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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 14 décembre 1843

(Moniteur belge n°349, du 15 décembre 1843)

(Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et 1/4.

- La séance est ouverte.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners communique les pièces de la correspondance.

« Le sieur Achille-Ernest Perignon, demeurant à Bruxelles, né à Paris, demande la naturalisation. »

« Le sieur J.-Henry Huaut, instituteur communal à Reulies, né à Wigueties (France), demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Plusieurs fabricants de tabac de Liége présentent des observations contre la disposition du projet de loi sur le sel qui tend à soumettre à un droit d’accise le sel employé dans la fabrication du tabac. »

« Même observation des fabricants de tabac des villes de Namur et de Mons. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion.

M. Delfosse. - Ces pétitions ont beaucoup d’importance, je pense qu’il serait bon d’en ordonner l’insertion au Moniteur.

- Cette proposition est adoptée.


« La chambre de commerce de Termonde demande une majoration de droits d’entrée sur les tourteaux. »

- Renvoi à la commission d’industrie.


« Le sieur Remi Wallhar, blessé de septembre, demande une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les cabaretiers et débitants de boissons distillées de Nederbrakel demandent l’abrogation de la loi du 18 mars 1838, relative à un impôt de consommation sur les boissons distillées. »

- Même renvoi.


« Des sauniers d’Anvers et de Saint-Amand présentent des observations contre la disposition du projet de loi sur le sel, qui soumet à un droit d’accise l’eau de mer employée dans la fabrication du sel. Ils demandent également une modification à l’art. 6 du projet de loi. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

Projet de budget de la chambre des représentants de l'exercice 1844

Formation du comité secret

M. le président. - Quelques membres expriment le désir de commencer la séance par la discussion du budget de la chambre. Comme c’est à l’assemblée à décider cette question de priorité, je vais la consulter.

- Cette proposition est mise aux voies et adoptée.

M. le président. - Usant de la faculté que me donne le règlement, je déclare que la chambre va se former en comité secret.

- La séance publique est reprise à 2 heures.

M. le président. - Le budget de la chambre formant un article du budget de la dette publique et des dotations, il n’est pas nécessaire de le voter par appel nominal. Il suffit, comme tous les autres articles, de le voter par assis et levé.

- L’ensemble du budget de la chambre, montant à 406,350 francs est mis aux voix et adopté.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1844

Second vote des articles

M. le président. - Il n’a été introduit dans le budget primitif qu’un seul amendement, auquel le gouvernement ne se soit pas rallié. C’est celui qui concerne la reprise du canal de Mons à Condé.

Au chapitre Péages, article domaine, un paragraphe nouveau proposé par la section centrale, amendé par M. d’Huart, a été introduit.

Ce paragraphe est ainsi conçu :

« L’administration du canal de Mons à Condé sera reprise à dater du 1et janvier 1844 : fr. 35,000 »

En marge doit être consignée l’observation suivante :

« Toutefois, le revenu net dudit canal sera transitoirement abandonné à la province du Hainaut dans les proportions suivantes, savoir :

« En 1844, les trois quarts,

« En 1845, la moitié,

« En 1846, le quart. »

M. Malou, rapporteur. - Le paragraphe du rapport de la section centrale qui rend compte du vote émis sur cette disposition est ainsi conçu :

« La section centrale, à la majorité de cinq voix contre une adopte le nouvel article de recette formulé ci-dessus.

« Un membre s’abstient. »

J’ai appris que l’on a mal compris ce paragraphe, on a cru que la proposition avait été admise à l’unanimité moins un seul membre qui s’était abstenu, tandis qu’un membre a voté contre et qu’un autre s’est abstenu. J’ai cru devoir donner cette explication pour éviter tout malentendu sur le vote des membres de la section centrale.

M. le président. - Je remercie l’honorable rapporteur de la déclaration qu’il vient de faire, je l’en remercie d’autant plus que quelques journaux de la capitale me font voter pour la reprise du canal de Mons à Condé, tandis que vous savez tous que j’ai voté contre. J’avais voté de la même manière dans la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, la deuxième discussion a des limites qui sont indiquées dans le règlement ; il ne peut plus être question que d’une proposition motivée soit sur l’adoption soit sur le rejet de l’amendement. La motion de disjonction ou d’ajournement n’est donc plus recevable, comme j’ai eu l’honneur de le faire observer hier à l’assemblée. J’ai examiné depuis l’art. 45 de notre règlement, et cette lecture m’a confirmé dans les observations que je me suis permis de présenter à la fin de la séance d’hier, observations conformes, d’ailleurs, à beaucoup de précédents que je pourrais citer.

Je regarde donc ma première question comme hors de cause, l’ajournement. Il est décidé qu’on statuera sur la reprise du canal de Mons à Condé.

Cela posé, le gouvernement vient vous proposer un autre système, un autre mode de transaction ou de transition. Deux modes vous avaient été proposés : l’un par la section centrale consistant à reprendre l’administration du canal à partir du 1er octobre prochain, en attribuant à l’Etat, sur le montant des droits de navigation, une somme de 35,000 fr. Il ne faut pas en conclure que ces 35,000 fr. représentent exactement les frais d’entretien et d’administration du canal. Voici comment la section centrale est arrivée à ce chiffre. Les produits présumés du droit de navigation sont évalués à 140,000 fr. par le budget provincial du Hainaut, art. 1, sect. 2, chap. 3. La section centrale laisse les 3/4 du produit à la province à charge par elle d’entretenir et d’administrer le canal jusqu’au 1er octobre. A partir de cette époque le gouvernement se chargerait de l’administration et de l’entretien et aurait des produits présumés.

Un deuxième mode de transaction a été provisoirement adopté, c’est celui qui consiste à reprendre le canal à partir du 1er janvier prochain, et à attribuer au gouvernement un quart du revenu net du canal, pour la première année. Les mots revenu net sont des mots nouveaux introduits dans la rédaction de M. d’Huart ; ces mots ne se trouvent pas dans la proposition de la section centrale. La transition s’opérerait en quatre années. La première année, on attribuerait au gouvernement un quart ; la seconde, la moitié ; la troisième, les trois quarts, et la quatrième, la totalité du revenu net. Nous croyons qu’il faut pousser plus loin le système de transaction et échelonner la reprise en ce qui concerne les produits sur un plus grand nombre d’années.

Une considération qui nous a frappés tous et qui a dû frapper le ministère, c’est qu’il ne faut pas brusquer la transition. Une autre considération sur laquelle nous devons insister est celle-ci : la province est en possession d’un revenu considérable, qu’elle se croyait assurée pour un grand nombre d’années. Elle a pris des engagements pour construction de travaux, pour une somme de plus de 700,000 fr. Cette somme, aux yeux de la province, est considérée comme ayant en quelque sorte comme ressource principale, l’excédent de produits du canal de Mons à Condé. La province avait admis en principe d’accorder un quart de la dépense à quiconque voulait se charger de la construction d’une route, et un grand nombre d’entreprises de ce genre ont eu lieu. Les engagements de la province, s’élèvent, je le répète, à plus de sept cent mille francs. Ces engagements sont loin d’être remplis ; ce serait reporter sur les seuls revenus provinciaux, sur les centimes additionnels, tous ces engagements que certes la province n’aurait pas pris avec cette générosité si elle ne s’était pas cru en possession du canal pour bien longtemps. Cette considération a dû frapper aussi le ministre de l’intérieur, parce que c’est lui qui a des rapports quotidiens avec les administrations provinciales. On a donc considéré cet amendement comme rentrant davantage dans le rôle du ministre de l’intérieur, c’est pour cela que mon collègue le ministre des finances me laisse le soin de vous proposer l’amendement et de le développer.

Nous maintenons le principe de la reprise du canal à partir du 1er janvier prochain. Au point où en sont les choses, il faut en finir.

On reprendra donc le canal à partir du 1er janvier prochain. Je vous ai dit tout à l’heure que les frais d’administration et d’entretien s’élevaient à plus de 35 mille francs. En effet, dans les mains de la province l’entretien et l’administration coûtent environ 45,000 francs. Je ne sais s’il est nécessaire d’indiquer tous les détails. (Oui ! oui !)

Je vais vous décomposer ce chiffre : chap 3, section 3, le budget provincial porte :

« Art. 1er. Entretien du canal de Mons à Condé, 28,000 fr.

« Art. 2. Frais d’impression pour la perception des droits de navigation sur le canal de Mons à Condé, 500 fr. »

Mais, messieurs, il ne s’agit ici que du matériel. Il faut voir quels sont les frais de personnel. A la section première du même chapitre on trouve : « Art. 3. Appointements des employés attachés au service de la navigation, 12,480 fr. » Il ne peut être question d’une autre navigation que celle du canal de Mons à Condé. Il y a dans cette même section un autre article dont une partie concerne les dépenses du canal de Mons à Condé ; c’est l’art. 1er relatif aux frais de route, jusqu’à due concurrence des ingénieurs et autres employés des ponts et chaussées au service dans la province.

Il est plus que probable qu’un conducteur provincial au moins est attaché au canal de Mons à Condé. En réunissant tous ces chiffres, on arrive à la somme de 45,000 fr. environ. Je crois que, quand le canal sera entre les mains du gouvernement, et en tenant compte de l’imprévu, nous pouvons supposer que l’entretien et l’administration exigeront une somme de 50.000 fr. Je mets 5,000 francs pour l’imprévu. Certes, ce n’est pas beaucoup.

Je crois donc qu’il faut déduire, non pas 35,000 fr , mais 50,000 francs pour avoir le produit net. Je crois qu’il faut insérer cette déduction dans la loi, sans quoi, votre disposition serait extrêmement arbitraire : on ne saurait pas au juste ce qui reviendrait à la province ; il dépendrait du gouvernement d’augmenter ou de diminuer les frais d’entretien et d’administration. Je crois qu’il faudra déduire annuellement ces 50,000 fr. du montant total des droits de navigation.

Je vous disais tout à l’heure que la province est engagée pour plus de 700,000 francs dans des entreprises de travaux publics principalement en subsides à des concessionnaires. Je crois que l’équité exige qu’une partie de ces engagements, qui sont de plus de 700,000 fr. soit supportée par le canal de Mons à Condé. En ne reprenant le revenu que par dixième, en dix années, toujours en déduisant les 50,000 fr., la province toucherait une somme d’environ 400,000 fr. Il resterait donc à sa charge 300,000 fr., rien que pour les engagements qu’elle a contractés.

Récapitulant les développements que j’ai présentés, je dirai : Nous maintiendrons le principe de la reprise à dater du 1er janvier. Nous ne nous servirons pas des expressions revenu net. Mais nous inscririons dans la loi une somme supérieure de 5,000 fr. à celle portée au budget provincial pour entretien et administration du canal, c’est-à-dire 50,000 fr., et nous attribuerions à la province le revenu, en le diminuant chaque année d’un dixième. De plus l’Etat, en reprenant le canal de Mons à Condé, devrait reprendre la Haine et la Trouille, qui offrent les moyens d’alimentation de ce canal. Les frais d’entretien de ces rivières figurent pour 300 fr. à peu près dans ces 50,000 fr.

L’amendement serait ainsi rédigé :

« A partir du 1er janvier 1844, l’Etat reprend l’administration du canal de Mons, ainsi que de la Trouille et de la Haine, en abandonnant toutefois à la province :

« En 1844, la totalité du montant des droits de navigation, après déduction de 50,000 fr., somme présumée nécessaire à l’entretien et à l’administration du canal.

« En 1845 les 9 dixièmes ;

« En 1846, les 8 dixièmes ;

« En 1847, les 7 dixièmes ;

« En 1848, les 6 dixièmes ;

« En 1849, les 5 dixièmes ;

« En 1850, les 4 dixièmes ;

« En 1851, les 3 dixièmes ;

« En 1852, les 2 dixièmes ;

« En 1853, le dixième du montant des mêmes droits de navigation, perçus dans l’année, chaque fois après la déduction de la somme de 50,000 fr. »

De cette manière, nous serons équitables envers la province du Hainaut, nous ne créerons pas un embarras à l’administration provinciale. Il sera facile à la province, sans grand effort, de combler successivement le déficit que présentera la reprise du canal de Mons à Condé. De plus, nous resterons fidèles à un principe qui a dominé la chambre depuis quelques années, celui de reconstituer le domaine national. Nous le reconstituons en faisant rentrer, à partir du 1er janvier, dans les mains de l’Etat, le dernier canal hors de notre possession,

M. Malou, rapporteur. - Satisfait d’avoir gagné le principe de la reprise du canal de Mons à Condé, je me serais facilement prêté à une transaction, sur le mode de reprise. Dès le premier jour de la discussion, j’avais indiqué l’amendement, qui depuis a été proposé par l’honorable M. d’Huart et voté par l’immense majorité de la chambre. J’aurais volontiers été plus loin. Mais vraiment je ne pouvais croire qu’on irait au point où l’on est venu aujourd’hui.

Et d’abord, il me semble que M. le ministre de l’intérieur n’a pas bien saisi le sens de la proposition de la section centrale, ni même, autant qu’il m’est donné d’en juger, le sens de l’amendement de l’honorable M. d’Huart.

La section centrale proposait le prélèvement sur le revenu du canal d’une somme de 35,000 fr. Cette somme, dit-on, est inférieure aux frais d’entretien et d’administration. Cela peut être exact. Mais la section centrale avait pensé que le principe de la reprise et l’époque de la reprise étant décrétés, il restait à porter en dépense un quart de la somme portée au budget provincial du Hainaut pour l’entretien et pour l’administration du canal de Mons à Condé.

Ainsi les 35,000 fr. étaient proposés, non comme équivalent à ces dépenses, mais comme représentant le quart du revenu brut. Ce revenu devait être partagé ainsi qu’il suit : 3/4 pour la province du Hainaut et 1/4 pour le gouvernement, et les dépenses d’entretien et d’administration du canal devaient être partagés dans la même proportion. L’amendement de l’honorable M. d’Huart admet, pour 1844, le même principe et le même chiffre ; il admet encore ce principe, mais des proportions différentes pour le partage en 1845 et 1846.

L’amendement de la section centrale ainsi expliqué, il reste à voir pourquoi l’honorable M. d’Huart a inséré dans son amendement les mots revenu net. Ce n’est que l’application du principe : Bona non intelliguntur nisi deductis impensis. L’on déduit les frais pour établir le revenu réel du canal. Tel est le sens des mots revenu net.

M. le ministre de l’intérieur craint que les deux amendements adoptés ne donnent lieu à des difficultés, qu’on ne sache pas ce qui est assuré à la province. Ces amendements sont faciles à justifier si l’on admet que l’Etat et la province ne pourront agir autrement que de bonne foi, c’est-à-dire que le partage aura lieu sincèrement, sérieusement, qu’on repartira proportionnellement au temps les revenus et les dépenses d’administration du canal.

Le but de l’amendement adopté au premier vote a été de ménager la transition administrative. Cet intérêt, très important, je le reconnais, m’avait paru pleinement satisfait par l’adoption de cet amendement.

Prévoyant qu’on proposerait d’en étendre le principe, j’ai calculé quel serait le sacrifice pour le trésor, si l’on prenait une telle mesure. Ces calculs sont établis sur un revenu de 140,000 fr., chiffre inférieur à la moyenne des dernières années.

D’après l’amendement adopté au premier vote, la province du Hainaut devrait demander 35,000 fr. à l’impôt d’une année à l’autre ; elle aurait une somme totale de 210,000 fr. Le résultat serait le même si la reprise du canal était différée d’un an et demi.

En reprenant le revenu du canal par cinquième, nous donnerons à la province 280,000 fr. ; si nous faisions la reprise dans deux ans, le résultat serait identique ; chaque année la province devrait faire un sacrifice de 28 mille fr.

En reprenant par sixième, la province du Hainaut devrait faire un effort suprême pour augmenter ses contributions de 23,333 fr. On lui donnerait 350,000 fr. La reprise aurait le même effet que si elle était faite dans deux ans et demi.

Je ne m’occupe pas des proportions intermédiaires.

En reprenant le revenu du canal par dixième, la province devrait augmenter ses impôts de 10,000 fr. Il lui serait donné 630,000 fr. La reprise dans ce sens aurait le même effet que si elle était opérée dans quatre ans et demi.

Ces chiffres posés, vous pouvez déjà apprécier jusqu’à quel point les nécessités d’une transition administrative exigent qu’on reporte le sacrifice à faire par le Hainaut, sur dix années successives.

Evidemment une province comme le Hainaut, dans une situation financière telle qu’elle a été insérée en résumé dans le Moniteur ; une province comme le Hainaut, dis-je, peut facilement trouver une somme de 23,000 francs. Je prends le sixième.

Ainsi, messieurs, en réduisant du quart au sixième la proportion contenue dans l’amendement de l’honorable M. d’Huart, nous satisfaisons entièrement à l’intérêt administratif, intérêt très important, je le reconnais, qui est de ne pas brusquer la transition.

Il est une autre objection qui nous a été faite. La province, dit-on, se croyait assurée de jouir des revenus du canal pendant bien longtemps.

Je ne concevrais pas cette objection de la part de la province. Le gouvernement, depuis 1840, lui a fait connaître, et cette circonstance a même été mentionnée au rapport fait au conseil provincial, que dans un avenir prochain, il serait très probablement amené à reprendre le canal de Mons à Condé.

Un point très accessoire de l’amendement, et contre lequel, je pense, il ne sera pas présenté d’objection, c’est la reprise de la Haine et de la Trouille. D’après le budget provincial de 1844, ces deux rivières n’imposeront pas, quoi qu’on en ait dit dans la discussion, une charge très lourde à l’Etat, car leur entretien n’est porté au budget provincial que pour une somme de 300 francs.

Je pense donc que la chambre ménagerait assez les intérêts du Hainaut, en réduisant du quart au sixième la proportion qui a été adoptée au premier vote.

M. Savart-Martel. - Messieurs, j’étais inscrit pour parler sur la reprise du canal de Mons à Condé, lorsque fut prononcée la clôture de la discussion. Je n’en fut point ému, car les discours énergiques prononcés par plusieurs orateurs, et notamment les moyens si logiquement développes par le ministre des travaux publics et notre honorable collègue M. Dolez, ne me laissaient point douter que la chambre ajournerait la proposition. Je le croyais d’autant plus sincèrement, que l’honorable assemblée, qui ne peut avoir deux poids et deux mesures, venait au commencement même de la séance de distraire du budget et d’ajourner une proposition incidente, concernant les fanaux, proposition bien plus urgente que celle dont il s’agit ici.

Mes prévisions furent déçues, et par une de ces circonstances assez rares, les suffrages se trouvant partagés, sur la question de savoir si la proposition serait ajournée, l’égalité des votes emporta le rejet de l’ajournement ; tandis que si la question avait été ainsi posée : la proposition de la section centrale est-elle accueillie ? l’égalité des suffrages emportait une décision diamétralement opposée.

Je m’étais donc imposé le devoir de revenir sur cette décision au deuxième vote, plein de confiance dans la loyauté de tous et chacun de mes collègues, puisqu’en règle générale un premier suffrage ne lie point au vote définitif.

Mais le gouvernement vient de proposer un amendement qui corrige singulièrement les tristes effets de la reprise du canal dont s’agit.

Les raisons que j’avais à développer pour engager la chambre à revenir sur son premier vote, doivent maintenant appuyer la proposition ministérielle ; pour ménager vos instants, je me contenterai de les indiquer. Vous y verrez la nécessité d’une transaction raisonnable si l’on tient à consacrer dès ce moment la reprise du canal.

1° Il est incontestable que la province du Hainaut a payé pour la confection de ce canal des sommes plus ou moins considérables, dont on conteste le chiffre, il est vrai, mais qu’on devrait nous permettre au moins de vérifier ; car en administration, c’est condamner sans entendre que de décider sans instruction ; et puisque la députation prétend avoir droit à des indemnités, il est convenable du moins que l’Etat instruise sur ces prétentions, ne fût-ce que pour éviter qu’elles soient à droit ou à tort, l’objet d’un recours devant les tribunaux.

2° Depuis 22 à 23 ans, la province est en possession du produit de ce canal à titre onéreux, et en supposant le double des péages précédents, est-il juste, est il raisonnable de l’en priver brusquement et sans indemnité, lorsque, sous la foi de ce produit, elle a contracté, dans l’intérêt public, des engagements qui excèdent 700,000 francs et dont vient de vous parler M. le ministre de l’intérieur ?

3° Mais il y a plus, le produit du canal de Mons à Condé fait partie du budget de 1844, sanctionné par Sa Majesté, on ne pourrait en distraire aujourd’hui la moindre parcelle sans amener la perturbation dans les actes administratifs. Or, ce que veut avec ténacité la section centrale, c’est d’enlever à la province une partie même de ses voies et moyens de 1844.

On nous a dit que la sanction royale au budget provincial ne garantit rien ; mais elle en est au moins l’acte d’homologation et lui donne la force exécutoire.

4° Chaque fois qu’il s’est agi de reprendre des routes ou canaux dans l’intérêt de l’Etat, il est sans exempte que l’Etat ait omis d’en prévenir l’administration, et de s’entendre avec elle pour la liquidation de ses droits. Pourquoi traiter en parias cette importante province ? Pourquoi cette précipitation ?

Je le dis avec douleur ! on a répété à satiété dans cette enceinte que le Hainaut n’était point grevé de centimes additionnels aussi nombreux que les autres provinces ; et l’on a fait une sorte de guerre à sa prospérité.

Il est de vérité cependant que la propriété foncière supporte en Hainaut 12 centimes additionnels et plus dans un grand nombre de localités. Il est de vérité que l’industrie y est singulièrement grevée, et, pour ne m’arrêter qu’aux patentes, je remarque que le Hainaut paye à l’Etat 609,196 fr. 88, compris les mines, tandis que le Brabant fournit 514,383 fr. 15 ; tandis que la Flandre orientale couverte d’immenses fabriques ne fournies que 513,704 fr. 13 c. C’est donc à tort qu’on semble reprocher au Hainaut une prospérité qu’on semble lui envier.

Ces sortes de reproches de province à province sont ici des plus dangereux, car si l’esprit de localités prédominait chez nous, nous serions, de fait, des confédérations provinciales au préjudice de l’unité et de la force que nous devons tous donner au gouvernement.

J’adjure donc l’honorable assemblée, si elle ne revient de son vote précédent, d’admettre au moins les amendements proposés par l’Etat, comme moyen de transition et de conciliation.

Quant à moi, force me serait de refuser mon acceptation ou de m’abstenir au moins sur le budget des voies et moyens, si le vote d’avant-hier était maintenu purement et simplement ; je ne pourrais sanctionner un budget qui contiendrait une disposition qui me paraîtrait impolitique, injuste et vexatoire.

En ce cas, même, mon rejet ou mon abstention n’aurait rien d’hostile à M. le ministre des finances, car j’ai confiance dans ses actes.

M. Peeters. - Dans la première discussion j’avais renoncé à la parole, parce que, selon moi, l’honorable rapporteur de la section centrale avait prouvé à l’évidence et l’équité et l’opportunité de la mesure, qui vous était proposée. Cet honorable rapporteur a été combattu par d’éloquents contradicteurs, je l’avoue ; mais leurs discours étaient des phrases bien choisies et rien d’autres ; elles manquaient de solidité et de base, comme cela arrive toujours quand on est appelé à défendre une mauvaise cause.

J’aurais peut-être renoncé encore à la parole, si je ne m’étais pas aperçu, et surtout par le vote d’avant-hier, que ces phrases avaient eu de l’influence sur vos esprits, car je croyais que la reprise du canal de Mons à Condé aurait été votée presqu’à l’unanimité, tellement cette mesure me paraissait juste, équitable et opportune.

L’honorable M. Castiau s’est écrié : C’est une absurdité, c’est une iniquité que de reprendre un canal qui nous rapporte tant et avec le revenu duquel nous pouvons faire tant d’ouvrages utiles. Vous reprenez ce canal, a-t-il ajouté, dans un moment où, par suite de la péréquation cadastrale, notre province a été surtaxée de 600,000 fr, chiffre que l’honorable M. Dumortier a porté à un million, et je pense qu’il était dans le vrai.

Oui, messieurs, par suite de la péréquation cadastrale, la province du Hainaut a dû reprendre à sa charge un million de plus en contributions foncières, mais si elle ne payait pas ce million auparavant, c’était à notre préjudice, c’était au détriment d’autres provinces plus pauvres. Vous devriez être fort heureux d’avoir été favorisés de 50,000,000 ; vous avez joui de cette faveur pendant à peu près 50 ans, au détriment des autres provinces qui ont payé pour vous.

Messieurs, je me serais tu sur ce point, si, à chaque occasion importante, les députés du Hainaut ne venaient rappeler la péréquation cadastrale. Je veux en finir une fois pour toutes. Je vous prouverai qu’outre les 50 millions précités, la province du Hainaut est encore favorisée de plus d’un million par an, depuis la péréquation cadastrale, et je le ferai en puisant mes renseignements dans une petite brochure imprimée par la députation permanente du conseil provincial du Hainaut.

Je prouverai qu’à l’heure qu’il est, le Hainaut jouit encore d’une faveur d’au moins un million, comparativement aux autres provinces. Le revenu cadastral, conformément à la loi, aurait dû être basé sur la nature du sol, sur les produits du sol et non sur l’industrie du cultivateur. Malheureusement on n’a pas suivi cette prescription de la loi ; on s’est basé sur les produits des baux ; de là, il est résulté que les riches plaines du Hainaut, où tout est loué par grande exploitation et à des prix locatifs très modérés, ne paient pas, à beaucoup près, en moyenne, autant de contributions que les deux Flandres et la province d’Anvers, dont la moitié est encore stérile. Je vais, messieurs, vous le prouver par un extrait d’une brochure que j’ai ici sous les yeux et que je communiquerai à tous ceux de mes honorables collègues qui voudraient la consulter.

En parcourant cette petite brochure qui nous a été distribuée par la députation du conseil provincial du Hainaut (et dont, par conséquent, la source n’est pas suspecte), je trouve qu’après la péréquation cadastrale, la Flandre occidentale, contenant dans toute son étendue 299,000 hectares, paie pour contributions foncières en principal la somme de 2,576,000 francs, c’est-à-dire, en moyenne, environ neuf francs par hectare.

La Flandre orientale, contenant 323,000 hectares, paye pour le foncier en principal, la somme de 2,344,000 francs, ou environ huit francs par hectare.

Tandis que le Hainaut, contenant 372,000 hectares, ne paye pour le foncier, en moyenne, que la faible somme de sept francs par hectare. Remarquez cependant, que c’est une province à double étage, et que l’étage inférieur produit presque autant que le sol, ou l’étage supérieur.

J’y ai également remarqué (je parle toujours de la brochure de la députation du conseil provincial du Hainaut), que la province d’Anvers, dont la moitié du sol est encore bruyère ou terre vagues, est néanmoins imposée à raison de cinq francs l’hectare en moyenne, ce qui, en défalquant les bruyères, ferait plus de 10 francs par hectare pour la propriété cultivée. Je vous demande, messieurs, s’il y a là une ombre de justice, et si le Hainaut n’est pas encore aujourd’hui grandement favorisé.

Cette province que je viens d’appeler unie province à double étage, car outre que son sol est excessivement fertile, ce sol contient encore des mines d’une grande richesse.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce n’est pas la question.

M. Peeters. - C’est la question puisqu’on a dit que le Hainaut avait été surcharge par suite de la péréquation cadastrale. Je dois, une fois pour tout, prouver par des chiffres irrécusables que le contraire a eu lieu.

M. le président. - Je ferai remarquer à l’orateur, que si ceux qui lui répondront parlent aussi du cadastre, nous n’en finirons pas. Je l’engage donc à se renfermer autant que possible dans la question.

M. Peeters. - Je vais revenir à l’objet de la discussion ; je n’ai plus que quelques mots à ajouter sur le cadastre.

La province d’Anvers paie 5 francs par hectare, et vous savez, messieurs, que la moitié de cette province est encore inculte. Dans les Flandres, on paie 9 francs par hectare, tandis que pour les plaines fertiles du Hainaut, l’on ne paie que 7 francs de contributions par hectare. Je conclus de là, pour me servir d’une expression assez familière à mes honorables contradicteurs, que dans ces trois provinces, on prélève des contributions sur la sueur du peuple, sur la sueur du cultivateur et sur son industrie agricole ; car ce que les terrains sablonneux de ces provinces produisent n’est que le fruit du travail et de l’industrie de ceux qui les cultivent. Ces terrains n’ont aucun rapport avec les belles et fertiles plaines du Hainaut, qui sont imposées à 2 francs de moins par hectare. Vous percevez donc, je le répète, un impôt sur la sueur du peuple, sur l’industrie et le travail du peuple, et cela est diamétralement opposé au vœu de la loi du cadastre qui ne veut imposer que le sol. Aussi, je désire de tout mon cœur que l’on fasse le plus tôt possible une nouvelle révision cadastrale.

J’ai été un jour dans le Hainaut (et c’est peut-être ce qui m’a mis sur la voie des détails que j’ai donnés à la chambre), j’ai été un jour dans le Hainaut, chez un fermier et un fermier locataire, qui m’a régalé, il est vrai, avec de bon vin de Bourgogne, car, messieurs, les fermiers du Hainaut boivent de bon vin, tandis que, dans la Campine, même dans les Flandres, le fermier doit se nourrir de lait battu, bien heureux s’il peut aller boire un verre de bière le dimanche, Il est facile de comprendre la richesse de MM. les fermiers du Hainaut : ils retirent beaucoup du sol et ne paient de contributions que sur la valeur locative, qui est très souvent purement fictive.

En effet, messieurs, une belle ferme que je connais a été louée pour 10,000 fr. par an, et ne paie que 400 à 500 fr. de contributions ; mais une circonstance digne de remarque, c’est que cette ferme a été louée pour vingt ans, et que, pour avoir ce long bail, le fermier a payé un pot de vin de 29,000 fl. des Pays-Bas en argent sur table, somme dont MM. les agents du cadastre n’ont eu aucune connaissance et laquelle, par conséquent n’a pu influencer sur le revenu cadastral.

J’espère donc, messieurs, qu’on ne viendra plus nous représenter la province du Hainaut comme une victime, une province sacrifiée, ayant lieu de se plaindre.

Après de pareils faits, il m’est facile de comprendre pourquoi la province de Hainaut avait cent lieues de routes, alors que la province d’Anvers n’en a que 25 ; c’est grâce aux privilèges dont jouit le Hainaut, car cette province, toute démocratique qu’elle paraît être, jouit cependant, en proportion d’autre provinces, de privilèges tout à fait aristocratiques, qu’il est plus que temps de faire disparaître.

On dit que nous ne faisons rien pour le Hainaut. Quoi, messieurs, nous ne faisons rien pour le Hainaut ? Je ne parlerai pas des droits prohibitifs sur les fers étrangers, mais je parlerai seulement pour ce qui concerne la houille : est-ce que nous ne frappons pas les houilles anglaises de prohibition, et ne frappons-nous pas ainsi les pauvres ouvriers des Flandres et de la Campine, d’un impôt d’un million peut- être, au profit du Hainaut, d’un impôt sur un objet de première nécessité, sur un objet dont ils ont tout autant besoin que de sel, et qu’ils consomment en bien plus grande quantité.

Mais, dit-on, le Hainaut pourra employer le revenu qu’on peut lui enlever, à la construction de routes utiles, comme il l’a fait jusqu’à présent. Eh, messieurs, l’Etat peut aussi employer ce revenu à l’exécution de travaux d’utilité publique, à la construction de routes et de canaux dans les localités qui en sont dépourvues jusqu’à ce jour ; et remarquez que les voies de communication qui seront construites dans d’autres provinces, tourneront encore au profit du Hainaut, car le Hainaut est un pays de mines, et les produits des mines sont précisément ce que l’on rencontre le plus sur les routes et sur les canaux. N’est-ce pas dans le Hainaut que nous cherchons les pavés pour nos routes et les pierres de tailles pour les écluses de nos canaux, nos houilles, nos fers et la chaux dont nous avons besoin ?

On dit encore que le Hainaut rapporte beaucoup par les péages établis sur ses routes et sur ses canaux ; mais on oublie de dire que l’entretien de ces routes et de ces canaux coûte des sommes énormes ; d’ailleurs les droits de péage sont payés par le consommateur, car de quoi se compose, par exemple, le prix de la houille, à Bruxelles, à Anvers, à Gand ? Il se compose du prix de la houille à la fosse, plus des frais de transport et des droits de péage. C’est donc nous qui payons, en définitive, ces droits de péage dont on fait tant de bruit.

L’honorable M. Dumortier m’a rappelé, dans la dernière discussion, que je représente le pays et non pas la localité qui m’a envoyé à la chambre. C’est là un principe que j’ai déjà rappelé plus de dix fois à l’honorable M. Dumortier et à tous les députés du Hainaut, alors qu’ils demandaient des privilèges pour leur province et qu’en même temps ils s’opposaient à ce que je demandais pour des localités qui n’avaient rien.

Ainsi, quand nous avons demandé un petit canal pour la Campine qui, vous le savez, nous coûte assez cher, les députés du Hainaut, où l’on avait déjà dépense trente millions pour le chemin de fer, se sont aussitôt levés pour demander un nouvel embranchement du chemin de fer ; ils nous ont dit alors : Vous n’aurez pas notre canal si nous n’obtenons pas notre embranchement du chemin de fer de Jurbise. Eh bien, j’ai répondu : J’aime mieux renoncer au canal que de devoir l’acheter à ce prix. Oui, sans doute, messieurs, nous représentons le pays, mais nous devrions, avant tout, savoir être justes, il faut que les privilèges cessent et que le canal soit repris au plus tôt ; le moment est très opportun.

Je veux bien, pour ne pas porter en quelque sorte atteinte à l’arrêté royal qui a approuvé le budget du Hainaut, renoncer aux produits du canal de Mons à Condé, pour 1844, mais alors je demande qu’à partir de 1845, la totalité de ces produits soit attribuée à l’Etat.

La province du Hainaut ne paie que 7 centimes additionnels, alors que d’autres provinces en paient 12, 15 et jusqu’à 20 ; eh bien, que le Hainaut s’impose de 2 ou 3 centimes additionnels et il aura récupéré les produits du canal de Mons à Condé (aux voix, aux voix) et il n’y aura aucune perturbation dans les finances de cette province. Je m’oppose à l’amendement de M. le ministre, qui fait encore un nouveau cadeau à la province du Hainaut de 630,000 fr., au détriment des autres provinces.

M. Dumortier. - Je ne puis, messieurs, laisser passer sans réponse le discours de l’honorable préopinant. C’est une chose extrêmement pénible pour nous, députes du Hainaut, qu’il ne nous soit pas possible de défendre les intérêts de cette province sans exciter en quelque sorte l’envie, la jalousie de représentants d’autres localités, qui trouvent que le Hainaut est trop riche.

Voilà, messieurs, le grand argument : Le Hainaut est riche ; donc on peut lui enlever une partie de ce qu’il possède ! Il se trouve dans cette enceinte des membres qui ne peuvent jamais exprimer une opinion sans nous reprocher d’être une province riche. Eh bien, je dirai à ces honorables membres que si le Hainaut a quelque richesse, il paie sa part et une large part dans les charges publiques. Il a été démontré, en effet, jusqu’à l’évidence, que la province du Hainaut paye la cinquième partie de tous les impôts du royaume.

Cependant, messieurs, nous n’avons jamais rien pu obtenir pour cette province ; depuis la révolution nous avons voté 10 millions pour la construction de routes, et savez-vous pour combien le Hainaut figure dans la répartition de cette somme ? Il y figure pour 470,000 fr. Voilà tout ce qui nous a été accordé, tandis que d’autres provinces ont obtenu jusqu’à 4 ou 5 millions.

M. Malou, rapporteur. - Ce n’est pas la question.

M. Dumortier. - L’honorable M. Malou n’est pas toujours resté dans la question lorsqu’il a parlé contre nous ; il devrait bien ne pas chercher à nous fermer la bouche lorsque nous nous défendons. Je n’ai point, messieurs, provoqué cette discussion, mais il m’était impossible de laisser la chambre sous l’impression des paroles de M. Peeters.

J’ajouterai maintenant quelques mots sur le fond de la question.

Vous avez, messieurs, décidé un principe, nous ne venons point contester ce principe, mais nous vous prions d’envisager l’état dans lequel vous placerez la province du Hainaut si vous lui enlevez brusquement les revenus du canal de Mons à Condé. Comptant sur ces revenus, la province a contracté des engagements considérables pour pouvoir exécuter des travaux d’utilité publique. Il y a, messieurs, dans le Hainaut pour environ 3 millions de routes ordonnées, comment voulez-vous que nous puissions construire ces routes, comment voulez-vous que nous puissions remplir les engagements que nous avons souscrits pour nous mettre à même de les exécuter, si, sans une transition équitable, vous nous enlevez les ressources au moyen desquelles nous devions faire face a ces engagements ? Sous ce rapport nous acceptons la transition proposée par M. le ministre de l’intérieur ; elle nous permettra de créer, en nous imposant des sacrifices, des ressources propres à remplacer celles qu’on nous enlève ; mais il serait souverainement injuste de nous priver brusquement de ces ressources, de nous en priver sans nous laisser le temps de trouver les moyens d’exécuter les travaux que nous avons entrepris, de faire face aux engagements que nous avons contractés. Cela serait d’autant plus injuste qu’il s’agit d’une province à laquelle on a déjà enlevé beaucoup trop depuis la révolution et qui n’a jamais rien obtenu en retour des sacrifices qui lui ont été imposés.

M. le président. - Voici un nouvel amendement qui vient d’être déposé par M. Malou :

« Je propose de substituer aux proportions établies dans l’amendement de M. d’Huart, celles qui suivent :

« En 1844 les cinq sixièmes.

« En 1845 les deux tiers.

« En 1846 la moitié.

« En 1847 le tiers.

« En 1848 le sixième. »

- L’amendement est appuyé.

M. le président. - La parole est à M. Desmaisières. (La clôture ! la clôture !)

- La clôture est demandée par plus de 10 membres.

M. Desmaisières (contre la clôture). - Messieurs, dans une séance précédente, à laquelle je regrette d’avoir été dans l’impossibilité d’assister, plusieurs orateurs ont rappelé les paroles que j’ai prononcées, l’année dernière, sur l’objet qui nous occupe. Je tiens à donner à la chambre quelques explications à cet égard. J’espère qu’elle voudra bien m’accorder la parole. Je serai d’ailleurs très court.

M. Desmet (contre la clôture). - Je ne m’opposerai pas à la clôture, si, avant qu’on ne la prononce, les ministres donnent une explication, en ce qui concerne les deux rivières de la Haine et de la Trouille.

- La clôture est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - D’après les antécédents de la chambre, c’est l’amendement de M. le ministre de l’intérieur qui doit être mis le premier aux voix. (Oui !)

M. Rogier. - L’honorable M. Peeters n’a-t-il pas proposé un amendement, aux termes duquel on ne prélèverait pas le revenu net du canal pour l’année 1844 ? De cette façon, on n’aurait pas dérangé l’équilibre du budget provincial du Hainaut pour l’exercice de 1844.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il faut que la chambre sache quelle serait la portée, pour l’année 1844, de l’amendement présenté par l’honorable M. Malou.

On prélèverait d’abord la somme nécessaire pour l’entretien et l’administration du canal, somme que j’ai évaluée 50,000 francs. Ce prélèvement fait, on laisserait à la province les trois quarts du revenu net ; mais il y aurait un déficit dans le budget provincial de 1844, déficit égal au quart du revenu net du canal.

M. Delfosse. - Messieurs, l’honorable M. Peeters avait bien proposé d’abandonner au Hainaut tout le revenu du canal de Mons à Condé pour l’exercice 1844, mais à la condition qu’on ne lui laisserait rien les années suivantes. L’amendement de M. Peeters serait donc beaucoup plus défavorable au Hainaut que tous les autres amendements, y compris celui qui a été adopté au premier vote.

Le motif pour lequel l’honorable M. Peeters proposait cet amendement, c’est qu’il ne voulait pas toucher à l’arrêté royal qui avait approuvé le budget provincial du Hainaut pour l’exercice 1844.

Or, messieurs, veuillez remarquer qu’il y a un antécédent sur cette question. Je puis citer l’exemple d’un budget de province, qui avait été approuvé par arrêté royal, et auquel le gouvernement lui-même a touché. Il s’agit de l’un des budgets de la province de Liége. Le conseil provincial de Liège avait décidé que la banque liégeoise serait chargée de la recette des fonds provinciaux. En exécution de cette résolution, qui devait faire sortir les fonds provinciaux de la caisse de l’Etat où ils étaient déposés, pour les faire entrer dans la caisse de la banque liégeoise, on avait porté en recette au budget de la province une somme de 4,000 francs pour les intérêts présumés des fonds provinciaux dont la banque liégeoise devait être dépositaire.

Le gouvernement approuva le budget sans faire de réserve en ce qui concerne l’allocation des 4,000 francs. Le budget une fois revêtu de la sanction royale, la province demanda au gouvernement la remise des fonds provinciaux déposes dans les caisses de l’Etat, pour les verser dans les caisses de la banque liégeoise. Le gouvernement prétendit que le moment n’était pas venu de remettre ces fonds à la province. On objecta au gouvernement qu’il avait en quelque sorte reconnu le droit de la province, en approuvant le budget provincial dans lequel l’allocation de 4,000 francs figurait en recette ; le gouvernement répondit à la province de Liége, ce qu’on doit répondre aujourd’hui au Hainaut, que l’approbation donnée au budget par le Roi laisse tous les droits intacts, qu’elle ne peut être considérée comme un acquiescement aux prétentions que la province pourrait élever soit contre des particuliers, soit contre l’Etat.

Un membre. - Ce n’est pas la question.

M. Delfosse. - J’en ai dit assez pour faire comprendre à la chambre que les motifs qui avaient engage l’honorable M. Peeters à présenter son amendement ne sont nullement fondés.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne me suis pas placé au même point de vue que l’honorable M. Peeters. Je n’ai pas invoqué un principe. Il est inutile de s’engager dans une question de principe, lorsqu’on est devant un fait qui est celui-ci : c’est que l’amendement présenté par l’honorable M. Malou créerait un déficit dans le budget provincial du Hainaut pour 1844. Ce déficit consiste dans le quart du revenu net du canal en question. Je dois signaler ce fait, car il résulterait de là un véritable embarras pour l’administration provinciale et pour le gouvernement.

M. le président. - La parole est à M. Malou sur la position de la question.

M. Malou, rapporteur. - M. le président, il doit m’être permis de répondre un mot à M. le ministre de l’intérieur ; le gouvernement dont l’opinion, lorsqu’il s’agit de questions d’administration, exerce naturellement une grande influence, accepte une observation dont il n’avait rien dit dans la discussion, on doit souffrir que je lui réponde. (Interruption.)

M. Dumortier. - La clôture a été prononcée.

M. Malou, rapporteur. - Soyez donc juste à votre tour. Il y a clôture ! Mais pourquoi M. le ministre de l’intérieur a-t-il parlé ? Du reste j’aurais déjà fini, si l’on ne m’avait pas interrompu de toutes parts.

Messieurs, l’approbation par le gouvernement d’un budget provincial n’assure pas à la province la recette totale portée à ce budget. Si le canal de Mons à Condé, par exemple, à cause d’un événement quelconque, ne produisait que 100,000 fr., le gouvernement, qui a approuvé le budget provincial, lui bonifierait-il 40,000 fr. ?

Un membre. - Cela ne résoud pas la question.

M. Malou, rapporteur. - Cela résoud la question ; si en effet l’approbation d’un budget provincial n’emporte pas pour la province la garantie d’obtenir la somme totale portée en prévision de recette, il ne peut être fait aucune distinction entre les causes du déficit, soit qu’il résulte d’un événement naturel, soit qu’il provienne de l’exercice du droit d’un tiers, d’un jugement ou de toute autre cause.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On a semblé me faire un reproche, je n’ai fait que répondre à l’honorable M. Delfosse qui n’avait pas été interrompu. J’ai dit que je ne m’occupais pas de la question de principe, que je ne signalais qu’un fait ; c’est que, par l’amendement de l’honorable M. Malou, vous priviez pour l’exercice 1844, la province du Hainaut du sixième du revenu net du canal.

Maintenant je vais ajouter une autre observation qui est entièrement recevable, parce qu’on peut toujours faire une observation qui tende à éclairer la chambre sur la portée d’un vote.

Il y a des membres qui paraissent supposer qu’il n’y a entre mon amendement et celui de l’honorable M. Malou, d’autre différence que la manière d’échelonner ; or, il y a une autre différence, c’est le point de départ. Dans mon amendement je laisse intact le budget provincial du Hainaut pour 1844, tandis que l’honorable M. Malou ne le laisse pas intact. Voilà l’observation que je puis faire, et on ne peut me désapprouver de l’avoir faite.

M. Vanden Eynde. - Messieurs, je désire obtenir une explication sur l’amendement de M. le ministre de l’intérieur. Je voudrais qu’il nous dît si la Haine et la Trouille qu’il propose de reprendre en même temps que le canal de Mons à Condé, sont des rivières navigables ou non. Si ce ne sont pas des rivières navigables, elles n’appartiennent ni à la province, ni à l’Etat, mais à des particuliers, et dès lors on ne peut en faire la reprise. Si ce sont des rivières navigables, elles appartiennent au domaine de l’Etat, et on peut en opérer la reprise.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, j’ai en quelque sorte prévu l’objection qui vient de vous être faite. On ne reprend pas la Haine et la Trouille à titre précisément de rivières navigables. La Haine a été autrefois navigable ; je pense qu’elle ne l’est plus aujourd’hui. Mais nous reprenons surtout ces rivières comme moyen d’alimentation du canal de Mons à Condé.

M. Vanden Eynde. - Quel droit exercerez-vous sur ces deux rivières ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le gouvernement administrera ces deux rivières, en respectant les droits des tiers. Mais le but principal, c’est d’y prendre de l’eau, sans quoi vous auriez une difficulté avec la province. Que voulez-vous ? Vous voulez reconstituer le domaine public. Mais soyez au moins conséquents, et en reconstituant le domaine public, ne reprenez pas un canal sans ses moyens d’alimentation. Il s’agit ici d’appendices du canal. (La clôture, la clôture !)

- La clôture de la discussion est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - Comme cela a été convenu, je commence par mettre aux voix l’amendement de M. le ministre de l’intérieur.

Plusieurs membres. - L’appel nominal ! l’appel nominal !

- Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

Nombre des votants, 78.

Pour l’adoption, 40.

Contre, 38.

En conséquence, l’amendement est adopté.

Ont répondu oui : MM. Angillis, Castiau, Coghen, de Baillet, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de la Coste, d’Elhoungne, de Mérode, de Renesse, Desmaisières, de Terbecq, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dubus, Dumont, Dumortier, Duvivier, Fleussu, Goblet, Jadot, Jonet, Lange, Manilius, Mercier, Nothomb, Orts, Pirmez, Pirson, Savart, Sigart, Troye, Van Cutsem, Van Volxem, Verhaegen, Zoude et Liedts.

Ont répondu non : MM. Brabant, Cogels, Coppieters, David, de Corswarem, de Florisone, de Foere, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Nef, de Roo, Thienpont, de Saegher, Desmet, de Tornaco, Fallon, Henot, Huveners, Kervyn, Lejeune, Lesoinne, Lys, Maertens, Malou, Morel-Danheel, Peeters, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Wallaert.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pour se conformer aux principes constitutionnels, il faut porter au budget des recettes la somme de 50 mille francs représentant les frais d’entretien et d’administration et porter la même somme pour la dépense au budget des travaux publics.

- Le paragraphe nouveau de l’article domaine serait ainsi conçu :

« Produit du canal de Mons à Condé dont l’administration est reprise par l’Etat, à partir du 1er janvier 1844, 50,000 fr. »

- Ce libellé est adopté.

La proposition de M. le ministre de l’intérieur formera l’art. 2 de la loi.

Par suite de l’amendement adopté, le chiffre total du budget des recettes se trouve être 109,581,084 fr.

L’art. 2, qui devient l’art. 3, sera ainsi conçu

« D’après les dispositions qui précèdent, le budget des recettes de l’Etat, pour l’exercice 1844, est évalue à la somme de cent et neuf millions cinq cent quatre-vingt-un mille quatre-vingt-quatre francs (109,581,084 francs), et les recettes pour ordre à celle de treize millions quatre cent cinquante et un mille deux cent vingt-cinq fr. (13,451,225 fr.), le tout conformément au tableau ci-annexé. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est ensuite procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du budget ; en voici le résultat :

77 membres répondent à l’appel.

69 répondent oui.

7 répondent non.

1 membre, M. de Man d’Attenrode s’est abstenu.

En conséquence le projet de budget des voies et moyens est adopté.

Ont répondu oui : MM. Angillis, Brabant, Cogels, Coghen, Coppieters, David, de Baillet, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, Dedecker, de Florisone, de Foere, de La Coste, d’Elhoungne, de Meester, de Mérode, de Nef, de Renesse, de Roo, de Saegher, Desmaisières, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dubus, Dumont, Dumortier, Duvivier, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Jonet, Kervyn, Lange, Lejeune, Lesoinne, Lys, Maertens, Malou, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Peeters, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Savart-Martel, Scheyven Sigart, Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Volxem, Verwilghen, Wallaert, Zoude et Liedts.

Ont répondu non : MM. Castiau, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, Manilius et Verhaegen.

M. le président. - M. de Man, qui s’est abstenu, est invité à énoncer les motifs de son abstention.

M. de Man d’Attenrode. - Les voies et moyens proposés pour 1844, et les discussions qu’ils ont eues pour objet, ne me semblent pas de nature à me rassurer sur notre avenir financier, je n’ai pas cru pouvoir prendre la responsabilité de les appuyer de mon vote approbatif ; mais ne désirant pas cependant entraver la marche du gouvernement, toute chanceuse qu’elle me paraît, je n’ai pas dit non ; je me suis donc abstenu.

Projet de loi qui fixe le contingent de l'armée et de la levée pour 1844

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) présente le projet de loi sur le contingent de l’armée.

La chambre donne acte à M. le ministre de la guerre de la présentation de ce projet, en ordonne l’impression et la distribution aux membres et le renvoie à la section centrale chargée d’examiner le budget de la guerre.

- La séance est levée à 4 heures 1/2.