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d’intention
Chambre
des représentants de Belgique
Séance du vendredi 8 décembre 1843
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de budget de la chambre pour l’exercice 1844
(d’Hoffschmidt)
3) Projet de loi portant
le budget des voies et moyens pour l’exercice 1844. (A : comptabilité de l’Etat et/ou cour
des comptes ; B : équilibre général des recettes et des dépenses
et/ou impôts permettant d’accroître l’équilibre budgétaire ; C :
caisses d’épargne ; D : banque de Belgique et gestion de la dette
publique ; E : balance commerciale de la Belgique ; F :
politique commerciale du gouvernement (vis-à-vis notamment de la France et du
Zollverein) ; G : caractère inégalitaire du système fiscal (notamment, lois
somptuaires et/ou impôt sur le revenu) ; H : question
politique ; I : utilisation du palais du prince d’Orange à des fins
caritatives)
a)
Discussion générale ((A, B) (de Man d’Attenrode), B (Mercier), D (Zoude, de Garcia), (B, F) (Castiau), (F)
Nothomb, (F, G) (Castiau, Nothomb), (A, E, suffrage universel, B, F, G, société
générale) (Cogels), (suffrage universel, G, F) (Castiau, Cogels), (C, B) (Mercier), (B, E, G) (d’Hoffschmidt),
(B, F, H) (Delehaye), (H, B) (Mercier),
(d’Hoffschmidt), (B, I, B) (Verhaegen)
(Moniteur
belge n°343, du 9 décembre 1843)
(Présidence de M. Liedts)
M.
Huveners procède à l’appel nominal à midi et quart.
M.
Scheyven donne lecture du procès-verbal de la
dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M.
Huveners communique les pièces de la correspondance :
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Eugène-Marie Bureau, lieutenant au
1er régiment de chasseurs à pied, né à Quentin (France) demande la
naturalisation. »
« Le sieur Corneille-Jean Koene,
professeur de chimie à la faculté des sciences et à l’école spéciale de
pharmacie de l’université de Bruxelles, né à Geertruidenberg (Pays-Bas) demande
la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la
justice.
_____________________
« Les membres du conseil
d’administration de la bibliothèque d’Audenaerde demandent que les exemplaires
superflus des ouvrages qui se trouveront dans la bibliothèque de la ville de
Bruxelles, si le fonds Van Hulthem y était réuni, ne soient pas vendus, mais
qu’on les distribue aux bibliothèques publiques de deuxième et de troisième
ordre.»
- Renvoi à la commission des pétitions.
_____________________
« Des débitants de boissons
distillées de la commune de Beersele demandent l’abrogation de la loi de 1838
sur les boissons distillées. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
_____________________
« Les bateliers de Tamise présentent
des observations contre diverses dispositions du projet de loi sur le
sel. »
• Dépôt sur le bureau pendant la
discussion du projet.
_____________________
M.
le président. - Messieurs, le bureau, usant de la
faculté que lui a accordée l’assemblée, a complété la commission chargée de
l’examen du projet de loi sur la circonscription cantonale. A la place de M.
Doignon, il a nommé M. Dubus, à la place de M. de Behr, il a nommé M. Fleussu ;
à la place de M. Raymaeckers, M. de Corswarem et à la place de M. Pirson père,
M. Pirson fils. De cette manière, la commission se compose de deux membres de
chaque province. Je prierai M. le président de vouloir la réunir.
M. Mast de Vries. -
J’ai l’honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission de
comptabilité sur le budget de la chambre.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué.
A quel jour la chambre veut-elle
fixer la discussion ?
M. d’Hoffschmidt. -
Je crois qu’il conviendrait de mettre la discussion du budget de la chambre
immédiatement après le vote du budget des voies et moyens et surtout avant la
discussion du budget de la dette publique et des dotations, où doit figurer le
chiffre du budget de la chambre.
Je propose donc de fixer la
discussion du budget de la chambre immédiatement après le budget des voies et
moyens.
- Cette proposition est adoptée.
Discussion
générale
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs,
le gouvernement dans son exposé sur la situation de nos finances, a arrêté
approximativement le chiffre du déficit résultant de la balance de nos recettes
et de nos dépenses, pendant les exercices précédents, à 37,364,914 fr. 17 c. Je
dis approximativement, car, d’après mon opinion, le ministre des finances est
dépourvu des éléments nécessaires pour le fixer d’une manière certaine.
Ce déficit, auquel on donne le nom,
moins mal sonnant, de découvert, résulte surtout d’un excédant de dépenses, eu
égard aux recettes effectives, pendant les années 1841, 1842 et 1843.
L’intention manifestée est de le
couvrir ou plutôt de l’atténuer au moyen des valeurs, que le traité avec
D’abord, il me semble incontestable
que cette grande mesure ne peut se prendre qu’en vertu d’une disposition
législative.
De quoi s’agit-il en effet ? Il
s’agit de donner une destination à des fonds, qui ont été mis à notre
disposition par un traité ; la prise de possession de ces valeurs constitue une
recette ; la disposition, qui en sera faite, constitue une dépense. Or l’art.
115 de la constitution porte que toutes les recettes, que toutes les dépenses
de l’Etat, seront portées dans les budgets et dans les comptes, et que c’est
aux chambres à les arrêter. Il est donc hors de doute, me semble-t-il, que la
recette et la dépense, dont il s’agit, devront être comprises dans les comptes
de 1’Etat, et se rattacher peut-être aux comptes de 1842, puisque le traité qui
nous procure ces ressources, daté du 5 novembre 1842.
Il est regrettable que le chiffre du
déficit qu’on nous a dénoncé n’ait aucun caractère officiel, qu’il n’ait aucune
valeur de comptabilité ; il ne pourrait avoir cette valeur que comme résultat
de comptes de gestion, portant le sceau de la vérification de la cour des
comptes.
Dès lors, le chiffre auquel on le
porte n’offre rien de certain ; et qui pourrait nous assurer, dans l’état de
confusion où se trouve notre comptabilité, qu’il n’est pas plus considérable
encore ?
Si le gouvernement, en organisant la
comptabilité, avait établi annuellement des comptes de gestion, dont le
caractère est de présenter le solde de l’année précédente, le total de la
recette et de la dépense effectuée dans le cours de l’année, la balance entre
la recette et la dépense, et le résultat enfin en avoir ou en déficit.
Si, après vérification de la cour des
comptes, les chambres eussent été à même de voter annuellement les comptes,
comme le veut la constitution, elles eussent connu plus tôt la voie périlleuse
dans laquelle elles se sont engagées, et elles eussent déjà mis un terme à une
manière de marcher fort peu régulière, pour ne pas dire désastreuse. Les
recettes se fussent faites d’une manière plus assurée, et la justification en
eût été possible ; les dépenses eussent été plus régulières, l’établissement de
nos chemins de fer nous eût coûté peut-être des sommes beaucoup moins
considérables ; et le gouvernement eût été à même de nous donner un état de
situation de l’encaisse, qui devrait être la base de l’exercice dans lequel
nous entrons.
Le gouvernement me répliquera
peut-être que je suis dans l’erreur, qu’il rend annuellement ses comptes ; eh
bien, je répondrai que les comptes qu’il nous a rendus sont des comptes de
gestion incomplets, parce qu’ils ne renseignent pas la totalité des sommes
rentrées dans les caisses publiques, parce qu’ils ne comprennent pas en
totalité les sommes sorties des mêmes caisses, parce qu’il est hors d’état de
nous donner un état de situation de l’encaisse du trésor.
C’est ainsi que les comptes rendus ne
renseignent rien ni en recette ni en dépense concernant les émissions des bons
du trésor ; c’est ainsi qu’ils ne renseignent pas le mouvement de fonds
spéciaux, qui s’élèvent de 13 à 14 millions ; c’est ainsi qu’ils ne renseignent
rien de ce qui est relatif aux fonds provinciaux et communaux, dont le chiffre
présumé très élevé se trouve confondu avec ceux de l’Etat.
On est fondé à se demander, dans une
situation semblable, ce qui s’est opposé à ce que nous mettions en pratique ce
que nous prescrit l’art 115 de la constitution, c’est-à-dire à ce que nous
ayons fait disparaître le provisoire des budgets depuis 1830, qui n’offriront
que des chiffres et des évaluations incertaines, tant qu’un vote législatif ne
viendra pas régulariser définitivement tous les faits accomplis en vertu de
leurs dispositions. Ce qui s’y est opposé, ce n’est certes pas l’absence d’un
système de comptabilité, car le congrès en a déposé tous les principes dans la
loi du 30 décembre 1830 ; ce qui s’y est opposé, c’est la persistance du
gouvernement à se servir des règlements hollandais de 1824, qui détruisent les
effets de la loi de 1830. Le congrès avait si bien compris l’urgence de
modifier le système de comptabilité, qu’au milieu des préoccupations les plus
graves dans un moment où la dissolution de la veille exigeait une
reconstruction complète, à une époque où notre existence politique était encore
un problème, le congrès crut que l’intérêt du pays exigeait de lui un nouveau
système de comptabilité, et il fit le décret du 30 décembre. Eh bien, depuis 13
ans, on n’a pas trouvé le loisir de modifier des règlements illégaux,
puisqu’ils rendent la loi de 1830 inexécutable dans ses dispositions les plus
importantes. Qu’en est-il résulté ? C’est que les recettes se sont faites sans
justification de la part de la cour des comptes, qu’elle n’arrête ni les
comptes généraux ni les comptes particuliers, comme le veut la loi. Tous les
ans elle fait connaître cet état de choses, et elle a soin de repousser toute
responsabilité en fait de recettes, comme le prouve la conclusion récente de
son dernier cahier d’observations ; voici comment elle conclut : « La cour
ne peut conclure que, comme les années précédentes, c’est-à-dire qu’à défaut
d’une loi de comptabilité et d’un règlement général d’exécution, force il y a d’admettre les recettes
telles qu’elles figurent au compte, etc.
De plus, la cour nous fait observer
tous les ans :
« Qu’on se reposerait à tort,
quant à la régularité de nos finances sur les principes posés par la constitution
et la loi du 30 décembre 1830, tant que ces principes n’auront pas reçu de
développements par une loi réglementaire ; tant que les règlements d’avant 1830
rendront l’application des principes légaux impossibles. »
Elle nous fait observer encore :
« Qu’en l’absence de règlements
la confusion est inévitable, le désordre est imminent ; que l’administration
financière ne présente officiellement rien de certain, que la situation des
caisses publiques offre un mystère profond ; qu’il faut sortir la comptabilité
du dédale où elle erre à l’aventure ; qu’il n’y a que vague dans la situation
du trésor ; qu’il n’existe aucune preuve de l’existence matérielle de
l’encaisse ; qu’il se fait des dépenses et des recettes sur des exercices après
leur clôture, quoique leur durée soit immodérément longue de trois ans ; qu’on
se borne à renseigner les recettes sans distinction d’exercice ; que les
comptes ne renseignent pas ce qui manque pour compléter les recouvrements de ce
qui reste dû ; que l’arriéré est abandonné aux soins des receveurs (et cela
s’entend surtout des secteurs de l’enregistrement, et des domaines) qu’il peut
suffire de leur part d’en négliger le recouvrement ou de ne pas le renseigner,
d’accorder des délais, des dispenses, des réductions interdites par la
constitution, pour qu’il n’en soit plus question dans les comptes puisqu’il n’y
reparaît jamais que la partie reçue.
« Que la confiance dans notre
régime financier est non méritée et dangereuse ; que la responsabilité des
ministres et de la cour des comptes est illusoire en l’absence d’institutions
fortes, etc. »
Je pourrais multiplier encore des
citations, qui ont, à mes yeux, la plus haute importance, eu égard à la gravité
et à la haute position du corps que le congrès a chargé de veiller à notre
comptabilité, et qui, certes, n’a pas fait ces observations à la légère, mais
ne peut les avoir faites qu’après mûre réflexion et par suite d’une expérience
journalière acquise pendant bien des années.
Je m’arrête donc, et je me borne à
citer un passage d’un publiciste estimé, ainsi conçu, qui peut avoir son
application en Belgique :
« En l’absence d’une bonne
comptabilité, il ne reste pour garantie au trésor, que ce qu’on veut bien
appeler la responsabilité de l’ordonnateur, c’est-à-dire, des ministres,
l’ordonnateur sur lequel la cour des comptes n’a pas d’action ; l’ordonnateur
qui n’est pas toujours solvable, l’ordonnateur qui n’est souvent plus en place,
l’ordonnateur qui est toujours prêt à prendre tout sous sa responsabilité, et
qui n’est, en définitive, responsable de rien. »
Est-il étonnant, je vous le demande,
messieurs, si dans une situation semblable nos commissions des finances se
soient abstenues jusqu’aujourd’hui de nous présenter des conclusions de nature
à nous mettre à même d’arrêter les comptes, de débrouiller le chaos de notre
comptabilité ? Cela ne m’étonne nullement, et j’estime que ce sont les
administrations qui se sont succédé jusqu’à présent qui doivent être tenues
responsables de cette position anormale ; en effet tous les ans la chambre, par
l’organe de sa section centrale, s’est plainte de cette situation en demandant
la présentation des projets tendant à y mettre ordre, et tous les ans le
gouvernement a pris sous sa responsabilité d’en ajourner le dépôt. Il pouvait
d’ailleurs modifier ses règlements par arrêté royal, et il le devait même,
puisque les arrêtés dont il fait usage paralysent les effets de la loi de 1830
; il devait remplacer des arrêtés illégaux par des arrêtés basés sur la loi,
voilà quel était son devoir.
Je le dis, messieurs, avec une
profonde conviction, il est grand temps de sortir de cette voie, de mettre à
exécution la loi du 30 décembre 1830, de doter le pays d’une comptabilité
simple, régulière, complète, qui permette d’apprécier la mesure exacte des
ressources du pays, et garantisse à tous qu’aucune portion des sacrifices
demandés à chacun, ne va se perdre dans des dépenses inutiles ou dans des
malversations. Il est grand temps de nous conformer aux prescriptions de la
constitution et d’arrêter annuellement des comptes, au moyen desquels nous
ferons disparaître le provisoire de nos recettes et de nos dépenses, au moyen
desquels il sera justifié des arriérés de recettes et des non-valeurs, au moyen
desquels nous connaîtrons chaque année la situation réelle de notre encaisse,
et si la balance de nos recettes et de nos dépenses nous est favorable ou
défavorable.
Ce n’est qu’alors que nous pourrons
apprécier avec assurance le chiffre de notre déficit ; en attendant, nous ne
raisonnerons que sur de appréciations dénuées de toute base.
M. le ministre des finances s’est
engagé à déposer prochainement les projets de loi qui concernent l’organisation
de la comptabilité publique, j’aime à croire à la réalisation de ses promesses,
et j’espère que l’ordre si nécessaire à la bonne gestion de nos finances datera
de son ministère ; le pays lui en sera reconnaissant.
J’ai émis l’opinion que le
gouvernement ne pouvait disposer de nos fonds pour faire face au découvert
qu’au moyen d’une loi, je réserverai donc les observations que j’ai à faire sur
cette opération importante pour la discussion que ces projets soulèveront dans
cette chambre.
Je crois cependant devoir, dès
aujourd’hui, vous dire qu’il est probable que le découvert annoncé ne dépasse
les prévisions, car on n’y pas compris, semble-t-il, le déficit résultant des
malversations des comptables, déficit qui n’a été porté en dépense dans aucun
compte depuis 1830, ce que je puis estimer avec modération à plus d’un million.
D’une autre part, je ne pense pas
qu’il soit possible de disposer de tous les fonds résultant du traité du 5
novembre, pour couvrir l’insuffisance de nos recettes ; je citerai le fonds
d’agriculture qui s’élève à plus d’un million de francs et dont la destination
naturelle est le rétablissement du fonds d’agriculture, rétablissement demandé
souvent dans cette enceinte et ajourné jusqu’au recouvrement des fonds retenus
en Hollande.
Voilà donc déjà le déficit augmenté,
et les moyens d’y faire face diminués, et je crois que ce calcul n’est pas le
seul qu’on pourrait faire avec un résultat semblable.
Messieurs, c’est préoccupé de cette
situation pénible, que je me suis livré à l’examen de nos voies et moyens pour
l’exercice où nous allons entrer.
L’honorable ministre des finances
nous a présenté un projet avec une insuffisance, qu’il apprécie lui-même à
3,000,000. En y comprenant des dépenses presque certaines et en mentionnant des
ressources qui vont nous échapper, il compte remédier à cette insuffisance par
des projets de lois séparés, qui auront pour objet l’augmentation de nos
recettes ; comme ces projets ne sont pas déposés, nous ignorons deux choses
importantes, nous en ignorons les bases et les ressources qu’ils pourront nous
procurer.
Nous savons fort bien que nous avons
des dettes, mais on ne nous dit pas avec quoi ou veut y faire face. C’est une
position que j’envisage comme absurde dans une discussion semblable à celle où
nous sommes engagés et que, pour ma part, je ne puis accepter.
Hier, d’honorables collègues nous ont
fait part de leur désir de voir rétablir le serment comme moyen fiscal, je ne
sais quelles sont les intentions du gouvernement à cet égard, et j’espère qu’il
ne cherchera pas à rétablir un système qui a contribué à rendre le gouvernement
hollandais odieux en Belgique ; quant à moi, je le déclare, je ne pourrais
m’associer à des moyens de ce genre pour combler le vide du trésor ; je
repousse ce moyen, parce que c’est une spéculation sur les consciences, qui n
aura qu’un résultat incomplet, parce que c’est mettre les hommes entre leur
conscience et leur intérêt, parce que c’est porter une grave atteinte à la
morale, qui a la conscience pour base, parce que le serment n’atteindrait que
les gens consciencieux, et qu’il faudrait, pour que je l’adopte, qu’on
m’indiquât les moyens d’atteindre ceux qui n en ont pas. Je pense donc qu’il
importe, que nous, qui discutons ici un budget des voies et moyens, nous, qui
avons à lui donner un vote approbateur ou désapprobateur , nous sachions au
moins quelles sont les ressources dont on veut disposer, et sur quoi elles se
basent ; sans ces renseignements nous marchons dans les ténèbres, et nous
risquons de nous tromper, nous discutons ce qui n’est pas discutable, nous
discutons des voies et moyens incomplets, insuffisants pour couvrir nos
dépenses, insuffisants de 3,000,000, en prenant au sérieux les évaluations
ministérielles. Mais, je vous le demande, messieurs, est-il bien prudent de se
fier à ces évaluations ? N’avons-nous pas l’expérience que les états de
recettes, recettes qui n’offrent pas de justifications suffisantes, il est
vrai, que les recettes qui nous sont présentées, restent trop souvent
en-dessous des prévisions, qu’on semble vouloir exagérer pour s’étourdir sur
notre position réelle, et faciliter le vote des dépenses ! J’estime donc que,
pour agir avec précaution, nous épargner des mécomptes, il y a lieu de diminuer
les prévisions des recettes d’un million ; je ne propose qu’une réduction d’un
million, parce que je suppose que l’administration aura mis cette année plus de
modération dans ses évaluations de recettes.
Les paroles prononcées hier par
l’honorable ministre des finances en faveur de l’exactitude de ses évaluations
ont produit une forte impression sur moi, c’est son rôle que d’en agir ainsi ;
ce ne sont que des suppositions et rien de plus, car l’homme ne voit pas dans
l’avenir. Je n’attache d’importance qu’aux évaluations qui ont l’expérience
pour base. Or les ressources nouvelles sur lesquelles le gouvernement croit
pouvoir compter sont le résultat de modifications à nos lois douanières, à la
loi des sucres ; à l’accroissement de nos lignes de chemins de fer.
L’expérience seule peut nous dire les résultats de ce nouvel ordre de choses ;
pour le moment, c’est encore un problème que je ne veux pas prendre la responsabilité
de résoudre. il y aura donc lieu, dans cette hypothèse, de porter
l’insuffisance dont convient M. le ministre des finances, à 4,000,000 au moins.
Si je réfléchis ensuite que c’est le
vote annuel de crédits supplémentaires non prévus de crédits qui constituent
des besoins auxquels on ne peut se refuser de faire droit, que ce sont ces
votes de crédits supplémentaires qui sont pour beaucoup dans les causes du
déficit, je n’hésite pas à majorer encore l’insuffisance d’un million.
Il faut donc parer à une double
insuffisance résultant d’une appréciation presque toujours exagérée de nos
recettes, et trop peu élevée de nos dépenses.
Je pense donc que, pour agir avec
prudence, il n’y aurait aucune exagération de nous présenter des projets de
finances dont le produit s’élevât à 6,000,000 ; si j’étais assez heureux pour
me tromper dans mes prévisions, ce ne serait pas au moins un mécompte, dont le
ministère aurait à faire part à la chambre l’année prochaine ; cette erreur,
que j’appelle de tous mes vœux, servirait à diminuer la dette flottante, dont
je crains que l’extinction ne sera pas aussi considérable que le suppose
l’honorable ministre des finances, après l’examen des projets de loi destinés à
atténuer le déficit de ces dernières années.
M. le ministre des finances a jugé
convenable d’ajourner le dépôt des projets en question, mais il faut au moins,
afin d’éclairer notre vote, qu’il nous dise quelle importance il compte leur
donner, quel produit il compte en retirer. Il faut que nous sachions, en un
mot, quelle va être notre position financière pour 1844. Sera-ce une position
tendue, qui est le pronostic des déficits, ou sera-ce une position qui peut
nous faire espérer une réserve, que j envisage comme condition indispensable de
finances prospères ? Je persiste donc à demander ces renseignements malgré les
paroles prononcées par M. le ministre, car ses paroles se bornent à établir que
ses évaluations de recettes ne sont pas exagérées, et, je le déclare encore,
toutes ces protestations ont une médiocre influence sur moi, je n’ai pas foi,
quant à une question semblable, dans le ministre des finances ; qu’il prenne
l’engagement d’augmenter suffisamment les recettes ou de diminuer les dépenses,
ce qui vaudrait mieux encore, et je serai satisfait.
Je demanderai à l’honorable ministre
s’il n’entre pas dans ses intentions d’élever les droits sur le café, qui ne
paye que 10 fr., tandis que cette denrée supporte un droit infiniment plus
considérable en France et en Angleterre. Je lui demanderai s’il ne compte pas
faire en sorte que le tabac contribue aux ressources du trésor. En France la
régie des tabacs constitue un revenu de plus de 80,000,000 pour l’Etat.
J’aime d’ailleurs pouvoir compter sur
la prévoyance, sur la fermeté de l’honorable ministre, à l’habilité et au zèle
duquel je ne puis que rendre hommage.
Je ne doute pas que le langage plein
de fermeté du ministre des finances de 1840 ne soit encore celui du ministre
des finances de 1843.
Voici ce que nous disait
l’honorable ministre des finances il y a 3 ans : « Mais en satisfaisant
seulement aux plus pressantes exigences de notre situation, aurons-nous fait
tout ce que l’on doit attendre d’hommes placés au timon des affaires de l’Etat
? Non assurément, l’imminence des besoins actuels nous aura seul préoccupés, et
l’on pourra avec fondement nous accuser d’imprévoyance. Osons donc jeter un
regard dans l’avenir, et voyons s’il ne faut pas dès aujourd’hui préparer des
ressources plus considérables pour éviter désormais la pénible nécessité de
recourir à de nouveaux emprunts. »
Je bornerai là mes observations ;
j’attendrai les éclaircissements du gouvernement, afin de savoir si je puis
m’associer au vote des voies et moyens, car je suis décidé à ne leur donner mon
vote approbatif qu’à la condition, qu’il me soit clairement démontré qu’ils ne
nous préparent pas de nouveaux déficits.
M.
le ministre des finances (M. Mercier) -
Je répondrai quelques mots à l’interpellation de l’honorable membre. Qu’il me
soit permis de lui rappeler que c’est à tort qu’il me met en demeure d’indiquer
quel sera le produit des projets que je me propose de présenter, car j’ai déjà
annoncé que j attendais trois millions, chiffre indispensable pour niveler nos
recettes et nos dépenses. J’ai annoncé en outre que d’autres dispositions
financières amèneraient une réduction de dépenses, ce qui équivaudrait à une
augmentation de recettes, alors qu’on supposerait qu’elles doivent rester
telles qu’elles sont aujourd’hui. C’est au moyen de ces dispositions que
j’espère que notre situation sera telle que j’ai annoncé qu’elle deviendra dans
l’avenir, c’est-à-dire prospère. L’honorable membre n’était pas plus fondé à se
plaindre de ce que des comptes n’ont pas été rendus de la situation des bons du
trésor, car j’ai déposé tout récemment deux rapports sur cet objet.
Rappelant les paroles que j’ai
prononcées à une autre époque, l’honorable membre espère que je mettrai la même
fermeté, la même persistance à établir l’équilibre dans nos finances. Eh bien,
c’est ce qui a été fait. A l’époque à laquelle il fait allusion, j’ai annoncé
que dix millions de ressources nouvelles seraient nécessaires pour établir cet
équilibre, et comme l’a fort bien expliqué hier un honorable membre, les
revenus de l’Etat se sont en effet successivement augmentés de 7,000,000. Je
viens demander aujourd’hui le complément de ce que je crois nécessaire pour
arriver d’une manière parfaite à cet équilibre.
Ces explications, je l’espère,
satisferont l’honorable membre.
Il a désiré savoir également si le
gouvernement se proposait d’imposer le café et le tabac. J’ai dit que, jusqu’au
moment où la chambre pourra s’occuper des nouvelles mesures financières, je
croyais prudent de ne pas indiquer les objets qui pourront être frappés de
nouveaux droits, tout me fait un devoir de persister dans cette réserve.
Je ne partage pas l’opinion de
l’honorable membre sur un autre point, Si le gouvernement parvient à faire
cesser les fraudes nombreuses qui se commettent en matière de succession, et
qui sont de véritables vols commis au préjudice du trésor public, je crois
qu’il aura posé un acte utile et moral. Au surplus, je me réserve d’entrer, en
temps opportun, dans d’autres explications à cet égard.
M.
Zoude. - J’aurais désiré dire quelques mots après la
déclaration que j’avais faite hier que le remboursement complet du prêt fait a
la banque de Belgique était mis immédiatement à la disposition du ministre des
finances ; mais l’ordre des orateurs inscrits avant moi m’a forcé de remettre à
aujourd’hui quelques observations qu’il aurait été plus opportun de faire
immédiatement.
Au dire d’un orateur, on pourrait
croire que la banque de Belgique s’est enrichie aux dépens du trésor et que des
ministres, peu soucieux de leurs devoirs, auraient prêté la main à ces spoliations
; il n’en est rien, messieurs, et je crois pouvoir démontrer facilement que ce
que la banque a fait, la loi du prêt lui avait ordonné de le faire, que ce que
les ministres ont fait à ce sujet, leur était commandé par le devoir d’hommes
d’Etat, dans l’intérêt du crédit public ; il leur était prescrit par la
protection qu’ils doivent à l’industrie, et leur sollicitude envers le trésor
leur en faisait une loi.
Ayant eu l’honneur de siéger près de
la banque de Belgique avec mon collègue, M. Desmet, en qualité de commissaires
du gouvernement, il nous a été donné de surveiller particulièrement l’emploi du
prêt de 4 millions, de suivre la banque dans ses diverses opérations, d’en
apprécier toute la loyauté, la régularité et l’ordre parfait qui y règne ; aussi
la banque n’a qu’un désir, c’est que ses opérations soient livrées au plus
grand jour ; elle ne pourra, par cette publicité, qu’acquérir de nouveaux
droits à la confiance publique.
On sait que la banque de Belgique
s’est constituée au capital de 20 millions de francs que ses premiers
administrateurs ont presqu’entièrement employés en établissements industriels
qui représentent un autre capital de 50 millions.
Ces établissements sont au nombre de 20,
dont 15 dans la province de Liège, où ils fournissent du travail à huit mille
ouvriers, les 5 autres sont dans les provinces du Hainaut, Flandre orientale et
Luxembourg, et occupent ensemble quatre mille ouvriers.
Et, il faut le dire, c’est parce que
les premiers administrateurs ont témérairement immobilisé ses capitaux que la
banque a dû suspendre ses payements en 1839.
On connaît ceux qui ont précipité
cette catastrophe et quelle en a été pour eux-mêmes les terribles conséquences
; c’est pour en atténuer les effets que le gouvernement est venu, mais trop
tardivement, offrir un prêt de 4 millions à l’intérêt de 5 p. c. avec
obligation de rembourser d’abord la caisse d’épargne et ensuite de maintenir
les établissements industriels créés sous son patronage.
Ce prêt devait être remboursé en
quatre termes, dont le dernier en 1843.
Ce remboursement ne fut pas opéré, la
gêne de l’industrie qui allait toujours en croissant, le rendait impossible ;
aussi on ne le réclama pas sous le ministère de 1840, ni sous les suivants.
La banque, en effet, n’aurait pu
dégager ses capitaux sans consommer la ruine des établissements, que les
conditions du prêt lui ordonnaient de maintenir et même de protéger.
Cependant, à la veille d’un emprunt
considérable, le crédit de l’Etat exigeait que les intérêts arriérés et les
intérêts courants des actionnaires de la banque fussent payés, et le ministre
d’alors, l’honorable M. Desmaisières, vous a expliqué la part que le
gouvernement y avait prise et le devoir que sa haute mission lui avait imposé
dans cette circonstance.
D’un autre côté, le commerce
réclamait la réouverture de la caisse d’escompte, et c’est alors que la banque
avisa aux moyens de se créer un capital nouveau de dix millions ; mais avant de
le fournir, les capitalistes demandèrent que le gouvernement renonçât à toute
prétention sur le capital comme garantie du prêt de quatre millions, et le
gouvernement déclara que le nouveau capital ne serait pas responsable.
C’est alors que la banque put donner
du développement à ses opérations ; les services qu’elle rendit au commerce et
à l’industrie furent accueillis par la reconnaissance publique, et ses
opérations d’escompte acquirent tous les jours plus d’importance, lorsque deux
sociétés, créés d’après leurs statuts pour des opérations commerciales et
industrielles vinrent, dans le but évident d’enrayer la banque, se jeter dans
le champ des escomptes à un taux tellement réduit qu’il devenait impossible à
la banque de s’assurer des bénéfices raisonnables ; dans quel but et avec quels
fonds ces sociétés agirent-elles ? Le but, je l’ai dit, avec quels fonds ?
c’est ce que dévoilera le contrôle qu’établira sans doute la loi sur la
comptabilité de l’Etat.
Toujours est-il que ces sociétés
vinrent de nouveau compromettre l’avenir de la banque, qui ne pouvait prospérer
que par l’escompte et des mesures financières analogues.
La concurrence qu’on lui suscitait,
était d’autant plus pénible, que déjà elle avait été obligée de réduire de 5 à
4 p. c. l’intérêt de ses anciens actionnaires,
D’un autre côté, la situation des
sociétés industrielles sous son patronage ne s’était pas améliorée, et nous
doutons même que toutes satisfassent à leurs obligations envers la banque. Elle
ne pouvait donc plus payer un intérêt de 5 p. c. à l’Etat ; c’eût été absorber
ses capitaux et se préparer de nouveaux embarras plus tard.
C’est alors qu’elle fit au ministre
des finances la proposition de rembourser le prêt de 4 millions, mais elle
demanda que ce remboursement s’opérât en lui laissant la somme à 2 p. c. avec
faculté au ministre d’en disposer plus tôt, soit partiellement soit en
totalité, comme il a été dit hier, moyennant un escompte, ou, pour parler plus
exactement, sous la déduction d’une partie d’intérêts.
Le ministre soumit cette proposition
aux deux commissaires du gouvernement près de la banque, qui furent d’avis
qu’il y avait lieu d’accepter. Cependant, messieurs, ce remboursement effectué
comme il l’est maintenant, les fonctions rétribuées de ces commissaires
viennent à cesser.
Mais il s’agissait du bien public et
nous considérions la proposition comme devant être utile à la banque et à
l’Etat tout à la fois.
A la banque en ce qu’elle lui
permettait de soutenir la concurrence avec des sociétés rivales, et de
poursuivre sa carrière d’utilité publique.
Elle était utile à l’Etat parce qu’il
rentrait ainsi dans des capitaux immobilisés jusqu’alors et qu’il n’aurait pu
retirer qu’au prix de l’expropriation de plusieurs établissements qui, ne se
soutenant que par les secours de la banque, seraient tombés sans valeur, si le
gouvernement eût fait lui-même ce que, d’accord avec les chambres, il avait
défendu à la banque de faire.
Quel était alors le devoir du
ministre ? C’était d’accueillir la proposition qui lui était faite, et c’est un
acte de haute sagesse dont le pays doit lui tenir compte, car le capital de
quatre millions presqu’entièrement immobilisé, aurait été infailliblement
enchaîné pour plusieurs années encore. Et qu’aurait fait le gouvernement qui
n’avait pas d’action sur le nouveau capital, s’il avait voulu récupérer le prêt
? Il ne lui restait que la ressource des expropriations.
On dira peut-être qu’on
pouvait ajourner le remboursement, pourvu que la banque continuât à payer les
intérêts à 5 p. c. ; c’est ainsi qu’une section l’a proposé, comme le dit le
rapport du budget des voies et moyens ; mais la banque pouvait-elle, sans
compromettre tout son avenir, continuer à payer cet intérêt, lorsqu’elle avait
déjà dû réduire celui de ses anciens actionnaires ? Evidemment elle ne le
pouvait pas ; et, si elle avait remboursé sans quelqu’avantage, elle se
dégageait, par là même, des conditions du prêt, et ce que le gouvernement
n’aurait jamais pu faire, elle l’aurait probablement exécuté, c’est-à-dire
qu’elle aurait exproprié les établissements industriels, et il est bien à
craindre que cette expropriation ne soit en effet le résultat amer de la mesure
que la banque vient de prendre ; ce sera sans doute avec un bien vif regret que
la banque devra se décider à l’abandon des établissements qu’elle aidait depuis
longtemps de son appui paternel, et dont les ouvriers iront augmenter peut-être
bientôt la foule déjà beaucoup trop nombreuse de ceux qui se trouvent sans
travail.
Voilà, messieurs, un des résultats
probables de la mesure qui va faire verser, dans le trésor, deux à trois
millions, désormais improductifs, pour l’Etat au moins, lorsque déjà, dit M. le
ministre, l’encaisse est considérable.
M. de Garcia. -
Messieurs, je n’avais demandé la parole à la séance d’hier qu’à propos de
l’incident dont vient de parler l’honorable M. Zoude. La question que soulève
cet incident est excessivement délicate, elle touche en quelque sorte au crédit
public, elle touche à l’existence de grandes industries qui occupent une masse
d’ouvriers, et qui, jetés sur le pavé, pourraient amener des désordres, des
embarras. La délicatesse de la question me fait un devoir de ne pas y rentrer
dans le moment actuel ; je me bornerai à faire une seule réflexion : je décline
tout ce qui peut résulter de la rigueur mise vis-à-vis de la banque pour faire
rentrer le trésor dans les fonds qu’elle tenait à prêt.
Je le regrette, parce que la
convention avec la banque de Belgique, était de nature à donner des garanties
nouvelles aux intérêts du trésor. Je le regrette, parce que les rigueurs
déployées contre la banque de Belgique amènera nécessairement de la part de
celle-ci des mesures de rigueur vis-à-vis des établissements qui sont sous son
patronage et que par suite, il pourra en résulter beaucoup de désordre dans l’industrie.
Je dois pourtant le déclarer, et déjà l’an dernier j’ai envisagé la question de
la même manière. Selon moi, la conduite du ministère n’était pas conforme aux
règles rigoureuses de la comptabilité, mais il avait fait un acte de bonne
administration.
Je n’en dirai pas davantage ; si on
rentrait dans la question, je crois qu’il me serait facile de démontrer que,
par la mesure qui a été prise, on a assuré la rentrée des quatre millions
prêtés et des millions avancés.
Je démontrerais aussi qu’en mettant
la Banque dans l’obligation de verser au trésor ce qu’elle doit à l’Etat, on a
pris une grave responsabilité, que, pour mon compte, je décline de la manière
la plus formelle.
M.
Castiau. - Messieurs, si les revenus publics, si les
fluctuations de ces revenus sont le meilleur mode d’appréciation de la
politique gouvernementale, il faut reconnaître que le pays n’a guère à se louer
du système qu’il subit depuis trois années. Depuis 1841, en effet, nous voyons
plusieurs des principales branches du revenu public devenir d’année en année
moins productives, nous voyons les recettes rester sans cesse au-dessous des
prévisions du budget, nous voyons enfin le découvert s’augmenter d’année en
année. En parlant ainsi, je ne fait pas allusion à ce déficit permanent qui
vous a été signalé avec autant de clarté que de force, dans la séance d’hier,
par mon honorable ami M. Delfosse, de ce déficit qu’il élevait à la somme de 40
millions, et que M. le ministre des finances réduisait au chiffre de 37
millions. Quel que soit le chiffre de ce déficit, le tableau qu’on vous en a
tracé, ce qu’on a dit de votre situation financière est assez effrayant pour le
pays et pour les contribuables, pour que je n’y revienne pas en ce moment.
Je viens appeler votre attention sur
un fait non moins alarmant, peut-être, pour le trésor public ; ce fait, c’est
la décroissance successive des principales branches du revenu public,
décroissance attestée par les démentis qu’ont reçus chaque année les prévisions
du budget. Ainsi au budget de 1841, nous voyons une différence en moins, dans
l’évaluation des revenus, de 180 mille fr. ; en 1842, le démenti donné aux
prévisions ministérielle est bien plus énergique encore puisqu’il s’agit d’une
somme de 1,600,000 fr, ; enfin en 1843, nous arrivons à un document présumé de
plus de 4 millions.
Je ne remonterai pas aux années
antérieures, je me tiendrai au chiffre approximatif indiqué par M. le ministre
pour 1843. Dans son exposé des motifs, M. le ministre évalue le déficit à la
somme de 4,178,618 fr, Il y aurait, messieurs, beaucoup à dire sur cette
évaluation de M. le ministre. Il est à craindre évidemment que cette évaluation
ne soit dépassée ; déjà des observations assez alarmantes ont été
présentées sur ce point par différents membres et l’exposé de situation produit
par M. le ministre n’est pas de nature à nous rassurer à cet égard.
Nous voyons, en effet, dans cet
exposé qu’au 1er septembre, l’Etat n’avait encore perçu sur l’exercice 1843 que
71 millions de francs, et qu’il restait à percevoir pour les quatre derniers
mois une somme de 41 millions. On peut donc craindre que les prévisions du
ministre ne se réalisent pas, et que l’assurance avec laquelle il a posé le
chiffre du document ne soit bientôt démentie par l’événement. Quoi qu’il en
soit, j’accepte le chiffre tel qu’il nous est donné par M. le ministre.
Ce chiffre une fois établi, il faut
maintenant arriver à le décomposer et rechercher sur quels articles portent les
réductions dont l’ensemble constitue le découvert signalé par M. le ministre. A
l’exception d’un article de 2 millions relatifs aux droits de successions,
réduction prévue en quelque sorte d’avance, et expliquée par diverses causes
auxquelles il est inutile de m’arrêter, nous voyons que les réductions principales
portent d’abord sur les patentes ; elles y figurent pour une somme de 83 mille
francs ; le déficit sur les redevances des mines est d’une somme de 36 mille
fr. ; le produit du sel est diminué d’une somme de 50 mille fr. ; le produit
des eaux-de-vie indigènes, offrent un déficit de plus de 1,400,000 fr. ; enfin,
la recette de l’enregistrement offre, dans les évaluations du ministre, un
découvert de 300,000 francs.
Ainsi, à part le chapitre de l’enregistrement,
vous voyez que les réductions portent principalement sur le travail, sur
l’industrie, et surtout sur la consommation. Eh bien, quelle conséquence
doit-on tirer de ces chiffres ? C’est que l’industrie souffre, c’est que le
commerce languit, c’est que la consommation générale est réduite, c’est que les
classes ouvrières subissent, surtout en cette circonstance, les conséquences de
la crise qui tourmente le pays.
Et en effet, à côté des révélations
contenues dans les chiffres posés par M. le ministre, se place la vérité des
faits qui, eux aussi, ont leur autorité et leur puissance.
On vous a parlé déjà dans la séance
d’hier, de cette crise industrielle, qui avait si violemment agité le pays ; on
vous a dit qu’elle n’était pas terminée. Non certes, elle n’est pas terminée,
car les principales industries du pays en subissent encore les pénibles
conséquences. L’industrie des toiles a reçu un long et douloureux ébranlement ;
l’industrie des houilles, dans une partie du Hainaut, a vu réduire son extraction
de près de moitié dans les six premiers mois de cette année : enfin l’industrie
métallurgique se débat dans les convulsions d’une véritable agonie.
Voilà donc trois de nos principales
industries, des industries qui trament à leur suite une immense clientèle de
travailleurs et d’ouvriers, menacées en quelque sorte dans leur existence ; les
voilà dans l’impuissance de pourvoir aux besoins de ces nombreuses classes
ouvrières, auxquelles elles avaient jusqu’alors offert des moyens de travail et
d’existence.
A Dieu ne plaise que je vienne ici
faire retomber les conséquences de tous ces désastres sur le système
ministériel. Il faut être juste avant tout. Il y a sans doute des faits bien
autrement puissants que la volonté des hommes. Ainsi par exemple, les souffrances
de l’industrie des toiles dans les Flandres se rattachent à la transformation
industrielle qui s’y opère et qui entraîne à sa suite des froissements, des
perturbations inévitables. Il y aurait injustice à faire retomber ces
conséquences affligeantes sur MM. les ministres.
Cependant nous aurions le droit
d’interpeller le gouvernement, pour savoir ce qu’il a fait dans cette
occurrence. Nous avons le droit de lui demander s’il a déployé toute la
sollicitude possible, s’il s’est efforcé d’améliorer cette situation alarmante,
s’il a pris toutes les mesures enfin qu’il lui appartenait de prendre, sinon
pour faire disparaître entièrement le mal, du moins pour en atténuer la
gravité.
Que devait donc faire le ministère en
cette circonstance ? Le parti à prendre était facile et la voie à suivre
s’offrait naturellement à lui. Ce qu’il fallait, c’était de trouver des
débouchés pour nos industries souffrantes ; il devait obtenir pour elles des
nations étrangères des conditions plus avantageuses, s’efforcer, autant que
possible, d’abolir ces stupides barrières de douanes qui perpétuent
l’antagonisme entre les nations, et qui sont, il faut le reconnaître, la cause
principale de toutes ces crises industrielles qui affligent en ce moment, non
seulement
Vers quel pays surtout devait se
tourner la sollicitude ministérielle ? Avec quel pays devait-il entrer en
négociation pour obtenir pour nos industries des conditions plus favorables
avec la France ? Evidemment, la France n’était-elle pas le marché naturel de la
Belgique ? N’est-ce pas avec ce pays que nous avions le mouvement d’affaires le
plus important ; un mouvement commercial de plus de 100 millions ? Nos
importations dans ce pays ne dépassaient-elles pas le montant des importations
françaises ? La balance des importations commerciales en France ne
présente-t-elle en notre faveur un avantage de plus de 20 millions ? C était
donc vers la France, encore une fois, qu’on devait se tourner ; c’est avec la
France qu’il fallait négocier.
Eh bien, qu’a fait le ministère ? il
a envoyé des commissaires spéciaux dans ce pays ; qu’on me permette de
reprendre les choses d’un peu loin ; mais cet envoi d’une mission spéciale a
été environnée d’une telle publicité, qu’on a éveillé par là même les rivalités
et les hostilités des intérêts qui se croyaient lésés par la mesure qu’on
provoquait. Puis on a imprudemment commencé par où il fallait terminer ; on a
débuté par poser tout d’abord une question qui n’était pas comprise, une
question qui n’avait pas mémé été étudiée, une question qui, de part et
d’autre, devait soulever d’irritables susceptibilité, froisser de nombreux
intérêts, cette grande question de la réunion douanière. La question ainsi
posée devait nécessairement être résolue contre nous, et elle l’a été. Les
premières négociations ont donc misérablement échoué.
Qu’est-il résulté de toutes ces
tentatives de négociations avec la France ? Bien autre chose que la convention
du 16 juillet 1842 ; cette convention, je le reconnais, accordait à celle de
nos industries qui appelait vivement la sollicitude du gouvernement, à
l’industrie des toiles, la faveur d’un droit différentiel. En retour de cette
faveur, on accordait à la France une réduction de droits sur les soieries et
sur les vins. Cette première mesure était déjà le prélude de négociations
commerciales plus importantes, d’améliorations nouvelles dans notre position
commerciale et industrielle vis-à-vis de
On ne se contente pas d’accorder une
première fois cette faveur importante à l’Allemagne. Le terme fixé pour cette
concession arrive ; on le prolonge encore ; on le prolonge de nouveau et
toujours gratuitement ; le terme expire une seconde fois ; on le proroge de
nouveau ; on vient encore, toujours en suppliant et faisant abstraction de tout
sentiment de dignité, offrir à l’Allemagne, qui reste toujours sourde à de
nouvelles supplications, cette troisième concession. Et cela comme pour braver
en quelque sorte le gouvernement français, comme pour soulever contre nous les
intérêts, les sympathies de ce pays avec lequel nous avions tant d’intérêt à
rester unis.
Et dans quel moment encore se
livre-t-on à ces agressions ténébreuses et déloyales ? Dans un moment où les
tarifs annexés à la convention du 2 juillet 1842 ne sont pas même approuvés par
les assemblées législatives de France ; dans le moment où la plus grande
incertitude plane encore sur la ratification de cette convention. Eh bien, ne
craignez-vous pas que toutes vos généreuses concessions à l’Allemagne, que
toutes ces misérables taquineries la France ne se tournent contre vous et
contre cette industrie que vous avez voulu protéger ? Ne craignez-vous pas
qu’elles ne soulèvent la susceptibilité des chambres françaises, que votre
convention du 16 juillet 1842 ne se brise contre les répugnances et les
hostilités que vous auriez vous-mêmes provoquées par vos imprudences ?
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Ce langage est très imprudent.
M.
Castiau. - Il n’y a pas d’imprudence à dire la vérité.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Ce qu’a dit l’honorable préopinant n’est pas exact.
M.
Castiau. - Si M. le ministre veut rectifier les faits,
je lui céderai volontiers la parole.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Je demande pardon de cette interruption à l’assemblée, et je remercie
l’honorable orateur de la permission qu’il veut bien me donner. J’ai dit que
ses paroles sont imprudentes. Je ne puis rétracter cette qualification ; ces
paroles sont très imprudentes ; on nous menace en quelque sorte des
susceptibilités des chambres françaises. Si ces susceptibilités vous
inquiètent, ne les excitez pas, dirai-je à l’honorable préopinant. (Interruption.) Les faits ont été cités
d’une manière inexacte ; je veux garder la plus grande réserve ; je ne dirai
que ce qu’il faut pour disculper le gouvernement ; reportez-vous au statu quo
du tarif antérieur à l’ordonnance française du 28 juin 1842, qui est venue
subitement nous frapper. L’ordonnance française, prise à la suite de la clôture des
chambres et à la veille des élections générales de 1842, l’ordonnance du 28
juin 1842 est venue changer le statu quo à notre désavantage. On nous a dit :
l’industrie anglaise a fait invasion en France ; nous devons nous protéger
contre les importations anglaises ; nous devons élever les droits ; nous les
élevons ; mais nous vous promettons une exception, si vous voulez l’acheter ;
cette exception c’est le statu quo antérieur à l’ordonnance, telle a été la
position prise par le gouvernement français. Je ne l’en accuse pas ; je ne le
blâme pas ; je rappelle les faits. Cette position étant prise par le
gouvernement français, nous avons donc dû acheter le rétablissement du statu
quo ; nous l’avons acheté par la convention du 16 juillet. Nous avions
peut-être le droit de répondre au gouvernement français : A la suite des
négociations de 1836, il était tacitement intervenu un arrangement en vertu
duquel le statu quo nous était acquis. Ce statu quo a déjà été altéré par la
loi du 26 mai 1840, loi qui a changé la manière de compter les fils et d’apprécier
les nuances. Un second changement et plus grave est apporté au statu quo par
l’ordonnance du 28 juin 1842. Cette ordonnance vous était nécessaire contre
l’Angleterre, non contre
Ce langage, nous l’avons tenu
vainement. Nous avons dû payer le rétablissement du statu quo.
Nous avons eu soin de ne pas donner à
la convention du 16 juillet un caractère exclusif. Nous nous étions réservé
d’accorder les mêmes avantages, même gratuitement, si nous le jugions convenable,
à d’autres pays. Nous n’avons donc pas trompé le gouvernement français ; il n’y
a eu de notre part aucune duplicité. Nous avons accordé ces avantages à
l’Allemagne, par l’arrêté royal du 28 août 1842, qui depuis, a été renouvelé
deux fois. Je demanderai à l’honorable préopinant quel acte d’hostilité
l’Allemagne avait posé contre nous à cette époque. Avait- elle change son tarif
à notre désavantage ? Non. A cette époque, il n’y avait eu aucun changement
dans son tarif des douanes. Cependant, par la convention du 16 juillet, nous
étions venus changer notre statu quo vis-à-vis de l’Allemagne. (Interruption.) Nous avions, en vertu de
cette convention, transporté sur la frontière germano-belge le tarif quasi
prohibitif de la France à l’égard de l’industrie linière.
Nous avons provisoirement accordé les
mêmes avantages à l’Allemagne ; nous les avons accordés dans l’attente des
résultats des négociations ouvertes avec ce pays. Nous les avons aussi accordés
parce que nous venions le changer le statu quo de notre tarif contre
l’industrie linière allemande.
Et, messieurs, il y a plus ; la
convention du 4 juillet est un acte tout nouveau dans la diplomatie commerciale
; c’est la première convention par laquelle
Si je ne craignais, messieurs, à mon
tour d’être accusé d’imprudence, je dirais que même la convention du 16 juillet
n’est pas restée intacte de la part de
Je déplore, messieurs, cette
discussion ; je l’ai déplorée la première fois, lorsqu’à la suite de l’arrêté
du 28 août, on est venu en quelque sorte donner l’éveil à la France et à son
gouvernement. Ces sortes d’appel, messieurs, ne sont que trop facilement
entendus à l’étranger. Nous venons d’en avoir un exemple. N’a-t-on pas fait
circuler il y a quelques jours à Anvers une pétition par laquelle on dénonce la
municipalité d’Anvers, et à l’avance le gouvernement belge, aux représailles du
cabinet français ? Cette plainte, il est prouvé aujourd’hui qu’elle n’est pas
fondée et cependant elle est déjà accueillie par la presse parisienne.
Je ne veux pas, messieurs, à mon tour
pousser cette discussion trop loin. Je n’hésite pas à annoncer à l’assemblée,
et souvent il en a été question au conseil des ministres, que si notre
diplomatie commerciale devait être discutée avec cette imprudence dans la
chambre, nous n’hésiterions pas, dans l’intérêt du pays, à demander le
huis-clos.
J’adjure donc l’honorable membre de
vouloir retirer les reproches qu’il a cru devoir nous adresser. Il n’y a eu ni
de loyauté, ni surprise même. Nous avions annoncé à l’avance que nous nous
réservions d’étendre à d’autres pays les avantages de la convention du 16
juillet 1842.
En résumé, cette convention
n’a pas les résultats que nous nous en promettions. Nos importations de toiles
en France sont loin d’avoir augmenté (interruption)
; elles ont même diminué ; de plus la convention elle-même n’est plus intacte,
puisqu’une ordonnance royale contresignée par le ministre de la guerre de
France, exclut nos toiles des fournitures de l’armée française.
Du reste, je désire qu’on ne trouve
rien de désobligeant dans mes paroles à l’égard du gouvernement français ; j’ai
seulement voulu rétablir les faits. On ne peut assez le répéter, le premier
acte qui a rendu nécessaire la convention du 16 juillet, c’est l’ordonnance
française du 28 juin 1842, qui est venue contre toute attente changer le régime
du tarif français, régime que nous étions, jusqu’à un certain point, en droit
de regarder comme acquis en vertu des négociations de 1836 ; on aurait pu faire
un appel à la générosité du gouvernement français, puisque l’industrie anglaise
était seule redoutable à la France, il ne fallait prendre la mesure que contre
l’industrie anglaise, et l’exception que nous avons dû acheter par la
convention du 16 juillet, on devait nous l’accorder gratuitement, au moins
jusqu’au jour où notre industrie serait devenue à son tour menaçante pour la
production française.
M.
Castiau. - Je commencerai par déclarer que j’accepte et
que je suivrai, pour ma part, l’appel tout de prudence qui vient de m’être
adressé par M. le ministre de l’intérieur. Cependant il faut reconnaître que,
par les détails dans lesquels il vient d’entrer, par les développements qu’il a
donnés à la question que j avais soulevée, et par le caractère incisif de ses
observations, il a le premier manqué à ces règles de prudence qu’il voulait me
conseiller.
Je tiens, en outre, à ce que nos
débats aient lieu autant que possible publiquement ; je tiens à éviter ce
huis-clos dont j’ai été menacé par M. le ministre de l’intérieur ; je ne
m’appesantirai donc pas davantage sur cette question. Les faits, du reste,
parleront, et je crains que l’avenir ne donne une éclatante confirmation à mes
prévisions.
Ce n’était d’ailleurs pas la seule
imprudence que j’avais à reprocher au gouvernement en matière de diplomatie et de
politique commerciale.
Il était après le peuple français, un
autre peuple que nous avions le plus grand intérêt à ménager, le peuple
hollandais,
Vous voyez, messieurs, que le
ministère s’est placé maintenant à la tête de la coalition la plus aveugle des
intérêts privés, qu’il tient le premier rang parmi les prohibitionnistes, que
c’est lui qui fait le premier appel à l’égoïsme des intérêts particuliers, que
c’est lui qui vient proposer des augmentations de tarif, augmentations qui soit
en quelque sorte des droits prohibitifs ; et dût-on m’accuser cette fois encore
de commettre une imprudence, il est vrai de dire, et on ne doit cesser de le
répéter, que toutes ces agressions contre les pays avec lesquels nous avons
intérêt de conserver de bons rapports, sont de nature à provoquer des
représailles dont l’industrie belge sera inévitablement la victime.
Evidemment, c’est faire injure à
l’évidence, c’est refuser de voir la lumière que de déclarer que de pareilles
questions ne peuvent être agitées dans cette enceinte. C’est supposer que les
nations étrangères sont moins soucieuses de leurs intérêts commerciaux et
industriels que la Belgique peut l’être des siens.
Je dis donc, et je le répète, que le
système suivi par le ministère est un système qui compromet gravement les
intérêts matériels du pays, un système qui doit attirer sur l’industrie belge
des représailles, des représailles prochaines peut-être, et des représailles
effrayantes.
Ainsi, messieurs, le système
ministériel sera aussi fatal aux intérêts matériels du pays qu’à ses
institutions politiques, et si je n’aborde pas avec l’étendue qu’elle comporte
cette phase de la question, c’est qu’elle a été traitée avec franchise et
énergie dans la séance d’hier, c’est que le souvenir des atteintes qui ont été
portées à nos principales institutions est encore vif et palpitant dans tous
les esprits.
Il ne suffit donc pas devenir, comme
ont a fait dans cette enceinte, parler de conciliation pour effacer ainsi les
souvenirs les plus amers du passé. Les actes restent ; ces actes sont des
atteintes flagrantes à nos institutions et à nos droits. Il n’y avait qu’un moyen
pour arriver à faire croire à la réalité, à la sincérité de tous ces appels à
la conciliation, à la modération et à la concorde. C’était de faire disparaître
les lois réactionnaires et les mesures qui avaient soulevé l’agitation et
l’indignation au cœur de tout ce que le pays compte d’hommes sincèrement
attachés à nos institutions libérales.
Voilà ce que j’ai à dire sur
l’ensemble du système ministériel.
J’arrive maintenant à des
observations particulières, à des observations spéciales applicables à M. le ministre
des finances.
Ce que je reproche avant tout à M. le
ministre des finances, c’est de n’avoir rien fait encore pour améliorer notre
législation financière, c’est de n’avoir pas même préparé encore les éléments
de cette révision générale des taxes publiques qui devait être un de ses
premiers, un de ses plus impérieux devoirs.
N’est-il donc pas temps, messieurs,
de mettre nos institutions financières en harmonie avec nos institutions
politiques ? Suffit-il d’avoir inséré dans votre constitution de grands et
généreux principes, d’y avoir introduit la doctrine de la souveraineté
nationale, le principe de l’égalité de tous les citoyens, de l’égalité de
toutes les classes de la société devant la loi.
Ne faut-il pas que ces idées, que ces
principes descendent enfin dans l’application et dans le domaine des faits, et
cessent d’être de vaines et brillantes abstractions ?
Les institutions financières ne
sont-elles pas aussi importantes, plus importantes peut-être même que les
institutions politiques pour le bien-être et le bonheur du pays ?
Vainement, en effet, aurait-on
appliqué le principe représentatif, vainement aurait-on placé l’élection à tous
les degrés de la hiérarchie gouvernementale, vainement même arriverait-on à
l’extension illimitée des droits politiques, jusqu’au suffrage universel, si
les charges publiques sont mal réparties, si elles sont réparties de telle
manière qu’elles retombent de tout leur poids sur les classes inférieures et
sur les classes ouvrières pour effleurer à peine le luxe, la richesse et le
superflu de l’opulence, vainement, dis-je, vous croiriez avoir établi un
gouvernement démocratique, vous n’auriez en réalité qu’un gouvernement de
privilège, de monopole et d’aristocratie.
La constitution elle-même a tellement
senti le besoin de mettre en harmonie les institutions financières et les
institutions politiques, qu’elle a fait un devoir à la législature comme au
gouvernement de la révision des lois financières en désaccord avec le principe
démocratique de notre nouveau gouvernement. En effet, messieurs, au nombre des
premiers objets mis à l’ordre du jour par l’art. 129 de cette constitution se
trouve cette refonte générale de nos impôts.
A qui appartenait-il, messieurs, de
réaliser ou du moins de préparer la réalisation de cette exigence
constitutionnelle ? Evidemment au gouvernement. C’était au gouvernement qu’il
appartenait de réunir les éléments de cette vaste révision. Le gouvernement
seul était en position de pouvoir apprécier toutes les conditions de ce
travail, et de recueillir, à l’aide des mille employés dont il dispose, les
documents et les renseignements qui devaient en faciliter la préparation.
Eh bien, messieurs, qu’a fait à cet
égard le gouvernement ? Rien, absolument rien, car je ne considère pas comme
sérieux les projets de modifications de détail qui avaient été présentés dans
le cours de la dernière session et qui avaient pour effet d’aggraver encore
notre détestable système d impôts au lieu de l’améliorer. Ces projets qui
étaient de véritables aberrations financières, ont depuis été désavouées en
partie par le gouvernement lui-même, qui a reculé devant son œuvre.
Eh bien, messieurs, je vous le dirai
franchement, que je m’attendais à quelque chose de mieux de la part du nouveau
ministre des finances. Quand on vient saisir deux fois le pouvoir, quand on
prend en mains à deux reprises différentes les rênes d’un département aussi
important que le département des finances, on doit croire, messieurs, qu’on y
apporte quelques idées de réforme et d’amélioration ; on doit croire qu’on est
dominé par le noble désir d’être utile à son pays, par le désir de développer
des plans, des idées d’organisation qui laissent un souvenir honorable de notre
passage au pouvoir. Eh bien, messieurs, il y a eu la même stérilité de vues et
d’efforts chez l’administration nouvelle que chez sa devancière ; rien, jusqu’à
présent, n’annonce qu’elle veut modifier dans le sens du progrès les
institutions financières du pays. Si M. le ministre des finances vient
présenter un projet de loi des voies et moyens, ce projet est servilement
calqué sur celui qui vous a été présenté dans la dernière session ; il vient
nous proposer purement et simplement le maintien d’un statu quo désastreux. Et
lorsqu’il présente un budget en déficit, par quel genre d’impôt propose-t-il de
couvrir ce déficit ? Précisément l’impôt le plus impopulaire, l’impôt le plus
odieux, l’impôt qui pèse le plus lourdement sur les classes pauvres, sur les
classes agricoles surtout, l’impôt sur le sel. Ne dirait-on, pas à voir cette
conduite que nous sommes maintenant dans le meilleur des mondes possible, qu’il
n’y a rien à faire, que notre système d’impôts est en quelque sorte parfait, et
qu’il faille s’incliner devant son inviolabilité ?
Et cependant, messieurs, de combien
de critiques, de combien de reproches, de combien d’accusations notre système
d’impôts publics n’a-t-il pas été flétri déjà ?
La contribution foncière, par
exemple, qui avait été introduite pour atteindre la richesse de la propriété,
cette contribution n’a-t-elle pas été reportée par les propriétaires ? et comme
ceux-ci doivent en ajouter le montant sur les fermiers au prix des denrées
qu’ils livrent à la consommation, elle n’a en réalité d’autre effet que
d’amener le renchérissement des denrées alimentaires. C’est ainsi que la contribution
foncière manque son but, quelle est devenue une sorte de contribution indirecte
sur les céréales, sur les bestiaux. Cet impôt sur le riche et sur le
propriétaire n’est plus qu’un impôt indirect sur la viande, sur le pain, en un
mot, sur les besoins les plus impérieux des classes ouvrières.
La contribution personnelle, à
l’exception de deux bases, celles relatives aux chevaux de luxe et aux
domestiques, pèse surtout sur les classes moyennes et laborieuses. On l’a
reconnu vingt fois avant moi ici même, dans cette enceinte. Le prédécesseur de
M. le ministre des finances lui-même, l’honorable M. Smits, n’a pas craint de
déclarer, l’année dernière que les bases principales de cette contribution
étaient établies de telle sorte qu’elles grèvent surtout les classes
bourgeoises et le commerce pour épargner les richesses des propriétaires.
Quant à l’impôt des patentes, c’est
l’impôt sur le travail, sur l’activité, sur les classes laborieuses.
Le moins qu’on pourrait faire serait
d’établir sur des bases équitables la répartition de cet impôt. Les bases
actuelles en sont tellement ruineuses qu’un projet de loi pour les modifier
avait été présenté par le prédécesseur de M. le ministre des finances. Mais ce
projet laisse subsister le classement arbitraire de la loi actuelle et rejette
la seule base équitable, l’appréciation du revenu industriel avec lequel il
convient de mettre la patente en rapport.
Restent, messieurs, les contributions
indirectes, les droits d’accise et de consommation. Oh ! ce sont la, comme je l’ai
déjà fait observer, les objets de la prédilection toute particulière de M. le
ministre des finances. Il est facile, en effet, pour un ministre des finance
d’arriver, pour accroître les ressources du trésor, avec ces taxes dont on ne
peut apprécier l’importance, avec ces taxes qui se glissent sournoisement
auprès du contribuable, qui l’atteignent par des voies détournées et occultes,
avec ces taxes qui vous font payer l’impôt en vous laissant ignorer la garantie
de la charge qu’ils font peser sur vous.
Quant à moi, je ne partage pas,
messieurs, la prédilection de M. le ministre des finances pour ses taxes de
consommation, et je ne crains pas de déclarer hautement que les taxes de
consommation sont des taxes trois fois iniques. Elles sont iniques parce qu’elles
exigent la même somme pour la même quantité de produits consommés, quelle que
soit la position du consommateur, qu’il soit riche ou pauvre, millionnaire ou
prolétaire n’ayant que son salaire pour vivre.
Ces impôts sont iniques parce qu’ils
retombent surtout sur les objets de consommation, que j’appellerai populaires ;
c’est la bière, le sel, l’eau-de-vie indigène qui en sont frappés, et les
objets qui servent principalement à la consommation des classes inférieures.
Enfin ce qui ajoute encore à l’iniquité de ces taxes, c’est qu’elles pèsent
surtout sur les familles nombreuses, sur les familles qui ont le plus de
besoins, sur les familles qui ont le plus de charges et qui sont dès lors dans
une position que l’équité, l’humanité devraient faire prendre en considération
; eh bien, ce sont précisément ceux qui se trouvent dans cette position, si
digne d’intérêt et de sympathie, qui sont le plus fortement, le plus rudement
atteints par ce genre d’impôts, qui devraient disparaître de notre législature
financière.
Quant aux droits d’enregistrement, de
greffe et d’hypothèque, sans doute l’application de ces droits en fait retomber
fréquemment la charge sur l’aisance et la fortune ; mais il arrive cependant
aussi des cas exceptionnels où ces lois, comme en matière de faillite et
d’expropriation, font retomber l’action du fisc sur l’insolvabilité, sur la
misère, sur le malheur.
Ce sont là, messieurs, de grands
abus, et en présence de ces abus, que devait faire un ministre qui eût eu le
sentiment de sa mission ? Il devait porter la hache à la racine du mal ; il
devait faire disparaître une partie des abus ou tout au moins annoncer les
projets d’amélioration financière dont il entendait doter le pays.
Il ne fallait certes pas, en vérité,
de grands frais d’imagination et de génie pour jeter les premières bases de ces
réformes.
Ces moyens se trouvent indiqués
partout aujourd’hui ; ils courent en quelque sorte les rues ; il est impossible
d’ouvrir le dernier traité d’économie politique, sans y voir à côté de la critique
de tout notre système d’impôts, les moyens d’arriver à faire disparaître
l’iniquité.
Et si l’on avait peur des idées, si
l’on s’épouvantait des théories, eh bien, l’on pouvait consulter l’autorité des
faits ; il suffisait de se laisser guider par l’expérience. Partout, en effet,
cette question de la réforme des taxes publiques agite maintenant les
gouvernements et les peuples. Je ne vous citerai pas l’exemple de
Voilà, messieurs, les idées, les
principes que l’on aurait dû étudier, et dont il aurait été si facile de
profiter.
Du reste, toutes ces questions
n’avaient elles pas été agitées déjà dans cette enceinte même ? L’année
dernière cent propositions différentes n’avaient-elles pas été faites sur les
taxes annuelles à établir ? N’avait-on pas indiqué des impôts sur les livrées,
sur les voitures sut les titres de noblesse, sur les lettres de
naturalisations, sur les tabacs, sur les denrées coloniales, sur les
successions, sur les biens de main-morte, que sais-je, sur les célibataires ?
Quelques-unes de ces propositions
étaient certes dignes d’être prises en considération ; elles méritaient d’être
examinées, étudiées par. M. le ministre des finances, et pas une seule d’entre
elles ne paraît jusqu’ici avoir appelé sérieusement son attention.
Une autre proposition, messieurs,
avait encore été produite dans le cours de la discussion à laquelle je viens de
faire allusion. C’était la proposition de confier au gouvernement
l’administration des caisses d’épargnes, de lui confier également ce qui est
relatif à la police des assurances. C’étaient là, messieurs, des matières d’intérêt
public qui rentraient bien évidemment dans les attributions gouvernementales.
Eh bien, comment M. le ministre des finances a-t-il répondu à des propositions
si importantes ? Il y a répondu par une dédaigneuse fin de non-recevoir,
Il y a répondu en faisant du
puritanisme financier ; oui, messieurs, le gouvernement a eu des scrupules ; on
nous a dit qu’il avait répugné au gouvernement de faire de ces institutions une
source de revenus pour le trésor !
A merveille !... mais à côté de ces
scrupules se trouve le fait de l’établissement des autres impôts bien autrement
odieux que les mesures que l’on voulait établir. Le gouvernement, qui avait
tant de scrupules pour percevoir un léger bénéfice qu’il abandonne à des
sociétés anonymes, ce gouvernement si puritain et si délicat ne se fait aucun
scrupule de percevoir des impôts sur toutes les propriétés et sur le travail ;
il ne se fait aucun scrupule de nous vendre jusqu’au droit de voir, de respirer
et de vivre en quelque sorte ; il ne se fait aucun scrupule de prélever son
tribut sur le pain, la viande, la boisson et le salaire de l’ouvrier !
Il faut donc en finir avec tous ces
mots de scrupule et de dignité ; il nous faut enfin des faits et des actes ;
assez longtemps on a été dupe de vaines promesses. C’était un devoir imposé au
gouvernement par la constitution de procéder à la révision générale de nos
taxes ; et comme ce devoir n’a pas été rempli jusqu’à ce jour, je considère
comme un devoir de rejeter le budget des voies et moyens qui consacre de
nouveau toutes ces iniquités.
Je voterai donc contre le budget,
parce que je ne veux pas m’associer à ce système déplorable, à ce système
impopulaire de taxes publiques qui grèvent en ce moment le pays.
Je voterai contre le budget,
parce que je ne veux pas non plus appuyer un système gouvernemental qui me
paraît de nature à compromettre notre avenir commercial, et la position
industrielle que nous devons occuper parmi les peuples.
Je voterai contre le budget, parce
que je ne veux pas encourager ce système de prodigalités ministérielles qui
nous a été dénoncé dans la séance d’hier ; système qui tend à augmenter d’année
en année de plusieurs millions les charges et les dépenses publiques, et qui,
ainsi qu’on l’a dit, doit inévitablement avoir pour effet d’amener la ruine du
pays, peut être, et dans tous les cas l’oppression et la misère des
contribuables.
Je voterai contre le budget, parce
que c’est pour moi le seul moyen de protester de toutes mes forces contre le
système réactionnaire qui, dans le cours des dernières sessions, a porté les
plus graves atteintes à nos droits, à nos libertés, à nos institutions.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Messieurs, il s’est fait, il y a un demi-siècle, une grande révolution, qui a
supprimé tous les privilèges, qui a introduit l’égalité des impôts, qui a
établi un droit commun. Une opinion, je le sais, se produit de nos jours, c’est
que cette révolution a été incomplète, c’est qu’aux privilèges anciens des
privilèges nouveaux sont venus se substituer, c’est qu’à l’ancienne
aristocratie féodale, détruite par la grande révolution, est venue se
substituer une aristocratie nouvelle, l’aristocratie des classes bourgeoise,
l’aristocratie de la propriété, l’aristocratie de l’industrie.
Je ne veux pas rechercher ce que ces
doctrines peuvent avoir de dangereux, je veux même avouer que je ne suis pas
sans sympathie pour quelques-uns des résultats que se promettent les partisans
de ces théories. Cependant, je crois qu’il est du devoir d’un gouvernement de
ne pas laisser s’accréditer les conséquences extrêmes qu’on pourrait emprunter
à ces doctrines.
Est-il vrai, messieurs, qu’il y a un
désaccord entre le système d’impôts qui régit le pays, et nos institutions
politiques ?
Je ne le pense pas ; je crois que,
quand l’honorable préopinant formulera ses propositions, il nous sera facile de
démontrer que le système qu’il veut substituer au système actuel, présenterait
tous les caractères du privilège et de l’inégalité.
Ne concluez cependant pas des
réserves que je fais, que, dans mon opinion, il n’y a rien à faire en matière
d’impôt, que tout est pour le mieux ; je veux seulement repousser ce que
j’appelle les conséquences extrêmes de ces doctrines. On voudrait, on pourrait
faire accroire au pays que le système de nos impositions est une espèce de
système aristocratique, un système complètement en désaccord avec nos
institutions, un système oppressif pour les classes populaires, pour les
classes inférieures
On nous a engagés, messieurs, à
introduire la taxe du revenu. Qu’on se rappelle que de malheurs publics il a
fallu pour l’établir en Angleterre, non pas d’une manière permanente, mais
seulement temporairement. Ce système, messieurs, existe encore dans deux autres
pays, les Etats-Unis et
J’ignore par quels moyens on
parviendrait à l’introduire en Belgique. Il faudrait des circonstances
extraordinaires, pour obtenir un effort de ce genre de la nation entière, je
n’hésite pas à le dire ; en matière d’impôt, comme en toute chose, c’est le
possible qu’il faut demander au pays.
Du reste, ce qui prouve qu’il n’y a
pas une concordance si parfaite entre le système d’impôt et les institutions,
c’est que ce système de la taxe du revenu qu’on nous préconise, existe dans
trois pays qui offrent les institutions, certes, les plus diverses.
La taxe du revenu existe aux
Etats-Unis d’Amérique. Là, j’en conviens, il y a entre ce système et les
institutions démocratiques du pays la concordance que désire l’honorable
préopinant. Mais si la taxe du revenu est un impôt essentiellement
démocratique, comment se fait-il qu’il soit introduit dans l’aristocratique
Angleterre ? Comment se fait-t-il qu’il ait pu s’introduire dans un pays où
existe le gouvernement absolu, en Prusse ?
Vous voyez donc que cette nécessité
de la concordance entre le système des impôts et les formes politiques, n’est
pas précisément telle que le suppose l’honorable préopinant.
On a cité les lois somptuaires de
l’Angleterre.
Messieurs, ces moyens ont été bien fréquemment
employés, mais le plus souvent, ils ont manqué leurs effets.
Les lois somptuaires peuvent avoir
une sorte d’efficacité, donner de grands produits dans des pays où les mœurs
aristocratiques sont, pour ainsi dire, invétérées. Mais je doute que dans notre
pays où les mœurs aristocratiques n’offrent pas ce degré de consistance, ces
mesures puissent avoir le même résultat ; peut-être même auraient-elles des
conséquences tout à fait contraire aux intérêts des classes ouvrières.
Si vous imposez exorbitamment ce
qu’on appelle les domestiques de luxe, on pourrait bien réduire le nombre des
domestiques ; si vous imposez les livrées on pourrait saisir cette occasion ou
ce prétexte, pour supprimer les livrées (le
grand mal !...) Le mal certainement ne serait pas bien grand, surtout pour
ceux qui paient les livrées (On rit).
Vous changeriez la mode et voilà tout.
Ainsi, il ne faut pas croire à
l’efficacité absolue de ce qu’on appelle les lois somptuaires ; elles peuvent
être productives dans un pays aristocratique, comme l’Angleterre, mais je crois
qu’elles pourraient bien manquer leurs effets dans un pays comme
Du reste, nous attendrons l’occasion
que nous fournira le projet de loi annoncé par l’honorable préopinant, pour
approfondir cette question du système des impôts ; elle mérite d’être
approfondie, il est bon qu’elle le soit, et pour le gouvernement et pour le
pays ; il ne faut pas que l’idée s’accrédite, que le système actuel
d’impositions, légué en grande partie par la première révolution française, a
revêtu de nos jours un caractère aristocratique et antipopulaire.
En terminant, je reviendrai en peu de
mots sur ce que j’ai eu l’honneur de dire à la chambre, en interrompant tout à
l’heure l’honorable préopinant. Oui, nous croyons qu’il y a du danger à discuter
publiquement ce qui se rattache à la diplomatie commerciale du pays, la partie
la plus importante de notre politique étrangère. Nous regardons ces discussions
comme d’autant plus dangereuses que souvent elles sont accompagnées de
provocations à l’étranger. L’honorable préopinant lui-même n’a-t-il pas dit
qu’il blâmait surtout le système adopté par le ministère, parce qu’il devait
inévitablement appeler des mesures de représailles contre nous ? Mais que
voulez-vous que fasse le ministre des affaires étrangères, lorsque les envoyés
étrangers se présenteront chez lui, ayant à la main les discours prononcés dans
cette chambre ? C’est, messieurs, donner à leurs réclamations une autorité que,
certes, personne de nous ne veut leur donner.
Nous avons adopté un système de
politique commerciale qui, nous dit-on, nous est dicté par l’égoïsme des
intérêts privés. Nous n’avons eu en vue, dans certaines mesures, que de
protéger le travail national, et je dis que, protéger le travail national,
c’est protéger les travailleurs ; et où sont ces travailleurs ? précisément
dans les classes populaires pour lesquelles vous montrez tant de sympathie.
L’égoïsme des intérêts privés… mais
vous irez-vous donc encore accréditer cette opinion, qu’on est sous le joug de
ce qu’on appelle dans la langue nouvelle, la féodalité industrielle ?
Dans les systèmes commerciaux, comme
en toutes choses, il faut éviter les extrêmes, il faut protéger le travail
national, et en le protégeant dans de justes limites, vous protégerez les
classes inférieures de la société qui sont les classes des travailleurs.
Mais toute mesure que vous prendrez à
l’intérieur, pour favoriser n’importe quelle branche d’industrie ; toute mesure
de ce genre excitera quelques réclamations à l’étranger ; et vous désarmez votre
gouvernement, si vous venez, à l’avance, lui dire que de justes mesures de
représailles l’attendent.
Je n’ai pas menacé l’honorable
préopinant du huis-clos, j’ai seulement dit que les discussions qui ont eu lieu
dans les deux dernières sessions sur les questions commerciales, questions qui
tendent de jour en jour à occuper à elles seules la première place dans nos
débats, n’ont pas été sans danger, j’ai dit que les cabinets étrangers ont fait
leur profit de certains arguments que leur ont fournis ces discussions. Il y a
un autre danger que l’honorable membre a reconnu, c’est que le ministère, mis
dans le cas de légitime défense, est tenu de s’expliquer et commet des
imprudences en se trouvant forcé d’accuser jusqu’à certain point les
gouvernements étrangers. Il est possible qu’une grande discussion devienne
nécessaire sur la diplomatie commerciale du pays ; si la nécessité de cette
discussion est reconnue, le ministère croira de son devoir de demander le
huis-clos pour deux motifs : le premier pour ne pas fournir des arguments aux
cabinets étrangers, en second lieu, pour ne pas se placer dans une fausse
position ; dans l’alternative de se taire ou, en se disculpant, d’accuser des
gouvernements étrangers.
M.
Cogels. - Messieurs, deux orateurs se sont attachés à
discuter le système général de nos impôts. C’est certainement à l’occasion du
budget des voies et moyens que cette discussion devrait avoir lieu ; mais,
comme l’a fait remarquer M. le ministre, c’est à peine si à cette occasion nous
pouvons introduire quelques modifications jugées les plus nécessaires tant par
la situation du trésor que par les besoins de l’industrie. Constamment, nous
sommes forcés de faire de ces modifications l’objet de lois spéciales. Ceci
tient à un vice qui existe dans l’ordre de nos délibérations, et que je ne
signale pas pour la première fois, car l’honorable député d’Anvers que j’ai
remplacé sur ce banc l’avait déjà signalé avant moi.
La session s’ouvre au commencement de
novembre ; on distribue les budgets peu de jours après l’ouverture. L’examen et
la discussion de quelques-uns de ces budgets doivent forcément avoir lieu avant
le 31 décembre, vous concevez dès lors que cet examen ne saurait être sérieux.
En effet, qu’avons-nous vu cette année ? le budget des voies et moyens, le plus
important de tous, a occupé les sections deux jours au plus. Je crois même que
la plupart des sections avaient nommé leur rapporteur le premier jour. Déjà
j’avais engagé le ministère à mettre un terme à cet état de choses, soit en
changeant l’année financière, soit en votant deux budgets dans une session, ce
qui permettrait de faire comme en France et comme en Angleterre, de se livrer à
un sérieux examen des budgets et de ne les discuter que trois ou quatre mois
après l’ouverture de la session, après que nous nous serions déjà occupés des
divers objets d’intérêt public, et alors que nous serions moins préoccupés des
affaires particulières que nous venons de quitter.
Je disais, en commençant, que deux
orateurs s’étaient attachés à discuter notre système général d’impôt. Je ne
m’occuperai pas de cette question avec toute l’étendue qu’elle comporte, car
cela nous mènerait trop loin. Je crois que pour la discussion de notre tarif il
y aura une occasion plus favorable ; ce sera celle de la discussion du rapport
de la commission d’enquête. Je ferai d’abord quelques observations sur ce qui a
été dit par un honorable député de Waremme.
Sur un point je partage son opinion ;
je crois que notre système d’impôt aurait besoin d’une révision générale, non
pour le mettre en rapport avec nos institutions politiques, mais pour le mettre
en rapport avec nos besoins matériels. Car, que faisons-nous ? Nous avons un
vieil édifice, la loi de 1822, dont nous démolissons chaque année quelques parties
pour les remplacer par des constructions nouvelles qui ne sont pas en harmonie
avec le système général. Quand on examine l’ensemble, on y trouve une foule de
contradictions. On veut favoriser l’industrie, les exportations, et d’autre
part on cherche à frapper de droits élevés tout ce qui constitue le capital
industriel, le prix de la main-d’œuvre. En cela, nous sommes en contradiction
avec nous-mêmes et avec les pays qui s’entendent le mieux en industrie, nous
faisons le contraire de ce que fait l’Angleterre ; depuis quelques années nous
prenons tout à fait le contre-pied de ce qui se passe dans ce pays.
L’honorable M. Eloy de Burdinne nous
a parlé de la balance commerciale ; il nous a fait voir que cette balance nous
était défavorable, que le pays devait nécessairement s’appauvrir. Ici je n’ai
qu’une observation à faire, c’est qu’il est impossible d’établir le moindre
calcul sur les tableaux statistiques, quelle que soit leur exactitude, car il y
a pour la confection de ces tableaux une base qu’il ne faut pas perdre de vue,
qui change leurs résultats réels, c’est la valeur officielle. Pour ne pas
m’étendre trop, je ne citerai que quelques articles des plus importants
Vous avez d’abord les cafés, ils sont
portés à une valeur officielle de 1 fr. 40 le kilog. ; or, la valeur que
Une autre considération, c’est que
Sur cette balance commerciale, j’ai
entendu professer les erreurs les plus matérielles. Les économistes les plus
habiles, ceux qui jouissent de la plus grande réputation, viennent détruire
tous les arguments qu’on pourrait tirer de cette balance commerciale contre
L’honorable M. Eloy de Burdinne, dans
l’énumération des objets qu’il croit devoir être soumis à une révision, a cité
les sucres. Personne n’est plus convaincu que moi des vices de la législation
actuelle sur les sucres ; j’ai voté contre la loi qui nous régit, et cependant
je suis le premier à en demander provisoirement le maintien, parce qu’il est
impossible aujourd’hui de juger de ses effets sur le sucre indigène. Pour
pouvoir juger quel est effectivement le produit du sucre indigène, il faut au
moins un ou deux exercices, et il faut cette expérience pour pouvoir introduire
de nouvelles modifications d’une manière utile et sans s’exposer à tomber dans
de nouvelles erreurs. Car il y a une chose qu’il ne faut pas se dissimuler,
c’est que ces modifications successives à notre système industriel et
commercial nuisent aux revenus du trésor, jettent la perturbation dans le
commerce, l’empêchent de se livrer avec sécurité à des opérations de longue
haleine. C’est de sécurité et de stabilité que le commerce doit vivre. Je
voudrais donc que le gouvernement nous présentât un système général de commerce,
ainsi que l’a fait sir Robert Peel au parlement anglais et que ce système eût
au moins l’assurance d’une durée de quelques années ; une pareille mesure
aurait pour le pays les résultats les plus heureux.
L’honorable député de Tournay, qui
voudrait que le système de nos impôts fut mis en harmonie avec notre
organisation politique, a semblé désirer en même temps que l’extension des
droits politiques fût plus considérable. Je ne sais quelle serait l’influence
d’une semblable extension sur l’accroissement de nos revenus. Je crois qu’on
pourrait s’attendre plutôt une grande décroissance, si le peuple était
constamment sur le forum au lieu de travailler dans les établissements
industriels ; je ne crois pas que le travail national y gagnerait ; quant aux
libertés qu’on semble vouloir renouveler des républiques anciennes, on oublie
que ce ne sont pas les peuples qui en ont fait l’épreuve qui ont joui de la
plus grande somme de bonheur parce qu’on perd de vue qu’à côté d’une liberté
excessive se trouvait l’esclavage. C’était alors les esclaves qui étaient
chargés des travaux matériels, et ils formaient quelque fois le plus grand
nombre dans les Etats qui jouissaient de la plus grande somme de liberté.
L’honorable membre a parlé de la
décroissance des revenus depuis 1841. Pour moi, je vois que les besoins se sont
accrus, que nous avons dû contracter des emprunts pour payer des voies de
communication nouvelles, mais je crois que dans la plupart des articles les
revenus ont été constamment plutôt en augmentant.
En effet, les produits des douanes et
des accises qui portent sur des objets de consommation et qui sont une
indication des progrès de la richesse nationale ont toujours présenté un
accroissement plutôt qu’un décroissement. L’honorable membre a parlé aussi de
l’insuffisance de la protection accordée à nos principales industries,
l’industrie houillère, l’industrie métallurgique et l’industrie linière.
Messieurs, devons-nous faire pour la houille plus que nous ne faisons ? Les
houilles anglaises ne sont-elles pas frappées de droits prohibitifs ? Ne
facilite-t-on pas l’exportation de nos houilles par tous les moyens, tandis
que, dans un pays voisin, pour rendre la position de l’industrie meilleure, on
frappe la houille de droits à la sortie au lieu de la frapper de droits à
l’entrée. Quant à l’industrie métallurgique, ne vient-ou pas de frapper
l’entrée des fontes d’un droit prohibitif ?
D’où vient la crise qui a frappé
l’industrie métallurgique et des houillères ? De ce qu’ici, comme dans d’autres
pays, la fabrication a été poussée avec excès, avec une espèce de vertige
au-delà des besoins de la consommation ; il a fallu subir les conséquences de
cette exagération, de ces extravagances. Si je me sers de ces expressions, ce
n’est pas que je veuille blesser l’amour-propre de mon pays ; car cette
exagération, cette extravagance ont été poussées plus loin encore en France et
en Angleterre ; car si l’industrie métallurgique souffre en Belgique, quelle
est sa situation en Angleterre ? N’a-t-on pas vu l’un de ses principaux établissements
métallurgiques liquider avec 95 p. c. de perte. Sans doute plusieurs
établissements du pays seront forcés de liquider aussi, mais ce ne sera pas à
de telles conditions, et il viendra un temps où la production se mettra au
niveau de la consommation. Nous arriverons alors à un état normal ; c’est parce
que nous avons trop produit que cet état normal a été anéanti.
On a parlé de l’industrie linière ;
mais n’avons-nous pas fait pour cette industrie des sacrifices considérables ?
M.
Delehaye. - Je demande la parole.
M.
Cogels - N’est-ce pas en faveur de cette industrie que
l’on a fait une convention à laquelle je n’ai pu donner mon approbation, et que
je regrette de ne pas avoir combattue ? cette convention n’a pas eu tous les
résultats qu’on en attendait. Nos exportations en France ne sont pas augmentées
; loin de là ; ou avait cependant compté sur un grand accroissement.
Qu’avons-nous fait ? Nous nous sommes privés, en faveur de l’industrie linière,
d’une de nos branches de revenu les plus productives, non seulement pour le
trésor, mais encore pour les caisses municipales ; nous avons réduit l’impôt
sur un objet de luxe, de grande consommation et le plus susceptible d’une
majoration de droits.
Ainsi vous voyez que les sacrifices
que
On a cité à ce propos une circulaire
d’Anvers où l’on fait un appel au gouvernement français ; cette circulaire est
en effet rédigée dans des termes fort peu convenables. Pour moi, j’y attache
peu d’importance. L’auteur même de cette pétition a si bien reconnu qu’elle
n’est pas rédigée en termes convenables, qu’il n’y a pas apposé sa signature.
Je crois que nous ne devons pas attacher grande importance à un écrit anonyme.
Je sais que la presse française a exploité cette circonstance ; mais c’est bien
à tort ; car il est libre à chacun de jeter dans la circulation de semblables écrits
dont personne n’assume la responsabilité.
L’honorable député de Tournay a cité
l’exemple de l’Angleterre, et, en citant cet exemple il a blâmé les impôts
établis sur les objets de consommation, et conséquemment sur la classe pauvre ;
il préfère à ces impôts une taxe sur le revenu. Eh bien, il n’existe pas de
pays où les impôts de consommation soient plus considérables qu’en Angleterre.
Je n’ai pas sous les yeux le budget anglais, mais je me rappelle d’avoir vu un
budget de 1837 ; il s’élevait à
Ainsi l’impôt sur les boissons
distillées s’élevait à environ 200 millions ; celui sur les tabacs, à 70 ou 80
millions ; sur les sucres à plus de 100 millions ; sur la bière à une somme
très considérable. Il y avait encore d’autres branches de l’impôt que je ne me
rappelle plus, mais qui frappaient principalement de droits élevés la
consommation de la classe pauvre ; il est possible que j’aie commis quelques
erreurs dans les chiffres de détail, mais le chiffre global est très présent à
ma mémoire.
Quant à la taxe sur le revenu, ce
n’est pas la première fois qu’elle est admise, mais elle ne l’a jamais été que
dans des temps extraordinaires.
Ainsi l’income-tax établie lors de la
lutte contre le système impérial fut supprimé après la paix ; elle n’a été
rétablie en dernier lieu que comme mesure temporaire ; sir Robert Peel l’a fait
entrevoir quand il l’a proposé. Ce fut après la crise qui s’était manifestée en
Angleterre et aux Etats-Unis lors de la lutte contre
Il est encore une autre remarque à
faire, c’est qu’en Angleterre il n’y a pas d’impôt foncier, au profit de l’Etat
; cet impôt n’est qu’au profit des communes.
Un membre. - Et des pauvres.
M.
Cogels. - Cet impôt est variable ; il frappe sur la
propriété, mais aussi par capitation.
Il me reste un mot à dire sur une
observation de l’honorable M. Zoude, quant à une mesure prise relativement à
l’escompte et dont on a fait un reproche à un établissement financier du pays.
On sait que l’on m’a rarement vu prendre la défense de cet établissement. Ici
cependant je ne sais si je dois le blâmer, je ne sais quels motifs l’ont fait
agir. Mais la baisse de l’escompte est, en tous cas, un bienfait pour le
commerce, il n’est pas du tout nécessaire que les banques donnent de gros
dividendes à leurs actionnaires. Les banques sont instituées dans l’intérêt du
public, du commerce, de l’industrie ; si, par un grand mouvement de circulation
les banques de France et d’Angleterre parviennent à donner de gros dividendes,
tant mieux ; mais qu’elles le fassent en rendant au commerce et à l’industrie
tous les services possibles. Le vice de nos banques a été qu’elles ont promis à
leurs actionnaires un intérêt qu’elles n’étaient pas sûres de réaliser, ce qui
les a obligées à se livrer à des opérations qui compromettaient la sécurité de
leurs placements. Je voudrais que ces établissements fussent établis en vertu
de la loi, comme en France et en Angleterre, au lieu d’être autorisées seulement
par arrêté royal, comme sociétés anonymes.
J’en dirai autant des caisses
d’épargne ; car c’est une question que nous devons vider, elle doit être
résolue de manière ou d’autre. On a souvent dit que le gouvernement était
moralement responsable des dépôts faits aux caisses d’épargne. Il faut
cependant que l’on sache dans quelle position il se trouve vis-à-vis de ces
établissements. Si le gouvernement doit subir les charges, il doit recueillir
les bénéfices. Non pas que je veuille dire qu’il doit les prélever sur les
économies de la classe pauvre, mais il peut recueillir les bénéfices tout en
rendant les conditions des prêts bien meilleurs.
M.
Castiau (pour un fait personnel). - Quelques-unes de mes
opinions ont été tellement défigurées par le préopinant que j’éprouve le besoin
de les rectifier. A l’en croire, je serais venu plaider dans cette enceinte la
cause du suffrage universel. A cette occasion, se rejetant dans l’histoire du
passé, il a fait apparaître les républiques de
Un autre point de mon opinion
a été également défiguré étrangement par l’honorable préopinant. Je suis partisan de la liberté commerciale et
je le déclare hautement. Eh bien, moi, partisan de la liberté commerciale, je
me suis vu transformé par l’honorable membre en partisan des mesures
restrictives et des idées prohibitionnistes. N’a-t-il pas prétendu que, d’après
moi, la protection n’était pas suffisante pour les tuiles, pour les houilles,
pour les fers ? N’a-t-il pas supposé que j’aurais demandé l’élévation du tarif
belge, dans l’intérêt de ces industries, contre les industries étrangères
similaires ?
Eh bien ! j’avais demandé non pas
qu’on élevât le tarif belge, mais qu’on négociât avec les pays voisins, et
qu’on obtînt ainsi des conditions dans les tarifs étrangers plus favorables à
ces diverses industries ; l’honorable membre peut se rassurer : en matière de
liberté commerciale, ses doctrines sont les miennes.
Après avoir ainsi rectifié les
erreurs que l’honorable préopinant m’avait prêtées, je ne pousserai pas plus
loin mes explications, quoiqu’il y ait encore beaucoup à dire sur plusieurs de
ses assertions ; mais je tiens à me renfermer dans les termes du règlement et
de la question personnelle,
M. Cogels. - Je serais fâché d’avoir
torturé le sens des paroles de l’honorable M Castiau. Mais je crois n’avoir
rien fait de semblable. J’ai dit que l’honorable M. Castiau semblait vouloir
l’extension des droits politiques ; je crois qu’en cela je ne me suis pas
trompé ; ensuite j’ai fait voir les résultats de cette extension, et pour je
les ai montrés dans toute leur exagération non pas que j’aie prétendu que
l’honorable M. Castiau voudrait cette exagération. Mais j’ai voulu dire par là
que, quelle que soit l’extension des droits politiques, elle n’ajoutera rien au
bien-être matériel du peuple.
Quant aux droits prohibitifs, je n’ai
pas voulu accuser l’honorable M. Castiau de vouloir favoriser par ces droits
quelques produits de notre industrie. J’ai voulu seulement justifier le
gouvernement de son impuissance à rendre à nos industries souffrantes toute
l’activité qu’elles devraient avoir ; j’ai eu pour but de démontrer que le
gouvernement avait fait tout ce qui dépendait de lui, et que si ces industries
ne se trouvaient pas dans un état plus prospère, ce n’était pas au gouvernement
lui-même qu’il fallait s’en prendre, mais à des circonstances tout à fait
étrangères à son action, tout à fait indépendantes de sa volonté.
M.
le ministre des finances (M. Mercier) -
Messieurs, il a été deux fois question, dans cette discussion, des caisses
d’épargne. Je ne puis garder plus longtemps le silence sur ce point, et je
crois devoir déclarer que les établissements qui ont formé des caisses
d’épargne sont évidemment seuls responsables de leurs engagements, et que la
responsabilité du gouvernement n’est ni directement ni indirectement engagée.
A cette occasion, je crois devoir
répondre quelques mots à l’honorable M. Castiau qui n’était pas dans la vérité
lorsqu’il a dit que le gouvernement semblait dédaigner les questions de caisse
d’épargne et de la police d’assurances. Il n’en est pas ainsi, messieurs. De ce
que le gouvernement ne croit pas qu’il est opportun de venir dans ce moment
présenter ces questions à la chambre, s’ensuit-il qu’il les dédaigne et qu’il
ne s’en préoccupe pas. Nullement ; il n’y aurait pas justice à le croire. Le gouvernement ne reste pas indifférent à des institutions d’une aussi haute importance
; tout ce qu’on peut dire, c’est que le gouvernement ne croit pas devoir venir
porter ces questions devant la chambre dans les circonstances actuelles.
Je crois devoir relever aussi un
point de fait dans les assertions de l’honorable M. Castiau. Il a cru que nous
demandions de nouvelles taxes à certains objets de consommation qui sont
principalement à l’usage de la classe peu aisée. C’est une erreur. Nous
espérons une augmentation de produits au moyen de modifications qui sont
proposées à la loi sur le sel ; mais nous ne demandons aucune augmentation dans
la quotité du droit, nous soumettons à la chambre des mesures qui sont de
nature à déjouer la fraude qui se commet et à supprimer certaines exemptions au
moyen desquelles on élude des droits réellement dus à l’Etat. Ce que nous
introduisons dans la loi sur le sel, ce sont des améliorations financières que
l’honorable M. Castiau lui-même désire avec raison.
Je présenterai ici une autre
observation, et je ne ferai en quelque sorte que répéter ce que déjà
l’honorable M. Cogels a fait remarquer à la chambre. C’est que l’on s’est
trompé en supposant qu’il y a décroissance dans les revenus des droits qui
portent sur la consommation. En général les produits de nos accises ont
augmenté. Si des erreurs ont parfois été commises dans les prévisions, il n’en
résulte pas qu’il y a décroissance dans l’impôt même. L’honorable M. Castiau a
comparé les produits obtenus avec les prévisions, et non avec les produits des
années antérieures. Il y a quelques branches d’accises qui ont subi quelque
atteinte, mais pour des causes qui ont déjà été indiquées à la chambre, et qui
ne tiennent nullement à la diminution de la consommation.
J’ai cru ces explications nécessaires
pour rectifier les faits.
M. d’Hoffschmidt. -
Messieurs, mon but, en prenant la parole, n’est pas de me livrer à une longue
dissertation sur notre situation financière ; je me propose seulement de
présenter quelques observations en réponse à différents orateurs qui m’ont
précédé.
Plusieurs de ces orateurs ont
présenté notre situation financière sous des couleurs très sombres, et ont
cherché à nous inspirer des craintes pour l’avenir. Les uns, jugeant de
l’avenir par le passé, ont exprimé la crainte de voir le budget continuer à
marcher de déficit en déficit. Les autres, argumentant des résultats de notre
balance commerciale ont présenté notre pays comme étant dans une voie de
décadence et d’appauvrissement. Je ne puis, messieurs, partager ces tristes
prévisions ; c’est pour ce motif que j’ai voulu expliquer les raisons de ma
sécurité cet égard.
Depuis dix ans ; il est vrai, notre
budget a pris un accroissement de nature à inspirer de vives inquiétudes, s’il
ne devait pas y avoir une espèce de temps d’arrêt, et si cette progression
incessante devait continuer. Mais, messieurs, n’a-t-il pas existé des causes de
cette progression, qui maintenant doivent nécessairement disparaître ?
Je crois que les deux principales
causes de l’élévation de notre budget sont d’abord, la révolution qui s’est
opérée en 1830, et, en second, lieu les travaux immenses que depuis cette
époque nous avons fait pour améliorer l’état de nos communications.
Quand une nation fait une révolution,
l’événement doit toujours exercer sur son état financier, momentanément du
moins, l’influence la plus fâcheuse. Il est impossible qu’un peuple acquiert
l’indépendance et la liberté, sans faire de grands sacrifices. Nous en avons
des exemples dans tous les pays qui ont conquis cette indépendance. On pourrait
citer, par exemple, la Hollande, lorsque, dans le 16ème siècle, elle s’est affranchie
du joug de l’Espagne ; on pourrait citer encore les Etats-Unis, lorsqu’ils ont
soutenu une si longue lutte contre l’Angleterre. Nécessairement, messieurs, les
suites de pareils événements ont été d’abord fâcheuses pour l’état du pays,
mais ensuite, elles ont été suivies d’une prospérité inouïe.
Les événements de 1830 devaient donc
être pour notre état financier une source de dépenses considérables. D’abord,
c’est à cette cause que nous devons l’emprunt de cent millions de francs voté
en 1831. Nous avons été obligés, par suite des incertitudes de notre position
politique, de maintenir sur pied une armée nombreuse. Les 8 millions
d’indemnités que vous avez votés il y a deux ans étaient encore la suite des
événements de 1830 Or, messieurs, maintenant ces causes viennent à cesser, nous
sommes au terme de nos sacrifices pour l’affermissement de notre nationalité.
D’un autre côté les travaux
extrêmement considérables que nous avons faits pour nos voies de communication
sont venus nécessairement accroître le chiffre de notre budget. Les différents
emprunts qui figurent à notre dette publique n’ont pas d’antre cause que les
dépenses que nous avons faites pour notre chemin de fer, pour nos canaux et nos
routes. Nous avons fait, pour y parvenir, un emprunt de 30 millions en 1836 ;
un de 30 millions, en 1838 ; un de 86 millions en 1840 ; et enfin celui de 28
millions, en 1842, sans compter de nombreuses émissions de bons du trésor.
Ajoutez à cela le rachat du canal de Charleroy, de la Sambre canalisée, la
construction des canaux de Zelzaete et de la Campine, l’acquisition de la forêt
de Soignes et de différents palais ; toutes ces dépenses onéreuses d’une part
ont, d’une autre part, accru considérablement le domaine de la nation, et si
l’on voulait en évaluer le chiffre, on arriverait certainement à plus de
250,000,000 de francs.
On ne doit donc pas s’étonner, en
présence de cette double cause qui a pesé sur nos finances, que le budget soit
monté, en dix années de temps, au chiffre très élevé où nous le voyons aujourd’hui.
Les travaux que nous avons exécutés,
les acquisitions que nous avons faites, exercent sans doute une influence
avantageuse sur la prospérité du pays ; mais quand on les examine dans les
limites du revenu du budget ce revenu est bien au-dessous des intérêts des
capitaux qui sont engagés.
Il est à espérer que nous entrons
maintenant dans un état normal. Je sais que des travaux nombreux nous restent
encore à faire dans l’intérêt de nos voies de communication, et surtout des
travaux de canalisation ; mais je ne vois pas la nécessité de se hâter à les
exécuter ; je ne vois pas non plus pourquoi l’on n’en laisserait pas une partie
à l’industrie privée.
Ainsi, messieurs, les deux causes que
j’ai signalées disparaissant, il est à croire que les craintes que l’on a
exprimées sur la continuation de l’accroissement rapide du chiffre de notre
budget dans l’avenir ne sont pas fondées.
On a attribué souvent cette élévation
au luxe de nos dépenses ordinaires ; mais voyons, messieurs, si nos dépenses
sont exagérées.
Les traitements des fonctionnaires
sont-ils chez nous si élevés ? Nos ministres, par exemple, sont-ils trop payés
? Dans le département de l’intérieur quels sont les appointements des
gouverneurs de province, des commissaires d’arrondissement ? Mais la plupart de
ceux-ci n’ont que deux mille francs de traitement. Y a-t-il donc lieu de se
récrier contre l’élévation de ces traitements ?
Dans le département de la justice,
vous avez l’ordre judiciaire, pour lequel on convient généralement que les
traitements ne sont pas en rapport avec la position de ces magistrats, et vous
voulez avec raison les augmenter.
La diplomatie est chaque année
l’objet d’assez nombreuses attaques. Je crois que l’on aurait fort à faire de ne
pas établir quelques-unes de nos légations ; mais quant aux traitements de nos
envoyés, il m’est impossible, quant à moi, de les trouver trop élevés. Je crois
que nous ne dépassons pas ceux qui sont adoptés par d’autres puissances de
second ordre comme la nôtre.
Notre armée, messieurs, c’est
peut-être là où il y a lieu de faire les économies les plus considérables. Nous
passons de l’état de guerre à l’état de paix. Il faudra sérieusement examiner
s’il n’y a pas à apporter une diminution considérable sur le chiffre d’un
budget qui doit devenir normal ; c’est ce que nous aurons à voir dans le
courant de cette session.
J’ai donc, quant à moi, pleine
confiance dans l’opinion émise par M. le ministre des finances, sur notre
avenir financier. En 1840, l’honorable M. Mercier, lorsqu’il se trouvait à la
tête de ce département, vous avait déjà présenté d’une manière généralement
reconnue exacte notre situation financière. Pourquoi n’aurions-nous pas la même
confiance dans celle qu’il nous présente aujourd’hui, lorsque trois années sont
depuis lors venues accroître encore ses connaissances financières ?
Quant aux prévisions portées au
budget, on les a peu attaquées jusqu’à présent, et ce qui prouve qu’elles ne
sont pas exagérées c’est que la section centrale les a toutes adoptées.
Cependant, deux de ces prévisions ont
été attaquées par quelques membres. D’abord le produit des droits d’entrée.
L’honorable M. Delfosse prétendait hier, ou tout au moins exprimait la crainte
que ce produit n’arriverait pas jusqu’aux 10,500,000 fr., chiffre auquel il est
porté au budget des voies et moyens. M. le ministre des finances vous a donné à
cet égard des explications que je crois satisfaisantes.
Quant au chemin de fer, messieurs, je
pense que le chiffre de 10,600,000 fr. n’est pas exagéré. J’espère même que ce
revenu sera dépassé. En 1842, le revenu a été de 94,212 fr. par lieue, ce qui
fait 18,852 fr. par kilomètre. En 1843, le revenu par kilomètre a été de 18,653
fr. On prévoit pour 1844 une augmentation qui est d’environ 1 1/2 p. c. sur
1842, et de moins d’un p. c. sur 1843. Or, messieurs, il faut convenir que
l’achèvement de notre railway national, la jonction de
Pour les voyageurs, par exemple,
notre chemin de fer sera la voie de communication adoptée, et par les voyageurs
de l’Angleterre se rendant en Allemagne et par les voyageurs de France se
rendant également dans cette contrée. Il est à prévoir aussi que cette facilite
de communication attirera vers
Il en est de même des marchandises.
Les marchandises partant d’Anvers pour l’Allemagne et réciproquement, doivent
parcourir toute la ligne de notre railway, et ce long parcours est aussi une
source considérable d’augmentations pour les revenus du chemin de fer.
Si, messieurs, les prévisions du
budget étaient exagérées, il faut convenir qu’on se serait grandement trompé
sur les résultats financiers du chemin de fer. Je me rappelle qu’un ministre
des travaux publics, et je crois que c’est l’honorable M. Desmaisières, disait,
il y a deux ans, que le chemin de fer rapporterait 100,000 francs par lieue. Je
me rappelle également que l’honorable M. Demonceau, rapporteur de la section
centrale du budget des voies et moyens de l’exercice précédent, évaluait les
revenus probables du chemin de fer, quand il serait entièrement livré à la
circulation, à 13 millions. Enfin nous avons longtemps espéré, tous je crois,
ou du moins la majorité de cette chambre, surtout à l’origine de
l’établissement de notre chemin de fer, que le résultat financier de cette
entreprise finirait par couvrir et les frais d’exploitation et les intérêts et
l’amortissement des capitaux engagés.
Messieurs, on a parlé à plusieurs
reprises dans cette enceinte des résultats fâcheux de notre balance commerciale
On a présenté l’excédant de nos importations comme une perte pour le pays. On
prétend que le pays s’appauvrit chaque année de l’excédant de ses importations
sur ses exportations, qu’ainsi par exemple, en 1842, nos importations ayant été
de 231 millions et nos exportations de 142 millions, il y a perte pour le pays
de 92 millions de francs.
Je crois, messieurs, qu’il est bon
que de pareilles idées ne se propagent pas, car comme il est probable que
longtemps encore les importations dépasseront en Belgique les exportations, on
finirait par croire que le pays marche vraiment dans une voie de décadence.
Je ne compte pas mettre ici en avant
les doctrines d’économie politique qui condamnent une pareille opinion ; je
dirai seulement que si elle était vraie, depuis dix années
Par exemple, je lisais dernièrement
dans le rapport de la députation permanente sur la situation administrative de
la province du Hainaut que le nombre des habitations nouvelles qui s’y
construisaient chaque aunée dépassait 2 mille. On conviendra du moins que dans
une province où l’on bâtit deux mille maisons nouvelles chaque année, il n’y a
pas appauvrissement général.
Je lisais également dans un ouvrage
estimé sur l’industrie de
Enfin, messieurs, un de nos
financiers les plus distingués nous a déclaré, je pense, dans la session
dernière, que les Belges avaient acheté à des étrangers pour plus de 200
millions de francs de propriétés situées en Belgique.
Tous ces faits semblent démontrer que
la richesse générale du pays s’est accrue an lieu de diminuer.
Il est vrai, messieurs, que nous
avons malheureusement sous les yeux de vives souffrances dans la classe
ouvrière, mais cet état de choses, if faut bien plutôt l’attribuer à une
mauvaise distribution de la richesse qu’à un appauvrissement général du pays Ce
qui le prouve, c’est que dans le pays le plus riche du monde, en Angleterre,
les classes ouvrières gémissent dans une misère beaucoup plus grande encore
qu’en Belgique.
Quant à moi, messieurs, lorsque je
vois le chiffre des importations s’élever, je ne puis en aucune manière
admettre cette augmentation comme un signe de l’appauvrissement du pays. Il
faut d’abord, ce me semble soigneusement distinguer la nature des divers
produits importés ; si, par exemple l’augmentation porte sur des matières
premières, sur le coton, la laine, le cuir, etc., est-ce là une preuve de
l’appauvrissement du pays ? Mais pas le moins du monde, c’est au contraire un
signe certain que pour les industries qui font usage de ces matières, la
quantité fabriquée augmente. Si une partie de l’augmentation des importations
porte ensuite sur des objets de consommation ou de luxe, ce n’est pas encore
une preuve de l’appauvrissement du pays, car si nous étions ruinés, il est
évident que nous n’achèterions plus rien. Or, messieurs, c’est sur ces deux
natures d’objets que porte principalement l’accroissement des importations en
Belgique. Quant aux produits fabriqués, je pense que l’importation en reste à
peu stationnaire.
Si l’on admettait la doctrine que je
combats, il faudrait prétendre aussi que la France, per exemple, va également
en s’appauvrissant car, là aussi, le chiffre des importations l’emporte sur
celui des exportations. Cependant les statistiques prouvent que la richesse de
la France s’est accrue énormément depuis vingt ans. Je citerai à cet égard des
chiffres puisés dans une statistique publiée par M. Dutens, membre de
l’Institut. D’après cette statistique, le revenu territorial de la France était
en 1815 de 5,553,000,000 de fr., revenu brut, et en 1835, de 6,728,000,000, ce
qui présente une augmentation de 1,175,000,000 de francs. Le revenu industriel
était en 1815, de 2,861,000,000 de fr., et en 1835 de 3,938,000,000 de fr.
Voilà donc, messieurs, une
augmentation de plus de 2 milliards sur le revenu territorial et industriel de
la France depuis 20 ans Si nous avions en Belgique des relevés statistiques de
ce genre, nous pourrions probablement constater des résultats aussi avantageux.
Dans tous les cas, c’est une erreur profonde de croire que tous les revenus
d’une nation sont employés à l’acquisition d’objets tenant de l’étranger, ce
n’est que la plus faible partie de la production nationale qui est consacrée
aux échanges avec les pays étrangers. Je crois, par exemple, que la production
générale de la Belgique peut s’évaluer au moins au sixième de celle de la
France, c’est-à-dire à un milliard et demi environ ; et bien, nous achetons de
l’étranger à peu près pour un septième de cette somme et les six autres
septièmes sont en partie consommés dans le pays et en partie épargnés ; et
c’est cette dernière part qui vient augmenter le capital social du pays.
Ainsi, messieurs, tout en
reconnaissant que nos exportations ne sont point assez élevées pour un pays
aussi producteur que
Messieurs, un honorable
orateur qui m’a précédé, a parlé beaucoup de la réforme de nos impôts actuels.
Je ne pense pas non plus, messieurs que nous devions : rester dans une
immobilité en quelque sorte routinière, je crois qu’il y a de nombreuses
améliorations à apporter aux impôts actuels, mas je crois aussi qu’il faut bien
se garder d’improviser en cette matière. Il est des hommes au cœur généreux, à
l’esprit ardent, qui, frappés des souffrances des classes inférieures de la
société, appellent de nombreuses réformes. Les uns veulent une nouvelle
organisation du travail, les autres la réforme générale des impôts, voir même
des institutions. Je crois, messieurs, que ce sont là des matières à l’ordre du
jour, sans doute, pour les publicistes, mais qui ont besoin d’être bien mûries
; je crois qu’avant de pouvoir introduire des changements considérables dans
les institutions et de bouleverser la nature, la forme et les bases des impôts
établis, il faudra encore laisser écouler de nombreuses années. Il ne s’agit,
messieurs, de rien moins que de projets de réforme sociale dans plusieurs des
idées mises en avant par les publicistes. Je pense donc qu’avant de pouvoir
être abordés dans cette enceinte, ces projets doivent avoir été en quelque
sorte adoptés par l’opinion publique. Si aujourd’hui un ministre se présentait
devant nous, tenant en main de nombreuses réformes sociales, je crois
messieurs, que vous seriez fortement surpris et qu’on aurait le droit de le
taxer d’imprudent. J’engage donc le gouvernement à ne pas se tenir dans une
espèce d’immobilité, sans doute, d’apporter des réformes sages dans les impôts
et dans plusieurs autres matières, mais de le faire avec lenteur, de ne point
agir surtout avec précipitation.
M.
Delehaye. - Je regrette, messieurs, de ne point partager
la confiance que l’honorable préopinant vient d’exprimer relativement à notre
avenir financier. L’honorable membre vous a demandé de quelle manière on
prouverait que la richesse publique a diminué en Belgique. Je sais, messieurs,
que pour définir la richesse publique il faut souvent se jeter dans le vague ;
mais je nie que l’acquisition de propriétés pour la somme de 200,000,000 de fr.
possédées d’abord par des étrangers, acquises par des belges, dénote une
augmentation de la fortune publique. S’il était bien prouvé, messieurs, que ces
propriétés ont été acquises par des deniers provenant d un bénéfice certain
obtenu par le commerce extérieur, alors certes, il y aurait là un indice de
l’augmentation de la richesse publique, mais qui vous dit que ces 200,000,000
de propriétés n’ont pas été acquises du produit de biens vendus par des Belges
en pays étrangers ; qui vous dit que les acquéreurs de ces propriétés ne leur
ont pas payées avec le produit des fonds qu’ils avaient à l’étranger et qu’ils
ont réalisés ?
Je ne m’appesantirai pas plus
longtemps sur cette question parce que rien n’est plus vague, rien n’est plus
difficile à saisir, rien n’est plus difficile à comprendre que la richesse
publique. J’envisage, moi, la tribune publique sous un autre point de vue ; je
n’examine point s’il y a dans le pays beaucoup d’individus qui se font traîner
en voiture, qui vivent dans le luxe et dans l’aisance ; ce que je considère,
c’est la position de la classe la plus nombreuse de la société. Comment, la
fortune publique s’est accrue en Belgique ! Mais parcourez donc les principales
provinces du pays ; allez dans les Flandres, rendez-vous dans le Hainaut ; vous
ne verrez pas une seule commune qui depuis un an n’ait été obligée de doubler
son octroi et cela, pour soutenir les familles pauvres que le défaut de travail
condamne à la misère. Il y a, en Flandre, des communes qui ont été autorisées
par des arrêtés royaux, à porter les contributions locales de 5,000 à 10,000
fr. en une seule année. Dans les Flandres et même dans le Hainaut la plus
grande partie des ouvriers ne gagnent pas 40 centimes par jour, et vous dites
que la fortune publique s’est accrue ! Mais en quoi donc faites-vous consister
la fortune publique ?
Je veux bien convenir, messieurs
qu’un budget de 109 millions n’est pas excessif pour un pays prospère ; mais
pour un pays qui depuis la révolution a perdu successivement toutes ses
industries, qui a vu se tarir successivement toutes les sources de sa
prospérité, je dis que pour un semblable pays, qui compte d’ailleurs moins de
4,000,000 d’habitants, un budget de 109 millions est une charge écrasante.
Qu’il me soit permis de faire voir à la chambre les progrès que nous avons
faits depuis 1835, dans la voie des dépenses. L’honorable M. Delfosse a fait
voir hier la progression suivie sous ce rapport depuis 1840, je reculerai 5 ans
de plus et vous verrez quel chemin immense nous avons fait depuis 1835. En
1835, messieurs, le budget des voies et moyens s’élevait à 84 millions de fr. ;
il y avait alors un budget de la guerre de 41 millions, parce qu’à cette époque
nous avions constamment devant les yeux une armée hollandaise prête à faire
invasion dans le pays, et que d’ailleurs nous devions tenir sur pied non
seulement la police ordinaire, mais encore une partie de l’armée pour maintenir
l’ordre public contre les partis qui s’agitaient dans le pays. Nous avions donc
un budget de la guerre de 41 millions, ce qui excède déjà de 11 millions le
budget actuel de ce département ; si vous retranchez ces 11 millions des 84
millions qui formaient le montant des dépenses générales du pays vous obtenez
un chiffre de 73 millions, c’est-à-dire 36 millions de moins que le budget
actuel des voies et moyens. On dira que depuis cette époque il a été construit
des chemins de fer, eh bien, je tiendrai compte de cette circonstance. Entre
les dépenses et les recettes du chemin de fer il y a une différence de 3
millions de francs ; j’ajoute à cela 10 millions que nous devons payer à
« Mais, dit-on, la diplomatie n’est
pas trop largement payée. » Je demanderai quels avantages la diplomatie a
procurés à la Belgique. Je demanderai à l’honorable membre qui a trouvé que nos
grandes missions ne sont pas trop payées, ce que ces missions ont rapporté au
pays ? Nous avons fait une convention, avec la France, mais est-il bien certain
que cette convention soit due à la diplomatie ? Il ne me serait pas difficile
de prouver que si la diplomatie belge n’était pas intervenue dans cette
affaire, nous aurions obtenu des conditions beaucoup plus favorables. En effet,
messieurs, quelle était à cette époque, la situation des choses ? C étaient les
producteurs de vins, et de soieries qui poussaient le plus le gouvernement
français a conclure une convention commerciale avec
Puisque j’ai parlé de la convention
faite avec la France, qu’il me soit permis de rectifier quelques faits qui ont
été avancés par M. le ministre de l'intérieur. Cet honorable ministre a dit que
l’ordonnance par laquelle le gouvernement français interdisait l’emploi de
toiles belges pour l’armée, portait atteinte à la convention intervenue entre
cette nation et nous, opinion que je ne saurais partager, la France, en effet,
ne s’était point obligée à prendre nos toiles, et d’un autre côté M le ministre
considère cette convention comme une rente pour nous, mais je prierai M le
ministre de 1’intérieur de bien vouloir se mettre d’accord avec lui-même ; si
la convention est onéreuse pour vous et si la France ne l’a pas respectée,
dénoncez donc cette convention ! Voilà la contradiction dans laquelle M. le
ministre de l’intérieur est tombé lorsqu’il a voulu justifier ce malencontreux
arrêté par lequel il a accordé des avantages gratuits à l’Allemagne, convention
qui à été flétrie comme elle méritait de l’être par l’honorable député de
Tournay. Quant à moi je ne reculerai pas devant l’accusation de déloyauté pour
qualifier un acte par lequel le gouvernement accorde à l’Allemagne gratuitement
des faveurs que la France a dû acheter par des concessions. Il n’y a pas
seulement dans cette mesure, déloyauté envers la France, il y a encore une
imprudence inconvenable, un oubli complet des intérêts de
Eh bien, malgré cet avantage, les
importations de l’Allemagne en Belgique de ces deux articles ne se sont pour
ainsi dire point accrues. Pourquoi donc l’Allemagne ferait-elle une convention
commerciale avec
Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il
faut de la prudence ; qu’on ne vienne pas nous fermer la bouche en disant que
nos paroles peuvent éclairer la France à nos dépens ; la France sait beaucoup
mieux que nous quelle est la position de la Belgique ; la France a fixé des
regards sur ce qui se passait chez nous relativement à l’Allemagne ; elle
sait fort bien que depuis ce malheureux arrêté dont il s’agit, l’Allemagne a
augmenté seulement de 100,000 francs les importations en Belgique ; la
France sait donc que toutes les menaces que nous pourrions lui faire de
contracter une union douanière avec l’Allemagne, sont complètement vaines ;
elle sait qu’une semblable union est complètement impossible puisque la
Belgique ne sait offrir à cette nation aucun avantage.
D’ailleurs, n’êtes vous-pas liés envers
la France pour un certain nombre d’années, et nos ministres sont-ils de taille
à se dégager des obligations que la convention nous impose ? Sont-ils de taille
à le faire, alors même que la France enfreint cette convention. Non sans doute
: Vous avons vu le gouvernement reculer constamment devant les exigences de la
France, Qu’on ne vienne donc pas dire que nos paroles sont imprudentes ; si le
gouvernement avait suivi l’impulsion qui lui était donnée par la législature,
s’il avait usé de fermeté, alors il aurait obtenu des concessions, alors
seulement il aurait acquis un débouché favorable pour nos industries.
Messieurs, on vous a aussi longuement
entretenu du transit qui devait rapporter de si grands avantages par le chemin
de fer. N’a-t-on pas remarqué que plusieurs négociants hollandais se sont
réunis pour nous faire concurrence ?
Je pense comme M. Castiau que
Quelle que soit notre position,
quelle que soit sa disposition, elle aura toujours un très grand intérêt à
venir en Belgique. Cet avantage que trouve la France dans nos relations avec
elle, à notre tour nous le trouvons sur les marchés de ce pays. Et de plus, en
France le gouvernement et les chambres savent que s’il est de l’intérêt de
Je ne puis finir sans exprimer
quelques doutes sur la marche que suivra M. le ministre des finances. Quelle
que soit l’opinion politique qui l’a conduit à venir se placer à côté d’hommes
qu’il avait combattus avec tant de violence, cela m’importe peu, il m’importe
peu de savoir si M le ministre des finances est allé vers M le ministre de
l’intérieur, ou si c’est M. le ministre de l’intérieur qui a fait le sacrifice
de ses opinions ; le pays se préoccupe avant tout d’intérêts matériels, et
l’arrivée de M. Mercier au ministère des finances a excité dans les Flandres
certaines inquiétudes.
Si, lors de sa précédente
administration, il avait suivi nos avis, s’il n’avait pas toujours été sourd
aux demandes des Flandres, son retour n’aurait pas produit cet effet, mais on
s’est alarmé des vues commerciales de M. Mercier. Nous savions avec quelle
ténacité il a défendu la loi sur les sucres dont M. Cogels demande le maintien
pour le triomphe de son opinion. Moi aussi j’ai voté contre, parce que je suis
convaincu qu’elle aura pour effet de détruire et l’industrie du sucre indigène
et l’industrie du sucre exotique.
Dans la ville à laquelle j’appartiens
un grand nombre d’établissements qui étaient en pleine activité avant le vote
de cette loi devront stater sous peu. Le système qu’on a admis était le plus
mauvais qu’on pût adopter ; et c’est sur les instances de M. le ministre des
finances que la loi a passé à la session dernière.
Une autre mesure confirme nos
craintes de concert avec d’honorables amis, j avais demandé une mesure très
efficace contre ce que
Vous parlerai-je de la loi sur les
bières et d’autres encore présentées par le même ministre. Toutes portent la
preuve du peu de sympathie de M. Mercier, pour l’industrie et le commerce.
Sur les interpellations de M.
Delfosse il vous a dit : vous comprenez que je ne peux pas indiquer les objets
que je pourrai vous proposer d’imposer, parce qu’on s’empresserait d en
introduire des masses considérables. Savez-vous ce qui arrive, ne sachant pas
ce que vous vous proposez de frapper, on va introduire une grande quantité de
marchandises diverses. J’ai eu la visite d’un négociant qui, croyant qu’il
s’agissait de tabac, en a fait une grande commande.
D’autres imiteront cet
exemple, et ainsi le marché sera encombré de plusieurs produits divers, qui,
par leur grande introduction sur notre marché, pourront produire une crise. Il
valait mieux ne rien dire, saisir immédiatement les chambres des projets en
question ; une prompte discussion prévenait tous les inconvénients.
On s’est peu soucié de l’opinion
politique de M. le ministre, mais on a tenu compte des projets qu’il avait
présentés, on s’est souvenu qu’il avait combattu les mesures que nous avions
présentées ; elles ont vu en lui un homme pour qui les intérêts matériels ne
sont rien, qui les a toujours combattus. Que M. le ministre nous donne quelque
satisfaction, qu’il présente des mesures de nature à relever notre industrie et
notre commerce, nous pourrons oublier sa conduite politique.
M.
le ministre des finances (M. Mercier) -
Je n’ai pas besoin qu’on oublie ma conduite politique.
M.
Delehaye. - Votre entrée au ministère était la
justification de la minorité et la condamnation de la majorité. Dans un pays
constitutionnel, quand un ministère a obtenu des chambres des votes de budgets,
il ne se retire pas ; et, s’il le fait, il cède la place à des hommes de la
majorité ; vous, monsieur, vous combattiez le ministère avec nous, pas plus que
nous, vous n’avez la confiance de la chambre ; qu’était-ce donc qui pouvait
vous donner accès au conseil de la couronne ? Votre présence sur les mêmes
bancs que M. le ministre de l'intérieur suppose des faits que, pour ma part, j
oublierai volontiers, si vos actes futurs sont plus favorables au commerce et à
l’industrie du pays.
M.
le ministre des finances (M. Mercier) - Je répondrai d’abord aux dernières paroles prononcées par
l’honorable préopinant. Il a dit qu’il oublierait ma conduite politique. Je
demande que ma conduite politique ne soit pas oubliée. Mes sentiments n’ont
point changé ; cent fois dans cette enceinte j’ai entendu émettre des vœux de
conciliation ; j’ai donné mon concours à leur accomplissement en m’associant à
de nouveaux collègues. A la formation du cabinet, des conventions ont été
faites. Nous l’avons déjà déclaré, nous voulons agir avec impartialité et
rester indépendants des influences de parti ; telle sera notre conduite aussi
longtemps que j’aurai l’honneur de siéger ici comme ministre. Encore une fois,
je n’ai rien à faire oublier, je n’ai à demander grâce à personne.
Je répondrai maintenant à quelques-unes
des observations de l’honorable membre. Je dirai d’abord qu’il y a dans ses
paroles une extrême exagération. Les impôts, vous a-t-il dit, s’élèvent à 109
millions annuellement. C’est inexact ; l’honorable membre sait que dans cette
somme il se trouve des péages pour un chiffre très considérable, et que les
impôts ne s’élèvent, en réalité, qu’à 84 millions ; et encore dans ces 84
millions se trouve-t-il des droits de douane établis en grande partie pour
protéger l’industrie nationale ; et si ces droits n’existaient pas, nous
aurions un système moins onéreux pour le trésor de l’Etat. En effet, pour une
recette de 10 à 11 millions on doit payer plusieurs millions pour frais
d’administration. L’honorable membre qui montre tant de sollicitude pour l’industrie,
devrait prendre en considération ces dépenses faites pour la protéger.
Une chose qui m’a péniblement affecté
dans les paroles de l’honorable membre, c’est qu’il m’a présenté comme
l’adversaire des Flandres. Je vois dans les Flandres une partie de la nation,
je ne connais qu’une Belgique, je ne fais pas de distinction entre les
provinces. Quand j’ai une opinion sur un système d’impôt, je la défends
consciencieusement, n’ayant en vue que l’intérêt du pays, et non celui de
quelque localité ou de quelque industrie spéciale. Je n’ai jamais eu d’autre
mobile que celui-là. Du reste, la loi des sucres qu’a citée l’honorable membre
n’intéresse pas plus les Flandres que les autres provinces. J’ai soutenu, dans
cette circonstance, le système que j’ai cru le meilleur.
Toutefois, je ne me suis pas fait
illusion, j’ai prévu qu’on froisserait quelques intérêts privés, et j’ai dit
qu’il était impossible d’augmenter les ressources du trésor et favoriser en
même temps les deux industries, ou même l’une d’elles en particulier En effet,
toutes deux ont été plus ou moins affectées, telle est la conséquence
inévitable de toute loi augmentant les ressources de l’Etat.
L’honorable membre est revenu sur
certaines propositions d’impôts nouveaux que j’ai faites, et qui ont provoqué
des plaintes. Mais je lui demanderai s’il existe un seul impôt qui n’ait pas
soulevé de plainte, s’il n’y avait de bon impôt que celui qui ne froisserait
aucun intérêt, il faudrait renoncer à en trouver un qui présentât cette
condition car il est impossible d’obtenir une augmentation quelque légère
qu’elle soit, n’importe sur un objet quelconque, sans soulever une opposition.
Jamais cela ne s’est rencontré.
L’honorable membre est revenu
aussi sur quelques mesures de répression qu’il avait proposées avec d’autres
collègues et auxquelles j’ai cru devoir m’opposer.
Je m’y opposerai aussi longtemps que
je croirai que d’autres mesures sont préférables D’ailleurs, ne suis-je pas
venu soutenir en qualité de rapporteur d’autres moyens qu’on a employés avec succès
contre la fraude ? Et si je ne me suis pas montré partisan de l’établissement
de l’estampille, c’est avec l’immense majorité de la chambre. Car combien de
voix se sont prononcées en faveur de cette mesure ? Dix ou quinze ! Que
l’honorable orateur adresse donc son reproche à toute la chambre, et non pas à
moi personnellement.
M. d’Hoffschmidt. -
Je demande la parole pour un fait personnel.
M.
le président. - Je crois qu’on n’a rien dit qui
vous soit personnel.
M. d’Hoffschmidt. -
On a mal interprété mes paroles, je désire rectifier ce qu’on a dit afin que la
chambre ne se méprenne pas.
M. le président. - On abuse de la faculté de
prendre la parole pour un fait personnel. Cela nuit à la marche de la
discussion. Si votre pensée a été mal interprétée, je vous engage à vous faite
inscrire, vous la rétablirez en répondant à votre tour.
M. d’Hoffschmidt. -
Je vous prie de m’inscrire.
M. Verhaegen. - Après les brillants
discours que vous venez d’entendre, je sens qu’il me sera difficile de captiver
encore votre attention. Je me bornerai donc à vous soumettre quelques
observations nouvelles pour étayer le système de mes honorables amis MM.
Delfosse et Castiau, et à répondre aux objections qui leur ont été faites.
L’honorable M. Delfosse, dans un
discours très remarquable, nous a donné son opinion sur la situation financière
du pays, et il la dépeinte sous des couleurs bien sombres. L’honorable M.
d’Hoffschmidt, au contraire, a une confiance entière dans l’avenir du pays ;
d’après lui notre position s’améliore de jour en jour et il cite à l’appui de
ses assertions les acquisitions considérables que le trésor a faites depuis peu
de temps.
Voilà, messieurs, deux opinions
diamétralement opposées. De quel côté est la vérité ? C’est ce que nous avons à
rechercher. Mon honorable ami M. Delfosse a fait un examen consciencieux des
budgets, non seulement des budgets de 1844, mais encore de ceux des exercices
antérieurs, il a mis sous vos yeux des chiffres, et par des comparaisons, qui
n’échapperont à personne, il vous a démontré que nous avons marché de déficit
en déficit, et que ce déficit, si nous n’abandonnons pas la voie que nous avons
suivie jusqu’à présent, s’augmentera encore d’année en année. Pour moi je
n’entrerai pas dans de nouveaux détails, je ne fatiguerai pas votre attention
par des calculs toujours fastidieux ; vous en savez assez pour juger en pleine
connaissance de cause ; qu’il me soit permis seulement de vous faire remarquer
que, pour que le déficit qui nous effraye à si juste titre puisse disparaître
un jour, il est indispensable que tous travaux de routes, canaux, chemins de
fer, etc., cessent immédiatement ; c’est là une condition sine qua non de la
réalisation des promesses de M. le ministre des finances. Mais aussi quelles
seront les conséquences de cette condition ? C’est que quelques provinces
auront tout obtenu, auront été doublement et triplement favorisées et que
d’autres n’auront pris part au budget qu’en contribuant aux dépenses. Ces
dernières se contenteront-elles de cette répartition de faveurs qui constitue
une souveraine injustice, alors surtout qu’elles n’auront plus aucun espoir
dans l’avenir ? Voila cependant où conduit la déclaration de M. le ministre
faite pour échapper à l’objection du déficit.
Plusieurs fois on s’est demandé, et je
me le demande encore aujourd’hui, s’il est bien convenable de s’occuper du
budget des voies et moyens, avant d’avoir arrêté les budgets des dépenses,
c’est-à-dire de rechercher les moyens de couvrir des dépenses qu’on ne connaît
pas encore, et je n’hésite pas à répondre que cette marche est contraire à tout
principe d’administration, qu’elle doit traîner à sa suite de graves abus, et
entre autres le renouvellement de ces déficits si déplorables. Si l’on savait
une bonne fois quelles sont les dépenses indispensables et admises comme
telles, il serait facile de créer les ressources pour y faire face, il y aurait
alors un équilibre qu’il est presqu’impossible de rencontrer en suivant la
marche contraire.
Je viens de parler d’un budget de
voies et moyens, mais celui qu’on nous présente mérite-t-il bien ce nom ? Moi
j’appelle budget des voies et moyens celui qui indique toutes les ressources
dont on veut faire emploi pendant un exercice ; or, le budget qu’on nous
présente indique seulement quelques ressources, et le ministre se réserve de
nous en indiquer d’autres plus tard, ce qui veut dire que ces ressources
nouvelles compléteront alors les voies et moyens de 1845. D’où je conclus que
nous n’avons pas maintenant à discuter le budget entier.
M.
le ministre des finances (M. Mercier) -
Le budget, tel qu’il est, suffit pour couvrir les dépenses de l’exercice.
M. Verhaegen. - Je n’interromps jamais ;
je prie M. le ministre de ne pas m’interrompre. Quand j’aurai fini, j’aurai
grand plaisir à l’entendre.
Je maintiens que le budget que M. le
ministre des finances nous présente n’est pas un travail complet, et M. le
ministre l’a fort bien compris, car, après nous avoir promis des lois
financières qui devaient être le complément de ses ressources, il a reculé
successivement à des temps plus ou moins éloignés l’exécution de ses promesses
; et aujourd’hui, il l’a remise définitivement après l’adoption du simulacre de
budget en discussion.
Quoi qu’il en soit, j’ai à examiner
ce budget en lui-même, abstraction faite des observations générales que j’ai eu
l’honneur de vous soumettre.
Pour moi, je suis résolu à ne plus
voter un budget des voies et moyens, qui frappe le pauvre et la classe moyenne,
et qui ménage le riche ; certes, il faut créer des ressources, il faut frapper
des impôts, mais quelles seront les bases de ces impôts ? Voilà la véritable
question à l’ordre du jour.
Un honorable préopinant vous a dit
qu’il est fort dangereux de toucher à un système d’impôts existants ; d’après
lui, demander la révision des impôts, c’est demander une réforme sociale ; il
faut laisser, nous a-t-il dit, à l’opinion publique, aux publicistes le soin
d’éclairer ces questions. Il faut leur laisser le temps de faire des théories
dont la pratique ne sera que le résultat.
Mais avec un tel système on ne
sortira jamais de la mauvaise ornière où on se trouve. Sans vouloir contester à
la presse son utile mission, je dis qu’il appartient au ministère de faire des
propositions, et à la chambre de statuer sur la révision des bases de l’impôt ;
les publicistes, d’ailleurs, se sont depuis très longtemps occupés de ces
questions.
L’honorable M. Gendebien n’a pas
laissé passer une session sans traiter ces questions palpitantes d’intérêt. Et
cependant qu’a-t-on fait depuis 10 ans ? Absolument rien. Il y a assez
longtemps qu’on a fermé l’oreille aux justes plaintes qui se sont élevées de
toutes parts pour qu’on s’en occupe enfin et sérieusement. Quoi qu’il puisse
arriver, il m’aura suffi d’avoir rempli mon devoir, la chambre fera ce que lui
suggérera sa conscience,
J’ai demandé plus d’une fois et je
demande de nouveau avec mes honorables amis, et surtout avec l’honorable M.
Castiau, l’abolition des impôts qui grèvent les plus pressants besoins du
peuple, pour les reporter sur le luxe et sur les revenus du riche. C’est un
grand principe, un principe fondamental dont nous sollicitons enfin
l’application.
M. de Mérode. - Il faut le formuler.
M. Verhaegen. - Il faut le formuler,
dites-vous, M. le comte ; c’est ce que je vais faire.
La mission d’un ministère est très
facile quand il s’appuie sur le fort et surtout quand il ne présente aucune
réforme à de telles conditions ; le premier venu peut être membre d’un cabinet,
sa position ne présente aucun danger ; et, qu’on ne s’y trompe point, le
gouvernement, pour remplir sa mission, ne doit pas encore être doué d’un bien
grand courage. S’agit-il jusqu’à présent de questions sociales ? non , il ne
s’agit que de questions de justice et d’équité qui ne doivent amener aucune
réforme proprement dite ; depuis 1830 on a traité beaucoup d’affaires dans
cette enceinte, mais s’est-on bien occupé des intérêts de la grande masse de la
nation, des intérêts de la classe ouvrière, de la classe nécessiteuse, je dirai
même de la classe moyenne ? Non, ces intérêts ont été négligés ; les seuls dont
on ait pris soin, sont les intérêts d’une classe privilégiée, des riches en un
mot.
Je vais prouver ce que j’avance en
passant rapidement en revue les principales bases d’impôt.
D’abord l’impôt sur le sel. On vous en a parlé déjà dans cette discussion ;
on vous en a parlé tous les ans. Mon honorable ami, M. Gendebien, ne cessait de
vous en parler chaque fois que l’occasion lui en était offerte. A-t-on fait
justice à ces réclamations ? Et cependant c’est l’impôt qui frappe le
malheureux, c’est l’impôt le plus odieux qu’il y ait !
Les centimes additionnels, ajoutés
successivement à l’impôt sur le sel, équivalaient enfin au tiers du principal ;
qu’a fait le ministère par le nouveau projet de loi ? Il a réuni tous les
centimes additionnels à l’impôt primitif qui formaient ainsi un total de 17 fr.
63 c. et il a porté le principal à 18 fr. sans additionnels. De sorte qu’il
s’agit d’une simple transformation de chiffres, et que l’impôt restera tout au
moins ce qu’il est aujourd’hui.
A cet égard donc, je renouvelle les
plaintes qui depuis plusieurs années ont surgi dans cette enceinte.
Les
patentes. C’est un impôt qui frappe celui,
qui n’ayant pas de revenus, qui, n’ayant pas le bonheur de posséder des biens,
est obligé de travailler à la sueur de son front pour se procurer un morceau de
pain ; c’est encore un impôt odieux, et cependant il a aussi été successivement
grevé de centimes additionnels.
L’impôt
personnel. Mais cet impôt renferme dans son
principe une injustice révoltante que, nonobstant de pressantes réclamations,
vous avez laissé subsister. L’impôt sur le personnel donne pour résultat qu’un aubergiste,
un hôtelier paie pour ses meubles, pour ses ustensiles, literies, et, en un
mot, pour tout ce qui concerne son hôtel, autant et plus même qu’un riche
particulier qui habite un ou plusieurs palais, et qui a plusieurs centaines de
mille livres de rente. Est-ce de la justice ?
Vous ayez frappé le débit des boissons distillées d’un droit exorbitant. Vous avez
imposé les petits détaillants pour une somme aussi forte que les grands ; vous
les avez soumis à un abonnement de 30 francs par an. Cette loi est encore une
loi injuste, une loi odieuse, en ce qu’elle frappe impitoyablement les petits
et favorise les grands. Plusieurs faillites ont été la conséquence de cette
malencontreuse mesure.
N’est-il pas absurde qu’un grand
détaillant, qu’un homme qui se trouve à la tête d’un grand café, par exemple,
ne paie que la même somme dont on frappe le petit débitant de boissons
distillées ?
C’est ainsi, lorsqu’on parle
d’économies à faire par l’Etat, qu’on les prend sur les sommes allouées aux
petits et qu’on ménage les grands. Il y a peu de jours, en signalant des
économies sur le budget de la guerre, M. le ministre interpellé sur ce point,
fut obligé de convenir qu’il les avait faites sur la solde du soldat, en
conservant aux généraux et officiers de tous grades leurs appointements
entiers.
En Angleterre, messieurs, on frappe
la richesse, et depuis longtemps on a admis l’impôt progressif.
En parlant de l’Angleterre, je me
hâte de répondre à une objection qui a été présentée par l’honorable M.
d’Hoffschmidt. « Vous parlez de l’Angleterre, m’a dit cet honorable membre, de
l’Angleterre, ce pays riche où la misère frappe si cruellement la classe
ouvrière. » Mais cette misère de la classe ouvrière est une accusation directe
contre la haute aristocratie, de l’Angleterre et contre la constitution même de
ce pays ; en effet, si en Angleterre il y a des richesses énormes, et si
l’aristocratie continue à s’attribuer des droits et des privilèges, et si elle
possède des biens immenses, elle paye beaucoup, mais elle ne paye pas encore
assez.
Quoi qu’il en soit, il y a d’utiles
leçons à prendre en Angleterre. Les grands propriétaires y ont fort bien
compris que c’était sauvegarder la propriété que de l’imposer dans de justes
proportions. Certes, de tous les droits, le plus sacré est celui de propriété,
et il faut l’entourer de toutes les garanties que les lois mettent en notre
pouvoir ; mais, qu’on ne s’y trompe pas, la première de ces garanties est de
faire entrer la propriété pour une grande part dans la distribution des impôts.
En Angleterre, on frappe le revenu,
on perçoit même, comme on vous l’a dit, un impôt progressif, je pense que déjà
des explications vous ont été données sur ce point, et je n’y reviendrai point.
Messieurs, puisque je viens de passer
très rapidement en revue les impôts qui, très injustement, frappent et la
classe nécessiteuse, et la classe moyenne, voyons s’il n’est pas possible de
trouver des ressources ailleurs, et s’il est bien vrai que, pour arriver à ce
résultat, il faut des réformes sociales, voire une révolution ?
Messieurs, il y a plusieurs impôts
qui pourraient frapper le luxe, et surtout les fortunes mobilières et
immobilières.
Pourquoi donc ne pourrait-on pas
atteindre le luxe ? Les objections que l’on a faites sur ce point sont-elles
bien fondées ? Serait-ce par hasard restreindre les dépenses que le luxe
entraîne et nuise au travail ? Non, messieurs, détrompez-vous : dans le
siècle où nous vivons, le luxe est arrivé à ce point, que plus la dépense est
forte et plus elle offre d’appât à la vanité. Vous frapperiez les équipages
d’un impôt très élevé, ce serait le moyen d’en encourager l’emploi, il n’y en
aurait pas un de moins.
Pourquoi ne doublerait-on pas l’impôt
sur les chevaux de luxe ? Ceux qui se font traîner par ces sortes de chevaux,
seraient-ils donc si malheureux ? Renonceraient-ils à ce confortable pour
quelques centaines de francs de plus ? Certes non.
Croyez-vous qu’on se passerait de
domestiques, si on doublait et même si ou triplait l’impôt en ce qui les
concerne ? Mais ici encore je voudrais une progression en raison du nombre et
en même temps une différence entre les domestiques mâles et les domestiques
femelles. Je ne veux pas faire payer à celui qui n’a qu’un domestique, le quart
de ce que paierait celui qui en a quatre.
Je voudrais, je le répète, une
progression, je voudrais, en outre, qu’un domestique male payât deux ou trois
fois autant qu’une simple servante.
Croyez-vous qu’on prendrait, en
raison de ces augmentations, un domestique de moins ? Non, détrompez-vous,
messieurs ; dans le siècle où nous vivons, les grandes dépenses rehaussent
l’éclat des familles.
Vous pourriez frapper d’un droit
assez élevé les livrées, ainsi qu’on vous l’a dit, Vous n’en auriez pas un
galon de moins, on les prendrait peut-être un peu plus larges.
Quant à l’impôt sur les titres de
noblesse, je ne partage pas l’avis de l’honorable M. Castiau et de quelques
autres amis qui ont traité cette question avant lui. Dieu me garde de rendre le
moindre fantôme d’importance à ces hochets que la révolution française, notre
siècle et la constitution de 1831 ont frappé de mort, à ces hochets avec
lesquels il est libre aujourd’hui au premier venu de jouer si bon lui semble, à
ces hochets qui font d’un collège héraldique la plus curieuse des
bouffonneries.
Messieurs, non seulement on ne veut
pas entrer dans des voies d’amélioration, mais ce qui était bon à certains
égards a été remplacé parce qui est essentiellement mauvais. Il y a une loi du
22 frimaire an VII qui frappait d’un droit de 2 p. c. les ventes d’arbres, des
fruits pendants par racine et des marchandises neuves. Cette loi a été abolie
par la loi du 31 mai 1824 et le droit de 2 p.c. a été réduit à 1/2 p.c., de
manière qu’avec les additionnels l’ancien droit était de 2 fr. 52 c., et que le
droit nouveau n’est plus que de 63 c. Est-il bien juste messieurs, que l’on
dégrève encore sous ce rapport la propriété financière ?
Qui est-ce qui fait des ventes
d’arbres ? N’est-ce pas celui qui possède une fortune immobilière souvent très
considérable ? Et les ventes d’arbres forment un objet assez important pour
mériter de fixer l’attention de la législature. Quant à la vente des
marchandises neuves, il y avait une raison de plus de revenir à la loi du 2
frimaire an VII, c’était de protéger le commerce de détail. On a tenté, il est
vrai, de faire revivre cette loi, mais on n’y est point parvenu ; dans une
autre enceinte, une proposition qui tendait à rétablir les dispositions de la
loi de l’an VII a été rejetée. Mais le sénat a assez de patriotisme, je pense,
le sénat est animé avant tout de sentiments de justice, il ferait abnégation de
tout intérêt personnel ; si le ministère présentait un projet de loi tendant à
faire revivre la loi de l’an VII, je ne doute pas que le sénat n’accueille
favorablement ce projet.
Vous avez, messieurs, établi des
droits très élevés sur le sel, pourquoi donc ne pas augmenter l’impôt sur le
sucre ?
J’ai défendu, messieurs, l’industrie
du sucre indigène, mais je n’étais nullement opposé à ce qu’on frappât le sucre
de betteraves d’un impôt qui pût donner des ressources au trésor.
Il est un autre impôt, messieurs, que
je pourrai mettre en regard de l’impôt sur le sel ; on consomme en Belgique une
grande quantité de glaces, pourquoi donc ne frapperiez-vous pas d’un impôt les
glacières que l’on rencontre dans presque toutes les campagnes ? pourquoi
n’imposeriez-vous pas les glacières, en raison de leur dimension ? Mon Dieu !
ceux qui veulent manger des glaces pourraient bien payer quelque chose de plus,
ils n’en mangeraient pas une de moins.
Le pauvre paie, il paie beaucoup, et
pour des objets de première nécessité je vous le demande, messieurs, soyons
justes, payons-nous dans la même proportion ? Il semble qu’ici, au sein de la
capitale, on oublie toutes les misères qui affligent la masse du peuple. Nous
vivons très bien à Bruxelles ; rien de plus somptueux que les dîners qui s’y
donnent ; mais tous les objets servis sur ces tables somptueuses, payent-ils
bien ce qu’ils pourraient payer au trésor ?
Pourquoi donc ce luxe serait-il
affranchi de l’impôt ? Il est plus d’un objet de luxe que je pourrais indiquer,
mais je me bornerai, en ce moment, à parler des vins ; savez-vous, messieurs,
ce que paient 100 bouteilles de champagne mousseux ? 100 bouteilles de
champagne mousseux paient 2 fr. ?
M.
le ministre des finances (M. Mercier) -
En droits de douanes.
M. Verhaegen. - C’est du droit de douanes
que je parle.
On boit assez de champagne dans le
pays et l’on n’en boirait pas moins si, au lieu de 2 fr., les 100 bouteilles
payaient, par exemple, 25 ou 50 fr.
Une voix. - Ce serait trop.
M. Verhaegen. - Je ne trouve pas que ce
serait trop. Ceux qui en boivent continueraient à en boire.
Je viens de dire, messieurs, que 100
bouteilles de champagne mousseux paient 2 fr, savez-vous maintenant ce que
paient 100 bouteilles vides ? 100 bouteilles vides paient 6 fr,, voilà où l’on
en vient avec ce système de favoritisme. Puisque 100 bouteilles vides paient 6
fr. et ces mêmes 100 bouteilles remplies d’excellent vin ne paient que 2 fr.,
on donne une prime d’importation de 4 fr. par 100 bouteilles de vin qui
arrivent de France.
Lors de la discussion relative à la
convention conclue avec la France (et je fais ici un appel à l’honorable M.
Smits. Si M. de Briey était ici je m’adresserais aussi à lui), j’ai fait
remarquer cette anomalie, et tout le monde s’est mis à rire ; rien, en effet,
n’était plus risible ; chacun disait : « cela n’est possible, il faut pour
l’exécution, s’en rapporter au bon sens du gouvernement. » Je ne sais pas
ce que ce bon sens est devenu, mais le fait est qu’on paie, comme je l’avais
annoncé alors, 2 fr. par 100 bouteilles de champagne et autres vins et 6 fr.
pour 100 bouteilles vides. Je prierai M. le ministre des finances de nous
donner à cet égard une explication catégorique. Il ne s’agit pas de tourner la
question, c’est un état de choses qui doit cesser.
Je vous au parlé des vins, messieurs,
et du champagne mousseux en particulier. Il est encore bien d’autres objets que
l’on pourrait frapper. On aime bien à s’amuser en Belgique. Il y a, à Bruxelles
surtout, beaucoup de bals, beaucoup de fêtes ; je voudrais que ceux qui
recherchent cet amusement payassent un impôt quelconque à l’Etat ; cet impôt
serait assez lucratif et facile à percevoir.
On vous parlait tantôt des tabacs,
c’est un de mes honorables amis qui a soulevé cette question ; vous avez en
effet des moyens pour frapper les tabacs de luxe, tout en épargnant le tabac du
pauvre, rien de plus facile : on consomme une quantité considérable de cigares,
de cigares que l’on paie 30 et 40 centimes, pourquoi ne pourrait-on pas frapper
ces cigares d’un droit assez fort ?
On vous a parlé tantôt de l’impôt
progressif sur le revenu, et l’on vous a expliqué en quoi cet impôt consiste. Y
aurait-il donc de si grandes difficultés à le percevoir ? Rien ne serait plus
facile et en même temps rien ne serait plus juste. Serait-ce une réforme
sociale, comme on vous l’a dit, serait-ce une révolution, par hasard, parce que
l’on toucherait par là à ceux qui ont des revenus considérables ?
N’est-il pas vrai de dire qu’un
individu qui n’a que 2,000 fr. de rente ne peut pas payer proportionnellement
autant que celui qui a 4,000 fr, c’est-à-dire la moitié ? Que celui qui n’a que
4,000 fr. ne peut pas payer proportionnellement autant que celui qui en a
8,000, et ainsi de suite ?
Voulez-vous, messieurs, encore un
autre impôt progressif ? Maintenant vous n’avez pas de droit sur les
successions en ligne directe. On dit qu’un semblable droit serait odieux, c’est
une erreur. Mais si vous établissez, au sujet de cet impôt, une progression, il
n’aura rien d’odieux : Toute succession inférieure à 2,500 fr. serait exempte
de droit ; de 2,500 à 5,000 on percevrait 1/4 p. c. ; de 5,000 à 10,000 fr.,
1,2 p. c. ; de 10 à 20,000 3/4 p. c. ; de 20 à 40,000 fr. I1 p. c. ; de 40 à
60,000fr. 2 p. c. ; de 60 à 80,000 fr. 3 p. c. ; de 80 à 100,000 fr. 4 p. c.,
et ainsi de suite,
Qui donc oserait trouver cela injuste
? Comment, parce que mon père m’aura laissé une fortune considérable, il serait
injuste qu’on me fasse payer sur cette fortune un impôt quelconque au profit de
l’Etat ! Oui, il y a injustice dans le sens de l’objection si on ne veut pas
que la fortune paie, si, au contraire, on veut continuer à frapper le pauvre,
et à accabler le malheureux, mais il n’y pas injustice si on veut que l’impôt
soit équitablement réparti entre ceux qui peuvent le payer.
En ligne collatérale encore, pourquoi
donc le droit de succéder doit-il s’étendre jusqu’au douzième degré ?
Si vous restreigniez le droit de
succéder jusqu’au sixièmes degré, croyez-vous que ce changement à la
législation existante qui procurerait à l’Etat de grandes ressources puisse
donner lieu a des plaintes sérieuses ?
Quant aux fortunes qui se cachent, faut-il
se résigner à ne pas les atteindre ? Ceux qui ont des revenus considérables en
rente doivent-ils échapper à l’impôt ? Ceux qui ont des intérêts dans les
sociétés anonymes ne doivent-ils rien payer ?
Messieurs, j’ai indiqué assez de
moyens, si l’on voulait y mettre de la bonne volonté, pour frapper la fortune
proprement dite et dégrever la classe nécessiteuse.
Mais vous avez encore d’autres
ressources.
J’ai parlé l’année dernière de la
possibilité d’augmenter les droits d’enregistrements judiciaires, les droits de
timbre et de greffe. Cette augmentation ne pouvait pas frapper le pauvre qui
jouit du Pro Deo, le gouvernement avait fait accueil à mes observations, en
proposant et en faisant voter par les chambres 4 centimes additionnels sur
certains droits d’enregistrement et de greffe. Moi, je n’avais provoqué la
création de cette ressource que pour échapper à l’objection que l’on me faisait
chaque fois que je réclamais l’amélioration du sort de la magistrature, sans
indiquer des ressources pour couvrir cette dépense ; mais qu’a fait le
gouvernement ? Il n’a pas daigné seulement s’occuper de la magistrature, et les
4 centimes additionnels sont allés se fondre dans le budget général des
recettes de l’Etat, pour parer à d’autres besoins. Il faut que notre position
financière soit bien mauvaise pour traiter avec tant de dédain un des premiers
corps de l’Etat.
L’honorable M. d’Hoffschmidt, en vous
parlant de notre brillante position financière, vous a parlé des acquisitions
considérables que nous avons faites. On a déjà répondu en partie à cette
observation de l’honorable membre. Mais il me reste à compléter la réponse.
Que diriez-vous d’un homme qui a
beaucoup de dettes, qui achèterait des immeubles, et qui lèverait des fonds à 5
ou 4 p. c. pour payer le prix de son acquisition sans tirer d’ailleurs aucun
avantage de ces immeubles ? Vous diriez que cet homme se ruine complètement.
Eh bien, le gouvernement se trouve
dans une position absolument semblable. Le gouvernement a acheté de très belles
propriétés, entre autres, le palais du prince d’Orange. Que produit ce palais ?
Absolument rien. M le ministre en a concédé l’usage, à titre gratuit, à
certaine classe privilégiée pour y établir un bazar et y donner des concerts.
Il a permis d’y faire une concurrence à nos marchands de détails, il a permis
enfin d’y créer une loterie réprouvée par la morale et par les lois positives !
et quelle doit être la destination des bénéfices de ce bazar et de cette
loterie ? c’est de créer dans la capitale des écoles à la tête desquelles on
mettra des petits frères et de tuer ainsi les écoles municipales qui répondent
à tous les besoins, puisqu’on y reçoit sans distinction les enfants pauvres. Le
ministère n’a-t-il pas encore donné assez de garanties à certain parti, par la
loi sur l’instruction primaire ? Je demande que M. le ministre des finances
s’explique d’une manière catégorique sur la destination qui a été donnée au
palais du prince d’Orange ; je lui demande pourquoi, à titre gratuit, le
gouvernement a consenti à ce qu’on établît un bazar dans ce palais, à ce qu’on
y donnât des concerts, et enfin qu’on y fît concurrence à notre commerce de
détail ?
Le gouvernement a fait l’acquisition
d’un autre palais, celui de la place Royale. Qui donc a donné au gouvernement
l’autorisation d’y faire des bâtisses considérables ? Qui donc l’a autorisé à
donner à cet immeuble une destination spéciale ?
Il semble, en vérité, qu’aujourd’hui
le gouvernement soit tout, et la chambre rien.
On viendra nous dire encore que c’est
un fait accompli. Moi, je déclare que je n’admets pas cette excuse et je
demande formellement au ministre de nous dire en vertu de quelle loi il a
disposé, en cette circonstance, d’un domaine de l’Etat.
L’honorable M. d’Hoffschmidt trouvait
notre position si belle, parce que nous avions fait des acquisitions
brillantes. Vous voyez, messieurs, comme on dispose de ces acquisitions.
Je demande une seconde fois à M. le
ministre des finances des explications catégoriques sur ce point, et j’espère
bien que cette fois il ne gardera pas le silence.
Je dois dire, en terminant, que si je
n’ai pas insisté à la première séance sur l’interpellation que j’avais adressée
à M. le ministre des finances, c’est que le silence de M. le ministre était
plus précieux qu’une réponse évasive et c’est ainsi qu’on l’a envisagé
au-dehors.
Aujourd’hui M. le ministre des
finances a répondu à une nouvelle interpellation qui lui a été faite par un de
mes honorables amis ; l’honorable M. Delehaye lui avait demandé si lui, M.
Mercier, avait fait fléchir son opinion devant celle de son collègue de
l’intérieur ou bien si M. Nothomb s’était rallié à la sienne et M. le ministre
des finances a répondu qu’il était heureux de pouvoir dire à la chambre que ses
principes étaient à tous égards restés les mêmes.
Eh bien, moi, qui connais mieux que
personne les opinions intimes d’autrefois de M. Mercier, opinions dont il reste
d’ailleurs des traces, je déclare prendre acte de sa déclaration et m’en
contente pour le moment.
M.
le président. - La parole est à M. d’Hoffschmidt.
De toutes parts. - A demain ! à demain ! il
est cinq heures et quart.
- MM. les représentants quittent
leurs bancs.
La séance est levée à 5 heures et un
quart.