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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 29
mars 1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Rapports sur des pétitions relatives à la réintégration
d’un militaire dans son grade, au polder de Lillo et à la navigation de
l’Escaut (Osy, Nothomb, de Brouckere, de Mérode, Osy, Nothomb, Osy,
de Theux, de Brouckere, Osy), au personnel du tribunal de Mons,
aux pratiques de vente à l’encan (Delehaye, Smits, Delehaye)
3)
Projet de loi portant le budget du département de la guerre pour l’exercice
1843. Discussion générale. Fixation du chiffre global du budget, neutralité
armée, (ré)organisation des différentes armes (infanterie, cavalerie,
artillerie et génie) et des états-majors (de Liem,
(+organisation du génie) Lys, Verhaegen,
de Garcia, Brabant)
(Moniteur
belge n°89 du 30 mars 1843)
(Présidence de M.
Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
- La séance est ouverte.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est
approuvée.
M. de Renesse analyse les pétitions suivantes :
PIECES ADRESSEES A
« Plusieurs armateurs et négociants
d’Anvers présentent des observations concernant le projet de loi sur le
pilotage. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen
du projet.
______________________
« Le sieur Scheys
prie la chambre de prendre une décision sur sa demande tendante
à être indemnisé des dépenses qu’il a faites pour la découverte de mines de
fer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Zoude, rapporteur. - « Le sieur Braire, breveté
major en décembre 1830 par le général Nypels,
autorisé par arrêté du gouvernement provisoire à nommer les officiers de
l’armée, fut condamné par la cour de Liége à des peines qui furent
successivement modifiées, jusqu’à ce qu’il fut entièrement réhabilité par un
arrêté royal du 4 avril 1842, conçu comme suit : « Le sieur Braive, ex-major, rentrera, à dater du présent arrêté, dans
la jouissance des droits dont il était privé par suite de l’arrêt prononcé le 9
août 1831 par la cour d’assises de la province de Liége. »
Par suite de cette disposition royale, le sieur Braive demanda à être réintégré dans son grade de major ;
mais M. le ministre de la guerre, par sa dépêche du 14 mai 1842, lui déclara
que la réhabilitation légale, qu’il venait d’obtenir, n’avait d’autre effet que
de faire cesser pour l’avenir les incapacités résultant de la condamnation,
qu’ainsi il est relevé de la déchéance du droit de port d’armes, etc. ; que,
quant au grade d’officier qu’il aurait perdu par sa condamnation, cette
réhabilitation serait sans effet. Il cite à l’appui les art.
633 du code d’instruction criminelle et 28 du code pénal.
Mais le major Braive avait
invoqué les art. 20 et 21 du code militaire ; l’art.
20 portant que tout officier qui sera traduit devant une cour d assises, s’il
est condamné, la cour déclarera sa déchéance ; et l’art.21 porte qu’au
préalable, elle doit renvoyer devant la haute cour militaire pour approbation
de la déchéance.
Aucune de ces formalités, dit le pétitionnaire, n’a
été remplie ; des lors, l’art. 124 de la constitution peut devoir lui être
applicable, cet article portant que les militaires ne peuvent être privés de
leur grade que de la minière déterminée par la loi.
Il ne paraît pas à votre commission que M. le
ministre de la guerre se soit expliqué sur les moyens que fait valoir le
pétitionnaire ; c’est pourquoi elle a l’honneur de vous proposer le renvoi de
cette pétition au département de la guerre avec demande d’explications.
- La proposition de la commission est adoptée.
M. Zoude, rapporteur. - Vous avez demandé un prompt rapport sur la pétition du commerce
d’Anvers, qui réclame le rendiguement du poldre de Lillo.
La commission vous en propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.
Même proposition à l’égard d’une pétition du même
genre du conseil communal de Doel.
M. Osy. - Je crois, messieurs, que le droit de pétition devient véritablement
illusoire. Au mois de décembre dernier, plusieurs pétitions des propriétaires
et de l’administration de Lillo vous ont été adressées ; elles ont été
renvoyées à M. le ministre des travaux publics, qui nous a répondu qu’on avait
nommé une commission pour faire un rapport aux ministres de la guerre et des
travaux publics, pour savoir s’il faudrait rendiguer,
cette année, ce poldre. Plus de vingt fois, mes honorables collègues et moi,
nous avons demandé un rapport sur ces différentes pétitions ; et M. le ministre
des travaux publics ne s’est pas encore expliqué clairement, il s’est borné à
nous dire : Le rapport n’est pas fait. Mais nous savons positivement que le
rapport est fait depuis plus d’un mois par MM. Goblet et Teichman. Vous avez reçu une nouvelle pétition du commerce
d’Anvers, alarmé par un banc de sable qui se forme dans l’Escaut, tout près de
Lillo ; si nous la renvoyons encore à M. le ministre des travaux publics, notre
session se passera sans qu’une décision soit prise à cet égard. D’après une
lettre que je viens de recevoir de l’administration communale de Lillo, il
paraît que M. le ministre de la guerre (et puisqu’il est présent, il pourra
nous donner des explications) est plus intéressé pour son département au rendiguement du poldre que M. le ministre des travaux
publics, car si le reendiguement ne se fait pas
promptement, les terres sont si élevées près du fort qu’on ne pourra plus
inonder en cas de besoin, et le fort de Lillo sera une défense inutile pour le
pays. Je le répète, aujourd’hui vous avez une pétition du commerce d’Anvers qui
est alarmé de la formation de ce banc de sable ; je demande donc à M. le
ministre si on prendra enfin une résolution avant la fin de cette session, et
si on nous présentera un projet de loi à cet égard.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Messieurs, il est très vrai que le rapport de la commission mixte est arrivé au
ministère des travaux publics ; mais, indépendamment de la question du rendiguement du poldre, il est une autre question très
importante qu’il est du devoir du gouvernement d’examiner. Cette question, la
voici : en procédant à ce rendiguemeut, n’a-t-on rien
à exiger des propriétaires ? C’est là la question que le gouvernement doit
aussi examiner. S’il ne l’examinait pas lui même, elle serait soulevée dans
cette chambre. Cet examen se fera avec toute la promptitude possible ; nous
faisons rechercher les anciens octrois qui ont constitué les poldres ; le
gouvernement ne tardera pas à fixer son opinion sur cette question du concours
des propriétaires.
M. de Brouckere. - Messieurs, les explications que vient de nous donner M. le ministre de
l’intérieur ne sont pas très rassurantes pour nous ; nous avons, à différentes
reprises, insisté pour qu’il voulût bien hâter la présentation d’un projet de
loi, parce que la session est très près de son terme ; s’il n’est pas présenté
incessamment, les travaux que l’on présente comme très urgents seront remis
d’une année. J’insiste donc avec mon honorable collègue M. Osy pour que le
projet de loi soit présenté dans le plus bref délai possible ; la chambre
comprendra qu’il est indispensable de s’en occuper, et nous pourrons encore
obtenir un vote dans la présente session ; mais pour peu que l’on tarde, la
chose deviendra impossible ; les maux qui ont été signalés, les inconvénients
graves que l’on a indiqués, ne feront que s’accroître l’année prochaine, et il
y aura d’autant plus de difficultés à vaincre. J’insiste donc, et je puis
certifier que dans la province d’Anvers on attend avec une vive impatience la
présentation d’un projet de loi, et je demande qu’elle ne soit plus retardée.
M. de Mérode. - La question présentée comme douteuse par M. le ministre de l'intérieur,
doit être maintenant connue, car on a déjà rendigué
d’autres poldres, et on n’a pas fait supporter aux propriétaires une partie des
frais de rendiguement ; il me semble qu’à cet égard
on est suffisamment instruit. Ce qui me paraît plus difficile, c’est de trouver
les fonds pour la dépense, c’est encore là l’inconvénient du défaut d’équilibre
entre les recettes et les dépenses, qu’au moindre cas fortuit nous ne savons
pas où prendre les sommes nécessaires pour des travaux qu’il est indispensable d’exécuter.
Il y a cependant une chose à faire observer en ce qui concerne le poldre de
Lillo ; c’est que, chaque année, on paye 30,000 fr. de dépenses qui
représentent l’intérêt de la somme qui serait appliquée au rendiguement
; en retardant ces travaux d’une année, l’Etat n’y gagne rien. Le sol s’élève
autour du fort, et dans très peu de temps il n’y aura plus d’inondation
possible autour du fort, à moins de percer la digue circulaire, et alors, au
lieu de se contenter d’une inondation restreinte, comme celle qu’on pouvait
faire depuis que la digue circulaire avait été construite autour du fort, on
serait exposé à tous les inconvénients que l’on a dû subir pendant tant
d’années. Je crois que les motifs que donne aujourd’hui M. le ministre de
l'intérieur ne sont pas concluants ; il doit savoir à quoi s’en tenir à l’égard
de la difficulté qu’il nous a présentée ; on est instruit là-dessus ; je le
répète, la question la plus difficile et celle de trouver les fonds nécessaires
à la dépense.
M. Osy. - Je trouve très étrange que M. le ministre de l’intérieur, parce que la
fin de la session est prochaine, prenne pour la première fois la parole dans
cette grave question, grave surtout pour la province d’Anvers.
Depuis le mois de décembre dernier plus de vingt
pétitions nous ont adressées ; on s’en est occupé très souvent ; jamais M. le
ministre de l’intérieur n’a ouvert la bouche. Aujourd’hui que la session va
peut-être être close d’ici à 15 jours, il nous parle d’un nouveau système, et
de faire payer les propriétaires ; mais, messieurs, qu’avons-nous fait dans le
temps pour la rive gauche ; qu’avons nous fait en 1837 pour la rive droite ? Ce
n’est pas à la fin d’une session que M. le ministre devrait arriver avec un
système nouveau. Au mois de décembre il aurait pu s’en occuper, et aujourd’hui
il nous parle d’un nouveau projet. De telles explications ne peuvent pas
contenter la province d’Anvers, non seulement pour les intérêts des
propriétaires, mais aussi pour l’intérêt géneral de
la Belgique, qui est menacée de voir son beau fleuve de l’Escaut envahi.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Si j’ai pris la parole
aujourd’hui, c’est parce que mon collègue des travaux publics n’est pas
présent. J’ai dit qu’il y avait un point très important, qu’il était du devoir
du gouvernement d’examiner. Y aura-t-il concours de la part des propriétaires ?
Le gouvernement ne se l’est pas posée dès à présent ; il y a pas longtemps
qu’il l’examine : mais dire que toute la province d’Anvers est intéressée à
cette question, que l’Escaut va cesser d’être navigable, c’est là messieurs,
une exagération. Celte question intéresse principalement, j’aurai le courage de
le dire, certaine quantité de gros propriétaires qui possèdent une partie non rendiguée du poldre de Lillo. Il y a aussi d’autres
intérêts, celui du fort, et celui de la navigation mais l’intérêt principal, je
n’hésite pas à le dire, est celui des gros propriétaires.
M. de Brouckere. - Et celui des pauvres habitants !
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Cet incident ne nous conduira
à rien du tout. Le gouvernement examine la question du concours des propriétaires,
et cette question sera très promptement éclaircie.
M. Osy. - Messieurs, je dois protester contre ce que vient de dire M. le
ministre, que nous plaidons ici les intérêts des grands propriétaires ;
non, messieurs, nous plaidons les intérêts de 500 malheureux habitants d’un
village appelé le village de la Paille. Nous plaidons aussi les intérêts du
commerce, qui voit avec frayeur se former un banc de sable, et vous avez à cet
égard le certificat du capitaine du port, qui atteste la réalité du fait. Je
proteste donc contre l’assertion de M. le ministre de l’intérieur, et mes
réclamations sont dans l’intérêt de toute la Belgique, pour conserver un beau
fleuve.
M. de Theux. -
Nous ne devons pas anticiper sur la discussion du fond. M. le ministre de
l’intérieur a annoncé qu’il examinait la question du concours des propriétaires
intéressés. Nous devons accepter avec reconnaissance l’examen que le
gouvernement fait de cette importante question. Déjà nous avons posé plusieurs
fois le principe du concours, et si jamais il y a lieu à concours, c’est bien,
je pense, dans une circonstance comme celle-ci.
M. de Brouckere. - Tout ce que nous demandons, c’est que le projet de loi nous soit
présenté pendant la présente session. Que M. le ministre examine si les
propriétaires doivent contribuer à la dépense, il a raison, mais nous demandons
que la solution en soit hâtée et qu’un projet nous soit présenté le plus tôt possible.
- Le renvoi M. le ministre des travaux publics est
adopté.
M. Osy. - Je demande aussi le renvoi à M. le ministre de l’intérieur, puisque la
question intéresse aussi le commerce et la navigation.
- Cette proposition est adoptée.
M. de Villegas, rapporteur. - « Par pétition en date du 15 mais, les avocats du barreau de Mons
demandent une augmentation du nombre de magistrats au tribunal de cette
ville. »
Cette requête n’est en quelque sorte que la
continuation de la réclamation qui a été adressée, aux mêmes fins, à la chambre
des représentants, par les membres du tribunal de Mons, le 24 mars 1835, et
envoyée à la commission des pétitions le 27 du même mois.
Le personnel du tribunal n’a pas changé depuis
l’organisation de 1811. Il est composé d’un président, d’un vice-président et
de sept juges. L’expérience, disent les pétitionnaires, a démontré depuis
longtemps la nécessité d’une augmentation de personnel ; la population de
l’arrondissement s’accroît avec l’extrême division des propriétés, l’importance
des transactions sociales, le nombre considérable d’établissements industriels
et la multitude de ses houillères. Telles sont les causes de cette multiplicité
de procès d’une instruction parfois longue et difficile.
Il est à remarquer qu’outre les affaires ordinaires,
le tribunal de Mons est chargé des appels de police correctionnelle et du
service de la cour d’assises.
La commission des pétitions n’a pas été mise à même
de vérifier l’exactitude des faits mentionnés dans la requête dont s’agit. Les
éléments de comparaison entre le tribunal de Mons et les autres sièges, ainsi
que les tableaux statistiques des dernières années lui manquent. C’est au
département de la justice à examiner s’il y a lieu de faire à cet égard une
proposition à la législature. Le nombre des affaires, leur importance, le
service ordinaire et extraordinaire du tribunal, le nombre et la durée de ses
audiences, l’arriéré qu’il laisse à la fin de chaque exercice, doivent entrer
en ligne de compte pour apprécier la nécessité d’augmenter son personnel.
La commission a, en conséquence, l’honneur de
proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Delehaye. - Messieurs, la présence de M. le ministre des finances, m’engage à
rappeler à ses souvenirs une pétition que la chambre lui a renvoyée, ainsi qu’à
son collègue de l’intérieur, et par laquelle le commerce de Gand réclame
quelques modifications à la loi sur les ventes à l’encan,
Ces ventes se font, en général, au profit de
l’étranger ; c’est la France, en partie, qui, jetant sur notre marché tout ce
qu’elle n’a pu placer avantageusement chez elle, porte par là, contrairement à
l’esprit de la loi, un préjudice notable à notre industrie. Déjà à Bruxelles le
commerce s’en est également alarmé, et le conseil communal, toujours disposé à
soutenir les justes réclamations de ses administres, a appelé l’attention sur
ce point. La pétition que je rappelle au souvenir du gouvernement porte plus de
mille signatures, appartenant à tout ce que le commerce et l’industrie de Gand
ont de plus notable.
Je pense donc, messieurs, que si le gouvernement
jetait un moment les yeux sur cette pétition, il saisirait immédiatement la
chambre d’un projet de loi portant des modifications à apporter à la loi. Les
mesures qu’il s’agit de prendre existent d’ailleurs déjà en France.
Je prie la chambre de remarquer
qu’il s’agit de remédier à un état de choses dont l’étranger recueille tous les
bénéfices et le régnicole toutes les charges.
Je prie donc M. le ministre des finances et M. le
ministre de l’intérieur de nous saisir immédiatement d’un projet comprenant les
modifications à apporter à la loi sur les ventes à l’encan. Je pense que ce
projet ne donnerait lieu qu’à peu de discussions, et il serait utile, dans
l’intérêt du pays, qu’il fût voté avant la fin de la session.
M. le ministre des
finances (M. Smits) - Messieurs, la loi dont il est
question ne date que de quelques mois.
La réclamation dont parle l’honorable M. Delehaye
fait dans ce moment l’objet de mes études ; mais il me serait impossible de
dire à présent si je présenterai d’ici à une époque rapprochée de nouvelles
modifications à la loi. Cela dépendra d’un examen ultérieur qui me restera à
faire.
M. Delehaye. - M. le ministre des finances pense que je parle de la loi sur le
colportage, qui ne date effectivement que de quelques mois, et dont j’ai été
rapporteur ; mais je viens parler de la loi sur les ventes à l’encan qui est
beaucoup plus ancienne. Ce que je demande existe en France, et il n’a fallu
dans ce pays que quelques heures d’examen pour démontrer la nécessité des
mesures que réclame le commerce belge.
Je suis persuadé que si M. le ministre des finances
jette les yeux sur la pétition dont je viens de parler, il se hâtera de saisir
la chambre d’une proposition. Je prie M. le ministre de fixer son attention sur
ce point, parce que j’ai la conviction qu’il n’y a pas de mesure plus urgente
pour le commerce du pays et qui lui sera plus favorable que les modifications
que je réclame.
Discussion générale
M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion du budget de la guerre.
Le gouvernement a demandé une somme de 29,500,000 francs, dont il y a lieu de réduire 45,000 fr., ce qui
porte le chiffre du budget à 29,455,000 fr.
La section centrale propose l’allocation d’un crédit
global de 27,000,000 de francs.
M. le ministre de la guerre ne s’est pas rallié
jusqu’ici à la proposition de la section centrale.
M. le ministre de la guerre
(M. de Liem) - Non, M. le président, je ne puis m’y
rallier.
M. le président. - En ce cas la discussion s’établit sur les propositions du gouvernement,
et celle de la section centrale sera considérée comme amendement.
M. le ministre de la guerre
(M. de Liem) - Messieurs, le débat sur la nécessité
d’une armée pour la Belgique, dans sa position de neutralité, a été vidé trop
éloquemment, dans les dernières sessions, pour qu’il soit nécessaire d’y
revenir. Je rappellerai, cependant, et les acclamations, tant du pays que de
l’étranger, qui accueillirent les royales paroles, quand elles vous dirent que
notre neutralité devait être sincère, loyale et forte, et le langage tout patriotique
de la chambre, répondant qu’elle aiderait, par ses continuels efforts, le
gouvernement du Roi à la maintenir. Si notre neutralité exige, pour appui, une
armée bien organisée, le maintien de l’ordre intérieur réclame tout aussi
impérieusement la présence de forces suffisantes. Nous-mêmes en avons déjà subi
l’épreuve, et l’exemple de la France, dont l’armée a tant de fois, depuis 1830,
raffermi les institutions menacées dans leurs bases, ne doit pas être perdu
pour nous.
J’abandonne ces considérations, purement politiques,
à votre propre appréciation, plus compétente dans ces matières, pour passer à
l’examen de la question purement militaire.
Le budget soumis à vos délibérations, consacre, pour
l’armée, une composition normale mieux appropriée à notre situation politique
et satisfaisant, dans les limites des allocations disponibles, aux diverses
exigences du service.
La mission de notre force armée, bornée, par notre
position, à maintenir, en tout temps, l’ordre intérieur, à soutenir et à faire
respecter la neutralité garantie par les traites, demandait que notre état
militaire fût mis en harmonie avec cette nouvelle situation, et permît d’amener
les dépenses au chiffre le plus restreint possible.
Cette destination de l’armée, en faisant prédominer,
dans sa composition l’élément défensif, nous permet d’appeler la garde civique
à un concours plus étendu, afin de trouver les moyens de réduire, le plus
possible, l’effectif des troupes de ligne.
Mais la fixation de ce minimum d’effectif étant
l’objet d’une question à laquelle se rattachent les intérêts les plus graves de
notre avenir et de notre nationalité, j’ai voulu m’éclairer des investigations
des chefs de l’armée, pris parmi les plus compétents par leur expérience et
leurs talents, et sur lesquels pèsera un jour, avec l’obligation de justifier
leurs prévisions, la responsabilité de la défense du pays, dans l’exercice de
leur commandement.
Réunie sous la présidence du lieutenant général,
baron Evain, et composée des lieutenants-généraux, Goethals,
Goblet, De Brias, d’Hane,
L’Olivier, des colonels Dupont et Duroy (ce dernier, en qualité de suppléant du
général d’Hane), cette commission eut à examiner :
1° Le chiffre et la composition qu’il conviendra
d’adopter pour l’armée, en tenant compte du concours de la garde civique ;
2° Le cadre à fixer au grand état-major ;
3° Le rapport à donner aux différentes armes entre
elles, leur composition, la formation organique des corps et les moyens de
parer à quelques vices d’organisation, en restant le plus possible en-dessous
des allocations de l’année 1842.
La commission a discuté, avec tout le soin que
comportait un sujet aussi grave, les différents systèmes de guerre les plus
propres à garantir la neutralité de la Belgique. Elle a pensé que, dès le jour
où le nouveau royaume ne sera plus en mesure de résister à une première attaque
et de garder ses forteresses, jusqu’au moment de l’intervention de ses alliés,
que dès qu’il ne menacera plus les nations qui voudraient attenter à son
indépendance, de donner l’appui de ses places et de ses forces, à celles qui la
respecteraient, il aurait perdu toute sa valeur politique, et que personne en
Europe ne serait intéressé à son existence.
Guidée par cette considération, la commission a été
unanime pour conclure :
1° Que le complet de l’armée sur pied de guerre à
80,000 hommes, tel qu’il est fixé pour la loi du contingent, devait être
maintenu, même en supposant le concours de la garde civique convenablement
organisée ;
2° Que cette armée, loin de paraître supérieure à ce
que réclame la défense du pays, ne peut pas même satisfaire, autant qu’on doit
le désirer, aux éventualités de l’avenir ; que si donc on doit s’en contenter,
ce n’est que parce que les ressources financières qu’on peut y consacrer ne
paraissent pas pouvoir être augmentées.
Tel est donc, messieurs, le chiffre reconnu
absolument nécessaire, pour la garantie des institutions que nous nous sommes
données, par ceux-là même auxquels incombera un jour la responsabilité de leur défense
: ce chiffre nécessitera un appel d’environ 2 p. c. de nos habitants ; mais
loin d’excéder les proportions que notre population permet d’admettre, ces
forces n’atteignent pas même le contingent que les pays voisins, tels que la
Hollande, la Prusse, la France, la Confédération germanique se sont imposé.
Appuyées sur une antique nationalité, couvertes par
des frontières bien défendues, encouragées par de glorieux souvenirs
militaires, ces nations n’ont pas craint de consacrer de 2 a 3 p. c. de leur population
au service de l’armée de terre seulement, sans compter leurs forces navales.
C’est pour des intérêts purement moraux, pour des
considérations d’influence et de dignité, qu’elles n’hésitent pas à s’imposer
des sacrifices plus grands que les nôtres, exigés pour notre existence
nationale elle-même.
Elles n’ont pas, comme nous, à faire consacrer, par
le temps, une indépendance qu’aucun bouleversement politique n’a encore
attaquée. Et la Belgique déposerait les armes avant même d’avoir combattu pour
sa nationalité, sous prétexte qu’elle lui coûte trop cher !
Quelle que soit notre foi dans les traités,
rappelons-nous qu’ils sont impuissants devant les faits accomplis, et qu’une
protection à main armée est la meilleure garantie de notre existence politique.
Abdiquer le soin de son indépendance, disait un
publiciste distingué, c’est en abdiquer les droits, c’est briser la force
morale de la nation au dehors comme au dedans.
Du reste, vous-mêmes, messieurs, avez démontré,
d’une manière péremptoire, que le chiffre du contingent est à l’abri de toute
contestation, chaque fois que les circonstances l’exigent. Malheureusement une
organisation militaire ne peut varier avec toutes les fluctuations de l’horizon
politique ; de toutes les institutions d’un pays, c’est la force armée qui est
la plus lente à se créer ; là l’improvisation, même avec des millions de
subvention, conduit à la déroute. L’échec qu’ont subi nos armes en 1831, d’une
influence si déplorable sur nos destinées, ne doit être attribué ni au manque de
courage, ni au chiffre des combattants, mais à l’absence d’une bonne
organisation. Il faut du temps pour agencer les rouages si compliqués d’une
armée, surtout à une époque où l’esprit militaire semble assoupi ; il en faut
plus encore pour être rompu au commandement ou à l’obéissance, et le temps seul
parvient à fondre le libre arbitre individuel dans une volonté unique.
Bien que le pied de guerre de notre armée exige la
mise en activité de 80,000 hommes, il a été possible de ramener le pied de paix
de ces forces au chiffre de 34,900 hommes.
Sous ce rapport encore, la Belgique a cédé, au-delà
des limites désirables, aux prescriptions d’économie, si on la compare avec les
pays voisins. Ainsi, quand pour le pied de paix, la France, la Prusse et la
Hollande maintiennent sous les armes au-delà d’un p.
c. leur population, la Belgique ne compte sous les drapeaux qu’un soldat pour
113 habitants. Si une proportion aussi réduite pouvait être rejetée, comme trop
onéreuse à sa population, il faudrait renoncer à la conservation d’une armée
régulière.
Considéré du point de vue de la dépense, le pied de
paix de l’armée belge se présente d’une manière tout aussi avantageuse, dans sa
comparaison avec les armées voisines.
Bien que le chiffre des dépenses des armées soit
loin de croître dans la même progression que celui de leur effectif, nous
voyons que le rapport du budget de la guerre à celui des dépenses générales est
:
En France, de 1 à 3,95
En Prusse, de 1 à 2,35
En Autriche, de 1 à 2,23
Et dans les pays dont la population se rapproche de
la nôtre tels que :
La Bavière, de 1 à 3,78
La Suède, de 1 à 3,12
La Sardaigne, de 1 à 2,57.
Tandis que la Belgique, malgré sa population tout
exceptionnelle, n’accorde de crédits au budget de la guerre que dans le rapport
de 1 à 3,75, c’est-à-dire un peu plus du quart des dépenses totales. Ajoutez à
ces chiffres que la Bavière est sous la sauvegarde de la solidarité morale de
l’Allemagne et que la Suède et la Sardaigne se trouvent défendues par leur
antique nationalité et plus encore, par la nature, quand la Belgique, ouverte
de toute part, semble abandonnée comme une proie facile dans la lice
européenne.
Que serait-ce donc si, au lieu de limiter la
comparaison aux allocations pour l’armée de terre, on y ajoutait les sommes
affectées, dans ces divers pays, aux forces navales ?
La Hollande, avec une population bien inférieure à
la nôtre, prélève, pour l’ensemble de ses moyens de défense de mer et de terre,
un impôt de 39,600,000 francs, dans lequel le budget
de la guerre entre pour 27,460,317 francs. Si ce budget comprend les pensions
militaires, il ne compte pour la gendarmerie que 490,000 francs, au lieu de
1,627,000 fr. inscrits dans celui qui vous est soumis ; il n’admet pas les
dépenses assez considérables exigées pour le confort du soldat, telles que
l’augmentation de 1/4 de kilogramme par ration de pain, la haute paie accordée
aux grenadiers et aux voltigeurs, celle des chevrons pour ancienneté de service
; ce budget n’est pas grevé, comme le nôtre, de 441,500 francs, affectés à la
création d’une nouvelle forteresse.
Il m’est donc permis, messieurs, de dire que la
Belgique, par l’adoption du budget en discussion, ne supportera, au même degré,
ni les sacrifices en hommes, ni ceux en argent, que les nations voisines se
sont imposés pour des intérêts, certes, de moindre importance que les nôtres. A
quel titre alors invoquerions-nous, au jour du danger, le secours de nos
alliés, lorsque nous-mêmes nous nous serions soustraits aux devoirs et aux
charges que nous impose notre nationalité ?
Je passerai actuellement à l’exposition des
principes qui ont réglé la composition organique, portée au budget.
Le personnel d’une armée se compose :
1° D’un état-major, comprenant le cadre des
officiers-généraux, l’état-major territorial, le corps d’état-major, le service
de l’intendance et le service de santé ;
2° Des armes de l’infanterie, de la cavalerie, de
l’artillerie et du génie.
La composition organique d’une armée doit être
telle, qu’en toutes circonstances, et sous tous les rapports, elle puisse satisfaire
complètement aux diverses exigences du système de guerre adopté pour la
situation politique et matérielle du pays.
Il s’ensuit que le rapport numérique de ses diverses
parties, états-majors et armes, doit se déduire de ce même système, si l’on
veut que l’armée réponde pleinement à sa destination.
La position politique qui nous est faite exige
l’adoption d’un système de guerre défensive, qui, à son tour, oblige de
constituer fortement les armes qui possèdent, au plus haut point, les
propriétés défensives.
Ces principes posés, il me sera facile de prouver
qu’il en a été fait une saine application aux diverses armes.
L’action tactique de l’infanterie est la plus
étendue, parce qu’elle est également propre au combat à distance et au combat rapproché
; son organisation rapide, son entretien peu coûteux et l’universalité de ses
services, l’ont rendue l’arme la plus importante et la plus nombreuse des
forces militaires ; aussi son chiffre a-t-il été fixe pour nous à 60,000
hommes. C’est sur l’infanterie, prise pour base, qu’est fixe le rapport
numérique des autres armes.
Dans un pays aussi ouvert et aussi favorable à
l’emploi de la cavalerie que la Belgique, il eût été nécessaire de donner à
cette arme le rapport, usité dans beaucoup d’armées, du quart au cinquième de
l’infanterie, si l’adoption d’un système défensif avait permis de l’amener
entre le 8° et le 9°.
L’artillerie est l’arme qui possède, au plus haut
degré, les propriétés de la défense, parce que son action commence là où celle
des autres armes reste encore longtemps dans l’impuissance. La mobilité qu’elle
a acquise, par l’adoption d’un matériel plus léger et mieux combiné ; les
exigences multipliées auxquelles elle a su satisfaire, dans les dernières
guerres, et les perfectionnements journaliers qu’elle introduit dans ses moyens
d’action, l’ont fait reconnaître, par tous les tacticiens comme l’arme offrant
le plus d’avenir. Or, c’est surtout en vue de l’avenir que doit être établie
une organisation normale, si l’on veut qu’elle réponde aux éventualités les
plus probables.
L’emploi de cette arme grandira avec ses
perfectionnements puisque déjà, dans les dernières guerres, son usage avait
pris une extension considérable, malgré le matériel lourd et défectueux de
Gribeauval.
Ainsi, après la perte totale de la cavalerie et de
l’artillerie françaises, dans la campagne de 1812, rien ne fut épargné pour les
remplacer. L’armée, reconstituée à la fin de l’armistice, comptait 380,000
combattants, dont 34,900 seulement de cavalerie et 1,300 bouches à feu,
c’est-à-dire un dixième de cavalerie et un peu plus de 3 pièces par 1000 hommes
d’infanterie. Les alliés se présentaient avec 370,000 hommes, dont 8,000 de
cavalerie et 1,070 pièces. Ainsi, la cavalerie formait
le quart de leur armée, et, par mille hommes, ils comptaient 3 pièces du
matériel mentionné plus haut.
On ne s’étonnera donc pas de voir la proportion de 3
pièces, par 1000 hommes d’infanterie, et de 4 au moins par 1000 cavaliers,
généralement adoptée, à une époque où le matériel n’offre plus aucun obstacle
aux évolutions les plus rapides. Ainsi, la Prusse compte pour son armée 864
pièces attelées ; la confédération germanique, pour ses dix corps, 580 pièces
attelées et 290 en réserve. Bien plus, la France a cru nécessaire de modifier
son artillerie de siège, pour ne former que de l’artillerie montée et à cheval,
au nombre de 200 batteries, dont la mobilisation totale donnerait 1,200 pièces
de campagne. La Hollande elle-même, quoiqu’Etat maritime et couvert par une triple ceinture de cours d’eau et de forteresses, ne
compte pas moins de 15 batteries de campagne, dont 7 à cheval.
Les ressources financières dont il m’a été possible
de disposer n’ont pas permis de maintenir l’artillerie mobile à un chiffre
aussi avantageux pour la Belgique. Quatre batteries ont été démontées au mois
de juin dernier et ont ramené cette arme à 2 pièces seulement par 1,000 hommes
d’infanterie et 4 par 1,000 cavaliers.
En bornant même, contre toute révision, l’action de
cette arme à la défense des places, l’exemple de la France, qui a supprimé
toute son artillerie de siège, nous dirait encore combien il serait avantageux
de lui conserver assez d’attelages pour lui donner une mobilité suffisante et
propre à appuyer de fortes sorties, à couvrir les points trop faibles et à
opérer à l’intérieur les immenses transports qu’exige l’armement des places.
Le chiffre des troupes du génie, fixé d’après les
ressources possibles à 1/31 de l’infanterie, semble pouvoir satisfaire aux
exigences du service incombant à la spécialité de cette arme.
J’ai cru, messieurs, devoir insister sur ces
rapports numériques, parce que des préventions injustes avaient trouvé de
l’écho jusque dans cette enceinte. La composition de notre armée sur le pied de
guerre repose donc, non sur des préférences partiales, mais, comme son
importance l’exige, sur les propriétés et la destination des différentes armes,
afin de la mettre en harmonie parfaite avec le système de guerre qui doit
assurer notre défense.
Le pied de paix de l’armée doit être tel que chaque
arme conserve des ressources suffisantes pour passer au pied de guerre, sans
secousse dangereuse, si l’on ne veut renoncer de prime abord à utiliser nos
moyens de défense si laborieusement formés.
Je pourrais invoquer ici, messieurs, sans les faire
remonter trop loin, vos propres souvenirs. Les vides laissés par les réductions
budgétaires, dans les effectifs en chevaux des corps de cavalerie et
d’artillerie, forcèrent à de fortes remontes pour opérer les armements de 1838
à 1839. La cavalerie ne put se remonter, parce que des mesures prohibitives
nous exclurent du marché de l’Allemagne ; et l’artillerie, après 3 mois de
parcours dans toute la Belgique, ne put acheter que 1,242 chevaux sur 2,400
qu’il lui fallait.
Un autre fait tout aussi concluant vous prouvera qu’un
surcroît momentané de dépenses peut quelquefois se changer dans l’avenir en une
économie réelle. En 1839, on crut pouvoir, toujours par économie, étendre outre
mesure la vente des attelages de l’artillerie ; mais déjà en 1840, force fut de
racheter, à des prix élevés, 600 chevaux de trait, dont pas un ne valait bon
nombre de ceux que les corps avaient vu vendre à regret, l’année précédente,
même à des prix peu avantageux. Il en est résulté une artillerie mal attelée
qui ne vaudra l’ancienne que lorsque les remontes annuelles lui auront rendu de
bons attelages.
Je pense devoir citer de plus une autorité dont
personne ne contestera l’importance, celle de l’illustre maréchal Soult, qui
dans son rapport au roi, sur la constitution des cadres de l’armée, dit :
« L’expérience de la situation embarrassante dans
laquelle on s’est trouvé, en 1840, par rapport aux armes spéciales de la
cavalerie et de l’artillerie, a prouvé le danger d’affaiblir ces armes, et la
nécessité de leur donner, ainsi qu’au génie et aux équipages militaires,
l’effectif qui leur est indispensable pour passer facilement du pied de paix au
pied de guerre, et les mettre en état d’agir simultanément avec l’infanterie,
qui se prête toujours si facilement à cette transition. »
D’après la composition portée au budget, le rapport
du pied de paix au pied de guerre, sera dans chacune des armes, pour les hommes
de :
33 à 100 pour l’infanterie ;
65 à 100 pour la cavalerie ;
45 à 100 pour l’artillerie ;
38 à 100 pour le génie ;
Et, pour les chevaux de troupe, de :
58 à 100 pour la cavalerie ;
27 à 100 pour l’artillerie.
Ainsi, pour passer du pied de paix au pied de
guerre, il faut :
Que l’infanterie reçoive les 2/3 de son complet
d’hommes ;
Que la cavalerie en reçoive un peu plus du tiers ;
Que l’artillerie reçoive au au-delà de la moitié de
son complet ;
Qu’enfin, le génie en reçoive les 3/5.
Quant à l’effectif en chevaux, il faut que :
La cavalerie reçoive un peu plus des 4/10, et
L’artillerie au-delà des 7/10 du complet de guerre.
Le passage d’un pied à l’autre est donc, eu égard à
la spécialité des armes, aussi convenablement entendu que le permettent les
ressources du budget. Il se rapproche, dans cette limite, autant qu’il a été
possible, des règles de l’art militaire, qui nous disent que l’on ne peut
espérer de combattre avec succès, au moyen d’une infanterie peu aguerrie, si on
ne lui donne, pour appui, une bonne artillerie ; qu’un avantage acquis ne peut
être mis à profit que par une cavalerie d’une force convenable ; enfin, qu’une
armée qui a peu d’artillerie ne sait agir qu’offensivement (ainsi contrairement
à notre position), parce qu’elle est privée du nerf de la défense.
De la nécessité de pouvoir porter l’armée, sur le
pied de guerre, à 80,000 hommes, dérive celle de conserver, sur le pied de
paix, dans des proportions convenables, les cadres destinés à contenir ces
forces, en y apportant, toutefois, les réductions que commande l’économie des
dépenses, condition indispensable de l’état de paix. Le moyen le plus naturel
d’opérer ces réductions semblerait être de supprimer des états-majors de
régiments, tout en conservant les bataillons, les escadrons et les batteries
qui forment les unités de force, avec lesquelles on procède aux opérations de
guerre.
Mais alors il deviendrait nécessaire ou de rétablir
ces états-majors, lors du passage au pied de guerre, ou de forcer la
composition des corps. Dans le premier cas, on s’exposerait bien imprudemment à
toutes les conséquences d’organisations faites dans le moment même du danger, et
cela dans un pays où la capitale est à deux jours de marche des frontières.
Dans le second cas, l’expérience démontre que des corps d’un effectif trop
nombreux sont lourds au physique et au moral et perdent en consistance ce
qu’ils gagnent en chiffres. En effet, le commandant du régiment, responsable de
toutes les parties, tant de l’administration que de l’instruction, ne peut plus
suffire à toutes les exigences de son commandement et se voit forcé de
sacrifier une partie de son service pour sauver l’autre. Toujours menacé dans
sa responsabilité financière, ou dans celle qui lui incombe, pour l’instruction
théorique et pratique de son personnel, il ne peut communiquer à son régiment
la vigueur et l’élan qui en font toute la force.
Il n’est donc pas plus possible de réduire le nombre
de régiments des diverses armes, sans compromettre d’avance la valeur de nos
forces, qu’il ne l’a été de réduire le chiffre de l’armée, reconnu nécessaire à
notre position politique.
Les corps d’infanterie, tels qu’ils étaient constitués
sur le pied de paix, loin de pouvoir supporter une réduction d’effectif,
désirable dans le but d’économie qu’on cherchait à atteindre, n’offraient
aucune consistance, ni dans l’intérêt de l’instruction, ni dans celui du
service, et leurs compagnies ne présentaient quelquefois pas le personnel
nécessaire pour assurer aux soldats les nuits de repos que leur accordent les
règlements.
Un tel état de choses compromettant à la fois la
santé du soldat, le service et l’avenir de l’arme, il était urgent de chercher
à y remédier. Mais la condition de rester au-dessous des allocations accordées
imposait celle de trouver l’augmentation d’effectif dans des modifications de
détail sans influence réelle sur la force de l’arme.
Le nombre de régiments et celui de bataillons ne
pouvant, d’après ce que nous venons de voir, être réduit, il restait à examiner
s’il n’était pas possible de restreindre le nombre de compagnies dans chaque
bataillon, et de lui donner, par exemple, la formation prussienne à 4 divisions
de 225 à 250 hommes, pour présenter en ligne le chiffre normal de 8 à 9 hommes.
Mais tout militaire sait que la valeur d’une armée
se calcule sur la solidité de ses cadres, et que ceux-ci doivent être d’autant
plus nombreux, que les soldats sont moins aguerris et moins expérimentés.
L’histoire de toutes les guerres est là pour l’attester, et parmi les faits les
plus frappants, se trouvent les dernières campagnes de l’empire où les revers
de l’armée française datent de la perte, en 1812, des vieux cadres, et se sont
continués, malgré la bravoure des combattants et malgré l’éclat du génie qui
les conduisait.
Aussi, les armées les plus estimées sont celles où
les cadres sont éprouvés et nombreux, proportionnellement aux soldats. Cette
condition est d’autant plus impérieuse pour nous, que nos miliciens enlacés par
les liens de famille, toujours vivaces dans un petit pays, à communications
nombreuses et faciles, se font difficilement à la vie militaire et rentrent
dans leurs foyers avant d’avoir acquis l’aplomb désirable pour paraître avec
confiance en ligne.
Le seul remède à ce vice organique de notre armée
doit consister à rendre les cadres d’autant meilleurs et d’autant plus
nombreux, qu’ils doivent suppléer au défaut d’éducation militaire complète du
milicien. Mais la nécessité de renfermer le soldat dans des cadres fermes et
suffisants impose l’obligation de maintenir le chiffre de 150 hommes par
compagnie, comme un maximum qu’il n’est pas permis de dépasser, sans exiger une
augmentation proportionnelle et dispendieuse des cadres ; elle force, dès lors,
à rejeter, comme mauvaise pour la Belgique, la formation à 4 compagnies par
bataillon.
Quant à un dédoublement des compagnies, lors du
passage au pied de guerre, il ne peut en être sérieusement question ; outre les
obstacles nombreux d’embarras administratifs et autres, il serait par trop
téméraire de se présenter, au moment suprême, non seulement avec des soldats
nouveaux, mais encore avec des cadres improvisés, dont le temps n’a pas éprouvé
la solidité.
Consultée sur cet objet, la commission d’officiers
généraux a unanimement reconnu que non seulement il serait impossible de
diminuer le nombre de régiments ou de bataillons, sans affecter trop
profondément l’organisation de l’armée, mais encore qu’on ne pourrait changer
la composition intérieure des bataillons de guerre, en restreignant le nombre
de compagnies, sans décomposer moralement et physiquement ces unités de force.
Il a donc fallu nécessairement renoncer à l’emploi
de ces moyens d’économie, et, dès lors, il ne restait plus qu’à porter les
réductions sur des points qui ne détruisent pas la force intrinsèque des corps.
Le but a été jugé devoir être le mieux atteint :
1° Par l’abstention de pourvoir aux vacances d’un
des deux emplois de sous-lieutenant, dans chaque compagnie, en réservant
toutefois, pour les droits acquis et pour éviter un temps d’arrêt trop marqué
dans l’avancement des sous-officiers, une nomination sur quatre emplois
vacants, jusqu’à ce qu’on soit progressivement venu au chiffre normal ;
2° La suppression, pour les reconstituer lors du
passage au pied de guerre, des quatrième et cinquième compagnies des bataillons
de réserve.
Il en résulte un retrait de 358 emplois d’officiers,
savoir :
32 du grade de capitaine ;
32 du grade de lieutenant ;
294 du grade de sous-lieutenant.
Je n’ai pas hésité à opérer dans l’infanterie une
réduction que l’artillerie avait déjà dû subir en 1839, et qui était imposée à
la cavalerie, par son arrêté organique, en vue de l’augmentation du nombre
d’hommes qu’elle procurait à cette arme, dans l’intérêt de son avenir et du
service.
Par suite de ces modifications et de quelques autres
de peu d’importance pour le service, telles que celles des gardes magasins, des
vaguemestres, etc., il sera possible d’augmenter sur le pied de paix, la force
numérique des compagnies et de les porter de 55 à 69 et 79 hommes.
Bien loin donc d’avoir été affaiblie, l’infanterie
aura, si on la compare avec l’effectif du budget de 1842, une augmentation de
force de 2,044 hommes.
Dans la cavalerie, les divers corps restent
constitués comme ils le sont, pour que, complétés organiquement sur le pied de
guerre, ils puissent fournir le contingent de cavalerie reconnu nécessaire au
chiffre total de l’armée.
L’effectif des escadrons, sur le pied de paix, n’a pu
jusqu’ici rester au chiffre prescrit par l’arrêté organique ; il a subi des
réductions successives, dans les limites des budgets qui l’ont amené, enfin, à
100 chevaux par escadron. Ce chiffre ne satisfait pas autant qu’il serait à
désirer aux exigences de l’instruction ; mais il a dû s’accorder avec les
allocations dont il m’a été permis de disposer.
La commission d’officiers généraux appelée à
examiner les modifications les plus convenables à opérer dans la cavalerie,
dans les limites rapportées plus haut, a unanimement émis cet avis, que ce qui
est le plus à désirer, pour le maintien de la bonne organisation de la
cavalerie, sous le rapport du service, de l’inspection des hommes et de la
conservation des chevaux, c’est que les régiments ne soient plus obligés de
renvoyer leurs cavaliers, au moment où les recrues arrivent au corps ; attendu
que ces recrues sont placées, d’abord au dépôt, pour leur instruction, et
n’entrent que quelques mois après dans les escadrons. Il en résulte que ceux-ci
se trouvent incomplets, et que les hommes présents sont obligés de panser 3 et
même 4 chevaux, ce qui devient une des causes les plus déterminantes de dégoûts
pour le service.
Cet état de choses avait déjà fixé mon attention,
comme dangereux pour l’avenir de cette arme, et c’est dans le but de le faire
disparaître que j’ai cherché à introduire quelques économies sur d’autres
points. Désormais, l’effectif des corps de cavalerie sera augmenté, pendant la
durée de l’instruction des recrues, de la levée annuelle de la milice, et les
permissionnaires ne seront renvoyés des escadrons qu’au moment où les recrues y
entreront pour faire le service.
La législature ayant reconnu, par l’adoption du
budget de 1842, la nécessité de réorganiser les armes de l’artillerie et du génie,
j’ai cherché à régulariser les changements projetés, de la manière la plus
avantageuse à la défense du pays, à la bonne composition de l’armée et aux
intérêts du trésor, en tenant compte des observations critiques dont ils
avaient été l’objet dans les chambres.
Ainsi, la transformation en batteries de siège, de 7
batteries montées, c’est-à-dire, la suppression de 56 pièces, ayant été
reconnue excéder les bornes d’une sage prévision, je me suis appliqué à la
restreindre à 4 batteries, et à la compenser par des économies qui affectaient
moins gravement nos moyens de défense. Je me suis abstenu, pour ce motif,
d’organiser la nouvelle batterie de siège portée au budget de 1842 ; de plus,
un emploi de lieutenant par batterie de campagne, ainsi que quelques grades de
moindre importance, ont été supprimés dans tout le personnel ; l’effectif en
chevaux de toutes les batteries, et le personnel de celles à cheval ont été
réduits. De cette manière, il a été possible de conserver 19 batteries de
campagne et 24 de siège, c’est -à-dire, une de moins que ne le voulait mon
prédécesseur.
La commission d’officiers généraux a reconnu, dans
la discussion des bases d’organisation de l’arme d’artillerie, que, par sa
complication d’hommes, de chevaux de selle, d’attelages, de voitures de tout
genre, de munitions de guerre, pour elle et pour l’armée, de moyens de passage
de rivières, elle demande un bien plus longtemps pour pouvoir entrer en
campagne. C’est surtout ce que le lieutenant-général Evain, celui-là même que
l’empereur chargea de remplacer tout le matériel de l’artillerie abandonné en
Russie, a fait sentir, d’après l’expérience qu’il a eue de ce service, pendant
20 ans qu’il l’a dirigé en France : aussi tout doit-il être disposé de longue
main et sans excès d’économie mal entendue, pour avoir une artillerie qui
soutienne le rang où la mettent aujourd’hui la perfection de son organisation
et son service aux armées.
Sous ce rapport, il eût été avantageux de suivre
l’exemple de la France, qui, sur le pied de paix comme sur le pied de guerre,
conserve, dans leur intégrité, les cadres des compagnies, escadrons ou
batteries ; malheureusement nos ressources financières n’ont pas permis qu’il
en fût ainsi.
L’arme du génie a été reconstituée sur de plus
larges bases, afin qu’elle trouvât la possibilité de satisfaire, sans surcroît
de dépenses, aux diverses exigences du service qui lui incombe.
Une imitation mal entendue de ce qui s’était fait en
France avait jusqu’ici séparé en deux fractions presqu’hostiles l’état-major du
génie et les sapeurs-mineurs qui en forment les troupes. Aussi, l’arrête du 4
juin dernier a-t-il réuni, en un seul corps homogène les deux fractions de
l’arme sans s’arrêter aux prétentions inconsidérées de quelques officiers, dont
l’amour-propre s’irritait de cette mesure, toute d’avenir. Il a paru d’autant
plus rationnel d’adopter en Belgique une organisation que nous voyons produire
les meilleurs résultats chez la plupart des autres nations, telles que la
Hollande, la Prusse, l’Autriche, et chez nous-mêmes dans l’artillerie, que
l’exiguïté de nos ressources ne permet pas de créer et d’entretenir des
spécialités assez nombreuses pour toutes les branches d’un service, mais
qu’elle nous impose, au contraire l’obligation d’exiger des officiers une
aptitude égale pour tous les détails des travaux d’une même arme.
Une perte, bien déplorable pour le génie, est venue
trop tôt réaliser les prévisions de l’inspecteur général, quand il jugeait
nécessaire de familiariser les officiers de l’état-major avec le commandement des
troupes de l’arme. Pour la troisième fois déjà, en une seule année, le
gouvernement s’est vu forcé de confier ce commandement d’une haute importance à
des officiers étrangers au service du régiment. Quelles que soient, du reste,
les capacités et la bonne volonté que je me plais à reconnaître à ces
officiers, de pareilles mutations, toujours funestes à un corps, suffiraient,
seules, pour justifier les dispositions prises et dont les opposants ont,
eux-mêmes, déjà dû avouer les bons effets.
Après vous avoir ainsi longuement développé les
rapports des déférentes armes et leur composition organique, je pourrais,
messieurs, vous exposer celle de leurs fractions, pour vous prouver que les
détails en ont été réglés d’après les seules exigences du service. Mais la
crainte d’épuiser votre longanimité me fait espérer que, si contre mon attente,
il vous restait encore quelques doutes sur la nécessité des ressources
conservées, la seule lecture des chiffres des tableaux de composition des
différentes armes les dissiperait facilement.
Ainsi, pour ne parler que des cadres, vous y verrez
que le nombre d’officiers des corps d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie,
a été réduit d’un quart, pour le pied de paix ; que cette réduction ne pouvait
être excédée sans danger certain pour l’avenir, par l’impossibilité de les
reconstituer assez rapidement au pied de guerre. Quant au chiffre d’officiers,
exigé pour cet état, il est resté tel que l’expérience l’avait sanctionné,
pendant les 12 années écoulées, et que le caractère de nos soldats fera
toujours considérer comme très modéré.
La composition des diverses armes vous a donc été
justifiée par les principes les plus vrais de l’art militaire et par
l’expérience des chefs de l’armée ; il sera facile de prouver que son
état-major général a été calculé dans les limites les plus restreintes.
En première ligne vient se placer le cadre des
officiers-généraux, destinés au commandement des troupes des différentes armes
et aux services qui exigent des officiers de ce grade, tels que ceux du
département de la guerre, de la maison militaire au Roi et des missions
temporaires.
La formation, même en temps de paix, par divisions
et brigades, généralement adoptée, est d’une nécessité absolue pour la
Belgique, parce qu’en l’absence de frontières bien défendues, il lui faut une
armée toujours prête à entrer en ligne, pour en couvrir les points menacés.
Elle ne pourra pas, comme ses voisins, trouver le
temps nécessaire pour donner de la consistance à son armée, mise sur pied de
guerre, si elle n’en a, de longue main, préparé tous les éléments. Et la
mobilité de ces troupes, jointe à la facilité des communications, pourra seule
compenser leur faiblesse numérique.
Cette formation exige pour l’infanterie, forte de 4
divisions à 2 brigades chacune, 4 lieutenants-généraux et 8 généraux-majors ;
pour la division de cavalerie légère et celle de grosse cavalerie, 2
lieutenants-généraux et 4 généraux-majors commandant les brigades.
Les armes de l’artillerie et du génie, dont
l’influence tactique est d’autant plus importante que nous avons vu l’élément
défensif prédominer dans notre organisation, doivent, pour conserver cette
influence, être chacune sous les ordres d’un chef, dont le grade ne peut être
moindre que celui de lieutenant-général.
L’instruction compliquée des troupes d’artillerie et
la surveillance des nombreux établissements justifieraient, seules, la
nécessité de deux généraux-majors, en sous-ordre ; mais ils sont plus
indispensables encore pour assurer le commandement de l’artillerie de l’armée et
la direction, non moins importante, de l’armement de nos places fortes. Il est
inutile d’expliquer la présence d’un général-major en sous-ordre dans une arme
d’une influence aussi incontestée que le génie. Il en est de même du corps
d’état-major, qui, pour progresser, réclame un chef de ce grade.
Enfin, quatre commandements de province seront
confiés à des généraux-majors, pour disposer d’un officier général sur tous les
points principaux du territoire. Il importe que les commandants de brigade ne
cumulent pas ces emplois, parce que, pour être rompu au commandement supérieur
des troupes, il faut s’en occuper sans cesse, puiser dans l’étude des guerres
l’expérience qui manque à notre armée, et ne pas se laisser absorber par les
fonctions d’un poste sédentaire. Le cadre des officiers généraux destinés à
satisfaire au commandement des troupes et aux emplois spéciaux réservés à ces
grades se composerait donc de :
10 lieutenants-généraux et
20 généraux-majors.
Dans ce cadre, encore, nous n’avons pu imiter nos
voisins et y comprendre, comme eux, des généraux sans emploi fixe, qui soient
toujours prêts à remplir les emplois vacants. Ainsi en Hollande, une armée
moindre d’un quart, compte 30 généraux, la France en a au-delà de 246 ; et dans
les Etats de la confédération germanique, le chiffre en paraît presque exagéré.
Tous ces Etats savent que la meilleure armée, sans
un bon capitaine, est un corps sans âme ; elle peut obtenir un succès
momentané. Mais des fautes inévitables viennent bientôt le changer en revers
continu. Notre amour-propre national permettrait-il, après 12 années
d’existence politique, d’aller encore à l’extérieur emprunter un chef pour nos
soldats ; ne s’indignerait-il pas d’être encore tributaire de l’étranger, dans
la belle mission de notre défense nationale ! Et cependant, messieurs, quand on
se rappelle les qualités exigées pour faire un général d’armée, on trouve le
nombre de 30 généraux bien restreint pour en produire même un seul.
La nouvelle division d’état-major des places a non
seulement produit une économie, mais encore permis de mettre un terme aux
prétentions exagérés et même aux conflits qui résultaient des commandements de
3ème classe, exercé par des adjudants de place, dont le grade, presque toujours
intérieur à celui du commandant des troupes de la garnison, n’inspirait pas
toujours la déférence due à l’emploi.
Le corps d’état-major a subi une réduction dans les
officiers supérieurs compensée par une augmentation d’officiers subalternes,
pour trouver ainsi l’avantage de donner aux généraux, commandant les divisions
ou les brigades d’infanterie ou de cavalerie, un aide-de-camp pris dans le
corps d’état-major. Ces officiers, apportant dans leurs divers travaux de
reconnaissances militaires, levés, etc., des principes puisés à la même source,
mettront dans l’accomplissement des missions qui leur seront confiées
l’uniformité nécessaire pour rendre faciles les appréciations et comparaisons
d’ensemble.
L’intendance, le service de santé et de
l’administration des hôpitaux, ont été établis pour satisfaire aux besoins d’un
service normal, dans les limites des crédits qu’il est possible de leur
affecter. Les réductions qu’ils ont subies sont la conséquence de celles
imposées à l’armée.
En inscrivant au budget la composition normale qu’il
convenait de donner à l’armée, je n’ai été mu que par de hauts intérêts de bien
public sans entendre par là préjuger la question constitutionnelle qui a été
soulevée. Cette question, du reste, n’est pas aussi simple qu’on pourrait le
croire. De très bons esprits pensent que, par les lois spéciales telles que
celles du contingent, du recrutement, de la position des officiers, de l’école
militaire, de l’avancement, de la perte du grade et des pensions, il a été
satisfait au vœu de la constitution en ce qui concerne l’organisation de
l’armée, autant qu’elle l’a entendu elle-même ; vouloir fixer les détails
organiques par la loi, serait peut-être aussi porter atteinte à la prérogative
royale du commandement. Ce serait, dans tous les cas, donner à l’armée un état
stationnaire, qui deviendrait bientôt rétrograde par les progrès des armées
voisines.
Par cela même qu’elle devrait comprendre toutes les
éventualités, une telle loi serait d’une extrême difficulté à être formulée et
d’un danger très impolitique dans des débats publics, puisque l’exposition
complète de notre système de guerre et de nos ressources devrait en précéder la
discussion.
Toutefois, je n’émets ici ces considérations que
pour faire entrevoir à la chambre des difficultés qui auraient pu lui échapper.
Rien ne me paraît, quant à présent, nécessiter une prompte solution de la
question dont il s’agit, et si, en attendant, mieux éclairé moi-même, je venais
à reconnaître qu’il reste quelque partie de l’organisation à régler par une
loi, je m’empresserais de prendre l’initiative d’une proposition.
Après vous avoir expliqué la composition organique
de nos forces dans tous ses détails, il me restera peu de mots à ajouter pour
justifier le chiffre des allocations portées au budget qui vous est soumis.
Vous aurez déjà remarqué, messieurs, par la
comparaison des crédits accordes pour 1840, 1841 et 1842 et de ceux demandés
pour 1843, que j’ai été au-devant de toutes les économies actuellement
possibles. Quoique le budget de cette année consacre pour l’armée un état
normal et une augmentation d’effectif que réclamaient les besoins de
l’instruction, les exigences du service et la sûreté de l’avenir, tous les
articles concernant la solde, tant des états-majors que des troupes, ont subi
de très notables réductions ; et si les sommes déduites pour vacances et congés
dépassent celles de l’année dernière de 330,070 fr., c’est qu’il fallait
compenser l’excédant de 446,655 fr. pour les officiers d’infanterie et de
cavalerie maintenus au-delà du nouveau cadre, par respect pour les droits acquis.
Cette compensation s’obtiendra sans entraves pour le
service, par des congés à courts termes, accordés hors des saisons de manœuvres
et qui forment un puissant stimulant pour les bons serviteurs, au lieu de les décourager
par un service écrasant, résultant de la réduction des effectifs au-delà des
limites raisonnables.
Les articles augmentés sont, au contraire, dus à des
circonstances indépendantes de l’action du gouvernement, telles que la cherté
des céréales, qui impose une augmentation de 457,007 fr., le casernement, qui
demande en plus 36,248 fr., et le prix des chevaux qui élève cet article de
25,935 fr.
D’un autre côté, le prix de l’adjudication des
fourrages, faite après l’établissement du budget, en dépasse les prévisions de
529 mille fr, et demanderait donc une augmentation de ce chef ; mais pour ne
pas excéder le chiffre des crédits demandés pour 1843, je pense couvrir ce
déficit en reculant l’époque de la remonte et en hâtant celle de la réforme,
pour augmenter ainsi le boni résultant des chevaux manquants.
Je n’hésite donc pas à avancer que le budget ne
porte pas un seul chiffre qui ne soit non seulement justifié, mais encore d’une
nécessité démontrée.
C’est assez vous dire, messieurs,
que je ne me rallie en aucun point aux propositions de la section centrale :
adopter ses conclusions serait donner un déni de justice à ceux qui sont
généreusement accourus à notre appel, pour fonder cette indépendance que vous
venez de consolider ; ce serait sacrifier l’avenir que vous lui avez garanti,
alors même que vous votez des millions d’indemnités pour cicatriser les
dernières plaies de la révolution ; ce serait sanctionner bien imprudemment un
délaissement dont s’effraie avec raison une prévoyance aussi légitime que
fondée.
Mais non, messieurs, vous ne refuserez pas votre
vote au budget qui vous est soumis, lorsque l’organisation qui en forme la base
vous apparaît avec tous les caractères de la régularité pour en justifier
l’adoption.
C’est au nom des intérêts les plus chers du pays que
je vous demande, non un vote de confiance, mais un vote impartial et réfléchi.
M. Lys. - De toutes parts, messieurs, on se plaint de la hauteur des charges publiques
; de toutes parts on réclame des économies dans l’organisation des divers
services ; il est d’autant plus nécessaire de satisfaire aux exigences
légitimes de la nation, qu’il importe à la bonne administration de nos finances
d’établir l’équilibre entre nos recettes et les dépenses. Il est d’autant plus
urgent d’entrer dans cette voie, que la chambre ne doit pas perdre de vue, que
la décision qu’elle va porter est une décision
définitive, enchaînant l’avenir et destinée à grever le budget d’une somme
considérable.
M. le ministre de la guerre réclame l’allocation
d’une somme de 29,455,000 fr., qui, par le
renchérissement du prix des fourrages, devra être majorée de 529,000 fr. Ainsi
le budget est réellement de 29,984,000 fr., et
remarquez-le bien, messieurs, il demande cette somme comme formant le budget
normal de l’organisation militaire du pays.
En effet, messieurs, depuis la publication du
rapport de la section centrale, M. le ministre de la guerre a jugé à propos de
publier divers rapports adressés par lui à Sa Majesté, et il les a accompagnés
de tableaux destinés à justifier le contenu de ces rapports. Cette publication
a lieu de surprendre les membres de la section centrale, car M. le ministre,
après avoir communiqué ces documents, n’avait pas cru pouvoir en autoriser
formellement la publication ; probablement que depuis lors M. le ministre aura
reconnu que cette publication n’avait pas les inconvénients qu’il redoutait ;
probablement que la nécessité de justifier son budget l’aura amené lui-même à
publier les documents qu’il vient de faire distribuer aux membres de la
chambre.
Quoi qu’il en soit, messieurs, cette publication est
d’autant plus importante, qu’elle dessine clairement la pensée ministérielle et
qu’elle met la législature dans le cas de se prononcer, avec connaissance de
cause, sur les allocations demandées.
Voici, messieurs, un passage qu’il importe de vous
signaler :
«Votre Majesté, en accordant sa sanction à ces
divers arrêtés tant pour l’état-major que pour les différentes armes, consacrera
pour l’armée un état normal, établi d’après les exigences les plus impérieuses
du service et de notre position politique dans les limites des ressources
financières qu’on peut y consacrer. D’autres économies ne pourraient se
réaliser sans amener une désorganisation qui porterait atteinte aux
prérogatives du Roi, et serait compromettante pour l’avenir du pays. »
Ainsi, messieurs, le budget de la guerre, tel qu’il
est formulé par M. le ministre chargé de ce département, présente
l’organisation militaire calculée à son état normal sur le pied de paix. La
somme de trente millions en constitue, selon M. le ministre, le chiffre minimum
indispensable pour sauver la prérogative royale et pour maintenir
l’organisation de l’armée telle qu’elle est impérieusement exigée par les
besoins du pays.
La chambre est maintenant avertie ; elle doit se
prononcer entre deux systèmes opposés ; elle doit déclarer si à tout jamais
elle entend grever le budget de l’Etat d’une somme de trente millions. La
chambre doit déclarer si elle entend livrer l’organisation de l’armée au régime
des arrêtés.
D’abord, messieurs, il a toujours été loin de la
pensée de la section centrale de vouloir empiéter sur les prérogatives de la
Couronne ; chacun de nous est pénétré du principe, que du seul respect des
droits consacrés par la constitution peut naître la bonne harmonie entre les
grands pouvoirs de l’Etat, La section centrale n’a donc pas voulu faire de
l’administration, elle a voulu démontrer ce qui était incontestablement dans
son droit, et je dirai plus, dans son devoir vis-à-vis de la chambre et du
pays, elle a voulu démontrer qu’il y avait exagération dans les demandes de M.
le ministre de la guerre ; elle a voulu de plus sauver les droits de la
législature.
Sans aucun doute, le droit de conférer les grades
appartient au chef de l’Etat, mais la constitution ne lui a pas donné et ne
pouvait pas lui donner le droit de créer à volonté des grades, car c’eût été
lui donner le pouvoir de grever les finances de l’Etat, et ce que nous disons est
si vrai, que la force de l’armée fait l’objet de la loi annuelle du contingent
; or, voter le contingent de l’armée, c’est là évidemment une loi faisant
partie de l’organisation, car sans contingent voté par la législature, il n’y
aurait pas d’armée possible, par la seule volonté du pouvoir exécutif.
L’art. 139, § 10 de la constitution, a d’ailleurs
érigé en principe constitutionnel le système de la section centrale ; cette
disposition porte :
Le congrès national déclare qu’il est nécessaire de
pourvoir par des lois séparées, et dans le plus court délai possible aux objets
suivants :
§ 10. L’organisation de l’armée, les droits
d’avancement et de retraite et le code pénal militaire.
Ainsi à côté du principe proclamé par les art. 66 et 68, la constitution a également déclaré qu’il
entrait dans les attributions du pouvoir législatif de décréter l’organisation
de l’armée, c’est-à-dire de fixer le nombre des régiments de chaque armée, de
déterminer le nombre des grandes à conférer. La constitution a voulu établir
l’organisation de l’armée sur des bases plus solides que le régime des arrêtés
; la constitution a proclamé le principe de la nécessité d’une loi organique
destinée à constituer l’armée. Les exigences de la section centrale n’ont donc
rien d’exorbitant, elles n’ont surtout rien d’inconstitutionnel, c’est au
contraire le chef du département de la guerre, qui, oubliant les prescriptions
de notre pacte fondamental, veut étendre le cercle de l’action du pouvoir
exécutif au détriment de la législature.
Nous sommes pénétrés de respect pour les
prérogatives de la Couronne, nous ne voudrions pas, pour notre part, porter
atteinte à des droits qui dérivent de la loi qui nous fait siéger dans cette
enceinte ; mais si nous voulons demeurer les religieux observateurs de la
constitution, nous ne pouvons pas permettre, que sous aucun prétexte, et en
invoquant des principes qui ne sont pas ceux de notre ordre constitutionnel, le
gouvernement parvienne à acquérir le droit de réglementer une matière qui,
intimement liée avec les intérêts les plus chers du pays, ne peut légitimement
être régie que par la loi.
Voyez, d’ailleurs, messieurs, quels sont les graves
dangers de l’état actuel des choses : le ministre de la guerre a, par un simple
arrêté, assimilé les officiers du corps des sapeurs-mineurs, aux officiers du
génie. Or, à part que cette assimilation consacre une injustice criante, cet
acte est entaché du vice d’inconstitutionnalité. En effet, que porte l’art. 124
de la constitution ?
« Les militaires ne peuvent être privés de
leurs grades, honneurs et pensions que de la manière déterminée par la
loi. »
Ainsi, messieurs, la position de l’officier dans
l’armée, son rang dans le grade dont il est revêtu, constitue pour l’officier
des droits qui ne peuvent lui être enlevés qu’en suivant les formes déterminées
par la loi.
Or, que fait l’article du 4 juin 1842, il statue :
que l’avancement de tous les officiers du corps du génie sera commun ; ainsi le
ministre, par un acte de sa volonté, confond la position des officiers de deux corps
qui avaient toujours été distincts. Il détruit toute l’économie de la loi du 16
juin 1836, et bouleverse le système d’ancienneté admis par cette loi.
Rien de plus facile que de prouver que cet arrêté du
4 juin 1842 enlève des positions acquises, et qu’il
déroge à la loi. L’article 50 de l’arrêté du 16 mai 183 porte :
« L’avancement est distinct et séparé pour les
officiers de l’état-major du génie et pour les officiers des troupes de cette
arme. »
Aux termes de cette disposition, les officiers des
sapeurs-mineurs ne pouvaient concourir avec les officiers du génie ; les
positions acquises aux officiers du génie, sous l’empire de cet arrêté, basé
sur une loi, ne peuvent donc pas être modifiés par un arrêté subséquent, à
moins que l’article 124 de la constitution ne soit une lettre morte. Mais ne
vous imaginez pas que l’arrêté du 16 mai 1838 soit le seul acte qui ait réglé
la position des officiers du génie ; l’arrêté du 1er juillet 1835 exigeait que
pour être promu au grade de sous-lieutenant du génie, on eût complété ses cours
à l’école militaire et satisfait aux examens.
La loi du 16 juin 1836, art, 9, confirme cet état de
choses, elle n’admet la promotion des sous-officiers au grade d’officiers
qu’après examen, et cet examen est déterminé par les art.
14 à 17 de la loi du 18 mars 1838 sur l’école militaire. Ainsi, messieurs, la
combinaison des lois du 18 septembre 1838 donne la preuve que les
sous-officiers ne peuvent être revêtus du grade d’officiers qu’en subissant le
même examen que les élèves de l’école militaire ; en d’autres termes,
messieurs, que les conditions d’admissibilité à l’emploi ou grade sont les
mêmes pour tous ceux qui aspirent à entrer dans l’arme du génie ; c’est dans ce
sens et en exécution de ces lois qu’a été porté l’arrêté du 16 mai 1838 ;
ainsi, messieurs, le législateur n’a voulu permettre d’appeler au grade
d’officiers du génie que ceux qui justifieraient préalablement des
connaissances reconnues nécessaires pour cette partie du service militaire ;
c’est là une condition dont il n’est pas permis de se départir. Quel est
maintenant la conséquence et le résultat de l’arrêté du 4 juin 1842 ? C’est que
l’on a créé officiers du génie des individus qui n’avaient pas préalablement
justifié, dans les formes déterminées, posséder les connaissances requises ;
c’est que l’on a érigé en principe que la volonté ministérielle est plus forte
que la loi ; qu’il lui suffit de se manifester, pour suppléer au défaut de
connaissances exigées dans l’intérêt du service, ou tout au moins pour dispenser
de faire la preuve que l’on possède ces connaissances.
Pouvez-vous, messieurs, tolérer de semblables abus ?
pouvez-vous souffrir que l’on se joue de dispositions
décrétées par le concours des trois branches du pouvoir législatif ? A quoi bon
déterminer les conditions requises pour devenir officier du génie, s’il est
permis au gouvernement de dispenser de la loi ? Que deviennent, en présence des
actes du ministre, les garanties d’aptitude que vous avez stipulées dans les
dispositions que l’on a soumises à votre sanction ?
Ce n’est pas tout encore : le système
d’ancienneté, organisé par la loi du 16 juin 1836, est complètement anéanti ;
le rang des officiers du génie n’est plus ce qu’il était avant l’inconcevable
arrêté du 4 juin 1842 ; les officiers du génie peuvent être aujourd’hui primés
par des officiers appartenant au corps des sapeurs-mineurs ; n’est-ce pas se
jouer de la loi de 1836, que de décréter, par un simple arrêté, un système dont
les résultats sont d’anéantir des positions dont l’existence est due à la loi,
et dont le pacte social a garanti si solennellement la conservation. Prenez-y
garde, messieurs, si l’arrêté du 4 juin 1842 reste debout, s’il est exécuté,
vous ouvrez la porte aux abus les plus étranges et les plus criants ; il
suffira de changer les dénominations, de les appliquer à des choses différentes
pour introduire une véritable bigarrure dans l’exécution de la loi de 1836 et
pour la dénaturer.
Ce n’est pas tout, messieurs, je n’ai encore
envisagé l’arrêté de 1842 qu’au point de vue de la légalité ; que sera-ce
lorsque vous remarquerez que cet arrêté a attribue aux officiers des
sapeurs-mineurs une augmentation de traitement, dont nul n’avait soupçonné la
nécessité pendant toute la période qui s’est écoulée depuis notre révolution,
jusqu’après la conclusion du traité de paix avec la Hollande ? Ainsi,
lorsque la guerre était imminente, le gouvernement ne croyait pas à la
nécessité de majorer le traitement de ces officiers ; la paix arrive, des
charges très lourdes, conséquences de cette paix, sont imposées à la Belgique,
et comme corollaire, on augmente le traitement des officiers de l’un des corps
de l’armée !...
En vérité, messieurs, je ne sais quelles raisons
puissantes on pourra invoquer pour justifier l’arrêté de juin 1842 au point de
vue financier, à une époque où, au lieu de voter des augmentations de
traitements et des surcroîts de dépenses, il y a nécessité impérieuse d’opérer
des réductions, et de mettre dans nos dépenses autant d’économie que possible,
sans nuire toutefois au bien du service. Or, il est évident, et nul n’osera
contester ce point, que si, en temps de guerre, les officiers de
sapeurs-mineurs n’ont eu qu’un traitement inférieur à celui qui leur est
attribué par l’arrête de juin 1842, il n’y avait, à plus forte raison, ni
nécessité ni besoin de majorer leurs traitements, et cela en temps de paix.
Ce n’est pas la première fois, messieurs, qu’on a
voulu assimiler le traitement des officiers des sapeurs-mineurs à celui des
officiers du génie. En 1836, un essai a encore été fait par le ministre, et
voici ce que disait à cet égard l’honorable M. Desmaisières, rapporteur du
budget de la guerre de 1837 ; il disait :
« Pour 1836, on avait porté tous les
traitements des capitaines, lieutenants et sous-lieutenants des sapeurs-mineurs
au taux des traitements respectifs des officiers du génie. La chambre n’a voulu
accorder ce fort traitement qu’à ceux qui remplissaient réellement les
fonctions d’officiers du génie, et a opéré de ce chef une réduction de plus de
4,000 fr. Ses intentions à cet égard ont été parfaitement observées par le
ministre, aux développements du budget de 1837. »
Ces considérations vous auront démontré, messieurs,
qu’il importe au pays, qu’il importe à l’armée elle-même, que son organisation
soit régie, non pas par de simples arrêtés, qui n’ont ni fixité, ni stabilité,
mais par une loi déterminant et le nombre des corps et leur classification.
C’est le seul et unique moyen de satisfaire à la fois au vœu des articles 124
et 139 de la constitution. N’est-il pas maintenant bien positivement établi que
les prétentions de la section centrale n’ont rien eu d’exagéré ; que ces
prétentions, loin d’être inconstitutionnelles, sont, au contraire, marqués au
coin de la légalité, et qu’elles ont pour but unique et principal de conserver
le respect dû à tous les droits dont le germe a été déposé dans la loi
fondamentale ?
Après avoir ainsi justifié le système adopté par la
section centrale dont j’ai eu l’honneur d’être l’un des membres, il ne me
reste, messieurs, qu’à justifier les réductions que nous avons cru devoir faire
subir au budget de la guerre, tel qu’il avait été proposé par M. le ministre de
ce département.
Que l’on ne s’y trompe pas, messieurs, la section
centrale ne veut pas faire de l’administration ; ce serait dénaturer ses
intentions et sa volonté, que de lui supposer la velléité de substituer son
action à celle du chef du département de guerre.
Aussi, que proposons-nous à la chambre ? Nous lui
demandons de décréter que le budget pour l’année 1843 soit fixé à une somme
globale de 27 millions. Nous ne voulons imposer à M. le ministre de la guerre
aucun système, nous ne voulons pas le contraindre à adopter plutôt telle
réduction que telle autre, nous avons seulement voulu justifier nos
propositions. Nous avons voulu démontrer à la chambre que les réductions que
nous proposions étaient non seulement possibles, mais que nous avions encore
fait à l’administration une part tellement large, que, rigoureusement, on
pourrait le considérer, comme dépassant les besoins réels du pays.
Quand il s’agit, messieurs, d’établir une base fixe,
pour l’organisation militaire du pays, il faut d’abord commencer par se faire
une idée juste de l’état militaire des puissances voisines. C’est avec ces
puissances que l’on se trouve le plus immédiatement en contact ; il faut par
conséquent régler notre état militaire d’après les principes adoptés par nos
voisins et pour ne sacrifier aucun intérêt, il faut encore consulter la
position politique du pays, dans ses rapports avec les nations étrangères.
Nous avons cru devoir faire l’application de ces
principes dans l’examen du budget présenté par le département de la guerre,
parce qu’il s’agit maintenant d’adopter une base fixe.
La Belgique est une puissance neutre, aux termes des
traités qui constituent son droit public externe.
La Belgique n’est donc pas appelée à jouer un rôle
actif dans les querelles européennes.
Elle doit se borner à la défense de sa neutralité.
La Belgique n’a par conséquent nul besoin d’une armée d’agression ; elle ne
peut et elle ne doit vouloir qu’une organisation militaire destinée à protéger
efficacement la position qui lui a été faite par les traités.
Si on suivait strictement ce principe, si on tenait
exclusivement et uniquement la position que les traités ont faite au pays, il est
évident qu’il y aurait exagération à établir notre état militaire sur un base
proportionnée à la force donnée par nos voisins à leurs armées, car nos voisins
exerçant une influence active sur les destinées de l’Europe, ont dû
nécessairement peser cette circonstance, pour établir les cadres de leurs
forces militaires. Ainsi, messieurs, en prenant pour point de comparaison l’une
des grandes puissances et en calculant l’armée belge sur les proportions
adoptées par cette puissance, il n’est personne qui puisse sérieusement
constater que nous faisons trop peu, au contraire on pourrait encore
raisonnablement prétendre que nous faisons trop.
La France a été prise pour point de comparaison qui
a servi de base aux calculs de la section centrale. Personne ne contestera sans
doute la puissante organisation de l’armée française. Le chef du département de
la guerre en France est un de ces lieutenants de l’empereur dont les capacités
militaires ont été mises à l’épreuve et sur les champs de bataille et dans les
travaux de cabinet.
Ainsi calculer notre armée sur les proportions
données à l’armée française, c’est à coup sûr donner apaisement à toutes les
susceptibilités. Ainsi, messieurs, l’armée belge, basée sur la population, ne
devrait constituer que le neuvième, tout au plus, de l’armée française,
employée dans l’intérieur du royaume de France ; cependant le rapporteur de la
section centrale a été plus large encore ; comme le contingent qui forme
l’objet du vote annuel est environ le huitième du contingent voté en France, et
comme la durée du service militaire est, à peu de choses près, le même dans les
deux pays, on a admis pour base, que l’armée belge pourrait être portée au
huitième de l’armée française. Cette base admise, l’armée belge ne devrait
compter, d’après le rapport de la section centrale, que 920 officiers
d’infanterie, 283 officiers de cavalerie et 141 d’artillerie, l’armée française
ne comptant en moyenne que 7,362 officiers d’infanterie, 2,266 de cavalerie et
1,131 d’artillerie.
L’organisation de M. le ministre de la guerre est
tellement exagérée, qu’elle ne présente qu’une différence en moins de 83
officiers, avec l’armée des Pays-Bas, telle qu’elle était constituée avant la
révolution.
Ce seul exposé, ne fait-il pas toucher au doigt le
vice du système de M. le ministre de la guerre ; nous ne croyons pas que la
chambre puisse jamais consacrer une organisation militaire aussi
disproportionnée aux besoins du pays.
Remarquez, messieurs, que la section centrale n’a
pas, dans ses calculs, tenu strictement au 8ème l’armée française ; elle a été
plus large dans sa manière de faire ; si M. le ministre jugeait à propos de
suivre les indications de cette section, il peut mettre sur pied 1,054
officiers d’infanterie et 20,172 hommes de troupes, il aurait 289 officiers de
cavalerie et 4,379 soldats de cette arme ; enfin l’artillerie, au lieu d’être
établie au 8ème de ce qu’elle est en France, présenterait au contraire, à peu
de chose près, le 5ème de l’effectif français. Voilà, messieurs, quelles sont
les bases présentées par le rapporteur de la section centrale. N’est-il pas
vrai que ces bases concilient et l’intérêt de la défense du pays, et l’intérêt
de nos finances ?
Des suppressions indiquées par le rapporteur de la
section centrale permettront d’appliquer à l’année courante une réduction de
dépenses à concurrence de trois millions.
Ces suppressions consistent d’abord, dans celle du
train d’artillerie destiné uniquement à l’attelage des parcs des équipages de
piège et de pont, et à celui des grands approvisionnements. Il a paru
complètement inutile. N’est-il pas évident que le peu de temps qu’exige
l’apprentissage de la conduite des voitures, que l’instruction donnée à cette
troupe, permettrait de former en très peu de temps des hommes propres à ce
service si le besoin s’en faisait sentir ?
Une seconde suppression concerne la remonte de la
cavalerie et de l’artillerie ; elle résulte de la proposition de supprimer
1,019 chevaux.
Le rapport de l’inspecteur général du génie constate
qu’une somme de 632 mille francs serait nécessaire pour reconstructions et
réparations au camp, quoique cependant la construction n’en remonte pas à une
époque bien éloignée. Nous n’avons pas cru devoir allouer un crédit quelconque,
par la raison que c’eût été consacrer en principe la
nécessité de la dépense de 63 mille francs, somme nécessaire pour faire face
aux réparations dont le camp éprouve le besoin. Il serait impossible, d’un
autre côté, d’indiquer des motifs assez puissants pour maintenir le camp et
assujettir le pays à des dépenses aussi considérables. Il a donc paru que
l’intérêt général exigeait la suppression d’une allocation qui devait avoir
pour conséquence la demande de nouveaux crédits dont l’utilité est plus que
contestable.
Les frais d’entretien de cinq places fortes, dont un
traité impose à la Belgique la démolition, frais qui se renouvellent chaque
année, ont aussi été reconnus tout à fait inutiles.
Peut-on, messieurs, continuer
à vous demander sérieusement des fonds pour semblable entretien. Ne vaudrait-il
pas mieux de rendre dès à présent aux propriétés riveraines de ces forteresses
une augmentation de valeur qu’elles obtiendront incontestablement par
l’affranchissement des servitudes militaires, qui pèsent sur ces terrains.
Les faits vous signalés dans le rapport de la section
centrale, à l’occasion des crédits demandés pour le matériel de l’artillerie et
du génie, démontrent clairement l’exagération qui a présidé à la rédaction de
cette partie du budget. Les cinquante mille francs demandés pour fabrication
d’amorces fulminantes, qui, d’après les données du budget de l’année dernière,
auraient coûté fr. 17-85 le mille, tandis qu’aux budgets français de 1841 et
1842, le prix en serait coté à fr. 4-50 et 4-88 ; le crédit demandé pour
fabriquer des projectiles pour des pièces de 48, pièces qui ne sont plus en
usage, m’engagent à demander ce que la chambre doit penser des bases qui ont
servi édifier le budget de la guerre.
Les réductions proposées amèneront la suppression d’un
grand nombre d’officiers ; il y aurait eu de l’injustice d’appliquer à une
foule de braves les dispositions de nos lois, qui n’accordent aux officiers mis
en non activité que la moitié du traitement d’infanterie affecté au grade dont
ils ont revêtus. Pour concilier les besoins des économies avec les exigences de
l’équité, la section centrale a proposé d’accorder le traitement de
disponibilité de leur arme, aux officiers qui perdraient leur emploi par suite
de cette loi,
Ce système concilie tous les intérêts, il rétablit
même l’avancement pour les sous-officiers, et je ne pense point qu’aucune
plainte fondée puisse être légitimement élevée.
La chambre doit maintenant se
prononcer entre deux systèmes, contradictoires ; il faut opter entre les
dispositions de la section centrale et les propositions du ministère.
Ne croyez pas, au reste, messieurs, que la
proposition de M. le ministre soit le résultat des travaux d’une commission.
Pour apprécier la nature et la portée des travaux de cette commission, il faudrait
savoir si le ministre n’avait pas imposé la nécessité de conserver les cadres
existants ; il faudrait savoir si la commission a pu créer un système complet,
en faisant table rase de tout ce qui existe.
Quoi qu’il en soit, messieurs, vous pèserez les considérations
qui nous sont présentées, et je ne doute pas de l’adoption du système de votre
section centrale, parce que ce système satisfait à tous les besoins réels du
pays, parce que vous ne voudrez pas le grever à tout jamais d’une somme annelle
de trente millions, pour le budget de la guerre, sur le pied de paix.
M. Verhaegen. - Je regrette bien sincèrement de ne plus voir sur nos bancs un honorable
collègue, le seul qui appartînt à l’armée, et dont les connaissances spéciales
nous sont venues si souvent en aide.
Lui, mieux que tout autre, aurait pu défendre une
position qu’on pourrait croire compromise d’après les conclusions de la section
centrale, lui, mieux qu’aucun de nous, aurait pu soutenir des droits que je
considère comme sacrés.
Quant à moi je ne me hasarderai pas à prendre
l’initiative sur des questions de détails, mais je crois de mon devoir de dire
quelques mots sur la question que j’appellerai vitale, celle relative à la
réduction des cadres basée sur la nécessité de faire des économies.
La section centrale, dans ses calculs, n’a tenu
aucun compte du traitement des officiers qui lui ont paru excéder les besoins
du service ; elle en a dit quelques mots seulement à la fin de son rapport.
Voici comment elle s’est exprimée à cet égard :
« Jusqu’ici nous n’avons tenu aucun compte du
traitement des officiers qui nous ont paru accéder les besoins du service.
« Les droits de ces officiers sont consacrés
par la constitution et par la loi sur la position des officiers.
« Cette dernière loi nous a paru rigoureuse
pour des braves qui ont bien mérité du pays et que le besoin seul d’économie
force à priver de leur emploi. Sans aucune distinction d’armes, la loi dont il
s’agit n’accorde aux officiers inférieurs, en non-activité, que la moitié du
traitement d’infanterie affecté au grade dont ils sont revêtus.
« Par dérogation à cette disposition, la
section centrale propose d’accorder le traitement de disponibilité aux
officiers inferieurs qui perdraient leurs emplois dans le cas où les réductions
proposées seraient accueillies par la chambre ; tous les officiers qui seraient
supprimés à la suite de ces réductions jouiraient des deux tiers du traitement
d’activité de leur arme, une somme de 1,155,174 fr.
est nécessaire pour cet objet, etc. »
Ainsi pour une économie de 577,587 fr. formant le
tiers du traitement des officiers qu’on prive de leur emploi, on désorganise
l’armée et on fait une foule de mécontents.
Les réductions sur l’armée proposées par la section
centrale peuvent être envisagées sous deux points de vue généraux :
1° Sous le rapport politique ;
2° Sous celui des intérêts de l’armée.
Sous l’un et l’autre de ces points de vue, je
n’hésite pas à le dire, les réductions sont dangereuses et injustes.
Tous, j’en ai l’intime conviction, nous voulons
consolider ce que la révolution a produit, nous voulons assurer notre
nationalité.
Les traités, il est vrai, nous garantissent la
neutralité, mais il faut que cette neutralité ne soit pas un vain mot, il faut
qu’elle soit réelle, c’est-à-dire, qu’elle soit appuyée par une armée
nationale, respectable par sa force numérique, aussi bien que par son esprit,
organisée de manière à assurer au pays la défense de ses frontières et la
tranquillité à l’intérieur.
Sans entrer dans le vaste champ des théories, on
peut dire, d’après l’expérience de 12 années, que les armées permanentes,
disciplinées et imposantes sont un besoin pour les gouvernements
constitutionnels. En général on ne respecte en politique que ceux qui savent se
faire respecter. Pour arrêter des voisins avides, et en même temps pour
prévenir les efforts des agitateurs, il faut aux gouvernements modernes des
armées sinon nombreuses, au moins proportionnées et à la population et aux
facilités d’envahissement du pays.
Peu à peu les petits Etats ont été englobés dans les
grands Etats, parce qu’ils n’ont pas su se défendre, et si aujourd’hui la
neutralité de la Suisse, qui a su profiter des leçons du passé, est confirmée
par les faits, ce n’est pas à la sympathie qu’inspire la forme de son
gouvernement qu’il faut l’attribuer, mais seulement à son organisation
militaire, qui, au moment du danger, lui assure des défenseurs dans une
population aguerrie et exercée. De simples cantons se sont trouvés en
discussions ouvertes avec des puissances de premier ordre, telles que la France
et l’Autriche, et on n’a cependant pas vu violer la neutralité, uniquement
parce qu’il avait des soldats tout prêts à la défendre, et dernièrement
n’est-ce pas à la bonne organisation militaire qu’on a dû le maintien de la
tranquillité intérieure à Genève ?
On parle souvent des exemples donnés par les
Etats-Unis et par la Hollande ; mais sont-ils bien applicables à ce qui
concerne la Belgique ?
Où sont, autour des Etats-Unis, les voisins en état
de violer la ligne des frontières ? à quoi servirait
une armée permanente largement organisée, là où il n’y a pas d’ennemis à
attendre ?
La Hollande ? mais est-ce
bien là que la Belgique doit ou peut chercher des exemples ? A-t-on oublié que
les événements de 1830 n’auraient peut-être pas eu lieu, s’il avait existé
alors une armée bien organisée, animée d’un esprit homogène ; et qui peut dire
en renouvelant la faute qui, en 1830, amena l’expulsion de la famille des
Nassau de la Belgique, on ne se prépare pas de nouveaux embarras pour une
position identique ?
Tous les hommes sincèrement constitutionnels, et
nous sommes de ce nombre, doivent vouloir aujourd’hui l’ordre et la stabilité
dans les gouvernements ; cet ordre et cette stabilité doivent être assurés par
des institutions à l’abri de toute atteinte, et au premier rang de ces
institutions nous plaçons, sans hésiter une armée bien exercée, organisée avec
soin, et assez nombreuse pour, à la fois, faire face à l’ennemi extérieur et
contenir les factions à l’intérieur.
Il est temps enfin qu’à l’irritation politique,
suite inévitable de grandes commotions gouvernementales, succèdent l’ordre, le
travail et la sécurité. Pour le repos des honnêtes gens, il faut que les
agitateurs de profession sachent bien qu’une prompte répression arrêterait
leurs imprudents efforts ; pour la tranquillité du pays, pour qu’il recueille
tous les fruits de son industrie et de sa position, il est indispensable qu’on
soit convaincu à l’étranger que nous entendons rester Belges, et que nous
sommes prêts à tous les sacrifices pour soutenir notre nationalité.
Pour obtenir ce double résultat, il faut à la
Belgique une armée, sinon nombreuse au moins respectable et par sa force
permanente et par une organisation telle, que cette force puisse facilement et
utilement être augmentée en cas de besoin.
Certes, il est bien, et surtout il est très facile
de parler sans cesse d’économie ; mais en matière de gouvernement, et surtout
lorsqu’il s’agit d’une armée, la véritable économie ne consiste pas en retranchements
de quelques centaines de mille fr., de deux à trois millions même si l’on veut
; l’économie bien entendue est d’obtenir de l’armée tout ce qu’on en attend, de
procurer au pays une attitude honorable aux yeux des étrangers, et en même
temps d’assurer la tranquillité intérieure.
Quand ces points principaux seront obtenus, au lieu
de sabrer les allocations du budget de la guerre qu’on s’occupe à simplifier
l’administration, qu’on la débarrasse des rouages inutiles, que la chambre
donne l’exemple de la considération pour l’état militaire, qu’elle honore comme
ils doivent l’être ceux dont la mission est de mourir, au besoin, pour la
liberté et l’honneur de la patrie, et cela compensera largement quelques sommes
en plus ou en moins qu’il n’est pas de la dignité nationale de marchander avec
ceux qui donnent leur sang en échange d’une solde qu’on semble vouloir leur
disputer chaque année.
Il ne s’agit pas ici de ministère, mais de l’armée,
et cette manière de voir doit dominer toute la question.
Les défenseurs de l’armée doivent surtout se trouver
dans les rangs de ceux qui, en mars 1839, acceptèrent le traité des 24
articles, sous l’empire d’une inexorable nécessité due peut-être en grande
partie aux fautes du cabinet d’alors.
Nous, qui, bien certains que notre jeune et brave
armée recevrait avec enthousiasme l’ordre d’entamer les hostilités, avons
reculé devant la certitude de l’exposer aux suites d’une lutte trop inégale ;
nous qui, en frémissant d’indignation, avons, par un devoir rigoureux, arrêté un
élan qui nous promettait au moins quelque gloire, nous acceptons aujourd’hui
avec empressement, avec orgueil, la mission de défendre cette armée qu’on
voudrait disloquer. Nous tenons à ce que l’esprit qui l’anime se maintienne et
se propage. Le jour où nous aurons besoin d’elle peut n’être pas éloigné ; il
faut qu’alors elle puisse se montrer ce qu’elle a toujours été, dévouée et
obéissante.
Dans la discussion des autres budgets, on a vu
passer toutes les allocations demandées pour les fonctionnaires civils, et
toutes les rigueurs semblent réservées pour les membres de l’armée. On respecte
les droits de ceux qui servent la patrie avec leur plume, et ceux qui mettent
leur sang à sa disposition n’ont aucune garantie, on s’en sert pendant le
danger, puis on les congédie comme des rouages inutiles !
Il n’est cependant pas aussi facile de former de
bons officiers qu’un commis plus ou moins habile.
S’il faut s’en rapporter aux apparences, n’est-on
pas fondé à dire qu’il semblerait que l’intention de quelques personnes serait
d’anéantir peu à peu la carrière des armes, ou tout au moins d’en éloigner les
sujets capables, les hommes les plus dévoués ?
Tout ce qui tient à l’armée est coordonné avec les
règlements sur les manœuvres, sur le service de garnison et sur le service
intérieur, et ainsi, à moins de procéder au préalable à une réorganisation
complète, à moins de coordonner d’abord tous les besoins des différents
services, une suppression partielle de cadres désorganiserait l’ensemble du
service militaire. La section centrale, a dit un honorable préopinant, ne vent
pas faire de l’administration, elle laisse M. le ministre libre de faire son
organisation comme il l’entendra ; et cependant la section centrale réduit le
budget de deux millions et demi, et, pour parvenir à cette réduction, elle
entre dans des détails, elle pose des chiffres. Ces chiffres amènent une
véritable organisation ou plutôt une désorganisation, et la section centrale ne
fait pas de l’administration !
N’oublions pas, messieurs, que l’on peut bien
supprimer des emplois, mais qu’on ne supprime point des hommes : cette foule
d’officiers qu’on veut réduire à la non-activité, à la disponibilité, restent
néanmoins une grande charge pour le trésor et ne sont d’aucune utilité ;
beaucoup d’entre eux n’ont d’autre moyen d’existence que leur traitement, et ce
traitement, s’il est réduit, sera insuffisant, surtout à des pères de famille
comme il y en a grand nombre dans l’armée.
Et puis l’officier privé de son emploi le regrettera
constamment, ses facultés s’affaisseront sous le poids de réflexions poignantes
; il oubliera son métier sans pouvoir s’instruire ; sans avenir, il deviendra
un ennemi acharné du gouvernement, cause de sa disgrâce et de son malheur, et
c’est ainsi qu’on entretiendra, au lieu de les amortir, les divisions
intestines.
Et cependant, dans les circonstances difficiles,
c’est à l’armée que sont confiés l’honneur et l’existence nationale, c’est une
carrière d’abnégation personnelle et de dévouement tout à la fois.
On trouve des fonds pour une foule d’autres dépenses
moins urgentes, pour des séminaires, pour les hauts dignitaires du clergé, et
ces allocations restent sacrées ; y toucher semblerait un sacrilège. Mais pour
l’armée, c’est bien différent. On dit aux officiers : « Puisque vous n’avez pas
eu l’honneur de vous faire tuer et que nous jouissons de la paix, nous n’avons
plus besoin de vous, donc nous vous congédions ; la législature veut des
économies, le hasard ou tout autre cause a voulu qu’on s’occupât de vous en
dernier lieu ; vous payerez pour tout le monde, allez en 2/3 de solde, en
permission, voilà strictement de quoi ne pas mourir de faim. Quand l’ennemi
viendra, nous vous appellerons, mais jusque-là vivez comme vous pourrez ; avec
les économies obtenues sur votre solde, nous aurons des cardinaux mieux
rétribués que les ministres. »
Des témoignages de juges compétents ont constaté que
l’armée belge était une des plus brillantes, des mieux organisées de l’Europe ;
tous, nous savons avec quelle joie nos soldats eussent reçu le signal des
hostilités. Tout cela doit disparaître devant la nécessité de réductions dans
les dépenses, et pour quelques économies qu’on trouvera bien moyen d’utiliser à
de tous autres usages, ou veut, paraît-il, détruire entièrement l’armée ; car
ces prétendues économies auront l’effet le plus fatal. Elles dégoûteront des
hommes qui étaient en droit d’attendre du pays autre chose que des réductions,
et cela moins encore par le fait des réductions elles-mêmes, que par l’espèce
de dédain avec lequel on oublie les services réels et un dévouement qui
méritait de toutes autres récompenses.
Et puisqu’on a parlé d’économies, ce n’est pas en
particulier qu’il faut les envisager, mais dans leur ensemble ; où sont donc
celles introduites dans les autres branches de l’administration, en proportion
avec celles introduites pour l’armée ? Il semble qu’elle seule doive faire les
frais de cette ardeur des réductions ; plus que qui que ce soit, l’armée a bien
mérité du pays, et par une logique assez bizarre, c’est sur elle aussi qu’on
veut faire peser les plus fortes charges !
En vérité tout cela ne
dévoile-t-il pas un système ? ne dénote-t-il pas une
tendance de nature à inquiéter tous ceux qui ont quelque confiance dans
l’avenir de la Belgique ?
Le projet de la section centrale me paraît
dangereux, et je ne veux assumer sur moi la responsabilité d’un pareil acte.
Si des économies étaient possibles, sans disloquer
l’armée, sans toucher à des droits acquis, j’y donnerais volontiers les mains,
j’attendrai la discussion des articles pour énoncer une opinion sur les
détails.
(Moniteur
belge n°90, du 31 mars 1843) M. de
Garcia. - Messieurs, la Belgique, après avoir tendu
pendant dix ans tous les ressorts de l’état de guerre, a conquis enfin son indépendance,
s’est placée comme nation dans la famille européenne et est appelée aujourd’hui
à jouir de tous les avantages et des douceurs de la paix.
Au passage de l’état de guerre à l’état de paix,
tous les peuples, tous les gouvernements ont rencontré des difficultés et des
obstacles assez graves. C’est la position où se trouve actuellement la
Belgique.
A ces époques des intérêts, des prévisions se
trouvent naturellement et forcément froissés. Il est peu d’hommes alors qui
peuvent consentir, sans se plaindre, à sacrifier leurs intérêts à la chose
publique, à se soumettre à la force des choses.
II est pourtant une grande vérité dont on ne peut se
départir, c’est que si les temps de guerre forment la saison de la récolte des
grades et des avancements, le temps de paix ne peut rien présenter de semblable
et doit avoir des conséquences tout opposées. C’est surtout au sortir de cette positon, dans laquelle se trouve la Belgique, que
doivent se faire sentir les inconvénients de cet ordre de choses.
Nous allons jeter un coup d’œil général sur la
situation de la Belgique au point de vue de la force armée, au point de vue de
sa défense, sans égard à des considérations personnelles et en ne conservant
devant les yeux que le véritable intérêt, que l’intérêt bien entendu du pays.
Messieurs, la force et l’organisation de l’armée
doivent être appropriée au système de défense que la Belgique peut être appelée
à devoir déployer dans toutes les circonstances.
Cette force doit être mise en harmonie avec la
dépense que comporte l’état général des ressources du pays.
Vouloir rompre cet équilibre, c’est compromettre le
salut de la patrie ou les sources de la richesse publique.
Cette grave question réclame toute l’attention de la
législature, du gouvernement et du pays.
A sa solution est attaché l’avenir de la patrie,
soit au point de vue de sa défense directe, soit au point de vue des intérêts
du trésor et de la richesse publique, qui seraient mis en danger, si les
dépenses dépassaient les ressources que la nation peut rationnellement
consacrer au maintien de sa force armée.
Pour apprécier cette question, elle doit être
envisagée sans idée de routine, sans préjugés, en présence des traités et de la
situation politique et stratégique du royaume, en présence des sacrifices tant
en hommes qu’en argent qu’on peut utilement employer à cet objet, enfin, en
présence des droits sacrés de braves toujours prêts à verser leur sang pour la
patrie.
Dans l’examen de cette importante question, il faut surtout
se mettre en garde contre toutes idées d’exagération, soit quelles aient pour
objet de porter notre armée à un chiffre trop élevé, soit qu’elles aient pour
objet de la réduire à un chiffre trop bas et insignifiant qui pourrait
compromettre le repos intérieur et le salut public.
Si l’on voulait gagner la popularité de quelques
hommes, l’on exigerait sans doute que cette armée soit grande et nombreuse ou
qu’au moins le nombre des officiers y soit en disproportion avec le nombre de
soldats qu’ils sont appelés à commander.
Si l’on voulait, au contraire, gagner la popularité
du peuple, du peuple qui soudoie l’armée, qui est appelé à en remplir les
cadres, on demanderait qu’elle fût minime et réduite au plus petit nombre
possible.
Ni l’une ni l’autre de ces popularités ne pourront
me séduire, ni avoir la moindre influence sur l’opinion que j’aurai à émettre
sur la matière. Ce sont deux écueils que nous devons soigneusement chercher à
éviter pour ne pas compromettre l’ordre intérieur et l’indépendance nationale.
La grande question de l’armée en Belgique, pour être
résolue avec sagesse, doit être envisagée au double point de vue de l’état de
paix et de l’état de guerre.
Examinons d’abord la question au point de vue de
l’état de guerre.
Un fait remarquable, unique peut-être dans
l’histoire, c’est que toutes les grandes puissances européennes ont, par un
traité solennel, à la suite de notre régénération politique en 1830, reconnu et
consacré notre neutralité, notre indépendance.
Les considérations politiques qui ont amené ce
résultat, conséquence des principes déjà consacrés par le congrès de Vienne, se
révèlent, à l’évidence, à quiconque veut les rechercher, à quiconque veut jeter
les yeux sur l’histoire du passé.
On n’a pas voulu que notre belle patrie, si riche,
si avantagée par la nature, si heureusement placée dans le monde, fût attribuée
à l’une ou à l’autre des grandes nations qui l’environnent et rompre ainsi
l’équilibre entre les forces des puissances européennes.
Tout récemment, à l’occasion d’une polémique entre
les journaux allemands et les journaux hollandais, la Gazette de Berlin nous a révélé toute la portée de ce grand
œuvre diplomatique. Voici comment s’exprimait cette feuille que l’on considère
généralement comme l’organe du gouvernement : « La neutralité de la Suisse au
midi, celle de la Belgique au nord, ont été établies par des traités auxquels
ont pris part toutes les puissances. Comme les colonnes du temple de la Paix,
auxquelles il n’est permis à personne de toucher impunément, ceux qui menacent
cette neutralité menacent sans aucun doute la paix européenne. »
Peut-on dire plus clairement que toutes les
puissances de l’Europe viendraient défendre l’indépendance nationale si aucune d’elles avait l’imprudence de la menacer d’envahissement ?
Les grandes puissances de l’Europe, en déclarant la
Belgique Etat neutre, ont eu non seulement en vue de conserver une sorte
d’équilibration entre elles, mais on peut encore prétendre qu’elles ont voulu
atteindre un but militaire si des conflits et des guerres nouvelles pouvaient
s’élever entre la France et l’Allemagne.
La neutralité de la Suisse et celle de la Belgique
ont pour résultat de diminuer les grandes lignes de défense qui séparent les
puissances du nord de celles du midi. Supprimez, en cas de guerre, ces deux
neutralités, et l’Allemagne et la France sont obligées de disperser leurs
forces depuis Gènes, sur la Méditerranée, jusqu’à Mayence et de là jusqu’à
Dunkerque. Admettez, au contraire, cette double neutralité, la ligne de contact
entre ces grandes puissances se réduit, en Italie, à la ligne des Apennins, en
Allemagne, à la ligne de Huningue à Mayence.
Dans l’état de choses actuel de l’Europe, et à moins
que l’une ou l’autre des puissances qui ont concouru à la consécration de la
neutralité de la Belgique ne veuille faire la conquête de ce dernier pays, ce
doit être inévitablement sur les lignes que nous venons d’indiquer, que se
concentreront les grandes masses des parties belligérantes et que se videront
les querelles futures de ces nations.
Pour les armées du Nord, la ligne la plus directe
pour arriver au cœur de la France et atteindre sa capitale, part de la ligne du
Rhin, située entre Bâle et Mayence. Pour les armées de France, cette même ligne
offre également la base la plus avantageuse pour déboucher en Allemagne.
L’on a souvent dit et répété que la Belgique est un
grand champ de bataille où doivent se vider les grandes querelles européennes.
Cette assertion, qui a pu être exacte aussi longtemps que la Belgique ne s’est
point appartenue à elle-même, que sa neutralité n’a point été consacrée,
qu’elle n’a été soumise à quelqu’une des puissances du continent, n’est plus
aujourd’hui qu’une assertion vide de sens, mensonge réfuté par la force des
choses. Dans le passé, l’on combattait en Belgique pour la conquérir ou la
garder. Toutes les puissances éclairées par l’expérience ont dû reconnaître
qu’elle ne pouvait devenir le domaine d’aucune d’elles.
Il faut donc le reconnaître, l’état de guerre pour
la Belgique, ne peut se présenter que dans des cas très rares, lorsqu’il
surgira eu Europe un ordre irrégulier de choses, un esprit d’envahissement, tel
que celui qu’a présenté l’ambition de Louis XIV, la révolution de 89 et
l’empire de Napoléon, événements qui bouleversent toutes les notions du droit
des gens et auxquels il ne peut être demandé compte ni des traités ni de la foi
jurée, événements contre lesquels la Belgique, réduite à ses seules forces, ne
pourra jamais lutter directement.
C’est dans la seule prévision de ces événements
extraordinaires, que la défense de la Belgique doit être organisée.
Livrée à elle-même, la Belgique, dans son état
d’infériorité, vis-à-vis de ses puissants voisins, ne peut espérer, dans ces
cataclysmes politiques, de résister victorieusement à leurs attaques ; et tout
son système de défense doit indubitablement reposer sur les moyens de mettre
son gouvernement à couvert pour attendre les secours de ses alliés nécessaires.
Il existe en Belgique deux opinions différentes sur
la manière de défendre le pays.
L’une consiste à remettre à l’armée de ligne la
défense des citadelles et des places fortes. Ce système présente de graves
inconvénients ; le premier sera d’absorber toute ou la plus grande partie de
l’armée, le deuxième, qui n’est que la conséquence du premier, sera de ne pouvoir
prévenir l’irruption d’une armée envahissante, qui, dans l’espace de quelques
jours, pourrait occuper le cœur du pays et la capitale elle-même.
Un résultat semblable, qui nous paraît inévitable,
aurait les conséquences les plus déplorables. La confiance serait ôtée aux
troupes comme aux populations ; le gouvernement et la royauté perdraient leur
prestige et l’on verrait bientôt les places fortes se tendre, les unes après
les autres, ainsi qu’il est arrivé dans des crises semblables.
Nous ne pouvons regarder ce premier système comme le
meilleur, ni le plus utile pour la défense de la patrie ; nous le considérons
même comme dangereux, comme inadmissible.
La seconde opinion consisterait à confier la garde
des places fortes à une garde civique fortement organisée, aidée d’une petite
partie de l’armée de ligne prise dans les armes spéciales ; à réserver le gros
de l’armée de ligne pour attendre l’ennemi dans une position favorable, lui
livrer une bataille décisive, s’il y a lieu et, dans tous les cas, pour couvrir
le gouvernement dans une grande place forte qui aurait des communications
immédiates avec la mer.
La manière et les principes nouveaux d’après
lesquels se fait la guerre depuis 50 ans nous apprennent qu’une ligne de places
frontières ne peut plus arrêter les grandes armées manœuvrières.
A l’appui de cette opinion, il nous suffit de citer
l’exemple des dernières guerres dont l’Europe a été le témoin.
En 1794, les Français assiégeaient Charleroy, et
malgré cet obstacle, passant la Sambre en amont et en aval de la place, ils
livrent la fameuse bataille de Fleurus qui les rend maîtres de la Belgique.
En 1806 et 1807, aucune des grandes places dont la
Prusse est hérissée, n’arrête la marche des armées françaises qui, en pris de
tenaille, se rendent maîtresses de l’état le plus militaire de l’Europe.
En 1814 et 1815, les places des lignes de la
Vistule, de l’Oder, de l’Elbe et du Rhin, ni de la France n’ont pu arrêter la
marche des alliés sur Paris. Après la bataille de Waterloo, la fameuse ligne du
nord a été franchie au pas de course par les armées anglaise et prussienne.
En France, on a été tellement pénétré, dans ces
derniers temps, de l’idée que les lignes de forteresses n’arrêtent plus les armées
ennemies, qu’on a dû s’occuper longuement et fructueusement, selon moi, des
moyens de remédier à cet état de choses : de là le projet de fortifier Paris,
de l’entourer d’une enceinte extérieure de forts capables d’abriter le
gouvernement et une armée tout entière qui serait refoulée de la frontière.
Cette conception est, à mes yeux, l’œuvre de la plus
profonde politique et le résultat de l’expérience la plus éclairée.
M. Van Cutsem. - Cela n’a rien de commun avec le budget.
M. de Garcia. - J’entends à côté de moi dire que les considérations que je présente
n’ont rien de commun avec le budget. Messieurs, ces considérations se
rattachent directement à la défense du pays, et, par suite, à l’organisation de
l’armée. Elles ont pour objet de vous montrer quelle doit être la véritable
force de la Belgique. A cette force se rattache invinciblement l’appréciation
de l’organisation et du chiffre de l’armée. Dès lors, je pense que les idées générales
que j’ai l’honneur de vous soumettre se rattachent directement et parfaitement
au sujet qui nous occupe, au budget de la guerre.
On ne doit pas induire de ce qui précède que nous
contestions d’une manière absolue l’utilité des places fortes ; nous apprécions
tous leurs avantages lorsqu’elles sont placées sur des points stratégiques
d’une grande importance, mais nous voulons que cette défense n’absorbe qu’une
faible partie de l’armée qui, dans les cataclysmes politiques que nous avons
signalés, doit être essentiellement destinée à livrer une bataille décisive à
l’ennemi, et, dans le cas de revers ou de retraite forcée, à couvrir le
gouvernement dans une place inexpugnable.
Dans ce système, la première chose à examiner est de
savoir quelle place on choisira pour refuge à l’armée et au gouvernement.
La Belgique ne possède que deux places fortes,
Anvers et Ostende, qui soient en communication immédiate avec la mer.
Quant à Anvers, l’histoire nous apprend qu’au 16ème
siècle, cette ville, dernier refuge du gouvernement national révolté contre
l’Espagne, succomba devant le siège qui en fut fait par le duc de Parme.
Le dernier siège de la citadelle d’Anvers en 1832 a
de nouveau fourni la preuve que rien n’est plus facile que de rompre les
communications de la place avec la mer. Dans ces derniers temps, comme au 16ème
siècle, ce fut en vain que la flotte hollandaise chercha à remonter l’Escaut et
à ravitailler la garnison de la citadelle.
Cette place succomba sans pouvoir obtenir les
secours qui lui étaient nécessaires.
Si nous consultons maintenant l’histoire de la ville
d’Ostende au XVIème siècle, nous verrons que sa position offre de grands
avantages sur celle d’Anvers.
Tandis que la Belgique était forcée d’accepter le
nouveau joug de l’Espagne, Ostende, conservant ses libres communications avec
la Hollande, la France et l’Angleterre par la mer, fut la dernière ville qui
conserva sur ses tours le drapeau de l’indépendance. Il ne fallut pas moins de
trois années de siège et du génie de Spinola, le plus grand général de son
époque, pour que l’armée espagnole puisse s’en rendre maîtresse.
Cette seule citation suffit pour prouver qu’au cas
de guerre ; au cas d’un esprit anormal dans les États européens, au cas de
revers enfin, Ostende doit servir de refuge à l’armée et au gouvernement.
D’autres considérations et des faits tirés de l’histoire de nos jours et de
l’expérience, démontrent, à l’évidence, les avantages qui doivent résulter du
système que nous venons d’indiquer.
Si nous consultons le résultat des guerres d’Espagne
et de Portugal, de 1807 à 1814, nous avons une nouvelle preuve de l’importance
et de la haute portée de la question que nous venons de soulever
L’Angleterre, qui prit, comme on le sait, la haute
direction des opérations militaires dans ces deux pays, prévit que leurs forces
nationales ne seraient pas en état de lutter contre les armées françaises, et
que toute la Péninsule pouvait tomber au pouvoir de Napoléon. Mais, que lui
importait la soumission du reste du pays, pourvu qu’elle y conservât deux
grands points d’appui inexpugnables, libres dans leur communication avec la mer
et où pût toujours flotter le drapeau des deux nations ! Ces deux places furent
Cadix pour l’Espagne, Lisbonne pour le Portugal.
Ce système fut couronne du succès le plus complet,
et comme l’avaient supposé les grands hommes politiques de l’Angleterre, la
conquête de l’Espagne et du Portugal ne put être consommée aussi longtemps que
le drapeau national flotta sur les tours de Cadix et de Lisbonne ; la grande
voix des cortès y rappela toujours la nationalité et proclama aux Espagnols
comme aux Portugais et au monde entier, qu’il existait encore un gouvernement
qui protestait contre l’invasion étrangère.
En présence de ces faits et de ces résultats qui
nous sont révélés par l’histoire, en présence de l’expérience qui parle
toujours plus haut que toutes les théories, en présence de la position
particulière et spéciale de la Belgique, où, de la capitale, du centre du pays
à la frontière, il n’y a qu’un rayon de vingt lieues, où nous croyons
incontestable qu’une armée envahissante pourra toujours arriver en très peu de
jours au cœur du pays, toute la question de la défense de la patrie se réduit à
trouver les moyens de mettre, dans tous les cas, le gouvernement national à
couvert et dans un lieu de sûreté, à assigner le rôle qu’aurai remplir l’armée,
à donner à cette dernière le chiffre et la force nécessaire pour atteindre ce
grand but national.
M. Fleussu interrompt l’orateur.
M. de Garcia. - Je vois sans cesse devant moi M. Fleussu m’interrompre en parlant et en
couvrant ma voix ; libre à lui de ne pas m’écouter, mais je le prie de vouloir
cesser ces interruptions…
Messieurs, jusqu’ici la force active de l’armée, au cas
de guerre, a été portée au chiffre de 80,000 hommes de troupes de ligne. Cc
nombre est trop fort ou trop faible si on le considère au véritable point de
vue des choses. Veut-on que la Belgique résiste seule à l’invasion de l’un de
ses puissants voisins, 300,000 hommes suffiraient à peine pour garder la
campagne et les places que possède le pays. Ce n’est pas tout, il faudrait des
centaines de millions pour l’approvisionnement convenable de nos nombreuses
citadelles et villes fortifiées. Je serais curieux de connaître le montant des
dépenses nécessaires à cette fin et je désirerais que le ministre de la guerre
voulût nous éclairer sur ce point. Je suis convaincu que nous tous
reconnaîtrions l’impossibilité d’atteindre ce but et de conserver d’une manière
utile les places fortes.
Poser directement et nettement ces questions, c’est
démontrer à l’évidence que la chose ne peut se réaliser.
Veut-on que la Belgique prenne le système de défense
que lui assignent sa position naturelle et ses ressources financières, alors
nous croyons que le chiffre de 80,000 hommes est trop élevé et qu’une armée de
70,000 hommes serait parfaitement en harmonie avec les ressources de la nation
et avec le système de défense à opposer sérieusement à une invasion ennemie.
Du reste, on conçoit aisément que ce n’est pas la
force numérique des armées qui décide de leur succès, mais bien les éléments
dont elle se compose. Dès lors, le but auquel nous devons viser essentiellement
est d’avoir une armée composée de bons et de vieux soldats, une armée bien
disciplinée et faite au métier des armes.
Dans notre manière de voir, il faut à la Belgique
une organisation armée telle qu’en cas de guerre elle puisse réunir 70,000
hommes de troupe de ligne, 50,000 hommes pour tenir la campagne et pouvoir livrer
bataille à l’ennemi devant la capitale, si les circonstances sont favorables ;
sinon, il faut que cette armée puisse couvrir le gouvernement, protéger sa
retraite dans une grande place forte, inexpugnable et reprendre ensuite
l’offensive contre l’ennemi de la patrie avec le secours de nos puissants
alliés.
Une position semblable aura toujours un effet moral
immense sur les populations comme sur l’armée elle-même. Avec 50,000 hommes,
l’on peut toujours livrer bataille dans des circonstances favorables, et si des
revers doivent suivre cet acte de courage d’une nation, il faut au moins
qu’elle ait posé un de ces grands actes qui excitent l’admiration et qui font
pardonner les grandes infortunes des peuples.
Tous les grands capitaines doivent leurs plus beaux
faits d’armes à des armées de 50 à 60,000 hommes.
Turenne n’a jamais commandé à des armées qui
dépassaient ce nombre.
Napoléon a cueilli ses plus beaux lauriers dans les
campagnes d’Italie et de France à la tête de petites armées.
L’Angleterre a toujours procédé avec de petites
armées, préférant la qualité au nombre, et le système qu’elle a suivi a été
justifié par des résultats dans ses campagnes de la Péninsule de 1807 à 1814 et
dans celle de Belgique en 1815.
L’état de neutralité de la Belgique est une raison
de plus pour qu’elle adopte un système semblable. La Belgique, dans son état de
neutralité, ne peut guère aspirer et ne peut aspirer aucunement, disons-nous,
aux idées de conquêtes, d’expéditions lointaines ni de victoires que peuvent se
promettre les grandes nations de l’Europe ; mais ces avantages, plus
chimériques que réels, peuvent se compenser par des résultats, par des
bienfaits incontestables qui doivent naître de la paix et de la position même
assignée à la Belgique par les traités.
Nous terminerons en jetant un coup d’œil rapide sur
la défense naturelle que trouve la Belgique dans ses alliances et dans le
secours des puissances nécessairement intéressées à faire respecter son
indépendance et sa neutralité.
Ces alliances constituent la véritable force
défensive du royaume et, comme nous l’avons dit plus haut, l’organisation de
l’armée belge doit aboutir directement et exclusivement à mettre le pays en
mesure de pouvoir attendre leur secours.
Les nations les plus intéressées à la neutralité et
à l’indépendance belges, sont incontestablement, en cas d’attaque de la part de
la France, la Hollande, l’Angleterre et la Prusse et, en cas d’attaque de ces
dernières ou de l’une d’elles, la France, comme elle l’a prouvé en 1831,
n’hésitera pas à secourir la Belgique.
Depuis que la Belgique s’est constituée en nation
indépendante, elle doit être considérée par la Hollande comme un boulevard
avancé destiné à la mettre à l’abri de la France. L’histoire vient encore à
l’appui de ce que nous disons. Pendant la guerre de la succession, la Hollande
participa à toutes les coalitions qui se formèrent contre la France.
Ce fut sous l’influence de ces idées que se fit le
traité des barrières, qui remettait à la Hollande la garde de plusieurs de nos
places frontières. Ce fut enfin sous l’influence de ces idées que le congrès de
Vienne enfanta la création du royaume des Pays-Bas. Cette politique naturelle
sera inévitablement celle que suivra la Hollande, à l’avenir, sans idée de
retour à un ordre de choses que cet Etat, comme l’Etat belge, considèrent et
doivent considérer dorénavant comme impossible.
L’Angleterre ne s’intéresse pas moins à notre
indépendance, spécialement à cause du port d’Anvers, capable de renfermer une
grande flotte, qui pourrait à l’improviste, et dans l’espace de 36 heures,
surprendre la grande métropole de l’Angleterre. Jamais elle n’oubliera que
l’illustre de Ruyter, partant des côtes de la Hollande et profitant de
l’absence de la flotte anglaise, vint incendier les chantiers et détruire les
vaisseaux dans la Tamise. Aussi le cabinet anglais n’a-t-il jamais conclu la
paix avec la France avant l’évacuation de la Belgique, et c’est en vain qu’on
m’objecterait le traité d’Amiens, qui n’a jamais été considéré que comme une
trêve par les deux parties.
Remarquons jusqu’où l’Angleterre pousse sa
prévoyance à l’égard d’Anvers. En 1815, elle provoque la création du royaume
des Pays-Bas, mais craignant que la Hollande ne relève l’ancien éclat de sa
marine, elle fait décréter par l’Europe que jamais Anvers ne pourra devenir un
port militaire.
La Prusse est aussi intéressée que la Hollande et
l’Angleterre à secourir efficacement la Belgique, si elle était menacée par la
France.
Il faut donc le reconnaître, la véritable force de
la Belgique est dans sa neutralité, est dans l’intérêt que toutes les
puissances qui ont constitué son indépendance nationale ont à conserver cette
nationalité.
Dans cette situation, l’Etat belge ne peut avoir
qu’un but, un seul but utile, c’est de profiter de sa position avantageuse,
c’est de ne point s’épuiser en efforts superflus, en dépenses inutiles pour une
défense garantie par la force des choses ; c’est de se mettre en mesure de
pouvoir attendre le secours des nations qui ont un intérêt direct et
incontestable au maintien de notre nationalité, si elle pouvait être attaquée
un jour. Nous le répétons, ce but ne peut être atteint qu’autant qu’une armée
bien organisée puisse couvrir le gouvernement national et que gouvernement et
armée trouvent un refuge dans une grande place forte directement en
communication avec la mer.
Aidée des puissants auxiliaires que la Belgique tire
des circonstances encore plus que des traités les plus solennels, elle doit
être considérée comme l’une des puissances les mieux consolidées du monde.
L’histoire du passé, l’expérience des fastes
politiques de l’Europe présentent la preuve irréfragable de ce que nous
avançons. Dorénavant toutes les nations européennes doivent renoncer à l’idée
de faire et de conserver la conquête de notre belle patrie.
Dans des temps anciens, la Belgique, vassale des
rois de France, n’a jamais été qu’imparfaitement soumise à son suzerain, au
pouvoir dont elle relevait. Postérieurement l’Espagne, l’Autriche, la France,
la Hollande, ont vainement possédé la Belgique, en vertu de traités ou de
conquêtes la Belgique successivement a échappé à la domination de toutes ces
puissances.
Une seule circonstance, je le dis à regret, peut
perdre notre belle patrie, peut en amener le partage, comme nous l’avons vu
dans les temps modernes de la Pologne, ce serait nos divisions intérieures et
intestines.
Dans cette hypothèse, que, j’espère et je souhaite,
nul de nous ne verra, toute espèce d’armée et de défense contre l’invasion
étrangère sera inutile, sera sans résultat.
En résumé, messieurs, d’après les considérations que
nous avons eu l’honneur de vous soumettre, nous pensons que l’Etat belge réduit
à ses seules forces, ne peut résister victorieusement aux attaques
d’envahissement qui pourraient être tentées par quelques-uns de ses puissants
voisins.
Nous pensons que l’Etat belge doit tirer un appui
immense et sa principale force, du secours de ses allies naturels et forcés, en
prenant une position défensive telle qu’elle puisse les attendre en créant une
armée et en ayant une grande place forte où gouvernement et armée puissent se
retirer dans toutes les circonstances et sur les tours de laquelle puisse
toujours flotter le drapeau de la patrie.
Nous pensons que ce but serait complètement atteint
si, pour le jour du danger, l’on avait une organisation de l’armée et le la
garde civique telle qu’on puisse réunir une armée de ligne de 70,000 hommes ;
50,000 hommes pour couvrir le gouvernement et 20,000 hommes auxquels on
confierait, avec une garde civique fortement organisée, la défense des places
frontières de quelque importance stratégique.
Nous pensons que ce but ne peut être atteint qu’en
réformant la loi du contingent de l’armée et du service de la milice nationale,
lois qui sont vicieuses et qui ne contiennent pas les principes d’une bonne et
forte organisation militaire.
Nous pensons que ce but serait atteint si le
contingent de l’armée, qui est actuellement de 100,000 hommes, était réduit à
70,000, si le service actif de la milice nationale, qui est aujourd’hui de 4
ans, était maintenu, mais maintenu dans ce sens que les hommes qui en font
partie soient réellement sous les drapeaux, mesure qui donnerait toujours à
l’armée le chiffre de 27 à 28,000 hommes, chiffre généralement reconnu
nécessaire et suffisant pour l’ordre intérieur en temps de paix. Nous pensons
enfin que ce but serait atteint si le service de la milice nationale était
porté à dix ans au lieu d’être porté à huit ans comme il l’est aujourd’hui,
mais en exigeant toutefois qu’après les 4 ans de service effectif, les
miliciens seraient renvoyés chez eux et ne pourraient être rappelés sous les
drapeaux que par une loi.
Nous pensons qu’en adoptant cette
mesure, la Belgique trouverait dans toutes les circonstances une armée de
70,000 hommes de bons et de vieux soldats capables d’opposer toute la
résistance que comporte la situation et les ressources du pays.
Loin de moi, messieurs, la pensée ni la prétention
de vouloir régenter mon pays en cette matière, ni de vouloir lui imposer ma
manière de voir.
Je n’ai présenté les idées que je viens d’avoir
l’honneur de vous soumettre qu’après avoir consulté des spécialités militaires
et j’ai cru que dans l’acquit de mes devoirs, je ne pouvais m’abstenir
d’énoncer mon opinion sur l’importante matière qui nous occupe.
Une seule pensée m’a guidé, la conviction intime
qu’elle pouvait être mise avec succès en pratique et qu’elle pouvait être utile
à mon pays.
M. Brabant, rapporteur. - Messieurs, il est inutile de se jeter dans des considérations générales
; je me tiendrai purement et simplement dans les faits du budget.
La section centrale n’a pas voulu détruire l’armée,
elle n’a pas voulu porter atteinte aux droits acquis par les officiers ; elle
rappelle formellement la garantie qui leur est donnée par l’art. 124 de la
constitution. Mais, messieurs, en présence de la situation financière du pays,
devait-elle laisser subsister des charges qui ne sont pas suffisamment
justifiées, des charges que le gouvernement a, pendant nombre d’années, déclarées
devoir être considérablement réduites ? Elle ne l’a pas pensé, messieurs,
et c’est par un examen consciencieux, par un examen fait sans préjugé de la
situation des armées voisines, qu’elle a procédé au travail des réductions
qu’elle vous propose.
M. le ministre de la guerre a comparé les sommes
employées dans les pays voisins pour l’entretien de l’armée avec le montant des
revenus publics. Il était difficile de suivre tous ces chiffres ; je ne sais à
quelle source ils ont été puisés ; mais je vais donner lecture de chiffres plus
positifs qui ont été extraits, non pas des budgets, mais des comptes sur des
exercices réalisés en France. Ces chiffres sont pris, en grande partie, sous
l’époque de la restauration, parce qu’il m’a été difficile de trouver les comptes
postérieurs. Cependant j’ai deux années en effectif.
Un illustre maréchal, sous le ministère et par les
efforts duquel l’armée française fut constituée sur une base nationale, M. le
maréchal Gouvion-Saint-Cyr, en proposant la loi sur le recrutement de l’armée
en 1818, fixa sa force sur le pied de paix à 240,000 hommes. Il fallut quelque
temps pour que cette disposition fût réalisée.
Dès 1824 l’armée se composait de 18,158 officiers et
de 217,866 hommes de troupe. Vous voudrez bien vous rappeler, messieurs, qu’à
cette époque il y avait encore une forte partie de l’armée française qui
occupait certaines provinces de l’Espagne. La dépense, d’après la loi des
comptes, s’éleva à 217,963,745 francs.
En 1825, cet effectif se trouvait réduit à 17,433
officiers, et à 207,163 hommes de troupe. La dépense régularisée par la loi du
6 juin 1827, ne s’était élevée qu’à 203,811,805 fr.
En 1826 il y avait 17,413 officiers et 208,382
hommes de troupe. La dépense régularisée par la loi du 6 août 1828 s’était
élevée à 208,858,706 fr.
En 1827 il y avait 17,371 officiers, 208,343 hommes
de troupes, et la dépense régularisée par la loi du 26 juillet 1829, s’est
élevée à 209,840,980 fr.
Ne croyez pas, messieurs, et c’est une idée fausse
assez généralement répandue dans ce pays, que la dépense pour l’armée française
soit comparativement moindre que 1a dépense pour notre armée. Car les armes où
les traitements et la solde sont plus élevés qu’en France, sont, d’autre part,
relativement beaucoup moindres qu’en Belgique.
Un extrait d’un tableau annexé au projet du budget
de 1843 vous fera voir comment cela se décompose. Je n’ai malheureusement pas
fait le relevé moyen de toutes les dépenses du soldat belge, pris dans les
différentes armes.
Mais dans l’arme principale, dans l’infanterie, je
puis assurer que la dépense du fantassin belge est de quelques francs moindre
que celle du fantassin français. Le soldat de l’infanterie française, terme
moyen individuel, coûte par an, 347 fr. ; pour la cavalerie, le chiffre est de
378 fr ; il s’élève à 430 fr. pour l’artillerie, et à 447 fr. pour le génie.
Ces termes étaient beaucoup plus élevés sous la
restauration, et pour ceux des honorables membres qui voudraient examiner la
question plus à fond, je leur indiquerai le rapport fait à la chambre des pairs
par M. le comte Daru sur les dépenses de 1826. Ce rapport est au Moniteur du 25 juillet 1828 ; j’ai aussi
fait, messieurs, la comparaison que j’ai faite pour les officiers, en prenant
pour base, en ce qui concerne les officiers belges, le projet de budget de M.
le ministre de la guerre.
Le terme moyen des officiers de tout grade est
(successivement, en France, en Belgique) :
Pour l’infanterie : fr. 2,433 - fr. 2,491
Pour la cavalerie : fr. 2,671 - fr.
3,380
Pour l’artillerie : fr. 3,065 - fr.
3,270
Pour le génie : fr. 2,893 - fr.
3,579
Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, messieurs,
les chiffres que je viens de citer, sont le produit de la division des hommes,
demandes au budget par le nombre des parties prenantes.
Eh bien, messieurs, la moyenne de ces effectifs est,
à très peu de chose près, celle qui avait servi de base au budget dont nous
croyons devoir nous rapprocher aujourd’hui. Il y avait une légère diminution en
officiers, une augmentation de 800 hommes de troupes, et le chiffre des chevaux
était identiquement le même.
C’était là, messieurs, un état de paix, et un état
de paix qui, quant à la dépense, n’était pas encore approuvée, n’était pas
regardé comme définitif par la chambre des députés ni par la chambre des pairs.
Les événements de la révolution de 1830, ont nécessairement obligé le
gouvernement à de grands déploiements de forces, et rien que dans les trois
premières années qui suivirent la révolution, 1830, 183l et 1832, les dépenses
de l’armée s’élevèrent à un milliard ; mais dès 1833, et dans la discussion du
budget, qui commença le 7 juin 1835, l’honorable M. Passy s’exprima ainsi, en
commençant son rapport sur le budget de la guerre :
« Le projet de budget 1834 évalue les dépenses
à une somme de 226,600,000 fr., dont voici la
répartition :
« Service intérieur : fr. 207,305,000
« Occupation d’Alger : fr. 19,295,000
« Ainsi les sommes réclamés pour les besoins de
la guerre en 1834 sont inférieures de 78,947.488 fr. au montant des crédits
alloués pour 1833, et inférieures de plus de 100 mil. au
total des dépenses accomplies, pendant chacune des années 1831 et 1832. C’est
là, messieurs, une amélioration à laquelle votre commission ne peut
qu’applaudir, mais tout en se gardant bien cependant de l’envisager comme
définitive.
« Que peut être en effet l’effectif normal du
pied de paix ? Pas autre chose que le minimum des forces que la France ne peut
se dispenser de conserver en tout temps afin de subvenir, d’une part, aux
besoins permanents du service intérieur, et de l’autre, au besoin de
l’instruction d’une armée de ligne de 500,000 hommes, etc. »
Vous pensez bien, messieurs, qu’une réduction aussi
considérable, n’a pas pu s’effectuer sans atteindre les cadres, sans les
atteindre profondément ; aussi, au chapitre des dépenses extraordinaires, cet
honorable rapporteur disait :
« Dans ce chapitre apparaît une dépense
nouvelle de 1,695,850 francs pour solde de congé de
2,117 officiers que la suppression des 4èmes bataillons des régiments
d’infanterie de ligne et la diminution de l’effectif des autres armes
laisseront sans emploi. »
Vous voyez donc bien, messieurs, que la mesure
proposée par la section centrale ne s’écarte pas des précédents posés dans un
pays qui doit attacher du prix à son armée, non pas parce qu’elle est pour ce
pays une condition d’existence, mais parce qu’elle est pour lui une condition
de position, une condition de gloire et d’honneur.
« Mais, dit-on, nous atteignons les cadres et par là
nous décourageons l’armée. » Il est fâcheux, messieurs, que les cadres aient
été augmentés hors de proportion avec ce qu’ils devaient être ; il est fâcheux
surtout qu’à la veille d’exécuter le traité qui nous était imposé par la
conférence, on ait fait, au commencement de 1839, de très fortes promotions ;
mais le pays doit-il supporter les conséquences de cet acte, que je ne veux pas
qualifier ? Le pays doit-il en subir pendant longtemps encore toutes les
conséquences ? Doit-il continuer à payer tous les traitements qui ont été
accordés à cette époque ? C’est là, messieurs, une question financière qui est
certainement aussi très importante et qu’il faut résoudre en tenant compte de
celle du bien-être de l’armée, de l’instruction convenable, des moyens de la
mettre à même de satisfaire à sa destination, si tant est que les événements
exigent son action. Eh bien, messieurs, déjà dans le rapport, je vous ai cité
un passage d’un écrivain distingué, d’un écrivain qui s’est servi de l’épée
aussi bien que de la plume et qui est mort en Algérie. Il n’est pas le seul qui
se soit exprimé de cette manière ; plusieurs fois, dans la chambre des députés
et dans la chambre des pairs, en présence des glorieux restes des armées de
l’empire, de semblables paroles ont été prononcées. Voici comment s’exprimait
le général Lamarque :
« M. le ministre de la guerre vous a dit qu’il
faudrait garder tous les cadres qu’il regarde comme essentiels ; mais on a
démontré qu’il était impossible, qu’il serait même ridicule de conserver les
cadres d’une armée de 510,000 hommes. En temps de paix, votre armée sera de 150
à 180,000 hommes ; les régiments seront de 1,000 à 1,200 hommes au plus, et
n’auront que 2 bataillons. Que ferez-vous de ces cadres ? »
M. Lebeau. - Qui était ministre alors ?
M. Brabant, rapporteur. - J’ai oublié le marquer la date, mais ce doit être postérieur à la
révolution de juillet, et, si je ne me trompe, c’était M. le maréchal Soult qui
était ministre de la guerre. Dans tous les cas, je me ferai un devoir de vous
indiquer 1’année où ces paroles ont été prononcées.
A la chambre des pairs, en 1832, lorsque M. le
maréchal Soult était ministre de la guerre, le général d’Ambrugeac
s’exprima ainsi :
« L’axiome qu’en temps de paix il faut
conserver les cadres du temps de guerre, est faux, de toute fausseté, et ne
tendrait qu’à la ruine du pays. Il faudra arriver cependant à une réduction des
cadres. Pour y arriver, il n’entre pas dans les idées d’un esprit français de
rejeter tous les officiers qui en font partie. Il faut les traiter avec faveur,
mais cette faveur se réduit en argent. Ainsi, l’infanterie se compose de 88
régiments ; 67 de ces régiments ont 4 bataillons, 21 en ont 3. Je demande ce
que l’on peut faire de 4 bataillons en temps de paix, où les régiments entiers
sont à peine composés de 1,500 hommes. Ce serait une
dérision d’offrir un bataillon de 400 hommes à commander à un corps
d’officiers. On ne peut prendre l’habitude, l’usage du commandement qu’avec le
nombre d’hommes de l’effectif de guerre. Il vous faut 2 millions pour la somme
des congés accordés à ces officiers. (Nous n’avons pas, depuis quarante ans,
cherché à tirer parti des changements notables qu’a opérés parmi nous la
révolution.) Elle a voulu, avec raison, que tous les citoyens fussent admis à
tous les emplois, que le service militaire fût dû et rendu par tous les
Français.
« Regardez le nombre de nos officiers comparé à
celui des autres puissances de l’Europe. Ne dirait-on pas que nous sommes
dominés par la nécessité d’employer dans les rangs de l’armée une noblesse
nombreuse à laquelle des préjugés ferment toute carrière ? et
lorsque nous avons des soldats les plus intelligents, les plus vite façonnés au
métier des armes, le nombre de nos officiers est au moins d’un tiers de plus
que celui des puissances étrangères. Messieurs, dites la cause d’une telle
aberration ; quant à moi je m’y perds. Je vois toujours avec le plus grand
regret la création d’un emploi nouveau. Cet emploi nouveau est une charge pour
la fortune publique ; il crée un droit et ce droit se résout toujours par une
rente viagère qui, par conséquent, dure aussi longtemps que la vie d’un
officier, et vous oblige d’avoir des cadres aussi nombreux en temps de paix
qu’en temps de guerre. »
Eh bien, messieurs, c’est ce nombre exagéré encore,
c’est ce nombre dont le général d’Ambrugeac ne
pouvait se rendre compte qui a servi de base aux évaluations de la section
centrale.
On a dit, messieurs, que lorsque nous croyions avoir
besoin d’une armée, nous avons flatté les officiers, qu’alors nous leur avons
prodigué les titres de braves, de généreux défenseurs du pays.
Pour moi, je ne serai pas ingrat envers ceux qui
avaient voué leur existence à la défense de l’opinion que je soutenais.
Mais sommes-nous ingrats à leur égard ? Que propose
la section centrale ?
Par une loi que nous avons votée, lorsque nous
étions encore en présence de l’ennemi, on avait fixé le traitement des
officiers dont l’emploi serait supprimé ; on avait assigné à la position de
non-activité, quelle que fût l’arme, le traitement d’infanterie ; on avait fait
une distinction entre l’officier inférieur, depuis le sous-lieutenant et le
capitaine, et l’officier supérieur. L’officier supérieur qui aurait pu vivre
avec sa demi-solde, pouvait être admis aux deux tiers de la solde, tandis que
l’officier inférieur qui avait à peine le strict nécessaire avec sa demi-solde,
n’obtenait que cette demi-solde.
Eh bien, par dérogation à cette disposition, la
section centrale vous propose d’assimiler l’officier inférieur à l’officier
supérieur, en cas de suppression d’emploi par suite des réductions proposées ;
elle propose d’allouer les deux tiers, non du traitement d’infanterie, mais du
traitement de l’arme à laquelle appartient l’officier dont l’emploi serait supprimé.
Messieurs, je vous ai dit qu’en 1833 on proposait,
pour l’année 1834, le renvoi de 2,117 officiers français. Voulez-vous voir
comme on agissait à l’égard de ces officiers ? On ne croyait pas les
maltraiter. C’est un honorable et savant colonel, M. Paixhans,
aujourd’hui général, qui était rapporteur, à la chambre des députés, de la loi
sur l’état d’officier, lui qui accordait (et je ne prendrai ici que les
officiers dont s’occupe le projet de budget) qui accordait au capitaine 1,108
fr. ; au lieutenant 722 fr. et au sous-lieutenant 677 francs. Chacun connaît
les traitements des officiers de ces trois classes d’officiers d’infanterie,
et, en prenant les deux tiers de ces traitements, on verra combien la section
centrale est, je ne dirai pas plus généreuse, mais plus juste que la
législation française.
Messieurs, en vous proposant, du reste, ce que nous
faisons aujourd’hui, on ne peut pas nous taxer d’avoir été hypocrite dans le
langage que nous avons tenu lorsqu’il y avait danger.
Toutefois, l’officier doit savoir qu’il existe des
conditions de commandement pour être bon officier. La science du commandement
ne s’acquiert que par un exercice convenable, et certainement ce n’est pas avec
des squelettes de compagnies comme il s’en trouve dans le budget de M. le
ministre de la guerre, que cette science de commandement s’acquerrait.
L’on avait été averti dès 1832, par le projet de
budget sur lequel nous nous fondons pour demander des réductions. On était
encore en présence du danger ; c’était à la veille du siège de la citadelle
d’Anvers, de cet événement que notre armée considérait comme une atteinte à son
courage et à sa réputation, que l’on proposait le renvoi en demi-solde de 845
officiers de toute arme, et on les renvoyait alors avec des demi-soldes de beaucoup
inférieures à ce qu’elles sont aujourd’hui.
Si de ces considérations nous passons à la
composition de l’armée, telle qu’elle est proposée par la section centrale,
composition, on vous l’a déjà répété nombre de fois, qu’on ne prétend pas
imposer, nous voyons d’abord que pour l’infanterie presque toutes les
compagnies atteignent, à très peu de chose près, l’effectif que M. le maréchal
Soult déclare être indispensable, pour leur donner la consistance nécessaire.
Voici ce que dit M. le maréchal Soult dans une note
qui précède le projet de budget de 1843 :
« La réduction devait donc porter presque en
totalité sur l’infanterie ; mais pour atteindre ce but sans aucune suppression
de cadre, il aurait fallu abaisser l’effectif de chaque compagnie à environ 60
hommes, y compris les officiers, sous-officiers, caporaux, tambours et enfants
de troupes, c’est-à-dire à 39 soldats, qui n’en auraient fourni en réalité que
30 au plus pour le service, en défalquant les malades, les hommes en congé,
etc. ; tandis qu’il est reconnu que les compagnies ne peuvent avoir quelque
consistance et faire un bon service qu’autant que leur force s’élève au moins à
80 hommes.
« Dans cette situation, et après de longues et
sérieuses méditations, le ministre de la justice s’est arrête au parti qui lui
a paru le mieux concilier tous les intérêts engagés dans la question, et qui
consiste dans la suppression, en temps de paix, d’une compagnie par bataillon
d’infanterie. »
La commission que M. le ministre de la guerre avait
chargée de l’examen de l’organisation à donner à l’armée, en restant dans les
limites du budget de 1842, s’exprimait en ces termes :
« Les cadres, maintenus jusqu’à ce jour dans
leur intégrité, se trouvent hors de proportion avec le nombre de soldats qu’il
a été possible de tenir sous les armes, eu égard aux allocations du budget, Les
compagnies, loin d’offrir la consistance qu’il serait désirable de leur voir,
dans l’intérêt de l’instruction et du service, n’ont pas même le personnel
nécessaire pour assurer aux soldats les repos que leur accordent les
règlements. »
Eh bien, messieurs, pour parer à cet inconvénient,
on se borne à supprimer un sous-lieutenant et deux compagnies, et on en laisse
subsister quatre qui n’ont absolument que le cadre : trois officiers et neuf
hommes.
Voulez-vous savoir quelle était l’opinion d’un homme
très compétent sur les cadres vides, d’un homme qui a été longtemps membre du
comité d’infanterie en France ? Le général Laydet
disait, lors de la discussion du budget de 1833, en parlant de l’armée de la
restauration :
« Elle n’était pas ce qu’elle devait être,
parce que les cadres étaient vides ; aussi les expéditions d’Espagne, en 1823,
de Morée en 1829, et d’Algérie en 1830, firent connaître le grave inconvénient
d’avoir des cadres pour ainsi dire sans soldats ; la perturbation fut jetée
dans ces corps par leur versement à grands frais d’un régiment dans un autre. »
Ainsi donc, pour arriver à des compagnies ayant une
consistance suffisante, pour éviter ces cadres vides dont on vous montre les
inconvénients, il faudrait avoir recours à des augmentations très considérables
d’effectif, ou se résoudre à supprimer des compagnies. Ce dernier parti est
celui qui a été adopté par la section centrale, Nos réductions ont-elles été
trop loin ? Une comparaison de notre situation avec ce qu’était l’infanterie
sous le royaume des Pays-Bas, et avec ce qui existe aujourd’hui en Prusse même,
nous prouvera, peut-être, que nous sommes restés dans de justes limites, et que
nous n’avons pas outré le principe d’économie, comme on nous l’a reproché.
L’armée des Pays-Bas en 1830, et d’après un arrêté
organique du 16 juillet 1829, se composait de 77 bataillons, chacun de quatre
compagnies un peu plus fortes, il est vrai, que celles qui vous sont proposées.
Il y avait en plus un officier, deux sergents et deux tambours-cornets ; il y
avait 100 hommes ; tandis que nous n’en proposons que 60, et nous avons puisé cette proposition dans l’effectif attribué par
M. le ministre de la guerre au régiment d’élite.
Dans l’armée des Pays-Bas, aux termes de la
constitution et des lois sur la milice, le soldat ne servait que pendant un an,
et il pouvait être rappelé annuellement pour un mois durant les quatre années
qui suivaient son premier service ; de manière que la durée totale du service
était limitée à seize mois.
Eh bien, messieurs, le projet, tel qu’il vous est
présenté par la section centrale, permet d’incorporer chaque année la partie
des miliciens pour laquelle M. le ministre de la guerre demande les premières
mises, et il autorise le gouvernement à les retenir sous les armes pendant deux
ans, ou vingt-quatre mois ; car il n’y a aucune réduction pour congés ; de
sorte que, comparativement à ce qu’elle était avant la révolution, la durée du
service se trouve aujourd’hui augmentée de 50 p. c.
Le cadre est-il trop faible ? Mais le cadre est tel
que le propose M. le ministre de la guerre, il est tel qu’il existe en France.
Il serait certainement trop faible s’il s’agissait
de verser dans les corps les 60,000 hommes qui, d’après les prévisions de M. le
ministre, doivent constituer l’arme de l’infanterie au pied de guerre. Mais les
80,000 hommes de contingent seront-ils souvent réalisés ? Et en vue
d’éventualités fort éloignées devrons-nous nous imposer un sacrifice aussi
considérable que celui qui nous est demandé ?
J’ai calculé la force à laquelle l’armée belge
pourrait être portée avec les cadres proposés par la section centrale. J’ai
pris la force des compagnies, des escadrons et des batteries dans des
règlements qui peuvent recevoir l’approbation de tout le monde. Ce ne sont pas
des bases d’industriels, ce sont, pour l’infanterie, les bases établies par
Napoléon ; pour la cavalerie, celles qui se trouvent dans le budget français de
1843 ; pour l’artillerie, celles de l’ordonnance du 5 août 1829 ; ce sont les
sommes allouées pour les dépenses à faire, en exécution de cette ordonnance qui
m’ont servi de base. Avec ces cadres, vous pouvez avoir une force, en
infanterie, de 35.556 hommes ; en cavalerie, de 5,623 hommes ; en artillerie,
de 4,737 hommes, et, pour l’arme du génie, 1,864 hommes, comme le demande M. le
ministre de la guerre. Si vous ajoutez à cela la gendarmerie et les officiers,
vous avez un total de 50,635 hommes.
Eh bien, pour un pied de précaution, et j’ose
espérer que ce sera le maximum auquel nous serons contraints de porter nos
forces, dans les querelles de nos puissants voisins, cet effectif est
suffisant, d’après la commission chargée de faire le travail que lui avait
soumis le ministre de la guerre pour la garde de nos forteresses. On a calculé
sur l’existence de 100 bastions à défendre, on a évalué la défense à une force
de 500 hommes par bastion. Je ne sais s’il y en a plus ou moins de cent, je ne
les connais pas, mais je crois pouvoir m’en rapporter à ce qui a servi de base au
travail de la commission. Je ferai remarquer que cette armée de 50,000 hommes
n’a jamais existé depuis la convention du 21 mai 1833. Ce qui a suffi pour
traverser l’époque critique de 1833 à 1839 peut suffire pour des époques qui
seront certainement moins critiques.
Pour la cavalerie, M. le ministre de la guerre,
d’accord avec la commission reconnaît qu’il y a un grave inconvénient à
renvoyer les anciens soldats au jour de l’arrivée des recrues.
M. le ministre pare-t-il à cela par le moyen proposé,
qui est de maintenir 400 hommes d’anciens soldats jusqu’à ce que l’instruction
des miliciens soit suffisante ?
Je vais vous soumettre des chiffres d’effectifs
d’hommes et de chevaux et vous montrer que si l’inconvénient qu’on signale
existe, on n’y remédie pas.
Le projet de la section centrale est basé sur 38
escadrons de 120 hommes chacun, ce qui fait 4,560 hommes. Ces 38 escadrons ont
chacun 100 chevaux, ce qui fait 3,800 chevaux ; je ne tiens pas compte du petit
état-major ; ce qui fait une différence de 760 hommes en plus. Je déduis les
400 miliciens ayant terminé le temps habituel de service et remplacés par 400
recrues.
Les hommes en état de panser les chevaux, se
trouvent après le départ des 400 anciens et l’arrivée des 400 recrues impropres
au pansage, de 4,160 ; le nombre de chevaux étant de 3,800, il y a encore 360
hommes au-dessus du nombre de chevaux. On me dira : mais vous comptez tous les
hommes, et tous les hommes ne pansent pas les chevaux ; mais cette différence
de 360 hommes divisée par 38, nombre des escadrons, me donne pour quotient
neuf, qui correspond au nombre de sous-officiers qui ne pansent pas les
chevaux. Si donc dans cet état de choses les cavaliers se trouvent réduit à
panser trois et quatre chevaux, je dis que le remède auquel M. le ministre de
la guerre a recours est un remède insuffisant, et je crois mieux atteindre le
but en laissant subsister ces 400 hommes pendant toute l’année et en
restreignant le nombre de chevaux. Je vais tâcher d’établir que cela suffira
largement aux besoins d’une bonne instruction.
Il y aura donc 100 chevaux par escadron, comme le
propose M. le ministre de la guerre. Les escadrons actuellement existants, si
j’en crois ce que j’ai vu et ce qui m’a été dit, il n’y en a guère que 4 qui
peuvent manœuvrer ensemble. Chacun de ces escadrons de manœuvre est de 105
chevaux, il en faut 420 pour les 4 escadrons. Ce chiffre n’est pas imaginaire,
c’est celui que propose M. le ministre pour les escadrons de cavalerie qui
iraient au camp pour la présente année. Ceux qui en douteraient peuvent
recourir aux détails sur le camp, page 18 des développements du budget. Il
faudrait donc 420 chevaux pour quatre escadrons d’un régiment manœuvrant
ensemble. Resteraient 80 chevaux pour l’instruction. Mais, dira-t-on, ces 500
chevaux ne sont pas toujours en état de faire le service, les chevaux comme les
hommes sont quelquefois malades. J’ai tenu compte de la déduction à faire de ce
chef, et je crois avoir été large en évaluant à 6 p. c. le nombre des chevaux
momentanément impropres au service ; je fais porter cette déduction sur le 5ème
escadron ; si de 80 vous ôtez 30, il vous reste 50. Ce nombre de chevaux est
suffisant pour les leçons d’équitation à donner aux recrues et même aux vieux
cavaliers.
Pour l’artillerie, M. le ministre de la guerre peut
certainement se prévaloir des connaissances spéciales qu’il a dans cette partie
puisque déjà depuis longtemps il se trouve placé à la tête de l’arme. Il a cru
pouvoir aussi s’étayer de l’expérience du général Evain, qui est encore plus
ancien que lui dans la partie. Mais moi aussi je m’étaierai de l’opinion du
général Evain et je dirai que, dans le budget de 1833, il s’était contenté de
demander 24 batteries ; je dirai que le général Evain, ministre jusqu’en 1836,
n’a jamais eu au-delà de 31 batteries. Eh bien, le projet de la section
centrale en conserve 32 et deux cadres de dépôt, qui peuvent
être organisés en batterie. La section centrale ne conserve pas autant de
batteries que le projet de M. le ministre. Mais si je compare les batteries
constituées d’après l’ordonnance française et la constitution que leur a donnée
l’arrêté du 4 juin 1832, je crois que tout est encore à l’avantage du système
français adopté par la section centrale
Messieurs, le principal argument de M. le ministre
de la guerre pour maintenir tous ses officiers, c’est la nécessité d’avoir des
cadres forts et nombreux pour pouvoir y incorporer de jeunes soldats. Je ne
sais si l’on est encore jeune soldat quand ou a déjà servi deux ans. Je ne suis
pas de la partie, je n’oserais rien affirmer à cet égard, mais je crois pouvoir
m’appuyer sur l’expérience de gens qui s’y connaissent et qui m’ont dit qu’il
ne fallait pas aussi longtemps. Il y a des écrivains qui réduisent jusqu’à un
mois le temps nécessaire pour mettre un soldat d’infanterie en état d’entrer en
campagne. Je n’adopterai pas une opinion qui me paraît exagérée, à cause de
l’extrême limite, mais je crois ne pouvoir mieux faire que d’adopter l’opinion
du général Lamarque, qui dit : qu’il est reconnu, et notre armée en fournit la
preuve, que d’excellents fantassins peuvent être formés en un an, et qu’après
ce temps c’est la guerre seule, et non la durée du service qui peut compléter
leur instruction. Le soldat de six ans de paix n’est pas mieux préparé pour la guerre
que le soldat de deux ou trois ans. Voilà ce que disait le général Lamarque du
soldat d’infanterie. Je crois qu’on pourrait arriver à former tous les autres
soldats dans la même durée de deux années, en ménageant convenablement les
saisons pour l’instruction. Il est inutile d’entrer dans des détails à cet
égard. La seule observation que je ferai, c’est que le gouvernement des
Pays-Bas, qui certainement tenait à défendre la Belgique, qui avait un autre
rôle à jouer que nous, puisqu’elle n’était pas neutre, qu’elle pouvait
contracter des alliances offensives et défensives, et qu’elle avait une
destination spéciale dans sa création, celle de former l’avant-garde du Nord
contre la France, le gouvernement des Pays-Bas se contentait de tenir ses
cavaliers pendant deux ans.
Quant au contingent de miliciens qu’on incorpore
annuellement dans les régiments de cavalerie, M. le ministre de la guerre
demande 400 hommes ; c’est le chiffre de l’année dernière, c’est aussi celui de
cette année ; il ne demande de première mise que pour 400 hommes à
incorporer. C’est à peu près douze miliciens chaque année ; en les conservant
pendant deux ans, c’est 24 miliciens, et le projet de loi alloue 131 hommes par
escadron ; il en reste donc 107 pour les cadres que l’on suppose composés de
volontaires, et pour les cavaliers assez nombreux dans cette classe de
volontaires.
Messieurs, je ne m’appesantirai pas davantage sur
ces considérations ; je crois que ce que j’ai dit vous démontrera que ce n’est
pas dans un esprit d’hostilité, dans un esprit de réaction contre l’armée, que
les propositions de la section centrale ont été faites ; mais la section
centrale n’a pas cru que la Belgique pût consacrer une somme de 29 millions et
demi d’une manière permanente à l’entretien de son armée, et c’est précisément
en vue de cette permanence, de cet état normal que M. le ministre prétend
établir que les réductions ont été proposées. J’ai dit qu’il n’y avait aucun
esprit d’hostilité contre les officiers, et quantité d’anciens militaires que
j’ai vus m’ont affirmé que la condition que nous leur faisons était telle,
qu’il était à craindre que si on devait l’accorder à tous ceux qui la
demanderaient, nous ne conservassions pas le nombre d’officiers qui nous sont
indispensables.
J’attendrai, pour parler ultérieurement sur le
projet de la section centrale, et sur celui de M. le ministre de la guerre, que
de nouvelles observations soient présentées, et je tâcherai de les rencontrer.
Un mot seulement pour ce qu’a dit l’honorable M.
Verhaegen, non pas sur notre prétendue prodigalité envers des établissements
religieux. Je suis fâché que, suivant son habitude, il ait gâté son discours
auquel je me serais associé bien volontiers, dans les sentiments de
reconnaissance qu’il exprime vis-à-vis de l’armée, en y mêlant des choses qui
devaient y être tout à fait étrangères.
Je ferai observer à l’honorable M. Verhaegen, que
c’est par ignorance de la matière qui n’est pas du tout dans ses habitudes,
qu’il nous a dit que l’organisation devait se combiner avec les règlements.
Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, nous avons pris pour base le huitième
de l’armée française. Ce que nous avons de règlements, nous les avons empruntés
à la France. Pour le service de l’infanterie, l’organisation telle qu’elle
existe, est quasi impraticable avec la division des bataillons en 6 compagnies.
En France, le bataillon a 8 compagnies, et 2 compagnies forment une division à
la manœuvre ; quand nous n’aurons que 4 compagnies, chaque compagnie formera
une division, et nous pourrons manœuvrer sans nulle difficulté avec les
règlements français.
Nous avons emprunté le règlement français de 1829
sur la cavalerie, et depuis le 9 mars 1834, les régiments français sont réduits
à cinq escadrons comme le propose le projet de la section centrale. Quant au
règlement sur l’artillerie, je ne le connais pas, mais je suppose que pour
l’artillerie comme pour autre chose, on a emprunté les règlements français ; et
nous pouvons fort bien manœuvrer avec les règlements français, en les adoptant
pour notre artillerie.
Quant au service en campagne, il est tout à fait
étranger à l’organisation, et le règlement en est encore emprunté à la France.
Pour ce qui concerne le service intérieur, nous n’avons que des règlements
surannés qui datent de l’an III de la république française. (A demain ! à demain !)
- La séance est levée à 4 1/2 heures.