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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 10 mars 1842

(Moniteur belge n°70, du 11 mars 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l'appel nominal à midi et demi.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« La commission déléguée du commerce pour proposer des mesures répressives des abus du colportage demande que la chambre veuille s'occuper immédiatement du projet de loi présenté dans ce but, et proposent des modifications à la loi sur les ventes à l'encan. »

- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi sur le colportage.


« Un grand nombre d'habitants de Mouscron demandent qu'il soit créé dans l'arrondissement de Courtray, un nouveau canton qui serait composé des communes de Rolleghem, Dollignies, Herseaux et Luinge, et dont Mouscron serait le chef-lieu. »

- Renvoi à la commission pour la circonscription cantonale.


« Le sieur Torrebore-Janssens, directeur des barques entre Bruges et Gand, renouvelle sa demande pour l'obtention d'une indemnité pour les pertes énormes qu'il a essuyées par l'établissement du chemin de fer. »

« Des négociants, fabricants, boulangers, cabaretiers, meuniers, marchands de lin et voituriers de la commune de Keckem adressent des observations sur la direction à suivre de la route projetée de Menin à Mouscron.»

« Le sieur van Duerne demande que la chambre passe à l'ordre du jour sur la pétition du bureau de bienfaisance de la ville de Bruges demandant l'intervention de la chambre près le gouvernement pour la délivrance d'un legs, les tribunaux étant saisis de la question de savoir à qui la délivrance de ce legs doit être faite. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Proposition de loi qui accorde une pension à la veuve du général Buzen

Lecture, développements et prise en considération

M. le président. - La parole est à M. Dumortier pour donner connaissance à la chambre de la proposition dont les sections ont autorisé la lecture.

Quand M. Dumortier veut-il présenter les développements de sa proposition ?

M. Dumortier. - Tout de suite, M. le président.

Messieurs, en présentant un projet de loi destiné à accorder une pension à la veuve du brave général dont nous déplorons la perte récente, nous venons remplir un pieux devoir en l'honneur de l'un des hommes qui ont rendu les plus grands services à la patrie.

Ces services, messieurs, vous sont connus. Entré jeune encore dans la carrière militaire, Gérard Buzen fit successivement les campagnes d'Allemagne de 1805 à 1813, et obtint par sa bravoure le grade d'officier de cavalerie et la décoration de la Légion d'honneur. Placé, en 1814, comme lieutenant au service des Pays-Bas, il était capitaine à l'époque de la révolution. C'est de cette époque que date la carrière politique de notre collègue.

Dévoué comme il l'était à la cause nationale, le brave Buzen n'avait pu voir de sang-froid les douleurs de sa patrie et son asservissement au joug de l'étranger. Dans ces jours de gloire et de triomphe, qui ont élevé la Belgique au rang des plus grands peuples de l'antiquité, lorsque la nation tout entière, jusqu'alors foulée aux pieds, se leva comme un seul homme pour revendiquer son indépendance et ses droits, il comprit qu'il se devait à la patrie, et fut un de ceux qui contribuèrent à la reddition de l'importante forteresse de Mons.

Attacher son nom à la création de l'indépendance nationale, c'était prendre l'engagement de la servir par tous ses moyens, sans jamais trahir cette cause sacrée, et lui dévoua tout ce qu'il avait d'activité, d'énergie et d'intelligence. Nommé, le 29 septembre 1830, par arrêté du gouvernement provisoire, lieutenant-colonel commandant supérieur de Mons, il réorganisa immédiatement le troisième régiment de ligne, qui fut le premier à se porter sur la capitale pour repousser l'agression de l'ennemi.

Bientôt après, le gouvernement provisoire réclama de lui d'autres services. Le Luxembourg était sans cesse menacé par les excursions de la garnison de la forteresse fédérale. Il fallait un homme d'énergie pour organiser les moyens de résistance : Buzen est appelé au commandement militaire de la province ; il enrôle des volontaires, arme les gardes civiques, forme deux bataillons de tirailleurs, et les incursions de la garnison, qui s'étendaient quelquefois jusqu'à quatre lieues de la forteresse, durent se restreindre dans des limites tellement étroites, que le pays n'en fut plus inquiété. Buzen avait ainsi rendu la tranquillité au Luxembourg.En récompense de ces services, le gouvernement provisoire lui conféra le grade de colonel.

L'arrivée du Roi, en juillet 1831, en consolidant la nationalité belge, fut le signal de la réorganisation de l'armée et d'un système de défense militaire qui empêche toute agression nouvelle de la Hollande. Un point surtout menaçait le repos de la Belgique, l'importante citadelle d'Anvers, qui, confiée à la garde du général Chassé, pouvait à chaque instant anéantir l'une de nos plus importantes cités. Et le souvenir de l'incendie d'Anvers donnait incessamment une puissance nouvelle aux menaces toujours renaissantes du général hollandais. Pour arrêter cette attitude menaçante, il fallait un homme qui réunit l'intelligence, l'énergie et l'activité au dévouement le plus entier à la cause nationale : cet homme, on le trouva dans le colonel Buzen. Nommé commandant supérieur d'Anvers, il organisa, malgré les menaces du général Chassé, les armements les plus formidables. Par ses soins, plus de 400 bouches à feu de gros calibre furent mises en batterie contre l'Escaut et la citadelle ; et c'était à ces armements que la ville d'Anvers fut redevable de ne pas être une seconde fois livrée à toutes les horreurs d'un bombardement.

Pour remplir sa mission, le colonel Buzen dut plus d'une fois contrarier les habitants de la ville dont le commandement militaire lui était confié. Alors encore on vit de nombreuses réclamations s'élever contre lui ; mais telle était l'énergie de son caractère, qu'il méprisa de descendre jamais à sa justification, alors qu'il avait en main la preuve du service immense qu'il avait rendu à cette grande cité, et que cette preuve il la puisait dans les archives mêmes de l'ennemi. Le journal du siège de la citadelle, tenu par le colonel De Gumoenst, chef d'état-major du général Chassé, et mort par suite de ses blessures à Anvers, démontre jusqu'à l'évidence que les armements formidables effectués par le colonel Buzen furent la seule cause qui préserva la ville du bombardement lors du siège de l'armée française. Ce journal, dont je tiens en mains l'original, porte, sous la date du 6 décembre, que « ce jour, après avoir reçu une lettre du maréchal Gérard, le général Chassé tint un conseil de guerre sur ce qu'il restait à faire, et il fut reconnu que les moyens de bombardement de la ville mettraient la citadelle dans une position plus fâcheuse encore, attendu que les moyens de bombardement seraient au moins doubles par la ville ; qu'il en coûterait la perte de la flottille et de la Tête-de-Flandre, et, en outre, que la perte de la flottille empêcherait les communications, tandis que la défense régulière actuelle ne provoque pas le bombardement, que la défense durait plus longtemps , avec la position actuelle ; le général Chassé, Selig, Van de Wyk et Koopman inclinent pour continuer la défense telle qu'elle est maintenant. » (Le il reprend en note de bas de page le texte littéral, rédigé en néerlandais.)

Ainsi, messieurs, exemple frappant du caractère qu'il a montré jusqu'à son dernier jour, tandis qu'il dédaignait descendre jusqu'à sa propre justification, il avait entre ses mains le journal du chef d'état-major hollandais, qui le proclamait le sauveur de la ville d'Anvers.

La belle conduite du colonel Buzen lui valut le grade de général de brigade, et tandis que d'autres cherchaient les faveurs du pouvoir, sans avoir rendu des services à la patrie, il croyait, lui, n'avoir pas encore rendu d'assez grands services à son pays, et voulait que l'on retardât un acte que la nation entière regardait comme une éclatante justice. Les lettres qu'il écrivit alors au ministre de la guerre sont là comme une preuve de désintéressement de celui qui s'était placé si haut dans l'opinion publique.

A la suite des pillages d'avril 1834, il fut appelé au commandement supérieur de la capitale, qui, dès ce moment, fut préservée de toute atteinte, de toute tentative de désordre. Plus tard, le Roi réclama de nouveau son concours en lui confiant le portefeuille de la guerre.

Vous savez, messieurs, toutes les difficultés dont une pareille position était environnée dans les circonstances où le brave général accepta ce portefeuille.

L’adoption du traité nécessitait la mise de l'armée sur le pied de paix, il fallait réduire le chiffre du budget de la guerre, afin de pouvoir payer la dette hollandaise ; bien des intérêts devaient être froissés, et le nouveau ministre n'avait pas même la consolation de pouvoir accorder quelques promotions, les cadres ayant été complétés par son prédécesseur. La mission du général Buzen était donc toute de dévouement, et c'est ce dévouement qui le soutint dans la tâche pénible qu'il avait à remplir et dans laquelle votre loyal concours et votre confiance ne lui manquaient jamais.

Dans la séance du 26 janvier dernier, en prenant la défense de mon honorable ami, je vous disais que ses services ne seraient appréciés que lorsque l'armée n'aurait plus le bonheur de le posséder ; j'étais loin de penser que ces paroles prophétiques devaient recevoir sitôt une funeste application, et qu'il me serait donné de venir remplir la tâche qui m'appelle en ce moment à la tribune. Mais la vie du brave Buzen ayant été calomniée, je manquerais à mon devoir, si je ne rappelais aujourd'hui à l'armée ce qu'il a fait pour elle.

L'armée de réserve élevait des plaintes sur la réduction de la solde des officiers opérée en 1838 ; Buzen répara l'injustice, et rendit la solde entière aux officiers de la réserve.

L'artillerie, ce pivot de la guerre moderne, se plaignait d'une désorganisation presque complète ; Buzen répara le grief en réorganisant l'artillerie.

Les officiers de cavalerie se plaignaient de la privation du second cheval qui leur est indispensable ; Buzen répara le grief, et rendit le second cheval aux officiers.

La gendarmerie se plaignait d'être moins payée comparativement que la ligne ; Buzen répara le grief en augmentant la solde des gendarmes.

Les capitaines d'infanterie se plaignaient de l'exiguïté de leur solde ; Buzen répara le grief en proposant l'augmentation de la solde des capitaines.

Les officiers de tous grades se plaignaient des abus des nominations laissées au choix qui, bouleversant l'ordre d'ancienneté, désorganisaient tous les corps ; Buzen fit cesser le grief en n'accordant d'avancement qu'à l'ancienneté seule.

Et tandis qu'il rendait aux officiers de tels services, il parvenait à réduire le budget de la guerre d'environ quatre millions.

Je voudrais vous rappeler, messieurs, tous les services qu'il rendit au pays, soit en améliorant le pain du soldat, soit en simplifiant la comptabilité des corps, soit en démasquant, une conspiration odieuse contre la sûreté de l'état, soit enfin en manifestant la volonté ferme et énergique de faire cesser les abus. Et c'est cet homme qui avait rendu tant de services, cet homme de cœur et d'énergie qui avait donné tant de gages à la patrie, que la calomnie est venue assassiner.

L'homme qui n'avait pas voulu se justifier des accusations d'Anvers ; l'homme qui avait préféré abandonner les droits à la pension de son épouse plutôt que de se justifier, ne voulut pas encore descendre à se justifier contre la calomnie. Déplorons, messieurs, cette funeste susceptibilité qui a enlevé à la patrie, un de ses plus honorables citoyens ; au Roi, un de ses plus fidèles serviteurs.

J'ai dit que la susceptibilité outrée qui dominait le caractère du général lui avait fait abandonner les droits à la pension de son épouse plutôt que de se justifier. En effet, à la suite de la révolution, on exigea de lui un acte de notoriété prouvant qu'il était le même que Gérard-Servais Buzen, époux de dame Domitille-Thérèse Letoret. Buzen, avec cette raideur de caractère qu'on lui connaissait, s'écria : Puisqu'ils élèvent des doutes, je ne répondrai pas ; et il arracha les pièces en refusant de contribuer ensuite à la caisse des veuves. C'est cette particularité qui prive aujourd'hui sa veuve des droits à la pension. En vous présentant le projet de loi dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture, mes honorables amis et moi nous avons cru, messieurs, remplir votre pensée en proposant à la chambre de décerner une marque de gratitude nationale à la veuve de celui qui, pendant tout le cours de sa carrière, a rendu des services aussi signalés à la patrie.

« Projet de résolution

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, salut.

« Vu les services rendus à la patrie par le général Buzen ;

« Voulant donner à sa veuve un témoignage de reconnaissance nationale ;

« De commun accord avec les chambres, nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

« Art. unique. Il est accordé à la dame Domitille-Thérèse Letoret, veuve du général Buzen, une pension viagère de trois mille francs (3,000 fr.) sur le trésor public.

« Fait au palais de la Nation, ce 8 mars 1842

« B..C. DUMORTIER.

“MAST DE VRIES.

« ELOY DE BURDINE.

« TROYE.

« P. DEDECKER.

« PIRMEZ.

« J. MALOU.

« DECHAMPS. »

M. le président. - La discussion est ouverte sur la prise en considération.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, en vous proposant d'accorder une rente viagère à la dame veuve Buzen, nous ne venons pas vous demander une faveur. Non, messieurs, c'est un acte de gratitude, je dirai plus, c'est une dette d'honneur et de reconnaissance que nous devons à la mémoire d'un fonctionnaire à qui la nation doit tant d'obligation, pour le service qu'il a rendu au pays et principalement à la capitale : dans tant de circonstances et en dernier lieu encore en dévoilant le complot contre la sûreté de l'Etat, qui occupe actuellement la cour d'assises, et cela sans qu'il en ait coûté un centime à l'Etat ; et vous le comprendrez, messieurs, des trames de l'espèce ne se découvrent pas sans faire de la dépense. L'argent nécessaire pour dévoiler cette conspiration a été fourni par la bourse du trop malheureux général ministre de la guerre.

Son patriotisme l'a porté à faire cette dépense de ses propres deniers. Ah ! messieurs, les hommes aussi désintéressés sont bien rares dans le siècle où nous vivons. Il serait trop long d'énumérer ici tous les titres du trop malheureux général Buzen à la reconnaissance de la nation ; chacun de nous les connaît ; acquittons une dette sacrée, en votant une rente viagère en faveur de l'épouse de celui dont nous déplorons tant la mort violente, ainsi que les causes qui l'out produite.

Nous acquitter complètement de ce que nous devons à l'ex-ministre de la guerre est chose impossible, vous en conviendrez avec moi.

Mais un moyen selon moi est de compléter l'acte que nous vous proposons, et cela autant qu'il dépend de nous, c'est de voter notre proposition par acclamation.

L’honorable M. Dumortier étant entré dans des développements étendus pour appuyer notre proposition, je crois inutile d'en dire davantage pour prouver que la dette que nous demandons d'acquitter est trop juste pour qu'elle donne matière à discussion.

- Personne ne demandant la parole, la prise en considération est mise aux voix et adoptée.

La proposition et les développements qui l'accompagnent seront imprimés et distribués.

La chambre en renvoie l'examen aux sections.

Projet de loi sur la réparation des pertes causées par les événements de la guerre de la révolution

Formation du comité général

La chambre se forme en comité secret à 1 heure, et se sépare à 4 heures trois quarts.