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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 13 février 1840

(Moniteur belge n°45 du 14 février 1840)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven procède à l’appel nominal à une heure et ½. La séance est ouverte.

M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven fait connaître l’analyse des pièces suivantes.

« Six militaires pensionnés depuis la promulgation de la constitution demandent que la chambre adopte le projet de loi relatif aux pensions militaires.

- Renvoi à la section centrale chargé de l’examen du projet.


« M. le baron Liert, à Anvers, demande le paiement de prestations faites à l’armée française lors du siège de la citadelle. »

- Renvoi à la commission des finances.


« Des habitants des communes de Wevelghem, de Houthem, Vystbergen et Watervliet demandent une loi qui rétablisse l’usage de la langue flamande dans certaines provinces, pour les affaires de la commune ou de la province. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des fabricants et négociants en toile de Bruxelles adressent des observations en réponse à celles des commissionnaires en lins et armateurs de la même ville qui demande la libre sortie des lins. »

- Renvoi aux ministres des finances et de l’intérieur.

M. Kervyn – Messieurs, il nous arrive tous les jours des pétitions concernant l’industrie linière. Elles sont toutes renvoyées, par suite d’une décision de la chambre, à MM. les ministres de l’intérieur et des finances.

Aussi n’ai-je pas demandé la parole pour proposer un autre mode de procéder.

Mais je saisi cette occasion pour proposer au gouvernement une mesure qui, dans mon opinion, serait extrêmement utile dans les circonstances présentes.

Je demande que le gouvernement institue une commission d’enquête chargée de constater les faits et de proposer les moyens de venir au secours de la plus importante de nos industries.

Peut-être découvrira-t-elle ces moyens, et, dans ce cas, elle aura rendu les plus grands services.

Si elle n’amène pas ce résultat, cet acte de la part du gouvernement prouvera au moins à un demi million de nos concitoyens que leur détresse est appréciée et que l’on cherche à y porter remède.

Je demande que M. le ministre veuille bien s’expliquer sur ma proposition.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Cela ne peut faire la matière d’une proposition. Mais j’ai la satisfaction de déclarer au préopinant que déjà cette mesure est prise.

Projet de loi relatif aux chemins vicinaux

Discussion des articles

Chapitre II. De l’entretien et de l’amélioration des chemins vicinaux

Article 16 du projet du gouvernement (article 15 du projet de la section centrale)

M. le président – La chambre est parvenue à l’article 16 du projet du gouvernement, ainsi conçu :

« Art. 16. La cotisation est acquittée en argent ou en prestations en nature, au choix du contribuable. »

Cet article est ainsi conçu dans le projet de la section centrale :

« Art. 15. La cotisation est acquittée en argent ou en prestations en nature, au choix des contributions ; elle forme un fonds spécial qui ne pourra être employé à un autre service. »

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je proposerai de supprimer l’article 16, et d’ajouter à l’article 17, après le premier paragraphe, une disposition ainsi conçue :

« Le contribuable qui n’aura point déclaré, conformément à l’article suivant, vouloir fournir le travail en nature, jouira d’une remise de dix centimes sur le prix de chaque journée de travail. »

En supprimant l’article 16, il en résulte pour conséquence nécessaire que tous les centimes additionnels doivent être versés en argent dans la caisse de la commune. De cette manière, il y aura, dans toutes les communes, un fonds en argent assez important. D’autre part, la prestation de la journée de travail pour les hommes et pour les chevaux continuera à être fournie en nature, si toutefois, conformément à l’article 18, l’habitant cotisé, à raison de sa fortune ou de ses chevaux, a déclaré vouloir fournir la prestation en nature. S’il ne fait pas cette déclaration dans le délai d’un mois, il sera obligé de fournir la prestation en numéraire, conformément à l’article 17.

Je crois qu’il serait trop dur d’obliger absolument les habitants et des cultivateurs à payer en argent le prix de la journée de travail due par les personnes et par les chevaux ; mais qu’il suffit d’offrir sur le prix de la journée des hommes une prime ou réduction de 10 centimes, dans le cas où ils voudraient se racheter. Cette mesure est déjà consacrée dans le règlement d’une province.

Quant à la cotisation des chevaux, il est dans l’intérêt de la commune qu’elle soit fournie en nature. Car la plupart du temps, la commune devrait louer des chevaux à un prix supérieur à celui de rachat ; de sorte qu’en voulant faciliter le travail, on le rendrait beaucoup plus difficile.

M. le président – M. Peeters a présenté un sous-amendement ainsi conçu :

« Néanmoins, la députation du conseil provincial pourra, sur la demande des conseils communaux, autoriser les contribuables à convertir en prestation en nature la rétribution pécuniaire imposée d’après les deux premières bases. »

M. Lebeau – Je suppose que l’intention de M. Peeters est de faire précéder cet amendement des mots : « La cotisation est acquittée en argent. »

Plusieurs membres – M. Peeters est absent.

M. Lebeau – A défaut de cette addition l’amendement n’a pas de sens. Je déclare faire mien l’amendement de M. Peeters, avec cette addition.

L’honorable ministre de l’intérieur vous a dit tout-à-l’heure que le système du rachat de la journée de travail, avec une prime de 10 centimes, qu’il propose par son nouvel amendement, est déjà consacré dans un règlement provincial. Cela est vrai. Cette disposition est insérée dans le règlement de la province de Brabant ; mais cette prime de 10 p.c. qui montre assez la préférence donnée par les états provinciaux du Brabant à la prestation en numéraire, puisque c’est une prime donnée à la conversion de la prestation en nature en prestation en numéraire, n’a pas été efficace ; car, bien loin que le conseil provincial du Brabant demande le maintien de ce règlement, au contraire, le conseil et la députation sont d’accord pour signaler les vices de la prestation en nature. Je ne crois pas avoir besoin de remettre sous les yeux de la chambre les expressions par lesquelles cette opinion du conseil et de la députation s’est manifestée de la manière la plus évidente.

A la vérité, il y a dans l’amendement de M. le ministre de l'intérieur une disposition qui modifie le premier système ministériel, en ce que les centimes additionnels aux contributions directes ne peuvent être portées, paraît-il, à 10 p.c., avec l’approbation de la députation, et au-delà avec l’intervention de l’autorité royale, ne pourront jamais être converties en nature. Voilà une amélioration au premier système ministériel. Mais cette concession au système que nous défendons est, pour la plupart des communes, à peu près insignifiante. En effet, la moyenne de la somme que l’on paiera en centimes additionnels dans les communes de la province de Namur, sera probablement de 100 à 150 francs. Je vous laisse à penser comment on pourra pourvoir à l’entretien et à l’amélioration des chemins vicinaux avec des ressources aussi insignifiantes.

Sous ce rapport, je ne puis considérer l’amendement de M. le ministre de l'intérieur, que comme un palliatif très imparfait des vues du système que j’ai combattu, avec l’énergie d’une conviction puisée dans l’expérience, et fortifiée par les renseignements qu’a fournis la demande d’avis aux conseils provinciaux et aux députations permanentes.

Je vous prierai de remarquer que dans la province où l’on prône le plus le système de la prestation en nature ; dans la province du Luxembourg par exemple, en même temps qu’on pose le principe, l’administration provinciale a constamment agi de manière à l’effacer de la loi. Par la force des choses, la prestation en nature est convertie en numéraire. Voici comment : l’honorable M. d’Hoffschmidt nous l’a dit hier : on a estimé la journée de travail à 50 centimes, et on a ainsi provoqué tous ceux qui peuvent le plus facilement disposer de quelques ressources pécuniaires à en opérer le rachat. Et, en effet, il est en aveu que, dans la plupart des communes du Luxembourg, la moitié des prestations est rachetée par les contribuables.

Mais puisqu’on a fixé les prix de la journée de travail à 50 centimes dans le Luxembourg, pourquoi ne le fixerait-on pas à 25 centimes dans d’autres provinces ? Alors on obtiendrait encore plus de rachats, mais est-ce bien là exécuter sincèrement le système de la prestation en nature ?

Vous voyez ainsi ce que devient le principe de la prestation en nature ; il est écrit dans la loi, et par la manière dont certaine députation l’exécute, il est rayé de la loi. Vous en serez quitte, dit-on, pour 50 centimes ; le cultivateur qui n’est pas dans le besoin, préfère se libérer ainsi ; mais au malheureux qui ne peut payer, on dit : vous travaillerez et votre journée ne sera évaluée qu’à 50 centimes.

Je remarque que ce n’est pas en vertu du système actuellement consacré par la loi, que dans la province du Luxembourg on est parvenu à améliorer les voies vicinales ; c’est en se mettant un peu au-dessus de la loi, c’est en faisant ce que, ni la loi provinciale, ni la loi communale, n’autorisent à faire.

Vous avez vu que, par arrêté de l’administration provinciale du Luxembourg, il a été prescrit aux communes d’employer les fonds provenant soit des rachats, soit d’autres sources, à l’amélioration des chemins qui conduisent à une grande route, ou d’une grande route à une autre, et de n’appliquer que le dixième des mêmes fonds aux chemins qui ne sont pas compris dans la première catégorie.

Si l’administration provinciale a, dans cette circonstance, confisqué en quelque sorte le pouvoir de l’administration communale, je ne lui en fais pas un reproche ; la fin légitimait les moyens ; car il est arrivé que beaucoup d’améliorations ont été introduites dans le régime vicinal du Luxembourg. Mais la prestation en nature que les députés du Luxembourg préconisent ici, n’a donné de bons résultats que par l’abaissement du prix de la journée de travail, ce qui a amené de nombreux rachats en argent. On a porté la prestation en nature comme règle ; mais, en fait, c’est l’exception qui paraît être devenue la règle.

Quand, l’année dernière, la chambre a interrompu la discussion sur la voirie communale pour renvoyer, d’après la proposition de la section centrale, le projet ministériel et les observations des sections aux députations permanentes et aux conseils provinciaux, j’ai cru que ce renvoi avait un sens ; j’ai cru qu’on rendait hommage aux lumières et à l’expérience de ceux que leur position mettait le mieux en mesure de juger des vices de l’ancien système sur la voirie vicinale. Or, j’ai eu l’occasion de signaler à la chambre, dans un précédent discours, la masse imposante des avis des administrations provinciales qui condamnent de la manière la plus formelle la corvée ou le mode de prestation en nature ; ainsi la députation permanente et le conseil provincial d’Anvers, la députation et le conseil provincial du Brabant, la députation et le conseil provincial de la Flandre orientale, s’expriment clairement sur cet objet. Pour le Hainaut, on n’a que l’avis de la députation permanente, mais cette députation avait mission de parler au nom du conseil provincial qui lui avait remis le soin d’examiner la question. Il paraît maintenant que toutes les autorités n’entendent rien à cette question.

Messieurs, le vice du système ancien est tellement évident que dans un ouvrage tout récent, publié par un fonctionnaire de l’ordre administratif, que sa position met en mesure de juger ce système, et par un honorable membre de cette chambre qui, depuis longtemps, si je ne me trompe, est bourgmestre de sa commune, la corvée est énergiquement repoussée. Ces honorables écrivains sont tellement convaincus des vices de la prestation en nature, qu’ils la proscrivent même pour des localités où des habitudes invétérées ont fait passer, en quelque sorte, cette prestation dans les mœurs.

Voici ce que je trouve sur cet objet, dans l’ouvrage de M. Angillis :

« De toutes les combinaisons, la plus vicieuse, à nos yeux, est celle qui pourvoit à l’entretien des chemins à l’aide de prestations personnelles : cette imposition est très onéreuse pour les contribuables, sans donner des résultats avantageux pour la chose publique ; elle ne produit, en général, que des travaux mal et dispendieusement exécutés.

« Elle est vexatoire pour les habitants ; l’arbitraire préside nécessairement à sa répartition ; enfin, son exécution est extrêmement difficile, et elle est sûrement inconciliable avec le mode actuel de nomination des officiers municipaux ; magistrats électifs, il ne faut point attendre d’eux qu’ils emploient des moyens coercitifs contre ceux dont ils tiennent leurs pouvoirs.

« Lorsque la prestation peut être acquittée en argent, elle offre sans doute moins d’inconvénients ; ce n’est plus alors qu’une base de la contribution à fournir. Mais cette base conserve toujours l’arbitraire dans l’évaluation dont la prestation personnelle est elle-même entachée.

« Lorsque les ressources ordinaires des communes sont insuffisantes, le moyen le plus simple et à la fois le plus juste, selon nous, serait de pourvoir à la dépense, à l’aide de centimes additionnels sur les contributions directes. Cette base présente un caractère d’égalité proportionnelle en harmonie avec les avantages que chacun retire des chemins. »

Ainsi, vous voyez, messieurs, que tout ce qui s’est occupé de voirie vicinale, soit corps provinciaux, soit administrateurs faisant part au public du fruit de leur expérience et de leur réflexion, est d’accord pour condamner la prestation en nature.

Je reconnais toutefois que des règles absolues sont toujours plus ou moins dangereuses ; aussi ai-je annoncé, dans un précédent discours, que si l’on présentait des modifications ou des exceptions à la règle, j’étais disposé à leur accueillir ; on a donc eu mauvaise grâce de dire, depuis, que j’étais le partisan d’un système exclusif. Je disais, en effet, en terminant mon discours : « L’exemption à cette règle, si elle était entourée de précaution, je pourrais l’admettre, quoique, d’après l’avis des corps compétents, je n’aurais pas de répugnance à proclamer que la règle ne doit pas avoir d’exception. Cependant je conviens qu’il n’est pas facile de faire violence à des abus invétérés, à de longues habitudes et qu’il faut peu à peu procéder aux améliorations. »

Eh bien, cette exception, je la place, avec la section centrale, sous la sauvegarde de la sagesse de la députation permanente, je voudrais bien que l’on me dît quel intérêt autre que celui de la chose publique, peut avoir la députation permanente à se mettre en opposition avec l’administration communale ; quel autre intérêt que celui de la chose publique peut avoir la députation à franchir les bornes qu’on veut lui imposer ? Je comprends que l’on se défie quelque peu des corps municipaux parce que, comme le font remarquer avec beaucoup de sagacité les auteurs des recueils des corps municipaux électifs mis en contact avec les administrés ne présentent pas toujours les garanties d’impartialité désirables : je crois qu’on peut dire cela sans faire injure à personne ; ceci s’adresse à la nature humaine tout entière.

Enfin, si la députation permanente refusait d’accorder la faculté de s’acquitter en nature, c’est qu’il lui serait démontré que la prestation en numéraire est indispensable dans la commune à laquelle on refuserait l’option.

Je crois n’avoir pas besoin d’en dire davantage pour justifier ma proposition et celle de l’honorable M. Peeters.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Aux termes de l’amendement de M. Lebeau, les journées de travail à charge des chevaux doivent être rachetés en argent ; mais cette obligation présente deux inconvénients majeurs : le premier, c’est de grever inutilement la commune ; le deuxième, c’est de grever inutilement le cultivateur.

Cet amendement tend à grever la commune, parce que l’on sait qu’aujourd’hui les chevaux et les charrettes y sont extrêmement recherchées, et qu’il est souvent difficile aux communes de s’en procurer, ou qu’elles ne peuvent s’en procurer, à certaines époques, qu’à de prix élevés.

L’amendement est onéreux aux cultivateurs, parce qu’il est évident qu’un fermier qui aura dix ou quinze chevaux de labour et qui sera frappé d’un taxe de deux journées pour ses chevaux, sera fortement grevé s’il doit racheter cette taxe en argent, tandis que, dans certaines époques de l’année, il pourrait employer ses chevaux sans dépense sensible pour lui.

Maintenant, en ce qui concerne les journées de travail à fournir par les habitants, veuillez remarquez que, dans la province du Brabant même, où assurément il y a beaucoup d’occupation pour la classe ouvrière, la journée de travail n’est taxée qu’à 60 centimes pour la campagne, et que, d’après la disposition que j’ai présentée, l’habitant pourrait se racheter moyennent 50 centimes. Pour pouvoir acquitter cette charge en nature, il faut qu’il en fasse la déclaration au bourgmestre de la commune ; vous conviendrez, messieurs, que lorsque l’habitant de la campagne a recours à cette démarche et qu’il préfère travailler une journée entière plutôt que de payer 50 centimes, c’est que cet habitant n’a pas d’autre travail.

Dès lors, messieurs, pourquoi voulez-vous obliger un homme qui peut convenablement travailler et qui n’a pas d’occupation, pourquoi voulez-vous obliger cet homme à débourser de l’argent ? Evidemment ce serait là grever inutilement les habitants.

Veuillez remarquer, messieurs, qu’il résulte du rapport fait par le ministre de l’intérieur en France, que le système des prestations en nature a donné de très beaux résultats. Vous savez qu’en France toutes les cotisations, même les centimes additionnels, peuvent se racheter par des travaux en nature ; là, les prestations en nature sont la règle générale. Ici, au contraire, la prestation en nature n’aurait lieu que pour deux bases : la cotisation de journées de travail à charge des hommes, et la cotisation de journées de travail à charge des détenteurs de chevaux.

On s’est prévalu de l’avis du conseil provincial du Brabant, et l’on a dit que le système proposé est celui qui est actuellement en usage dans cette province. C’est là une erreur, puisque dans le Brabant on peut racheter toute la contribution en argent par des prestations en nature, il y a une grande différence entre ce système et celui que nous proposons. Je pourrais citer une commune du Brabant dont la population est de 1000 âmes et dont j’ai examiné le budget : dans cette commune, 50 p.c. de centimes additionnels sur la contribution directe donne 320 francs ; c’est déjà là un très beau fonds disponible en argent ; au moyen de cela une administration communale a beaucoup de latitude pour suppléer à ce que les prestations en nature auraient d’insuffisant.

On s’est prévalu encore de l’opinion d’un de nos honorables collègues, M. Angillis ; mais veuillez remarquez, messieurs, que M. Angillis écrit sous l’empire de ce qui se passe dans les Flandres, où les prestations en nature sont la seule règle et où l’entretien des chemins vicinaux est encore à la charge des riverains ; observez d’ailleurs que l’opinion de l'honorable M. Angillis n’est nullement partagée par les conseils provinciaux des deux Flandres.

Cependant on exprime en ce moment une confiance illimitée dans les avis des conseils provinciaux ; or, l’avis des conseils provinciaux des deux Flandres, c’est-à-dire du tiers du royaume, est de maintenir la prestation en nature à charge des riverains, et ils ajoutent que les chemins vicinaux ne sont pas moins bien entretenus dans les Flandres que dans le reste du pays. Lorsque je m’exprime ainsi à l’égard des Flandres, je n’entends nullement préjuger ce qui sera décidé relativement à l’article 15, je veux seulement faire observer que l’opinion de M. Angillis, quelque respectable qu’elle soit d’ailleurs, est ici fortement contrebalancée par l’avis des conseils provinciaux des deux Flandres. D’ailleurs, entre le système que je propose et celui qu’a critiqué M. Angillis il n’y a pas de comparaison à établir.

Veuillez encore remarquer, messieurs, que l’amendement de M. Lebeau, combiné avec celui de M. Peeters, remet en quelque sorte la loi aux députations des conseils provinciaux, or c’est ce que vous n’avez pas voulu lorsque vous avez décidé que la cotisation serait déterminée par la loi elle-même ; vous ne pouvez donc pas sans être en contradiction avec la résolution que vous avez prise dans notre avant-dernière séance remettre aujourd’hui par un amendement l’exécution de la loi à la volonté des députations des conseils provinciaux.

Il est une dernière observation, messieurs, que je dois faire, c’et qu’il faut bien distinguer l’entretien des chemins vicinaux des réparations extraordinaires qu’il s’agira de faire à ces chemins. Or, les journées de travail, telles qu’elles ont été fixées hier par la chambre, ne sont guère suffisantes pour les travaux d’entretien ; mais quand il y aura des travaux extraordinaires à faire, des travaux d’empierrement, des travaux de pavement, cela ne pourra se faire qu’au moyen des centimes additionnels sur la contribution directe ; dès lors, pour les travaux extraordinaires, il y aura de l’argent.

Par ces diverses considérations, je crois, messieurs, que la rédaction que j’ai proposée doit paraître entièrement satisfaisante. Il y aura d’ailleurs des avantages à connaître par l’expérience les résultats du double emploi des prestations en nature et des prestations en numéraire. Lorsque cette expérience sera acquise, on pourra voir s’il est nécessaire d’aller jusqu’à ce point que d’obliger un ouvrier qui veut travailler, à débourser contre son gré 50 centimes par jour, alors qu’il n’a point de travail, car c’est là qu’est la question.

Quant aux chevaux, on ne peut pas douter qu’il ne soit dans l’intérêt des communes d’admettre la prestation en nature, et pour les agriculteurs la charge serait véritablement exorbitante si on les obligeait de se racheter en argent.

M. Lebeau – Messieurs, je sens que la chambre doit être impatiente de faire un pas de plus dans la discussion de la loi sur les chemins vicinaux, qui marche si lentement ; je ne la tiendrai donc pas longtemps, mais je dois répondre quelques mots à M. le ministre de l'intérieur.

Je crois, messieurs, que M. le ministre vous a fait un tableau très inexact des résultats que la prestation en numéraire, dans les communes rurales, aurait pour les cultivateurs et les propriétaires. S’il est fait par la cotisation en numéraire un fonds suffisant pour pourvoir à l’amélioration et à l’entretien des chemins vicinaux, comment d’ordinaire cela s’opérera-t-il ? Evidemment, comme la loi le veut, par les soins du collège échevinal, aidé probablement d’un piqueur qui, je l’espère, sera nommé et rétribué par le conseil provincial. Les travaux s’opéreront donc probablement, surtout quand il s’agira de réparations, par le moyen de la régie. Eh bien, n’est-il pas naturel de penser, est-ce se faire illusion que de croire que le collège échevinal requerra précisément les principaux contribuables, ceux qui ont des chevaux et des chariots, quand il s’agira du transport de terres ou de pierres et qu’il leur rendra ainsi d’une main en salaire ce qu’il en aura reçu de l’autre en contribution ? N’est-il pas vrai, en outre, n’est-il pas pratique que le petit contribuable qui aura versé ses 50 centimes en recevra peut-être 75 pour venir travailler soit à des terrassements, soit à creuser des fossés ou rigoles, à remuer des terres ou à transporter des pierres ? Je ne crois pas me faire illusion en supposant que les administrations communales se conduiront de la sorte.

Dans ce système, messieurs, les administrateurs communaux ne seront pas autant placés entre l’intérêt de leur réélection et leur devoir de fonctionnaires publics ; car la cotisation une fois entrée dans la caisse communale, il n’y a plus qu’à aviser aux moyens d’en faire le meilleur emploi, l’emploi le plus équitable ; eh bien l’emploi qui se présente tout naturellement c’est celui que je viens d’indiquer ; je ne concevrais pas même qu’il y en eut un autre, surtout dans la province de Luxembourg, où les communes sont fort éloignées les unes des autres, et où il serait, par conséquent, fort onéreux d’employer des ouvriers étrangers à la commune où les travaux doivent d’exécuter.

Il sera toujours plus économique de requérir dans la commune même les hommes, les chevaux et les charrettes dont on aura besoin. De cette façon (et j’en appelle ici à l’expérience de mes honorables collègues) je crois qu’en général les contribuables recevront d’une main ce qu’il sauront donné de l’autre.

M. le ministre de l'intérieur nous a dit, messieurs : « Mais on se rachètera pour les 50 centime, et quand on ne se rachètera pas, c’est qu’il y aura pénurie d’argent, que l’on aimera mieux aller travailler. » Je me contenterais de cette réponse, si les journées étaient des journées effectives, si la plupart du temps, par la force des choses, les journées n’étaient pas illusoires, si la journée de l’un était la journée de l’autre, si la journée de celui qui a voté pour Pierre était toujours la journée de celui qui a voté pour Paul ; si dans quelques circonstances les échevins et les bourgmestres n’étaient pas toujours un peu préoccupés de leur réélection. Mais en supposant même que les magistrats municipaux fussent de petits saints, je dirais encore que les saints eux-mêmes n’ont jamais aimé à être exposés à de continuelles tentations (On rit.) Il n’est pas sage de la part du législateur d’exposer à l’action incessante d’un intérêt tout personnel des fonctionnaires qui agissent sas contrôle sans aucune espèce de surveillance immédiate.

M. le ministre de l'intérieur a dit encore que mon amendement tend à faire revivre la motion de l'honorable M. Delehaye, qui a été repoussée par la chambre ; mais chacun sait que le rejet de la motion de M. Delehaye a été principalement motivée (l’amendement de M. Lys en fait foi) par la question des Flandres, par la question de savoir si l’on pourra continuer dans ces provinces à mettre l’entretien des chemins vicinaux à la charge des riverains, alors qu’il serait admis qu’en règle générale, c’est aux communes de pourvoir à cet entretien. Je suis d’autant plus surpris de cet argument de la part de M. le ministre, qu’il ne tend à rien moins qu’à condamner une proposition de la section centrale à laquelle il s’est lui-même rallié. En effet, messieurs, la section centrale propose de permettre aux députations de convertir d’office, dans certaines communes, la prestation en nature en une prestation en numéraire, et M. le ministre a adhéré à cette proposition. Il est vrai que dans ce cas la députation aurait à déclarer que la commune est en retard de satisfaire à ses obligations, mais il n’en est pas moins vrai que la proposition laisse aux députations la faculté de modifier tout le système que vous voulez faire prévaloir ; mon amendement n’a guère une portée plus grande que cette proposition. Seulement je crois qu’il est plus pratique, parce qu’il ne met pas la députation provinciale dans la nécessite de jeter de la déconsidération sur les communes quand elle jugera convenable d’obliger les habitants à fournir en numéraire les journées de travail ou la tâche. Je viens de parler de la tâche, et en effet, il faut distinguer entre la journée de travail et la tâche ; je comprends qu’on veuille maintenir jusqu’à certain point la tâche, c’est-à-dire l’obligation de transporter autant de mètres cubes de terre, autant de mètres cubes de pierres ; je conçois que l’on cherche à maintenir cela, mais j’ai déjà eu occasion de faire remarquer que mon amendement conservera ce système. Evidemment le collège échevinal se mettra en rapport pour les charrois avec les tenants chevaux et les tenants charrettes, et pour les journées de travail avec ceux à qui une journée de 75 centimes vient fort à propos.

D’après ces considérations, je persiste dans mon amendement.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – L’on craint l’arbitraire que les autorités communales pourraient exercer à l’égard des habitants qui acquitteraient en nature les journées de travail auxquelles ils seraient imposés.

Je ne pense pas qu’on puisse avoir une crainte sérieuse à cet égard. En effet, on ne peut pas supposer qu’un bourgmestre fasse travailler un habitant plus qu’un autre. Les habitants sont cotisés d’après des bases fixées ; mais ce bourgmestre n’ira pas dire à l’un : Travaillez, et à l’autre : Reposez-vous. Ceux qui seront convoqués pour ces travaux seront tous mis sur la même ligne ; il y aura nécessairement un surveillant. Mais où l’arbitraire serait à craindre, ce serait dans l’application de l’amendement de M. Lebeau, car vous aurez remarqué que l’honorable membre a reconnu avec nous que si les cultivateurs étaient obligés de se racheter en argent de la prestation à laquelle ils seraient obligés en nature, la charge pourrait devenir exorbitante.

L’honorable préopinant n’a pas contesté ce fait. Mais il a pensé que par les soins paternels de l’administration communale, les cultivateurs seraient tous appelés également à profiter des deniers qui seraient versés dans la caisse de la commune. C’est ici qu’il y aurait une large porte ouverte à l’arbitraire ; c’et ici qu’on pourrait avoir égard aux parents et amis, et aux adversaires dans les luttes électorales.

M. Lebeau – Vous aurez des chemins.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’en doute, parce que je crois que si vous obligiez les cultivateurs à racheter en argent la prestation en nature qui leur serait imposée, les administrations communales seraient la plupart du temps arrêtées, et fixeraient ce rôle le plus bas possible pour ne pas déplaire à leurs administrés.

L’on dit que nous sommes en contradiction avec notre propre opinion, en admettant la nouvelle proposition de la section centrale qui autoriserait la députation, lorsque dans une commune les travaux auraient été négligés, a prescrire dans ce cas la prestation en argent. Jusqu’à présent, nous ne nous sommes pas expliqués sur cette proposition ; mais si nous l’avions admise, nous ne serions nullement en contradiction, parce qu’il est naturel que, lorsqu’une commune est négligente, la députation ait un moyen de coercition, et dans ce cas le moyen le plus naturel de coercition est de faire verser les contributions en argent.

M. Dumont – Messieurs, je désire qu’on puisse substituer aux systèmes qu’on vient de défendre un système mixte. J’adopte entièrement la proposition de l’honorable M. Lebeau en tant que restreinte aux prestations, au numéro 1. Mais quant aux prestations à établir en raison des chevaux, je pense que la prestation doit être plutôt fixée en nature. Ceux qui habitent la campagne reconnaîtront la vérité de ce que M. le ministre de l'intérieur a dit à cet égard. Les réparations aux chemins se font toujours dans une saison où les chevaux sont inoccupés ; c’est avant les semailles et avant la coupe des foins. C’est la saison où les réparations doivent se faire, parce que quand on les exécute dans cette saison, elles sont les plus utiles et les plus solides ; alors, je le répète, les chevaux des cultivateurs n’ont absolument rien à faire.

Je suis persuadé que dans aucune commune on ne désirera se racheter de ces prestations en argent ; tout le monde demande à pouvoir les acquitter en nature.

Quant à la prestation personnelle, j’adopte l’opinion de l’honorable M. Lebeau, il me semble que personne n’aura à s’en plaindre, car si, parmi les habitants de la commune, il y a des individus qui aurait préféré de se racheter en nature, ceux-là trouveront de l’emploi dans la réparation des chemins ; et avec le système de l’honorable M. Lebeau, ils trouveront bien plus d’ouvrage qu’ils n’en trouveraient en s’acquittant directement pour leur propre compte. Je crois donc que, dans l’intérêt de la classe indigente, qu’il est bien préférable d’adopter le système de l’honorable M. Lebeau.

Messieurs, je proposerai le maintien de l’article 15, restreint aux chevaux. Cet article serait alors ainsi conçu :

« Le contingent pour les chevaux et bêtes de somme est acquitté en argent ou en nature, au choix des contribuables. »

- L’amendement est appuyé.

M. Desmet – Messieurs, je crois qu’il faut laisser la liberté aux habitants d’accepter la prestation en nature ou en argent. L’honorable député de Bruxelles ne voit les choses que d’un côté ; il n’a égard qu’à la facilité qu’offre son système de faire réparer les chemins. Mais il faut voir l’autre côté de la médaille : il faut s’assurer s’il y possibilité dans les communes d’acquitter en argent les journées de travail. Or, il y a beaucoup de communes où les habitants ne pourront pas payer les contributions communales ; comment voulez-vous qu’ils paient une cotisation pour la réparation des chemins ? Messieurs, quand on connaît un peu les campagnes, l’on sait que les deux tiers des campagnes ne peuvent pas payer leurs contributions. Mais ces gens-là savent travailler. Il leur est très facile d’aller faire une journée de travail, mais il leur est très difficile, impossible même, de payer 75 centimes ou un franc pour se racheter d’une journée de travail. On dit que le système de la prestation en nature ne sera pas efficace, qu’il sera difficile de faire réparer les chemins ; messieurs, tout cela dépend du bon vouloir de l’administration communale. Je puis vous dire, messieurs, qu’en ma qualité de commissaire spécial, j’ai fait faire beaucoup de travaux par voie de corvée, et cela n’a pas souffert de difficulté.

M. d’Huart – J’appuie la proposition de M. le ministre de l'intérieur, et je m’en réfère entièrement aux développements dans lesquels il est entré pour démontrer que le système mixte qu’il vous soumet est le meilleur. Je ne répondrai donc pas aux différentes objections présentées par l’honorable M. Lebeau, qui me paraissent avoir été victorieusement réfutées par M. le ministre de l'intérieur.

Toutefois je crois devoir ajouter deux mots relativement à une allégation de l’honorable membre, par laquelle il me parait avoir raisonné dans une erreur de fait, lorsqu’il a prétendu que les fonds à la disposition des communes seront employés en travaux exécutés par mode de régie. Si je pouvais croire que ce mode serait généralement usité pour l’emploi des fonds qui seront mis, en vertu de la loi que nous discutons, à la disposition de l’administration communale, je formulerais une disposition pour engager la chambre à restreinte autant que possible la faculté d’employer ce mode. A mon avis, une semblable marche serait sujette aux plus graves inconvénients.

Les administrations communales, auxquelles M. Lebeau veut bien avoir entière confiance ici, et auxquelles il la refuse absolument dans une autre hypothèse dont je parlerai tout à l’heure, pourraient commettre bien des abus et user de faveurs préjudiciables pour les intérêts de la commune au profit des différents contribuables appelés à participer un jour au renouvellement électoral de ces mêmes administrations ; mais il y a ici, de la part de M. Lebeau, erreur de fait ; pour des travaux de quelque importance, ce ne sera pas en régie, mais par voie d’entreprise, que les fonds dont il s’agit seront appliqués.

Je rencontrerai à présent la seconde objection que je viens de mentionner. Selon le même honorable membre, les ouvriers qui se rachèteront par la prestation en nature ne fourniront qu’un travail insignifiant ; comme voulez-vous, dit M. Lebeau, que le bourgmestre surveille ces ouvriers de manière à exiger d’eux un travail soutenu et qui représente la valeur du prix d’une journée salariée ; il sera nécessairement arrêté par l’idée du renouvellement de son mandat électoral. Il y a encore ici une erreur. Ce ne sera pas le bourgmestre, mais le chef d’atelier dont l’honorable membre veut comme moi prescrire généralement la nomination qui surveillera les ouvriers. Le bourgmestre n’y interviendra point directement ; il se bornera à remettre les noms des ouvriers et le nombre de journées à fournir par eux. Le chef d’atelier les fera travailler et ne leur comptera par exemple qu’un quart de journée, alors qu’ils auraient été présents pendant toute la journée, s’ils n’ont fournis en réalité que la valeur d’un quart de jour de travail.

M. Dumont nous a dit, messieurs, qu’il ne concevait pas ce qu’on trouvait d’exorbitant à ôter aux manœuvres la faculté de se libérer en nature de leur prestation puisqu’ils pourront toujours travailler en définitive pour la commune. Je n’admets pas, messieurs, cette certitude que les ouvriers de la commune participeront selon leur volonté aux travaux. En effet, ceux-ci étant adjugés, l’entrepreneur, qui souvent sera étranger à la commune, aura ses ateliers organisés et composés d’ouvriers de sa connaissance, n’appartenant pas à la commune, et ce sera avec ces sommes-là que la dépense sera absorbée.

M. Lebeau a trouvé d’après ce qui se passe dans le Luxembourg un argument contre la prestation en nature, parce que dans cette province on a fixé à un taux extrêmement bas l’évaluation de la journal de travail ; à ce sujet, l’honorable orateur a dit que l’administration avait, selon lui, outrepassé ses pouvoirs dans cette fixation de prix de la journée de travail. J’avoue que je ne comprends pas en quoi peut consister cet excès de pouvoir et je prétends au contraire qu’en agissant comme elle a fait, la députation n’a nullement outrepassé les limites des ses attributions ; elle a tout simplement déterminé, conformément à la loi du 28 septembre 1791, le taux de la journée de travail et rien ne s’opposait à ce qu’elle réglât ce taux à 50 centimes. Il serait d’ailleurs très facile de démontrer qu’elle a eu grande raison d’agir ainsi en vous remémorant les résultats qu’elle en a obtenus.

Veuillez jeter les yeux sur le cahier qui nous a été distribué en dernier lieu, à l’endroit du rapport de la députation provinciale du Luxembourg ; vous trouverez que, dans cette province, on a élevé les rôles annuellement à une valeur de 600 mille francs ; or, on vous a appris hier que la moitié avait été fournie par les prestations en nature. Eh bien ! ne trouve-t-on pas dans ce seul exposé, la preuve la plus évidente de l’indispensable nécessité de maintenir dans la loi la faculté du rachat en nature d’une partie des prestations. Quand il est arrivé qu’alors que, dans une province, il était loisible de se libérer de la journée de travail avec 50 centimes, et qu’il n’a été usé de cette faculté que pour 300,000 francs sur 600,000 francs, serait-il encore possible de soutenir, avec quelque fondement, qu’il n’est pas convenable ou qu’il n’est pas nécessaire d’admettre la prestation en nature pour les deux premières bases ! N’est-il pas clair que si les contribuables avaient pu gagner un franc par jour d’un autre côté ils auraient donné 50 centimes à la commune pour racheter la prestation en nature de leur journée de travail ?

Je dirai deux mots sur l’amendement de M. Peeters, qui, comme l’a dit M. le ministre, remet en question ce qui a été décidé, puisqu’il a pour objet d’attribuer à la députation le droit d’exiger exclusivement en argent la contribution des chemins vicinaux, droit que nous n’avons pas voulu abandonner aux conseils provinciaux lorsque nous avons rejeté la proposition de M. Delehaye.

La députation du conseil provincial « pourra », selon M. Peeters, autoriser les contribuables à convertir la rétribution en numéraire en prestation en nature sur la demande du conseil communal. C’est-à-dire qu’étant maîtresses absolues à cet égard, les députations décideront que les prestations seront fournies en argent, parce que ce mode est le plus simple pour l’administration. Mais, a dit un honorable membre, quel intérêt auront ces administrations à exiger que les prestations soit fournies plutôt en argent qu’en nature ? Je réponds que l’intérêt qui les dominera sera la facilité d’arriver plus promptement et plus simplement à l’exécution des travaux.

Tout le monde est d’accord avec M. Lebeau que, pour l’administration le moyen le plus certain d’obtenir des chemins bien entretenus serait d’avoir de l’argent pour les réparer ; ainsi la députation du conseil provincial, qui est composée d’administrateurs, trouvera plus expéditif de faire réparer les chemins avec du numéraire qu’avec des journées de travail. Il y a, en effet, moins d’embarras pour elle de cette façon, beaucoup moins d’écritures.

Comme gouverneur, guidé par l’expérience qu’il a acquise comme administrateur, l’honorable M. Lebeau, par exemple, sera toujours disposé à admettre la rétribution en agent plutôt que la prestation en nature ; j’en trouve la preuve dans l’insistance que l’honorable membre a apportée dans la question qui nous occupe ; or, tous les administrateurs seront probablement dans les mêmes dispositions, et c’est ce dont il importe de bien nous pénétrer pour apprécier la véritable portée de l’amendement de M. Peeters.

M. Lebeau – Je tiens à rectifier mon opinion que l’honorable préopinant a dénaturée. Je n’ai pas dit que la députation du conseil provincial du Luxembourg avait excédé ses pouvoirs en réduisant les prix de la journée de 50 centimes ; car je ne sais pas même si elle les eût excédés en la réduisant à 25 centimes, et je crois qu’alors on aurait tout racheté. Dans le système de l'honorable membre, cela prouverait encore plus en faveur de la prestation en nature.

Ce que j’ai dit, c’est que la députation du Luxembourg avait été obligée de renchérir sur une loi, en ne laissant à la disposition des conseils communaux que le dixième des ressource affectées par eux aux chemins vicinaux.

Voilà pourquoi j’ai dit que, pour corriger le vice de la loi, la députation avait été un peu trop loin. J’ai l’aveu de la députation elle-même, car après avoir exposé son système, voici ce qu’elle dit :

« Mais si personne n’a pu contester l’utilité de cette mesure, en revanche les résistances individuelles que rencontrent toujours les innovations les plus heureuses ont pu s’appuyer avec quelque raison sur le rapport d’illégalité dont elle a été l’objet. »

Voilà ce que la députation avoue ; voilà le fait auquel j’ai fait allusion et pas du tout la fixation de la valeur de la journée de travail.

M. Dumont – J’avais dit que dans le système de M. Lebeau les ouvriers manquant d’ouvrages en trouveront davantage ; M. d’Huart a répondu que c’était une erreur, parce que les travaux se feraient par adjudication. J’habite la campagne, et je déclare que chaque fois qu’il en s’agit que de réparations, on ne met jamais les travaux en adjudication. Je suis dans le voisinage du Brabant et du Hainaut, et je n’ai jamais vu mettre en adjudication que les constructions de routes nouvelles. La réponse de M. d’Huart a donc porté à faux.

Sur les inconvénients résultant du système électif, je ferai une simple observation, c’est que les personnes qui voudraient se racheter pour prestation en nature ne paient pas le cens électoral. Je ne connais pas d’électeur qui vienne faire lui-même son travail ; il envoie un vieillard auquel il donne 40 ou 50 centimes.

- La chambre consultée ferme la discussion.

Les divers amendements sont successivement mis aux voix et rejetés. La suppression de l’article proposée par M. le ministre de l'intérieur est mise aux voix et prononcée.

Article 17

La chambre passe à l’article 17 qui, d’après l’amendement nouveau proposé par M. le ministre de l'intérieur, est ainsi conçu :

« Art. 17. Le prix de la journée de travail est évalué conformément à l’article 4, titre II, de la loi du 28 septembre 1791.

« Le contribuable qui n’aura point déclaré, conformément à l’article suivant, vouloir fournir le travail en nature jouira d’une remise de 10 p.c. sur le prix de chaque journée de travail.

« La députation permanente du conseil provincial fixe annuellement la valeur de la journée des tombereaux, charrettes ou autres voitures attelées, chevaux, bêtes de sommes et de traits. »

Plusieurs membres – Ne faudrait-il pas supprimer dans le dernier paragraphe les mots « tombereaux, charrettes et autres voitures » ?

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je pense que non. Il est évident que quand on parle des chevaux de trait, ils doivent être fournis avec des voitures car on ne pourrait rien faire des chevaux sans voiture. Mais les voitures non attelées ne seront pas imposées.

- L’article 17 est adopté.

Article 18

« Art. 18. L’avertissement contiendra la cotisation en argent, réduite en nature, conformément aux dispositions de l’article précédent.

« Dans le mois qui suit la délivrance des billets de cotisation, tout contribuable peut déclarer son option au collège échevinal ; passé ce délai, la cotisation est exigible en argent. »

- Adopté.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères devant se rendre au sénat pour soutenir la discussion du budget du département de l’intérieur, la discussion du projet de loi sur les chemins vicinaux est interrompue.

M. Verhaegen – Je demanderai quel est l’ordre du jour de demain.

M. le président – Le projet de loi sur les bois étrangers, celui relatif aux chemins vicinaux et les naturalisations.

Ordre des travaux de la chambre

M. F. de Mérode – Je ferai remarquer que la chambre, par suite du système qui consiste à faire un appel nominal sur chaque projet de naturalisation, procède sur les naturalisations avec une extrême lenteur. Si nous continuons ainsi, nous n’arriverons jamais à des personnes qui ont demandé depuis longtemps la naturalisation et à qui on veut l’accorder. Ne pourrions-nous pas statuer sur dix naturalisations à la fois ?

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – On a déjà pris une décision contraire.

M. F. de Mérode – Ce n’est pas une raison pour ne pas revenir à un autre système lorsque l’expérience en a démontré la nécessité. Si M. le ministre de la justice a quelque chose à objecter à ma proposition, je ne demande pas mieux que de l’entendre, mais il est certain qu’avec le mode actuellement suivi, nous n’en viendrons jamais à nous prononcer sur les demandes en naturalisation qui nous sont soumises ; si nous n’adoptions pas un autre système, les personnes qui attendent depuis quatre ans une décision de notre part, devront probablement attendre encore pendant plusieurs années.

Je désire que mes honorables collègues veuillent bien s’occuper des observations que je viens de présenter, je ne ferais pas de proposition maintenant ; j’en ferai une soit demain, soit un autre jour, à moins que quelque autre membre ne se charge de ce soin, car je ne suis pas homme de loi, et je reconnais volontiers que beaucoup de mes honorables collègues sont plus à même que moi de formuler une proposition de cette nature.

Projet de loi majorant les droits sur les bois étrangers

Discussion générale

M. le président – Voici le projet de loi tel qu’il est proposé par la section centrale :

« Article unique. Par modification au tarif des douanes, en ce qui concerne les espèces de bois étrangers ci-après spécialement désignées, les droits d’entrée et de sortie sur ces espèces seront fixés comme suit :

« Les droits auxquels son actuellement soumises les autres espèces de bois mentionnés aux tarifs existants sont maintenus.

« 1. Désignation des marchandises : Toute espèce de bois, soit en grume, soit non scié, soit en poutre, propre à la construction civile et navale, et arrivant de la Norvège, de la Baltique, de la Suède et de la Russie par cargaison complète.

« Unité à laquelle s’applique le droit : Tonneau de mer (le nombre des tonneaux doit être calculé sur le même pied que pour le droit de tonnage).

« Droit proposé : à l’entrée : 60 centimes ; à la sortie : rien.

« Dispositions particulières : Seront réputées complètes les cargaisons dont la moitié consisterait en bois.

« Lorsque dans une cargaison, il se trouvera du bois non scié et du bois scié, ils seront respectivement assujettis au droit d’après leur tarification spéciale, dans le rapport de leur volume à la capacité entière du navire. »

« 2. Désignation des marchandises : Toute espèce de bois, soit en grume, soit non scié, autre que le bois de construction civile et navale, que l’article précédent admet au droit de 60 centimes par tonneau de mer, et à l’exception des merrains, mâts, espars et rames.

Unité à laquelle s’applique le droit : Valeur.

Droit proposé : à l’entrée : 6 p.c.; à la sortie : 1. p.c. »

« 3. Désignation des marchandises : Planches, solives, poutres (il est entendu que les poutres comprises dans les cargaisons complètes, lorsque ces dernières sont admises au droit de 60 centimes par tonneau, ne sont pas assujetties à la tarification ci-contre), madriers et toute espèce de bois scié, entièrement coupé ou non (à l’exception de ceux des espèces ci-après auxquelles s’applique une tarification spéciale).

Unité à laquelle s’applique le droit : Tonneau de mer.

Droit proposé : à l’entrée : 4 00 ; à la sortie : ½ p.c. »

« 4. Désignation des marchandises : Gaules, perches et lattes de sapin.

Unité à laquelle s’applique le droit : Valeur.

Droit proposé : à l’entrée : 10 p.c. ; à la sortie : 1. p.c. »

« 5. Désignation des marchandises : Bois pour caisses à sucre, bois de chauffage, bois feuillard, osiers, saules, cercles, cerceaux, douves et autres subséquemment désigné sauf tarif général.

Unité à laquelle s’applique le droit et droit proposé : comme au tarif actuel. »

M. Zoude, rapporteur – Messieurs, le sénat avait introduit quelques légères modifications dans le projet que vous lui aviez renvoyé, et votre section centrale, dans la séance du 19 janvier 1839 vous avait présenté son rapport qui tendait à l’adoption du projet tel qu’il avait été amendé par le sénat. Alors l’honorable M. de Foere proposa de substituer à l’article 3, pour le bois scié, un droit de tonnage au droit à la valeur qu’établissait cet article, et le projet fut de nouveau renvoyé à la section centrale. La section centrale reconnaît d’abord qu’un droit de tonnage pour les bois sciés était plus facile à percevoir qu’un droit à la valeur ; mais avant de vous faire une proposition dan ce sens elle a voulu s’assurer du prix des bois sur les divers marchés du pays, Ostende, Bruges, Anvers et Bruxelles ; les renseignements qu’elle s’est procurés à cet égard lui ont fait reconnaître que le droit de 4 francs par tonneau, proposé par M. de Foere, équivaut à un droit de 5 à 9 p.c. de la valeur, comme vous pouvez le voir par le tableau qui est joint au rapport. Certainement avec un droit de tonnage, les bois de mauvaise qualité seront plus fortement imposés que les bois de qualité supérieure, mais la section centrale a pensé que cela devait être, car il est bon d’encourager, pour les constructions, l’emploi de bons matériaux, puisqu’ils ne demandent pas plus de main-d’œuvre que les autres. D’après cela, messieurs, la section centrale vous a proposé l’adoption de l’amendement de M. de Foere ; j’espère que la chambre voudra bien adopter le projet tel qu’il se trouve maintenant modifié.

M. Donny – Je ne renouvellerai pas aujourd’hui l’opposition que j’ai faite autrefois contre l’amendement voté par le sénat ; depuis lors la section centrale a considérablement amélioré l’état des choses par le projet qu’elle vous présente, et je me sens disposé à donner mon assentiment à ce projet.

Il y a cependant une observation que je crois devoir vous soumettre dans l’intérêt du commerce belge.

Lorsque la loi sera mise à exécution, elle exercera la plus grande influence sur la manière dont les chargements de bois seront composés à l’avenir. Il est certain qu’à l’avenir on embarquera beaucoup plus de bois non scié et beaucoup moins de planches. Il est encore certain qu’on devra s’abstenir, peut-être même complètement, de faire arriver en Belgique certaines espèces de bois, des planches d’une valeur très minime par exemple, parce qu’à l’égard de ces bois, le droit deviendrait trop fort, comparativement à la valeur, et que l’on ne pourrait dès plus s’en défaire d’une manière profitable. Lorsque l’on aura eu le temps de donner des ordres en conséquence de la loi que nous allons voter, le mal ne sera pas grand pour le commerce ; car on pourra composer les cargaisons de telle façon qu’il n’y ait perte pour personne ; mais aujourd’hui l’on a déjà donné des ordres en Norwège et dans la Baltique, ces ordres lient dès aujourd’hui les négociants qui les ont transmis, et ils ne pourront cependant être exécutés que lorsque la Baltique sera dégagée de glaces. Il s’écoulera donc encore quelques temps entre le vote de la loi et l’exécution des ordres dont il s’agit. Pour que les négociants belges qui ont commandé des cargaisons, sans avoir égard à une loi qui n’était pas encore votée, ne se trouvent pas en perte, j’aurais l’honneur de proposer à la chambre un amendement qui porte que loi ne sera exécutoire qu’à partir du 1er mai prochain. J’ai déposé cet amendement sur le bureau, et je prie M. le président de bien vouloir en donner lecture.

M. le président – Voici l’amendement de M. Donny.

(Nous donnerons cet amendement)

M. Zoude, rapporteur – Je ne pense pas qu’il y ait lieu à combattre l’amendement de M. Donny, car il me semble, en effet, qu’il est équitable de prévenir ceux qui auraient donné des ordres avant que la loi ne soit cotée. J’appuie donc l’amendement.

M. de Renesse – Le projet de loi sur les bois étrangers, ayant pour but d’encourager la culture des bois, et particulièrement les sapinières de la Campine, obtiendra probablement l’assentiment de ceux qui veulent accorder une sage protection à cette industrie indigène, actuellement peu favorisée, puisque les droits minimes qui existent constituent un véritable privilège en faveur de l’industrie étrangère. Déjà, depuis plusieurs années des pétitions ont été adressées par divers propriétaires forestiers de la Campine, de Louvain, de Hasselt, de Liége, de Namur et de Luxembourg, et par les propriétaires de moulins à scier des villes d’Anvers et de Mons, à l’effet d’obtenir une augmentation de droits sur les bois étrangers. Si l’on considère que la Belgique, dans ses limites actuelles, contient encore plus de 337,000 hectares de terrains incultes, dont plus de 263,000 se trouvent dans les provinces d’Anvers, de Limbourg et de Luxembourg, il est certes d’un haut intérêt pour l’industrie agricole et forestière d’être protégée par des droits qui doivent favoriser son développement ; il est d’ailleurs démontré que la culture des céréales dans la Campine ne peut être introduite avec avantage, que lorsque les terres ont été convenablement disposées pour une plantation de sapin ; or, cette plantation ne peut avoir lieu actuellement parce que les droits minimes à l’entrée des bois étrangers ne permettent pas aux propriétaires de faire de grands frais pour le défrichement des bruyères, n’étant pas assurés de pouvoir lutter sur nos marchés contre la concurrence étrangère. Déjà, le défrichement d’une grande parie de nos forêts, nous rend tributaires de l’étranger, et si nous n’accordons pas quelque faveur à la culture des bois, et aux défrichements de nos bruyères, le déboisement continuera à notre grand détriment, et on laissera incultes des terrains susceptibles d’être cultivés, d’augmenter par conséquent notre richesse agricole et forestière.

Sous un autre rapport, dans l’intérêt de la classe ouvrière, il est surtout nécessaire que les bois sciés venant de l’étranger, soient frappés d’un droit plus élevé que ceux qui n’ont encore reçu aucune manifestation ; aussi, la section centrale, ayant égard aux nombreuses constructions civiles et navales, n’a pas cru devoir hausser les droits sur les bois du Nord en grume et en poutre ; mais, à maintenir un simple droit de balance, qui déjà avait été adopté par le sénat, lorsque le premier projet voté par la chambre, lui avait été soumis.

D’après les prix moyens des bois du Nord, dont la section centrale a joint le tableau à son rapport, le droit fixé à 4 francs par tonneau de mer donnerait un droit variant de 5 à 9 pour cent, suivant la qualité des bois ; ce droit n’accorde donc qu’une protection très modérée, qui ne peut même être contestée par ceux qui sont partisans de la liberté illimitée du commerce, et certes d’autres industries., qui ne sont cependant d’une importance aussi majeure, que l’industrie agricole et forestière, jouissent d’une protection plus efficace. Quoi qu’en général je ne sois pas partisan des lois qui peuvent entraver le commerce, je crois cependant que, dans les circonstances actuelles, l’on doit accorder quelques faveurs à la culture des bois et au défrichement des bruyères, pour empêcher surtout le déboisement, déjà poussé à sa dernière limite, et maintenir une certaine proportion entre les terrains boisés et les terrains arables. Dans tous les pays, d’ailleurs, où l’agriculture est la base de la richesse nationale, elle jouira de toute la protection qu’elle a droit de réclamer, comme supportant la plus grande part dans les charges de l’Etat ; aussi si l’agriculture est en souffrance, l’on voit presque toujours que la plupart des autres industries éprouvent pareillement une grande gêne, il me semble donc qu’il est de l’intérêt général que la principale industrie d’un pays essentiellement agricole ne soit pas négligée, et qu’elle obtienne une sage protection, pour qu’elle puisse lutter avec avantage contre la concurrence étrangère. Je voterai pour le projet de loi.

M. le ministre des finances (M. Desmaisières) déclare adhérer à la proposition de la section centrale et à l’amendement de M. Donny.

M. Smits – Messieurs, le projet de modification du tarif des douanes, en ce qui concerne les bois, a été introduit incidentellement aujourd’hui, et personne n’a pu s’occuper du projet dont il s’agit. Pour ma part, il m’a été impossible de jeter même un coup d’œil sur les pièces qui concernent ce projet, j’ai cru que la section centrale serait consacrée à la discussion du projet de loi sur les chemins vicinaux. Cependant, la loi qui nous occupe en ce moment est assez importante, puisqu’elle se rattache à la fois au commerce, à la navigation et à l’industrie. Je demanderai donc que l’on veuille bien remettre la discussion à demain ou du moins ne pas la clore aujourd’hui.

M. le président – On devait s’attendre à la discussion de ce projet de loi. La chambre, dans sa séance d’hier, l’a mis éventuellement à l’ordre du jour.

M. d’Huart – Messieurs, je me trouve dans la même position que l’honorable M. Smits. Je supposais que la discussion du projet de loi sur les chemins vicinaux ne serait pas interrompue aujourd’hui. J’ai, il est vrai, présenté le projet, en qualité de ministre des finances ; mais je n’ai plus présent à l’esprit tout ce qui se rattache à ce projet. D’ailleurs, ce n’est sur la proposition du sénat que nous devons voter : la commission a proposé un mode nouveau de tarification. Nous avons eu à ce sujet précédemment des discussions très longues, les uns voulaient le système de droit par tonneau de mer, les autres, celui du droit à la valeur. La chambre et le sénat ont adopté le système de la tarification à la valeur ; or, aujourd’hui on revient sur ce mode, et l’on propose de le remplacer par le système de droit à la valeur. La chambre et le sénat ont adopté le système de la tarification la valeur, or, aujourd’hui, on revient sur ce mode, et l’on propose de le remplacer par le système de droit au tonneau. Je ne suis pas à même de me prononcer en ce moment sur cette modification ; plusieurs de mes honorables collègues se trouvent sans doute dans le même cas, et je pense qu’il y a lieu de ne pas clore la discussion au moins aujourd’hui.

M. Rodenbach – Messieurs, le projet n’est pas tellement important qu’on ne puisse le comprendre en un instant. Il s’agit d’un droit de 4 francs par tonneau de mer. Ces 4 francs représentent de 5 à 9 p.c. de la valeur. Or, dans son amendement, le sénat veut 10 p.c. à la valeur. Les 4 francs par tonneau de mer équivalant donc à un droit que le sénat a entendu établir. Je ne pense donc pas que la loi soit si difficile à comprendre. D’ailleurs, il est urgent de la voter ; toutes les industries sont en souffrance ; c’est ici une main-d’œuvre qu’il s’agit d’assurer au pays.

M. de Foere – Messieurs, c’est la troisième fois que nous délibérons sur le projet. La chambre des représentants l’a d’abord discuté ; ensuite il a été discuté par le sénat ; le sénat nous l’a renvoyé amendé ; il a été discuté une seconde fois dans cette enceinte, lorsque les préoccupations de politique extérieure ont interrompu la discussion. Pendant cette dernière discussion, j’ai présente un amendement tendant à proposer un autre mode de perception des droits. Cet amendement a été renvoyé à la section centrale qui l’a adopté. Dès lors je ne comprends pas qu’on vienne soutenir aujourd’hui qu’après tant de discussions préalables, on n’est pas assez éclairé pour entreprendre la discussion actuelle.

Remarquez, en outre, messieurs, qu’avant de proposer mon amendement, j’étais convenu avec l’honorable M. d’Huart lui-même, alors ministre des finances, de la nouvelle tarification appliquée au nouveau mode de perception que je proposa. C’est dans son cabinet même que nous avons examiné la question de savoir si le chiffre de 10 francs proposé à la valeur, représentait celui de 4 francs sur le tonnage. Je me suis donc étonné que l’honorable membre vienne nous dire maintenant u’il n’est pas assez éclairé pour voter la question.

M. Zoude, rapporteur – Un honorable préopinant a dit qu’il ne connaissait pas le prix du bois. Or, messieurs, dans un tableau qui vous a été distribué sont énoncés les prix des diverses qualités de bois dans les diverses villes de commerce de la Belgique. L’on y a indiqué le lieu de provenance du bois, le mesurage et le prix réel de chaque qualité. Nous avons consulté les commerçants les plus probes, et même les adversaires du projet. L’honorable M. Donny pourrait vous dire avec quels soins nous nous sommes attachés à recueillir ces renseignements. Eh bien, cet état assez laborieusement travaillé, vous présente le rapport exact du droit à la valeur. J’ai proposé à M. Verdussen de vouloir bien l’examiner, et M. Verdussen, qui a jeté son coup d’œil, m’a dit que cela lui paraissait très bon.

M. d’Huart – Messieurs, l’honorable M. de Foere vient de déclarer que j’aurais concouru, comme ministre, à adopter le système de la tarification au poids, de préférence à celui de la valeur. Je ne me rappelle pas de cette circonstance. Je sais bien qu’il m’a, dans le temps, montré des calculs, j’ai pu être d’accord avec lui sur l’exactitude mathématique des calculs, mais voilà tout.

Messieurs, remarquez que le sénat vous a renvoyé son projet de loi dans lequel il a admis le système du droit à la valeur pour les bois sciés, ce qui constitue tout l’important de la loi, car la valeur principale des importations se compose de cet article. Eh bien, ce système serait remplacé dans le nouveau projet de la section centrale, par le mode de tarification selon la capacité. L’on a cité, dans les discussions antérieures, divers inconvénients que ce mode présentait.

Nous devons avoir le temps de peser de nouveau ces inconvénients, mais je suppose que la majorité de l’assemblée soit disposée à adopter ce nouveau système et à voter la loi ; eh bien, dans ce cas, la loi retournerait au sénat dont vous aurez changé le projet. Le sénat l’admettrait-il purement et simplement ? ou bien le modifierait-il une seconde fois ? C’est pour être certain que le projet de loi sera accueilli par le sénat sans modification, que je voudrais qu’on examinât la chose avec soin.

M. Demonceau – Messieurs, si on demandait une remise indéfinie, je concevrais l’opposition de ceux qui veulent la discussion immédiate ; mais on ne demande qu’une remise à demain. La chambre ne peut pas se refuser à ce délai. Le projet de loi est important ; il nous arrive en quelque sorte improvisé. C’est un projet qui, après avoir été voté d’abord par la chambre, et ensuite par le sénat, revient à la chambre ; la commission propose un changement au système qui a été adopté par le sénat ; il conviendrait d’examiner ce changement avec attention. Il ne faut pas faire ainsi circuler les lois de la chambre au sénat et du sénat à la chambre. J’appuie donc la proposition de l’honorable M. d’Huart, de remettre la discussion à demain.

M. de Foere – Messieurs, dans le projet de loi qui a été présenté en dernier lieu par la section centrale, nous avons cherché à atteindre le but que le sénat s’était proposé. Quel était ce but ? Celui de favoriser la production du bois indigène et de protéger la main-d’oeuvre. Eh bien, nos chiffres établis sur le tonnage représentent exactement le droit que le sénat a voulu établir à la valeur. Le sénat n’aura donc aucune objection à faire contre le projet de loi, si la chambre le lui renvoie tel qu’il est aujourd’hui présenté par la section centrale. La tarification du sénat a été conservée ; nous avons seulement changé le mode de perception, parce que la perception sur le tonnage est tout à la fois dans l’intérêt du trésor et dans celui du commerce.

Au reste, mon principe fondamental en économie politique est le travail du pays. Si donc le chiffre ne paraissait pas suffisant aux membres de la chambre qui adoptent le même principe, ou si d’autres ne pensaient pas que ce même chiffre de 4 francs par tonneau de mer équivalût à celui de 10 francs, proposé par le sénat à la valeur, je ne m’opposerais pas à l’augmentation de mon chiffre.

M. Zoude, rapporteur – Messieurs, on dit que nous allons changer le système qui a été admis par le sénat ; j’aurai l’honneur de faire observer à l’assemblée qu’avant de soumettre mon travail à l’adoption de la section centrale, je me suis mis en rapport avec tous les sénateurs qui ont parlé au sénat dans la discussion du projet de loi dont il s’agit, et tous ont approuvé le nouveau projet. Il n’y a donc à craindre aucune opposition de la part du sénat.

M. Smits – L’honorable M. vient de me communiquer un tableau de calculs que je n’avais pas sous les yeux, lorsque l’ai demandé la remise de la discussion à demain. Ces calculs me paraissent exacts, autant que je puis en juger par un premier examen. Quant à moi, d’après l’inspection que je viens de faire du tableau que j’ai dans les mains, je ne m’oppose plus à ce que la discussion continue.

M. Milcamps – Il s’agit de savoir si le droit sera perçu à la valeur ou au tonneau. Le bois est cher ; la loi que nous faisons va probablement avoir pour effet d’en faire augmenter encore le prix. Je ne vois pas qu’il y ait péril en la demeure ; puisque la loi ne doit être obligatoire qu’au mois de mai prochain ; il n’y a pas d’inconvénient à renvoyer la discussion à un autre jour.

M. Zoude – L’amendement de M. Donny a pour objet de ne rendre la loi obligatoire qu’au 1er mai. Depuis qu’on s’occupe de ce projet, chacun peut avoir une opinion faite. Quant à l’augmentation qui résultera du projet, comme l’exception porte sur les neuf dixièmes, cette augmentation ne portera que sur la main-d’oeuvre. Il ne faut pas perdre de vue que beaucoup de nos ouvriers sont sans travail et qu’il est temps devenir à leur secours.

M. de Foere – Le sénat ne s’est pas occupé du mode de perception. Dans la première discussion de la chambre, elle ne s’en est pas occupée elle-même. Ce n’est que lorsque le sénat nous a retourné le projet amendé sous le rapport des droits à percevoir, que j’ai soulevé la question du mode de perception. Les droits sont perçus jusqu’à présent sur le tonnage. C’est le gouvernement qui, par son projet de loi, a proposé de substituer la perception à la valeur. Si aujourd’hui vous adoptiez ce mode de perception sur les bois, au lieu de la perception au tonnage, il en résulterait une grande perturbation dans le commerce, sans qu’il en résulte aucun avantage pour le trésor. Ce serait vexer gratuitement le commerce du bois en le mettant continuellement en conflit avec la douane.

Les espèces de bois pour lesquelles nous proposons de percevoir le droit au tonnage ont été soumises de tout temps à ce mode de perception. Nous proposons de le maintenir. Le sénat ne peut avoir aucune raison de s’opposer à ce mode de perception, attendu que la tarification qu’il a établie est conservée ?

M. Lebeau – Je crois qu’on concilierait toutes les exigences, si on mettait la loi à l’ordre du jour de demain, même avant la reprise de la discussion sur les chemins vicinaux. Tout le monde serait alors d’accord ; vous perdriez tout au plus cinq minutes. Quand un homme aussi compétent que M. d’Huart, qui est l’auteur du projet de loi, vous dit qu’il a des scrupules, qu’il lui faut un peu de recueillement pour vérifier les calculs de la commission, il me semble qu’il n’y a pas moyen de persister à vouloir procéder au vote aujourd’hui.

Je propose le renvoi à demain et la mise à l’ordre du jour avant toute autre chose. (Appuyé)

M. d’Huart – Je ne dirai plus rien pour engager la chambre à remettre la discussion à demain. Elle décidera comme elle voudra. Il y a sur ce projet quatre ou cinq rapports ; j’y ai beaucoup contribué, il est vrai, mais il m’est impossible de me rappeler tout cela après un an ou 18 mois. Pour avoir à cette heure présents à la pensée les chiffres, les calculs et toutes les considérations spéciales sur une matière telle que celle-là, j’aurais dû relire les pièces, comme sans doute chacun de vous l’a fait, mais moi, je ne l’ai pas fait. Ainsi, ce que j’ai dit tout à l’heure s’explique tout naturellement ; mon intention n’est pas d’entraver le vote de la loi ; je suis tout disposé à la croire très bonne. Mais mes souvenirs ne sont pas assez frais pour que je puisse voter en parfaite connaissance de cause.

- Le renvoi à demain avant tout autre objet est ordonné.

La séance est levée à 4 heures et demie.