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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 9
décembre 1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Projet de loi portant le budget de la dette
publique et des dotations pour l’exercice 1844
3) Rapport
sur des pétitions relatives aux octrois communaux (Malou)
4)
Projet de loi portant le budget du département de la guerre pour l’exercice
1844. Motion d’ordre (Osy)
5) Projet
de loi sur les céréales. Motion d’ordre (Eloy de Burdinne,
Nothomb, Eloy de Burdinne, Nothomb, Dumortier, Mercier, de Brouckere, Desmet, Nothomb, Orts,
Eloy de Burdinne, Dumortier, Nothomb)
6)
Projet de loi portant le budget du département des affaires étrangères pour
l’exercice 1844
7)
Cérémonie du Te Deum
8)
Projet de loi portant le budget des voies et moyens
pour l’exercice 1844. (A : équilibre général des recettes et des dépenses
et/ou impôts permettant d’accroître l’équilibre budgétaire ; B: caractère
inégalitaire du système fiscal (notamment, lois somptuaires et/ou impôt sur le
revenu) ; C : droits de succession ; D : politique commerciale du
gouvernement (vis-à-vis notamment de la France et du Zollverein) ;
E : question politique ; F : système monétaire)
a)
Discussion générale. (B, A) (d’Hoffschmidt), (A,
traité du 5 novembre 1842 et partage de la dette belgo-hollandaise, gestion de
la dette publique, F, B, C, droit sur le tabac et sur les bois étrangers,
colonisation) (Dumortier), A (Eloy
de Burdinne), (E, A) (Van Cutsem), (A, B, A) (de Mérode), (B, C) (de La Coste),
(balance commerciale, D, F, Société générale et caisses d’épargne, Banque de
Belgique) (Meeus), (B, C) (Verhaegen,
de La Coste), B (de Mérode)
(Moniteur
belge n°344, du 10 décembre 1843)
(Présidence de M. Liedts)
M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et demi,
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en
est adoptée.
M. Huveners communique les pièces de la correspondance :
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« La chambre de commerce de
Termonde présente des observations contre le projet de loi sur le sel. »
- Dépôt sur le bureau pendant la
discussion du projet de loi.
_______________________
« La chambre de commerce de
Termonde prie la chambre de ne pas donner suite aux demandes qui lui ont été
faites pour obtenir une réduction des droits d’entrée sur les tulles. »
- Renvoi à la commission d’industrie.
_______________________
« Le sieur Marie-Désiré Mongenet, lieutenant, né à Lons-le-Saunier (France),
demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
_______________________
« Plusieurs habitants de la
ville d’Anvers prient la chambre d’annuler la délibération du conseil communal
d’Anvers, en date du 9 mai 1841, établissant une taxe sur la vidange. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
_______________________
« Les fabricants de vinaigre
artificiel, à Bruxelles, demandent d’être exemptés du droit d’accise sur les
vinaigres artificiels. »
- Même renvoi.
_______________________
M. le ministre de
la justice (M. d’Anethan) adresse, accompagnées de
renseignements relatifs à chacune d’elles, quatre demandes en naturalisation. »
- Renvoi à la commission des
naturalisations.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE LA DETTE PUBLIQUE
ET DES DOTATIONS POUR L’EXERCICE 1844
M. Cogels dépose sur le bureau le rapport sur le budget de la dette publique et
des dotations.
- Sur la proposition de M. le
rapporteur, la chambre fixe la discussion de ce budget immédiatement après le
vote du budget des voies et moyens et celui du budget de la chambre.
M. Malou (à la tribune). - Messieurs deux pétitions ont
été renvoyées à la section centrale, qui a été chargée de l’examen du budget
des voies et moyens.
L’auteur de l’une de ces pétitions
propose un moyen pour couvrir le déficit qui existe au budget de 1844. Ses vues
sont peu développées. Il indique la révision de quelques lois d’impôt.
L’autre pétition attaque surtout le
mode d’établissement des octrois municipaux, et demande la révision de la loi
sur la contribution personnelle.
La section centrale m’a chargé de vous
proposer le dépôt de ces deux pétitions sur le bureau pendant la discussion, et
ensuite le dépôt au bureau des renseignements.
- Ces conclusions sont adoptées.
Motion
d’ordre
M. Osy demande que le budget de la guerre du royaume de Bavière, dont il a
parlé dans la séance d’avant-hier, soit traduit et imprimé aux frais de la
chambre, et distribué aux membres de l’assemblée.
- Cette motion d’ordre est adoptée.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, il vient d’être distribué deux nouveaux projets de loi
sur les droits d’entrée et de sortie des céréales.
Il a été généralement admis en
principe que, dans des questions d’une aussi haute importance, on devait
consulter les chambres de commerce, les commissions d’agriculture et les
députations des conseils. C’est ce qui a été fait, notamment, au sujet du
projet de loi ayant pour objet d’établir un droit sur les avoines seules.
Maintenant qu’il s’agit d’une loi générale sur les céréales, il faut, à plus
forte raison, que la chambre s’éclaire des lumières des commissions que je
viens de nommer. C’est le seul moyen que nous ayons pour parvenir à faire une
bonne loi.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je croyais avoir
pris toutes les précautions pour qu’on ne s exagérât pas la portée du projet de
loi qui a été présenté à la chambre.
En effet, quelles sont les nouvelles
dispositions qu’on vous propose ?
Je diviserai ces dispositions en
trois catégories.
D’abord, il s’agit de renouveler,
quant à l’orge, une disposition qui a été prise l’année dernière. Au lieu du
droit de 14 francs, je propose de nouveau de fixer le droit d’entrée à 4
francs. L’année dernière, on n’a pas réclamé une instruction nouvelle ;
j’ignore pourquoi on la réclame cette année. Je crois donc que, quant à l’orge,
une instruction nouvelle n’est pas nécessaire.
En deuxième lieu, nous proposons de
réduire le droit, quant à l’avoine. Ceci est une question nouvelle, mais il a
été fait une instruction sur ce point ; j’ai fait une enquête et les pièces
vous sont distribuées depuis fort longtemps,
Il s’agit, en troisième lieu, de
mieux graduer l’échelle descendante pour le froment et pour le seigle Eh bien,
là encore il n y a pas de disposition nouvelle. C’est une question sur laquelle
depuis longtemps l’attention publique et celle de la chambre ont été appelées.
Le projet de loi qui vous est
proposé n’a donc pas une grande portée ; il ne présente rien d’essentiellement
nouveau. C’est un système de transaction. Je désire que le projet soit examiné
en sections, que la section centrale se constitue, et si la section centrale a besoin
de renseignements supplémentaires, nous verrons de quelle manière il faut les
lui fournir.
Si l’on ne procède pas de cette
manière, je puis prédire qu’il y aura un ajournement indéfini. Si vous allez
consulter les chambres de commerce, la plupart de ces corps ne verront que la
question commerciale, ils trouveront que le projet doit être renforcé dans
l’intérêt commercial ; si, au contraire, vous consultez les commissions
d’agriculture, ces commissions, ne voyant que l’intérêt agricole, trouveront
que le projet doit être renforcé dans l’intérêt de 1’agriculture. C’est nous,
seulement nous, chambres législatives, dominant tous les intérêts, toutes les
positions, qui pouvons apprécier le système de transaction qui vous est
proposé.
M. Eloy de
Burdinne. - Il me paraît que la question est
assez importante pour être examinée avec toute la maturité que la matière
comporte. Le système qu’on nous présente est tout à fait différent de celui qui
existe, c’est-à-dire que, d’après le projet de loi qui vous est soumis, on
vient au secours de l’agriculture au moment où elle va se trouver dans la plus
grande détresse. C’est comme si, alors que le palais de
Messieurs, quand il s’agit de
questions commerciales ou industrielles, on consulte les chambres de commerce,
on consulte les parties intéressées. On ne peut se refuser à procéder de même
dans la circonstance présente.
Je demande donc formellement à la
chambre de renvoyer le projet de loi aux commissions d’agriculture, aux
chambres de commerce et aux députations des conseils provinciaux.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande que sans rien
préjuger, on continue, ou plutôt qu’on commence l’examen en sections. Pour que
rien ne soit préjugé, il ne faut pas qu’on statue sur le fond de la motion qui
est faite. Je demande donc l’ajournement de cette motion.
M. Dumortier. - Messieurs, il me semble que si une instruction devait avoir lieu il
est préférable qu’on y procède avant que le projet soit examiné dans les
sections. Car, après que les sections se seraient livrées à cet examen, après
que la section centrale aurait fait son rapport, je demande à quoi servirait
alors un renvoi aux commissions d’agriculture. Le renvoi aux commissions
d’agriculture est fait dans un but spécial, c’est d’éclairer l’assemblée ; or,
il vaut bien mieux éclairer l’assemblée avant qu’elle commence ses travaux
préparatoires que lorsqu’elle les a terminés.
La question des droits sur
l’entrée des grains est une des questions les plus graves qu’on puisse
introduire dans le pays ; car de toutes les industries du pays, il n’en est
certainement aucune qui soit comparable à celle de l’agriculture.
Il importe donc de ne pas prendre à
la légère des mesures en ce qui touche l’agriculture alors que nous sommes si
réservés, et cela à bon droit, quand il s’agit de mesures relatives à
l’industrie manufacturière. Or, nous ne pourrions nous départir sans injustice
de ce système de réserve, quand il s agit de l’industrie agricole.
Je dis donc que la motion de
l’honorable M. Eloy de Burdinne est infiniment raisonnable, une motion que je
suis surpris de ne pas voir M. le ministre accueillir. Je ne puis que me
rallier à l’opinion de l’honorable député de Waremme.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Il me paraît que l’honorable M. Dumortier a mal posé la question ; et
d’abord je déclare ici que notre sollicitude pour les intérêts de l’agriculture
n’est pas moins grande que celle des deux honorables membres que nous venons
d’entendre ; je dis que M. Dumortier pose mal la question. Si, dit-il, des
renseignements sont nécessaires, il vaut mieux les demander maintenant que plus
tard aux commissions d’agriculture, aux chambres de commerce et aux députations
permanentes. Cela serait juste si le gouvernement ne se croyait pas à même de
donner lui-même tous les renseignements nécessaires. Le gouvernement croit que,
quand la section centrale sera formée, si elle a besoin de renseignements
ultérieurs, il pourra les lui fournir ; M. le ministre de l'intérieur a ajouté
: si la section centrale ne trouve pas suffisant les éclaircissements qui lui
seront donnés, nous ne nous opposerons pas à ce que l’on consulte les corps
indiqués par l’honorable M. Eloy de Burdinne. II ne s’agit donc pas de statuer
sur la question telle que la pose M. Dumortier.
M. de Brouckere. - J’appuie la proposition de M. le ministre de l’intérieur. Il est
incontestable que si le projet dont il s’agit est envoyé à l’avis des
députations permanentes, des commissions d’agriculture et des chambres de
commerce, ce serait prononcer l’ajournement indéfini de la discussion, car on
comprendra que les avis de ces corps se feront attendre assez longtemps, il
faudra les faire imprimer, il faudra que chacun puisse les consulter. Je ne
crains donc pas de dire qu’adopter la motion qui est faite serait remettre à
une autre session le projet de loi sur les céréales. Il est incontestable que
ce projet de loi est urgent, en ce sens que de toutes les parties du pays, on a
réclamé des modifications à la législation sur les céréales.
Ces modifications, à la vérité,
sont en sens différent, mais l’opinion est générale pour trouver le système
vicieux et y demander des modifications. Le gouvernement répond à l’appel du
pays, il présente un projet de loi ; qu’avons-nous à faire ? l’examiner et le
discuter. C’est à tort qu’on vous présente ce projet de loi, comme ayant été
formulé à la légère. Il y a très longtemps que le gouvernement a pris un grand
nombre de renseignements dans les localités pour s’éclairer sur cette matière.
Il est nanti de ces renseignements, il les annonce et les communiquera quand le
moment sera venu. Autre chose encore, c’est que les chambres de commerce et
d’agriculture, qui croiront avoir des observations à faire, ne manqueront pas
de les transmettre à la chambre. Je parle en connaissance de cause, car je suis
persuadé que plusieurs des corps dont a parlé M. Eloy de Burdinne, ont déjà
fixé leur attention sur le projet du gouvernement, et enverront leurs
observations à la chambre s’ils croient ce projet susceptible d’observations
importantes. Je crois que la meilleure marche à suivre est celle indiquée par
M. le ministre de l'intérieur. Les section examineront le projet, la section
centrale l’examinera également, et quand le gouvernement aura fourni à la
section centrale tous les renseignements qu’il a en son pouvoir, s’il reste
encore quelques points sur lesquels de nouveaux renseignements ou des
renseignements plus complets sont nécessaires, qu’on pose des questions et
qu’on le envoie aux corps dont il s’agit, cela facilitera la besogne de ces corps,
et de cette manière nous pourrons arriver à la discussion et à la solution de
cette importante question avant la fin de la session.
M. Desmet. - Certainement je reconnais que les modifications à apporter à la loi
sur les céréales sont urgentes. Mais l’honorable membre trouve aussi que cette
loi est importante. Si nous la faisons sans consulter les commissions
d’agriculture, les chambres de commerce et les députations permanentes, nous
courons risque de faire une loi qui devra être révisée l’année prochaine.
Dans beaucoup de localités, on a
attaqué non seulement l’échelle établie dans la loi qui nous régit mais le
principe même de cette loi, de sorte que c’est sur ce principe même qu’il
faudra consulter les corporations que je viens d’indiquer.
Je crois que la motion faite
par l’honorable M. Eloy de Burdinne aura pour effet de nous faire arriver plus
vite à la solution de cette question, que celle présentée par M. le ministre de
l’intérieur ; car si vous allez attendre pour demander un complément de
renseignements que les sections et la section centrale aient examiné la loi,
vous n’aurez pas ces renseignements aussi vite que si vous les demandiez dès à
présent. La discussion du projet ne doit venir qu’après le vote des budgets ; vous
avez donc le temps d’attendre l’avis des corporations dont il s’agit, et il
suffit de 15 jours pour les obtenir. Cela n’empêchera pas de commencer l’examen
dans les sections. J’appuie donc la motion de l’honorable M. Eloy de Burdinne
de consulter sur le projet présenté par M. le ministre de l’intérieur, les
députations permanentés, les commissions d’agriculture et les chambres de
commerce.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, on dirait, à
entendre certains membres, que le gouvernement vous a présenté une œuvre
d’imagination. Mais le ministère s’est entouré de renseignements depuis
plusieurs années ; il les a même résumés ; de nombreuses pièces sont annexées
au projet de loi qui vous a été distribué hier soir ; il n’était pas nécessaire
de faire imprimer tous les documents. Quand le gouvernement donne les
résultats, on peut se dispenser d’avoir les pièces mêmes. Le projet n’est donc
pas présenté à la légère sans documents à l’appui ; au contraire, car on vous a
distribué un cahier assez volumineux
Il importe au gouvernement de
ne pas laisser s’accréditer certaines prétentions. On dirait que ce projet est
la destruction de l’agriculture. Je prétends au contraire que ce projet de loi
apporte au système de 1834 des rectifications telles que c’est peut-être le
seul moyen de sauver la loi de 1834. Ici je me permettrai de donner un avis au
premier orateur qui a soulevé cette discussion. C’est un système de transaction
que je propose ; il contient une meilleure gradation, et c’est le seul moyen,
peut-être, de sauver le système de 1834. Je désire, dans l’intérêt de
l’agriculture, le maintien du système de 1834, et c’est pour cela que j y
propose des rectifications.
Quand M. le président a propose
d’ajourner la motion après le rapport de la section centrale, je n’avais pas
entendu dire que la section centrale ferait un rapport complet dans tous les
cas. Je suppose que le projet arrive à la section centrale, la section centrale
trouve que les renseignements sont incomplets et en demande de nouveaux, la
section centrale nous fera un rapport ; elle viendra déclarer que, dans l’état
actuel de l’instruction, l’examen du projet est impossible, qu’il faut une
instruction nouvelle ; si des pouvoirs lui sont nécessaires pour se constituer
en commission d’enquête, elle vous demandera ces pouvoirs. Mais il vaut mieux
qu’on s’en rapporte au gouvernement pour faire cette enquête ; les sections et
la section centrale lui adressent une série de questions auxquelles il
répondra.
M. Orts. - La question dont il s’agit est toute simple. C’est une question
d’urgence. La proposition de M. Eloy de Burdinne est de renvoyer le projet
présenté à l’avis des chambres de commerce, des commissions d’agriculture et
des députations permanentes avant que les sections soient saisies. Cette
proposition est combattue par celle de M. le ministre de l’intérieur, qui
demande le renvoi à l’examen des sections et de la section centrale, pour juger
s’il faut renvoyer oui ou non le projet à ces corps, s’il est nécessaire
d’avoir des renseignements ultérieurs. En adoptant la proposition de M. Eloy de
Burdinne, vous retardez l’instruction de la loi. Pourquoi ordonnons-nous le
renvoi en sections ? Pour que chaque membre indique les renseignements
ultérieurs dont il croit avoir besoin.
De deux choses l’une :
l’examen en section et en section centrale va démontrer la nécessité de
nouveaux renseignements, ou cette nécessité ne sera pas sentie. Si de nouveaux
renseignements sont jugés nécessaires, les corps que vous consulterez seront
plus à même de vous satisfaire que si vous leur demandiez ce travail
aujourd’hui. Pour procéder rationnellement et économiser le temps, il vaut
mieux commencer par le travail en sections afin de formuler les doutes que le
projet pourra soulever et indiquer les points sur lesquels des renseignements
nouveaux sont nécessaires. Je ne comprends pas qu’on ne voie pas tout de suite
que la proposition de M. Eloy de Burdinne, faite dans de bonnes intentions,
aura cependant pour effet de retarder l’examen de la loi.
M. Eloy de Burdinne. - Je demande la parole.
M. le président. - Vous avez déjà eu la parole sur la motion, je ne puis vous
l’accorder une troisième fois sans consulter la chambre.
- La chambre consultée consent à ce
que la parole soit accordée une troisième fois à M. Eloy de Burdinne.
M. Eloy de Burdinne. - Je dois répondre quelques mots à différents arguments qu’on a fait
valoir.
L’honorable M. de Brouckere vous a
dit qu’il y avait urgence. Eh bien, c’est parce qu’il y a urgence, que nous
devons consulter, dès à présent, les commissions d’agriculture, les chambres de
commerce et les députations permanentes, puisque si nous ne les consultons
qu’après avoir examiné le projet en sections et en section centrale, les avis
de ces corps nous arriveront plus tardivement : M. de Brouckere nous a dit que
le projet était connu des corps que je voulais consulter et qu’ils nous enverront
leur avis. Mais vous ne pourrez pas avoir l’avis des commissions d’agriculture,
celui dont nous avons le plus spécialement besoin, puisqu’elles ne sont pas
réunies en permanence.
Je ne vois pas quelle crainte on peut
avoir, le prix des grains n’est pas en hausse, il est au contraire en baisse,
et s’il était à 20 fr. et que le commerce eût envie de faire entrer des grains
en franchise de droits, il pourrait renouveler ce qu’on m’assure qu’il a fait,
dépenser huit à neuf mille fr, pour en gagner 7 à 800 mille fr.
Mais vous ne devez pas craindre que
cet état se reproduise, vous ne verrez plus d’ici à longtemps le froment à 20
fr. l’hectolitre.
C’est parce que je crois qu’il y a de
grandes modifications à apporter au projet de loi présenté, et que la question est
si importante que nous ne pouvons l’entourer de trop de lumière. Déjà, je dois
le dire, le projet de loi a jeté la perturbation dans nos campagnes. J ai reçu
plusieurs lettres qui le prouvent ; et bientôt vous recevrez des pétitions
demandant le maintien de la législation actuelle ; cette législation ne me
convient pas mieux qu’à vous ; mais je la veux telle que l’industrie qui
fournit les treize seizièmes de l’impôt soit soutenue.
M. le président. - Je rappellerai à l’orateur que la motion d’ordre est seule en
discussion.
M. Eloy de Burdinne. - Je suis dans la question ; car je réponds aux arguments des
honorables préopinants. Au surplus, je me bornerai à ce que j’ai dit.
M. Dumortier. - Il y a entre les personnes qui s’opposent à l’adoption de la
proposition une divergence d’opinions telle qu’elles se combattent entre elles.
Ainsi M. le ministre de l’intérieur demande l’examen du projet de loi en
sections et en section centrale. Laissez, a-t-on dit, la section centrale faire
son rapport, ou plutôt un quasi-rapport, car elle ne ferait rapport que sur une
partie ; on verrait ensuite pour le reste ; laissez donc la section centrale
faire une partie de son rapport, et vous verrez alors si vous devez renvoyer la
question à l’examen des commissions d’agriculture et des députations
permanentes.
L’honorable M de Brouckere, au
contraire, dit : Si vous renvoyez la loi à l’examen des commissions
d’agriculture et des députations permanentes, ce sera un ajournement indéfini,
ce sera le renvoi à la session prochaine. Je voudrais que ces messieurs se
missent d’accord entre eux.
M. de Brouckere. - C’est ce que nous allons faire.
M. Dumortier. - Ce sera difficile ; car, si vous voulez le renvoi aux commissions
d’agriculture et aux députations provinciales, à plus forte raison sera-ce le
renvoi à la session prochaine.
Comment, vous craignez un retard, et
vous accueillez la proposition de M. le ministre de l’intérieur, qui entraîne
un retard double ? J’entends un de mes honorables voisins qui dit que c’est un
retard éventuel. Eh bien, je réponds que, dans une question aussi grave, nous
devons être éclairés non seulement par le gouvernement, mais encore par nos
commettants, ; nous verrons plus clair par leurs yeux qu’à travers les lunettes
de M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de l’intérieur nous
dit qu’il a recueilli des renseignements. Mais nous voulons un examen non sur
les renseignements recueillis par le ministre, mais sur le projet présenté.
Nous voulons savoir si le projet a l’assentiment des populations ; s’il n’est
pas onéreux pour les campagnes. Voilà les motifs du renvoi que nous demandons à
y opposer, ce serait déclarer qu’on ne veut pas entendre, qu’il y a parti pris
de ne pas écouter les plaintes des populations sur un projet de loi d’une telle
importance
Je n’admets pas ce qu’a dit
l’honorable M. de Brouckere, que de toutes parts, on considérerait la
législation sur les céréales comme vicieuse. Je n’ai jamais entendu dire
qu’elle fût envisagée ainsi ailleurs que dans deux ou trois localités,
spécialement des ports de mer. Dans mon pays, je n’ai jamais entendu parler de
cette manière de la législation sur les céréales. Je ne conteste pas, du reste,
qu’il n’y ait des améliorations à y apporter.
Ce que demande l’honorable M. Eloy de
Burdinne, jamais vous ne vous êtes refusés à le faire pour les autres lois
d’intérêt industriel ; toujours vous avez renvoyé ces lois à l’examen des
intéressés, avant l’examen en sections. Si on propose ce renvoi après l’examen
en sections, c’est donc une innovation, innovation qui n’a qu’un but, à savoir
de priver la législature des commissions d’agriculture, des chambres de
commerce et des députations provinciales.
Il y a d’ailleurs une autre
considération : vous savez que les commissions d’agriculture ne se réunissent
que deux fois par an ; elles n’ont pas de réunions périodiques, comme les
députations provinciales ; si donc les commissions d’agriculture ne sont pas
mises en demeure par une résolution, elles ne se réuniront pas, et nous serons
privés de leurs lumières ; il importe de les leur demander, si vous voulez les
avoir. Pour moi je désire les avoir. Avant de résoudre une question si
importante, je serai charmé de connaître l’opinion de personnes qui s’y
connaissent beaucoup mieux que moi, beaucoup mieux que nous tous.
Pour accélérer, on pourrait ne pas
renvoyer aux chambres de commerce. (Réclamations.)
De quoi s’agit-il ? Quand on fait une loi sur l’industrie, est-ce qu’on la
renvoie aux commissions d’agriculture ? N’ayons donc pas deux poids et deux
mesures. Ou vous renvoyez à ces commissions les lois relatives aux produits
manufacturés ; ou, si vous ne le faites pas, ne renvoyez pas non plus aux
chambres de commerce les lois relatives à l’agriculture.
Je conçois, au reste, qu’on ne
partage pas cette opinion ; mais je dis qu’il n’y a pas lieu de tant se
récrier, car elle n’a rien de déraisonnable. En effet, l’agriculture est seule
intéressée dans la question. Je présume que l’assemblée veut accorder à toutes
les industries une protection égale, sérieuse, efficace ; l’industrie agricole
mérite d’ailleurs notre attention sérieuse autant que toute autre ; d’autant
plus que c’est sur elle que pèse la majeure partie des populations, que c’est
elle qui donne des moyens d’existence à la majeure partie des habitants du
pays. Si on veut simplifier l’instruction du projet de loi, il est évident
qu’on peut se borner au renvoi aux commissions d’agriculture.
Quant à nous, nous ne
chercherons jamais à élever les droits sur les grains étrangers assez haut pour
nuire aux populations, mais d’autre part, nous devons maintenir les droits à un
taux assez élevé pour que le fermier ait un bénéfice, en faisant vivre les
habitants.
Je dis donc qu’on pourrait se borner
a renvoyer le projet de loi à l’examen des commissions d’agriculture ; mais ne
les renvoyer à personne ; se borner à l’examen du gouvernement, se priver des
lumières de ceux qui nous ont envoyés dans cette enceinte, ce serait fausser la
discussion, ce serait risquer de résoudre en aveugles uns des plus graves
questions qui vous aient été soumises.
Remarquez, au reste, que nous avons
un mois devant nous ; nous commençons l’examen des budgets, qui durera au moins
un mois. Avant un mois, il nous est impossible de nous occuper de la loi des
céréales ; profitons de ce mois pour faire examiner le projet de loi par les
commissions d’agriculture, et nous aurons bien mérité de nos commettants.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je suis forcé de revenir
sur les réflexions que j’ai présentées à l’assemblée. On exagère la portée de
la loi. Elle a trois objets 1° 4 fr au lieu de 14 à l’entrée de l’orge (cet objet
est instruit depuis longtemps, c’est le renouvellement de la loi de l’an
dernier), °2 réduction du droit sur l’avoine (l’instruction est faite, elle
vous est soumise), 3° une meilleure gradation de l’échelle descendante, tant
pour le froment que pour le seigle. C’est une question extrêmement simple.
J’ai présenté ce projet de loi, avec
les pièces à l’appui ; c’est mon habitude.
Je demanderai à la chambre la
permission de lui indiquer les documents que j’ai annexés au projet de loi ce
sont :
1° Sub litt.
A à N, les lois et arrêtés temporaires et exceptionnels intervenus depuis la
loi de 1834 (j’épargne ainsi les recherches) ;
2° Sub
litt. O, un tableau qui expose en quelque sorte tout le mécanisme de la loi
rectifiée ;
3° Sub
litt. P, un relevé des prix moyens du froment et du seigle, destiné à faire
apprécier le rapport entre ces deux céréales ;
4° Sub
litt. Q, un relevé des prix moyens de l’orge ;
5° Sub
litt. R, un pareil relevé pour l’avoine ;
6° Sub
litt. S, un relevé présentant, à partir de 1835, les chiffres des importations
et des exportations du froment, du seigle, de l’orge, de l’avoine, des farines
et des pommes de terre. Ce relevé est destiné à faire apprécier les quantités
qui, pour les besoins de la consommation, doivent être demandés chaque année à
l’étranger ;
7° Sub
litt. T, le relevé, a partir de 1835, des droits et du régime d’entrée qui ont
été en vigueur sur le froment et le seigle ;
8° Sub
litt. U et V, un double relevé général des importations et des exportations des
céréales ;
9° Sub
litt. W, le relevé des droits perçus sur le froment et le seigle, de 1840 à
1842.
J’avoue que, si c’est là présenter un
projet de loi sans renseignements, je ne sais comment il faut s’y prendre pour
instruire une affaire.
On nous dirait au moment de nous
diviser en partisans et en adversaires de l’agriculture.
II s’agit ici d’apporter quelques
rectifications au système de 1834 ; ces rectifications sont telles que, selon
moi, elles sont de nature à sauver le système de 1834 qu’on regarde comme si
favorable à l’agriculture. J’insiste donc pour que l’examen du projet de loi,
en sections, suive son cours. Si un examen supplémentaire est nécessaire, la
section centrale lé fera. S’il lui faut des pouvoirs spéciaux, elle nous les
demandera.
- La demande d’ajournement faite par
M. le ministre de l'intérieur sur la proposition de M. Eloy de Burdinne est
mise aux voix par appel nominal.
En voici le résultat :
66 membres répondent à l’appel.
42 votent pour l’ajournement.
21 votent contre.
3 s’abstiennent.
En conséquence, l’ajournement de la
motion de M. Eloy de Burdinne est adopté.
Ont voté contre l’ajournement : MM.
Castiau, de Florisone, Delehaye, de Meer de Moorsel de Mérode, Deprey, de
Renesse, de Saegher, Desmet, Dolez, Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne,
Huveners, Lange, Peeters, Rodenbach, Simons, Vanden Eynde, Vilain XIIII et
Wallaert.
Ont voté pour : MM. Angillis,
Brabant, Cogels, de Baillet, de Brouckere, de Corswarem, Dedecker, Delfosse, de
Meester, de Naeyer, de Nef, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d’Huart,
Donny, Duvivier, Fleussu, Goblet, Henot, Jadot Kervyn, Lejeune, Lesoinne,
Liedts, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Morel-Danheel,
Nothomb, Orts, Osy, Pirmez, Scheyven, Sigart ; Thienpont, Van Cutsem, Van
Volxem et Zoude.
Se sont abstenus : MM. de
Les membres qui se sont abstenus sont
invités à en faire connaître les motifs.
M. de La Coste. - Je me suis abstenu, parce que je n’étais pas présent à la
discussion, je viens d’entrer.
M.
d’Hoffschmidt. - Je n’ai reçu le projet de loi sur
les céréales avec les renseignements qui l’accompagnent, que hier soir. Je n’ai
pu encore examiner si ces renseignements sont suffisamment complets ; j’ignore
donc s’il en faut de nouveaux, et j’ai dû m’abstenir.
M. Verwilghen. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l’honorable M. de
PROJET
DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DÉPARTEMENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES POUR L’EXERCICE
1844
M. de La Coste. - Messieurs, la section centrale chargée de l’examen du budget des
affaires étrangères et de celui de la marine, m’ayant nommé son rapporteur,
j’aurai l’honneur de déposer mardi le rapport sur le budget de la marine.
Aujourd’hui j’ai l’honneur de vous présenter le rapport sur le budget des
allaires étrangères.
- Ce rapport sera imprimé et
distribué.
La chambre fixe la discussion du
budget des affaires étrangères après celle du budget de la dette publique et
des dotations.
CÉRÉMONIE
DU TE DEUM
M. le président. - Le bureau vient de recevoir une dépêche de M. le ministre de
l’intérieur. Il va en être donné lecture à la chambre.
M. Huveners, secrétaire, donne lecture de cette dépêche :
« Bruxelles, le 8 décembre 1843.
« M. le président,
« J’ai l’honneur de vous
informer qu’un Te Deum sera chanté, le 16 de ce mois à midi, dans l’église des
SS. Michel et Gudule, à l’occasion de l’anniversaire de la naissance du Roi.
« L’escorte d’usage sera mise à
la disposition de la chambre, si elle le désire.
« Il me serait agréable, M. le président,
de connaître la décision qui sera prise à ce sujet.
« Agréez, etc.
« Le Ministre de l’intérieur,
Nothomb. »
- La chambre décide qu’elle se rendra
en corps au Te Deum. Cette décision sera portée à la connaissance de M. le
ministre de l’intérieur.
Discussion
générale
M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion générale du budget
des voies et moyens. La parole est à M. d’Hoffschmidt.
M.
d’Hoffschmidt - Messieurs, j’avais demandé, hier,
la parole, pour un fait personnel, parce que je crois que l’honorable M.
Delehaye, qui m’a répondu sur plusieurs points, s’est mépris sur le sens de mes
paroles.
L’honorable M. Delehaye, en me
répondant, vous a longuement parlé des souffrances de la classe ouvrière.
Messieurs, je n’ai pas dissimulé dans mon discours la misère qui règne dans la
classe des travailleurs de plusieurs de nos provinces. A Dieu ne plaise que je
ne compatisse autant que qui que ce soit à de pareilles souffrances et que je
veuille les atténuer. Cette situation doit occuper plus que toute autre le
gouvernement et le pouvoir législatif. Quant à moi, je serai toujours disposé à
prêter mon concours à toutes les mesures rationnelles qui tendraient à alléger
ces souffrances.
Un honorable orateur qui a pris hier
la parole, à la fin de la séance a, de son côté, mal compris plusieurs passages
de mon discours. Non seulement il m’a prêté quelques opinions que je n’ai pas
émises, mais même il m’a prêté des opinions tout à fait contraires à celles que
j’ai formulées.
Il m’a représenté d’abord comme
partisan de l’immobilité en matière d impôt et en toute autre matière. J’ai
manifesté, messieurs, une opinion tout à fait différente. Il me suffira de lire
quelques lignes de mon discours d’hier pour vous le prouver à l’évidence.
Voici comment je me suis exprimé :
« Un honorable orateur qui m’a
précédé a parlé beaucoup de la réforme de nos impôts actuels. Je ne pense pas
non plus, messieurs, que nous devrons rester dans une immobilité en quelque
sorte routinière. Je crois qu’il y a de nombreuses améliorations à apporter aux
impôts actuels, mais je crois aussi qu’il faut bien se garder d’improviser dans
cette matière.
Vous voyez donc, messieurs, que je
suis partisan d’une progression sage et modérée. Je ne suis contraire qu’à des
réformes brusques et imprévoyantes.
Quand j’ai fait mention de ces
réformes sociales qu’il fallait bien se garder de discuter prématurément dans
cette chambre, j’ai voulu vous parler de ces réformes qui sont soulevées dans
beaucoup d’ouvrages, dans beaucoup de publications ; de cette réforme de
l’organisation de l’industrie et de la société. De pareilles questions, il
serait dangereux de es discuter prématurément dans les chambres législatives.
Serait-il prudent, par exemple, de discuter dans les chambres législatives le
système de Fourier et d’autres systèmes semblables ? Je ne pense pas non plus
qu’il serait bon de livrer aux débats d’une chambre législative la question de
savoir s’il est nécessaire de rétablir maintenant, comme des économistes le
proposent, les jurandes et let maîtrises.
Voilà, messieurs, les réformes dont
je voulais parler, quand je disais qu’elles devaient être abandonnées encore
longtemps à l’examen des publicistes, à l’examen de la presse avant d’être
soulevées dans nos débats.
Et certes, en parlant de ces réformes
hardies, je n’ai pas entendu mentionner celles, par exemple, dont parlait hier
l’honorable M. Verhaegen, que je regrette de ne pas voir en ce moment dans
cette enceinte. Celles-ci, messieurs, n’ont rien de nouveau selon moi. Ce sont
des réformes d’impôt souvent formulées qu’il nous propose ; ce sont des
modifications qui ont été présentées chaque année dans cette chambre, et, si
elles n’ont pas été adoptées, ni même discutées, c’est qu’on les croit
inefficaces ; c’est que l’on est persuadé que, parmi les ressources indiquées,
ce ne sont pas celles-là qui doivent procurer des revenus considérables pour le
trésor.
Je ne dis pas que, dans les opinions
qu’il a émises, il n’y ait certainement plusieurs idées susceptibles d’être
adoptées. Je partage, comme tout autre le principe que l’impôt doit peser sur
la classe riche, sur la classe aisée et non pas sur la classe pauvre. Je crois,
par exemple, que si l’on augmentait les droits sur les vins, on ferait très
bien ; je crois qu’il est très absurde que les droits d’entrée sur cent
bouteilles de bon vin, comme le disait hier l’honorable orateur, n’étant que de
2 francs, ceux sur cent bouteilles vides soient de 6 fr. Mais, messieurs, je ne
sais pas si l’honorable membre voudrait substituer les impôts nouveaux qu’il
indique aux impôts actuellement existants. C’est là qu’il rencontrerait des
difficultés. Si l’on voulait, par exemple, faire table rase des impôts actuels
sur la consommation et y substituer les bases qui ont été indiquées, c’est
alors, je crois, que nous aurions des déficits, c’est alors que les tristes
prévisions que l’on nous a présentées sur notre avenir financier se
réaliseraient bien certainement. Il ne suffit pas qu’un impôt soit possible, il
faut qu’il soit profitable au trésor, il faut qu’il ne nuise pas à la classe
ouvrière, en diminuant le travail sans rapporter de notables revenus. C’est ce
qu’il faut bien examiner, surtout lorsqu’il s’agit des objets de luxe dont on
peut facilement se passer.
Le résultat de l’impôt est
nécessairement de diminuer la consommation de ces objets de luxe, de priver,
par conséquent, les classes ouvrières de travail et de ne presque rien
rapporter au trésor.
L’honorable préopinant vous a cité
aussi comme pouvant remplacer les autres impôts, l’impôt progressif sur les
revenus. Cet impôt, messieurs, en théorie, est certainement plus juste, plus
équitable, mais c’est dans l’application qu’il faut le juger. Dans
l’application il est impossible de l’établir sans que la contribution soit
exposée à l’arbitraire, et c’est pour cela, je pense, qu’on ne l’a jamais
adopté.
L’honorable M. Verhaegen a cité
encore les paroles que j’avais prononcées, relativement à l’Angleterre, et je
pense qu’il en a tiré des conséquentes fausses. Je n’ai point, dans le discours
que j’ai prononcé hier, parlé des institutions de l’Angleterre. J’admire
l’Angleterre comme une grande et puissante nation ; mais je n’admire nullement
l’état social de l’Angleterre, je n’admire nullement ce contraste d’immenses
fortunes, de fortunes pour ainsi dire fabuleuses, qui comptent leurs revenus
par millions, placées à côté d’une misère affreuse, à côté de masses d’ouvriers
souvent jetés sur le pavé, sans pain pour soutenir leur existence.
Ce n’est point seulement, du reste, à
ses institutions que l’Angleterre doit les souffrances de ses travailleurs, elle
les doit aussi à une cause plus générale, à son régime industriel. Avec ce
régime, la perte d’un débouché, l’invention d’un procédé nouveau dans
l’industrie, une guerre, une apparence de guerre même, suffit souvent pour
enlever le travail à des masses d’ouvriers et les plonger dans la misère.
On m’a reproché aussi, messieurs,
d’avoir présenté la situation de notre pays sous un aspect trop brillant. Je
sais bien que, depuis quelques années surtout, il est, en quelque sorte, de
mode de représenter
Je ne considère pas, comme on
l’a bien voulu dire, un budget de 109 millions comme une chose extrêmement
satisfaisante, mais j’ai dit que j’espère de l’avenir ; j’ai dit que j’espérais
que la progression croissante suivie depuis quelques années par le chiffre du
budget, progression qui, en effet, est devenue presque effrayante, j’ai dit que
j’étais convaincu que cette progression allait s’arrêter. J’ai la confiance
qu’un pays libre et riche comme
Je n’en dirai pas davantage, pour ne
pas abuser des moments de la chambre.
M. Dumortier. - J’ai demandé la parole pour ne point laisser passer sans réponse
certaines observations présentées par l’honorable préopinant, relativement au
système financier du pays, dans le discours qu’il a prononcé hier et dont ses
dernières paroles sont le résumé. Cet honorable membre a présenté la situation
financière de
M.
d’Hoffschmidt. - Pas du tout.
M. Dumortier. - Il m’a paru résulter de votre discours que l’état de nos finances
était infiniment prospère et je pense que vos paroles ont fait la même
impression sur tous mes honorables collègues. Quant à moi, je ne partage
nullement cette opinion. Je ne puis découvrir la prospérité dont l’honorable
membre a parlé hier, et je crois que ce serait laisser le gouvernement et le
pays s’égarer que de laisser de pareilles assertions sans réponse. Je ne
prétends pas dire que l’état de
Certainement, messieurs, la situation
financière du pays ne s’est point améliorée depuis quelques années. L’honorable
député de Liége qui a parlé le premier dans la séance d’avant-hier, nous a
présenté des faits appuyés de chiffres et qu’il me paraît impossible de
méconnaître. Lorsque l’honorable M. Delfosse est venu nous exposer les déficits
successifs que notre situation financière a présentés, lorsqu’il est venu
mettre sous vos yeux les augmentations de dépenses que vous avez dû voter
chaque année, lorsqu’il vous a signalé l’accroissement progressif des impôts
qui pèsent sur le pays, manifestement, c’est là une chose fort sérieuse sur
laquelle le pays et la chambre des représentants ne sauraient faire de trop
mûres réflexions.
Messieurs, nos mauvaises situations
financières datent de 1839 ; c’est de cette époque que partent les déficits
successifs, les découverts du trésor qui ne sont que des déficits, et tout ce
qui crée pour le présent et pour l’avenir les embarras financiers en face
desquels nous nous trouvons. Tout cela est la suite nécessaire du traité que vous
avez votée en 1839 ; à cette époque, messieurs, vous avez admis deux principes
qui devaient être extrêmement nuisibles au trésor public ; c’est, en premier
lieu, le paiement d’une dette énorme que nous n’avions point contractée, d’une
dette de 10 millions de francs par an, portée à 11 millions par le rachat de la
navigation d’Anvers ; c’est en second lieu, la malheureuse cession du Limbourg
et du Luxembourg, qui nous a privé d’un revenu assuré jusqu’alors, qui
s’élevait à près 4 millions de francs.
J’examine ici la chose, messieurs,
uniquement sous le point de vue du trésor public, je ne veux pas rappeler des
souvenirs plus déchirants, je veux seulement faire remarquer que l’état fâcheux
de nos finances est dû surtout au traité voté en 1839. Toutefois, nous aurions
pu trouver dans le traité du 5 novembre 1842, des ressources considérables, car
quelque mauvais que fût le traité de 1839, son texte présentait encore des
moyens d’améliorer notre situation financière, malheureusement ces moyens n’ont
amené aucun résultat satisfaisant pour le trésor. Nous avions des droits à
faire valoir pour une somme de plus de 100 millions ; ces droits n’ont rien
amené, absolument rien dans le trésor public, ils sont perdus sans retour.
Ainsi, vous aviez des droits manifestées sur 32 millions de los-renten, et
malgré le droit le plus incontestable, il ne vous est rien rentré de ce chef
lors du traité de 1842.
Un article du traité stipulait en
termes exprès les droits de
Cette note a été perdue et l’on a
encore dépensé 8 millions pour le rachat des propriétés qui devaient nous
revenir gratuitement.
Enfin, on a admis un prétendu
principe de non-liquidation dans les bases qui devaient nous présenter des
avantages, et ce même principe on l’a abandonné sur celles qui devaient nous
amener de la perte, en sorte que les ressources que le premier traité aurait pu
présenter ont été entièrement perdues dans le second.
Ainsi en résumé, le premier traité a
amené une perte considérable pour le trésor, et le deuxième traité qui aurait
dû améliorer notre situation financière, n’y a exactement rien changé.
Maintenant on s’étonne que pour
L’honorable M. d’Hoffschmidt nous a dit
hier que le déficit de la balance commerciale s’élève à 92 millions. Je
n’examinerai point si ce chiffre est exact, je le crois même très exagéré, mais
ce que je sais parfaitement, c’est que chaque année le chiffre de ce déficit va
en augmentant. C’est là un point extrêmement grand sur lequel le gouvernement
ne porte pas une attention assez sérieuse. Il importe que le gouvernement
comprenne la nécessité de faire tous les efforts imaginables pour rendre le
résultat de la balance commerciale moins préjudiciable au pays, car il est
évident, messieurs, que lorsque vous n’expédiez pas de marchandises en échange
de celles que vous tirez de l’étranger, il ne vous reste qu’un seul moyen de
liquider vos comptes à la fin de l’année, c’est de payer le solde en numéraire
et dès lors le pays s’appauvrit. Eh bien, c’est là la situation actuelle de
L’honorable M. d’Hoffschmidt a
prétendu que le pays s’était considérablement enrichi depuis quelques années et
il en a vu la preuve dans les propriétés foncières qui étaient autrefois
possédées par des étrangers et qui ont été acquises par des Belges. Mais
l’honorable membre a perdu de vue les capitaux énormes versés dans le pays
depuis la révolution, circonstance dont il ne faudrait jamais faire abstraction
dans ces sortes de discussions ; il a perdu de vue les emprunts considérables
que
D’un autre côté, la vente de
plusieurs de nos richesses minières en actions industrielles sur les marchés
étrangers, a amené aussi temporairement des capitaux considérables en Belgique,
et l’introduction de ces capitaux a été également augmentée par suite d’un
événement funeste, je veux parler de la chute de la banque de Belgique dont
plus de 15 millions se trouvaient à Paris.
On peut, sans exagération, dire que
du chef des emprunts, du chef de la chute de la banque de Belgique, du chef des
sociétés industrielles, 200 millions de capitaux ont été déversés en Belgique,
pendant les dix premières années de notre émancipation politique. C’est là une
source considérable de prospérité, mais ce n’est qu’une prospérité momentanée,
quand la balance commerciale n’a pas pour résultat de conserver ces capitaux
dans le pays.
Or, ces capitaux n’ont pas été conservés
dans le pays. Je vous en fais connaître les causes. Une des principales causes,
c’est le résultat de la balance commerciale ; une autre, notre système
monétaire ; une autre enfin, c’est la nécessité d’envoyer du numéraire à
l’étranger pour le payement de la dette nationale, ce dernier point est, je le
sais, un mal sans remède. Mais il fallait que le gouvernement, par des mesures
sagement combinées, cherchât à faire entrer dans le pays, au moyen de
l’industrie, d’autres capitaux, pour balancer ceux qui en sortaient.
C’est ce qui, malheureusement, n’a
pas été fait ; depuis 5 ans le pays s’est sensiblement appauvri, car,
jusqu’aujourd’hui, on a administré ; on n’a pas gouverné.
C’est donc une erreur de dire, avec
l’honorable M. d’Hoffschmidt que la richesse publique s’est considérablement
accrue depuis ces dernières années. Je dis qu’il y a eu accroissement momentané
de la richesse publique pendant les premières années de notre régénération,
mais que depuis le traité de 1839, la richesse publique, loin de s’être accrue,
a éprouvé, au contraire, une diminution, et que si l’on ne se hâte pas
d’apporter un remède convenable au mal que je signale, cette richesse publique
diminuera encore.
Parmi les vices de notre système
financier, il en est un que nous devons chercher à écarter pour l’avenir, je
veux parler du système des emprunts. Depuis la révolution, nous nous sommes
jetés dans un système d’emprunts qui doit entraîner les conséquences les plus
funestes pour le pays. Je l’ai déjà dit, nous avons emprunté pour 300 millions
depuis la révolution, de manière que depuis 1831, nous avons emprunté pour 28
millions de francs ; je vous le demande, messieurs, un pays peut-il longtemps
marcher dans cette voie ?
J’appelle surtout l’attention de la
chambre sur ce point, parce que le gouvernement, dans le discours du trône, a
parlé de la création d’un système de canaux. Or, si la chambre ne mettait pas
un terme à ces dépenses, ce système de canaux nous jetterait dans une voie
aussi dispendieuse que celle dans laquelle nous a entraînés la création du
chemin de fer avec, toutefois, cette différence, que le chemin de fer, s’il est
bien administré, produira plus tard l’intérêt des capitaux que le pays a
engagés dans sa construction, tandis que les canaux ne doivent jamais amener un
pareil résultat.
Messieurs, c’est une vérité que nous
ne devons pas perdre de vue, l’avenir du pays gît entièrement dans la question
financière. Il faut que le gouvernement et les chambres sachent mettre un terme
aux dépenses désordonnées, il faut avoir le courage de se mettre un frein à
soi-même si l’on veut conserver la nationalité du pays, il faut ne pas vouloir
faire tout en un jour, il faut savoir réserver quelque chose pour l’avenir.
Si donc on voulait aujourd’hui entrer
dans le système infiniment onéreux des canalisations, et qui, dans aucune
hypothèse, ne peuvent couvrir les dépenses que l’on ferait, vous augmenteriez
les charges publiques, et vous créeriez un abîme sous vos pas.
Un autre système non moins dangereux
est celui suivi relativement aux bons du trésor. M. le ministre des finances
dans le projet de budget, porte un chiffre pour les intérêts des 30 millions à
4 p. c., provenant de l’encaisse de
Ceci me porte à appeler l’attention
de la chambre sur un grand vice de la législation actuelle, je veux parler des
bons du trésor.
Les bons du trésor sont, à mon avis,
la principale source de notre mauvaise gestion financière, parce que c’est un
moyen facile auquel on a recours pour commencer toutes les entreprises
dispendieuses, et l’on finit toujours par être obligé de créer des emprunts.
Pour moi, je forme un vœu sincère, je
désire que la chambre comprenne enfin la nécessité de supprimer les bons du
trésor. C’est là une mesure indispensable ; si l’on veut assurer l’avenir de
Nous avons une armée considérable que
nous n’entretenons que pour la défense du territoire et moi, je suis un de ceux
qui veulent une forte armée pour la défense du territoire ; mais
Voilà, messieurs, les conséquences
qui peuvent découler de notre système financier actuel. Il importe donc de
faire cesser un semblable système qui n’a ni présent, ni avenir.
Vous ne manquerez pas pour cela de
moyens. Vous avez des bons 4 p. c. jusqu’à concurrence de 30 millions de
francs. Eh bien, par une combinaison sage, émettez cette somme ; vous n’auriez
pas alors besoin de passer par aucun emprunteur, et vous auriez de quoi couvrir
votre dette flottante qui sera toujours un chancre pour le pays. Créez-vous
ensuite un fond de caisse, pour parer à toutes les éventualités de guerre qui
peuvent surgir et vous aurez rendu au présent et à l’avenir le service le plus
important.
Eh, je vous le demande, à quel moyen
auriez-vous recours, si des événements calamiteux venaient à arriver ?
L’emprunt forcé peut-être !... L’emprunt forcé ! on y a eu recours avec succès
en 1830, lorsqu’il s’est agi d’une guerre nationale, du maintien de l’indépendance
qu’on venait de reconquérir. Mais c’est là un moyen que des hommes d’Etat ne
doivent pas employer deux fois.
L’emprunt forcé, ne vous y trompez
pas, l’emprunt forcé, dans la situation actuelle du pays, avec l’espérance qui
nourrit une nation voisine, d’amener une réunion politique, l’emprunt forcé
serait une arme dont on s’emparerait pour la tourner contre la nationalité. (Adhésion.) Oui, messieurs, cet état de
choses mérite toute votre attention, et je suis heureux de voir que mes paroles
sont recueillies avec quelque sympathie par l’assemblée.
Messieurs, il est temps de mettre un
terme à une semblable situation, nous devons nous créer un système financier
définitif, prévoir les éventualités d’un armement pour la défense du
territoire, et nous le pouvons maintenant d’autant mieux que notre liquidation
avec
Il est un autre objet d’une
importance extrême, complément nécessaire du système financier, et que la
chambre semble avoir perdu de vue jusqu’ici, c’est la création d’un système
monétaire national. Mon honorable ami, M. d’Huart, a présenté à cet effet, il y
a six ans, un projet de loi dont les dispositions rentrent dans les vues que
j’ai indiquées à plusieurs reprises. Déjà, et même dès l’année 1832, j’ai eu
l’honneur de faire remarquer à la chambre combien le système monétaire que nous
votions pouvait avoir des résultats fâcheux. Je sais que ce système, fondé sur
une analogie parfaite avec la monnaie de France, facilite les transactions
commerciales ; mais les nations ont encore à se préoccuper d’autre chose, des
événements graves, des crises qui peuvent surgir d’un jour à l’autre. Eh bien,
c’est pour parer à de semblables éventualités que de véritables hommes d’Etat
doivent avoir des vues d’avenir et trouver des moyens pour empêcher que des
crises de cette nature ne viennent désorganiser le pays, le précipiter à sa
perte. Eh bien, messieurs, notre système monétaire actuel est tel que, grâce à
un jeu de banque, une nation ennemie peut, en quelques jours, enlever tout le
numéraire du pays et nous plonger ainsi dans une crise affreuse. Nous en avons
vu plus d’un exemple.
Je dis donc qu’il est absolument
nécessaire de reformer notre système monétaire, et surtout de nous créer une
monnaie de billon. D’un bout du pays à l’autre, on se plaint du manque de
numéraire d’argent. Il y a dix ans qu’on a créé une Monnaie à Bruxelles, et il
y a dix ans qu’on n’y bat pas de monnaie.
On me dit que
La chambre devrait donc se hâter
d’adopter le projet de loi que mon honorable ami M. d’Huart lui a présenté, et
qui est empreint d’une sagesse telle que je tiens d’hommes des plus éminents
d’un pays voisin que ce projet est digne de servir désormais de modèle à tout
système monétaire.
Voilà des objets d’une importance
majeure, sur lesquels l’assemblée doit fixer toute son attention. Voilà de
véritables réformes, des réformes utiles, indispensables, pour donner au pays
un caractère de stabilité. Les moyens que j’indique, contribueront à empêcher
le numéraire de sortir du pays, comme il en est sorti jusqu’ici ; ces moyens
nous assureront au présent la conservation des sources de la richesse
nationale, et nous préserveront des crises toujours inséparables de l’existence
d’une nation.
Messieurs, avant de terminer, je ne
puis m’empêcher de dire quelques mots sur les projets d’impôt dont un honorable
député de Bruxelles vous a entretenus dans la séance d’hier.
Selon mon honorable collègue, on
devrait changer la plupart de nos impôts et remplacer ces impôts par deux
autres, l’impôt progressif et l’impôt sur les successions en ligne directe. Je
crois devoir dire quelques mots à ce sujet, parce que l’honorable membre qui
m’a précédé, a dit que ces propositions n’avaient rien de dangereux. Je ne
partage pas cette opinion. Je les regarde, au contraire comme infiniment
dangereuses, comme constituant dans le pays une révolution et une révolution
terrible qui laisse toujours des traces profondes,
Ce n’est pas d’aujourd’hui,
messieurs, que je soutiens que les meilleurs impôts sont les plus anciens, ceux
auxquels le peuple s’est fait, ceux dont il ne se plaint pas.
L’expérience des temps et des nations
est là pour démontrer la vérité de cette assertion. Le peuple s’est habitué à
ces impôts parce que le temps est venu faire disparaître ce qu’il y avait eu
d’acerbe ou ce qui avait paru tel dans leur établissement. Aussi un ancien
impôt, quand il est juste, est-il toujours le meilleur.
Quant à l’impôt progressif, j’en
dirai aussi quelques mots, parce que M. le ministre de l’intérieur, dans une
circulaire aux administrations communales a paru en jeter les idées en avant.
Je dis que dans un pays comme le nôtre, l’impôt progressif serait la chose la
plus inique. En effet, comment peut-il être établi ? Par les administrations
locales ou par les délégués des administrations locales. Or, par suite du
système électoral qui nous régit presque toujours, vous voyez dans les
communes, un seul parti arriver au pouvoir et l’autre n’y être pas même
représenté. Quelle serait la conséquence d’un système qui mettrait la fortune
des particuliers aux mains des conseillers communaux ? Vous l’avez tous dit
avant moi, ce serait de faire peser tous les impôts sur les minorités. Voilà
une observation que je livre à l’appréciation de l’auteur de la proposition. Je
ne pense pas qu’il soit possible d’asseoir un pareil impôt sans arriver à un
résultat aussi funeste, qui mettrait le couteau à la main des habitants pendant
des siècles sans qu’il soit possible de porter remède à un pareil malheur. Les
élections sont aujourd’hui des accidents passagers, et on voit, quand elles
sont terminées, les hommes qui s’y étaient montrés les adversaires les plus
animés, se donner la main. Il n’en sera pas ainsi quand il se formera une
division basée sur l’intérêt, cette division sera permanente et elle pourra
avoir les conséquences les plus funestes. En effet, supposez un moment de crise
de guerre en Europe, et vous verrez quels éléments l’étranger trouvera dans de
semblables divisions.
Quant à l’impôt sur les successions
en ligne directe, je dirai qu’il a été reprouvé de tout temps en Belgique.
Quand le roi Guillaume régnait sur nous, il s’est souvent trouvé dans une gêne
très grande. Eh bien, il a toujours reculé devant l’établissement d’un impôt
sur les successions en ligne directe. Il n’a jamais voulu y consentir, et nos
anciens frères du Nord, les états-généraux de Hollande, quoique pressés par
leur situation financière, ont rejeté deux fois un projet de loi d’impôt sur
les successions en ligne directe.
Il ne faut donc pas laisser passer de
pareilles propositions inaperçues ; ce serait faire croire à la classe moins
fortunée qu’il y a moyen de frapper un nouvel impôt quelconque sur la classe
riche et la mettre en hostilité avec cette partie de la nation. Il serait
fâcheux qu’il en fût ainsi. Je ne pense pas, pour mon compte, qu’un pareil
impôt puisse être admis. Que si je prenais les bases de l’honorable collègue
auquel je réponds je pourrais faire voir combien son système prêterait à
l’absurde. En effet, pour les successions au-dessous de 2,500, il y aurait
exemption de droit, celles de 2,500 à 5,000 paieraient 1/4 p. c., celles de
5,000 à 10,000 paieraient 1/2 p. c., celles de 10 à 20,000 paieraient 1 p. c.,
celles de 20 à 30,000 paieraient 2 p. c., celles de 30,000, 3 pour cent, de
40,000, 4 pour cent, de 60,000, 6 pour cent, et ainsi de suite, car c’est ainsi
que le système a été formulé. Quelle serait la conséquence en suivant ce
système ? C’est que, quand on hériterait d’un demi-million on n’en aurait que
la moitié de sa fortune ! et quand ou hériterait d’un million, on n’en aurait
plus rien ; le fisc s’emparerait de tout l’avoir.. De manière que, pour
protéger les pauvres, on commencerait par en faire. Je crois que cette simple
observation prouve combien la donnée mise en avant est peu pratique et éloignée
de la possibilité. Je ne crois pas que le pays consente jamais à
l’établissement d’un impôt, qu’en aucune circonstance, à aucune époque,
Pourquoi voulez-vous que la famille
paie un droit pour une chose qui lui appartient ? Si vous ne voulez pas
que la propriété appartienne à la famille, laissez donc au père de famille le
droit d’en faire ce qu’il veut. Mais si le père de famille n’en est que
l’usufruitier, il est injuste de faire payer un impôt au propriétaire quand
l’usufruitier vient à mourir.
Nous avons d’ailleurs, dans le pays,
des matières imposables, nous avons des objets sur lesquels on peut mettre des
impôts, sans recourir à des moyens extrêmes comme ceux-là. Loin de moi l’intention
de vouloir augmenter les impôts. Nous voilà arrivés à un budget de 110 millions
! Nous sommes bien loin du budget de 1831. Alors tout le budget de l’Etat ne
s’élevait qu’à 66 millions. Aujourd’hui il s’élève à 110. Il faut, il est vrai,
retrancher 10 millions pour le chemin de fer, mais il reste encore une
augmentation de 35 millions depuis 1831.
Cependant, s’il y avait nécessité
d’augmenter les impôts, si des intérêts majeurs venaient à l’exiger,
faudrait-il recourir à des moyens qui seraient une révolution financière dans
le pays ? Je ne le pense pas ; il y a des sources de revenus dont vous pouvez
vous emparer. Pourquoi ne pas mettre un droit et un droit très raisonnable sur
les tabacs étrangers ? Voilà bien la matière la plus imposable. Le peuple n’en
souffrira pas, car il ne se sert que du tabac du pays, celui qui consomme le
tabac étranger peut bien payer le droit. Je dis que voilà une source de revenu
public dont on peut s’emparer sans crainte de frapper la classe pauvre.
On pourrait mettre un droit
raisonnable sur le tabac par un autre motif encore ; c’est que ce droit ne
ferait aucun tort au commerce, parce que le tabac est prohibé en France, qu’il
existe aussi une régie en Allemagne et qu’un droit même raisonnable ne
modifierait en rien l’exportation que nous pouvons faire vers ces pays. Je
suppose qu’on mette sur le tabac un droit de 10 centimes à la livre ; je pose
en fait que le commerce interlope n’introduira pas une livre de moins en France
ou en Allemagne, et ce sera un revenu énorme pour le trésor.
L’honorable M. Peeters avait proposé,
dans l’intérêt de l’agriculture, un impôt sur les bois étrangers. N’est-ce pas
une chose anormale ; je pourrais dire anomale, que quand nos bois paient un
droit considérable par l’impôt foncier dont on charge la terre pendant tout le
temps de leur croissance, les bois étrangers n’en paient pas.
On invoquera l’intérêt de la
navigation eh bien ! qu’on exempte du droit les bois employés à la construction
des navires, j’admets donc l’intérêt commercial qui sollicite cette faveur pour
les constructions maritimes. Mais quand on se sert de bois étrangers pour les
constructions territoriales, on ne doit pas exempter ces bois, on doit leur
faire payer un droit proportionné à celui qu’ont payé les chênes et les bois blancs
nés dans le pays. Voilà une ressource d’autant plus belle que, par suite du
défrichement de nos forêts, la consommation des bois étrangers va chaque jour
en augmentant. Vous pourriez donc, tout en protégeant les constructions
maritimes, constituer une grande ressource pour le trésor, sans recourir à des
moyens vexatoires et dangereux, vous créeriez une ressource nouvelle et en même
temps insensible pour le contribuable.
Comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas
la classe indigente qui use du tabac étranger ; ainsi mon impôt frapperait sur
le riche et non sur le pauvre. Je n’examinerai pas les autres sources d’impôt
qu’on vous a présentées. Je désire que le gouvernement doive en présenter le
moins possible, je désire que nous puissions balancer nos dépenses par nos
recettes sans augmentation de charge pour les contribuables. Il est
indispensable que le pays arrive, après 13 années, à établir enfin l’équilibre
entre les recettes et les dépenses. C’est urgent si vous voulez assurer
l’avenir national.
Il est un autre point sur lequel
votre attention a été appelée et sur lequel je dirai quelques mots. C’est la
situation de notre industrie, Il est incontestable que l’industrie est dans un
état de souffrance bien grave et qui n’est pas de nature à devoir disparaître
bientôt. Je le déclare, après avoir examiné mûrement la question de nos
alliances en Europe, je suis arrivé à cette conviction profonde que, à part
quelques traités particuliers, pour quelques abaissements de droits spéciaux
que nous payerons bien cher, alors que nous avons supprimé les moyens que nous
avions d’offrir des équivalents, ce n’est pas de ce côté que nous devons
chercher la prospérité de l’avenir commercial de notre pays. Selon moi, il est
indispensable que le pays comprenne qu’un seul système est favorable à son
avenir, celui de la colonisation, c’est le seul qui ait un côté sérieux,
efficace et pratique ; je dis que tous nos efforts iront se briser contre la
France et l’Allemagne. Peut-être pourrons-nous obtenir des conditions
favorables de
Messieurs, il faut reconstituer notre
ancienne marine. Autrefois, la marine flamande couvrait toutes les mers ;
pourquoi ne ferions-nous pas nos efforts pour retrouver cette prospérité qui
faisait naguère la gloire des ports de Bruges et d’Anvers ?
En troisième lieu, il est
impérieusement nécessaire, vu l’accroissement de la population, que
Vous déverserez dans ces
colonies le trop plein de la population ; vous soulagerez ainsi les Flandres,
dont la position est terrible et dont la position ne fera qu’empirer à mesure
que l’industrie linière à la mécanique se développera. Vous assurerez ainsi à
un grand nombre de citoyens une existence prospère, en même temps que vous
favoriserez l’industrie et les relations commerciales du pays et que vous
assurerez par là la prospérité publique.
Voici donc le système que le
gouvernement doit suivre : supprimer la dette flottante ; conserver un fonds de
caisse pour assurer l’existence de
M. Eloy de Burdinne. - Je vois que la chambre est fatiguée de cette discussion. Je me
bornerai donc à quelques observations.
Il faut améliorer notre système
financier, en ce qui concerne les droits imposés sur les produits étrangers. Dans
la séance d’hier, l’honorable M. Cogels a dit qu’il serait dangereux de réviser
notre législation sur les sucres. Dans une séance précédente, j’avais indiqué
les sucres comme un objet susceptible d’être plus imposé. Mais on craint
d’imposer ainsi une charge au consommateur ; c’est une erreur ; nous en avons
deux exemples frappants. Vous avez imposé, dans la session dernière à 4 fr.
l’orge qui auparavant ne payait rien. Eh bien, l’orge n’a pas, haussé
immédiatement.
Dans la session dernière, vous avez
établi un impôt sur les sucres ; cet impôt vous produit 3 millions, au lieu
d’un million seulement que le sucre rapportait auparavant. Qu’en est-il résulté
? Le sucre a-t-il renchéri ? le consommateur en a-t-il souffert ? Nullement. Le
sucre n’a pas renchéri d’un centime. Ceci prouve que l’impôt sur les produits
étrangers est supporté presque toujours par l’importateur. Vous avez obtenu
deux millions en plus sur l’impôt des sucres. Eh bien, établissez sur le sucre
un droit de 25 c. de plus par kilog. Au lieu de 3 millions, vous aurez 10
millions, et le sucre n’augmentera que faiblement ; l’étranger vendra le sucre
2 c. de moins par kilog.
Je viens au tabac, dont un honorable
préopinant vous a entretenus. Si l’impôt sur le tabac était augmenté de 25 c.
par kilog., cela rapporterait 3 millions de plus ; en effet, vous savez que
l’on peut évaluer le nombre des consommateurs à 2 millions et à 6 kilog. par
consommateur la quantité de tabac consommée. A 25 c. par kil., cela produirait
3 millions.
J’appellerai aussi l’attention
de M. le ministre des finances sur l’entrée des livres ; nos livres sont
frappés à l’entrée en France de droits considérables, presque prohibitifs ; les
livres venant de France, au contraire, sont soumis à l’entrée en Belgique, à un
droit minime, qui peut être considéré comme un simple droit de balance. Il est
évident qu’il conviendrait d’augmenter ce droit.
Je n’entends pas imposer mes idées au
gouvernement ; je n’ai fait que signaler les moyens d’augmenter les revenus du
trésor. Par contre, si l’on adopte le système d’imposer davantage des produits
que je considère comme des objets de luxe, tels que le sucre et le tabac, si
l’on obtenait ainsi un accroissement de revenu, je demanderais que l’on
réduisît en proportion les droits sur la bière et sur le sel.
Je bornerai là mes observations. J’en
ai d’autres à faire ; je me réserve de les présenter dans la discussion des
articles.
M. Van Cutsem. - Messieurs, ce que j’ai toujours désiré trouver dans un ministère, ce
sont des vues de conciliation et d’impartialité ; c’est une volonté ferme de
s’occuper sérieusement des affaires du pays.
Le ministère qui leur en donnera sera
pour cette classe intéressante et pour la partie saine et bien pensante de la
nation celui qui méritera le mieux du pays.
Si nous pouvons attendre des hommes
qui sont au pouvoir ce bien-être pour la nation, tout est dit, ils auront mon
appui.
Le gouvernement est placé plus haut,
a une raison plus éclairée que les assemblées politiques ! Par sa position il
sait mieux ; peut-être satisfait-il moins les opinions exagérées, mais il sert
plus complètement les intérêts du pays, et cela est préférable pour moi.
Le pouvoir, à mon avis, a intérêt à faire
le plus de bien possible, et aussi longtemps que les hommes qui sont au pouvoir
n’auront pas démérité, c’est cet intérêt qui doit être leur caution pour tout
homme de sens. Ne dénaturons donc pas sans raison et d’avance leurs projets ;
critiquons leurs actes mauvais, quand ils seront posés, mais ne leur faisons
pas de procès de tendance, ne retombons pas dans des fautes commises à une
autre époque, n’attaquons le ministère que s’il venait nous proposer des lois
réactionnaires, mais ne lui prêtons pas l’intention d’en doter le pays pour
avoir le plaisir de le combattre, alors qu’il ne lui viendra peut-être jamais à
l’esprit de les proposer aux chambres.
Quand je dis qu’il ne lui viendra
peut-être jamais à l’esprit de demander à la chambre des mesures réactionnaires,
je lui fais injure en prononçant ce mot peut-être
; parce qu’il est impossible que le ministère, composé des hommes que nous
voyons aujourd’hui au banc ministériel, ait un jour de pareilles idées. Je me
hâte donc de dire que pareille pensée ne sera jamais la sienne, il ne se
laissera pas pousser par les partis dans des intérêts aristocratiques,
cléricaux ou ultralibéraux, il conservera au pays toutes les libertés que la
constitution nous a données, il marchera entre les différents extrêmes ; il en
agira ainsi, parce que telles sont ses convictions, et qu’il sait bien aussi
qu’il n’y a pas d’autre voie à suivre pour réconcilier les différentes
oppositions entre elles, et pour donner au pays cette somme de bonheur qu’il a
le droit de réclamer de ceux qui le gouvernent.
Le langage que je tiens aujourd’hui
ne surprendra que ceux qui le jugeront sans réflexion ; partisan d’un ministère
renversé injustement, parce qu’on n’a pu lui reprocher aucun acte et qu’on n’a
pu lui prêter que des intentions, je ne me suis pas dit que je ne jugerais pas
sans passion la position réelle des choses sous ses successeurs, que, par cela
même qu’une injustice à laquelle je n’avais pris aucune part avait été faite,
j’attaquerais sans raison, à mon tour, pour venger l’affront fait à ces hommes,
d’autres hommes qui peuvent faire le bonheur de mon pays ; telle n’a pas été ma
pensée et telle ne serait pas même ma pensée si j’avais été au nombre des
hommes victimes de l’erreur parlementaire dont je parle ; alors encore, déposant
tous motifs de ressentiment sur l’autel de la patrie, je ne voudrais d’autre
vengeance, d’autre réhabilitation, que celle de forcer mes adversaires à dire
que nul n’a travaillé plus que moi pour donner à
Le ministère au pouvoir aujourd’hui
me convient, à moi, parce qu’il n’a pas une majorité de parti, une majorité
compacte et toute dévouée, qu’il n’a pas, dans cette enceinte, une seule
opinion toute puissante pour lui, et que, dans une position pareille, il ne
peut se maintenir au pouvoir qu’avec une majorité qu’il se créera par une
sollicitude administrative et une juste protection des intérêts de tous. Les
partis portent avec eux-mêmes quelque chose d’implacable, et triste
gouvernement que celui qui se fait parti ! Le pouvoir pardonne quand il n’est
pas l’émanation d’un parti, parce qu’il voit de haut ; les factions jamais,
parce qu’elles contractent toutes les faiblesses de l’individu. Que ce
ministère, auquel je crois pouvoir donner mon appui, parce que je suis
convaincu qu’il n’est pas composé d’hommes de parti, ne fasse pas non plus les
affaires de l’un ou l’autre parti, en donnant à des hommes de ce parti des
positions en cette seule qualité, car ce serait y leur donner un moyen de
triompher dans l’avenir, sans s’assurer leur reconnaissance pour les opinions
modérées, qui sont aujourd’hui au banc ministériel. Les partis, je le répète,
ne seraient pas tenus à la reconnaissance ; ils font leurs affaires, et voilà
tout.
N’oubliez donc pas, ministres,
aujourd’hui au pouvoir, que vous ne devez pas prendre les partis par la main
pour les conduire aux affaires, et vous aurez bien mérité de la confiance que
le souverain a eue en vous, en vous donnant la direction du gouvernement.
Je n’aborderai la discussion des
budgets que pour vous dire que j’ai pleine foi dans les paroles du ministre qui
est à la tête du département des finances, parce que je vois que ce haut
fonctionnaire nous fait connaître, comme en 1840, notre véritable situation
financière : en 1840, il nous dit que le découvert du trésor était de
25,000,000 de francs, et personne, jusqu’à ce moment, ne nous a prouvé qu’il
était plus élevé. Aujourd’hui, il nous apprend qu’il est de 37,000,000 de
francs ; est-ce qu’un membre a établi par des chiffres qu’il ira au-delà ? Si
le ministre a été dans le vrai, en nous signalant le découvert du trésor,
pourquoi n’en serait-il pas de même lorsqu’il nous déclare qu’il y a insuffisance
de 400,000 francs au budget des voies et moyens pour faire face à toutes nos
dépenses ? Puisqu’il nous a, en toutes circonstances, fait connaître notre
véritable position financière, pourquoi ne nous en rapporterions-nous pas à
lui, quand il nous donne la certitude que, sous peu, tous nos embarras
financiers auront cessé ?
Que l’insuffisance du budget des
voies et moyens soit de 300,000 fr. comme elle résulte des propositions de la
section centrale ou qu’elle soit de quatre cent mille francs, selon le budget
présenté par l’honorable ministre des finances, n’y a-t-il pas exagération à
traiter cette insuffisance de déficit, de déficit tel que notre position
financière pourrait en être compromise, alors surtout que des projets de lois
déjà présentées sur les sels, sur les céréales comblent déjà amplement cette
insuffisance ? Je regarderais ces inquiétudes comme vaines, si un homme moins
expérimenté que le ministre actuel était au pouvoir ; avec un homme à
connaissances spéciales comme lui, je dis hautement que cette insuffisance ne
doit pas fixer sérieusement notre attention, qu’elle
cessera sous peu ; bien plus, je suis intimement convaincu que, s’il peut
diriger pendant quelque temps le ministère des finances, il parviendra sous
peu, comme il l’a promis, à rendre notre position financière bonne. Telle est
l’opinion que j’ai des promesses et du savoir de M. le ministre des finances ;
quant à ses opinions politiques, je le connais assez intimement, pour proclamer
qu’elles seront au banc ministériel ce qu’elles étaient sur le banc de simple
député ; elles seront d’un libéralisme modéré, d’un libéralisme tel qu’elles
recevront l’approbation des hommes qui, comme moi, ont les mêmes vues
politiques que l’honorable ministre et d’autres hommes qui, sous une dénomination
politique différente de celle qui nous est donnée à nous libéraux-modérés ont,
par cela seul qu’ils sont sans exagération dans leur parti, lorsqu’on pénètre
le fond des choses, la même opinion que nous.
Si le ministre des finances a des
adversaires politiques parce qu’ils ne le connaissent pas assez bien, je les
conjure d’attendre ses actes, et s’ils ne le jugent qu’après qu’il les aura
posés, ils verront que c’est pour la seconde fois que la confiance du roi
l’appelle au pouvoir, et qu’il y a été la première fois le défenseur de nos
libertés politiques et l’appui de nos intérêts matériels.
M. de Mérode. - Tous les ans, messieurs, j’ai combattu l’optimisme qui présentait
notre avenir financier comme rassurant. Tous les ans j’ai demandé qu’on
rétablît l’équilibre des recettes et des dépenses. J’ai cru même à propos de
m’abstenir sur l’adoption du budget des voies et moyens parce qu’il était
notoirement insuffisant. Malheureusement une cause permanente que le véritable
sentiment d’indépendance peut seul détruire, gêne le libre vote des chambres
législatives, lorsqu’il s’agit d’impôts, la crainte de l’impopularité. Plus
d’une fois l’on m’a dit que je compromettais la mienne en répétant avec
insistance que les dépenses nécessitaient des impositions équivalentes, si l’on
voulait éviter au pays d’ultérieurs accroissements de taxes, qui deviendraient
insupportables comme en Angleterre et en Hollande ; en sollicitant des
augmentations actuelles modérées pour ne pas être condamné à subir plus tard
les tortures financières qu’entraîne l’accumulation des dettes publiques. Je me
suis peu soucié des inquiétudes que l’on essayait de m’inspirer par
bienveillance pour moi. Je le sais, car je préfère ne plus figurer sur ces
bancs que de décliner l’accomplissement du devoir que m’impose une profonde
conviction. Après tout, messieurs, cette crainte d’impopularité serait-elle
motivée si la plupart des membres de cette chambre exposaient au public, comme
je l’ai fait plus d’une fois, les raisons pour lesquelles il doit accepter
quelques majorations d’impôts, dans son intérêt bien entendu ? Ici,
cependant, je dois distinguer deux opinions qui ne procèdent pas d’après les
mêmes idées. Une de ces opinions est d’avis qu’il faut conserver l’armée
actuelle, coûtant à l’Etat de 28 à 30 millions. Elle veut un cadre de 80,000
hommes ; elle veut aussi conserver à l’extérieur nos agents diplomatiques et
leur laisser le traitement qui se donne partout aux agents des autres nations.
L’autre ne veut attribuer aux dépenses de l’armée que 2 millions au plus et
supprimer la plupart des missions à l’étranger. Celle-ci demande donc de larges
économies. Elle pourrait, à la rigueur et logiquement, s’opposer aux
subventions nouvelles pour le trésor de l’Etat, si d’autre part, elle ne
cherchait pas à faire peser sur lui toutes les exigences du commerce et de
l’industrie entre autres, le transport à perte des voyageurs sur les chemins de
fer ainsi que celui des marchandises sur les mêmes chemins et les canaux du gouvernement,
dont le revenu est une des précieuses ressources du fisc.
Cependant, messieurs, je ne confonds
pas cette espèce de contradiction d’idées économes d’une part, dépensières de
l’autre, avec le charlatanisme qui s’appesantit sur les misères et les sueurs
du peuple, qui supprime pour son prétendu bien-être les impôts du consommateur,
seuls capables de produire de fortes recettes, et déclare en même temps qu’il
veut maintenir l’armée sans réduction de son budget. C’est là, messieurs, le
système quêteur de popularité saisie de toute main ; c’est une comédie qui
n’offre rien de sérieux et n’est pas même risible. Son jeu manque de finesse et
se trouve, selon l’expression vulgaire, cousu de fil blanc.
Les véritables amis du peuple ne
demandent pas pour lui la suppression des productifs impôts de consommation,
parce que les personnes, favorisées de la possession de quelque fortune, les
payent beaucoup plus que l’ouvrier réel. Celui que je connais, avec lequel je
me trouve souvent en contact, et qui use, il est vrai de sel, mais ne boit
point de bière dans sa famille, se contente de pain et de légumes, et s’en
contentera probablement jusqu’à la fin du monde, parce que jusqu’à la fin du
monde, dans les pays où existent l’ordre et la sécurité, l’homme se multiplie,
de manière qu’un très grand nombre doit vivre de substances faciles à
recueillir et du prix intrinsèque le moins élevé. Quant aux ouvriers buvant de
la bière et mangeant de la viande, il en existe quelques-uns en Angleterre,
dans certaines usines spéciales où l’on a besoin d’individus doués d’une grande
force musculaire mais les ouvriers de fabrique, malgré les développements de
l’industrie, et à cause de ces développements excessifs peu désirables, sont
condamnés en Angleterre au régime le plus maigre qu’on puisse imaginer, et ce,
malgré les droits sur les armoiries, les livrées, les galons et autres objets
de luxe semblable, qu’il serait bien facile de faire disparaître en Belgique,
pour peu qu’on leur cherchât querelle au détriment des passementiers et des
peintres en blason.
Avant 1830 je vivais ordinairement à
la campagne dans un pays où la culture est assez divisée et le laboureur peu
riche. Je voyais la peine qu’il avait souvent à se procurer une paire de bœufs
ou un cheval. Puis quand j’allais momentanément à Paris où à Bruxelles, je ne
rencontrais pas sans impatience une multitude de belles voitures. de beaux
chevaux, qui semblaient à mes yeux n’être à peu près utiles à rien, et je me
disais : combien de chars rustiques, combien de paires de bœufs on pourrait
avoir avec un seul de ces beaux équipages qui traînent des dames et des
messieurs. Vint la révolution belge en vertu de laquelle nous siégeons ici. Je
fis partie d’un gouvernement provisoire dont la tâche fut rude, spécialement
dans la ville de Bruxelles d’où les équipages, les toilettes, le luxe de tout
genre disparurent cette année. Le gouvernement ne coûtait presque rien, nous
mangions à déjeuner des pommes et du pain auquel on ajoutait une tasse de café
; et jamais je ne vis tant de misère autour de moi. Des tailleurs, des
maréchaux, des charrons en carrosserie, des tapissiers qui précédemment
gagnaient deux et trois francs par jour, allaient au boulevard se jeter de la
terre les uns aux autres pour cinquante cens que la ville leur donnait, avec
grand embarras, afin de les occuper d’une manière quelconque. Les couturières,
les brodeuses ne gagnaient rien du tout. Les fiacres, malgré l’absence des
voitures de maître, demeuraient sans pratiques sur la place. L’année suivante
reparurent quelques équipages, les soirées recommencèrent et chaque fois que je
voyais passer une de ces brillantes voitures, que j’aimais si peu dans mon
humeur campagnarde, j’éprouvais une vraie satisfaction. Maintenant je l’affirme
sans crainte d’être contredit par aucun homme pratique, diminuez de cinq
centimes la livre de sel, vous nuirez au trésor public, vous l’appauvrirez et
l’ouvrier n’en sera pas mieux ; car vous ne lui procurerez pas ainsi du
travail, et c’est le travail et son salaire qu’il lui faut. Si vous voulez encore
créer des routes gardez-vous de diminuer les recettes productives, en leur
substituant des taxes sur les confitures, les bonbons ou les boutons armoriés,
car ceux-ci pourraient se remplacer très bien par des boutons tout unis. Vous
détruiriez les moyens d’existence de quelques ouvriers en recueillant le plus
mince profit pour le trésor ; les millions ne peuvent en effet se prélever que
sur les masses, parce que les masses les possèdent ou les reçoivent
nécessairement comme salaire. Prélevez, comme appoint, quelque chose sur le
luxe, je le veux bien, mais ne comptez pas sur lui, si vous voulez remédier au
déficit.
Au surplus, des discussions complètes
à ce sujet ont eu lieu dans cette enceinte, il est épuisé ; et recommencer à
nous agiter dans le vide serait vraiment un malheur quand nous avons à discuter
tant de lois urgentes.
Selon des chiffres très clairs, le
budget des voies et moyens de M. Mercier est évidemment fort au-dessous des
besoins du service. Dans un pareil budget ne devraient jamais figurer les
recettes provenant d’aliénation de domaines qui ne constituent point un revenu,
mais comme tous les ministres, comme beaucoup de représentants, M. Mercier est
dans l’embarras quand il s’agit de créer des ressources. Qu’il présente les
meilleurs projets, on les décriera, on en fera ressortir tous les inconvénients
et cela ne sera nullement difficile. Aussi, je l’avoue, je désespère de
l’équilibre financier. Une seule autorité pouvait le produire, c’était la
puissance royale, en ne sanctionnant les dépenses de travaux publics que tous
désirent, qu’après la création des recettes suffisantes. La puissance royale
est seule permanente par l’hérédité. Les autres pouvoirs politiques, sans cesse
renouvelés, s’abandonnent aux préoccupations de leur existence du moment, il
leur faut donc la popularité du moment, par conséquent donner beaucoup dans le
présent, prendre peu sur lui, beaucoup sur l’avenir.
Voilà tout le secret de notre
situation financière, il n’en est pas de même de la personne royale destinée à
se perpétuer sur le trône. A elle particulièrement appartient la prudence et la
plus prévoyante sollicitude, car les ministres ne se sacrifieront pas plus à
cette prévoyance les uns que les autres. Je suis assez lié avec M. de Theux, et
ne lui ai-je pas entendu dire ici, que dans trente ans toute la dette sera
amortie, et que la position de ceux qui viendront après nous sera trop belle ;
comme s’il était probable que l’on va jouir pendant trente ans d’un ordre et
d’une paix non interrompus, et n’est-ce pas avec de pareilles espérances que
l’on a conduit
Messieurs, parmi les voies et
moyens les plus justes se présente nécessairement l’augmentation du prix des
places sur les chemins de fer. On paie en Belgique un quart de moins que sur
les chemins d’Alsace et d’Orléans et pourquoi ? parce que les nôtres coûtent au trésor un sacrifice annuel de près
de 4 millions ! Est-il juste de prélever ainsi sur les contribuables les frais
de route des voyageurs et ne vaudrait-il pas mieux en diminuer quelque peu le
nombre en obtenant plus de recettes tous frais déduits. Un million, deux
peut-être seraient facilement recueillis de cette manière.
Quant aux droits sur les successions
en ligne directe, quoi qu’on en puisse dire, il n’est pas plus injuste que
l’impôt foncier, et certes le propriétaire gagnerait à ce que son héritage fût
grevé d’un droit léger plutôt que de laisser au trésor des découverts accumulés
qui n’aboutiraient qu’à sa propre ruine ou à celle de ses enfants.
C’est là l’intérêt majeur à
considérer avant tout, il a cependant toujours été négligé.
M. de La Coste. - Mon but n’est pas de rentrer dans la discussion générale, qui a
occupé les précédentes séances. Je veux seulement présenter quelques
observations sur les vues financières exposées par deux membres de cette
assemblée.
Lorsque vous aurez voté la loi du
budget, il restera cependant autre chose que la loi que vous aurez faite ; il
restera les idées qui ont été émises dans la discussion ; les idées ont une
puissance qu’il faut reconnaître et que je respecte, lorsqu’elles sont
consciencieuses. C’est pour cela que je crois utile d’opposer aux idées des
honorables membres mes idées également consciencieuses et qui, je me trompe
peut-être, me semblent plus justes.
On a proposé différents moyens
d’alléger les charges qui pèsent le plus sur le peuple et c’est là un dessein
auquel je m’associerais volontiers ; mais je crains, je l’avoue, que, si les
moyens qu’on a suggérés étaient admis, les autres charges qui pèsent sur le
peuple subsisteraient, et que ce serait encore là des charges additionnelles.
On a parlé de l’impôt sur les revenus
; mais sait-on bien ce que c’est que l’impôt sur les revenus ? Je ne parle pas
du klassen-steuer de
Prusse ; nous nous accommoderions difficilement d’une base qui laisse tout à
l’arbitraire. Mais je vous parlerai de l’income-tax
d’Angleterre. Sait-on bien ce que c’est que l’income-tax
? Sait-on que chaque avocat, chaque notaire, chaque médecin doit faire
connaître les produits de sa profession. et doit être taxé en proportion de ses
bénéfices, que chaque négociant doit faire pour ainsi dire le bilan de ses
affaires, ouvrir ses registres à des commissaires, à la vérité tenus au secret,
mais qui doivent prendre connaissance de tous les détails de ses opérations. Le
propriétaire est le moins frappé par cette taxe ; son revenu, déjà atteint par
l’impôt foncier, véritable taxe des revenus pour les propriétaires, n’a pas
paru pouvoir être atteint comme les autres, on a pensé qu’il y aurait double
emploi.
Il faut un gouvernement aussi fort
que le gouvernement de
On a de plus recommandé l’impôt sur
les successions en ligne directe ; mais il faut se souvenir de ce qui s’est
passé à cet égard. Lorsque cet impôt a été aboli, ce n’a pas été une concession
à titre gratuit ; on a majoré considérablement les droits de succession et en
échange on a fait deux concessions : l’abolition du droit sur les successions
en ligne directe et la déduction des dettes. Conserver tout ce qu’il y avait
d’onéreux dans le système hollandais et en même temps tout ce qu’il y avait
d’onéreux dans le système français, serait-ce juste ? Serait-ce même loyal ? Ne
semblerait-il pas, en quelque sorte, qu’on eût tendu un piège aux pères de
famille, qui, souvent, ont pu être guidés dans leurs opérations par l’idée que
l’impôt de succession en ligne directe ne devait plus atteindre leurs enfants.
J’ai sur beaucoup d’entre vous,
messieurs, le triste avantage d’avoir vécu plus longtemps qu’eux, et par suite
d’avoir vu plus de choses passées, d’avoir été en contact avec des hommes
éminents qui ont disparu.
J’ai vécu sous l’empire de la loi
française sur les droits de succession, je l’ai jugée dans ce temps avec cette
appréciation vive, souvent saine et toujours désintéressée de la jeunesse. Je
l’ai entendue apprécier par un de ces hommes éminents, dont je vous parlais,
par un des membres distingués de ce célèbre conseil d’Etat de France, de cette
assemblée qui avait, à cette époque, pour ainsi dire, le privilège exclusif des
discussions, et dans laquelle il semblait que le chef du gouvernement d’alors
eût enseveli la parole. Un financier distingué de cette assemblée, M. le comte
Jaubert, gouverneur de la banque, me disait à cette époque : C’est un impôt
odieux, c’est un impôt sur le deuil des familles.
Et, en effet, messieurs, le droit de
succession en ligne collatérale atteint une sorte de bénéfice fortuit sur
lequel on n’avait pas dû compter, et dont l’Etat demande sa part ; un bénéfice
qui n’est pas accompagné d’une affliction bien vive. Il peut exister, il faut
le supposer pour l’honneur de l’humanité, qu’il existe des sentiments
d’affliction, lorsqu’on perdant un parent plus ou moins rapproché, on obtient
un semblable avantage. Cependant cette affliction ne peut pas être comparée à
celle d’un fils qui a perdu son père.
Dans les successions en ligne
collatérale, l’impôt n’a donc rien d’odieux, Mais, en ligne directe, messieurs,
il en est tout autrement. On peut dire même qu’en ligne directe il n’y a pas de
succession. Car, avant le décès, il y a une sorte de copropriété, ou, du moins,
si je puis employer cette expression une co-jouissance, et bien souvent la
perte si douloureuse d’un père n’est pas un avantage pécuniaire pour les
enfants. Lorsqu’un artiste, un fonctionnaire, un avocat distingué meurt, ses
enfants auront une existence moins aisée, une existence moins brillante que de
son vivant. Lorsqu’un père de famille, dont les enfants habitaient la maison
paternelle, meurt, ceux-ci, qui se dispersent, dont le lien est brisé, ont
souvent une existence moins prospère que du vivant de leur père. Eh bien, ces
enfants n’ont-ils pas le droit de dire au fisc, en empruntant l’expression de
M. Jaubert que je répétais tout à l’heure : où est la matière imposable ? que
venez-vous taxer chez nous ? Vous venez taxer nos crêpes de deuil, le cercueil
qui renferme notre meilleur ami et notre plus ferme soutien !
Mais, messieurs, on a trouve un moyen
de parer à toutes ces objections, c’est de combiner avec l’impôt des
successions en ligne directe l’impôt progressif ; c’est-à-dire, messieurs, de
résoudre une difficulté par un problème et par un problème très grave.
Messieurs, il est juste que le riche
paie, qu’il paie largement, suivant ses facultés. Mais est-il juste qu’il paie toujours
de plus en plus dans une progression arbitraire, de telle sorte que, comme l’a
déjà fort bien fait remarquer l’honorable M. Dumortier, si ce système était
adopté, s’il se généralisait, les portions de propriété qui se trouveraient au
sommet de l’échelle progressive, seraient tellement frappées qu’elles
deviendraient onéreuses ? Mais ce serait là une véritable confiscation, et
qu’il me soit permis de le dire, en employant une parole énergique à un
honorable membre auquel je réponds et dont je respecte les opinions
consciencieuses, ce serait là, non dans l’esprit de cet honorable membre, mais
dans la réalité des choses, une attaque sournoise contre la propriété. C’est un
moyen de diviser les propriétaires par l’envie, un des sentiments les plus faciles
à exciter.
Et cependant, messieurs, il y
a solidarité entre tous les propriétaires. (erratum Moniteur belge n°346, du 12 décembre 1844) La loi, le sentiment
qui protège le plus grand propriétaire du pays c’est la même loi, c’est le même
sentiment qui protège le propriétaire médiocre, qui protège le plus petit
propriétaire. Et vous savez, messieurs, combien aujourd’hui la propriété est
divisée ; il y a peu de grands propriétaires, il y a une masse énorme de
petits. C’est une question qu’on a soulevée, depuis quelque temps, de savoir si
cette subdivision de la propriété n’était pas portée trop loin. Je laisse cette
question de côté ; mais voyez, messieurs, voyez les sacrifices que s’imposent
nos laboureurs pour devenir propriétaire, pour acquérir une fraction d’hectare.
Savez-vous pourquoi ils travaillent depuis le matin, pourquoi ils vivent de
peu, pourquoi ils se courbent sur les sillons, afin d’obtenir une fraction
d’hectare ? C’est que cette fraction d’hectare, messieurs, c’est pour eux l’indépendance,
c’est pour eux ce qu’on promet tant, ce dont on est si avide pour soi et si
avare pour les autres, la liberté.
Messieurs, je ne repousse pas les
idées qui tendent à des améliorations. Ne dédaignons rien ; examinons tout ;
mais ne prenons pas légèrement pour guide des lueurs fugitives, jusqu’à ce que
ces nébuleuses aperçues dans le vague de l’imagination, soient devenues des
astres qui éclairent le monde, ou peut-être l’embrasent ; respectons,
entretenons soigneusement ces vieux fanaux qui l’ont conduit à la civilisation,
et parmi lesquels un des plus importants est la propriété.
(Moniteur
belge n°346, du 12 décembre 1843) M.
Meeus. - Messieurs, tant d’orateurs
distingués se sont fait entendre dans cette discussion, que le meilleur parti
que j’aurais à prendre, serait de garder le silence. Cependant, comme on a
touché à quelques questions d’un ordre supérieur que j’ai l’habitude de traiter
devant vous, il m’a paru convenable de vous soumettre de nouveau mes observations
sur ces importantes matières.
D’abord, messieurs, on a parlé,
chacun à sa manière, de notre balance commerciale ; les opinions les plus
divergentes ont été émises, et c’est ici le cas de dire : tot
capita, tot sensus.
Messieurs, dans vos sessions précédentes,
j’ai déjà examiné cette question. Effrayé comme tant d’autres de la statistique
commerciale de
On a dit de nouveau : Mais si
Il en est de
Ce qui est vrai pour le particulier,
messieurs, est vrai pour une nation. Quand on fait le compte de la balance
commerciale, on ne fait pas le compte de la richesse générale du pays. Il y a
peu de pays, si j’en excepte la Hollande, qui possèdent tant de capitaux, tant
de richesses que la Belgique, placés à l’étranger ; capitaux en terres,
capitaux en rentes de différentes espèces.
Eh bien, messieurs, s’il était vrai
que
Je ne serai donc pas du nombre de
ceux qui encourageront le gouvernement, qui encourageront MM. les ministres à
tomber, si je puis m’exprimer ainsi, dans un quiétisme industriel qui serait
funeste aux intérêts nationaux. Je le reconnais avec l’honorable M. Cogels, la
statistique, telle qu’elle est représentée, n’est qu’un mensonge. L’honorable
M. Cogels a cité plusieurs points qui démontrent à l’évidence les fausses bases
sur lesquelles on l’a établie. Je pourrais, à mon tour, en fournir d’autres
preuves.
Ainsi je dirai au gouvernement : dans
une statistique bien faite, il ne suffit pas de venir avec des chiffres
méthodiquement placés ; il faut, à côté de cette statistique, un compte moral,
si je puis m’exprimer ainsi ; il faut un compte général du mouvement commercial
et industriel du pays.
Dites-le-moi, messieurs, est-ce que
notre commerce avec la France, par exemple, peut se traduire officiellement en
chiffres ? Mais certainement non. La France, nous livre une partie de ses
produits officiellement, mais elle nous en livre beaucoup d’autres
officieusement, c’est-à-dire, par la fraude. Et je veux insister sur ce point,
parce que je réponds ainsi indirectement à un honorable orateur qui a trop fait
valoir, à mon sens, les avantages que
J’ajouterais à ce fait, messieurs, si
je pouvais m’étendre davantage, d’autres considérations ; il en est une
cependant que je ne veux pas laisser échapper.
La France tire de
Si je parle ainsi, messieurs, ce
n’est pas, croyez-le bien, et vous le savez, je pense, que je ne sois partisan
prononcé de larges traités de commerce avec
Ces deux nations, messieurs, sont
appelées à se donner la main sur la ligne des douanes ; il est temps que des
traités interviennent ; mais il faut des traités basés sur l’honneur, basés sur
l’équité.
La Belgique n’est pas une petite
nation, quand elle traite avec la France ou avec quelque nation que ce soit ;
sur le terrain commercial et politique il n’y a pas plus de différences entre
les nations qu’entre les diadèmes que portent les rois des différents Etats ;
on est fort, parce qu’on n’est pas seulement fort de soi, mais fort de tout ce
qui est derrière soi. Si la Belgique et la France n’étaient que les deux pays
qui existassent en Europe, la Belgique n’existerait pas.
Messieurs, je vous ai promis d’être
court, et je m’aperçois que je me laisse entraîner bien plus avant que je le
désirais, J’aborde tout de suite une autre question. Mais avant tout, je dois
le répéter, j’adjure la cabinet de porter la plus sérieuse attention sur cette
question délicate. Le cabinet est composé d’hommes éminents pour leur
intelligence. Qu’ils se mettent à l’œuvre, ils trouveront ; c’est le cas de
leur dire : labor improbus omnia vincit. Oui, il y a des
difficultés, je l’avoue, il y a de difficultés ; mais ces difficultés, vous les
surmonterez, car vous êtes intelligents, vous êtes travailleurs.
Messieurs, une seconde question que
j’ai souvent traitée dans cette enceinte, c’est celle de notre système
monétaire.
J’ai eu l’honneur de vous dire, dans
d’autres séances et dans d’autres sessions, que je regardais comme
indispensable que
Je conçois très bien l’avantage qu’il
y a pour un pays de pouvoir trafiquer avec des monnaies étrangères ; je sais,
par la pratique, combien il est utile d’avoir en Belgique pour le commerce,
pour l’industrie même, et les monnaies françaises et les monnaies hollandaises
; mais quand vous aurez une monnaie nationale, n’allez pas croire que vous
n’aurez pas et la monnaie française et la monnaie hollandaise. Eh ! messieurs,
le commerce ne sera-t-il pas là pour vous les apporter ? En voulez-vous un
exemple frappant ? Voyez ce qui s’est passé sous l’ancien gouvernement : sous
l’ancien gouvernement on a poussé l’absurde jusqu’à tarifer les pièces de 5
francs ; on ne pouvait pas les recevoir dans les caisses de l’Etat, et tous les
receveurs cependant, tous les percepteurs désiraient qu’on leur donnât des
pièces de 5 fr., parce que ces pièces de 5 francs continuaient à être
recherchées par le commerce. Mais, à l’aide de son système monétaire, le
royaume des Pays-Bas se trouvait toujours à l’abri des grandes crises
financières. C’est que lorsqu’un pays a un système monétaire, c’est-à-dire, une
monnaie particulière à lui, il se trouve à l’abri de ces transactions
internationales, de ces transactions cambistes (pour me servir du mot propre),
qui enlèvent 30, 40, 50 millions en quelques jours. L’honorable M. Dumortier,
traitant la même question, vous a dit, messieurs, que
Je passe, messieurs, à une troisième
question que l’on a agitée dans cette enceinte. L’année dernière, l’honorable
M. Rogier a soulevé cette question du premier ordre, celle des caisses
d’épargnes ; j’ai eu l’honneur de prendre part à la discussion ; ma position
particulière m’en faisait un devoir, et je crois encore que cette position me
commande aujourd’hui d’y rentrer. L’honorable M. Rogier, dans un sentiment que
je ne puis trop louer, disait : « Que le gouvernement se charge des
caisses d’épargnes, qu’il les étende de manière que tout le pays puisse en profiter
; c’est là un grand principe d’ordre, c’est là un puissant moyen de
moralisation, et le gouvernement se couvrira ainsi de gloire. » J’eus l’honneur
de répondre que je réclamais une bonne partie de cette gloire pour
Avant de faire l’historique des
causes d’épargnes en Belgique, qu’il me soit permis de m’étendre un moment sur
cette première considération. Les gouvernements, messieurs, vous le savez, sont
tous, sous quelques rapports, de la même nature ; la facilité d’avoir de
l’argent excite à faire des dépenses. Le jour où le soleil luit, on ne croit
pas à la tempête ; la tempête arrive cependant, et pour ne l’avoir pas prévue,
vous en êtes écrasés. Lorsque, de Bruxelles, j’ose me permettre de considérer
la situation financière de la France, je tremble (et je ne crains pas qu’on
m’entende a Paris), je tremble de voir ainsi le gouvernement français vivre si
fortement de crédit et ne pas profiter des beaux jours pour compter avec
l’avenir. En ce moment, le gouvernement français présente aux chambres un
déficit qui ne peut se combler qu’au moyen de 2 ou 300 millions de francs ; il
a de plus dans la caisse d’épargnes une charge de 360 millions, qui s’élèveront
à 800 millions avant trois ans, car c’est là la tendance inévitable des choses.
Eh bien ! vienne le jour du danger, vienne la guerre, vienne seulement la
crainte de la guerre, où le gouvernement prendra-t-il les 7 ou 800 millions
qu’il faudra pour compter avec le passé, sans tout ce qu’il faudra pour compter
avec l’avenir qui se présentera menaçant devant lui ? Messieurs, pour ma part,
jamais je ne donnerai ma voix à un projet quelconque tendant à remettre entre
les mains du gouvernement les sommes provenant des dépôts faits à la caisse
d’épargnes. Comme vous l’a dit l’honorable M. Dumortier, c’en est trop des
bonis du trésor, c’en est trop de cette dette flottante ; avons-nous donc perdu
l’expérience de ce qui s’est passé il y a plus de deux ans ? Qu’était-il arrivé
sous le ministère Lebeau, lors de la question d’Orient ? Nous étions loin
encore de la guerre, et cependant le gouvernement a dû contracter un emprunt à
des conditions onéreuses. Et encore, messieurs, est-ce avec l’étranger qu’il
put contracter ? L’étranger lui ferma ses coffres qui s’étaient toujours
ouverts pour lui aux jours de prospérité et de paix. Aux temps de prospérité,
vous trouverez toujours des capitalistes prêts à vous donner de l’argent, mais
aux jours de revers, aux jours d’embarras, vous en trouverez à peine dans votre
propre pays. Cependant alors le gouvernement pût trouver 20 millions qui lui
étaient indispensables pour sortir d’embarras. Qu’eût-ce été, messieurs, si à
côté des porteurs de bons du trésor, une foule menaçante de déposants à la
caisse d’épargne étaient venus demander le remboursement de leurs fonds ?
Qu’eussiez vous fait ? Quelles alarmes
générales répandues dans le pays ! Quelle détresse ! Ce sont là, messieurs, les
conséquences effrayantes, terribles, qu’eût entraînées à cette époque la
gestion des caisses d’épargnes par les soins de l’Etat. Il faut, messieurs,
traiter cette question avec franchise, il faut parler à cœur ouvert ; dans le
public, dans les chambres, on s’effraie de ce que les caisses d’épargnes sont
entre les mains de
C’est parce que la prudence n’a pas
manqué à la Société générale que, lors de la crise d’Orient, dans les trois
fois 24 heures, le ministre des finances a pu compter sur un versement de 20
millions de francs par la Société générale ; cette prudence est nécessaire,
parce que, depuis longtemps, et les calomnies, et les clameurs, et les
différents moyens dont on se sert en Belgique contre cet établissement, lui ont
commandé et lui commandent journellement des actes de prévoyance et de sagesse
qui puissent parer à tous les événements.
Il y a eu peut-être alors un peu trop
de dévouement à se dégarnir d’une somme aussi considérable, qui était
disponible pour faire face aux exigences de la caisse d’épargnes, mais c’était,
messieurs, pour venir au secours du gouvernement. Ce n’est, sans doute, ni le
gouvernement ni les chambres qui accuseront en cette occasion le patriotisme de
cet établissement. Du reste, trois mois ne s’étaient pas écoulés, que tout
était de nouveau rétabli dans l’ordre, de manière à pouvoir faire face à tous
les événements.
Bien que je ne veuille pas m’étendre
davantage sur cet objet, il me reste cependant à vous dire comment les caisses
d’épargne existaient, avant 1830, tant en Belgique qu’en Hollande, et comment
Les villes de Bruxelles, Gand et
Amsterdam avaient, chacune, une caisse d’épargnes. Elles suspendirent toutes
leurs paiements, parce qu’on avait imprudemment placé l’actif de ces caisses en
fonds publics sur l’Etat ; à Amsterdam, la caisse d’épargnes liquida, et les
déposants eurent 66 p. c. Les caisses d’épargnes de Gand et de Bruxelles furent
mieux avisées. Elles étaient administrées par des hommes prudents et sages qui
avaient foi dans le dévouement de
La caisse de Gand a liquidé ce
compte, il y a seulement quelques jours.
Ainsi, messieurs, avant 1830, des
villes avaient essayé d’établir des caisses d’épargnes, et 1830 est venu faire
justice de leurs fausses applications.
On ne crut pas que ces caisses
s’étendraient aussi rapidement qu’on l’a vu depuis. Aujourd’hui, de toute
nécessite,
Maintenant, après ces explications,
je me demanderai : Que fera
Eh bien, malgré l’expérience de 1830,
je crois que si
Dans une autre session à deux
reprises différentes, l’honorable membre a cru pouvoir émettre des insinuations
peu bienveillantes, pour ne pas me servir d’un mot qui serait peu
parlementaire, envers
Mais quelle est donc la mission des
banques ? C’est de tendre constamment à l’abaissement du taux de l’intérêt.
Voilà leur première mission, et avant que la banque de Belgique n’existât,
avant qu’elle ne fût conçue, la Société générale avait établi ses escomptes
bien autrement bas qu’elle ne la fait depuis. Mais l’escompte avant 1830 était
à 3 p. c. ; en 1832 et 1833, il était à 3 p. c. en 1835, il était à 3 p. c. ;
aujourd’hui, il est a 4 p. c. En vérité, je m’étonne qu’on vienne, au nom d’un établissement de banque, se
plaindre de ce qu’un autre remplît le but de son institution.
Maintenant l’honorable membre
a dit : C’est par malveillance qu’on l’a fait ; à de telles insinuations, je
n’ai qu’un mot à répondre : Cela n’est pas ! C’est la seule réponse digne de
quelqu’un qui se respecte.
L’honorable membre a ajouté : Avec
quel argent fait-on ces escomptes ? Pour traduire sa pensée, pour parler à cœur
ouvert, il a voulu dire : c’est avec les fonds de l’Etat, avec l’encaisse que
(Moniteur
belge n°344, du 10 décembre 1843) M.
Verhaegen. - Messieurs, certaines
propositions, en les renfermant dans de justes limites, n’ont rien
d’exorbitant, mais en les étendant outre mesure, elles deviennent inquiétantes
pour une certaine classe de la société.
Les honorables membres auxquels je
réponds, ont donné à mes paroles un sens qu’elles ne comportent pas, ont trouvé
dans mon discours une tendance qu’il n’a point.
On a voulu distraire l’attention du pays
des véritables questions qui sont aujourd’hui à l’ordre du jour ; on a fait des
phrases longues et sonores, on s’est permis des sarcasmes indignes d’une
chambre législative, on a même insulté à la misère publique, et tout cela pour
échapper indirectement aux conséquences d’un système qu’on n’ose pas attaquer
de front.
Pourquoi donc mon discours d’hier
a-t-il été l’objet d’attaques si vives et si acerbes ; aurais-je par hasard
posé quelques principes subversifs de l’ordre social ? mais il s’agissait du budget
des voies et moyens, et en prenant part à la discussion je me suis permis
d’attaquer la base des impôts actuels et j’étais dans mon droit. Un des
honorables membres auxquels je réponds se trouvait derrière moi pendant que je
parlais, et il se permit de m’interrompre pour me sommer d’indiquer un autre
système en remplacement de celui que j’attaquais ; c’est de lui qu’est venue la
provocation. II m’a jeté le gant et je j’ai ramassé : en indiquant plusieurs
bases nouvelles d’impôts, il a été loin de ma pensée de faire violence aux
opinions de la chambre, j’étais sommé de les indiquer et je l’ai fait.
C’est le comte de Mérode qui m’a
conduit sur un terrain, qui semble être devenu brûlant, et, après m’y avoir
conduit, il trouve mauvais que je m’y sois placé. Les sorties inconvenantes de
l’honorable membre, je dirai même ses sarcasmes, ne peuvent pas m’atteindre et
je les méprise ; ils ne décèlent que du dépit. Quand on se trouve réduit à de
pareils moyens pour combattre des opinions consciencieuses, ou ferait mieux de
se condamner au silence !
On a souvent entendu avec plaisir les
discours écrits de M. de Mérode, moi-même je me suis amusé quelquefois en
l’écoutant, son style a quelque chose d’original. Mais aujourd’hui, il a
dépassé toutes les bornes. Son langage n’est plus un langage parlementaire, et
je ne sais réellement quel nom lui donner.
Ce que j’ai trouvé de plus saillant
dans le discours de M. de Mérode, après ses attaques toutefois contre la
révolution de 1830, à laquelle il a pris naguère une part si active, c’est sa
prétention de faire supporter les augmentations d’impôts par les masses qui,
d’après lui, ne doivent se nourrir que de pain et de pommes de terre ; à cette
prétention, je réponds qu’elle constitue une insulte faite à la misère publique,
et je demanderai à mes honorables collègues des Flandres, eux qui mieux que
nous, connaissent la détresse de la classe ouvrière, quelle impression ont fait
sur eux les paroles qu’ils viennent d’entendre.
M. de Mérode a parlé de
charlatanisme, mais quel serait donc le charlatan ? On fait de la popularité en
caressant les opinions de ceux dont on croit avoir besoin, et on ne m’accusera
certes pas d’avoir soigné mes intérêts politiques et autres en défendant les
droits d’une certaine classe d’individus qui n’ont pas même la faveur de
concourir à la nomination de leurs représentants. Puisque, d’après M le comte
de Mérode, l’intérêt est la mesure des actions humaines, qu’il nous dise donc
quel intérêt l’a poussé en m’attaquant avec tant de véhémence ?
J’ai toujours pensé qu’il fallait
avoir le courage d’énoncer à la tribune ses opinions sans égard à aucun intérêt
et sans arrière-pensée, et je crois avoir rempli cette tâche. Je mets autant de
prix à la propriété que l’honorable membre qui a parlé immédiatement avant moi.
M. de La Coste. - Je le sais bien
M. Verhaegen. - Il faut entourer la propriété de toutes les garanties d’ordre et de
stabilité. Je suis d’accord sur ce point avec l’honorable M. de
M. de La Coste. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. Verhaegen. - Il faut maintenir les impôts, vous a-t-on dit, quelque odieux qu’ils
puissent paraître ; on a habitué le peuple à les supporter, ce qui veut dire qu’on a habitué le peuple à supporter la
misère qui l’accable ! Mais, qu’on y prenne garde, avant 89 on avait aussi
habitué le peuple à supporter la féodalité et toutes ses horreurs ; mais un
jour le peuple s’est lassé ; et il a violemment brisé ses chaînes Vous voulez
habituer le peuple à supporter la misère ; prenez garde que ce peuple, à qui
vous n’accordez que du pain et des pommes de terre, ne finisse pas trouver que
ces aliments lui sont insuffisants et qu’il ne vienne malgré vous prendre place
à vos tables somptueuses ; il y a tout au moins de l’imprudence a énoncer de
pareils principes. Je regrette qu’on nous ait attiré sur ce terrain. Mais il y
aurait eu lâcheté à ne pas suivre ceux qui nous y avaient attirés.
A en croire nos honorables
contradicteurs, nous voudrions une réforme sociale ; ce serait une véritable
révolution que nous provoquerions. Et pourquoi donc ? Parce que nous attaquons
l’impôt sur le sel, l’impôt sur les patentes, sur les bières, sur le débit des
boissons distillées, tous les impôts de consommation en un mot, qui frappent la
classe indigente ; nous voudrions une réforme sociale, parce que, répondant aux
provocations de l’honorable comte de Mérode, nous avons indiqué quelques
nouvelles matières imposables, parce que nous voudrions voir imposer le luxe et
la propriété. Mais, s’il en est ainsi, il ne faut plus discuter ; les questions
que nous avons examinées ne sont-elles pas à l’ordre du jour ? Dans une
discussion générale du budget des voies et moyens, de quoi peut-on s’occuper si
ce n’est des bases de l’impôt ?
Il y a donc injustice dans les
reproches qui m’ont été adressés, et l’injustice est d’autant plus grande,
qu’en indiquant de nouvelles matières imposables, je commençais par me frapper
moi-même, est-ce la de l’égoïsme ?
On trouve exorbitant ce que j’ai dit
quant à l’impôt progressif ; mais on ne m’a pas compris : j’ai présenté
quelques idées quant à cet impôt ; mais je n’ai formulé aucun système ; j’ai
émis une opinion ; libre a tous mes collègues de la combattre, ou d’en
restreindre la portée.
Quant au droit sur les successions en
ligne directe, je me suis encore borné à soumettre quelques idées à la chambre,
sans toutefois avoir formulé un système complet, car ce soin, je veux le
laisser au gouvernement.
Vous voulez, me dit-on, venir au
secours de la classe indigente, et par votre système vous augmentez le nombre
des indigents ! On exagère mon système ; car, quand j’ai parlé d’une
progression, je n’ai pas entendu la pousser à l’infini ; j’ai voulu, au
contraire, la restreindre dans de justes limites, et, en effet, on pourrait
arrêter le chiffre extrême à 5, 6 ou 7 p. c.
On vient, après cela, nous parler de
tombeau, de crêpe funèbre, de famille est deuil, de souvenirs pieux ! Ce sont
des phrases, et rien de plus, des phrases qu’on arrange à loisir pour faire de
l’effet ; mais ce ne sont pas des réponses à des arguments. L’intérêt et
l’affection sont deux choses qu’il ne faut pas confondre. Je pleure la mort de
mon père sans m’occuper de la fortune qu’il me laisse et des faibles droits qui
pourraient en diminuer l’importance.
Je considère un droit sur les
successions en ligne directe, comme un impôt sur la propriété, impôt juste et
nécessaire, impôt que les idées du siècle et les besoins du trésor réclament.
J’établirais encore une progression, mais je ne la pousserai pas à l’extrême.
De 1/4 p. c. jusqu’à 5 ou 6 p. c., par exemple, d’après l’importance des biens
; j’établirais d’ailleurs trois bases principales : d’abord je ne permettrais
pas qu’on entamât jamais la légitime. Ensuite je frapperais du droit le plus
fort tout préciput ; je sais que cette idée ne marche pas avec l’opinion d’un
honorable préopinant qui a énoncé que les propriétés étaient déjà trop
morcelées, et cela, sans doute, dans l’intention de favoriser les majorats.
M. de La Coste. - Quelle absurdité !
M. Verhaegen. - Il n’y a pas d’absurdité. On crie à l’absurdité, quand on voit qu’on
est allé trop loin, quand on n’a rien de bon à répondre.
Ma troisième base, serait une
progression dans le sens que je l’ai indiquée plus haut.
L’honorable M. d’Hoffschmidt, qui, au
commencement de la séance d’hier, semblait ne pas partager mes opinions, a fini
aujourd’hui par en admettre quelques-unes, il a pensé qu’on pourrait puiser
dans les sources que j’ai indiquées. Je prends acte de ce revirement.
En résumé, je n’ai fait que répondre
à une provocation directe de M. de Mérode ; je n’ai formulé aucun système, j’ai
émis des opinions consciencieuses. Libre à la chambre de les adopter en tout ou
en partie où de les rejeter ; je n’ai voulu faire violence à personne ; je n’ai
fait ni de la popularité, ni du charlatanisme ; je laisse ce rôle à d’autres.
M. de La Coste (pour un fait personnel.) - Je ne devais pas m’attendre, d’après la
manière très modérée (et je n’avais aucune raison de ne pas être très modéré)
dont je m’étais exprimé, je ne devais pas m’attendre, dis-je, à ce que
l’honorable M. Verhaegen me répondît d’une manière aussi acerbe.
Je ne viens pas prendre la
défense des phrases qui ont eu le malheur de déplaire à cet honorable membre,
ni lui prouver qu’il est possible de s’exprimer en français passable, sans
avoir appris un discours par cœur ; je ne viens pas relever des accusations qui
ne pèsent pas sur moi, j’ignore à qui elles s’adressent ; les personnes qui me
connaissent savent que ces accusations ne peuvent me concerner. Je ne viens pas
apprendre à l’honorable M. Verhaegen, qui doit le savoir aussi bien que moi,
que les idées relatives au trop grand morcellement de la propriété, auxquelles
j’ai fait allusion, n’appartiennent pas à ceux qui veulent des majorats, mais à
l’opinion libérale la plus avancée. Je viens seulement constater un fait ; je
viens, rentrant dans le fait personnel, rappeler à l’assemblée (ce que
reconnaîtront du reste tous ceux qui m’ont entendu ou qui me liront dans le Moniteur) que je n’ai pas traité la
question au point de vue d’un intérêt personnel. Il importe peu que l’honorable
M. Verhaegen et moi soyons propriétaires. Je n’ai pas, je l’avoue, assez
d’humilité, je ne suis pas assez modeste pour attacher un prix énorme à la
qualité de propriétaire. Mais je tenais à rappeler que j’ai traité la question
d’une manière générale, dans un intérêt public, que j’ai fait valoir les droits
des artistes, des avocats, des plus minces propriétaires, en un mot, de la
nation, du peuple tout entier.
M. de Mérode. - Messieurs, je ne demande pas mieux qu’on me suive sur tous les
terrains, particulièrement sur le terrain des faits ; parce que c’est le plus
solide. Quand le préopinant voudra mettre en doute les faits que j’ai cités, je
ne serai pas embarrassé pour lui répondre. Il n’y en a pas un seul, en effet,
que je ne puisse prouver mathématiquement. Il a dit que je condamnais les
ouvriers à manger du pain et des pommes de terre. J’ai dit, et c’est un fait
qui se reproduit dans toute l’Europe, même dans les cantons les plus
complètement démocratiques de
M. Verhaegen a-t-il trouvé un remède
à cet état de choses que je ne n’ai pas créé, car il ne m’attribuera pas, sans
doute, l’existence de la population si nombreuse qui couvre
J’ai dit que les millions étaient
dans les masses, et j’ai suffisamment indiqué que par les masses j’entendais la
généralité des habitants du pays. Eh bien, la fortune entière de quelques
propriétaires principaux ne suffirait pas pour faire vivre le pays pendant
trois mois, tandis que les recettes qui s’appliquent à la généralité produisent
des sommes considérables sans ruiner ni les uns ni les autres, et certainement
il n’en est ainsi que parce que les millions sont dans la masse de la nation J’appelle
charlatanisme un système qui consiste à dénigrer tous ces impôts et à soutenir
en même temps qu’il ne faut rien retrancher aux dépenses de l’armée. Oui, c’est
là du charlatanisme, je n’ai pourtant appliqué cette expression a aucun nom
propre et si M. Verhaegen a trouvé qu’elle s’appliquait à lui, s’il s’est
reconnu dans le système, ce n’est pas ma faute, assurément.
M. le président. - Je vous ferai remarquer, M. de Mérode, que lorsque vous avez
prononcé le mot de charlatanisme, j’ai cru qu’il s’appliquait au système. Si
j’avais compris qu’il s’appliquait à M. Verhaegen lui-même, comme vous venez de
le faire entendre, je vous aurais rappelé à l’ordre.
M. de Mérode. - Je n’avais nommé personne ; si l’honorable M. Verhaegen s’est
reconnu lui-même, ce n’est pas ma faute.
M. Verhaegen. - Cela ne mérite pas une réponse.
Plusieurs membres, qui s’étaient fait inscrire,
renoncent à la parole ou sont absents.
- La discussion générale est close.
La séance est levée à 4 heures et
demie.