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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 2 mars 1843

(Moniteur belge n°62, du 3 mars 1843)

(Présidence de M. de Behr, vice-président)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée,

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse communique les pièces de la correspondance.

« Le sieur Diederich Stinze, capitaine en second de navire, né à Rhade (Hanovre), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Diederich Stinze, capitaine de navires à Anvers, né à Rhade (Hanovre), demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Plusieurs fabricants de tulle demandent une augmentation de droit sur les tulles. »

- Renvoi à la section centrale pour les droits d’entrée, chargée d’en faire rapport en qualité de commission spéciale.


« L’administration communale d’Anvers demande une prompte révision de la loi sur le domicile de secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs cultivateurs du Hainaut présentent des observations sur la culture de la betterave et sur les fabriques de sucre indigène. »

- Sur la proposition de M. Savart-Martel, dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les sucres, et insertion au Moniteur.


M. le ministre de la justice transmet, accompagnées de renseignements relatifs à chacune d’elles, vingt demandes en naturalisation.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. Coppieters informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister, pour le moment, aux séances de l’assemblée.

Pris pour notification.


M. le président. - A la fin de la séance d’hier, M. le ministre de l’intérieur a dépose un rapport sur l’état de l’instruction moyenne. La chambre entend-elle ordonner l’impression de ce rapport. (Oui ! oui !)

- Le rapport sera imprimé et distribué.

Projet de loi sur les sucres

Discussion par questions de principe

2° Continuera-t-on le système de rendement ?

M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de M. Dumortier, ainsi conçue :

« Continuera-t-on le système de rendement ? »

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, j’ai l’honneur de déposer sur le bureau un sous-amendement à l’amendement de l’honorable M. Rodenbach.

Cet honorable membre propose 40 fr. pour le sucre exotique et 25 fr. pour le sucre indigène. Plus soucieux des intérêts du trésor public, que l’honorable auteur de cette proposition, je viens, moi, proposer …

M. le président. - Je dois vous interrompre ; l’amendement de M. Rodenbach n’est pas en discussion ; c’est la proposition de M. Dumortier qui est en ce moment en délibération.

M. Eloy de Burdinne. - Dans ce cas, je renonce à la parole, jusqu’à ce que je sois appelé à développer mon amendement.

M. de Theux. - Messieurs, il me semble cependant que ceux qui désireraient combattre le système de l’honorable M. Dumortier doivent être admis à formuler un autre système qui fasse voir qu’on peut satisfaire aux besoins du trésor d’une autre manière ; sans cela, il n’y aurait pas de choix possible, on se trouverait en présence d’une position unique.

M. Dumortier. - Messieurs, l’observation de l’honorable M. de Theux est très juste, et je l’appuie de toutes mes forces. D’ailleurs, je ferai remarquer qu’à la fin de la séance d’hier, la discussion s’est fourvoyée ; on a parlé d’une proposition de principe que j’avais déposée, mais qui n’est pas maintenant en discussion. Le point actuellement en discussion est de savoir si dans la loi que nous avons à faire, nous continuerons le système de rendement. C’est là une question de principe préliminaire à toute discussion. Quant aux moyens d’application du principe, c’est autre chose ; nous les examinerons ensuite, mais pour le présent, la question de principe du système de rendement est la seule question que j’aie proposée ; et afin que la chambre comprenne bien la portée de cette question, je dirai que la question revient à ceci :

« Admettrez-vous sur les sucres exotiques un droit d’accise ou un droit de douane ? Voulez-vous avoir un droit de douane ou d’accise ? »

Voici maintenant l’explication de cette question.

Au moyen du droit d’accise, vous continuerez à marcher dans le système de rendement, parce qu’il y a prise en charge, dés lors le trésor public est toujours exposé à se voir frustré de la somme que les citoyens ont payée pour l’impôt et à voir cette somme aller s’absorber en des primes au profit de l’étranger, dont personne ne peut calculer la portée. Au moyen du système de rendement, la loi est donc un mensonge pour le trésor, tandis qu’au moyen du système d’un droit de douane, le trésor tient les sommes qu’il touche et les tient dans les limites dans lesquelles il veut les tenir, le trésor accorde ou refuse une prime ; enfin le trésor public sait la position qu’il se crée, et la garde.

Ainsi, la seule proposition qui soit sur le tapis revient à celle- ci : A l’avenir, le droit sur les sucres exotiques sera-t-il un droit d’accise ou sera-ce un droit de douane ? Si vous adoptez un droit d’accise, vous restez dans le système de rendement ; si, au contraire, vous établissez un droit de douane, le système de rendement est annulé, et alors le trésor public teint ce qu’il a touché. (Interruption.)

Un membre. - Est-ce un droit d’entrée ou de consommation ?

M. Dumortier. - Qu’on appelle le droit de douane un droit le consommation, cela m’est indifférent ; au fond c’est ici la même chose. Mais je demande que le sucre de canne arrivant dans nos entrepôts soit mis sur le même pied que le sucre indigène. La position est bien claire ; il ne faut pas chercher des subtilités pour s’embrouiller les uns les autres. Posons la question loyalement, c’est le seul moyen de la résoudre. Je demande que les deux sucres soient soumis à un droit d’entrée, au moment qu’ils sont introduits dans la consommation ; enfin que ce soit un droit de douane et non d’accise. C’est là le but de ma proposition. Cette proposition, encore une fois, a pour but de sauvegarder tous les droits du trésor, de lui assurer l’impôt de toute la consommation intérieure ; libre à vous ensuite de faire de cet impôt ce que vous voudrez. Si vous croyez qu’il y ait lieu d’allouer une prime à la fabrication du sucre exotique, pour en faciliter l’exportation, je ne suis pas éloigné d’y consentir ; mais je veux avant tout que nous sachions ce que nous donnons en primes ; aujourd’hui personne ne peut dire ce que nous dépensons en primes.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, je disais hier que la proposition de M. Dumortier me paraissait peu réfléchie, et l’honorable membre vient d’en fournir la preuve. Hier c’était un droit de consommation qu’il voulait, aujourd’hui c’est un droit à l’entrée.

M. Dumortier. - C’est la même chose.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Point du tout ; il y a la différence du jour à la nuit.

Si c’est un droit à l’entrée que veut l’honorable M. Dumortier, par conséquent un droit perçu et acquis définitivement au trésor et qui ne donne jamais lieu à restitution, je lui demanderai ce qu’ils entendu par la fabrication et l’exportation par entrepôt qui suppose un droit d’accise avec apurement de compte ? Je désire que l’honorable M. Dumortier s’explique : veut-il ou ne veut-il plus son amendement d’hier ?

M. Dumortier. - Messieurs, je dois d’abord faire remarquer combien est déplacé le reproche que m’a adressé M. le ministre des finances, d’avoir été peu réfléchi dans la proposition que j’ai eu l’honneur de vous soumettre ; ce sont des reproches dont on devrait s’abstenir, et au reste il ne me serait pas difficile de les renvoyer à M. le ministre des finances.

Messieurs, j’ai proposé deux choses ; j’ai proposé d’abord une question de principe, c’est celle qui a été distribuée depuis quatre jours ; mais hier, pour régulariser l’ordre de la discussion, j’ai demandé qu’on mît en délibération une question rédigée plus simplement que celle que j’ai présentée. Il ne s’agit plus maintenant d’entrepôts, c’est par déviation qu’on est venu à la question des entrepôts. Je demande qu’on examine uniquement une question bien simple, celle de savoir s’il y aura à l’avenir un droit de douane ou un droit d’accise, avant d’agiter la question du chiffre du rendement, il faut savoir si on conservera ce système. « Continuera-t-on le système du rendement ? » Voilà la question à résoudre, il n’y en a pas d’autre. Quant à ce qu’on vient de dire sur le droit d’entrée et sur le droit de consommation, c’est de la chicane et rien que de la chicane. Nous savons ce que nous voulons : nous voulons assurer au trésor public dont M. le ministre des finances paraît abdiquer les droits ; nous voulons lui assurer, dis-je, l’impôt de toute la consommation intérieure ; eh bien, il n’y a qu’un seul moyen d’arriver à ce résultat, c’est d’établir pour le sucre un droit de douane ; vous ferez ensuite, je le répète, de la somme versée au trésor, tel emploi que vous jugerez convenable.

M. de Theux. - Je ferai observer que les questions de chiffre doivent être discutées avec beaucoup de calme. Je voudrais que l’honorable M. Dumortier posât uniquement la question de principe. La chambre a résolu hier que la priorité serait donnée à la proposition faite par l’honorable membre. Après la décision qu’on prendra sur la question de principe, on s’occupera des dispositions organiques. Maintenant nous n’avons à nous occuper que de la question ce principe. Les dispositions organiques viendront à la suite. Ma motion d’ordre consiste à demander que les auteurs des autres propositions soient admis à les développer, parce qu’ainsi que je l’ai fait observer à la fin de la séance d’hier, il importe que les propositions en opposition avec celle de M. Dumortier puissent être développées pour que nous soyons à même d’apprécier l’un et l’autre système, et de donner la préférence à la proposition de M. Dumortier ou à toute autre. Je demande donc que les auteurs des amendements déposés soient admis à les développer.

M. Rodenbach. - J’appuierai ce que vient de dire l’honorable M. de Theux. Il est d’autant plus nécessaire de développer mon amendement, qu’il était déposé avant qu’on ait décidé la question de priorité, en faveur de la proposition de M. Dumortier et que, contre les usages de la chambre, on ne m’a pas laissé développer ma proposition. Une foule d’autres amendements ont été déposés au commencement du débat et ont été développés. Je ne vois pas pourquoi on veut déroger au règlement, pour mettre ma proposition à la queue des amendements présentés.

M. Cogels. - La question est de savoir si la chambre reviendra sur la décision qu’elle a prise, à la majorité de 35 voix contre 34, sur la proposition de M. Dumortier. Hier la discussion a été placée sur son véritable terrain ; on ne s’est pas fourvoyé en prenant l’ensemble de la proposition, car que veut l’honorable M. Dumortier ? qu’on pose une question de principe qui est de savoir si le système du rendement sera supprimé dans la loi, enfin si le droit d’accise sera remplacé par un droit de douane. Voilà ce qu’il veut qu’on décide ; mais il veut que nous discutions ce principe sans examiner les conséquences. La question est de savoir s’il n’y aura plus d’exportation de sucre raffiné, ou si cette exportation continuera. Avant de décider une question aussi grave, il faut savoir par quel moyen on pourrait continuer à exporter, si le système du rendement venait à disparaître. Il faut donc prendre l’amendement de M. Dumortier dans son ensemble, sans cela nous discuterions une question de principe sans pouvoir examiner où l’adoption de ce principe nous conduirait.

M. Demonceau. - Je m’aperçois que quand on a perdu une cause on cherche à embrouiller la question pour tâcher de la regagner. La question posée par M. Dumortier est simple ; elle est tellement simple que les défenseurs de sucre exotique surtout devraient la comprendre. Moi, je conçois que quelques membres ne comprennent pas bien la question de principe posée par M. Dumortier, mais je ne comprends pas que les défenseurs du sucre exotique ne la saisissent pas à l’instant même. L’honorable M. Dumortier demande à la chambre de décider si elle veut, oui ou non, continuer un abus de la loi de 1822…

Un membre. - Selon vous !

M. Demonceau. - Selon la majorité. Cette loi permet une restitution supérieure au droit perçu sur la consommation.

M. Dumortier demande que la chambre discute cette question :

Substituera-t-on à un droit d’accise un droit de douane à l’entrée sur le sucre exotique ? La question est simple. Quand vous aurez pris une résolution sur cette question, vous devrez vous soumettre aux conséquences. Si vous croyez qu’il faut, pour comprendre cette proposition, examiner en même temps la proposition de l’honorable M. Dumortier et les autres propositions qui pourraient être faites ; si vous pensez que la proposition le M. Dumortier empêche les exportations de sucre raffiné, faites une autre proposition. Vous voulez, dites-vous, la proposition du gouvernement ? Mais la majorité l’a rejetée. La proposition du gouvernement était celle-ci : je prie les honorables collègues d’y faire attention. Je ne veux que la vérité ; ne nous a-t-on pas mis dans l’alternative de supprimer l’industrie du sucre de betterave ? Nous n’avons pas voulu de cette suppression, nous avons dit qu’il y avait possibilité de faire coexister les deux industries. Et quand on propose un moyen de régler cette coexistence, on se borne à l’attaquer en recherchant les inconvénients qu’il présente. Si vous croyez que l’exportation n’est plus possible par l’adoption de la proposition de M. Dumortier, proposez quelque chose pour substituer à la proposition extrême du gouvernement.

M. Rodenbach croit avoir trouvé ce moyen, entendez-le, et s’il donne de bonnes raisons, je m’empresserai de me ranger de son côté.

M. Cogels. - M. Demonceau vient de me faire un reproche que je ne saurais accepter. Il vous a dit : « Quand on a perdu une cause, on cherche à embrouiller la question pour la regagner. »

Ceci, je n’oserais pas le qualifier, mais c’est une impertinence dans toute la force du terme.

Je n’ai jamais cherché à embrouiller une question. Quand on dit que dans la discussion d’une question de principe, il faut pouvoir en discuter les conséquences, ce n’est pas chercher à l’embrouiller, mais à l’éclaircir.

Quel sera le moyen de rendre la discussion plus claire ou de l’embrouiller ? Sera-ce discuter chaque question isolément, ou de les discuter toutes à la fois ?

M. Dumortier. - J’ai dit tout à l’heure : je veux bien qu’on discute toutes les questions à la fois ; mais je demande que nos adversaires aient le courage d’attaquer de front ma proposition et non d’une manière détournée. Il y aura alors franchise dans la discussion ; cette franchise, nous ne la voyons pas dans la manière dont on défend la cause de la raffinerie des sucres exotiques ; nos adversaires prétendent qu’ils ne comprennent pas la question ; eh bien, je proposerai à la chambre de modifier ma proposition en ce sens : Assurera-t-on au trésor l’intégralité des droits sur les sucres consommés en Belgique ? Quant aux moyens, nous y viendrons plus tard ; alors nous verrons si on veut continuer des abus qui s’exercent aux dépens du trésor public.

Un membre. - Tout le monde répondra : Oui.

M. Dumortier. - Non ; non ; tous ceux qui veulent continuer à prendre des millions dans le trésor public diront : Non !

Nous voyons tous que le trésor a subi depuis dix ans des pertes considérables, par suite du rendement actuel. Je demande donc qu’on discute, non dans l’intérêt de telle ou telle industrie, mais dans l’intérêt du trésor, s’il y a lieu de laisser enlever au trésor public une partie de l’impôt que les citoyens peuvent et doivent payer. Je dis qu’en présence d’une question aussi claire, l’honorable M. Demonceau avait raison de dire qu’on l’embrouillait, et je trouve très déplacées et très imparlementaires les paroles que lui a adressées M. Cogels. Rien de plus clair que cette proposition : Voulez-vous continuer, oui ou non, le système de la loi de 1822 ? Quand on vient embrouiller une pareille question, on est mal venu à venir parler d’impertinence.

Voilà donc, si vous voulez poser la question dans un sens ou dans l’autre : Continuera-t-on le système de rendement ou assurera-t-on au trésor l’intégralité de l’impôt sur le sucre exotique ? A mes yeux, c’est la même chose.

M. Mercier, rapporteur. - Je n’entends pas me prononcer sur la question posée par M. Dumortier : Continuera-t-on le système du rendement ? Mais je dois déclarer que cette question me paraît très facile à comprendre. Ce système n’est pas exclusif des primes d’exportation ; il peut admettre que des primes seraient accordées d’une autre manière. Nous saurions, en ce cas, d’une manière précise quelle est cette prime. Je n’entends pas, je le répète, me prononcer sur cette question, mais elle est très claire et très simple. Quand on l’aura résolue, on n’aura décidé, quant aux primes, ni si ou les maintiendra, ni dans l’affirmative, quelle sera leur quotité ; on saura seulement si l’on renonce au système actuel. J’ai entendu dire que nous n’étions en présence que de la proposition de M. Dumortier, que la proposition du gouvernement, quant au chiffre, étant rejetée, il ne restait plus que celle relative au rendement.

Je ferai observer qu’il y a un projet complet de la section centrale concernant le droit et le rendement. Si l’on pense que ce projet ne donne pas une garantie suffisante de recettes, les membres qui auront cette opinion pourront faire la proposition d’ajouter un ou deux dixièmes à la réserve de 1/10 qu’il maintient. Il n’est donc pas exact de dire que nous ne soyons en présence d’aucune proposition.

M. de Theux. - Je ne vois rien d’embrouillé dans la proposition de M. Dumortier ; cela me paraît aussi clair que le jour. En effet, qu’est-ce que l’honorable M. Dumortier a demandé ?

Il vous demande que l’on fasse cesser le système de rendement qui est établi par la loi en vigueur, et qui constitue une prime indirecte d’exportation, dont on ne peut déterminer l’importance.

M. Dumortier propose un nouveau système ; il veut que l’on puisse travailler spécialement et séparément pour l’exportation, avec exemption de droits, et de plus il admettrait une prime dont le chiffre global serait fixé par la loi, parce que dans ce système la chambre sait à quoi elle s’engage ; elle sait positivement ce qu’elle fait pour le sucre exotique et pour l’intérêt de la navigation. Voici donc une proposition bien simple ; si elle est adoptée par la chambre, il y aura lieu de faire une organisation dans le sens de la résolution qui aura été adoptée par la chambre ; il y aura lieu de déterminer le montant de la prime, les formalités à observer pour l’exportation ; mais ces diverses mesures pourront être prises ultérieurement quand la question de principe sera résolue.

Quant à la discussion, rien n’empêche l’honorable M. Dumortier d’indiquer les conséquences pratiques de son système, de quelle manière il entend l’organiser, tant pour la liberté du travail que pour la hauteur de la prime, et pour les moyens de répartir cette prime. Rien n’empêche l’honorable membre d’entrer dans ces développements ; il conviendrait même qu’il le fît au moins sommairement. Les adversaires de l’honorable M. Dumortier devraient le suivre sur ce terrain, démontrer en quoi son système serait impraticable.

Il y a un autre moyen de combattre la proposition de M. Dumortier, en partant de cette base, que le trésor a besoin de quatre millions, c’est de démontrer qu’il existe d’autres moyens pour obtenir ces quatre millions. C’est par ce motif que je demande que tous ceux qui veulent formuler des amendements, les développent immédiatement. Nous aurons alors le choix entre ces divers systèmes, nous pourrons prendre une détermination avec maturité, et une fois cette détermination prise en principe, l’organisation deviendra très-facile.

M. Verhaegen. - Le gouvernement, qui devrait diriger la discussion, se tient à l’écart.

M. Rogier. - C’est très vrai.

M. Verhaegen. - Et je suis étonné d’entendre reprocher par M. le ministre des finances à l’honorable M. Dumortier qu’il a fait une proposition irréfléchie, lui qui n’a cessé de changer de système. (Dénégation.) Vous avez changé, jusqu’à quatre fois de système, et je trouve étonnant que vous adressiez un pareil reproche à l’un de nos honorables collègues.

Je dis que le gouvernement ne dirige pas la discussion, et que nous sommes forcés de voguer, en quelque sorte, à l’aventure ; en effet, ce n’est pas le gouvernement qui formule les propositions, il abandonne ce soin aux membres de cette assemblée.

La proposition dernière du ministre des finances a été condamnée par le vote d’hier, et ainsi son système s’écroule par sa base ; il devrait donc avoir le courage d’en formuler un autre.

Une proposition est faite par M. Dumortier. Je ne dis pas encore quel sera le parti que je prendrai sur cette proposition ; je cherche à m’éclairer, c’est dans cette intention que je ferai quelques réflexions par forme d’interpellations.

L’honorable M. Dumortier ne veut-il pas faire décréter que le rendement fictif, tel qu’il favorise aujourd’hui le sucre exotique, ne continuera pas à exister ? ne veut-il pas saper par sa base ce rendement fictif, ne veut-il pas dire aux raffineurs : Si vous avez besoin d’une protection, je vous l’accorderai, mais ayez le courage de la demander ; ne vous cachez pas derrière un rendement fictif ; s’il vous faut une protection pour pouvoir subsister, ayez la franchise de le dire, et la chambre s’empressera de vous la donner. Voilà, je pense, ce que propose M. Dumortier, et s’il en est ainsi, on a eu tort de prétendre qu’il avait présenté un système dont l’exécution était impossible. Voici, quant à moi, de quelle manière je comprends ce système. Je lui demanderai encore à cet égard des explications, tout en me réservant la liberté de mon vote.

D’après M. Dumortier, on fera payer au sucre exotique un droit à l’entrée ; il y aura deux catégories de raffineries : l’une pour l’exportation, l’autre pour la consommation. Les raffineries pour l’exportation travailleront en entrepôt. On s’est mis à rire quand on a parlé de raffinage à l’entrepôt ; on a prétendu qu’un entrepôt fictif était impossible, et plus encore un entrepôt réel ; une réponse a été faite à cette objection par l’honorable M. de Mérode, et elle est marquée au coin de l’exactitude. On fera, a-t-il dit, pour le sucre exotique destiné à l’exportation, ce que l’on fait pour les raffineries de sucre indigène. Je demande si ce n’est pas ainsi qu’on l’entend ?

M. Dumortier. - Tout à fait.

M. Verhaegen. - Si les raffineurs travaillent pour l’exportation, ils travailleront dans des entrepôts fictifs, et ils seront surveillés par les employés comme les fabricants de sucre indigène, d’abord à la défécation et ensuite dans le rafraîchissoir à l’empli.

C’est véritablement là une fabrication en entrepôt fictif. Encore une fois, pourquoi ne ferait-on pas pour le sucre exotique destiné à l’exportation ce que l’on fait pour le sucre indigène qui doit payer son droit de consommation ? C’est absolument la même chose.

Je crois, messieurs, que le système de M. Dumortier est exécutable, du moment que l’on fait deux catégories de raffineries, l’une travaillant pour l’exportation et l’autre pour la consommation. On paie le droit à l’entrée, et dans les raffineries qui seront surveillées comme elles devront l’être, on donnera une décharge de ce droit payé à l’entrée, alors que l’on fera sortir tout ce que le sucre importé aura produit.

M. Dumortier. - C’est cela.

M. Verhaegen. - C’est de cette manière que je comprends la proposition de M. Dumortier. Elle se réduit à cette question : continuera-t-on à laisser jouir le sucre exotique d’une prime indirecte ou d’un rendement fictif ? Si cette question est résolue négativement, on prendra alors tout ce que le sucre exotique comporte, sauf à donner une somme déterminée à titre de prime. Alors, au moins, on saura quel sacrifice fait le trésor, mais c’est ce que les raffineurs ne veulent pas. Ils préfèrent le rendement, ils veulent une protection, mais ils se refusent à la demander d’une manière formelle,

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, tout le monde reconnaît que la question des sucres est une des plus graves et des plus difficiles qui puissent exister en matière d’économie sociale ; partout elle occupe les méditations des hommes d’Etat, et nous voyons, par l’expérience d’un pays voisin, combien est grande la difficulté de la résoudre. J’étais donc en droit de me servir des expressions que j’ai employées et de dire, d’après les développements que l’honorable M. Dumortier a donnés aujourd’hui à son amendement d’hier, que cet amendement devait s’interpréter d’une toute autre manière. J’ai fait remarquer qu’il devait s’expliquer, et dire s’il voulait un système de droit de douanes ou un système de droit d’accises. Si c’est un droit de douanes, eh bien, dans ce cas, il n’y a plus d’exportation, à moins d’apporter la plus grande confusion dans les principes de l’impôt.

S’il veut un droit d’accise, il doit y avoir exportation, et par conséquent restitution du droit ; mais on ne peut pas amalgamer deux principes contraires. Cependant, l’honorable M. Dumortier, d’après les nouvelles explications qu’il vient de fournir, paraît vouloir l’intégralité du droit, mais en autorisant ceux qui voudront exporter à travailler dans des entrepôts fictifs, ou bien à recevoir une prime à déterminer par la loi. Or, voilà bien deux systèmes entièrement différents.

M. Dumortier. - Il n’y en a qu’un seul.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Vous dites que, pour faciliter la raffinerie des sucres exotiques destinés à l’exportation, vous proposez soit la faculté de raffiner en entrepôt fictif, soit une prime qui ne pourra excéder 2 millions de francs.

M. Dumortier. - Mettez et au lieu de soit.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Eh bien, messieurs, il y aurait donc faculté de raffiner en entrepôt avec faculté d’exportation. Je voudrais bien que ce système fût formulé, car la chambre, en décrétant le principe n’aurait encore rien fait. Il faudrait ensuite une nouvelle loi d’application ; mais comment faire cette loi ? Quelles seront les dispositions, quelles seront les mesures de surveillance à employer, quel sera le rendement pour chaque espèce de contrôle, quel sera le rendement pour chaque espèce de sucre ; ou quel sera le rendement pour chaque espèce de mélange ?

Vous le voyez, messieurs, un pareil système ne s’improvise pas, et j’étais en droit de dire que cette proposition n’avait pas été suffisamment réfléchie.

L’honorable M. Verhaegen nous a reproché de ne pas diriger les discussions de la chambre ; mais, messieurs, je ne sais pas comment nous pourrions le faire.

Nous avons présenté un projet en 1842 ; ce projet avait pour but d’assurer la coexistence des deux sucres. Mais ce projet n’assurait au trésor qu’une rentrée de deux millions environ. Est venu le vote par la chambre de 50 millions de dépenses extraordinaires ; est venue la discussion du budget des voies et moyens : cela changeait entièrement la situation. Pour nous conformer aux vœux de la chambre exprimés lors de cette discussion, nous sommes venus vous apporter des amendements tendant à faire produire à l’industrie sucrière un revenu de 4 millions ; la chambre, messieurs, par son vote d’hier, a rejeté nos propositions.

Dès lors le gouvernement s’est trouvé devant des systèmes nouveaux. Les amendements du gouvernement ont été rejetés, et vous voulez que nous dirigions les délibérations dans le sens de ces amendements. Mais cela n’est pas possible. Le gouvernement doit aujourd’hui écouter toutes les propositions nouvelles qui surgiront ; il se décidera ensuite pour l’une ou pour l’autre d’entre elles, sauf à l’amender dans les intérêts du trésor, et aussi dans l’intérêt du commerce et de l’industrie. Car le gouvernement ne peut jamais disjoindre ces trois choses ; le gouvernement a pour mission dans cette assemblée non seulement de défendre les intérêts du fisc, mais de concilier ces intérêts avec ceux du commerce et de l’industrie.

M. Delehaye. - Messieurs, on nous a accusés hier et aujourd’hui de vouloir embrouiller la discussion. Remarquez bien, messieurs, que l’honorable M. Dumortier vous a fait d’abord une proposition qui a été imprimée. Cette proposition a été modifiée hier ; elle se trouve encore modifiée aujourd’hui, et enfin l’honorable M. Verhaegen vient de fixer l’idée de l’honorable M. Dumortier. Est-on bien fondé après cela à dire que c’est nous qui voulons embrouiller la discussion ? Comment ! vous saisissez la chambre d’une proposition que vous modifiez quatre fois !

M. Dumortier. - Pas du tout.

M. Delehaye. - Vous nous aviez fait une première proposition que vous avez retirée hier et que vous avez remplacée par une autre.

M. Dumortier. - C’est complètement inexact.

M. Delehaye. - Mais les faits sont là ; votre première proposition a été imprimée ; vous l’avez remplacée par une autre.

Je ne vous fais pas un reproche d’avoir modifié votre première opinion ; vous avez bien fait si vous avez reconnu que vous aviez tort en premier lieu, et vous aviez eu tort.

L’honorable membre dit que nous avons craint d’exprimer notre opinion ; mais c’est vous qui n’avez pas eu le courage d’exprimer votre opinion. Car quelle est la portée de votre proposition ? C’est de défendre l’exportation, et vous n’osez pas le dire.

Mais, dit-on, l’honorable M. Dumortier propose une prime pour favoriser l’exportation. Mais, messieurs, cette promesse de prime n’a pas de sens.

On dit que le projet du gouvernement est renversé. Je dis qu’il est renversé quant au droit, mais il n’est pas renversé quant au rendement. La question du rendement n’a pas été touchée, personne ne s’en est occupé. Il n’est donc pas exact de dire que le projet du gouvernement ait été rejeté ; nous pouvons le maintenir quant au rendement. Il est vrai que vous n’obtiendrez plus 4 millions de l’impôt du sucre. Mais il est impossible, après la décision que vous avez prise, d’obtenir 4 millions. Car je ne pense pas que le ministère soit l’ennemi du commerce et veuille demander une aggravation de charges.

L’honorable député de Bruxelles vient d’expliquer la proposition de l’honorable M. Dumortier ; mais je dis que ces explications sont encore incomplètes. Je vous demanderai, par exemple, ce que vous feriez du sucre vergeois et du sirop ? Voilà une question qui n’a pas été touchée.

On dit que nous embrouillons la question mais nous n’avons fait, nous, aucune proposition ; nous avons soutenu le projet du gouvernement. Aussi, si la réponse de l’honorable M. Cogels peut avoir été un peu grave, elle trouve son excuse dans les accusations dont nous avons été l’objet.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Messieurs, je suis très étonné que l’honorable préopinant vienne m’adresser le reproche d’avoir constamment modifié ma proposition et de n’avoir pas d’opinion faite. Et qu’après ce reproche il finisse par dire : Mais soyez donc de bonne foi. Je crois, messieurs, que personne ne montre plus de bonne foi que moi, et la preuve, c’est que mon opinion ne s’est modifiée en rien depuis l’origine de ma proposition ; les modifications que je lui ai fait subir ne sont que des modifications de rédaction, et en voici la preuve.

Qu’est-ce que j’ai proposé d’abord ? Cette rédaction :

« Le droit sur les sucres, soit indigènes, soit exotiques, est acquis au trésor au moment de la mise en consommation.

« La restitution de sortie est supprimée. »

J’espère, messieurs, qu’il n’est pas possible de rien voir plus clair que cette rédaction.

Qu’ai-je demandé hier que l’on mît en discussion ? Qu’est-ce que la chambre a admis qu’elle mettrait en discussion ? cette question de principe : Continuera-t-on le système de rendement, c’est-à-dire la restitution de sortie ?

Je dis qu’entre la première et la seconde rédaction il n’y a que les termes qui diffèrent, le sens est absolument identique, et la preuve, c’est que, dans ma première comme dans ma seconde rédaction, le second paragraphe, qui est le point culminant de la discussion, était le même.

C’est donc bien à tort qu’on vient nous inviter à être de bonne foi, alors qu’on cherche è embrouiller une question si limpide, si claire.

Messieurs, nous n’avons demandé qu’une seule chose, c’est qu’on sorte du système de rendement qui a occasionné tant de perte au trésor public ; qu’on se décide par une proposition affirmative ou par une proposition interrogative, le résultat est toujours le même.

Messieurs, l’honorable M. Delehaye vient de vous dire que la proposition que j’ai faite a pour but de détruire les exportations de sucre exotique. Je soutiens que cela est encore inexact, puisque, déjà il y a plusieurs jours, lorsque j’ai parlé pour la première fois, j’ai dit, ainsi que vient de le rappeler l’honorable M. Verhaegen, que j’étais prêt, s’il le fallait, à accorder une prime d’exportation pour le sucre raffiné à l’intérieur, mais que je voulais savoir ce que le trésor paierait.

M. Delehaye. - Où exporteriez-vous ?

M. Dumortier. - Où on exporte maintenant. Mais soyons justes ; vous voulez palper dans le trésor sans que l’on sache ce que vous aurez palpé. Voilà comment on s’explique quand on parle avec franchise et avec vérité.

Eh bien ! je ne veux pas de la continuation d’un pareil trafic, qui est à mes yeux un commerce honteux. Je veux que si le trésor fait un sacrifice, et je suis le premier à vouloir en faire un en faveur du sucre exotique, que je ne veux pas tuer comme on a voulu tuer le sucre indigène, je veux que l’on sache à quoi se monte ce sacrifice.

Je veux en second lieu que les droits de consommation restent acquis au trésor, et que quand ces droits lui seront acquis, nous en fassions ce que nous voulons, que nous en donnions une part, s’il le faut, pour favoriser l’exportation, mais que la très grande part reste au trésor ; et je maintiens qu’en adoptant ma proposition, le trésor resterait nanti de 4 millions, tout en donnant 2 millions en primes d’exportation.

Quant aux objections qui ont été faites à ma proposition, je suis prêt à les aborder ; je suis prêt à m’expliquer sur ce qui a été dit du sucre vergeois, des moyens de mettre mon système à exécution ; mais je dis qu’on ne peut nous accuser de mauvaise foi ; nos principes sont restés les mêmes, nous ne les modifions pas.

Messieurs, vous le voyez, il faut aborder la question au fond. Je me rallie, quant à moi, à la proposition de l’honorable M.de Theux. Qu’on développe les divers systèmes proposés, qu’on les examine, et je suis persuadé qu’il en surgira la conviction que le seul moyen d’obtenir les revenus que l’on veut assurer au trésor public est celui que j’ai proposé.

M. Demonceau. - Messieurs, un honorable membre a cru devoir qualifier d’impertinence ce que, pour moi, je considère comme une vérité, peut-être trop naïvement exprimée. Si, messieurs, il y avait eu quelque chose dans mes paroles qui puisse déplaire à la chambre, je les retirerais. Je demanderai donc à l’honorable collègue qui m’a fait ce reproche, s’il juge que je dois être rappelé à l’ordre ; qu’il en fasse alors la proposition, et je subirai la censure de la chambre. J’ai pour habitude de m’exprimer toujours avec vérité, mais jamais je ne manquerai à la chambre ni aux convenances parlementaires.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, la chambre a décidé hier qu’elle commencerait la discussion nouvelle par l’examen de la proposition de l’honorable M. Dumortier. Si cet examen n’a pas encore commencé, cela tient uniquement aux développements qu’il a donnés à l’appui de sa proposition. Mais je crois qu’il faut sérieusement se mettre devant la question, et j’engagerai l’honorable M. Dumortier à présenter dès à présent les moyens pratiques qu’il croit avoir trouvés pour le cas d’exportation avec le régime d’entrepôt, parce qu’il faut clairement s’entendre sur la portée d’une question pour bien la résoudre.

M. le président. - La chambre a décide qu’elle discuterait d’abord la question proposée par l’honorable M. Dumortier : celle de savoir si on continuerait le système du rendement. L’honorable M. de Theux propose de discuter en même temps les différentes propositions qui ont été déposées sur le bureau. La chambre veut-elle discuter conjointement la question de M. Dumortier et ces différentes propositions ?

M. de La Coste. - Je ne puis m’empêcher de dire que ce serait revenir sur une décision de la chambre. Cela peut-être fort utile, mais la chambre a décidé le contraire par deux votes par assis et levé, et ensuite par appel nominal. Si nous remettons en discussion ce qui a été décidé, nous n’avancerons pas d’un seul pas. Il ne suffirait pas d’ailleurs qu’on discutât les nouveaux amendements ; il faudrait aussi qu’on discutât le projet ministériel et le projet de la section centrale ; c’est-à-dire qu’on examinât simultanément la question du droit et celle de rendement ; si on les discute conjointement avec la proposition de l’honorable M. Dumortier, on détruira littéralement la décision qui a été prise hier.

L’honorable comte de Theux fait-il la proposition de revenir sur le vote d’hier ? Alors il y aura lieu de mettre cette proposition aux voix. Sans cela il me semble que M. le président devrait maintenir la discussion dans le sens décidé par la chambre.

M. de Theux. - Messieurs, à la fin de la séance d’hier, j’ai signalé à la chambre l’embarras dans lequel elle se trouverait si elle s’attachait uniquement à la proposition de l’honorable M. Dumortier, proposition que l’on ne peut apprécier d’une manière complète qu’en la mettant en regard des autres propositions qui tendent à assurer au trésor un revenu de 4 millions. Ce n’est qu’en examinant simultanément toutes ces propositions que la chambre pourra se former une opinion sur ce qu’il convient de faire.

Eh bien, messieurs, c’est la marche qu’à la fin de la séance d’hier j’ai proposé à la chambre de suivre, et alors cette proposition n’a rencontré aucune espèce d’opposition ; lorsque je l’ai reproduite aujourd’hui, l’honorable M. Dumortier en a tellement senti la justesse, qu’il s’y est rallié, et tout le monde semblait d’accord pour l’adopter. C’est, en effet, le seul moyen qui puisse mettre la chambre à même de faire un choix entre les diverses propositions qui sont faites. La proposition de M. Dumortier a pour objet d’assurer des recettes an trésor, maïs il pourrait arriver qu’il fût démontré dans la discussion que telle ou telle des autres propositions qui sont ou seront faites, fût de nature à amener le même résultat tout en étant plus favorable aux intérêts du commerce. Eh bien, dans ce cas il faut que la chambre puisse donner la préférence à une semblable proposition. Ce n’est pas ici, messieurs, une question d’amour-propre ; il s’agit des intérêts généraux du pays, de l’intérêt du trésor, de l’intérêt du commerce. Mettons donc de côté toute espèce d’animosité, toute espèce d’esprit de localité, et tâchons de trouver le meilleur moyen de concilier les divers intérêts qui sont en présence.

M. Cogels. - Messieurs, j’avais demandé que la chambre ne revînt pas sur la décision qu’elle a prise hier. Vous vous rappellerez qu’il s’agissait de savoir si l’on donnerait la priorité à la proposition de M. Dumortier tendant à supprimer la restitution, ou bien à deux questions de M. de La Coste, combinées, et qui tendent faire décider en même temps quelle sera la quotité des droits et quelle sera la quotité du rendement. Remarquez bien, messieurs, que dans le système de la section centrale, auquel le vote d’hier n’a porté aucune atteinte, le système du rendement est maintenu. Vous voyez donc, messieurs, que la demande que j’ai faite tendait à porter dans la discussion le plus de clarté possible.

Maintenant, si l’honorable M. Demonceau, au lieu de dire qu’il n’a fait qu’exprimer trop naïvement une vérité, veut dire qu’il s’est trompé, alors je consentirai volontiers à retirer également l’expression dont je me suis servi dans un moment de vivacité.

M. de La Coste. - Je crois avoir présenté à la chambre la véritable position où elle se trouve par suite de son vote d’hier. Si maintenant elle pense éclaircir la discussion en réunissant trois questions, celle de M. Dumortier, celle du rendement et celle du chiffre de l’impôt, je n’ai rien à objecter, je ferai seulement remarquer qu’alors il ne faut pas discuter uniquement ces trois questions que je viens d’indiquer, mais qu’il faut examiner en même temps le système ministériel et le système de la section centrale.

M. de Mérode. - Messieurs, j’appuie la proposition de l’honorable M. de Theux, car si l’on discutait uniquement la proposition de M. Dumortier, bien des membres pourraient croire qu’il n’y a pas d’autre moyen de procurer au trésor 4 millions de francs, tandis que si l’on examine en même temps les divers systèmes proposés pour atteindre ce but, on pourra comparer ces divers systèmes et choisir celui qui paraîtra le plus efficace

- La proposition de M. de Theux est mise aux voix et adoptée. En conséquence, la chambre passe à la discussion des diverses propositions relatives au rendement et aux chiffres des droits.

3° Rendement et droits à percevoir au profit du Trésor

M. Rodenbach. - Messieurs, j’ai proposé, dans la séance d’hier, un amendement tendant à imposer le sucre exotique d’un droit d’accise de 40 fr. et le sucre indigène d’un droit de 25 fr. J’ai voulu, messieurs, que les deux industries pussent exister et même prospérer en Belgique ; la différence de droits que je propose d’établir en faveur du sucre indigène est de 15 fr. par 100 kilogrammes, ce qui fera une protection d’environ 25 p. c.

M. le ministre des finances (M. Smits) - 37 p. c.

M. Rodenbach. - Je crois que lorsqu’on a égard à la différence qu’il y a entre le prix de revient des deux sucres, on doit reconnaître que la protection n’est que de 25 p.c. et non pas de 37. Eh bien, messieurs, je crois qu’au moyen de cette protection, l’industrie du sucre indigène peut prospérer. Si je suis bien informé, les sucreries de betteraves vendent maintenant leur sucre à dix centimes par kilogramme meilleur marché qu’on ne vend le sucre exotique. L’industrie indigène pourra donc prospérer avec une protection de 25 p. c.

Messieurs, je n’ai pas voulu de l’égalité des droits, mais j’admets toutes les autres dispositions du projet du gouvernement ; ainsi, j’admets le rendement tel que M. le ministre des finances le propose ; j’admets la retenue de 4/10, en un mot je ne propose d’autre changement au projet ministériel que de remplacer pour le droit sur le sucre indigène le chiffre de 40 fr. par celui de 25 fr.

Si j’ai voté contre l’égalité des droits, c’est parce que je n’ai pas voulu détruire une industrie qui fait des progrès immenses et qui en fera sans doute encore. D’ailleurs, si on avait anéanti cette industrie, il aurait fallu lui donner une indemnité, et je ne sais pas s’il appartiendrait à la chambre de fixer le chiffre d’une semblable indemnité ; quand il s’agit d’une expropriation pour cause d’utilité publique, on fait des enquêtes, les intéresses sont entendus, et ce sont les tribunaux qui prononcent ; je ne sais pas jusqu’à quel point on aurait pu s’écarter des principes admis en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. Eh bien, messieurs, personne ne peut dire à combien s’élèverait le montant de l’indemnité qu’il faudrait payer aux producteurs de sucre indigène, si l’on supprimait leur industrie ; il s’agirait peut-être de 5, 7, 10 millions.

Je pense, messieurs que si mon amendement est adopté, le trésor pourra tirer du sucre 3 millions et demi et que la coexistence des deux industries sera assurée. La proposition de la section centrale ne détruirait pas entièrement la navigation et le commerce, mais elle froisserait considérablement la raffinerie du sucre exotique, industrie qui existe depuis deux siècles dans le pays, et dont l’importance est de plusieurs millions. Je pense qu’on ne peut pas ainsi anéantir, d’un seul trait de plume, une semblable industrie.

Je pense, messieurs, que quand vous aurez bien examiné la question, vous adopterez mon amendement, qui, je le répète, permettra aux deux industries d’exister, qui nous évitera la nécessite de payer une indemnité dont le chiffre pourrait s’élever à 6 ou 10 millions, et qui rapportera plus au trésor que la proposition ministérielle.

(Moniteur belge n°63, du 4 mars 1843) M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je crois que l’amendement de M. Rodenbach peut satisfaire le commerce ; mais je ne pense pas qu’il puisse satisfaire aux exigences du trésor. Ce n’est pas 3 millions et demi, messieurs, que le trésor devrait retirer de la consommation du sucre, c’est 8 à 10 millions. Eh bien, en admettant ma proposition, on procurera au trésor une recette d’environ 7,500,000 fr. au lieu de 4 millions proposés par le gouvernement ; notre trésor ne sera pas encombré (erratum Moniteur belge n°66 du 7 mars 1843 :) par les 3 millions cinq cent mille francs en plus que mon amendement procure à M. le ministre des finances.

Messieurs, si je suis venu vous faire une proposition, c’est que j’ai pour moi l’autorité de ce qui se passe en France. Je vais vous donner connaissance de ce qui a lieu en France. J’ai sous les yeux le relevé des importations de sucre en France, ainsi que des droits payés de ce chef en 1841 ; le tableau a été arrêté au premier juillet 1842.

(Le Moniteur reprend ensuite un relevé des quantités de sucre mises en consommation en France pendant l’année 1841. Ces données statistiques ne sont pas reprises dans la présente version numérisée.)

Notez bien que l’impôt sur le sucre, en France, est plus élevé que la valeur du sucre, tel poids d’une valeur de 1,300,000 fr. paie 1,800,000 francs de droit, et le sucre étranger paye en France à raison de 75 francs par 100 kilogrammes.

Messieurs, si vous comparez le chiffre que je vous propose pour frapper le sucre étranger, entrant en Belgique, à raison de 60 c. ; si vous le comparez, dis-je, au droit qui existe en France, vous verrez que je suis bien modéré, car, en France, le taux moyen du droit qu’on perçoit à l’entrée des sucres étrangers, est de 73 c. par kilogramme.

La France a reçu en 1841 une somme de fr. 43,626,919 provenant de l’impôt sur les sucres, non compris le droit perçu sur le sucre de betterave.

Messieurs, si je compare l’impôt perçu eu Angleterre, avec celui qu’on percevrait en Belgique d’après la proposition que j’ai eu l’honneur de vous soumettre, vous verrez que je suis encore très loin d’approcher du chiffre du revenu que le sucre procure à l’Angleterre.

En Angleterre, la consommation du sucre donne 120,600,000 francs : c’est 30 fr. par individu ; eh bien, mon système n’aboutirait pas encore à 2 fr. par tète.

Messieurs, si ma proposition n’était pas admise, je vous entretiendrais d’un autre moyen qui serait aussi très favorable au trésor. Je pourrais admettre le système du gouvernement, qui est de frapper à la consommation le sucre indigène d’un droit égal à celui dont serait frappé le sucre exotique, pour autant, cependant, que ce dernier soit frappé d’un droit d’entrée de 15 à 20 fr. par 100 kil. (Exclamations sur quelques bancs.)

Je sais que c’est trop fort pour celui qui veut gagner beaucoup en puisant dans le trésor. Nos autres industries jouissent d’une semblable faveur, nous la devons à l’industrie du sucre, à plus forte raison que les avantages qu’elle procure sont immenses, comparés aux diverses autres industries du pays.

Mais pour obtenir le résultat que nous attendons de la consommation de cette matière en faveur du trésor, il faut que toute la partie sucrée, provenant du sucre brut, paie l’impôt et en admettant le chiffre de 40 fr. par 100 kil.

5,000,000 de sucre de betterave, à raison de 40 fr. par 100 kil., donneront une recette de fr. 2,000,000

10,000,000 de sucre exotique pour compléter la consommation au droit de 40 fr., fr. 4,000,000

10,000,000 de sucre exotique payeront un droit d’entrée de 20 fr., par 100 kil., soit fr. 2,000,000

Ensemble, fr. 8,000,000

Quant au surplus des sucres entrant pour l’exportation après le raffinage, j’adopterai la proposition de M. Dumortier ou telle autre qui serait de nature à éviter la fraude.

On me dira peut-être que j’accorde une trop grande protection à l’industrie de mon pays au détriment de la navigation et de l’exportation de nos produits. Je crois qu’on s’exagère l’importance du commerce des sucres, en rapport avec le bien-être que cette exportation produit au trésor. Je vais vous en donner la preuve.

Le principal argument que l’on a fait valoir, pour soutenir les raffineries de sucre exotique qui travaillent pour l’exportation, c’est le suivant :

L’influence bienfaisante du commerce de sucre, particulièrement par rapport à l’exportation des produits industriels du pays, sur laquelle les sucres, a-t-on prétendu, exerçaient une grande influence.

Voici le résultat du mouvement commercial avec les pays de provenance de sucre non compris les sucres.

(Le Moniteur reprend ensuite un relevé des importations et des exportations de divers pays tropicaux. Ces données statistiques ne sont pas reprises dans la présente version numérisée.)

Il résulte de ce qui vient d’être établi, que les pays de provenance de sucre ont importé, en Belgique, des produits de leur pays autres que des sucres, la quantité de kil. 21,549,477, tandis que la Belgique n’a exporté pour ces pays que la quantité de 3,262,975. En plus importé qu’exporté : 18,286,505

Voyons combien de navires sont employés pour exporter nos produits que nous fournissons aux pays là où nous allons chercher des sucres en établissant le chargement de chaque navire, taux moyen, à 200 tonneaux, soit 200,000 kil.16 à 17 navires sont employés à exporter les matières que nous fournissons aux Indes, tandis que pour importer les matières des Indes autres que des sucres en Belgique, 107 navires sont employés à nous importer leurs produits. Il résulte donc que de ces 107 navires qui nous importent, 17 sortent avec chargement, tandis que 90 partent sur lest.

Tandis que pour importer les matières provenant des Indes, autres que le sucre, 107 navires ont été employés. Il en résulte que sur 107 navires qui nous importent des produits indiens autres que le sucre, 17 sortent avec chargement et 90 partent sur lest.

En présence des documents statistiques peut-on venir prétendre que nos navires, allant aux pays de provenance de sucre pour porter nos produits, seraient dans le cas de revenir à vide et de faire supporter à la marchandise exportée un double fret s’ils ne trouvaient pas le sucre pour utiliser leur retour ? Ils ont des produits autres que le sucre à prendre, puisque sur 107 navires qui nous apportent ces produits, 90 retournent sur lest.

Messieurs, à entendre certains membres, on croirait aussi qu’il est réservé à nos navires qui nous importent du sucre, de se charger d’exporter nos fabricats aux Indes.

Dans une séance précédente on a dit qu’il ne sortait pas de navire belge sur lest pour aller chercher du sucre aux Indes.

Curieux de connaître jusqu’à quel point cette allégation était exacte, j’ai ouvert la statistique du mouvement maritime, et je trouve à la page 306 du document statistique qui nous est fourni par le département des finances, exercice 1841, qu’il est sorti de nos ports sur lest, 959 navires d’un tonnage de 140,560 tonneaux, n’ayant emporté que 1,039 tonneaux, sûrement en approvisionnement de voyage, 186 navires belges sont sortis sur lest, dont 1 allant aux Pays-Bas, là où nous cherchons du sucre, 121 allant en Angleterre, là où on veut aussi chercher du sucre, 2 allant à Cuba et Porto-Rico, où nous cherchons du sucre, 1 allant au Brésil et 18 sortis à l’aventure, soit 143 navires belges, y compris ceux qui vont à l’aventure, sont sortis de nos ports sur lest en 1841 (erratum Moniteur belge n°66 du 7 mars 1843 :) destinés à importer du sucre selon toute probabilité.

Résultat. Sortis sur lest de tout pavillon, belge excepté, en 1841 :

Etrangers, 773

Belges, 186

Total, 959

De ces 186 navires belges sortis sur lest, 143 sont allés en Angleterre, en Hollande, à Cuba et Porto-Rico, au Brésil et 18 à l’aventure, sûrement allant chercher du sucre en aventuriers.

Je vais vous citer l’opinion d’un homme qui m’inspire beaucoup de confiance par son érudition et ses connaissances, c’est celle de M. de Humboldt, de Berlin.

La remarque de cet homme distingué donne un démenti formel à ceux qui prétendent que la betterave ne peut lutter contre la canne. La canne, prétend-on, produit plus de sucre que la betterave. Vous allez voir que la même quantité de terrain cultivée en betterave donne le double de sucre que s’il était cultivé en canne à sucre.

M. de Humboldt a remarqué que 7 lieues carrées dans les pays de provenance de sucre de canne, fournissent tout le sucre que la France a jamais consommé.

7 lieues carrées mesurent 122,500 hectares qui, s’ils étaient ensemencés en betterave, produiraient en sucre 294,000,000 de kil. de sucre, plus que le double du sucre que la France ne consomme.

Si ce fait est exact, comme je le crois, la betterave donnerait par hectare le double du sucre, que le même hectare cultivé en canne à sucre.

N. B. 7 lieues carrées aux colonies françaises produisent la consommation de la France en sucre ; cette consommation est évaluée à 120,000,000 de kilog. ; 7 lieues carrées ou 122,500 hectares disséminés et cultivés en betterave donneraient 294,000,000 de kil. de sucre, en plus que la consommation de la France, 174 millions de kilog., et, en céréales, en plus que ne récolte la France, environ 39,200,000 kilog., plus une quantité considérable de nourriture pour le bétail.

Messieurs, on prétend que c’est une chimère de vouloir implanter chez nous l’industrie du sucre indigène. Eh bien, moi je prétends que cette industrie a de l’avenir, le sucre de betterave marche à pas de géant, et s’il continue à marcher en progrès, il deviendra à meilleur compte que le sucre de canne.

Sous l’empire il coûtait environ 8 fr. le kil. Aujourd’hui il revient au fabricant à 75 centimes ; encore un progrès il ne coûtera plus que 59 centimes et peut-être moins.

Voilà la perspective en faveur du consommateur.

Au surplus je vous ai cité la remarque d’un homme distingué sur la culture de la canne comparée à la culture de la betterave pour la fabrication du sucre.

Il n’en serait pas ainsi en faisant du sucre avec du foin.

On nous a dit que la culture de la betterave n’intéressait que quelques localités, 36 communes, nombre égal à celui de nos manufactures. Eh bien, c’est une erreur de croire que la commune où est situé l’établissement est la seule qui profite de la fabrication du sucre indigène. Quatre à cinq communes environ en profitent autant que celle où la fabrique est établie. Remarquez en outre que ce n’est pas dans une seule province, dans une seule partie du pays qu’on a établi des fabriques de sucre indigène ; on en a établi dans six provinces sur neuf dont se compose le royaume. D’ailleurs si quelques communes obtiennent des avantages par cette culture, la province entière s’en ressent, parce que dans ces communes où la culture de la betterave et la fabrication du sucre indigène ont lieu, les salaires étant plus forts, il en résulte des dépenses qui vivifient le commerce de la province à laquelle elles appartiennent.

On nous a dit qu’au lieu de cultiver la betterave, on pourrait cultiver autre chose. Sans doute, la terre ne reste pas inculte en Belgique. Savez-vous ce qu’on pourrait cultiver à la place de la betterave ? du fourrage. On a prouvé à l’évidence dans la discussion générale qu’on pouvait après la betterave cultiver du froment, sans mettre d’engrais nouveau. C’est dans les assolements que la culture de la betterave a lieu, et remarquez qu’elle produit le double de fourrage de toute autre denrée qui serait cultivée dans la même terre ; en outre, vous obtenez sur un hectare une valeur de 1,000 à 1,200 francs en sucre, en sus de ce que vous retirez en fourrage.

J’ai un mot de réponse à donner à un agronome, député d’une grande ville, que je ne nommerai pas. Ce député a dit : Si vous voulez obtenir d’aussi belles récoltes en froment que celles que vous avez après la culture de la betterave, mettez sur un bonnier le fumier que vous auriez mis sur dix, et vous aurez d’aussi belles récoltes que si la terre avait produit de la betterave. Je vous avoue que je n’entends rien à cette espèce d’agronomie. Je comprends qu’on puisse fumer ainsi une terre à laquelle on veut faire produire des melons ou des asperges, mais pour produire du grain c’est impossible, on n’aurait même pas de la paille.

Messieurs on a dit aussi qu’en produisant du sucre de betterave pour toute la consommation, on ferait payer à la Belgique 12 millions pour une chose qu’elle pourrait avoir pour 8 millions, et on a tiré la conséquence que le pays perdrait 4 millions, en mangeant du sucre provenant de son sol. Je prétends, moi, que le pays, en consommant un produit de son sol, ne perdrait pas 4 millions mais en gagnerait 8, quoiqu’il le paie 12. D’après le système que je combats, nous ne devrions plus consommer des produits de notre pays quand le prix est plus élevé que celui auquel l’étranger peut nous les fournir. Nous ne devrions plus manger du froment belge mais des céréales de la mer Noire où on les obtient à meilleur marché que chez nous. En supposant que l’étranger vous les fournisse à un franc de moins, le pays, sur 16 millions d’hectolitres qu’il consomme, aurait 16 millions de profit à ne consommer que des céréales étrangères.

Pourquoi usez-vous des toiles de notre pays ? L’Angleterre vous fournira des toiles à 25 p. c. meilleur marché que les vôtres.

Ne consommez donc pas de toiles venant de votre pays, prenez des toiles étrangères et vous enrichirez votre pays. Nous avons aussi des fabriques de coton ; cela regarde un peu Gand : Le coton fabriqué à Gand nous en fournit à un taux plus élevé que celui de l’Angleterre ; eh bien, dans l’avantage du pays laissons les cotons étrangers entrer dans le pays indemnes de tout droit, ce sera encore enrichir le pays. Je vous avoue que cette manière d’entendre l’économie politique est au-dessus de mon intelligence. Je la considère comme une hérésie dont nous devons nous défier. Ce système ne serait avantageux qu’à la navigation et ruineux pour la nation.

Messieurs, si je demande un droit protecteur pour la fabrication du sucre indigène, je crois que je suis parfaitement d’accord avec plusieurs de mes honorables contradicteurs qui veulent eux-mêmes une protection pour leurs industries, et je crois que si on voulait, pour favoriser le commerce de la navigation, leur proposer de laisser entier les produits similaires aux leurs, une telle proposition n’obtiendrait pas leur assentiment. Je les crois assez patriotes pour défendre les intérêts réels de leur pays avant tout. N’ayons donc pas deux poids et deux mesures ; protégeons également toutes les industries.

Messieurs, je bornerai ici mes observations à l’appui de mon amendement, car on ne finirait pas s’il fallait répondre à toutes les hérésies qui ont été commises dans la discussion des sucres, et qui ont été débitées en faveur de la production d’une matière étrangère, au détriment des produits similaires de notre pays ; en d’autre termes pour favoriser les Indes au détriment de la Belgique. Je crois avoir suffisamment démontré l’intérêt que doit nous inspirer la production du sucre indigène, ainsi que la nécessité de pourvoir aux besoins du trésor ; il est temps de nous hâter. Le sucre est une matière essentiellement imposable, et c’est le seul moyen qui nous reste pour alimenter le trésor. L’expérience vous a démontré, que le moyen dont on a trop usé jusqu’à présent est complètement nul. Je veux faire allusion ici aux centimes additionnels. Le vote de la chambre lors la discussion du budget des voies et moyens en est la preuve.

Je termine là mes observations.

(Moniteur belge n°62, du 3 mars 1843) M. Mercier. - Je désirerais adresser une interpellation à M. le ministre des finances. Tout à l’heure j’ai entendu M. Rodenbach dire qu’il appuierait le projet du gouvernement, en ce qui concerne le rendement et la réserve des 4/10.

M. Rodenbach. - Oui, j’admets le rendement proposé, ainsi que les 4/10.

M. Mercier. - Je demanderai si, malgré le vote d’hier, M. le ministre maintient la réserve des 4/10. Il est nécessaire qu’on le sache.

M. le ministre des finances (M. Smits) - La chambre a rejeté hier l’amendement du gouvernement, mais le projet primitif continue de subsister. Aujourd’hui on a présenté plusieurs amendements nouveaux ; j’ai écouté les développements qu’on a donnés au dernier. J’écouterai encore tout ce qui sera dit dans le courant de la discussion, et peut-être demain le gouvernement viendra-t-il faire une proposition nouvelle ; mais pour cela il est nécessaire que je continue à entendre les discours tant sur les amendements proposés que sur les amendements nouveaux qui pourraient encore surgir.

M. Mercier. - Ainsi M. le ministre ne maintient pas la réserve.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je ne me prononce pas encore.

M. Rodenbach. - J’ai fait une ajoute à mon amendement dans le sens des développements que j’ai donnés aujourd’hui ; car hier il n’était question que de fixer le chiffre du droit ; comme la discussion est plus avancée, je prierai M. le président de donner une nouvelle lecture de mon amendement.

M. le président. - Voici l’amendement de M. Rodenbach :

« Je propose de fixer le droit à 40 fr. sur le sucre exotique et à 25 fr. sur le sucre indigène. J’admets le rendement proposé par M. le ministre, ainsi que les 4/10 réservés au trésor. »

M. Delehaye. - Messieurs, la loi de 1822 n’est pas une loi fiscale ; cette loi n’a qu’un but, c’est de favoriser le travail national et le commerce ; les raffineurs belges qui en ont profité, ne se sont pas procuré un revenu illégal ; la loi ayant été faite dans ce but, il était de l’intérêt des raffineurs de chercher en tirer tout le fruit possible. Il suffit donc, messieurs, d’avoir attiré votre attention sur ce point pour détruire le reproche continuel que l’on adresse à ceux qui ont usé de la faculté que leur donnait la loi, à ceux qui ont établi des raffineries sons le régime de cette loi.

Messieurs, deux propositions ont été faites en ce qui concerne la modification du droit : j’en parlerai tantôt. Pour la troisième, celle de M. Dumortier, j’ai déjà dit hier que cette modification n’a pas d’autre portée que celle-ci : Conservera-t-on à la Belgique l’exportation des sucres ? L’honorable M. Dumortier, dans sa proposition non modifiée, avait fait allusion à la manière dont on travaille en Angleterre, et demandait qu’on sanctionnât dans la loi la faculté du travail en entrepôt. J’ai dit que ce système rendait toute exportation impossible, et je demanderai dans quel pays, sous l’empire de ce système, nous pouvons exporter. Que l’honorable membre veuille bien me répondre.

M. Dumortier. - Dans les pays où nous exportons avec votre système,

M. Delehaye. - L’honorable M. Dumortier vient de dire : Dans les pays où nous exportons avec mon système. Voyons si avec le système, de M. Dumortier nous continuerons à exporter là où nous exportons aujourd’hui.

L’Angleterre travaille en entrepôt, mais quels sont les pays où l’Angleterre déverse ses produits ; ce sont des colonies privilégiées où l’Angleterre seule est admise ; elle ne dépose pas un kilo de sucre sur le continent, elle ne l’exporte que dans ces colonies privilégiées. Mais n’allons pas si loin, et prenons une position plus favorable au système de M. Dumortier ; examinons ce qui se fait en France. La France ne travaille pas en entrepôt ; elle a senti qu’admettre ce système, c’était condamner le commerce d’exportation ; elle a adopté le système du drawback d’une manière illimitée. Eh bien, par la fixation seule du chiffre de ce rendement, elle est repoussée de tous les marchés où peuvent aller aujourd’hui la Belgique et la Hollande. C’est un fait incontestable. Si vous ne voulez plus l’exportation de vos sucres, dites-le franchement, mais si vous la voulez, il faut rejeter le système de M. Dumortier, car il est impossible, messieurs, qu’avec le système anglais ou français, vous exportiez la moindre quantité de sucre.

Messieurs, si vous pouvez donner votre assentiment à la proposition de M. Dumortier, avez-vous bien réfléchi aux conséquences qu’elle entraîne ? Nous avions proposé, nous, la destruction de l’industrie de la betterave ; nous avons dit : La betterave occupe des terres qui seront plus utilement cultivées pour d’autres produits ; cependant nous ne voulons pas que ceux qui, à l’ombre d’une loi qui n’était pas faite pour eux, ont fermé des établissements, en pâtissent ; nous voulions les indemniser ; ainsi, en leur présentant d’une main l’arrêté qui détruisait leur industrie, de l’autre main nous leur donnions une indemnité. Mais quelle résolution prendrez-vous à l’égard des raffineurs de sucre exotique qui, sous l’empire d’une loi faite pour eux, ont formé des établissements sur une grande échelle ; que ferez-vous pour eux ? Dans une séance précédente, un honorable député de Bruxelles vous a dit qu’à Gand il y avait deux raffineries qui ne travaillent que pour l’exportation. Effectivement, messieurs, il y a à Gand deux raffineries, si pas plus, qui ne travaillent que pour l’exportation ; ces raffineries se sont établies sous l’empire d’une loi qui favorisait l’exportation ; elles ont cherché à atteindre le but que se proposait le législateur, et ont fait des sacrifices énormes ; eh bien, si tout à coup vous prohibez l’exportation des sucres, ces établissements ne seront-ils pas en droit de venir vous réclamer une indemnité ?

Nous avons cru pouvoir rejeter la betterave, mais nous voulions l’indemniser. Mais vous, que ferez-vous ? Non seulement vous détruirez une industrie légale, établie dans le but évident que s’était proposé le législateur, et vous ne lui accorderiez aucune indemnité ! Ce serait là une injustice criante. Si par une loi vous détruisez l’effet d’une autre loi, vous devez une indemnité à ceux que vous frapperez.

Mais, dit M. Dumortier, c’était une prime. Je veux bien supposer que ce soit une prime, j’admets que ce soit une prime ; c’était au moins une prime légale que le législateur avait accordée. Si pour atteindre cette prime légale, cette prime accordée par le législateur, j’ai établi une grande fabrique, n’ai-je pas le droit de réclamer une indemnité, si vous m’enlevez cette prime pour laquelle je me suis soumis à ces grands sacrifices. Mais, dit-on, on ne l’enlève pas, on modifie la loi. N’est-ce donc pas me l’enlever si vous m’empêchez d’exporter. Soyez donc justes, comme je l’ai été ; accordez aux raffineries de sucre exotique l’indemnité que je voulais accorder à la betterave ; à côté du sacrifice, mettez la compensation ; vous voulez me permettre d’exporter, mais vous m’en ôtez tous les moyens.

Messieurs, on a parlé aujourd’hui des faveurs qu’on accorde à l’industrie cotonnière. On vous a dit : Comment se fait-il que vous, qui avez toujours parlé en faveur d’une protection pour l’industrie nationale, vous abandonniez aujourd’hui ce système ? Messieurs, je crois m’être suffisamment expliqué sur ce point. Oui, je veux que l’industrie soit favorisée, je veux surtout que le travail national soit étendu autant que possible, et c’est pour cela que j’accorderai toujours une protection à toutes les industries, et surtout à celle du coton qui emploie un nombre considérable d’ouvriers qui seraient sans travail si l’industrie était anéantie ; que feriez-vous, dans ce cas, de cette masse d’ouvriers ?

Faites au contraire que la betterave disparaisse : Aurez-vous un grand nombre d’ouvriers sans travail ? Nullement. Voilà la distinction qu’il faut faire. Quand j’ai demandé une protection pour l’industrie des cotons, c’était dans l’intérêt de la classe ouvrière. Mais il ne s’agit pas de cet intérêt dans la protection que vous demandez pour l’industrie de la betterave, parce que les ouvriers qu’emploie cette industrie trouveront facilement à quoi s’occuper.

Messieurs, on a cité à cet égard l’opinion de M. Michel Chevalier, et quand on cite l’opinion d’un homme d’un aussi grand mérite, on est certain d’être bien accueilli dans cette chambre. Mais M. Michel Chevalier ne parle que du travail national et n’envisage pas particulièrement la question de la betterave ; je vais vous citer, moi, l’opinion d’un homme aussi très important, de M. Moll, professeur au conservatoire des arts et métiers de Paris. Ce savant professeur s’est spécialement occupé de la culture de la betterave, et savez-vous ce qu’il dit ? Dans une de ses leçons il dit que la betterave est nuisible au pays, et pour ces motifs : que la betterave ne peut s’obtenir que moyennant de grands frais qui serviraient à procurer d’autres produits plus avantageux ; il ajoute que la betterave ne tend qu’à hausser le prix des céréales, ce qui aggrave la position de l’ouvrier.

Voilà qu’elle est l’opinion de M. Moll. Et remarquez que ce professeur jouit d’une réputation que personne ne peut lui contester. Il a, comme je vous l’ai dit, spécialement examiné la question de la culture de la betterave, et il déclare qu’elle est nuisible au pays. Mais je vais étayer cette opinion de chiffres, et je crois qu’il ne restera plus ensuite de doute à cet égard.

Cependant, messieurs, avant d’en venir à ces chiffres, permettez-moi encore une observation.

L’honorable M. Eloy de Burdinne et l’honorable M. Dumortier se sont récriés sur la nécessité de favoriser le trésor. Le commerce a été oublié pour le moment ; ce n’est que l’intérêt du trésor que l’on a envisagé. Mais c’est une singulière manière de favoriser le trésor, que de frapper de droits élevés le sucre exotique, et de droits très minimes le sucre de betterave. Ne remarquez-vous donc pas qu’en établissant une telle différence entre les deux sucres, vous écartez le sucre exotique, et qu’il ne reste plus que le sucre de betterave. Or, comme ce dernier sucre n’est frappé que d’un droit très bas, le trésor, loin de profiter, sera réduit à une pénurie plus grande qu’auparavant.

Maintenant, messieurs, abordons les chiffres, et examinons la position qu’on veut faire la culture de la betterave.

La section centrale propose un droit de 25 fr. par 100 kil. sur le sucre de betterave et de 50 fr. par 100 kil. sur le sucre exotique. Indépendamment de ces 50 fr. imposés au sucre de canne, il doit supporter encore un droit de douane qui se monte à 1 fr. 20 ; ce qui fait un total de 51 fr. 20.

Les 25 fr. dont le sucre de betterave sera frappé, se réduiront inévitablement par la fraude, et l’on est d’accord sur ce point, à 20 francs, parce qu’il est impossible de constater exactement la quantité de sucre qui sera extraite. Quelques personnes prétendent même qu’il faudrait réduire le droit du quart pour être dans le vrai, mais je ne le réduis que du cinquième ; j’admets donc le chiffre de 20 fr.

Le droit sur le sucre de canne étant de 51 fr. 20, il y aura donc une différence de 31 fr. 20 c.

On a supposé que, pour la consommation entière de la Belgique, il faudrait 7,000 hectares plantés en betteraves. On a dit aussi que chaque hectare produisait 35,000 kil. de betterave, et l’honorable M. Meeus vous a dit, dans la séance d’avant-hier, que la betterave se vendait communément 20 fr. les mille kil. L’honorable membre a même regardé le chiffre de 20 fr. comme maximum ; car il a prétendu que sous peu elles se vendraient à 10 fr. Mais j’admets le chiffre de 20 fr. 35,000 kil à 20 fr. les 1,000 font bien 700 francs par hectare planté de betteraves.

Nous avons vu, messieurs, qu’il y avait une différence de 31 fr. 20 par cent kil. entre la charge que l’on veut faire supporter à la canne et celle que l’on veut imposer à la betterave. La Belgique, consommant annuellement 15 millions de kilog. de sucre, il y aurait donc une somme de 4,800,000 fr. que vous recevriez en moins de la betterave que de la canne. Or, divisez 4,800,000 fr. par le nombre d’hectares que vous devriez ensemencer pour la consommation du pays, vous obtiendrez 700 fr. par hectare ; c’est-à-dire que, pour obtenir 700 fr. de betterave, vous donnez 700 fr. de prime ; de manière que si vous ne cultiviez pas vos 7 mille hectares de terre, si vous les condamniez à une jachère continuelle, vous y gagneriez encore 700 fr. par hectare. Voilà la prime qu’on propose d’accorder à la betterave. Qu’on réponde à ces calculs.

L’honorable M. Pirmez a aussi examine ces calculs ; mais il n’en pas tiré les mêmes conséquences que moi. Mais, messieurs, à raison d’un franc par jour, et en supposant 300 jours de travail par année, vous auriez, avec cette somme de 4,800,000 fr., de quoi entretenir 16,000 ouvriers.

Messieurs, on a souvent cité M. Michel Chevalier ; mais savez-vous ce que dit M. Michel Chevalier ? Il dit que rien n’est plus favorable à l’agriculture, à la prospérité d’un pays que d’être sillonné par un grand nombre de routes et de canaux. Occupez vos 16,000 ouvriers à faire des routes et des canaux, quels avantages n’en retirerait pas l’agriculture ?

Et quoi ! vous reprochez au sucre exotique d’avoir touché une prime, prime légale et que lui avait donnée le législateur, et vous ne voyez pas que vous réclamez pour le sucre de betterave une prime égale à sa valeur réelle.

Messieurs, je ne sais réellement pas si, après vous avoir soumis de pareils chiffres, on serait encore admis à nous faire un reproche de ce que nous proclamons quelquefois la nécessité d’accorder une protection au travail national. Lorsque nous demandons une protection pour une industrie, messieurs, c’est que cette industrie, si elle venait à disparaître, laisserait sans travail un grand nombre d’ouvriers. Mais nous vous disons que la betterave est une calamité pour la Belgique, et nous vous le prouvons par des faits. Quels seraient d’ailleurs les ouvriers qui souffriraient de la disparition de la betterave ? Il n’y en aurait pas un seul. Les ouvriers qu’emploie maintenant cette industrie, s’occuperaient ailleurs. Et je vais vous le prouver par un exemple.

Qu’ont fait les ouvriers qui s’occupaient de la culture de la betterave dans les Flandres, où cette culture a été entièrement supprimée ? Qu’ont fait les ouvriers qui s’occupaient de la culture de la betterave dans le Hainaut, où beaucoup d’usines ont cessé leurs travaux ? Voyez-vous ces ouvriers sans travail ? Non, messieurs, ils ont trouvé de quoi s’occuper ailleurs.

Messieurs, si de la proposition de la section centrale nous passons à celle de l’honorable M. Rodenbach, nous voyons qu’en effet avec cette dernière la betterave ne jouirait plus d’une prime aussi forte. Mais savez-vous à combien se monterait celle que vous accorderiez encore ?

M. de La Coste. - A rien du tout.

M. Delehaye. - Elle se monterait encore à 450 fr. ; c’est-à dire que pour obtenir 700 fr. de betterave par hectare, vous accorderiez une prime de 450 fr. Et on dit que vous n’accorderiez rien du tout.

Mais, messieurs, si nous examinons maintenant la proposition de M. Eloy de Burdinne, c’est bien autre chose. L’honorable M. Eloy propose 30 et 60 fr. ; différence, y compris les droits de douanes 31 fr. 20 c. Eh bien ! l’honorable M. Eloy, qui ne veut pas de protection, qui repousse les primes, propose d’en accorder une de 800 fr. à l’hectare ensemence de betterave. Et pourquoi ? pour obtenir 700 fr. de betterave.

Mais, messieurs, si vous accordez des primes pareilles, si vous êtes si grandement enthousiastes du travail national, que ne cultivez-vous la vanille, que ne cherchez-vous à obtenir la cochenille ? Indubitablement vous pourriez de la sorte ne plus être tributaires de l’étranger.

Vous le voyez donc, messieurs, ce serait un abus que d’accorder en primes à une industrie qui n’est pas nécessaire et qui tend même à détruire notre commerce naval, une somme qui, bien employée, donnerait du travail à 16,000 ouvriers et vous produirait 30 lieues de routes par an.

Et quoi, messieurs, 30 lieues de routes par an ! Dernièrement le Luxembourg est venu vous demander 2 millions pour construction de routes. On a fait résistance, on a fait sonner bien haut l’intérêt du trésor ; on a dit qu’il ne fallait pas tout accorder à une seule province. Et vous avez la faculté de doter le pays de 4,800,000 fr. de routes par an, tout en restant dans la même position. Car lorsqu’on ne cultivera plus la betterave, on cultivera des céréales. Et suivant l’opinion de M. Moll, vous acquerriez une richesse bien plus grande. N’est-ce donc pas un avantage immense d’augmenter de 30 lieues par année vos routes et vos canaux ?

Ainsi, messieurs, dans le système le plus favorable, vous accorderiez encore une prime de 450 fr. pour obtenir 700 fr. de betterave. J’entends dire que cela n’est pas, mais je défie mes adversaires de prouver le contraire. Si vous voulez que la betterave s’empare du marché intérieur, il faut qu’il y ait entre elle et la canne une différence telle que vous lui accordiez une prime égale à la valeur. J’ai dit.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je crois, comme l’honorable M. Eloy de Burdinne, que l’amendement de notre honorable collègue de Roulers peut convenir au sucre exotique, à l’exportation même du sucre exotique ; j’ignore s’il peut accommoder l’industrie du sucre indigène ; mais ce qui me semble positif, c’est que les exigences du trésor public ne peuvent nullement s’en accommoder. Je rentre maintenant dans le sujet que je me propose de traiter, celui du maintien de la législation de 1822, de la proposition de l’honorable M. Dumortier.

Messieurs, le trésor public a besoin de ressources ; le sucre est une substance très imposable ; il faut que le sucre procure de larges ressources au trésor ; voilà mon raisonnement passé en quelque sorte à l’état d’axiome. Voilà ce que veut la très grande majorité de cette chambre. Mais qu’est-ce que la législation qui régit les sucres ? Cette législation permet-elle que la consommation du sucre devienne un objet de ressource pour le trésor ? Ici naît une difficulté qui est la cause du débat qui nous appelle ici. La législation qui régit les sucres, la belle loi de 1822, comme on l’a qualifiée, est une loi commerciale ; on est, je pense, d’accord à cet égard, et moi je dis que c’est une loi antifiscale, si je puis m’exprimer de la sorte, que c’est une loi qui, sous le prétexte du commerce, qui, pour animer le commerce, si vous le préférez, convertit en prime presque tout le produit de l’impôt des sucres prélevé sur les consommateurs nationaux ; c’est enfin une loi dont le principe est d’autant plus antifiscal que les primes qu’elle établit sont illimitées et que dès lors les sacrifices qu’elle est en droit d’imposer au trésor sont aussi illimités.

Vouloir donc prendre la loi commerciale de 1822 pour principe de la loi fiscale que nous voulons faire aujourd’hui, ce serait, selon moi, vouloir une chose absurde ; ce serait vouloir et ne pas vouloir ; ce serait permettre la dissipation des fonds que nous voulons réserver ; autant vaudrait vouloir conserver des écus dans un coffre sans fond.

C’est ce que la chambre ne voudra pas, c’est ce qu’elle ne peut vouloir ; elle ne permettra pas que des intérêts privés l’emportent sur ceux de la généralité, sur ceux du pays.

Après avoir posé la question de principe aussi clairement, aussi logiquement qu’il m’a été possible, qu’il me soit permis, messieurs, de jeter un regard sur le chemin que nous venons de parcourir.

Le débat a presqu’entièrement roulé sur la préférence à donner à la canne à sucre ou à la betterave ; les partisans de chacun de ces deux produits ont longuement préconisé les avantages que le pays retirerait de leur système ; mais le véritable ordre du jour, la question de savoir comment nous assurerons avec quelque chance de certitude quatre millions au moins au trésor de l’Etat, cette question-là est loin d’avoir été mûrement débattue, elle n’a été qu’effleurée. Ainsi ceux d’entre nous qui veulent sérieusement que l’Etat recueille le produit de la consommation du sucre ne sont rien moins que rassurés.

Que le gouvernement, comme c’est son devoir, nous établisse bien clairement, bien nettement un revenu de 4 millions sur le sucre, et un débat pénible sera notablement abrégé.

Que fait, au lieu de cela, le gouvernement ? Il base la proposition de 4 millions sur la retenue des 4/10, et l’honorable M. Demonceau nous a prouvé que 1/10 réservé par la loi de 18238 n’avait produit qu’une moyenne de 7 à 800,000 francs ; et le gouvernement maintient la loi de 1822, qui est un non-sens pour qui veut que le sucre produise au trésor. Et ce n’est pas tout ; notez, messieurs, qu’il fallait défalquer encore de la proposition incomplète, et qui ne repose sur rien de positif, la dépense d’une indemnité à l’industrie betteravière ; il est facile de voir par ce que je viens de dire, si les 4 millions proposés étaient clairs et nets. D’ailleurs le sont-ils encore, à présent que la chambre a arrêté l’existence de la betterave ?

J’ai donc eu le droit de m’étonner hier, quand j’ai entendu M. le ministre des finances terminer son discours en disant : Le trésor a un découvert de 6 à 7 millions, j’espère que la chambre nous donnera son appui, afin que le sucre produise 4 millions. Si la chambre refusait ces 4 millions, nous nous verrions obligés d’avoir recours à des centimes additionnels.

C’est, je le répète, avec étonnement que j’ai entendu cette déclaration ; mais qui donc, dans cette chambre, refuse les 4 millions nécessaires au service public ? Personne je pense. Pourquoi ne sommes-nous pas d’accord avec M. le ministre ? c’est parce qu’il nous offre ces millions sans pouvoir nous les assurer ; c’est que ses calculs ne sont que des hypothèses très hasardées, et qui méritent même peu de confiance ; que M. le ministre nous prouve que 4 millions sont assurés au trésor, qu’ils sont bien réels, bien nets, nous les voterons, nous les accepterons avec empressement, et le débat se trouvera très abrégé.

M. le ministre doit se rappeler que la chambre lui a refusé les centimes additionnels qu’il lui a proposés, parce qu’elle voulait que le sucre devînt une ressource sérieuse pour le trésor.

Eh bien, c’est parce que nous voulons encore que le sucre devienne une ressource sérieuse pour le trésor, que nous sommes fondés à ne vouloir que des ressources certaines bien établies et d’écarter des calculs qui ne sont fondés sur rien de positif.

Voici ma manière d’envisager la base de la production que nous voulons pour l’Etat.

Un produit de 6 à 7 millions est chose facile au moyen d’un simple droit de consommation, d’un droit de 40 à 50 fr., d’un droit très modéré.

Mais ce moyen si simple d’abord, s’est compliqué aussitôt à cause de deux intérêts qui se sont élevés et qui existent aux dépens de la consommation intérieure : l’intérêt de l’exportation du sucre raffiné et l’intérêt de la production nouvelle du sucre indigène.

Ces deux intérêts, en vivant de la consommation intérieure ont nécessairement vécu aux dépens du trésor.

Il s’est agi de poser des limites à ces sacrifices, afin que le trésor rentrât dans ses droits.

Le second de ces intérêts se trouve en quelque sorte hors de cause, par suite du vote de hier.

La majorité a décidé son maintien, elle l’a décidé, parce que les limites des sacrifices que lui coûte ce maintien lui sont connues, parce que ces sacrifices ne sont pas trop considérables, et qu’ils offrent des compensations.

C’est donc le premier de ces intérêts qui aujourd’hui se trouve mis en cause, l’intérêt de l’exportation du sucre raffiné.

L’exportation du sucre ne subsiste qu’au moyen d’une législation peu intelligible, de primes déguisées, de primes illimitées, tant que nous ne poserons pas des limites à ces primes, et pour les poser, il faudrait connaître la limite des sacrifices que cet intérêt exige du trésor pour subsister ; tant que nous n’aurons pas posé de limites à ces primes, il nous sera impossible de faire quelque chose de positif en faveur du trésor ; les calculs du gouvernement seront toujours basés sur des hypothèses.

Nous sommes donc dans notre droit, quand nous demandons de mettre des limites à des primes, car il faut appeler les choses par leur nom, à des primes sans lesquelles l’exportation est impossible ; nous ne faisons même que notre devoir, car je ne pense pas qu’il nous soit permis de prendre dans la poche des contribuables des sommes indéfinies, incertaines, pour accorder des faveurs immenses à une industrie, tandis que le régime de la faveur des primes n’existe presque pas en Belgique.

Je me borne donc à demander que la chambre arrête d’abord si elle entend accorder des primes à l’exportation du sucre, et si elle résout cette question affirmativement, qu’elle en stipule le chiffre ? Car vous me permettrez de vous le répéter, tant que vous prendrez pour base des ressources que vous destinez au trésor, le terrain mouvant et inconnu d’une législation qui, sous le masque d’un amendement trompeur, autorise des primes illimitées, vous ne ferez rien de solide pour le trésor public.

Je pense que notre intérêt nous commande d’imiter ce qui se pratique en Angleterre, où l’on ne restitue à la sortie du sucre destiné a l’exportation qu’un drawback, c’est-à-dire, la pure restitution du droit ; c’est là un système clair, qui ne trompe personne ; libre encore à nous d’accorder une prime. Je le préfère au système français, qui se borne à neutraliser les mauvais effets de l’exportation pour le trésor par l’élévation du rendement à 70-73. C’est le moyen de revenir sans cesse sur cette question ; aussi voyons nous que le ministre des finances réclame déjà l’exhaussement du rendement dans l’intérêt du trésor.

Mais, nous dit-on, et cela paraît faire impression, la contrebande hollandaise nous inondera de sucre. Je répliquerai d’abord qu’un droit aussi modéré que celui de 40 fr. ne peut faire craindre cette contrebande.

Il est d’ailleurs, dit-on, très probable que si nous portons des modifications à notre loi des sucres, la Hollande nous suivra dans cette voie ; qu’elle écoutera les besoins incessants de son trésor. Je vois en effet, au rapport de la section centrale, que la Hollande, par sa loi du 30 décembre 1840, a élevé son rendement à 67-50, et a stipulé, que les droits seraient nécessairement payés par une quotité de 3 p. c. des sucres importés.

C’est là évidemment le contrecoup de notre loi de 1838 ; on voit que la Hollande, après l’adoption de cette loi, en a adopté les principes. Je ferais remarquer ensuite, que nous venons de renforcer notre douane, et il serait réellement pénible de ne pouvoir compter sur elle pour soutenir l’effet de droits aussi modérés, que ceux dont nous sommes les partisans.

Mais va-t-on me répliquer de nouveau, comme nous y sommes accoutumés, vous voulez donc tuer le commerce ? Et je répondrais : je ne veux pas tuer le commerce, car j’en suis le grand partisan ; je désire au contraire le favoriser par tous les moyens possibles. Et ce qui prouve que nous ce voulons pas le tuer, c’est que la proposition que je soutiens admet la faveur de 2 millions de primes ; eh bien, les défenseurs du commerce d’exportation du sucre exotique ne veulent pas de cette prime exorbitante ; elle ne leur suffit pas encore. Si cela prouve que ce commerce a besoin d’une prime encore plus considérable, cela prouve aussi que le genre de commerce que soutiennent nos adversaires est un commerce factice, nuisible aux intérêts du pays.

Mais entendons-nous donc sur la signification du mot commerce maritime ; par commerce j’entends un mouvement de navigation activé dans un but utile, dans un but de bénéfices. Un mouvement maritime sans bénéfices est une absurdité, selon moi.

On aura beau me dire : le commerce est autre chose que la sortie de nos produits, c’est un travail de civilisation : je dis que le vrai commerce est quelque chose de plus positif. Le commerce consiste dans des échanges avantageux, et le mouvement maritime n’est qu’un moyen pour les favoriser.

Mais le pays est peu intéressé ; si ses intérêts n’y étaient pas gravement compromis, le pays est peu intéressé à un travail de civilisation qui a beaucoup de rapports avec la création ruineuse du trop célèbre steamer la British-Queen.

Je voterai donc le principe de la proposition de mon honorable ami et collègue M. Dumortier, tout en me réservant mon vote quant à la question de la concession des primes ou de leur élévation.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Mon intention n’est pas de suivre l’honorable membre dans tous les développements où il est entré. Mais je dois repousser un reproche qu’il nous a adressé.

Suivant l’honorable membre, nous n’aurions pas prouvé que les 4/10 du revenu que le gouvernement proposait de réserver au trésor auraient rapporté 4 millions. Mais nous l’avons démontré à satiété, non seulement dans nos rapports, mais dans nos discours. En effet, nous avons dit et répété que depuis 1838 jusqu’en 1842, la moyenne des recettes obtenues sur le sucre avait dépassé la somme d’un million.

Ainsi messieurs, il a fourni (somme ronde) :

En 1838, 1,506,000

En 1839, 1,393,000

En 1840, 1,267,000

En 1841, 1,029,000

En 1842, 1,079,000

Soit une moyenne de 1,255,300 francs.

Eh bien, messieurs ces chiffres ont été reproduits dans mes rapports ; je crois que M. le ministre des travaux publics en a fait également usage dans la discussion, et l’on vient dire que nous n’avons pas prouvé que la retenue de 4/10 aurait donné un produit de 4 millions ! Mais, messieurs, si 1/10 a produit au-delà d’un million, il est évident que 4/10 auraient produit au moins 4 millions !

Veuillez d’ailleurs vous rappeler, messieurs, que, indépendamment de la garantie que nous trouvions à cet égard dans les recettes opérées, j’ai dit à la chambre que si 4/10 ne rapportaient pas les 4 millions, nous demanderions 5/10, 6/10, jusqu’à ce que ce chiffre de 4 millions eût été atteint. Je ne sais pas, messieurs, quelles garanties plus fortes on aurait pu exiger.

M. de Man d’Attenrode. - M. le ministre vient de contester l’exactitude de mon calcul, quant au produit de la retenue du 1/10 depuis 1838. Eh bien, je vais vous lire, messieurs, le relevé du produit du sucre extrait des comptes du trésor.

Nécessairement, ou c’est M. le ministre ou ce sont les comptes, pièces imprimées, qu’on nous distribue, et d’après lesquelles nous devons baser nos calculs, qui se trompent.

Voici ce relevé ; le sucre est porté comme produit aux comptes du trésor :

Pour 1,188,149 en 1838.

812,399 en 1839.

886,119 en 1840.

709,867 en 1841.

Et remarquez-le, messieurs, le produit a toujours été en diminuant, l’exportation est parvenue d’année en année à diminuer les ressources de l’Etat ; le temps lui a permis de se perfectionner au détriment du trésor, s’entend.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, il y a sur le sucre trois espèces de droits : le droit d’accises, le droit d’entrée et le droit de sortie. Dans la discussion de la loi de 1838, l’honorable M. d’Huart, lorsqu’il a consenti à proposer à la chambre la retenue d’un dixième, a estimé alors que la retenue du dixième sur I accise aurait produit 7 à 800,000 fr., et cette recette a été opérée.

Mais si cette recette eût été beaucoup moindre, il n’y a dans cette diminution rien que de très naturel ; le sucre de betteraves est venu faire concurrence sur le marché intérieur au sucre de canne, et le droit d’accise sur le sucre de canne a dû nécessairement s’en ressentir.

Un membre. - L’importation a augmenté.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Mais l’exportation aussi ; et dès lors l’augmentation de l’importation ne pouvait pas élever le chiffre de la recette, puisque les sucres exportés ne paient pas le droit.

M. Dumortier. - Je ne conçois pas que M. le ministre des finances puisse dire que la retenue de 4/10 produira 4 millions, alors qu’il convient lui-même que la retenue de 1/10 n’a produit que 7 à 800,000 fr. Il dit que le droit d’accise, le droit d’entrée et le droit de sortie ont produit ensemble plus d’un million ; mais si vous augmentez le nombre des dixièmes retenus, cela n’augmentera en aucune manière les droits d’entrée et de sortie, cela n’affectera que le droit d’accise.

Eh bien, messieurs, si vous multipliez par 4 les 7 à 800,000 fr., que le droit d’accise a produits avec la retenue d’un dixième, vous êtes loin d’arriver à 4 millions. Et non seulement, messieurs, les droits de douane n’augmenteront pas, mais M. le ministre en propose la suppression.

Vous voyez donc bien qu’avec le système du gouvernement, vous n’arriverez jamais à 4 millions ; vous arriverez tout au plus à 2 millions et 1/2.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je suis vraiment fâché, messieurs, de devoir prendre une troisième fois la parole sur une question si simple et si claire. Je le répète encore, lorsqu’en 1838 la chambre a modifié la loi sur les sucres, elle a entendu que le trésor retirât 7 à 800 mille fr. du droit d’accise, et qu’il perçût de plus le droit d’entrée et le droit de sortie. Eh bien, ces recettes ont été obtenues. Maintenant je dis que, dans le système que le gouvernement nous avait soumis, le chiffre de 4 millions aurait été dépassé, et cela par une raison que vous allez apprécier immédiatement ; c’est que, dans ce système, le sucre de canne aurait obtenu le monopole du marché intérieur, attendu que, dans notre conviction, les sucreries de betterave n’auraient pas pu continuer à exister.

Il fallait donc que l’impôt augmentât nécessairement dans la proportion de l’augmentation de la quantité de sucre exotique livrée à la consommation.

Ainsi, messieurs, de quelque côté qu’on envisage la question, il est évident que la somme de 4 millions aurait été acquise au trésor.

M. Savart-Martel. - Messieurs, d’après la tournure que prend la discussion, le mois d’avril nous surprendra peut-être dans la cassonade, le sirop, les lumps et les sucres, car les questions posées vous en amènent d’autres, à la suite desquelles viendrons les 60 à 70 articles qui composent le projet de loi.

Peut-être aurait-il mieux valu entendre la discussion de toute la question et de tout le système jusqu’à extinction ; chacun ayant alors épuisé la matière, on aurait été à même de voter ensuite purement et simplement sur toutes les demandes, sur tous les systèmes, sur tous les articles ; tandis que le moindre inconvénient à ce jour, c’est l’impossibilité qu’il n’y ait point de nombreuses répétitions.

Je pense, messieurs, que le vote négatif donné sur la question : y aura-t-il un droit égal sur les deux sucres ? que ce vote doit être sérieux. Il a une portée dont nous devons admettre les conséquences ; c’est que les deux sucres seront conservés avec des droits différentiels ; en sorte que l’industrie indigène recevra une juste protection, qui lui permettra de soutenir la concurrence avec le sucre indien. Si le vote émis n’a point cette portée nous devrions avouer avoir employé beaucoup de temps en vain.

Nous sommes dans une assemblée où la majorité fait la loi ; il est donc raisonnable que la minorité, au lieu de fausser le principe décrété, en admettre franchement les conséquences.

Je conçois que si, au lieu de cette admission, ou veut revenir indirectement sur l’œuvre de la majorité, on n’en finira point aisément.

Il est nécessaire que l’accise produise 4 à 5 millions ; tel est, je pense, le vœu du ministère, tel est celui de la chambre.

Quant au taux de l’impôt, je vois que les propositions ne s’éloignent guère les unes des autres, en ce sens que le sucre exotique paierait le double que le sucre indigène. L’amendement de l’honorable M. Rodenbach ne me paraît pas suffisant ; celui de l’honorable M. Eloy de Burdinne paraît présenter un chiffre élevé, celui de la section centrale qui se trouve au juste milieu me paraît préférable.

La proposition mise en discussion, appelée à juste titre proposition de principes, a ce but, puisqu’elle est ainsi conçue :

« Le droit sur les sucres, soit indigènes, soit exotiques, est acquis au trésor, au moment de la mise en consommation. »

Il faut nous attacher moins aux mots qu’aux intentions mêmes. Il ne s’agirait donc plus que de fixer le droit sur chaque sucre.

La suppression du droit de sortie est également dans l’intérêt du trésor. Elle fera cesser des abus vraiment scandaleux, car il ne faut pas que nous recevions d’une main pour rendre de l’autre.

Mais, si je ne me trompe, l’intérêt des raffineries présente ici quelques difficultés. Cependant il est impossible qu’il n’y soit pas pourvu avec un peu de bonne volonté ; par exemple, une prime d’exportation, ou si l’on veut une prise en charge avec ou sans entrepôt à domicile, et l’obligation de sortie dans un délai moral, sont parmi les moyens, si on ne veut pas un droit de douane, préférables aux droits d’accises.

S’il faut un rendement, ce rendement serait la clef du trésor ; par sa nature il est variable sans doute, mais nous savons quel est en France le rendement légal.

La richesse, a dit l’honorable M. Pirmez, consiste dans le talent de produire à bon marché.

C’est là, sans doute, une maxime d’économie domestique, une règle d’intérêt privé.

Mais l’homme d’Etat n’a point à faire vivre une famille seulement ; c’est au besoin d’une nation tout entière qu’il doit pourvoir.

Il ne peut admettre cette maxime d’une manière absolue ; mille raisons le forcent à la modifier.

Il faut qu’il donne du travail au peuple, il faut qu’il occupe les bras de ses ouvriers. Avec la maxime de l’honorable M. Pirmez, l’Etat perdrait souvent la main-d’œuvre, et beaucoup de nos fabricants devraient fermer leurs ateliers. Telle n’est cependant point son intention.

En économie politique, j’admets, moi, une autre règle c’est qu’il faut prendre à l’étranger la denrée seulement qu’on ne peut trouver chez soi, dût-elle même revenir à un prix plus élevé que la marchandise étrangère.

Cela me paraît vrai, lorsque la matière première se trouve dans le pays ; cela me paraît incontestable, surtout lorsque la matière première est inépuisable ; car alors, pour la nation, tout est bénéfice, absolument tout. Que ce soit l’extracteur, le prolétaire, le fabricant qui en profite, peu importe.

Or, telle est la position du sucre indigène ; il n’emprunte rien à l’étranger. Depuis le coût du premier sillon, pour planter la betterave, jusqu’à la consommation du sucre fabriqué, toute la dépense reste dans le pays ; tandis que, pour obtenir le sucre de l’autre hémisphère, ii faut payer la nourriture de l’indien, le bénéfice du planteur, la commission à l’étranger, et parfois le fret ; car il nous a été démontré qu’on se trompe quand on croit que notre marine seule importerait le sucre.

Au surplus, ou se fait un fantôme des exportations. Plusieurs orateurs, et, entre autres, les honorables MM. Meeus et Dubus aîné vous ont démontré, par un argument irrésistible, la puissance des chiffres, que notre marine marchande exportait fort peu de ce sucre. Sur 19 millions sucre brut, qui sont la moyenne des importations annuelles, 11 millions le sont sous pavillons étrangers ; restent 8 millions importés par nos navires, dont 3/4 viennent des entrepôts de notre continent.

Ou dit que la proposition de l’honorable M. Dumortier va causer bien des embarras au fisc, et ne saurait s’exécuter sans des règlements. Cela est vrai.

Mais une fois le principe admis, le ministère préparerait des règlements que nous serions appelés à voter.

Mon vote sera donc dirigé par les principes suivants, hormis que d’ultérieures discussions n’en démontrent l’erreur :

1° Conservation du sucre indigène et du sucre exotique avec des droits différentiels tels que l’industrie du pays puisse soutenir la concurrence ; 2° un impôt tel que les 14 à 15 millions de kilos. de sucre qui se consomment en Belgique produisent 4 millions de fr. ; 3° l’emploi de mesures nécessaires, non seulement pour assurer au trésor la perception totale de l’impôt, mais aussi pour éviter la fraude qui se pratique sous les semblants d’exportation.

En sorte qu’après avoir satisfait aux besoins du moment, on pourrait aviser à réduire par la suite l’une des bases de l’impôt personnel.

M. de Mérode. - Je considère comme l’une des propositions les plus importantes qui puissent occuper cette chambre, la proposition de M. Dumortier. Si le bonheur voulait qu’elle fût résolue conformément à une saine économie financière, le pays en retirerait un immense avantage, celui d’assurer pour longtemps, sans aucune vexation envers les contribuables, une des ressources les plus productives du revenu public. Car, messieurs, ce n’est pas seulement 4 millions que le sucre pourrait rapporter à l’Etat, mais 6 à 7 millions. Et en comparaison d’un si grand profit pour la nation en général, qu’est-ce véritablement que le bénéfice des raffineurs de sucre exotique ? Qu’est-ce que le bénéfice de la navigation qui s’applique au transport du sucre raffiné ? On vous l’a suffisamment démontré, messieurs ; ce commerce rapporte peu à ceux qui l’exploitent, et coûte beaucoup, soit au trésor, en le privant du produit de la taxe, qui est réellement le meilleur des impôts, soit aux consommateurs. Ce qu’on appelle la belle loi de 1822 a donc été pour la Belgique, dont la position n’a rien de commun avec celle de la Hollande, maîtresse d’une magnifique colonie à sucre, un des legs du gouvernement précédent les plus funestes pour les finances ; car si depuis 1830 nous eussions retiré du sucre, comme c’était bien facile, seulement cinq millions, l’Etat serait aujourd’hui plus riche de cinquante à soixante millions. Malheureusement tous nos ministres des finances ont négligé plus ou moins la fortune publique en faveur de considérations particulières. Et comme l’a dit si justement, dans la séance de lundi 27, M. Demonceau, la Hollande elle-même perd à la belle loi de 1822 un revenu considérable au profit d’un certain nombre de commerçants hollandais ; et ce revenu doit être remplacé par d’autres contributions dont nos anciens frères du Limbourg sentent l’énorme poids, tandis que les négociants font fortune. En résumé, le fruit de toutes ces conceptions subtiles qu’on défend avec des phrases et des calculs auxquels on ne comprend rien, c’est que le propriétaire, étranger au désir du lucre et content de son avoir, est sacrifié au spéculateur qui prouve par une sorte d’algèbre incompréhensible à ceux qui font de l’arithmétique pure et simple, que le bonheur public consiste dans l’heureux succès de ses spéculations.

Que l’on examine bien notre système d’impôts ; on verra que les productions étrangères ne payent chez nous presque rien ; tandis que la bière fournit au trésor 8 millions, nous avons eu mille peines à obtenir une légère augmentation de droits sur le café. Le sucre n’a presque rien donné jusqu’ici ; le tabac moins encore, et déjà le projet de le faire contribuer a été le sujet de beaucoup de réclamations d’intérêt privé.

Messieurs, si je n’ai pas été favorable à l’industrie indigène du sucre de betterave, c’est par les motifs qu’a développés M. Pirmez.

Quelles que soient nos différentes idées sur la protection à donner aux industries, je crois devoir faire remarquer, a dit l’honorable membre, que le sucre ne doit être mis en comparaison avec aucune autre des industries qui sont protégées. Le sucre, dans ses rapports avec le fisc, entendez-le bien, est hors de proportion avec tout autre produit ; si vous voulez remarquer notre position, vous verrez que la Belgique, n’ayant aucune colonie, peut avoir le sucre à meilleur marché que celui de tout autre pays ; par conséquent, c’est en Belgique où il est possible de retirer le plus de produit de l’accise sur le sucre, en proportion du sacrifice imposé au consommateur. Et comme ajoutait M. Pirmez, par suite de l’étendue de nos frontières, la fraude vient toujours mettre un obstacle à ce que nous établissions des impôts de consommation, et que les idées de liberté repoussant les droits réunis, tandis que la taxe sur le sucre n’a rien d’impopulaire, il arrive que vous pouvez l’imposer sans qu’on se plaigne de votre détermination.

Voilà, messieurs, des arguments qui sont restés sans réplique et qui appuient non moins fortement la proposition de M. Dumortier. Ce serait un heureux jour pour nos finances, et par conséquent pour les contribuables, pour la fortune publique, pour la sûreté de l’Etat et pour notre avenir, que celui où le gouvernement reprendrait enfin son droit de percevoir un revenu considérable et certain de la consommation intérieure du sucre ; et ce droit ne sera complet qu’en abolissant la législation hollandaise de 1822, qu’en distinguant dans les raffineries celles qui travaillent pour l’exportation et celles qui travaillent pour l’intérieur. Sans doute, les mesures qu’il faudrait prendre, à la suite de ce changement, apporteraient avec elles quelques froissements, mais encore une fois y a-t-on regardé de si près quand on a réduit à rien la valeur de toutes les messageries, de toutes les auberges du roulage placées sur les routes pavées parallèles au chemin de fer ? C’était là pourtant une industrie bien ancienne qu’on ne pouvait pas considérer comme affrontant les hasards du trafic.

Quant à l’exercice dans les fabriques de sucre exotique destiné à l’exportation, il serait infiniment plus facile que dans les sucreries à betterave. Si l’on peut surveiller la manutention, la transformation de la betterave brute en cassonade, on peut à plus forte raison surveiller la transformation d’une quantité quelconque de sucre brut des colonies en sucre raffiné.

Le système actuel est, je le sais, bien plus commode, mais avec la commodité on n’aurait pas de recrutement forcé, par conséquent pas d’armée ; avec le commode on n’a pas de jury, on ne dérange pas les citoyens de leurs occupations ; avec le commode, on n’a pas de douanes, de visites de voitures et de personnes à la frontière ; avec le commode, on n’aurait pas d’entraves pour la fabrication de la bière, du genièvre ; avec le commode, on n’aurait pas de sursis pour ceux qui ne payent pas à temps la contribution foncière ; en un mot, on n’aurait pas, avec le commode pur et simple, ni armée, ni justice, ni finances, et c’est pourquoi, avec le commode pour la raffinerie, panacée de toute fortune nationale, selon ses défenseurs, on ne retirera jamais du sucre, qui peut à lui seul restaurer nos finances sans tourmenter le peuple, le moins du monde ; on ne retirera jamais, dis-je, les recettes de 6 à 7 millions qu’il produirait facilement. Si l’on parvenait à sortir du régime de la belle loi de 1822, n’eût-on fait que cela pendant la session, elle serait à mes yeux l’une des plus fructueuses de toutes celles qui ont été tenues. Peu m’importerait alors le maintien provisoire de la betterave, que la baisse du prix du sucre de canne abolira probablement tôt ou tard, à moins qu’on ne lui accorde une protection de droits différentiels toujours croissants ou qu’elle ne fasse des progrès inattendus que nous annonce M. Eloy de Burdinne.

Messieurs, sachez prendre une mesure franche en faveur du trésor public ; la discussion a démontré victorieusement, par la lutte des deux sucres, qui ont fini par nous mettre leur jeu respectif sur table, que dans toute cette manutention sucrière, agricole, dans toutes ces promenades maritimes de sucres bruts et raffinés, il n’y a rien de bien important pour l’intérêt général de l’agriculture ou du commerce vraiment utile, mais simplement un grand déficit des ressources applicables aux finances de l’Etat ; ressources avec lesquelles nous accomplirons mille choses plus utiles que l’extraction libre du jus de betteraves, ou les évolutions maritimes du sucre exotique que nous livrons à si bon marché aux Allemands. Faute de voir adopter la proposition de M. Dumortier, j’accepterai celles qui s’en éloigneront le moins dans l’intérêt du trésor.

M. de La Coste. - Messieurs, lorsque la chambre a réuni les différentes questions qui l’occupent maintenant, il était à prévoir que nous rentrerions dans la discussion générale. C’est ce qui est arrivé. Cependant, il me semble qu’il faudrait au moins écarter de la discussion le point qui a été solennellement décidé par la chambre. Comme je l’ai déjà dit, la chambre a voulu, sans doute, faire chose sérieuse, et pour donner un sens sérieux à cette décision, il faut admettre que la chambre veut le maintien de la production indigène, moyennant une protection suffisante.

Je pense donc qu’une partie des discours de MM. de Mérode et Delehaye est étrangère à la discussion actuelle ; toutefois je m’applaudis de trouver cette occasion de réfuter une erreur fondamentale qui a déjà été commise, et sur laquelle reposent tous les calculs de l’honorable M. Delehaye.

Lorsqu’on compare le produit du droit sur le sucre exotique avec le produit du droit sur le sucre indigène, on perd généralement de vue les quantités indemnes que le sucre exotique verse dans la consommation. Ainsi, suivant la proposition de l’honorable M. Rodenbach, voici ce qui aurait lieu.

Sur 100 kilog. de sucre exotique importés, 40 paient l’accise ; le surplus est apuré, au rendement moyen de 58 1/2, par l’exportation de 35 kilog. et une fraction qu’on me permettra de négliger. Restent, en tenant compte d’un déchet moyen de 5 p. c,, 22 kilog. indemnes, Donc, pour chaque quantité de 40 kilog. qui auront payé l’accise, le raffineur pourra verser, dans la consommation 22 kilog. libres de droits. Donc chaque quantité de 68 kilog. de sucre exotique livrée à la consommation se composera de 40 kilogrammes ayant payé l’accise et 22 indemnes. Par conséquent, 6,200,000 kilog. de sucre exotique auront payé :

Sur 4,000,000 à raison de 40 fr., fr. 1,600,000

Sur 2,200,000 fr. 00

6,200,000 kil de sucre indigène paieront, à 25 fr., fr. 1,550,000

Différence : fr. 50,000

Cette différence même disparaîtrait si j’avais tenu compte du déchet pour le sucre indigène, comme pour le sucre exotique, ce qui ne serait que juste. Nous voilà donc bien loin des sommes énormes que vous avez entendu énumérer ; elles se réduisent à rien, comme je l’avais annoncé ; mais quand la différence de 50,000 francs existerait, quand elle serait plus grande, d’abord il ne faudrait pas la répartir sur 2,500 hectares, mais sur toutes les terres que cet assolement concourt à rendre plus fécondes ; et ce qui est plus important, cette différence serait largement compensée pour le trésor par d’autres revenus.

En effet, si vous supprimiez la culture de la betterave, ce qui au surplus n’est plus en question, la dépréciation des propriétés causerait une perte considérable au trésor dans les droits de mutations et, pour l’avenir, dans les contributions directes.

De plus, à quoi veut-on venir ? à supprimer en France, en Belgique, dans toute l’Europe la production du sucre indigène. Qu’en résultera-t-il, un vide de 60 à 80 millions de kilogrammes, il arrivera alors en sens inverse ce qui est arrivé quand Java a versé dans la consommation 50 à 60 millions de kilogrammes ; le prix augmentera, et vous paierez en plus bien au-delà de cette différence que vous signalez aujourd’hui.

Puisque j’ai la parole, je soumettrai à la chambre quelques courtes réflexions sur les différents systèmes proposés. Je n’avais pas dessein d’en entretenir la chambre aujourd’hui. Mais M. le ministre ayant annoncé l’intention de peser les diverses observations qui seraient présentées et de proposer quelque chose qui puisse servir de base à nos délibérations, je dirai quelques mots.

D’une part, je ne regarde pas la loi de 1822 comme une loi purement commerciale ; de l’autre, si la prime qu’elle accorde me semble exorbitante, ce n’est que par l’exagération où elle est arrivée. Pour comprendre le but de la loi de 1822, il suffit de se reporter aux circonstances de l’époque. Le gouvernement des Pays- Bas était pressé d’argent ; au Nord on lui disait : Atteignez la consommation des masses ; au Midi on lui disait : taxez les denrées coloniales. Il a fini par le faire ; mais il a voulu accorder au commerce quelque compensation par la restitution du droit d’entrée. Quand la denrée s’exporte en même nature, la restitution du droit est facile ; elle a lieu au même poids, à la même mesure. Mais quand la denrée se transforme, il y a un calcul proportionnel à établir. C’est ce que nous faisons pour les eaux-de-vie, quand nous reportons sur le liquide ce que nous avons imposé sur la contenance de la cuve-matière ; il est naturel qu’un pareil calcul se fasse plutôt à l’avantage qu’au détriment de l’industrie indigène. C’est ce que le gouvernement des Pays-Bas fit dans la loi de 1822, pour emmieller un peu les bords du vase. Mais jamais on n’a prévu qu’on arriverait à ce point qu’on pourrait n’obtenir rien de l’impôt. Telle n’a pas été l’intention de la loi de 1822. Quand, au reste, je compare ce système de primes avec celui que propose M. Dumortier, je ne puis encore me décider sur la préférence à accorder.

Dans l’intérêt du trésor et de la production indigène, le système de M. Dumortier est préférable à tout autre ; mais quant aux primes que propose l’honorable membre, je ne conçois pas bien clairement comment elles pourront atteindre le but qu’on se propose. Si elles sont trop fortes, elles seront un grand stimulant pour l’exportation qui se fera sur une trop grande échelle, ou plutôt elles seront dans cette hypothèse une libéralité surabondante ; si, d’un autre côté, elles sont trop faibles, il n’y aura pas d’exportation. Il faut atteindre un point mathématique qui représente les besoins du commerce ; rien de plus, rien de moins. C’est un problème, je ne dis pas insoluble, mais difficile, d’autant plus que les termes changent par la différence des prix et de l’état des marchés. Je vois là une question assez grave à résoudre avant que je puisse me prononcer sur le plan proposé par M. Dumortier

Quant à la retenue de 4/10, le ministre l’avait proposée avant que la chambre se fût prononcée pour la coexistence des deux industries. En conservant cette retenue, tout en n’admettant pas la destruction du sucre indigène, vous diminuez les exportations et les importations d’un tiers.

Je ferai encore une remarque. L’honorable ministre a parlé de 4 millions de recettes. Mais pour avoir ce chiffre, il a multiplié par 4 le produit d’un dixième, y compris les droits d’entrée ; il a donc compté quatre fois au lieu d’une les droits d’entrée. C’est encore là un calcul à refaire. Il vous a dit ensuite : si quatre dixièmes ne suffisent pas, j’en donnerai cinq, j’en donnerai 6. Mais alors vous diminuerez encore les importations et les exportations de plus en plus.

Si on attache maintenant si peu d’importance à ces importations et à ces exportations ; si, d’autre part, on rendait illusoire la protection que la chambre a voulu accorder à la production indigène, moi qui voudrais pouvoir tout concilier, qui certes, ne veut pas fermer l’Escaut, suivant l’expression d’un honorable membre, mais qui ne veux pas davantage qu’on touche à la poche de nos laboureurs, dont le bras vous nourrit et vous défendrait au besoin, je me rapprocherai du système de M. Dumortier ; l’agriculture et le trésor y gagneraient. Je désire qu’on trouve un système de conciliation. Je croyais le rencontrer dans les propositions de la section centrale et dans les idées émises par l’honorable rapporteur et moi, et qui consisteraient à combiner les deux systèmes ; mais si le commerce lui-même préfère celui de M. Dumortier, j’y donnerai également mon assentiment.

M. le ministre des finances (M. Smits) - J’ai demandé la parole pour relever une erreur dans laquelle est tombé M. de La Coste. Cet honorable membre m’aura mal compris ou je me serai mal exprimé. Quand j’ai parlé de l’augmentation du nombre de dixièmes réservés, je parlais dans l’hypothèse de l’adoption des amendements présentés au premier projet du gouvernement. Dans cette hypothèse, le sucre de canne aurait pu supporter ces augmentations, puisqu’on lui assurait exclusivement le marché intérieur à l’exclusion du sucre de betterave ; il n’en est plus de même aujourd’hui.

M. Mercier, rapporteur. - J’attendrai pour entrer dans quelques nouveaux développements jusqu’à demain, parce qu’il n’y a pas en ce moment d’autre projet en discussion que celui de la section centrale. Je n’ai donc rien à défendre quant à présent, Le gouvernement a annoncé qu’il présenterait de nouvelles propositions, j’attendrai qu’elles soient soumises à la chambre.

Je me bornerai à dire, quant à l’amendement de M. Rodenbach, que je ne puis l’adopter ; je partage, à cet égard, les idées émises par l’honorable M. de La Coste ; il donne à l’industrie du sucre indigène une protection insuffisante. Dans toute la discussion on a parlé d’une protection de 50 p.c. dont cette industrie avait besoin pour subsister ; chacun l’a reconnu ; ses adversaires ont fondé toutes leurs attaques sur cet argument qu’une protection de 50 p. c. lui était nécessaire. J’espère qu’ils ne viendront pas soutenir, maintenant que le sucre de betterave peut être imposé d’un droit présentant une différence moindre avec celui qui frappera le sucre exotique.

J’ai demandé la parole, c’est quand M. le ministre s’est levé pour répondre à l’honorable M. de Man qu’il avait prouvé vingt fois que le chiffre de 4 millions de recettes serait atteint par la proposition du gouvernement. De mon côté, j’ai réfuté plusieurs fois cette prétendue preuve ; et encore très récemment j’ai démontré qu’on n’atteindrait pas cette ressource pour le trésor au moyen des propositions du gouvernement ; M. le ministre s’appuie sur les produits d’années antérieures. Je ferai observer que les produits ont toujours été en diminuant même quand les importations ont augmenté ; ainsi en 1838 les mises en fabrication du sucre brut n’ont été que de 16 millions de kil., et le produit de l’accise s’est élevé à 1,188,000 fr., tandis qu’en 1840 elles ont été de 25 millions et ce produit a été réduit à 886,000 fr. Chaque année il y a eu une nouvelle réduction, parce que les raffineurs comprennent mieux leurs intérêts et font en sorte d’épuiser les 9/10 qui ne sont pas réservés.

Quand le droit sera plus élevé, ils auront un plus grand avantage encore à en agir de même. Il est donc à supposer qu’on apurera rigoureusement les comptes jusqu’à concurrence des dixièmes réservés, c’est-à-dire les 6/10. La ressource créée au trésor serait dans cette hypothèse très probable de moins de 4 millions, En effet, j’ai démontré qu’en prenant pour prime de départ une consommation de 15 millions de kil., qui est évidemment exagérée, le produit brut de l’accise ne s’élèverait qu’à 3,875.000 fr., et après déduction des intérêts de l’indemnité à accorder aux fabricants de sucre indigène, et la somme destinée à compenser le tort fait à l’agriculture, cette ressource se réduirait à 3,475,000 fr. En supposant 15 millions de kil. de consommation, la recette ne serait que de 3,088,000 fr.

Ainsi qu’on l’a déjà fait observer, M. le ministre a sans doute multiplié par 4 le produit d’un 1/10, y compris le droit de douane, pour arriver au chiffre de 4 millions. Cependant le droit de douane ne sera pas payé autant de fois qu’on retiendra de dixièmes. Il ne sera payé qu’une fois, quel que soit le nombre de dixièmes réservés. D’un autre côté, le gouvernement se montre disposé à établir des droits différentiels de douane sur le sucre ; si les propositions de la commission d’enquête sont adoptées, on ne percevra plus que 20 centimes de droits de douane pour 100 kilog. ; le produit de ce droit sera donc presque nul. Je persiste à partager l’opinion émise par M. de Man sur ce point.

Je bornerai là mes observations, quant à présent. J’attendrai, pour prendre la parole, que d’autres propositions surgissent ou que la discussion m’en fasse reconnaître l’utilité.

- La discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à 4 heures 3/4.