffineurs à acheter 17 fr. ce qu’ils peuvent obtenir à 4 fr. ; et
cela au détriment du consommateur qui paie l’impôt ; car remarquez-le bien,
messieurs, la différence entre 17 et 4 fr. est nécessairement à la charge du
contribuable.
C’est là, messieurs, la raison
principale qui m’a porté à me rallier au principe de l’amendement de la section
centrale. Je dis, messieurs, que c’est la raison principale ; en effet, il en
est d’autres, notamment la fraude commise à l’importation de l’eau de mer et
par l’évaporation de cette eau.
Mon but, j’en conviens, est de restreindre l’usage de l’eau de mer, dans
l’intérêt du trésor public. Je n’avais pas cru, je l’avoue, que la proposition
si modérée que j’ai faite à cet égard, aurait rencontré une opposition aussi
prononcée de la part de quelques membres. Je crois que les honorables orateurs
qui combattent ma proposition, se reportent toujours à la disposition présentée
antérieurement ; ils perdent sans doute de vue que le droit ne sera pas payé la
plupart du temps, c’est-à-dire, lorsque l’eau de mer n’aura pas un degré de
densité.
Je le répète, messieurs, le
motif principal de ma proposition est une considération économique qui se lie à
l’intérêt du trésor. J’ai pensé qu’il serait exorbitant, injuste, d’accorder
une prime au dépens du contribuable, à ceux qui, à l’aide des deniers du
contribuable, achètent 17 fr. ce qu’ils peuvent se procurer à 4 fr.
M. Eloy de Burdinne. - Je suis d’accord avec l’honorable M. de Brouckere, que notre
position financière a besoin d’être améliorée, et je serais le premier à voter
des impôts qui puissent rétablir l’équilibre entre nos recettes et nos
dépenses, si ces impôts n’étaient pas d’une nature odieuse. Quand j’ai demandé
que l’on réduisît l’impôt sur le sel, j’ai proposé immédiatement un moyen non
seulement de réparer la perte qui résulterait, pour le trésor, de cette
réduction, mais de procurer au gouvernement 4 millions de francs.
M. le ministre des finances a
dit que j’avais voté le budget des voies et moyens ; c’est là une erreur,
messieurs, lorsque le budget des voies et moyens a été soumis au vote de la
chambre, je me suis abstenu de répondre à l’appel nominal, parce que je ne veux
pas que l’on puisse jamais me reprocher d’avoir approuvé une loi qui consacre
des privilèges, comme le fait le budget des voies et moyens, en ce qui concerné
l’impôt sur le sel. Ces privilèges, on veut aujourd’hui les maintenir en faveur
de deux industries. Mais je vous le demande, messieurs, est-il juste d’accorder
l’exemption du droit à celui qui mange de la morue, des harengs et d’autres
poissons, alors que vous frappez le sel dont le malheureux assaisonne ses
pommes de terre, afin d’éviter des maladies, afin de pouvoir digérer cette
nourriture grossière
On vient de réclamer l’exemption
pour le sel employé à la fabrication du tabac ; je pense qu’il serait beaucoup
plus juste d’accorder l’exemption pour le sel employé à la salaison de la
viande. Vous savez, messieurs, quelle est la classe de la société qui sale la
viande pour la conserver.
C’est celui qui n’a pas de
moyens de s’en procurer de la fraîche ; c’est celui qui n’achète qu’un morceau
de lard pour en manger quelques onces par semaine.
Je ne passerai pas en revue toutes les industries qui pourraient
réclamer une exemption de l’impôt sur le sel. Cela me mènerait trop loin. Mais
si vous accordez cette exemption à une industrie, il faut l’accorder à toutes.
Sinon, vous avez deux poids et deux mesures, vous faites une chose inique, vous
violez la constitution. Je ne consentirais, en aucun cas, à augmenter les
impôts, si ce n’est sur les objets qui sont principalement consommés par la
classe aisée. Je me verrai donc forcé de voter contre la loi.
M. Angillis. - Messieurs, l’honorable M. Eloy de Burdinne a
dit que l’impôt sur le sel était un impôt odieux ; parce que cet impôt frappait
spécialement la classe pauvre. Quant à moi, je désire aussi qu’on puisse
procurer à la classe ouvrière une vie plus douce et plus heureuse. Cette classe
a également toute ma sympathie. Mais je ne crois pas qu’en abolissant la taxe
sur le sel, ou puisse procurer un grand avantage à cette classe malheureuse.
La nature prodigue avec
abondance cette matière imposable dont ceux qui se livrent à cette exploitation
facile retirent des produits presque sans frais. Cette denrée est d’un usage
presque général. La taxe qu’on impose à la nation tout entière se répartit
d’une manière peu sensible sur chacun des contribuables. Le prix du sel ne
dépasse pas les facultés des contribuables. Cette source du revenu public
n’enlève pas un aliment nécessaire à la nourriture du pauvre.
Messieurs, est-ce bien le moment d’abolir une taxe qui rapporte des
produits au trésor, alors que nous sommes en présence d’un déficit ? Faut-il
abolir une taxe qui pèse sur un objet très imposable.
Voilà les seules observations
générales que j’ai à présenter maintenant. Je verrai ce que j’aurai à dire lors
de la discussion des articles. (Aux voix
! aux voix !)
M. de Mérode. - Je demande la parole. Je n’ai que quelques mots
à dire dans la discussion générale.
- La clôture, étant demandée
par plus de 10 membres, est mise aux voix.
L’épreuve est douteuse ; la
discussion continue, la parole est à M. de Mérode.
M. de Mérode. - J’ai à présenter une observation générale,
c’est que si chacun veut rejeter le projet, uniquement parce que tel ou tel
article lui déplaît, il est évident qu’aucun projet ne passera. Ainsi,
l’honorable M. de Brouckere dit que si on impose l’eau de mer, il s’opposera à
la loi. L’honorable M. Eloy a un projet grandiose sur le tapis, et il dit que
si son projet n’est pas préféré, il rejettera la loi. Je reconnais avec M. Eloy
de Burdinne que son projet peut procurer une ressource considérable au trésor ;
mais en y ajoutant l’impôt sur le sel, nous arriverons à peine à établir
l’équilibre entre nos recettes et nos dépenses.
Il est évident que si chacun
de nous ne fait pas le sacrifice d’une partie de son opinion, nous ne
parviendrons à voter aucun projet de loi, et le trésor public continuera de se
trouver dans la position fâcheuse où il se trouve. Nous serons toujours en
déficit. Quant à moi, je suis disposé à voter tous les impôts qui me paraîtront
indispensables pour amener l’équilibre entre les recettes et les dépenses, et
je crois qu’en agissant de cette manière, je serai plus utile à mes concitoyens
qu’en rejetant les ressources qu’on demande pour le trésor.
M. le président. - La parole est à M. Vilain XIIII.
M. Vilain XIIII. - M. le président, je prendrai la parole sur
l’art. 5.
M. Delehaye. - Messieurs, je rectifierai d’abord une légère
erreur que j’ai commise hier, et qui, au reste, change peu les calculs que
j’avais adoptés. J’avais dit que l’on avait retiré la faveur de 6 p. c. de
déchet qu’on accordait aux sauniers, c’est 5 p. c. qu’il fallait admettre, ce
qui joint aux 37 centimes d’augmentation demandée par le projet actuel, donne pour
résultat une majoration de 1 fr. 25 c. les 100 kilog.
Comme l’a bien fait remarquer
un honorable député de Bruxelles, vouloir imposer l’eau de mer, c’est frapper
d’un droit les avantages que nous devons à la nature. Partout ailleurs on
encourage ceux qui cherchent à tirer de leur situation tout le profit possible,
c’est là ce qui constitue le principal bénéfice ; combien, nous qui employons
l’eau de mer, n’aurions-nous pas à réclamer contre les avantages qu’ont sur
nous d’autres industries ? Croit-on que nous ne serions pas également fondés à
réclamer contre les filatures, les raffineries tontes les industries qui
emploient la houille, et qui sont plus rapprochées que nous des houillères ?
Mais de pareilles réclamations seraient repoussées comme elles le mériteraient
; cependant elles seraient aussi fondées que les réclamations contre l’emploi
de l’eau de mer.
M. le ministre des finances a
répondu à cet argument, en citant les marais salants ; mais je dirai à M. le
ministre que, si des marais salants existaient en Belgique, pour être
conséquent, il faudrait donc frapper ces sauniers d’un droit d’autant plus
considérable qu’ils seraient plus rapprochés de ces marais salants.
J’appartiens à une localité où
la plupart des sauniers n’emploient pas l’eau de mer. Si j’étais guidé par un
esprit de localité, je devrais combattre l’emploi qu’on fait de l’eau de mer.
Eh bien, je viens soutenir une thèse contraire.
Alors que quelques-unes de nos
rivières, à Gand, n’étaient point infectées par les eaux provenant de certaines
usines, il y avait peu ou point de sauniers qui employaient l’eau de mer ;
ayant toutes leurs usines placées près de ces rivières, il leur était facile
d’y puiser l’eau que réclamaient leurs travaux. Mais depuis que nos eaux sont
en grande partie altérées, force a été pour quelques-uns de la chercher
ailleurs ; pour cela, ils emploient des navires construits exclusivement à cet
usage.
On conçoit que de là est
résulté pour ces sauniers un surcroît de dépenses ; ils ont voulu l’amoindrir
en remplaçant par l’eau de mer l’eau des rivières plus rapprochée, et voici
quel est pour eux l’avantage qui en résulte.
Le sel raffiné an moyen de
l’eau de mer est plus blanc, il est d’une cristallisation plus claire, plus
parfaite ; pour le sel destiné à la salaison de la viande ou du poisson, cet
avantage est nul, mais il devient plus grand pour la vente à la mesure, pour le
sel destiné à être consommé sur la table et dans les mets.
Prétendre que cette eau donne
plus de produits, c’est une complète erreur.
Mais, dit-on, l’emploi de
l’eau de mer empêche la concurrence au préjudice de ceux qui ne l’emploient
pas. Lisez, messieurs, la pétition des sauniers de Courtray, vous y verrez une
singulière contradiction. Vous y verrez d’abord que les sauniers de cette ville
connaissent peu leur état, car ils disent que la fabrication du sel leur coûte
3 fr. 50 c. par 100 kil. J’ai consulté des sauniers
d’Anvers, de Bruxelles et de Gand, et tous m’ont dit que le coût de la
fabrication du sel ne dépassait pas deux francs. Si à Courtray il est de 3 fr.
50 c., différence de 75 p. c., il est impossible pour
eux de soutenir la concurrence. Je vais vous donner un autre exemple de la
légèreté avec laquelle on a réclamé. Par pétition adressée à la chambre, les
sauniers d’Ypres sont en opposition formelle avec la chambre de commerce de
cette ville. Les premiers ont adhéré au projet de loi qui admettait l’exemption
de droit pour l’eau de mer, la chambre combat cette mesure.
Comment se, fait-il que
quelque temps après on vienne protester contre cette loi ? La première pétition
émanait des sauniers. Or, les sauniers doivent mieux connaître ce qui les
intéresse que les chambres de commerce dont les membres sont étrangers à cette
industrie. Eh bien, les sauniers d’Ypres ont demandé l’adoption du projet de
loi qui exemptait l’eau de mer du droit, tandis que la chambre de commerce
trouve dans l’emploi de l’eau de mer un moyeu de détruire l’industrie des
sauniers.
La raison est, qu’à Ypres on
n’a pas bien apprécié l’usage qu’on fait de l’eau de mer.
Je puis borner là mes
observations sur l’eau de mer.
J’appellerai l’attention de M.
le ministre sur un autre point.
Nous avons fait une convention
avec
Je terminerai par une
observation sur les exemptions. Hier, j’en ai déjà dit un mot. Messieurs,
lorsqu’une industrie est en possession exclusive d’un marché, qu’elle n’a pas à
craindre l’importation de produits similaires, qu’on lui accorde des
exemptions, ou qu’on ne lui en accorde pas, on ne change rien à sa condition.
Si une industrie du pays doit
lutter avec celle d’un autre pays, et que, par cette raison, vous lui accordiez
une exemption, vous devez accorder cette exemption à toutes les industries qui
sont dans le même cas. Par exemple, si on vous demande une exemption de droit
pour le sel employé dans la fabrication des tabacs et dans la fabrication des
produits chimiques, et que vous l’accordiez pour l’une de ces industries et pas
pour l’autre, vous commettriez une véritable injustice. N’accordez à aucune, ou
accordez à toutes ; mais alors vous ouvrez la porte à la fraude. Je vous ai dit
hier qu’un fabricant qui pendant longtemps avait joui de l’exemption pour 90
mille kil, avait été réduit à 5 mille et n’avait pas diminué sa production. Ce
fabricant a dû retirer de cela un très grand avantage. C’est à la surveillance
d’un nouvel agent qu’est due cette réduction. Si on veut empêcher la fraude, il
faut retirer les exemptions.
M. Coghen. - Je renonce à prendre la parole dans la discussion générale, me
réservant de la demander lors de la discussion des articles 4, 5 et 6, pour répondre
aux honorables députés de Bruxelles et d’Anvers.
M. de Brouckere. - Je suis également prêt à renoncer à la parole
si on veut clore la discussion, cependant j’aurais désiré répondre quelques
mots relativement à la fabrication du tabac, mais je m’en expliquerai quand
nous en serons à l’art. 4.
M. Rodenbach. - Je renonce aussi à la
parole, mais je me réserve de parler sur l’art. 5.
- La discussion générale est
close.
Article premier
« Art. 1er. § 1er.
Indépendamment des droits de douanes établis par les tarifs en vigueur, le sel
brut est assujetti à un droit d’accise, qui est dû à l’importation en raison
des quantités importées.
« § 2. Le droit d’accise
est fixé à 18 francs par
M. Verhaegen. - Je combats l’article 1er et le principe qui lui
sert de base, par les raisons que j’ai eu l’honneur de développer dans la
discussion du budget des voies et moyens.
Il est aujourd’hui démontré
qu’il y a réellement augmentation de droits pour le présent, et craintes
fondées d’augmentations nouvelles pour l’avenir. Il y a augmentation de droits,
l’honorable M. Delehaye l’a démontré à la dernière évidence, puisqu’en
retranchant les 5 p. c. qui étaient autrefois accordés pour déchet, les droits
sont augmentés jusqu’à due concurrence ; il y a en outre une différence quant à
la fraction des centimes additionnels, qu’on fait figurer maintenant comme principal
; et par suite l’augmentation totale peut, sans exagérer, être évaluée à 6 p.
c. ; ensuite la conduite du gouvernement inspire des craintes pour l’avenir,
car en faisant disparaître les centimes additionnels, pour les faire figurer
comme principal, il se réserve de grever dans deux ou trois ans ce nouveau
principal de nouveaux centimes additionnels, alors qu’il aura besoin de se
créer des ressources nouvelles.
En temps et lieu, nous aurons
recours au Moniteur pour rappeler
cette conduite au gouvernement, et c’est là surtout le but de mon observation
actuelle.
Messieurs, quant à moi, je
n’admettrai aucune augmentation de droits sur le sel, car je considère cet
impôt comme le plus odieux de tons les impôts de consommation ; je, voudrais
même de voir disparaître entièrement. Aussi si l’art. 1er n’est pas modifié, je
voterai contre l’ensemble de la loi.
C’est ici le moment de
répondre à une objection qui m’a déjà été faite, lors d’une précédente
discussion et qui est reproduite encore par M. de Mérode. « L’impôt sur le
sel, a-t-on dit, procure des ressources certaines au trésor ; c’est l’impôt qui
rentre le plus facilement, il frappe les masses, c’est-à-dire toutes les
classes de la société sans exception ; et par cela même, il y a égalité dans la
répartition, personne n’a donc à se plaindre, le pauvre est frappé comme le
riche, encore une fois il y a égalité parfaite. »
La réponse est excessivement
facile. Je tiens d’autant plus à la faire qu’elle s’applique à tous les impôts
de consommation. Ne nous y trompons pas, messieurs, il n’y a pas égalité dans
la répartition d’un impôt, alors qu’on ne tient pas compte de l’inégalité des
ressources de chacune des classes qui en sont frappées.
Je n’admets pas sans difficulté
aucune avec certains préopinants qu’un pauvre puisse payer un droit de 10
centimes sur un kilog. de
sel dont il ne peut pas se passer. Il lui est tout aussi difficile de payer 10
centimes qu’au riche de payer 100 francs et plus, car tout est relatif ; celui
qui a pour toute ressource 80 centimes par jour, prix de son travail, et qui
doit avec cela subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, aura cent fois
plus de peine à payer 10 centimes que celui qui, ayant 50,000 fr. de rente
aurait à en payer 100.
On aura beau équivoquer, il restera toujours vrai que de tous les
impôts, l’impôt sur le sel est le plus injuste et le plus odieux. C’est
cependant celui que l’on veut conserver, parce qu’il doit fournir des
ressources considérables au trésor ; c’est cet impôt que l’on augmente encore.
Il ne recevra pas, il ne recevra jamais mon assentiment.
Je bornerai là mes
observations, pour le moment ; elles suffisent pour justifier mon opposition à
l’ensemble du projet de loi, sauf à revenir plus tard sur les détails en
discutant les articles.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ne m’étonne pas que
l’honorable membre vote contre la loi ; mais je veux démontrer que ce ne peut
être par les motifs qu’il a allégués, et que la plupart de ces motifs sont
complètement inexacts.
L’honorable membre vous dit
qu’il y a une augmentation de 6 p.c. sur l’impôt. Voilà le principal motif de
son opposition à la loi. Vous augmentez, dit-il, un impôt qui frappe
principalement le pauvre. C’est là une erreur. Le déchet de 5 p. c. est
supprimé depuis plus d’un an. Nous ne faisons donc pas aujourd’hui cette
proposition. C’est donc à tort que l’honorable membre, en parlant du projet de
loi en discussion, indique cette suppression comme le motif de son vote contre
la loi ; c’est là une allégation qu’on ne peut admettre ; car nous ne venons
pas proposer de supprimer un déchet de 5 p. c. Nous ne proposons qu’une simple
régularisation. Il s’agit de ne plus compliquer le droit de centimes
additionnels. Nous avons porté à l’art. 1er le droit existant aujourd’hui, y
compris les centimes additionnels. Il n’y a qu’une différence insignifiante de
37 centimes. Ce n’est certes pas la ce que l’on peut appeler une augmentation
de droit.
Mais, ajoute l’honorable membre,
lorsque vous aurez obtenu ce droit en principal, vous viendrez l’augmenter par
des centimes additionnels. Je demande s’il n’est pas aussi facile d’augmenter
le nombre des centimes additionnels que d’en proposer sur un impôt ? Ce qui le
prouve, c’est qu’il y a des pays qui ont la même législation que nous, et qui
ont ajouté au principal de l’impôt un plus grand nombre de centimes
additionnels.
Ainsi, dans les Pays-Bas, les centimes additionnels élèvent l’accise à
19 fr. 28 c.
Je n’anticiperai pas sur la
discussion relative aux exemptions. Quand nous en viendrons à l’article qui les
concerne, il sera temps encore de faire remarquer qu’il n’y a aucun pays où le
tabac soit frappé de droits plus modérés qu’en Belgique. Je pense même que si
le droit était augmenté de quelques centimes par kilogramme, cet objet de
consommation serait encore ménagé.
M. Zoude, rapporteur. - On a présenté le droit sur le sel employé dans
la fabrication du tabac comme une charge qui pèserait sur la classe pauvre. Je
suis aussi porté que qui que ce puisse être à ménager la classe pauvre sous le
rapport de l’impôt. Mais je crois qu’il est encore plus important de lui
assurer des moyens de travail. Au reste, pour la fabrication du tabac à l’usage
du pauvre, on n’emploie pas de sel ; on ne l’emploie que pour la fabrication du
tabac en carotte, qui est consommé par la classe aisée.
M. le président. - Je ferai observer à
l’honorable membre qu’il anticipe sur l’art. 4.
M. Zoude, rapporteur. - Je présenterai mes observations lorsque nous
serons parvenus à cet article.
M. Verhaegen. - Je trouve fort extraordinaire les observations
qui m’ont été faites par M. le ministre des finances. Il veut bien que je vote
contre la loi ; mais il ne veut pas que je motive mon vote sur tel ou tel
motif. Je prendrai la liberté grande, nonobstant l’observation de M. le
ministre, de voter contre la loi, précisément par les motifs que j’ai indiqués,
parce que je les crois justes et bien fondés ; ils n’ont pas l’approbation de
M. le ministre des finances ; soit, mais je n’en ai pas besoin, et je m’en
inquiète fort peu.
J’ai motivé le vote que je me
propose d’émettre, entre autres sur l’augmentation de droits, et même n’y
eut-il pas augmentation, mon vote serait encore le même, parce que tout impôt
sur le sel est injuste et odieux, et que depuis longtemps j’aurais voulu le
voir disparaître.
J’ai dit déjà qu’il y avait
une augmentation de 6 p. c. et je le prouve en mettant le projet de lui en
discussion en rapport avec la loi préexistante, laquelle admettait un déchet de
5 p. c. qui n’est plus accordé aujourd’hui. Il y a d’ailleurs une différence de
quelques centimes produite par la transformation des additionnels en principal.
Quant aux craintes d’augmentations ultérieures pour l’avenir, elles
subsistent dans toute leur force, et je ne reviendrai pas sur ce point ; tout
le monde m’a compris, il est certes plus facile de grever de centimes
additionnels un principal non grevé que d’ajouter des additionnels à des
additionnels existants.
M. le ministre des finances a
cité l’exemple des Pays-Bas, Ce n’est pas une heureuse idée que de citer, en
fait d’impôts, un pays où existent encore la mouture et l’abattage d’odieuse
mémoire !
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ne saurais changer la
détermination de l’honorable membre, mais je persiste à soutenir que les faits
qu’il a exposes sont erronés.
Il prétend que le déchet a été
supprimé par arrêté. Je lui demanderai si le gouvernement n’a pas le droit de
prendre des arrêtés pour l’exécution de la loi, si les arrêtés pris dans cette
limite n’ont pas la force de la loi même. Je demanderai si ce régime
actuellement en vigueur n’est pas celui que nous reproduisons dans le projet,
non pour lui donner une sanction, mais uniquement pour le maintenir ? S’il en
est ainsi, je ne pense pas qu’on essaie de soutenir le contraire. L’honorable
membre est dans l’erreur quand il allègue ce motif pour voter contre la loi.
Nous n’apportons sous ce rapport aucune innovation. Nous continuons ce qui
existe. Cette disposition ne peut donc être pour lui une raison de voter contre
la loi.
Je vais plus loin : non
seulement cette disposition existe aujourd’hui et ne peut par conséquent
motiver un vote contre des propositions qui n’ont pour but que de changer le
régime de la loi sur le sel et de l’améliorer, selon moi, mais il est à
observer encore que la déduction pour déchet a été augmentée pour une autre espèce
de sel, celui qui nous est importé de France, en vertu de la convention du 19
juillet ; par conséquent, s’il y a réduction de
5 p. c. sur le déchet d’une espèce de sel, il y a eu, par contre,
augmentation sur le déchet du sel d’une autre provenance.
Mais, encore une fois, tout ce qui est relatif à la convention avec la
France doit être écarté de ces débats ; au moins ce ne peut être un motif pour
un membre de voter contre le projet de loi.
Voilà les observations que
j’avais à faire à l’honorable membre. Quant au reste, je répète que la chambre
est tout aussi libre de refuser des centimes additionnels proposés sur un
principal nouveau que de refuser des centimes additionnels à ajouter à ceux
existants.
M. Delfosse. - N’en déplaise à M. le ministre des finances, je
voterai contre l’ensemble de la loi, uniquement à cause de l’art. 1er, si cet
article est adopté sans modification.
Je pense, comme mon honorable
ami M. Verhaegen, que l’impôt sur le sel est un des impôts les plus odieux que
l’on puisse créer ; cet impôt est d’environ 500 p.c. de la valeur du sel ; il
n’y a pas d’exemple d’un impôt aussi élevé, et cependant il pèse en grande
partie sur la classe ouvrière ; j’ai calculé, messieurs, qu’une famille
d’ouvriers composée de six personnes, paye, pour cet impôt seul, de huit à neuf
francs par année. Cet impôt seul enlève à cette famille, composée de six
personnes, le produit de six journées de travail ; je vous le demande,
messieurs, n’est-ce pas là une chose déplorable ?
Si le gouvernement avait
quelque sollicitude pour la classe ouvrière, il viendrait nous proposer de
réduire cet impôt ; l’occasion est belle ; on va obtenir, au moyen de la mesure
relative à l’eau de mer et de la suppression de certaines exemptions, une augmentation
de produit de plusieurs centaines de mille francs ; on pourrait diminuer la
quotité du droit et percevoir encore le même produit que par le passé, on
pourrait soulager la classe ouvrière, sans porter atteinte aux ressources
actuelles du trésor public.
Mais ce n’est pas là ce que le
gouvernement nous propose ; il nous demande au contraire, par l’art. 1er, de
porter le droit de 17 fr. 63 c à 18 fr. ; cette augmentation, qui peut paraître
insignifiante au premier abord, paraît tout autre lorsqu’on la combine avec
l’augmentation indirecte qui est résultée de la convention avec la France ; M.
le ministre des finances a tort de vouloir isoler les deux faits, ils se
rattachent l’un à l’autre ; il est nécessaire, pour bien apprécier
l’augmentation qui nous est proposée de se rappeler que l’impôt a déjà été
aggravé par une loi antérieure.
Je
m’oppose et je m’opposerai toujours à ce que l’on élève, quelque peu que ce
soit, un impôt odieux, qui a déjà été augmenté l’année dernière et que de
graves considérations devraient nous engager à réduire ; jamais je ne donnerai
mon assentiment à l’augmentation même très faible d’un impôt qui, comme je
l’ait dit tantôt, enlève annuellement à une famille d’ouvriers, composée de six
personnes le produit de six journées de travail.
M. Osy. - Messieurs, d’après la loi de
1822, l’impôt sur le sel était de six florins. Cette loi accordait des déchets
différents selon les lieux de production ; pour le sel de roche d’Angleterre,
elle donnait 10 p. c. ; pour le sel brut de France 8
p. c, et pour le sel d’Espagne 5 p. c.
D’après la convention avec la
France, on devait lui accorder 7 p. c.de déchet de plus qu’aux autres nations.
Mais que fait-on ? on vous propose aujourd’hui de
maintenir 7 p. c. de déchet pour le sel de France, et on abolit tout déchet sur
le sel d’autres pays. De manière qu’il y a réellement aggravation de charges.
Sinon, on aurait dû dire : le sel d’Angleterre jouissant d’un déchet de 10 p. c., celui sur le sel de France sera de 17 p. c.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable M. Osy vient de
nouveau remettre en discussion ce qui a été décidé par un vote de cette
chambre. Tout à l’heure on a parlé d’un arrêté royal ; en répondant qu’il était
basé sur la loi, je ne me suis pas rappelé d’abord qu’en outre il avait été
expressément sanctionné par une autre loi, celle du 7 août 1842.
Nous ne venons donc faire
aucune nouvelle proposition, et nous ne changeons rien aux droits actuels. Les observations
qui sont faites à cet égard portent des lors entièrement à faux. La chambre a
jugé ce point ; elle l’a décidé par la loi du 7 août 1842.
- La discussion est close.
L’art. 1er est mis aux voix et
adopté.
Article 2
« Art. 2. Sont supprimés, comme
rentrant dans les droits fixés aux articles 1 et 2, les centimes additionnels
perçus au profit de l’Etat.
« Les quittances du
paiement de l’accise sont frappées d’un timbre de 25 centimes. »
- Cet article est adopté.
« Art. 3. Il sera fait une
déduction de 7 p. c. du montant de l’accise sur le sel marin brut de
France. »
M. Delehaye. - Messieurs, une des observations que j’ai faite
dans la discussion générale se rattache à cet article.
Je demanderai à M. le ministre
des finances s’il entend continuer à laisser entrer dans le pays comme sel brut
le sel d’Hyères et de Cettes qui est vendu comme du
sel raffiné. C’est surtout à cause de l’introduction de ce sel, que vous avez
reçu des réclamations d’Ypres et de Courtrai. Il est certain que si vous
admettez comme sel brut un produit qu’on emploie comme sel raffiné dans la
salaison du poisson et de la viande, vous devez vous attendre à de grandes
pertes.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, lorsque
l’honorable membre a parlé tout à l’heure des importations des sels d’Hyères et
de Cettes, j’ai pris note de ses observations. Je
n’ai pas par devers moi les renseignements qui seraient nécessaires pour y
répondre ; cependant je sais que les importations de sel de France n’ont pas
augmenté dans une notable proportion.
Si le sel dont parle l’honorable membre, peut être considéré comme du
sel raffiné, le gouvernement prendra les dispositions nécessaires pour
préserver notre industrie en observant toutefois les dispositions de notre
convention avec
Je déclare à l’honorable
membre que j’examinerai la question ; mais je ne puis lui répondre aujourd’hui
d’une manière positive. Je ferai toutefois remarquer que les réclamations dont
il parle sont bien antérieures aux importations de sel auxquelles il a fait
allusion. Ces réclamations datent de bien des années ; depuis longtemps les
sauniers de l’intérieur demandent que l’eau de mer soit imposée.
M. Delehaye. - Messieurs, lorsque j’ai parlé des réclamations
qui s’élevaient contre l’emploi de l’eau de mer, j’ai dit, qu’on devait les
attribuer à ce qu’on supposait à cette eau des qualités qu’elle n’avait pas.
J’ai ajouté que, depuis la convention avec la France, le commerce français a
déversé sur notre marché une quantité considérable de sel qui a paralysé notre
fabrication. Ce sel, par la qualité des marais dont il provient, est tellement
blanc qu’il passe pour raffiné. Je demande que le gouvernement prenne à cet
égard des mesures.
Je sais bien qu’il n’est pas
au pouvoir de M le ministre des finances de me répondre immédiatement. Il me
suffit d’avoir attiré son attention sur ce point ; je suis persuadé, que
lorsqu’il aura reconnu la vérité de mes observations, il prendra des mesures
pour y faire droit.
- L’art. 3 est mis aux voix et
adopté.
« Art. 4. Le gouvernement
pourra accorder l’exemption de l’accise sur le sel destiné à la salaison du
poisson provenant de la pêche nationale, et à la fabrication du sulfate de
soude. Il déterminera les conditions de cette exemption. »
M.
de Brouckere a proposé par amendement d’ajouter
après les mots sulfate de soude,
ceux-ci : et des tabacs.
M. Cogels. - Messieurs, la loi de 1822 accordait l’exemption du droit sur le sel
employé à la salaison du poisson. Elle accordait en même temps au gouvernement
la faculté d’étendre cette exemption à d’autres industries sans les spécifier.
Cette exemption a été accordée ensuite par règlement, et d’après la note qui
nous en a été fournie hier, aux industries suivantes :
Aux blanchisseries, aux
papeteries, aux fabriques de produits chimiques, aux fabriques de tabac, à la
nourriture des bestiaux, à la tannerie, à la savonnerie, à la poterie, à la
faïencerie et à la verrerie.
D’après le nouveau projet, le gouvernement conserve l’exemption à la
salaison du poisson ; il la conserve également aux fabriques de produits
chimiques ; mais il la retire, ou du moins semble vouloir la retirer, à toutes
les autres industries.
J’ai cherché vainement dans
les deux exposés, celui de l’honorable M. Smits et celui de l’honorable
Mercier, à l’appui de ses amendements, ainsi que dans les rapports de la
section centrale, les motifs qui avaient engagé le gouvernement à retirer cette
faveur aux autres industries dont je viens de parler, et avant de continuer, je
demanderai à M. le ministre des finances, si la chambre le permet, de me donner
quelques explications à ce sujet. Il s’est engagé à les fournir.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je n’ai pas cru
devoir justifier toutes les dispositions du projet de loi ; je n’ai parlé dans
mes observations que des nouvelles dispositions que j’y introduisais ; comme la
suppression des exemptions a été proposée par mon
honorable prédécesseur, il n’est pas étonnant que l’honorable membre n’ait pas
trouvé dans mes observations une justification de la disposition qui est en
discussion.
En relisant les différentes propositions
qui ont été faites à la chambre, j’ai remarqué qu’en effet il n’était pas fait
mention des motifs de la suppression des exemptions. Une des causes principales
de cette proposition, messieurs, est que l’on a extrêmement abusé de ces
exemptions, que l’on a découvert plus d’une fois que le sel ainsi libéré de
l’impôt, était livré à la consommation.
D’un autre côté, ou a pensé
que plusieurs industries qui faisaient usage de sel, n’essuieraient qu’un bien faible
préjudice en subissant les droits établis sur le sel qui leur est nécessaire.
En ce qui concerne les tabacs entre autres, cette industrie, relativement aux
charges qui pèsent sur elle dans d’autres pays, est ménagée outre mesure en
Belgique, si l’on considère notre mouvement financier.
Maintes fois dans cette chambre et au sénat on a engagé le gouvernement
à frapper cette industrie d’un impôt plus élevé ; j’étais loin de m’attendre
qu’une légère augmentation d’un tiers à un demi-centime par kil. serait présentée comme une aggravation de charge, pouvant
présenter le moindre inconvénient.
Je crois, messieurs, que le
tabac peut et doit fournir au trésor d’immenses ressources, parce que nos
besoins l’exigent, et en m’exprimant ainsi je ne fais pas allusion seulement à
ce tiers de centime ; je ne veux pas que plus tard, si le gouvernement se
trouve dans la nécessité de demander quelque augmentation de droit, on puisse
prétexter, pour s’opposer à ses propositions, l’insignifiante aggravation
résultant de la suppression de l’exemption de l’accise sur le sel.
M. Cogels. - D’après les observations que vient de présenter M. le ministre des
finances, le principal motif de la suppression des exemptions est de faire
cesser la fraude à laquelle ces exemptions donneraient lieu ; le second motif,
c’est que pour la plupart des industries l’exemption du droit sur le sel
constitue un avantage insignifiant. C’est donc dans l’intérêt du trésor que la
suppression des exemptions est proposée. Cependant, messieurs, le gouvernement
propose de maintenir l’exemption pour la pêche et pour les produits chimiques.
Or, d’après la note qui nous a été fournie à cet égard par M. le ministre des
finances, l’industrie des produits chimiques a employé 2,595,000
kilog. de sel, et, dès lors,
s’il y a eu des abus et des abus graves, c’est certainement, en ce qui concerne
le sel employé à cette fabrication que ces abus ont pu avoir quelque portée. Il
est évident que les abus ne peuvent être qu’insignifiants pour le sel employé,
par exemple à la fabrication des tabacs, industrie qui n’a demandé l’exemption
que pour
Quant aux tabacs, je reconnais
avec M. le ministre que l’exemption n’est pas d’une très grande importance pour
cette industrie, si vous l’appliquez à sa production totale, c’est-à-dire, à la
quantité de tabacs introduits dans le pays et qui, d’après l’exposé des
fabricants, s’élève, pour 1842, à 10 millions de kilog.
Mais, messieurs, le sel n’est
pas employé à la fabrication de tous les tabacs. Ainsi que l’a dit l’honorable
M. Zoude, il s’emploie particulièrement aux qualités destinées à l’exportation,
et dès lors la chose peut devenir très importante.
Je conviens avec tous les
honorables préopinants qui ont approuvé la disposition du gouvernement, que les
tabacs sont une matière essentiellement imposable ; qu’à l’exception de
Voilà, messieurs, ce que
M. le président. - Je dois faire observer à l’orateur qu’il
s’écarte de l’objet en discussion ; je le prie de bien vouloir se renfermer
autant que possible dans la question soumise à la chambre.
M. Cogels. - Ce que je dis, M. le président, se rattache à la question : je veux
démontrer que l’industrie des tabacs rapporte beaucoup de bénéfices au pays par
l’exportation de ses produits, et qu’il serait dés lors dangereux de lui
enlever une faveur dont elle jouit, parce que la suppression de cette faveur
pourrait restreindre cette exportation.
Du reste, messieurs, il ne faut pas avoir deux poids et deux mesures, et
je pense que si vous maintenez l’exemption pour les produits chimiques, vous
devez également la maintenir pour les tabacs, pour les blanchisseries, pour les
tanneries, en un mot pour toutes les industries qui en jouissent aujourd’hui.
Il me serait impossible de donner mon assentiment à une disposition qui
limiterait l’exemption au sel employé à la salaison du poisson et à la
fabrication des produits chimiques ; je ne puis donner mon vote à la loi que si
les choses sont rétablies dans l’état où les avait placées la loi de 1822, ou
si l’on supprime également l’exemption pour toutes les industries.
M. Coghen. - J’appuierai l’amendement proposé par l’honorable M. de Brouckere,
pourvu que M. le ministre des finances puisse nous donner la certitude que la
fraude n’est pas possible, qu’on ne peut pas livrer à la consommation une
partie du sel pour lequel on demande l’exemption. Je ne serais pas éloigné
d’accorder également la franchise des droits à toutes les industries pour
lesquelles cette franchise serait une condition d’existence. Parmi ces
industries figure au premier rang la fabrication du sulfate de soude. Sous ce
rapport, messieurs,
Un
honorable député d’Anvers a dit que, si la fraude a lieu, elle porte d’autant
plus de préjudice au trésor qu’elle l’exerce sur des quantités plus
considérables. Mais on doit le dire, à l’honneur de l’administration des
douanes, elle déploie une grande sévérité, elle prend les plus grandes
précautions pour empêcher qu’on n’abuse de l’exemption accordée à certaines
industries. Lorsque le sel destiné aux fabricants de sulfate de soude est
importé dans le pays, il est convoyé jusqu’au lieu de déchargement, là il est
pesé et emmagasiné en présence des employés ; lorsqu’il est extrait des
magasins pour être dirigé vers la fabrique, une nouvelle pesée a lieu ;
lorsqu’il arrive à la fabrique, trois employés président au déchargement et à
une troisième pesée et mêlent immédiatement à ce sel une quantité si
considérable de goudron, de gaz et acide hydrochlorique, de manière qu’il est
complètement impossible de le faire jamais servir à la consommation. Il faut
donc reconnaître, messieurs, que la fraude, ici, n’est nullement à craindre.
M.
Osy. -
Messieurs, j’aurai peu de chose à ajouter à ce qu’a dit l’honorable M. Cogels.
Il faut être juste pour tout le monde, et si l’on accorde l’exemption à la
pêche et à la fabrication des produits chimiques, il faut également l’accorder
aux blanchisseries, aux papeteries, aux tanneries aux savonneries et aux autres
industries dont on a fait l’énumération. J’ai fait le calcul de ce que les
diverses exemptions enlèvent au trésor, et voici les résultats que j’ai
trouvés : Les produits chimiques ont obtenu l’exemption sur 2,600,000 kilog. ce qui, à 18
francs, fait une somme de 468,000 fr. ; la pêche a employé 1,240,000
kilog., ce qui fait une somme de 223,000 fr. ; toutes
les autres réunies ont consommé environ 800,000 kilog.
et ont privé le trésor d’un revenu de 151,000 fr.
Ainsi, d’après la proposition qui nous est soumise, le trésor ne récupèrerait que 151,000 fr., et il continuerait à perdre 7
à 800,000 fr., et c’est pour obtenir un semblable résultat que l’on prendrait
une mesure injuste à l’égard de plusieurs industries très importantes ! Je
crois qu’il faut supprimer toutes les exemptions ou les maintenir toutes. Si
l’on veut conserver l’exemption en faveur des deux industries désignées dans
l’art. 4, je voterai en faveur de la proposition de M. de Brouckere, et je
demanderai qu’on étende la franchise de droits à toutes les industries qui
figurent dans le tableau déposé par M. le ministre des finances.
M. Zoude, rapporteur. - Comme j’ai eu l’honneur de le dire à la chambre
on emploie surtout le sel pour la fabrication des tabacs en carottes et en
poudre, qui sont à l’usage des classes aisées et qui peuvent dès lors supporter
l’impôt ; c’est ce qui résulte à l’évidence d’une pétition qui nous a été
adressée récemment par les fabricants de tabac de Ménin.
Voici, messieurs, ce que porte cette pétition : (L’honorable membre donne lecture d’un passage de la pétition de Menin.)
Je dis, messieurs, que les tabacs dont je viens de parler sont une matière
éminemment imposable. « Mais, dit-on, si vous imposez ces tabacs vous
empêcherez l’exportation. » Eh bien, messieurs, la section centrale qui
s’est occupée de la question des tabacs vous a fait remarquer que l’on éviterait
cet inconvénient en restituant les droits à la sortie. Eh bien, si l’on veut
admettre ce principe il n’y a pas la moindre difficulté a
faire payer le sel qui est employé à la fabrication des tabacs.
M. Pirmez. - Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que
les impôts établis sur les matières dont l’industrie a besoin, sont des impôts
de production et non pas de consommation. Parmi les industries pour qui le sel
est un objet tout à fait indispensable, je citerai la fabrication des poteries
; si vous n’accordez pas l’exemption à cette industrie, elle ne pourra plus
soutenir la concurrence de l’industrie similaire française. Il en est de même
pour beaucoup d’autres industries. Je pense donc que s’il est possible
d’accorder l’exemption à ceux qui en ont joui jusqu’ici, sans donner lieu à la
fraude, il ne faut pas hésiter à le faire.
M. Desmet. - Je reconnais, messieurs, que cette question est
fort délicate. Je suis disposé à faire tout ce qui est possible en faveur de
l’industrie nationale, mais quand je vois les abus auxquels les exemptions
donnent lieu, je ne puis m’empêcher de demander la suppression de ces
exemptions. Les droits que le trésor devrait percevoir sur les quantités de sel
qui obtiennent l’exemption, s’élèvent à une somme d’un demi-million,
c’est-à-dire, au huitième du produit total de l’impôt. Toutefois, si l’on veut
accorder certaines exemptions, alors il faut être juste pour tout le monde, et
alors je demanderai que l’on accorde la franchise au sel employé à la
fabrication des tabacs, car cette industrie est bien aussi importante que celle
des verreries et des glaces, et, quoiqu’en dise mon honorable ami, M. Zoude, il
est constant qu’on ne peut pas fabriquer le tabac sans sel, surtout le tabac
qui s’exporte. Or. l’exportation des tabacs est un
objet extrêmement important pour le pays.
Les tanneries forment
également une industrie très importante ; eh bien, les tanneries consomment une
très grande quantité de sel ; il en faut également beaucoup pour la fabrication
des poteries et des faïences. Il en faut beaucoup pour l’agriculture ; dans un
moment où il règne constamment des épizooties, si vous pouviez donner le sel
brut sans droits, on en consommerait des quantités très fortes pour la nourriture
du bétail. Or, messieurs, l’agriculture est la première de toutes les
industries.
Quand
je vois que les exemptions qui sont accordées aujourd’hui enlèvent au trésor un
revenu de 500,000 fr, je me demande si l’on ne ferait pas bien de supprimer ces
exemptions et de consacrer à des primes une partie des revenus que cela
procurerait à l’Etat. Je suis d’autant plus disposé à résoudre affirmativement
cette question, que les abus auxquels les exemptions donnent lieu, sautent à
tous les yeux, qu’il n’y a qu’un cri général à cet égard dans le pays.
D’après ces considérations,
messieurs, je pense que l’on agirait sagement en supprimant toute espèce
d’exemption, et je propose un amendement dans ce sens.
M. Lys. - Je n’ai pris la parole, messieurs, que pour motiver mon vote. J’ai
remarqué que plusieurs membres étaient disposés à voter contre la loi à cause
de la suppression des exemptions ; je voterai, au contraire, en faveur de la
loi, précisément parce que j’approuve cette suppression, consacrée par l’art.
4. En effet messieurs, ces exemptions constituent un véritable privilège et
l’on sait qu’en général les privilèges en faveur d’une industrie sont nuisibles
à d’autres industries : dans le cas actuel ils sont en outre essentiellement
nuisibles au trésor.
En effet, dans la séance
d’hier, mon honorable ami M. Delehaye vous a cité l’exemple d’un fabricant qui
avait reçu une exemption de 90,000 kilog. de sel, tandis qu’il n’avait droit qu’à une exemption de
3,000 kilog. ; donc, 87.000 kilog. de sel fraudés au détriment
du trésor.
S’il y avait lieu d’accorder
des exemptions, beaucoup d’industries, même l’agriculture, viendraient réclamer
une pareille exemption. Je citerai, par exemple, les cultivateurs de l’ancien
pays du Limbourg qui fait aujourd’hui partie des districts de Verviers et de
Liége ; on sait qu’une consommation considérable de sel leur est nécessaire,
pour la salaison de leurs fromages. Eh bien, il est fort étonnant que quand on
accordait des exemptions à certaines industries, personne ne pensait à donner
le même avantage à ces cultivateurs. Et, en effet, ils n’ont pas seulement un
commerce intérieur, mais leur commerce s’étend encore à l’extérieur. Il leur
faudrait donc une faveur quelconque pour soutenir la concurrence avec les
négociants étrangers.
On a cité le tabac, comme formant, pour ainsi dire, un objet de
consommation à l’usage du peuple. Mais dans notre pays, le fromage est un des
aliments nécessaires de la classe pauvre dans toute la province de Liége. Vous
conviendrez, messieurs, qu’il n’y a nulle comparaison à établir avec le tabac,
et jusqu’à présent celui-ci a joui d’exemption tandis que le cultivateur a été
imposé.
Je prierai, en terminant, MM.
les ministres des affaires étrangères et des finances de porter leur attention
sur cette industrie. Une partie de ces fromages sont importés en Allemagne, et
là ils sont grevés d’un droit de douane assez considérable. Or, l’Allemagne n’a
pas d’intérêt à maintenir un pareil droit, car il existe peu ou point de
concurrence.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, je ne puis que
reproduire cette observation, que, pour certaines industries, le sel est
employé d’une manière très accessoire, et que pour d’autres le sel est l’élément
principal. Ainsi, pour le fabricant de soude, il est impossible de songer à lui
faire payer un impôt sur le sel : ces fabriques ne pourraient pas subsister,
elles tomberaient immédiatement. La pêche nationale a aussi un droit tout
particulier à notre sollicitude ; elle ne peut supporter l’impôt sans éprouver
le plus grand préjudice.
Frappez l’industrie étrangère,
me dit l’honorable M. Delehaye ; c’est très bien : mais l’honorable membre doit
savoir qu’il y a telle quotité de droits qu’on ne peut excéder sans provoquer
la fraude.
Je déclare de nouveau que
l’administration est impuissante à surveiller 360 fabriques qui emploient le
sel en quantités plus ou moins considérables. Il est impossible d’exercer une
surveillance telle qu’on prévienne complètement la fraude. Tous les ministres
qui se sont succédé au département des finances ont voulu remédier à l’abus qui
se faisait des exemptions. Je ne fais que continuer leur proposition.
L’honorable M. Lys vient de faire
une observation juste. Les fabriques qui sont maintenant en possession du
privilège de l’exemption ne sont pas les seules qui devraient en jouir si elle
est maintenue : de là il résulterait un nouveau préjudice pour le trésor.
L’honorable M. Lys a fait
mention de la fabrication des fromages dans lesquels entre aussi beaucoup de
sel. Il est évident que cette industrie aurait à l’exemption les mêmes droits
que d’autres industries qui emploient le sel ; il faudrait donc encore
augmenter le nombre des exemptions et toujours aux dépens du trésor.
Or, qu’on ne l’oublie pas, il est indispensable que nous créions de
nouvelles ressources. On est d’accord pour proclamer que le trésor a besoin de
ressources et pour promettre devenir à son secours, mais lorsqu’on en vient à
l’application, cet accord cesse d’exister. Quand il s’agit d’imposer le moins
du monde un objet de consommation ou une industrie, on rencontre de
l’opposition de la part de ceux qui insistent le plus pour établir l’équilibre
entre les recettes et les dépenses. En agissant de la sorte, loin de parvenir à
rétablir cet équilibre, on ne fera que creuser de nouveaux déficits.
M. de Mérode. - Messieurs, j’appuierai l’art. 4 tel qu’il est
proposé, c’est-à-dire avec l’exemption pour la soude et pour la pêche
nationale, car, d’après les explications qui ont été données, ce sont les
seules industries qui réclament impérieusement l’exemption, sous peine d’être
supprimées.
Quant au tabac, il est évident
que c’est une bagatelle pour cet article ; et comme cet objet ne paie rien au
trésor, c’est une occasion d’en tirer quelque chose ,
en attendant qu’on puisse en tirer davantage. Si c’est pour le débit qu’on peut
faire du tabac à l’étranger, ce n’est pas le léger impôt qui en diminuera la
consommation à l’étranger.
M. Verhaegen. - J’ai eu l’honneur de vous dire que je voterai
contre l’ensemble de la loi. J’ai donné mes motifs, et je les maintiens. J’ai
dit en même temps que j’accueillerais tous les amendements ayant pour objet
d’accorder des exemptions à toutes les industries qui ont besoin du sel, et les
raisons données par M. le ministre des finances ne font que corroborer ce que
j’ai eu l’honneur de dire à cet égard.
Il y a une autre observation à
faire, c’est que, d’après le projet, il y a une certaine classe d’industrie
favorisée et d’autres qui sont sacrifiées. Il ne s’agit même plus aujourd’hui
de l’agriculture à laquelle s’était intéressée la loi de 1822, cependant
l’agriculture mérite bien aussi de fixer notre attention, car si
Pour que cette discussion ne
soit pas inutile, je suis décidé à proposer un amendement en faveur de
l’agriculture. Le pays connaîtra au moins les dispositions du gouvernement et
de la chambre ; advienne que pourra, j’aurai rempli ma tâche.
Pourquoi les industries et
l’agriculture qui, autrefois jouissaient de l’exemption, n’en jouissent-elles
plus d’après la loi nouvelle ? L’impôt sur le sel qu’on a présenté comme un
impôt de consommation, serait-il métamorphosé en impôt de production ?
L’honorable M. Pirmez vous l’a très bien dit : si vous faites payer le droit
pour le sel employé par l’industrie et par l’agriculture, ce n’est plus un
impôt de consommation que vous percevez, c’est un impôt de production, vous
changez la nature du droit. Je prierai M. le ministre de vouloir répondre à cet
argument, il est péremptoire. Personne n’a dit un mot jusqu’à présent pour le
combattre.
Et par cet impôt de
production, vous mettez des industries belges hors d’état de soutenir la
concurrence avec les industries similaires de l’étranger. Vous sacrifiez nos
industries si intéressantes de la fabrication des tabacs, des produits
chimiques, des tanneries, etc.
Si j’ai bien compris M. le
ministre, il n’y aurait plus que deux industries qui jouiraient de l’exemption
: la pêche nationale et la fabrication du sulfate de soude. Cependant, dans le
tableau qui se trouve joint au Moniteur,
je vois une petite note indiquant qu’une exemption de 20,000 kil.
a été accordée pour la fabrication du verre. Cette
exemption sera-t-elle maintenue ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Non !
M. Verhaegen. - Elle vient à tomber. Voilà donc encore une
industrie sacrifiée, et M. Coghen pourra dire quelques mots à cet égard. Je ne
vois pas, je le répète, pourquoi on accorde une exemption à l’une et pas aux
autres.
Tout cela me ramène à mon idée
principale : l’impôt sur le sel est un impôt odieux et en même temps un
mauvais impôt, à raison de la difficulté du recouvrement. Le gouvernement doit
reconnaître que, par l’emploi que plusieurs industries font du sel comme
matière première, il se trouve dans l’impossibilité d’exercer un contrôle
suffisant. Si les exemptions sont maintenues, pourquoi donc ne ferait-on pas ce
qu’on a fait en Angleterre ? Il y avait en Angleterre un impôt considérable sur
le sel et il a été aboli dans l’intérêt des industries et de l’agriculture.
M. Vandensteen. - Je ne puis que partager les observations que
vient de développer l’honorable M. Verhaegen. Nous devons mettre toutes les
industries sur le même pied. On ne peut pas accorder aux unes une protection
qu’on refuse aux autres. Parmi les industries auxquelles on veut retirer
l’exemption qu’on laisserait à d’autres industries, se trouve la tannerie. On
ne connaît pas le chiffre des exemptions qu’on a accordées à cette l’industrie,
je vais indiquer à la chambre. En 1837 elles se sont élevées à 229,700 k. ; en 1838 de 248,858 k. ; en 1839 de 259,650 ; en 1840 de
229,200, et en 1841 de 217,300 kil.
Ces exemptions ne sont donc
pas aussi insignifiantes que voudrait bien le faire croire M. le ministre des
finances. Mais on a dit que l’exemption était fort peu de chose pour les
industries de moindre importance, que par conséquent le résultat de la faveur accordée
était de peu de valeur.
Mais, comme l’a dit
l’honorable M. Coghen, si le résultat est si peu avantageux, la fraude doit
être minime, elle doit se reporter sur les industries qui absorbent une grande
quantité de sel. La pêche nationale par exemple, que je reconnais être d’un
intérêt majeur, et qu’on doit protéger autant que possible, si elle consomme 2
millions de kilogrammes de sel, il est à présumer que sur un pareil chiffre il
doit être possible de faire une fraude considérable.
M. le ministre des finances
(M. Mercier) -
C’est impossible !
M. Vandensteen. - M. le ministre dit que non ; je n’en sais rien
; du moins est-il qu’il serait plus rationnel de maintenir les exemptions
accordées précédemment ou de les retirer toutes. C’est dans ce sens que je
voterai.
M. Coghen. - J’ajouterai quelques mots aux observations que j’ai eu l’honneur de
donner tout à l’heure : les fabriques belges de soude remplacent les importations
étrangères, c’est-à-dire que le sel marin travaillé dans nos usines, et
converti en sulfate, sel et cristaux de soude pour l’usage des nombreuses
manufactures qui emploient ces matières premières, écarte les produits
similaires que la France et l’Angleterre nous fournissaient.
Aujourd’hui, le sel marin
employé à cette fabrication n’est assujetti à aucun droit, et malgré cela
l’étranger, par sa concurrence, fait un mal très grand à cette industrie. On
voudrait frapper d’un droit de consommation de 18 francs par 100 kilog. le sel brut dont on fait le
sulfate, qui ne vaut lui-même que 20 fr., et que l’étranger fournit à ce prix.
Ce serait frapper de mort les nombreuses usines, ce serait réduire à la misère
des milliers d’ouvriers ; ce serait atteindre l’emploi d’une masse de millions
de kilogrammes de houille employés à la carbonisation, du sel, et dans quel but
? pour le frapper d’un droit de consommation, ou, pour
mieux dire, un droit de fabrication tandis que vous admettez ces mêmes produits
de l’industrie étrangère à 6 p. c. de leur valeur, ou 1 fr. 25 pour 100 kil. de sulfate. Non, cela n’est pas possible, vous ne
consacrerez pas une injustice semblable envers le travail national.
En Prusse et en France la même
franchise existe pour les fabriques de soude, elle doit exister là comme ici,
dans l’intérêt du travail du pays ; parce que le trésor n’y perd rien.
On a parlé d’imposer les
produits étrangers d’un droit protecteur, mais pour égaler le droit d’accise.
Ce serait 100 p.c. de la valeur de l’objet même ; et que deviendraient les
usines qui ne peuvent point se passer de cette matière première ; que diraient
nos fabricants de drap, la teinturerie, la cristallerie et verrerie, et les
nombreuses blanchisseries et fabriques de savon, d’un impôt qui frapperait une
matière première dont ils ne peuvent se passer ?
L’honorable M. Verhaegen a
demandé l’utilité ou l’usage du sel marin pour le verre, pour la fabrication de
glaces, cristaux et verre à vitre ; ou ne l’emploie que transformé en sel de
soude ou sulfate, mais une industrie nouvelle, la peinture sur verre, ne peut
employer le verre fabriqué avec le sulfate, on a essayé de n’employer que le
sel brut et le succès a été complet.
M. le
président. - M. Verhaegen et M. Castiau viennent de déposer un amendement tendant à l’étendre
l’exemption du droit au sel employé à la nourriture du bétail, et à l’engrais
des terres.
M. David. - Il est évident que les
tanneries surit intéressées à conserver l’exemption du droit sur le sel. Il y a
encore d’autres industries qui doivent désirer cette exemption : les grandes
boucheries, les grandes tueries où il peut y avoir accumulation de peaux. Dans
un moment de mévente, ces peaux, si elles n’étaient pas salées, risqueraient
d’être perdues.
Quoi qu’il en soit, tout en
reconnaissant que cette exemption peut être utile, je désire, si on l’accorde a ces industries, qu’on l’accorde aussi aux autres, il faut
que l’exemption soit générale, ou qu’elle soit supprimée.
Nous avons encore une
industrie qu’a rappelée l’honorable M. Lys, et qui a droit à l’exemption, c’est
celle de la fabrication des fromages ; elle y a d’autant plus droit qu’elle se
rattache à l’agriculture, industrie qui mérite toute notre sollicitude.
Une autre considération à invoquer pour l’exemption en faveur des
tanneries, c’est que nous avons une exportation assez considérable de cuirs
frais en France et (erratum Moniteur
belge n°356 du 22 décembre 1843 :) en Angleterre. Comment opérer ce
transport, sans une grande quantité de sel ! L’exemption est donc bien
nécessaire. Elle l’est encore pour transporter à l’intérieur les cuirs frais
des animaux tués dans les grandes villes, comme Anvers, etc. On ne peut
transporter ces cuirs sans les faire saler.
Toutefois, je le répète, si
l’exemption n’est pas générale, je ne la réclame pour aucune industrie,
puisqu’à la fin du compte, il faut des impôts.
M. Zoude, rapporteur. - Après Stavelot, le pays où il y a le plus de
tanneries c’est le Luxembourg ; nous savons qu’on emploie peu de sel. Dans le
pays de Liége, où il y a beaucoup de tanneries, on n’y emploie que 800 kilog. de sel. Vous voyez qu’il
n’est pas essentiel d’accorder l’exemption à cette industrie. Je demande sa
suppression.
M. Mast de Vries. - Je demanderai que le
gouvernement conserve la position qu’il a maintenant, qu’il ait la faculté
d’exemption, ou bien que l’on supprime tout l’article.
M. Lys. - Si M. de Brouckere maintient
son amendement, je présenterai l’amendement suivant :
« Le gouvernement pourra
accorder l’exemption du droit sur le sel destiné à la salaison des
fromages. »
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je dirai quelques mots
seulement sur l’amendement de l’honorable M. Verhaegen. Aujourd’hui le
gouvernement a la faculté d’accorder l’exemption du droit sur le sel employé
pour la nourriture du bétail et pour engrais. L’exemption a souvent été refusée
dans ces cas, par la raison qu’on ne pouvait trouver de garantie suffisante
contre la fraude. Si l’amendement était adopté, le gouvernement serait obligé
d’accorder toujours l’exemption, ce qui ouvrirait une large porte à la fraude.
Dès lors, le produit de l’accise sur le sel serait compromis et au lieu
d’améliorer la loi nous l’aurions dénaturée.
- La discussion est close.
L’amendement de M. de
Brouckere tendant à exempter du droit le sel employé à la fabrication du tabac,
est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
L’amendement de MM. Verhaegen
et Castiau tendant à exempter du droit le sel employé à l’engrais de la terre
et à la nourriture du bétail est mis aux voix par appel nominal ; voici le
résultat du vote :
79 membres y prennent part.
12 votent pour l’adoption.
67 votent contre.
La chambre n’adopte pas.
Ont voté pour l’adoption : MM.
Angillis, Castiau, Coghen, Delfosse, d’Elhoungne, Eloy de Burdinne, Lesoinne,
Rogier, Savart, Vandensteen, Verhaegen et de Tornaco.
Ont voté contre : MM. Cogels,
Coppieters, David, de Baillet, Dechamps, Dedecker, de Florisone, de Foere, de
Garcia de
M. Lys. - J’avais déclaré que je ne présentais mon amendement que pour autant
que celui M de Brouckere serait admis. Le vote que la chambre vient d’émettre
en amène donc le retrait.
M. le président. - Je mets aux voix l’art. 4.
M.
Osy. - Je
demande la division.
M. le président. - En ce cas je mets d’abord aux voix la partie
de l’article qui propose de donner au gouvernement le droit d’accorder
l’exemption de l’accise sur le sel destiné à la salaison du poisson.
- L’appel nominal est demandé.
Il est procédé au vote par
appel nominal ; en voici le résultat.
79 membres prennent part au
vote.
45 votent en faveur de la
proposition.
34 votent contre.
En conséquence cette partie de
l’article est adoptée.
Ont voté pour : MM. Angillis,
Cogels, Coghen, Coppieters, David, de Baillet, Dechamps, Dedecker, de
Florisone, de Foere, de La Coste, Delehaye, d’Elhoungne, de Meester,
de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières,
de Terbecq, Devaux, d’Hoffschmidt, Donny, Goblet, Kervyn, Lesoinne, Liedts,
Maertens, Malou. Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Rodenbach, Rogier,
Troye, Van Cutsem, Van den Eynde, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.
Ont voté
contre :
MM. Castiau, de Garcia de
M. le président. - Je mets maintenant aux voix la partie de
l’article qui propose de donner au gouvernement le pouvoir d’accorder
l’exemption de l’accise sur le sel destiné à la fabrication du sulfate de
soude.
- L’appel nominal est de
nouveau demandé.
Il est procédé à l’appel
nominal ; en voici le résultat :
78 membres prennent part au
vote.
32 votent pour la proposition.
46 votent contre.
En conséquence la proposition est
rejetée.
Ont voté pour : MM. Coghen,
David, de Baillet, Dechamps, (erratum
Moniteur belge n°362, du 28 décembre
1843 :) de Foere, de la Coste, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse,
Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, Donny, Goblet,
Lesoinne, Liedts, Lys, Maertens, Meeus, Mercier, Nothomb, Pirmez, Rodenbach,
Rogier, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Van den Eynde,
Van Volxem, Verhaegen, Zoude.
Ont voté contre : MM.
Angillis, Castiau, Cogels, Coppieters, Dedecker, de Florisone, de Garcia de
M. le président. - Je mets aux voix l’ensemble de l’article qui
sera ainsi conçu :
« Art. 4. Le gouvernement
pourra accorder l’exemption de l’accise sur le sel destiné à la salaison du
poisson provenant de la pêche nationale. Il déterminera les conditions de cette
exemption. »
- L’ensemble de l’article est
adopté.
Article 5
« Art. 5. § 1er. Il est
établi un droit d’accise sur l’eau de mer marquant, à l’aréomètre de Beaumé, un degré jusqu’au-dessous de trois degrés.
« Ce droit est fixé, par
hectolitre d’eau de mer :
« De un degré inclusivement à
deux degrés exclusivement, à 10 centimes ;
« De deux degrés à trois
degrés exclusivement, à 20 centimes.
« L’eau de mer marquant trois
degrés ou plus sera considérée comme saumure et imposée selon la densité
reconnue, d’après les bases indiquées à l’art. 9.
« §. 2 L’eau de mer ne
pourra être puisée que de jour, pour l’usage des raffineurs de sel, et dans le
chenal des ports d’Ostende ou de Nieuport, ou dans l’Escaut en-deçà de Lillo.
Ceux qui procéderont à cette opération seront porteurs d’une déclaration,
préalablement visée par le receveur du bureau d’Ostende, de Nieuport ou de
Lillo, laquelle énoncera :
« a. Le nom du voiturier,
batelier ou conducteur ;
« b. Les jours et heures
auxquels on commencera et ceux auxquels on cessera de puiser l’eau de mer ;
« c. L’endroit où cette
opération aura lieu ;
« d. Le mode de transport,
avec mention du nombre et de la capacité des barriques, ou du nom du bateau et
de la contenance de sa cale de chargement ;
« e.
Le nom et le domicile du raffineur auquel l’eau de mer est destinée.
« Au moment de puiser l’eau de
mer, le déclarant en indiquera la densité par mention expresse faite sur cette
déclaration.
« § 3. L’accise devra
être payée avant que le transport de l’eau de mer puisse commencer. La
quittance des droits sera frappée d’un timbre de 25 centimes ; elle indiquera
le délai fixé pour sortir du rayon des douanes ou pour se rendre à la
raffinerie, lorsqu’elle est établie à Ostende ou à Nieuport, ou dans le
territoire réservé à la douane.
« § 4. La capacité pleine
de la cale de chargement, d’après le certificat de jaugeage qui en sera délivré,
ou celles des barriques, servira de base à l’accise. Les barriques porteront,
en chiffres peints à l’huile, l’indication de leur contenance, et les mots eau
de mer.
« § 5. Les déclarations
ne seront pas admises pour des quantités inférieures à 10 hectolitres. Les
fractions de l’hectolitre seront négligées dans la liquidation des droits.
« § 6. Toute
communication souterraine ou clandestine, entre les raffineries et les lieux où
l’eau de mer peut être puisée, est interdite. Celles qui existeraient seront
immédiatement détruites.
« §
7. Aucun établissement pour l’évaporation de l’eau de mer ne pourra être érigé.
« § 8. Les raffineurs de sel
qui font usage de l’eau de mer ne peuvent l’employer qu’à la fonte du sel brut
; il leur est interdit de l’évaporer au préalable. Leurs chaudières seront
accessibles aux employés. »
M.
Osy a
proposé par amendement de rédiger ainsi l’art. 5 :
« Les raffineurs pourront
employer l’eau de mer sans être assujettis, de ce chef, à l’impôt, si elle
marque moins de 3 degrés à l’aréomètre de Baumé et pourvu qu’elle ait été
puisée dans le chenal des ports d’Ostende ou de Nieuport, ou dans l’Escaut, en
deçà de Lillo.
« Aucun établissement pour l’évaporation de l’eau de mer ne pourra être
érigé. »
M. Thienpont. -
Je ferai remarquer qu’une pétition relative à l’article en discussion est
arrivée d’Audenaerde.
M. le président. - Depuis le commencement de la séance, il est effectivement
arrivé au bureau une nouvelle pétition relative au projet de loi sur le sel ;
elle est signée par des sauniers d’Audenaerde.
M. de Villegas. - M. le président, je demande
lecture de cette pétition.
- La chambre décide qu’il sera
donné lecture de cette pétition.
M. de
Renesse, secrétaire,
donne lecture de cette pétition (Le
Moniteur de ce jour reprend le texte intégral de cette pétition, non repris
dans la présente version numérisée).
M. le président. - Cette pétition sera déposée sur le bureau pendant la discussion du
projet de loi.
La discussion est ouverte sur
l’art. 5.
M. Henot. - L’article qui nous occupe,
introduit un impôt auquel aucun gouvernement, quelque fiscal qu’il fût, et
quels qu’eussent été ses besoins, n’a jamais songé
Plus un impôt est nouveau et
extraordinaire, et plus il faudrait de puissants motifs pour en justifier
l’introduction, et il faut bien le dire, jamais l’absence, je ne dirai pas
seulement de pareils motifs, mais même de motifs quelconques, ne s’est fait
sentir davantage.
Avec quelle défiance,
d’ailleurs, ne doit-on pas accueillir la proposition qui nous est faite,
lorsqu’on voit le gouvernement repousser l’impôt et le produire tour à tour,
dans l’espace de quelques mois, et prouver ainsi combien il est lui-même peu
fixé sur la nécessité de son introduction, et lorsqu’on voit encore que ce même
gouvernement ne sait à quelle disposition s’arrêter afin d’arriver à cette
introduction ?
Jetons un coup d’œil sur les
rétroactes.
Au mois de juin 1842, le
gouvernement repoussait l’impôt sur l’eau de mer, et il le repoussait encore au
mois de mars 1843, tandis qu’au mois de novembre suivant il vient le proposer à
la législature.
Il estimait, à cette dernière
époque, que l’eau de mer marquant moins de trois degrés devait être frappée
d’un droit d’accise de vingt centimes par hectolitre, n’importe en quel endroit
elle aurait été puisée ; quelques jours après, il revient de cette proposition
qu’il envisage comme trop générale, et il excepte de l’impôt les eaux puisées :
1° Dans les bassins de
commerce et dans les canaux d’Anvers ;
2° Dans l’Escaut en-deçà
d’Anvers ;
3° Dans les bassins de
commerce à Ostende et dans le canal de cette ville à Bruges.
Cette modification est à peine
proposée qu’une autre lui succède, et le gouvernement finit par exempter de
l’impôt l’eau de mer marquant moins d’un degré, pour frapper d’un droit
d’accise de 10 centimes par hectolitre celle qui marque un degré inclusivement
jusqu’à deux degrés exclusivement, et d’un droit de 20 centimes celle marquant
deux degrés à trois degrés exclusivement ; il considère enfin comme saumure
l’eau de mer marquant trois degrés et davantage.
Rien de moins
fixe, comme nous venons de le voir, que la conduite du gouvernement au
sujet de l’impôt sur l’eau de mer, et cette mobilité est peu propre à nous
déterminer à y donner notre assentiment.
A ces considérations, qui
doivent jeter peu de faveur sur la proposition qui nous est soumise, vient se
joindre le fait d’absence totale des motifs sur lesquels on la fonde, et cette
circonstance doit nous déterminer conséquemment à la rejeter.
Parmi les motifs sur lesquels
on base la nécessité d’imposer l’eau de mer, se présentent en première ligne
les prétendus bénéfices que procurerait l’emploi de cette eau, et la
considération que ces bénéfices seraient la ruine de ceux qui n’en font pas
usage.
Ce motif a été victorieusement
combattu à la séance d’hier par l’honorable M. Donny, et il a été réduit à sa
juste valeur, non pas par des mots, mais par des faits ; sept sauniers
d’Ostende, a dit l’honorable membre, faisaient emploi de l’eau de mer, et cet
emploi a si peu procuré de bénéfice, que quatre d’entre eux y ont renoncé, et
que les trois autres, qui ont continué cet usage, ont été dans la nécessité de
réduire leurs chaudières à la moitié de leur capacité.
Il y a donc à Ostende, a-t il
continué, des sauniers qui ne font pas usage de l’eau de mer quoiqu’ils
puissent se la procurer avec tant de facilité, et il en est de même à Anvers
qui offre un accès facile à cette introduction, et conséquemment ces prétendus
bénéfices ne sont que des chimères.
A ces considérations toutes
puissantes, j’en ajouterai une autre, c’est que si les bénéfices qu’on attribue
à l’emploi de l’eau de mer étaient réels, on aurait vu s’établir sur la côte
des usines en bien plus grand nombre qu’ailleurs.
Ce serait abuser des moments
de la chambre, que d’entrer dans des développements ultérieurs à cet égard ;
quand les faits parlent, les paroles deviennent inutiles.
L’usage de l’eau de mer,
dit-on encore, favorise la fraude, et l’on ne s’aperçoit pas que ce motif est
combattu par les faits déjà cités.
S’il était vrai, en effet, que
l’eau de mer dût avoir ce résultat, on n’eût pas tardé à voir augmenter le
nombre des usines disposées à son emploi, et tous ceux qui auraient été à même
d’en profiter n’auraient pas balancé à y participer. Eh bien, c’est le
contraire qui est arrivé, et on a vu des sauniers qui faisaient usage de l’eau
de mer y renoncer volontairement.
Les partisans de l’impôt nous
disent encore que le libre usage de l’eau de mer constitue un privilège en
faveur des localités qui l’avoisinent, et que ce privilège doit être détruit,
afin qu’il y ait équilibre entre ces localités et celles de l’intérieur.
Pour qu’il y eût privilège, il
faudrait que l’usage de l’eau de mer donnât un bénéfice ; or les faits
établissent le contraire, et il est démontré aujourd’hui que son emploi n’a
d’autre effet que de produire une meilleure cristallisation.
N’allez pas croire, messieurs,
que j’aie puisé cette allégation à une source suspecte, car c’est le
gouvernement lui-même qui est venu nous l’apprendre dans ses réponses données,
au mois de mars dernier, à la section centrale.
« Les avantages, a-t-il
dit, que procure l’eau de mer non évaporée dans le raffinage du sel, sont
fortement contestés ; elle paraît avoir pour effet de produire une meilleure
cristallisation, plutôt que d’accroître sensiblement la quantité de sel raffiné
; les faits semblent confirmer cette assertion, puisque dans plusieurs
localités d’un accès facile aux introductions d’eau de mer, entre autres à
Anvers, des sauniers n’en font pas usage. »
Il est donc établi que si
l’eau de mer procure un avantage, il ne consiste qu’à obtenir une meilleure
cristallisation, et cet avantage serait-il assez conséquent pour exiger l’impôt
de cette eau, afin d’établir l’équilibre entre les localités qui avoisinent la
mer et celles de l’intérieur ? Nullement.
L’impôt de l’eau de mer, loin
d’équilibrer les positions, viendrait rompre l’équilibre qui existe, et
amènerait un résultat tout opposé à celui qu’on dit vouloir obtenir.
Si les localités voisines de
la mer peuvent tirer un léger avantage de leur position relativement à l’emploi
de son eau, les autres localités ont à leur tour des avantages dont les
premières sont dépourvues, et qu’elles doivent aussi à leur position
topographique.
Parmi ces avantages figurent
les prix du combustible et du fer dont on confectionne les poêles, qui sont
beaucoup moins élevés à l’intérieur.
Si donc la position de
quelques salines dans le voisinage de la mer peut leur donner un léger avantage
sur celles de l’intérieur, cet avantage est largement compensé pour ces
dernières par des faveurs dont elles jouissent à leur tour, de sorte qu’il y a
aujourd’hui réellement équilibre.
C’est encore le gouvernement
qui nous a fourni ce moyen de combattre la prétendue nécessité d’imposer l’eau
de mer, car en mars dernier, il répondait à la section centrale :
« Les lieux voisins de la mer
étant les seuls où l’emploi de son eau soit d’une utilité réelle ; on a pensé
que les avantages qui peuvent en résulter sont compensés par le prix plus élevé
du combustible nécessaire pour l’évaporation. »
Et déjà dès le mois de juin
1842, il avait dit dans l’exposé des motifs qui accompagne le projet de loi que
nous discutons :
« Nous ne pensons pas que
l’exemption de l’accise puisse nuire aux sauniers de l’intérieur, puisque, dans
les localités avoisinant la mer, les frais de combustible sont nécessairement
plus élevés, ce qui rétablit l’équilibre. »
Il nous reste à prévoir une
objection ; l’usage de l’eau de mer, pourrait-on dire, n’est pas prohibé il ne
sera assujetti qu’à un faible droit, et dès lors l’équilibre sera maintenu.
Qu’on veuille bien réfléchir,
qu’imposer l’eau de mer, c’est la prohiber ; que cette prohibition ne dépendra
pas du taux plus ou moins élevé de l’impôt, et qu’elle sera la conséquence
nécessaire de tout impôt quelconque, quelque faible qu’il pût être.
C’est encore une fois, ne le
perdons pas de vue, le gouvernement lui-même qui nous l’atteste, car nous
trouvons la phrase textuelle suivante dans l’exposé des motifs :
« L’eau de mer ne procure pas
un bénéfice assez important, pour que le droit dont elle serait frappée, tel
minime qu’il fût, n’en prohibât l’emploi. »
Toutes ces assertions du gouvernement, qui détruisent les moyens à
l’aide desquels on veut introduire l’impôt sur l’eau de mer, sont, il ne faut
pas en douter, le résultat des investigations auxquelles il s’est livré, avant
de les communiquer à la législature, et il est dès lors étonnant que, puisant
aux mêmes sources, il vienne proposer aujourd’hui un impôt qu’il déclarait
inacceptable, il y a à peine quelques mois.
Déterminé par ces divers
motifs, je voterai contre la proposition qui nous est faite d’imposer l’eau de
mer.
M. Donny. Messieurs, en lisant dans le Moniteur le discours que j’ai prononcé dans
la séance d’hier, j’ai remarqué qu’un fait cité par moi n’était pas énoncé avec
la plus grande précision. Je viens aujourd’hui le préciser davantage, en vous
disant que des sept sauneries dont je vous ai parlé, cinq se trouvaient dans
l’enceinte de la ville et deux en dehors, et qu’il existe encore aujourd’hui
trois sauneries en activité dans l’enceinte de la ville et une seule au dehors.
Je sais bien, messieurs, que
cette rectification est de peu d’importance pour la discussion, mais j’ai voulu
la faire parce que je tiens à ne donner à la chambre que des renseignements
rigoureusement exacts.
Je vais maintenant répondre à
quelques observations que d’honorables membres ont faites sur ce que j’ai eu
l’honneur de dire dans la séance d’hier et je commencerai par l’honorable M.
Rodenbach.
Cet honorable membre vous a
dit, messieurs, que si le nombre des salines a diminué à Ostende, c’est parce
qu’autrefois Ostende faisait des exportations et qu’elle n’en fait plus
maintenant. Je ferai d’abord remarquer que cette raison-là n’en serait pas une
pour Bruges, n’en serait pas une pour Gand où la fabrication a subi la même
décadence qu’à Ostende et où l’on emploie également l’eau de mer. Je dirai de
plus à l’honorable membre, qu’il y a déjà bien longtemps qu’on n’exporte plus
de sel d’Ostende, tandis que la décadence actuelle s’est manifestée par des
faits extrêmement récents. Il se trouve à Ostende une saunerie qui était en
pleine activité, il y a 5 ou 6 ans, qui depuis lors est restée pendant deux
années dans une inactivité complète, et qui, lorsqu’elle a repris ses travaux,
a eu si peu de succès qu’en moins de 3 ans elle a passé entre les mains de
trois propriétaires différents. Il y en a une autre qui, bien qu’elle soit en
ce moment en activité, est à vendre depuis 5 ou 6 ans, et ne trouve pas
d’acheteurs.
Je ne me suis pas borné,
d’ailleurs, à signaler ce seul fait que plusieurs salines à Ostende se
trouvaient en inactivité ; j’ai fait observer de plus que ces grands bénéfices
dont on vous a parlé, et qui devaient résulter de l’emploi de l’eau de mer, ne
sont qu’une véritable chimère, et aux yeux de l’administration française et aux
yeux de l’administration des Pays-Bas et aux yeux d’un certain nombre de
sauniers de Gand, de Bruxelles et d Anvers.
Ce sont là, messieurs, des
faits importants auxquels l’honorable membre n’a pas répondu et auxquels je
pense que personne ne répondra d’une manière sérieuse.
M. Rodenbach. - Je répondrai.
M. Donny. - L’honorable membre a dit encore que depuis que les sauniers
d’Ostende et de Bruges font usage de l’eau de mer, il n’y a plus aucune
localité qui puisse conserver ses salines, parce que la concurrence d’Ostende
et de Bruges écrase tout. Messieurs, une observation bien simple va convaincre
l’honorable membre qu’il est dans l’erreur ; les anciennes salines d’Ostende
ont été établies bien avant l’établissement des salines dont l’honorable membre
vous a parlé, et à toutes les époques, depuis le moment de leur érection, les
salines d’Ostende ont fait usage de l’eau de mer. Les salines de l’intérieur du
pays dont l’honorable membre a parlé se sont donc établies, se sont développées
et se sont maintenues pendant un temps peut-être très long, malgré la
concurrence de l’eau de mer. Dès lors il n’est certainement pas logique de
venir dire que cette concurrence, qui ne les a pas empêché
de s’établir, de se développer et de se maintenir, est devenue plus tard la
cause de leur ruine.
L’honorable membre a dit enfin
que, s’il était vrai, comme je l’ai soutenu, que l’eau de mer présentait aux
fabricants des avantages très faibles, il n’y a ait plus de motif pour que
j’insistasse aussi fortement que je l’ai fait pour que l’eau de mer ne fût pas
imposée. A cela, messieurs, j’ai deux réponses à faire. Je dirai d’abord que
les usines où l’on se sert de l’eau de mer sont construites d’une manière
particulière, qu’elles ont des procédés de fabrication tout particuliers et que
les forcer aujourd’hui à ne plus faire usage de l’eau de mer, c’est jeter la
perturbation dans leur fabrication, perturbation d’autant plus funeste qu’à
cette époque toutes les industries se livrent une lutte acharnée, une lutte à
mort. Je répondrai de plus que, dans le port d’Ostende, les sauniers sont
obliges de se servir de l’eau de mer parce qu’ils n’en ont pas d’autre.
M. Rodenbach. - Que font donc les brasseurs
?
M. Donny. - Les brasseurs ont quelques puits, mais les sauniers n’en ont pas. A
l’appui de ce que j’ai eu l’honneur de dire à la chambre, je puis citer une
autorité respectable, la chambre de commerce d’Ostende, qui vous a fait
parvenir une pétition déposée en ce moment sur le bureau. L’honorable membre
peut consulter cette pièce dont je me permettrai de lire 3 ou 4 lignes
seulement. Voici, messieurs, ce qu’elle porte :
« Il nous est
parfaitement connu que l’eau de mer leur est indispensable, non pour produire,
comme on le pense, une certaine quantité de sel par l’évaporation, mais comme
le seul liquide convenable se trouvant le moins éloigné de leurs usines. A ceux
qui connaissent la situation des lieux, où il y a privation absolue d’eau de
source, où on n’est entouré que de fossés d’eau généralement stagnante, et
recevant les égouts de la ville, il est facile de reconnaître que nos sauneries
se servent de l’eau de mer, parce que celle-ci se trouve seule à proximité, et
parce que toute autre eau, celle propre à être soumise à l’évaporation pour
faire produire au sel une bonne cristallisation, ne peut s’obtenir qu’à grands
frais de transport à cause de l’éloignement des canaux ayant des eaux
convenables. »
J’aurai maintenant quelques
observations à faire en réponse à ce qu’a dit mon honorable ami M. Zoude,
rapporteur de la section centrale. Cet honorable membre m’a fait observer que
j’ai eu tort de ne parler que de deux pétitions, celles d’Ypres et de Courtray,
tandis qu’il en est arrivé plus de 80 toutes conçues dans le même sens, mais
l’honorable membre a eu soin d’ajouter immédiatement une circonstance qui est
ma pleine justification, c’est qu’on n’a fait imprimer que ces deux pétitions
et cela parce que c’étaient les principales. Or, messieurs, lorsque j’ai
renversé, comme je pense l’avoir fait, les arguments contenus dans ces deux
pétitions principales, je puis, je crois, faire abstraction des autres, qui,
aux yeux même de l’honorable membre, sont beaucoup moins importantes.
Dans le cours de cette
discussion j’ai invoqué l’opinion de Berzelius ; pour détruire l’influence que
cette citation pouvait exercer sur l’assemblée, mon honorable ami vous a dit :
« Mais on a fait en Belgique des analyses de l’eau de mer ; ces analyses ont
donné 3 kilog. de sel par
hectolitre ; elles ont été faites par des élèves de feu le professeur Van
Mons à qui Lavoisier écrivait que si la chimie n’existait pas, il l’aurait
inventée. » Messieurs, je suis le premier à rendre hommage au mérite si
distingué du professeur Van Mons, mais de ce que l’on a été élève de M. Van
Mons, il ne résulte pas nécessairement que l’opinion que l’on émet doive être
préférée à celle de Berzelius. J’ai plus de confiance, moi, dans le célèbre
professeur suédois que dans les élèves du professeur belge.
Je ferai remarquer,
d’ailleurs, qu’il y a une très grande différence entre ma manière de citer et
celle de l’honorable membre. Je ne me suis pas contenté de jeter vaguement dans
la discussion un nom célèbre ; j’ai eu soin de lire à la chambre on extrait des
ouvrages de ce savant, tandis que l’honorable membre s’est borné à dire
vaguement qu’une analyse avait été faite par des élèves de M. Van Mons et que
cette analyse a produit tel résultat, sans se donner la peine de mettre sous
les yeux de la chambre les écrits de ceux qui auraient fait cette analyse.
On vient de nous donner
lecture d’une pétition arrivée de la ville d’Audenaerde. Cette pétition ne fait
guère que répéter ce que d’autres ont déjà dit, mais elle le répète avec une
exagération plus grande encore, car elle parle d’eau de mer prise sur nos
côtes, et qui aurait une densité de cinq degrés. Eh bien, messieurs, cela est
impossible, car en pleine mer, là où l’eau douce ne vient pas se mêler à l’eau
salée, on ne trouve que quatre degrés tout au plus. Il y a des endroits où
l’eau a effectivement 5 degrés et au-delà, mais c’est dans la Méditerranée et
sous l’équateur, où certainement nos sauniers ne vont pas la chercher ; l’eau
dont ils font usage n’est pas même puisée en pleine mer, elle est puisée dans
nos ports, où il n’y a qu’un mélange d’eau douce et d’eau salée. Elle n’a donc
pas quatre degrés, ni à plus forte raison 5 degrés (elle n’en a pas même 3). Je
demanderai des lors ce que signifient des calculs établis sur des exagérations
semblables.
Je
bornerai là, messieurs, nos observations ; je crois avoir répondu à tout ce qui
a été dit contre ce que j’ai avancé dans la séance précédente.
M. le président. - La parole est à M. Osy, pour
développer sa proposition.
M.
Osy. - Je
n’ai, rien à ajouter à ce que j’ai dit tantôt. Je ne saurais trouver de
meilleurs arguments en faveur de ma proposition que ceux donnés par l’honorable
M. Smits, à l’appui du projet de loi qu’il a présenté l’année dernière a la
chambre Je me réfère entièrement aux développements de ce projet de loi dont je
n’ai fait que reproduire un article.
M. Vilain XIIII. - Dans l’état de fatigue où la chambre doit se
trouver, je me garderai bien de parler contre le principe de l’impôt sur l’eau
de mer ; J’appellerai seulement son attention sur une disposition règlementaire de l’art. 5, qui est
ainsi conçue :
« L’eau de mer ne pourra être
puisée que de jour, pour l’usage des raffineurs de sel, et dans le chenal des
ports d’Ostende ou de Nieuport, ou dans l’Escaut en-deçà de Lillo. »
D’abord, je remercierai M. le
ministre des finances des renseignements qu’il a bien voulu me donner 4 ou 5
jours après que je les avais demandés, tandis que précédemment je les avais
sollicités inutilement, pendant 18 mois, de l’administration des finances, et
que la section centrale à laquelle la chambre avait renvoyé la pétition des
riverains de l’Escaut ne les avait également pu obtenir.
Les sauniers dont cette
pétition émane déclarent qu’il est impossible d’obtenir à la hauteur de Lillo
de l’eau de mer d’une densité de 3 degrés, que l’eau puisée à la hauteur de
Lillo n’a qu’un degré et 1/2 tout au plus. C’est là un fait, qui est acquis au
débat ; en-deçà de Lillo l’eau n’a qu’un degré et 1/2.
M. le ministre des finances,
d’après les renseignements qu’il avait obtenus, a bien voulu présenter un
amendement qui, je le reconnais, est plus favorable que l’article primitif de
la section centrale aux sauniers qui se servent d’eau de mer, Je lui adresserai
encore mes remerciements pour cet avantage. Mais, à mon avis, ce n’est point
assez.
Les sauniers riverains de
l’Escaut désirent surtout obtenir de l’eau de mer qui ait 3 degrés. Ils
s’opposeraient moins à un impôt sur l’eau de mer sans cette impossibilité où on
les met d’aller puiser de l’eau qui ait 3 degrés de densité. Il faut bien que
la chambre le sache. A présent il n’y a aucun empêchement à ce que les sauniers
descendent entièrement l’Escaut, et aillent puiser l’eau dont ils ont besoin
jusqu’à Flessingue. Le projet de loi, au contraire, leur interdit d’aller plus
loin que Lillo. Et cependant on n’a pas constate de fraude.
M. le ministre des finances
propose l’article, parce qu’il craint que les sauniers ne fassent la fraude en
important de l’eau. Messieurs, la tentative de fraude est facile, mais je crois
que la constatation de la fraude est également facile. Les sauniers qui vont
chercher de l’eau en passant la frontière, peuvent certainement faire
transporter dans leur bateau du sel brut en nature, qu’ils achèteraient des
pêcheurs, non des négociants hollandais qui auraient reçu de leur gouvernement
la décharge à la sortie, et de cette manière ils pourraient importer en
Belgique une grande quantité de sel.
Mas je demanderai, et je prie
M. le ministre des finances de me répondre à cet égard, comment il serait
possible que ces tentatives de fraude échappassent à la surveillance de la
douane. Ou bien ce sel serait fondu en arrivant à la douane, ou bien il ne le
serait pas. S’il était fondu dans l’eau de mer, l’aréomètre marquerait
immédiatement des degrés très considérables, et alors l’eau tomberait sous les
dispositions de l’art. 9. Si, au contraire, le sel n’était pas fondu, il serait
à l’état solide au fond du réservoir du bateau et l’outil le plus commun pourrait
le faire découvrir.
Les sauniers riverains de
l’Escaut attachent une très grande importance à pouvoir puiser l’eau de mer
plus bas que Lillo, à cause des frais considérables
qu’ils doivent faire pour se la procurer. Si vous ne leur permettez de puiser
que de l’eau à 1 degré, ils devront faire autant de frais que pour se procurer
de l’eau à 3 degrés. Leur gain est déjà très minime et vous triplerez leurs
frais.
D’après ces considérations,
j’aurai l’honneur, au moment où l’on votera de proposer de retrancher du § 1er
de l’art. 5 ces mots : en deçà de Lillo. Si cependant M. le ministre des
finances nous démontrait que par cet amendement la fraude serait facile, comme
je n’entends pas me faire le défenseur de la fraude, j’y renoncerais, et alors
je proposerais subsidiairement un amendement par lequel je substituerais aux
mots en-deçà de Lillo, ceux-ci : en deçà de la frontière, car Lillo n’est
pas notre extrême frontière ; c’est bien notre dernier bureau, mais nous avons
encore au moins une demi-lieue d’Escaut plus bas que Lillo.
Il y a aussi dans les
amendements qu’a présentés M. le ministre des finances un paragraphe que je ne
comprends pas ; c’est celui-ci : « Au moment de puiser l’eau de mer, le
déclarant en indiquera la densité par mention expresse faite sur cette
déclaration. »
Je comprendrais à merveille, si l’on permettait aux sauniers de
descendre où ils veulent, qu’ils déclarassent la densité de l’eau qu’ils
voudraient puiser. Ils descendraient l’Escaut jusqu’à ce qu’ils aient trouvé la
densité d’un degré, un degré et demi, deux degrés. Mais ne pouvant aller que
jusqu’à Lillo, comment est-il possible, que l’administration veuille les forcer
à faire, avant de puiser l’eau, leur déclaration ? L’eau n’est jamais la
même, tous les jours elle est d’une densité différente. Il suffit d’un coup de
vent, de la pluie, de la lune pour changer une marée et faire varier la densité
de l’eau. Il est donc impossible que les sauniers prévoient quelle sera la
densité de l’eau de mer, une demi-heure avant de la puiser.
M. Cogels. - Messieurs, un des grands motifs qui ont guidé les honorables membres
qui s’opposent à ce qu’on continue à introduire en franchise de droit l’eau de
mer, c’est que la matière imposable doit être atteinte partout où elle se
trouve. Ce principe a surtout été soutenu par un honorable député de Louvain et
par l’honorable ministre des finances.
Quoique je sois obligé, dans
cette circonstance, de combattre non pas le principe, mais son application, je
suis charmé de l’avoir entendu professer, parce que cela me fait espérer que
lorsque dans un an nous en viendrons à la révision de la loi sur les sucres,
ces honorables membres, que j’avais toujours eus pour adversaires, me prêteront
leur appui, et que le sucre indigène sera soumis enfin à l’égalité de droits.
Mais, messieurs, il est ici
une question qui est douteuse encore, c’est de savoir si l’emploi de l’eau de
mer augmente effectivement la quantité de sel raffiné qu’on obtient au
raffinage.
Je sais que ce principe est
posé dans toutes les pétitions qui s’opposent à la loi, actuellement en
vigueur, mais il est combattu par tous les sauniers qui font usage de l’eau de
mer, et par des sauniers des mêmes localités qui pourraient en faire usage,
mais qui ne le font pas.
Je ne m’étendrai pas davantage
sur cette considération, parce qu’elle a été suffisamment développée. Mais il
en est une autre sur laquelle je m’appuie principalement, c’est que
l’amendement de M. le ministre des finances contient des dispositions dont
l’application sera fort difficile.
On a dit, entre autres, que le
saunier qui voudra faire emploi de l’eau de mer devra déclarer la densité au
moment de la puiser. Mais quels sont les hommes qui se livrent à ce trafic ? Ce
sont de petits bateliers d’une ignorance parfaite, qui ne savent pas ce qu’est
la densité, ce qu’est un aéromètre, car je suis convaincu que si vous
interrogiez a cet égard l’un ou l’autre de ces
bateliers, ils répondraient : ma foi, je ne sais ce que vous voulez dire.... Et
ces hommes devraient déclarer que la densité est de deux degrés, trois degrés.
Cela n’est pas possible. Par conséquent, vous exposerez ces hommes à être
constamment en contravention, et cela de la meilleure foi du monde.
Ensuite, il est des localités
où il sera impossible de surveiller l’emploi de l’eau de mer. Dans les
localités voisines de la mer, il est mille moyens de se procurer l’eau de mer
dans sa maison. Lorsqu’on est voisin d’un chenal, on peut fort bien pratiquer
des conduits qui vous amènent l’eau de mer. On devrait donc exercer une
surveillance de tous les instants dans les établissements où le sel est
fabriqué. Ceci est encore impossible. Pourquoi priver certaines localités du
petit avantage dont elles jouissent ? Pourquoi vouloir tout égaliser ? C’est
impossible.
On a fort bien fait remarquer
que, de cette manière, il faudrait aussi égaliser les conditions entre les
diverses usines qui se trouveraient dans une position moisis favorable les unes
que les autres.
Nous pourrions réclamer à
notre tour, nous pourrions dire aux sauniers, des provinces méridionales :
laissez-nous au moins la faculté de faire usage du charbon anglais que nous
pouvons nous procurer à meilleur marché que la houille de vos provinces.
Vous voyez, messieurs, que les avantages qui résultent de l’emploi de
l’eau de mer ne sont pas très considérables ; vous voyez aussi que les recettes
que le trésor se procurerait, en l’imposant aux droits modiques proposés par le
ministre des finances, ne constitueraient pas une ressource de quelque
importance.
Je pense donc qu’il ya lieu de
maintenir le statu quo, tout en prenant les mesures nécessaires pour provenir
toute espèce de fraude.
M. Rodenbach. - Messieurs, à entendre les derniers orateurs, il semblerait que l’eau
de mer ne contient pas de sel. Un honorable député d’Ostende a dit que dans le
canal d’Ostende l’eau de mer est mélangée avec l’eau douce, et que cette eau a
tout au plus un degré ou un degré et demi.
Un honorable député de
Saint-Nicolas a avancé qu’en-deçà de Lillo, l’eau avait la même densité.
Un honorable député d’Anvers
vient aussi de dire que cette eau n’a, pour ainsi dire, pas de densité. Eh
bien, s’il en est ainsi, pourquoi a-t-on peur d’un droit de dix centimes ? car pour une densité inférieure à deux degrés, on ne paiera
que dix centimes.
Messieurs, s’il n’y avait pas
un avantage réel à employer l’eau de mer, pourquoi équiperait-on à grands frais
des vingt bateaux pour aller à 3 ou 4 lieues chercher de l’eau de mer ? Certes
ce ne serait pas pour aller chercher de l’eau sans sel qu’on ferait de pareils
frais ; si on y va, c’est que le bénéfice qu’on fait en vaut la peine. Pourquoi
établirait-on ces citernes, qui coûtent aussi beaucoup, pour conserver l’eau de
mer ? C’est parce qu’elle contient du sel.
Il y a jusqu’à 9 et 10 kil, de
sel dans trois hectolitres d’eau de mer, et pour la fabrication de 100 kil. de sel, on emploie trois hectolitres d’eau de mer. Il en
résulte que ceux qui emploieront l’eau de mer ne paieront que 16 francs de
droit, tandis que les autres en paieront 18.
Voilà une différence de 2 fr.,
c’est un véritable privilège en violation de l’art. 112 de la constitution.
On a parlé des avantages de la
nature ; cela n’est pas soutenable, puisque l’eau de mer contient du sel.
Quand on dit que c’est du sel neutre, on se trompe complètement. En France, à
Marennes, c’est par l’eau de mer qu’on introduit dans des marais et qu’on
laisse évaporer, qu’on obtient du sel. Si vous voulez que ceux qui sont à 10
lieues de la mer puissent soutenir la concurrence avec ceux qui sont à portée
de puiser l’eau de mer, il faut l’imposer. L’amendement de M. le ministre est
au-dessous de ce qu’il devrait être. On a peut être anéanti déjà quinze à vingt
usines dans
Je prie les honorables
collègues qui partagent mon opinion, de jeter un coup d’œil sur la pétition de
la ville d’Audenaerde, elle contient peut-être un peu d’exagération, car on y
parle de
- La discussion est renvoyée à
demain.
La séance est levée à 4 heures
3/4.