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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 18
janvier 1842
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative au maintien du
canton de Hamme (de Terbecq)
2) Projet de loi relatif à la ratification de
l’arrêté royal du 26 juillet 1841, concernant le tarif sur les fils de lin et
de chanvre. Situation
de l’industrie linière (Nothomb, Rogier,
de Nef, Peeters, Rodenbach, Peeters, Desmet, Rogier, Nothomb,
Zoude, Rodenbach,
(+négociations avec la France) Delehaye, Rogier, Nothomb, Van Cutsem, Desmet, Delfosse, Nothomb, Cogels, Demonceau, Rogier)
(Moniteur
belge n°19, du 19 janvier 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de
Renesse fait l’appel nominal
à 1 heure et demie.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance
d’avant-hier dont la rédaction est adoptée.
M. de
Renesse fait connaître
l’analyse des pétitions suivantes :
« Le conseil communal de
Hamme (arrondissement de Termonde) adresse des observations en faveur du
maintien du canton de ce nom. »
- Sur la proposition de M. de Terbecq, cette pétition est renvoyée la commission chargée de
l’examen du projet de loi sur la circonscription cantonale.
_____________________
« Les conseils communaux du
canton de Peer adressent des observations sur le projet relatif à la
circonscription cantonale. »
- Renvoi à la même
commission.
_____________________
Des habitants et
propriétaires de la commune de Middelburg (Flandre orientale) demandent la
prompte construction du canal le Zelzaete. »
- Renvoi à la commission
chargée de l’examen du projet.
_____________________
« Sept rouliers
demandent une prompte révision de la législation sur le roulage, et qu’en
attendant il soit permis aux voituriers de charger à volonté. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
_____________________
« Le sieur Henri-Frédéric
Ehrlich, négociant à Bruxelles, né à Dalken (Prusse),
demande la naturalisation.
« Le sieur Théodore-Albert
Van Sprang, sous-lieutenant major de place, né à Middelbourg (Zélande), demande la naturalisation.»
- Renvoi à M. le ministre de
la justice.
M. le
président. - M. le ministre se rallie-t-il au projet de la
commission ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, la section centrale propose deux
amendements. Le premier consiste à réduire le droit sur les fils simples de la
première classe de 16 à 12 francs. Le gouvernement ne peut pas se rallier à cet
amendement. Le deuxième consiste à retrancher le dernier paragraphe des
observations inscrites en marge du tarif qui forme l’art. premier.
Les exceptions qui précèdent, y est-il dit, n’auront force que pendant l’année
1842. Toutefois, en cas de nécessité reconnue, le gouvernement est autorisé à
user de la même faculté, pendant les deux années subséquentes.
C’est-à-dire que, d’après le
projet qu’il a présenté, le gouvernement pourrait pendant trois ans, d’année en
année, autoriser, par exception, l’entrée sans droit des fils de Westphalie et
de Brunswick ainsi que l’entrée des fils de chanvre et de lin de Russie, des
numéros 1 à 7.
La section centrale propose
de retrancher le dernier paragraphe dont je viens de donner lecture, de manière
que l’autorisation donnée au gouvernement serait indéfinie. Nous pourrons
admettre cette autorisation indéfinie donnée au gouvernement, mais sous
certaines garanties, que je crois indispensables. Ces garanties consisteront à
exiger que, chaque fois, l’exception ne soit faite que pour un an et ne puisse
être renouvelée que pour un an, le tout par un arrêté royal motivé.
Je proposerai donc, quant au
deuxième amendement, de ne pas retrancher purement et simplement le paragraphe
dont il s’agit, mais de le remplacer par la disposition suivante
« Les exceptions de cette
nature ne pourront être faites ni renouvelées que pour un an et par arrêté
royal motivé. »
De plus, il sera nécessaire
d’introduire, dans le paragraphe, le mot annuellement
après le mot déterminera.
Messieurs, il vous a été
distribué hier une pétition concernant la loi dont nous allons aborder la
discussion. Je crois devoir vous donner lecture d’une lettre qui se rattache à
cette pétition. Vous aurez vu dans ce mémoire qu’il est question de relations
qui se sont établies entre le pétitionnaire et les fabricants de Gand, la
société linière gantoise entre autres. Il est nécessaire, pour éclaircir les
faits, que je vous donne lecture d’une lettre de l’administration de la société
linière gantoise. Cette lettre sera insérée au Moniteur, vous pourrez la lire
en même temps que la pétition.
Elle est ainsi conçue
« Gand, le 12 novembre
1841.
« Monsieur le président,
« Nous avons l’honneur de
vous accuser la réception de votre lettre du 5 courant.
« En réponse, nous vous adressons
copie de la lettre de M. Kums, en date du 13 octobre
dernier.
« Vous serez convaincu,
comme nous l’avons été par la lecture de cette lettre, que l’intention de M. Kums n’était pas de traiter sérieusement avec nous, mais de
nous poser une série de questions dont la réponse devait, dans ses prévisions,
servir à corroborer un système de réclamations non fondé auprès du ministre de
l’intérieur.
« En effet, M. le président,
nous ne faisons pas et nous n’avons jamais fait des fils de chanvre ; nous ne sommes
même pas outillés pour les faire et M. Kums le savait
bien. Quant aux fils de lin ou d’étoupes de Riga, nous n’hésiterions pas à
contracter avec M. Kums pour tout ce qui convient à
sa fabrication, et nous sommes persuadés que nous pourrons établir ces fils aux
mêmes prix qu’en Angleterre ; mais ce qui prouve que les démarches de M. Kums ne sont pas sérieuses, c’est qu’il s’est constamment
refusé à nous adresser des échantillons, nous laissant ainsi dans
l’impossibilité de juger des qualités, et par suite, de faire nos calculs
relativement aux prix de revient.
« Depuis nous avons eu
la visite de M. Gysels, d’Anvers, l’un des principaux
intéressés dans les réclamations adressées au gouvernement contre l’arrêté sur
les fils.
« Nous avons eu une longue
conversation avec lui, et nous avons pu, plus que jamais, nous convaincre
combien toutes ces réclamations étaient peu fondées, puisqu’il nous a avoué
qu’il vendait les fils d’étoupes, n° 6, en raison de 54 centimes le demi-kil.,
tandis que nous n’avons jamais vendu le même numéro que 45 fr. le paquet de 46 kilog. avec 6 p. c. d’escompté, de
sorte que M. Gysels trouvait à la revente un bénéfice
de 10 p. c. Un négociant qui peut réaliser une opération qui lui donne un
pareil bénéfice n’est pas, nous semble-t-il, déjà tant à plaindre.
« Toutefois comme M. Gysels que nous avons conduit dans nos magasins, semblait
adopter le même système que M. Kums, c’est-à-dire,
d’insister pour obtenir les qualités qu’il savait que nous ne possédions pas et
principalement les fils de chanvre dont il disait avoir absolument besoin, nous
lui avons fait une proposition très avantageuse, mais qu’il s’est bien gardé
d’accepter ; nous lui avons offert de monter immédiatement les mécaniques pour
faire tel genre le fil qu’il pourrait désirer, et de telle matière première
qu’il jugerait convenable, nous engageant même à travailler à la façon, lui
laissant la faculté de fournir lui-même la matière première ; et, comme nous
avons la certitude que nos prix de revient ne sont pas plus élevés qu’en
Angleterre, il en résulterait que ces messieurs obtiendraient leurs fils au
moins aux mêmes prix que dans les fabriques de l’Ecosse où ils disent se
pourvoir.
« Quant à la contradiction
que vous croyez remarquer dans nos prix elle n’est, comme vous le dites fort
bien, qu’apparente ; M. Kums nous a demandé nos prix,
nous les lui avons indiqués, bien entendu sur les fils que nous faisons
d’habitude, avec des étoupes de toute première qualité ; jamais nous n’avons
reçu des observations sur ces prix, et jamais nous n’avons pu satisfaire aux
demandes qui nous étaient faites.
« Certainement, si M. Kums se contente d’une matière première de qualité
inférieure et, partant, d’un prix moins élevé, nous pourrions coter le prix en
conséquence, mais pour cela il eût fallu que M. Kums
nous fît voir ses échantillons, et il s’y est constamment refusé, malgré toutes
nos instances.
« Nous persistons, en
conséquence, à croire que les fabriques du pays sont capables de fournir à M. Kums les fils dont il a besoin, aux mêmes prix que les
fabriques de l’Angleterre, la matière première étant la même, et qu’ainsi il
n’y aurait aucun motif d’accueillir sa demande.
« Agréez, monsieur le
président, l’assurance de notre parfaite considération.
« L’administrateur,
« L’agent général,
« Signé, L. DE POORTER. »
Messieurs, je demande pardon
si j’ajoute encore quelques observations. Trois réclamations ont été adressées
au gouvernement, l’une de la part des fabricants de Turnhout, la seconde par
quelques fabricants de Bruges, et la troisième pas M. Kums.
Aux deux premières
réclamations il est fait droit par l’exception A, qui concerne
les fils de Westphalie et de Brunswick. Le gouvernement est autorisé à accorder
l’entrée libre des fils de Westphalie et de Brunswick, dont les fabricants de
Turnhout et certains fabricants de Gand ont besoin. A la troisième, il est fait
droit par l’exception B. Le gouvernement est autorisé par cette exception à
permettre la libre entrée des fils de lin et de chanvre de Russie, du n° 1 à 7.
Ce sont les fils qu’il faut à M. Kums.
L’arrêté royal du 26 juillet
4841, je l’avoue, ne renfermait pas cette exception. M. Kums
a été mis en rapport avec la commission d’enquête ; et la commission d’enquête
m’a fait savoir qu’une exception d’une année satisferait M. Kums.
J’ai été plus loin ; j’ai demandé l’autorisation de continuer l’exception
pendant trois ans. Nous allons maintenant plus loin ; la section centrale
propose de donner au gouvernement une autorisation indéfinie qui n’aura que la
restriction de l’amendement que j’ai proposé. Le gouvernement ne pourra établir
les exceptions dont il s’agit qu’annuellement et par arrêté royal motivé.
Vous voyez la différence,
qu’il y a entre ma proposition et celle de la section centrale. Par le projet
de la section centrale, l’abstention du gouvernement suffirait pour que
l’exception, une fois faite, continuât. Au contraire par le projet amendé que
je propose, l’abstention du gouvernement fait tomber l’exception. Il faut un
acte formel pour qu’elle soit renouvelée d’année en année, il faut qu’elle soit
renouvelée par arrêté royal motivé, ce qui suppose que, chaque fois, il y aura
une nouvelle enquête. J’ai donc lieu de croire qu’au moyen de ce nouvel
amendement on fait droit aux réclamations dont l’arrêté royal du 26 juillet
1841 avait été l’objet.
M. le
président. - La parole est à M. de Nef.
M. Rogier. - Je demande la parole pour adresser une interpellation
à M. le ministre de l’intérieur.
Dans le rapport de la
section centrale il est dit que le gouvernement n’a pas pu produire encore le
relevé des importations en fils qui ont eu lieu en octobre, novembre et
décembre. Il serait important que la chambre fût en possession de ces
renseignements ; il est indispensable qu’elle connaisse quels ont été les
effets de l’arrêté du 26 juillet sur les importations de fils, et quelle a été
l’importance de nos exportations pendant ce dernier trimestre. Je crois que le
gouvernement doit être maintenant en mesure de faire cette communication à la
chambre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai demandé ces renseignements au ministre des
finances, je vais renouveler ma demande.
M. de Nef. - Si le
gouvernement n’était pas venu reconnaître lui-même la nécessité d’affranchir de
tout droit, au moins pour un temps plus ou moins prolongé, l’introduction des fils
de Westphalie, qui sont indispensables pour la trame des coutils, et des fils de Brunswick, pour la chaîne de
ladite étoffe, fils, qui dans le temps
actuel sont moins chers que les fils indigènes, on eût désespéré du maintien
des fabriques de coutils, qui jadis ont fait en France la réputation de
Quiconque, en effet, a
quelques notions sur les fabriques en Belgique devra convenir que pas un seul
genre de fabrication n’a autant souffert depuis vingt-cinq ans que celui des
coutils.
Lors de la réunion de
C’est au point que si cet
arrêté avait continué à subsister, des fabricants distingués étaient décidés
les uns à cesser leurs travaux et les autres à transporter leur industrie en
Hollande, ce qui aurait privé une quantité d’ouvriers de leurs seuls moyens de
subsistance. En me persuadant que vous prendrez en considération aussi la
proposition concernant les fils, pour la confection des toiles à voile, je vous
demanderai messieurs, d’autoriser le gouvernement, qui en a reconnu
l’impérieuse nécessité, à accorder aux fabricants de coutils la libre entrée
des fils de Westphalie et de Brunswick, afin qu’ils soient mis dans la possibilité
de soutenir la concurrence avec les fabricants étrangers affranchis de cet
impôt ; et qu’ainsi je puisse m’abstenir pour le moment de vous proposer des
primes pour l’exportation, afin que l’émigration soit prévenue et que des
fabriques, qui ont subsisté depuis plusieurs siècles, ne soient pas exposées à
une chute certaine, chute qui serait à jamais une tache pour le pays et qu’il
faut à tout prix savoir éviter, lorsqu’il en est encore
temps.
M. Peeters. - Si le projet de loi qui nous occupe était destiné à
procurer de l’ouvrage à ces nombreuses fileuses des Flandres, nous le voterions
tous par acclamations comme nous avons voté naguère un subside de cent mille
francs pour ces malheureuses au sort desquelles le pays entier s’intéresse,
mais, messieurs, croyez-moi, il n’en est pas ainsi ; je suis persuadé, au
contraire, que le projet de loi, s’il est adopté est destiné à porter le
dernier coup à cette malheureuse industrie, sans lui laisser le temps de
l’agonie.
Il me paraît absurde de
vouloir prétendre que nos fileuses à la main, qui n’ont pu concourir avec les
filatures à la mécanique de l’étranger obligé de venir chercher ici le lin ou
la matière première en nous rapportant la matière fabriquée, et ayant par
conséquent deux frais de commission et de transport à payer, puissent lutter
avec les filatures à la mécanique à l’intérieur.
Ce qui prouve à l’évidence,
selon moi, ce que j’avance, c’est qu’au moment où la protection si élevée de 10
p. c., qu’on nous demande par une loi, existait déjà par arrêté, les députés
des Flandres au lieu d’un subside de dix mille francs pétitionné par le
gouvernement, ont demandé et obtenu de la chambre un subside de cent mille
francs pour leurs fileurs à la main, un tel vote serait-il explicable si la
protection en question avait pu favoriser cette industrie ?
Tout ce qui précède doit
nous convaincre que le projet de loi qui nous occupe est exclusivement destiné
à favoriser les filatures à la mécanique.
Je vous le demande,
messieurs, y a-t-il un si grand avantage pour le pays, de voir filer par des
mécaniques belges le lin filé aujourd’hui par des mécaniques anglaises ou
autres, surtout en anéantissant par cette mesure nos fabriques de tissus si
anciennes, qui, par l’état de souffrance où elles se trouvent, ont tant de
titre à notre sollicitude et notre protection, comme vous l’a prouvé avec tant
de conviction mon honorable ami M. de Nef ? Le fil n’est-il pas la matière
première pour nos tisserands, qui doivent pouvoir se le procurer à bon marché
et bien perfectionné pour que leurs tissus puissent concourir aux marchés
étrangers.
Prenez-y garde, messieurs,
nos filateurs de lin à la mécanique assurés du marché intérieur et délivrés de
la concurrence étrangère par des droits protecteurs si élevés, ne seront plus
forcés de chercher à faire tous les progrès possibles ; mais ils tâcheront de
fabriquer beaucoup, et avec beaucoup de bénéfice ; le nombre de ces fabriques,
qui vont déjà très bien en Belgique sans protection, augmentera
considérablement, et bientôt le trop plein, dont on se plaint en Angleterre, se
fera sentir chez nous ; l’on criera à la fraude, car rien n’est plus facile que
les accusations ; l’on viendra vous demander l’estampille où l’on transformera
M. Rodenbach. - Je répondrai deux mots à l’honorable préopinant.
Certes, dans les Flandres, on ne croit pas que cette protection de 10 p. c., qu’on se propose d’accorder sur les fils, soit une
protection efficace pour l’industrie linière. Non certes, nous ne nous y
attentions pas. Sous peu de jours, nous nous proposons de présenter un projet
de loi tendant à imposer le lin à la sortie.
Je sais que les effets de
cette protection de 10 p.c. sur le fil serait
ressentis immédiatement par la filature à la mécanique, mais nos 300,000
fileuses en éprouveront aussi quelques heureux effets. Je ne dis pas que les
résultats seront considérables, mais qu’ils seront sensibles, car moins il
entre de fil en Belgique, plus leur position s’améliore. L’honorable préopinant
voudrait qu’on laissât entrer les fils anglais sans droit ; il est évident que
plus il entrera de fil étranger dans le pays, même de fil à la mécanique, plus
on empirera la position des fileuses à la main.
Je dois répondre à une autre
observation de l’honorable préopinant. Il faudrait que la protection pour les
fabricants de Turnhout fût perpétuelle…
M. Peeters. - Durât aussi longtemps qu’elle sera nécessaire.
M. Rodenbach. - Mais le ministre nous a fait entendre que tous les
ans on examinera s’il est nécessaire de maintenir la protection, et que, dans
ce cas, on la maintiendra pour l’industrie de Turnhout et de Bruges, ainsi que
pour les fils de Russie.
Ainsi donc, je trouve que
c’est une grande facilité, une grande protection qu’on accorde à Turnhout et à
Bruges.
Nos filatures à la mécanique
sont en progrès ; elles n’ont pas besoin de protection. La mécanique est
protégée par elle-même. Plus elle avancera, plus elle diminuera la main-d’œuvre
dans le pays. D’un autre côté, la population augmente, et les trois cent mille
fileuses qui doivent vivre de la fabrication du fil, je ne sais quel travail
elles pourront faire quand la mécanique les aura remplacées. Mais puisqu’on ne
peut pas repousser la mécanique, toutes les industries ayant le droit de
s’établir sous un gouvernement constitutionnel, on ne peut pas non plus dire
qu’il faut anéantir les industries existantes. Je crois donc que le projet du
ministère est très acceptable. Loin de croire qu’il sera nuisible à l’industrie
de nos tisserands et de nos filateurs, je pense qu’il leur sera favorable. Je
donnerai donc mon assentiment au projet de loi présenté
par le gouvernement.
M. Peeters. — En supposant même un instant que la protection est
nécessaire pour les fils de lin, je ne sais pas pourquoi l’on devrait la voter
pour un terme plus long que celui que nous demandons pour l’exception en faveur
des fils nécessaires pour la fabrication des coutils et autres tissus, si vous
ne voulez qu’une exception d’une année pour les coutils.
Les mêmes motifs doivent
vous engager à ne voter la loi que pour une année.
Si les motifs allégués par
l’honorable préopinant existent encore l’année prochaine, le législateur pourra
proroger la loi ; pour le moment la protection qu’on veut accorder aux
filateurs de lins ne doit pas durer plus longtemps que
celle demandée par les fabricants de coutils.
M. Desmet. — Je
m’abstiendrai de répondre maintenant à plusieurs observations des honorables
préopinants, ma réponse devant mieux trouver sa place dans la discussion sur
les détails du tarif. Mais je désire répondre maintenant à l’honorable M.
Peeters, qui s’est plaint de ce que le gouvernement entrait dans une voie de
protection pour notre industrie.
Je sais que le gouvernement
a exprimé cette intention : mais je trouve que nous devons en éprouver un
certain contentement.
N’est-il pas temps,
messieurs, que nous sortions de cette voie désastreuse, de cette liberté
illimitée de commerce ? N’est-il pas temps que nous songions à protéger le
travail national ? De tous côtés nous voyons que les nations protègent
l’industrie et le commerce chez elles. N’avons-nous pas assez longtemps été
dupes de ce système utopique qu’on a suivi ici depuis la révolution ? Nous
devons être très satisfaits que le cabinet actuel voie clair et pose un
commencement de protection pour l’industrie nationale. C’est le seul moyen de
nous conserver. Je le dis avec la plus intime conviction, si ce malheureux
système de liberté avait dû continuer, vous eussiez perdu entièrement la
Belgique.
La mesure qu’on vous propose
n’est pas, je le sais bien, très importante, mais c’est un heureux
commencement, et elle fera quelque bien à nos fileuses. Mais ce dont nous avons
absolument besoin, c’est l’agrandissement de notre marché. Et comment
pourrez-vous l’obtenir, si vous ne prenez des mesures contre les industries
étrangères ? Vous laissez tout entrer, vous ouvrez vos portes à tout le monde ;
vous donnez aux autres nations tout ce dont elles ont besoin ; quand elles
auront tout ce qu’elles désirent, ne vous mettez pas en tête qu’elles vous accorderont
quelque chose. Mais si vous voulez obtenir quelque chose de vos voisins,
fortifiez votre tarif ; mettez de forts droits sur les produits étrangers qui
font concurrence. Alors vous obtiendrez des concessions. Il n’y a que ce
moyen-là : c’est le seul, c’est l’unique ; mais dépêchez vous à le mettre en
usage, il y a nécessité. Quand vos rivaux verront que vous le pensez
sérieusement, que vous fermez vos portes à eux, ils ouvriront aussi leurs
portes, et ainsi, en agrandissant le marché commun, vous
combattrez avec plus de facilité l’ennemi commun, qui, à lui seul, veut envahir
tous les marchés.
M. Rogier. - La discussion de cette loi est venue d’une manière un
peu inattendue, au moins pour moi. Je n’ai pas eu le temps de me préparer
convenablement à la discussion. Je ne puis cependant m’abstenir de présenter
quelques observations générales qui m’ont été suggérées par l’arrêté du 26
juillet et par le projet de loi qui en été la suite.
J’ai lu avec beaucoup
d’attention l’exposé des motifs du projet de loi : il a été puisé, pour la
majeure partie, dans le rapport très remarquable de la commission d’enquête
linière. J’avoue toutefois qu’en lisant les observations de cette commission,
j’ai été constamment ballotté dans le doute.
Les raisons qu’elle donne
pour le maintien de l’ancien tarif sont même, je dois
le dire, plus fortes que les raisons en faveur d’un changement de tarif. En
définitive, la commission a résumé les motifs de l’augmentation du tarif dans
ces conclusions :
« Nous avons pensé,
dit-elle, qu’il fallait fournir au gouvernement et aux chambres l’occasion de
jeter un regard de consolation sur les classes qui souffrent. » C’est donc une
espèce de palliatif, de remède moral que la loi aurait pour but d’apporter à
certaines classes souffrantes de la société. A ce titre, je n’ai pas besoin de
dire que je m’associe à tout ce qui tend à un pareil but et surtout à un pareil
résultat, mais je crois que, tout en voulant consoler la classe malheureuse, il
ne faut pas involontairement la tromper. Or, dans mon opinion, les effets de la
loi seront entièrement nuls quant à la classe ouvrière, qu’on veut protéger,
c’est-à-dire à la classe des fileuses, dont le nombre est porté, je pense, à
280,000. La classe des fileuses a depuis quelques années, dit-on, vu
restreindre son travail. Quelle eu a été la cause ? Est-ce l’importation
toujours croissante des fils étrangers ? Nullement. La cause, s’il y a eu
restriction dans le travail, provient uniquement des fils du pays même, et de
ce que les filatures à la mécanique sont déjà nombreuses. Voilà la cause de la
restriction du travail des fileuses, si restriction il y a.
Je dis que l’importation des
fils étrangers, loin de suivre un mouvement ascensionnel, a suivi un mouvement
contraire depuis quelques années. Les tableaux joints au projet du gouvernement
et au rapport de la section centrale en font foi. C’est ainsi que les
importations de fils étrangers, qui s’étaient élevées
en 1838 à 1,759,888 fr., sont descendues,
en 1839, à l,181,098 fr., et se sont un peu relevées en 1840, sans
atteindre le chiffre de 1838 et pour le premier semestre de 1841, ces
importations de fils étrangers ne se sont élevées qu’à 577,000 fr.
Au contraire, les
exportations de fils indigènes ont toujours été croissantes depuis 1837. Voici
le chiffré de ces exportations.
1857, fr. 1,154,868
1838, fr. 1,324,197
1839, fr. 1,580,596
1840, fr. 2,249,814
Premier semestre de 1841,
fr. 1,884,814
Ce dernier chiffre excède de
1,300,000 fr. celui des importations pendant la même période.
Je regrette de ne pas avoir
le chiffre de nos exportations pendant les six derniers mois ; nous l’avons
seulement pour le trimestre de juillet ; là encore nous voyons que, pour les 9
premiers mois de 1841, nos exportations sont déjà supérieures aux exportations
des années précédentes.
Pour les neuf premiers mois
de 1841, nos exportations s’élèvent déjà à 2,500,000
de francs.
Quant à nos importations,
pendant les trois mois de juillet à octobre, elles sont insignifiantes. Si nous
devons nous en rapporter au tableau de la section centrale, elles ne s’élèvent
plus qu’à quelques milliers de kilog. L’importation
des fils étrangers est donc pour ainsi dire éteinte.
Ainsi, en accordant une
protection au fil indigène, vous ne viendriez pas au secours de la filature à
la main ; vous donneriez une extension au fil fabriqué à la mécanique ; et plus
vous favoriserez ce dernier moyen de production, plus vous frapperez l’autre
moyen ; de telle manière que, pour éteindre entièrement le travail des 280,000
fileuses, il suffira que quelques milliers de broches soient introduites, grâce
au nouveau système.
Quant au taux du droit
lui-même, s’il s’élève réellement à dix p. c., en
principe, je n’y suis pas contraire ; j’ai toujours soutenu dans cette enceinte
qu’il fallait donner le plus de facilité, le plus de liberté possible à nos
relations commerciales ; j’ai toujours dit que jamais je ne serais contraire à
un droit protecteur qui ne dépasserait pas 10 p. c. de la valeur.
Mais, lorsque j’ai professé
ces principes d’économie politique, lorsque j’ai dit que j’admettais en
principe le droit de 10 p. c. à la valeur, c’était à condition que ce fût pour
une industrie qui en eût besoin. Mais, lorsqu’une industrie ne le réclame pas,
je ne vois pas pourquoi on le lui donnerait ; or, l’industrie que votre loi
aura pour effet de protéger, ne réclame pas cette protection. Les filatures à
la mécanique sont, d’après le rapport, au nombre de 11 dans le pays. Il est
vrai que deux sociétés de Gand ont réclamé un droit protecteur ; mais je ne
vois, dans le rapport de la section centrale, la demande d’aucune autre
société. Loin de là, toutes ont déclaré, dans l’enquête, qu’elles étaient dans
un état très satisfaisant, et qu’elles pouvaient soutenir la concurrence avec
l’étranger ; elles ne l’auraient pas déclarées que les faits l’auraient prouvé
pour elles, puisque nos exportations ont toujours été croissantes depuis 1838.
Ainsi, en fait, les nombreuses sociétés qui se sont formées sous le régime de
l’ancien tarif n’ont pas besoin d’une protection plus forte, puisque, de leur
aveu, elles prospèrent sous l’ancien tarif.
Quels sont donc les motifs
qui ont déterminé le ministre de l’intérieur à faire un usage peu légal, selon
moi, de l’art. 9 de la loi de 1822 ? La réclamation isolée des deux sociétés
linières de Gand, appuyées par 5 ou 6 lignes de la chambre de commerce de la
même ville.
Quant aux fileuses, si elles
ont réclamé un droit protecteur, c’est que, dans leur ignorance, elles ont
confondu les effets de l’importation des fils étrangers avec ceux de la
production des fils indigènes. C’est surtout cette production qui a été fatale
à la filature à la main, si tant est que la filature à la main soit restreinte.
La commission d’enquête
linière semble avoir été guidée par deux motifs en proposant le tarif auquel le
gouvernement s’est rallié : d’abord, elle a mis en avant l’intérêt du trésor ;
sous ce rapport le but de la loi ne sera pas atteint ; car l’arrêté du 26
juillet dernier, que la loi doit ratifier, ayant pour ainsi dire empêché toute
importation, il en résulte que les droits perçus de ce chef ont été nuls et que
le trésor n’y gagne rien.
Le second motif, c’est pour
préserver
Eh bien, messieurs, ce
tarif, tel qu’il est formulé aujourd’hui, ne préserverait pas
Opposez à cet encombrement
une prohibition bien franche, et vous n’aurez plus à craindre ce danger.
Non seulement vous
n’empêcherez pas ce déversement par votre droit de 10 p.c., mais, d’après la
commission elle-même, vous n’empêcheriez pas les importations. Voici,
messieurs, ce que la commission a répondu à cette objection assez forte encore,
que je n’ai pas fait valoir, mais qui a aussi sa valeur, qu’on courrait ici le
danger de mécontenter les puissances étrangères en frappant leurs produits d’un
droit nouveau ; la commission déclare qu’elle s’est convaincue en Angleterre
que le droit ainsi limité n’empêcherait pas les opérations de l’Angleterre sur
le continent.
Ainsi, messieurs, si ce
droit, tel qu’il est établi, n’a pas pour effet de suspendre les opérations
régulières de l’Angleterre avec le continent, à plus forte raison n’aurait-il
pas pour effet d’empêcher les opérations irrégulières, c’est-à-dire, le
déversement à tout prix des produits de l’Angleterre sur nos marchés.
Ce que je reprocherais donc
à la loi actuelle, ce serait de manquer en quelque sorte de but utile, tandis
que, dans mon opinion, elle renferme plusieurs inconvénients plus ou moins
graves.
Le fil, messieurs, est le
produit du lin qui en est la matière première ; mais à son tour el fil devient
la matière première de la toile. Si, par une protection de tarif, nous
augmentons le prix du fil, il s’ensuit, par une conséquence presque nécessaire,
que nous augmenterons le prix de la toile. Je ne parle pas des conséquences fâcheuses
de cette augmentation pour la consommation intérieure. Cependant cette
circonstance n’est pas à dédaigner. Il importe assez que le prix de la toile
pour la consommation intérieure soit maintenu à un taux modéré.
La conséquence de cette
augmentation sur l’exportation me paraît plus sérieuse. Nous avons certaines
peines à lutter à l’étranger avec les toiles étrangères. Mais, messieurs, le
moyen de pouvoir soutenir la concurrence avantageusement à l’étranger avec les
toiles étrangères, ce n’est pas d’augmenter les prix des nôtres ; ce serait de
travailler à diminuer ces prix. Or, ce n’est pas en augmentant le prix des
fils, matière première de la toile, que vous parviendrez à diminuer le prix de
la toile.
En second lieu le fil
étranger introduit dans notre pays en quantité modérée comme il l’était, ne
peut, suivant moi, que forcer nos industriels à faire des efforts constants,
pour chercher à soutenir la concurrence dans le pays même contre les fils
étrangers, à suivre la loi du perfectionnement et du progrès. Si les fils
indigènes n’ont plus à lutter contre la concurrence étrangère dans le pays
même, il est à craindre que nos fabriques ne se ralentissent de leur premier
élan.
Voyez ce qui est arrivé sous
l’ancien tarif. Sans droits protecteurs un peu sérieux ; onze filatures à la
mécanique ont trouvé le moyen de s’élever et de prospérer ; l’aveu s’en trouve
partout. Eh bien ! n’est-il pas à craindre que si
toute espèce de concurrence vient à disparaître de la part de l’étranger, ces
manufactures ne fassent plus les mêmes efforts pour soutenir la lutte et rester
maîtresses du marché ?
Je n’examinerai pas un autre
côté de la question, qui cependant a aussi sa gravité. Je sais qu’en ces sortes
de matières il faut toujours avoir soin de faire des réserves en parlant. Ainsi
je dirai, que pour ma part, je suis grand partisan du développement raisonnable
de l’industrie. Mais je me demande s’il serait bien avantageux au pays en
général que les manufactures de lin à la mécanique prissent une extension
exagérée et quant à la consommation intérieure et quant à l’exportation. Or,
messieurs, je le répète, quelque partisan que je sois d’une sage extension de
l’industrie, j’aurais quelque crainte de voir cette extension poussée à
l’excès. Cependant si déjà, sous l’empire du tarif ancien, onze filatures à la
mécanique ont pu s’élever et prospérer, n’est-il pas à craindre qu’avec un
droit plus élevé, ce nombre ne vienne à augmenter dans une progression trop
considérable, de telle sorte, messieurs, que plus tard la crise qui se présente
en Angleterre et dans d’autres pays, ne vienne également à se produire dans ce
pays-ci qui, vu ses limites étroites, n’a pas même les ressources qu’ont les
manufactures anglaises quant à la consommation.
Enfin, messieurs, chaque
jour on réclame des relations de commerce plus suivies, plus intimes avec les
nations voisines. Chaque jour on pousse le gouvernement à essayer des traités
de commerce, soit avec
Car enfin, je suppose que
vous ayez à former des relations plus suivies, plus intimes avec l’Allemagne,
par exemple. Eh bien, là, messieurs, l’industrie linière n’est pas protégée de
la même manière que vous voulez protéger la vôtre aujourd’hui. Le tarif
prussien est bien plus libéral que le tarif qu’il s’agit d’introduire. Et
cependant nous ne voyons pas que l’industrie linière prussienne soit à l’état
de décadence.
Vous allez créer des
intérêts nouveaux, accorder une protection nouvelle à ces intérêts. Eh bien ! si vous avez à traiter avec une nation voisine qui n’ait pas
le même tarif que vous, qui en ait un moins élevé, il arrivera que ces intérêts
aujourd’hui protégés feront une résistance peut-être invincible aux
modifications, aux adoucissements que votre tarif devrait subir pour arriver à
un traité de commerce avec ce pays voisin.
Voyez ce qui se passe en
France. En France quels sont aujourd’hui les principaux obstacles à un
arrangement commercial avec
Plus vous introduirez de
protections dans votre tarif, et plus il vous deviendra difficile, dans la
suite, d’arriver à des arrangements commerciaux avec les pays où le tarif est
moins élevé que chez vous.
Je sais fort bien qu’il a
été quelquefois dit qu’il était utile d’élever notre tarif pour avoir des
compensations à offrir aux pays étrangers. Mais on oublie que des protections,
une fois admises dans un tarif, ne peuvent plus en sortir quand on est en
présence de l’intérêt privé qui a le privilège de frapper plus fort et de
parler plus haut que l’intérêt général.
Je regrette donc, messieurs
pour ma part, que le projet de loi ayant pour but de légaliser l’arrêté du 20
juillet dernier, ait été présenté. Je crois que cet arrêté n’a pas un caractère
d’utilité ni l’opportunité suffisants pour être transformé en loi.
A ce projet de loi est venu
s’enjoindre un nouveau qui ne semble pas s’y rattacher très directement. Il
s’agissait ici de favoriser le fil indigène, et je vois que, par l’autre
projet, on parle de favoriser les rubans, les coutils et étoffes à pantalon. Le
gouvernement ne s’était pas expliqué sur ce projet dans son rapport. Il a dit,
au contraire, qu’il n’a pas cru devoir comprendre dans son projet de loi des
dispositions relativement à la passementerie et à la rubanerie, aux coutils et
aux étoffes pour pantalon ; qu’il a surtout été arrêté par une question
d’opportunité.
Je ne sais pas si cette
question d’opportunité existe encore ; j’attendrai les explications de M. le
ministre de l’intérieur sur ce point.
J’attendrai également le
complément du tableau des importations et des exportations que j’ai demandé
pour la fin de 1841.
Quant aux
exceptions qu’il s’agit d’introduire en faveur de certains fils, je n’ai pas
besoin de dire que je m’y rallierais dans le sens le plus large.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, comme beaucoup d’orateurs ont
demandé la parole, je me bornerai pour le moment à rectifier un fait.
D’après l’honorable préopinant,
tout semble dater de l’arrêté royal du 26 juillet dernier. L’honorable membre
aurait dû remonter plus haut ; il aurait dû ne pas perdre de vue l’historique
de la question, c’est ce que j’ai eu soin d’insérer dans l’exposé
des motifs. La chambre des représentants a adopté un tarif plus protecteur le
29 mars 1838 ; ce projet de loi fut renvoyé au sénat qui le remplaça par un
projet nouveau ; dans la séance du 22 février 1841, mon honorable prédécesseur,
M. Liedts, demanda au sénat le temps nécessaire pour soumettre le nouveau
projet à l’examen de la commission d’enquête.
C’est à ce point, messieurs,
que les choses en étaient arrivées lorsque deux nouveaux faits se sont
produits, ces deux faits sont la loi française du 6 mai 1841, et la crise
anglaise. Cette crise, messieurs, n’est pas une éventualité, mais une réalité ;
il suffit de lire les journaux anglais pour s’en convaincre.
Je pense donc, messieurs,
que mon honorable prédécesseur aurait soumis à la législature le même projet ou
un projet du même genre que celui que nous lui avons présenté.
Je ne le dis pas, messieurs,
pour diminuer ma responsabilité, mais pour montrer l’ensemble des faits ; je le
dis parce que l’on présente ma conduite comme légère.
Le ministère actuel est
jusqu’à un certain point le continuateur de ce qui a été fait avant lui, avec
cette différence qu’il s’est présenté deux nouveaux faits qui ne sont pas des
suppositions : la nouvelle loi française et la crise qui s’est manifestée en
Angleterre. Ces deux nouveaux faits ont créé une nécessité de plus pour le
ministère actuel, indépendamment des circonstances qui, déjà antérieurement,
guidaient l’administration.
C’est
dans cette situation qu’a été pris l’arrêté du 26 juillet dernier. J’attendrai
que la constitutionnalité ou la légalité de cet arrêté soit contestée, pour
aborder cette partie de la discussion.
M. Zoude. - Je dois adresser quelques observations à la
chambre, en réponse à ce qui a été dit par l’honorable M. Rogier.
La commission s’était adressée
à M, le ministre pour savoir si d’autres filateurs à la mécanique que ceux de
Gand ont réclamé des droits sur les fils étrangers. Voici la réponse de M. le
ministre :
« On se convaincra
qu’oui, par la requête ci-jointe, en copie, adressée au département de
l’intérieur, et qui est signée non seulement par les filateurs de Gand, mais
aussi par ceux de Liége, de Malines et de St-Gilles-lez-Bruxelles. On se
rappellera d’ailleurs que des pétitions dans le même sens, adressées à la
chambre des représentants à la fin de 1840, et qui ont donné lieu à un rapport
de la commission d’industrie, étaient en outre contresignées par les autres
filateurs du pays ; du reste l’enquête linière que la demande d’un tarif
protecteur était générale. »
Je crois avoir entendu dire
par l’honorable M. Rogier que le droit de 10 p. c. sera insuffisant, et
immédiatement après, il a dit que, si nous adoptons le projet, que si nous
protégeons trop fortement nos filatures, il en résultera que le pays sera
bientôt inondé des produits de ces filatures. Ainsi d’un côté l’honorable
membre trouve le droit insuffisant, et de l’autre, il croit que ce droit aurait
pour résultat de donner une extension trop grande à nos filatures. Il me serait
bien difficile de concilier ces deux assertions.
L’honorable membre a parlé
également de la crise qui existe en Angleterre, il a considéré cette crise
comme temporaire. Je crois, moi, qu’elle sera permanente, et voici pourquoi
L’Angleterre a monté son
industrie pour fournir au monde entier, mais aujourd’hui beaucoup de pays
fabriquent eux-mêmes ; il faudra donc que l’Angleterre se débarrasse de la
partie de sa population ouvrière qui ne trouvait de l’occupation que grâce aux
exportations faites dans les pays qui repoussent maintenant ses produits ;
aussi longtemps qu’elle n’aura pas réduit sa population ouvrière à des
proportions telles qu’elle n’excède plus le travail qu’elle peut lui fournir,
elle sera constamment dans un état de crise. L’émigration du trop plein de sa
population peut seule aujourd’hui améliorer sa position, à moins qu’elle ne découvre une nouvelle Inde.
M. Rodenbach. - L’honorable député d’Anvers a paru contraire à la
protection demandée pour la rubanerie et la passementerie. Je lui dirai que
cette protection est indispensable et je citerai des faits à l’appui de cette
opinion. Il y a dans
Il est plus que temps,
messieurs, de favoriser la main-d’œuvre indigène. J’en appelle à plusieurs
honorables magistrats qui siègent dans cette enceinte et qui reviennent de leur
province ; ils pourront vous apprendre, messieurs, combien la misère est grande
dans les Flandres, ils pourront vous dire qu’on voit maintenant des bandes de
trente à quarante mendiants. Ce sont, messieurs, des ouvriers honnêtes qui sont
forcés de mendier, parce qu’ils ne peuvent se procurer de l’ouvrage. Vous ne
pouvez pas reculer, messieurs, il est de votre devoir, il est du devoir de la
nation de donner de l’ouvrage à ceux qui ont faim.
L’honorable député d’Anvers
a dit que, malgré les 10 p. c. qu’il s’agit d’établir, l’Angleterre,
lorsqu’elle sera dans le moment de crise, déversera toujours son trop plein sur
notre marché. Je ne dis pas que nous pouvons complètement garantir notre
industrie du trop plein de l’Angleterre, mais une protection de 10 pc. fera toujours quelque bien ; les produits anglais coûteront
toujours 10 p. c. de plus.
L’honorable député d’Anvers
dit que l’importation de fil anglais en Belgique a considérablement diminué ;
j’en conviens, mais il dit que le fil à la mécanique indigène remplace le fil
anglais ; je ne suis pas de cet avis, les filatures à la mécanique indigènes
exportent leurs produits dans le nord de
Pourquoi, messieurs,
faisons-nous si peu de toiles aujourd’hui ? Parce que nos toiles sont
repoussées partout ; l’Espagne les repousse par des droits pour ainsi dire
prohibitifs ;
J’approuve, messieurs, la
mesure qui a été prise par l’arrêté du mois de juillet, car sans cet arrêté ou
aurait déversé dans notre pays des quantités immenses de fil anglais ; j’aurais
même approuvé le ministère, s’il avait également, en vertu de la loi de 1822,
prohibé l’importation des vins de France ; s’il avait eu cette énergie, nous
n’aurions peut-être pas à nous plaindre aujourd’hui des rigueurs que
L’honorable M. Rogier dit
que ce n’est pas en augmentant nos tarifs que nous parviendrons à faire des
traites de commerce. Je pense moi, que quand nos tarifs seront plus élevés,
nous pourrons dire à la France : nos droits sur tel et tel de nos articles sont
d’autant, nous abaisserons ces droits, si vous voulez, à votre tour, nous faire
des concessions pour nos fers, nos charbons, nos toiles ; si nos droits étaient
plus élevés, nous aurions quelque chose à offrir en échange des concessions que
nous demanderions, tandis que maintenant nous n’avons rien à offrir du tout.
Je suis aussi partisan,
messieurs, de la liberté de commerce, lorsque nos voisins veulent également
admettre cette liberté ; mais c’est une duperie d’être libéraux envers les
autres quand ils repoussent tous nos produits. Je sais bien que les étrangers
nous parlent de la liberté de commerce, mais ils ne font aussi qu’en parler.
Quand est-ce, par exemple, que les Anglais baissent leurs droits sur tel ou tel
article ? Ce n’est jamais que lorsqu’ils sont certains de pouvoir fabriquer cet
article beaucoup mieux et à beaucoup meilleur marché que les autres ; jusque-là
ils ont grand soin de maintenir des droits élevés tout en envoyant partout des émissaires pour défendre la liberté de commerce.
Ce ne sont là, messieurs, que des mots, et les hommes pratiques savent combien
tout cela est erroné.
M. Delehaye. - Toutes les nations, messieurs, qui apprécient bien
leurs intérêts, prennent les mesures nécessaires pour conserver à leurs
populations ouvrières le plus de travail possible. Toutes les nations ont
surtout bien soin d’assurer à leur industrie le marché intérieur, et ce n’est
que lorsqu’elles sont certaines d’avoir ce marché qu’elles songent à se
procurer les marchés étrangers. Envisagé sous ce rapport, je crois que l’arrêté
du 26 juillet pourra facilement être justifié par le gouvernement. Cependant,
partageant l’opinion de l’honorable député d’Anvers, je pense que cet arrêté
est illégal ; le gouvernement ne se trouvait point dans les conditions voulues
par l’art. 9 de la loi générale ; mais, messieurs, cet arrêté ayant été pris en
l’absence des chambres, se trouvant vivement réclamé dans l’intérêt du pays, je
suis prêt à accorder un bill d’indemnité au gouvernement qui l’a porté.
Messieurs, est-il bien vrai
que l’arrêté du 6 juillet dernier soit très favorable à la filature à la main ?
N’est-ce pas plutôt l’industrie à la mécanique qui en réclame les dispositions
?
Le fil travaillé à la main
qu’on importe en Belgique est de très peu d’importance, tandis qu’au contraire
le fil à la mécanique importé chez nous fait une concurrence dangereuse à nos
fabriques à la mécanique.
En admettant, messieurs, que
ceci ne soit pas contesté, et je pense qu’il est impossible de le faire,
n’est-il pas inexact de dire qu’il ne faut pas de protection ? Pourquoi,
aujourd’hui, êtes-vous obligé de favoriser la fabrication à la mécanique ?
C’est précisément parce que l’industrie indigène à la main doit subir une
concurrence trop redoutable de la part de la fabrication étrangère à la
mécanique. Il n’y a pas de nation en Europe qui, filant le fil à la main,
puisse lutter contre la filature à la main belge, parce que
Or, en présence de ce fait,
que deviez-vous faire, pour conserver à l’industrie indigène le marché
intérieur ? Vous deviez chercher à apporter à ces fabricats étrangers d’autres
fabricats produits avec les mêmes avantages, avec ceux que procure la machine à
vapeur. C’est ce qu’on a fait, bientôt, j’espère, nous serons en mesure de ne
plus avoir à redouter la concurrence étrangère.
Je sais bien qu’en Espagne
on donnera toujours la préférence à certaines toiles faites à la main. Vous
conserverez donc très probablement le marché de ces pays, et vous le
conserverez, parce que, comme je l’ai dit, la filature à la main d’aucun pays
ne pourra jamais lutter contre les toiles belges de même fabrication, et que,
quoi qu’on en dise, le filage à la main possède encore aujourd’hui des qualités
auxquelles on donnera longtemps la préférence.
Mais puisque les produits de
la filature à la mécanique étrangère viennent faire concurrence à l’industrie
indigène, nous seront également obligés, pour tenir tête à cette concurrence,
d’établir en Belgique des filatures à la mécanique.
Etait-il nécessaire que les
établissements industriels à la mécanique obtinssent une protection ? Pour moi,
j’ai la conviction intime qu’en Belgique, comme partout ailleurs, une industrie
naissante ne peut tout d’un coup lutter contre l’industrie similaire qui existe
depuis longues années dans les pays étrangers. Il est évident que si vous
vouliez créer l’industrie du fil à la mécanique en Belgique, il fallait bien
lui fournir le moyen de soutenir la concurrence avec cette même industrie
étrangère. L’arrêté du 6 juillet se justifie donc parfaitement, et j’espère,
messieurs, qu’il obtiendra votre approbation.
On vous a dit, messieurs, et
je réponds ici à un honorable député d’Anvers ; on vous a dit que cette
industrie n’avait pas besoin de protection, qu’elle faisait fortune. Mais si
cette industrie fait si bien ses affaires, comment se fait-il que dans aucune
bourse du pays on ne voie cotées les actions de ces sociétés ? Sans doute,
cette industrie marche, elle se perfectionne, mais je ne pense pas qu’elle
fasse fortune ; déjà je suis bien convaincu que sa situation est loin d’être
brillante, quoique tout fasse espérer qu’elle ne tardera pas à produire ces
bons résultats.
Messieurs, il me reste à
répondre deux mots à quelques autres observations qui ont été présentées dans
cette discussion ; je crois d’autant plus de mon devoir d’y répondre que ces
obligations me paraissent avoir été envoyées à mon adresse.
J’ai toujours pensé qu’un
pays industriel comme
Mais suffit-il, par exemple,
que vous haussiez les droits de votre tarif pour accorder une véritable
protection à votre industrie ? Non, messieurs, il faudrait rompre des obstacles
qui viennent de l’extérieur.
Un premier obstacle, selon
moi, consiste dans le principe qui est aujourd’hui adopté en Europe, et d’après
lequel une nation qui accorde un avantage commercial à une autre, est obligée
de faire participer à cet avantage tous les pays chez qui elle jouit de la même
faveur que lui accorde celle qui a invoqué la modification. Ainsi vous
rencontrerez un obstacle bien plus sérieux encore dans la saine appréciation
que les nations voisines font de leurs intérêts.
Songez, messieurs, à ce qui
se passe actuellement en France. Lisez le projet de la commission d’adresse, et
vous verrez quelles sont les dispositions de ce pays à notre égard. Il est
évident qu’aujourd’hui nous n’avons plus rien à attendre de
Il est donc certain que la
Belgique ne pourrait pas conclure aucun traité de commerce avantageux avec la
France ; cela est impossible, tout à fait impossible ; il n’existe pour la
Belgique qu’un seul moyen de sauver son industrie ; ce moyen, c’est de lui
procurer son débouché réel, c’est de faire avec la France un traité qui abolisse
la ligne de douane entre les deux pays.
Messieurs,
Ou vous dira peut-être que
J’ai saisi avec empressement
l’occasion qui s’est présentée d’exprimer franchement mon opinion sur le projet
d’union douanière avec l’Allemagne. Je le dis encore, il n’y a en ce moment
pour
M. Rogier. - Messieurs, j’ai dit que le projet de loi présenté sur
les conclusions de la commission avait pour but l’intérêt du trésor et
l’intérêt prétendu de la classe de nos fileuses, Je crois avoir démontré qu’à
ce double point de vue le projet de loi manquerait entièrement son but ; qu’il
manquerait son but, au point de vue fiscal, puisque des fils n’entrant plus
dans le pays, n’apporteraient aucun droit nouveau dans le trésor, et qu’il
manquerait son but, au point de vue de la classe ouvrière, puisque le projet de
loi favorisait les établissements de la filature à la mécanique, lesquels
étaient précisément ceux qui faisaient une concurrence mortelle aux fileuses à
la main.
Voilà ce que j’ai dit.
A-t-on répondu à mes objections ? Pas un mot.
L’honorable M. Rodenbach
qui, à ce qu’il paraît, n’est pas un théoricien et qui n’est pas non plus
cependant un fileur à la main ; l’honorable M. Rodenbach ne m’a pas prouvé que
le projet de loi aurait pour but de protéger l’industrie des fileuses à la
main. Il aurait été difficile, en effet, de démontrer que cette protection
devait être efficace pour les fileuses à la main. Ainsi que l’a dit l’honorable
M. Delehaye, le projet de loi a pour but unique de favoriser davantage la
filature à la mécanique. Or, plus cette filature, qui fait une concurrence
mortelle à la filature à la main, sera protégée, plus elle nuira à la filature
à la main. Si je voulais, comme l’honorable préopinant, me livrer ici à des
mouvements oratoires en faveur de la classe ouvrière, je pourrais dire aussi :
ne votez pas la loi ; cette loi sera fatale à la classe ouvrière, puisqu’elle
tend à accorder de plus grands avantages à sa plus mortelle ennemie. Voilà ce
que je pourrais dire en faveur de cette classe intéressante.
Messieurs, je crois qu’en
votant 100,000 fr. en faveur des fileuses la main, la chambre a montré beaucoup
de sympathie pour ces malheureuses. J’ignore cependant encore quelle sera la
destination de cette somme. Dans mon opinion, elle est plutôt une aumône qu’un
moyen industriel. Mais quant à espérer une protection efficace de la loi
nouvelle, je dis que c’est un véritable leurre, je dis qu’aucun homme sérieux,
théoricien ou fabricant, ne pourrait soutenir que le projet de loi actuel aura
pour but de soutenir ou de prolonger même l’existence de la filature à la main.
J’entends l’honorable
ministre de travaux publics dire que la loi lui fera le plus de bien possible ;
moi, je crois qu’elle lui fera plus de mal que de bien, en ce qu’elle va
protéger les établissements qui, on doit le reconnaître, ont porté une atteinte
funeste à l’industrie à la main.
D’après les motifs donnés à
l’appui de la présentation de la loi, elle aurait pour but d’empêcher le
déversement des fils anglais en Belgique. J’ai dit que, si tel était le but de
la loi, le droit de 10 p.c. ne serait pas suffisant pour prévenir un pareil
effet, et que, dès lors, si l’on voulait réellement atteindre ce but, on ne
devait pas se contenter d’un droit de 10 p. c., mais
qu’il fallait prohiber franchement les fils anglais. Mais je n’ai pas dit que
je voulusse, moi, prohiber les fils anglais. J’ai raisonné dans le sens des
auteurs du projet de loi.
L’honorable M. Delehaye m’a
fait dire que les filatures à la mécanique faisaient fortune. Je ne me suis pas
servi de cette expression ; j’ignore si ces établissements font fortune, je le
souhaite fortement. Mais qu’est-ce que j’ai dit ? J’ai reproduit toutes les assertions
de l’enquête, j’ai reproduit les assertions des rapports, et j’en ai conclu que
ces établissements étaient dans un étal satisfaisant.
Soit dans l’enquête, soit
dans les rapports à l’appui du projet de loi, nulle part il n’est dit que les
filatures à la mécanique souffrent ; et dans l’enquête les principaux
intéressés n’ont pas demandé de droit protecteur. Ceci est remarquable, la
commission d’enquête a constaté que l’industrie des fils à la mécanique n’était
pas souffrante .Elle a interrogé les directeurs des établissements nouveaux ;
qu’ont- ils répondu ? qu’ils étaient dans un état
prospère, qu’ils pouvaient soutenir la concurrence avec l’étranger, qu’ils
réunissaient toutes les conditions de bon marché pour la main-d’œuvre, la
matière première et les moyens de transport. Nulle part, dans l’enquête, je le
répète, il n’a été réclamé par les filateurs à la mécanique de droits
protecteurs. Les membres de la commission sont là pour me détromper, si je suis
dans l’erreur. Je vois M. Cools me faire un signe négatif.
Pourquoi a-t-on introduit
cet arrêté, qu’on nous propose de
convertir en loi ? Je suis encore à me le demander. Le
ministre a dit qu’il avait puisé ses motifs dans la crise d’Angleterre, qu’il a
voulu éviter le déversement dés fils anglais sur notre marché ; eh bien, cet
arrêté, s’il avait eu pour but d’empêcher de pareils effets, serait arrivé
beaucoup trop tard, car, dit-on, une loi française du 6 mai a repoussé les fils
anglais. Ils pouvaient venir dès lors se déverser en Belgique. C’était donc le
7 mai qu’il fallait prendre la mesure de précaution destinée à prévenir ce
déversement ; car du 6 mai au 6 juillet les fils anglais ont eu près de trois
mois pour venir se déverser sur notre marché. Cependant ils n’en ont rien fait.
Ainsi cette crainte était purement chimérique. Si le déversement devait avoir
lieu, il aurait eu lieu dans cet intervalle. Mais les importations, loin
d’aller croissant ont été diminuant pendant tout le cours de l’année 1841.
Je sais que le ministre a eu
besoin de soutenir cette thèse, parce que son arrêté était basé sur l’urgence.
Mais cette urgence, je ne l’ai pas trouvée dans les faits.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous auriez pu la voir dans les journaux
anglais.
M. Rogier. - Je n’ai pas lu les journaux anglais ; mais je réponds
que la crainte d’un déversement des fils anglais était chimérique, parce que,
si ce déversement devait avoir lieu, il aurait eu lieu entre le 6 mai et le 6
juillet.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Une loi ne produit pas immédiatement ses effets
dans un pays étranger.
M. Rogier. — Il y a une différence entre trois mois et quelques
jours.
M. le ministre de l’intérieur,
abordant un point de la discussion que j’avais négligé, a dit qu’il attendrait
que la légalité de l’arrêté fût attaquée pour le défendre sous ce rapport. Je
crois que l’arrêté, dans son application, s‘est entièrement écarté de l’esprit
de la loi de 1822. Il est évident que l’article 9 de la loi de 1822 n’a voulu
donner au gouvernement qu’une faculté toute exceptionnelle, n’a voulu
mettre entre les mains du gouvernement qu’un moyen de représailles, extrême et
spécial, vis-à-vis de certains pays qui tout à coup viendraient à hausser leurs
tarifs vis-à-vis du nôtre. Voici ce que dit l’art. 9 :
« Nous nous réservons, pour
les cas particuliers et lorsque le bien du commerce et des fabriques
l’exigeront, de soumettre à des droits plus forts ou de prohiber à l’entrée les
objets d’industrie qui proviennent de pays où les produits de l’industrie
indigène des Pays-Bas se trouvent excessivement imposés ou prohibés. »
D’après la théorie du
ministre de l’intérieur, comme nos produits sont excessivement imposés dans
tous les pays, de tout temps et en toute circonstance le gouvernement serait en
droit de faire usage de la faculté que donne l’art. 9 de la loi de 1822. Le
pouvoir législatif se réduirait à rien.
Comme tous nos produits
sont, dites-vous, soumis partout à des droits exclusifs, nos tarifs légaux
seraient entièrement subordonnés à cet article 9, et suivant l’impulsion de
certains industriels vous pourriez, en toutes circonstances, augmenter tous nos
droits de douane. Suivant vous, l’article 9 vous donne ce pouvoir exorbitant.
En fait, il n’y a pas plus
de motif pour augmenter le tarif, en ce qui concerne le fil qu’en ce qui
concerne d’autres produits. Si on se livrait même à un examen attentif de notre
tarif, on verrait peut-être qu’il est des produits qui ont plus besoin d’une
augmentation de protection que les fils indigènes.
Le ministre de l’intérieur
n’a pas répondu non plus à la question que je lui avais adressée relativement à
la rubanerie, à la passementerie, au coutil, etc. Je ne sais s’il se rallie au
projet de la section centrale. Quant à moi, j’ai présenté mes objections, mes
doutes. J’avoue que, dans l’état actuel de la discussion, en l’absence de
motifs plus sérieux, il me sera difficile de donner mon adhésion à la loi ; je
devrai au moins m’abstenir.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, vous voudrez bien remarquer la
marche qui a été suivie dans les objections auxquelles l’arrêté royal du 6
juillet dernier a donné lieu de la part de quelques membres de cette chambre.
D’abord on a contesté la
constitutionnalité de l’arrêté, c’est-à-dire que l’on soutenait que l’article 9
de la loi du 6 août 182 n’existait plus. C’est par là qu’on a débuté dans
quelques-unes de vos séances précédentes. Aujourd’hui on ne conteste plus
l’existence de l’article 9 de la loi du 6 août 1822, mais ce qu’on conteste,
c’est la juste application de cet article dans le cas dont il s’agit.
Cette marche de la
discussion est un véritable progrès, j’en prends acte, en faveur du gouvernement.
C’est un pouvoir nouveau qui n’est donc plus contesté par le préopinant ; on ne
conteste que l’usage qu’on en a fait dans des circonstances où nous nous
trouvions l’année dernière.
L’honorable membre veut
restreindre le sens de l’art. 9 de la loi du 26 août 1822. Il vous en a donné
lecture. A mon tour, j’en donnerai de nouveau lecture, et nous verrons si la
restriction qu’il cherche dans le texte de la loi s’y trouve réellement.
« Nous nous réservons,
pour les cas particuliers, et lorsque le bien du commerce et des fabriqués
l’exigeront, de soumettre à des droits plus forts, ou de prohiber à l’entrée
les objets d’industrie qui proviennent de pays où les produits de l’industrie
indigène des Pays-Bas se trouvent excessivement imposés ou prohibés. »
L’honorable membre pense que
le gouvernement ne peut faire usage de l’art. 9. que pour répondre à une mesure
hostile par une mesure hostile, laquelle serait une mesure exceptionnelle,
s’appliquant seulement au pays qui a agi contre nous.
Mais cela ne se trouve pas
dans la loi de 1822.
Elle pose, pour première
condition, que le bien du commerce et des fabriques exige la mesure.
Il faut donc d’abord
constater une certaine nécessité intérieure. Nous soutenons que cette nécessité
existait ; elle était reconnue ; elle l’était même avant les deux faits
nouveaux qui sont survenus, la loi française du 6 mai 1841, et la crise qui eut
lieu en Angleterre ; cette nécessité était reconnue, puisque depuis deux ans
les deux chambres s’occupaient d’un projet de loi, et mon prédécesseur s’était
associé, si non au texte que j’ai présenté, du moins à cette idée qu’il fallait
un tarif nouveau plus protecteur pour l’industrie des fils.
M. Lebeau. - Jamais !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’entends dire jamais ! Mais je n’oserais pas
dire que l’honorable M. Liedts entendait ne rien faire.
M. Lebeau. - M. Liedts n’a pas pris d’engagement.
M. Devaux. -
Acceptez la responsabilité de vos actes.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’en accepte aussi là responsabilité, mais je
tiens à ce qu’on n’isole pas les faits : je tiens à ce que le ministère
précédent ne cherche pas constamment à s’isoler de ce qui a été fait après lui.
M. Rogier. - En beaucoup de points nous nous en isolons
complètement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dis que depuis deux ans les chambres s’occupaient
d’un projet de loi de l’aveu du gouvernement. Depuis la formation du ministère
actuel, deux faits nouveaux, deux nouvelles nécessités sont survenues. (Interruption.)
il ne s’agit pas d’isoler
les faits,, ce n’est pas moi qui en ai donné l’exemple.
Mais je réponds à ceux qui s’écrient avec étonnement : Pourquoi la loi nouvelle ? comme si le
ministère actuel en avait en subitement et le premier l’idée, on ne sait
comment, par légèreté ou d’autres motifs encore moins avouables. La nécessité
ultérieure était donc constatée tant par les discussions auxquelles on se
livrait dans les deux chambres depuis deux ans, que par les deux faits nouveaux
qui étaient survenus.
Quelle est l’autre condition
qu’exige l’art. 9 ?
Il exige que la mesure ne
soit pas prise contre un pays où les produits de l’industrie indigène seraient
traités d’une manière très libérale.
Cette loi est extrêmement
sage ; en exigeant cette condition, la mesure atteint l’Angleterre. Si, en
Angleterre, l’industrie belge eût été traitée d’une manière favorable, cette
mesure aurait offert un certain danger, et il aurait peut-être fallu s’en
abstenir, parce qu’on aurait provoqué des mesures de représailles. Mais
malheureusement, notre industrie est traitée en Angleterre d’une manière si peu
favorable, que nous pouvons dire que nous avons bien peu de chose à craindre de
cette puissance. D’ailleurs
Voilà comment l’art. 9 doit
être entendu. Les deux conditions qu’il exige sont remplies : la nécessité
intérieure est constatée ; de plus, nos produits sont excessivement imposés
dans le pays que l’on atteint principalement.
Je crois donc que la
légalité de l’arrêté du 26 juillet dernier est aussi bien établie que sa
constitutionnalité.
Je m’applaudis d’avoir le
premier provoqué l’usage du droit accordé au gouvernement par l’art. 9 de la
loi de 1822 ; je regrette qu’on ne l’ait pas fait plus tôt ; nous n’aurions pas
vu dans un pays voisin le tarif changé de session en
session d’une manière excessive et je dirai presque cavalière.
M. Van Cutsem. – Messieurs, le projet de loi qui nous est soumis en ce
moment a pour but de nous faire ratifier et compléter l’arrêté royal du 26
juillet 1841, relatif à l’entrée de fils de lin et de chanvre ; avant de
ratifier cet arrêté, qui a changé le tarif des droits d’entrée sur les fils de
lin, nous devons examiner si une pareille ratification est possible, en face de
l’article 110 de notre pacte fondamental, qui dit en termes formels : qu’aucun
impôt au profit de l’Etat ne peut être établi que par une loi ; en d’autres
termes, si l’article 9 de la loi sur les tarifs du 26 août 1822, qui donne au
gouvernement la faculté de soumettre à des droits plus élevés les produits de
l’industrie étrangère, lorsque le bien du commerce et des fabriques l’exigera
ou de prohiber à l’entrée les objets de l’industrie qui proviennent des pays où
les produits de l’industrie indigène des Pays-Bas se trouvent excessivement
imposés, à condition de les soumettre avec un projet de loi à l’approbation des
états-généraux, n’a pas été abrogé par cet article 110 de notre constitution.
Ceux qui prétendent que l’article 110 de la constitution a abrogé l’article 9
de la loi du 26 août 1822, disent que, s’il en était autrement, le gouvernement
d’aujourd’hui conserverait tous les pouvoirs de celui qui l’a précédé, et que
nous rentrerions ainsi sous le régime des arrêtés que la constitution a
prohibés en termes formels, d’où la conséquence pour eux que, sous peine de
violer notre charte, nous ne pouvons pas donner au gouvernement les droits
qu’accordait la loi de 1822, sous le régime de la loi fondamentale de 1815.
Cette opinion, messieurs, a
été aussi la mienne je l’ai professée dans la section à laquelle j’appartenais,
je l’ai soutenue dans la section centrale en ma qualité de rapporteur du projet
de loi ; mais depuis que j’ai médité de nouveau les textes de la loi
fondamentale de 1815, qui dit qu’aucun impôt ne sera perçu, qu’en vertu d’une
loi, de la charte française qui veut qu’aucun impôt ne soit établi ni perçu,
s’il n’a été consenti par les deux chambres et sanctionné par le roi, et enfin
de notre constitution, qui défend de percevoir aucun impôt au profit de l’Etat
qui ne soit établi par une loi, j’ai changé d’opinion, et je crois aujourd’hui
que ce qui était permis sous le régime de la loi fondamentale, sous la charte
française, l’est également par notre constitution.
Quand les auteurs de notre
pacte fondamental ont dit que nul impôt ne pouvait être établi que par la loi,
ils n’en ont agi ainsi que parce qu’ils savaient que la constitution d’un
peuple libre devait le préserver d’impôts arbitraires : d’où la conséquence que
pour bien appliquer les dispositions de cet article de la constitution, il est
nécessaire d’apprécier la nature du droit à prélever. Ce droit est-il un impôt
dans le sens que le législateur y a attaché, doit-il se percevoir sur la
nation, doit-il l’aider à faire face à ses dépenses, ou n’est-il perçu que dans
l’intérêt de notre industrie et non pour remplir les coffres de l’Etat ? Car
dans le premier cas, il rentre dans l’application de l’art. 110 de la
constitution ; dans le second, il n’est plus un impôt, il n’est qu’une
protection accordée a notre industrie et à notre commerce. Pour qui sait que
l’arrêté du 26 juillet n’a été pris que parce qu’un nouveau tarif avait été
introduit en France par la loi du 6 mai 1841, que parce que les chefs et
propriétaires des principaux établissements de filature du pays, appuyés par la
chambre de commerce de Gand, signalèrent au gouvernement la position dangereuse
dans laquelle se trouvait leur industrie naissante, et enfin parce que la
misère des fileuses à la main augmentait chaque jour, il ne peut pas être un
moment douteux que l’arrête du 26 juillet est une mesure de protection prise en
faveur d’une industrie qui en avait besoin au plus haut point et non pas une
mesure fiscale. S’il en est ainsi, pourquoi notre gouvernement ne pourrait-il
pas faire ce que les gouvernements hollandais et français ont fait dans des
circonstances analogues, puisque la constitution belge n’est pas plus
rigoureuse dans ses expressions que la loi fondamentale des Pays-Bas, que la
charte française, qui autorisent leurs administrations à prendre de pareilles
résolutions quand le besoin s’en fait sentir ? Les nations française et
hollandaise sont aussi jalouses que la nation belge de tous les droits qui leur
sont garantis par leurs pactes fondamentaux, et ces pactes fondamentaux sont
entièrement semblables, dans la disposition qui nous occupe, au nôtre ; en
effet, dire que l’impôt ne sera établi qu’en vertu d’une loi, ou par les trois
branches qui constituent le pouvoir législatif, ou par la loi, c’est bien dire
une seule et même chose. Eh bien, s’il en est ainsi, il est évident pour moi
que les deux peuples que je viens de citer n’ont permis à leur gouvernement de
prendre des dispositions semblables à celles énoncées dans l’arrêté du 26
juillet 1841, que parce qu’ils ne les envisageaient que comme des mesures de
protection et non comme des lois fiscales, des lois d’impôt.
L’article 9 de la loi des
tarifs du 6 août 1822 est donc aussi bien constitutionnel en Belgique qu’en
Hollande, et il l’est d’autant plus que cette loi ne permet que des
représailles contre l’étranger ; elle autorise à augmenter et jamais à diminuer
les droits de douane ; et certes les auteurs de notre constitution n’ont pu
vouloir que le gouvernement restât désarmé coutre les mesures hostiles que
l’étranger pourrait prendre, en l’absence des chambres, contre notre commerce
et nos industries. La prérogative qui, d’après moi, appartient au gouvernement
n’est dangereuse sous aucun rapport ; en effet, le gouvernement n’ayant que la
faculté d’augmenter les droits, toutes les mesures de l’espèce qu’il pourra
prendre ne seront mises à exécution que parce qu’elles seront sollicitées par
les indigènes et non par l’étranger dont on pourrait craindre l’influence sur
nos hommes d’Etat, qui ont eu jusqu’à présent trop de condescendance pour des
voisins et des alliées qui prennent tous les jours des nouvelles mesures
hostiles à notre commerce et à notre industrie.
Personne jusqu’aujourd’hui
ne s’est avisé de soutenir que la législature avait violé la constitution
lorsqu’elle a autorisé le gouvernement à faire usage de la loi générale dans
diverses circonstances, comme dans la loi des céréales, celle sur l’entrée des
machines et des mécaniques étrangères, dans la rentrée, en exemption des droits
de douanes, des marchandises invendues au dehors : telles sont les dentelles.
N’est-ce pas encore ainsi
que le gouvernement, en vertu de l’article 295 de la loi générale est autorisé
à élever le droit de tonnage sur les navires belge dans les ports de cet Etat ?
de même, en vertu de la loi du 18 juin 1836, le
gouvernement, dans l’intervalle des sessions législatives, peut diminuer ou
supprimer entièrement les droits de transit en faveur d’un Etat étranger par
mesure de réciprocité, sauf à en rendre compte à la première réunion des
chambres.
La loi du 7 août 1838 renferme
encore une disposition semblable pour les ardoises de France.
Si la législature n’avait
pas fait la même distinction que moi, entre les mesures purement fiscales et
les mesures qui tiennent plutôt de la protection que de l’impôt, elle n’aurait
pas pu déléguer au pouvoir un droit qu’elle ne peut exercer que par elle-même,
aux termes de la constitution ; et si, en présence de l’article 110 de la
constitution, on a pu, par un acte du pouvoir législatif, autoriser le
gouvernement pour des cas particuliers, et lorsque le bien du commerce et de
l’industrie l’exige, à des droits plus forts, et même de prohiber à l’entrée
des objets d’industrie provenant de l’étranger, ce qu’on peut l’autoriser à
faire dans des cas spéciaux, on doit pouvoir le lui permettre d’une manière
générale, et en admettant ces principes, de conséquence en conséquence, vous
devrez convenir que si la législature peut donner aujourd’hui une pareille
faculté d’agir au gouvernement ; que par cela même qu’il a déjà cette faculté
il doit continuer à en jouir ; soutenir le contraire serait prétendre que la
constitution enlève d’un côté un droit parce qu’il ne peut coexister avec elle,
et qu’elle le rend d’un autre côté parce qu’il ne lui est pas contraire. Je
pense qu’en voilà assez pour démontrer la constitutionnalité de l’arrêté du 26
juillet 1841.
Je passe à présent à la
légalité de ce même arrêté, qui a été contestée par quelques membres de cette
assemblée, par le motif que la mesure autorisée par l’article 9 de la loi du 26
août 1822, ne peut atteindre que les nations où nos produits sont excessivement
imposés et prohibés, et que l’arrêté du 26 juillet frappe les puissances où nos
produits sont fortement imposés comme celles où ils sont reçus à des taux
modérés ; Ces moyens peuvent être combattus victorieusement par les suivants :
l’art. 9 de la loi du 26 août 1822 ne disant pas qu’il n’y aurait que les
produits similaires qui pourraient être frappés d’un droit supérieur par les
tarifs, il en résulte, que du moment où tel ou tel de nos produits paye droit
exorbitant dans tel ou tel pays, le gouvernement peut augmenter les droits sur
le premier produit venu. Or, s’il en est ainsi, quel est le pays à citer où
certains de nos produits ne soient pas excessivement imposés ? il n’y en a pas. De là, je soutiens que le gouvernement a
fait une juste application de la loi, en la rendant applicable indistinctement
à toutes les nations qui nous avoisinent ; et puisqu’il pouvait légalement
prendre la mesure qui nous occupe, il a bien fait, parce qu’il est d’une bonne
politique de traiter toutes les nations de la même manière et de ne pas donner
de privilège à l’une aux dépens de l’autre, lorsqu’on n’a pas de motifs pour le
faire.
A présent, messieurs, que je
vous ai démontré que l’arrêté du 20 juillet est constitutionnel et légal, il me
reste â vous prouver qu’il était nécessaire au moment où le gouvernement l’a
pris ; il était nécessaire parce que, lorsque toutes les nations combattent
pour leurs intérêts matériels, nous ne pouvons rester dans une immobilité désastreuse
; le ministère, en le portant, a senti qu’il devait sortir de cette position
fausse, du laisser faire, du laisser aller, s’il ne voulait ruiner notre pays
si florissant il y a peu d’années ; en prenait la mesure, il a bien mérité du
pays et j’espère qu’il ne s’arrêtera pas en aussi bonne voie, qu’il fera pour
nous ce que le gouvernement français fait pour ses industriels, c’est-à-dire
qu’il nous assurera notre marche intérieur contre les produits de ces nations
qui refusent aussi les nôtres.
Que le gouvernement belge
fasse ce que les gouvernements français et anglais font, qu’il élève barrière
contre barrière, et alors il ne mendiera plus chez l’étranger, sans les
obtenir, des traités de commerce ou des fusions de douane. Si vous ne prenez
cette résolution, vous enverrez en vain à l’étranger des négociateurs zélés et
adroits. La lutte qui doit décider de la prospérité publique sera désastreuse
pour nous, parce que nous n’aurons rien à donner à ceux dont nous voulons
obtenir quelque chose ; ayons un tarif qui protège notre industrie, alors, et
alors seulement, nous pourrons entrer avec avantage en lice ; aujourd’hui la
partie n’est pas égale. Les principes que j’énonce ici ne sont pas à moi,
d’autres les professent et les ont professés avant que je m’en sois emparé ;
nos adversaires en industrie nous apprennent même qu’ils sont les seuls qui
puissent être avantageux à notre pays ; eu effet, un journal français, le Courrier de
Si nous voulons encourager
notre industrie linière ancienne et nouvelle, nous devons exclure les fils
anglais de nos fabrications, parce qu’ils sont faits en général avec du mauvais
lin, avec du lin de
Depuis 1834 jusque passé
quelques mois, les importations de fil anglais en Belgique se sont
successivement accrues, et si dans les premiers mois de 1841 il y a eu une
légère diminution dans cette importation, il ne faut l’attribuer qu’au bruit
qui avait couru de la future promulgation du tarif français, qui devait changer
et augmenter les droits sur les fils de lin à leur entrée en France ; dans la
prévision de l’établissement de ces droits, les Anglais ont encombré les
marchés français et abandonné momentanément les nôtres, mais à présent que cet
arrêté est en pleine vigueur, si nous n’admettons pas les mêmes droits que la
France, l’Angleterre se débarrassera de son trop plein chez nous et cherchera à
anéantir nos usines de nouvelle date. Pourquoi ne protégerions-nous pas notre
industrie linière ancienne et nouvelle, lorsque nous voyons que l’Angleterre, à
l’aide de son tarif fortement protecteur pour son industrie linière, ne fait
venir que peu de toiles de l’étranger ; pourquoi, quand on voit que
l’Angleterre, qui livre annuellement soixante millions de yards de tissus de
lin aux Etats-Unis, aux Indes occidentales anglaises, à l’Espagne, au Brésil,
au Portugal à la France et aux Indes occidentales étrangères, fait tant
d’efforts pour conserver son marché intérieur, ne lui fermons-nous pas le
nôtre, au lieu de laisser introduire chez nous une partie de ces tissus qu’elle
exporte pour environ quatre millions de livres sterling à l’étranger ?
Nos adversaires, les
partisans de la liberté commerciale, semblent ignorer que ce que nous demandons
pour notre industrie linière, l’Angleterre l’accorde à la sienne, l’Angleterre
donne des primes à la sortie des toiles, impose le lin, le chanvre, les toiles
et les fils de l’étranger, non pas d’un droit qui a pour base dix p. c. à la
voleur, mais qui va parfois jusqu’à quarante pour cent ; elle n’encourage pas
seulement le production de ce fabricat, mais elle a
été jusqu’à prescrire la culture du lin par des mesures législatives, et nous
devrions laisser nos malheureux artisans et producteurs livrés à eux-mêmes ? cela est-il rationnel, cela tombe-t-il sous le bon sens ?
Est-ce que
Je crois que je vous ai
démontré que la mesure proposée par le gouvernement est bonne, c’est pour ce
motif que je suis d’avis qu’il faut la limiter aussi peu que possible et ne pas
tenir compte des observations de quelques intérêts privés, si la généralité
doit y trouver des avantages et des moyens d’existence ; car il est impossible
de décréter une loi fiscale de quelque importance sans léser quelque partie. La
mesure qu’on propose sera aussi favorable à l’ancienne industrie, parce que les
filateurs à la mécanique, maîtres du marché, donneront à leurs fils leur
véritable valeur et ne feront plus une concurrence aussi désastreuse aux fils
faits la main ; mais, quoiqu’il en soit, le temps nous apprendra si l’industrie
linière de la Belgique cessera d’être un jour travail domestique pour devenir
industrie d’atelier, et si par suite il s’opérera dans cette industrie un
changement analogue à celui qu’ont subi les manufactures de coton, de soie, de
laine ; mais si cette transition doit avoir lieu, qu’elle se fasse au moins au
profit de la Belgique et non de l’étranger, et que les misères et les
souffrances de mes malheureux concitoyens ne soient utiles qu’à des Belges ;
mais nous ne désespérons pas de notre antique industrie, et ce qui prouve que
nous ne devons pas en désespérer, c’est qu’elle trouve encore des
consommateurs, à l’étranger, et que ces consommateurs sont tellement nombreux,
que nos voisins sont obligés de frapper nos produits de droits toujours nouveaux.
M. Desmet. - J’ai
demandé la parole pour répondre deux mots à l’honorable M. Rogier. Cet
honorable membre, pour repousser la mesure de protection que nous demandons,
fait valoir qu’elle n’est pas avantageuse aux fileuses à la main. Je lui sais
gré de sa sollicitude pour cette industrie, et je vois à ma grande satisfaction
que, pour conserver à
L’honorable M. Rogier a dit
que dans toute l’enquête on n’a pas demandé cette protection ; cependant,
chaque fois qu’on a demandé à quelles mesures il fallait avoir recours, il a été
répondu qu’il fallait un droit protecteur pour les fils indigènes.
M. Rogier. - Je n’ai parlé que de la filature à la mécanique.
M. Desmet. - La
filature à la mécanique a aussi demandé un droit sur les fils étrangers. A
l’occasion de ce qui a été dit qu’on voudrait donner un privilège à un seul
établissement, j’ai fait des recherches dans l’enquête. Qu’y ai-je trouvé ?
Qu’un certain M. Sangenhove, de Zete,
consulté sur la nécessité d’un droit sur les lins anglais, répondait :
« Quoique j’emploie des fils anglais, j’engage le gouvernement à mettre un
droit sur ces fils, d’abord parce qu’ils font tort à nos fils, et en second
lieu, parce qu’ils font de mauvaise toile. C’est à tel point que depuis que
j’en emploie, mes fils ne sont plus goûtés. » On a donc tort de dire que dans
l’enquête on n’a demandé un droit protecteur pour nos fils. L’honorable membre
a fait un raisonnement spécieux ; il a dit que si nous établissons un droit sur
les fils étrangers, nous ferons hausser le prix de nos toiles. Autrefois cela
eût été vrai ; autrefois il y avait un droit de sortie sur les fils, parce que
les fils manquaient. Mais aujourd’hui les fils doivent plutôt être considérés
comme un produit fabriqué que comme une matière première. Comme il y a trop de
fil, il faut bien le laisser sortir.
Messieurs, si au congrès on
n’avait pas pris des mesures pour protéger, contre l’introduction étrangère,
les gueuses de fer, auriez-vous eu un seul fourneau qui se serait établi en Belgique ?
Eh bien ! la gueuse de fer est comme le fil, elles
sont à la fois matière première et produit, elle est matière première pour le
fer travaillé comme les lins sont matières premières pour les toiles, etc. Je
ne conçois pas qu’on puisse faire une opposition si opiniâtre contre une mesure
qui est si utile pour la classe pauvre.
- La
clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.
M. Delfosse (pour une motion d’ordre). - L’honorable M.
Rogier a demandé des renseignements à M. le ministre de l’intérieur, qui a
répondu qu’il les réclamerait de son collègue des finances. Je demanderai si la
chambre peut passer outre, alors qu’elle n’a pas reçu ces renseignements.
M. le
président. - Je demanderai à M. le ministre, s’il serait possible
d’avoir les renseignements demandés.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les renseignements ne se trouvant pas à mon
département, je ne puis répondre à cette question. J’ai écrit immédiatement à
M. le ministre des finances afin de les obtenir ; j’ignore si ce sera possible.
La chose s’explique aisément
; les états sont dressés par trimestre, au ministère de finances. Il est
évident que ce n’est pas immédiatement à l’expiration du trimestre qu’ils sont
dressés, mais dans le courant du premier mois du trimestre
suivant. J’ajouterai que je ne vois pas précisément la nécessité de ces
renseignements ; selon moi, ils ne changent en rien la véritable question.
M. Cogels. - A l’ouverture de la séance, M. le ministre a
donné lecture d’une proposition nouvelle dont tout le monde n’avait pas
connaissance, et qui sera insérée au Moniteur.
Afin que nous puissions examiner cette proposition, je
demanderai le renvoi à demain de la discussion sur les articles.
M. Demonceau. - Il
est bien entendu sans doute que si le gouvernement ne pouvait pas fournir, à
l’ouverture de la séance de demain, les renseignements demandés, cela
n’empêcherait pas la chambre de passer à la discussion des
articles.
M. Rogier. - Si ma demande devait avoir pour résultat de faire
ajourner la discussion, je la retirerais ; je n’ai pas voulu entraver, mais
éclairer tes débats. Il reste d’ailleurs acquis ce fait incontestable, c’est
que les exportations ont été en croissant, et les
importations en décroissant. Cependant, si M. le ministre de l'intérieur
pouvait se procurer les renseignements d’ici à demain, je demande qu’il les
fasse imprimer.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est mon intention.
M. Demonceau. -
C’est parce que je croyais que le fait avancé par M. Rogier était constaté que
je pensais que le document qu’il demande n’est pas nécessaire.
- La séance est levée à 4 heures et
quart.