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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 mai
1842
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2) Projets de loi portant un crédit supplémentaire au budget du département de
la guerre, au budget des finances et au budget de la dette publique, pour
créances arriérées sur les exercices de 1837 et des années antérieures.
Rapports
3) Projet de loi de loi tendant à apporter des modifications à la loi
communale (principalement en ce qui concerne la possibilité de nommer le
bourgmestre en dehors du conseil communal) (Van Cutsem,
Lys, d’Hoffschmidt, Fleussu, Nothomb, Vandenbossche)
(Moniteur
belge n°133, du 13 mai 1842)
(Présidence
de M. Dubus (aîné))
M.
de Renesse procède à l'appel nominal à 1 heure et
1/4.
M.
Dedecker donne lecture du procès-verbal de la
séance précédente dont la rédaction est approuvée.
M.
de Renesse fait connaître l'analyse des pétitions
suivantes :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Pierre-Jacques Vanelle, né à Lederzede (France),
demeurant à Hautem, demande la naturalisation. »
« Le sieur Pierre Latour, né à Hempde, demeurant à Maseyk, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la
justice.
_______________________
« Le sieur Poncelet,
propriétaire et bourgmestre, à Vivegnis, demande une
indemnité pour les pertes que lui a fait subir le département de la guerre en
retirant de ses prairies les chevaux d'artillerie que ce département, par
contrat en date du 11 mai 1839, s'était engagé à y placer. »
- Renvoi à la
commissions des pétitions.
PROJETS
DE LOI PORTANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE
M.
Demonceau, au nom de la section centrale des
finances, fait un rapport tendant à accorder au gouvernement un crédit
supplémentaire applicables au paiement de créances
arriérées à liquider sur les exercices de 1837 et des années antérieures.
- La chambre ordonne l'impression
et la distribution de ce rapport et met le projet à l'ordre du jour après le
projet de loi concernant la patente des bateliers.
M.
Mast de Vries, au nom de la même commission, fait
rapport sur une demande de crédit faite par M. le ministre de la guerre, pour
faire face au paiement de créances à liquider par suite de jugements prononces
contre l’Etat.
- La chambre ordonne également
l'impression et la distribution de ce rapport et en fixe la discussion après
celle du projet de loi qui vient d'être mis à l'ordre du jour.
Discussion
générale
M. Van Cutsem. - Messieurs, en lisant le projet de loi par lequel l'honorable ministre
de l'intérieur vient, au nom du Roi, nous proposer de modifier la loi communale
en ce qui concerne la nomination des bourgmestres, je n’ai pu m’empêcher, avant
même de me former une opinion sur le mérite de cette demande, de penser au
mauvais effet qu'elle produirait pour la législature belge ; car, il faut bien
l’avouer, la modification demandée est une critique de la loi de 1836 ; car,
s'il est nécessaire de changer cette loi, un pareil changement ne peut être
réclamé que parce que le législateur de 1836 n'a pas connu les mœurs et les
besoins du peuple qui lui avait confié ses destinées, et non pas parce que le peuple
belge ne serait plus en 1842 ce qu'il était en 1836.
Ce reproche, vous le sentez,
messieurs, est grave pour une assemblée comme la nôtre, et à, lui seul, il
aurait dû suffire pour que M. le ministre ne nous présentât pas son projet avec
autant de précipitation. Ce n'est pas peu de chose, en effet, de rabaisser un
corps législatif aux yeux d'un pays et de diminuer pour la loi ce respect dont
l'œuvre des pouvoirs constitués ne devrait jamais cesser d'être entourée.
Eh quoi ; l'Angleterre,
convaincue de la vérité des principes que je viens d’énoncer, n’ose toucher à
plusieurs de ses lois surannées, aussi bien dans son droit politique que civil,
parce qu'elle craint d'amoindrir l'influence que la loi doit exercer surtout
par l'idée que l’on doit avoir de sa perfection, et nous, messieurs, nous
foulerions ces considérations aux pieds, nous changerions une loi qui n'a pas
plus de six ans d'existence, une loi qui nous régit depuis une époque trop
récente pour que nous ayons eu le temps d'en apprécier le bon et le mauvais,
c'est là de la légèreté de l'inconséquence législative, ce dont nous ne pouvons
nous rendre coupables.
Le sacrifice qu'on nous demande,
messieurs, nous devons le faire, nous dit-on, pour donner de la force au
gouvernement, qui doit avoir une action entière sur les bourgmestres pour
réaliser la responsabilité ministérielle ; mais,. messieurs, si le gouvernement
avait besoin de ce levier pour l'exécution des lois, pour rendre les hommes
meilleurs, pour se faire respecter, moi, homme du gouvernement hors de cette
enceinte, ne pensez-vous pas que je serais un des premiers à appuyer le projet
du ministère ? En douter serait me faire injure.
Le gouvernement devrait avoir sur
les bourgmestres le pouvoir qu'il réclame aujourd'hui de la législature, s'il
n'avait d'autre action dans les communes que par l'intervention des
bourgmestres ; mais n'a-t-il pas d'action directe dans ces localités par ses
commissaires d'arrondissement, par ses procureurs du Roi, par ses juges de
paix, par ses receveurs de contributions ? Pourquoi donc encore augmenter son
influence, s'il n'y a pas nécessité ? Lorsque je dis qu'il est inutile
d’augmenter l'action du gouvernement dans les communes, en lui accordant la
nomination des bourgmestres hors des conseils communaux, je me trompe
grossièrement en admettant que de pareils choix fortifieraient le pouvoir ; car
l'homme qui sera placé à la tête d'une commune sans avoir obtenu les suffrages
de ses concitoyens, n'y jouira d'aucun crédit, parce qu'il n'y a pas
d'influence là où il n'y a pas de confiance, et l'exclusion du conseil est bien
évidemment l'opposé de la confiance : ceux-là qui croient donc augmenter la
force du pouvoir, en lui permettant de nommer les bourgmestres hors du conseil,
se trompent étrangement.
La force n'est pas l'arbitraire
légal, n'est pas la contrainte qui enchaîne au lieu d'unir, mais c'est, comme
je viens de le dire, la confiance et la justice.
Quand le Roi lui-même, dans notre
Belgique, doit sa puissance à l'élection populaire, vous iriez l'abolir pour la
nomination d'un bourgmestre, pour cet emploi qui a toujours relevé du vœu
populaire dans notre pays, si on en excepte les trente années passées sous la
république et l'empire, même dans un temps où on ne parlait pas encore de
liberté.
Le projet ministériel a fait
jeter des cris d'alarmes dans le sein de plusieurs conseils communaux, entre
autres dans celui du chef-lieu de l'arrondissement qui m'a envoyé ici et dans
lequel la majorité a décidé de vous transmettre une adresse qui ne vous est pas
parvenue, parce que le président de l'assemblée a mal interprété l'art. 64 de
la loi communale, en comptant comme présents à la délibération et votant contre
le projet d'adresse ceux qui ne voulaient prendre aucune part à la discussion,
puisqu'ils avaient déclaré qu'ils s'abstenaient ; mais cette question est trop
peu importante dans ce grave débat, pour que je m'y arrête plus longtemps ; j'y
reviendrai plus tard.
La centralisation est la pensée
dominante du projet ministériel, mais la centralisation conduit à l'arbitraire
et à la bureaucratie et l'arbitraire conduit au désordre ; gardons-nous donc
bien de trop centraliser.
Je crains que le ministère ait
été conduit à nous proposer le projet qui nous est soumis par des faits qui ont
eu lieu dans une grande ville mais ces actes qui se sont passés dans un temps
où nous n'étions pas encore reconnus par une puissance voisine et ennemie à
cette époque, ne se représenteront plus, parce que ceux qui n'ont pas voulu, il
y a quelques années, reconnaître notre gouvernement, n'ont plus les espérances
qu'ils avaient alors ; mais, en supposant que nous aurions encore de pareilles
contrariétés à redouter pour le gouvernement, nous ne devrions pas nous en
laisser émouvoir, parce que le législateur doit avant tout fonder un ordre de
choses stable et de longue durée, et qu'il ne doit pas concevoir sa loi sous
l'impression des circonstances du moment :
Quand on discuta, la première
fois, notre loi communale, on prétendit qu'elle devait être plus libérale qu'en
France et que dans les autres pays constitutionnels de l'Europe, et aujourd'hui
on veut nous donner moins que ce que possèdent
C'est en vertu du texte de la
constitution que le peuple a pu élire directement ses magistrats communaux
pendant quatre ans, c'est en vertu de cette même constitution qu'il les a élus
indirectement pendant six ans, et ce droit était parfaitement eu harmonie avec
les autres prérogatives que notre pacte fondamental donne au citoyen, à
l'électeur belge qui choisit ses représentants pour les deux chambres et pour
les conseils provinciaux, et c'est ce droit dont nous avons joui pendant plus
de dix ans qu'on veut nous enlever aujourd'hui ; mais ceux qui veulent
l'enlever au peuple ne craignent-ils pas qu'on les accuse de faire reculer la
révolution, ne craignent-ils pas que le peuple belge prenne de pareils faits
comme un outrage, parce qu'enfin, il faut en convenir, présenter un projet
semblable ou déclarer que le peuple belge n'est pas mûr pour la liberté, qu'il
est incapable d'user des droits qu'il a conquis au prix de son sang, c'est une
seule et même chose.
La loi de
En vous laissant entraîner par
cette idée de l'unité centrale, en ne tenant aucun compte des libertés
publiques, qu'arrivera-t-il, messieurs ? C'est que l'équilibre étant rompu,
votre monde politique penchera tout d'un côté et que vous arriverez, de
conséquences en conséquences, aux principes de la monarchie absolue, et certes
aucun de nous ne veut atteindre un pareil but.
Admettre que les communes ne
doivent avoir aucune part dans la nomination de leurs bourgmestres, c'est se
mettre en opposition flagrante avec nos institutions constitutionnelles, qui
nous donnent des libertés politiques ; car la plus précieuse de toutes ces
libertés politiques est bien celle qui initie tous les citoyens à
l'administration de leurs affaires propres, celles qu'ils doivent le mieux
connaître.
Nous devons donc nous opposer à
la nomination des bourgmestres hors du conseil communal, parce qu'elle est
contraire à l'ordre politique et administratif de l'Etat, parce qu'elle porte
préjudice à l'intérêt communal et enfin parce qu'elle est en opposition avec la
principale mission du bourgmestre, celle d'être indépendant pour défendre la
commune contre les prétentions du gouvernement.
Si le bourgmestre est le
défenseur né des intérêts de la commune à la tête de laquelle il se trouve,
s'il est son principal agent, il est évident qu'il doit participer au principe
de l'élection populaire, parce que dans un gouvernement représentatif, où, tout
repose sur la confiance, si un citoyen jouit d'assez peu de confiance pour ne
pas avoir été élu membre du conseil, en le nommant bourgmestre, on ne peut
amener que le trouble et le désordre dans la commune où on le nomme.
Je suis tellement convaincu,
messieurs, de la vérité de ces principes, que je n'hésite pas à dire que,
permettre au gouvernement de nommer les bourgmestres hors des conseils
communaux, c'est détruire les franchises communales, c'est dire qu'il n'y aura
plus en Belgique de pouvoir municipal ; car lorsque les habitants d'un pays
n'ont plus le droit d'élire ceux dont ils ont besoin pour diriger leurs
affaires et celles de leurs communes, il n'y a plus de pouvoir municipal. Oui,
messieurs, quand les habitants sont privés du droit d'élire leurs
administrateurs. ils cessent d'exister en corporation
; les habitants étrangers aux affaires de leurs communes, et sans liens qui les
unissent entre eux, ne sont plus que des agrégations d'hommes dont le pouvoir
fait ce que bon lui semble. Avec le système que le gouvernement et la section
centrale vous proposent, vous aurez encore des réunions d'hommes, mais vous
n'aurez plus de cités, de communes dans la véritable acception du mot.
Vouloir nommer les bourgmestres
hors des conseils communaux, c'est montrer de la défiance à la nation, et
cependant, pour avoir un gouvernement stable, il faut avoir la confiance du
peuple, et cette confiance, le gouvernement ne l'obtiendra que s'il a aussi
confiance en lui ; ainsi donc, encore une fois, dans l'intérêt de notre
nationalité, de la conservation de nos institutions, ne nommons pas les
bourgmestres hors de nos conseils communaux.
Les inconvénients qu'a présentés
jusqu'aujourd'hui l'élection des bourgmestres dans le sein du conseil communal,
doivent être bien graves pour avoir pu déterminer le ministère à passer sur
toutes les considérations que je viens de mettre en avant pour combattre son projet ; il faut qu'il y ait au
moins en Belgique une bonne moitié des bourgmestres actuellement en fonctions
qui ne sont pas aptes à remplir la place qu'ils occupent : sans cela, je ne
concevrais pas qu'il aurait pu en venir à la proposition qu'il nous a soumise.
Je voudrais des explications à cet égard, et je les désire d'autant plus que je
pense, à en juger d’après ce qui se passe dans l'arrondissement qui m'a envoyé
dans cette assemblée, qu'il n'y a pas six bourgmestres à remplacer sur les deux
mille cinq cents qui existent dans tout le pays.
La généralité, ou plutôt tous les
bourgmestres ont répondu à l'attente du pays ; un seul depuis l'existence de la
loi communale a été révoqué de ses fonctions. Le ministère croit-il que tous
les bourgmestres, à nommer par le Roi seront dignes de la confiance du
souverain, qu'il ne faudra jamais en venir à une pareille extrémité envers ces
fonctionnaires ainsi nommés, il n'oserait le dire, parce qu'il est certain que
nous voyons tous les jours dans d'autres administrations des fonctionnaires
nommés directement à leur emploi par le Roi, se rendre indignes de la confiance
du monarque et pourquoi donc en serait-il autrement des bourgmestres, par la
seule raison qu'ils seraient nommés par le gouvernement ? S'il en est ainsi, je
ne puis comprendre pourquoi l'on veut modifier aujourd'hui notre loi communale
de 1836, je ne puis m'expliquer cette politique de vouloir faire du nouveau
dans le but unique de mécontenter le peuple et d'agir contre son gré en lui
enlevant un des droits constitutionnels auxquels il tient le plus.
Dans les grandes communes, il y
aura toujours assez de conseillers pour que le gouvernement puisse trouver un
bourgmestre parmi eux ; dans les petites communes, il n'y a, à la vérité, que
sept conseillers, et là ce choix peut paraître plus difficile ; mais pour celui
qui sait que, pour être bourgmestre d'une commune rurale, il ne faut pas des
talents si éminents, qu'il ne faut qu'un homme qui ait la confiance des
habitants, qui ait du bon sens, en un mot, un honnête homme qui sache préférer
les intérêts de la commune aux siens quand ils sont en opposition, et prendre
plutôt pour lui que pour elle un marché onéreux, il est encore convaincu que le
gouvernement pourra faire une bonne nomination dans le sein des petits conseils
communaux.
Si le bourgmestre n'avait que la
seule qualité d'agent du gouvernement, je dirais que le Roi seul devrait avoir
le droit de nommer l'agent au moyen duquel il exerce le pouvoir dans la commune.
Mais je vous l'ai déjà dit, le bourgmestre étant aussi l'agent de la commune,
celle-ci doit avoir une part dans la nomination, et cette part la loi de 1836
la lui a accordée, en ne permettant au Roi que de prendre ses bourgmestres
parmi les élus du peuple. Ainsi, messieurs, pour être conséquent avec les
principes sur la matière, on ne peut reconnaître au gouvernement le droit de
s'emparer du choix des fonctionnaires communaux, pas plus qu'on ne peut
reconnaître aux habitants d'une commune le droit d'imposer au gouvernement un
agent qui n'aurait pas sa confiance. La loi de 1836 n'étend pas au-delà de
leurs justes limites les prérogatives du gouvernement ; elle lui donne les
moyens nécessaires à sa conservation et' à l'exercice même de son mandat
constitutionnel, en même temps qu'elle donne aussi des garanties à la commune,
motifs pour lesquels nous devrions la conserver, et telle qu’elle est, si nous
ne voulons méconnaître la nature mixte des fonctions de bourgmestre.
En 1834, 1855 et 1836, lors de la
discussion de la loi communale, plusieurs orateurs et le ministère lui-même
cherchaient à établir qu'il était indispensable de donner au gouvernement une
part d'influence suffisante sur le choix des bourgmestres, pour qu'il pût au
moins se mettre à couvert de la mauvaise volonté des agents dont il est obligé
de se servir ; aujourd'hui on ne se contente plus d'une certaine influence, on
veut que le choix des bourgmestres appartienne au Roi, à l'exclusion des
communes, contrairement à ce que les hommes les plus profonds demandent dans
cette matière ; parlant de ces hommes, nous ne vous entretiendrons que de Henrion de Pensey, qui ne voit
qu'un seul moyen pour laisser au gouvernement et à la commune la part que l'un
et l'autre doivent prendre à la nomination du chef des municipalités, et ce
moyen c'est une transaction entre le pouvoir et les communes, transaction par
laquelle chacune des parties permettrait à l'autre d'intervenir pour sa part et
portion dans le choix du chef de l'administration municipale, soit en
autorisant la commune à choisir son chef parmi des candidats proposés par le
gouvernement, soit le gouvernement à prendre le chef de l’autorité communale
parmi les candidats de la commune, soit le gouvernement à prendre l'autorité
supérieure de la commune parmi les membres du conseil.
Les principes d'Henrion de Pensey sont de
l'essence d'un gouvernement constitutionnel où tous les pouvoirs doivent
s'équilibrer entre eux, ce qui ne sera plus si on préfère, pour la nomination
des bourgmestres, le pouvoir royal au pouvoir du peuple ou le pouvoir du peuple
au pouvoir royal ; en effet, ceux qui soutiennent que le pouvoir du bourgmestre
relève du Roi seul sacrifient la commune à l'Etat ou plutôt détruisent la
commune au profit d'une unité morte comme celle de l'Orient ; ceux qui refusent
l'intervention du Roi dans le choix du bourgmestre ne tiennent pas compte de
l'unité et semblent oublier que la commune est un anneau de la grande chaîne
nationale.
Le bourgmestre devient, par
l'élection, le mandataire de la commune, et le choix du Roi le rend le
représentant des intérêts nationaux. Le bourgmestre, dans le système d’Henrion de Pensy, qui est aussi
le mien, et qui a été celui du législateur de 1836, étant revêtu de la double
confiance du Roi et de ses administrés, est censé réunir bien plus de chances
de capacité et de moralité que celui qui serait choisi par le gouvernement seul
ou par le peuple exclusivement, et acquiert par là une influence plus marquée
et plus légitime dans la commune.
Ainsi, sous tous les rapports, il
faut reconnaître que dans notre belle patrie le peuple, en vertu de la
constitution qu'il s'est donnée, peut et doit avoir dans la nomination du chef
de ses administrations communales une part au moins égale à celle du pouvoir
exécutif.
Pour vous faire adopter le projet
du gouvernement, on vous dit que le Roi ne nommera que dans des cas
exceptionnels hors du conseil communal ; mais si ces cas sont si rares,
pourquoi veut-on donner au souverain le droit de le faire toujours, comme le
propose la section centrale. En parlant de la section centrale, qui nous a fait
son rapport sur le projet ministériel qui nous occupe en ce moment, je dois
vous dire qu'elle n'a aucune autorité pour moi, parce que sa nomination n'est
que l'œuvre d'une minorité ; nous sommes 94 à la chambre, trente-quatre membres
ont seulement été en sections.
Je vous le demanderai à présent,
messieurs, si, en face de toutes les considérations puissantes que je viens de
faire valoir, vous pouvez adopter le projet du ministère, et cela pour des
motifs aussi futiles que ceux que l'honorable ministre de l'intérieur allègue
dans son rapport à l'appui du projet de loi.
Le ministre de l'intérieur veut
faire nommer les bourgmestres hors du sein des conseils communaux parce que ces
fonctionnaires se préoccupent trop de leur réélection, dans l'exercice de leurs
fonctions, et que certaines branches du service se ressentent de leur
préoccupation ; mais si les bourgmestres, pour être maintenus dans leur
position, cherchent à ne pas heurter les citoyens dans l'exercice de leurs
fonctions, ils ont cela de commun avec les gouverneurs qui ménagent les
conseils provinciaux pour en obtenir tout ce dont ils on besoin pour
administrer leurs provinces, et avec les ministres qui ménagent les chambres
pour conserver la majorité qui les maintient au pouvoir, et si de pareils
ménagements empêchent parfois ceux qui sont à la tête des administrations ou du
gouvernement de faire tout le bien qu'ils sont en position de faire, lorsqu'ils
ont de bonnes intentions, ils mettent aussi obstacle à ce qu'ils fassent le mal
quand ils ne sont pas animés du désir de rendre le peuple heureux. Il est
évident que, par suite de la dépendance dans laquelle se trouvent les chefs
d'un gouvernement constitutionnel, ils ne peuvent pas toujours procurer à la nation
tout le bien qu'ils seraient à même de lui faire s'ils étaient entièrement
libres dans leurs actes, et si, pour cela seul, on devait débarrasser le
pouvoir de tout contrôle, nous devons admettre qu'une monarchie absolue est
préférable à une monarchie constitutionnelle. En effet, lorsque le monarque
absolu ne veut que le bien, il marche plus vite dans cette voie que le
souverain constitutionnel, qui rencontre un frein à son autorité : les peuples
ont cependant préféré le régime constitutionnel, avec ses vices et ses défauts
à l'arbitraire des monarchies absolues, parce qu'il y a toujours, dans ces
gouvernements, un point d'arrêt contre les débordements du mauvais pouvoir, et
c'est encore pour les mêmes raisons que l'homme qui réfléchit un peu préférera
toujours le bourgmestre qui a besoin des suffrages de ses concitoyens pour
obtenir sa nomination, à celui qui peut s'en passer, parce qu'il aura la
certitude que si un tel magistrat pourra quelquefois négliger de faire à la
commune tout le bien qu'elle est en droit d'attendre de lui, il n'osera jamais
lui faire de mal.
Je crois, messieurs, après ce que
je viens d'avoir l'honneur de vous exposer, devoir vous dire que je voterai
contre le projet du gouvernement et contre celui de la section centrale, et que
je ne donnerai jamais mon assentiment à aucun projet de loi qui diminuerait, en
quoi que ce puisse être, l'influence du peuple dans la nomination de ses
magistrats communaux, parce que je la considère comme le palladium de toutes ces libertés qui ont coûté tant de sang à nos aïeux dans
les temps passes, et à nous en septembre 1830.
M. Lys. - Messieurs, le gouvernement veut se faire attribuer
le pouvoir de nommer le premier magistrat de la commune en dehors du sein du
conseil communal ; tel est le but du projet de loi qui vous est présenté.
Nous n'hésitons pas, à le
proclamer hautement, ce projet est hostile au communes, il est contraire aux
principes qui forment la base du pouvoir municipal, il nous sera facile de le
démontrer.
Lors de la discussion de la loi
communale de 1836, deux systèmes étaient en présence : le système de l'élection
du bourgmestre, par le corps électoral, le système de la nomination du
bourgmestre par le pouvoir exécutif.
De longues discussions eurent
lieu. Le bourgmestre avait été nommé par la commune depuis 1830, et
l'expérience n'avait pas fait sentir qu'il y eut des dangers ou des
inconvénients graves à persister dans ce système ; système qui n'était, en
définitif, que le retour à nos anciennes franchises communales ; mais le retour
à ces institutions si chères à tous les Belges devint impossible en présence de
l'opposition qu'il rencontra. Une transaction fut conclue entre les deux
systèmes : l'élection directe du bourgmestre fut enlevée à la commune, mais le
gouvernement ne put de son côté faire choix du bourgmestre que parmi les élus
de la commune. C'est cette transaction provoquée par l'honorable M. Desmet,
soutenue par l'honorable M. Dechamps, acceptée par le gouvernement, que ce
dernier trouve aujourd'hui onéreuse, et qu'il veut faire modifier dans le sens
des prétentions primitives du pouvoir.
Prenez-y garde, messieurs, le
principe que l'on veut vous faire décréter, n'est qu'un premier jalon, qui aura
pour conséquence l'attribution de la nomination des échevins en dehors du
conseil, qui aura pour conséquence d'enlever aux corps municipaux électifs,
toute la puissance exécutive, même en ce qui concerne leurs intérêts.
C'est en 1836 que la loi
communale a été décrétée ; il n'y a pas six ans que cette loi est en vigueur et
déjà on la trouve trop gênante pour le pouvoir. Quels sont donc les obstacles
que l'action de la puissance gouvernementale a rencontrés ? Quelles sont les
émeutes, les insurrections que les communes ont fomentées ; nos administrations
communales ont-elles à l'exemple de nos anciennes cités, dans le moyen âge,
levé l'étendard de la révolte contre le chef de l'Etat ? Non, messieurs, nos
villes sont restées calmes ; l'ordre légal n'a été troublé sur aucun point du
royaume.
L'expérience n'a donc point
démontré la nécessité d'un changement aussi radical dans notre organisation
communale ; je me trompe : l'expérience a prouvé que l'on aurait pu laisser la
nomination des bourgmestres à l'élection des habitants de la commune ainsi que
le voulaient en 1836 nos honorables collègues de Foere, Dubus, Dumortier et
tant d'autres membres qui siègent dans cette enceinte.
C'est avec raison qu'ils disaient
alors : que par le prétendu système de conciliation, ceux-là seraient dupes,
qui, étant amis de la liberté communale, adopteraient un tel système.
En France, les lois du 21 mars
1831, et 18 juillet 1837, ont consacré pour la nomination du maire, le
même système que celui qui a été décrété, par notre loi du 30 mars 1836. Le roi
des Français ne peut choisir le maire que parmi les membres du conseil
municipal, et le conseil municipal est élu par les habitants de la commune. Il
y a onze ans que ce mode de nomination est suivi en France ; des
bouleversements, des émeutes, ont eu lieu sur divers points de
En Belgique rien de pareil n'a eu
lieu ; aucun symptôme de résistance à la loi et à l'action du gouvernement ne
s'est révélé : quelle est donc la cause qui nécessite le changement que l'on
veut faire dans nos lois communales ?
La chose publique a été
parfaitement administrée, mais le gouvernement n'a pas trouvé dans tous les
bourgmestres la souplesse, nous allions dire le servilisme, qu'il aurait désiré
rencontrer chez les premiers mandataires de la commune ; le gouvernement s'est
encore trouvé en présence de répugnances particulières contre certaines personnes,
et c'est pour d'aussi misérables intérêts que l'on vient porter la main sur une
loi, que l'on n'a pas eu le temps de juger par une expérience assez longue ;
rien n'est plus dangereux que la versatilité dans la loi, parce qu'elle détruit
dans le peuple le respect pour la loi, parce qu'elle accoutume la nation à ne
voir dans la loi qu'une disposition éphémère, que le moindre caprice, que le
moindre besoin du moment fera changer et modifier, au gré de ceux qui tiennent
le timon de l'Etat. Prenez garde de faire naître dans les esprits la pensée,
que la loi n'est que le produit du hasard, d'une majorité, au lieu d'être
l'expression vraie de la raison ; prenez garde que l'on ne s'habitue à
considérer les tempêtes parlementaires qui balayent les ministères, comme
dominant les lois et comme pouvant changer le principe et la base de la loi, Ne
l'oubliez pas ! c'est préparer à la société des embarras plus ou moins
éloignés, mais dont l'effet sera cependant désastreux, car la nation aura perdu
sa foi dans la législation nationale.
N'oubliez pas, messieurs, que le
pouvoir municipal n'est pas une création de la loi ; ce pouvoir existe par la
seule force des choses ; il ne doit pas sa naissance à la loi positive, il est
préexistant à cette loi. En effet, il est impossible que les habitants d'une
même enceinte. qui consentent à faire le sacrifice d'une partie de leurs moyens
et de leurs facultés, pour se créer des droits et des intérêts communs, soient
assez imprévoyants, pour ne pas charger quelques-uns d'entre eux de la gestion
et de la défense des intérêts communs.
Si le pouvoir municipal est de
l'essence de toutes les corporations d'habitants, il faut reconnaître que les
lois ne pouvant rien contre la nature des choses, ne peuvent ni supprimer les
corps municipaux, ni priver les communes du droit de les élire.
Toutes les fois qu'un
gouvernement, par des motifs quelconques, évoque à lui le pouvoir municipal, et
l'exerce en faisant administrer les communes par des mandataires de son choix,
qu'il révoque à volonté, il n'y a plus d'officiers municipaux, et par
conséquent la commune est détruite ; il n'y a plus que des agrégations d'hommes
; car les membres de la commune sont devenus étrangers aux affaires de leurs
communes et n'ont plus de liens qui les unissent entre eux : il y a encore des
villes, des bourgs et des villages, mais il n'y a plus de communes.
Lorsqu'il s'agit d'apprécier
l'étendue des droits dont la commune doit jouir, sous toute législation d'un
peuple libre, il faut la considérer sous deux rapports : comme une corporation
particulière ayant son individualité propre, et comme l'un des élément de la
grande famille nationale.
Envisagée sous ce dernier
rapport, la commune comme tous les autres particuliers est soumise à toutes les
lois de l'Etat ; mais sous la condition unique d'obéir aux lois générales, la
commune a le droit de conserver son individualité et par suite il s'élève dans
chaque commune un pouvoir conservateur de tous les intérêts communs.
On nous dira que l'on ne veut pas
porter atteinte à ces principes, que l'on veut respecter et la commune et le
pouvoir communal, que l'on veut seulement, dans des cas graves, pouvoir
déléguer les fonctions de bourgmestre à une personne choisie en dehors du
conseil communal, et que l'on a d'autant moins de raison de s'effrayer de cette
proposition que les fonctions de bourgmestre ne sont pas purement communales,
mais qu'elles comprennent encore des attributions administratives et
judiciaires ? il est vrai que le gouvernement se borne pour le moment à
demander de pouvoir nommer le bourgmestre en dehors du conseil communal, mais
qui ne voit que ce n'est qu'un acheminement à un changement plus radical ?
On s'est borné à cette
modification, parce que l'on n'a pas osé formuler nettement sa pensée tout
entière ; on n'a pas osé demander le pouvoir de nommer le collège échevinal
tout entier. D'ici à quelques années, et peut-être même lors de la session
prochaine, lorsque l'on aura jugé de notre facilité à laisser modifier dans le
sens du pouvoir les lois communales, à laisser enlever aux citoyens leurs
droits les plus chers, l'on viendra vous proposer d'attribuer au pouvoir la
nomination des échevins en dehors du conseil. L'on vous dira, et l'on aura
raison de vous le dire, que le bourgmestre est dans une fausse position, même
dans le sein du conseil échevinal, où il a voix délibérative ; l'on vous dira,
et on aura raison de vous le dire, que la position du bourgmestre n'est pas
tenable, en présence de deux fonctionnaires, qui étant les élus de la commune,
lui sont nécessairement hostiles, et par voie de conséquence forcée et comme
complément nécessaire de votre première modification, l'on vous demandera de
laisser la nomination du collège échevinal entière à la disposition du
gouvernement.
Mais à part ces conséquences, le
simple bon sens ne dit-il pas que le bourgmestre ne peut être choisi que par
les habitants, et cela par un motif qui frappe les entendements les plus
vulgaires, c'est que le mandataire et le mandant sont des corrélatifs
nécessaires, et qu'il répugne aux notions les plus simples, que celui qui n'a
reçu aucun mandat d'une commune stipulé en son nom, et s'en dise l'agent et le
mandataire.
Il est vrai qu'aucune branche de
l'administration générale ne peut être exercée, sans une délégation du Roi, en
qui réside la plénitude du pouvoir exécutif ; mais d'un autre côté la
prérogative royale viendrait empiéter sur ce qui constitue l'essence du pouvoir
communal, si elle attribuait les fonctions municipales à ceux qu'elle juge à
propos de charger de quelques parties de l'administration générale.
La transaction qui a été conclue
entre les deux principes n'est déjà que trop avantageuse au pouvoir.
Le gouvernement a toute latitude
nécessaire pour exercer son choix ; ce mode a d'ailleurs toute la dignité
désirable. Le tableau des élus par les électeurs est mis sous les yeux du
gouvernement qui désigne celui d'entre eux, auquel il juge à propos d'accorder
sa confiance et l'individu ainsi désigné est investi sous le titre de
bourgmestre d'un double titre de commissaire du Roi et de chef de la commune.
Trouvez-vous que ce mode ne vous convienne plus ? éprouvez-vous des embarras
réels pour l'exécution des lois générales ? Agissez franchement : demandez que
pour le cas ou, après l'élection, le gouvernement ne jugerait aucun des élus
digne de sa confiance, il puisse déléguer à un commissaire spécial choisi parmi
les habitants, les fonctions administratives et judiciaires, c'est-à-dire les
fonctions étrangères au pouvoir communal, que la loi a cru pouvoir confier au
bourgmestre ; ce système n'est pas nouveau, et il aurait de plus l'avantage de
concilier toutes les exigences.
La modification qui nous est
proposée sous la forme modeste d'un amendement, aura encore dès maintenant cet
autre inconvénient qu'il importe de vous signaler.
Remettre au gouvernement le droit
de nommer le bourgmestre en dehors du sein du conseil communal, c'est donner au
gouvernement, dans chaque localité, un agent qui dans les élections exercera la
plus grande influence ; l'administration communale n'est étrangère à aucun des
actes, qui ont pour but, soit de former les listes électorales, soit de les
réviser ; le gouvernement aura ainsi dans chaque localité un agent, qui aura
l'œil ouvert sur toutes les opérations préparatoires pour les élections, qui
les dirigera dans les vues et dans les intérêts du pouvoir, au lieu de les
diriger dans les vues et les intérêts de la nation.
Souvent, le sort d’une élection
dépend des opérations premières ; on réussira quelquefois à faire rayer des
listes ceux qui devraient y figurer ; on y maintiendra, peut être, ceux dont on
sait les opinions favorables au pouvoir. Le soin d'adresser les convocations
est remis aux chefs des administrations locales, n'y aurait-il pas des oublis,
des omissions, des négligences, dans l'envoi des lettres de convocation ?
Le tout calculé et combiné dans
l'intérêt d'un cabinet, dans l'intérêt d'un homme, au détriment du pays. Il est
possible que ces résultats ne se réalisent pas, mais il suffit qu'ils puissent
avoir lieu, pour que tout homme, ami de son pays, refuse son assentiment au
projet de loi.
Déjà en
Dans le système actuel, le
bourgmestre reste l'élu du peuple ; le bourgmestre n'oublie jamais son origine
primitive ; les électeurs sachant que le bourgmestre sera choisi parmi les
conseillers, apporteront d'autant plus de soin à faire leur choix ; ils se
garderont bien d'introduire dans le conseil des hommes dont ils ne voudraient
pas pour bourgmestre.
Mais c'est précisément là, me dira-t-on, gêner
le choix du gouvernement. Les électeurs peuvent former un conseil de telle
sorte que le pouvoir exécutif ne puisse choisir un bourgmestre dans ce conseil
; je répondrai comme l'honorable M. Dumortier en 1836, que dans ce cas même,
vous devez, sous peine de vous mettre en opposition avec le peuple,
faire un choix parmi les personnes qu'il aura présentées. Admettons, disait-il,
un conseil composé tout entier dans un seul esprit : eh bien, dans ce conseil
communal, Il est positif que toutes les personnes n'ont pas la exaltation dans
les idées. Je comprends bien que le gouvernement ne porte pas son choix sur
celui dont les idées sont les plus extrêmes, mais il choisira l’homme le plus
modéré du parti. Par cette nomination, qui prouve sa confiance, il se
l’attache, il le fait sien, et il s'attache en même temps tous les hommes du
même parti.
En résumé, la proposition du
gouvernement est contraire à l'essence du pouvoir municipal ; elle tend à
confisquer le pouvoir communal au profit du gouvernement ; de plus, cette
proposition est dangereuse en ce qu'elle aura pour conséquence infaillible de
doter le pouvoir des moyens d'influence et de diriger les élections, et de
fausser ainsi le vœu de la nation.
D'ailleurs, dans un gouvernement
tel que le nôtre, disait en
Nous dirons encore avec
l'honorable sénateur M. de Haussy : Les bourgmestres
et échevins exercent des fonctions complexes ; ils sont tout à la fois les
administrateurs de la commune et les agents de l'autorité ; il faut donc que
leur origine suit en harmonie avec cette double nature d'attributions, et ce
but me paraît atteint par la loi proposée (celle de 1836). En effet, choisis
par le Roi, dans le sein du conseil, les bourgmestres et échevins auront pour
eux la double considération de l'élection populaire et du choix du pouvoir. Le
gouvernement aura d'autant plus de confiance en eux, que leur élection au
conseil de la commune les lui présentera comme environnés de l'estime de leurs
concitoyens, et ceux-ci les respecteront davantage par cela même qu'ils les
auront, désignés par leurs suffrages au choix du gouvernement.
Quant à la faculté de laisser au
gouvernement le choix du bourgmestre en dehors du sein du conseil, je persiste
à penser qu'elle n'eût été dans la main du pouvoir, disait cet honorable
sénateur qu'un instrument presque toujours inutile et quelquefois dangereux ;
je ne puis croire que l'habitant d'une commune, qui y est éligible, et qui ne
peut obtenir les suffrages de ses concitoyens pour entrer dans le conseil
communal, puisse administrer la commune avec succès et présider ce même
conseil, dans lequel il n'aura pas été appelé par la confiance de ses concitoyens.
L'honorable ministre de
l'intérieur, en 1836, et, si je ne me trompe, c’était alors l'honorable M. de
Theux, partageait les mêmes vues. Vous établiriez, disait-il, une différence
d'origine entre des magistrats, pour lesquels vous avez établi la communauté
des attributions. Il faut donc prendre le bourgmestre dans le sein du conseil
en lui adjoignant pour collègues les échevins, qui, nommés comme lui par le
roi, partageront avec lui la responsabilité de l'administration et formeront
ainsi une autorité collective, qui administrera dans un intérêt communal et
dans l'intérêt général. Telle était aussi l'opinion de l'honorable M. Raikem,
je la cite textuellement :
Le pouvoir exécutif dans la
commune n'est confié qu'à des fonctionnaires, qui ont reçu une marque de la
confiance de leurs concitoyens ; le choix du gouvernement est éclairé par le
suffrage des électeurs.
Les agents d'exécution doivent
être pris dans les représentants de la commune ; le pouvoir exécutif n'a que le
droit de les désigner.
On applique ainsi les principes
de l'élection directe et on n'admet pas que toute fonction qui s'exerce dans la
commune doive être conférée par la voie d'élection.
Ce n'est pas moi, messieurs, qui
viens pour la première fois, vous exprimer ces craintes sur les suites
désastreuses de l'adoption de la loi proposée,
L'honorable M. Doignon qui, à
votre dernière séance, vous a exposé avec éloquence les motifs de sa
persistance dans son opinion, vous avait dit en 1836 :
Qu'en conférant au pouvoir
exécutif le droit de nommer les échevins ainsi que les bourgmestres, on plaçait
dans ses mains un moyen infaillible de corruption électorale, et on portait
ainsi un coup fatal à notre régime représentatif et à toutes les libertés qu'il
nous garantit. Cette attribution, disait-il, donnait au gouvernement dix mille
agents environ dans nos communes, et on ne peut se dissimuler, malgré ses
protestations, qu'à l'occasion il usera de son influence sur les bourgmestres
et les échevins par lui nommés ; ajoutez-y les sept mille fonctionnaires du
département des finances, les quatre à cinq mille des départements de
l'intérieur et de la justice et le nombre très considérable de fonctionnaires
qu'offre l'armée, vous aurez bientôt le nombre de trente mille agents prêts à
servir le pouvoir central dans nos élections, et cependant le nombre total des
électeurs de tout le royaume ne s'élève qu'à quarante mille. Il faut fermer les
yeux à la lumière, ajoutait cet honorable représentant, pour ne pas
s'apercevoir de la tendance à envahir depuis cinq ans. Or, que le mot d'ordre,
contre nos libertés constitutionnelles soit donné à ces trente mille agents,
jugez ce qu'il en adviendra ?
Représentants de la nation,
prenez-y garde ! c'est dans la commune que résident le
germe et la force du pays ; c'est dans le libre exercice des droits de la
commune que gît la somme la plus grande de bonheur et de vraie liberté pour la
plupart des citoyens. Ne portez donc pas, au profit du pouvoir une main
téméraire sur le système de transaction consacré en 1836, car, en le faisant,
vous préparez l'anéantissement du système communal ; n'oubliez pas que
l'histoire pourrait dire un jour, que ce sont les mandataires du pays qui ont
fait la première brèche aux libertés conquises en 1830. Pour moi, je ne veux
pas courir le risque d'une pareille responsabilité. Je ne redoute pas plus
qu'en 1830, les élections populaires.
Je ne vois aucune plainte fondée
des élections faites depuis la révolution.
Les élus du gouvernement
feront-ils davantage dans l'intérêt du peuple ?
Ce ne sera pas le Roi ni même le
ministre qui les nommera.
Ce sera le commissaire du
district ou tout au plus le gouverneur de la province.
Et que chercheront ces messieurs
? Des hommes souples et d'un caractère facile et soumis.
Que chercherait le peuple ? Des
caractères fermes et indépendants.
Voilà, messieurs, le langage que
vous tenait l'honorable M. Dubus, en 1836.
Si je consulte les votes émis
lors de la loi existante, si je prends acte des discours prononcés dans la
discussion de cette loi, le sort du projet de loi qui vous est présenté n'est
pas douteux, il sera alors rejeté à une très forte majorité.
S'il en était autrement, messieurs, je plaindrais sincèrement mon pays.
M. d’Hoffschmidt. -Messieurs, la loi d'organisation communale a été,
pendant plusieurs années successives, l'objet de longues discussions dans cette
enceinte. L'art. 2, que le gouvernement vous propose de modifier a
particulièrement soulevé des débats fort animés. Je ne prétends point, messieurs,
faire l'historique des diverses vicissitudes que cet article a subies ; je me
bornerai seulement à rappeler encore qu'après plusieurs changements, le système
qu'il consacre a été adopte par une grande majorité.
Ce système, qui donne au Roi la
nomination du bourgmestre dans le sein du conseil, est conforme aux principes
qui doivent dominer toute l’organisation du pouvoir communal. Délégué du
gouvernement pour l'exécution des lois et des règlements, organe et
représentant de la commune, le bourgmestre, revêtu ainsi d'un double caractère,
doit tenir ses fonctions à la fois des deux pouvoirs dont elles émanent. Les
jurisconsultes et les publicistes les plus distingués sont d'accord sur ce
point. Déjà on vous a cité l'opinion de l'illustre Henrion
de Pensey, on pourrait encore y ajouter l'autorité de
beaucoup d'autres auteurs, et particulièrement celle de M. Macarel, conseiller
d'Etat et professeur à la chaire de droit administratif à Paris.
Dans la plupart des pays qui nous
avoisinent, ces principes subsistent dans toute leur force. En France, en
Angleterre, en Prusse, même, le chef de la municipalité doit être choisi dans
le sein du conseil.
Chez ces nations, sans doute, ce
système donne lieu, comme tous les systèmes du monde, à des inconvénients
partiels ; mais voyons-nous pour cela que leurs gouvernements, viennent
proposer de changer les dispositions fondamentales sur lesquelles il repose ?
Non, messieurs, nous ne le voyons
pas, car ces gouvernements savent que les lois doivent être stables pour être
respectées ; ils savent qu'il y a du danger à remettre souvent en question les
bases de l'organisation soit du pouvoir social, soit d'un pouvoir plus modeste,
mais tout aussi respectable, le pouvoir communal.
L'instabilité des lois est un
grand mal dans la société. Cette instabilité fait méconnaître leur puissance et
nuit essentiellement au respect dont elles devraient toujours être entourées.
Comment voulez-vous que le peuple ait du respect et de la confiance pour les
lois, s'il voit que même les plus importantes, même celles qui ont été le plus
laborieusement enfantées par le pouvoir législatif, sont changées par le même
pouvoir lorsqu'à peine elles ont quelques années d'existence.
C'est donc avec un sentiment de
regret, messieurs, que j'ai vu le gouvernement se hâter de venir demander des
modifications à la loi d'organisation communale. Des propositions de cette
nature ne devraient se faire qu'en présence d'une évidente nécessité, que quand
l'opinion publique les réclame ou qu'il y a tout au moins certitude de les voir
approuver par une très grande majorité.
Mais quand cette nécessité est
vivement controversée, quand les modifications que l'on propose ne peuvent
avoir lieu sans exciter de l'agitation dans le corps social, il est d'un
gouvernement sage d'attendre, de différer sa proposition, quelle que soit la
conviction qui l'anime.
La loi communale a coûté trois
années de travail à la législature ; depuis 6 ans, à peine, elle est en
vigueur, et déjà on propose d'en modifier une des dispositions les plus essentielles
? Une fois, une seule fois, le pouvoir central a procédé au choix des
bourgmestres dans le sein des conseils, et déjà il proclamé ce mode vicieux.
Messieurs, quant à moi, je ne
puis m'empêcher de trouver que, dans tous les cas, il y a là une extrême précipitation.
Il m'est impossible de croire
qu'il existe une grande urgence à modifier la disposition dont il s'agit. Je
pense qu'il eût été infiniment plus sage d'attendre une plus longue expérience.
Peut-être qu'alors d'autres changements auront été reconnus nécessaires à la
loi communale. Car, messieurs, les modifications proposées sont-elles les
seules que doive subir à jamais cette loi ? Est-il bien dans l'intention du
gouvernement de s'arrêter à celles qu'il vient de nous soumettre ? Ou bien
n'est ce qu'un début, un essai qu'il a voulu tenter ?
Dans un an ou deux ans, ne
viendra-t-on pas nous demander des modifications nouvelles ?
Messieurs, je suis tout à fait
porté à le croire, depuis le discours qu'a prononcé hier M. le ministre de
l'intérieur. D'abord, M. le ministre demandait que la faculté de nommer hors du
conseil fût subordonnée à deux conditions, savoir : qu'il y eût des motifs
graves et que la députation permanente du conseil provincial ait été entendue.
Hier, il a déclaré se rallier au projet de la section centrale qui exclut ces
deux conditions, Après cela, il nous a annoncé qu'il présenterait un amendement
à l'article qui concerne la révocation des bourgmestre et échevins ; enfin, il
nous a dit qu'il y avait encore d'autres dispositions de la loi communale qu'il
désapprouvait.
Ainsi, messieurs, nous devons
nous attendre à ce que, l'année prochaine ou dans deux ans, de nouveaux projets
modifiant la même loi nous soient proposés. Peut-être qu'ensuite un autre
ministère trouvera, à son tour, qu'il est préférable que l'exécution des lois
et des règlements soit confiée au bourgmestre seul, et certainement il y a de
très bons arguments pour soutenir, cette opinion. Enfin, un troisième ministère
trouvera encore qu'il résulte des inconvénients graves de ce que la loi refuse
au gouvernement le droit de dissolution des conseils.
Or, je vous le demande,
messieurs, que deviendraient les lois organiques si, à chaque inconvénient
qu'elles entraînent et que l'on croit y reconnaître, il fallait les changer ?
Pas une seule ne pourrait rester dix ans debout, car il n'est pas donné aux
institutions humaines d'être parfaites. Mais le plus mauvais de tous les
systèmes serait celui qui consisterait à réviser partiellement les lois ; il ne
pourrait aboutir qu'à en rendre l'étude et l'application tout à fait
impossibles.
Pour justifier son empressement à
réformer une loi aussi importante que la loi communale, M. le ministre nous a
cité la loi sur le jury, qui a été changée en 1838. Cet exemple ne me paraît
point concluant. Ce n'est point une simple modification qu'a subie alors la loi
sur le jury ; c'est une loi nouvelle qui a été adoptée. D'un autre côté, le
système sur lequel reposait la loi organique du jury était tellement vicieux
aux yeux de tous, que son changement fût à peu près adopté à l'unanimité par
les deux chambres. Selon toute apparence, la même unanimité n'accompagnera pas
le projet actuellement en discussion.
Mais, nous dit M. le ministre de
l'intérieur, il ne s'agit que d'une exception au principe, exception rendue
nécessaire par les inconvénients graves auxquels a donné lieu le système
actuel.
J'avoue, messieurs, que jusqu'à
présent je suis loin d'être convaincu de la gravité de ces inconvénients.
Examinons cependant les faits
tels qu'on nous les présente.
Une enquête, nous dit-on, a eu
lieu : 7 gouverneurs de province, sur huit, ont fait connaître les abus
qui existent dans certaines communes, abus qu'ils attribuent, en tout ou en
partie, à ce qu'il paraît à la disposition qui oblige le gouvernement à prendre
le bourgmestre dans le sein du conseil. Ainsi, c'est une majorité de six
gouverneurs qui désire que la loi soit changée. Certes, messieurs, l'opinion de
six gouverneurs de province est infiniment respectable, mais elle ne me paraît
pas cependant suffisante quand il s'agit de changer les principes d'une loi
aussi importante, d'une loi pour laquelle la nature de leurs fonctions, comme
agents du pouvoir exécutif, doit nécessairement les porter à faire pencher la
balance du côté de ce pouvoir.
Il me semble, d'ailleurs, que la
question n'a été envisagée que d'un côté, celui des inconvénients que la
disposition entraîne, sans tenir compte des avantages qu'elle procure. La
presque totalité de nos communes se trouvent bien du système en vigueur ;
quelques-unes, dit-on, s'en trouvent mal, et c'est à cause de cette faible
minorité que l'on veut modifier les principes d'une loi d'organisation !
Mais, messieurs, si vous voulez
vous décider par de semblables motifs, ne vous arrêtez pas là. Prenez l'une
après l'autre les dispositions principales de notre pacte fondamental, faites
exécuter une enquête sur la question de savoir, par exemple, si la liberté de
la presse, la liberté de l'instruction n'entraînent pas par ci par là des
inconvénients, et vous verrez, messieurs, que l'on citera bien des faits contre
ces libertés si précieuses.
L'argument principal sur lequel
s'appuie M. le ministre de l'intérieur, c'est qu'avec le système actuel les
bourgmestres sont trop préoccupés de leur réélection. Je conviens volontiers
que cette préoccupation peut donner lieu à des inconvénients en ce qui concerne
l'exécution de certaines lois répressives et peut faire que des bourgmestres y
mettent de la mollesse ; mais, en compensation, le système qui fait intervenir
les électeurs dans le choix du chef de la municipalité n'offre-t-il pas aussi
des avantages ? La crainte de n'être pas réélu n'est-elle pas une garantie
qu'il ne fera subir à ses administrés aucune vexation ; qu'il ne sera pas un petit
despote, comme l'étaient la plupart des maires sous l'empire ? Eh ! si le bourgmestre était uniquement l'homme du gouvernement,
il faudrait alors lui donner toute la latitude nécessaire, mais il est aussi
l'homme de la commune, et, sous ce rapport, il doit être humain et traitable.
Cette crainte qu'il éprouve du pouvoir électoral peut donc être fâcheuse dans
certaines circonstances, mais dans d'autres, elle est utile et salutaire.
Dans la séance d'hier, M. le
ministre de l'intérieur a constamment raisonné comme si la seule idée fixe des
électeurs communaux, était de s'affranchir de l'exécution des lois. Messieurs,
c'est avoir là une défiance excessive du système électoral ; avec une semblable
opinion, c'est l'abolition du système tout entier qu'on devrait demander, et
non la mesure partielle, qui nous est soumise. Quant à moi, je pense que
l'immense majorité des électeurs tient autant au maintien de l'ordre que
nous-mêmes, et qu'il est bien peu de communes où l'on repousserait du conseil
un bourgmestre, par cela seul qu'il aurait fait exécuter les lois.
Remarquez bien, d'ailleurs, que
le remède que veut obtenir le gouvernement ne ferait point disparaître
complètement le mal. Le bourgmestre n'est pas seul chargé de l'exécution des
lois, il partage cette attribution avec les échevins. Or, quant à ces derniers,
la même préoccupation continuerait d'exister, puisqu'ils seraient choisis dans
le conseil. Ainsi, la modification proposée ne serait, sous ce rapport, qu'une
demi-mesure.
Du reste, messieurs, tout le monde
n'est pas d'accord avec MM. les gouverneurs relativement aux inconvénients
graves du système en vigueur. Des autorités également imposantes, les
députations provinciales, lui sont plus favorables. En général, dans les
exposés de la situation administrative des provinces, elles se louent des
autorités communales.
Voici, entre autres, comment
s'exprime la députation permanente du Luxembourg dans son exposé de l'année
dernière.
« Le caractère libéral et très
avancé de nos institutions municipales, qui abandonnent tant de choses à nos
administrateurs locaux, est de mieux en mieux compris ; et par la raison même
que ces institutions laissent à ceux-ci une responsabilité plus grande envers
les administrés, ils s'efforcent de répondre davantage à l'obligation morale de
laisser des traces utiles, des monuments durables de leur passage aux affaires.
« Leurs bonnes intentions se
manifestent aussi par une exactitude convenable dans la marche de la
correspondance, par l'esprit d'ordre et de modération qu'ils essaient de
répandre autour d'eux. On ne peut donc que désirer le maintien et le
développement de leurs principes ! »
Ajoutez à ce témoignage des
députations le témoignage, non moins explicite, qui se trouve consigné au
rapport si remarquable de l'honorable M. Liedts, pour l'administration des
provinces, et vous serez certainement rassurés sur les conséquences d'un
système qui présente, après un premier essai, de pareils résultats.
M. le ministre de l'intérieur
attribue à cette même préoccupation des bourgmestres pour leur réélection,
l'inexécution dans certaines localités des lois et règlements sur la police, la
fermeture des cabarets, sur la milice, la garde civique et la chasse.
Voyons ce que nous dit à cet
égard le rapport de M. Liedts.
Quant à la police, voici
ce qu'il dit, page 166 :
« Il résulte des rapports
administratifs présentés aux conseils provinciaux, qu'en général la police est
convenablement exercée par les fonctionnaires communaux, et que les membres
des collèges échevinaux, chargés de ce service, montrent, à peu d'exceptions
près, la vigilance et la fermeté désirables. »
Voilà, j'espère, ce qui est très
rassurant pour cette partie des attributions du collège des bourgmestre et
échevins.
Pour la tenue des registres de
l'état civil, le rapport ne s'exprime pas en termes moins favorables, il porte
:
« Les rapports des députations
permanentes des neuf provinces sont unanimes pour constater une amélioration
progressive dans la tenue des registres de l'état-civil. A la suite des
événements de 1830, des abus et des négligences s'étaient glissés dans cette
partie du service public. Aujourd’hui, grâce aux recommandations réitérées du
gouvernement et à la surveillance incessante exercée par les administrations
provinciales et les commissaires d'arrondissement, l'on n'a plus qu'un petit
nombre d'irrégularités à signaler, et l'on peut espérer que bientôt ces
registres, de l'authenticité et de l'exactitude desquels dépendent l'état des
citoyens et le repos des familles, seront tenus partout avec la plus scrupuleuse
attention. »
Pour ce qui concerne les chemins
vicinaux, je ne pense pas que sous l'administration des bourgmestres du roi
Guillaume on en ait construit davantage que maintenant. D'ailleurs, une loi
nouvelle régit depuis peu cette matière, il faut en attendre les effets. La
police des chemins vicinaux n'est plus confiée aux bourgmestres et échevins
seuls. Les commissaires voyers et les commissaires d'arrondissement eux-mêmes
ont le droit de constater les contraventions et d'en dresser procès-verbal. On
a donc à cet égard beaucoup de garanties nouvelles.
Les lois pour la milice trouvent
en elles-mêmes la garantie d'une bonne exécution ; car elles comminent des
peines sévères contre les autorités communales qui, pour l'un ou l'autre motif,
délivreraient de faux certificats. Et quant aux lois sur la garde civique ce
n'est pas sérieusement sans doute qu'on voudrait soutenir que c'est la
négligence des bourgmestres qui est la cause de leur non-exécution ; chacun
sait parfaitement que ces lois sont comme tombées en désuétude en Belgique,
dans les communes rurales au moins, et que tout le bon vouloir possible des
administrateurs locaux ne les rétablirait pas.
Dans tout cela il m'est,
en vérité, impossible, messieurs, de trouver des signes bien inquiétants pour
l'avenir, bien dangereux pour l'ordre public.
L'ordre a constamment été
maintenu ; nulle part l'administration n'a été paralysée.
Des abus existent, je n'en doute
point. Comment serait-il possible qu'il n'y en eût pas dans l'administration de
2,500 communes ? Il faudrait pour cela une société d'anges. Je vous avoue même
que je ne suis point étonné que les gouverneurs, disséquant en quelque sorte
tous les faits qui se sont passes depuis plusieurs années dans leurs provinces,
aient trouvé un nombre encore assez considérable d'abus. Mais en existait-il
moins au temps des bourgmestres du roi Guillaume ou des maires de
l'empire ? En existera-t-il moins avec le système que propose M. le ministre de
l'intérieur ? Voilà ce qu'il faudrait nous démontrer à l'évidence, et voilà ce
qu'on ne pourra certainement pas faire.
Le projet qui est en discussion
peut être envisagé sous deux points de vue distincts : sous le rapport purement
administratif et sous le rapport politique. Sous le rapport purement
administratif, si, par exemple, la faculté de prendre le bourgmestre hors du
conseil n'était jamais exercée que dans des cas rares, exceptionnels, et en
l'absence de toutes vues de domination, je ne suis pas éloigné de croire que
cette faculté n'eût parfois de bons résultats. Dans les communes rurales
il peut se présenter des cas où personne dans le conseil ne veut point accepter
la place de bourgmestre ou ne convient pas du tout à ces fonctions. Dans un cas
semblable, je ne verrais aucun inconvénient à ce que le premier magistrat de la
commune fût pris hors du conseil. La faculté qui nous est demandée restreinte à
l'intérêt purement administratif me paraît donc tout à fait inoffensive. Si
j'avais l'assurance formelle qu'elle ne sera jamais appliquée que dans ce sens,
je l'accorderais facilement comme une chose qui, dans certains cas, peut être
utile et ne peut en général être nuisible. Mais cette assurance, messieurs, je
ne la trouve point dans le projet ministériel et moins encore dans celui de la
section centrale, auquel le gouvernement s'est rallié.
Je ne puis la trouver non plus
dans les paroles de M. le ministre de l’intérieur, car M. le ministre n'est
point immuable au ministère ; et qui pourrait donner l'assurance que ses
successeurs agiront comme il se propose de le faire lui-même ?
Or, messieurs, la faculté dont il
s'agit, inoffensive sous le rapport administratif, peut devenir une arme
dangereuse sous le rapport politique. Qui nous dit qu'un jour il
n'arriverait pas qu'un ministère n'en ferait point usage dans un intérêt de
domination ou dans un intérêt électoral ? Qui nous dit qu'alors l'exception ne
deviendrait pas la règle ? Qui nous dit qu'un ministère d'une opinion exclusive
et exagérée n'en profiterait pas pour assurer la prédominance de son parti ?
Le projet ne donne pas la moindre
garantie à cet égard, et c'est pour cela que je ne puis l'admettre.
Messieurs, je pense que l’idée
qui a préoccupé, qui a séduit même M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il a
formulé son projet, c'est celle d'organiser ce qu'on appelle le pouvoir fort.
Je dirai, quant à moi, à M. le ministre, que je ne suis pas plus que lui
partisan du pouvoir faible. Je crois que, dans un gouvernement constitutionnel
bien organisé, il faut que la pondération des pouvoirs soit bien établie, de
manière à ce que l'un n'absorbe pas l'autre. Mais qui dit : « je veux le
pouvoir fort », ne dit absolument rien ; car quelle est la limite où
s'arrêtera ce pouvoir fort ? Aussi longtemps qu'on ne la définit point on
reste dans le vague.
La force du pouvoir central doit
varier suivant les habitudes, les mœurs des différents peuples. Ce pouvoir n'a
pas besoin d'autant d'énergie dans un petit pays que dans un grand ; en
Belgique, par exemple, qu'en France et en Angleterre.
Les institutions républicaines
allaient très bien à la ville de Saint-Marin ; elles seraient détestables pour
l'immense empire russe, et, même en Belgique.
Si on veut réellement organiser
un pouvoir très fort en Belgique, ce n'est point quelques articles de la loi
communale, c'est la constitution elle-même qu'il faut réviser.
Mais il est un autre écueil qu'il
est prudent d'éviter : c'est celui que l'on s'expose à rencontrer en livrant
trop souvent le pouvoir aux discussions publiques. Je crois que c'est lui
rendre un bien mauvais service et qu'au lieu de le fortifier, c'est là le plus
sûr moyen de l'affaiblir.
Dans l'état actuel des choses, si
la faculté de prendre les bourgmestres hors des conseils, se bornait à de rares
exceptions, comme on l'assure, elle serait de très peu
d'intérêt pour le pouvoir. Si, au contraire, il voulait en abuser, elle
pourrait devenir funeste pour lui-même.
M.
Fleussu. -
Messieurs, dans un débat aussi grave que celui qui nous occupe, nous nous
attendions à rencontrer de nombreux adversaires ; cependant personne ne se lève
pour défendre le projet du gouvernement. Est-ce impuissance de le défendre,
est-ce tactique ? Nous verrons bien.
Lorsqu'en 1834, messieurs, la
question qui se reproduit aujourd'hui devant vous fut présentée, pour la
première fois, à l'attention de la législature, j'ai joint mes efforts à ceux
des membres de cette chambre qui cherchaient à faire triompher la proposition
de la section centrale, qui, comme vous le savez, tendait à faire nommer
les bourgmestres dans le sein du conseil, en opposition avec le projet du
gouvernement qui laissait au Roi la faculté de nommer le bourgmestre, soit dans
le sein du conseil, soit en dehors du conseil. Le temps n'a nullement modifié
mon opinion ; au contraire, ce qui, à cette époque, n'était qu'une opinion,
s'est converti en une véritable conviction, car l'expérience que, comme
conseiller municipal d’une grande ville, j'ai acquise dans l'administration m'a
démontré que placer à la tête du conseil un homme qui n'y viendrait pas entouré
du prestige que donne, l'élection populaire, ce serait rendre l'administration
tellement difficile qu'elle toucherait presque à l'impossible.
Aussi, je ne crains pas,
messieurs, de prophétiser l'avenir au sujet de cette loi. Je ne pense point que
jamais elle soit mise à exécution, et si je la repousse, c’est bien plutôt pour
ce qu'elle ne fera pas que pour ce qu'elle fera, C'est une loi, messieurs, qui
est une instruction, où le gouvernement dit à ses agents : « Si vous nous
êtes dévoués, si surtout vous nous servez dans les luttes électorales, nous
vous promettons protection, et, quoi qu'il en arrive, le poste auquel nous vous
avons appelé vous sera maintenu. » Aux hommes indépendants, au contraire,
on dit : « Si l'élection populaire ne vous favorise pas, nous ne vous
soutiendrons point et vous sortirez de l'administration. » Voilà,
messieurs, on ne peut pas en douter, quels sont le but et la portée de la loi ;
car je ne pense pas qu'il puisse entrer dans la tête d un ministre quelconque
de vouloir placer à la tête de l'administration dans une de nos grandes villes,
à Bruxelles, à Liége, a Gand, à Anvers, à Bruges, à Namur, dans un des
chefs-lieux de nos provinces ; je ne pense pas, dis-je, qu'il puisse entrer
dans la tête d’un ministre de faire présider les conseils municipaux de
communes aussi importantes, par un homme étranger au conseil.
Ainsi que je viens de
l'expliquer, messieurs, la loi est une menace ; c'est aussi une promesse de
protection ; c'est une arme à deux tranchants, une arme dont tous les partis
pourront tour à tour faire usage. Eh bien, messieurs, moi qui tiens à ce que
les élections ne soient point faussées, à ce que les affaires du pays se
fassent par le pays, je ne mettrai jamais une arme semblable entre les mains du
gouvernement ni d’un parti quelconque,
Je crains encore, messieurs, que
cette modification à la loi communale n'en amène d'autres.
Ainsi, par exemple, on ne tardera
pas à voir que la nomination des bourgmestres en dehors du conseil est un
remède insuffisant, que le concours des échevins paralyse tout à fait le remède
que vous avez cherché à trouver dans la loi actuelle, et alors on ne manquera
pas de demander de deux choses l'une : ou la même faculté en ce qui concerne
les échevins, ou une modification à la loi communale sous le rapport des
attributions. Ainsi vous serez amenés à démolir pierre par pierre l’édifice que
vous avez construit avec tant de peine, à la suite d'un long travail ; alors
vous perdrez le fruit de ces discussions si longues et si désespérantes dont a
parlé M. le ministre de l'intérieur et qu’il ne craint pas de renouveler au
mépris des décisions les plus solennelles.
Et cependant, messieurs, s'il est
une loi à laquelle il eût fallu prendre garde de ne pas porter trop légèrement
la main, c'est assurément la loi communale, loi qui a été travaillée, discutée,
mûrie pendant quatre ans et qui a été l'objet des discussions de la chambre
pendant trois sessions. Vous comprenez, messieurs, que dans des discussions
aussi longues toutes les opinions ont pu se faire jour ; vous comprenez, que
les inconvénients et les avantages de tous ces systèmes ont été balancés, el
lorsque M. le ministre est venu vous dire hier qu'il présente les choses sous
un aspect tout nouveau, je dis qu'il y a beaucoup plus d'adresse que
d'exactitude dans cette assertion. Par là, M. le ministre ouvre une voie,
ménage une retraite à ceux qu'il espère voir passer sous ses drapeaux. Mais
l'exposé des motifs qui vous a été présenté hier par M. le ministre ne renferme
rien de nouveau, et je pourrais presque dire que tous les arguments que l’on
fera valoir dans celle discussion n'ajouteront rien aux discussions
précédentes.
On veut donc, laissant de côté
les concessions qui ont été faites de part et d'autre, revenu à ce qui a été
adopté le 6 mai 1835 ; le gouvernement veut rompre la transaction qui est
intervenue entre les diverses opinions ; il veut retirer les sacrifices qui
ont été faits par le gouvernement et profiter : de ceux qui lui ont été
accordés. Mais si vous voulez revenir à la décision du 6 mai 1835, replacez
donc les choses dans le même état où elles étaient alors ; si vous voulez la
nomination des bourgmestres en dehors du conseil, laissez donc le choix des
échevins à l'élection populaire.
Mais non, vous voulez profiler
des concessions qui vous ont été faites, et retirer, vous, celles que vous avez
faites à ceux qui vous combattaient.
Eh ! messieurs, quels sont donc
les motifs si puissants qui vous portent à vouloir enlever aux communes, le
droit de concourir à la nomination de leurs officiers municipaux ? Remarquez,
messieurs, que nous ne réclamons pas pour la commune le droit de nommer le
bourgmestre. On a été jusque-là ; des hommes très distingués ont pensé qu'il
fallait abandonner la nomination même du bourgmestre à l'élection populaire ;
nous ne soutenons pas cela, mais nous disons qu'il faut au moins le concours de
la commune pour la nomination du bourgmestre.
Eh bien, nous demandons quels
sont les motifs qui ont déterminé le gouvernement à demander que ce concours
soit enlevé aux communes. Ces motifs je les cherche vainement, ce n'est pas
certainement dans le premier exposé des motifs que je pourrai les trouver, car
rien n'égale la réticence qui règne dans cet exposé, si ce n'est le laconisme
du rapport de la section centrale, qui apporte, cependant, quelques
modifications aggravantes au projet du gouvernement, modifications, qui, comme
vous le comprenez sans peine, ont été facilement acceptées par M. le ministre
de l'intérieur. On dit qu'il y a des abus ; mais des abus il y en a dans tout
ce qui a été fait de la main de l'homme, c'est ce qui accuse l'imperfectionnement de nos institutions ; et qui donc dira
qu'il n'y aurait pas eu d'abus si le gouvernement avait pu nommer les
bourgmestres en dehors du conseil, depuis que la loi communale est promulguée ?
Quel est le ministre assez osé pour affirmer que, dans ce cas, il n'y eût pas
eu des abus, même plus graves que ceux dont on se plaint maintenant ?
Il faut, messieurs, en être
réduit à chercher des prétextes pour donner des motifs tels que ceux qui ont
été donnés par M. le ministre de l'intérieur, dans son exposé des motifs ; il
parle de la fermeture des cabarets, de la chasse, de la voirie ; mais,
messieurs, ce sont là des choses qui d'abord ne se passent guère que dans les
campagnes, car vous ne voulez pas sans doute que les bourgmestres de nos
grandes villes, parcourent tous les cabarets pour les faire fermer à l'heure
voulue.
Je dis donc que toutes ces choses
ne concernent que les administrations des communes rurales. Et vous iriez
sacrifier les intérêts des grandes villes pour quelques abus possibles dans
les campagnes, et encore possibles, je ne sais pas jusqu’à quel point ; car
pour la fermeture des cabarets, ce n'est pas ordinairement le bourgmestre mais
un agent de police qui veille à ce qu'elle ait lieu à l'heure prescrite.
La voirie ?... mais en supposant
qu'il existe à cet égard quelque relâchement de la part des administrations
communales, n'avez-vous pas établi des commissaires-voyers ? vous avez même donné
aux commissaires d'arrondissement, le droit de dresser des procès-verbaux.
Vous avez donc des moyens pour faire cesser cette négligence, si elle existe.
Mais je fais ici un appel à la
loyauté de M. le ministre de l'intérieur, et je l'adjure de nous déclarer
combien de communes depuis l'exécution de la loi, ont fait obstacle à une
mesure d'exécution générale.
Et remarquez bien, messieurs, que
c'est ici que commence l'intérêt du gouvernement ; que le gouvernement ne
prend part à la nomination du chef des administrations communales, que parce
que celui-ci a dans ses attributions l'exécution des mesures prises par le
gouvernement ; eh bien, j'adjure de nouveau M. le ministre de nous dire quel
est le nombre des communes qui se sont en quelque sorte mises en rébellion
contre une exécution que le gouvernement avait droit d'exiger. Si M. le
ministre me disait que le nombre de ces communes est considérable, je lui
répondrais qu'il n'a pas fait exécuter la loi, car dans la loi communale, il y
a des remèdes aux abus ; vous avez, par exemple, l'art. 36 qui donne aux
gouvernements le droit de suspendre, de révoquer même les bourgmestres ; vous
avez l'art. 88 qui donne aux députations permanentes le droit d'envoyer des
commissaires spéciaux pour faire la besogne à laquelle des bourgmestres se
seraient refusés.
Vous voyez donc que les moyens de
surveillance ne manquent pas à l'autorité supérieure.
Les bourgmestres, nous dit-on,
sont trop préoccupés de leur réélection. Placés entre une nomination effectuée
et l'espoir d'une nomination future, que voulez-vous qu'ils fassent ?
Ce que nous voulons qu'ils
fassent ? Leur devoir, et rien que leur devoir ; soyez convaincus d'une chose,
messieurs, c'est que le bourgmestre qui aura administré d'une manière
impartiale et abstraction faite des partis ; le bourgmestre qui n'aura eu
qu'un poids et qu'une mesure pour tous les habitants de la commune ; ce
bourgmestre aura pu déplaire à quelques-uns, mais la majorité des habitants de
la commune saura lui tenir compte de sa conduite, et l'honorera de nouveau de
ses suffrages.
Messieurs, je veux bien admettre
cependant que certains hommes se préoccupent de leur réélection, Mais,
messieurs, nous ne sommes que faits d'hier dans la vie politique, nous n’avons
pas encore les habitudes du gouvernement représentatif. Attendez donc que le
temps ait introduit dans nos mœurs l'esprit public qui fait la bonté du
gouvernement représentatif, et alors vous trouverez encore, en Belgique des
hommes qui sauront faire céder leur intérêt particulier à l'accomplissement de
leurs devoirs.
On nous parle d'expérience. La
loi, dit-on, à 5 années d'existence ; l'expérience a montré combien elle
présentait de défectuosités.
Mais, messieurs, cette expérience
vous ne l'avez pas encore à l'égard des bourgmestres. M. le ministre de
l'intérieur vous l'a très bien dit hier : « Le danger est imminent,
prochain ; » c'est-à-dire que vous saurez seulement au mois d'octobre si
le jeu de la loi a été convenable ou non ; ce n'est qu'au mois d'octobre que
vous pourrez connaître le résultat qu'aura la loi quant à la réélection des
bourgmestres : Mais jusque-là, vous ne pouvez pas dire que vous avez une
expérience de la loi. Et cependant vous venez dès à présent demander une
modification essentielle à une loi d'institution, à une loi qui a été discutée
pendant quatre ans !
Mais, dit M. le ministre,
pourquoi craindriez-vous de toucher à la loi communale ? n'avez-vous pas
modifié la loi sur le jury ? N'êtes-vous pas tenté de modifier la loi électorale
?
Mais la loi du jury est-elle une
loi d'institution ? est-elle une loi qui intéresse le pays aussi étroitement
que la loi communale ?
La loi du jury, vous l'avez
changée avec raison. On avait compris qu'on avait trop étendu le système, on
l'a restreint aux hommes capables, et on a bien fait.
Quant à la réforme électorale à
laquelle M. le ministre a fait allusion sans en prononcer le mot, vienne
quelque jour la discussion du rapport sur cette question, et je vous
démontrerai que la loi électorale n'a pas été délibérée avec le même soin que
la loi communale ; que la loi électorale a été discutée dans un moment de
presse, que toutes les provinces n'avaient pas même envoyé tous les
renseignements nécessaires pour établir l'équilibre entre le nombre des députés
de chaque province et le chiffre de sa population. Voilà ce qui est vrai, voilà
ce qui résulte du rapport même de la section centrale de l'époque.
Messieurs, en s'effrayant ainsi
de l'intérêt que chacun attache à sa réélection, je ne sais si on ne fait pas
le procès au système représentatif en général. Veuillez bien le remarquer, les
meilleures choses ont leur corrélatif vicieux. Ainsi, par exemple, le
gouvernement représentatif est le meilleur ou le plus mauvais des
gouvernements.
C’est le meilleur des
gouvernements lorsque le pays fait des affaires par lui-même, c’est-à-dire,
lorsque les hommes qui sont envoyés à la chambre sont l’expression de l’opinion
du pays.
Au contraire, lorsque la
représentation nationale est faussée, lorsque les élections ont lieu à l’aide
de la corruption, sous l’influence de récompenses et de promesses, de disgrâces
et de menaces, qu’arrive-t-il ? Il se forme à l’instant une majorité
systématique et le gouvernement ne se gêne pas de placer sous le manteau de la
représentation nationale ses empiétements et tous ses actes liberticides.
Eh bien, pour prévenir la
possibilité d'une semblable éventualité, iriez-vous détruire le gouvernement
représentatif ?
Cet exemple, tiré de la
représentation nationale, prouve que tout ce qu'on a dit relativement aux
bourgmestres tombe à faux.
Je conçois parfaitement qu'il
serait fort commode pour le gouvernement de pouvoir étendre son action sur
toutes les communes, d'avoir l'œil et la main partout. Chacun cherche à rendre
sa position la plus facile possible. Mais je me demande si ce système serait en
harmonie avec nos institutions ? Je ne le pense pas.
Dans une monarchie absolue, tous
les intermédiaires entre le trône et les administrés doivent être à la
nomination de la couronne ; et pourquoi ? parce que, messieurs, dans un
gouvernement absolu, la règle est : Si veut le Roi, si veut la loi. Là,
il n'y a qu'une volonté, et par conséquent il ne peut y avoir qu'une exécution,
et sous ce rapport les gouvernements absolus offrent peut-être quelqu'avantage.
Mais ce qui est vrai pour la monarchie absolue, ne l'est pas pour la monarchie
tempérée. C'est sur un principe tout différent qu'est basée la monarchie
tempérée ; le Roi n'a d'autres droits que ceux qui lui sont conférés par la
constitution. Dans ce gouvernement, et c'est celui sous lequel nous vivons, le
principe est que tous les intérêts, les intérêts particuliers comme les
intérêts généraux, doivent être représentés ; que tous les pouvoirs qui
concourent à l'action du gouvernement doivent être analogues à sa nature et
dériver de son principe ; sinon, vous avez des parties incohérentes, vous avez
des institutions disparates.
Or, je le demande, est-ce
respecter les principes du gouvernement représentatif, que de vouloir imposer à
une commune un représentant à qui elle a refusé sa confiance ?
Messieurs, dans l'exposé des
motifs qu'il a présentés hier, M. le ministre nous a parlé longuement de la
responsabilité ministérielle ; toutes les considérations qu'il a fait valoir
viennent aboutir en définitive à la responsabilité ministérielle. Eh bien,
cette responsabilité jusqu'à présent n'est encore qu'un mot. Aucune loi ne l'a
régularisée. Cependant je donne quelque valeur à ce mot, et j'espère bien que
quelque jour on aura le temps de développer le principe qui est déposé dans la
constitution.
Si, dit M. le ministre de
l'intérieur, le Roi doit choisir le bourgmestre dans le sein du conseil,
l'action du gouvernement est alors restreinte, et alors aussi la responsabilité
ministérielle ne peut plus peser sur lui de tout son poids, vous l'avez
paralysée par la loi qui limite le choix du gouvernement.
Messieurs, ce raisonnement a
quelque chose de spécieux, mais il n'est pas exact en tout point pour ce qui
concerne les administrations communales.
Remarquez, en effet, que dans les
communes il y a encore des personnes autres que les bourgmestres qui
administrent : vous avez d'abord les échevins ; vous devriez donc étendre à ces
fonctionnaires la disposition que l'on vous demande contre les bourgmestres.
Vous avez ensuite dans certains cas les conseillers eux-mêmes. Je suppose, par
exemple, le bourgmestre absent et les échevins malades, il faudra quelqu'un
pour faire marcher l'administration ; eh bien ! voilà que les conseillers à
tour de rôle seront appelés à exercer le pouvoir exécutif de la commune. Or,
si le raisonnement du ministre était vrai, il faudrait que le gouvernement
nommât aussi ceux qui remplacent les bourgmestres et les échevins. Il faudrait
encore modifier la loi sous ce rapport. Si, allant plus loin, vous prétendiez
que personne dans la commune n'inspire assez de confiance au gouvernement, pour
l'investir des fonctions de bourgmestre, vous devrez donc être autorisé à
prendre le commissaire du gouvernement en dehors de la commune.
Voilà jusqu'où l'on doit aller
quand on parle de responsabilité ministérielle en cette matière.
IL est assez curieux, messieurs,
de vous faire remarquer la différence qui existe entre nos institutions et
celles d'un pays voisin, relativement à l'organisation communale.
La charte française parle à peine
du pouvoir municipal ; la charte française déclare dans son art. 13 qu'au roi
appartient la nomination à tous les emplois d'administration publique.
Notre constitution est bien différente à ce double égard : notre constitution
élève l'organisation communale à une espèce de pouvoir, ou plus exactement en
fait un véritable pouvoir. La constitution détermine ensuite les nominations
qui appartiennent au Roi.
Ces principes sont donc bien
différents de ceux qui ont été proclamés en France : Voyons maintenant
l'exécution. En France, En France, d'après la loi de 1831, le gouvernement doit
aussi choisir les maires dans le sein du conseil ; la seule opposition qui ait
été faite à cette disposition, lors qu'on l'a discutée à la chambre de France,
est venue de ceux qui voulaient la nomination directe ; mais pas une voix ne
s'est élevée pour donner au roi le droit de choisir les bourgmestres en dehors
du conseil.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les
conseils sont dissolubles.
M.
Fleussu.- S'il le fallait, je vous accorderais
la dissolution plutôt que ce que vous demandez.
Voilà ce qui s'est passé en
France. Pas une voix n'a demandé la nomination directe des bourgmestres. Et
maintenant encore vous trouveriez en France des publicistes qui prétendent que
laisser au Roi la nomination des bourgmestres dans le sein même du conseil,
c'est décapiter le conseil, mettre le maire à la discrétion du ministère. Il
est des publicistes qui vont jusque-là.
Par la mesure que vous proposez,
vous acquerrez, je le crois, une certaine influence, vous aurez dans toutes les
communes un agent électoral, mais y gagnerez-vous sous le rapport de l'intérêt
administratif ?
Vous vous plaignez qu'il y a
inertie, qu'il y a défaut d'action. Si le projet que nous discutons est
converti en loi, il y aura impuissance d'action. Vous comprenez que des gens
qui se voient déshérités de la confiance du gouvernement ne seront pas trop
disposés à accorder leur confiance à un homme qui se présentera au nom du
gouvernement. Vous comprenez que la mésintelligence entre gens devant exécuter
en commun, en corps, sera très facile dans un cas semblable. Ensuite on
n'administre pas sans un grand auxiliaire, sans argent.
Ce sont les conseils qui votent
les budgets, qui mettent à la disposition du pouvoir exécutif les sommes
nécessaires. Mais si les conseils ne sont pas bien disposés, le budget ne s'en
ressentira-t-il pas ? Si le budget ne contient pas les sommes nécessaires,
pensez-vous que votre bourgmestre pourra administrer ? Je vous livre ces
réflexions.
Mais du reste, je ne comprends
réellement pas qu'on puisse concevoir la pensée de placer à la tête d'un
conseil communal, un homme étranger à ce conseil ; je ne comprends pas qu'on
puisse concevoir la pensée de charger, de représenter la commune dans toutes
les opérations, dans toutes les transactions possibles, un homme que la commune
n'a pas investi de sa confiance.
Mais, messieurs, faites donc
attention que vous dérogez à tout ce que vous avez fait, à toutes les autres
lois analogues. Par exemple, pour les conseils provinciaux, vous est-il venu à
l'idée de leur imposer un président ? N'est-ce pas le corps lui-même qui le
choisit ? Vous avez poussé ce respect si loin que les corps de magistrature ont
été autorisés à choisir leurs présidents et qu'on a dépouillé le Roi d'une de
ses anciennes prérogatives ? Et alors que pourtant vous admettez le système
représentatif jusque dans ses dernières conséquences, vous le repoussez pour la
commune.
Cet homme que vous aurez
introduit dans le conseil, malgré le conseil, qui cependant ne pourra pas
prendre part aux délibérations, quelle influence voulez-vous qu'il exerce ? Il
n'en exercera absolument aucune. Ne sentez-vous pas qu'un ministre, pour
exercer une certaine influence sur la
chambre, a besoin d'en être membre… Oui, car si la majorité vous échappe, vous
vous retirez. Je sais que M. le ministre a dit que ce n'était pas une condition
de la nomination. Mais je vous le demande, si, quand vous êtes soumis à une
réélection pour une nomination à un ministère, si votre nomination n'était pas
ratifiée par l'élection populaire, resteriez-vous au banc ministériel ?
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
C'est une affaire d'amour-propre.
M.
Fleussu. - C'est une affaire de position.
Messieurs, ce qui fait que la
question est véritablement grave et digne de toutes vos méditations, c'est que
les fonctions des bourgmestres sont multiples. Elles sont complexes. Ainsi il y
a l'administration du bourgmestre dans l'intérêt de la commune ; ensuite il y a l'administration du bourgmestre par
délégation des pouvoirs qui lui sont donnés par l'autorité supérieure. Il y a
même des attributions qui sont déférées par la loi ; par exemple, la tenue des
registres de l'état civil. Il faut concilier le double mandat de la couronne et
de la commune sur la même personne. Le projet tend à autoriser le Roi à imposer
son représentant à la commune ; c'est méconnaître les droits de la commune.
Nous ne demandons pas nous que ce soit la commune qui nomme le bourgmestre.
Nous ne sommes pas si exigeants. Nous prenons un terme moyen entre la
nomination par le Roi et la nomination par la commune. Ce terme moyen est la
présentation par la commune et la nomination par le Roi. Voilà le terme moyen
pour avoir un homme investi du double pouvoir qui le tient en partie de la
commune et en partie du Roi.
C'était un ancien droit que les
communes présentaient une liste de trois candidats pour la nomination de leur
bourgmestre. Quand nous laissons la faculté de choisir dans tout le conseil, la
présentation est autrement large, le choix du gouvernement est plus facile.
Sur toutes ces questions que je viens
de vous indiquer, je ne pourrais vous rendre que bien faiblement les
raisonnements que j'ai trouvés dans quelques publicistes français.
Permettez-moi de vous donner une lecture rapide du passage d'un ou deux auteurs
que j'ai sous la main.
Je trouve dans un ouvrage
attribué à un député français qui, du reste, n'a jamais été hostile aux
prérogatives du pouvoir, le passage suivant :
« Loin de moi l'idée de
donner à l'autorité royale des agents qui puissent penser que la source de leur
pouvoir ne vient pas d'elle ! Cependant je ne crois pas que l'art. 13 de la
charte soit applicable dans toute sa rigueur aux charges de maires et adjoints,
et qu'il soit utile que leur nomination soit exclusivement réservée au Roi,
sans limites ni conditions ; car ce serait donner cette nomination aux
ministres ou plutôt aux préfets. En pareille matière, quand il s'agit de la
nomination d'une multitude de fonctionnaires disséminés sur toute la surface du
royaume et inconnus de l'administration centrale, le Roi ne peut voir que par
les yeux des ministres, et les ministres par ceux des préfets ; il en
résulterait donc que l'administration municipale ne serait composée que des
créatures d'un préfet qui, dans des vues particulières ou de parti, pourrait
abuser de ce pouvoir.
En réfléchissant sur la nature
des fonctions des maires et adjoints, on trouve qu'elles sont mixtes ; ils
régissent, d'une part, les intérêts purement locaux de la commune ; de l’autre,
ils exercent, au nom du Roi, des pouvoirs qui sont une délégation de son autorité.
Le Roi et les habitants de la commune doivent donc participer à leur
nomination. Ce principe n'a pas même été méconnu sous le gouvernement impérial.
Le chef de l'Etat était tenu de choisir les maires et adjoints dans le conseil
municipal, à la formation duquel le peuple avait participé. Je sais bien que
cette règle n'a pas toujours été observée, etc.»
Vous savez avec quelle facilité
l'empereur s'est mis au-dessus des lois municipales.
Un magistrat qui a laissé dans
l'administration de la justice les plus honorables souvenirs, qui a occupé le
poste le plus éminent, M. Henrion de Pensey, pour vous dire son nom, s'exprime en ces termes :
« Et d'abord le simple bon
sens dit que le maire ne peut être choisi que par les habitants ; et cela par
un motif qui frappe les entendements les plus communs, c'est que le mandataire
et le mandant sont des corrélatifs nécessaires, et qu'il répugne aux notions
les plus simples que celui qui n'a reçu aucun mandat d'une commune, stipule en
son nom, et s'en dise l'agent et le mandataire. D'un autre côté, la charte
constitutionnelle dispose que le Roi seul nomme à tous les emplois de
l'administration publique.
« Ainsi la prérogative
royale franchirait ses limites constitutionnelles, si elle attribuait les
fonctions municipales à ceux qu'elle juge à propos de charger de quelques
parties de l'administration générale. De même, et à bien plus forte raison, les
habitants d'une commune sont dans l'impuissance de conférer à celui qu'ils
auront choisi pour maire l'exercice de la branche la plus insignifiante de
cette administration.
« Cependant on ne peut pas
se dissimuler que notamment dans les circonstances actuelles le cumul des
fonctions administratives et municipales présente quelques avantages. On doit
croire en effet que, voyant l'homme de leur choix honoré de la confiance du
gouvernement, les habitants auront plus d'égards pour sa personne et plus de
soumission aux ordres qu'il leur intimera, soit comme maire, soit en qualité
d'administrateur.
« L'intérêt public,
l'intérêt particulier des communes se réunissent donc pour provoquer une espèce
de transaction entre les deux principes, dont l'un veut que tous les officiers
municipaux et le maire lui-même soient choisis par les habitants ; et l'autre
qu'aucune branche de l’administration générale ne puisse être exercée sans une
délégation spéciale du Roi.
« Cette transaction n'est
rien moins qu'impossible et même elle peut s'effectuer de trois
manières. »
M. Henrion
de Pensey indique le mode adopté par la loi de 1836.
M. Bost
qui a fait un excellent commentaire sur la loi française de 1831, s'exprime
aussi en termes qui méritent d'être connus :
« Les maires, y est-il dit,
exercent ainsi que nous avons déjà eu occasion de le remarquer, deux sortes de
fonctions. Chargés des intérêts de la commune, et, à ce titre, nécessairement
mandataires de leurs concitoyens, ils sont en outre investis pour l'exécution
des lois du royaume d'un assez grand nombre d'attributions.
« Il est vrai que la limite
qui sépare ces deux natures de fonctions n'est pas aussi tranchée dans
l'application que dans la théorie. Il est des cas où les intérêts se
confondent, où l'action municipale s'exerce autant pour le compte de
l'administration générale de l'Etat que pour celui de la commune. Mais le
principe que nous venons de rappeler n'en est pas moins incontestable.
« Le mode à suivre pour la
nomination des maires et adjoints doit donc être en harmonie avec l'origine et
la nature du double pouvoir qu'ils ont à exercer ; c'est-à-dire qu'en qualité
de représentants de la commune, ils doivent recevoir leur mandat des électeurs
communaux, et comme délégués de l'autorité royale, tenir leur investiture du
Roi qui d'après l'art 13 de la charte nomme à tous les emplois d'administration
publique.
« On a en conséquence adopté une
combinaison qui met ces magistrats au choix de la couronne sur une liste
d'individus choisis eux-mêmes par les citoyens. De cette manière, le maire est
à la fois le représentant de la commune et le délégué du chef de l'Etat. »
Vous sentez qu'après des citations
aussi remarquables, il n'y a rien à ajouter sur ces points de doctrine.
Messieurs, voulez-vous savoir à
quel degré un pays jouit de la liberté ? Consultez son organisation communale.
C'est, messieurs, le thermomètre qui marque le plus sûrement le degré de
liberté dont jouit chaque pays. Quand la famille, la commune sagement
administrée, jouit d'une certaine liberté, soyez sûrs que cette liberté se
répand sur toute l'administration supérieure.
Nos pères, quoi qu'en ait dit M.
le ministre de l'intérieur connaissaient aussi les avantages de ces libertés
qu'ils nommaient leurs franchises communales. C'est pour elles qu'ils ont
soutenu les guerres les plus longues, qu'ils ont versé le plus pur de leur
sang.
On s'est trompé lorsqu'on vous a
dit que nous voulions faire retour aux institutions du moyen âge. Mais si nous
ne voulons pas faire retour aux institutions du moyen âge, si nous ne réclamons
pas pour les communes le droit d'administrer la justice, de s'armer pour la
défense de leurs prérogatives et le maintien de leurs franchises, si, sous tous
ces rapports, nous voulons rompre avec le passé, nous ne faisons pas pourtant
divorce avec les libertés qui peuvent se concilier avec l'état actuel des
choses.
Oui, nos pères avaient le choix
de leurs magistrats municipaux.
Je laisse à d'autres députés le
soin de corriger les erreurs commises par M. le ministre en ce qui concerne
leurs provinces. A coup sûr pour la principauté de Liége il y a erreur. Le
hasard m'a fait tomber sous la main une notice de l'archiviste de la ville de
Liége qui doit s'y connaître. Voici le résumé de ce qui se trouve dans cette
notice :
« Depuis 1307, époque de la
formation du corps des métiers, ceux-ci ont été en possession d'élire les
magistrats municipaux ; en 1684, le corps des métiers aboli par le prince
Maximilien a été fondu dans les 16 chambres, auxquelles a été également
attribué le choix des bourgmestres. »
Il y a eu dans cet intervalle
quelques luttes contre les souverains. Quand le peuple était vaincu, il perdait
quelque chose de ses franchises. Mais l'état normal de 1307 à 1684 était que
ceux qui composaient les corps de métiers élisaient les magistrats municipaux.
Ensuite, à cette dernière époque, le prince Maximilien a supprimé les corps des
métiers, et les a confondus dans les seize chambres. Depuis lors, ce sont les
seize chambres qui ont élu les fonctionnaires municipaux. Cependant je dois à
la vérité de dire que les seize chambres étaient nommées par le prince-évêque.
Il n'en est pas moins vrai que par respect pour un ancien usage, les seize
chambres qui avaient succédé aux anciens corps de métiers élurent le
bourgmestre de Liége.
Pour sentir toute l'importance de
l’organisation communale, remarquez qu'à chaque grand événement politique,
s'annonçant sous les auspices de la régénération de l'humanité, toujours et à
l'instant même, on s'est hâté d'émanciper les communes. Vous savez ce qui s'est
passé près de nous, lorsqu'à la fin du siècle dernier la constituante a eu à
reconstituer
Quel a été son premier soin ?'
Réorganiser les communes ; leur donner une liberté qui depuis longtemps leur
avait été ravie. Il est vrai de dire que bientôt le consulat et l'empire ont
privé les communes de ces prérogatives. Mais ne fût-ce pas une faute que commit
l'empereur en ne respectant pas les communes. S'il ne les avait pas vaincues
(car il voulut tout vaincre) ne serait-il pas encore sur le trône impérial !
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il serait un peu vieux !
M.
Fleussu. - Il aurait 72 ans ! Au reste, quand
je dis l’empereur, il s'agit de sa dynastie, ainsi il ne s'agit plus d'âge.
A la chute de l'empire quelle fut
une des premières promesses de la restauration ? De rendre à
Quant à nous, vous savez qu'on
nous a dotés des règlements de 1825. Ces règlements qui, au dire de M. le
ministre de l'intérieur, eussent été approuvés par tous s'ils n'eussent pas
admis la double élection, eh bien, ils ont été l'objet de critiques amères, de
nombreuses réclamations aux états-généraux. Il me souvient d'une brochure
traduite de l'anglais, mais pensée en français, où tous nos griefs étaient
amoncelés ; c'était un manifeste que la révolution lançait au monde. Dans cette
brochure il était dit que le roi Guillaume s'était permis d'usurper la
nomination des fonctionnaires municipaux. Voilà le véritable grief contre les
règlements de 1825. La révolution éclata et à l'instant le gouvernement
provisoire fit droit aux réclamations, à l'instant il donna au choix de tous
les électeurs la nomination de tous les fonctionnaires municipaux, Ces choix
ont-ils été si calamiteux ? Faits dans un moment de perturbation, ces choix
ont-ils été si malheureux ? Au contraire, ils ont été marqués par la sagesse.
En cela le peuple belge a justifié ce que dit Montesquieu des nominations
faites par le peuple. Voici comment il s'exprime :
« Le peuple est admirable
pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité, il n'a
à se déterminer que par des choses qu'il ne peut ignorer, et des faits qui
tombent sous les sens. Toutes ces choses sont des faits, dont il s'instruit
mieux dans la place publique qu'un monarque dans son palais. »
Telle est aussi l'opinion du
chancelier de l'Hospital quand il dit : « Le peuple connaît mieux ceux
qu'il doit choisir que nous qui sommes à la cour. » Telle était aussi
l'opinion de Dupin aîné dans son rapport sur la loi Martignac. Mais hâtons-nous
de modifier la pensée de Montesquieu, en laissant en dehors de nos discussions
le nom du Roi, qui est désintéressé dans la question, disons que le peuple
connaît mieux ceux qu'il doit choisir qu'un gouverneur ou un commissaire de
district.
Par la loi de 1836, vous n'avez
pas émancipé la commune, vous l'avez placée en tutelle, sous une tutelle qui
suffit pour l'empêcher de s'égarer ou de nuire à ses intérêts. Si maintenant
vous allez donner au gouvernement la nomination du bourgmestre et l'examen des
budgets communaux, vous frappez la commune d'interdiction.
Je n'y consentirai pas.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il
me serait bien difficile de concilier les objections qui vous ont été
présentées contre le projet de loi maintenant soumis à votre discussion. Tantôt
le projet est exorbitant ; le gouvernement va peser d'un poids immense sur le
pays ; tantôt le projet se réduit à rien ; la loi est impossible, on ne
l'appliquera pas, elle ne recevra jamais d'exécution.
Cette contradiction ne se trouve
pas seulement entre les différents orateurs que vous avez entendus, mais dans
le même discours. Selon l'honorable préopinant que vous venez d'entendre, cette
loi va donner au gouvernement une influence excessive. Revenant en quelque
sorte sur les craintes qu'il avait exprimées, il défie le gouvernement de
mettre cette loi à exécution. (Interruption.)
On me dit qu'il y a une
distinction à faire. La loi donne au gouvernement une influence politique
immense et une influence administrative nulle. Voilà la distinction que fait
l'honorable membre, distinction que j'indique avec une clarté dans laquelle on
voudra bien reconnaître une sorte de franchise. Je savais depuis longtemps
qu'on chercherait à donner à la discussion de ce projet de loi une portée qu'il
n'a pas. Si la loi ne doit pas être exécutée sous le rapport administratif,
c'est-à-dire par l'emploi que le gouvernement en fera, comment donnera-t-elle
au gouvernement une influence immense ? Pour qu'il ait une influence
immense, il faut que la loi soit exécutée ; ou bien la seconde supposition, qui
consiste à dire que la loi ne sera pas exécutée, la rend politiquement nulle puisqu'elle
sera en un mot comme non avenue.
Nous nous sommes placés hier sur
un terrain que nous ne voulons pas quitter parce que c'est le terrain de la
réalité. Nous vous avons indiqué des faits qu'ou ne perdra pas de vue, faits
confirmés par l'enquête administrative dont les pièces ont été publiées par le Moniteur
de ce matin. Nous avons ensuite rattaché la question à la position du
gouvernement, à la nature du pouvoir exécutif. L'honorable préopinant a
raisonné comme si le bourgmestre représentait exclusivement la commune, les
intérêts communaux. Il faut que dans la commune, il y ait au moins un
représentant du pouvoir exécutif, du pouvoir central. Il faut qu'il y
ait un agent qui ait ce caractère en quelque sorte par excellence. C'est ce que
nous voulons, c'est ce que la loi nous assurera d'une manière directe ou
indirecte.
Un membre. -
Comment indirecte ?
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Elle
nous l'assurera d'une manière indirecte chaque fois que le gouvernement prendra
son agent dans le conseil communal. Ici il y aura la conciliation que nous
désirons tous entre les deux intérêts, les deux volontés : la volonté
populaire, la volonté du pouvoir central. Ce sera le cas le plus général, le
cas dont tous doivent désirer la réalisation.
Le gouvernement aura d'une
manière directe l'influence dont il a besoin lorsqu'en désespoir de cause, par
exception, à raison de circonstances particulières, il sera forcé de faire un
choix en dehors du conseil.
J'aurais voulu que l'honorable
membre que vous venez d'entendre nous eût démontré qu'avec le système actuel le
pouvoir exécutif est réellement représenté. Il nous a très bien démontré que si
l'on nommait toujours le bourgmestre hors du conseil, l'intérêt communal
pourrait ne pas être représenté, pourrait être froissé. Mais il ne s'agit pas
de nommer toujours le bourgmestre hors du conseil, il s'agit de pouvoir, par
exception, le nommer hors du conseil. (Interruption.)
J'ai écouté avec un religieux silence, je réclame la même faveur.
M.
Delfosse. - Vous avez interrompu.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J'ai
interrompu une fois parce qu'ou m'avait interpellé.
La loi a un but général et un but
que j'appellerai spécial. Le but général tient à une idée morale, c'est qu'il
faut que le bourgmestre nommé dans le conseil sache qu'il peut rester
bourgmestre, quoi qu'il ne soit pas réélu membre du conseil. C'est le but
général, la pensée morale de la loi. Pour que ce but soit atteint, pour que
cette pensée morale soit remplie, il n’est pas nécessaire que le gouvernement
fasse à chaque instant usage de la faculté qui lui est donnée ; il faut
seulement que la faculté existe, que la possibilité de l’exercice de cette
faculté soit connue.
L'autre but, messieurs, est
spécial ; c'est l'exécution réelle de la loi dans des cas d'exception, lorsque,
soit l'intérêt général, soit l'intérêt communal même l'exige. Car il est des
cas où l'intérêt de la commune pourrait exiger que le bourgmestre fût choisi en
dehors du conseil, ou que le bourgmestre en fonctions, nommé dans le conseil et
non réélu, fût maintenu. C'est aussi, messieurs, ce que l'honorable M.
d’Hoffschmidt ne s'est pas dissimulé. Il vous a déclare que, s’il lui était
démontré que cette loi ne devait recevoir son exécution que dans des cas
spéciaux, exceptionnels, elle ne présenterait pas les dangers que l'on a
signalés.
J'ai déjà dit, messieurs, qu'il
était de l'intérêt du gouvernement de faire l'usage le plus sobre, le plus circonspect,
de la faculté qu'il vous demande. C'est comme exception que cette faculté vous
est demandée, et bien que certaines expressions qui se trouvaient dans le
projet primitif, qui supposaient des cas graves, aient disparu, cependant la
faculté est toujours demandée comme exception. Et évidemment, le ministère qui
ferait de l'exception la règle, engagerait gravement sa responsabilité, et
serait forcé de justifier une extension semblable donnée à la loi.
Je dois, messieurs, saisir cette
occasion pour vous faire remarquer la différence qu'il y a entre le projet tel
qu'il est maintenant rédigé, et le projet de 1833, présenté en quelque sorte,
au sortir, de la révolution.
A cette époque, messieurs, on
proposait aux chambres de dire dans la loi que le Roi nommerait le bourgmestre,
soit dans le conseil, soit au dehors. La faculté de nommer au dehors du conseil
n'était pas présentée comme une exception ; la faculté de nommer au dehors du
conseil et celle de nommer dans le conseil étaient placées absolument sur la
même ligue.
Eh bien ! aujourd'hui la faculté
de nommer hors du conseil est présentée comme une exception. Il est dit que le
Roi nommera dans le conseil, que néanmoins il pourra nommer au dehors du
conseil, parmi les électeurs de la commune.
Je dis qu'il y a ici une nuance
qu'il faut faire ressortir, et qui change du tout au tout les attributions
qu'on demandait en 1833 et celles qu'un demande aujourd'hui.
En
C'est ainsi, messieurs, que le
projet se trouve maintenant formulé, que les idées sont maintenant présentées.
L'honorable préopinant a comparé
la position du gouvernement près la commune à la position où il se
trouve près la province. Messieurs, le gouvernement est représenté près la
province, il est représenté par le gouverneur.
M.
Fleussu. - Le
gouverneur n'est pas président du conseil.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le
pouvoir central est représenté près la province par son gouverneur. Ce
gouverneur n'est pas président du conseil provincial, c'est vrai ; mais
voulez-vous un système identique pour la commune ? Je dis qu'un système
identique pour la commune vaudrait infiniment mieux que le système qui existe
aujourd'hui. J'aimerais infiniment mieux un système qui consisterait à
instituer un conseil communal avec un président portant n'importe quel titre,
élu par les électeurs, et à côté de ce conseil communal, un agent portant
n'importe quel titre, celui de bailli, d'écoutète,
d'amman, si vous voulez, comme à Bruxelles, et qui serait nommé par le
gouvernement. Dans ce système vous auriez au moins la double représentation :
vous auriez l'intérêt communal représenté par les élus de la commune, et vous
auriez l'intérêt du gouvernement représenté par l'agent qui lui appartiendrait.
Mais aujourd'hui qu'avez-vous ?
Aujourd'hui le principe électif a tout absorbé, et le gouvernement n'est plus
représenté dans la commune. L'honorable membre auquel j'essaie de répondre,
nous dit qu'on a eu recours à un terme moyen qui a fait la part de chacun ;
c'est la commune qui présente, et c'est le Roi qui nomme sur cette liste très
étendue, selon lui.
Je pourrais, messieurs, jusqu'à
un certain point, reconnaître qu'il y a ici un terme moyen, si la nomination du
bourgmestre était faite à vie. Mais, je le demande, que devient ce terme moyen
dans un système où vous nommez pour six ans et où au bout de six ans celui qui
a été nommé par le Roi est destitué par les électeurs ?
Je dis donc qu'il n'y a pas ici
terme moyen. Il n'y aurait terme moyen que si le Roi nommait le bourgmestre à
vie parmi les membres du conseil communal choisi par les électeurs. Mais lorsque
le bourgmestre lui-même n'est nommé que pour six ans, il doit venir rendre
compte, au bout de ce terme, aux électeurs, et ce tous les électeurs qui
maintiennent ou destituent celui qui a été nommé par le Roi. Je défie
l'honorable membre de répondre à cette objection.
On n'a donc pas fait la part à
chacun. Il n'est pas exact de dire que dans la nomination de l'agent principal
du pouvoir exécutif, il y ait concours d'une part des électeurs, de l'autre du
gouvernement. Ce concours n'existe pas. Car la nomination n'étant pas à vie,
lorsque le terme vient à échoir, c'est l'électeur qui destitue le bourgmestre
nommé par le Roi.
On nous dit : Vous venez rompre,
de gaieté de cœur en quelque sorte, une transaction laborieusement obtenue en
1836 et qu'il aurait fallu respecter. Il me semble qu'ici on manque
singulièrement de mémoire. La transaction en 1836 n'a pas porté sur la question
qui vous est directement soumise en ce moment ; voici sur quoi a porté la
transaction.
Le pouvoir exécutif sera-t-il
dans la commune concurremment exercé par le bourgmestre et par les échevins ?
C'est là-dessus que la transaction a porté. On a répondu affirmativement à
cette question. Dès lors il y a eu transaction, en ce sens que les échevins,
représentant la commune d'une part, et le gouvernement central de l'autre, pour
l'exercice du pouvoir exécutif, devenant ainsi des agents mixtes, on en est
arrivé à admettre a une forte majorité qu'il leur fallait une origine mixte,
qu'il fallait qu'ils fussent nommés par le Roi dans le conseil communal. C'est
là sur quoi a porté la transaction.
Maintenant, comment cette
transaction serait-elle détruite aujourd'hui. Voici comment :
Si aujourd'hui on déclarait que
le pouvoir exécutif tout entier doit appartenir au bourgmestre, dès lors les
échevins, ne prenant plus part à l'exercice du pouvoir exécutif, se
trouveraient aussi en dehors de la nomination du Roi. C'est ainsi que la
transaction de 1836 serait détruite, et c'est ce qu'ou n'a pas proposé jusqu'a
présent. Mon opinion personnelle, que j'ai fait fléchir en 1836, était qu'il
aurait mieux valu donner le pouvoir exécutif tout entier au bourgmestre, a
l'exclusion des échevins, et laisser ceux-ci en dehors de la nomination royale.
On nous a beaucoup parlé, on nous
parlera encore beaucoup de la liberté communale, des franchises communales, de
l'émancipation, de l'indépendance communale. Ce sont des mots, messieurs,
qu'il ne faut pas confondre. La commune est émancipée pour tous ses intérêts
personnels. La commune, comme personne civile, a tous les droits du
propriétaire. Sous ce rapport, elle est complètement émancipée.
Mais la commune, sous un autre
rapport, n'est qu'une subdivision administrative dans le pays, et dans cette
subdivision administrative le pouvoir centrale doit être représenté.
Ainsi l'émancipation communale,
nous la laissons intacte quant à tous les intérêts véritablement, exclusivement
communaux, comme dit la constitution, quant à tous les intérêts qui concernent
la commune comme personne civile, comme propriétaire. Mais comme fraction
administrative dans le pays, le gouvernement a le droit de revendiquer
l'influence qui lui revient, dont il a besoin pour l'accomplissement de ses
devoirs. Ici, messieurs, la commune ne s'appartient plus en entier comme dans
le premier cas.
Aujourd'hui, messieurs, il n'y a
plus simplement émancipation de la commune pour ses intérêts privés ; il y a
aussi émancipation administrative et politique de la commune. Il y a
émancipation lorsque, et je crois l'avoir démontré hier, puisque le principal
agent du pouvoir exécutif ne relève plus que du principe électif. Il a beau
être institué par le Roi, n'étant pas nommé à vie, lorsque le terme vient à
échoir, les électeurs sont appelés à examiner s'il doit être maintenu ou non. Là est la véritable question, et je ne cesserai pas d'y
ramener la discussion.
M.
Vandenbossche. -
Messieurs, le gouvernement dans un deuxième projet de loi communale avait
abandonné la nomination des échevins tout en réclamant la libre nomination des
bourgmestres. La chambre ne voulant pas souscrire à cette proposition, on a
mis en avant de lui accorder la nomination du bourgmestre et des échevins dans
le sein du conseil, et cette proposition est passée en loi.
Lors de la discussion de ce
projet, je m'y suis opposé, parce que, quant au bourgmestre, je n'entendais pas
trafiquer des prérogatives constitutionnelles du peuple, en faveur du pouvoir,
sans une nécessité absolue ; et, quant aux échevins, parce que, quoi qu'on en
dise, je trouvais là une violation de la constitution. Si donc je m'oppose au
projet qu'on nous présente, ce n'est pas que j'approuve la loi existante.
La loi telle qu'elle
existe, outre qu'elle viole la constitution, est nuisible aux intérêts de la
commune ; il conviendrait de la remplacer, dans son ensemble par une loi toute
nouvelle ; mais quand on ne veut y introduire que quelques changements au
profit du pouvoir, il faudrait au moins qu'on y corrige l'inconstitutionnalité
qu'elle renferme, car la violation de la constitution, fût-ce même dans les
meilleures intentions et à l'égard d'une disposition mal conçue, est toujours
mauvaise. Si elle contient des dispositions qui ne soient pas conformes aux
intérêts bien entendus de l'Etat, on peut la réviser ; mais l'enfreindre quand
elle existe est causer le désordre. L'ordre consiste dans la religieuse
observance des lois, et c'est l'ordre qui constitue la paix et le bonheur des
Etats.
Quand le gouvernement veut donner
au Roi le droit de nommer les bourgmestres hors du conseil communal, alors la
décence au moins demanderait qu'il se désistât de la nomination des échevins,
et les abandonnât de nouveau à l'élection directe des habitants, comme le veut
la constitution. L'article 108 porte :
« Les institutions
provinciales et communales sont réglées par des lois.
« Ces lois consacrent
l'application des principes suivants :
« 1° L'élection directe,
sauf les exceptions que la loi peut établir, à l'égard des chefs des
administrations communales et des commissaires du gouvernement près des
conseils provinciaux. »
Le sens de cette disposition est
clair, toutes les subtilités pour l'intervertir doivent nécessairement
dégénérer en absurdités. Le principe est l'élection directe et les lois
appelées à régler ces institutions doivent
le consacrer.
Elles peuvent y apporter deux
exceptions, et à ces deux exceptions sont limités les pouvoirs de la
législature. La première, à l'égard des chefs des administrations
communales ; la seconde, à l'égard des commissaires du gouvernement près
des conseils provinciaux.
Or dans le système de nos lois
provinciales et communales, les chefs des administrations communales sont, sans
contredit, les bourgmestres, Et les commissaires du gouvernement près
les états provinciaux sont, sans contredit, les gouverneurs de province. Hors de ces deux exceptions, tous les
fonctionnaires provinciaux et communaux doivent être directement élus par le
peuple ; la législature n'est point constitutionnellement en état de soustraire
à l'élection directe un troisième pour l'abandonner à la nomination du chef de
l'Etat. La loi provinciale a donc commis une inconstitutionnalité en conférant
au Roi la nomination des commissaires de district, et la loi communale,
en conférant au Roi la nomination des échevins.
Pour sauver la
constitutionnalité, on a dit qu'on attribuerait au bourgmestre et aux échevins
la même autorité, les mêmes pouvoirs, les mêmes attributions ; et on est
parvenu à accréditer ces dires pour arriver à l'extravagante collation de la
nomination des échevins au Roi. Mais ces dires en eux-mêmes ne sont qu'autant
d'absurdités ; pour être vrais on aurait dû les placer en tout sur la même
ligne, et même ils auraient dû porter le même titre. Or le titre de bourgmestre
qu'on donne à l'un, annonce déjà qu'il est le chef des autres. Plusieurs de ses
attributions confirment d'ailleurs cette suprématie. C'est le bourgmestre qui
reçoit le serment requis des conseillers et des échevins (61). C'est le
bourgmestre qui préside le conseil (65). C'est le bourgmestre qui assiste et
préside aux réunions et délibérations des administrations des hospices et des
bureaux de bienfaisance (91). C'est le bourgmestre, quoique la loi soit muette
sur ce point, qui préside le collège échevinal. C'est le bourgmestre qui, comme
représentant de la commune, reçoit pour frais de représentation, un traitement
parfois très considérable, et en tout cas double ou triple des échevins. Et le
bourgmestre ne serait ni plus ni moins qu'un échevin ! La prétention,
messieurs, en serait de la dernière absurdité. Le bourgmestre est donc chef
dans le système de la loi communale, et la fiction d’un chef composé du
bourgmestre et des échevins est injustifiable. De sorte que la loi, telle
qu'elle existe, viole manifestement la constitution.
Ceux donc qui se trouvent
disposés à amoindrir encore les prérogatives du peuple au profit du pouvoir et
à adopter les propositions du gouvernement doivent au moins exiger par contre,
s'ils portent quelque respect à la constitution, qu'il se désiste de la nomination
des échevins, et que ceux-ci soient de nouveau soumis à l'élection directe.
Les habitants dans chaque commune
avaient commencé par élire directement leur bourgmestre, leurs échevins aussi
bien que leurs conseillers de régence, tous les membres enfin du corps communal
; y avait-on trouve des inconvénients de nature à leur enlever cette
prérogative constitutionnelle ?
Est-ce dans l'intérêt de la
commune ou dans l'intérêt général, que le gouvernement a proposé de leur
enlever ce privilège ? Nullement. Il a voulu étendre son pouvoir ; il a voulu
se faire des créatures à sa dévotion dans toutes les communes ! Il a voulu
se créer des électeurs dévoués et des agents électoraux, pour lui faire envoyer
aux chambres législatives des hommes complaisants, des représentants
ministériels, et en éloigner les représentants de la nation. Voilà son but
unique, il n'en a pas et il ne peut sérieusement en avoir d'autre.
Tout le monde conviendra, je
pense, que ni roi ni ministres ne connaissent personnellement pas la vingtième
partie des bourgmestres, et le gouvernement se croirait seul en état de faire
un bon choix ! Les habitants qui connaissent leurs concitoyens, qui ont un
intérêt direct a être bien administrés, qui seuls pâtiraient de leur mauvais
choix, ne seraient pas en état de bien choisir leurs magistrats communaux !
L'exécution des lois et des règlements en toute matière intéresse encore
directement les habitants, leur inobservance cause le désordre, le désordre
produit le malheur.
Ce serait encore les habitants
qui les premiers en souffriraient et les électeurs communaux répudieraient un
bourgmestre qui veillerait à leur stricte exécution ! Non, messieurs, les
habitants veulent l'ordre, ils veulent la stricte exécution des lois et des
règlements, mais ils ne veulent pas être vexés. Ils veulent, quand un
bourgmestre exécute des lois ou règlements contre ses administrés, que lui-même
s'y conforme. Quand il veut défendre des empiétements sur les chemins vicinaux,
ils veulent que lui-même s'en abstienne. Quand il veut faire travailler les
riverains aux chemins, ils veulent que lui travaille aussi à ceux qui
traversent ou longent ses propriétés. Quand il veut exécuter les lois et
règlements sur la police, sur la fermeture des cabarets, sur la milice, sur la
garde civique, ils veulent qu'il agisse sans préoccupation personnelle en
faveur de l'un et aux dépens de l'autre ; ils veulent enfin la justice pour
tous et en tout, et c'est ce défaut qui ferait péricliter la réélection d'un
bourgmestre parfois relâché, parfois rigide, et c'est aussi ce défaut qui très
souvent fait négliger leur exécution pour tous.
Les
bourgmestres se montrent actuellement trop préoccupés de leur réélection, dit le ministre, mais quand le Roi les nommera à volonté, ils seront avec
plus de raison préoccupés de leur renomination,
peut-être même de leur destitution.
Dans l'exposé des motifs du
second projet, en 1835, le ministre disait ; « l'on a été généralement
d'accord que le gouvernement doit être représenté dans chaque commune. Il dit
ensuite : Le gouvernement n'a qu'un seul intérêt, mais aussi il ne peut s'en
départir sans blesser les intérêts généraux, sans s'écarter de l'esprit même de
la constitution : c'est que ces fonctionnaires qui le représentent, soit
individuellement soit collectivement, tiennent leur nomination de lui.
D'après ces principes, on est
certainement en droit de dire : La commune a un intérêt dont elle
ne peut se départir sans blesser les intérêts communaux, sans s'écarter de
l'esprit même de la constitution : C'est que le bourgmestre qui la
représente, soit individuellement, soit collectivement, tienne sa nomination
des habitants de la commune.
En face de ce principe
ministériel, je ne pourrais jamais abandonner la nomination du bourgmestre au
chef de l'Etat, soit en dehors, soit en dedans du conseil communal. Le
gouvernement a-t-il d'ailleurs besoin de cette nomination en présence des art.
86, 87 et 88 de la loi communale ?
A-t-il la moindre crainte à
concevoir ou même à présenter sur l’inexécution des lois et règlements ?
Evidemment non ; c'est donc dans
un but liberticide, dans un but contraire à notre régime politique, que le
ministère en a fait la proposition, tout en se contentant même de le nommer
dans le sein du conseil. Le but évident de la proposition actuelle que je
combats, est d'enter le pouvoir absolu sur notre monarchie constitutionnelle,
d'en faire enfin une monstruosité, qui ne peut entretenir que le malaise dans
le peuple, et finalement le pousser dans de nouvelles révolutions.
Nous formons une monarchie
constitutionnelle, nous avons une représentation nationale, qui doit être la
modératrice des écarts et des erreurs du gouvernement. Que l'on parvienne à
fausser cette représentation, qu'on en éloigne les caractères indépendants,
qu'elle ne rencontre plus dans son sein que des hommes à la dévotion des
ministres, ou que ceux-ci se trouvent toujours en majorité, il n'y
aurait plus moyen d'arrêter le gouvernement dans ses écarts ou dans ses erreurs
; le gouvernement serait absolu de fait, tandis qu'il resterait
constitutionnel de droit. Or voilà la monstruosité, dix fois plus obstative à la liberté des peuples, qu'une monarchie
absolue de droit. Dans une monarchie de droit, un monarque ne peut jamais être jaloux d'une
prérogative quelconque, attendu qu'il les concentre toutes en lui-même ; il
peut conférer toutes les libertés imaginables à son peuple, parce qu'il peut
les lui ravit, quand il en abuse. Un monarque constitutionnel au contraire, est
naturellement jaloux des prérogatives de son peuple ; il tâche toujours
d'augmenter son pouvoir et de reculer les limites de sa puissance. Il rogne
autant que possible les prérogatives de son peuple, et une fois qu'il a obtenu
une concession, il ne s'en départ jamais, de peur de ne plus pouvoir s'en ressaisir.
Un monarque absolu, quand il commet un écart, le peuple sait à qui en attribuer
la faute. Un monarque constitutionnel, pour s'en débarrasser, l'attribue
toujours à la représentation nationale.
Pour avoir une véritable
monarchie constitutionnelle, on devrait n'y voir que le gouvernement d'un côté
et la représentation nationale de l'autre. Il faudrait que le ministre fût
toujours devant les représentants de la nation, et jamais devant ses propres
candidats, devant des hommes dévoués à sa personne ministérielle ; et ne pensez
pas, messieurs, que le gouvernement se trouverait dans des conditions plus
difficiles. S'il n'y avait pas de candidats ministériels aux élections, nous
n'y trouverions jamais des candidats de l'opposition, un pareil candidat serait
indubitablement rejeté par les électeurs, car tous sont pénétrés qu'avec une
opposition systématique le gouvernement serait impossible ; même à présent un
candidat aux élections qui se déclarerait vouloir être de l'opposition, ne
serait pas l'élu du peuple. Il n'y aurait donc à la chambre ni ministériels ni
opposants, tous prêteraient au ministre un concours royal et franc pour tout ce
qu'il pourrait nous proposer de bon, tous au contraire rejetteraient ses
propositions en tant qu'elles seraient contraires aux intérêts du pays. Et
ceci n'arriverait que rarement, car le ministre ne nous présenterait jamais un
projet de loi qu'il n'aurait mûrement médité, et ne commettrait jamais un acte
qui pourrait mériter la censure de la nation.
Si je vote contre la proposition
de nommer les bourgmestres hors du conseil, ce n'est pas que je ne trouve des
inconvénients et des inconvénients peut-être plus graves encore, dans la
nomination des bourgmestres dans le conseil ; beaucoup de communes possèdent
des hommes respectables, qui méritent et qui conviennent de siéger dans le
conseil, que même les intérêts de la commune exigeraient, qu'ils s'y trouvent
; mais la commune ne les voudrait pas, soit pour son bourgmestre, soit
même pour échevin. Qu'arrive-t-il avec le système actuel de choisir les
bourgmestres et les échevins dans le conseil ? C'est que les électeurs excluent
ces honnêtes gens du conseil, au grand détriment de la commune, de peur de les
voir nommer soit bourgmestre, soit échevin.
Il serait facile de remédier à tous
ces inconvénients, si on voulait sincèrement conserver notre monarchie
constitutionnelle et loyalement maintenir la constitution. Il ne s'agirait que
de remplacer la loi provinciale et la loi communale par des lois nouvelles ; où
au lieu de placer les commissaires de district dans l'administration
provinciale, on les placerait à la tête de la loi communale, comme agent
général du gouvernement pour toutes les communes de son district ; à ce prix on
pourrait laisser aux communes le droit de nommer leur bourgmestre, leurs
échevins, ainsi que les membres de leur conseil, et donner au bourgmestre élu
toute sa confiance pour être son représentant particulier dans la commune, si
on n'a pas des arrière-pensées hostiles à la constitution et à notre régime
constitutionnel.
- La séance est levée à 4 heures et un quart.