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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 8 août 1842

(Moniteur belge n°221, du 9 août 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l'appel nominal à 1 1/4 heure.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Gilson, secrétaire de la commune d'Habay-la-Vieille, demande une augmentation de traitement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi relatifs aux finances communales.


« Le sieur Honoré demande que l'arrêté royal, en date du 30 décembre 1833, qui a fixé le nombre des recettes des contributions directes et accises, reçoive son exécution. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Liége présente des observations concernant le projet de loi sur l'instruction primaire. »

M. Delfosse demande l'insertion de cette pétition au Moniteur et le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.

- Cette proposition est adoptée.


Par divers messages en date des 4 et 5 août, le sénat informe la chambre qu'elle a adopté :

1° Le projet de loi interprétant le décret du 17 nivôse an XIIII relatif au cantonnement ;

2° Le projet de loi approuvant la convention de commerce conclue entre la Belgique et la France, le 16 juillet 1842 ;

3° Le projet de loi relatif au renouvellement des inscriptions hypothécaires.

Pris pour notification.


Par dépêche en date du 5 août, M. le ministre des affaires étrangères adresse à la chambre une expédition de chacune des conventions conclues avec le duché de Saxe-Altenbourg, le duché d'Anhalt-Dessau et le duché d’Anhalt-Coethen, l’effet de régler, par des stipulations formelles, les droits respectifs des sujets belges et des habitants de ces divers pays à l’égard des transmissions de biens.

Pris pour notification.


M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai reçu des observations de l’université de Bruxelles sur la loi de révision de l’enseignement supérieur. Je prierai la chambre d’en ordonner l’impression.

L’impression est ordonnée.

Rapports sur des pétitions

M. de Behr. - Messieurs, vous avez renvoyé à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur le renouvellement des inscriptions, diverses pétitions qui vous ont été adressées par la chambre des notaires de l’arrondissement de Liége, ainsi que par le sieur Verhaegen, notaire à Bruxelles, et le sieur Fontaine, notaire à Charleroy. La loi votée récemment sur les inscriptions hypothécaires a fait droit à quelques-unes des observations des pétitionnaires, mais il en est d’autres qui méritent une attention sérieuse, celles, entre autres, sur la nécessité de la transcription en matière de vente, et les inconvénients de la prescription décennale établie en faveur des acquéreurs d’immeubles, Comme les changements réclamés ont trait à des projets de loi que le gouvernement fait préparer en ce moment, votre commission a l’honneur de vous proposer le renvoi des pétitions dont il s’agit à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. de Behr. - La commission a été de même saisie d’une pétition par laquelle le sieur Le Ploy, notaire à Brée (Limbourg), réclame une disposition législative qui autorise la transcription ex officio des inscriptions prises au bureau de Ruremonde sur des biens situés dans la partie du territoire restée à la Belgique. Le pétitionnaire signale les difficultés pour arriver à la radiation qu’on ne peut obtenir sur des actes faits dans le pays. Les parties, lorsqu’elles sont d’accord entre elles, doivent se transporter sur le territoire hollandais, et donner mainlevée des actes reçus par des notaires étrangers, au détriment des notaires belges et du trésor de l’Etat. Il est certain que la loi nouvelle sur le renouvellement des inscriptions hypothécaires remédiera en grande partie aux inconvénients dont se plaint le pétitionnaire; mais, comme elle ne les fera pas cesser entièrement, il importe d’appeler l’attention du gouvernement sur ce projet. Votre commission a donc l’honneur de vous proposer également le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont également adoptées sans discussion.


M. de Behr. - Messieurs, les chambres ont adopté eu 1841 un projet de loi relatif à la délimitation des communes de Wanfercé-Baulet (Hainaut) et Ligny (Namur). Les art. 2 et 3 de ce projet prescrivaient le transfert, dans le terme d'un an, des inscriptions existantes sur les biens situés dans les parties de territoires de ces communes qui devaient passer d'une province à l'autre. Les mesures dont il s'agit ont paru onéreuses pour les créanciers et éventuellement applicables à d'autres communes qui étaient absolument dans la même position ; sur la proposition de l'honorable M. Raikem, elles ont été ajournées et renvoyées à l'examen de la commission saisie du projet de loi sur le renouvellement des inscriptions hypothécaires.

La commission vient de s'occuper de cet objet, et elle estime qu'au moyen de la loi votée récemment qui ordonne le renouvellement de toutes les inscriptions hypothécaires existantes, celles prises sur des biens de la portion de territoire distraite des communes prénommées, devaient être renouvelées dans le délai prescris au nouveau bureau d’hypothèques dont ces biens dépendent actuellement.

En conséquence, elle est d'avis que les articles du projet de loi qui ont été renvoyés à son examen sont devenus sans objet et qu’il n’y a pas lieu de s’en occuper ultérieurement.

- Le rapport sera imprimé et distribué. La chambre fixera ultérieurement le jour de la discussion.

Projet de loi organique de l'instruction primaire

Discussion générale

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi sur l’instruction primaire.

Je prie M. le ministre de déclarer s'il se rallie à l'amendement apporté par la section centrale à l'art. 5.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non, M. le président.

M. le président. - En ce cas, la discussion s'établit sur le projet du gouvernement.

La discussion générale est ouverte.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, nous abordons une grande question, une des plus grandes que la constitution nous ait laissé à résoudre.

Le rapport de la section centrale me dispense d'entrer dans de longues explications ; je dirai seulement quelle est la position que le gouvernement a prise et qu'il entend conserver.

Un projet de loi vous a été présenté le 31 juillet 1834 par l'un de mes honorables prédécesseurs, M. Rogier.

Ce projet était l'ouvrage d'une commission formée d'hommes appartenant à diverses nuances d'opinion, c'étaient MM. de Gerlache, de Theux, Devaux, de Behr, Warnkoenig, d'Haus et feu M. Ernst.

Citer ces noms, c'est déjà vous dire que ce projet était une œuvre de conciliation et de transaction ; nous verrons tout à l'heure en quoi elle était défectueuse non pas au fond peut-être, mais dans la forme.

Il est un fait dont il faut d'abord tenir compte ; le projet avait été élaboré et présenté avant la réorganisation de la commune et de la province.

Les lois organiques de 1836 sont venues attribuer aux conseils communaux la nomination des instituteurs et l'administration des établissements communaux (art. 84, n°6, et 90, n°3) ; au conseil provincial, à la députation permanente, une intervention directe ou indirecte dans la plupart des objets concernant l'instruction primaire et moyenne (Art. 69, 72, 86).

C'est en se prévalant de ces dispositions que les conseils provinciaux et communaux et les députations permanentes se sont activement occupés de l'enseignement depuis 1836 ; dans le rapport décennal que je vous ai soumis, je me suis attaché à vous faire connaître les résultats de l'action communale et provinciale.

Nous avons dû nous poser deux questions :

Faut-il respecter les dispositions des lois communale et provinciale en ce qui concerne l'instruction publique ?

En cas d'affirmative, jusqu'à quel point une loi spéciale sur l’enseignement primaire est-elle encore nécessaire ?

Nous n'avons pas hésité à répondre affirmativement à la première question, mais tout en laissant subsister les dispositions des lois communale et provinciale, nous avons reconnu qu'une loi spéciale était restée indispensable.

De cette loi spéciale : il fallait donc écarter tout ce qui faisait double emploi avec les lois provinciale et communale de 1836.

Le projet de 1834 proposait l'institution d'un comité local et d'une commission provincial.

Nous avons considéré le comité local comme remplacé par le conseil communal, la commission provinciale comme remplacée par la députation permanente du conseil provincial, et de fait, il en est ainsi depuis 1836. Placer à côté d'un conseil communal habitué à agir, d'après la loi de 1836, un comité local, destiné à limiter cette action, à côté de la députation permanente une commission provinciale, c'était s'exposer à des conflits incessants et entraver l'organisation au lieu de la compléter.

Partant de là, nous avons examiné le projet de 1834 dans ses autres dispositions susceptibles d'être maintenues.

Quant à l'enseignement primaire proprement dit, ces dispositions peuvent être ramenées à quatre points principaux :

1° Obligation pour chaque commune d'avoir au moins une école (art. 1er du projet de 1834) ;

2° Obligation pour chaque commune de fournir l'instruction gratuitement aux enfants pauvres (art. 3) ;

3° Nécessité de la réunion à l'enseignement primaire de la morale et de la religion (art. 2) ;

4° Obligation de l'Etat et de la province d'accorder des subsides en cas d'insuffisance des ressources communales (art. 15).

Ces quatre principes fondamentaux, qui constituent toute la loi, nous sommes forcés de le dire, ne sont guère qu'énoncés dans le projet de 1834 ; ce projet est plutôt un programme qu’une loi organique.

Le premier principe, celui de l'obligation pour chaque commune d'avoir au moins une école, devait nécessairement soulever les questions suivantes ;

Cette obligation subsiste-t-elle lorsqu'il est constaté que dans une localité il est suffisamment pourvu à l'enseignement par les écoles privées ?

La commune ne peut-elle pas être autorisée à remplir son obligation en adoptant une école privée et dans ce cas quelle sera la position de cette école ?

Le deuxième principe, celui de l'obligation d'instruire gratuitement le pauvre, laissait indécise la question de savoir comment cette obligation serait remplie.

Vous dites que l'enfant pauvre recevra l'instruction gratuitement ; tout le monde sera d'accord avec vous ; mais où et comment ? Dans quels établissements, et au choix de qui ? Sera-ce la commune qui désignera l'établissement ou bien le père de l'enfant pauvre ?

Ces questions, la commission de 1834 ne se les était pas posées ; la section centrale n'a pas cru pouvoir les passer sous silence et elles ont donné lieu à un dissentiment. Nous persistons à croire que la commune doit l'instruction aux pauvres dans les écoles communales ou dans des établissements désignés à cet effet par elle avec les garanties nécessaires ; c'est l'opinion que nous continuerons à défendre et que nous espérons voir sanctionner par la chambre.

Le troisième principe, celui qui proclame l'éducation morale et religieuse, inséparable de l'instruction, manquait également de développement et de garantie ; nous avons été amenés à organiser à côté du conseil communal et de la députation permanente l'inspectorat civil et religieux ; nous reviendrons sur ces dispositions nouvelles en signalant tout à l'heure une des différences essentielles entre le projet de 1834 et le projet nouveau.

Le quatrième principe, celui qui se bornait à promettre aux communes, en cas d'insuffisance de leurs revenus, les secours de la province et de l'Etat, était également trop vague, et pour la commune et pour la province, et pour l'Etat ; il fallait préciser le point où la province doit intervenir pécuniairement, et où, à défaut de la province, l’Etat doit subventionner.

Toutes ces questions, le gouvernement et la section centrale ont cherché à les résoudre et il n'y a eu de désaccord que sur une seule ; nous avons donc tâché de compléter le projet de 1834 en inscrivant chaque fois à la suite du principe les moyens d’exécution.

Nous arrivons à une des différences essentielles des deux projets. En lisant le projet de 1834, ce qui frappe, c'est que le nom du gouvernement n'y est jamais prononcé ; l’enseignement primaire est considéré comme une affaire purement communale et provinciale ; tout se passe en dehors de l'action gouvernementale ; je me trompe, on promet des subsides sur le trésor public (art. 15), et cependant comment accorder, comment répartir ces subsides s’il est interdit au gouvernement de s'enquérir de l'état des écoles ?

Cette exclusion du gouvernement central , exclusion dont l'expérience n'aurait pas tardé à démontrer l'impossibilité, cette exclusion était l'effet des préoccupations auxquelles l’honorable ministre de l’intérieur de 1834 lui-même n’avait pas cru pouvoir se soustraire ; « tel est, dit-il dans son exposé des motifs du 31 juillet 1834, après avoir analysé le projet ; tel est le système en ce qui concerne les écoles primaires établies aux frais de la province ou de la commune. Le gouvernement reste étranger à leur administration. La seule part d’intervention que le projet conserve au gouvernement dans l’instruction primaire c’est le pouvoir qu’il lui laisse d’établir aux frais de l’Etat comme exemple, en quelque sorte comme moyen d’émulation, un petit nombre d’écoles modèles dans chaque province, une par arrondissement judiciaire et celui d’avoir dans tout le royaume au moins une et au plus trois écoles normales. Ainsi l’intervention du pouvoir central contre laquelle le système suivi par l’ancien gouvernement a fait naître tant de défiances, qui pour n’avoir plus de fondement réel aujourd’hui, n’en sont pas moins fatales à l’instruction publique ; cette influence, dis-je, se trouve restreinte par le projet aux bornes du strict nécessaire. »

D'un autre côté, le projet de loi, en considérant la morale et la religion comme partie intégrante de l'enseignement primaire, s'était borné à ajouter que l’enseignement de la religion serait donné sous la direction de ses ministres (art, 2, § 2), et à déclarer le curé de droit membre du comité local (art. 8, § 2). L'expérience ayant prouvé combien cette dernière disposition, empruntée à la loi française du 28 juin 1833, est insuffisante, et le maintien du comité local en présence du conseil communal étant d'ailleurs très difficile, il fallait chercher d'autres moyens et des moyens plus efficaces pour assurer au clergé les garanties auxquelles son concours est subordonné.

Nous sommes ici sur un terrain dangereux, et cependant il faut nous y arrêter ; le fuir serait laisser la discussion imparfaite.

Pas d'enseignement, surtout pas d'enseignement primaire sans éducation morale et religieuse.

Et nous entendons par éducation religieuse, l'enseignement d'une religion positive.

Nous sommes tous d'accord sur ce principe, c'est notre point de départ.

Nous rompons, il faut le dire, et le dire tout haut, nous rompons avec les doctrines politiques du 18e siècle qui avaient prétendu séculariser complètement l'instruction, et constituer la société sur des bases purement rationalistes.

Nous ne voulons pas d'une instruction exclusivement civile, nous proclamons l'instruction inséparable de l'éducation, nous voulons un enseignement complet et nous ne voyons d'enseignement complet que dans l'instruction jointe à l'éducation morale et religieuse.

Cela posé, par qui la religion sera-t-elle enseignée ?

Elle ne peut l'être que par les ministres du culte ou sons leur direction ; eux seuls sont compétents sous ce rapport ; l'autorité civile abandonnée à elle-même ne pourrait être compétente que pour l'instruction primaire proprement dite, si celle-ci pouvait être considérée isolément.

Nous sommes ainsi amenés à faire intervenir le clergé.

Que partout ailleurs l'autorité civile se montre ombrageuse, inscrivez sur votre drapeau : le prêtre hors des affaires ; ici vous vous êtes forcés de recourir au prêtre ; vous avez besoin de lui ; l’enseignement primaire, quant à la religion, est essentiellement son affaire.

Cette intervention comment l'obtiendrez-vous ? Dans d'autres pays, on l’exige, l'Etat commande à l'Eglise, ou l'absorbe ; le prêtre n’est qu'un fonctionnaire public qui relève de l'autorité civile. En Belgique vous lui avez fait une autre position : la constitution de 1831 a séparé l'Eglise de l'Etat, a déclaré l'Eglise indépendante, a dit que le prêtre n'a pas d'ordre à recevoir du gouvernement (art. 16 de la constitution). Remarquez-le bien : vous avez proclamé en 1831 deux principes : la liberté de l'enseignement et l’indépendance de l'église. C'est de ces deux principes qu'il faut tenir compte à la fois : le clergé peut vous refuser son concours, il en a le droit ; il peut s'isoler ; il peut se réfugier dans la liberté de l’enseignement. Ces deux principes on pouvait les contester en 1831 ; mais aujourd'hui ce sont des principes constitutionnels.

L’intervention du clergé nous est donc nécessaire ; elle ne peut être forcée comme dans d'autres pays ; elle ne peut être que volontaire. Dès lors elle doit être librement accordée, et pour l’être, il faut qu'elle soit honorable et efficace.

Telle est, selon nous, l'intervention que le projet de loi organise.

L'enseignement est double pour être complet.

L'autorité civile ne peut s'occuper que de l'instruction civile.

A l'autorité ecclésiastique de s'enquérir de la morale et de la religion.

Elles sont enseignées sous la direction du ministre du culte ; l'autorité civile est pleinement incompétente.

Il y a une double surveillance, une double inspection qui ne se concentrent pas dans les autorités locales, mais qui partent d'en haut.

Le projet de 1834 se bornait à déclarer le curé de droit membre du comité local composé de cinq personnes ; sans même déclarer le comité incompétent pour s'occuper de l'enseignement religieux, les attributions paraissent devoir être exercées en commun, et même pour l'enseignement religieux, le curé n'eût eu que la part d’influence que donne une voix sur cinq. C'était confondre toutes les attributions et absorber le ministre du culte, comme l'expérience l’a montré en France. Il est d'ailleurs constaté par le dernier rapport de M. Villemain que, dans 41 départements, les comités locaux ne se réunissent jamais ; dans beaucoup d'autres, ils se réunissent très irrégulièrement (p. 34 à 35).

On peut distinguer dans chaque école d'administration quotidienne l’inspection.

L’administration et l'inspection ne peuvent appartenir à la même autorité.

Aux autorités locales, civiles et religieuses, l'administration ou la direction, en ce qui les concerne respectivement.

A des autorités en dehors de la commune l'inspection, divisée en civile et en religieuse.

Au chef du culte, à l’épiscopat, l’inspection religieuse.

Au gouvernement associé à la députation permanente du conseil provincial, l’inspection civile.

On se demandera quelle est dans cette organisation, la sanction ?

Cette sanction est toute puissante quoiqu'indirecte.

Il ne peut y avoir d’école légalement constituée qu'à la condition de réunir l’enseignement moral et religieux à l'instruction proprement dite.

Cette réunion n’est possible que par l’intervention volontaire du clergé.

En se retirant, le clergé peut rendre impossible l’existence légale de l’école.

Il se retirera ou menacera de se retirer chaque fois qu'il ne sera tenu aucun compte ou plutôt quand on persistera à ne tenir aucun compte de ses indications.

Ce droit du clergé est très grand sans doute, mais il dérive de l’indépendance de la position que lui fait la constitution de 1831 ; c’est un droit d’abstention qu’il est impossible de lui dénier.

La sanction par le clergé est donc dans ce droit incontestable d'abstention et dans les conséquences légales souvent inévitables de l’abstention même.

Nous avons laissé intacte la disposition de la loi communale de 1836 qui attribue au conseil communal le choix de l'instituteur ; attribuer au clergé soit un droit de présentation, soit un droit d’agréation, c'était au fond ne rien lui donner au-delà de ce qu'il a par son droit d'abstention ; si le choix est mauvais, le clergé s'abstient ; le refus du concours est un droit de tous les jours, un droit qui n'est jamais épuisé.

Nous allons plus loin ; la sanction qui résulte pour le clergé de son refus de concours est tellement forte que nous devons compter, et ce ne sera pas vainement, sur son esprit de sagesse et de modération ; il fera la part des circonstances. Il y a ici trois autorités en présence : la commune, le clergé, le gouvernement associé à la députation provinciale. Si chacune portait à l'extrême l'exercice de son droit, il n'y aurait pas d'organisation possible. Il faut supposer réciproquement de la bonne foi, l'intelligence des droits respectifs, l'amour de la paix intérieure.

La loi, d'ailleurs, qu'on nous propose, existe déjà, à part l'intervention du gouvernement central, qui n'est aujourd'hui qu'accidentelle et officieuse. C'est ainsi que les choses se pratiquent dans les 99/100 de nos communes ; dans quelques localités, il y a scission entre le clergé et l'autorité civile, mais ces communes que l’on cite seules, sont en bien petit nombre ; partout ailleurs l’accord persiste et cet accord n'a d'autre sanction que la crainte du refus d'un concours nécessaire de la part du clergé. On peut même dire que le gouvernement central a conservé une intervention ; il n’accorde de subside aux établissements et de suppléments de traitements aux instituteurs qu'en s'enquérant de l'état de l'école sous le rapport tant religieux que scientifique. Le projet ne fait donc que régulariser une situation ; le fait a précédé la loi.

Il est d'ailleurs de l'intérêt du clergé de n'user de son droit d’abstention que lorsque tous les moyens de persuasion ont échoué ; c’est un droit extrême ; supposer que, toujours il y aura recours et de prime abord, c’est supposer qu'il n'est pas intéressé à vivre en paix avec les autorités locales. Il est des choses qui ne sont pas écrites dans la loi et qui se feront : il est probable que le plus souvent, quand il s'agira d'une nomination, on aura soin de s'enquérir officieusement des intentions du ministre du culte ; c'est aussi ce qui arrive maintenant.

Au delà de son refus de concours, il y a une autre sanction pour le clergé, c'est la liberté de l'enseignement ; non seulement le clergé a le droit constitutionnel de refuser son intervention dans une école communale, mais il a celui tout aussi constitutionnel de créer une autre école sous sa direction exclusive. Il faut que la conduite de l'autorité civile soit telle que le clergé soit sans intérêt dans l'établissement d'écoles concurrentes : il faut que pour le clergé dans nos communes la liberté de fonder des écoles devienne de fait une ressource extrême, réservée pour les cas rares où les procédés de l'autorité civile le forcent de se retirer de l'école communale,

On s'étonne peut-être, messieurs, que j'insiste tant sur la sanction que doit trouver le clergé dans l'organisation de l'enseignement primaire ; c'est à dessein, que je veux prévenir un grand danger ; il faut que la loi soit comprise et tacitement acceptée par le clergé ; c'est vainement qu'une majorité quelconque voudrait la lui imposer ; son refus de concours, et ce refus de concours est pour lui un droit constitutionnel, rendrait votre loi nulle.

je m'arrête à ces traits généraux du projet ; quel que soit le résultat de cette discussion, je me félicite de l'avoir enfin amenée. Cette loi sera un des plus puissants instruments de véritable civilisation et d'ordre public ; votée sans avoir fait naître des débats trop irritants, exécutée avec loyauté, elle deviendra, dans l'état actuel des esprits, un moyen de concorde et peut-être une occasion de réconciliation. Effacée de notre ordre du jour, elle nous permettra de reporter notre attention presque tout entière sur les questions d'intérêt matériel.

M. de Nef. - En examinant le rapport sur l'instruction primaire, je trouve certains articles, et entre autres le 16e, qui est conçu comme suit : Les frais de l'instruction primaire sont à la charge des communes. La somme nécessaire à cet objet sera portée annuellement au budget communal parmi les dépenses obligatoires, dont il est parlé à l'art. 131 de la loi communale, très excellent, parce que si ces dépenses ne devaient pas être faites par les communes, les demandes seraient souvent très arbitraires, et le vrai besoin, pour alimenter l'instruction, n'y présidant pas toujours, la liberté de l'enseignement serait insensiblement éludée ; mais d'un autre côté je trouve qu'aucun article n'offre assez de garantie à la religion catholique professée par l'immense majorité des habitants du pays.

Une influence assez efficace n'est pas accordée aux chefs de la religion.

Les maîtres enseignant par leurs exemples, bons ou mauvais, exerçant un très grand empire sur leurs disciples, devraient avant leur nomination nécessairement être munis par l'autorité ecclésiastique d'un certificat de bonne conduite morale et religieuse, et les livres employés dans les écoles soumis à l'approbation ecclésiastique en ce qui concerne la morale et la religion. Dans la persuasion qu'avec celle-ci certaines autres améliorations seront adoptées lors de la discussion des articles, je me bornerai pour le moment à ces observations, et j'espère que des garanties suffisantes seront données, sous le rapport religieux, pour le véritable bien des élèves et du pays tout entier.

M. Pirson. - Messieurs, à l'ouverture de la présente session, je me suis permis, en ma qualité de doyen d'âge, de vous adresser des paroles tendantes à la conciliation et à la modération. Monsieur votre président définitif les a corroborées, personne ne les a critiquées, et cependant nous avons eu quelques séances bien orageuses.

La discussion de la loi sur l'instruction primaire devant laquelle on recule depuis huit ans, s'ouvre aujourd'hui.

Je ne crains pas de dire que c'est la pierre de touche qui va décider de la bonne foi de nous tous.

Le pays saura si nous nous croyons ici pour combattre en partis et déchirer le cœur de la patrie , ou si, fidèles à nos mandats, nous voulons établir solidement l'ordre, la paix intérieure, la morale, la liberté et l'égalité entre tous les Belges sans distinction aucune.

C'est avec une grande satisfaction que je remarque dans le projet de loi que nous allons discuter, la part d'action que le gouvernement, la province, la commune, le ministre de la religion doivent respectivement obtenir.

J'admets donc le principe de cette distribution, mais je repousse quelques articles d'exécution que je regarde comme tout à fait inconséquents, avec ce même principe, comme, par exemple, l'article 2 du projet.

J'admets également le système introduit dans l'article 5 du projet du gouvernement, mais je proposerai une autre rédaction.

La nomination des instituteurs par le conseil de régence est bien en principe ; mais je me défie beaucoup des choix qui auront lieu dans un grand nombre de communes rurales. L'ancien projet instituait une commission dans chaque commune, mais ces commissions ne répondaient point non plus à ce qu'on pouvait en attendre.

Force est donc, en attendant les résultats des écoles normales, à la suite desquels on pourra introduire quelques améliorations dans la loi, d'accepter purement et simplement des inspecteurs cantonaux et provinciaux, qui, eux aussi, dans quelque temps, pourront indiquer les améliorations qui déjà sont en germe dans nos prévisions.

Je le répète : Soyons tous de bonne foi, et nous mériterons les remerciements de nos commettants, si nous leur procurons une bonne loi sur l'instruction primaire. Tous les esprits sont en suspens ; les hommes sages se demandent si une division malheureuse va s'éteindre ou si elle va se ranimer, je ne dirai pas de plus belle, mais pour consommer la ruine de notre nationalité.

M. Cools. - Les lois qui soulèvent des questions politiques doivent être étudiées dans l'objet auquel elle s'appliquent et dans leur rapport avec la situation du pays. Telle loi excellente peut être inopportune dans un moment donné ; telle autre qui n'est que passable peut être réclamée impérieusement par les besoins de l'époque. Permettez-moi donc, messieurs, qu'avant d'aborder l’examen du projet, je jette un coup d'œil sur l'état général du pays.

(erratum Moniteur belge n°223 du 11 août 1842) Depuis deux ans, de grandes fautes ont été commises. Je m'abstiendrai de les énumérer, ce n'est pas sur ce terrain que je veux porter la discussion. Le mal existe ; ce n'est pas à la constatation de son origine, mais à sa guérison que nous devons nous appliquer. Les esprits sont divisés, irrités ; c'est un fait incontestable. Des moyens de rapprochement ont été tentés ; au lieu de réussir, ils n'ont servi qu'à creuser plus profondément le sillon qui divise les deux camps.

Et ce qui est plus affligeant à dire, c'est que dans le moment actuel on ne voit point d'issue à une pareille situation. Tout a concouru pour rendre les opinions fortes, osées, ardentes, et des opinions qui ont eu le courage de se produire sous cet aspect au grand jour, qui se sont emparé de toute une nation, abdiquent difficilement dans l’ardeur du combat. Aujourd’hui tout rapprochement serait une chimère, et l’oubli du passé un mensonge ; des protestations hypocrites de fraternité amèneraient tout au plus une trêve sans avenir.

Si l’état du pays est tel que je viens de l’indiquer, nous préposés aux destinées de la nation, placés au dessus des passions de la multitude, nous avons de grands devoirs à remplir. Il ne nous est plus donné de détruire le mal qui a été fait, mais nous pouvons empêcher qu'il ne se prolonge indéfiniment. Nous pouvons, nous devons, prendre garde surtout que la situation ne se gâte, au point que les divisions dégénèrent en haines, au point que l'action d'un gouvernement tutélaire serait devenue impossible, alors que des circonstances plus heureuses se présenteront.

Une loi sur l'enseignement primaire était attendue depuis longtemps. Une seule opinion d'abord, plus tard les hommes éminents de toutes les nuances s'entendirent pour en demander la discussion. J'ai joint ma faible voix à ce cri général, et cependant, le dirai-je ? je redoutais le moment où un projet formulé allait nous être soumis. A mesure que les circonstances devenaient plus graves, je sentais que ce moment serait critique ; la chambre allait faire ou beaucoup de bien ou beaucoup de mal. L'instruction publique soulève des questions d'une nature si délicate ! Ces questions deviennent de jour en jour plus palpitantes ; chaque parti les a inscrites dans son programme avec une interprétation différente. La rédaction d'une loi acceptable par les deux opinions, d'une loi pratique surtout me paraissait présenter les plus grandes difficultés.

Ce n'était pas qu'il pût y avoir le moindre doute sur la base à donner au système d'enseignement public. Grâce au ciel, nous ne sommes plus à l'époque où l'on mettait en doute si l'éducation du peuple doit s'appuyer sur la religion. Dans la Belgique régénérée, où un seul culte est professé par l'immense majorité des habitants, tous les hommes qui se sont livrés à une étude sérieuse de la matière, n'importe à quelle opinion ils appartiennent, s'accordent à reconnaître que l'instruction primaire doit y être basée sur les principes de la morale et de la religion catholique.

Aussi n'était-ce pas dans l'adoption du principe fondamental de la loi que gisait la difficulté, mais bien dans sa consécration. La loi communale avait placé les écoles publiques sous la dépendance de l'administration civile. Quelle part d'influence fallait-il maintenant assigner au clergé, pour donner à l'enseignement la sanction de la religion ?

Nous avons à la fin sous les yeux un projet arrêté de commun accord, dans les dispositions principales du moins, par la section centrale et le gouvernement ; nous avons pu nous rendre compte de l'esprit qui l'a dicté, de l'effet que l'ensemble du projet aura probablement produit sur chacun de nous. Cet examen, je dois en faire l'aveu, m'a forcé à reconnaître que différentes circonstances, qui m'ont quelquefois paru fâcheuses faciliteront au contraire la discussion de la loi.

Et d'abord, messieurs, qui de vous n'a pas fait plus d'une fois la remarque que de tous les membres qui ont fait partie de la section centrale, soit par la délégation primitive des sections, soit par une désignation subséquente du bureau, pas un n'appartenait à l'opinion libérale ? Les membres de cette assemblée qui se sont réunis, pendant huit années consécutives, sous les auspices de notre président, pour étudier la matière, appartiennent tous à la même opinion avec des nuances différentes.

L'opinion libérale n'a eu connaissance du projet qu'alors qu'il a été distribué.

Une deuxième observation à faire, c'est que le moment est on ne peut mieux choisi pour aborder l'examen du projet. Je ne prétends pas qu'une autre époque se serait plus difficilement prêtée à cette discussion, je suis loin surtout d'approuver l'inertie qu'on a opposée pendant un si long espace de temps aux demandes continuelles d'un rapport ; mais enfin au point où en sont venues les choses, la situation du ministère, la division des esprits, l'irritation croissante, cette réunion de circonstances si déplorable sous d'autres rapports, contribuera du moins à faire ressortir deux vérités, la première qu'il faut une bonne fois en finir avec la question délicate de l'enseignement primaire ; la seconde, qu'on doit bien se garder de donner au projet le caractère d'une loi de parti, en exagérant la satisfaction qu'elle doit donner à l'une ou à l'autre opinion, si on ne veut pas semer de nouveaux germes d’irritation.

Il est enfin une troisième circonstance qui frappera les esprits, et pour celle-là, je ne puis que m'en réjouir sans restriction ; c'est que le travail dont nous sommes saisis est l'œuvre d'un des organes les plus considérables de l'opinion catholique. Le choix du rapporteur démontrera plus encore que la composition de la section centrale chargée d'élaborer le projet, que rien n’a été négligé pour donner à cette opinion tous les apaisements, et cela devait être. On savait que des inquiétudes bien légitimes subsistaient au sein de cette opinion. Il fallait la rassurer. On en a eu un soin extrême. Jamais, on peut le dire, et c'est là une circonstance des plus heureuses, jamais pour aucun projet soumis à nos délibérations, plus de précautions n'ont été prises, dans le but de donner d'avance toute satisfaction à l'opinion catholique.

Mais l'opinion libérale ? A-t-elle également lieu de s'applaudir de la marche qui a été suivie ?

Sous ce rapport, la mission du rapporteur était délicate. Quelle que soit l'opinion qu'on se forme de son travail, chacun de nous lui rendra du moins cette justice qu'il a procédé avec toute la prudence nécessaire pour pouvoir se soustraire à des préoccupations trop exclusives. Avant de formuler un système, il s'est mis à observer le mouvement qui s'opérait autour de lui ; puis il en a tiré des leçons. Il a compris que la loi, suivant une heureuse expression employée dans le rapport, doit être la fille des faits. Ces faits étaient nombreux. Depuis la promulgation des lois communale et provinciale, une vie nouvelle a circulé dans l'instruction subventionnée par les caisses publiques. Partout on a lutté d'efforts pour regagner le temps perdu. Le pouvoir civil, armé de quelques dispositions vagues et mal définies, éparses dans les deux lois que je viens de citer, s'est mis à l'œuvre. Il a fait concurrence à l'enseignement privé. Les mesures qu'on adopte au sein des conseils communaux et provinciaux, pour favoriser ce développement, deviennent de jour en jour plus nombreuses ; elles sont prises presque partout sans l'intervention du clergé. Quelle vaste matière à réflexions ! ! !

L'honorable rapporteur a compris qu'il était temps de régulariser ce mouvement. Du moment qu'il était démontré, ce qui ne peut plus former l'objet d'un doute, que la sollicitude pour tout ce qui à rapport à l'instruction publique est également vive chez le pouvoir civil et chez le pouvoir ecclésiastique, il importait à l'avenir du pays de faire converger les deux influences, si on voulait prévenir une lutte imminente, dont l'issue pouvait paraître incertaine, mais dont l'existence seule devait être funeste à la morale, à la religion et au progrès de la civilisation. Le rapporteur a senti, et je l'en félicite, que la loi, pour produire des effets salutaires doit avoir avant tout le caractère d’une transaction. En même temps qu'il faisait une large part à l'opinion qui a toutes ses sympathies, il a cherché, au moyen de dispositions combinées avec talent et adresse, à garantir à l'opinion contraire une part d'influence raisonnable.

Je ne sais si cette influence paraîtra suffisante à l'opinion libérale. Je n'ai ni la prétention ni le droit de me constituer l'organe de cette opinion, Mais j'ai hâte de déclarer que j’accepte le projet, à de certaines conditions.

J'accepte la loi, non pas que je la regarde comme une œuvre achevée, ni surtout complète, mais parce qu'elle est aussi bonne qu'il est permis de l'espérer dans les circonstances actuelles. Certaines dispositions ne sont pas suffisamment développées. J'indiquerai comme exemple tout ce qui a trait aux écoles primaires supérieures. D'autres manquent complètement. Ainsi le projet ne dit rien de la marche à suivre pour la nomination des instituteurs. en exécution de l'art. 84 de la loi communale. Ce sont là des imperfections ; mais après avoir médité sur ces lacunes, que je regarde du reste comme étant d'un intérêt secondaire. j'ai reconnu la difficulté d'intercaler des dispositions nouvelles sans toucher aux principes les plus délicats de la loi, sans détruire la pondération sagement combinée du pouvoir religieux et du pouvoir civil, qui en forme, à mes yeux, le mérite principal.

Mais si j'accepte le projet, c'est à la condition qu'il garde ce mérite de pondération jusqu'à la fin de la discussion. J'attends du gouvernement qu'il ne négligera rien pour la lui conserver. J'espère que cette fois-ci du moins, nous ne verrons pas se reproduire pendant le cours des débats le triste spectacle que nous avons eu sous les yeux pendant la discussion des modifications à la loi communale. Serions-nous condamnés de nouveau, bon Dieu ! à voir le ministère se rallier, avec une faiblesse inconcevable, à tel ou tel amendement qui sera peut être jeté à l'improviste au milieu de la discussion, pour forcer la portée de l'une ou l'autre disposition et dénaturer de la sorte l'esprit de la loi ! Je me complais dans l'espoir qu'il n'en sera rien.

Que le ministère y prenne garde : le projet a principalement pour but de déterminer la part d'influence qu'exerceront sur l'instruction le pouvoir civil et le pouvoir religieux. A chaque moment ces deux pouvoirs se touchent. Il est extrêmement difficile, et le rapporteur en convient, de déterminer la ligne mathématique qui doit les séparer. Huit années ont été employées pour régler l'équilibre. Que l'on augmente même légèrement la sanction de l'une des influences, et d'abord l'un des plateaux de la balance l'emporte, le projet prend la couleur d'une loi de parti ; une moitié de la nation la repousse, et son effet salutaire est détruit. Or, c'est ce que nous ne pouvons vouloir ; c'est à quoi, pour ma part, j'opposerai, s'il le faut, l'obstacle de mon vote. L’action réservée aux deux pouvoirs est raisonnable : j'accepte le partage. S'exerceront-elles toutes deux sans froissement ? je l'ignore, mais l'épreuve peut en être tentée. Ayons d'ailleurs confiance dans la prudence et les vues éclairées des autorités qui seront chargées de l'exécution de la loi.

M. Savart-Martel. - Messieurs, je n'ai pas eu l'honneur de participer aux travaux des sections.

Je n'ai pas assisté non plus à la séance où fut présenté le rapport de la section centrale.

Récemment admis à la législature, je n'ai eu que trois ou quatre jours pour m'occuper de ce volumineux rapport, véritable ouvrage analytique de ce qui a été dit et fait depuis 50 ans sur l'enseignement primaire si difficile à réglementer.

Cet ouvrage prouve de vastes connaissances et des recherches approfondies ; il prouve aussi le haut intérêt que porte la législature au projet qui vous est soumis.

Messieurs, on veut que l'instruction primaire comprenne nécessairement l'enseignement de la religion et de la morale, c'est un point, je pense, que personne ne contestera.

Déjà cet enseignement existe en Belgique, il est dans nos mœurs, il existait en l'absence de toute loi positive. Dites ou ne dites pas, faites ou ne faites pas, l'enseignement primaire en Belgique sera toujours moral et religieux.

Nous ne voulons, messieurs, ni de la philanthropie de Marat, ni de la religion façonnée par Robespierre, qui avait fait à l'être suprême l'honneur de l'admettre dans la république ; nous ne voulons point non plus de l'éducation politico-religieuse imaginée par un grand homme qui, rapportant tout à lui, avait rêvé un huitième sacrement à conférer aux instituteurs. Cc qui convient à l'Angleterre, où il existe une religion dominante, ne peut convenir non plus ici où la liberté des cultes est un principe constitutionnel ; ce que nous voulons, c'est l'éducation morale et religieuse telle que la pratiquent les Belges. C’est l'instruction publique telle que l'approuve la loi des lois, cette admirable constitution que nous envient les peuples qui veulent la liberté, que je ne confondrai jamais avec la licence, le désordre et le mépris des lois, ni même avec la démagogie, compagne presque inséparable de la tyrannie.

« L’enseignement est libre (dit la constitution), toute mesure préventive est interdite ; la répression de délits n'est réglée que par la loi. L'instruction publique donnée aux frais de t'État est également réglée par la loi. »

En confrontant cet art. 17 avec le projet qui vous est soumis, j'ai conçu un doute qui pourrait donner matière à une question préjudicielle.

Le projet dont il s'agit ne s'occupe point de l'instruction publique donnée aux frais de l'Etat ; mais au contraire d'une instruction qui serait donnée aux frais des communes (Voir les articles 16,17 et 18.)

Cependant, l'enseignement est libre pour les particuliers comme pour les communes. C'est ainsi du moins que j'entends le principe constitutionnel. Or, pour nous, la constitution c'est l'arche sainte.

Loin de détruire nos institutions, je voudrais les consolider, les améliorer si faire se peut, car on n'a que trop détruit depuis un demi-siècle, il faut maintenant conserver, en nous rappelant que le mieux est souvent l'ennemi du bien, et que la perfection est au-dessus de l'humanité.

En réglant par une loi l'instruction publique mise à charge des communes, je crains de me trouver en opposition avec cet art.17.

Le particulier qui ouvre une maison d'éducation a la pleine liberté de son enseignement ; pourquoi la commune qui paye n'aurait-elle point la même liberté ?

Cette liberté, je la comprends pour l'autorité communale dans le cercle de ses intérêts, comme je la comprends pour les particuliers ; j'y vois même plus de garantie.

L'unité dans l’instruction primaire doit séduire d'abord, mais en y réfléchissant sérieusement, on reconnaît que cette unité, si belle en théorie, n'est guère facile en pratique. Aussi l'homme de génie qui dominait la France, quoiqu'entouré des illustrations de l'empire a-t-il renoncé à réglementer l'instruction primaire. (erratum Moniteur belge n°223 du 11 août 1842) Il n'est sorti de son vaste génie que de la bureaucratie et d'énormes appointements pour son université prélevés sur le père de famille.

Aussi dans le projet même qui vous est soumis, notamment articles 5 et 7, remarque-t-on la difficulté de coordonner ce projet avec notre situation ?

Soyez-en persuadés, messieurs, en laissant aux communes l'instruction primaire qu'elles doivent payer, l'éducation morale n'y perdra rien, et nous éviterons plusieurs graves difficultés que semblent devoir amener les propositions, soit du gouvernement, soit de la section centrale, En effet, je ne pense pas qu'il y ait en Belgique un père de famille qui voulût priver son enfant de l'enseignement moral et religieux ; et il n'y a peut-être point une maison d'éducation où cet enseignement ne soit en pratique.

On m'objectera peut-être que le mot Etat dans l'art. 17 de la constitution est un mot générique qui embrasse et le pouvoir municipal et l'autorité provinciale ; mais le contraire me paraît résulter de divers articles de la constitution, et notamment des art. 108, 110 et suivants. Il me paraît évident que l'assemblée constituante n'a point confondu l'Etat avec la province et la commune.

L'État a ses charges et ses droits ; il en est de même de la province.

Dira-t-on que l'instruction primaire rentre ici dans le 2ème mérite de l'art. 17 parce que l'Etat serait éventuellement appelé à fournir des subsides ? Je ferai remarquer que les art. 17 et 18 n'en décrètent pas moins le principe que l'instruction primaire est une dette communale. La circonstance que plusieurs communes pourront profiter des subsides de l'Etat ne peut avoir pour conséquence que partout, et en tous lieux, l'instruction primaire sera réglée par une loi générale.

Que le gouvernement, en fournissant ses subsides, fasse ses conditions, passe encore ; mais que l'enseignement cesse d'être libre, même à l'égard de l'administration communale, qui en supporterait toutes les charges, semble ne devoir pas être.

Au surplus, messieurs, je ne tranche rien, je ne fais point en ce moment encore la proposition de laisser au pouvoir communal l'instruction primaire qu'il doit payer, je soumets à vos lumières un doute que la discussion fera cesser peut-être, si ce doute n'a rien d'hostile au projet qui vous est soumis.

En résume, le projet dont s'agit n'a point pour but l'instruction publique à donner aux frais de l'Etat ; donc cette instruction doit rester dans la plénitude de liberté qu'accorde à l'enseignement l’art. 17 de la constitution.

Mon doute cesserait peut-être, si l'on reconnaissait d'abord le principe pur et simple que les communes qui établiront des écoles à leurs frais jouiront, comme tous les. citoyens, de la liberté d'enseignement.

M. Dechamps, rapporteur. - Messieurs, comme personne ne s'est levé pour s'opposer à la loi qui est soumise à la discussion, je serai naturellement dispensé d'entrer dans son examen et de la défendre.

Messieurs, une seule observation générale a été faite contre la loi ; c'est celle qui vient de vous être soumise par l'honorable député de Tournay.

Cet honorable député a émis un doute sur la question de savoir si l'art. 17 de la constitution remettait à la loi de régler l'enseignement donné aux frais des communes.

Messieurs, la section centrale a pensé que l'instruction primaire donnée aux frais des communes devait être réglée par la loi ; elle a pensé que le mot Etat, qui se trouve écrit dans l'art. 17, est un mot générique, signifiant la nation tout entière, dont la commune est une simple subdivision.

Nous n'aurions pas même l’art. 17, que l'art. 108 de la constitution nous suffirait pour défendre le système de la loi. Car l'art. 108 dit que la loi consacre : « L'attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial et communal, sans préjudice de l’approbation de leurs actes, dans les modes que la loi détermine. »

Ainsi, cet article place, pour tout ce qui est d'intérêt général, la commune sous la tutelle des autorités administratives supérieures. Or, messieurs, quelqu'un oserait-il soutenir que la question d'instruction primaire n'est pas une question d'intérêt général ? Ainsi donc, en vertu de l'article 108 de la constitution, il est décidé que la loi peut régler tout ce qui est relatif à l'enseignement primaire dans les communes, et que les communes, sous ce rapport, se trouvent sous la tutelle du gouvernement central.

Messieurs, s'il en était autrement, si l'interprétation que donne l'honorable M. Savart à l'art. 17 était juste, il s'ensuivrait que toute loi sur l'instruction primaire serait impossible. En effet, messieurs, s'il était vrai que la commune est libre au même titre qu'un particulier, pour établir, surveiller et diriger son école, il s'ensuivrait que vous ne pourriez pas même dans la loi établir l'obligation pour la commune d'avoir une école primaire quelconque. Vous devriez aller plus loin, vous ne pourriez dans la loi prescrire les matières d'enseignement, ni le mode de surveillance. En un mot, vous devriez vous conduire à l'égard de la commune comme à l'égard des particuliers ; vous devriez vous taire, et la loi serait irréalisable.

Mais, messieurs, il est clair que le congrès national n'a pas voulu créer pour la commune une position supérieure à celle qu'il a voulu faire à l'Etat lui-même. Le congrès, en défiance de ce qui s'était passé sous l'administration précédente, n'a pas voulu que le gouvernement pût régler ce qui concerne l'instruction primaire par voie d'ordonnance ; il a voulu que ce fût la législature qui réglât cette matière importante. Il a donc voulu qu'une loi intervînt pour diriger le gouvernement en cette matière. Et vous voudriez émanciper la commune quand vous assujettissez l'Etat ! Vous auriez à l'égard de la commune moins de défiance qu'à l'égard du gouvernement, dans une matière où les lumières sont aussi indispensables !

Il y a, messieurs, entre l'individu et la commune, une différence radicale. L'individu peut faire tout ce que la loi ne lui défend pas, tandis que la commune ne peut faire que ce que la loi lui permet de faire. Dans cette distinction, et elle est radicale, vous trouvez que vous ne pouvez, pour l'instruction primaire, assimiler la commune au particulier. La liberté d'enseignement, c'est le droit de la famille ; c'est la liberté des individus, Mais vous ne pouvez faire de la commune un Etat au petit pied, qui puisse prendre à l'égard d'une question sociale de la plus haute importance des mesures qui sont interdites au gouvernement.

Ainsi je n'aurais pas l'art. 17 de la constitution, que l'art. 108 me suffirait pour soutenir que la commune à laquelle, du reste, la loi fait une grande part dans l'administration, dans les nominations et les révocations. ne peut se débarrasser de la haute tutelle du gouvernement. Elle ne peut s'occuper des intérêts généraux, sans que le gouvernement vienne surveiller son action. Ainsi, d'après les idées du sens commun, comme d’après l'art. 108, il me paraît impossible de donner à l'art. 17 l'interprétation que l'honorable député de Tournay veut lui donner. D'après cette interprétation, vous devriez renoncer à faire une loi sur l'instruction primaire ; car, pour que la loi pût réglementer cette matière, il faudrait que le gouvernement créât dans toutes les communes une école à ses propres frais.

M. le président. - Si personne ne demande la parole, je proposera à la chambre de clore la discussion générale.

M. Verhaegen. - Je demande la parole.

Messieurs, je ne pensais pas que la discussion générale dût être close sitôt, et je vous dirai franchement que je n'étais pas préparé à prendre la parole aujourd'hui. Mais deux systèmes qui me paraissent contradictoires, venant d’être présentés, quant au principe fondamental de la loi, je crois de mon devoir de vous soumettre à mon tour quelques réflexions, et je le ferai sans craindre de froisser aucune opinion.

On a fait, comme toujours, un appel à la conciliation, c'est-à-dire qu’on veut de nouvelles concessions. Un honorable collègue, notre doyen d'âge, a même terminé son discours en nous disant que « la discussion actuelle apprendrait au pays si nous voulons nous entre-déchirer ou bien si nous voulons franchement la liberté pour tous. »

Quant à moi, je veux la liberté pour tous et sans réserve, mais ce que je veux avant tout, c'est la stricte observation de nos dispositions constitutionnelles, et, dussent certaines opinions s'en trouver scandalisées, je répéterai ce que je n'ai cessé de dire à cette tribune qu’il y a déloyauté, de la part de nos adversaires, à tenter constamment de violer une transaction faite solennellement en 1831.

L'opinion émise par l'honorable M. Savart pouvait avoir le mérite de mettre de côté quelques difficultés sérieuses. Mais on lui a répondu qu'il s'agissait d'une question d'intérêt général, et que la commune devait être placée à cet égard sous la tutelle de l'Etat : s’il en est ainsi, c'est la loi générale, la loi fondamentale tout d'abord qu'il faut consulter. Je prends donc acte de la déclaration faite par l'honorable rapporteur de la section centrale ; à savoir : « qu’il s'agit dans l'espèce d'une question d'intérêt général et qu’à l’égard de l'enseignement primaire les communes doivent être placées sous la tutelle de l'Etat. »

Messieurs, plusieurs orateurs ont prétendu que l'instruction primaire doit avoir pour base et la religion et la morale ; je n’entends nullement contester ce principe, mais je veux savoir de quelle manière on l'appliquera, car la est toute la question, on veut que l’instruction primaire ait pour base la religion et la morale ; d'abord on devrait définir la morale et se mettre d'accord sur ce point important, mais on reste dans le vague, et pour cause ; ensuite, on parle de religion, mais de quelle religion veut-on s'occuper ? Serait-ce, comme on l’a dit souvent dans cette enceinte, de la religion catholique, de cette religion que professe la grande majorité du peuple belge ?

Il n'y a qu'une difficulté dans ce système, et elle est grande, c'est que d'une question d'intérêt général on fait une question d'intérêt individuel, ou si l’on veut d’intérêt de majorité, c'est qu'à la disposition de la constitution qui met tous les cultes sur la même ligne, on substitue une autre disposition qui donne la prééminence à la religion catholique et la déclare religion de l'Etat ; quant à moi, une question que je mets au-dessus de toutes les autres, c'est la question constitutionnelle, et je crains fort qu'en faisant des concessions nouvelles, qu'en transigeant une seconde fois avec des adversaires qui violent leurs premiers engagements, ils ne viennent un jour argumenter contre vous de ces mêmes concessions pour en obtenir d'autres. Si vous permettez qu'on touche aux art. 14, 15, 17 et suivants de la constitution, je ne serais pas étonné qu'on veuille toucher un jour à cet autre article qui proclame la liberté de la presse comme à celui qui proclame la liberté des associations ; car une fois que le premier pas est fait, la route est moins difficile.

Ce que je vois de plus clair (et c'est M. le ministre qui s'en est expliqué de la manière la plus ouverte), c'est que l'on voudrait d'une manière indirecte proclamer la religion catholique la religion de l'Etat.

Je vais, messieurs, faire une concession bien large à mes adversaires ; je suis d'accord avec eux qu'il y aurait eu peut-être des raisons en 1831, alors que le pouvoir constituant était appelé à décréter des principes fondamentaux, qu'il y aurait eu peut-être des raisons pour décréter la religion catholique religion de l'Etat, et pour cela on aurait pu invoquer le fait que la grande majorité des Belges professent cette religion. Mais, messieurs, c'est ce qui n'a pas été décrété ; à tort ou à raison, on a écrit dans la constitution qu'il n'y a pas de religion dominante, que tous les cultes sont libres et que personne ne peut être astreint à concourir d'une manière quelconque aux actes ou aux cérémonies d'une religion quelconque. Ceux qui, en 1831, ont concouru à ce pacte, qui constitue une véritable transaction, en raison d'autres concessions qui leur ont été faites, ne peuvent pas revenir aujourd'hui sur ce qui a été conclu, arrêté et obtenu d'une manière indirecte, ce qui leur est formellement interdit. C'est cependant là qu'on en viendrait en proclamant le principe qui vient d'être invoqué par l'honorable rapporteur de la section centrale, en réponse à l'opinion émise par l'honorable M. Savart-Martel.

Eh, messieurs, les craintes que je conçois sont d'autant plus sérieuses que M. le ministre de l'intérieur ne nous a pas caché sa pensée à cet égard.

L'Eglise catholique a obtenu, par le pacte fondamental, une indépendance complète ; et ce n'est pas moi, messieurs, qui m'aviserai jamais de toucher à cette indépendance ; c'est une concession qui a été faite, et il faut la maintenir ; mais à côté de cette concession faite à l'Eglise s'en trouve aussi une faite par l'église à l'Etat. C'est ce qui établit l'équilibre : si tout en maintenant à une opinion ce qui lui a été accordé, on enlevait à l'autre ce qu'elle avait obtenu comme équivalent, l'équilibre serait rompu, et l'une opinion serait opprimée par l'autre.

L'Eglise est indépendante, la constitution le proclame ; mais l'Etat aussi est indépendant ; l'Etat n'a rien à faire avec l'Eglise, pas plus que l'Eglise n'a a faire avec l'Etat ; y aurait-il justice à proclamer l'indépendance de l'Eglise et à soumettre en même temps l'Etat aux caprices de l'Eglise, n'importe de quelle manière ; d'une manière directe ou d'une manière indirecte ? Evidemment ce serait là une injustice criante ; c'est cependant ce que veut faire M. le ministre de l'intérieur, et je vais le prouver.

Puisque l'Eglise est indépendante, puisqu'il n'y a aucun moyen de la forcer à donner les mains à l'enseignement primaire ; puisque le clergé, en restant dans l’inaction, peut contrarier l'Etat ; il faut, dit M. le ministre de l'intérieur, faire à l'Eglise des concessions telles qu'elle ne soit pas portée à contrarier le gouvernement ; il faut, ajoute M. le ministre, mettre le clergé dans une position telle qu'il n'ait pas intérêt à favoriser les écoles privées, au détriment des écoles du gouvernement. En vérité, c'est une belle position que celle-là, si vous devez mettre le clergé dans une position telle qu'il n'ait aucun intérêt à favoriser ses établissements privés au détriment de ceux de l'Etat, mais c'est dire que l'instruction donnée aux frais de l'Etat est complètement nulle, car de deux choses l'une ; ou dans l'instruction primaire donnée aux frais de l'Etat, il sera fait droit à toutes les exigences du clergé, ou bien on laissera quelque chose à désirer sous ce rapport ; s'il est fait droit à toutes les exigences du clergé, cela voudra dire (et à cet égard les organes de certaine opinion vous en ont appris assez), cela voudra dire que l'instruction primaire est absorbée au profit du clergé. Dans le cas contraire le clergé s'abstiendra ; il se placera, à notre égard, dans une position telle que vous serez réduit à l'impuissance, et que force vous sera de lui abandonner le terrain et de fermer vos écoles.

Il me semble, messieurs, que cette position n'est pas acceptable, et je me demande ce qui arriverait lorsque le nouveau traité qu'on vous propose aura été conclu ? je le suppose conclu de la manière dont le propose M. le ministre de l'intérieur, et je suppose aussi que plus tard il s’élève des doutes sur son exécution ; des engagements pris par le gouvernement seront tenus et scrupuleusement, mais les engagements pris par le clergé, le seraient- ils ? D'autres circonstances peuvent amener d'autres opinions. L'Eglise est indépendante ; il n'y a pour le gouvernement aucun moyen coercitif. Vous aurez fidèlement tenu vos promesses, et celles faites par le clergé seraient violées ! vous serez à la merci de ceux avec lesquels vous avez traité. L'indépendance que vous leur accordez, et que je leur accorde également, est telle que vous n’avez aucun moyen de les obliger à concourir avec nous à l'exécution de votre loi.

Ainsi, encore une fois, si toutes les exigences ne sont pas satisfaites, il y aura inaction, et cette inaction nous mettra dans la position d'abandonner le terrain ; c'est M. le ministre de l'intérieur lui-même qui vient de nous présenter les prémisses qui amènent cette conséquence.

Je disais, messieurs, qu'il faut aujourd'hui subir les conséquences d'un principe décrété par les articles 14 et 15 de la constitution. Quoique la Belgique soit un pays essentiellement catholique (et moi, tout le premier, je le proclame), vous n'avez pas dit dans votre constitution que la religion catholique était la religion de l'Etat, vous y avez consacré le principe contraire, et pour cause ; car vous vous arrogiez certains avantages que vous n'auriez pas obtenus sans cela.

En effet, vous n'auriez pas eu l'indépendance complète de l'Eglise. Or, vous vouliez cette indépendance, et pour l'obtenir vous ayez dû faire des concessions. L'indépendance de l'Etat est proclamée en même temps que l'indépendance de l'Eglise ; car l'Etat est indépendant vis-à-vis de l’Eglise, du moment où il n'y a pas de religion dominante.

Maintenant, tout en maintenant l'indépendance de l'Eglise, vous voulez toucher à l'indépendance de l'Etat ; vous voulez proclamer d'une manière indirecte qu'en Belgique, la religion dominante est la religion catholique, et en cela vous violez ouvertement la constitution.

C'est une question d'intérêt général, nous a dit l'honorable M. Dechamps ; que ferez-vous donc pour certaines communes où la religion protestante a beaucoup de prosélytes ? Forcerez-vous les quelques catholiques qui s'y trouveront à subir les dispositions prises en faveur des protestants ? La base de l'enseignement devra dans ces communes être la religion protestante. Les enfants catholiques auront-ils, dans ce cas, des garanties dont ils ont besoin d'après vos propres principes ?

On ne veut pas du projet de l'honorable M. Savart. Ce projet pouvait parer à l'inconvénient que je signale, parce que les communes, placées dans des positions différentes, auraient pu admettre des principes différents ; vous voulez une disposition générale ; vous devez donc vous mettre dans la position que vous a faite la constitution ; il n'y a pour l'Etat, ni religion catholique, ni religion protestante ; toutes les religions sont tolérées en Belgique et mises sur la même ligne.

Messieurs, on nous a fait certaines objections basées sur ce qui se passait en France et en Angleterre. Mais là, la position est tout à fait différente ; l'Angleterre a une religion dominante ; en France, il existe une religion de l'Etat ; le principe étant différent dans ces deux pays, les conséquences devaient être différentes aussi.

Je demanderai toujours aux partisans de l'opinion contraire : Pourquoi n'a-t-on pas écrit en 1831 dans le pacte fondamental belge ce qu'on voudrait y trouver aujourd'hui, et qu'on rencontre dans les constitutions d'autres pays qu'on cite pour exemples ?

Voilà, messieurs, les seules observations que je crois devoir vous soumettre pour le moment ; elles ne m'ont été suggérées que par les opinions qui avaient été énoncées par un honorable préopinant et par M. le ministre, quoiqu'on puisse en penser, j'ai cru de mon devoir de ne pas laisser passer inaperçue la tendance que je trouvais dans le projet de loi ; cette tendance, pour moi, est évidente, c'est toucher à une disposition fondamentale.

Je craindrai toujours qu'en faisant des concessions de cette espèce, on n'aille plus loin ; qu'en touchant à la liberté des cultes, on ne touche demain à la liberté de la presse, à la liberté d'association. C'est ce à quoi je ne donnerai jamais la main.

J'attendrai la discussion pour présenter, s'il y a lieu, de nouvelles observations.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, j'ai dit que la constitution avait proclamé un principe nouveau, l'indépendance du clergé ; que le droit de s'abstenir dérivait pour le clergé de la position indépendante qu'on lui avait faite.

Il a semblé que j'avais principalement en vue le clergé catholique. Mais il est impossible que dans cette discussion il n'en soit pas toujours ainsi ; le plus souvent, nous n'aurons en vue que la religion qui est celle de l'immense majorité des habitants du pays.

Mais ce que j'ai dit du clergé catholique s'applique au clergé de toutes les religions ; le clergé des autres religions aura également le droit de s'abstenir, et le cas peut se présenter.

A Bruxelles, par exemple, il n'existe pas d'école communale protestante ; mais le conseil communal pourrait établir une semblable école ; le clergé de la religion protestante examinerait jusqu'à quel point il peut ou non intervenir pour l'enseignement religieux dans cet établissement.

Vous voyez donc, messieurs, que ce que j'ai dit des conséquences de l'indépendance du clergé, s'applique à toutes les religions, et que, par une préoccupation toute naturelle, j'ai semblé avoir exclusivement en vue la religion de la majorité des Belges.

Il peut, il doit même arriver, que dans des communes autres que Bruxelles, où la religion de la grande majorité est la religion protestante, le conseil communal, remplissant les obligations que lui impose la loi, établira une école protestante ; eh bien, dans ce cas, le ministre de l'endroit, qui sera protestant, pourra s'abstenir d'accorder son intervention.

L'Etat, de son côté, conserve sa parfaite indépendance. Que l'Etat se borne à l'enseignement primaire proprement dit, comme il le fait pour les universités, par exemple, l'intervention du clergé n’est plus nécessaire ; mais c'est précisément ce que nous ne voulons pas pour l'instruction primaire ; nous voulons que l'enseignement primaire présente l'incorporation, pour ainsi dire, de l'éducation religieuse dans l'instruction proprement dite.

Si donc, par rapport à l'enseignement primaire, le gouvernement n'a pas la même position que par rapport à l'enseignement supérieur, c'est que relativement à l'enseignement primaire, nous reconnaissons tous que nous avons besoin de joindre à l'instruction proprement dite l'éducation religieuse, et que nous ne pouvons obtenir cette éducation religieuse que librement du clergé dont nous avons proclamé l'indépendance dans notre constitution.

Voilà les quelques observations que je crois, messieurs, devoir vous présenter, en réponse à l'honorable M. Verhaegen. Aucun principe de la constitution ne reçoit ici la moindre atteinte.

J'ai peu de chose à ajouter aux observations qui ont été faites par l'honorable M. Dechamps, en réponse à l'honorable M. Savart ; je crois, avec l'honorable rapporteur, qu'il est impossible d'admettre que la commune puisse être placée sur la même ligne que les citoyens, je ne dirai pas les autres citoyens, comme l'a dit improprement l'honorable M. Savart ; la commune n'est pas pour moi un citoyen, la commune n'est pas une individualité réelle, la commune est une personne civile, reconnue par la loi ; c'est une personne civile qui est placée sous la surveillance d'autorités supérieures, soit du conseil provincial, soit de la députation permanente, soit du gouvernement central lui-même. Cette personne civile, appelée commune, exercera les droits qui tiennent à l'enseignement, comme toutes ses autres attributions, c'est-à-dire sous la tutelle d'une autorité supérieure.

Il n'y a donc ici rien de changé dans la position de la commune. La commune n'a pas plus le droit de demander pour l'enseignement une existence absolue comme celle de l'individu, qu'elle l'aurait pour l'exercice de toute autre attribution, le droit de propriété, par exemple ; la commune n'exerce pas même le droit de propriété d'une manière absolue, elle est sous ce rapport soumise à une tutelle supérieure. Il est donc impossible d'assimiler la commune à un individu proprement dit, au citoyen proprement dit. Je ne dirai pas que le bon sens seul, pour me servir de l’expression de l'honorable M. Dechamps, s'y oppose, mais que les stricts principes du droit s'y opposent.

Ceci est tellement vrai, que les grands établissements qui se sont formés dans le pays pour l'enseignement supérieur, en vertu de la liberté d'enseignement ; que ces établissements, dis-je, n’exercent de droit constitutionnel que comme une réunion d'individus juxtaposés ; ils ne les exercent pas comme personnes civiles, et pour les exercer ainsi, il aurait fallu une autorisation de la législature.

Voilà une première observation en réponse à l'honorable M. Savart ; une deuxième est celle qui a été indiquée par l'honorable M. Dechamps, c'est que l'enseignement primaire est essentiellement un objet d'intérêt général. Une troisième observation, c'est qu'il n'est pas exact de dire que l'enseignement primaire soit donné exclusivement aux frais de la commune. L'enseignement primaire sera donné aux frais de la commune, de la province et de l'Etat. On peut donc dire que les écoles communales ne sont pas des établissements communaux dans la stricte acception du mot : que ce sont des établissements mixtes, et que le droit de l'intervention du gouvernement dérive de la circonstance qu'il subventionne ces établissements.

Vous pouvez donc, messieurs, considérer à certains égards la loi qui vous est soumise comme une loi complémentaire de la loi d'organisation communale de 1836.

La commune administre et dirige l'établissement ; mais la commune, n'étant qu'une personne civile, reste soumise à une tutelle supérieure. Cette tutelle est exercée par la députation permanente et par le gouvernement à qui vous attribuez l'inspection civile. Vous voyez de nouveau qu'il n'est porté atteinte à aucun des principes qui se rattachent à l'existence communale.

M. Savart-Martel. - Lorsque j'ai soumis un doute à l'assemblée, je n'ai fait aucune proposition et, je dois le dire, les explications qui m'ont été données, loin de lever mon doute, l’ont confirmé. Trois réponses m'ont été faites par M. le ministre ; et ce sont à peu près celles qui avaient été faites par l'honorable rapporteur de la commission.

Répondant d'abord à l'honorable rapporteur, je ferai observer que je n’ai pas demandé l'émancipation des communes, que je ne veux pas, comme il l'a dit, en faire des Etats au petit pied. J'ai demandé purement et simplement qu'on maintienne aux communes le droit de fonder une école à leurs frais qu'elles ont comme un simple particulier.

Vous dirai-je ce qui a provoqué mon doute ? C'est que dans le rapport je trouve un art. 5, ainsi conçu :

« Lorsque des communes établissent des écoles à leurs frais, elles jouissent, comme tous les citoyens, d'une liberté entière, pour nommer, suspendre ou révoquer les instituteurs, soit pour fixer leur traitement, soit pour diriger l'instruction. »

Je vois en tète de cet article :

« Articles du projet de 1834 qui n'ont point de dispositions correspondantes dans le projet nouveau et qui sont rendus inutiles la loi communale du 30 mars 1836. »

Il me semble que, par cela même que vous supprimez cet article qui maintenait le principe que je professe, en thèse générale les administrations communales peuvent établir à leurs frais des écoles indépendantes ; vous ne voulez plus l'appliquer, car si vous appliquez cette disposition, nous ne sommes plus en désaccord sur point.

Mais plus j'examine, plus mon doute devient sérieux, et il finira par devenir une vérité.

Prenons la constitution, n'y retranchons rien, mais n'y ajoutons rien.

Sans doute, une commune est une personne civile ; mais de ce qu’une commune est une personne civile, en tirez-vous la conséquence que la commune ne peut pas faire ce que peut faire un simple particulier ? Cette conséquence n'est démontrée par aucune raison ni par aucun article de la loi.

Si vous décrétez en principe, c'est en toutes lettres dans l'art. 16, que les frais de l'instruction primaire sont à la charge des communes parce que les communes sont des personnes civiles, pourquoi voulez-vous charger les communes de la dépense de l'instruction primaire et ne leur permettre de donner cette instruction qu'avec des règlements que vous ferez ?

Comme dans quelques villages il peut y avoir d'autres religions que la religion catholique et qu'il peut s'en implanter d'autres, que dans des localités on peut professer la religion israélite, qu'il peut y avoir encore d'autres dissidents, cela devient dangereux.

Dans mon système, au contraire, s'il était permis aux administrations communales de créer à leurs frais des écoles primaires, du moment qu'elles en feraient les frais, elles les dirigeraient à leur gré.

On nous a dit que la loi que nous faisons était une loi d'intérêt général. Je ne crois pas, quant à moi, qu'il y ait possibilité de faire une bonne loi d'intérêt général en matière d'instruction. J'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, quand Bonaparte, entouré de toutes les illustrations de l'empire, a fait tout ce qui lui était possible pour formuler une bonne loi d'instruction primaire, et n'a pu créer qu’une université avec un grand-maître et une hiérarchie de 19 degrés, mais ne comprenant pas l'enseignement primaire, vous voulez faire une loi générale dans un pays où la loi reconnaît plusieurs religions, et permet à d'autres religions de venir s'y implanter !

Je vous ai soumis des doutes, et je vous le répète, ces doutes existent toujours.

On a beau dire : il faut interpréter la constitution de telle ou telle manière. Je réponds : la constitution ne doit pas être interprétée, elle existe ; elle doit être exécutée littéralement. L’enseignement est libre, dit-elle ? Eh bien ! l'enseignement est libre pour tout le monde, aussi bien pour les autorités que pour les particuliers ; aussi bien pour l'autorité représentant une personne civile que pour les citoyens.

L'enseignement est libre, dit la constitution ; mais l'enseignement donné aux frais de l’Etat est régi par la loi. Ceci était parfaitement inutile, si la distinction que je vous présente n'existait pas.

On dit que, d'après mon système, il n'y pas moyen de faire une loi générale. Je ne conteste pas l'utilité d'une loi générale, mais je veux y introduire cette exception, que quand la commune trouvera utile de ne pas prendre sa part au budget, qu'elle voudra entretenir une école a ses frais, elle ne sera pas subordonnée à la loi.

Je n'entrerai pas ici dans les détails d'exécution ; je me bornerai à dire qu'il sera difficile de faire coopérer le clergé des différentes communions avec l'autorité civile, qu'on sèmera l'irritation et la zizanie, et au lieu d'une bonne loi, nous ferons une loi que nous serons dans la nécessité de rapporter.

Je ne veux pas, je le répète, entrer dans la discussion des articles de la loi ; mais je crois que nous allons contre l'article 17 de la constitution ; nous rétrécissons les pouvoirs des administrations communales ; je ne sais ce qu'elles ont fait de mal pour restreindre leur action, mais je vois qu'aujourd'hui on veut en toute occasion rétrécir le cercle de leur pouvoir, et qu'au lieu d'Etats au petit pied, on en fera des autorités qui n'auront plus le mot à dire, même dans le sein de la commune.

M. Dechamps, rapporteur. - Je commencerai par répondre quelques mots à l’honorable M. Savart-Martel. Il regrette que l’article 5 de l’ancien projet n’ait pas été reproduit dans le projet nouveau. J’ai déjà indiqué que cet article 5 était en contradiction manifeste avec les articles mêmes de ce projet.

S’il est vrai que la commune a le même droit que les particuliers, qu’en vertu de la liberté d’enseignement, l’école érigée aux frais de la commune est complètement émancipée, il est évident que vous ne pouvez admettre les articles du projet de 1834 qui fixent les matières d’enseignement, placent l’institution sous la surveillance d’un comité provincial, obligent la commune à avoir une école. Toutes ces prescriptions, vous ne pourriez pas les établir à l’égard de l’école privée, vous ne pourriez donc pas les appliquer, d’après votre interprétation, à l’école exclusivement communale.

Je ne suis pas le premier qui ai fait valoir cet argument. Il y avait dans le projet de 1834, entre l'article 5 et les articles précédents et suivants, une complète contradiction que nous évitons dans le projet que nous vous avons présenté. D'après cette interpellation, il est impossible d'écrire un seul article de loi sur l'enseignement primaire ; on ne pourrait s'occuper que des écoles normales et des écoles primaires supérieures fondées aux frais du gouvernement, mais il ne s'agirait plus d'écoles primaires proprement dites. La loi serait donc impossible.

Je bornerai là mes observations à l'égard de l'argument présenté par M. Savart-Martel. Je crois lui avoir répondu suffisamment sur les autres points.

J'ai quelques réflexions à présenter en réponse à l'honorable M. Verhaegen. Il a basé son argumentation sur une erreur complète. Il a pensé que dans la loi, c'était une concession large qu'on faisait à l’opinion religieuse. Il n'en est pas ainsi. Ce n'est pas d’une concession qu'il s'agit, mais d'un principe admis par M. Verhaegen lui-même, puisqu'il nous a dit qu'il voulait comme chacun de nous placer en tête des matières de l’enseignement la religion et la morale. S'il veut réellement la consécration sérieuse de ce principe, il devra adopter les déductions que nous en avons tirées, ou d’autres équivalentes ; ou bien nous prouver, ce qu'il n'a pas fait, que ces conséquences ne sont ni justes ni raisonnables.

Il ne s'agit donc pas de concessions, mais d'un principe admis par l'honorable membre lui-même.

L'honorable membre s'est formalisé d'un mot dont s'est servi M. le ministre de l'intérieur dans le discours qu'il a prononcé au commencement de cette séance. M. le ministre a dit une chose très simple : que l’école primaire légale devait être créée de manière à être acceptée par la famille et le clergé des différents cultes. Dans cette idée si simple, il a vu l'absorption de l'Etat par le clergé. Il faudrait donc à l'honorable membre, pour que l'Etat ne fût plus absorbé par le clergé, que l'école légale fût créée de manière à être repoussée par celui-ci.

Cette pensée exprimée par M. le ministre de l'intérieur, est celle développée dans le livre que vous avez tous lu de M. Barrau, qui a reçu les applaudissements de l'Institut de France et de toutes les feuilles libérales. Ce livre repose sur cette pensée qu'il n'y a pas d’école primaire là où il n'y a pas d'enseignement religieux, qu'elles tombent devant la répulsion des familles ; qu'il faut les créer dans des conditions telles qu'elles puissent être acceptées par la commune, par les familles et par le clergé.

C'est cette pensée qu'a reproduite M. le ministre. On a vu dans cette déclaration une pensée qui devait effaroucher l'opinion libérale sous la restauration ; en 1816 et 1828, deux ordonnances ont été acceptées par l'opinion libérale, celle de 1828, prise au milieu de la flagrante réaction contre le royalisme, quand on ferma les petits séminaires et qu'on chassa les jésuites.

Eh bien ! c'est cette année (et je l'ai consigné dans mon rapport), c'est cette année qu'un ministre libéral M. dc Vatimesnil a proposé au roi une ordonnance qui a été accueillie favorablement par toute la France libérale, qui, en 1833, a été l'objet des éloges des députés libéraux, qui a été regardée comme un gage de conciliation. Eh bien, notre projet va moins loin que l'ordonnance rendue sur la proposition de M. de Vatimesnil. Il s'agissait dans cette ordonnance de certificats d'aptitude religieuse. Cette idée, que nous n'avons pas adoptée, avait été acceptée alors sans opposition. Il ne s'agit pas de concessions qui tendraient à faire absorber l'Etat par l'Eglise. Il s'agit de modération et de conciliation. Les membres qui ont pris la parole, et je les en remercie, ont fait tout ce qui était en eux pour faire cesser l'irritation que l'on craignait de voir se produire, à propos de cette discussion. On s'était donné rendez-vous à cette discussion ; on s'attendait à voir les partis mettre le feu aux quatre coins de la Belgique. Vous voyez qu'il n'en est rien. Il y a beaucoup plus de division sur les mots que dans les choses. Il suffit que l'on pose la question, pour que les hommes d'ordre et de modération, les honnêtes gens de tous les partis, parviennent à s'entendre.

L'honorable M. Verhaegen a donné à un article de la loi une interprétation complètement différente de celle qu'y donnent le gouvernement et la section centrale. Je m'étonne qu'il ait présenté cette observation ; car elle m'a prouvé qu'il n'a pas daigné lire le rapport de la section centrale, où elle se trouve abordée et réfutée.

L'honorable M. Verhaegen a soutenu que, dans le projet de loi, il ne s'agissait que de la religion professée par la majorité des Belges. Il n'en est rien. Le principe est le même que celui du projet de 1834, c'est-à-dire que les familles dans les localités catholiques auront des écoles catholiques, qu'elles auront dans les localités protestantes des écoles protestantes, des écoles israélites dans les localités israélites.

Le principe, c'est la séparation des écoles par culte, principe adopté dans tous les pays, où fleurit l'instruction primaire.

Ainsi nous sommes d'accord avec l'honorable membre ; nous voulons une protection égale pour tous les cultes. Loin de froisser la constitution, nos principes reposent sur la constitution. Si d'autres principes étaient adoptés, il ne me serait pas difficile de prouver que la constitution ne serait pas observée.

Ainsi nous n'avons pas voulu faire un projet insuffisant. Dans le projet de 1834, deux choses étaient restées en oubli ; d'une part, le gouvernement c'est-à-dire la surveillance supérieure ; d'autre part, les garanties pour les opinions religieuses. Nous avons complété sous ce rapport le projet de 1834.

L'honorable M. Verhaegen a renouvelé une vieille objection. Il vous a dit que l'on compare toujours la législation des autres pays, tels que la France, l'Angleterre et l'Allemagne avec celle qui doit être établie en Belgique, et que c'est à tort, parce que si l'on conçoit l'action du clergé sur l'instruction primaire en Angleterre et en Allemagne, où il y a une religion d'Etat, on ne la conçoit pas en Belgique où il n'y a pas de religion de l'Etat.

Veuillez me permettre de relire un passage du rapport que l'honorable membre n'aura pas lu avec assez d'attention.

« Cette objection repose sur une confusion d'idées et sur une erreur de fait.

« En Prusse, en Autriche et en Angleterre, l'instruction religieuse et l'intervention du clergé dans l'école, ne dérivent pas du principe d'une religion d'Etat, car sans cela ce serait le calvinisme en Prusse, le catholicisme en Autriche et l'anglicanisme dans la Grande-Bretagne qui régneraient exclusivement dans les écoles légales. La tolérance civile y est, au contraire, admise pour les communions chrétiennes, et chaque culte possède ses écoles. Ce que la loi exige, c'est la réalisation d'un principe social, c'est qu'un enseignement religieux soit donné aux enfants, dans toute école publique, d'après la croyance des familles. »

Ainsi, si l'honorable M. Verhaegen avait fait quelque attention au rapport que j'ai soumis à la chambre, il aurait vu que l'objection qu'il a crue si formidable n'en est pas une et que j'y avais répondu d'avance.

M. Dolez. - En prenant en ce moment la parole, je n'ai pas la pensée d'entrer dans le fond du débat, je veux seulement adresser à M. le ministre de l'intérieur une interpellation sur une expression dont il s'est servi dans le discours qu'il a prononcé au début de la discussion générale. Cette interpellation, je la crois d'autant plus nécessaire qu'elle est relative à l'article fondamental (art. 21) du projet de loi. M. le ministre de l'intérieur vous a dit tout à l'heure, en vous faisant remarquer avec vérité la position indépendante que notre pacte fondamental a faite au clergé, que si le clergé refusait son intervention, l'école communale perdrait son caractère légal. C'est cette expression, dont je n'ai pas compris toute la portée, que je prie M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien clairement définir. Veut-elle dire qu'encore bien que la commune aurait rempli toutes les conditions que la loi lui impose, le refus d'intervention du clergé ferait tomber l'école communale, qui serait convertie en école privée, ne pouvant plus recevoir de subside ni de l'Etat ni de la province ni de la commune. Si telle était l'interprétation de l'expression de M. le ministre, il en résulterait que le projet de loi n'appellerait pas le clergé à concourir à l'instruction primaire, mais qu'il l'appellerait à la dominer ; car il suffirait au clergé de dire : Je refuse mon intervention pour que les subsides donnés soit par la commune, soit par la province, soit par l'Etat, vinssent à tomber. Dès lors il n'y aurait plus intervention du clergé dans l'enseignement primaire, mais domination et domination évidemment tyrannique.

Est-ce là ce qu'a voulu dire M. le ministre de l'intérieur ? Je le prie de vouloir bien s'en expliquer.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il faut voir la loi dans son ensemble ; désormais il n'y aura plus de ces refus du clergé, comme on en a quelquefois signalé. Le refus ne sera pas absolu. Il y aura une double inspection. L'évêque transmettra au gouvernement le rapport qui lui aura été fait tant par le curé de la localité que par l'inspecteur ecclésiastique. Je suppose que, dans ce rapport, on prouve que, dans telle localité, l'instituteur est tout à fait dans l'impossibilité de remplir la partie de ses fonctions qui concerne l'éducation religieuse ; ce rapport est transmis et en quelque sorte notifié au ministre de l'intérieur par l'évêque. Le ministre de l'intérieur donne connaissance de cette notification à la députation permanente et au conseil communal. Des délais seront très souvent fixés, je n'en doute pas ; mais si l'autorité locale persistait à soutenir que l'instituteur enseigne la religion comme elle doit l'être, le gouvernement retirerait son subside, la province retirerait également le sien. Il ne peut en être autrement.

Du reste, messieurs, ceci sera plus amplement expliqué quand nous en serons au § 2 de l'art. 21. Mais désormais le refus de concours du clergé ne sera plus un refus absolu, sans indication de motifs, comme la chose arrive et doit arriver en l’absence d’une loi ; ce sera un refus motivé, communiqué au ministre de l’intérieur. Le ministre fera, de son côté, tout son possible pour amener le maintien de cette école. Je le répète, nous reviendrons, lors de la discussion de § 2 de l’art. 21, sur cette disposition qui, comme l’a très bien dit l’honorable M. Dolez, est extrêmement importante ; elle est fondamentale dans le projet.

M. Dolez. - Messieurs, je dois demander des renseignements plus amples à M. le ministre de l'intérieur, sans attendre l'examen de l'art. 21 ; car les éclaircissements qui me seront donnés seront la boussole qui me guidera dans le vote de la loi.

Messieurs, si la réponse que vient de me faire M. le ministre de l'intérieur a la portée que je crois pouvoir lui assigner, je dois proclamer dès à présent que le projet tend à organiser non pas l'intervention du clergé que nous désirons tous, mais sa domination directe sur l'enseignement primaire.

Voici ce que porte l'art. 21 du projet :

« Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l'Etat, qu'autant qu'elle se conforme aux dispositions de la présente loi.

« Le gouvernement, sur les rapports dont il est parlé aux articles 8 et 14 de la présente loi, s'assurera de l'exécution de ces conditions. »

Au nombre des conditions tracées par la loi, se trouve l'intervention du clergé pour l'enseignement religieux. Je suppose qu'une commune organise son enseignement civil dans toutes les conditions déterminées par la loi ; qu'elle remplisse par conséquent, autant qu'il est en elle les obligations légales qui résultent du projet. Mais je suppose, d'autre part, que le clergé, faisant preuve de moins de prudence et de modération que ne lui en a supposé M. le ministre, vienne à dire : Je ne veux pas intervenir dans l'enseignement de cette commune ; est-il possible d'admettre que l'art. 21 ait cette portée de faire tomber l'existence légale de l'école par le seul fait du refus d'intervention de la part du clergé ? Voilà la question ; que M. le ministre veuille m'y répondre d'une manière catégorique.

Si ce refus du clergé doit faire tomber l'école communale, la convertir en une simple école privée, je ne puis vouloir de la loi, parce qu'alors vous n'avez pas l'intervention du clergé, mais vous avez évidemment sa domination.

Et il m'est permis, à moi, d'insister sur cette question, parce qu'un des chefs du clergé a honoré un de mes discours d'une réponse dans laquelle il proclame notamment qu'il n'est pas pour lui d'intervention possible du clergé dans l'enseignement public, si le choix des professeurs ne lui est pas abandonné. Eh bien, si pareille exigence venait à se produire d’une manière directe ou déguisée, je demande que M. le ministre de l'intérieur nous dise s'il entend la loi de cette manière, que l'école devrait tomber en présence de cette exigence. Je le prie de me répondre catégoriquement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dirai que cette exigence, celle de la nomination des professeurs, serait une exigence illégale, et le clergé ne pourrait mettre à son intervention cette condition qui n'existe pas dans la loi. La commune nomme et révoque.

Mais si vous n'admettez pas l'art. 21, vous consacrez la domination absolue de l'autorité civile. Si l'école communale peut continuer à exister sans le concours du clergé, le conseil communal se rendra indépendant en déclarant que ce concours ne lui est pas nécessaire.

Vous êtes dans cette alternative, je le répète, que si vous n'admettez pas l'art. 21, vous consacrez l'omnipotence du conseil communal. Il y a ici, messieurs, entre le clergé et l'autorité communale, le gouvernement central qui exerce une sorte de médiation. C'est au gouvernement central, remarquez-le bien, que les évêques font connaître quel est l'état de l'enseignement religieux dans l'école ; c'est alors l'autorité centrale qui fait connaître cette notification à la députation et au conseil communal. Je le dis de nouveau, le gouvernement exerce ici une sorte de médiation ; il fera en sorte que les conflits soient aussi rares que possible.

Mais, je ne puis assez le répéter, si vous n'admettez pas l'art. 21, vous consacrez l'omnipotence de l'autorité communale, qui se bornera à déclarer qu'elle se passera du concours du clergé.

Quand j'ai dit que nous reviendrions sur cette disposition, ce n'est pas que je voulais dès à présent mettre fin à cette discussion ; je croyais que de plus amples développements viendraient plus à propos lors de la discussion spéciale qui s'engagera sur l'art. 21.

M. Dumortier. - Messieurs, il est un point qui domine toute la loi qui nous occupe. Faut-il ou ne faut-il pas que l'instruction primaire ait un caractère moral et religieux ? Voilà, messieurs, toute la question fondamentale du projet. Il n'y a point à biaiser, il faut vouloir ou ne pas vouloir. Si on ne veut pas de l'intervention religieuse dans l'instruction, si, en un mot, on ne veut pas d'instruction religieuse, alors qu'on le dise franchement et qu'on fasse la loi en conséquence.

Mais si l'on convient que l'instruction doit être religieuse, il faut en vouloir les conséquences et ne pas reculer devant cette nécessité de l’inscrire dans la loi.

On a, à cet égard, soulevé une première question, question très sérieuse, sans doute, celle de savoir si la disposition peut être constitutionnelle. Mais à cet égard la réponse est très facile, et on vous l'a déjà faite. Les communes ne peuvent rien que par la loi. Dès lors vous pouvez régler les dispositions relatives a l'instruction dans les communes, et vous le pouvez quant aux garanties religieuses comme pour le reste ; sans cela vous ne pourriez faire de loi sur l'instruction primaire.

La disposition constitutionnelle que l'on invoque est dans le titre des Belges et de leurs droits, et non dans celui qui traite du pouvoir communal. .

Et certes, messieurs, il n'est pas possible de prétendre que nous ne pouvons pas régler les dispositions de la loi d'instruction pour les communes, alors que depuis dix ans, dans chaque discours du trône, dans chaque adresse en réponse à ces discours, nous parlons de la nécessité de faire une loi d'instruction primaire. Or qu'est-ce que la loi d'instruction primaire ? Rien autre chose que la loi d'instruction dans les communes. Venir donc prétendre que nous ne pouvons intervenir dans l'action de la commune sur l'instruction primaire, c'est venir prétendre que depuis dix ans, on a eu grand tort de dire qu'il fallait s'occuper d'une loi sur l'instruction publique.

Nous pouvons donc intervenir dans l'instruction donnée par la commune, et nous y sommes déjà intervenus. Voyez, en effet, l'article 84, n°6, de la loi communale :

« Le conseil nomme :

" 6° Les professeurs et instituteurs attachés aux établissements communaux d'instruction publique. »

Or, comment la section centrale a-t-elle justifié cette rédaction ? En vous disant dans son rapport :

« Le conseil communal aura la nomination des instituteurs qu'il salarie. Nous avons pensé que ce paragraphe ne devait s'entendre que de ceux attachés aux établissements communaux d'instruction publique, mais que la collation d'un simple subside ne devait pas entraîner le droit de nomination et de révocation qui en est la suite. »

Vous le voyez donc, messieurs ; on reconnaît par là deux choses ; la première c'est que la constitution nous avait donné le droit d'intervenir dans les dispositions communales au sujet de l'instruction. Car de même que nous avons accordé aux conseils le droit de nommer les instituteurs, de même aussi nous aurions pu poser certaines limites à ce droit, le refuser même. D'un autre côté, il était manifeste que l'intention de la chambre, en faisant la loi communale, était que la collation d'un simple subside ne donnait pas le droit de nomination, c'est-à-dire que, dans l'organisation de l'instruction primaire, le principe de la liberté de l'instruction publique devait prévaloir avant tout.

Il est donc manifeste que nous pouvons et que nous devons réglementer ce qui est d'instruction publique dans la commune, et qu'ainsi la constitution ne s'oppose pas à ce qu'il soit donné des garanties religieuses.

Mais, vient-on vous dire, si vous admettez le système présenté par la section centrale, vous allez établir la domination du clergé ; vous allez absorber l'Etat par l'Eglise. Messieurs, je ne m'explique pas sur l'ensemble du projet ; mais je tiens à cœur d'examiner sérieusement le point fondamental de la loi dont je m'occupe en ce moment, celui de savoir si l'éducation religieuse doit se lier à l'instruction primaire.

Une voix. - Personne ne conteste ce principe.

M. Dumortier. - J'entends dire : Personne ne conteste ce principe, et moi je dis qu'on ne conteste pas le principe, mais qu'on en conteste l'application ; et quand on conteste l'application, on conteste le principe ; il vaudrait mieux le contester franchement. On veut rendre la loi impossible ; et rendre la loi impossible, c'est se mettre en opposition avec son principe.

Je dis, quant à moi, que l'instruction doit être religieuse, et qu'il faut arriver aux moyens nécessaires pour qu'elle le soit.

Je concevrais qu'on put faire l'observation que l'on présente, si nous étions sous le régime du vote universel. Alors on concevrait que tous les citoyens qui concourent à payer les deniers de la commune, pussent venir concourir au vote de leurs magistrats ; mais les choses ne sont pas ainsi ; à peine un dixième de la commune est-il électeur, et de ce dixième la moitié forme le conseil communal. Ainsi dans une commune de cinq cents habitants, vous aurez tout au plus 50 électeurs, peut-être n'aurez-vous que 30 électeurs. Eh bien, sur ces 30 électeurs, seize personnes formeront la majorité. Vous voudrez donc que cette majorité de seize personnes ait un pouvoir absolu pour réglementer tout ce qui concerne l'instruction des 500 habitants de la commune. Voilà, messieurs, quelle serait la conséquence de ce système que nous ne pourrions régler et qui est d'intérêt public dans l'instruction religieuse.

Je crois, messieurs, que nous avons ici un devoir, et un devoir important à remplir, celui de prendre sous notre sauvegarde les intérêts religieux de ces habitants auxquels la loi ne confère pas le droit de voter dans les élections communales. Ces habitants, vous le savez, c'est le peuple ; le peuple qui a fait la révolution, le peuple que vous venez de proclamer éminemment attaché à ses principes religieux. Eh bien, le peuple a le droit d'exiger qu'on donne à ses enfants ces principes religieux, qu'on les leur donne tels qu'il les a reçus de ses pères.

Messieurs, je suis vraiment surpris de voir contester ce principe dans le moment où les plus grands hommes d'Etat, en France, en Angleterre, en Allemagne, reconnaissent tous la nécessité d'un enseignement religieux. Non, il n'est pas d'enseignement possible, il n'est pas de bonheur possible pour un peuple, si cet enseignement n'est basé sur la morale religieuse.

Voyez ce qui s'est passé en France, il n'y a pas longtemps, lors de l'attentat de Quénisset. Que disait alors la presse, la presse libérale en France ? Elle proclamait la nécessité d'un retour aux idées religieuses ; elle faisait remarquer que cet homme avait été consulter plusieurs personnes bien établies, et qu'il n'en avait trouvé aucune pour le dissuader de commettre un attentat contre la vie du souverain. Voilà le dernier résultat d'une instruction qui manque de base religieuse. L'homme qui ne trouve pas dans sa conscience un frein à ses passions, une consolation dans l'infortune est exposé aux plus grands malheurs, il devient l'ennemi de ses princes, le tourment de la société. Voilà pourquoi je tiens à ce que le peuple conserve cette morale religieuse qu'il tient de ses pères, et sans laquelle il n'y a pas pour lui de bonheur, pas de stabilité pour la société.

Je conçois, au point de vue politique, qu'un homme doué d'une grande philosophie puisse se passer d’un frein religieux ; mais ce que je ne conçois pas, c'est qu'un peuple qui n'a pas cette philosophie, puisse se passer de ce frein. Je dis que c'est faire le bonheur du peuple que d'insérer dans la loi les moyens de lui donner une éducation religieuse.

Ainsi. messieurs, il est indispensable que dans la loi qui nous occupe nous fassions la part à l’éducation religieuse. On vient vous dire : Mais vous allez absorber l'Etat dans l’Eglise. A cet égard, messieurs, je féliciterai volontiers l'honorable membre qui, le premier, a fait cette découverte. Après avoir inventé le rétablissement de la dîme, après avoir inventé le rétablissement de la mainmorte, il paraît avoir découvert aujourd'hui l’absorption de l'Etat dans l'Eglise.

Eh bien, je dis ; moi, que c'est encore là une chimère semblable aux deux autres que je viens de citer. Je soutiens au contraire que si vous ne voulez pas de la disposition qui vous est présentée, que si vous ne voulez pas l’action libre du clergé quant à ce qui touche aux intérêts religieux, vous voulez alors l'absorption de l'élément religieux par l'élément civil.

Messieurs, je n'hésite pas un seul instant à le dire, entre ces deux absorptions, celle-ci serait la plus dangereuse. Car je ne puis concevoir qu'un conseil de 30 personnes ait à sa disposition la morale religieuse d'une commune de 60 mille habitants, que ce conseil puisse ainsi priver de la religion de leurs pères des enfants qui, pour apprendre à lire et à écrire, devront passer par les écoles de la commune. Messieurs, nous devons nous porter protecteurs du peuple, de l'orphelin ; le peuple veut conserver cette morale religieuse, c'est à nous de la lui conserver.

M. Dolez. - Messieurs, l’honorable M. Dumortier s'est donné une peine superflue en démontrant la nécessité de l'éducation morale et religieuse ; sur ce point nous sommes d'accord, et je suis heureux de ne pas avoir à le combattre.

L’interpellation que j'ai adressée à M. le ministre de l'intérieur a porté ses fruits ; elle a rendu manifeste la portée du projet que, pour ma part, j'avais interprété tout différemment, et plusieurs de mes collègues l'avaient interprété comme moi.

Toutefois, comme nous avons abordé l'examen de cette loi importante, avec des pensées sérieuses de conciliation et de modération, je n'anticiperai pas sur la discussion de l'art. 21. Mais je prie instamment M. le ministre de l'intérieur et M. le rapporteur, qui a spécialement étudié cette matière, de tâcher de trouver le moyen de concilier les deux exigences qui sont en présence ; c'est-à-dire l’indépendance de l'enseignement religieux sans l'asservissement au clergé des écoles communales. Je crois que ce moyen peut se produire. Mais s'il ne se produisait pas, à mon grand regret, je le dis sincèrement, je devrais voter contre la loi, et je crois qu'un grand nombre de mes collègues seraient dans la nécessité d'en agir de même.

Tâchons donc, dans l'intérêt de la loi, dans l'intérêt du pays, dans l’intérêt de la concorde pour le présent et pour l'avenir de trouver un moyen de concilier ces deux idées contradictoires qui viennent de se produire tout à l'heure.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L'honorable préopinant, en s'adressant à moi, m'avait demandé tout à l'heure : « Que feriez-vous si l'évêque vous déclarait qu'il n'entend intervenir qu'à la condition d'avoir la nomination des instituteurs » ? J'ai répondu que le droit de nommer les professeurs n'est pas attribué au clergé, que ce n'est pas là une des conditions résultant de la présente loi. Le clergé doit accepter la loi telle qu'elle sera formulée par vous ; s'il ne l'accepte pas il n'y aura pas intervention de sa part, et alors la loi sera nulle ; il faudra en faire une autre ; eh bien, lorsque la loi dit : « Aucune école ne pourra conserver ni obtenir un subside qu'autant qu'elle se conforme aux conditions de la présente loi, » elle ne subordonne pas le subside à la nomination des professeurs par le clergé puisque cette condition n'est pas dans la loi.

M. Dolez. - Mais si le clergé refuse son concours, sans faire connaître les motifs de ce refus ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si le clergé veut se montrer déraisonnable, la loi ne sera pas possible. J'ai eu soin de dire que, dans l'organisation de l'enseignement primaire, trois autorités sont en présence, savoir : la commune, le clergé et le gouvernement, associé à la députation permanente ; chacune de ces autorités doit se montrer raisonnable, modérée, pénétrée des droits qu'ont les deux autres autorités en face desquelles elle se trouve en quelque sorte placée. Voilà ce qu'il faut supposer, voilà, d'ailleurs ce que vous supposez dans toute autre circonstance ; si vous supposez qu'une autorité quelconque exerce ses droits d'une manière déraisonnable, il n'y a plus de loi possible, il n'y a plus d'organisation possible. .

Quant à la position où se trouvera le gouvernement, lorsque la loi sera votée, il est bon qu'on la connaisse : dès aujourd'hui le gouvernement accorde des suppléments de traitement aux instituteurs communaux ; jamais ces suppléments ne s'accordent sans que le gouvernement ne se soit enquis, sous tous les rapports, de la conduite de l'instituteur, et si l'instituteur était signalé comme incapable, par exemple, sous le rapport religieux, le subside ou le supplément de traitement serait refusé. C'est là, messieurs, la conduite qui a été tenue par tous mes prédécesseurs ; il y a peut-être au ministère 500 dossiers qui témoignent de cette manière de voir.

Je ne puis assez le répéter, messieurs, il y avait ici un prétexte ; l'autorité civile, représentée par le conseil communal, et l'autorité ecclésiastique ; nous avons senti qu'il fallait entre ces deux autorités une haute médiation, et c'est pour cela que nous avons fait intervenir le gouvernement pour exercer cette haute médiation. C'est ce que ne faisait pas le projet de 1834, et je n'hésite pas à dire que, sous ce rapport, le projet de loi de 1834 aurait complètement manqué son effet. Il ne suffit pas de dire que l'instruction morale et religieuse fait partie de l'enseignement. Il faut que ce principe ait une sanction ; cette sanction ne se trouvait pas dans le projet de 1834, nous la proposons aujourd'hui ; nous donnons au gouvernement une haute médiation ; c'est au gouvernement que le clergé fait connaître les rapports qu'il a reçus, tant des inspecteurs que du curé, sur l'état de l'enseignement religieux dans l'école ; le gouvernement, prenant en considération cette communication du clergé, communication qui doit toujours être motivée, appuyée de pièces, appuyée de faits, le gouvernement retire le subside accordé par l'Etat à cette école, et il fait la même communication à la députation qui doit à son tour retirer le subside accordé par la province.

Je dis, messieurs, que ce sont là des cas extrêmes, des cas qui se présenteront rarement, puisque le gouvernement sera appelé à exercer une haute médiation qui, jusqu'a présent, n'était dévolue personne.

(Moniteur belge n°222, du 10 août 1842) M. Dechamps. - Messieurs, l'interpellation faite au gouvernement par l'honorable M. Dolez, consiste à demander si l'instruction morale et religieuse est obligatoire dans les écoles. On dit que ce principe n'est en question pour personne, et je pense, messieurs, que chacun de nous ne veut pas se borner à écrire le mot dans la loi, en excluant la chose. Or, je demanderai à l'honorable M. Dolez, s'il était ministre et s'il n'avait entre les mains qu'une loi dans laquelle se trouverait écrit ce simple article : « L'instruction morale et religieuse est obligatoire dans l'école ; elle y est donnée sous la direction et sous la surveillance des ministres du culte ; » je lui demande comment il exécuterait cet article, et s'il ne se croirait pas obligé, lorsque l'autorité qui est seule compétente en matière religieuse, lui ferait connaître que cette condition n'est pas remplie, s'il ne se croirait pas loyalement obligé à refuser tout subside à cette école ? Eh bien, messieurs, nous n'avons fait qu'écrire dans la loi ce qui est une déduction logique d'un principe sur lequel il n’y a pas de dissidence ; il faut ici agir avec sincérité ; si vous voulez le principe, il faut vouloir la sanction du principe.

Je ne pense pas, messieurs, qu'une législation sur l'instruction primaire offre des garanties plus modérées, sous le rapport des croyances religieuses, que le projet de loi dont nous nous occupons.

Nulle part on ne s'est borné à écrire dans la loi d'une manière abstraite, ce principe que l'enseignement primaire doit être basé sur la morale et la religion, mais partout on a consacré cet axiome par des prescriptions positives. Cette sanction, on a trouvé trois moyens pour l'obtenir ; dans tous les pays de l'Allemagne, et en Suisse, on a admis le principe des certificats ; certificats d aptitude civile et certificats d'aptitude religieuse ; en Angleterre, ces certificats n'existent pas, mais là il y a une autre sanction ; là il n'est pas permis au gouvernement d'accorder un subside quelconque a une école qui ne soit acceptée par l'un des cultes professés par les populations.

En 1839, lord John Russell a demandé à pouvoir, exceptionnellement, allouer des subsides aux écoles qui ne relevaient pas de l'un des cultes existant en Angleterre ; eh bien, cette faculté lui a nettement été refusée. C'est qu'en Angleterre, pas plus que dans aucun pays du monde, on ne suppose un enseignement légal purement civil. Eh bien, messieurs, je le déclare, admettre le principe que l'enseignement doit être moral et religieux et ne pas sanctionner ce principe par des dispositions efficaces, c'est repousser le principe lui-même ; c'est une contradiction évidente.

Vous déclarez que l'enseignement religieux est obligatoire dans l'école ; qu'il doit y être donné exclusivement par l'autorité religieuse ; vous admettez la surveillance de cette autorité sur les écoles subsidiées et vous voudriez vous arrêter là. Vous déclareriez qu'il est libre à la commune on à un instituteur de se soustraire aux conditions essentielles auxquelles toute école légale doit se conformer. Vous voulez que l'enseignement soit religieux et moral ; mais cette condition ne serait pas remplie s'il pouvait dépendre d'une autorité communale ou d'un instituteur d'empêcher que la morale et la religion soient réellement enseignées dans l'école par la seule autorité qui soit compétente pour donner cet enseignement.

Cette condition ne serait pas remplie, si la loi laissait exister la possibilité de créer des écoles publiques avec un enseignement purement civil. Vouloir qu'il soit permis aux communes d'échapper par leur mauvais vouloir aux enseignements d'un principe que vous proclamez vous-même, c'est ne pas vouloir de ce principe. Alors il faut le poser hardiment sur un terrain de franchise, il faut attaquer le principe, même comme injuste et exorbitant.

On a dit, messieurs, que l'article dont il s'agit renfermerait la déclaration de l'omnipotence du clergé dans l'enseignement. Mais je pourrais dire, messieurs, qu'il y a omnipotence au même degré pour l'autorité civile.

Je suppose, en effet, qu'un instituteur soit agréé par l'autorité religieuse, qu'il soit constaté par le rapport de l'évêque que cet instituteur possède toutes les qualités désirables en ce qui concerne la religion et la morale ; mais qu'il soit reconnu en même temps par l'autorité civile que cet instituteur est incapable sous le rapport scientifique ; eh bien, tout subside devra lui être refusé, l'autorité religieuse est vinculée et doit se soumettre. Ainsi l'autorité civile sera omnipotente ; le clergé ne pourra pas lui imposer un instituteur. Il y a, si vous le voulez, et dans un certain sens, omnipotence de deux côtés, chacun dans sa sphère.

Ainsi, messieurs, je le répète, et je soumets ces réflexions à votre impartialité ; ou bien il ne faut pas écrire le principe dans la loi, il faut déclarer franchement que l'enseignement primaire est purement civil, que l'autorité religieuse n’y exercera aucune espèce d'influence ni de surveillance ; ou bien il faut trouver une sanction sérieuse au principe que l'enseignement doit être religieux et moral. Or, je serais curieux de connaître quelle sanction l'honorable préopinant trouverait en dehors de celle que nous proposons.

L'honorable député de Mons a trop de sincérité dans ses opinions pour ne pas vouloir la sanction du principe qu'il proclame ; eh bien, je demande quelle sanction il substituerait à celle consacrée dans le projet de loi. Vous bornerez-vous à dire que l'enseignement religieux donné dans les écoles est soumis à la surveillance des ministres du culte ? Mais si l'autorité religieuse ne possède aucun moyen pour rendre sa surveillance efficace, vous n'aurez rien fait. Voulez-vous des certificats d'aptitude religieuse, système que l'on avait admis sous la restauration et qui existe également dans la plupart des pays où il a des lois sérieuses sur l'instruction primaire ? Mais vous vous y refuseriez.

Voulez-vous du système des comités qui était celui du projet de loi de 1834 ? Mais ce système est tombé en France ; il est jugé insuffisant par les auteurs mêmes de la loi de 1833 ; vous avez vu par le rapport de M. Villemain que le système des comités n'est pas mis à exécution en France, et qu'on a dû, en dehors de la loi, se rattacher au système que nous avons nous-mêmes choisi.

Je me bornerai pour le moment à ces courtes observations.

(Moniteur belge n°221, du 9 août 1842) M. Dolez. - Messieurs, je ne puis hésiter à répondre affirmativement à la question que l'honorable M. Dechamps m'a posée. Sans doute, si l'on venait à signaler qu'un instituteur ne donne pas dans des conditions satisfaisantes de moralité l'enseignement qu’il est appelé à donner à la jeunesse, je n'hésite pas à dire qu'il faudrait lui retirer tout subside ; mais je veux que l'autorité chargée de retirer le subside ait le droit d'examen. Ce que je ne veux pas, c'est que le retrait du subside soit absolu ; ce que je ne veux pas, c'est que l'autorité ecclésiastique puisse, sans motifs, faire tomber une école communale.

Présentez-nous un projet qui éloigne ce danger, et je m'y associerai de grand cœur. Mais la loi, telle que M. le ministre de l'intérieur l'interprète, n'a pas, la portée que je désire lui voir ; par cela seul que le clergé déclarerait qu'il s'abstient de concourir à l'enseignement communal, cet enseignement communal même civil viendrait à être supprimé de plein droit. L'inspection que ferait le gouvernement, l'examen qu'il ferait des rapports de l'autorité ecclésiastique l'eussent-ils même convaincu que cette autorité a cent fois tort, il devrait laisser tomber l'école. Eh bien, voilà ce à quoi nul ne nous ne peut raisonnablement consentir.

Sans doute, nous ne pouvons pas contraindre le clergé à continuer l'enseignement religieux dans les écoles communales, mais c'est déjà là une immense garantie pour le clergé, que le personnel enseignant sera constitué dans des conditions telles qu'il donne toute satisfaction possible au clergé. Et à côté de cette garantie vous voudriez servir ce principe exorbitant que sur un caprice de l'autorité ecclésiastique, on pourrait anéantir l'école communale entière ! Mais, est-ce là un principe de modération, de conciliation ? En vérité, je ne puis pas le croire. Qu'on donne à une autorité quelconque, qu'on donne au gouvernement le droit, après avoir pris tels ou tels avis, de décider s'il y a lieu de retirer le subside quand l'autorité ecclésiastique prétend se retirer, je le veux bien, mais de grâce, ne demandez plus davantage ; vous convertiriez en opposants des hommes qui ne demandent pas mieux que de voter la loi.

M. Rogier. - Messieurs, le projet de loi qui nous est soumis est destiné, dit-on, à compléter la loi élaborée en 1834 par une commission, composée de membres dont les noms sont encore présents aux souvenirs de chacun de vous, et qui présentaient au point de vue moral et religieux toute espèce de garantie.

J'avoue que je ne m'étais pas fait une idée de la portée qu'on vient de donner à l'art. 21 ; j'ai parcouru le rapport de la section centrale, et je n'y ai pas vu le commentaire de cet article ; je prie l'honorable rapporteur de vouloir bien m'indiquer la page où se trouve le commentaire qui vient d'être fait par M. le ministre de l'intérieur.

M. Dechamps, rapporteur. - C'est aux pages 85 et 96.

M. Brabant. - Lisez surtout le § 4.

M. Rogier. - Voici ce paragraphe.

4° Les allocations ou les subsides de la commune, de la province ou de l'Etat ne peuvent être accordés qu'à l'école dans laquelle cet enseignement religieux est véritablement donné. Le gouvernement s'assurera de l'exécution convenable de cette condition, d'après le rapport détaillé que les chefs des différents cultes lui remettront, chaque année, sur la manière dont chaque instituteur a rempli ce devoir, que nul autre ne peut compenser.

Ainsi donc, si, dans une école, un instituteur est signalé comme ne remplissant pas ses devoirs religieux, le gouvernement pourra lui retirer le subside.

Mais il y a loin de ce système à celui qu'on vient de nous révéler et qui me paraît vraiment monstrueux. Le mot n'est pas trop fort. Nous aurons l'occasion de développer toutes les conséquences de ce système ; je ne comprends réellement pas comment on a osé dans cette enceinte payer un semblable système des mots de conciliation et de modération …

M. Dolez. - Je demande pardon à l'honorable M. Rogier de l'interrompre ; mais je dois faire observer que l'interprétation donnée par M. le ministre de l'intérieur est formellement contraire au rapport de la section centrale ; on lit en effet à la page 96 de ce rapport :

« Sans doute l'Etat est incompétent pour désigner des questions d'enseignement religieux ; aussi, la solution de ces questions sera-telle laissée à l'autorité religieuse sous laquelle chacun des différents cultes se trouve placé. Mais le gouvernement remplira un rôle de médiation dans ce sens, qu'il jugera, sur les indications fournies par les chefs des cultes, jusqu'à quel point la privation des subsides doit être prononcée à l'égard de tel ou tel instituteur. Les plaintes formées peuvent être plus ou moins absolues et sévères, et c'est au gouvernement à apprécier jusqu'où doit s'étendre la prime qui peut être graduée depuis la réprimande jusqu'au refus de toute allocation et de tout subside. »

M. Rogier. - Ainsi, messieurs, dans le rapport de la section centrale, le gouvernement conservait la faculté de retirer le subside là où l'enseignement religieux viendrait à faire défaut. Mais d'après l'explication donnée à plusieurs reprises par l'honorable rapporteur et par M. le ministre de l'intérieur, l'obligation incomberait au gouvernement de détruire toute école communale qui ne conviendrait pas au clergé. Qu'une école communale vienne à déplaire à un ecclésiastique quelconque, n'importe pour quel motif ; l'instituteur, par exemple. n'aura pas voulu voter dans le sens du clergé (réclamation sur quelques bancs) ; oh ! messieurs, le clergé commet des fautes comme le pouvoir civil ; eh bien, dans ce cas, refus du concours de l'autorité spirituelle, et en même temps destruction de l'école communale. Il est telle ville du royaume où toutes les écoles viendraient à tomber par le fait de l'exécution de la loi. Ainsi, vous avez connaissance des débats de l’évêque avec la ville de Liége ; nous n'avons pas à intervenir dans les débats, mais le fait est que l'évêque a refusé son concours aux écoles communales de la ville de Liége. Ce refus entraînerait aujourd’hui la suppression des écoles communales de cette localité.

Est-il possible qu'on donne une pareille interprétation à la loi ? Comment peut-on venir qualifier une loi semblable de loi conciliatrice, et la mettre en présence de la loi préparée en 1834, par des hommes connus par leur extrême modération.

J'ai eu occasion de dire, l'année dernière, que si au point de vue moral et religieux, la loi de 1834 n'était pas complète, et qu'il fût nécessaire d'y introduire de nouvelles garanties dans l'intérêt de l’opinion catholique, je serais le premier à m'associer aux propositions que l'on ferait à cet égard ; mais jamais je n’ai pu penser, et l'honorable rapporteur lui même ne le pensait pas il y a quelque temps, qu'on en viendrait à ce point qu'il suffirait du caprice d'un ecclésiastique pour supprimer une école communale. Il est impossible que les hommes modérés de l'opinion catholique s'associent à un pareil système.

Mieux vaudrait cent fois le statu quo actuel que le sort réservé à la plupart des écoles primaires ; mieux vaudrait, si l'on veut être franc, mieux vaudrait remettre simplement l'enseignement primaire aux mains du clergé, à ses risques et périls ; du moins vous feriez alors une loi franche et sincère.

Aujourd'hui l'article 21 est un article hypocrite, il n’avait pas d'abord la portée qu'on lui a donnée dans cette séance. J’ignore quel pas nouveau M. le ministre de l'intérieur a été obligé de faire depuis la présentation du projet de la section centrale ; il faut croire que des exigences nouvelles se sont révélées, qui auront forcé M. le ministre de l'intérieur de suivre un nouveau système. Ce n’est pas la première fois que nous voyons M. le ministre de l'intérieur aller plus loin lors de la discussion publique des projets de loi, qu’il n'en avait d'abord exprimé l'intention. Nous nous y attendions. Depuis un an, nous avons été témoins de cette manière d'agir. Je n'en dirai pas davantage pour le moment. Nous tâcherons de conserver autant que possible la modération dans cette discussion ; cependant, tout ami de la modération que nous soyons, nous ne pousserons pas l'amour de la conciliation jusqu'à la duperie, nous ne sanctionnerons pas un système qui aurait pour but de livrer à la discrétion de l'autorité ecclésiastique toute la liberté des communes et de l'Etat en ce qui concerne l’instruction primaire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, si j'avais voulu faire de l'hypocrisie, si j'avais voulu faire des dupes, je n'aurais pas répondu avec autant de franchise aux interpellations qui m'ont été faites au sujet de l’art. 21. J’ai dit loyalement, sans y être amené par des démarches quelconques, j'ai dit de quelle manière l'art. 21 doit, selon moi, être entendu, de sorte que l'honorable préopinant devrait au moins rendre hommage à ma franchise. L'art. 21 ne peut pas, dans mon opinion, être interprété autrement que je ne l'ai fait. Il suffit de lire l'article.

« Art. 21. Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l'Etat, qu'autant qu'elle se conforme aux conditions de la présente loi.

« Le gouvernement, sur les rapports dont il est parlé aux art. 8 et 14 de la présente loi, s'assurera de l'exécution de ces conditions. »

Le gouvernement, dit-on, a donc le droit de décision. Je vais examiner jusqu'à quel point ceci serait une solution. Je crois qu’au lieu de taxer de monstrueuse l'opinion que j'ai énoncée, au lieu de servir à mon égard d'expressions que je ne veux pas qualifier, on devrait chercher un autre moyen de solution.

Il y a, messieurs, deux autorités en présence ; d'une part, l’autorité ecclésiastique à laquelle vous demandez et ne pouvez demander qu'un concours volontaire ; d'autre part, l'autorité locale civile ; le gouvernement intervient, et c'est ce qui n'avait pas été prévu par la loi de 1834 que je persiste à considérer comme incomplet à cet égard ; le gouvernement intervient à titre de médiateur, C'est à lui que sont transmis les rapports de l'autorité ecclésiastique. Pensez-vous, messieurs, que le gouvernement puisse aller plus loin, et décider que malgré les rapports de l'autorité ecclésiastique, il y a lieu de considérer telle école communale comme satisfaisante, sous le rapport religieux aux conditions de la loi ? mais dès lors, donnez au gouvernement central une action sur des questions que je ne croyais pas, moi, de son domaine, vous lui donnez une action sur les questions religieuses.

M. Fleussu. - Mais non.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je vous prie de croire que si on vous indique une issue, nous nous empresserons de l’accepter.

J’y pense depuis que je m'occupe de l'instruction publique, et je n’ai pas trouvé d'autre issue. Qu'on nous l’indique, nous l’accepterons avec joie. On dit que la question est très simple. Je montrerai qu'il n'est pas si simple qu'on le prétend, que le gouvernement soit plus que médiateur, que le gouvernement décide ; c'est-à-dire, je suis obligé de revenir sur ma pensée parce que j'ai été interrompu, le gouvernement reçoit des rapports de l'autorité ecclésiastique, des rapports détaillés, motivés constatant que telle école ne remplit pas les conditions religieuses de la présente loi.

Le gouvernement déclare, c’est à-dire qu'il décide que malgré ces rapports, les conditions religieuses sont remplies. Je le demande maintenant très modestement, en attribuant ce droit de décision suprême, souveraine au gouvernement, ne le faites-vous pas sortir du domaine purement civil, ne lui donnez-vous pas une action sur les questions religieuses, ce que moi je ne croyais pas de son domaine ? Voilà des questions que je me permets d'adresser à l'assemblée.

Mais, dit-on, vous vous livrez aux caprices du clergé, vous aurez des refus de concours non motivés. Veuillez remarquer que les caprices sont impossibles, que les refus non motivés sont impossibles. Il y a une double inspection largement organisée ; il faudra des pièces, des faits, des rapports détaillés, des refus motivés. En définitive, la publicité est là, les chambres sont là pour demander compte au gouvernement du retrait des subsides dans telle ou telle commune. Il faut aussi considérer l'ensemble des garanties que nous offre le gouvernement qui régit la Belgique ; les garanties que nous offre ce gouvernement par rapport à la presse, à la publicité des débats de cette chambre. Le gouvernement vous dira : Le subside a été retiré d'après le rapport de tel inspecteur ecclésiastique ; ce rapport sera publié. Chacun peut en demander la publication. Peut-on assimiler cette position à celle dans laquelle nous nous trouvons en ce moment où les refus ne sont pas motivés.

On peut dire que maintenant ce sont des caprices ; je l'ignore, je veut l’ignorer. Mais la position ne sera plus la même. Il faudra des rapports motivés, détaillés, susceptibles d'être publiés. Croyez-vous que le clergé tout entier va entrer dans un système de caprices, de refus non motivés. Il y aurait une chose plus simple pour lui ; ce serait de déclarer qu'il ne prêtera pas son concours à l'exécution de la loi. Alors la réunion de l'instruction civile et de l'instruction religieuse deviendra impossible. Nous aurons à examiner s'il ne faut pas entrer dans une voie extrême et nous contenter de l'instruction civile.

Nous ne croyons pas qu'il faille en venir à cette extrémité. Nous croyons nécessaire et possible l'avenir de l'instruction civile et de l’instruction religieuse. C'est dans ce système que nous nous plaçons pour la confection de la loi. Je le répète, cette question n'est pas inattendue pour moi. Je ne crois pas avoir mérité les termes dont s’est servi M. Rogier à mon égard. Si on peut indiquer une issue, je l'accepterai avec empressement. Mais je demande qu'en attribuant au gouvernement un autre rôle que celui de médiateur, un droit de décision souveraine, quant aux conditions religieuses, je demande qu’on fasse cesser un scrupule constitutionnel, qu’on me prouve que ce n’est pas lui donner une action sur les questions religieuses qui ne sont pas de son domaine. Je suis entièrement de bonne foi. Je demande qu'on m'indique une solution. (A demain ! à demain !)

- La séance est levée à 4 heures et demie.