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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 12 août 1842

(Moniteur belge n°225, du 13 août 1842)

(Présidence de M. Fallon.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn procède à l’appel nominal à midi un quart.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les sieurs Baetens, Vanvaeremberg et Cruck, miliciens de la levée de 1837 demande leur congé. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. de Renesse demande un congé jusqu’au 17 de ce mois.

- Accordé.

Projet de loi organique de l'instruction primaire

Discussion des articles

Titre premier. Dispositions générales

Article 3

M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion des articles du projet de loi sur l’enseignement primaire. Nous en sommes arrivés à l’art. 3, qui est ainsi conçu :

« Art. 3. La commune pourra être autorisée à adopter, dans la localité même, une ou plusieurs écoles privées, réunissant les conditions légales pour tenir lieu de l’école communale. »

- Cet article est adopté.

Article 4

« Art. 4. Dans les cas prévus par les articles précédents, la députation permanente du conseil provinciale, sauf recours au Roi, statue sur les demandes de dispense ou d’autorisation. »

M. le ministre de l'intérieur a proposé un paragraphe additionnel ainsi conçu :

« Il sera annuellement constaté, par les soins du gouvernement, s’il y a lieu de maintenir la dispense ou l’autorisation. »

M. Lebeau. – Il me semble, messieurs, que ce paragraphe additionnel est incomplet, car en supposant qu’il soit constaté qu’il y a lieu de retirer la dispense ou l’autorisation, comment procédera-t on ? c’est ce que M. le ministre a oublié de dire. Il y a évidemment une lacune sous ce rapport dans la disposition additionnelle proposée par M. le ministre. Je crois que, pour donner une sanction, un moyen d’exécution à cette disposition, il conviendrait de la rédiger de la manière suivante :

« Le Roi pourra, d’office, retirer la dispense ou l’autorisation. A cet effet, il sera annuellement constaté par les soins du gouvernement, s’il y a lieu de maintenir l’une ou l’autre. »

C’est ce que veut M. le ministre, mais il y a un moyen d’exécution qui n’existe pas dans son amendement.

Un membre. - Il vaudrait peut-être mieux dire le gouvernement pourra, etc.

M. Lebeau. - Soit.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable auteur de l’amendement dit avec raison que la rédaction qu’il propose n’a d’autre sens que celui de mon amendement ; mais je crains qu’on ne puisse donner un sens peut-être forcé à la réduction de l’honorable M. Lebeau. Par exemple, les expressions «Le Roi peut, d’office… »

M. Lebeau. - Retranchez le mot d’office.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je trouve que ma rédaction ne peut avoir d’autre sens que celui des explications de M. Lebeau. Il est évident que s’il est constaté par le gouvernement qu’il n’y a pas lieu de maintenir la dispense ou l’autorisation, dans ce cas la dispense ou l’autorisation vient à tomber, et que la commune rentre sous l’application du principe général de la loi, principe qui est consacré par l’art. 1er. Il est impossible de comprendre autrement le paragraphe additionnel que j’ai proposé, à moins que l’on ne suppose que ce § additionnel est un non-sens.

M. Lebeau. - Je ne tiens pas du tout à telle ou telle expression si l’on veut substituer le mot gouvernement au mot Roi, je n’y vois pas d’inconvénient, je crois même que ce serait plus administratif. Si l’on veut supprimer le mot d‘office, je ne m’y oppose pas davantage, car je crois en effet que ce mot est superflu. Mais je persiste à croire que la rédaction de M. le ministre de l’intérieur donnera lieu, dans la pratique, à des doutes assez graves sur les moyens d’exécution de la mesure qu‘il propose. Remarquez, messieurs, que c’est la députation qui prononce sur les demandes de dispense ou d’autorisation ; si donc l’on ne s’en explique pas, il sera difficile de comprendre que le Roi, qui aurait épuisé son droit, en statuant sur le recours, pourrait intervenir pour retirer la dispense ou l’autorisation. Il pourrait y avoir des conflits entre la députation, qui voudrait faire retirer la dispense ou l’autorisation, et le pouvoir central, qui serait d’un avis contraire à celui de la députation. Je crois qu’il doit faire cesser l’équivoque, et c’est là le seul but que j’ai eu en proposant ma rédaction.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je proposerai de rédiger l’art. de la manière suivante

« Il sera annuellement constaté, par les soins du gouvernement, s’il y a lieu ou non de maintenir la dispense ou l’autorisation. En cas de négative, la dispense ou l’autorisation sera retirée par arrêté royal.»

Il me semble que, de cette manière, la marche à suivre serait mieux indiquée ; cette rédaction règle d’abord ce qui concerne la constatation ; elle dit ensuite que la dispense ou l’autorisation sera retirée par un arrêté royal ; et en effet, je pense que la députation est une autorité assez élevée pour qu’il intervienne un arrêté royal lorsqu’il s’agit de rapporter un de ses actes.

- M. Lebeau déclare se rallier à la nouvelle rédaction proposée par M. le ministre de l’intérieur.

Le paragraphe additionnel avec cette rédaction est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Quelqu’un demande-t-il la parole sur le 1er paragraphe ?

M. Devaux. - Je demanderai qu’on ajoute dans ce paragraphe, après les mots : les demandes de dispense ou d’autorisation, ceux-ci : faites par la commune, Je crois que ceci est dans l’intention des auteurs du projet. On n’a pas eu l’intention de dispenser la commune malgré elle, il me paraît qu’il y aurait lieu de le dire dans l’article.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous avons supposé que la commune ayant seule intérêt à demander la dispense ou l’autorisation, était aussi compétente à cet effet. Néanmoins, si on veut être plus clair, on peut faire l’addition proposée par l’honorable M. Devaux.

- Le paragraphe avec l’amendement proposé par M. Devaux est adopté.

L’ensemble de l’article est adopté.

Article 5

M. le président. - La chambre passe la discussion de l’article 5.

Cet article est ainsi conçu :

« Art. 5. Les enfants pauvres reçoivent l’instruction gratuitement.

« La commune est tenue de la procurer à tous les enfants pauvres dont les parents en font la demande, soit dans son école communale, soit dans celle qui en tient lieu ou dans une autre école spécialement désignée à cet effet par elle, en conformité des art. 3 et 4.

« La députation permanente du conseil provincial, après avoir pris l’avis du conseil communal, et sauf recours au Roi, fixe, tous les ans, le nombre d’enfants indigents qui, dans chaque commune, doivent recevoir l’instruction gratuite, ainsi que la rétribution à payer par élève. »

La section centrale propose la rédaction suivante :

« Art. 5. Les enfants pauvres reçoivent l‘instruction gratuitement.

« Cette instruction leur est donnée, au choix des parents, dans les écoles communales ou dans les écoles libres.

« Dans ce dernier cas, la commune est tenue de payer à l’instituteur, par élève, une rétribution qui ne pourra être moindre de six francs annuellement. »

M. Pirson, a proposé par amendement de rédiger ainsi cet article :

« Les enfants pauvres reçoivent l’instruction gratuitement. Chaque année, le conseil de régence, avant l’ouverture de l’année scolaire, en dresse la liste, et d’après ses renseignement administratifs, et d’après la demande des parents.

« Les parents pauvres qui négligeraient de faire inscrire leurs enfants sur la liste, et qui ne veilleraient pas à ce qu’ils fréquentent l’école qui leur sera désignée parmi celles instituées, d’après les articles précédents, pourront être rayés des listes de distribution de secours des bureaux de bienfaisance et autres établissements publics de charité.

« Le conseil de régence fixe la rétribution qui sera due par la commune aux instituteurs des pauvres, pourvoit à la fourniture des livres et autres accessoires, et fait tous les règlements nécessaires pour l’exécution du présent article ; ces règlements seront soumis à l’approbation des députations permanentes, qui statueront également, sauf recours définitif au Roi, sur toutes réclamations qui naîtrait soit de la formation des listes des pauvres soit de la fixation de la rétribution due aux instituteurs. »

- Cet amendement est appuyé.

M. Brabant. - Messieurs, je prends la parole, pour expliquer et justifier l’amendement qui a été proposé par la section centrale à l’art. 5 actuellement en discussion. Je déclare que je suis l’auteur de cet amendement et que je l’ai proposé dès 1835, au début de l’examen du projet de loi dans la section centrale.

Cet amendement est basé sur le principe de la liberté d’enseignement, sur le principe de l’égalité des Belges devant la loi.

Je dis le principe de la liberté d’enseignement, et ici se présentent les différentes manières d’envisager la disposition de l’art. 17 de notre constitution.

La liberté d’enseignement a été décrétée au profit de l’instruction comme liberté d’industrie, comme liberté de propagation de certaines doctrines.

La liberté d’enseignement a été encore décrétée, et c’est là son sens le plus large, au profit du père de famille dont la conscience est aussi intéressée à ce que ses enfants reçoivent une instruction conforme à ses principes, qu’elle est intéressée à sa liberté de croyance, à sa liberté de pratique du culte.

La liberté d’enseignement, dans ce dernier sens, me paraît devoir être acceptée par tout le monde. Elle a toujours existé pour les riches. Sous tous les régimes, le riche a été libre de confier l’éducation et l’instruction de ses enfants à qui bon lui semblait. Jamais, si ce n’est dans les républiques de l’antiquité où l’éducation publique était forcée, il n’a existé une loi qui ait défendu à celui qui avait le moyen de payer un instituteur, de choisir qui bon lui semblait ; jamais il n’a existé de loi qui ait imposé la moindre restriction à la profession d’instituteur, ni au choix des instituteurs.

Mais cette liberté, dont l’usage est facile moyennant de l’argent, existe-t-elle pour le pauvre, pour le prolétaire ? Evidemment non, si vous contraignez le père de famille, soit à s’abstenir de donner l’instruction à son enfant, soit à la lui faire donner dans une école que sa conscience repousse.

M. Devaux. - Je demande la parole.

M. Brabant. - Cette supposition est invraisemblable. Messieurs, la discussion à laquelle nous nous sommes livrés vous a prouvé que les écoles que nous établissons déplaisent d’un côté, par ce qu’il y a de trop, et de l’autre côté, par ce qui lui manque. L’on a invoqué contre l’opinion générale du clergé belge les principes qui ont été émis par un savant et respectable prélat dans une brochure qui a eu un très grand retentissement. J’ai dit que ce n’étaient pas les principes du clergé belge ; j’avoue que ce sont au moins les principes de monseigneur l’évêque de Liége, et que pour lui, sa conscience serait froissée, s’il avait des enfants et qu’il fût obligé de les mettre dans une école qui ne fût pas dans ses idées. Cette opinion peut être partagée par un nombre plus ou moins grand de citoyens pauvres, et ces citoyens pauvres, en vertu du principe d’égalité, ont droit à toutes les prestations qui sont accordées aux autres citoyens.

On doit, aux termes de l’art. 6, enseigner dans l’école la religion, la morale, la lecture, l’écriture, etc. A l’exception de la morale et de la religion, tout le monde est d’accord sur les matières d’enseignement ; à moins que de vouloir rester ignorant, et ceux-là sont hors de cause, on doit posséder les petites connaissances qui font l’objet de l’art. 5. Mais tout le monde ne veut pas, peut du moins ne pas vouloir de la morale et de la religion imposée, dirai-je, par l’art. 6, peut ne pas vouloir surtout de l’intervention des ministres du culte.

Eh bien, messieurs, la conscience est froissée, lorsque vous me contraignez à participer quelque sorte à un acte de conscience, et cela malgré moi.

Messieurs, je dirai toute mon opinion ; je montrerai les conséquences de la loi, telles que je les vois, telles qu’il m’est impossible de croire qu’on ne puisse pas les voir : je crois qu’alors on n’aura pas de peine à tomber d’accord, ou alors je me trouverai seul de mon opinion.

Le projet, tel que l’a rédigé la section centrale, a été fait en présence de l’esprit bien connu de la généralité du pays. Nous avons eu l’intention, et je crois que nous y avons satisfait jusqu’à un certain point ; nous avons eu l’intention de faire une loi dont les dispositions loyalement exécutées donneraient apaisement à la conscience de toutes les personnes religieuses dans le pays ; une loi qui satisferait le catholique, parce que l’on veut que l’enseignement de la religion catholique soit donné dans l’école, sous la direction et la surveillance du ministre catholique, et une loi qui satisferait le protestant, parce que la morale et le dogme protestant seront enseignés dans l’école sous la direction du ministre protestant. Il en sera ainsi pour les israélites, les anglicans et les autres cultes qui pourraient exister en Belgique et qui auraient un ministre reconnu par le gouvernement.

Mais, messieurs, en présence de ce fait général, qui, dans la manière de voir de la section centrale, devait être accepté par la grande majorité du pays, on ne s’est pas dissimulé qu’il y avait des exceptions, qu’il y avait un nombre plus ou moins grand de citoyens qui se croiraient lésés, les uns par le trop, les autres par le trop peu des dispositions de la loi, et nous avons cru qu’il fallait pourvoir à ce droit, je ne dirai pas à ce droit de DISSIDENTS.

Entrons, messieurs, dans l’application de la loi qui vous est proposée ; je la traiterai à un double point de vue, au point de vue de ceux qui trouvent que nous allons trop loin, que nous sacrifions le pouvoir civil à l’autorité ecclésiastique, et au point de vue de ceux qui ne croient pas sacrifier le pouvoir ecclésiastique à la puissance civile, mais qui croient que leur conscience ne sera pas satisfaite par les dispositions du projet ou qui se défient de la loyauté qu’on mettra dans l’exécution.

Messieurs, vous avez reçu récemment une pétition du conseil communal de Liége, d’une de nos plus grandes villes. La régence de Liége se plaint de la disposition en un sens ; elle dit : « J’ai établi des écoles, elles m’ont coûté beaucoup d’argent, elles m’en coûtent encore beaucoup ; elles sont fréquentées par un très grand nombre d’élèves ; elles pourraient être fréquentées par un plus grand nombre encore. Cependant le projet de loi m’astreindra à faire les frais d’autres écoles.

« Je ne veux pas d’autre disposition, et je fermerais plutôt mes écoles que d’accepter un semblable régime ». Je n’ai pas, messieurs, la pétition sous les yeux, mais je ne crois pas en mal interpréter le contenu, en lui donnant ce sens. Du reste, si je me trompe, on voudra croire que c’est de bonne foi, et l’on pourra me rectifier.

Eh bien, messieurs, qu’arrivera-t-il, avec le projet de loi, pour la régence dont il est question ?

Il existe à Liége 4,000 élèves fréquentant les écoles communales. La commune nous a donné le chiffre des sacrifices qu’elle faisait dans l’intérêt de l’instruction publique en général, sans indiquer le chiffre spécial qu’elle consacre à l’enseignement primaire ; mais il est assez facile de faire approximativement la répartition de la somme globale entre l’une et l’autre catégorie d’enseignement. La ville de Liége n’a à pourvoir qu’au matériel de son université ; elle entretient à peu près seule, sauf un subside de 6000 fr., un collège communal ; elle fait les frais d’un certain nombre d’écoles primaires ; je crois ne pas forcer les chiffres en disant que dans les 150 mille fr. consacrés par la ville de Liége à l’enseignement, il y a 75,000 fr. pour les écoles primaires. Si l’on trouve ce chiffre exagéré, je descendrai même à 50,000 fr. le chiffre ne fait pas grand’chose au principe.

Il y a donc 4,000 enfants qui fréquentent les écoles établies par les autorités communales de Liége. J’aime à croire, vu ce chiffre considérable, que ces écoles sont fort bonnes ; je ne les connais pas ; je ne les attaquerai pas, comme je n’en ferai pas l’éloge ; mais, messieurs, à côté de ces 4,000 enfants dont on fait largement la part, il en existe 1264. Le chiffre est au moins aussi officiel que celui de 4000. Il en existe 1264 répartis dans quatre écoles composées chacune de quatre classes, ensemble seize classes. Pour celles-là la ville ne donne pas un centime. Tout se fait par souscription, sauf un subside de mille francs accordé sur le trésor public.

Si l’art. 5 de la section centrale vient à passer, la ville de Liége aura à payer 6 francs par an pour chacun de ces 1264 enfants et je crois qu’ils ne seront pas les mieux partagés sur les fonds provenant de la bourse de tous les contribuables. La ville de Liége déclare que c’est un grief que l’obligation qui serait créée par l’adoption de la disposition. Soit ; c’est un grief quand on a l’esprit de domination, l’esprit de prosélytisme, quand on veut dire : vous ne participerez aux subsides de la commune qu’autant que vous trouverez bon ce que je fais, que vous aurez confiance en ceux en qui moi j’ai confiance. Sinon, vous n’avez aucun droit vis-à-vis de moi.

Mais cette même régence de Liége déclare que les dispositions de la présente loi la froissent, qu’elle se trouverait dans la nécessité de fermer ses écoles si ces dispositions devenaient obligatoires à son égard. Je serais certainement fâché que la régence de Liége fermât ses écoles. Mais dans les dispositions que suppose sa pétition etn ajoutant une deuxième supposition, celle de l’adoption de l’art. 5 de la section centrale, la régence de Liége serait certainement contrainte de les fermer.

N’ayant pas la pétition sous les yeux, je crains d’aller trop loin mais plusieurs honorables collègues l’auront lue avec attention et mieux comprise que moi ; et si je lui donne un sens qu’elle n’a pas, je prie celui des honorables collègues qui croirait que je suis dans l’erreur, de m’interrompre immédiatement et de rectifier l’interprétation que je donnerais à la pétition. Mais l’impression que j’ai ressentie, c’est que la régence fermerait ses écoles plutôt que de se soumettre au régime du projet de loi.

Eh bien, messieurs, au moyen de la disposition de l’art 5, la régence ne fermerait pas ses écoles, c’est-à-dire qu’elle ne les fermerait pas dans ce sens que le système d’éducation adopté par elle devrait disparaître, cesser d’être rétribué par la commune ; seulement les écoles perraient leur caractère officiel ; la régence n’aurait plus la satisfaction de dire : j’ai de nombreuses et florissantes écoles relevant de moi, dont les instituteurs sont nommés par moi, dont l’administration repose tout entière dans mes mains.

Mais la régence pourrait immédiatement, avant de fermer ses écoles, dire aux enfants : Voici un instituteur qui a notre confiance et celle de vos parents, continuez à aller à l’école, l’instituteur continuera l’instruction donnée jusqu’à présent ; il ne sera pas soumis au régime de la loi, nous continuerons à le payer. Car remarquez qu’il s’est élevé un doute sur le sens de l’art. 6. M. le ministre de l'intérieur, à la séance d’hier, a déclaré que, n’y eût-il qu’un enfant pauvre qui vînt dans une école, pourvu que l’instituteur reçut 6 francs pour cet enfant, l’école cessait d’être un établissement libre et l’instituteur était astreint à exécuter les dispositions de la loi, Je ne l’entends pas ainsi. Les mots qui se trouvent dans le 2ème paragraphe semblent écarter tout doute à cet égard et repousser l’interprétation donnée par M. le ministre de l'intérieur.

« Cette instruction, y est-il dit, leur est donnée au choix des parents dans les écoles communales ou dans les écoles libres. »

Certainement notre disposition n’existerait plus si, par le fait de l’acceptation du salaire déterminé dans cette loi, l’école cessait d’être libre.

Ainsi donc, messieurs, plus d’obligations ; il y a une chose qui gêne, non pas l’enseignement, mais l’enseignement tel qu’on le veut. Je prendrai les choses telles qu’on les a posées ; on a dit : Nous voulons l’enseignement moral et religieux, mais nous ne voulons pas de l’intervention du ministre du culte. » Eh bien, le ministre du culte n’interviendra pas. Ceux qui croient que l’enseignement sera ce qui leur convient, sera orthodoxe, se passeront du ministre du culte, ils jouiront de leur pleine et entière liberté, ils ne pourront pas prétendre qu’on porte la moindre atteinte à leur liberté de conscience. Mais si cette liberté doit exister pour ceux qui trouvent qu’on accorde trop, elle doit exister pour ceux qui croient qu’on n’accorde pas assez.

On a cru, messieurs, que cette disposition serait une ruine pour les communes, que les ressources des cités les plus opulentes ne suffiraient pas à pourvoir à une dépense aussi exorbitante. Eh bien, messieurs, pour une commune donnée, je citerai encore celle dont j’ai parlé jusqu’à présent ; j’ai supposé tout à l’heure que la dépense de l’enseignement primaire devait aller de 50 à 75 mille fr. pour quatre mille enfants, et l’enseignement donné moyennant une souscription particulière et un subside de mille francs sur le trésor public ; l’enseignement donné à Liége à 1264 enfants par des instituteurs qui ne reçoivent pas un liard de la commune, coûte 10,200 francs, et vous pour quatre mille, c’est-à-dire pour un peu plus du triple, vous en êtes à 50 mille francs.

M. Fleussu. - C’est une erreur !

M. Brabant. - Je ne comprends pas alors ces déclarations que vous consacrez annuellement 150 mille fr. à l’enseignement. Votre collège communal ne coûte pas plus que l’athénée de Bruxelles. J’ai vu au budget de 1842 que cet athénée coûtait environ 57 mille fr. Soustrayez 57 mille francs de 150, il vous en restera 93 ; vous direz que vous avez une académie de peinture. Je sais que cela entraîne des frais. Mais si le conseil communal avait voulu nous éclairer tout à fait sur la situation des choses dans la ville de Liége, il aurait dit : L’enseignement primaire nous coûte tant. Du reste, cela fait peu de chose au principe.

On trouve exorbitante la somme de 6 fr. par élève. Voyons le traitement que cela fera à un instituteur, ayant le plus grand nombre d’élèves, auquel il puisse donner fructueusement ses soins. Le nombre d’écoliers dans une école est limité par l’action de la parole et par l’attention que le professeur, l’instituteur doit donner non seulement à son enseignement, mais à chacun de ses élèves, et je crois que le chiffre maximum peut être évalué à 80, 100 si vous voulez. Si le nombre est 80, il faut une commune considérable pour qu’il y ait 80 dissidents pauvres, l’instituteur aura 480 francs. Cet instituteur avec ses 480 fr. n’aura pas seulement un traitement, ce ne sera pas à titre d’honoraires qu’il les recevra, ce sera pour tous frais. Il devra se procurer un local, le meubler, le chauffer et vivre. Ainsi vous voyez que la dépense n’est pas bien grande.

Si je compare maintenant l’obligation imposée à la commune de payer six francs par enfant pauvre pour la satisfaction d’un besoin qui ne peut être méconnu, qui ne peut être négligé que dans les pays de la plus grossière barbarie ; eh bien, je dis que cette somme est de la dernière modération. Mais n’importe que cela soit modéré, on dit : nous ne le pouvons pas. Vous créez là quelque chose de nouveau, quelque chose qui n’a pas d’antécédent. Vous mettez la caisse communale à la discrétion d’un prolétaire de mauvaise foi, d’un homme qui, de gaîté de cœur, fera tous ses efforts pour ruiner la commune. Mais nous avons des antécédents d’un autre genre ; nous avons des dispositions de la loi, en vertu desquelles le premier venu, sans qu’on lui demande compte de rien, a le droit d’aller se loger dans un dépôt de mendicité et d’entraîner ainsi par son fait l’obligation pour la commune de payer son entretien, aussi longtemps qu’il y reste. Je ne sais pas quel est pour le moment le montant des dépenses d’entretien dans les dépôts de mendicité. Je crois que 32 centimes est le plus habituel. Eh bien, ce vagabond, ce fainéant (ils ne le sont pas tous, mais il y en a beaucoup) qui va se consigner au dépôt de mendicité, qui y passe ses 365 jours de l’année, oblige la commune à payer pour lui 116 fr. 80 c. par an. Cette obligation peut durer aussi longtemps qu’il le jugera convenable. Là il ne s’agit pas seulement de ses enfants ; il peut y aller avec toute sa famille, et conserver dans l’état de réclusion où il se trouve la satisfaction de toutes ses affections.

La disposition proposée sera, dit-on, la ruine des communes. Mais l’obligation, fût-elle aussi pesante, plus pesante même qu’on veut bien le dire, je dirai qu’il y aurait inconvenance à refuser de la remplir. On fait pour l’enseignement bien d’autres dépenses moins nécessaires. Ainsi les belles-lettres ne sont pas indispensables. On peut se passer de grec et de latin. Mais il serait honteux pour un pays de voir ses enfants croupir dans l’ignorance de l’alphabet. Cependant pour l’enseignement des belles-lettres, des langues anciennes, des mathématiques, de certaines notions de sciences naturelles, il est des établissements où l’on dépense par tête jusqu’à 178 fr. payés sur les ressources publiques. Ces dépenses, je ne les ai pas imaginées ; j’ai puisé ce chiffre dans le rapport de la députation provinciale de Namur de la dernière session. La somme allouée divisée par le nombre des élèves donne pour quotient 178 francs. Voilà, à très peu de choses près, la somme nécessaire pour satisfaire vis-à-vis de 30 élèves à l’obligation créée par cet article.

Cette disposition est extrêmement logique ; elle consacre certainement la liberté ; elle rétablit l’égalité, et en somme elle n’est qu’exceptionnelle. Je crois que l’explication que j’ai donnée montre quelle est la portée de l’article ; il est pour les uns comme pour les autres. Il force les communes qui jusqu’à cette heure ont été injustes à devenir justes. Il permet de se soustraire au régime du projet que nous discutons, celui qui le trouve exorbitant.

Quant à moi, je croirais le projet de loi contraire à la disposition de la constitution, si moyennant la réserve de l’art. 5, il ne sauvait les droits de tous ; et quel que fût le caractère donné aux autres dispositions dans mon sens, fît-on la loi dix fois plus catholique, j’y refuserai mon assentiment.

M. Cogels - Je commencerai par faire remarquer à l’assemblée qu’il y a une erreur dans le rapport de la section centrale. L’amendement adopté par la section centrale l’a été par 4 voix contre 3. Il est vrai qu’au premier vote l’amendement fut adopté par 4 voix contre 2. Mais comme la question était assez importante, elle fut soumise à un second vote ; au second vote, la section centrale était au complet ; il y eut 3 voix contre la proposition et 4 pour. Je faisais partie de la minorité. Je regrette beaucoup de me trouver en désaccord sur un seul point avec l’honorable auteur de l’amendement, tandis que sur les autres dispositions de la loi, il n’y a pas eu entre nous le moindre dissentiment.

L’honorable auteur de l’amendement l’appuie sur la liberté d’enseignement, sur l’égalité des Belges devant la loi. Personne n’a contesté ces principes : nous reconnaissons la liberté d’enseignement ; seulement nous n’y donnons pas la même étendue. Nous reconnaissons la liberté d’enseignement, c’est-à-dire la liberté pour tous les citoyens quelconques d’enseigner telles doctrines qu’ils jugeront convenables, pourvu qu’elles ne soient pas contraires à la loi, aux dispositions du code pénal qu’on a rappelées dans une des dernières séances. Nous reconnaissons également aux parents le droit de faire instruire leurs enfants comme ils l’entendront, mais chacun selon sa positon. Ici, quant à cette égalité des Belges que nous reconnaissons, vous comprendrez que si elle existe dans la loi, elle n’existe pas en fait. Certainement, il y a égalité devant la loi pour le pauvre comme pour le riche. Mais quoique ce soit écrit dans la constitution, il ne sera pas toujours permis au pauvre de faire tout ce que peut le riche ; car, malgré le principe de l’égalité devant la loi, chacun est obligé de se renfermer dans sa position sociale.

Voyons maintenant à quoi entraînerait l’adoption du principe de la section centrale. Voyons surtout s’il donne au pauvre ce libre choix qu’on veut lui donner entre tous les établissements.

Le riche est libre de faire donner à son enfant l’instruction qui lui convient, au prix et dans la localité qui lui conviennent. Est-ce que votre liberté va jusque-là ? non.

Supposons que, dans une commune, les établissements communaux, ou adoptés par la commune, ne conviennent pas à un pauvre. Supposons qu’à côté de ces établissements, il y ait une école qui lui convienne, mais où l’on ne veuille pas l’admettre pour 6 fr, où l’on exige 10 ou 12 fr. Le pauvre ne pourra pas y envoyer son enfant.

Supposons une commune où il n’y ait qu’une seule école, ou bien où il y ait deux écoles, toutes deux adoptées par la commune, ces écoles ne conviennent pas au pauvre. Dans la commune voisine il y en a une qui lui convient mieux, et où l’éducation se donne d’après ses principes : Aura-t-il la liberté d’y envoyer son enfant ? non. Ainsi cette liberté qu’a le riche, vous ne ferez jamais que le pauvre puisse y atteindre.

Il est bien vrai que nous devons l’instruction à l’enfant du pauvre. Mais cette obligation ne nous donne-telle pas le droit d’exercer une espèce de tutelle ; car une chose qu’on ne peut se dissimuler, c’est que généralement le prolétaire pauvre, qui a besoin de recourir au bureau de bienfaisance, est le moins apte à juger l’instruction. Eh bien, ne devons-nous pas juger pour lui ? N’est-ce pas dans son intérêt ? N’est-il pas dans l’intérêt de la société que ses enfants aient une bonne éducation ? Puisque nous avons fait ce qui dépend de nous pour assurer la bonne éducation dans les écoles communales, pourquoi le pauvre ne serait-il pas contraint d’y envoyer ses enfants ? Il a la faculté de demander que ses enfants soient dispensés de recevoir l’instruction religieuse, s’il appartient à une autre communion ; ou s’il y a dans la commune une autre école appartenant à sa communion, il peut demander que ses enfants y soient placés ! Ces observations ne s’appliquent pas seulement à l’instruction à donner à l’enfant du pauvre ; elles s’appliquent également aux aliments, aux vêtements à lui donner. Diriez-vous qu’il en a le choix ? Par le moins du monde. Vous lui donnez ce que vous croyez lui convenir. Ainsi, sous ce rapport, il se trouve également dans votre dépendance.

Maintenant, messieurs, si par la loi vous n’aviez pas accordé à la commune la faculté d’adopter plus d’un établissement, je diras qu’effectivement il faut voter la disposition proposée par la section centrale. Car alors, peut-être, il pourrait se présenter des cas où la commune elle-même ne pourrait pas satisfaire aux vouex des parents. Mais il faut toujours supposer que la commune voudra le bien de ses administrés, et puisque, d’après l’article 3 de la loi, vous lui avez donné la faculté d’adopter une ou plusieurs écoles, elle usera de cette faculté lorsqu’elle en reconnaîtra le besoin.

Il y a encore un autre motif, messieurs, car tout en différant d’opinion avec l’honorable auteur de l’amendement, je crois que ce sont les mêmes sentiments qui nous guident, que c’est le même but que nous voulons atteindre.

Obliger la commune à accorder des subsides à un établissement qui ne serait pas reconnu par elle, à un établissement qui viendrait se former à côté des établissements formés par elle, quel en serait le résultat ? ce serait d’augmenter l’hostilité de la commune contre ce même établissement : ce serait de nuire à son développement. Par là, peut-être, l’honorable M. Brabant, en voulant atteindre un but dont je reconnais toute l’utilité, le manquerait complètement.

Je ne parlerai pas, messieurs, des charges qui pourraient résulter pour la commune, de la disposition proposée par la majorité de la section centrale ; je crois qu’effectivement ces charges ne seraient pas aussi importantes qu’on a bien voulu nous le faire croire. Seulement la disposition pourrait, en certaines circonstances, faire un très grand tort aux écoles adoptées par la commune, écoles qui seront bonnes maintenant ; elle pourrait les faire tomber, et sans qu’on pût les remplacer aussi facilement lorsqu’on en éprouverait de nouveau le besoin.

Je crois, messieurs, que ces observations suffiront pour prouver que la chambre ferait mieux d’adopter la disposition à laquelle le gouvernement n’a pas voulu renoncer et qui a été appuyée par la minorité de la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Messieurs, le projet de 1834 se bornait à énoncer un principe général, sur lequel il était impossible que l’on ne fût pas d’accord de prime abord ; il se bornait à dire : « les enfants pauvres reçoivent l’instruction gratuitement. » Mais le principe posé, on devait bientôt reconnaître que l’exécution dans la pratique était de nature à soulever des difficultés. Nous avons pensé que les moyens de solution devaient être insérés dans la loi elle-même.

Nous nous sommes donc demandé où et comment cette obligation sera remplie. Nous avons pensé que c’était à la commune à désigner les établissements où l’instruction serait donnée gratuitement aux pauvres ; la majorité de la section centrale a pensé au contraire que c’était aux parents des enfants pauvres à désigner ces établissements.

Avant de nous exprimer sur le dissentiment en lui-même, je crois devoir expliquer la rédaction de l’article tel qu’il est proposé par le gouvernement. Je dirai en même temps aussi un mot de l’amendement proposé par l’honorable M. Pirson.

Il est bon de rapprocher cet article de la disposition analogue qui se trouve dans la loi française.

La loi française, article 14, § 3, se borne à dire : « Seront admis gratuitement dans l’école communale élémentaire ceux des élèves de la commune ou des communes réunies que les conseils municipaux auront désignés comme ne pouvant payer aucune rétribution. » D’après la loi française, l’enseignement à donner gratuitement aux enfants pauvres est plutôt une obligation imposée à l’instituteur qu’à la commune. Ce n’est pas tout ; c’est le conseil communal lui-même qui fixe le nombre d’enfants que l’instituteur est tenu de recevoir gratuitement. D’après l’ouvrage de M. Lorrain on a singulièrement abusé en France de cette disposition de l’article 14 de la loi du 28 juin 1833. Voici, messieurs, ce que je lis, page 63 de l’ouvrage de M. Lorrain :

« Combien de magistrats municipaux qui, ne voulant pas affronter la loi, mais moins encore l’exécuter, l’ont tournée sournoisement contre elle-même, et battue par ses propres armes ! Il faut, dites-vous, 200 fr. de minimum à l’instituteur ; nous n’irons pas au-delà, mais nous sommes trop bons citoyens pour nous refuser à cet impôt. Les 200 fr. sont votés. Et, le même jour, en vertu de la loi qui leur permet de dresser la liste des élèves indigents admis gratuitement dans l’école, on en impose cinquante à l’instituteur, ou soixante-cinq sur soixante-dix, ou cent seize. En un mot, presque tous les enfants deviennent indigents ; ou, s’il en est encore quelques-uns dont on ne peut se flatter que les familles se prêtent à ce honteux subterfuge, comme la loi confère aussi aux conseils municipaux le droit de fixer la rétribution des élèves payants, on le réduit dans une proportion considérable, par exemple, de 2 fr. à 50 c. Les 200 fr. de la commune seront bientôt rattrapés comme cela. (expression d’un des inspecteurs). »

Nous avons, messieurs, voulu nous mettre à l’abri de semblables subterfuges ; nous avons considéré l’obligation de donner l’instruction gratuitement aux enfants pauvres comme une obligation de la commune ; nous avons admis qu’il serait payé une subvention ou même une rétribution pour chaque enfant pauvre, que le nombre des enfants et la rétribution à payer seraient fixés, non par le conseil communal seul, mais par le conseil communal et la députation permanente.

L’honorable M. Pirson propose ici un changement de rédaction ; j’ignore jusqu’à quel point ce changement est nécessaire. Le sens, au fond, reste le même ; c’est toujours la députation qui fixe définitivement le nombre des enfants pauvres et la rétribution à payer, rétribution qui, selon nous, ne doit pas être uniforme pour la Belgique toute entière ; qui, selon nous, peut varier, non seulement d’après les localités, mais d’après le nombre d’enfants pauvres, d’après la rétribution même que l’on paye pour les enfants des familles aisées, enfin, d’après toutes les circonstances que l’on peut apprécier, pour une position à faire à l’instituteur.

Je le répète, j’ignore jusqu’à quel point le changement de rédaction proposé par M. Pirson, est nécessaire sous ce rapport.

Il y a une autre partie dans l’amendement de M. Pirson, c’est le paragraphe 2, qui porte que le conseil communal pourra mettre pour condition à la participation aux secours des bureau de bienfaisance et autres établissements publics de charité l’envoi des enfants à l’école. Je pense, messieurs, que cette faculté existe et qu’il est dès lors inutile de la stipuler dans la loi.

J’arrive maintenant à la question, messieurs, qui fait l’objet du désaccord entre la minorité et la majorité de la section centrale. Je ne reproduirais pas les arguments qu’a déjà fait valoir l’honorable M. Cogels, qui fait partie de la minorité. L’argument principal de la majorité est celui-ci : La liberté de l’enseignement existe ; elle doit exister ; elle doit exister pour le pauvre comme pour le riche. Nous pensons, messieurs, que c’est donner une trop grande portée au principe de la liberté de l’enseignement que de l’interpréter comme le fait la majorité de la section centrale.

La liberté de l’enseignement existe comme tous les autres droits constitutionnels, à la condition que l’on puisse jouir de cette liberté à ses frais. Quand vous ne pouvez pas exercer n’importe quel droit constitutionnel à vos frais, il est évident que vous n’êtes plus dans la plénitude de l’exercice constitutionnel de votre droit ; vous êtes alors forcé de transiger, vous faites un contrat avec la commune ; la commune vous dit : « Vous êtes pauvre ; je dois me charger de vos enfants, mais c’est à une condition, c’est qu’ils suivent l’instruction dans les établissements communaux proprement dits ou dans ceux que j’ai adoptés comme tels. » C’est là un contrat entre la commune et le chef de famille pauvre, et il est évident que nous ne sommes plus ici dans la plénitude de l’exercice d’un droit constitutionnel.

Quelque sincère que soit mon respect pour la liberté de l’enseignement, il m’est impossible de donner à ce principe la portée que semblent vouloir lui donner les membres de la majorité de la section centrale ; ainsi je ne puis admettre l’argument fondamental qui sert de base à l’opinion de ces honorables membres.

Maintenant, messieurs, voyons en fait ce qui adviendrait. Nous faisons une loi qui doit être loyalement exécutée et nous donner de bons établissements. Désormais, tous les établissements communaux quelconques, subventionnés par l’Etat, doivent être soumis à une double inspection, à une inspection ecclésiastique et à une inspection civile ; toutes les communes seront tenues de satisfaire aux obligations qui lui sont imposées relativement à l’instruction primaire ; toutes les communes y satisferont, toutes les communes se placeront sous le régime de la présente loi, et tout cela étant, vous exigerez que les enfants pauvres puissent recevoir l’instruction dans d’autres établissements que ceux que la présente loi aura constituées ! Selon moi, messieurs, ce serait jeter une espèce de défaveur sur les résultats de la loi.

Soyons donc conséquents avec nous-mêmes : la loi amènera de bons résultats, nous devons l’espérer, puisque nous faisons cette loi. Les établissements créés par cette loi seront à l’avenir soumis à une double surveillance, une surveillance ecclésiastique, uns surveillance civile ; cette double surveillance sera sérieusement exercée et présentera dès lors des garanties complètes sous le rapport scientifique et sous le rapport religieux ; et vous permettriez que par la volonté des pères de famille pauvres, volonté non motivée, il puisse être jeté une espèce de déconsidération sur les établissements créés par la loi.

Vous dites : « Les sacrifices seront moins considérables que vous ne le pensez ; ne vous en effrayez point ; vous aurez dans telle ou telle ville quelques centaines d’enfants qui recevront l’instruction gratuitement dans des établissements libres désignés par leurs parents : la grande majorité des enfants pauvres restera dans les établissements communaux actuellement existants. » Mais qui vous le dit ? qui vous garantit que tel sera le résultat de l’application de la loi ? Il est permis, messieurs, de supposer le contraire, il est permis de supposer que si maintenant dans telle ou telle grande ville du royaume les enfants pauvres fréquentent les écoles communales proprement dites, c’est parce qu’ils sont dans l’impossibilité d’être admis dans d’autres établissements, c’est parce que personne ne se présente qui veuille faire pour eux les frais nécessaires ; mais une fois qu’une subvention devra être accordée par la commune, rien ne prouve qu’il n’y ait désertion dans les établissements communaux où se trouvent maintenant la majorité des enfants pauvres de telle ou telle grande commune du pays.

Il n’est donc pas du tout impossible que l’art. 5 étant adopté dans l’une ou l’autre grande ville, la majorité ou l’unanimité des enfants pauvres ne se trouve, par la volonté des pères de famille, en dehors des établissements communaux. Voici donc, messieurs, dans quelle position l’on peut se trouver : Telle ville, qui a quatre mille enfants pauvres, sera forcée de payer, de ce chef, à raison de 6 fr. par tête, une somme de 24,000 fr., qu’elle devra mettre à la disposition des pères de famille pauvres ; elle devra en outre maintenir les établissements communaux dont nous exigeons la création par la présente loi.

Ensuite, messieurs, rien n’est plus précaire que cette situation. En 1842, les enfants pauvres recevront ainsi l’instruction dans les établissements privés désignés par les pères de famille ; il n’en sera plus ainsi l’année prochaine ; en 1843 il n’y aura plus de ces enfants pauvres que le tiers ou les deux tiers dont les parents persisteront à demander qu’ils reçoivent l’instruction dans des établissements privés, les autres vont être renvoyés, refoulés en quelque sorte vers les établissements communaux devenus peut-être incomplets, car il fait bien admettre que, dans l’intervalle, il sera permis aux communes de restreindre l’enseignement officiel, si je puis m’exprimer ainsi.

Voyez donc à quelles variations vous allez être exposé. En 1842, désertion des enfants pauvres des écoles communales ; en 1843, retour des enfants pauvres vers ces écoles ; ainsi fluctuation perpétuelle. Il faudrait dès lors que les établissements communaux pussent en quelque sorte se restreindre et d’élargir à volonté. Il n’y aura plus rien de stable dans l’enseignement officiel que vous voulez voir donner par les communes.

Ainsi, messieurs, sans m’arrêter à la question des dangers que pourrait présenter, sous le rapport politique, la proposition de la section centrale, je me bornerai à reproduire une seule considération. Avez-vous confiance ou non dans la loi que vous allez faire ? Si vous avez confiance dans cette loi vous ne devez pas douter de ses bons effets et dès lors vous devez considérer comme suffisant, tant pour les familles aisées que pour les familles pauvres, les établissements dont vous voulez, par cette loi, amener la fondation.

M. Fleussu. - Messieurs, j’étais peu disposé à prendre la parole dans cette discussion, mais les observations qui ont été présentées par l’honorable M. Brabant me forcent à rompre le silence.

Quand j’ai examiné la loi qui nous est soumise, messieurs, deux points ou plutôt deux dispositions m’ont surtout frappé ; c’est la disposition de l’art. 5, c’est la disposition de l’art. 21. Bien que je sois très grand partisan du concours du clergé dans l’enseignement primaire, je vous avoue, messieurs, que, quelques favorables que soient mes dispositions sur ce point, elles ne vont pas jusqu’à vouloir qu’en vertu de la loi le clergé puisse absorber toute l’influence de l’autorité civile et tenir à sa disposition l’instruction primaire, en accordant ou en refusant son concours ; et c’est pour ces motifs que si M. le ministre de l'intérieur n’avait pas changé la disposition de l’article 21, je n’aurais jamais pu voter en faveur de la loi. Cependant, messieurs, je viens de vous le dire, plusieurs considérations me portent à désirer que l’instruction primaire soit religieuse et morale, parce que plus il y a de liberté dans un pays, plus les bienfaits de l’instruction doivent être largement distribués, plus il doit y avoir de moralité dans le pays ; parce que la morale doit suppléer à l’insuffisance de la loi en modérant les passions. Il y a longtemps qu’un publiciste a dit que la vertu était le fondement des pays libres. Un grand orateur, qui était tout aussi libéral que qui que ce soit dans cette chambre, Mirabeau, a dit en parlant de l’instruction primaire, qu’il fallait qu’elle fût morale parce que, disait-il, la moralité du pauvre est la sauvegarde des jouissances du riche ; voilà donc assez de motifs pour que tout homme d’Etat veuille que l’instruction primaire soit religieuse et morale. Maintenant, messieurs, je dis que l’art. 5 aurait aussi rencontré mon opposition, parce que je trouve que cette disposition est entièrement subversive de la loi que vous voulez faire. On a fait valoir de très grands principes à l’appui de l’amendement de la section centrale. On a invoqué tous les grands principes de la constitution ; mais je crois que l’application qu’on a voulu en faire était fausse de tout point. On a parlé de la liberté de l’enseignement, mais la liberté de l’enseignement, c’est comme la liberté de l’industrie, c’est-à-dire, qu’on a voulu rendre impossible le monopole du gouvernement ; que pour ouvrir une école on n’a besoin ni de certificat de capacité, ni de certificat de moralité, que chacun est libre d’ouvrir une école, sans être soumis à aucune condition.

On dit : « Tous les Belges sont égaux devant la loi ; il faut que les parents pauvres, aussi bien que les parents riches, puissent choisir l’instituteur qui convient à leurs enfants. » N’oublions pas, messieurs, que l’égalité devant la loi est une abstraction. Oui, tous les Belges sont égaux devant la loi, mais la différence des fortunes fera toujours qu’il y aura entre les Belges des différences dont il résultera que les effets de la loi affecteront d’une manière différence les personnes qui sont dans des positions différentes. Par exemple, tous les Belges sont soumis à la loi sur la milice, et parce que le riche fait remplacer ses enfants, demanderez-vous que la société fournisse des remplaçants aux enfants pauvres ? Pour la liberté de la presse, demanderez-vous que l’on subventionne quiconque voudra publier ses idées ?

Vous êtes libres de placer vos enfants dans tel établissement que vous voulez mais en résulte-t-il que la commune doit vous procurer les moyens de jouir de cette liberté ? Evidemment non, la commune fait assez, elle remplit toutes ses obligations dès qu’elle met les enfants pauvres à même de recevoir l’instruction.

Je vous le demande, après toutes les précautions que l’on prend pour que l’instruction soit morale et aussi développée que possible, quelle crainte peuvent donc avoir les parents pauvres au sujet de l’éducation et de la moralité de leurs enfants ?

« Mais a-t-on dit (et l’honorable orateur auquel je réponds a été bien loin), la loi que vous faites consacre l’intervention du clergé dans l’instruction. Je suppose que moi, né dans la religion catholique, je ne veuille pas que mes enfants reçoivent l’instruction catholique (on est allé jusque-là) ; eh bien, me forcerez-vous d’obliger mes enfants à assister à l’instruction religieuse donnée dans l’école ?

Mais, messieurs, si vous croyez qu’il y a là quelque chose de contraire à la liberté de conscience, il y a un moyen tout simple, c’est de faire pour les dissidents occultes (si je puis m’exprimer ainsi) ce que vous faites pour les dissidents dont l’opinion est connue, c’est d’autoriser ces parents à ne pas obliger les enfants à assister à l’enseignement religieux qui se donne dans l’école ; voilà, messieurs, le remède à l’inconvénient que l’on signale, et ce remède est véritablement conforme à la liberté de conscience. Une disposition de cette nature avait été insérée dans la loi de 1834, et peut-être est-il à regretter de ne pas retrouver cette disposition dans le projet actuel ; de sorte que, sous ce rapport, le projet de 1834 était beaucoup plus généreux, beaucoup plus libéral que le projet auquel a travaillé l’honorable M. Brabant. Aussi, je ne serais pas étonné que, quand nous en viendrons à l’art. 6, un amendement fût proposé sous ce rapport.

L’honorable M. Brabant a dit que si son amendement n’était pas adopté, il serait disposé à voter contre la loi ; eh bien, je dis, moi, que si cet amendement était adopté, j’y verrais un grief assez fort pour m’engager à voter contre le projet.

Maintenant, messieurs, que j’ai dit ce que je pense de la loi, permettez-moi de répondre à l’honorable M. Brabant, relativement à ce qui existe dans la ville de Liége, qu’il a prise pour point de mire de toutes ses comparaisons, je ne sais à quel propos. Du reste, il a déclaré lui-même qu’il n’y avait point de malveillance dans ses observations, et il a dit plusieurs fois que, s’il y avait erreur dans ce qu’il disait, on ne devait pas mal interpréter ses paroles. Je commencerai par relever une erreur, c’est que la pétition qui nous a été adressée par la ville de Liége ne dit point, n’insinue pas même que l’on fermera les écoles si la loi est adoptée ; elle n’en dit pas un mot ; j’ai la pétition en mains, je l’ai prise sur le bureau, je l’ai lue et relue, et je n’y ai pas trouvé un mot qui puisse autoriser une semblable interprétation. La pétition présente des objections sous plusieurs rapports, il est vrai, et principalement contre l’art. 5 de la section centrale, qui donnerait aux parents pauvres la faculté d’envoyer leurs enfants à telle école qu’ils jugeraient convenable.

Elle présente à l’attention de la chambre quelques observations relativement à la morale. Il y en a qui pensent qu’il existe deux espèces de morales : la morale religieuse et la morale publique, fondée sur l’intérêt général. Je vous avoue, messieurs, que pour les enfants, pour des êtres de la classe de ceux pour lesquels on fait la loi, la morale, qui n’a d’appui que dans l’intérêt, serait dénuée de garanties suffisantes. Je suis d’avis que la morale qui trouve sa base dans la religion et dans les récompenses qu’elle promet à la vertu est de nature à jeter de bien plus profondes racines dans le cœur des jeunes gens.

Mais enfin, on prétend à Liége que le clergé devrait s’arrêter aux dogmes de la religion et abandonner la morale aux instituteurs de l’école. C’est une opinion ; je ne veux pas me charger de la défendre en tout point, et je viens même de m’expliquer.

Il y a encore un autre point et je crois que sous ce rapport les pétitionnaires sont dans l’erreur, qu’ils n’ont pas bien envisagé la loi, ils craignent qu’on ne rétablisse la censure ecclésiastique des livres. La loi, ou je me trompe, est conçue de telle manière que la censure des ministres du culte ne peut s’appliquer qu’aux livres qui servent à l’enseignement de la morale et de la religion, et que pour tous les autres livres le clergé n’a point à s’en inquiéter et n’en peut interdire la lecture. Voilà comment j’entends la loi.

M. Verhaegen. - Je demande la parole.

M. Fleussu. - Si je suis dans l’erreur, je prierai M. le ministre de vouloir bien me donner un mot d’explication ; mais, je le répète. la loi me paraît assez claire, il ne s’agit que de livres ayant trait à l’enseignement de la morale et de la religion.

Ainsi donc, messieurs, voilà les trois points sur lesquels les pétitionnaires ont appelé l‘attention de la législature ; mais, je le répète, la régence n’a pas déclaré qu’elle allait se soulever contre la loi, si la loi était adoptée, même avec les défauts que les pétitionnaires y ont signalés.

Messieurs, j’avais beaucoup d’observations à faire sur la proposition qui est l’enfant ou l’œuvre de l’honorable M. Brabant, mais les orateurs qui m’ont précédé ont rendu à cet égard ma tâche extrêmement facile.

Je demanderai à l’honorable M. Brabant comment il fera son budget communal avec la faculté qu’il laisse aux parents d’envoyer leurs enfants à telle ou telle école qu’ils jugeront leur convenir. Comme vous l’a déjà fait observer M. le ministre de l’intérieur, les communes feront déjà de très grands frais pour leurs écoles ; eh bien, dans les communes d’une forte population, ces frais pourraient se doubler avec la faculté qu’on laisserait aux parents pauvres. Et voyez l’embarras dans lequel vous vous trouveriez, si une telle disposition était admise. N’a-t-il pas été dit dans la séance d’hier que dès qu’un enfant pauvre serait admis, moyennant une subvention, dans une école qui ne serait pas école communale, cette école devrait se soumettre à toutes les obligations de la loi actuelle ? Eh bien, supposer mille enfants pauvres dans une grande ville, et supposez que ces enfant fréquentent des écoles différentes. Il faudra donc qu’on cherche dans quelle école tel entant est admis, pour qu’on puisse mettre la loi à exécution dans toutes ces différentes écoles.

En outre, comme le disait M. le ministre de l’intérieur, cette faculté serait de nature à provoquer l’ouverture de nouvelles écoles qui auraient pour but bien moins l’instruction des enfants pauvres qu’une spéculation sur les deniers de la commune ; aussi l’inspecteur aurait autant de besogne pour rechercher les écoles dans lesquelles il doit aller que pour accomplir son inspection elle-même.

Et puis, ne craignez-vous pas la fraude ? la loi que vous faites est surtout applicable aux enfants pauvres. Ne craignez-vous pas qu’une partie des 6 francs, que la commune devra payer à l’instituteur pour chaque enfant pauvre, ne retourne aux parents qui s’entendraient avec l’instituteur ?

Messieurs. je voterai contre cette disposition, et, si elle est adoptée, je voterai contre la loi.

J’allais oublier de traiter le point pour lequel j’ai demandé la parole.

Messieurs on vous a dit que l’instruction communale primaire dans la ville de Liége coûtait 50,000 francs ; il fallait ce calcul exagéré pour rendre presque insensible la somme de 10,000 fr. pour les élèves allant aux écoles libres. Il est bon, messieurs, de vous faire voir comment et sur combien d’établissements sont répartis approximativement les 150,000 francs dont le conseil communal de Liége parle dans sa pétition.

Il y a d’abord 8 écoles communales, dont quatre pour les garçons et quatre pour les filles. Dans chaque école de garçon, il y a un instituteur en chef qui recevait autrefois, si je ne me trompe, un traitement de 1,400 à 1,500 fr. et qui touche aujourd’hui 1,800 fr. Il est secondé par un sous-maître au traitement de 800 fr., et par deux surveillants qui ont chacun 500 fr. ; les quatre écoles communales de garçons coûtent donc à la ville encore 15,000 francs ; doublez cette somme, à raison des quatre écoles de filles, qui cependant ne coûtent pas aussi cher, vous aurez une somme de 30,000 francs pour les dépenses annuelles des 8 écoles communales de la ville de Liége. Je ne vous présente qu’un chiffre approximatif ; mais à moins que mes souvenirs ne me fassent défaut, il doit être très proche du chiffre officiel.

Maintenant, outre ces écoles communales, nous avons à Liége 5 écoles gardiennes, une école du soir pour les filles qui travaillent pendant le jour ; une école industrielle préparatoire et un collège. Indépendamment de ces établissements, Liége compte encore un conservatoire de musique et une académie de peinture ; il a ensuite l’université dont la ville, aux termes de la loi sur l’enseignement supérieur, doit supporter les frais, quant à la construction et à l’entretien des locaux. Voilà les différents services auxquels la ville de Liége fait face au moyen de 150,000 francs.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Messieurs, je prendrai la parole un moment pour rencontrer l’une des observations faites par l’honorable M. Fleussu, quoique l’article auquel elle se rapporte ne soit pas encore en discussion. Je crois utile de signaler avec lui dès aujourd’hui la difficulté qu’elle soulève ; nous pourrons tous y réfléchir, nous verrons comment il est possible de la résoudre ; car je suis convaincu que tous les membres de la chambre cherchent une solution loyale de toutes les questions épineuses que présente une loi aussi importante.

Les livres destinés directement à l’enseignement religieux et moral doivent être soumis à l’approbation de l’inspecteur ecclésiastique ; nous sommes tous d’accord sur ce point. Les livres qui n’ont pas cette destination spéciale, le seront-ils également ? Nous voici arrivés à la difficulté qui se présente :

Prenons les livres d’histoire.

Est-ce que l’inspecteur ecclésiastique, dans une école israélite, n’aura pas le droit de s’enquérir des livres d’histoire ? car enfin l’histoire n’est pas pour les israélites ce qu’elles est pour nous qui croyons à la révélation, qui croyons que le Messie que les juifs attendent encore, est déjà arrivé… (Interruption.)

On me dit qu’il s’agit nécessairement à l’enseignement religieux.

Une voix. - Pourquoi anticiper ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On m’avait interpellé, je réponds ; si je gardais le silence, on aurait peut-être dit que j’étais embarrassé ; la question est posée maintenant, nous y réfléchirons tous ; il n’y a pas de mal à mettre par anticipation quelques questions en relief, chacun de nous est mis en demeure.

Je suppose maintenant un établissement protestant, et ici ma supposition est moins hasardée ; il y aura plusieurs établissements protestants. Le pasteur n’aura-t-il pas le droit de s’enquérir de la manière dont on présente la réforme dans le livre d’histoire ? Car évidemment le livre d’histoire à l’usage des enfants dans une école protestante ne peut pas être le même que celui dont nous devons nous servir dans une école catholique.

Nous devons en dire maintenant autant de l’école catholique. Pourrait-on mettre entre les mains des enfants, dans les écoles catholiques, le livre d’histoire élémentaire rédigé pour l’école israélite, rédigé pour l’école protestante ?

Vous voyez, messieurs, qu’il se présente ici une difficulté très grave. Nous sommes d’accord sur ce point, que c’est l’inspecteur ecclésiastique qui doit approuver les livres destinés spécialement à l’enseignement moral et religieux. Mais aura-t-il le même droit par rapport aux livres d’histoire pour les écoles normales, aux livres de lecture pour les écoles primaires, en ce qui concerne les faits que je viens d’indiquer ? Faut-il lui donner le même droit ? ou faut-il créer un droit nouveau qui consisterait dans une action moins directe, dans une espèce de veto ? C’est une question à examiner ultérieurement ; je la pose maintenant ici ; il faut qu’elle reçoive une solution dans la loi qui, sans cela, renfermerait évidemment une lacune ; il pourrait y avoir contradiction entre l’établissement religieux et la manière dont on présenterait dans un livre d’histoire, dans les livres de lecture, les faits relatifs à la religion même.

M. Van Hoobrouck. - Ayant partagé l’avis de la minorité de la section centrale, j’attendrai, pour prendre la parole, que des membres qui sont de l’opinion de la majorité de la section se soient fait entendre.

M. Desmet. - Je demande la parole,

M. le président. - La parole est à M. Pirson.

M. Pirson. - Messieurs, je suis tout à fait dans les mêmes principes que M. le ministre de l'intérieur. M. le ministre a dit, à propos de ma proposition, que le conseil communal pouvait être autorisé à refuser les distributions de secours aux parents pauvres qui n’enverraient pas leurs enfants aux écoles ; il a ajouté que cette obligation ne devait pas être insérée dans la loi, qu’elle existait de fait. Cela me suffit, puisque cela se fait et pourra encore se faire à Dinant. Eh bien, le ministre n’y trouvera pas à redire, il laissera subsister les choses. Alors, je supprimerai ce paragraphe de mon amendement.

Maintenant j’en viens non pas à des principes mais à un fait de rédaction. M. le ministre, dans sa rédaction, dit que c’est la députation qui formera la liste des pauvres auxquels on devra donner l’instruction gratuitement, sur les renseignements qu’elle demandera aux régences, et que ce sera encore la députation qui fixera la rétribution. Eh bien, je propose, moi, que ce soit le conseil communal qui ait l’initiative, qui fasse la liste des enfants pauvres et fixe la rétribution, qu’ensuite il envoie ses propositions à l’approbation de la députation, sauf recours au Roi en cas de contestation. Voici pourquoi je propose cette modification. Il est naturel de penser que c’est le conseil communal qui connaîtra ses pauvres et à peu près la somme nécessaire à donner à l’instituteur à titre d’indemnité, d’après le nombre de pauvres qu’on lui enverrait, c’est encore la commune qui sera plus à même de faire les règlements nécessaires pour l’exécution de cet article, sauf à envoyer le tout à l’approbation de la députation.

Si vous chargez la députation de faire d’abord la liste et de fixer la rétribution, elle ne peut rien faire sans que la commune lui donne des indications et lui dise : nous pouvons pourvoir à l’instruction des pauvres par tel ou tel moyen. Il n’est pas nécessaire de fixer combien on donnera pour chaque pauvre, car on peut s’entendre avec l’instituteur et lui donner deux ou trois cents francs pour recevoir les enfants pauvres dont il connaîtra le nombre par la liste qu’on lui présentera. Tout cela peut se faire par le conseil communal, sauf approbation de la députation et sauf recours au Roi en cas de dissentiment.

C’est là, selon moi, la véritable manière hiérarchique de procéder. Quant aux principes, ils sont les mêmes.

M. de La Coste. - Je n’ai pas assisté aux délibérations des sections sur la matière très importante qui nous occupe ; je n’ai pas pris part aux délibérations de la section centrale : on ne s’étonnera donc point que j’aie quelque peine à fixer mon opinion sur les questions que nous avons successivement à résoudre ; et si l’on ne devait aborder cette tribune qu’afin d‘éclairer les autres, je garderais le silence. Mais je demanderai la permission de vous soumettre quelques observations, dans l’espoir d’être éclairé moi-même par les réponses qu’elles provoqueront.

(Erratum Moniteur n°226 du 14 août 1842:) Il m’a semblé apercevoir, dans les principes développés par M. Brabant, plus d’un point de rapprochement avec ceux que j’ai eu l’honneur d’exposer à la chambre dans une précédente séance. J’y ai remarqué aussi des vues qui me semblent de nature à fixer l’attention de M. le ministre de l'intérieur, mais qui peut-être se rapporteront plutôt à l’art. 21. Il s’agit de cette grave question : Qu’arrivera-t-il si une commune dit : Je ne veux pas me conformer à votre loi ?

On l’a déjà fait observer, il n’est guère possible de répondre : Nous retirons tout subside, toute allocation même sur les fonds communaux ; il n’est guère possible d’expulser ainsi forcément tous les enfants de l’école. Eh bien ! la proposition de M. Brabant donne une solution qui se rapproche de celle que j’avais indiquée. On laisserait provisoirement la commune entretenir son école ; mais comme celle-ci ne répondrait pas au vœu de la loi, ne serait plus une école légale, les pères de familles aux scrupules religieux desquels il ne serait pas satisfait, auraient droit d’attendre que des écoles primaires, propres à satisfaire, participassent aux secours communaux dans une égale et juste proportion. Dans ce cas donc, je serais assez d’accord avec l’honorable M. Brabant ; ce serait là un complément de l’article 21, qu’il faudra au surplus mûrement examiner.

Mais quand, au contraire, la commune déclare se conformer, et se conforme en effet à toutes les dispositions de la loi, la question se présente à moi sous une autre face, non que je désapprouve les sentiments qui ont guidé la section centrale, mais parce que sa proposition ne me semble pas en harmonie avec l’ensemble de la loi.

Ce ne sont point, je prie l’honorable membre de le croire, les attaques dont cette proposition a été l’objet au-dehors, ce sont les objections qui, lorsque je l’ai soigneusement étudiée se sont offertes à mon esprit, qu m’ont obligé de la signaler comme un des points sur lesquels j’ai des doutes. Voici quelques-unes de ces objections que je me suis posées à moi-même :

Supposons une commune où il n’existe aucune école privée bien organisée. Vous obligez la commune à établir une école, vous la forcez de bâtir une maison d’école, vous l’obligez à donner un traitement à l’instituteur. Dans le calcul de ces dépenses entrent nécessairement les pauvres auxquels il faut fournir l’instruction. Quand tous ces frais seront faits, il dépendra des parents pauvres de dire : Ce n’est pas assez ! outre vos frais de construction et le traitement de 200 francs et plus que vous payez à l’instituteur, vous avez encore à nous donner 6 fr. par tête pour aller à une mauvaise école que nous préférons. Voilà une chose grave.

Voici encore ce qui arrivera dans des écoles privées d’un autre genre ; cela est arrivé plus d’une fois. Je suppose une école assez considérable pour être dirigée par un maître et un aide. Le sous-maître capte l’amitié des élèves pauvres, fait scission et emmène une petite colonie pour laquelle la commune doit lui payer 6 fr. par tête.

Il y a encore un autre danger qui se présente dans les grandes villes. Nous avons vu dans une de celles-ci des sectes étrangères à la religion du plus grand nombre des habitants, établir une école et y attirer les enfants des pauvres par de petits cadeaux, par différentes amorces. Voudriez-vous que la ville fût forcée de salarier cet œuvre de prosélytisme à raison de six francs par tête ?

Mais de plus, vous établissez, selon moi, un privilège en faveur du pauvre. Je veux bien de l’égalité, mais je ne veux pas de privilège.

Le point qui sépare le pauvre de l’homme du peuple qui n’est pas pauvre, est un point géométrique. L’homme du peuple un peu au-dessus du besoin de secours de la bienfaisance publique, qui gagne son pain à la sueur de son front, contribue par chaque goutte de bière qu’il boit, par le peu de viande qu’il mange, à la dépense communale, et par là, à l’entretien de l’école communale. Si cette école ne lui convient pas mieux qu’au pauvre, il devrait, d’après votre système, à bien plus forte raison pouvoir envoyer son fils à l’école qui lui plaît le mieux. Mais il n’est pas sur la liste des pauvres, vous ne pouvez pas l’appeler un pauvre, ou vous tombez dans l’arbitraire.

Du reste, et je crois M. Brabant d’accord avec moi sur ce point, plus je suis la discussion, plus je crois apercevoir que le principal mérite du projet en discussion, sous le rapport administratif, est l’établissement de l’inspection qui même, par la douceur et la persuasion, s’étendra petit à petit sur les écoles libres. Or, il me semble que votre proposition a une tendance contraire à l’extension de l’inspection, puisque ces écoles auxquelles vous accorderez les subsides indirects, vous les soustrayez à cette salutaire influence.

Vous établissez des principes justes en théorie, selon moi, sous plusieurs rapports. Je les admettrais dans le cas où l’école ne répondrait pas aux vœux de la loi. Je les admettrais aussi, si nous ne voulions pas d’écoles publiques, système qui a été mis en avant, je crois même dans cette enceinte. On a dit : Laissez établir des écoles et accordez-leur des subsides suivants la population qu’elles renferment. Dans ce cas, le principe de M. Brabant serait applicable, et l’article 5 serait toute la loi.

Disons vrai : Le but réel de la proposition de M. Brabant, je suis loin de l’en blâmer, c’est de remédier à un esprit trop exclusif qui règne dans certaines villes. Cela rentre complètement dans mes idées. Je pense que si une partie de la population se porte vers les écoles dirigées par les frères, et une autre vers les écoles dirigées d’une manière moins ecclésiastique, il est d’une sage administration de venir au secours des unes et des autres ; un corps administratif, en effet, ne doit pas se considérer comme un entrepreneur d’instruction, mais il doit ambitionner de la propager, et avoir un juste égard aux vœux, aux mœurs, aux besoins des habitants. Il n’y a de bon gouvernement, de bonne administration que celui, que celle qui agit dans ce sens-là.

Un honorable député le Bruges dit que, sur sa proposition, on avait accordé dans cette ville un subside aux frères des écoles chrétiennes. Je voudrais que dans chaque conseil communal il y eût un homme, je ne dirai pas assez sage pour adopter ce système, car je crois qu’il y en aura toujours plusieurs, mais assez influent pour le faire adopter. Je crois qu’alors l’honorable M. Brabant serait parfaitement satisfait. Je désire vivement qu’il obtienne cette satisfaction. Mais je me demande s’il ne serait pas préférable que le but fût atteint, comme je viens de le dire, par la persuasion. Ne ressortira-t-il pas de toute cette discussion que c’est une chose juste et raisonnable, à laquelle personne ici ne s’oppose ? Les administrations municipales et provinciales ne finiront-elles point par se rallier partout à cette idée. M. le ministre de l’intérieur ne pourrait-il pas employer, non pas son autorité, mais son influence dans ce sens ?

Quant à moi, je n’ai jamais eu l’occasion d’examiner de très près ces écoles de prêtres frères, mais j’en ai entendu dire le plus grand bien. J’étais au conseil d’Etat à l’époque de leur suppression, et je crois me rappeler que M. Van Toers et moi nous avons été leurs principaux défenseurs. Malheureusement une circonstance qu’il est inutile d’expliquer ici rendit nos efforts impuissants.

Il est douloureux de le dire, mais dans nos grandes villes une partie de la population manque, à un degré inconcevable, de notions morales. Un homme fort distingué a conçu un système qui s’est réalisé en partie, mais non dans les proportions qu’il avait en vue, c’était de transporter cette lie de la population des grandes villes dans les bruyères pour fertiliser celles-ci. A l’appui de son plan il avait recueilli des faits constatés même juridiquement, qui témoignent, je ne dirai pas de la dépravation de cette classe malheureuse, mais plutôt d’une ignorance complète, parmi elle, des lois morales les plus généralement admises.

Si les personnes même qui n’attachent pas aux idées religieuses toute l’importance qu’elles méritent, ne sont nullement blessées lorsqu’elles voient une sœur de charité donner des secours aux malades, on ne devrait pas l’être davantage de voir les frères des écoles chrétiennes prodiguer leurs soins à la cure de si tristes infirmités morales. Je crois qu’il serait d’une bonne administration de les encourager ; mais, encore une fois, je pense que le but serait plutôt atteint par la persuasion que par la disposition proposée par l’honorable M. Brabant.

Du reste, comme je l’ai dit, je cherche plutôt à m’éclairer qu’à exprimer une opinion tranchée ; car elle n’est pas arrêtée définitivement ; et si je devais voter dans l’instant, je m’abstiendrais.

M. Verhaegen. - M. le ministre de l’intérieur, au commencement de la séance, a eu l’air de faire une concession à notre opinion en rejetant l’amendement proposé par la section centrale à l’art. 5, et en s éloignant de ce que nous avons le droit d’appeler des opinions exagérées. Mais bientôt il a cherché à se réconcilier avec ces opinions, en proposant sous la forme d’un doute la censure ecclésiastique de tous les livres employés dans les écoles primaires.

Comme il faut bien, en définitive, savoir à quoi s’en tenir et ne pas être dupe dé prétendues concessions, je veux dire à cet égard toute ma pensée. Je me propose de présenter quelques observations sur ce qui concerne cette censure ecclésiastique, mais avant tout je veux répondre aux observations de l’honorable M. Brabant sur l’amendement dont il se dit l’auteur.

L’honorable M. Brabant a examiné la question sous le rapport du droit, et sous le rapport des convenances, c’est-à-dire sous le rapport de la tranquillité des consciences. C’est aussi sous ce double rapport que je répondrai à cet honorable membre.

La constitution, dans son art. 17, a dit l’honorable M. Brabant consacre la liberté de l’enseignement. Et c’est cette liberté d’enseignement qui veut que les pauvres puissent avoir le choix de leur école. Il est entré dans beaucoup de développements, qui se résument tous, quant au droit, dans cette idée principale. Il y a quelque chose de bien remarquable dans cette discussion, c’est que la liberté d’enseignement y a toujours été invoquée pour absorber toute l’instruction au profit d’une seule opinion. Ainsi, quand nous discutions les art. 1, 2 et 3, c était la liberté d’enseignement qu’on invoquait. Lorsqu’après avoir établi dans l’article 1er qu’il y aurait dans chaque commune du royaume au moins une école primaire, on demandait par les art. 2 et 3 que les communes pussent être dispensées de l’obligation d’établir elles-mêmes une école et être autorisées à adopter, dans la localité même, une ou plusieurs écoles privées pour tenir lieu de l’école communale.

Ce que d’autres appelaient une liberté était, d’après moi, un monopole, un privilège. Il y a, je suppose, dans une commune deux écoles libres : l’un appartenant au clergé, l’autre appartenant à l’opinion libérale. La commune donnera son baptême à une de ces écoles, et en le faisant elle créera un véritable privilège. Elle éloigne la concurrence, et c’est au nom de la liberté d’enseignement ! J’ai eu l’occasion de faire à cet égard mes observations. Je ne reviendrai pas sur ce point.

Ici, sur l’amendement à l’art. 5, c’est encore la liberté d’enseignement qu’on invoque. Mais on se trompe évidemment sur la portée de l’art. 17 de la constitution. A en croire l’honorable M. Brabant, il semblerait que l’obligation d’instruire les enfants pauvres soit écrite dans la loi fondamentale. Mais il n’en est rien : pour moi, je ne vois dans l’art. 17 qu’une seule obligation, c’est celle qui résulte de son deuxième paragraphe : « L’instruction publique donnée aux frais de l’Etat est également réglée par la loi. » Mais je voudrais bien que l’on me dît dans quel article de la constitution se trouve l’obligation sur laquelle s’appuie M. Brabant ? Elle n’existe nulle part.

L’Etat, d’après moi, doit organiser à ses frais une instruction publique comme le veut la disposition du 2ème § de l’art. 17, et s’il y a une espèce d’obligation de donner l’instruction aux enfants pauvres, elle n’existe certes qu’en vertu de cette disposition. Je prierai donc de nouveau l’honorable M. Brabant de me dire dans quelle disposition de la constitution il a trouvé qu’il faut donner aux enfants pauvres le choix des écoles.

M. Brabant. - Dans l’art. 4 de la constitution.

M. Verhaegen. - Oh ! on vous a suffisamment répondu à cet égard. Vous dites que les Belges sont égaux, et vous voulez pour cela qu’un enfant pauvre ait comme le riche le choix de toutes les écoles. Alors, puisque les personnes riches envoient leurs enfants faire leurs études à l’étranger, à Paris, par exemple, il faudrait mettre les personnes pauvres à même d’en faire autant. En poussant votre argumentation un peu plus loin, vous arrivez jusque-là. Au reste, ce n’était pas là votre principal argument : c’était celui de la liberté d’enseignement que vous caressiez surtout mais comme vous voyez qu’il vous échappe, vous vous rejetez sur l’art. 4.

Sous le rapport des convenances, de la tranquillité de conscience, abstraction faite de tout droit, vous pensez que la liberté de conscience pourrait être froissée si le choix des écoles n’était pas laissé aux parents des enfants pauvres.

Mais voyez où conduit votre système. Vous nous avez accusés, dans la discussion générale, d’être en état continuel de suspicion contre le clergé et je vous avouerai franchement que cette suspicion, d’ailleurs très légitime, existe, parce que les exigences vont toujours croissant, et que de concessions en concessions on arrive à absorber toute l’instruction.

Cette suspicion, je le dis naïvement, existe chez moi. Mais vous qui m’accusez, vous êtes dans un état continuel de suspicion contre l’Etat et contre les communes. Quoi ! vous allez voter une loi dans laquelle vous prenez toutes les précautions possibles dans l’intérêt de votre opinion, vous ôtez à l’administration communale et à l’Etat tous leurs droits, toutes leurs prérogatives ; en un mot, vous absorbez complètement le pouvoir civil sous le prétexte de tranquilliser les consciences, et vous n’êtes pas encore satisfaits ! ! Il faut bien l’avouer, il y a là cette-arrière-pensée que je redoutais lors de la discussion générale, et la manière dont vient de s’expliquer l’honorable M. Brabant ne me laisse plus l’ombre d’un doute à cet égard.

J’ai dit que, d’après l’amendement de la section centrale, les membres du clergé qui auraient des écoles dans une commune en même temps qu’ils ont le contrôle exclusif des écoles communales, auraient les moyens de faire tomber ces dernières et de faire fleurir leurs établissements. J’ai manifesté cette crainte. ; et on m’a répondu que c’était encore une fois un soupçon injuste ; on a dit que le clergé donnerait franchement les mains à la loi que nous allions voter, que si le gouvernement était obligé de convenir, que dans l’état de notre législation, il n’avait aucun moyen coercitif contre le clergé, il fallait attendre de la bonne volonté et de la bonne foi de chacun de ses membres l’exécution franche de la loi. Quand j’ai parlé des exigences de l’évêque de Liége, on a dit que ces exigences n’étaient pas les exigences du clergé, que l’opinion d’un évêque ne faisait pas l’opinion de l’épiscopat belge, on a crié à l’exagération ! Mais ne voilà-t-il pas que l’honorable M. Brabant nous parle justement de l’évêque de Liége ; ne vient-il pas de nous dire, qu’il serait extraordinaire « que d’après les principes connus de l’évêque de Liége, ce prélat, s’il avait des enfants, ne voulût pas les envoyer aux écoles communales, qu’il ne serait pas dans le cas d’approuver. »

J’emploie littéralement la phrase de M. Brabant.

M. Brabant. - Vous ne devez pas vous efforcer de lui donner un sens ridicule.

M. Verhaegen. - Soit, je laisse la phrase de côté mais au moins ce qui résulte de vos observations, c’est que l’évêque de Liége, à en juger par ses exigences, n’aurait pas assez de confiance dans la loi que nous allons voter pour y donner la main

M. Brabant. - Eh bien, je suppose, moi, que je sois l’auteur de la brochure.

M. Verhaegen. - Je ne puis pas trouver mauvais que l’honorable M. Brabant partage les opinions de l’évêque ; je respecte toutes les opinions, mais aussi qu’on me permette de développer les miennes.

L’honorable M. Brabant est de l’opinion de l’évêque de Liége ; aussi, comme ce prélat, pourrait bien ne pas donner les mains à la loi, parce qu’elle ne lui donnerait pas assez de garantie, ne lui inspirerait pas assez de confiance. Mais n’est-ce pas là confirmer les craintes que j’avais manifestées dans la discussion générale ; n’est-ce pas, après avoir jeté les hauts cris, avouer que j’avais raison ? Oui, messieurs, quelque garantie que vous donniez au clergé par la loi que vous allez voter , il arrivera toujours qu’une partie de ce clergé n’en voudra pas ; il y aura des diocèses, ou au moins un diocèse où la loi ne sera pas exécutée. Et c’est pour mettre a l’aise ceux-là qui trouvent que la loi n’est pas encore assez bonne, que l’honorable M. Brabant exige la disposition qu’il défend.

On ne me reprochera pas d’avoir, cette fois, fait des suppositions gratuites ; je n’ai fait que prendre exactement les paroles de l’honorable orateur auquel je réponds ; si nous avons suspecté le clergé, vous suspectez vous, les administrations communales.

M. Brabant. - Oui, certainement.

M. Verhaegen. - Vous suspectez les communes, l’Etat et même la législature ; vous suspectez vos collègues de la section centrale et la majorité de la chambre qui va se prononcer. Quant on fait une loi, il faut au moins avoir confiance dans ceux qui la font. La loi vous satisfait-elle, oui ou non ? Vous en voulez bien, paraît-il, pour opprimer l’opinion libérale, mais vous vous réservez de vous y soustraire quand vous le trouverez bon.

Quand on prêche le mode de conciliation, on devrait se montrer moins exigeant, moins exclusif.

Nous nous occupons de questions vitales, et il se pourrait bien qu’on n’en appréciât pas la portée. J’engage mes amis à y donner toute leur attention ; quant à moi, je ne veux pas être dupe, et c’est pour cela que je dis toute ma pensée ; car je crois, messieurs, que la part qu’on a faite au clergé est grande, très grande, beaucoup trop grande.

On a prétendu que mes sentiments n’étaient pas aussi religieux, aussi moraux que ceux de mes honorables collègues. J’ai dit, messieurs, que je considérais l’instruction religieuse comme utile, très utile ; mais non comme une nécessite dans le sens de la loi ; c’est-à-dire que je lui refuse le caractère d’un droit et surtout d’un droit absolu.

Vous comprenez fort bien que, dans mon opinion, je dois considérer la loi que nous discutons comme exorbitante, puisqu’elle permet au clergé d’effacer le pouvoir civil ; en effet, on donne aux ministres du culte l’entrée de toutes les écoles, on lui donne le droit de contrôle et de contrôle absolu sur l‘enseignement du gouvernement, tandis que le gouvernement n’a aucun droit sur l’enseignement du clergé. Seulement (et c’est une grande concession qu’on a eu l’air de me faire, et dont je suis bien loin de me contenter), si le clergé s’abstient sans raison, c’est-à-dire s’il refuse sou concours sans alléguer de motif, ce qui pourra peut-être arriver dans le diocèse de Liège, le gouvernent ne pourra prendre des renseignements, et si, d’après ces renseignements, il reconnaît que le clergé n’a pas de motifs de s’abstenir, il pourra continuer le subside. Savez-vous, messieurs, quel sera le résultat de cette concession, si l’opinion de l’honorable M. Brabant vient à prévaloir ? C’est que le clergé même dans ce cas absorbera l’instruction, alors cependant que le gouvernement, en maintenant son subside, aura voulu conserver l’école.

En effet, je suppose une commune où il y ait une école du clergé et une école communale ; le clergé ne veut pas donner à cette dernière école son concours, et ce sans motif. M. le ministre de l'intérieur fait prendre des renseignements, il trouve que le clergé a tort de s’abstenir, il continue le subside. Mais le curé, dans cette commune, tuera l’école communale, parce qu’il aura plus d’un moyen pour engager les pauvres à envoyer leurs enfants à son école privée et fera tomber ainsi l’école communale, par les fonds mêmes de la commune.

Mais, dit l’honorable M. Brabant, moi je veux satisfaire non pas seulement l’opinion à laquelle j’appartiens, mais toutes les opinions ; ainsi l’opinion libérale, qui pourrait être froissée, sera tout autant satisfaite que l’opinion catholique.

Examinons, messieurs, et, qui peut arriver pour l’une ou pour l’autre opinion. Pour l’opinion catholique il n’y a certes rien à craindre.

M. Brabant. - Nous n’avons rien.

M. Verhaegen. - Quoi, vous n’avez rien ! mais vous avez tout. Je ne sais pas en vérité ce que vous voudriez de plus. Vous n’avez rien, dites-vous ; mais votre ami, M. Dechamps, qui doit considérer l’œuvre qu’il a présentée comme une œuvre complète et satisfaisante, doit condamner votre assertion.

Vous n’avez rien ! mais je vous l’ai dit, il n’y a qu’un instant, tout ce que vous avez vous avez ; vous avez d’abord un veto, au moyen duquel vous tuez les écoles ; vous avez ensuite des moyens d’action directs et surtout cent petits moyens indirects pour les faire tomber.

En ce qui concerne l’opinion libérale, elle ne veut pas de votre sollicitude : vous dites qu’il pourrait arriver qu’un père de famille, professant extérieurement la religion catholique, ne voulût pas de l’instruction religieuse donnée dans une école communale, et vous ajoutez qu’il ne faut pas le forcer. C’est un pauvre, dites-vous qui n’a pas les moyens de satisfaire à l’instruction de ses enfants, il faut lui laisser le choix.

Déjà mon honorable collègue et ami, M. Fleussu, a répondu à cette observation. Il vous a dit que puisque vous vouliez laisser liberté entière à tout le monde, puisque vous ne vouliez pas forcer les consciences, il y avait un moyen d’atteindre ce but, celui de faire un amendement et de dire que le père de famille pourrait énoncer le vœu que son enfant suive ou non l’instruction religieuse.

D’après la loi française, que l’on n’a cessé d’invoquer dans cette discussion, le vœu des pères de famille est toujours consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l’instruction religieuse ; c’était aussi ce que disait le projet de 1834. Le projet actuel ne dit plus cela ; l’art. 6 porte : Les enfants dont les parents n’appartiennent pas à la communion religieuse en majorité dans la commune seront dispensés d’assister à cet enseignement.

D’après le projet actuel, pour que les enfant soient dispensés d’assister à l’enseignement de la religion catholique, il faut que leurs parents soient publiquement connus comme professant un autre culte. C’est ainsi que l’on entend la disposition fiscale de l’art. 6, et c’est sans doute pour atteindre ce but que l’on n’a pas voulu adopter la disposition du projet de 1834, non plus que la disposition de la loi française. Mais cela me semble tant soit peu contradictoire avec cette prétendue sollicitude de l’honorable M. Brabant, qui veut laisser tout le monde libre. Il veut l’amendement proposé à l’art. 5 précisément pour qu’un père de famille professant ostensiblement le culte catholique, mais ayant d’autres opinions dans le for intérieur, puisse soustraire ses enfants à l’enseignement religieux donné dans l’école. M. Brabant veut l’amendement à l’art. 5 pour qu’un père, catholique ou non, puisse dire à l’instituteur ou à l’autorité communale : « Je ne veux pas, pour des raisons que je ne dois pas vous faire connaître, que mon fils suive l’instruction religieuse donnée dans votre école. » Mais si tel est réellement votre but, M. Brabant, substituez donc la disposition du projet de 1834 et de la loi française à la disposition finale de l’art. 6 du projet actuel. Vous vous montrez généreux sous ce rapport ; eh bien, si vous l’êtes sincèrement, adoptez le moyen que je vous indique et qui vous a également été indiqué par l’honorable M. Fleussu.

(M. Verhaegen) Il me reste une dernière observation à faire, et quoiqu’elle soit relative à l’art. 7, je la ferai dès à présent, parce que la question a été soulevée par un honorable préopinant et que M. le ministre de l'intérieur nous a fait connaître son opinion à cet égard.

Il y a un moyen, messieurs, de faire passer une opinion sans paraître la défendre ; cela s’est fait plusieurs fois dans cette discussion. Alors on ne s’exprime pas d’une minière catégorique, mais on énonce des doutes ; c’est un moyen de ne froisser l’opinion de personne ; mais, en attentant, le coup est porté et l’on obtient le résultat que l’on avait en vue. Eh bien ! dans le doute de M. le ministre de l'intérieur, je vous une opinion bien arrêtée ; car si la rédaction de l’art. 7 avait laissé intacte quelque l’incertitude, cette incertitude disparaîtrait par suite des observations de M. Nothomb.

Nous pensions, nous, et je crois que nous avions le droit de penser, d’après le rapport de la section centrale, d’après des observations parties des bancs opposés, nous pensions que comme on ne voulait attribuer au clergé que l’enseignement religieux et moral, comme on ne voulait lui donner de contrôle de l’école que sous le rapport religieux et moral, l’art. 7 ne s’appliquait aussi qu’aux livres concernant la religion et la morale.

On me fait un signe affirmatif ; mais l’honorable membre qui me fait ce signe et qui siège à mes côtés (M. Coghen) verra bientôt que les exigences sont maintenant tout autres. On ne demande plus seulement l’approbation des livres qui concernent la religion et la morale, mais on veut l’approbation de tous les livres quelconques, sous le faux prétexte que dans un livre concernant même l’instruction proprement dite, il pourrait se trouver quelque part des maximes qui contrarieraient la religion et la morale. Il n’y aurait peut-être que les livres d’arithmétique qui seraient exceptés, et encore je ne sais pas même si les chiffres échapperaient à la censure du clergé.

M. le ministre de l’intérieur s’est arrêté dans ses doutes aux livres d’histoire ; il a dit (et c’est là une précaution oratoire) que si les israélites, que si les protestants rencontraient un livre d’histoire qui fût contraire à leurs croyances, il ne savait pas si les ministres de ces cultes n’auraient pas le droit de les repousser, et que dès lors il faudrait examiner la question de savoir si l’approbation ne doit pas être exigée pour d’autres livres que ceux qui concernent spécialement la morale ou la religion. M. le ministre aurait mieux fait de demander, tout d’abord, si les ministres de la religion catholique n’auraient pas le droit d’examiner tous les livres dont on se sert dans l’école, pour voir si dans ces livres il ne se trouve pas quelque chose qui puisse contrarier leurs opinions. Je ne sais pas si M. le ministre a eu tout à fait raison de choisir pour exemple les livres d’histoire, car dans l’instruction primaire proprement dite, on s’occupe fort peu d’histoire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les livres de lecture.

M. Verhaegen. - Les livres de lecture, soit : mais les livres d’histoire ne se trouveront guère que dans les écoles normales. Quoi qu’il en soit, puisqu’on a parlé d’histoire. que fera-t-on, par exemple, pour l’histoire de la Belgique et surtout celle de la révolution du XVIème siècle ? Il faudrait sans doute en retrancher tout ce qui ne conviendrait pas à l’opinion qui exercerait le contrôle. Condamnerait-t-on, par exemple, les ouvrages de Michelet ? ou les considérerait-on comme orthodoxes ? Et les ouvrages d’Augustin Thierry, cet historien modéré et consciencieux que le clergé a mis à l’index, qu’en dirait-on ? et les ouvrages de Guizot, de Thiers, de M. Nothomb lui-même, etc. ? tous ces historiens si remarquables seront-ils orthodoxes ?

Eh bien, si c’est là ce que l’on veut, je ne suis pas fâché que ce soit M. le ministre de l’intérieur qui l’ait provoqué par ses observations. Je ne suis pas fâché que ce soit à l’honorable M. Nothomb, que la censure religieuse devra sa création en Belgique.

Nous saurons au moins quelles sont les opinions de ce ministre qui se dit libéral, et nous ne serons pas dupes de certaines concessions faites à notre opinion, alors que ces concessions sont effacées par des exigences beaucoup plus grandes.

M. Desmet. - Pour repousser l’amendement de la section centrale, pour mettre les familles indigentes hors la loi, on a fait valoir trois arguments principaux : le premier est celui de l’honorable M. Verhaegen, qui dit qu’il n’est pas écrit dans la constitution que les enfants pauvres doivent obtenir un subside pour fréquenter les écoles privées ; le deuxième est celui de l’honorable M. Cogels, qui dit que les enfants pauvres doivent être sous la tutelle du gouvernement ; le troisième est celui de M. le ministre de l’intérieur, qui dit que ceux qui n’ont pas le moyen de payer n’ont pas le droit de jouir des libertés que la constitution leur accorde.

Je répondrai à l’honorable M. Verhaegen qu’il n’est pas écrit non plus dans la constitution qu’il doit y avoir un enseignement donné aux frais des communes ; tout ce que dit la constitution, c’est que si l’on juge un jour convenable de donner une instruction aux frais de l’Etat, cette instruction devra être réglée par la loi.

Quant à l’argument de l’honorable M. Cogels, que les enfants pauvres doivent être mis sous la tutelle du gouvernement, c’est là une doctrine que je ne pourrai jamais partager ; cette doctrine a vu le jour en 1792, lorsqu’on a dit que les enfants appartenaient plutôt à la patrie qu’à leurs parents ; aujourd’hui cette doctrine est jugée, elle n’existe plus. Je crois que l’on n’oserait pas soutenir aujourd’hui que les enfants pauvres appartiennent plus que les enfants riches plutôt à la patrie qu’à leurs familles.

Je crois qu’il faut laisser toute liberté aux enfants pauvres comme à ceux qui appartiennent à des familles aisées ; s’ils ne peuvent pas user de cette liberté, à cause de leur pauvreté, il faut les aider. C’est pour ce motif que j’appuierai fortement l’amendement de l’honorable M. Brabant, qui consacre cette liberté, et qui en rend la jouissance possible pour les enfants pauvres. Adopter un système contraire, c’est constituer les enfants de cette classe dans un état de véritable esclavage. On dit : Pourquoi ne pas vous contenter de l’école communale, puisque ce sera une école bien établie ? Je le veux bien, mais cette école peut être dans le sens de telle ou telle famille, et ne pas convenir du tout à telle autre famille. Faut-il obliger cette famille à y envoyer ses enfants ? N’est-il pas juste, raisonnable de lui laisser la liberté du choix ?

Je crois, messieurs, que si vous voulez rester fidèles aux principes de la liberté d’enseignement, il faut adopter l’amendement de la section centrale ; sinon, vous mettrez un monopole aux mains du gouvernement.

M. Dechamps, rapporteur. - Messieurs, si je ne voulais envisager l’art. 5 qu’au point de vue où l’honorable M. Verhaegen s’est placé, c’est-à-dire, si je me demandais ce que cet article doit rapporter à l’une ou à l’autre des ces deux opinions qui divisent cette chambre, je voterais contre l’article, ou plutôt je m’abstiendrai, parce qu’en effet cet article est une arme à deux tranchants ; cet article peut, dans des circonstances données, dans certaines localités, servir à l’une ou à l’autre de ces opinions qui voudront avoir un dernier recours contre l’usage de la loi.

Mais, messieurs, j’envisage et j’ai toujours envisagé cette disposition comme se rattachant à une question beaucoup plus élevée, à une question de droit constitutionnel ; et à cet égard, chacun de nous reconnaîtra, messieurs, que l’opinion qui a été émise par l’honorable M. Brabant est une opinion éminemment respectable, au point de vue des idées libérales ; elle doit même paraître à quelques-unes inspirée par les scrupules d’un libéralisme puritain. Elle a donc droit au respect de tous.

Messieurs, il est clair que si cet article n’est pas adopté, ce ne sera pas seulement le principe de la liberté d’enseignement qui ne sera pas sauf pour les familles pauvres, mais ce sera encore et surtout la liberté de conscience qui recevra une atteinte. On a argumenté et on peut argumenter de l’art.17 de la constitution, mais on a perdu de vue qu’il s’agit ici par-dessus tout d’une question de liberté de conscience.

Il est évident pour tous que, si le principe de l’art. 5 n’est pas admis, les familles pauvres ne pourront pas user de la liberté d’enseignement et que dans bien des cas leur liberté de conscience pourra être froissée.

M. le ministre de l’intérieur en est encore, pour ainsi dire, convenu. Il vous a dit : Les libertés politiques sont faites pour ceux qui peuvent en user à leurs frais ; mais lorsque la commune intervient, comme dans le cas donné, pour payer l’écolage des enfants pauvres, c’est un contrat passé entre la commune et la famille pauvre, et dans ce contrat, cette famille abdique en partie du moins, sa liberté politique.

Je conviens, messieurs, que cet argument peut être valable pour un grand nombre de nos libertés politiques. On vous a parlé de la liberté de la presse. On vous a demandé : Mais le pauvre peut-il user de la liberté de la presse ? S’il voulait en réclamer l’usage, pourrait-il exiger qu’on lui laissât le choix entre les livres et les journaux, à la condition qu’une autorité quelconque payât ?

Mais, messieurs, il y a une immense différence à faire. La liberté de la presse n’a rien de commun avec la liberté de conscience des familles. Il faut bien le dire, le droit de la famille, c’est la liberté de conscience et d’enseignement, ce sont les seules libertés dont les familles puissent user. Eh bien, je ne vois pas pourquoi, alors que nous avons posé dans la constitution des principes si larges en matière de libertés politiques ; pourquoi, dis-je, nous ne consentirions pas à laisser aux familles pauvres l’usage des libertés qui les intéressent réellement, la liberté de conscience et la liberté du choix pour l’enseignement de leurs enfants.

Messieurs, on vous a dit que vous forciez la commune à remplir un devoir en créant des écoles communales ; que ce devoir, vous ne pourriez pas le pousser plus loin.

Mais, messieurs, à côté de ce devoir, dont vous avez imposé l’accomplissement aux communes, se trouvent aussi le droit et le devoir des familles pauvres.

M. Lebeau. - Je demande la parole.

M. Dechamps, rapporteur. - Et je ne pense pas que le devoir de la commune puisse jamais s’exercer de manière à froisser le droit et le devoir des familles pauvres à l’égard de l’éducation de leurs enfants.

Messieurs, dans ce débat, on use souvent de termes qui ne me paraissent pas propres ; on met presque toujours en présence, et dans un esprit d’hostilité ce qu’on appelle les écoles de la commune et les écoles du clergé. Mais, messieurs, faites-y bien attention, dans la grande question qui s’agite devant vous, ce n’est pas exclusivement le clergé, mais c’est encore la famille qui est en cause.

Il s’agit de la question de savoir si les prescriptions de la loi que vous faites, satisferont non pas seulement le clergé, les administrations communales, mais encore et surtout les familles, les populations du royaume. Eh bien, lorsque dans une commune un grand nombre d’enfants se refusent à fréquenter les écoles communales, ne vous paraît-il pas juste et raisonnable d’exiger de la commune qu’elle donne à ces enfants, dans d’autres écoles, l’éducation gratuite que la loi met à sa charge ?

Messieurs, je n’étendrai pas plus loin mes observations. L’honorable M. Brabant vous a développé cette thèse beaucoup mieux et beaucoup plus au long que moi ; mais, je le répète, si je considérais la question sous le rapport des résultats qu’elle devrait produire à l’égard de l’une ou de l’autre des deux opinions, je m’abstiendrais, car il ne me paraît pas clair du tout qu’elle doive profiter plutôt à l’une qu’à l’autre opinion ; mais la question, pour moi, est une question constitutionnelle, une question de liberté de conscience, et c’est à ce point de vue que je me place pour voter l’art. 5 qui vous a été proposé par la section centrale.

M. Brabant. - Messieurs, afin d’abréger la discussion, je ne dirai rien des interprétations que l’honorable M. Verhaegen a données à quelques-unes de mes paroles dont une était mal tournée : j’avoue qu’elle pouvait présenter un côté ridicule, mais il en est d’autres auxquelles il a donné un sens tout à fait contraire à mes intentions. Je crois que la chambre a fait justice de l’interprétation qu’il lui a donnée.

L’honorable M. Verhaegen n’a voulu tenir compte que de l’article 17 de la constitution dans l’examen de la matière qui nous occupe ; il a repoussé l’argument que je tirais de l’art. 6 ; et à propos de l’égalité que je réclamais, l’honorable M. Fleussu, sur lequel l’honorable M. Verhaegen a renchéri encore, a fait quelques suppositions qui seraient véritablement absurdes. Avec ce système, on pourrait aller beaucoup plus loin : il y a des gens à qui leur fortune ne permet pas d’avoir un carrosse, d’autres ne peuvent pas se nourrir d’une manière splendide ; devra-t-on fournir aux uns et aux autres l’avantage qui leur manque ? Je ne pousse pas l’amour de l’égalité si loin. (On rit.)

L’honorable M. Verhaegen ne veut pas que je m’appuie sur l’article 6 pour la rédaction de la loi que nous devons porter sur l’instruction primaire ; mais si l’art. 6 ne doit pas me servir de guide, je dirai pourquoi réclamez-vous l’art. 14 ? L’un sera aussi applicable que l’autre dans la matière. Vous croyez que la liberté des cultes est blessée par les dispositions que nous avons proposées, moi, je dis qu’en repoussant l’art. 5 de la section centrale vous portez atteinte à l’égalité des Belges devant la loi, égalité proclamée par l’art. 6.

Messieurs, il n’y que deux moyens d’arriver à l’égalité dans cette matière. C’est de défendre aux communes de subsidier aucune école primaire, ou de leur ordonner de subsidier les écoles des différentes opinions, chacune suivant le nombre de parties prenantes. Nos lois ont fait cela dans d’autres matières. Les conseils communaux n’ont pas conservé une liberté native, une liberté entière, quand il s’agit des avantages résultant des biens communaux. Une des premières dispositions que je trouve dans l’art. 76 de la loi communale, c’est que les règlements ayant pour objet le partage des biens immeubles indivis seront soumis à l’approbation de la députation et à l’approbation royale.

Une commune a quelques bonniers de terre ou quelques bois. Il n’y a pas de catholique et de libéraux quand il s’agit de partager les terres ou les bois, de manière que suivant toute probabilité, le partage se fera impartialement, par feu, chacun aura la part qui lui revient d’après les principes de l’équité. Mais quand il s’agit du partage d’un argent qu’on a contraint tout le monde à payer, on dit : Si ce que j’ai réglé vous accommode vous aurez votre part, si non, vous ne l’aurez pas ; et vous avez l’égalité devant la loi, car suivant ce que l’art. 6 accorde, j’ai ouvert une école ; c’est chose si indifférente, quels que soient les règlements de cette école, quel que soit l’instituteur qui la dirige, quelles que soient les doctrines qu’on y professe, cela doit accommoder tout le monde.

Eh bien, que dirait l’honorable député de Bruxelles, si une pétition venait lui signaler que dans telle ou telle commune une administration catholique, une administration aux idées exagérées a établi une école qui n’est pas suffisante pour les besoins de la population et qui est exclusivement catholique, où l’on exige que les enfants aillent à la messe tous les jours, qu’ils aillent à confesse tous les mois, où l’on exige une quantité d’autres pratiques ? Ce serait une école très catholique ; j’y mettrais mes enfants, mais je crois qu’il y aurait des personnes que ce régime n’accommoderait pas du tout. N’auraient-elles pas le droit de dire : Vous n’avez statué que pour vous, vous dépensez à votre bénéfice exclusif l’argent que vous me prenez. Le reproche serait juste, et je rougirais de m’y exposer. Mais la supposition contraire est probable ; elle s’est réalisée.

Messieurs, je ne me dissimule pas les inconvénients administratifs qui peuvent résulter de l’art. 5. On a signalé l’inspecteur comme prêt à courir d’école en école, pour rechercher les enfants pauvres, à aller pour ainsi dire à la chasse des enfants pour savoir où ils se trouvent. Je ne conçois pas que l’honorable membre qui est beaucoup plus versé que moi dans la connaissance des lois ne sache pas que les actes administratifs ont déclaré ce que c’était qu’un indigent et que toute la besogne de l’administration communale sera de dresser la liste des enfants indigents. Ensuite ce sera l’instituteur qui enverra son mémoire à la commune pour recevoir son salaire. On vérifiera la note de ce qui lui est dû, comme chacun de vous vérifie la note de ce qui lui est fourni par ses marchands.

Je ne sais quel sera le sort de l’art. 5. Mais une chose sera constatée, c’est qu’une proposition a été faite dans la chambre des représentants de la Belgique, que cette proposition était fondée en équité, que la demande d’admission au partage des deniers communaux, à la jouissance des deniers pris sur tous pour le profit de tous a été contestée par ceux qui réclament sans cesse, au nom de l’égalité et prétendent qu’à tout moment on lui porte atteinte ; une chose sera constatée, c’est que nous, nous n’aurons demandé qu’à participer au bénéfice des fonds publics qu’en proportion de notre nombre, voulant que les autres y participent également, nous consentions même à ce qu’ils participent davantage, et que cette demande a été contestée et refusée par ceux qui parlent au nom de la liberté, par ceux qui nous accusent de tout envahir, qui nous accusent de tendre au monopole. Au moins sera-t-il constaté que nous n’avons pas le monopole avec les deniers publics, que ce que nous faisons, nous le faisons en vertu de la liberté eu payant de notre poche, que l’égalité des charges publiques n’existe pas en Belgique, qu’il y en a qui propagent leur opinion aux dépens de leurs adversaires, et qui après s’être fait la part du lion, dévorent encore leurs copartageants.

M. Lebeau. - Je croyais que cette discussion, quoique portant sur une disposition fort importante de la loi, avait été assez longue pour que la chambre pût passer au vote, et j’étais très porté à renoncer à la parole ; mais les considérations par lesquelles vient de terminer l’honorable M. Brabant ne me permettent pas d’avoir l’air, par mon silence, d’accepter les reproches, les accusations très violentes et selon moi très injustes qu’il adresse à ses contradicteurs.

Messieurs, nous faisons, avec des vues différentes dans les moyens, mais avec une concordance parfaite dans le but, nous faisons une loi qui, à notre sens, doit donner à tous les pères de famille la plus complète sécurité d’une instruction morale et religieuse. Cette loi accumule précautions sur précautions ; elle va jusqu’à menacer, si des infractions à la volonté du législateur sont constatées, de fermer l’école. Et l’honorable préopinant prétend que lorsque le législateur aura, en associant à la sollicitude de l’autorité ecclésiastique la sollicitude de l’autorité civile, qui a aussi un grand intérêt à ce que l’instruction soit morale et religieuse ; l’honorable orateur prétend, dis-je, que lorsqu’on aura pris les mesures les plus propres à extirper de l’enseignement les abus qui pourraient s’y introduire, le premier venu qui se placera au dessus de la sagesse commune, au-dessus de la sagesse de l’autorité civile, au-dessus de la sagesse de l’autorité religieuse pourra dire : « Je n’ai pas confiance dans vos établissements ; du haut de ma raison, moi simple citoyen, ignorant, illettré, je déclare que vos écoles sont immorales, et je veux que la commune me procure les moyens de fréquenter l’école que vient d’ouvrir le plus obscur citoyen de la commune ; je le veux et vous le devez sous peine de violer à la fois la liberté des cultes, la liberté d’enseignement, la liberté de conscience et l’égalité devant la loi. »

Mais, messieurs, exposer de pareils griefs rapprochés des principes que nous voulons faire tous pénétrer dans la loi, c’est en faire justice, c’est montrer le vide, le néant des dernières assertions du préopinant.

On nous a déjà prouvé que la liberté d’enseignement n’est pas ici en cause, que la loi ne crée aucune entrave à la liberté d’enseignement ; on peut en dire autant de la liberté du culte, cela n’a pas besoin de démonstration. On invoque la liberté de conscience. Je concevrais qu’elle fût menacée si on contraignait le pauvre, sous peine d’amende ou de prison, à envoyer ses enfants dans une école. Quoique le législateur ait pris toutes les précautions convenables, si lorsque la conscience d’une famille répugnait encore à envoyer ses enfants dans les écoles publiques, on l’y contraignait par une disposition pénale, alors peut-être on violerait la liberté de conscience. Mais si, par suite de préjugés dus à l’ignorance ou à une influence hostile aux écoles communales, cette famille ne veut pas envoyer ses enfants à ces écoles, sa liberté de conscience sera sauve ; seulement elle éprouvera un dommage matériel, l’absence d’instruction pour ses enfants. Mais cela ne touche pas à la liberté de conscience.

La commune ne doit pas seulement l’enseignement aux pauvres, elle leur doit aussi des secours. Et que diriez-vous, si, en vertu du principe d’égalité devant la loi, en vertu de ce principe qui doit mettre constamment le pauvre sur la même ligne que le riche, le premier disait : « Je ne veux pas aller dans vos hôpitaux. Le riche a droit de se faire traiter à domicile, à son choix, par le système de Broussais ou par celui de Hahnemann. Je veux avoir, à vos frais, la même faculté. Allez me chercher un médecin à la ville voisine comme fait mon riche voisin quand il est malade, sans cela, vous violez le principe de l’égalité devant la loi ! » Ce principe, comme l’entend M. Brabant, donnerait à chaque indigent le droit de tenir le langage que je viens de placer dans sa bouche.

Messieurs, voyez un peu si de toutes ces théories, qui véritablement n’avaient rien à faire dans la question, nous descendons vers la pratique, ce qui pourrait résulter de l’amendement proposé par M. Brabant.

Vous avez, je l’ai dit, accumulé précautions sur précautions pour empêcher que la sollicitude des pères de famille ne fût trompée quant à la qualité de l’enseignement. Vous avez dit à la commune : Si vous ouvrez une école où les dispositions qui garantissent la moralité et l’orthodoxie de l’enseignement ne sont pas observées, je la fermerai. Vous l’avez dit à toute autorité communale, représentât-elle la plus grande ville du royaume ; et vous permettriez à la population pauvre d’une ville considérable, à la population qui a le plus besoin d’une instruction sage et éminemment pure et qui est la moins capable d’en juger, d’envoyer ses enfants à une école ouverte par le premier venu, par un étranger, par un homme peut-être aussi ignorant qu’immoral ! Cet homme attirera la population pauvre chez lui par le bon marché. Il offrira de partager les 6 francs avec ses élèves, et vous serez sans aucune action sur son école ; car l’honorable M. Brabant a dit que, dans ce cas, le subside ne donnerait pas à la commune le droit d’inspection. Ainsi l’on pourrait voir une école qui présenterait le moins de garantie d’instruction et de moralité, où peut-être on enseignerait des doctrines anarchiques, qui sait ? les principes du communisme peut-être ; on pourrait la voir s’établir au milieu d’une de nos villes, et la caisse communale, sur la réquisition de quelques individus appartenant à la population la plus ignorante, la plus facile à tromper, serait tenue de subsidier un pareil établissement ! Mais, M. Brabant, vous n’y avez pas pensé.

L’honorable M. Brabant est dominé par une idée toute locale qu’il n’a du reste aucune raison de dissimuler. Il désire que les écoles chrétiennes soient encouragées par les administrations municipales. Je partage ce vœu de l’honorable M. Brabant. J’ai eu plus d’une occasion de reconnaître que les frères des écoles chrétiennes peuvent rendre de très grands services à l’enseignement primaire, notamment à l’enseignement des classes pauvres. J’ai vu les heureux effets de leur patience, de leur douceur, de leur instruction ; j’ai reconnu leur heureuse influence sur le caractère des enfants pauvres confiés à leurs soins. Mais je veux ce que veut l’honorable M. Brabant par d’autres moyens que lui, par un moyen dont parlait hier l’un de mes honorables amis, par la persuasion.

L’honorable M. de Theux vous disait tout à l’heure qu’en fait d’éducation, ceux mêmes qui figurent dans les rangs d’une autre opinion que la sienne, ceux qui en dehors de cette enceinte parlent le plus vivement contre quelques dispositions de la loi actuelle, n’hésiteraient pas peut-être à placer leurs enfants dans des écoles ecclésiastiques. Cela peut être vrai ; mais il en est ainsi parce que c’est le résultat du libre arbitre des parents et non l’effet de prescriptions légales. Si vous forcez les communes à subsidier les écoles de frères, vous pourrez peut-être obtenir en leur faveur un résultat matériel pendant un an ou deux ; mais, je le prédis, vous préparerez contre eux une réaction dangereuse. Un temps viendra, si vous provoquez imprudemment une pareille réaction, où l’on ne se contentera pas de délaisser les écoles de frères, mais où on cherche un prétexte pour les fermer. Voilà où conduirait vraisemblablement la mesure que propose l’honorable préopinant.

Quant à moi, je n’hésite pas à déclarer que l’amendement de la section centrale motiverait, de ma part, non seulement dans l’intérêt de la loi elle-même, mais encore dans un intérêt politique, dans l’intérêt de la tranquillité de mon pays, le rejet de la loi tout entière.

M. Brabant (pour un fait personnel). - L’honorable M. Lebeau m’a prêté une opinion qui n’est certes pas la mienne. Je sais que la liberté peut avoir ses excès ; mais je sais aussi le moyen de réprimer ces excès. L’art. 17 de la constitution y a pourvu, et je ferai tout ce qui dépendra de moi pour qu’il soit bientôt pourvu à la répression des délits qu’a prévus l’art. 17. Quant aux doctrines affreuses que nous prêtait l’honorable M. Verhaegen, je crois que l’art. 201 du code pénal y a pourvu ; s’il n’en est pas ainsi dans l’opinion de l’honorable membre, je lui donnerai les mains pour faire une loi répressive ; elle ne saurait être trop rigoureuse. Le crime à l’égard de l’enfant est le plus odieux de tous les crimes.

J’en ai dit assez. Il pourra y avoir quelques abus, maïs ces écoles d’anarchie et de communisme, tous ces fantômes dont l’honorable M. Lebeau a voulu nous faire peur sont impossibles parce que nous ferons notre devoir. Quant à moi, je suis prêt à faire le mien.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Comme l’honorable M. Lebeau, j’ai eu l’occasion d’apprécier l’admirable dévouement, le désintéressement des frères de la doctrine chrétienne. J’achèverai sa pensée en vous disant que la proposition faite par le gouvernement est on ne peut plus favorable à ces frères. Vous imposez aux communes une obligation nouvelle, celle de donner gratuitement l’instruction aux enfants pauvres. Que feront les communes ? Elles s’adresseront aux établissements qui les mettront à même de remplir cette obligation avec le moins de sacrifices. Je n’hésite pas à déclarer que, le plus souvent, ce seront les frères de la doctrine chrétienne qui seront préférés, et librement préférés.

Plusieurs membres. - La clôture !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a lieu de décider d’abord la question de savoir par qui sera fait le choix des établissements pour les enfants pauvres. Sera-ce par la commune ou par les chefs des familles pauvres ?

M. Brabant. - Il y a trois alinéa dans l’article de la section centrale. Le premier est identiquement le même que la proposition du gouvernement et que l’art. 3 du projet de 1834 ; dès lors, il n’y a rien à mettre aux voix que les §§ 2 et 3 de l’article de la section centrale.

Puisque j’ai la parole, je dois ajouter quelque chose au fait personnel. On me regarde comme un homme de parti, comme l’organe des opinions d’un grand nombre de citoyens. Je ne veux pas qu’on puisse se méprendre sur la portée de ma proposition.

L’honorable M. Lebeau et M. le ministre de l’intérieur ont dit que mon amendement était présenté dans l’intérêt des frères de la doctrine chrétienne. Je vous avoue que je pourrais à bon droit être traité de menteur, si je ne disais que réellement qu’ils ont une large part dans l’inspiration de cette proposition ; mais moi qui suis intimement lié avec ces bons frères, je tiens à déclarer qu’il ne faut pas croire qu’ils veuillent s’ingérer où on ne les veut pas. Ils n’ont nullement la pensée de se soustraire à l’autorité civile. C’est à tel point que cette institution, qui a son siège principal, sou supérieur général à Paris et qui certes n’est pas dans la position qu’on lui suppose en Belgique, n’est pas l’instrument d’un clergé tout puissant, s’est soumise à toutes les prescriptions de la loi française de 1833.

Il y a certaines communes en Belgique, j’en connais deux : celles de Bouillon et de Chimay où ces frères tiennent les écoles communales. Ils sont entièrement payés par la commune. Ils ne s’établissent en pareil cas que lorsqu’ils sont tombés d’accord avec l’administration communale. Ils disent : il y a des principes dont nous ne pouvons nous départir. Voyez si vous voulez les accepter.

- L’amendement dé la section centrale est mis aux voix par appel nominal ; voici le résultat du vote.

Nombre des votants 82.

11 membres votent pour l’adoption ;

71 votent contre.

La chambre n’adopte pas.

Ont voté, contre l’amendement : MM. de La Coste, Cogels, Coghen, Cools, David, de Baillet, de Behr, de Brouckere, Dedecker, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, Demonceau, de Potter, Deprey, de Roo, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Savart, Dolez, Donny, B. Dubus, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Hye-Hoys, Jadot, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune. Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Pirmez, Pirson, Puissant, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Smits, Thienpont, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Van Volxem, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude.

Ont voté pour l’amendement : MM. Brabant, Coppieters, Dechamps, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Nef, Desmet, Dubus (aîné), Huveners, Raikem et Simons.

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article du gouvernement.

M. de Garcia. - L’honorable M. Pirson a présenté un amendement qui me paraît devoir être soumis à la discussion, ou au moins au vote avant la proposition du gouvernement.

M. le président. - Cet amendement sera mis aux voix avant la proposition du gouvernement.

M. de Garcia. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour appuyer l’amendement de l’honorable M. Pirson, parce qu’il me paraît plus conforme aux principes administratifs que l’article tel qu’il est rédigé par le gouvernement. En effet, d’après cet amendement, c’est le conseil communal qui dresse la liste des indigents et fera les règlements d’intérieur des ces écoles sous approbations de la députation ; c’est lui qui d’après la force des choses et à raison des principes, me paraît appelé à faire cette besogne ; en donnant cette attribution au conseil communal, comme le fait l’amendement de M. Pirson, l’on ne fait que rentrer dans les règles ordinaires et administratives. La proposition du gouvernement s’en écarter en ce qu’elle confère à la députation la formation des listes des indigents d’une commune. Selon moi, la députation ne doit connaître de cette matière que comme juge d’appel ou comme tuteur de la commune. Au surplus, messieurs, d’après les explications de M. le ministre et de M. Pirson, au fond et pour le but qu’on se propose, il n’y a aucune différence entre la proposition de ce dernier et celle du gouvernement. M. Pirson ayant déclaré qu’il retranchait le § 2 de son amendement, d’après ces considérations, je crois qu’il vaudrait mieux adopter la rédaction de l’honorable M. Pirson, qui aboutit au même but que la proposition du gouvernement et est plus conforme aux principes administratifs.

M. Devaux. – Je demande la parole pour faire une observation qui, je crois, se rapporte plutôt à la rédaction qu’au fond de l’article 5 proposé par le gouvernement.

Le 3ème § de cet article est ainsi conçu :

« La députation permanente du conseil provincial, après avoir pris avis du conseil communal et sauf recours au Roi, fixe, tous les ans, le nombre d’enfants indigents qui, dans chaque commune, doivent recevoir l’instruction gratuite, ainsi que la rétribution à payer par élève. »

Je crois que l’intention du gouvernement n’est pas de forcer toutes les communes à adopter ce mode de rétribution, c’est-à-dire que dans les communes (et je pense qu’il y en a beaucoup qui sont dans ce cas) où on accorde à une école, par exemple, à une école des frères de la doctrine chrétienne, un subside, sauf à recevoir les enfants pauvres du quartier, le gouvernement n’entend pas substituer à ce mode une rétribution par élève ; j’ai dit que plusieurs communes se trouvaient dans le cas que je viens de signaler ; je citerai entre autres celle que j’habite. A Bruges, il y a une école que la ville subsidie, qui reçoit les enfants pauvres du quartier, sans que le nombre de ces enfants influe sur le montant du subside.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette observation me paraît juste, il faudrait supposer ou une rétribution payée par élève ou une rétribution payée par masse. Il me paraît du reste qu’il serait très facile de mettre le dernier § de l’art. 5 plus en rapport avec la loi communale, comme le souhaite M. Pirson. On pourrait le rédiger ainsi :

« Le conseil communal fixe tous les ans le nombre d’enfants indigents qui, dans chaque commune, doivent recevoir l’instruction gratuite, ainsi que la subvention à payer de ce chef, ou s’il y a lieu, la rétribution due par élève. Cette liste, ainsi que le montant de la subvention ou la quotité de la rétribution est approuvée par la députation permanente, sauf recours au Roi. »

Je dépose cet amendement.

M. de Garcia. - En appuyant l’amendement de l’honorable M. Pirson, j’étais précisément guidé par la pensée de l’honorable M. Devaux, Le § 3 de l’amendement pourvoit à l’inconvénient qui résulterait de la rédaction du gouvernement ou du moins lève tous les doutes sur la portée qu’on veut donner à la loi. Voici comment est conçu l’amendement de M. Pirson :

« Les enfants pauvres reçoivent l’instruction gratuitement. Chaque année, le conseil de régence, avant l’ouverture de l’année scolaire, en dresse la liste, et d’après ses renseignements administratifs, et d’après la demande des parents.

« Le conseil de régence fixe la rétribution qui sera due par la commune aux instituteurs des pauvres, pourvoit à la fourniture des livres et autres accessoires, et fait tous les règlements nécessaires pour l’exécution du présent article ; ces règlements seront soumis à l’approbation des députations permanentes, qui statueront également, sauf recours définitif au Roi, sur toutes réclamations qui naîtraient soit de la formation des listes des pauvres, soit de la fixation de la rétribution due aux instituteurs. »

Il me semble que cet amendement satisfait complètement à la pensée de l’honorable M. Devaux, et satisfait aussi complètement au but que se propose le gouvernement.

M. Mast de Vries. - Si j’ai bien compris l’honorable M. de Garcia, il appuie l’amendement de l’honorable M. Pirson. Mais je dois m’opposer au premier paragraphe de cet amendement ; de la manière dont il est rédigé, il faudrait que le conseil communal, au commencement de chaque année scolaire, dressât la liste des jeunes gens qui doivent suivre l’école des pauvres ; mais il y tant de mutations pendant l‘année qu’il est impossible que le conseil fixe cette liste. Il faudrait dire que le conseil fixera un nombre déterminé d’élèves ; mais, je le répète, désigner les élèves, c’est impossible, il y a trop de mutations dans l’année. Je sais ce qui en est, je me trouve tous les jours dans ce cas.

Plusieurs membres demandent une nouvelle lecture de l’amendement de M. le ministre de l'intérieur.

M. le président donne cette lecture.

M. Pirson. - Je me rallie à cet amendement. C’est absolument la même idée que dans le mien.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ferai d’ailleurs observer que comme il s’agit d’un amendement, on pourra y revenir au second vote.

M. le président. - La parole est à M. de Theux.

M. de Theux. - Provisoirement, et comme il y a un second vote, je n’ai rien à objecter. Mais il est bien entendu qu’indépendamment de la fixation annuelle du nombre d’élèves, si dans le courant de l’année il se présente des enfants pauvres auxquels ou doit donner l’instruction, le conseil communal les admettra.

- L’art. 5, modifié par M. le ministre, est mis aux voix et adopté

Plusieurs membres. - A demain !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je voudrais déposer des amendements et faire une motion d’ordre relativement à l’heure de la séance de demain. Lundi nous avons un jour férié, et comme beaucoup de députés voudraient demain quitter Bruxelles, je proposerai de terminer la séance à trois heures et demie, et de l’ouvrir à dix heures et demie.

Plusieurs membres. - A 11 heures.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) dépose plusieurs amendements dont la chambre ordonne l’impression et la distribution.

M. Savart-Martel dépose également un amendement dont l’impression et la distribution sont aussi ordonnées.

- La séance est levée à 4 heures et demie.