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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 13 mars
1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative à la suppression des
télégraphes entre Bruxelles et Anvers (Osy), à la construction
d’un pont à Marchienne-au-Pont (Pirmez)
2)
Projet de loi ayant pour but d’assurer l’exécution régulière de la loi
électorale. Discussion générale. (A : intervention du gouvernement, du commissaire
de district et/ou du conseil provincial dans l’établissement des listes
électorales ; B : police des opérations électorales ; C :
simultanéité des élections pour les deux chambres ; D : respect du
secret du vote (papier électoral)) (D, C, enquête sur les fraudes relatives à l’établissement
des rôles fiscaux servant de base au cens électoral) (Nothomb),
B, A, B (Savart-Martel)
(Moniteur
belge n°73, du 14 mars 1843)
(Présidence de M.
Raikem)
M.
Kervyn fait l’appel nominal à 2 heures et
quart.
La séance est ouverte.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en
est approuvée.
M.
Kervyn présente l’analyse des pétitions
suivantes :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Henri Ehrisman
prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Les négociants et agents de change d’Anvers
présentent des observations contre la pétition tendant à obtenir la suppression
des télégraphes entre Bruxelles et Anvers. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Osy. - M. le secrétaire vient de faire l’analyse d’une pétition contre
l’abolition des télégraphes. Déjà la commission des pétitions nous a fait un
rapport sur la pétition qui demandait l’abolition des télégraphes. Je
proposerai le renvoi de celle-ci avec demande d’un prompt rapport pour savoir
s’il y a lieu de la renvoyer à M. le ministre de l’intérieur,
- Cette proposition est adoptée.
______________________
« Les
négociants en bois de la ville de Thielt et des environs, présentent des
observations contre la proposition de la section centrale de majorer les droits
d’entrée sur les bois étrangers, sciés et non sciés. »
- Renvoi à commission des pétitions avec demande
d’en faire rapport avec d’autres pétitions du même objet.
« Quelques habitants de Marchienne-au-Pont
transmettent à la chambre, une copie de la pétition qu’ils ont adressée à M. le
ministre des travaux publics, en réponse à celle qui lui a été présentée, par
l’administration communale, au sujet du déplacement du pont de Marchienne. »
Renvoi à la commission des pétitions.
M. Pirmez. - Je demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un
prompt rapport sur cette pétition.
Discussion générale
M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il aux amendements proposes par la section
centrale ?
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Pour répondre à la question
que m’adresse M. le président, je dois faire une distinction. La section
centrale a ajouté deux articles au projet présenté par le gouvernement. Je
parlerai d’abord du projet présenté par le gouvernement. Ce projet, la section
centrale y a fait quelques changements qui sont à proprement parler des
corrections, des rectifications. J’adopte ces corrections, ces rectifications
et je me rallie au projet ainsi amendé par la section centrale. J’ai cependant
une observation à faire sur l’art. 8 du gouvernement, art. 9 de la section
centrale. Le gouvernement avait proposé d’ajouter après l’art. 18 de la loi
électorale, le § suivant : L’arrêté royal de convocation du collège électorat
fixera l’heure où doivent commencer les opérations électorales.
Ce que j’ai proposé suppose que dans tous les cas il
y aura arrêté royal de convocation. Or, il pourrait ne
pas y avoir d’arrêté de convocation ; les collèges électoraux, dans certains
cas, peuvent se réunir de plein droit, quand même il n’y aurait pas eu d’invitation
faite au nom du gouvernement. Jusqu’à présent le gouvernement, nonobstant la
disposition de la loi qui porte convocation de plein droit des électeurs, a
toujours publie un arrêté de convocation, mesure très sage et utile, prise par
le gouvernement, bien que s’il ne l’eût pas fait les collèges électoraux ne se
fussent pas moins réunis de plein droit.
On est parti de l’idée qu’il est bon de fixer une
heure où doivent commencer nécessairement les opérations électorales. Pour
atteindre ce but, il est impossible de s’en référer à un arrêté royal,
puisqu’il peut ne pas y avoir d’arrêté royal. C’est donc dans la loi même qu’il
faut fixer les heures où commenceront les opérations électorales. J’ai donc,
tout en persistant dans l’idée que les heures doivent être indiquées, abandonné
la forme que je lui avais donnée d’abord. Je propose de fixer dans la loi même
les heures où commenceront les opérations électorales. Ces heures doivent
varier d’après les saisons.
L’art. 8 serait ainsi conçu
La disposition suivante est ajoutée à l’art. 18 de
la loi électorale du 3 mars 1831, comme dernier paragraphe :
« Les opérations électorales commenceront à neuf
heures du matin du 1er mai au 1er octobre et à 10 heures du matin si les
élections ont lieu à d’autres époques. »
Voilà le § que je propose de substituer au 3ème §
que j’avais proposé à l’art. 18.
Je passe aux articles additionnels proposés par la
section centrale. Permettez-moi de vous lire un passage de l’exposé des motifs.
Je disais dans l’exposé des motifs :
« Plusieurs autres points nous ont été signalés
; nous n’en citerons que deux :
« 1° Le même collège peut être appelé à élire des
sénateurs et des représentants ; d’après la loi de 1831, les élections se font
successivement ; l’on s’est demandé si le bureau ne pourrait pas en même temps
recevoir les deux bulletins en présentant à l’électeur deux urnes différentes.
« 2° L’enquête atteste que presque partout la plus
importante de nos garanties électorales de nos garanties électorales, le secret
du vote, semble compromise, différents signes étant employés pour faire
reconnaître les bulletins ; l’on s’est demandé s’il ne faudrait pas charger les
administrations locales et les bureaux de délivrer des bulletins uniformes,
pliés de la même manière, et marqués d’un timbre.
« Le temps nous a manqué pour éclaircir ces deux
points. »
La section centrale a fait droit à ces deux réserves
; elle a proposé deux dispositions additionnelles : L’une consacrant la
simultanéité des votez pour l’élection du sénat et de la chambre des
représentants, l’autre introduisant un papier électoral.
Je parlerai d’abord du papier électoral. J’ai
beaucoup réfléchi à cette mesure depuis qu’il en est question, j’ai consulté
des autorités et des fonctionnaires publies, j’ai acquis la conviction que le
moyen serait à la fois gênant et inefficace. (Mouvement.) Il y a d’autres moyens très nombreux qui sont employés
pour reconnaître les bulletins, ces moyens on ne les atteint pas par le papier
électoral. (Interruption.) Ces moyens
sont en très grand nombre, on ajoute, au nom du candidat, des désignations plus
ou moins inusitées, plus ou moins étranges. Un bulletin de ce genre, unique,
est remis à l’électeur en qui on n’a pas une confiance absolue ; si ce bulletin
ne reparaît pas au dépouillement, on en conclut que l’électeur a fait faute à
celui qui lui avait donné le bulletin. Je pourrais citer un grand nombre de cas
où ces moyens de reconnaissance ont été employés. On a eu recours aux
qualifications les plus bizarres. Il est un autre moyen auquel on peut recourir
encore, que la loi n’interdit pas. On peut ajouter au nombre des candidats un
nom de plus. Cela n’annule pas le bulletin.
Il faut que ce bulletin reparaisse, sinon on en
conclut que l’électeur n’a pas tenu parole. Ainsi, il existe, pour reconnaître
le bulletin d’autres signes que le papier et que nous ne pouvons pas atteindre.
Malgré l’existence du papier électoral on peut faire
des signes extérieurs. Le moyen de reconnaissance existerait toujours, et
consisterait, par exemple, dans la manière de plier le papier. Il est
impossible de prescrire de quelle manière les bulletins devront être pliés,
d’exiger qu’ils le soient tous d’une manière uniforme, sous peine d’être
rejetés, car ce serait donner lieu à l’arbitraire le plus effrayant. Je crois donc
qu’il ne faut pas se faire illusion sur l’introduction d’un papier électoral,
car il ne remédierait à rien. On éluderait la disposition de la loi par la
manière de plier le bulletin ou par un signe extérieur quelconque. Tous les
moyens de reconnaissance que j’ai indiqués subsisteraient,
J’abandonne donc cette idée ; je ne puis me rallier
à la proposition de la section centrale. Je dois peut-être regretter d’en avoir
fait naître l’idée. Il était bon cependant d’appeler l’attention sur ce point.
L’autre disposition est relative à la simultanéité
des votes pour les deux chambres.
Il est convenable de vous rappeler quelques-unes des
dispositions que renferment la loi électorale de 1831, et les lois spéciales
faites en 1839.
L’art. 24 de la loi est ainsi conçu :
« Art. 24 de la loi de 1831. Quand il y aura
lieu à procéder simultanément aux élections pour la chambre des représentants
et le sénat, les opérations commenceront par l’élection des membres de ce
dernier corps.»
Ainsi on commence par l’élection du sénat et ce
n’est que quand cette opération est totalement épuisée qu’on aborde l’élection
des membres des représentants. La loi elle-même renferme une dérogation à cet
article. Elle se trouve au § 2 de l’art 18, où il est dit : « Lorsqu’il y
a lieu de procéder à une élection par plusieurs collèges réunies, elle se fera
le 3ème mardi du même mois. »
Ainsi l’art. 24 n’est applicable à l’élection du
sénat que quand le même collège nomme un sénateur sans concours d’autres
collèges. Mais quand le sénateur doit être nommé par plusieurs collèges réunis,
la nomination est renvoyée au troisième mardi du mois de juin.
On pourrait se demander pourquoi on a pensé qu’il
était plus facile de procéder le même jour à l’élection des membres du sénat et
de la chambre des représentants, quand c’est un collège unique qui nomme que
quand ce sont plusieurs collèges qui doivent choisir un sénateur. Je sais que
la réponse est dans une autre disposition de la loi de 1831, disposition
aujourd’hui abrogée qui supposait qu’en cas de nomination d’un sénateur par
plusieurs collèges, les collèges devaient se réunir au chef-lieu d’un seul
arrondissement. Cette disposition a été abrogée par la loi du 3 juin 1839 qui
porte art. 3 : « Dans les provinces où plusieurs arrondissements concourent à l’élection
d’un sénateur, les électeurs se réunissent au chef-lieu de l’arrondissement
dans lequel ils ont leur domicile réel. » C’est-à-dire au chef-lieu de leurs
arrondissements respectifs, où ils ont voté une première fois pour les membres
de la chambre des représentants. L’art. 3 ajoute : «
En cas de ballottage, les électeurs seront convoqués de nouveau, en observant
les délais prescrits par l’art. 10 de la loi électorale. » Cet article 3 de la
loi de 1839 doit recevoir son exécution cette année. Il doit être appliqué à
deux collèges électoraux du Limbourg, celui de Maeseyk
et celui de Tongres, ces ceux collèges nomment ensemble un sénateur. Ces deux
collèges si la législation existante est maintenue, devront se réunir une
première fois le deuxième mardi de juin pour nommer les représentants qui leur
sont assignés et le troisième mardi, ils devront se réunir de nouveau pour
procéder à la nomination du sénateur ; et en cas de ballottage, les mêmes
électeurs devront revenir une troisième fois, d’après le § 2 de l’art. 3 de la
loi de 1839. Ainsi les électeurs de Maeseyck et de Tongres sont exposés dans
l’état actuel de la législation à se réunir trois fois. Les inconvénients que
présentent les art. 18 et 24 de la loi électorale de
1831 et l’art. 3 de la loi de 1839, auront frappé tout le monde.
On s’est demandé s’il ne serait pas possible de
procéder le même jour à la nomination des sénateurs et des représentants,
simultanément, en imprimant aux opérations électorales plus de rapidité, et en
n’exposant pas les électeurs étrangers à la commune où se fait l’élection, à y
rester jusqu’au lendemain, ou à y revenir une seconde fois. La section centrale
vous a proposé un moyen plus ou moins connexe avec l’existence d’un papier
électoral, mais qui cependant pourrait à la rigueur subsister sous ce papier
électoral ; je crois cependant qu’il y a un moyen plus simple pour atteindre le
but qu’on se propose, c’est celui que j’ai tout d’abord indiqué dans l’exposé
des motifs ; c’est l’existence de deux urnes. Je me sers du mot urne, quoiqu’il
ne soit pas consacré par la loi électorale qui se sert du mot boîte. Pourquoi
n’y aurait-il pas deux urnes ou deux boîtes différentes sur le bureau ? (Interruption.) Il est de fait que les
électeurs sont munis des deux bulletins, d’un bulletin pour le sénat, et d’un
bulletin pour la chambre des représentants. Pourquoi ne pas leur demander,
quand ils se présentent devant le président, successivement chacun les deux
bulletins dont ils sont porteurs ? Craint-on la confusion ? Mais puisqu’ils sont
munis des deux bulletins, vous leur demandez le bulletin pour le sénat,
pourquoi ne leur demanderiez vous pas le second bulletin ? (Interruption.)
Vous craignez la confusion, mais le second bulletin
ne peut être que celui qu’ils destinent à la chambre des représentants. La
confusion existe déjà dans le système actuel ; dans beaucoup de cas, on a
trouvé dans la première boîte, dans le premier scrutin ouvert pour le sénat,
des bulletins destinés à la chambre des représentants ; ainsi cette confusion
s’est déjà présentée avec le régime actuel. Il y aura un moyen qui n’existe pas
maintenant pour prévenir la confusion, c’est de permettre, non d’exiger, une
désignation extérieure. (Interruption.)
L’électeur intelligent ou ayant beaucoup de présence d’esprit, n’aura pas
besoin de cette désignation ; il se présentera devant le bureau, et remettra au
président le premier bulletin pour le sénat, et ensuite le second pour la
chambre des représentants ; mais l’électeur moins intelligent, ou moins sûr de
lui-même, pourra donner une désignation à l’extérieur de son bulletin, de
manière à se mettre à l’abri de toute crainte de confusion. C’est d’après cette
idée que j’ai rédigé un amendement, dont je vais vous donner lecture :
(M. le ministre de l’intérieur donne lecture de cet
amendement).
Voilà, messieurs, de quelle manière on pourra
atteindre le but que j’ai indiqué dans l’exposé des motifs, et que votre
section centrale a proposé d’atteindre par un autre mode que je crois moins
simple, et plus étranger aux habitudes actuelles des électeurs ; je reviens la
première idée sans y mettre d’amour-propre cependant ; je trouve cette marche
plus naturel ; j’atteins le but avec moins d’efforts.
Il me reste maintenant à dire un mot de l’enquête
qui a été faite par le gouvernement.
Chacun des gouverneurs de provinces avait résumé les
enquêtes partielles, faites par les commissaires d’arrondissements, et par les
autres fonctionnaires qui leur avaient été adjoints par le département des
finances. J’ai communiqué à la chambre, et on a fait imprimer les neuf résumés
des gouverneurs. J’ai dit que j’avais supprimé les noms propres, et je persiste
à croire qu’il est dans les convenances que les noms propres soient supprimés.
Une seconde enquête a été faite par le département
des finances ; on peut donc dire que l’enquête a été faite en partie double.
Les directeurs de provinces ont transmis leurs renseignements au département
des finances ; mais ils n’ont pas résumé les renseignements partiels, ils se
sont bornés à transmettre les renseignements qu’ils avaient recueillis de
chacun des receveurs et des contrôleurs auxquels ils s’étaient adressés. Mon
collègue, M. le ministre des finances, a donc dû résumer lui-même tous ces
renseignements partiels, et se propose de vous donner communication de ce
résumé ; vous verrez que les renseignements pris par les neuf gouverneurs qui
vous sont connus, se trouvent confirmés par les renseignements transmis
directement au département des finances.
(M. le ministre de l’intérieur après s’être concerté
avec M. le ministre des finances, reprend en ces termes :)
M. le ministre des finances qui est indisposé, me
prie de vous donner lecture de ces pièces qui, du reste, seront imprimées.
(M. Nothomb donne lecture de ce résumé signé par M.
Smits, ministre des finances).
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb), à la suite de cette lecture,
ajoute - Mon honorable collègue a fait dresser en outre des tableaux contenant
le relevé des rôles supplétifs. Ces tableaux indiquent les déclarations supplétives
qui ont été faites en 1840, 1841 et 1842. Il est très important de comparer ces
trois années ; ces tableaux renferment une masse de chiffres, mais ils peuvent,
dès demain se trouver au Moniteur. Il
n’y a aucun inconvénient à les imprimer.
Cette comparaison est très essentielle, en ce sens
qu’on reconnaîtra qu’il y a peu de variations dans les déclarations supplétives
d’une année à l’autre. Je n’ai pas moi-même étudié suffisamment ces tableaux,
pour pouvoir me livrer en ce moment aux considérations que l’examen comparatif
des tableaux doit suggérer à chacun de nous ; mais ils seront imprimés, et l’on
pourra présenter ultérieurement les réflexions auxquelles ces tableaux donnent
lieu.
On pourrait même, comme on me le fait observer, faire
imprimer les pièces séparément, avec le rapport de M. le ministre des finances.
(Oui ! oui !)
- La chambre décide que les pièces dont il s’agit
seront imprimées séparément.
M. le président. - Voici les propositions qui ont été déposées par M. le ministre de
l’intérieur :
Art. 8. Du projet primitif et 9 du projet de la
section centrale. Amendement.
La disposition suivante est ajoutée comme § 2 au §
1er de l’art. 18 de la loi électorale du 3 mars 1831 :
« Les opérations électorales commenceront à 9
heures du matin si l’élection se fait du 1er mai au 1er octobre, et à dix si
elle se fait à d’autres époques. »
Art. 16 (nouveau). Du projet de la section centrale.
Amendement.
Le § 2 de l’art. 18 de la loi du 3 mars 1831 est
abrogé.
L’art. 24 de la même loi sera rédigé de la manière
suivante :
« Lorsqu’un collège aura à procéder le même jour aux
élections pour la chambre des représentants et le sénat, les opérations se
feront simultanément, comme il est dit ci-après. »
Seront insérées, à la suite de l’art. 25 de la loi
électorale, les dispositions suivantes :
« Quand il y aura lieu de procéder simultanément aux
élections pour les deux chambres, il y aura deux boîtes, portant l’une
l’inscription SENAT, l’autre celle de CHAMBRE DES REPRESENTANTS.
« Le président recevra des mains de l’électeur
d’abord le bulletin pour le sénat, puis le bulletin pour la chambre des
représentants.
« Les bulletins pourront porter à l’extérieur
l’un le mot SENATEUR ou SENATEURS ; l’autre celui de REPRESENTANT ou
REPRESENTANTS, les abréviations de ces mots ou les initiales S ou R ; dans tous
les cas, ces désignations seront écrites à la main et à l’encre noire ; tout
bulletin sur lequel ces désignations seront imprimées ou écrites autrement qu’à
l’encre noire, tout bulletin portant à l’extérieur d’autres désignations ne
sera pas reçu.
« Si le bulletin ne porte aucune désignation
extérieure, le président le déposera dans la boîte indiquée par l’électeur ; si
le bulletin porte une désignation extérieure, le président le déposera dans la
boîte indiquée par cette désignation.
« Lorsque l’électeur ne remet pas de bulletin
pour l’une des chambres, il est pris note de l’omission, et cet électeur n’est
pas compté au nombre des votants pour cette chambre.
« Le dépouillement des deux boîtes se fera dans
chaque bureau sans désemparer, en commençant par la boîte du sénat.
« Les dispositions qui précèdent seront appliquées
au second scrutin, s’il y a lieu. »
(Art. 48. Papier électoral.) - (Le gouvernement ne
se rallie pas à celte proposition,)
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
M. Savart-Martel. - En
notre séance du 6 décembre dernier, des plaintes d’une nature grave se sont élevées
sur les moyens employés aux fins d’introduire de faux électeurs qui
altéreraient la sincérité de nos institutions.
Je ne rappellerai point la discussion animée,
irritante même, auxquelles ces plaintes ont donne lieu.
Le gouvernement a reconnu que si les abus, si les
fraudes signalées existaient, la représentation nationale serait faussée dans
sa base.
Il a promis des enquêtes qui seraient suivies, le
cas échéant, d’un projet de loi répressive.
A d’autres le soin de s’occuper de ces enquêtes ;
quant à moi, je doute que les renseignements parvenus au gouvernement aient
suffisamment éclairé sa religion.
En vous soumettant purement et simplement les
observations que m’a suggérées l’étude du projet en discussion, je le ferai
avec calme, avec modération, et sans imputer mauvaise volonté à qui que ce
soit.
La voix parlementaire est, comme la presse, la
sauvegarde des libertés publiques et des droits du peuple ; elle doit être
libre, ferme, inflexible, mais il ne lui appartient pas d’être jamais
l’instrument de la malveillance.
Je l’avoue, j’ai peu de sympathie pour un système
d’élection qui accorde tout à l’argent, rien à la capacité ; je vois avec peine
qu’en face de la propriété, le talent, les arts, les sciences et l’industrie se
trouvent au même rang que le simple prolétaire.
J’y vois même un danger pour la chose publique, car
cette égalité de position peut amener l’union de ces deux classes de la
société.
Or, de l’union des capacités avec les prolétaires doit
naître un jour la démocratie pure, la démocratie proprement dite.
Fidèle à l’œuvre du congrès souverain, je dois
fléchir le genou devant la loi des lois qui n’accorde le droit électoral qu’à
ceux qui paie le cens déterminé par la législation.
Je ne puis oublier qu’il a été entendu entre la
chambre et le gouvernement que quels que puissent être les abus signalés, la
loi que proposerait en ce jour le ministère ne serait point une réforme
électorale.
C’est donc dans cette position circonscrite, dont il
ne m’est point permis de sortir, que je m’occuperai du projet en discussion.
Messieurs j’avais cru à une loi très simple, deux ou
trois articles ayant pour but de réprimer la fraude ; loi susceptible à être
immédiatement discutée, votée et publiée, tandis qu’il nous est soumis une loi
générale et volumineuse, qui aura pour objet, non pas précisément de réprimer
la fraude, mais au contraire, de la couvrir, comme aussi de jeter la défiance
entre le peuple et le gouvernement, et cela sous prétexte d’assurer l’exécution
régulière et uniforme de la loi du 3 mars 1831.
Je dis loi volumineuse, parce que les dix-neuf ou
vingt articles dont elle se compose doivent être mis en présence des 55
articles qui forment la législation maintenant en vigueur.
Il y a danger, et danger imminent, que les
principales dispositions de ce projet, les seules qui offriraient quelque
garantie contre les abus qui ont été signalés, ne puissent être appliquées aux
révisions des listes électorales de 1843, qui doivent se faire sous peu de jours.
Dans le projet sont des dispositions acceptables
sans doute, mais j’en vois d’inutiles, j’en vois de déplorables. Je m’écrierai
comme Martiel : Sunt bona, sunt mediocritas,
sunt pessima quoedam, et je crains que le mauvais l’emporte sur le bon.
Il est bien d’avoir réglé législativement quelques
points controversés en jurisprudence.
Il est bien d’avoir pris des mesures pour hâter les
opérations électorales.
Mais les dispositions qui concernent l’intérieur des
bureaux et leurs abords, l’heure, l’ordre et la police ne méritaient point des
mesures législatives.
Il y a dans notre arsenal des lois pénales à
suffisance pour réprimer les atteintes portées à la tranquillité publique.
Créer de nouveaux délits, des délits insaisissables
surtout, est au moins dangereux.
Dites et ne dites pas, faites ou ne faites pas,
ordonnez, défendez, vous n’arrêterez jamais, en cas d’élection, les
manifestations populaires.
Craignez, au contraire, d’arrêter ces élans
inséparables de l’exercice de cette espèce de pouvoir souverain !...
Mais ce que j’appelle déplorable, c’est de n’avoir
pas pourvu à la répression de la fraude que la loi couvre, au contraire, de son
égide ; ce que j’appelle déplorable, c’est de porter aux électeurs une méfiance
qui doit blesser l’honneur et la susceptibilité de ces hommes libres usant de
leurs droits ; ce que j’appelle déplorable surtout, c’est l’introduction du
pouvoir exécutif d’une manière directe, si dangereuse dans ce qui concerne les
élections.
La loi de 1831 a été faite presque en même temps que
le code fondamental.
Comme cette œuvre constitutionnelle, elle est
l’ouvrage du congrès.
Messieurs, beaucoup d’entre vous faisaient partie de
cette illustre assemblée.
J’en appelle à leurs souvenirs, leur conscience
surtout.
Les principes qu’on veut consacrer aujourd’hui,
sont-ils ceux du congrès ?
Tout se faisait alors dans l’intérêt des libertés
publiques.
Aurait-on souffert l’introduction du gouvernement
dans les élections ?
Cette prétention, avouons-le, aurait paru
attentatoire à la liberté des votes populaires ; de toutes parts, on l’eût
repoussée.
Je le dis avec conviction, si cette intrusion n’est
point opposée au texte, elle est au moins opposée à l’esprit de notre
constitution éminemment libérale.
En effet, tous les pouvoirs émanent de la nation (art.
23).
Le ministère est comptable de ses actes devant le
peuple, représenté par ses élus.
Or, il est déraisonnable que l’autorité responsable,
que le ministre comptable, intervienne par lui-même ou les siens dans la
constitution du pouvoir qui jugera ses faits et actions.
Dire qu’il est dangereux pour les libertés publiques
d’introduire le pouvoir exécutif dans les élections populaires, c’est rappeler
une vérité élémentaire pour l’homme d’Etat, vérité attestée par les publicistes
anciens et modernes.
Vérité qui a pour elle l’histoire de tous les temps
et de tous les peuples.
Dans le gouvernement constitutionnel, il y a et il y
aura toujours une opposition plus ou moins prononcée.
Cette opposition est utile, nécessaire même, quoique
je n’admets pas, moi, l’opposition systématique.
Entre les diverses opinions qui surgissent de cet
état de choses, le pouvoir exécutif ne peut rester neutre. Il y a pour lui
nécessité de suivre l’un ou l’autre des partis.
Rarement il peut les modifier,
Si le gouvernement se trompe, s’il s’égare, s’il
compromet l’Etat, qui l’en informera ? L’opposition parlementaire sans doute ;
car c’est son droit et son devoir.
Mais si ce pouvoir responsable agit lui-même sur la
composition du parlement, ce sera naturellement dans le sens de son opinion.
Dès lors, il rencontrera des apologistes.
Mais ce n’est pas tout ; en donnant au gouvernement
une influence plus ou moins directe sur les élections, vous le mettriez à
portée d’annihiler tous les pouvoirs ou de les absorber.
Qu’on ne dise pas que ce sont là des utopies.
L’expérience n’a que trop justifié de nos jours, comme autrefois, que c’est là
le cours ordinaire des choses.
Si nous voulons conserver la liberté, qui est l’âme
de toutes nos institutions, il faut, au contraire, refuser au gouvernement
toute participation directe ou indirecte aux élections populaires.
Il faudrait, pour la tranquillité publique, qu’on ne
puisse pas même supposer qu’il s’en occupe.
Comme la femme de César, il faudrait que le soupçon
même ne pût l’atteindre.
Parcourons le projet en discussion. Voyons quelle
est la part faite au pouvoir. Je ne crains point de dire que s’il voulait
abuser de sa position, le ministère pourrait dire comme Louis XIV, l’Etat, c’est moi.
D’abord, les rôles des contributions sont remis au collège
municipal qui dresse les listes des électeurs de sa localité et qui les fait
publier avec sommation de produire les réclamations endéans quinzaine.
Ces réclamations arrivées, accompagnées des pièces
justificatives, les bourgmestres et échevins qui tiennent leurs commissions du
gouvernement sont appelés à statuer sur les plaintes, oppositions et
réclamations des listes par cette autorité même.
Voilà donc ce pouvoir administratif qui statue sur
les réclamations au sujet des listes qu’il a formées précédemment, sous
l’influence d’un préjuge en faveur de son propre ouvrage. On me répondra qu’on
pratique ainsi depuis quelques années ; c’est vrai. Mais a-t-on raison de
pratiquer ainsi ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’à la suite de la loi de
1831, au moins dans diverses localités les choses se passaient autrement.
Ce n’était pas le collège qui statuait ; c’était le
conseil. Et, en effet, vous trouvez beaucoup plus de lumière dans un conseil
composé de 15, 25 ou 30 personnes, que dans deux ou trois bourgmestre et
échevins, à la campagne surtout.
Je suis loin de croire qu’il n’y a pas à la campagne
des hommes instruits à même de juger les contestations aussi bien qu’on le
ferait dans les villes. Mais, ne vous y trompez pas, il doit se présenter alors
non seulement des questions de fait, mais aussi des questions de droit. Or, il
et rare que, dans une commune, un bourgmestre aidé de deux échevins, et
peut-être du garde-champêtre qui tiendra la plume, puisse juger des questions
de droits, de véritables contestations. Car c’est moins sur les faits que sur
les questions de droit que se présentent les contestations, et les faits
eux-mêmes nécessitent quelquefois des vérifications préjudicielles qui ne
peuvent se faire dans les 24 heures.
Messieurs, je prendrai cette année pour exemple. Le
délai des réclamations expirera le 1er mai, de sorte que les réclamations
devront arriver avant cette date, mais dans les 24 heures. Dès le 2 mai, la
liste, avec toutes les pièces à l’appui, doivent être arrivées au commissaire
de district, au magistrat du pouvoir, qui forment les listes définitives, qui
règle la distribution par sections, et à qui vous accordez le droit d’appel,
outre le droit indirect de composer le bureau par sa division arbitraire de la
liste électorale.
D’abord, messieurs, je vous demanderai comment le
pouvoir municipal, votre collège des bourgmestres et échevins, que vous
réunirez sans doute dans toutes les communes, le 1er mai, ou la veille, sera à
même de décider, dans le temps fixé, toutes les contestations qui se
présenteront. Messieurs, j’ai vu parfois des administrations communales
recevoir au dernier moment grand nombre de réclamations. Je vous demande s’il
est quelqu’un de vous qui croie que, dans ce cas, il puisse être statué dans
les 24 heures. On m’a répondu, et on me répondra probablement encore : pendant
quinze jours peuvent avoir lieu les réclamations.
Mais ici, au lieu de s’arrêter à une vaine théorie,
il faut voir les choses en pratique. Il ne faut pas douter d’une chose, c’est
que d’ordinaire les réclamations n’arriveront qu’au dernier moment. J’en
appelle à ceux qui connaissent la triture des affaires.
S’il arrive un point de fait à vérifier, il faudra
un terme plus ou moins long, une instruction peut-être. En vain croyez-vous
qu’on puisse se présenter armé de toutes pièces. Il est impossible de prévoir
toutes les objections formant des questions préjudicielles pas plus qu’on ne
peut le faire lorsqu’on se présente en justice.
Messieurs, si jusqu’ici il y a eu peu de
réclamations, il n’en sera plus de même aujourd’hui où l’on paraît attacher au
droit de voter bien plus d’importance. Il n’en sera plus de même aujourd’hui où
non seulement chaque particulier, ou même des associations particulières auront
le droit de poursuivre la réformation des erreurs, Il n’en sera plus de même
aujourd’hui surtout où vous accordez un droit d’appel à l’homme du
gouvernement, qui, selon moi, dans l’ordre de la hiérarchie, doit obéissance
passive au pouvoir exécutif. C’est à cet homme qui ne doit avoir que le sens
nécessaire pour apprécier les faits (car il peut certainement être pris dans
toutes les classes de la société), que vous accordez le pouvoir d’un appel qui
ne lui coûte rien.
Ainsi, messieurs, après avoir eu pour juges les
bourgmestre et échevins, qu’il ne faut pas confondre avec le conseil, je
rencontre le pouvoir qui appelle, tous tenant leurs mandats du gouvernement
même.
Messieurs, il pourrait se rencontrer par hasard un
commissaire de district qui voulût écarter les personnes qui lui font obstacle
un commissaire de district qui soignât les intérêts opposés à ceux d’un
concurrent. Et cela n’est pas impossible, nous en avons eu des exemples,
puisque nous avons vu des commissaires de district démis de leurs fonctions
pour s’être ainsi mêlés d’opérations électorales. Il pourrait même arriver que
de bonne foi (car dans ses intérêts on est souvent prévenu), ce fonctionnaire
serait dans la position la plus favorable, il écarterait à volonté,
provisoirement au moins, les électeurs qu’il saurait lui être hostiles. J’admets
même le cas le plus ordinaire, c’est que ce magistrat de l’ordre administratif
sera de bonne foi. Il aura mis dans sa tête un principe erroné, par son seul
appel il empêchera votre inscription jusqu’à ce que le conseil provincial ait
prononcé ; il faut en convenir, ce pouvoir est exorbitant.
Ah ! dit-on, dans le conseil provincial vous avez
une ample garantie ; mais, messieurs, c’est encore une erreur. Le conseil
provincial présente une garantie, c’est vrai ; mais, ne vous y trompez pas, là
encore je rencontre le pouvoir exécutif. Quel est l’homme qui préside ce
conseil provincial ? C’est encore une fois l’homme du ministère, c’est le
gouverneur, qui aussi, me semble-t-il, doit obéissance à ses chefs, et devra
suivre les ordres du gouvernement.
Messieurs, dans ce que je dis, je ne prétends faire
allusion à personne ; je prends les choses en général. Je n’ai pas en vue le
ministère actuel plus que des ministères futurs ; je ne parle pas de ce qui
doit arriver, mais de ce qui peut arriver.
Voilà donc le conseil provincial saisi de la
question. Vous croyez encore qu’il peut rondement et à bureau ouvert statuer
sur vos réclamations ? Mais, détrompez-vous. Tout administrateur vous dira que,
même dans les conseils provinciaux, quand il se présente des difficultés
quelconques, il y a souvent maints faits préjudiciels à vérifier avant
d’arriver au fait principal. Là aussi il faut une instruction. Or, tous ceux
qui sont habitués à la procédure judiciaire et administrative savent qu’avec
toute la bonne volonté possible une instruction ne se fait pas toujours en peu
de temps.
On nous dira encore : vous avez dû prévoir les
objections. Mais, messieurs, il n’est pas une intelligence humaine qui puisse
prévoir toutes les objections, toutes les exceptions, tous les moyens d’opposition
quand on commence une contestation.
Or, qu’arrivera-t-il ? C’est que parfois il ne
pourra être pris de décision avant que l’élection ne soit consommée. Quelle
sera la conséquence ? C’est que, jusqu’à ce que la chambre ait jugé sur la
validité des élections, il régnera la plus grande incertitude sur tout ce qui
aura été fait. Or, je vous le demande, est-il raisonnable de laisser les choses
dans cette incertitude ?
Messieurs, je vous parlais des pourvois en appel que
peut former le commissaire de district. Il sera nécessaire de laisser un temps
suffisant à ce magistrat qui va devenir un homme introuvable ; car il devra
dans les quelques jours qu’on lui laissera, distinguer le bon du mauvais, juger
les questions de fait et les questions de droit. On objectera peut-être que le
commissaire de district ne se pourvoira en appel qu’après un sérieux examen, et
dans des circonstances graves. Mais je pense, moi, que ce fonctionnaire suivra
purement et simplement les ordres du ministère qui, lui-même ne pourra guère
obtenir que les renseignements fournis par l’esprit de parti ; dites plutôt que
le ministère pourra faire des élections ce qu’il voudra ; dans ce cas soyons au
moins conséquents avec nous-mêmes et ne nous laissons pas spolier de nos droits
électoraux sous l’apparence d’une loi répressive de la fraude. Puis enfin vient
le droit de cassation ; je suis loin de contester ce droit ; mais à qui est-il
dévolu ? au ministère encore, par l’intermédiaire de
son homme-lige, le gouverneur ; et, chose inouïe dans nos mœurs, un magistrat
même qui aura pris part à la décision. C’est donc le ministère et toujours le
ministère que nous rencontrons dans la matière électorale.
Mais, je le répète, messieurs, il y a un abus grave,
à laisser ainsi dans l’incertitude pendant une période plus ou moins longue, la
validité des élections. Croyez-vous qu’il soit bien prudent, qu’il soit bien
raisonnable, de prolonger cette espèce d’anxiété qui règne dans le pays au
moment des élections ? Croyez-vous qu’il soit sage de laisser régner
l’incertitude jusqu’à l’ouverture de la session, époque éloignée où les
élections doivent être soumises à l’examen de la chambre, et de vous exposer à
voir certaines élections recommencer deux ou trois fois ?
Cela n’est guère arrivé jusqu’ici, je le sais ; mais
nous sommes dans une position bien différente ; nous sommes dans une position
où les pouvoirs électoraux sont appréciés à une grande valeur. Il est
impossible que l’époque des élections ne soit pas un temps de fièvre, et je
crois qu’il serait sage, qu’il serait patriotique de faire cesser cette fièvre
le plus tôt possible.
On a dit aussi : il faut bien que les commissaires
de district puissent appeler ; car beaucoup de personnes ne sont pas sur les
listes électorales. Cela est vrai, et je crois que beaucoup n’y sont pas, parce
que les rôles mêmes laissent beaucoup de vague, puisqu’il n’est pas vrai que
ces rôles portent toujours les noms des véritables propriétaires. Je pourrais
citer tel individu qui n’a pas un fr. de contribution sous son nom et qui
cependant a de nombreux locataires. Il y a plus, le cadastre renouvelé, a
replacé sur les rôles des personnes qui sont mortes depuis 40 ans.
Pourquoi n’avez-vous pas fait faire les mutations,
direz-vous ? Mais parce qu’il est très difficile dans plusieurs communes, de
faire une mutation dans les rôles, et qu’ici encore la pratique l’emporte sur
les théories.
Oui toutes ces opérations administratives sont
excellentes en théorie, mais en pratique, c’est souvent lettre morte.
En fait, la loi de frimaire an 7, concernant les
mutations ne s’exécute plus, et peut-être ne s’est-elle jamais exécutée. En cas
de succession, souvent d’ailleurs, il ne se fait point de partage. Des familles
entières jouissent indivisément.
Souvent aussi il arrive qu’une succession donne lieu
à des procès qui durent pendant des années ; eh bien, dans ce cas, chacun ira
se dire héritier, ou bien personne n’en fait déclaration.
Autre chose : Vous voulez, messieurs, que le
commissaire de district soit pourvu du droit d’appel contre des personnes qui
ne se font pas inscrire sur les listes électorales ; vous allez faire un procès
jusqu’en cassation à un homme, à 10, à 100 hommes, pour simple omission ; vous
allez les faire condamner au moins à des frais, alors qu’ils n’ont peut-être
pas entre les mains les pièces nécessaires pour se faire porter sur cette liste
; d’ailleurs vous ne pouvez forcer personne à exercer son droit
électoral : vous pouvez empêcher de voter celui qui n’en a pas le droit,
mais il n’existe d’obligation pour personne de se faire inscrire sur les listes
électorales. Empêchez la fraude par tous les moyens possibles, soit ; mais
n’allez pas faire violence à ceux qui veulent rester neutres, à ceux qui ne
veulent pas voter.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Et le jury ?
M. Savart-Martel. - Je
répons à l’honorable ministre que c’est précisément pour éviter le jury, que
bien des personnes refuseront de se faire porter sur les listes électorales. Si
c’est le jury que vous avez en vue, alors faites une loi qui oblige ceux qui
doivent être portés sur la liste du jury, à s’y faire inscrire, mais il ne
s’agit pas ici du jury de jugement, ii s’agit d’élections. Je disais tout à
l’heure que personne n’est obligé à faire usage du droit électoral ; ce droit
est un bénéfice, c’est une concession de la loi et nul n’est obligé d’user de
cet avantage ; le jury, au contraire, est une charge que tout bon citoyen doit
accepter ct remplir ; eh bien, faites une loi qui force les citoyens à
s’acquitter sous ce rapport de leurs devoirs, mais n’allez pas confondre un
bénéfice avec une charge ; ne faites pas une loi concernant le jury, alors
qu’il ne s’agit que de la loi électorale, loi qui offre déjà assez de
difficultés ; proposez une loi pour le jury de jugement, vous aurez notre
appui.
Je reviens, messieurs, sur ma proposition
principale. Partout dans la loi électorale nous rencontrons le pouvoir. Si ce
pouvoir le voulait il pourrait absorber complètement les élections ; on me dira
qu’il ne le fera pas, que c’est là une utopie ; mais cela se disait aussi dans
les anciennes républiques lorsque des orateurs exprimaient la crainte de voir
les tyrans renverser les institutions républicaines ; c’est cependant ce qui
est arrivé la plupart du temps. Je ne veux pas faire ici une application au
gouvernement, mais toujours faut-il prévoir ce qui est dans l’ordre des choses
possibles.
J’ajouterai que je ne conçois pas dans la pratique
l’exécution franche et sincère de cette loi, au moins pour la présente année.
Je suppose qu’au 1er avril on ait fait les rôles, qu’on les ait vérifiés, si
tant est qu’on les vérifie. Le délai pour réclamer expirera le 1er mai ; voilà donc
les bourgmestres et échevins qui reçoivent les pièces probablement le 1er mai,
et qui doivent les retourner au commissaire du district endéans les 4 heures ;
quand donc ces magistrats pourront-il statuer ?
Eh bien, messieurs, ce délai est beaucoup trop court
; c’est de la théorie que de vouloir que les bourgmestres et échevins terminent
ces affaires en 4 heures ; c’est comme ces stipulations de la loi qui portent
que le juge statuera à bureau ouvert ; savez-vous, messieurs, ce que c’est que
ce bureau ouvert ? C’est que souvent les affaires qui doivent être décidées à
bureau ouvert ne reçoivent une solution qu’au bout d’une ou de plusieurs
années. Ce n’est pas, messieurs, qu’il y ait mauvaise volonté de la part des
magistrats, mais cela résulte de la force des choses ; ii se présente des
difficultés, des incidents, qui empêchent les tribunaux de se conformer à cette
prescription de la loi. Eh bien, messieurs, la même chose arrivera pour les
listes électorales, si l’on veut exécuter la loi d’une manière rigoureuse.
Certes, ces difficultés ne se présenteraient pas s’il s’agissait pour les
administrations communales de se prononcer comme le jury, si vous voulez que
les autorités communales décident de bonne foi si tel ou tel possède les
qualités requises pour être électeurs, alors la chose devient facile ; mais si
vous voulez que ces questions se décident suivant les règles ordinaires du
droit, les difficultés seront sans nombre.
Eh bien, messieurs, vous ne voudrez pas que la loi
ne soit pas une vérité, vous ne voudrez pas que les listes soient approuvées
sans avoir été rectifiées, surtout lorsque vous admettez l’appel d’office ;
vous ne voudrez pas mettre le gouvernement dans le cas de pouvoir intenter des
procès de nature à surexciter l’opinion publique. Eh bien, je dis qu’il est
impossible aux administrations communales de prononcer en 4 heures sur les
réclamations qui surgiront. Ces réclamations seront nombreuses, messieurs, car
plus vous faites des lois sur les élections, plus on y attachera de
l’importance et plus aussi il y aura de réclamations.
Vous ne pouvez pas supposer, messieurs, que le
peuple ne s’occupera pas activement des élections, car, il ne faut pas se le
dissimuler, il y a aujourd’hui, malheureusement deux opinions opposées en
présence, et chacun attachera certainement beaucoup d’importance à voir
triompher la sienne ; il y aura donc beaucoup d’agitation dans le pays, et si
on ne peut pas exécuter la loi franchement et loyalement, cette agitation se
prolongera jusqu’à votre session prochaine, jusqu’à ce que vous ayez pu
trancher vous-mêmes les questions restées en suspens. Or, comme je l’ai déjà
dit, il est impossible que la loi soit exécutée cette année, à moins que vous
ne vouliez faire de la vérification des listes une question de bonne foi.
L’art. 10 qui nous est
présenté offre un vague, un arbitraire qui use semble extrêmement dangereux.
Cet article est ainsi conçu :
« Tout individu qui aura, à l’occasion des
élections, accepté, porté, arboré ou affiché d’une manière ostensible un signe
quelconque de ralliement, sera puni d’une amende de fr. 50 à 500, et en cas
d’insolvabilité, d’un emprisonnement de 6 jours à 1 mois. »
Messieurs, vous vous rappellerez que dans plusieurs
sections on s’est demandé, non pas ce qu’on voulait par cet article, mais comment
on entendait l’appliquer.
Qu’est-ce accepter un signe quelconque de ralliement à l’occasion des élections ?
Par exemple, dans beaucoup de localités, ii y a des
élections préparatoires ; ces élections préparatoires sont précédées de
convocations. Ainsi, un individu porte à domicile un avertissement tendant à
inviter les électeurs à être présents à la séance préparatoire ; si l’on
accepte cette invitation, ne pourra-t-on pas venir dire que ces électeurs ont
accepté un signe quelconque de ralliement ? Je ne crois pas que ce soit
l’intention du ministère, je ne pense pas qu’il veuille aller jusqu’à empêcher
les citoyens de se réunir paisiblement pour l’exercice de leurs droits.
On a répondu à cela que les tribunaux apprécieraient
les circonstances ; c’est très bien : j’ai confiance dans les tribunaux ; mais
il ne suffit pas que je sache moi-même pénétrer les intentions de la loi
beaucoup plus que ses expressions, ii faut aussi que la grande masse des
citoyens sache quand ils feront bien ou mal.
Il y a, par exemple chez nous, des campagnards qui
ont l’habitude d’aller en bonnets de coton, d’autres en bas bleus ; ces faits
ne pourraient-ils pas être considérés comme signe de ralliement ? que les partisans de tel candidat sont en bonnets de coton,
d’autres en bas bleus, d’autres avec jarretières, d’autres avec des rubans au
chapeau ?
En juin, c’est le temps des roses et des épines (on rit) ; les électeurs viendront, les
uns avec des roses blanches, les autres avec des roses rouges. Voilà encore un
signe de ralliement peut-être. Tout pourra être suspect, jusqu’à la manière de
poser son chapeau.
Je le répète, je ne pense pas que ce soit là
l’intention du ministère ; mais, encore une fois, quand on fait une loi pénale,
il faut au moins expliquer et caractériser les faits punissables. Les lois ne
sont pas faites pour les juges et les avocats seulement, mais pour la masse des
citoyens.
Qu’arrivera-t-il si l’on fait une pareille loi, qui
ressemblera probablement à la loi des suspects ? Comme nous n’avons plus de
tribunaux révolutionnaires, les tribunaux seront forcés d’acquitter. Par cette
loi inutile et déraisonnable, le gouvernement semble se mettre en hostilité
contre tous les électeurs, il les prend tous en méfiance et il n’a rien à
gagner.
Je conçois que le ministère, préoccupé d’une circonstance que je déplore plus que
tout autre, a pu rédiger l’article dont je m’occupe. Je veux parler des faits
qui ont eu lieu lors de la dernière élection d’Ath, faits qui, pour le dire en
passant, ont été grossis d’une manière démesurée. Eh bien, la disposition que
je combats, eût-elle existé, ces faits n’en auraient pas moins eu lieu. Je
pense que le président du bureau électoral a la police
non seulement de l’intérieur des bureaux, mais même des abords ; je ne sache
pas que jusqu’ici aucun président ait l’exercice de la police. J’ai vu en
général beaucoup d’ordre régner pendant ces opérations, et il suffisait de la
présence d’un magistrat présidant chaque bureau, pour qu’en général, il ne s’y
passât rien d’inconvenant. Et les faits qui ont eu lieu à Ath, n’ont pas eu
lieu pendant l’élection, ils ne se sont pas passés dans l’intérieur, ni aux
abords du bureau électoral ; ils n’ont eu lieu vers le soir, hors de la ville,
et par des gens du peuple qui n’étaient pas électeurs.
Quoi qu’il en soit, il existe des lois pénales à
suffisance pour maintenir l’ordre.
L’article 13 présente les mêmes vices.
D’abord ici encore sans aucune utilité, je vois le
gouvernement qui se met en opposition avec les électeurs, qui croit voir dans
les électeurs des mutins, des gens malhonnêtes.
Quant au papier électoral, je n’en parlerai point,
puisque le ministère paraît n’en pas vouloir. Il est discrédité avant même sa
mise en circulation.
Messieurs dans toutes les positions, les hommes ne
se ressemblent pas, n’allons pas frapper d’une espèce de réprobation, d’une
espèce de méfiance, les électeurs dont nous tenons nos mandats. Si on disait :
jusqu’ici on a rencontré des inconvénients qui ont prouvé la nécessité
d’établir de pareilles mesures, je les concevrais. Mais cette nécessité nous ne
la voyons pas il y a plus, nous n’en voyons pas même l’utilité. Je pense qu’il
entrait au contraire dans l’intention du congrès qui, peu du mois après la
constitution élaborait une loi relative au droit électoral, il entrait, dis-je,
dans ses intentions que les citoyens eussent la plus grande latitude possible
pour voir ce qui se passait dans les élections. Cela a été poussé si loin qu’on
a voulu que les électeurs pussent circuler autour du bureau comme s’il pouvait arriver
qu’un fonctionnaire, un honnête magistrat escamotât des suffrages. Vous voyez
que l’esprit qui a dominé le congrès a été de donner la plus grande latitude
possible aux citoyens. Vos bureaux doivent être divisés ; ils ne sont pas très
nombreux puisqu’on ne fait que les diviser en quelques fractions ; est-il à
croire qu’il soit si peu utile à ceux dont on fait les affaires d’aller voir ce
que font leurs mandants, car ce sont les affaires du peuple qu’on fait là et
non pas seulement celles de celui qui est dans tel bureau. Tous les électeurs
ont certainement le droit de voir ce qui se pratique, il ne faut leur interdire
ce droit qu’en cas d’absolue nécessité. En laissant une grande latitude au
président du bureau, s’il se présente des circonstances telles qu’il y ait
gêne, obstacle à ce que les opérations se fassent avec facilité, avec aisance,
le président fera ce qu’il croira utile, il a la force publique à sa
disposition. L’art. 13 lui donne les moyens de parer à tous les inconvénients.
Toute distribution ou exhibition de pamphlets,
écrits, imprimés ou caricatures dans le local où se fait l’élection est
interdite sous peine d’une amende de 50 à 500 fr.
D’abord je ferai observer que ces distributions ou
exhibitions n’ont peut être jamais existé. Mais dans tout cas, je vous demande
si cela pourrait avoir un effet quelconque ? Celui qui se présente dans le
bureau a son bulletin ou au moins sa volonté. Croyez-vous qu’un vil pamphlet,
une misérable caricature puisse avoir une influence quelconque sur un électeur
quel qu’il puisse être ? Ces pamphlets et ces caricatures tourneraient à la
honte de leur misérable auteur. Et la disposition proposée ne les empêcherait
pas, c’est autour des bureaux qu’il aurait fallu pouvoir les interdire, mais
non dans le bureau.
Du reste, celui qui aspire à des fonctions publiques
a des adversaires. Il est bien peu de personnes qui dans le cours de leur vie
n’aient été exposé à des critiques plus ou moins fondées, soit pour leurs
opinions politiques, soit même pour leurs opinions parlementaires. Croyez-vous
que jamais un pamphlet ou une caricature ait pu faire quelque chose ? Il
n’est pas un seul d’entre vous, j’aime à le croire, il n’est pas un seul des
citoyens qui aspirent à représenter leur pays, qui ne méprise de pareils moyens.
J’en reviens à la disposition. Si cela a eu lieu, est-ce que l’article que vous
proposez l’aurait empêché ? Non, non, les faits malencontreux dont on se plaint
se sont passés, non dans le lieu de l’élection mais dans les abords. Après
tout, n’avons-nous pas des lois pénales contre les injures, contre la calomnie
? pourquoi en créer de nouvelles à propos des
élections ?
Si j’étais l’ennemi du gouvernement, je laisserais
passer cela. C’est parce que je suis ami de l’Etat, ami de la tranquillité, que
je voudrais éviter toute disposition pénale qui semble mettre le gouvernement
en opposition avec une grande partie des électeurs.
Le 4ème § porte : « Les présidents sont chargés de
prendre les mesures nécessaires pour assurer l’ordre et la tranquillité aux
abords des sections et de l’édifice où se fait l’élection. »
Mais cela est dans la loi.
Je ne pourrais admettre qu’un magistrat chargé de
présider un bureau n’ait pas le droit de prendre toutes les mesures nécessaires
pour assurer l’ordre tant dans le bureau qu’aux abords.
J’avais quelques mots à dire sur le fameux papier
électoral, je ne crois plus devoir en entretenir la chambre, je dirai seulement
que je n’ai pas eu assez d’aptitude pour voir de quelle utilité cela pouvait
être ; je l’aurais compris, si on n’avait donné qu’un seul bulletin à chaque
électeur, mais en en remettant dix à chacun on en fera ce qu’on voudra.
Il est un autre abus que la loi ne prévoit pas,
aucune disposition ne s’applique à ceux qui déchirent des bulletins. Cependant,
je ne proposerai rien à cet égard, M. le ministre est à même de vous présenter
un projet mieux conçu que celui que je pourrais proposer. Vous le savez,
messieurs, nous avons vu un tribunal déclarer qu’il n’y avait pas de peine à
appliquer à celui qui aurait déchiré ces bulletins.
Messieurs, je professe cette doctrine. Pour le
bonheur du pays, le pouvoir exécutif doit être fort et puissant.
Je ne crains pas de dire que dans l’état actuel des
choses, un gouvernement faible, irrésolu, déconsidéré, serait un malheur pour
la Belgique.
Mais c’est précisément parce que je veux un
gouvernement puissant, et au-dessus de toutes les passions, que je me garderai
bien de le compromettre dans des luttes électorales.
Pour ce même motif je ne voudrais en matière
électorale aucune nouvelle mesure que celle commandée par la nécessité.
Je tiens à la force morale de l’Etat, plus encore
qu’à sa force physique.
Ce n’est pas aux dépens des libertés publiques que
nous parviendrions à affermir le trône.
Nous vivons dans un siècle où l’affection populaire
a plus de force que les baïonnettes.
Rien n’est plus propre à déconsidérer le pouvoir que
son intervention dans la lutte populaire. En effet, s’il réussit, il est odieux
en proportion de sa victoire.
Il a pour lui la force numérique, mais il perd d’autant
plus qu’amis et ennemis deviennent exigeants. Ceux mêmes qui lui ont donné leur
appui se croient les hommes nécessaires.
Le gouvernement succombe-t-il ? il
se trouve moins odieux, il est vrai, mais il perd cette considération, cette
force morale sans laquelle il ne peut gouverner l’Etat.
Lorsqu’au contraire le gouvernement reste neutre, il
peut se modifier, faire à l’opinion toutes les concessions nécessaires sans se
compromettre. Le mieux se fait alors sans réaction.
C’est donc dans l’intérêt du pouvoir même, du
pouvoir fort, que je voudrais le voir, en dehors des élections, spectateur
impassible des luttes populaires.
Eh, messieurs, malheureusement vous ne devez pas
sortir de chez vous pour l’application de ce principe ; ouvrez les yeux,
regardez ce qui se passe.
Il y a 12 ans, on proclamait hautement des principes
de justice et de grande liberté. Sous cet empire, le congrès travaillait à la
constitution qui fut suivie de lois qui attestent incontestablement son esprit.
Le pays était alors uni.
Depuis, et d’une main impitoyable le rebroussement a
porté le scalpel dans le sein des libertés publiques. Il a fouillé dans les
entrailles de cette loi fondamentale pour en arracher toutes les libertés qui
ne paraissent point d’absolue nécessité pour lui laisser une chétive existence.
On a désuni ce qui devait rester à jamais uni.
Le peuple belge est aujourd’hui divisé en deux camps
qui, sans être ni l’un ni l’autre hostile au pouvoir, offre cependant le triste
spectacle d’une division intestine acharnée dont les conséquences ne peuvent
être que déplorables.
Je définis notre position, non telle que je la
voudrais, mais telle qu’elle existe.
Si j’étais l’ennemi du gouvernement, si je voulais
le déconsidérer, le ravaler, je l’admettrais au combat du mois de juin
prochain, et je l’admettrais même avec ce luxe de précautions méticuleuses,
mesquines, ridicules mêmes, qu’exige de nous le projet en discussion.
Je ne sais à qui le sort destine la victoire, mais
si l’opposition réussit, le ministère aura compromis gravement le gouvernement
; il aura atténué et annihilé peut-être sa force morale, il aura prouvé à
l’intérieur et à l’extérieur même sa faiblesse et son impuissance.
Si le gouvernement, au contraire emporte la
victoire, je le crains, les fruits qu’il en recueillera seront un véritable
fléau pour la Belgique. Je ne veux point vous en détailler ici toutes les
conséquences probables...
Messieurs, ne nous trompons point. Nous ne faisons
pas une loi pour aujourd’hui seulement, nous travaillons aussi pour l’avenir.
L’homme change, les opinions même se succèdent.
Que ceux qui veulent en ce moment dans nos élections
l’intervention du pouvoir exécutif, du pouvoir responsable, daignent réfléchir
qu’un jour peut-être ce pouvoir sera hostile à leurs opinions. Ils auront à
regretter alors ce qu’ils exigent en ce jour : hodie mihi, eras tibi.
Tout pouvoir tend naturellement à s’étendre. Tout
pouvoir est de sa nature même envahisseur. Et plus il
sera de bonne foi, plus se persuadera-t-il qu’il doit diriger les élections
pour soutenir une politique qu’il croira la meilleure.
Le pouvoir des gouvernants et la liberté des peuples
sont deux choses opposées. Il est rare que la liberté empiète sur le pouvoir,
et souvent, au contraire, elle se perd par insouciance, tandis que le pouvoir,
par la force des choses et pour sa propre conservation, est toujours en
progrès. Jamais il ne recule ; il profite de tous les événements, de toutes les
circonstances pour s’étendre au préjudice de sa rivale.
Cela est vrai, et restera vrai chez nous comme
partout. Aussi, messieurs, le jour où le pouvoir vous fera une concession
libérale, sera-t-il bon d’écrire cette concession en lettres d’or sur le
frontispice du palais de la nation.
Ce n’est pas, messieurs, que je fasse de cette
tendance un crime au pouvoir exécutif, elle appartient à sa nature. De nos
jours surtout, les hommes ne sont pas faciles à gouverner.
Sans cette tendance, le pouvoir serait bientôt
débordé.
Mais j’en tire cette conséquence que si le pouvoir
doit veiller à sa conservation, le peuple, et conséquemment, les élus du peuple
doivent veiller incessamment au maintien des libertés.
Messieurs, en ouvrant les débats dans cette
importante discussion, je n’ai fait ni pu faire de la stratégie parlementaire ;
je vous ai soumis avec franchise et confiance les réflexions que j’ai cru
devoir faire en acquit de mon devoir, et pour m’éclairer même de vos lumières,
car je réserve mon vote, ainsi que les amendements qui me paraîtront utiles sur
plusieurs articles du projet.
Mais je vous en supplie ! répondons
aux vœux de nos concitoyens, répondons aux plaintes du peuple, non pour
détruire petit à petit les libertés conquises en 1830, mais pour les maintenir
et les conserver avec fermeté. N’offensons point le pays par des mesures
préventives de nature à blesser l’honneur, l’amour-propre de nos concitoyens ou
de simples susceptibilités. Jetons un regard sur le passé.
Qu’a-t-on gagné à porter une imprudente main sur les
franchises communales ? Cette plaie saigne encore ! elle
est corrosive.
Croit-on la cicatriser par de nouvelles atteintes au
droit électoral ? Non, messieurs le mal deviendra incurable.
Evitons que la voix du peuple, cette grosse voix,
comme dit certain publiciste, cette voix qui tonnait en 1830, ne se fasse
entendre de nouveau. Elle couvrirait la nôtre, et peut-être étoufferait-elle
pour longtemps nos institutions les plus libérales.
Quelle que soit la divergence de nos opinions,
rangeons-nous tous autour de l’arche sainte de la constitution ; déposons à ses
pieds tout ressentiment s’il en existait. Nos différends ne sont peut-être pas
tels qu’on le croit communément.
Vu de loin, souvent on se croit hostile ; en se
rapprochant, on se connaît mieux, et l’on est quelque fois étonné que ces
grands différends, ces immenses oppositions, ces antipathies mortelles se
réduisent à peu de choses.
Sur les moyens, nous différons sans doute, mais tous
nous avons le même but : la conciliation serait-elle donc chose impossible ?
Mieux que toutes les lois nouvelles, elle assurerait le bonheur du pays.
M. le président. - Quelqu’un demande-t-il encore la parole dans la discussion générale ?
Plusieurs membres. - A demain ! à
demain !
M. Fleussu. - M. le ministre de l’intérieur vient de présenter des tableaux et des
chiffres, ainsi que des amendements qui devraient être examinés. Je demande
donc que la discussion soit continuée à demain, et qu’il plaise à M. le
président de m’inscrire.
- La séance est levée à 4 heures 1/2.