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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 28
février 1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative au polder de Lillo
et à la navigation de l’Escaut (Cools, Osy,
Rogier)
2)
Motion d’ordre relative au polder de Lillo (Rogier, Desmaisières, Rogier)
3)
Projet de loi sur les sucres. Discussion des principes. Concurrence et
coexistence entre sucre raffiné exotique et sucre indigène de betterave (Meeus, Desmaisières, Osy)
(Moniteur
belge n°60, du 1er mars 1843)
(Présidence de M.
Raikem)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 2 heures.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est
approuvée.
M. de Renesse présente l’analyse des pétitions adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur
Félix Pomier, capitaine au 9ème régiment de ligne, né
à Bayeux (France), demande la naturalisation. »
« Le sieur Louis-François-Alfred Boulade, lieutenant adjudant-major au 9ème régiment
d’infanterie, né à Paris, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
_________________________
« Le sieur Antoine-Eugène Durieux, prie la chambre
de statuer sur sa demande en naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Le conseil communal de Doel
prie la chambre d’allouer les fonds nécessaires au rendiguement
du poldre de Lillo, pendant 1843. »
M. Cools. - Messieurs, la pétition dont on vient de faire l’analyse se rapporte au rendiguement du poldre de Lillo. Elle signale des
circonstances qui sont dignes de fixer l’attention de la chambre. La rupture de
la digue a détourné les eaux de l’Escaut de leur cours naturel ; un banc de
sable s’est formé, et cet atterrissement rejette les eaux avec violence vers
les rives de
M. Osy. - Je profite de cette occasion pour demander à M. le ministre, quoiqu’il
ne soit pas présent, mais qui le verra dans le Moniteur, quand nous aurons le rapport sur les différentes
pétitions relatives au rendiguement du poldre de
Lillo. Il est urgent que nous ayons ce rapport le plus prochainement possible.
M. le président. - Y a-t-il quelqu’opposition à la proposition
de M. Cools ?
M. Rogier. - Il n’y a pas d’opposition, mais nous nous réservons de demander à M. le
ministre quand il sera prêt à faire le rapport qu’il a promis.
- La proposition de M. Cools est adoptée.
_______________________
« La société anonyme des forges, hauts
fourneaux, etc., de Couvin, prie la chambre de modifier le tarif des droits
d’entrée sur les aciers, limes, fils de fer d’Angleterre et d’Allemagne. »
- Renvoi à la section centrale pour les droits
d’entrée, chargée en qualité de commission spéciale d’en faire rapport avant la
discussion du projet de loi sur les droits d’entrée et dépôt sur le bureau
pendant cette discussion.
_______________________
« Plusieurs négociants de Roulers demandent une
réduction du droit sur les bois sciés étrangers. »
- Renvoi à la commission des pétitions avec demande
de la comprendre dans son rapport sur d’autres pétitions qui concernent le même
objet.
______________________
« Plusieurs docteurs en médecine et en
chirurgie présentent des observations contre le projet de loi sur l’examen de
l’art de guérir qui a été élaboré par l’Académie royale de médecine. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_______________________
M. Puissant informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister à la séance.
- Pris pour notification.
(- M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) entre dans la salle.)
MOTION D’ORDRE RELATIVE AU POLDER DE LILLO
M. Rogier. - Avant qu’on ne recommence la discussion du projet de loi sur les sucres,
puisque M. le ministre des travaux publics est présent, je demanderai à lui
adresser une interpellation. Messieurs, une pétition qui nous est arrivée tout
à l’heure est relative au rendiguement du poldre de
Lillo. M. le ministre avait promis de faire un rapport sur cet objet, nous
voudrions savoir s’il sera bientôt en mesure de nous présenter ce rapport.
M. le ministre
des travaux publics (M. Desmaisières) -
Messieurs, j’ai déjà fait connaître à la chambre que je me suis entendu avec
mon collègue du département de la guerre pour nommer, de part et d’autre, un
commissaire pour examiner les réclamations des propriétaires des poldres de
Lillo. Ces commissaires ont été nommés ; c’est pour le département de la
guerre, M. l’inspecteur-général du génie, et pour le département des travaux
publics, M. l’inspecteur-général des ponts et chaussées. Ces fonctionnaires se
sont occupés immédiatement du travail qui leur était demandé, et j’ai appris
que ce travail était terminé ; cependant je ne l’ai pas reçu encore, mais je ne
tarderai pas à le recevoir ; je l’aurai avant deux ou trois jours. Ce n’est
qu’alors que je pourrai être en état de faire le rapport que j’ai promis à la
chambre, ou de m’entendre avec M. le ministre de la guerre pour faire une
proposition, s’il y a lieu.
M. Rogier. - M. le ministre ne peut pas ignorer que ces travaux sont urgents, et que
s’il faut les commencer cette année, on ne devrait pas tarder à proposer une
loi. J’engage donc M. le ministre à presser le plus possible le rapport qu’il a
promis, et à présenter à la chambre une proposition, si telle est son opinion ;
car il importe de ne pas perdre de temps, si on veut commencer les travaux
cette année.
Première
question de principe : Y aura-t-il égalité de droits ?
M. le président. - La discussion continue sur la question de principe. Y aura-t-il un
droit égal sur le sucre exotique et sur le sucre indigène ?
M. Meeus. - Messieurs, la question qui est portée en ce moment devant vous est
celle que j’ai soulevée dans la première partie du discours que j’ai prononcé
dernièrement à la chambre. Il s’agit de savoir si l’on écrasera une industrie
indigène. Je m’étais permis de dire que, dans aucun pays, et sous aucun
gouvernement, jamais il n’était arrivé que l’on fît une proposition aussi
exorbitante, et que j’ai même qualifiée de monstrueuse. M. le ministre a trouvé
mes expressions un peu dures, et les partisans du sucre exotique n’ont pas
manqué de dire : Mais après tout, ce qui se passe en Belgique quant à la
proposition du gouvernement n’est pas autre chose que ce qui se passe en
France, que ce qui s’est passé en Angleterre, où on a empêché la production du
sucre de betterave, que ce qui se passe aussi dans les Pays-Bas.
Messieurs, ou je me trompe singulièrement, ou c’est
toute autre chose. L’on comprend en effet que dans un pays où il y a deux
industries du pays, on veuille, par des considérations d’un ordre supérieur,
empêcher l’une de nuire à l’autre. Ainsi, en France, il y a deux industries de
la France, l’industrie du sucre de canne et l’industrie du sucre de betterave.
Ainsi en Angleterre qui a des colonies, il y a du sucre de canne anglais, ainsi
dans les Pays-Bas, il y a du sucre de canne des Pays-Bas, parce que ces nations
ont des colonies, et que les colonies font bien partie du royaume auquel elles
appartiennent.
Mais, je vous le demande, y a-t-il rien de semblable
en Belgique ? Pour soutenir votre proposition vous ne pouvez pas venir comme en
France nous dire : Mais enfin cette richesse dont nous allons doter telle
partie du royaume nuira à telle autre, et si elle nuit à telle autre elle nuira
à nos forces maritimes, elle aura un effet désastreux sur votre commerce avec
les colonies. Si vous pouviez tenir un tel langage, je comprendrais que vous
puissiez appuyer le système que vous proposez sur celui de la France, de
l’Angleterre et du royaume des Pays-Bas. Mais il n’y a rien de semblable dans
la position de
Messieurs, je vous l’ai déjà dit : que réclame
l’industrie du sucre de betterave ? Elle demande une protection égale à celle
que vous accordez à toutes les autres industries du pays. L’honorable M.
Delehaye vous a dit : Voyez quelle inconséquence de la part des partisans du
sucre de betterave ! Ils ne veulent pas nous accorder la protection que nous
demandons pour le sucre exotique, et quand il s’est agi d’accorder une
protection au Hainaut pour ses charbons de terre et ses produits
métallurgiques, l’avons-nous refusée ? Non, certainement vous ne l’avez pas
refusée, et vous auriez eu grand tort de la refuser. Mais, conséquents avec
vous-mêmes, vous devriez à présent être partisans de la protection à accorder
au sucre de betterave.
Dans tout ce qu’a dit M. Delehaye, je n’ai rien vu
autre chose que le système que nous défendons, le système de la protection du
travail du pays, au travail indigène, au travail belge. Mais par une
inconséquence que je ne puis comprendre de la part de l’honorable M. Delehaye,
voilà qu’aujourd’hui il veut une protection pour tout ce qui est indigène,
excepté pour le sucre de betterave, et il vient, contrairement à ses principes,
demander cette protection pour le travail étranger. Nous, nous sommes
conséquents avec nous-mêmes, nous demandons à favoriser les fabricats de Gand,
nous demandons à favoriser tout ce qui est produit en Belgique, nous demandons
à faire fleurir le travail indigène, avant le travail étranger, non comme on
l’a supposé en recourant à des mesures prohibitives, mais par une protection
sage, par une protection restreinte dans des limites convenables, limites que
la chambre a déjà posées. Si nous voulions autre chose qu’une protection
modérée, nous pourrions trouver des arguments pour obtenir pour le sucre de betterave,
une protection tout autre que celle proposée par la section centrale. Car
quelle est la protection que vous avez accordée au raffinage du sucre ? Mais
c’est là une protection prohibitive, tellement elle est exagérée. Quelle est
donc cette industrie du raffinage ? Est-ce une industrie qui rapporte au pays
davantage que la culture de la betterave, que le sucre indigène ? Eh bien,
voilà l’industrie à laquelle vous avez accordé une protection tellement
exagérée, qu’il n’y a aucune autre protection semblable accordée à une
industrie du pays, quelle qu’elle soit.
Vous le voyez donc bien, messieurs, si l’on voulait,
en puisant même dans les arguments de nos adversaires, être exagéré, on
viendrait demander pour la betterave, pour le sucre indigène ce que l’on
accorde aujourd’hui rien que pour la fabrication du sucre étranger. Et
l’honorable M. Delehaye vient me combattre sur le terrain de l’économie
sociale, de l’économie politique.
Voici les paroles de l’honorable M. Delehaye :
« Je ne citerai qu’un seul fait pour le moment.
Je dirai que, bien loin que l’économie sociale exige la culture de la
betterave, on devrait, au contraire, proscrire cette culture, dans l’intérêt de
l’économie sociale.
« L’honorable M. Meeus a eu parfaitement raison
de dire que la balance commerciale n’était pas en notre faveur, que notre
position financière n’était pas favorable ; mais si la balance commerciale ne
nous est pas favorable, si notre situation financière est si désastreuse,
pourquoi cet honorable membre veut-il nous engager à donner la préférence a un
produit plus coûteux ?
« M. Meeus donnerait-il à un particulier le
conseil d’acheter très cher ce qu’il pourrait obtenir à un prix moins élevé ?
Ce qu’il ne donnerait pas à un particulier, doit-il le donner à l’Etat ? »
Mais si l’honorable M. Delehaye et tous ceux qui
soutiennent la même cause veulent être conséquents avec eux-mêmes, à l’instant
même, messieurs, ils doivent demander la suppression de tous vos droits de
protection. Il ne faut plus de droits sur l’entrée des grains, il ne faut plus
de droits sur les cotons fabriqués, il ne faut plus de droits sur les sucres
raffinés, il ne faut plus de droits sur les fers étrangers, il ne faut plus de
protection pour les charbons ; il faut ouvrir tous les ports de
Ce n’est pas autre chose, M. Delehaye, que la
liberté illimitée de commerce que vous avez prêchée ; vous qui êtes partisan
des droits protecteurs, vous êtes venu me demander si je donnerai le conseil à
un particulier d’acheter à meilleur marché. Mais, remarquez-le bien, si un
particulier venait me demander conseil sur la question de savoir s’il doit
acheter à un prix élevé ou à un prix modéré, la réponse serait fort simple.
Mais si ce particulier se trouvait dans la position où se trouve
Eh bien ! le conseil que je
donnerais à ce particulier, je le donne à
Messieurs, en fait de principes d’économie politique,
il est bon, dans cette chambre, d’invoquer quelquefois, et surtout quand on
défend la plus belle des causes, celle de l’agriculture, le témoignage des
hommes qui, par leur réputation, planent aujourd’hui sur ces questions
importantes. Je vais vous citer un passage d’une leçon donnée par M. Michel
Chevalier, et vous verrez si les doctrines de ce savant économiste ne sont pas
d’accord avec les principes que soutiennent ici les partisans du sucre de
betterave.
« La terre est le premier atelier de l’humanité, le
plus vaste et le plus productif. En France, vingt-quatre à vingt-cinq millions
d’habitants sur trente-cinq millions sont adonnés aux travaux des champs ou en
vivent. De là une conclusion à tirer. Puisque c’est la terre qui nous nourrit,
faisons tous nos efforts pour qu’elle soit féconde. Puisque l’industrie
agricole prime toutes les autres, organisons nos institutions d’intérêts
matériels en vue des besoins et des progrès de l’agriculture, et pour entrer
dans la question du crédit, le premier crédit à fonder, c’est le crédit
agricole !
« … Les richesses que recèle notre sol sont
infinies, il ne s’agit que de les en faire sortir. En agriculture, il n’y a pas
de petites amélioration, parce que le moindre
perfectionnement est multiplié aussitôt par un coefficient énorme. J’en choisis
une preuve entre mille. Les agronomes assurent que nos moutons ne donnent pas
un revenu brut quotidien de plus de deux centimes par tête. Ils ajoutent qu’il
serait facile de porter assez promptement ce produit brut à quatre centimes.
Savez-vous ce que gagnerait la France à cette insignifiante augmentation de 2
centimes par mouton et par jour ? Deux cent trente-cinq millions par année.
« On parle beaucoup de procurer à nos
manufactures de débouchés à l’extérieur. Je souhaite ardemment qu’on y
parvienne, que nos élégantes indiennes de Mulhouse, nos incomparables soieries
de Lyon, nos flanelles et nos mousselines de laine de Reims, nos draps
d’Elbeuf, nos bronzes et nos articles de goût de Paris, fassent fortune au
Mexique, au Pérou, au Chili, au Texas ; (que l’honorable M. de Mérode ajoute :
en Guatemala, je le veux bien) ; il est pourtant un autre débouché plus
prochain, plus assuré, plus vaste, que l’amélioration agricole nous permettrait
d’ouvrir à nos fabricants. Nous avons chez nous vingt-cinq millions d’hommes,
c’est-à-dire plus du double de la population du Mexique, du Pérou, du Chili et
du Texas ensemble, qui consommeraient plus volontiers une plus forte proportion
des produits manufacturés de l’industrie française. Supposons que, par une
bonne constitution du crédit agricole qui ferait dériver les capitaux vers
l’agriculture, et qui serait combinée avec une instruction primaire mieux
appropriée au but de la vie pratique des paysans, avec le perfectionnement
rapide de la viabilité du territoire, depuis les chemins de fer, et y compris
les chemins vicinaux, avec un système d’irrigation et une bonne loi sur les
cours d’eau, avec des encouragements au reboisement des montagnes, on parvienne
en dix ans à accroître les puissances productives de notre agriculture assez
pour ajouter cinquante centimes à la valeur de la journée de tout homme de nos
campagnes, vous aurez fait pour les manufactures du royaume dix fois ce que
vous pourrez attendre de tous les traités de commerce Car c’est un revenu
supplémentaire d’un MILLIARD DE FRANCS, dont vous auriez doté nos cultivateurs
à titre de manouvriers, sans parler de ce qu’ils auraient gagné comme
propriétaires, et ce que les propriétaires non résidant sur leurs propriétés
auraient acquis de plus de leur côté : une bonne partie de ce milliard
servirait à acheter des objets manufacturés ou des denrées exotiques. »
Nous n’ajoutons rien à ces paroles de M. Michel
Chevalier, que nous sommes heureux de voir soutenir la cause de l’agriculture à
laquelle nous avons voué notre vie et que nous soutiendrons de tous nos
efforts.
Comme la France,
Messieurs, j’ai cru utile de vous rapporter ce court
extrait d’une des leçons d’un homme qui passe à juste titre pour un des plus
savants économistes de l’époque. Pour lui il n’y a pas de petite amélioration
en agriculture.
Et nous, de gaieté de cœur, nous irions ruiner une
industrie qui s’est développée sous l’égide de nos lois ; non pas en fraude,
comme on l’a dit, car s’il y avait fraude, la fraude devrait retomber sur le
gouvernement, qui l’a laissé surgir, s’étendre, se développer.
Quant à l’industrie indigène, elle a agi dans le
cercle, dans les limites que la loi donnait, et ce n’est pas elle qui doit être
accusée de fraude ; le mot fraude, comme l’a dit l’honorable M. de
Messieurs, je ne veux pas sortir du cercle de la
question qui vous est soumise en ce moment, je dois donc, quant à présent,
m’étendre principalement sur la culture de la betterave en Belgique, sur les
conséquences qui résulteraient de la ruine de cette industrie, et sur son
avenir, que personne de nous ne saurait ni apprécier ni déterminer.
Messieurs, dans la première partie de mon discours
j’ai dit à la chambre que la culture de la betterave, bien loin de nuire à la
production des céréales, était au contraire une cause de plus de production de
céréales ; c’est-à-dire que là où on cultive la betterave, on obtient plus de
grains que là où on ne le cultive pas.
L’honorable M. Verhaegen vous l’a dit, messieurs ;
il est inconcevable que dans une discussion aussi grave, le gouvernement se
soit à la légère prononcé pour la suppression d’une industrie nationale, sans
avoir procédé à son égard comme il procède d’ordinaire consultés sur les
moindres questions. Je vous en citerai une preuve, je me rappelle que lorsque
l’honorable M. Smits était directeur du commerce et de l’industrie, le
ministre, nécessairement d’après son influence, adressait cette question à la
chambre de commerce de Bruxelles : « est-il bien utile de laisser
fabriquer la potasse en Belgique ? Cela ne pourrait-il pas nuire à la
navigation ? »
Cette question, à coup sûr, messieurs, est
extrêmement légère de sa nature. On n’avait jusque-là jamais fabriqué de
potasse en Belgique. Quelqu’un se présente pour obtenir un brevet. On demande
immédiatement à la chambre de commerce de Bruxelles si cela ne pourrait pas
nuire à la navigation.
Il faut avoir, je l’avoue, une monomanie de
navigation extrêmement prononcée pour s’imaginer que telle industrie qui
s’établirait en Belgique, pourrait nuire gravement à la navigation. Mais enfin,
je vous cite cet exemple pour vous faire voir combien, dans les questions les
plus futiles, on ne craint pas et on croit quelquefois de son devoir, de
demander des informations aux chambres de commerce.
Et lorsqu’il s’agit de réunir, je ne dirai pas
seulement les établissements de sucreries indigènes, pour moi, c’est encore une
question de second ordre, mais de ruiner une industrie utile à l’agriculture,
on ne demande d’avis à personne.
Messieurs, si une enquête avait été faite, nous
aurions là sur le bureau de la chambre des documents propres à nous éclairer.
Aujourd’hui, à défaut de ces lumières, lorsque nous venons poser des faits on
nous oppose, quoi ? des dénégations. Mais voici
quelques pièces qui, à défaut d’enquête, auront sans doute quelque poids. En
voici une, par exemple, que l’on vient de me remettre, et dont les signatures
sont légalisées par le bourgmestre de la commune :
(Nous reproduirons cette pièce dans un de nos
prochains numéros.)
Maintenant l’honorable M. de Brouckere me dit :
« Cela ne prouve rien du tout. » Eh bien, je prends cette thèse.
Autant celle-ci qu’une autre. Cependant je désire qu’on m’interrompe le moins
possible, car vous comprenez parfaitement que mon discours sera singulièrement haché
si je dois répondre à une foule d’interruptions. Mais enfin, puisque l’on dit
que cela ne prouve rien du tout, je vais démontrer que cela prouve beaucoup.
Il est constaté dans la pièce que je viens de lire,
qu’avant la culture de la betterave, les terres dont il s’agit ne produisaient
ni froment, ni seigle, ni orge.
Un membre. - On n’en semait pas.
M. Meeus. - On n’en semait pas ; donc il n’y en avait pas ; c’est toujours la même
chose. Eh bien maintenant il y en a. Vous me direz : « C’est parce qu’on a
fumé ces terres d’une manière extraordinaire qu’elles produisent maintenant du
seigle, de l’orge et du froment. » Eh bien, messieurs, c’est précisément ce
qu’il faut : si la betterave est un produit qui procure au cultivateur assez d’argent,
si elle lui permet d’engraisser assez de bétail pour qu’il puisse fumer ses
terres de manière à les faite produire ce que sans cela elles ne produisent
pas, n’est-ce pas là un progrès évident dans l’agriculture ?
Voulez-vous, messieurs, que je vous fasse connaître
une autre pièce ? C’est une lettre que j’ai reçue ce matin et qui prouve
combien tout ce que je viens de dire est exact. Cette lettre émane d’une
personne qui sera probablement connue des députés qui habitent les environs de
Saint-Trond, mais que, moi, je ne connais pas. Cette lettre prouve jusqu’à quel
point la betterave est utile à l’agriculture, jusqu’à quel point elle permet de
créer des engrais au moyen desquels on fait produire beaucoup plus de richesses
à la terre. Voici messieurs, cette lettre :
« Monsieur,
« Au moment où tant de personnes, qui n’en
savent rien, nient ou atténuent les bons effets de la culture de la betterave,
vous désirez mon avis ; je vous donnerai quelques faits, dont la conclusion
sera à la portée de tout le monde. J’exploite environ
« Recevez mes salutations cordiales. »
Cela est signé …, daté de …, près de Saint-Trond ;
ce monsieur sera probablement connu dans cette enceinte.
Remarquez-le bien, messieurs, si, comme je l’ai dit
en commençant, si le gouvernement avait procédé comme son devoir l’y obligeait,
s’il avait demandé des renseignements aux chambres de commerce et aux comités
d’agriculture, nous n’en serions pas réduits aujourd’hui à voir contester les
faits les plus patents, les plus certains.
Messieurs, il est incontestable pour tout homme
impartial qui s’est donné la peine d’examiner ce qu’est la culture de la
betterave, il est incontestable que c’est une richesse immense pour le pays.
Maintenant, si par une disposition semblable à celle que vous propose M. le
ministre des finances, vous alliez détruire cette industrie, savez-vous ce qui
en adviendrait ? Vous auriez ruiné une quantité d’industriels, vous auriez ruiné
une quantité de fermiers, vous auriez ôté le pain à une quantité d’ouvriers ;
et, comme vous l’a fort bien dit l’honorable M. de
On dit, messieurs, que cette industrie est sans
avenir. On a avancé ce fait, mais l’a-t-on prouvé ? Nullement. Pour la
betterave qui, sous l’empire, ne pouvait produire du sucre à 6 francs, et qui
depuis, par des progrès successifs, a fini par produire du sucre à 70 centimes,
aujourd’hui parce que cela vous convient, la betterave n’aurait plus aucun
progrès à faire, il n’y aurait plus aucune amélioration à introduire dans cette
industrie. Mais, messieurs, à part les améliorations que l’art, le travail
amènent à toutes choses, il est des circonstances indépendantes de notre
volonté qui peuvent exercer une influence immense. Le sucre de betteraves,
aujourd’hui, se produit à 70 fr. ; eh bien, messieurs, si, comme en 1837, les
sucres étaient à 94 fr., est-ce que le sucre de betterave n’aurait plus
d’avenir ? Je ne vais point demander des cas de guerre, des cas extraordinaires,
des événements d’une haute portée politique, je vous cite les années 1836 et
1837, où le sucre Havane était à 94 fr. Mais, messieurs, vous aurez détruit
cette industrie, et, dans trois ans, après que vous aurez anéanti des millions,
il n’est pas impossible que cette industrie vienne à se relever et comme pour
vous accuser de la faute immense que vous aurez commise.
Pour cela il ne faut pas même une hausse sur le
sucre, il ne faut qu’un progrès non pas dans les sucreries de betteraves, mais dans
la culture de la betterave, mais dans la dépréciation des céréales. En effet,
messieurs, je connais tel fermier et tel petit fermier qui n’a que 7 ou
Par exemple, il est bien certain (et ce qui fait que
tous les cultivateurs n’ont pas encore obtenu pour la betterave les progrès que
je vous ai signalés tout à l’heure), il est certain, dis-je, que pour avoir de
bonnes récoltes de betterave, il faut défoncer la terre au double. Mais cette
terre vierge que vous amenez à la surface, comment l’amenderez-vous ? avec ce qu’on appelle des compostes, avec la chaux surtout,
avec la marne. La chaux n’est-elle pas un produit du pays ? Est-ce que les
chaufourniers ne profitent pas de la masse de chaux que les fermiers se
procurent, et pourquoi les fermiers s’imposent-ils cette dépense ? parce que le revenu de leurs terres leur permet de faire ce
sacrifice.
Dans l’agriculture il faut un capital. Il n’y a pas
d’améliorations possibles, sans que des capitaux ne soient consacrés à
l’agriculture. Mais ces capitaux sont le produit des récoltes. Il faut donc des
récoltes riches pour pouvoir faire ces dépenses.
Nous venons de signaler la probabilité presque
certaine de l’amélioration de la culture de la betterave : ce qui peut avoir un
effet immense sur le prix du sucre indigène. Examinons maintenant quelle portée
pourrait avoir la baisse des céréales.
Le fermier aujourd’hui, qui ne veut pas se contenter
de moins de 4 ou 5 cents fr. d’un hectare de betterave, ne serait-il pas trop
heureux d’obtenir un moindre prix, si le froment, au lieu d’être coté au prix
de 12 à 15 fr. le demi-hectolitre, tombait, comme en 1822, 1823 et 1824, à 6
fr. ou 8 fr. ?
Je sais qu’on m’objectera ceci : Mais la loi des
céréales est là pour s’opposer à la baisse du prix des grains. Je dis que la
loi des céréales n’y fera rien du tout. Quand vous aurez en Belgique, comme
vous avez eu en en 1822, 1823 et 4824, trois récoltes pleines,
Il est en fait de récoltes des périodes, et
quiconque a suivi ces périodes, sait parfaitement bien que pendant 5, 6 ou 7
ans, il arrive que le pays, même le plus avancé en agriculture, n’a que des
récoltes, sinon médiocres, au moins pas pleines ; alors nécessairement les prix
des céréales s’élèvent.
Maïs quand, au contraire, les récoltes sont
abondantes, cette protection que vous avez donnée à vos grains, ne sert plus de
rien. Si vous avez un excédant, il faut bien que vous déversiez cet excédant.
C’est alors que d’autres produits, prenant la place des céréales rétablissent
en agriculture cet équilibre qui fait que le fermier se récupère sur d’autres
produits. Alors on cultive en plus grande quantité le lin, le chanvre, le
colza, la betterave, etc.
Eh bien, si une période semblable arrive, quel sera
donc le prix de la betterave ? Le prix qui aujourd’hui est calculé de 18 à 20
fr, peut tomber à 10 ou 9 fr., à part, comme je le disais tout à l’heure, les
progrès que le cultivateur fera dans la manière de cultiver la betterave car
encore une fois, la plupart des petits fermiers n’ont pas pu obtenir dans le
principe autant par hectare que d’autres, parce qu’ils n’ont pas eu le capital
nécessaire pour faire leurs premiers frais, pour défoncer la terre, pour
l’amender par des moyens convenables.
Ainsi, je vous ai signalé trois causes, la hausse du
sucre, l’amélioration dans la culture de la betterave, et la baisse du prix des
céréales, qui peuvent amener une diminution énorme dans le prix des matières
premières du sucre indigène.
Dès lors, je vous demande si d’ici à quelques années
ces causes se présentaient, quels reproches le gouvernement et la législature
belges auraient à se faire d’avoir détruit à la légère des capitaux immenses,
et d’avoir réduit de 50 p. c., au lieu de l’augmenter de 50, le salaire des
ouvriers, salaire qui, comme le dit M. Michel Chevalier contribue à la richesse
nationale.
Messieurs, je passerai maintenant à d’autres
considérations.
L’honorable M. Rogier, dans le discours qu’il a
prononcé hier, s’est surtout attaché à vous prouver qu’il était impossible que
jamais le trésor perçût sur le sucre indigène ce que pourrait lui procurer le
sucre exotique.
Pour moi, qui place immédiatement après la question
de l’économie sociale la question du trésor, j’ai été charmé de la concession
de l’honorable M. Rogier, qui, pour mieux établir son argumentation, a suppose
qu’il n’y aurait plus de rendement sous forme de prime. Voici la partie du
discours de l’honorable monsieur, à laquelle je viens de faire allusion :
« Dans tous les cas, voici dans mon opinion les
seuls systèmes qui puissent être débattus : monopole de la consommation
intérieure pour le sucre exotique avec suppression de l’exportation, et 6
millions de recettes ; maintien et même amélioration de ce qui est, et 4
millions de recettes. C’est sur ces deux chiffres qu’il me semble que le débat
doit porter. Car vouloir maintenir le sucre de betterave et les recettes que
l’un ou l’autre de ces deux systèmes assure au trésor, c’est poursuivre une
chimère. Je ne crains pas de le répéter, il est impossible, en maintenant le
sucre de betterave, d’assurer ni 4, ni 6 millions au trésor. »
Messieurs, ces assertions ont été parfaitement
établies par l’honorable M. Rogier.
Ici, messieurs, procédant comme je l’ai fait pour la
question d’économie sociale, je me suis demandé : que ferait le gouvernement,
si
Le gouvernement dirait : il me faut 4 millions et
demi ; je frappe le sucre indigène de 30 francs.
Un membre. - Nous, nous voulons donner 6 millions
?
M. Meeus. - Vous nous donnez, dites-vous, 6 millions pour votre sucre exotique,
j’en prends acte, car je désire que le trésor reçoive le plus possible ; va
pour 6 millions ; je frappe le sucre indigène d’un droit de 40 francs, et j’ai
6 millions. Je protège du reste le travail national, le sucre indigène contre
le sucre exotique en imposant le sucre de canne à 60 francs, et si je ne me
trompe et que le sucre indigène ne peut suffire à la consommation, que pourra-
t-il arriver ? Il arrivera que les recettes du trésor iront en augmentant, c’est-à-dire
que l’introduction du sucre exotique n’aura lieu qu’à l’avantage du trésor ; et
le consommateur ? me demande-t-on : Mais le consommateur ne paye-t-il pas les
fabricats belges 20, 25 ou 30 p. c. plus cher que s’il les achetait sans droits
? le consommateur du sucre raffiné, qui pourrait
recevoir de Hollande, le sucre raffiné, presqu’au même prix que le sucre brut,
ne paye-t-il pas au profit du raffineur belge un droit énorme de protection ?
Un membre. - C’est
M. Meeus. - Donc, il n’y a de travail national que le raffinage. Dans un cercle
d’arguments semblables, il n’y a plus à raisonner.
Moi, je ne veux pas du travail national pour Gand et
Anvers seulement, je veux du travail national pour tout le pays. Si, comme l’a
dit fort bien l’honorable M. Dubus, par une imprudence que vous ne commettrez
pas, j’espère, vous alliez détruire l’industrie du sucre indigène, l’industrie
du sucre de canne ferait la loi dans le pays.
Car, messieurs, remarquez-le bien, c’est depuis
l’introduction du sucre de betterave en Belgique que l’on n’a plus pu imposer
au consommateur belge un prix aussi élevé. Je sais que l’on a dit : Mais vous,
qui ne vouliez pas de rendement, qui ne voulez pas de prime, qui avez établi
que le pays avait perdu 40 millions par suite de ces primes, le sucre de
betterave y a été pour quelque chose.
Si
Quand vous ferez cela, ce sera un véritable
drawback. Ce n’est pas ce que vous faites aujourd’hui, vous laissez exporter du
pays une partie, 52 p. c., et vous rendez tout le
droit. Qui doit payer le reste ? Nécessairement c’est le consommateur. Cela est
clair au dernier point pour toute personne qui a étudié les principes du
drawback. Vous ne pouvez donner à l’industriel que la position qu’il aurait
s’il avait fabriqué à l’entrepôt Voilà ce qui s’appelle drawback. C’est parce
que ce qui existe pour les sucres exotiques n’est pas un drawback, que c’est
une prime déguisée, que pour ma part je voterai de toutes mes forces pour
l’amendement de M. Dumortier, que je regrette de ne pas voir ici.
M. Dumortier. - Il vous écoute.
M. Meeus. - Messieurs, avant de terminer, car vous me le pardonnerez, les idées qui
m’avaient d’abord assailli au commencement de mon discours se sont plus ou
moins évaporées, par les interruptions qui m’ont obligé de suivre les
interrupteurs sur le terrain où ils me plaçaient, avant de finir, il faut que
je relève quelques assertions produites par l’honorable M. Desmaisières, qui
est venu vous dire avec une assurance que je condamne d’autant plus qu’il est
membre du cabinet, et qu’un membre du cabinet ne devrait jamais s’exprimer que
pièces de conviction à la main ; car un membre du cabinet, quand il avance des
faits, exerce une grande influence sur la chambre.
Il a avancé une assertion qui n’est ni logique ni
arithmétique. Voici son raisonnement :
Le sucre de betterave entre pour un tiers dans la
consommation. Or, à raison de 5 millions de kilog. à
37 fr. les 100 kilog., cela fait 18 millions que le sucre de betterave enlève au
trésor.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Je n’ai jamais parlé de 18
millions.
M. Meeus. - Vous vous êtes repris et vous
avez dit 1,800 mille francs.
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - C’est inexact.
M. Meeus. - Vous l’aviez dit par erreur comme je le disais moi-même, mais je n’en
tiens aucun compte : Errare humanum est.
Voilà, a dit M. le ministre, ce qui a été enlevé au
trésor, 1,800 mille francs. Il me semble que, d’après les règles de la logique
la plus simple, il fallait dire : Le trésor a reçu 600 mille francs ; donc, si
le sucre de betterave n’avait pas existé ou s’il avait payé un droit égal à celui
du sucre de canne, le trésor aurait reçu 900 mille francs..
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Je n’ai pas dit cela.
M. Meeus. - Je le sais bien ; mais moi je le dis et c’est précisément de ne l’avoir
pas dit que je vous blâme. Vous avez dit : le sucre de betterave a enlevé au
trésor 1,800 mille fr. Eh bien, je dis que ce n’est ni arithmétique ni logique.
Si le sucre de betterave devait donner 1,800 mille francs pour le tiers de la
consommation, prouvez-moi que le trésor a reçu 3,600,000
fr. pour les deux autres tiers. Vous n’y trouvez que 600,000 francs. Si vous
disiez : j’ai reçu 600,000 fr. pour le sucre exotique, si le sucre indigène
avait payé le même impôt, j’aurais reçu 900,000 fr, ce serait juste. Vous
comprenez cela, je pense. Si vous souteniez par impossible le contraire, je
voterais pour un professeur d’arithmétique au ministre des travaux publics.
Mais vous avez dit cela dans la chaleur de
l’improvisation, mais vous avez dit en termes formels : le sucre de betterave a
enlevé 1,800 mille francs au trésor. Je dis que cette manière de raisonner est
contraire aux règles de la logique et de l’arithmétique ; aux règles de la
logique, car si vous dites que le sucre de betterave a enlevé 1,800 mille
francs au trésor, vous devez prouver que les 2/3 de sucre exotique ont donné 3,
600 mille francs. Si, au contraire, nous partons de la prémisse vraie que le
trésor n’a reçu que 600 mille francs pour 2/3, vous pouvez dire que le sucre de
betterave n’a enlevé que 300 mille fr.
Mais, messieurs, ce ne serait pas même 300 mille
fr., car en 1836, le ministre est parti de cette époque, le trésor ne recevait
plus que 186 mille fr., et, remarquez-le bien, il n’y avait alors dans tout le
pays que deux fabriques de sucre de betterave qui ont versé dans la
consommation l’année suivante 100 mille kilog, qui,
d’après les erreurs de M. Desmaisières, ne feraient pas plus de 37 mille
francs.
En 1837, il n’y avait que quatre fabriques qui n’ont
produit que trois cent mille kilogrammes, et le revenu du trésor, n’était en
tout que de 463,000 francs ; vous voyez donc si j’ai raison de dire que dans
une matière aussi grave, aussi importante, il est étonnant qu’un membre du
cabinet soit venu nous soumettre des chiffres inexacts et une logique aussi peu
serrée, et ne se soit même pas donné la peine de dire quelle était à cette
époque la position du sucre indigène vis-à-vis du sucre exotique. Ce n’est que
depuis deux ans que le sucre de betteraves a pris de grands développements, et
c’est pour cela que l’on vient l’écraser ; c’est parce que l’on ne croit pas à
ce que l’on met en avant, que cette industrie n’a pas d’avenir, c’est parce
qu’au contraire elle a de l’avenir que l’on veut l’écraser dans sa naissance.
Messieurs, le rapport entre le sucre exotique et le
sucre indigène, quant au droit, peut parfaitement s’établir. Comme je le disais
tout à l’heure : S’il est vrai que vous puissiez obtenir, si
Maintenant quelle différence, je vous prie ! la betterave donne plus, elle produit une richesse triple
que le froment ; car avec le froment vous faites du pain, et puis c’est tout.
La betterave, au contraire, emploie une masse d’ouvriers, et procure au travail
belge, qui se répartit sur une échelle très grande avant qu’elle soit réduite
en sucre raffiné et mise en consommation.
Je crois qu’il est temps de terminer pour ne pas
abuser de vos moments. Je crois que la chambre doit protection à la culture de
la betterave, qu’elle en doit aussi au raffinage tant que c’est un travail
national, et dans les proportions que vous avez établies pour toutes les autres
industries.
Il serait aussi injuste de faire aujourd’hui plier
l’intérêt du sucre de betterave devant celui de la canne à sucre, que d’ôter le
raffinage du sucre que consomme
M. Rogier. - Dites des navires.
M. Meeus. - Des navires, si vous voulez ; mais qui ne vont qu’à Hambourg ; c’est là
du cabotage, rien de plus, et si vous préférez les appeler navires, je le veux
bien. Tout ce que vous exportez vous l’exportez vers Hambourg ou Brème, et
voyez un peu de quoi dépend aujourd’hui cet avantage des raffineurs d’aller
vendre les sucres raffinés avec une prime énorme ; il dépend tout bonnement de
l’accession de deux pays au Zollverein. Si tout à l’heure Hambourg et Brème se
réunissent au système prussien, il n’y aura plus moyen d’exporter même du sucre
à bon marché, car c’est une chose remarquable : vous êtes repoussés de tous les
marchés ; et vous savez que pour exporter les mêmes sucres raffinés dans le
Levant ou en Italie, il faut les piler en entrepôt et les réduire à l’état
apparent de sucre brut. Il n’y a pas besoin d’aller chercher pour cela des
renseignements à Anvers ; cela est exact. Eh bien, vous le voyez, repoussés de
tous les marchés, il ne vous reste plus qu’Hambourg et Brème, qui un de ces
jours vous fermeront également leurs portes.
M. Rogier. - Et
M.
Meeus. - Vous n’y exportez presque rien.
Messieurs, les défenseurs de la canne à sucre ont si
bien compris que le rendement est le point culminant de la question, que pour
donner le change, ils se sont adressés à la betterave. C’est assez adroit ;
mais, croyez-moi, messieurs, ce ne sont pas les 5 millions de kilog. de sucre indigène qu’ils veulent surtout remplacer,
on veut au moyen d’une prime déguisée tirer des colonies dix millions pour les
exporter n’importe où, voilà ce que l’on veut ; mais l’on espère qu’amenant la
question sur la betterave, la chambre prenant le change, sera plus facile sur
la question du rendement, c’est ce qui, j’espère, n’arrivera pas, et, la
chambre faisant bonne justice de toutes les exagérations, maintiendra une
protection convenable, égale à celle qu’elle accorde à toutes les autres
industries, et à la production du sucre indigène, et aux raffineurs, pour
qu’ils puissent raffiner ce que
M. le ministre des
travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, l’honorable
préopinant a voulu me donner une petite leçon d’arithmétique, je dois lui
prouver que je n’en ai aucun besoin. Messieurs, il est toujours facile, quand
on cite une phrase isolée d’un discours, un fait avancé isolément par un
membre, d’en tirer ensuite toutes les conséquences que l’on cherche à en tirer
; mais posons bien les faits messieurs, tels qu’ils se sont passés.
Dans le premier discours que j’ai prononcé, j’ai
fait connaître à la chambre que les législateurs de 1819 et de 1822, n’avaient
pas entendu percevoir entièrement des raffineurs de sucre le droit d’accises
qu’ils avaient décrète. J’ai dit, messieurs, que le législateur de 1819 et de
1822 avaient entendu frapper la consommation du sucre d’un droit d accises,
mais qu’ils avaient en même temps demandé aux raffineurs de sucres de rendre à
toutes vos industries, à votre navigation maritime, à votre commerce extérieur
et à l’agriculture elle-même, prise en général, d’éminents services pour
lesquels il leur accordait la décharge des droits de consommation. Eh bien,
messieurs, quand a paru le sucre de betterave, il est de fait que depuis
plusieurs années, la part que le trésor percevait du droit d’accise sur le
sucre, s’élevait à environ 1,800,000 fr. Voilà ce qui
est positif, et ce dont vous pouvez vous convaincre par les états de situation
des recettes que vous avez entre les mains. J’ai dit que l’industrie de la
betterave n’était pas venue en Belgique à l’état d’industrie naissante, qui dès
les premières années, ne peut pas se livrer à une grande fabrication ; qu’elle
y est arrivée tout armée de l’expérience de trente années de l’industrie
française, et que dès la première année, elle a produit des quantités
considérables. L’honorable M. Meeus vous a dit qu’elle n’avait produit en 1836,
que 400,000 kil. Mais l’honorable membre qui se plaint que le gouvernement ne
donne pas assez de renseignements, prouve par là qu’il n’a pas même lu le
rapport que j’ai présenté à la chambre en 1837, rapport, et la discussion a
fait voir qu’il n’allait pas encore assez loin, rapport, dis-je, qui annonce
une fabrication déclarée par les industriels eux-mêmes, de plusieurs millions
de kilog. dès 1836.
Maintenant, messieurs, j’ai dit dans mon second
discours qu’il fallait bien tenir compte de ce que la betterave produisait
actuellement 5 millions de kilog. de
sucre qu’elle livrait à la consommation, sans payer aucun droit, et que ces 5
millions à raison d’un droit de 37 francs par 100 kilog.
donneraient pour résultat 1,850,000 francs que la
betterave aurait dû payer aujourd’hui au trésor, parce qu’elle livrait son
sucre à la consommation, et qu’elle ne rendait pas au pays les services pour
lesquels la loi accorde la décharge, et ce chiffre de 1,850,000 francs coïncide
à peu près avec celui que le trésor percevait avant l’existence de la
betterave. Voilà ce que j’ai dit, et je crois qu’il serait difficile de prouver
le contraire, car les chiffres statistiques sont là.
Ainsi, avant l’existence de la betterave, le trésor
percevait par l’effet de la législation 1,800,000 fr.,
et la betterave ne paye pas au trésor 1,850,000 fr. qu’elle aurait dû lui
payer, si à raison de ce qu’elle livrait son sucre à la consommation, elle
avait été frappée aussi d’un droit d’accises. Voilà tout le calcul que j’ai
fait, et je vous avoue que je ne puis y découvrir de faute d’arithmétique.
Il est de fait, messieurs, qu’on varie plus ou moins
sur le chiffre de la consommation totale, car les défenseurs eux-mêmes du sucre
de betterave prétendent que ce chiffre n’est pas aussi élevé qu’on le prétend.
Aussi n’ai-je pas cru devoir entrer dans les calculs relatifs aux deux autres
tiers dont a parlé l’honorable M. Meeus ; et par conséquent de ce chef encore,
je n’ai pu pécher contre les règles de l’arithmétique.
Mais je dois faire remarquer à mon honorable
contradicteur qu’il ne fait pas attention, et je suis fâché de le dire, c’est
parce qu’il ne comprend pas encore ce que la loi de
L’honorable M. Meeus prétend qu’il faut avant tout
protection au travail national. C’est, je crois, ce que j’ai toujours dit, dans
cette enceinte, et j’ai souvent défendu ce principe avec quelque chaleur. Je
crois que la chambre me rendra cette justice. Oui, messieurs, oui, encore une
fois, il faut protection au travail national, mais au travail national le plus
utile au pays : et ici qu’avez-vous ? Vous avez le travail national de la
production du sucre de betterave qui est placé vis-à-vis de quel travail
national ? de celui, des raffineries de sucre exotique, qui le vaut bien à lui
seul, et qui en outre réagit fortement, quoi qu’on en dise, sur la navigation
maritime, sur le commerce extérieur, sur toutes nos industries et sur
l’agriculture elle-même, qui sans aucun doute procurent une bien plus grande
somme de travail à la nation par comparaison à celui produit par l’industrie
betteravière qui a l’inconvénient d’enlever à l’agriculture, au travail
national plus utile, celui de la culture des céréales.
Messieurs, quand on répond à ceux qui prétendent que
l’industrie du sucre indigène est éminemment utile à l’agriculture ; quand on
leur dit : Mais vous venez dire que votre industrie est extrêmement utile à
l’agriculture, et, cependant, elle enlève du terrain la culture des céréales,
alors que notre pays ne produit pas de céréales ; on répond : Mais on ne
cultive que
L’honorable préopinant est venu ensuite imputer, à
tort, à l’industrie du raffinage du sucre exotique les droits prohibitifs qui
existent à l’entrée des sucres raffinés étrangers. Il a dit que l’industrie du
raffinage du sucre exotique voulait pour elle-même un
immense protection et qu’elle la refusait à l’industrie du sucre indigène.
Mais, messieurs, je le demande à l’honorable membre,
si la betterave existait seule, n’aurait-elle pas besoin de ce droit prohibitif,
alors que, puisqu’il s’agit toujours ici de calculs, les défenseurs de la
betterave eux-mêmes viennent vous dire : Mais nous ne pouvons donner notre
sucre qu’à 74 fr., et vous produisez votre sucre exotique à 57 fr. Eh bien, si
vous ne pouvez produire votre sucre qu’à 74 fr., vous avez besoin d’une plus
grande protection encore que le sucre exotique, et ne reprochez donc pas à
celui-ci les droits prohibitifs qui existent à l’entrée du sucre raffiné
étranger.
Messieurs, en définitive,
qu’avons-nous ici en présence ? Nous avons en présence, d’un côté, l’industrie
qui produit le sucre indigène, et qui, évidemment, est d’un très mince secours,
si pas nuisible à l’agriculture, et nous avons, de l’autre côté, l’intérêt du
trésor, d’abord, l’intérêt de la navigation, l’intérêt du commerce extérieur,
l’intérêt de toutes nos industries, et de l’agriculture elle-même, prise dans
sa généralité.
Voilà, messieurs, entre quels intérêts vous avez à
décider.
M. Osy. - Après le discours de hier de l’honorable M. Rogier, il me reste peu à
ajouter pour prouver qu’il faut supprimer la production indigène avec
indemnité, ou décréter l’égalité de droits.
Ne perdons pas de vue que la nature a voulu que
chaque climat ait ses produits particuliers, elle a donné le sucre aux climats
tropicaux ; nous n’avons pas à nous plaindre, car les climats tempérés que nous
habitons sont les mieux partagés. Mais si nous voulions aller contre ces lois
et produire du sucre en Belgique malgré elle, nous sommes condamnés à donner à
notre industrie une forte protection, à imposer à nos consommateurs un
sacrifice énorme et durable, parce que cela tient à des circonstances
naturelles et que toutes les ressources de l’industrie et du génie ne
détruiront pas l’effet de ces circonstances.
Voilà un point qui ne sera pas contesté. L’industrie
indigène ne peut vivre qu’au prix d’une aggravation de charges pour les
consommateurs. Pour consentir à un tel état de choses, il faudrait y trouver de
grands avantages.
Vous voyez que les défenseurs de l’agriculture
réclament une protection de 50 p. c. pour une industrie qui n’est connue que
dans 35 à 40 communes et qui occupe
Si donc vous aviez tout le marché, ne pouvant rien
faire de vos sirops, le fabricant devrait se retrouver en augmentant le prix
des pains, et le peuple n’ayant pas de sirop, que nous pouvons leur donner
aujourd’hui à bon compte, à cause de nos exportations, vous verriez une grande
fraude et tous vos calculs pour le trésor seraient tous les ans dérangés, et
vous ne pourriez calculer sur aucun revenu certain ; car les raffinés étant
également à un prix beaucoup plus élevé, nous serions inondés des bons comme
des bas produits car nos voisins du Nord, et avant peu d’années l’industrie
indigène viendrait de nouveau se plaindre de ne pouvoir lutter avec l’étranger,
et alors, après avoir sacrifié votre commerce et votre navigation, vous devrez
sacrifier également le trésor, et l’équilibre entre vos recettes et dépenses
serait de nouveau dérangé, tandis qu’aujourd’hui, nous vous offrons un revenu
tellement certain de 4 millions, que M. le ministre a déclaré qu’il hausserait,
après deux ou trois ans d’expérience, le montant du payement des prises en
charge par 20ème ou 10ème pour avoir le revenu certain de quatre millions.
Je maintiens donc que nous ne ferons aucun tort ni
aux propriétaires ni aux fermiers, ainsi qu’à tous les ouvriers occupés à
l’agriculture, car le lin et les graines donnent autant d’occupation que la
betterave ; reste les ouvriers des sucreries, employés seulement pendant 6 mois
de l’année, et encore une grande partie de ces ouvriers, sont des ouvriers et
des enfants ne gagnant souvent que six sous de Brabant pour 12 heures de
travail, soit le jour, soit la nuit, et dans une atmosphère très malsaine et
toujours dans l’humidité. Ainsi sous ce rapport je ne crains pas d’enlever cet
ouvrage. Reste les fabricants qui ont fait des établissements ; aujourd’hui
nous leur offrons avec le concours du gouvernement une indemnité ; mais soyez
sûrs que si dans quelques années, par les raisons que je viens de vous
énumérer, vous devez supprimer la fabrication du sucre indigène, et cela
arrivera indubitablement, je suis persuadé qu’il n’y aura plus question
d’indemnité, et je crois que ceux qui sont aujourd’hui nos adversaires feront
un grand tort à leurs amis.
Dans toute grande résolution il y a certainement
quelques personnes lésées ; mais toujours il ne faut envisager que la
généralité et il faut savoir faire des concessions dans l’intérêt le plus
puissant du pays, et dans cette circonstance pas de doute que le commerce,
l’industrie et la navigation sont bien plus grandement engagés que
l’agriculture. Les demi-moyens et des mesures provisoires ne valent rien, car
sans cela la question se reproduit toujours, et sachons une bonne fois la
trancher, et n’ayons plus à nous en occuper que de porter annuellement au
budget des recettes une très belle somme.
Si je ne voulais pas compliquer la question et
prolonger les discussions, je répondrais par une proposition formelle aux
observations qu’on nous a souvent répétées. Vos échanges ne sont rien, car vous
allez chercher vos sucres bruts à Londres, Rotterdam, Hambourg et Brême, et par
ces importations vous ne favorisez pas vos exportations.
Je vous dirai que votre tarif est vicieux et que les
importations des ports d’Europe, par pavillon national ne payent pas plus que les
importations des lieux de production et que le tarif sera changé si vous
adoptez les propositions de votre enquête parlementaire. Je voudrais faire
payer par pavillon national des lieux de production comme aujourd’hui 20
centimes ; par pavillon étranger, des lieux de production 1 fr. 80 c., mais des
ports d’Europe, par pavillon national, 3 fr., et finalement, par pavillon
étranger des ports d’Europe, 5 fr. ; le tout, par 100 kilos. Vous augmenteriez
les revenus de la douane, et les voyages de longs cours étant favorisés, vous
chercheriez vos sucres entièrement aux colonies et vous les échangeriez contre
les produits de votre industrie, tandis que les arrivages d’Europe ne sont
soldés que par des écus. Je vous livre ces considérations, ainsi qu’à M. le ministre,
et vous verrez s’il convient de s’en occuper en même temps que la loi actuelle,
soit, si vous voulez le réserver, lors de la discussion de votre système
commercial.
Au moins, vous voyez, messieurs, que nous sommes
prêt à répondre victorieusement à nos adversaires qui nous font des reproches
de ne chercher nos sucres que dans les ports voisins et que je suis prêt à
lever cette difficulté.
Je sais que cette proposition ne sera pas très bien
vue des petites raffineries, mais comme je vous l’ai dit, pour moi, toujours
les grands intérêts doivent l’emporter sur les petites considérations, et c’est
en acceptant les véritables principes qu’on fait du bien à la grande majorité,
et les petites observations doivent disparaître.
L’honorable M. Dubus nous disait samedi que nous
avions reçu de Rio de
Je lui dirai que ces 53 navires nous ont apporté des
cuirs, crins et cornes, et que beaucoup de ces expéditions sont pour compte
étranger. Cette grande masse de marchandises nous a été consignée, parce que
nous avons le plus grand marché de cuirs du continent ; et si nous avons
importé pour 17 millions, nous en avons exporté au moins pour 15 millions ; le
reste a été vendu à un tanneur indigène. Ces affaires laissent beaucoup
d’argent dans le pays et votre chemin de fer s’en ressent grandement. Les
navires qui font ce commerce partent effectivement sur lest, parce qu’ils sont
obligés d’aller en Angleterre ou en Portugal pour chercher du sel. Donc, cet
exemple de M. Dubus ne détruit pas du tout ce que nous avons dit pour le
commerce du sucre.
L’honorable M. Meeus nous a dit que, depuis 1830,
les exportations du sucre avaient coûté au pays 40 millions.
Depuis 1834 à 1841 inclus, nous avons exporté 166
millions de sucre, dont il faut déduire 4 p. c. pour déchet ; reste 159
millions. Nous avons exporté 80 millions ; reste environ l’autre moitié
consommée dans l’intérieur et passible du droit de 37 fr. 2 c, représentant un
revenu de 29 millions. Je ne vous parle que des chiffres ronds.
La prime de dépréciation, tout à l’avantage du
consommateur, a été, comme vous le dit l’honorable M. Mercier, de 20 à 35 p. c.
Je calcule seulement 25 p. c., ce qui fait, sur la
somme du revenu de 29 millions, 7 millions, de sorte que les consommateurs ont
seulement payé en réalité, 22 millions. Le trésor a reçu en droits d’accise,
pendant ces 8 ans, 7 millions, et en droits de douane sur 83 millions de kil. à
raison du droit moyen de 1 fr. 20, un million, ensemble 8 millions à déduire
des 22 millions payés par le consommateur ; 13 millions, soit en moyenne 1
million 7 cent mille fr. Voilà un calcul exact, tandis que M. Demonceau a parlé
d’un sacrifice de 6 millions, et l’honorable M. Meeus seulement de 3 millions,
soit les 40 millions pour les 12 années depuis notre émancipation.
Tout ceci est pour le passé, mais si vous adoptez le
projet du ministère, vous aurez un revenu certain de 4 millions et le
consommateur ne payera pas la marchandise plus cher ; au contraire, plus vous
exporterez, les bas produits qui doivent rester dans le pays feront baisser les
prix à cause de la prime de dépréciation.
Mais faites vivre la betterave, le trésor n’aura
presque rien par la fraude que feront nos voisins et les consommateurs auront
tous les ans un grand déficit dans leurs dépenses, pour cette douceur dont la
majorité ne peut pas se passer.
Avant de finir, je vous dirai, messieurs, qu’en 1652
l’Angleterre interdit sans indemnité
(ainsi nous voulons aller beaucoup plus loin pour les sucres) la culture des
tabacs ; en 1785 sous le ministère Pitt la même interdiction a été prononcée
pour l’Ecosse ; l’Irlande continuait à cultiver le tabac, mais en 1830 après
les réformes proposées par M. Huskinson, on a dû
prendre la même mesure pour ce troisième royaume par acte du parlement du 23
août 1831, et depuis ce temps on ne peut plus cultiver le tabac dans
En Angleterre toutes les fois que l’intérêt public
le commande, on va droit au but.
Il y a même une époque, qui n’est pas très éloignée,
où on a défendu en Angleterre, les distilleries de toute espèce de grains, dans
l’intérêt des distilleries de ses colonies aux Antilles.
Au surplus, pour calmer les scrupules des partisans
de la fabrication indigène, je vous citerai un court passage, extrait de
l’enquête faite lors de la suppression de la culture des tabacs en Irlande en
1830.
Tout le monde connaît le docteur Bowring
qui a parcouru le continent, et, et vous
savez qu’il est ardent défenseur de la liberté commerciale. Il a fortement
appuyé la suppression de la culture du tabac.
Un autre Anglais de beaucoup de mérite, sir Henry Parnel, a exposé dans son ouvrage sur la réforme financière
en Angleterre, les principes des économistes des libertés la plus absolue, et
il trouvait que M. Huskinson était encore en arrière
à cet égard.
Le docteur Bowring et sir
Henry Parnel ont adressé à la commission d’enquête du
parlement, un mémoire sur la question des tabacs, on verra comment le passage
se trouve analogue à notre situation actuelle.
« Nous ne croyons pas que le vrai principe du
libre commerce a été violé le moins du monde par cette mesure parlementaire. Le
libre commerce avait le droit de demander une taxe égale à celle payée par le
commerce exotique, sans quoi les intérêts des consommateurs et du fisc auraient
été sacrifiés. On ne pouvait pas cultiver le tabac en Irlande au même prix
qu’ailleurs, les frais de culture étant beaucoup plus considérables en Irlande
qu’aux Etats-Unis.
« Si la taxe était égale, la culture aurait été
impossible, et si au lieu de frapper le tabac indigène d’un droit, on avait baissé
l’impôt du sucre exotique de 3 schellings à 1 schelling la livre, cette
réduction n’aurait pas suffi aux cultivateurs irlandais car la différence du
prix de culture est bien au-dessus d’un schelling la livre. Les intéressés demandèrent un droit protecteur
de 20 deniers la livre, soit 1 2/3 schelling, ce qui aurait été une perte
énorme pour le trésor, à laquelle il aurait fallu ajouter une perte égale
soufferte par le consommateur. »
Vous voyez que, comme en Irlande, la production vous
dit : « Je ne puis vivre qu’avec un droit différentiel de 50 p. c. » ; et
comme nous vous avons prouvé qu’en protégeant les raffineries indigènes, le consommateur aurait également
beaucoup plus à payer, notre question actuelle est identique avec celle du
tabac en Irlande en 1830.
Cependant, observez bien que les colonies anglaises
ne produisent pas de tabac, mais qu’il arrive des Etats-Unis, et ainsi la
suppression prononcée en 1830, est, comme pour les sucres, toute en faveur du
commerce, du consommateur et du trésor.
Vous voyez comment les apôtres de la liberté
commerciale parlaient, et, après avoir médité le passage dont je viens de vous
donner lecture, il est permis de dire que l’égalité de droits ou la suppression
du sucre indigène, n’est pas aussi barbare, aussi sauvage qu’on l’a prétendu.
Il n’y a rien de sauvage, il y a ici un grand fait,
c’est que
Je voterai donc le droit pour les deux sucres, 40
francs par 100 kilog. ; mais
comme nous sommes assez francs pour dire que c’est la suppression du produit
indigène, j’irai plus loin qu’en Angleterre, et j’accorderai une indemnité, et
je sais que plusieurs industriels seraient charmés de finir ainsi cette
industrie ruineuse. Je les engage donc de consentir au projet ministériel ;
car, s’il n’était pas accepté aujourd’hui, avant trois ans l’industrie indigène
demanderait d’autres protections, et vous serez obligés de finir par adopter le
projet du gouvernement, pour avoir les 4 millions, mais il ne pourra plus
s’agir alors d’indemnité, et les défenseurs actuels de la betterave auront fait
beaucoup de mal à leur protégé actuel.
M. le président. - La parole est à M. le rapporteur.
M. Mercier, rapporteur. - M. le président, il est un peu tard pour que je puisse parler
aujourd’hui.
Des membres. - A demain.
- La séance est levée à 4 heures et demie.