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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 20 février 1843

(Moniteur belge n°52, du 21 février 1843)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l’appel nominal à un heure et un quart.

M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs distilleries et brasseurs des communes d’Everghem, Heydinghe, Lovendeghem, Vinderhoute et Wandelghem, présentent des observations concernant le projet de droit de consommation sur les boissons distillées. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.


« Les sauniers de Dour, Elonges et Thalin demandent le rejet de la disposition du projet de loi sur le sel, qui tend à consacrer le libre usage de l’eau de mer dans le raffinage du sel. »

M. Lange demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du projet.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs banquiers et agents de change de Bruxelles demandent la suppression des lignes télégraphiques établies en Belgique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur François-Joseph Bertin-Podevin, capitaine d’infanterie à Menin, né à Calais (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


M. Scheyven, retenu chez lui par une indisposition, s’excuse de ne pas pouvoir assister à la séance.

- Pris pour notification.

Composition des bureaux de sections

M. Kervyn fait ensuite connaître la formation des bureaux des sections ; ils sont composés comme suit :

Première section

Président : M. Dubus (aîné)

Vice-président : M. de Garcia

Secrétaire : M. Kervyn

Rapporteur de pétitions : M. Zoude


Deuxième section

Président : M. Fallon

Vice-président : M. Wallaert

Secrétaire : M. d’Hoffschmidt

Rapporteur de pétitions : M. Morel-Danheel


Troisième section

Président : M. Duvivier

Vice-président : M. Lys

Secrétaire : M. Troye

Rapporteur de pétitions : M. Mast de Vries


Quatrième section

Président : M. de Foere

Vice-président : M. Demonceau

Secrétaire : M. Van Cutsem

Rapporteur de pétitions : M. de Villegas


Cinquième section

Président : M. Raymaeckers

Vice-président : M. Delehaye

Secrétaire : M. de Renesse

Rapporteur de pétitions : M. Lange


Sixième section

Président : M. de Behr

Vice-président : M. Pirmez

Secrétaire : M. Vanden Eynde

Rapporteur de pétitions : M. Huveners

Projet de loi sur les sucres

Discussion générale

M. Vandensteen. - La législation sur les sucres est une des questions qui présente le plus de difficultés dans l’ordre des intérêts matériels. Aussi ne faut-il point s’étonner si, dans les pays qui se sont occupés de cette question, elle a donné naissance à tant de discussions et à des systèmes opposés.

En Angleterre, en France, en Allemagne, toutes ces difficultés se sont produites, et ce n’est qu’après bien des essais que l’on est parvenu à se fixer. En France, malgré tout ce qui a été tenté depuis vingt ans, la législature sur cette matière est encore incertaine et n’est point assise, témoin l’ordonnance du 16 août dernier.

Nous devons cependant porter notre attention sur un point important de cette question, c’est que, dans tous ces pays, la production indigène ou coloniale a été efficacement protégée, soit en frappant d’un droit presque prohibitif, comme en Angleterre, pour ses sucres, soit en adoptant une échelle double, comme en France, qui permet aux deux sucres indigènes d’entrer dans la consommation intérieure, soit enfin en adoptant un droit différentiel, comme en Allemagne.

Voyons quels sont les motifs qui portent aujourd’hui cette question à notre appréciation ? J’en trouve deux principaux : le premier, la nécessité qu’il y a pour le trésor de se créer des ressources ; le second, les réclamations nombreuses adressées et par les raffineurs et par les producteurs indigènes.

Le sucre est une matière essentiellement imposable ; cette proposition est admise par tout le monde, mais lorsqu’il s’agit d’appliquer le principe, on multiplie les difficultés et on présente la solution comme impossible. C’est cette exagération d’opinion qu’il faut réduire à sa juste valeur, et ce n’est qu’en interrogeant les faits que nous pouvons nous mettre à l’abri de toutes ces allégations.

Les raffineurs, que la loi en vigueur a eu en vue de protéger, se joignent aux producteurs indigènes pour solliciter des modifications à un régime qui, suivant eux, s’il était continué plus longtemps, leur causerait le plus grand dommage. Le trésor réclame, de son côté, que l’on ait égard à sa position. Tel est l’état de la question en Belgique.

Avant de se prononcer, il me semble que nous devons envisager quelle est la position de la culture de la betterave.

L’existence du sucre de betterave, une des grandes conquêtes industrielles de l’époque, n’est plus un doute ; cette culture a surmonté toutes les difficultés, a vaincu tous les obstacles qui s’opposaient à son perfectionnement, et la persistance que l’on a mise dans les pays qui ont des colonies pour détruire cette production, prouve, mieux que tous les raisonnements, que ce qui avait été longtemps regardé comme un problème est une conquête réelle de l’industrie moderne.

Personne ne peut plus contester aujourd’hui les avantages que la fabrication de sucre de betterave procure à l’agriculture et à l’industrie ; cette fabrication doit être envisagée sous ce double but. L’agriculture lui doit de favoriser ses assolements, de nettoyer et d’ameublir le terrain par le sarclage ; d’augmenter la proportion des engrais par les résidus mêlés à la terre sèche ; de multiplier les bestiaux, en rendant à la fois profitables leur engraissement et leur travail, ce qui augmente encore les engrais, et constitue une nouvelle cause de fertilité des terres ; d’augmenter les produits du sol ; de donner de l’occupation aux ouvriers des campagnes, même dans la saison morte, lorsqu’ils ne peuvent en trouver d’autres. Les relevés statistiques connus des produits des terres cultivées en betterave et de ceux des terres cultivées en quelqu’autre denrée que ce soit, prouvent suffisamment l’erreur de ceux qui voudraient encore contester le succès de la betterave. L’expérience de la Belgique, de la France et de l’Allemagne, répond suffisamment à toute observation à cet égard. Il n’est pas étonnant de voir la Prusse, la Bavière et l’Autriche encourager de toutes les manières cette culture. Si nous produisions à côté de ce raisonnement les sommes énormes qui restent dans le pays, à l’aide de cette fabrication, on nous taxerait d’exagération. Si nous prenions pour application une fabrication de cent hectares, par exemple, nous dirions 53,000 francs sont répartis à des cultivateurs, 34,000 fr. sont distribués à la classe ouvrière, 30,800 fr. alimentent nos houillères, 48,600 fr. se répartissent en une foule d’autres objets indispensables à la fabrication, tels que graine de betterave, claies en osier, kilog. os, livres beurre, formes en terre, toile pour sacs à pulpe et emballage, huile, chaux, plâtre, mémoires des mécaniciens chaudronniers, prime d’assurance, appointements des employés, dépenses diverses, usines des machines et ustensiles, intérêts des capitaux, etc.

Telle est la somme énorme absorbée par une seule fabrique, et qui se résume en millions, lorsqu’on la réunit à celles qui sont dépensées dans les autres fabriques.

En présence de tels faits, on est conduit naturellement à se demander si une industrie qui procure tant d’avantages doit être enlevés au pays et si la culture de la betterave doit être proscrite ?

Si je consulte l’opinion de M. le ministre, je puis croire que son idée première concluait en faveur du maintien, car, dans son premier projet, il voulait, par son système, disait-il, assurer la coexistence des deux industries. Telle était cette première pensée. Dans sa réponse aux observations de la section centrale, qui, elle aussi, veut la coexistence, mais avec d’autres moyens, M. le ministre des finances formule une autre proposition, excluant totalement du pays le sucre de betterave ; ceci résulte clairement de ses paroles.

« Je tiens à déclarer, dit-il, que dans ce cas, la coexistence des deux sucres deviendra peut-être difficile, et que peut-être aussi il faudra aviser aux moyens d’indemniser les fabricants qui croiraient ne pouvoir continuer leurs travaux.

De ces deux propositions que devons-nous penser ?

D’un côté, je vois un système qui, suivant M. le ministre, accorde l’existence à la betterave ; de l’autre, un arrêt de mort. Ces deux propositions, qui, au premier aspect, paraissent étranges, ne me surprennent point lorsque j’examine à quelle condition on voulait laisser exister la betterave. En présence de cette incertitude, il est bien permis de se demander : que veut donc le gouvernement ? De ces deux systèmes quel est, pour le député impartial, celui qui doit être préféré ? De celui qui laisse vivre une industrie qui répand la fertilité et l’aisance dans nos campagnes ou de cet autre qui la bannit ? Arrêtons-nous un moment à ce dernier ; voyons si les motifs sont assez puissants pour prendre en Belgique une mesure analogue à celle réclamée dans un pays voisin.

En France, la question des sucres a occupé la législature bien des années ; peu de pays offrent, sous ce rapport, autant de renseignements ; la lutte qui s’est établie entre les deux sucres indigènes est venue compliquer la question, comme chez nous, celle de l’exportation ; c’est ce qui fait qu’en France et en Belgique ces deux productions se trouvent encore en présence, se disputent le monopole et provoquent de nouvelles discussions. D’après le projet du gouvernement français, on semble demander la suppression du sucre de betterave ; suivant l’opinion de M. le ministre des finances en Belgique, on devrait adopter un tel système.

Quels sont les moyens que l’on fait valoir, en France, pour arriver à ce résultat ? Ils sont au nombre de trois : les colonies, la marine militaire, l’influence politique. En Belgique, un seul est mis en avant, l’intérêt commercial.

Les colonies françaises, peuplées de sujets français, ont un immense intérêt à ce que la culture de la betterave soit anéantie dans la métropole : et, en effet, ne pouvant vendre leurs produits à l’étranger, où les placeraient-elles si elles n’avaient point le marché intérieur ? Il faut donc, en présence d’une telle difficulté, prendre une détermination ; aussi c’est ce que semble avoir compris le gouvernement français. Après avoir essayé vainement, dans l’intérêt d’une industrie nationale tous les systèmes qui pouvaient assurer la coexistence des deux industries indigènes, il a envisagé quelles étaient les mesures à prendre pour remédier à une position aussi critique. Deux moyens étaient en présence : c’était ou de grever la fabrication indigène ou de dégrever le sucre colonial. Il eût été encore douteux que là se trouvait le véritable remède. Restait une autre mesure, celle de l’interdiction ; c’est à ce second système qu’on semble s’arrêter.

En Belgique, messieurs, sommes-nous dans les mêmes termes de comparaison ? où sont nos colonies, où sont nos planteurs ? Je laisse la solution de ces questions à l’appréciation de la chambre.

Il est reconnu que la marine marchande est, pour les gouvernements qui possèdent une marine militaire, l’élément indispensable c’est dans la marine marchande que cette dernière se recrute ; la puissance de l’une agit activement sur le développement que reçoit l’autre. Pour la France, la navigation de long cours ne peut s’établir que par ses rapports immédiats avec ses colonies, et le mouvement continuel de sa navigation ne peut s’obtenir qu’au moyen de matières encombrantes.

Le sucre est, comme on l’a dit, cette production qui favorise le plus les chargements ; ce n’est point pour elle une question d’échange avec l’étranger, mais de rapports entre la métropole et ses colonies. Si cette matière est de première nécessité pour nos voisins, à part la considération que c’est un produit français, qu’ils vont chercher et qu’ils utilisent chez eux, c’est une question de première nécessité pour leur marine militaire. Ce qui peut avoir les plus graves conséquences en France, peut n’être que d’un intérêt secondaire en Belgique. J’avoue que c’est là le seul argument sérieux que l’on fait valoir dans cette question, pour continuer un système qui impose d’énormes sacrifices au pays. Jusqu’à ce jour les faits sont venus démentir sur ce point les espérances qui avaient été conçues ; un seul nous est acquis, c’est la perte que le trésor éprouve sous l’empire de la loi actuelle. L’influence politique, qui joue un si grand rôle en France, ne peut être invoquée, j’espère, en Belgique ; produire la présence du pavillon français dans toutes les mers, se servir du commerce comme premier agent pour écarter partout l’action des puissances rivales, ce sont autant de considérations qui peuvent en France exercer une grande influence dans la solution de cette question ; tous ces motifs qui, pris isolément en France, suffiraient pour proclamer l’anéantissement de la culture de la betterave, ne peuvent être invoqués en Belgique, ou s’ils le sont, leur importante est singulièrement amoindrie, car tout se réduit chez nous en une seule question : le commerce et l’industrie ; ce qui est secondaire chez nos voisins se trouve en première ligne en Belgique.

Voyons si le commerce du sucre exotique est, comme on le dit, l’âme de notre marine marchande, et comment se fait ce commerce en Belgique ? Il est établi, par toutes les statistiques, par des documents de toute nature, qui nous ont été fournis, que la marine nationale proprement dite s’approvisionne peu elle-même aux lieux de provenance, que la majeure partie des sucres nous est apportée par la marine étrangère, et que nos voisins se fournissent pour la plupart dans les ports d’Europe, notamment en Angleterre et en Hollande. Voilà ce qui en est quant à l’importation du sucre exotique.

Si nous examinons ce qui se passe relativement à nos exportations, nous serons conduits aux mêmes résultats. On ne peut nier que l’Allemagne reçoit en grande partie nos sucres raffinés ; qu’une faible quantité se dirige vers les lieux de provenance, et que les pays du Nord nous fournissent des débouchés très restreints.

Je sais que, dans la séance de samedi dernier, M. le ministre de finances nous a dit qu’il ne fallait point, sous ce rapport, s’en rapporter en tout point aux données statistiques ; qu’elles n’étaient pas toujours l’expression de l’exacte vérité. Mais alors, je demanderai à l’honorable ministre et aux défenseurs du sucre de canne : où allez-vous chercher vos renseignements ? Les chiffres que vous nous produisez, sont-ils plus vrais, plus sincères ; dois-je croire plutôt ceux qui sont fournis par les raffineurs, dont vous défendez la cause, ou ceux qui sont produits par les producteurs indigènes ? Je vous avoue que, pour moi, je me trouve dans un grand embarras, lorsque je vois que l’on conteste actuellement les données du gouvernement, et c’est ce qui a été fait relativement aux raisonnements avancés par la section centrale, d’après des documents officiels. Quoi qu’il en soit, jusqu’à preuve contraire, il reste démontré pour moi que nous recevons annuellement, des contrées transatlantiques, en sucres et autres produits, pour une somme de 66,729,902 francs, et que nous n’exportons vers les mêmes contrées que pour une valeur de 5,492,119 fr. Supposons même que la section centrale se soit trompée dans ses calculs, ce que je n’admets point encore, restera une somme énorme en moins du côté de la Belgique.

Quelle a été la moyenne de nos importations de 1839 à 1841 ? Nous avons reçu 19,929,480 kil, de sucre, soit une valeur de 14 millions de francs ; 11,029,587 kil., soit 7,720,711 fr., ont été importés par navires étrangers. La marine belge a concouru dans ce mouvement pour 8,816,350 kil., répartis comme suit : 2,638,106 kilogrammes de sucre venant des colonies, et 6,178,244 kil, venant des entrepôts d’Europe. Ce faits nous montrent-ils que nos navires s’approvisionnent aux lieux de provenance et que nous ne sommes point tributaires de la marine étrangère ? je ne le pense pas. Ainsi donc ce qui s’est passé dans les années antérieures se reproduit encore sous la législature actuelle, l’étranger nous important la majeure partie de nos sucres ; voyons au moins ce qu’il nous prend en retour.

Dans le même espace de temps, les navires belges ont exporté en moyenne pour 1,651,042 fr. des produits de notre industrie, et les navires étrangers pour 1,293,356 fr. Ainsi, d’un côté, des sucres pour 14,000,000 fr., des produits belges, pour moins de 3,000,000 fr. : différence au moins 11,000,000 fr. Joignez à cela le sacrifice que le trésor s’impose chaque année, et qui peut s’évaluer à 3,000,000, vous atteindrez le chiffre de 14.000,000 fr. Voilà à quoi se réduit cette question de navigation. Le rapport remarquable de la section centrale indique, sous ce point, avec plus de force que je ne pourrais le faire, quelle est la part réelle de notre marine marchande et les avantages que le commerce retire de nos importations et de nos exportations de sucre, et quelle a été leur influence dans nos échanges avec les pays voisins. Reste donc cette vérité, c’est que nous recevons de l’étranger beaucoup plus que nous ne lui fournissons, et il ne peut en être autrement, puisque la majeure partie de nos sucres nous est importée par l’intermédiaire de la marine étrangère, et que notre propre marine s’approvisionne elle-même dans des pays qui consomment peu de nos produits, tels que l’Angleterre, la Hollande. Ne pouvant payer nos achats avec nos objets fabriqués, nous sommes obligés de donner en échange une masse énorme de numéraire. C’est là, il faut en convenir, ce qui peut arriver de plus désastreux pour un pays.

Après avoir exposé quelle était la position du commerce maritime en Belgique, établi comment il se faisait, il nous reste une dernière question à examiner, c’est celle qui traite de l’exportation des sucres raffinés.

Ce n’est qu’au moyen de primes, comme vous le savez, que l’on a pu maintenir ce genre d’industrie. L’Angleterre et la France ont longtemps continué ce système mais elles ont fini par y renoncer, l’envisageant comme trop ruineux. La Belgique et la Hollande seules continuent à payer de fortes primes en faveur de l’exportation. Je conçois cette manière d’agir pour un pays qui reçoit de chez lui la matière première ; mais pour la Belgique, qui n’a point cet intérêt, et qui doit acheter à l’étranger ce produit, il est contraire à toute sage prévoyance de vouloir entraîner plus longtemps le trésor dans des dépenses qui ne sont point en rapport avec les résultats que L’on obtient.

Et notez-le bien, nous avons dépassé de beaucoup, sous le point de vue de protection, les pays voisins, le chiffre du rendement étant en Belgique plus faible qu’il ne l’est en Angleterre, en France, en Allemagne, en Hollande même. En France, pendant plusieurs années, la législation a varié sur ce point. Le gouvernement de ce pays, effrayé de l’accroissement qu’avait prise, en 1832, l’exportation (car les primes s’étaient élevées à la somme de 19,110,557 fr.), fixa le rendement à 75 et 78, et réduisit la prime d’exportation. Depuis lors, une nouvelle loi a apporté de nouveaux changements et a établi le rendement à 70 et 73, selon la qualité des sucres raffinés. En Angleterre, le rendement s’est successivement élevé jusqu’à 67 et 70, pour les sucres des possessions anglaises, dont le prix est trop élevé pour qu’on puisse les exporter. En Hollande, tout en accordant des primes d’exportation, le rendement est fixé à 67. Comme nous l’avons dit, la Belgique accorde une protection plus grande. Le rendement établi par la loi du 24 décembre 1829, qui était seulement 50 1/2 p. c., fut maintenu jusqu’à la mise à exécution de la loi du 8 février 1838. Le produit de l’accise sur le sucre, en 1833, s’élevait à la somme de 1,890,000 fr., mais en 1836 il tomba tout à coup à 186,000 fr, : dès lors on reconnut qu’il y avait urgence de réviser la législation des sucres. Des observations furent faites par les diverses sections de la chambre, lors de l’examen du budget de 1837. Des propositions furent même soumises par différents membres de cette assemblée. Dans la séance du 20 décembre 1836, la chambre ne trouvant pas la question assez éclaircie pour prendre une détermination, chargea une commission spéciale de lui présenter un rapport et des conclusions sur cet objet important.

Le 1er décembre 1837, un rapport développé fut soumis à la chambre par le rapporteur de la commission. C’est à la suite de ce rapport et de la discussion à laquelle il donna lieu, que fut portée la loi du 8 février 1838. Par cette loi, le rendement fut fixé à 57 p. c. sur les sucres raffinés en pains, parfaitement épurés et durs, et à 60 p. c. sur les lumps. Ainsi donc, jusqu’à ce jour, tandis que le rendement en Angleterre est à 67, qu’en France il s’élève à 70 et 73, et qu’il est en Hollande à 67-50 pour les sucres mélis et lumps, il est resté en Belgique à 57 et 60. Nous sommes donc, comme je le disais, beaucoup plus généreux que nos voisins, sans résultats avantageux et pour notre commerce et pour le trésor, qui ne reçoit encore aujourd’hui que 6 à 700,000 francs.

J’ai essayé de démontre à la chambre quel était le véritable état de la question, combien peu, à mon avis, le commerce des sucres exotiques avait favorisé notre navigation, comparativement aux sacrifices énormes que l’on s’impose, et que ces sommes profitaient beaucoup plus à l’étranger qu’au pays lui-même.

Abordant actuellement le dernier projet du gouvernement, si je me pose cette question : faut-il bannir du pays la production indigène ? je me trouve très embarrassé, je l’avoue ; une affirmation ou une négation ne sont point chose facile, lorsque j’envisage l’ensemble des faits et les résultats qu’une telle décision peut avoir pour l’avenir de mon pays. Si je ne m’arrêtais qu’aux avantages obtenus jusqu’à ce jour, je n’hésiterais point, car, d’un côté, je vois une industrie indigène qui répand la fertilité dans nos campagnes, l’aisance chez nos habitants, et qui aussi peut contribuer à améliorer la position de notre trésor ; de l’autre, un produit étranger, il est vrai, qui pourrait être d’un puissant intérêt pour notre commerce, mais qui, dans le moment actuel, est resté bien en-dessous des engagements qu’il avait pris.

En présence de considérations aussi graves, il est bien difficile, comme je le disais, de prendre une résolution à cet égard, sans connaître quels sont les autres systèmes qui seront encore proposés. Ces difficultés augmentent chez moi et me donnent des doutes sérieux sur les avantages qui nous sont prédits par le projet du gouvernement, lorsque je vois, dès le début de cette discussion, les deux orateurs, ardents défenseurs de la suppression, reconnaître l’un et l’autre, qu’imposer une retenue de 4/10, c’est trop exiger. Cette opinion me fait craindre pour l’avenir, et me servant ici de l’expression de l’honorable M. de Brouckere, je dirai que je redoute, pour ma part, que celle des deux industries qui aura survécu à sa rivale ne vienne bientôt fatiguer la législature de ses doléances et réclamer de nouvelles protections. Nous devons y prendre garde, messieurs, avant de nous prononcer, car les raisonnements que l’on fait valoir aujourd’hui seront bien plus pressants, bien plus impératifs lorsque vous n’aurez plus qu’une industrie ; il vous faudra alors, au prix des plus grands sacrifices, sanctionner toutes les mesures qui nous seront demandées. Or donc, comme je ne suis point aussi convaincu que l’honorable membre auquel je fais allusion, dont je respecte toutefois l’opinion, que poser la question c’est la résoudre, je veux attendre les différentes propositions qui nous seront soumises et notamment celle de notre honorable collègue M. Demonceau.

Je veux sincèrement ce qui est possible, je veux améliorer notre position financière, mais avec des garanties certaines. J’accepterai toutes mesures qui tendront à ce résultat, et je ne consentirais à sacrifier, au profit de l’étranger, un produit de mon pays que lorsqu’il me sera démontré que cette industrie ne peut exister efficacement, qu’elle ne peut vivre sans de grands sacrifices, et que loin d’améliorer la position du trésor, elle contribuerait à l’aggraver. En agir autrement, ce serait heurter tous les principes reçus qui admettent avant tout la protection pour les produits du sol et qui n’appellent l’étranger au partage du marché intérieur qu’après en avoir amplement doté les nationaux.

Un système qui anéantirait complètement les primes d’exportation, s’il était proposé, me paraîtrait être celui qui offrirait le plus d’avantages.

Avant de terminer, je tiens à déclarer que je ne puis consentir à adopter une proposition qui établirait en Belgique le principe d’indemnité ; je croirais poser, par cet acte, un précédent trop fâcheux pour mon pays et qui conduirait infailliblement aux résultats les plus graves, à une époque surtout où l’industrie est en souffrance. Les exemples qui vous ont été fournis hier par M. le ministre relativement à ce qui s’est passé en France, lors de l’établissement du monopole des tabacs, de ce que la ville de Paris a fait, quand elle a cru devoir supprimer les distilleries infra muros, prouve combien ce principe, une fois admis, peut s’étendre.

Et disons-le, en passant, lorsque vous aurez accédé aux réclamations des fabricants, si tant est que vous adoptiez ce système, avez-vous tout fait ? Je ne le pense point, car l’industrie que vous aurez atteinte, en prononçant l’interdiction, sera-t-elle satisfaite ? Ces ouvriers, ces familles que vous aurez réduits à la misère, seront-ils moins à plaindre, moins dignes de compassion, parce que vous aurez indemnisé quelques fabricants ? Ce sont là, messieurs, toutes considérations très puissantes qui méritent de fixer les plus sérieuses attentions de la chambre, avant d’anéantir une industrie éminemment utile, surtout à nos campagnes. Il est toujours facile de se débarrasser d’une rivale, en disant : on indemnisera et largement. Avec un tel système, suivant moi, on anéantit toutes luttes vraies et sincères, et on empêche tout progrès industriel.

M. Hye-Hoys. - Messieurs, le sucre de canne n’était qu’une branche de commerce secondaire en Belgique avant la loi du 21 mai 1819 ; à cette époque il n’existait à Gand, par exemple, que 10 établissements, qu’on appellerait aujourd’hui des petites raffineries de sucre, dans lesquelles on ne travaillait pas au delà de 4 millions de kilog. par an, ce qui formait à peu près le tiers de la consommation du pays. Anvers pouvait en avoir un nombre tant soit peu supérieur ; le surplus, réparti dans les autres villes, était sans importance. 12 à 13 millions de kilog. de sucre suffisaient amplement nos besoins, on ne songeait pas alors à exporter les sucres raffinés.

Ce n’est donc que depuis 1819, que cette industrie a commencé à se développer, et qu’au moyen des exportations le nombre de ces établissements a successivement augmenté au point que nous avons maintenant dans la ville de Gand seule 21 raffineries de sucre établies sur une grande échelle, absorbant de 13 à 14 millions de kilog. par an.

On peut estimer aujourd’hui l’importation du sucre brut exotique à 25 millions de kilog. annuellement ; mais, dira-t-on, à quoi sert ce grand développement donné à nos raffineries, si le sucre, qui est une matière très imposable et qui, en effet, paie un droit d’accise de 37 francs par cent kilog. sucre brut, ne produit en définitive qu’une faible somme au trésor ? Il est évident que la loi qui a établit cet impôt n’a pas donné le résultat qu’on était en droit d’en attendre.

Oui, messieurs, il paraît au premier abord qu’il y a là quelque chose de surprenant, j’en conviens ; mais la même chose existe pour le trésor hollandais, car le système est, à une légère différence près, le même pour les deux pays, qui sont seuls en concurrence sur les marchés étrangers.

J’admets cependant que le sucre pourrait produire une plus forte somme à l’Etat, dans l’un comme dans l’autre pays, si l’on pouvait parvenir à s’entendre sur ce point, mais nous, ne pouvons-nous prendre l’initiative, et n’avoir en vue que les intérêts du trésor ?

Il résulte de la base adoptée par la Hollande pour l’exportation des sucres raffinés, que la France et l’Angleterre ont dû renoncer totalement à lui faire concurrence ; mais ces deux grands pays ont chacun une population de plus de 30 millions de consommateurs, et peuvent se passer ainsi de cette exportation.

La Belgique, au contraire, en a grandement besoin pour alimenter sa navigation ; elle se trouve, comme on vous l’a déjà dit, seule avec la Hollande, à se disputer le terrain sur les marchés de Hambourg, Bremen, Stettin et autres places, ainsi que dans la Méditerranée, et au Levant, à Livourne, Trieste, Constantinople et Odessa.

Il s’agit maintenant de savoir si la Belgique doit laisser le monopole du sucre raffiné aux Hollandais sur ces divers marchés ? Est-ce son intérêt, tant sous le rapport de la navigation que sous celui du commerce et de l’industrie, je dirai même du trésor ?

Il est incontestable, messieurs, qu’en renonçant à l’exportation du sucre raffiné, nous portons une plaie mortelle à notre navigation ; une importation de 25 millions de sucre brut faite en partie sous pavillon national, et une exportation d’environ 14 millions de sucre raffiné, est un objet de haute importance pour la Belgique sous le point de vue commercial et industriel, nous détruisons directement les 2/3 de nos raffineries qui occupent un grand nombre de bras, donnant du travail à plusieurs établissements qui fournissent les matériaux nécessaires aux fabriques, et faisons un tort immense aux industries, dont nous exportons progressivement les objets fabriqués dans les pays lointains.

Mais le trésor a-t-il gagné à ce système ? Voilà la question principale dont se sont fort occupés la chambre et le gouvernement ; eh bien, messieurs, je n’hésite pas à répondre négativement ; mais indirectement, je soutiens, avec M. le ministre des finances, qu’il n’y a pas de doute que par le développement de nos importations et exportations de sucre, le pays ne gagne beaucoup à nos échanges et gagnera bien davantage encore quand nous aurons un système de navigation à nous, établi sur des bases sagement modifiées.

Cependant je voterai volontiers pour toutes les propositions favorables, en faveur du trésor, qui ne compromettront pas le commerce de sucre ; et j’ai lieu de croire que cette branche produira 3 millions de francs ; mais il faut concilier l’intérêt de la fabrication avec celui de l’Etat.

Lorsque l’on faisait remarquer que la question des sucres était grave, et de la plus haute importance pour le commerce et la navigation ; qu’il ne fallait y toucher qu’après un mûr examen, on répondit, sans beaucoup y réfléchir, que cette denrée étant une matière très imposable, il fallait qu’elle produisit au moins 4 à 5 millions au trésor.

En effet, messieurs, en supprimant toute exportation de sucre raffiné, notre consommation étant de 13 à 14 millions par an, vous aurez, à raison de fr. 37 02 de droit d’accise par 100 kilog. sucre brut, largement 5 millions ; mais il est entendu que vous devez sacrifier en même temps l’industrie indigène, et que vous bouleversez notre navigation, tout en compromettant notre commerce dont les pertes seraient incalculables ; or, c’est ce qui arriverait infailliblement, si vous portez le rendement, d’après la section centrale, à 68 kilog. pour le sucre candi ou en pains catégorie A, et à 71 kil. pour lumps, catégorie B, pour apurer les droits de 100 kil. sucre brut ; car, messieurs, toute exportation cesserait immédiatement ; mais la chambre ne commettra pas une faute qui serait vraiment désastreuse pour le pays.

Comme nous ne rencontrons sur les marchés étrangers que les Hollandais, il faut, pour que nous puissions lutter avec eux, placer les Belges dans une position analogue : le mystère de cette position est dans la fixation du chiffre du rendement, et ce chiffre, la prudence nous commande nécessairement de le maintenir à une limite inférieure à la loi hollandaise.

Nos voisins exportent, dit-on, pour plus de 45 millions de sucre raffiné ; on peut donc estimer que leurs importations en sucre brut doivent être au moins de 70 millions. Eh bien, cette énorme quantité n’a rapporté presque rien au trésor hollandais pour 1842. Nous savons cependant, messieurs, que ce gouvernement a aussi besoin d’alimenter son trésor, et s’entend en commerce comme en finances, car nous en avons encore la preuve dans la liquidation définitive entre les deux royaumes.

Examinons maintenant sur quelle base les Hollandais font leurs exportations de sucre raffiné, Ils accordent d’abord la restitution totale du montant de droits sur 61 35 kilog. pour candis, et 67 50 sur mélis et lumps, soit une moyenne de 64 43. Mais votre section centrale propose d’établir pour la Belgique un chiffre de 68 kilog. pour les candis et mélis blancs, et 71 kilog. pour les lumps blancs, ainsi une moyenne de 69 1/2 kilog. Donc une différence de 5 07 kilog. au préjudice des Belges, plus 1/10 des droits qui sont accordés au trésor ; en outre, messieurs, une circonstance qu’il faut prendre en considération, c’est que nous n’avons pas de colonie et que nous sommes obligés d’aller acheter en partie nos sucres bruts sur les marchés d’Amsterdam et de Rotterdam, ou enfin dans les ventes de la société de commerce ; de ce chef encore, nos raffineurs portent pour commission, fret, assurance et mise à bord, une charge au moins de 6 p.c. de la valeur.

Je vous le demande, messieurs, n’y aurait-il pas dans ce système l’aveu formel qu’on voudrait anéantir l’exportation du sucre raffiné et diminuer, en conséquence, considérablement l’importation du sucre brut en Belgique, susceptible de prendre encore un développement bien plus considérable.

il me semble que l’on doit être convaincu maintenant que nous ne pouvons pas admettre un chiffre aussi élevé pour le rendement chez nous, qu’on ne le fait en Hollande, sans compromettre une industrie si importante pour notre pays et au profit seul de nos voisins.

Mais la question du rendement est-elle bien comprise par la majorité de la chambre. Il me paraît qu’on est dans l’idée qu’en augmentant le chiffre, cela produirait une plus forte somme au trésor ; mais il n’en est rien, messieurs, soit que vous portiez ce chiffre à 57, 60, 63, ou tout autre, il ne rentrera pas un centime de plus dans la caisse du gouvernement, car on continuera toujours à exporter la quantité exportable, soit les 9/10 d’après la loi en vigueur, ou on n’exportera plus rien du tout. En forçant le rendement, vous obligez uniquement nos exportateurs à déverser sur les marchés étrangers une plus forte quantité de sucre, à un prix onéreux qui changerait toute la base de la loi, pour apurer la prise en charge, et vous placeriez ainsi évidemment les raffineurs belges dans une position moins favorable que les raffineurs hollandais ; voilà tout le secret du rendement ; mais quant au trésor, il ne recevrait pas davantage de ce chef.

Puisque le gouvernement et la chambre veulent absolument que les sucres produisent davantage, je le veux bien ; mais il est alors juste que le sucre indigène, qui vient si singulièrement compliquer la question, produise sa part d’impôt.

On peut estimer la production du sucre de betteraves au moins à 5 1/2 millions de kilog. par an, ce qui, en établissant l’impôt à 25 fr. par cent kilog., donnerait la somme de fr. 1,375,000

Ce sucre n’étant pas exportable sur ce pied, le gouvernement recevrait le montant du droit intégralement.

J’admettrai aussi le chiffre présenté par la section centrale pour le sucre exotique, si le système, contre mon attente, venait à prévaloir, dont nous évaluons l’importation à 25 millions de kilog. soit pour 1/10 2 1/2 millions à raison de 50 francs par cent kilog., fr. 1,250,000

non compris, les droits de douanes à 1 fr. 20 c. par cent kilog. faisant, fr. 300,000

Ensemble fr, 2,925,000.

Approchant bien près les 3 millions de francs.

M. le ministre des finances, dans son dernier rapport, soutient toujours que le sucre de betterave n’aura à supporter que les droits les moins élevés ; il me reste à prouver que M. le ministre est ici complètement dans l’erreur.

On a pris pour base, afin d’établir la valeur des deux sucres, le marché d’Anvers du 23 janvier 1842 ; à cette époque le sucre de canne était à 57 francs. et le sucre indigène à 74 francs les 100 kil. ; ces chiffres ainsi posés ont induit beaucoup de personnes en erreur, croyant qu’il était possible que le sucre Havane pouvait être imposé à 50 francs, et le sucre indigène à 35 francs.

Mais le prix de 57 fr., au 23 janvier 1842, était la valeur du sucre Havane blond en entrepôt, et celui de 74 fr., pour le sucre indigène était le prix en consommation, n’ayant plus rien à payer ; dans mon opinion, la balance des deux espèces de sucres, ainsi placés dans une différente position, ne peut rien établir.

Pour connaître la valeur du sucre exotique sur le même pied en consommation, il faut ajouter à cette valeur de 57 francs les droits d’accise de 37 francs, qui le portent à 94 francs.

La prime, ou plutôt la dépréciation, qui était de 30 p. c. environ alors, mais qui est très variable, car elle est aujourd’hui à 9 p. c. que les raffineurs obtenaient, à cette époque, de leurs droits, faisait à peu près 10 francs, donc à déduire de ce chiffre, les porte à 84 fr. qui était la valeur réelle de 100 kilog. sucre exotique, en consommation, au 23 janvier susdit.

L’on voit clairement que ce chiffre dépasse de 10 francs la valeur du sucre indigène, qui n’est que de 74 francs ; cette différence a toujours existé et continuera de l’être en France ; elle existe sur le même pied résultant de la moindre valeur qu’on obtient des candis faits du sucre de betterave, qui, par leur odeur désagréable, se vendent 2 cent. par 1/2 kilog. plus bas que celui obtenu du sucre de canne, et aussi par la dépréciation du sirop de betteraves qui, pendant toute l’année, s’est vendu à 50 p. c. de moins que celui provenant du sucre de canne ; la cassonade diffère également de 4 fr. par 100 kilog.

Or, le sucre indigène étant toujours le moins élevé, il ne peut éviter d’être imposé des 50 fr. de droits, selon le projet de loi, tandis que l’impôt sur le sucre de canne sera toujours moindre, à raison de sa plus grande valeur.

Pour connaître maintenant la valeur du sucre indigène en entrepôt, je crois avoir démontré qu’inévitablement elle est toujours en dessous de 10 francs par 100 kilog. du sucre de canne ; ainsi ce dernier étant de 57 francs, celui de betteraves sera de 47 francs.

La loi donnant la faculté au sucre des betteraves de pouvoir être exporté au rendement de 52 kilog. de sucre raffiné, et celui de canne étant à 60 kilog., cette différence accordée au sucre indigène sur l’exotique est une faveur d’environ 15 p. c. sur les droits de 50 fr., ce qui fait 7 fr. 50 cent., et porte sa valeur ainsi à 54 1/2 fr. par 100 kilogrammes.

D’après les chiffres que je viens de poser, le prix du sucre de canne étant en entrepôt de fr. 57 par 100 kil., n’aura à supporter que les droits de fr 47 50. Ensemble, fr. 104 50.

Tandis que le sucre indigène, dont la valeur ne serait que de fr. 54 50, aurait à supporter les droits au maximum de fr. 50. Ensemble, fr. 104 50.

Le résultat serait donc absolument l’inverse de ce que M. le ministre a supposé, et le maximum du droit resterait invariablement au sucre indigène, qui, sur ce pied, ne trouverait aucune existence possible, et par conséquent ne rapporterait rien au trésor.

L’amendement que la section centrale se propose de présenter à la chambre, lorsque la question de la coexistence des deux industries serait résolue, tendant à établir un droit de progression et de diminution sur le sucre indigène, selon les qualités produites, ne pourrait obtenir mon assentiment. Le négociant pour les expéditions lointaines, et le fabricant soumis à un travail de long terme avant de pouvoir réaliser ses produits, ne peuvent s’arranger de ces variations qui amèneraient des incertitudes et une perturbation nouvelle ; il leur faut une loi fixe, sur laquelle ils puissent pouvoir compter pour leurs opérations, cela est nécessaire à tout industriel.

Le projet proposé par M. le ministre des finances comme amendement à la loi qui nous occupe, me semble réunir le plus de chances de succès.

Il fixe le droit d’accise à 40 francs par 100 kilog. du sucre tant indigène qu’exotique ; laisse le rendement au chiffre de 57 kilog., catégorie A, et à 60 kilog., catégorie B, comme cela existe aujourd’hui.

L’expérience nous a prouvé, messieurs, qu’à ce taux le commerce maritime et les raffineries de sucre y trouvaient l’élément de leur prospérité.

Mais cet amendement fixe aussi à 4/10 la retenue des prises en charge en faveur du trésor.

Messieurs, depuis trois ans le commerce de sucre dans l’intérieur du pays est dans un état de gêne continuel, par suite du grand encombrement de matière inexportable, provenant en partie du sucre de betterave ; cette gêne va encore augmenter péniblement, si on admettait un chiffre de retenue trop élevé.

Nous dirons que la consommation de la Belgique est de 14 millions de kilog. de sucre par an. Donc sur 30 millions qui seraient mis en manipulation, 60 p. c. seulement sont exportables au maximum pour lumps, ce qui fait 18,000,000 kil.

De ce chiffre, 40 p. c. resteraient dans le pays comme acquis au trésor, et non exportable, soit 7,200,000 kil.

Ce qui réduirait le chiffre à exporter à 10,800,000 kil.

Donc il resterait forcement dans la consommation 19,200,000 kil., tandis que le besoin du pays n’est que de 14 millions ; cette position deviendrait insoutenable pour les raffineries, et encombrerait encore beaucoup plus notre marché intérieur.

Je proposerai, messieurs, d’adopter le chiffre de 40 francs par 100 kilog. comme impôt sur le sucre brut, tant indigène qu’exotique ;

De maintenir le rendement actuel, et l’appliquer aux deux autres espèces de sucres

De réserver au trésor 25 p. c., au lieu de 40 p. c., comme propose M. le ministre ;

Ce chiffre de 25 p.c. est le maximum auquel on pourrait consentir, et laisse encore une quantité trop forte dans le pays, au-delà sa consommation. Une manipulation de 30 millions de kilogrammes par an, à 40 francs par cent kilogrammes, donne 12 millions, ainsi une retenue de 25 p. c. verserait au trésor une somme de 3,000,000 de francs. Je conviens que si ce système est admis, peut-être le plus grand nombre des fabricants de sucre indigène se trouveraient dans la nécessité de cesser leurs travaux ; dans ce cas, je ne reculerai pas devant la pensée de M. le ministre des finances, d’accorder aux industriels non une large, mais une juste indemnité.

M. le président. - Voici un amendement à l’art. 51, § 6, qui vient d’être déposé par M. Delehaye :

« Par exportation des sucres raffinés avec décharge de l’accise, mais seulement en ce qui concerne les raffineurs et jusqu’à concurrente des 8/10 du montant des prises en charge. »

M. Delehaye. - Messieurs, la chambre n’a guère eu à s’occuper de questions plus importantes que celle qui lui est actuellement soumise. Que vous la considériez soit sous le rapport de l’agriculture, soit sous le rapport du commerce, de nos relations avec les pays d’outre-mer, soit sous le rapport du travail national, comme sous celui de l’industrie, elle est toujours digne de toute votre sollicitude. C’est sous chacun de ces rapports, messieurs, qu’il faut envisager la question pour pouvoir se former une juste opinion.

Dans une question si difficile, je me permettrai, messieurs, de retrancher de la discussion générale tout ce qui ne se rattache pas directement à cet objet. Déjà deux orateurs que vous avez entendus dans cette séance, ont soulevé la question du rendement ; cette question du rendement est fondamentale ; elle est hérissée de difficultés ; je me permettrai de la discuter lorsque nous serons arrivés aux articles qui s’y rapportent ; pour le moment, je me renfermerai dans la discussion générale.

La loi sous l’empire de laquelle nous vivons actuellement, est la loi de 1822, modifiée en 1835. Le législateur de 1822 avait parfaitement compris quels étaient les avantages que l’industrie du sucre pouvait procurer au pays. Il savait que, pour pouvoir établir avec les contrées d’outre-mer des relations avantageuses, il fallait fournir à celles-ci des moyens d’échanges certains. Le législateur de cette époque voulait, tout en tenant compte des intérêts du trésor, procurer avant tout des éléments à l’activité, à l’industrie de la Belgique, ou plutôt, alors, à l’activité, l’industrie des Pays-Bas.

La loi de 1822, comme cela arrive souvent, ne fut pas comprise ; elle fut repoussée par un grand nombre des membres de la chambre, non pas comme pouvant atteinte aux intérêts du trésor, mais comme pouvant nuire à l’industrie ; le gouvernement, qui la comprenait bien, qui savait quel était l’immense avantage qu’on pouvait en tirer, s’était donné la peine d’envoyer ses agents aux centres de la fabrication, pour expliquer aux industriels l’esprit et le sens de cette loi, et l’on ne tarda pas à en recueillir tout le bien. Cette même loi, messieurs, régit encore aujourd’hui la Hollande, c’est sous son empire que ce pays reçoit annuellement de 50 à 60 millions de kilogrammes de sucre brut. Quel n’est pas, messieurs, le mouvement commercial qui résulte d’une importation aussi considérable ! Une importation de 50 ou 60 millions de sucre brut, alors que 42 millions au plus de sucre raffiné sont livrés a la consommation intérieure ; cela donne lieu à un mouvement d’importation et d’exportation de 90 à 100 millions par an. Et c’est en présence d’un semblable résultat, que nulle autre industrie ne peut présenter, que l’on irait mettre en question le raffinage du sucre exotique ! Pendant les 12 années qui viennent de s’écouler, la Hollande a eu continuellement des déficits dans ses finances, elle n’a su comment se procurer des fonds ; cependant elle n’a pas songé à modifier sa législation sur les sucres, et nous, qui sommes dans une position beaucoup meilleure, nous irions modifier de nouveau cette législation, aux principes de laquelle nous avons malheureusement porté atteinte en 1835.

Messieurs, cette loi de 1822 s’est trouvée tout à coup paralysée dans son exécution, par la fabrication, je dirai presque illégale, du sucre indigène. Ce sucre ne tenant compte d’aucune des dispositions de la loi sur le sucre exotique, est venu s’emparer d’une partie de la consommation intérieure, et dès cette époque des réclamations ont surgi de toutes parts ; dès son apparition on n’a fait que répéter « Le trésor ne reçoit plus rien ; nous accordons une prime exorbitante au sucre exotique. » Mais, messieurs, qu’est-elle donc cette prime, sinon le moyen d’atteindre le but que le législateur avait en vue, et si ce but a été méconnu, n’est-ce pas précisément parce que l’industrie du sucre de betteraves est venue s’emparer d’une partie de notre marché, à l’aide d’une loi qui n’était pas faite pour elle ? Maintenant que deux industries sont en présence : l’industrie du sucre exotique et celle du sucre indigène, que l’on veut bien appeler nationale ; maintenant que ces deux industries se présentent devant vous, faut-il sacrifier l’une d’entre elles, et précisément celle qui procure des avantages immenses au pays ? Je ne le pense pas. Je pense que le devoir du législateur, en pareil cas est au moins de ne faire aucune distinction entre les deux industries. Vous voulez faire une loi surtout dans l’intérêt du trésor, vous n’avez égard aux intérêts de l’industrie qu’en deuxième lieu ; pourquoi donc accorderiez-vous des avantages à l’une des deux industries qui sont en présence ? Mais mettez donc ces deux industries sur la même ligne, faites-leur payer à toutes deux le même droit, et alors vous pourrez atteindre le but que vous avez en vue.

Je regrette, messieurs, que ni le gouvernement, ni la section centrale n’aient tenu, dans cette grave question, aucun compte du travail national ; dans aucun des documents qui nous ont été soumis par le gouvernement et par la section centrale, cette partie de la question n’a été prise en considération. On se plaint, par exemple, de la faiblesse de la somme que le sucre paie au trésor ; mais pourquoi donc n’a-t-on pas proposé la prohibition du sucre blanc terré, qui a déjà subi une manipulation et qui est une des causes de ce rendement que l’on a quelquefois exagéré, que l’on a porté jusqu’à 80 p. c. ? On a complètement perdu de vue que ce rendement de 80 p. c. n’est fourni que par le sucre dont je viens de parler. Si l’on avait songé à favoriser le travail national, on aurait dû prohiber ce sucre ; si une semblable proposition avait été faite, je n’aurais pas manqué d’y donner mon assentiment.

Qu’il me soit permis, messieurs, de m’arrêter un instant sur le grand argument que l’on fait valoir sans cesse en faveur du sucre de betteraves. Au nom de quel immense intérêt demande-t-on qu’il soit donné une préférence au sucre de betteraves ? C’est au nom de l’agriculture, qui réclame, dit-on, la betterave comme un objet d’assolement sans lequel on prétend qu’elle ne pourrait presque plus exister en Belgique ; enfin, c’est au nom de l’agriculture que vous devez absolument maintenir les betteraves.

Messieurs, à l’appui de cette opinion, la section centrale vous a cité un exemple dont, pour ma part, j’aime à m’emparer. Dans une de nos provinces, dit-on, un fermier, tenant des chevaux et du bétail, n’avait plus, à la fin de la saison, ni paille pour faire des engrais, ni foin, ni avoine à donner à ses chevaux ; depuis que la betterave existe, ce fermier a de la paille et de l’avoine en abondance.

J’entends l’honorable M. Eloy de Burdinne dire que ce fait est vrai ; moi aussi je dis qu’il est vrai ; la preuve n’est pas nécessaire. Mais pourquoi cela est-il vrai ?

La betterave est une plante pivotante qui réclame, de la part de celui qui la cultive, beaucoup d’engrais et surtout beaucoup de main-d’œuvre ; la betterave est une plante qui exige un double sillon ; le cultivateur qui a voulu obtenir une récolte savait bien qu’il ne lui était pas possible de réussir sans soumettre la terre à ce double sillon et sans employer beaucoup d’engrais : c’est ce qu’il a fait ; il a profondément remué la terre, il a employé une forte quantité d’engrais. Il en est résulté que ce fermier a pu exploiter avantageusement une ferme qui d’abord ne lui présentait aucun bénéfice.

Dans les Flandres, où certainement les terres ne valent pas à beaucoup près les terres de la province à laquelle on a fait allusion ; dans les Flandres, où les terres sont presque arides, nous obtenons des résultats au moins aussi prospères, et cependant nous ne cultivons pas la betterave, dans ces provinces. On ne trouve pas de raffineries de sucre indigène. (Dénégations.) Oui, messieurs, dans la province à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, où la fertilité des terres n’est due qu’à l’industrie de ses habitants, l’on ne cultive la betterave que comme objet de nourriture pour le bétail, mais nous ne la connaissons pas comme objet de fabrication pour les raffineries.

Ainsi, l’on envisage les betteraves comme un objet de première nécessité pour l’agriculture, et je vous prouve que, dans notre province, où les terres sont des plus mauvaises, nous ne connaissons pas la betterave, quoique nous obtenions à moins de frais des résultats tout aussi favorables que ceux qu’invoquent les partisans de la betterave. Dans les Flandres, il n’y a pas un seul fermier qui, un an ou deux ans après la récolte, n’ait encore de la paille et de l’avoine à vendre. Ce fait est connu de tous ceux qui ne sont pas étrangers à la province.

On a invoqué un autre argument dont je suis encore heureux de pouvoir m’emparer pour soutenir mon opinion.

On a dit : prenez-y garde, si vous détruisez la betterave, et qu’une guerre survienne, vous n’aurez plus le moyen de vous procurer le sucre.

Pour ma part, je désire que jamais une guerre n’éclate ; mais en supposant que l’éventualité d’une guerre doive se réaliser, quel sera alors le résultat de la loi que vous aurez faite ?

Il est prouvé aujourd’hui que la Belgique, malgré tous les perfectionnements apportés à son agriculture, ne fournit pas suffisamment de céréales, et qu’elle est obligée de tirer du Nord une grande partie de ce qui est nécessaire à sa consommation. Eh bien, que la guerre éclate, si vous n’avez plus alors de betterave, vous aurez une plus grande quantité de céréales. Je sais bien que cet argument ne doit pas avoir un grand mérite à vos yeux. Aussi, c’est dans la bouche de mes adversaires que je l’ai puisé, et je dis que dans la prévision d’une guerre, il faut non pas favoriser la betterave, mais bien plutôt l’extirper, puisqu’elle s’empare d’une partie des terres qui peuvent être consacrées à la culture des céréales.

On me dit que les terres doivent être assolées ; cela m’est dit par un honorable collègue qui, comme moi habite une partie de l’année la campagne, mais qui a sur moi l’avantage de voir des terres bien plus fertiles que celles de ma province ; je répondrai à l’honorable membre que l’on peut parfaitement bien se passer de cet assolement, et l’on s’en passe en effet ; le nombre des raffineries qui, il y a quelques années, était de 28, est aujourd’hui réduit à 17, et c’est dans le Hainaut que cette diminution s’est opérée le plus rapidement.

Chose remarquable, c’est que malgré la diminution qu’a éprouvée la culture de la betterave, le prix des terres a augmenté dans cette province. J’ai lu avec attention un écrit émané d’un grand propriétaire qui cultive la betterave, et j’ai vu avec étonnement qu’un hectare de betteraves ne donnait au fermier qu’un bénéfice très minime, tandis que dans les Flandres nos terres, presque arides, mais bien cultivées, donnent un produit certain beaucoup plus considérable ; dès lors, comment peut-on proclamer la nécessité du maintien de la betterave, alors que la culture de tout autre produit procure des avantages beaucoup plus grands, alors qu’il en est qui donnent parfois jusqu’à mille francs de bénéfice par bonnier ; ce que je dis est appuyé sur des faits. Je sais parfaitement bien que cela ne doit pas plaire à ceux qui préconisent la betterave ; mais je leur demanderai comment, si la culture de la betterave étant si avantageuse, il se fait que de 28 raffineries de sucre indigène qui étaient en pleine activité, il y a quelques années, il n’en reste plus aujourd’hui que 17, alors même que ces raffineries jouissaient d’une indemnité parfaite.

Messieurs, j’ai examiné la question sous le rapport quelle doit avoir avec l’agriculture ; qu’il me soit permis de l’envisager un instant sous le rapport commercial.

Vous avez accordé récemment une prime pour constructions de navires ; vous avez aussi, il y a un an, fait d’énormes sacrifices pour l’achat de bateaux à vapeur, destinés à faire le commerce de long cours. Ce n’est pas que je veuille blâmer ces sacrifices ; loin de moi une pareille pensée, je m’associe au but que vous avez cherché à atteindre, en votant ces mesures ; vous avez voulu que notre pavillon pût transporter les produits nationaux dans les contrées lointaines ; mais si vous détruisez l’industrie du sucre exotique, quel est l’objet contre lequel vous échangerez vos produits indigènes ? Lorsque nous nous plaignons que l’industrie cotonnière est en souffrance, vous nous répondez : exportez vos cotons en Amérique ; si les industriels de Verviers viennent se plaindre, on leur fait la même réponse ; les députés de Liége et de Namur plaident-ils, les premiers dans l’intérêt de la fabrication des armes, les autres, pour celle de la coutellerie, on leur indique aussi le débouché de l’Amérique ; mais, je vous le demande, si vous détruisez l’industrie du sucre exotique, restera-t-il des objets contre lesquels vous pourrez échanger vos produits nationaux ?

Un honorable membre me dit qu’on nous payera nos produits nationaux en écus mais, messieurs, ce n’est pas au moyen d’écus que se fait le commerce, le commerce se fait au moyen d’objets d’échange : nous donnons des produits nationaux pour recevoir les produits d’un autre pays ; mais, jamais on ne fait avantageusement des opérations commerciales de cette manière ; eh bien, je le demande encore une fois, quels objets d’échange trouverez-vous dans les contrées transatlantiques, si vous détruisez l’industrie du sucre exotique ? Vous voyez donc qu’il faut de toute nécessité maintenir cette industrie.

Mais, dit-on, en France et en Angleterre on a adopté d’autres mesures ; mais on ne remarque pas que la France et l’Angleterre ne sont pas dans une position aussi favorable que la Belgique : outre que ces pays peuvent se contenter de fournir à la consommation de leur immense population, ils sont obligés de s’approvisionner dans leurs propres colonies, tandis que nous pouvons aller dans tous les pays qui ne sont pas soumis au régime colonial, et surtout là où nous trouvons le plus d’avantages. Vous voyez donc que cette circonstance est tout à fait en faveur de la Belgique. Mais abandonnons un moment cette position, et exigeons aussi qu’on ne tienne compte que du trésor. Le trésor, c’est la caisse des contribuables, je dirai même que c’est la caisse des consommateurs. Or, ce serait un singulier calcul que celui de déposer dans la caisse des consommateurs 4 millions, et d obliger en même temps ces mêmes consommateurs à payer 4 millions de plus un sucre indigène qu’ils pourraient avantageusement, et à moins de frais, remplacer par le sucre exotique. Est-ce d’une bonne économie d’admettre en Belgique le sucre de betterave qui coûte beaucoup plus que le sucre de canne ? Le consommateur belge qui voudrait consommer le sucre de betterave, non seulement devrait payer au trésor une somme plus forte, mais il devrait encore donner un prix plus considérable pour le sucre qu’il veut consommer. Il y aurait donc pour lui nécessité de faire double sacrifice.

Messieurs, si vous aviez à choisir entre l’un et l’autre système, si vous aviez à opter entre deux industries, par exemple, qui seraient tout à fait nouvelles en Belgique, et qu’on vînt vous dire : d’un côté, vous aurez l’agriculture, mais vous payerez beaucoup plus cher ; d’autre part, vous aurez le sucre exotique qui coûtera beaucoup moins ; quel choix feriez-vous ? Sans doute vous ne balanceriez pas en faveur du sucre de betterave, si vous ne saviez de quelle manière employer votre classe ouvrière ; je conçois qu’alors on donnât la préférence au sucre indigène, mais quand vous pouvez tirer de vos terres d’autres produits plus favorables, comment vouloir forcer alors le consommateur à acheter le sucre beaucoup plus cher ; c’est, je l’avoue, une proposition qui ne saurait soutenir un examen sérieux.

On m’a répondu, il est vrai, que la même question se présentait pour les houillères : on nous dit : Pourquoi frappez-vous la houille anglaise ? Si vous supprimiez les droits sur les houilles anglaises, vous pourriez vous les procurer à meilleur marché que les houilles belges.

M. Eloy de Burdinne. - Et les cotons !

M. Delehaye. - Eh bien, si on faisait une semblable proposition, je ne l’appuierais pas ; je dirais, pour le coton comme pour la bouille, que c’est une absurdité d’admettre les produits étrangers, alors même que nous pourrions nous procurer la houille à meilleur marché à l’étranger. Car quel serait le résultat de la ruine de nos houillères ? Qu’elles seraient anéanties ; elles n’auraient plus aucune valeur ; tandis que la betterave supprimée, vos terres n’en conserveraient pas moins leur valeur ; j’ai prouvé que ces terres des localités où la betterave n’avait pas pu se maintenir, les terres n’avaient pas cessé d’avoir un prix élevé et n’avaient pas donné des produits moins considérables.

Je vous ai prouvé ce fait, par là même j’ai prouvé qu’il n’y avait pas d’analogie entre l’industrie houillère et celle des betteraves. Quand un pays produit un objet quelconque d’une utilité incontestable pour la classe ouvrière, on doit le favoriser. Mais quand vous avez une industrie qui n’occupe que des ouvriers qu’une autre industrie pourrait employer, qui n’ajoute rien aux terres, ruine notre navigation, nous enlève l’approvisionnement des marchés étrangers, lui accorder protection serait une erreur que la chambre n’adoptera jamais.

Messieurs, le gouvernement avait proposé, dans l’intérêt du trésor, de frapper d’un droit non apurable à l’exportation jusqu’à concurrence des quatre dixièmes. Sous le régime actuel, cette réserve n’est que d’un dixième. Mais cela n’a jamais été pour le trésor que d’un produit bien minime, parce que la consommation intérieure s’était portée en grande partie sur le sucre indigène. Pour que la loi soit bien comprise, bien exécutée, il faut que la consommation ne présente que le 10ème sur lequel le trésor perçoit un droit. Le sucre de betterave s’étant emparé du marché intérieur, le sucre de canne s’en est ressenti, et le trésor aussi. Mais porter tout à coup cette réserve à 4/10, c’est porter un coup terrible à cette industrie. Sans doute par ce moyen le trésor percevra quatre millions, et le consommateur ne paiera pas le sucre étranger à un prix excessif. Mais remarquez que, d’après le calcul établi par le gouvernement et par toutes les personnes qui ont étudié la question, avec une réserve de quatre dixièmes, notre commerce n’ira jamais au-delà de 25 millions. Circonscrire ainsi le commerce belge dans une limite de 25 millions, est une chose à laquelle je ne prêterai que difficilement la main.

J’ai toujours pensé que le législateur devait faire les lois de manière à laisser le commerce s’étendre le plus possible. J’ai toujours pensé qu’il était nécessaire de laisser au commerce et à l’industrie la plus grande latitude. C’est ainsi que la chose est comprise en Hollande. Ce pays ne se réserve que 3 p. c., et le gouvernement belge propose d’en réserver 40. Cette différence est énorme. La Hollande, dis-je, ne réserve que 3 p. c., mais elle introduit au moins 50 millions de sucres. La Belgique se réservant 40 p.c., ne pourra jamais introduire que 25 millions. Qu’avons-nous à craindre ? L’encombrement résultant de la concurrence du sucre de betterave. Ce sucre, indemne de tout droit, est venu s’emparer du marché. Ecarté du marché, on rencontrera les 4/10 qui ne permettront pas l’importation au-delà de 25 millions. Ne pouvons-nous pas, avec quelque espoir de succès, proposer pour la réserve un chiffre moins élevé. Si la Hollande se contente de la réserve de 3 p.c., pourquoi ne nous contenterions-nous pas d’une réserve de 20 p. c. quand nous sommes certains que la consommation intérieure permettrait l’importation de 38 à 40 millions.

Je permets à l’industrie de travailler sur une échelle de 40 millions, tandis qu’avec le projet du gouvernement son cercle ne s’étendra jamais au-delà de 25 millions. Pourquoi le gouvernement ne s’est il pas posé le défenseur d’une telle thèse ? J’aurais voulu qu’il la soutînt. C’était une chose admirable que de dire : en travaillant sur vingt-cinq millions vous aurez quatre millions de recettes ; mais en consentant à réduire cette recette à trois millions et demi, vous travaillerez sur quatre millions, et votre navigation aura un aliment ; votre consommation étant d’environ 15 millions, vous exporterez 25 millions, et votre navigation aura un mouvement de 60 millions et au-delà par an ? Comme gouvernement j’aurais soutenu cette thèse avec confiance, je l’aurais même soutenue alors que j’aurais été certain de ne pas réussir. Mais l’assentiment de la chambre ne m’aurait point manqué ; elle ne reculera jamais devant l’occasion de fournir au consommateur les objets à meilleur prix, alors que le travail national trouve un aliment qu’il n’a pas eu jusque-là. C’est pour obtenir ce résultat, pour doter le pays des avantages attachés à une semblable mesure, que j’ai proposé de réduire la réserve de 40 à 20 p. c.

Le trésor n’aura pas à se plaindre, il percevra au moins 3 millions et demi, et le pays aura un élément de travail qui excédera beaucoup celui qu’il a pu avoir jusqu’à présent.

Je ne pense pas que ma proposition rencontre une grande opposition. Toutefois, je ne dis pas que, si on ne l’admet pas, je repousserai la loi. Je défendrai ma proposition par tous les moyens ; mais si on ne l’admet pas, je voterai pour la proposition du gouvernement. Peut-être soulèvera-t-on la question déjà soulevée, celle de l’indemnité. C’est une question fort grave ! Cependant si, comme on vous l’a dit, il fallait supprimer la betterave, si deux industries, s’étant partagé la consommation, on leur accordait une protection égale et que cette égalité de protection avait pour résultat la suppression de la fabrication du sucre de betterave, je dirais les sucres n’ont produit jusqu’aujourd’hui au trésor qu’un million, le nouveau régime proposé en produira quatre ; destinez chaque année, pendant un certain temps, une partie de ces quatre millions à indemniser l’industrie de la betterave, vous trouverez facilement les moyens de faire cesser les doléances qu’on fait entendre dans cette enceinte, en faisant droit à de justes réclamations et en donnant au commerce et à l’industrie des éléments de prospérité dont ils ont manqué jusqu’ici.

(Moniteur belge n°53, du 22 février 1843) M. de La Coste. - Messieurs, l’honorable préopinant semble partager l’erreur que la loi en discussion, amendée par la section centrale, serait attendue avec impatience par la production indigène ; il n’en est rien, messieurs, cette industrie, se voyant menacée dans son existence même, par un changement dans la législation, ne sollicite plus une loi nouvelle. Et, en vérité, je ne sais si c’est bien sérieusement qu’on vient lui reprocher d’être indemne de droits en face d’un produit exotique, sur lequel l’accise réelle se réduit à 10 ou 12 francs, comme si cette franchise ne lui était pas commune avec le vin indigène, la houille, les fils et tant d’autres produits ; d’avoir eu quelque part indirecte aux avantages si largement accordés à un produit étranger ; d’avoir vécu de quelques miettes tombées d’une table si richement servie. Certes, on le lui pardonnerait facilement si, par la concurrence, elle n’avait réduit, au bénéfice du consommateur, les avantages dont jouissait l’industrie rivale.

Je prierai, au surplus, l’honorable M. Delehaye de vouloir bien se mettre d’accord avec l’honorable ministre des finances. Celui-ci nous représente la production indigène comme grossissant, chaque année d’un million de kilogrammes ; celui-là nous la peint déclinant d’année en année ; mais pourquoi donc alors s’acharner sur une industrie expirante, pourquoi l’étouffer quand elle se meurt ?

L’honorable préopinant trouve à s’en consoler. Il ne consentirait pas, et je suis bien de son avis, à laisser combler les bures de nos houillères, parce qu’on offrirait peut-être le charbon anglais à meilleur marché ; mais il veut bien que le sucre indigène périsse, parce que, dit-il, nos campagnes ont d’autres ressources. Mais, messieurs, si l’on s’attaque à ces ressources une à une, qu’arriverait-il ? Ce serait la queue de cheval du poète romain, qu’on arracherait crin par crin.

Nous avons une tâche toujours pénible à remplir, nous avons à faire une loi fiscale ; mais rien ne nous oblige à faire une loi funeste à l’un des intérêts engagés dans la question, intérêts importants et pour lesquels la possession est déjà un titre.

Si tel devait être le résultat du système de la section centrale, je le désavouerais ; mais on affecte de confondre deux choses très distinctes dans nos propositions le système et le chiffre, tant de l’impôt que du rendement ; ce chiffre, jusqu’ici je le crois juste ; les calculs qu’on lui oppose me paraissent très contestables, et en partie d’une inexactitude évidente, notamment en ce qui concerne la moyenne du rendement hollandais ; il est évident, en effet, que si l’on fait entrer les candis dans cette moyenne, ce ne doit être que dans la proportion des quantités qu’on en exporte. Mais enfin le chiffre est susceptible de discussion, et, s’il y a lieu, de rectification. Ce n’est pas là qu’est le système de la section centrale.

Eh ! messieurs, ce système, c’est la chose la plus simple du monde : Imposer le sucre indigène et élever proportionnellement le rendement du sucre exotique, ce qui, quoi que vienne de dire un honorable préopinant, correspond bien à une augmentation d’impôt, et même tend beaucoup plus efficacement à ce but que si l’on se contentait d’en majorer le chiffre nominal. On élèverait donc le rendement légal, mais non jusqu’au niveau du rendement réel, pas même jusqu’au niveau du rendement français, qui est inférieur au rendement réel, puisque la France exporte, mais seulement un peu au-dessus du rendement hollandais, qui laisse des excédants considérables. Il resterait donc à l’exportant belge des excédants libres d’impôt, sur lesquels le raffineur pourrait continuer à le percevoir à son profit ; les excédants seraient, à la vérité, moindres qu’aujourd’hui ; mais le profit serait le même, ou du moins serait suffisant, parce que le prix des excédants pourrait être augmenté de tout le montant de l’impôt sur le sucre indigène.

En même temps, les excédants étant moindres, le marché sera moins encombré, et les exportations, liées à un moindre débit intérieur, seront plus libres dans leur essor.

C’est bien là un système de conciliation, et, pour le compléter, on vous dit : Si, sous le fardeau nouveau que nous allons imposer à l’industrie indigène, elle marche en avant, nous en conclurons qu’elle peut supporter un fardeau plus fort, et nous sommes prêts à déposer ce principe dans la loi.

Ici, on a trouvé lieu à une nouvelle accusation. Puisque votre but, a-t-on dit, est uniquement de favoriser la production indigène, vous vous mettez, par cette concession, en contradiction avec vous-mêmes. Etrange argument, dont la conclusion dément les prémisses ! Notre but a été de tenir la balance avec impartialité, et nous voulons faire, vis-à-vis des deux sucres, la part du trésor.

Pourquoi maintenant repousse-t-on ce système de conciliation, pour ainsi dire sans examen ? Est-ce, comme l’a dit un honorable député qui, dit-il, et ce sentiment est bien naturel, n’aimerait pas à être tué, même à bonne intention ; est-ce parce que ce serait la mort de l’intérêt qu’il protège ? Eh ! non, messieurs, un autre orateur vous en a donné le vrai motif : c’est qu’on ne veut pas de conciliation. La conciliation, vous a-t-on dit, est trop difficile, trop compliquée ; ce serait toujours à refaire. Tuez l’intérêt qui vous gène, et nous vous bénirons, et cet intérêt ne se plaindra point, parce qu’il sera mort, et vous vivrez en repos.

Messieurs, il n’en serait point ainsi ; ce commode repos serait troublé par les cris d’agonie d’une industrie expirante, par les prétentions toujours renaissantes d’intérêts qui, encouragés par cet exemple, vous demanderaient tour à tour des monopoles, vous désigneraient des rivaux à immoler.

Il y a un autre système qui, au premier abord, se présente plus favorablement, mais qui conduit au même résultat, soit dans un sens, soit dans un autre. On dit : Cherchons auquel des deux intérêts se rattachent le plus d’avantages pour le pays ; maintenons celui-là et sacrifions l’autre. Mais, messieurs, l’intérêt national est la somme de tous les intérêts ; on n’en peut sacrifier aucun sans nuire à l’intérêt général. Il y aura, je le veux, des exceptions à ce principe, mais alors il faut que ces exceptions aient un caractère d’évidence qui frappe tous les esprits. Ici voyez à quelles méprises, à quels regrets, je dirai presque à quels remords, vous vous exposeriez ; chacun des intérêts rivaux se grandit et dit qu’il est l’intérêt général. Mais l’un des deux surtout, le plus puissant, celui qui tient, pour ainsi dire, le portefeuille, forcé, par les chiffres impassibles des statistiques, de convenir qu’il y a quelque exagération dans ses prétentions, se rejette sur l’avenir, où chacun voit ce qu’il veut, comme dans les nuages, sur l’effet de lois qui ne sont point encore adoptées et dont personne ne peut prévoir les résultats. Et c’est ainsi à des hypothèses, à des éventualités que vous sacrifieriez une industrie à la fois agricole et manufacturière, une industrie existante et réelle.

Disons vrai, messieurs ; vous la sacrifierez à un intérêt que je prise très haut ; à un intérêt que personne ici ne considérera comme étranger à mes sympathies ; mais enfin, à un intérêt local, à celui de deux grandes et intéressantes cités.

En voulez-vous une preuve ? On vous a dit que la retenue de 4/10 sur les prises en charge devrait être bornée à 3/10, et qu’ainsi nous exporterions 6 millions de kilog. de plus. On convient donc que le système de retenue a pour résultat de restreindre l’exportation. L’importation s’en ressentirait nécessairement : la raffinerie qui, suivant le projet du ministre, cesserait d’avoir à travailler sur le sucre indigène, souffrirait également, mais ce serait la raffinerie en général ; ce ne serait pas celle de telle ou telle ville, et voilà pourquoi l’on adopte le système des retenues, lié, sans motif à mes yeux, à l’égalité des droits, que M. le ministre des finances regarde comme une suppression indirecte de l’industrie indigène, puisqu’il a jeté dans la discussion le mot d’indemnité.

L’intérêt local de deux grandes villes, messieurs, est un grand intérêt. Il est juste et politique d’y avoir égard ; mais l’intérêt, les droits de 35 à 40 communes et des districts qui les environnent, ne doivent pas lui être sacrifiés ; dans ces débats, c’est là le côté le plus attaqué, le côté que le pouvoir abandonne, le côté le plus faible. Eh bien, c’est pour cela que j’en prends la défense.

Parmi beaucoup de faits je choisirai ceux-ci : Dans une ville d’une dizaine de mille âmes, il existait avant 1830 une fabrication de cotonnades, humble, sans doute, en comparaison de l’industrie gantoise, mais prospère et qui employait beaucoup de bras. Par suite de la secousse politique, cette fabrication a presque disparu, du moins elle est fort réduite. Tout languissait, mais des fabriques de sucre indigène se sont établies ; l’activité, la vie est revenue. Il n’y a plus de pauvres, et la ville prospère. Dans une commune de 400 âmes, une seule fabrique de ce genre répand pour 80,000 francs de salaires, et ces salaires, messieurs, ne se dispersent pas sur les mers, ne sont point partagés avec les matelots américains.

On a fait une objection que j’ai à peine le courage de relever. On a recherché à quelles provinces, à quelles parties de provinces, à combien d’hectares cet intérêt profitait directement. Où irions-nous, que deviendrions-nous si nous entrions dans une semblable voie ? Si l’on dit : que m’importe la navigation de la Meuse, je vis sur les bords du Demer ou de l’Escaut ; que m’importe l’industrie linière, j’habite Bruxelles, et l’on n’y fait pas de toiles ; que m’importe la sucrerie indigène, on ne cultive pas la betterave dans ma banlieue ; si l’on s’isole ainsi réciproquement, nous ne formons plus une association politique, ce n’est plus qu’une agglomération.

Pour moi, lorsque j’entends mettre froidement en question l’existence d’une industrie dont la suppression amènerait tant de misère, je ne sais si je suis bien éveillé. Il me semble que ce soit quelque mauvais rêve, quelque cauchemar qui pèse sur le sein du pays. Eh quoi ! il n’y a industrie ni si grande, ni si petite qui n’excite la sollicitude du gouvernement, de la chambre. Nous sacrifions un million par an en efforts, en trop vains efforts, peut-être, pour sauver l’industrie linière ; nous encourageons par des primes la culture de la garance, nous donnons je ne sais combien par cocon de ver à soie, et on supprimerait soit directement, ce qui serait plus franc, soit indirectement, ce qui le serait moins, une industrie qui occupe des milliers d’ouvriers !

Dans les motifs qu’a donnés M. le ministre des finances pour préférer d’autres industries à celle-ci, je ne vois qu’un trait bien caractéristique. Le sucre indigène nuit à un autre intérêt : il rencontre un intérêt rival. Voilà son crime ! Voilà pourquoi on lui oppose et notre navigation, et l’exportation de nos produits, et les contrées transatlantiques, et les droits différentiels, auxquels on s’est converti si à propos.

Une autre conversion s’est encore opérée. On devient tout plein de ferveur pour le trésor ; la retenue du dixième sur les prises en charge semblait onéreuse ; maintenant on consentirait, s’il le faut, à une retenue de 4/10, et on en fait même pressentir une plus forte, malgré l’effet restrictif qui en résultera pour nos exportations : il est donc bien riche le monopole que l’on payerait de ce prix !

Ce prix, on l’offre à ceux qui ne veulent voir ici qu’une question financière ; on leur représente le système des dixièmes, combiné avec la suppression de l’industrie indigène, comme pouvant seul assurer les intérêts du trésor ; mais si vous consentez à la suppression de la fabrication indigène, êtes-vous bien sûr que l’intérêt vainqueur, intérêt puissant et puissamment protégé, ne retirera pas les concessions faites au jour du danger. Les cierges promis dans les tempêtes s’amincissent fort quand le beau temps est revenu, et on ne les laisse pas brûler jusqu’au bout. Déjà, tandis que M. le ministre des finances annonce une retenue de 5/10 ou de 6/10, on vous disait hier que c’est trop de 4/10 et que 3/10 suffiraient. Aujourd’hui on n’en veut plus que 2 1/2, même deux ; demain ce sera moins encore ; ne nous pressons pas de porter les 4 millions en recettes ; ils ne sont pas encore comptés.

Les résultats financiers que nous avons en vue peuvent s’obtenir de diverses manières. Avec un droit de 40 fr. on vous promet 4 millions de revenu, moyennant la suppression de la production indigène. En France, un système mixte fournit 4 millions, et un semblable système peut donc nous fournir facilement 5 millions. En réservant à notre production indigène le marché intérieur, un droit de 40 fr., dans la supposition d’une consommation de 14 millions, produirait cinq millions 600 mille francs.

On nous effraye de la fraude ; mais il y a quelque marge pour la fraude, entre 5,600,000 francs et 4 millions, 3 millions, 2 millions qu’on nous offre ; car, d’heure en heure, il y a quelque rabais. Si d’ailleurs une partie de l’impôt sur le sucre indigène pouvait échapper à l’impôt, ce qu’il faut tâcher d’empêcher, une partie de l’impôt sur le sucre exotique échappe inévitablement à l’impôt par l’effet du rendement, à moins qu’on n’en établisse un fort élevé.

On nous oppose encore des arguments d’un autre ordre ; ceux-ci sont empruntés aux principes de ces écrivains célèbres, si admirés et si peu écoutés, qui ont fondé la science de l’économie politique ; mais on se garde bien d’appliquer ces principes dans leur ensemble. Il faudrait, en effet, commencer par supprimer la prime d’exportation ; rien n’est plus contraire à ces principes qu’une telle prime.

Un commerce qui a besoin de ce secours, un commerce créé par la loi de 1822, a une existence bien plus factice qu’un produit qu’on peut suivant l’honorable M. de Brouckere obtenir à 65 fr. les 100 kilog., tandis que la denrée similaire étrangère revenait encore, valeur moyenne, de 1838 à 1841, à 71 fr. 15 c.

Il ne s’agit point ici d’une plante exotique comme le café, mais de végétaux indigènes dont la culture est facile. Retireriez-vous toute protection à nos houilles, à nos fers, à nos toiles, parce qu’on peut vous fournir à meilleur marché de la houille d’Ecosse, du fer de Suède, de la toile anglaise, de Hollande ou de Silésie ?

Ne serait-ce pas encore un étrange principe d’économie politique, aux yeux des écrivains dont j’ai parlé, que de faire chômer le travail national dans la seule vue de conserver des objets d’échange ? Les échanges n’ont qu’un but, comme la production, c’est de fournir à la consommation, et quand la production directe y fournit, le but est atteint.

Là n’est donc pas la question ; la question est de savoir si la protection accordée à la production indigène est exagérée.

Sous l’empire de la législation actuelle, chacun des intérêts engagés dans la question est protégé ; la raffinerie en général, par un droit presque prohibitif sur le sucre raffiné à l’étranger ; la raffinerie de sucre exotique et le commerce de sucres, par une faveur spéciale en cas d’exportation ; la production indigène, par l’effet indirect de cette faveur et par un droit protecteur qui se compose d’un droit de douane insignifiant et d’une accise plus considérable, mais en partie nominale.

Avec ce régime de protection, chacun des trois intérêts se plaint ; mais chacun existe, se maintient et même s’étend. Il y a lutte, mais la lutte, c’est la vie ! Sans protection, aucun de ces intérêts ne peut subsister, et tout se réduirait à l’arrivage de sucres raffinés en Hollande pour notre consommation intérieure.

Dans ce régime de protection, ce qu’il y a de plus exorbitant, c’est l’espèce de prime d’exportation. C’est une faveur exceptionnelle. Le droit protecteur en faveur du produit indigène rentre dans notre système général. C’est le droit commun de toutes les industries.

Ce n’est point là, je le sais, la théorie de la liberté de commerce. « Supprimez, nous dit celle-ci, toutes ces lignes de douane qui ceignent chaque Etat d’un long cordon de vexations et d’immoralité. Laissez faire ! Chacun, dans son propre intérêt, emploiera son intelligence, son travail, ses capitaux, de la manière la plus productive, et par là même la plus propre à accroître la richesse publique. »

Les années ne me séparent pas tellement encore des études et des impressions de la jeunesse, que je vienne ici faire le procès à cette théorie. Eh, quelle âme généreuse n’a quelquefois appelé de ses vœux l’instant où, renversant l’idole d’un intérêt souvent mal entendu, tous les peuples se donneront la main par dessus leurs frontières pour travailler d’accord à accroître la somme de bien-être réservée à l’humanité. Mais, vous le savez tous, ce jour n’a pas lui, le système de la liberté de commerce n’est pas le nôtre, et il n’y a pas d’homme d’Etat, quelle que soit son opinion sur ces matières, assez insensé pour essayer de l’établir, ou assez puissant pour y réussir. Notre système est un système protecteur et pour qu’un pareil système soit juste, pour qu’il intervertisse le moins possible la distribution la plus naturelle, et par là même la plus utile des capitaux et du travail, il faut que la protection soit aussi générale, qu’elle se répartisse avec autant d’égalité que possible.

D’ailleurs, aux yeux des amis mêmes de la liberté du commerce, mais de ceux qui ne sont pas disposés à tout sacrifier à un système, il importe d’éviter à l’industrie nationale de brusques revirements. Une industrie vivace peut être anéantie par un choc subit ; une industrie qui se retire laisse derrière elle sa misère, comme la mer dans son reflux laisse à découvert un sable aride.

La suppression de la production indigène aurait ce résultat ; menaçante pour toutes nos industries, elle constituerait en elle-même une mesure acerbe et grave, lex immanis, une mesure que rien dans notre pays ne justifierait. Où est cette marine militaire que nous ayons à recruter dans une marine marchande, fortement encouragée pour opposer la première à une nation rivale ? Où sont par delà les mers, sur un sol belge, des populations belges obligées de consommer nos produits et de nous livrer les leurs ? La suppression, en France, pourrait se comprendre ; elle aurait pour notre industrie le résultat favorable de relever les prix ; et pourtant je ne puis la souhaiter à une nation amie. Errorem hostibus illum. La France hésite ; elle nous observe peut-être : nous ne prêterons pas notre pays pour servir de terre expérimentale. Quoi qu’il arrive ailleurs, vous jugerez la question au point de vue belge, d’après les intérêts belges ; c’est pour cela que nous sommes ici ; c’est pour cela que nous sommes nation.

Voyez d’ailleurs à quelles erreurs conduit l’imitation de l’étranger, quand on n’a pas égard à toutes les circonstances qui diffèrent les positions. En France, si au lieu de la suppression on admet l’égalité des droits, cette égalité du moins sera à peu près réelle, tandis qu’avec notre faible rendement, elle serait fictive.

En verité, messieurs, lorsque je vois les attaques dirigées contre la fabrication indigène, leur aigreur et leur peu de fondement, je ne puis m’empêcher de me rappeler une expression bien triviale mais qui analyse en deux mots des volumes de rapports, de mémoires et de réclamations : quand on veut noyer un chien, on dit qu’il est enragé.

Dans ces attaques il semble qu’on en soit encore à ignorer que le blé ne se sème pas consécutivement dans un même champ. On oublie que la betterave, qui occupe à peine la millième partie de notre territoire, n’est qu’un précieux assolement ; que si on la cultive consécutivement c’est par exception. On oublie que c’est par les assolements que la Belgique, donnant l’exemple à l’Europe, a triomphé de la barbarie des jachères, et peut nourrir 4 millions d’hommes. Admirable moyen pour donner du pain au peuple, que de lui ôter du travail et de faire reculer la science agricole !

On rend le sucre indigène comptable d’un déficit en céréales qui a existé longtemps auparavant et même dans une plus forte mesure. La réponse de l’accusé est bien simple. Comment l’aurais-je fait, si je n’étais pas né ? »

Quelquefois on nous représente le sucre indigène comme donnant 70 p. c. de sucre cristallisé, tandis que le sucre de canne n’en donnerait que 65 à peine. On n’admet, quant au premier, qu’une moins-value de 2 fr. 58 c. sur les bas produits, différence que 5 kilog. de sucre en plus compenseraient amplement. On réduit le prix de revient à 70 francs dans des conditions défavorables.

Vous allez croire qu’on va en conclure qu’il faut laisser se développer, qu’il faut conserver soigneusement une industrie qui n’aurait plus même besoin de protection sans la baisse extraordinaire des produits coloniaux. Un moment ! la scène change, et la fabrication indigène n’est plus qu’une industrie factice, véritable démonstration des progrès des sciences chimiques.

Savez-vous, messieurs, ce qui prouve à mes yeux que cette industrie a de l’avenir ; c’est ce qui se passe en ce moment. On laisse entrevoir aux fabricants une indemnité, et ils se montrent bien peu disposés jusqu’ici à vendre leur fabrication, à abandonner les populations qu’elle nourrit, à déserter la pacifique bannière de l’industrie et du travail qu’ils ont arborée sur 43 usines.

L’indemnité, messieurs, eh ! on vous l’a déjà dit, dédommagera-t-elle les territoires privés d’un moyen de fertilisation ? Dans un temps où nous avons tant de peine à maintenir nos fabriques de toute espèce, en fera-t-elle surgir d’un genre nouveau pour occuper les ouvriers que la suppression laissera inactifs ? De quel secours sera pour les communes une indemnité qui peut aller fertiliser un district de l’Espagne ou payer une terre en Silésie ?

Le sucre indigène au surplus, quelques glorieux services que la chimie lui ait rendus, n’est pas plus un produit chimique que le sucre de canne. Le chimiste ici c’est la nature qui fait circuler le sucre avec la sève dans nombre de végétaux.

Exprimer cette sève, la réduire à l’état concret, voilà toute la fabrication sous la main de nos libres travailleurs, comme en Amérique au bruit des chaînes et sous le fouet du colon.

Le sucre ainsi obtenu est comme un métal dans sa gangue, on l’en sépare : voilà le raffinage.

Dans cette opération, une très petite partie, 3 p. c. environ, se perd. Le reste est sucre, cassonade ou sirop.

Mais remarquez-le bien, si le sucre est une substance, la même dans la canne et dans la betterave, la cassonade et le sirop ne sont pas des substances, ce sont des mélanges de sucre et de parties hétérogènes. Il y a plus de ces parties hétérogènes dans le sucre brut indigène, ce qui en déprécie les bas produits. En poursuivant l’opération du raffinage et employant des procédés perfectionnés, on peut séparer la plus grande partie du sucre des parties hétérogènes. Lors donc qu’on vous dit que le sucre indigène donne 70 p.c. de sucre cristallisé, et le sucre de canne 65, cela veut dire qu’il aura convenu à l’intérêt du raffineur d’extraire le sucre dans cette proportion. Du reste, on assure que certaines qualités de sucre exotique donnent jusqu’à 84 p. c. de sucre cristallisé, propre à l’exportation, appelé patent lumps. Quand l’opération n’est pas poussée jusque-là, le sucre qui se trouve dans la cassonade et le sirop remplace le sucre cristallisé dans les usages domestiques, suit par conséquent les variations du prix de ce sucre, et supporte ainsi, sinon directement, au moins indirectement, mais nécessairement, sa part de l’impôt. Ceci est évident.

Dans notre législation, comme dans celle de France et des Pays Bas, le raffineur obtient décharge de l’impôt en exportant moins de sucre que n’en contient réellement le sucre brut pour lequel il a été pris en charge. Il garde à sa disposition une certaine quantité de sucre, soit cristallisé, soit mélangé, pour laquelle il ne paie rien et sur laquelle il fait payer l’impôt par le consommateur.

C’est cet impôt, prélevé sur le consommateur, que l’on considère comme prime d’exportation. Mais ceci n’est point tout à fait exact. L’impôt prélevé sur le consommateur par le raffineur est naturellement, en premier lieu, un profit pour le raffineur. Sur ce profit, il prélève ce qu’il faut, le moins qu’il peut, pour couvrir les pertes sur les exportations.

Il y a, en effet, de la perte : nous exportons, comme sucres raffinés, des lumps, que nous vendons au-dessous du prix courant du sucre brut. Les Allemands les achètent comme sucre brut à bon marché, qu’ils raffinent avec plaisir, parce qu’il donne peu de bas produits. La perte doit être payée sur la libéralité que ce pays fait au raffineur ; celui-ci garde le reste, et il fait bien.

La nature d’un semblable commerce comporte qu’il exige une certaine faveur pour le raffineur ; mais il n’en résulte pas que plus cette faveur sera considérable, plus il exportera. Non. Plus vous lui donnerez, plus sa position sera prospère. Mais il n’exportera que ce qu’il faut pour réaliser son bénéfice. D’ailleurs, l’exportation a ses limites tracées par la concurrence et par l’étendue du marché. Il semblerait que la capacité des Allemands, sous ce rapport, fût sans bornes, qu’il y eût par là un gouffre prêt à engloutir à volonté 40 à 50 millions de plus d’exportation. A cette erreur se rattachent une foule d’illusions que l’expérience dissiperait bientôt.

La distinction que j’ai faite entre le profit du raffineur et la prime réelle et nécessaire explique peut-être pourquoi les exportations n’ont pas diminué, malgré la retenue du dixième et les progrès du sucre indigène, de telle sorte que la raffinerie, sans contester ses souffrances dans certaines localités, n’a pourtant jamais eu plus d’activité, puisqu’elle a opéré sur des mêmes quantités de sucre exotique pour le moins et sur 4 à 5 millions de sucre indigène de plus.

C’est ce qui résulte des chiffres suivants, empruntés aux documents officiels (Ces chiffres ne sont pas repris dans cette version numérisée.)

Ainsi la dernière période triennale a été la plus favorable pour les importations, le raffinage et l’exportation du sucre exotique.

A la vérité, M. le ministre des finances, à propos du mouvement de l’exercice de 1840, déclare qu’il ne sait comment expliquer ce fait ; mais il semblerait qu’un fait n’en subsiste pas moins quand MM. les ministres ne peuvent l’expliquer. Le fait dont il s’agit, porte d’ailleurs avec soi son explication ; c’est que, quoique le profit fût diminué, la prime demeurait suffisante.

Le commerce des sucres s’est-il ralenti en 1842 ? je l’ignore ; malheureusement ce commerce est d’une condition très précaire ; il dépend de la législation des peuples chez lesquels nous exportons, et à mesure qu’ils adopteraient un système plus protecteur, nos exportations se réduiraient, à moins que nous ne prétendions lutter contre cet obstacle par des sacrifices de plus en plus grands.

Même à ce prix nous étendrions peut-être bien moins qu’on ne pense notre commerce de sucres ; mais si nous ne l’étendons pas, Anvers, ni Gand n’en éprouveront aucun dommage. Notre navigation n’en souffrira pas. L’exportation de nos produits n’en souffrira pas. Il y aura une espérance qui ne se réalisera pas, mais point de dommage. Que si nous voulions favoriser davantage notre navigation et les exportations de nos produits, une prime directe en faveur de notre pavillon et de nos fabricats serait plus efficace qu’une prime pour l’exportation des sucres, qui n’agit sur la navigation et les exportations qu’indirectement

Avant d’adopter ce système de primes, il faudrait y bien réfléchir, car il peut nous entraîner loin ; mais au moins il protégerait toutes les industries et ne réclamerait la destruction d’aucune.

Il est donc évident à mes yeux que, s’il y a des motifs très fondés pour ne pas porter au commerce des sucres, ni à la raffinerie un coup fatal qui atteindrait deux grandes cités, il n’y a pas de motifs d’urgence pour nous imposer, en faveur de ces branches intéressantes de notre activité mercantile, de nouveaux et onéreux sacrifices. Si la Hollande a des avantages naturels, il y aurait folie à vouloir les balancer à tout prix.

C’est en partie pour cela que je ne saurais admettre le premier projet du gouvernement sans des modifications importantes. Ce projet, fort ingénieux, repose d’ailleurs sur des données très hypothétiques, surtout relativement à l’exportation du sucre indigène. M. le ministre des finances a tort de penser que ses vues ont été accueillies avec prévention. Je puis attester qu’au premier abord des industriels intelligents, qui se livrent à la fabrication du sucre indigène, ont applaudi à ces vues, parce qu’ils avaient foi dans l’exportation ; mais bientôt ils ont été détrompés par les raffineurs eux-mêmes.

Quant au second projet, l’augmentation des retenues tendant à restreindre l’exportation et par là l’importation même, ce projet est en étrange désaccord avec tout ce qu’on nous avait dit précédemment en faveur du sucre exotique. Dans cet état de choses, je ne puis comprendre pourquoi l’on préfère le système des retenues à une augmentation du rendement. Est-ce une sorte de crainte superstitieuse de toucher au rendement ? Y a-t-il là quelqu’intérêt privé en jeu ? Je l’ignore ; mais enfin, si le commerce préfère le système des retenues, je dois croire qu’il entend mieux ses intérêts que moi.

Ceci ne change rien, toutefois, au droit qu’a notre denrée indigène, tout aussi bien que le vin indigène, la houille indigène, etc., à une protection raisonnable. Cette protection devrait dans tous les cas lui être accordée, jusqu’à ce qu’il ait suffisamment perfectionné ses procédés, jusqu’à ce que la crise coloniale soit finie. Elle devrait encore lui être continuée pour la mettre à l’abri de brusques fluctuations.

Mais quand même on pousserait l’inégalité de traitement jusqu’à refuser au sucre indigène ce qu’on accorde à toutes nos industries, il faudrait que l’égalité de droits fût une vérité, par conséquent que l’impôt fût plus fort sur le sucre brut étranger, parce qu’il contient plus de matière imposable. Il faudrait qu’en s’armant contre la fraude à la fabrication, ou empêchât en même temps qu’une partie du sucre exotique échappât à l’impôt par un rendement fictif, et pour cela il faudrait un rendement extrêmement élevé, de peur qu’on ne l’éludât par le choix des qualités et des procédés.

Avec toutes ces précautions, l’égalité ne serait pas encore une vérité, car le sucre indigène serait seul soumis à l’exercice. Il n’y aurait d’égalité réelle que si l’on imposait les produits, au lieu du sucre brut, et si l’on portait l’exercice dans les raffineries.

Vous voyez que l’égalité appliquée de bonne foi serait non seulement une anomalie, une exception non motivée à notre système protecteur, mais qu’elle entraînerait des conséquences peut-être plus graves pour le sucre exotique que pour le sucre indigène.

Je n’hésite donc pas, au nom de tous les intérêts engagés dans la question, et, ce qui est plus au nom de l’équité, à me prononcer contre le projet subsidiaire du département des finances, aussi fortement que contre le premier ; mais si la chambre inclinait, dans l’intérêt du trésor ou du commerce, pour le système de la retenue portée à 4 ou même à 5/10, je proposerais alors par sous-amendement, attendu que le droit de 40 fr. sur le sucre exotique se réduira par la restitution à un droit effectif de 25 à 28 fr. tout au plus, de commencer par asseoir sur le sucre indigène un droit notablement inférieur à ce taux, sauf à l’élever graduellement à mesure que le développement de notre production le permettrait, de manière à lui conserver cependant toujours une certaine protection.

J’ose croire qu’un semblable amendement serait trop équitable pour ne pas réunir dans cette assemblée la presqu’unanimité des voix.

En résumé, malgré les avantages qu’a la Hollande, nous avons maintenu, accru même nos exportations ; si donc nous ne majorons le rendement que dans la proportion de l’impôt nouveau sur le sucre indigène, nous laissons les industries dans leur position relative, tout en alimentant le trésor, et comme notre rendement demeure encore inférieur au rendement réel, ce qui est prouvé par l’état des choses en France et en Hollande, il est clair que l’exportant n’est pas entravé par défaut de sucre cristallisé.

Une transaction sur ces bases, sauf, je le répète, à discuter les chiffres ou sur celles que je viens d’indiquer, me paraît la seule solution praticable, comme la plus désirable pour le trésor qui pourrait bien autrement n’embrasser qu’une ombre, pour le ministère qui si, comme j’aime à le croire, il s’appuie sur les intérêts nationaux, se trouverait lui-même ébranlé de la chute d’une de nos industries, pour les villes enfin dont il prend avec raison les intérêts fort à cœur.

La victoire, non pas de ces villes, mais d’un des nombreux intérêts qui s’y pressent et s’y croisent, sur la principale ressource de beaucoup de communes, serait un triste et dangereux triomphe. Comment ! s’écrierait-on, il faut que nous concourrions à tout ce qui est avantageux au commerce de ces riches cités, que nous payions pour le remboursement du péage de l’Escaut, pour les avantages commerciaux accordés par la Hollande, pour les primes pour la construction des navires, pour la libre navigation sur le canal de Terneuzen, et nous, si nous possédons une ressource, on vient nous l’arracher, et cela dans quel moment ? Quand la stagnation de plusieurs industries laisse bien des bras inoccupés.

Ah ! messieurs, ne semons pas de tels germes de discorde. N’avons-nous donc pas assez de divisions ? Il n’en est pas de plus profondes, il n’en est pas de plus funestes que celles qui naissent du sentiment intime d’injustices souffertes.

Et quelle injustice encore que celle qui passe sur des districts comme un fléau ! On suppose quelquefois, à tort peut-être, que dans certaines assemblées on n’oppose pas toujours toute la fermeté désirable à des coalitions d’intérêts qui amènent, en résultat, l’ouverture de quelque voie de communication, la construction de quelqu’édifice, mais alors du moins il y a création. Ici, on s’entendrait pour détruire, et les monuments seraient des ruines.

- La séance est levée à 4 heures.