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Note d’intention
Chambre des représentants de
Belgique
Séance du
lundi 11 mars 1839
Sommaire
a) Pièces adressées à la chambre
b) Projets de loi concernant le
traité destiné à régler la séparation entre
(Moniteur du mardi 12 mars 1839,
n° 71)
(Présidence de M. Raikem)
M. Lejeune procède à l’appel nominal à midi ¾.
M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A
M. Lejeune fait
connaître l’objet des pièces adressées à la chambre :
« Des habitants de la ville d’Ath demandent que la chambre rejette le projet de loi relatif au traité de paix. »
« Des habitants notables des communes de Boom et de Merchlen demandent que la chambre adopte le projet de loi relatif au traité de paix. »
« Le sieur Heindryckx, particulier à Roucourt, adresse des observations sur le projet de loi relatif au traité de paix. »
- Ces trois pétitions seront insérées dans le Moniteur.
_____________________
« Le conseil communal d’Andenne demande que la chambre prenne des mesures efficaces en faveur des établissements de M. John Cockerill. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
PRESENTATION D’UN PROJET DE LOI (Contentieux de la milice)
M. le ministre des travaux publics donne lecture d’un projet de loi dont voici l’exposé des motifs et le texte (suite non reprise ici : projet de loi relatif au contentieux de la milice et de la garde civique).
Sur la demande de M. le ministre, ce projet est renvoyé à la commission déjà chargée de l’examen d’une proposition relative au même objet, mais tendant à instituer le recours en cassation.
____________________
M. Dumortier – Je dépose sur le bureau une pétition adressée à la chambre par un grand nombre d’élèves de l’université de Liége. Je suis fier et heureux d’avoir à déposer cette pièce, qui prouve l’attachement de la jeunesse belge pour les principes de la constitution et l’intégrité du territoire.
- Cette pétition sera insérée au Moniteur.
Motion d’ordre
M. Lebeau – La discussion qui est ouverte a déjà été longue ; elle se prolongera probablement encore. Je pense que la gravité de ces débats explique suffisamment l’étendue qu’elle a prise et qu’elle pourra prendre encore. Mon intention n’est donc pas de les restreindre. Il y a d’ailleurs ici des positons spéciales qui ont droit à des égards, et je serais le dernier à vouloir qu’on y manquât. Mais je crois que l’on doit tenir compte de l’anxiété, de l’inquiétude qui règnent dans le pays, et qu’il est de notre devoir, en laissant à chaque opinion le droit de se faire entendre, d’abréger, s’il est possible, de semblables débats.
Nous consacrons trois heures sur 24 à la discussion solennelle ouverte devant vous. Je ne viens pas proposer à la chambre d’imiter l’exemple de la chambre des communes qui siège souvent jusqu’à 3 ou 4 heures du matin. Mais je crois que dans une circonstance aussi grave, nous ne devons pas rester au-dessous de ce que fait habituellement la chambre des députés de France et de ce qu’a fait le congrès national dans des circonstances moins solennelles. Je propose donc qu’à partir de demain les séances publiques s’ouvrent à dix heures. (Adhésion.) Et je le fais avec d’autant moins de scrupule, qu’à l’exception d’une ou deux commissions spéciales, il n’y a pas de travaux dans les sections, urgents du moins, qui empêchent les membres de l’assemblée de prendre part aux travaux de la séance publique.
Je ne parlerai pas du dommage matériel que chaque jour de retard cause au pays, ni des dépenses de l’armée, mais bien de l’anxiété dans laquelle se trouvent les esprits par suite de la discussion actuelle. Je ferai remarquer que trois heures de débats sur une question aussi grave sont en dessous de ce que réclame l’intérêt du pays, et que continuer ainsi ce serait manquer à notre mandat, ce serait mal répondre à la confiance de nos commettants.
Je propose donc que les séances soient fixées à dix heures. Ce qui équivaudra à peu près en réalité à 11 heures. J’en appelle à ce qui se passe dans cette chambre depuis 8 jours.
M. Dumortier – Lorsque j’ai entendu l’honorable préopinant déclarer qu’il
n’avait pas l’intention de précipiter la discussion, je ne m’attendais pas à ce
qu’il voulût faire perdre à la chambre un temps aussi précieux que celui de
cette discussion. Comment ! en France le ministère qui nous a vendus vient
d’être renversé, et vous voulez précipiter les choses, alors que
Je ferai remarquer que les séances trop longues finissent par fatiguer les auditeurs. C’est ce qu’on a toujours vu dans les chambres françaises comme dans les chambres belges. Aussi jamais une discussion ne dure plus de quatre heures. Au-delà de ce temps, la fatigue empêche de prêter attention.
Ne faut-il pas d’ailleurs que les orateurs aient le temps de préparer leurs arguments ? Comment auront-ils pour cela le loisir nécessaire, si la chambre se réunit dès 10 heures du matin, et consacre la journée entière à entendre les orateurs ?
Vous voyez qu’adopter la proposition du préopinant, ce serait tronquer la discussion, ce serait la rendre impossible. Je vous adjure donc, si la patrie vous est chère, comme je n’en doute pas, de repousser la motion et de continuer la discussion. Il ne peut être question de se constituer en permanence, alors que notre intérêt doit nous porter à temporiser.
M. Lebeau – L’honorable préopinant, fidèle à ses habitudes, a vu dans une motion très naturelle, et à laquelle paraissent adhérer un grand nombre de membres de la chambre, des arrière-pensées. Il n’y en a aucune, mais j’ai cédé ici à des réclamations générales, dont il suffit de sortir de cette chambre pour entendre le retentissement.
Si le préopinant croit un ajournement nécessaire, qu’il en fasse ouvertement, directement la proposition.
M. Pirson – Je vais la faire.
M. Lebeau – Eh bien, vous la ferez, et M. Dumortier l’appuiera par tous les moyens qu’il a fait pressentir. Mais ce n’est pas par des moyens indirects qu’on doit arriver à cet ajournement.
Je persiste dans ma motion. Je dis que la chambre ne doit pas rester en dessous de ce qu’a fait le congrès dans des circonstances moins graves.
M. Dumortier – Le congrès national s’est déclaré en permanence, et ne perdait
aucun instant, alors qu’il existait des circonstances graves et urgentes qui n’existent
pas aujourd’hui. Loin de là, je suis convaincu que l’intérêt de
M. Verhaegen – Il me semble qu’on ne veut autre chose que ce que nous faisions il y a trois jours. On veut se mettre dans une exception ; nous réclamons, nous, l’application de la règle.
Que faisons-nous depuis quelques jours ? Nous commençons nos séances à midi et demi. Des motions d’ordre nous conduisent jusqu’à 1 heure ou 1 heure ½, et les séances finissent à 4 heures ; de sorte que nous ne consacrons à la discussion que 2 heures ou 2 heures ½. Il est certain que si nous continuons ainsi, cette discussion se prolongera indéfiniment.
L’honorable M. Lebeau n’a pas demandé que la chambre siégeât en permanence, il n’a pas demandé qu’on fît ce que faisait le congrès, mais seulement qu’on se réunit en séance publique 4 ou 5 heures par jour.
M. Dumortier, qui a cité l’exemple de
Eh bien, si l’on commence à 10 ou 11 heures pour finir à 4 heures, on aura 5 heures de séance ; est-ce trop ? sera-t-on fatigué ? sera-ce quelque chose d’extraordinaire ? Mais non, nous ferions ce qu’on a toujours fait.
Réduisons donc la question à ses véritables éléments : veut-on un ajournement, qu’on le demande franchement, on discutera cette proposition. L’honorable M. Pirson vient de déclarer qu’il la fera ; eh bien, M. Dumortier doit donc être tranquille : si la majorité de la chambre pense qu’il y a lieu d’ajourner, elle ajournera ; si elle est d’un avis contraire, elle rejettera l’ajournement, et nous ferons ce que nous avons toujours fait en consacrant 4 ou 5 heures par jour à la discussion de la grande question qui nous occupe. Nous devons à nos commettants compte de notre temps, et en ne siégeant que deux heures ou deux heures et demie par jour, nous manquons évidemment à notre mandat.
M. Pollénus – Je crois, messieurs, que l’honorable préopinant a eu tort de dire que la chambre manque à son mandat ; je n’accepte point ce rappel à mes devoirs de la part de l’honorable membre.
Nous ne faisons, messieurs, que demander l’application du règlement, et non pas le maintien d’une exception comme on vient de le dire ; car veuillez le remarquer, l’heure de l’ouverture de nos séances a été fixée par le règlement, et c’est de cette disposition du règlement que nous demandons le maintien.
Veuillez, messieurs, ne pas perdre de vue
la position que la majorité nous a faite à moi et à ceux de mes honorables
collègues qui tâchent de détourner de
Je regrette, messieurs, que dans un débat comme celui-ci, on nous ait adressé le reproche d’avoir des arrière-pensées ; pour ma part, je proteste contre cette insinuation ; je n’ai jamais eu d’arrière-pensée ; lorsque j’ai défendu une opinion, je l’ai toujours fait loyalement ; aujourd’hui, tout ce que nous demandons, c’est de rester dans la règle ; et si des soupçons pouvaient s’élever, ce serait plutôt contre ceux qui veulent dévier de la règle.
- La proposition de M. Lebeau est mise aux voix et adoptée.
M. le ministre de
l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, la nécessité d’accepter
la paix résulte de l’impossibilité où se trouve
Pour apprécier l’avenir, nous devons consulter le passé, nous devons examiner les actes qui dominent notre situation.
En 1832, l’on a enlevé de vive force à
De ces précédents on peut conclure avec
certitude que la déclaration faite par la conférence à notre plénipotentiaire,
le 23 janvier dernier, n’est pas illusoire. Les termes de cette déclaration
sont précis, elle a été notifiée au cabinet de
Il est inutile d’examiner si les
puissances tomberont toutes d’accord sur les moyens d’exécution. La dissidence
qui s’est manifestée en 1832, lorsqu’il s’est agi de contraindre
La position de
Notre position est d’autant plus défavorable encore que les cinq puissances ont, dès le principe de notre révolution, reconnu les droits de la diète germanique sur le Luxembourg, et que la diète peut agir de son propre mouvement, indépendamment de toute délibération de la conférence.
Craindrait-on, pour l’exécution,
l’opposition du cabinet français ou du peuple français ? Mais cette
crainte ne peut être sérieuse, puisque le gouvernement s’est lié
irrévocablement, puisque la nation, par l’organe de ses députés, a décliné
toute chance qui pourrait la conduire à une guerre pour nous conserver
l’intégrité du Limbourg et du Luxembourg. Fonderions-nous des espérances sur la
politique d’un nouveau cabinet ? mais les hommes qui y seraient appelés se
trouveraient liés par les actes de leurs devanciers, par leurs proclamations à
leurs commettants dans les dernières élections. Dans ces circonstances, nous
contesterions en vain les droits de la diète, la force obligatoire du traité du
15 novembre ; nous invoquerions en vain la convention du 21 mai, dont les
puissances signataires proclament l’anéantissement par suite de l’acceptation
faite par
Cette contrainte sera aussi efficace
qu’elle l’a été contre
Ce qui est évident pour tout le monde, c’est que la prolongation de l’état actuel des choses, c’est que la résistance aux mesures coercitives, entraîneraient des sacrifices immenses et la ruine de l’industrie et du commerce.
En effet, les partisans de la résistance
admettent qu’elle doit être armée ; dès lors, est-il au pouvoir de
personne de limiter l’étendue des combats et leurs conséquences ? Et pour
répondre à l’observation d’un ancien et honorable collègue, que
Mais, messieurs, en admettant que notre
nationalité ne soit pas mise en péril, une résistance armée ne nous
exposerait-elle pas à perdre les avantages matériels que nous avons obtenus
dans la dernière négociation ? Ne nous exposerait-elle pas au paiement des
frais de la guerre, et quel serait alors le sort du pays ? les
Limbourgeois et les Luxembourgeois peuvent-ils exiger pour leur satisfaction
que
S’ils aiment encore à se faire illusion sur la situation du pays et sur les conséquences de la résistance pour leurs commettants, il n’en est pas moins de notre devoir d’apprécier sainement les choses et de prendre une décision dictée par la nécessité la plus impérieuse, la plus évidente.
Le congrès qui a voté les 18 articles a été justifié par les événements d’août 1831.
Les chambres qui ont voté les 24 articles
ont été justifiées par le crédit que
Votre vote dans les circonstances graves où nous nous trouvons est justifié de même par la nécessité.
Si la révolution belge,
obligée de rompre non seulement avec une dynastie, mais encore avec
La constitution de l’état
belge n’en sera pas moins l’un des faits les plus extraordinaires de notre
époque. L’étendue du territoire ne constitue pas seule la force d’une
nation ;
M. Pirson monte à la tribune et donne lecture de la proposition suivante :
« Vu les projets de traités adressés au gouvernement, sous la date du 23 janvier dernier ;
« Vu la proposition du gouvernement, tendante à être autorisé à accepter et à signer lesdits traités ;
« Considérant que la question de territoire en ce qui concerne la province de Luxembourg n’a pas été traitée à la conférence après la reprise des négociations et avant la signature de ces derniers actes ;
« Considérant que cette question si importante a besoin de nouveaux éclaircissements et qu’il est nécessaire d’appeler sur eux l’attention des puissances médiatrices,
« La chambre ajourne la discussion sur la question de refus ou d’acceptation des actes de médiation de la conférence jusqu’au moment où le gouvernement, ayant fait de nouvelle démarches, croira devoir la remettre à l’ordre du jour. »
Après cette lecture, M. Pirson s’exprime dans les termes suivants – Messieurs, nous voilà, comme en France, dans une complète anarchie gouvernementale. Je la voyais venir ; je vous ai prévenus en termes énergiques ; mais ma voix a été couverte par celle de quelques hommes qui, pour le malheur des nations, se trouvent partout, des lâches, des égoïstes, des hommes corrompus…
M. le président – Je rappelle à l’orateur que le règlement ne permet pas qu’on se serve d’expressions semblables. Je l’invite à s’en abstenir.
M. Pirson – Ce n’est pas à des membres de la chambre que j’adresse ces reproches ; hors de cette enceinte il y a des lâches et des égoïstes ; il y a de ces hommes partout ; il y en avait même dans les armées de Napoléon, dans celles de la république ; car il est constant qu’au commencement de la révolution française, on a payé des hommes pour crier : « sauve qui peut. » Je continue. Ma voix a été couverte aussi par des hommes de bonne foi qui se laissent aisément fasciner les yeux dont le jugement est faussé par l’habitude qu’ils ont de soutenir avec talent la cause que leur impression première leur a fait adopter.
De qui s’agissait-il en France ? du principe sans lequel point de liberté ni en France ni en Europe ; de la restauration, non d’une branche de la famille ancienne, mais de la restauration de la monarchie pure, autrement dit du despotisme, et c’étaient les partisans de celui-ci, qui se disaient perfidement constitutionnels.
De quoi s’agit-il en Belgique ? de savoir si, en 1839, les rois absolus pourront encore trafiquer des nations comme de vils troupeaux ; en un mot, si la traité des noirs abolie en Afrique sera introduite pour les blancs en Europe par ceux-là même qui ont aboli la première. Là, en France, en termes absolus, on a posé la question de paix ou de guerre ; ici, en Belgique on a posé dans les mêmes termes la question de paix ou de guerre. On voulait des deux côtés faire diversion, on voulait détourner l’attention ; en un mot, on voulait faire peur.
Les électeurs français n’ont point eu peur.
Messieurs, vous n’aurez point peur.
Au fond de la question de
quoi s’agit-il chez nous ? d’obtenir la signature d’un seul homme en
faveur d’un seul homme. Je la veux moi aussi cette signature, je la réclame de
tous mes vœux, parce que ce seul homme est notre point de ralliement à
tous ; mais elle nous coûterait trop cher s’il fallait l’acheter au prix
du sacrifice de 400 mille frères. A côté de la traité des blancs, voudriez-vous
introduire en Europe les sacrifices humains ? cette signature, messieurs,
nous l’obtiendrons avec de la persévérance et du courage ; cette France,
que l’on a tant calomniée ici depuis quelques jours, nous tendra désormais son
bras de fer. Je me trompe lorsque je dis qu’on a calomnié
Au fait ! Un traité
de séparation entre
Quand on a tout expliqué,
on voit que l’Angleterre, si elle nous bloquait, perdrait plus que nous au
blocus. Tous les produits de ses manufactures, ses fers dont elle nous inonde
seraient prohibés chez nous. Nos fabriques, nos hauts-fourneaux auraient
exclusivement tout le marché intérieur, cela serait bien beau pour eux ;
du reste, lord Palmerston a déclaré au parlement anglais qu’il n’était nullement
question de coercition contre nous de la part de l’Angleterre.
Au reste, ce n’est point un refus net du traité que moi je demande. Je ne le considère que comme une proposition à laquelle nous pouvons et devons faire une contre-proposition.
Remarquez, messieurs, que
le ministre des travaux publics, qui a été en position de suivre toutes les
négociations, déclare qu’en France le ministère Laffitte, Bignon le diplomate,
Molé lui-même ; en Angleterre le ministère Palmerston, ne connaissaient
nullement la véritable position du grand-duché de Luxembourg vis-à-vis la
confédération germanique, position qui n’était plus comme l’avait faite le
congrès de Vienne. Cette ignorance était telle que M. Bignon a dit à la tribune
française que nous n’avions pas le droit d’aller conquérir un des états faisant
partie de la confédération germanique, il ne savait pas que le grand-duché
avait été identifié, incorporé avec le royaume des Pays-Bas, qu’il comptait
parmi les provinces méridionales avec nous d’une manière tout à fait
identique ; que les agnats étaient hors de cause, qu’on leur avait fait
une dotation en biens-fonds, situés dans les provinces septentrionales, pour
leur tenir lieu de tous droits sur le grand-duché. Or, ce grand-duché ayant fait
cause commune avec les autres provinces méridionales, il n’y a donc point eu de
conquête de l’une sur l’autre partie ; mais maintenant il serait juste
peut-être que le royaume de Belgique payât à
C’est M. de Mérode qui,
le premier, a publié des explications dans sa lettre à lord Palmerston. M.
Nothomb nous les répète dans son discours : après avoir satisfait
Mais on n’a fait aucune démarche auprès d’elle, on a laissé agir le roi Guillaume à son aise, et, il s’est posé comme étant toujours souverain et maître du Luxembourg, et cependant il n’avait plus rien à y dire ; c’était à nous d’intervenir, nous qui possédions le Luxembourg à titre d’union ancienne et actuelle.
Il est bien avéré
maintenant que la question de territoire
a été décidée par la conférence, sans être instruite le moins du monde
par nos diplomates. Il eût fallu écouter plus favorablement dans le temps ce
que disaient de l’Allemagne Messieurs Lebeau et Devaux ; mais alors toutes
nos sympathies se tournaient vers
Recommençons ou plutôt
commençons l’instruction de notre cause, et faisons appel du mal informé au
mieux informé. Nous en avons le droit, car à quoi servirait l’article 68 de
notre constitution, si nous devions accorder sans examen notre approbation à
tout traité qui nous serait présenté par le gouvernement ? Non, messieurs,
aucune puissance ne peut sans notre consentement détruire légalement, ni selon
le droit international, ni selon le droit public, le fait de notre jouissance
du Luxembourg uni depuis des siècles à
Je vous ai prouvé que nos
affaires avaient été mal dirigées. A la séance de samedi, M. Nothomb, ancien
secrétaire au ministère des affaires étrangères, pour excuser la diplomatie
belge, nous a dit qu’immédiatement avant la signature du traité du 15 novembre,
les arrangements territoriaux avaient été réglés tout à fait à l’insu de notre
envoyé ; cela n’est pas probable : au reste, tout espoir d’amener les
choses à une meilleure fin n’est point perdu, c’est pourquoi je propose de
suspendre notre vote ; mais pour cela, il faut que le triumvirat
ministériel se retire. Il nous faut d’autres hommes ; je ne dirai point
que ceux-ci sont usés, car ils n’ont encore rien fait. De l’aveu du ministère,
aucune note officielle et explicative sur la question du territoire n’a été
remise à la conférence de la part de
M’apercevant bientôt que
nos diplomates avaient tout à fait négligé la question territoriale du
Luxembourg, je formulai un projet de transaction avec la confédération, en vue
de la mettre tout à fait en dehors de
Je fis part verbalement
de ce projet à M. le ministre des affaires étrangères qui me répondit :
Je voulais publier mon projet, mais on me conseilla de l’adresser au Roi. C’est ce que je fis dans le courant de décembre. Voici ce projet, qui était accompagné d’une lettre d’envoi à S.M. :
« Projet sur la question de territoire, adressé au Roi par M. Pirson, représentant.
« Il paraît certain qu’à la conférence de Londres il n’a été aucunement question de modification au traité des 24 articles concernant le territoire ; on ne s’est occupé que de la dette.
« Cependant il est possible, ce me semble, de donner à cette question une solution satisfaisante pour tout le monde, moins peut-être le roi de Hollande personnellement qui ne peut que s’imputer à lui-même les résultats de son accession tardif audit traité.
« Les Limbourgeois et les Luxembourgeois sacrifieront tout plutôt que de retourner sous le joug hollandais. Les Belges, leurs frères, ne peuvent les abandonner sans déshonneur. L’esprit public est tellement prononcé dans tout le pays, qu’on ne peut espérer d’exécuter sans collision le traité des 24 articles, en ce qui concerne le territoire.
« Cependant d’aucun côté on ne désire la guerre : au fait, quel est le point culminant de la question territoriale ?
«
« S’il fallait
absolument, on pourrait céder Venloo et le territoire au-delà et à
« Mais
« Et qu’importe à
Qu’on examine la carte,
on verra que de Luxembourg à la frontière belge vers Trèves, et de Maestricht à
ladite frontière vers Aix-la-Chapelle, il n’y a que quelques lieues. Ainsi,
cette combinaison enlèverait bien peu de territoire à
« Quant aux agnats,
ils sont tout à fait hors de cause, ils ont consenti à ce que le Luxembourg fît
partie intégrante du royaume des Pays-Bas moyennant une indemnité en
biens-fonds. Ces biens sont situés en Hollande ; offrons à
« Si
« Je n’ai point la
prétention de croire qu’on ne puisse imaginer quelque chose de mieux :
toutefois, dans mon système, on peut faire remarquer à
Lorsque j’écrivais au
Roi, je n’avais rien à observer sur la liberté de l’Escaut, puisque je ne
savais point ce qu’allait faire la conférence ; mais aujourd’hui il y
aurait à dire à
Croirait-on maintenant
que le ministère, en offrant, le 15 janvier dernier, 50 millions à
Plus tard, le 4 février,
lorsque déjà le roi Guillaume avait accepté les dernières décisions de la
conférence, on a présenté un autre projet : celui-là, je comprends que
Messieurs, le verre fantasmagorique auquel nos trois ministres vous avaient conviés est brisé : point de guerre possible contre nous, nos ennemis la craignent ; ne la craignons pas, cela suffit. Mais des révolutions, je n’en réponds pas ; cela dépend de la sagesse et de la modération des gouvernements ; qu’ils apprennent donc enfin quelque chose.
Je ne vous ai rien dit de la crise ministérielle ; cependant je ne puis me taire ; à en juger par tout ce que les ministres ont fait pour la résistance, je crois qu’une majorité flottante penchait à la résistance ; deux la voulaient franchement et loyalement. Un seul homme de caractère toujours indécis en tout et partout formait la majorité. Quant aux deux membres qui ne voulaient point de la résistance, ils sont bien connus : l’un tenait à ses antécédents ; selon lui, il y avait jugement, et il avait coopéré à ce premier jugement ; l’autre était tombé dans le marasme des hauts-fourneaux.
M. le président – J’invite l’orateur à s’abstenir de tout insinuation ; le règlement défend formellement des attaques de cette nature.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – De semblables sorties ne font aucun tort aux ministres ; elles ne font tort qu’à ceux qui se les permettent et à la chambre qui les tolère.
M. Pirson – Je ne fais aucune insinuation concernant tel ou tel ministre ; le ministère a invoqué en faveur de ses projets le marasme de l’industrie ; j’explique les causes de ce marasme.
Je dis que les hauts-fourneaux se sont éteints non par la crise politique, mais par l’inintelligence et la foule des imitateurs sous le protectorat de la société de commerce de Bruxelles. Ils se relèveront, mais pour cela il faut des mois et peut-être des années ; la décision de la chambre n’y fera rien ; l’entrée des fers anglais leur fera toujours plus de tort que la guerre même.
Ceux qui se relèveront, ne le pourront que par une grande intelligence et l’économie. Y avait-il intelligence, y avait-il économie lorsqu’à tout prix on voulait des fourneaux et des bâtiments somptueux ; lorsqu’on payait 4 et 5 francs la journée de manœuvre qui, dans une situation normale de l’industrie, ne se payait qu’un franc, un franc et demi au plus ; lorsqu’on payait 25, 30 et 40 francs la cense de mine (à peu près une voiture), tandis que dans une situation normale aussi, elle ne valait que 5, 6 et 7 francs ? C’est au point que les mineurs, les extracteurs de mines gagnaient 20, 30 et 40 francs par jour ; aussi ne buvaient-ils que du champagne. Aujourd’hui le champagne est cuvé et la maison est vide. Ce que je dis des hauts-fourneaux peut s’appliquer aux houillères ; pour elles se sont formées des sociétés nouvelles, dirigées aussi sans intelligence ni économie ; celles-ci ont compromis les sociétés anciennes fondées avec probité. On pourrait même accuser quelqu’une des sociétés nouvelles d’une immoralité qui mériterait peut-être le nom d’escroquerie. Vous verrez, messieurs, ces jours-ci les actionnaires français de ces dernières se réunir aux actionnaires français de la banque de Belgique pour vous demander justice.
Que faisaient nos agriculteurs dans ce temps de fièvre industrielle ? ils étaient dans le marasme, ils ne pouvaient plus trouver un domestique ni un ouvrier ; ceux qui n’avaient point de famille étaient obligés de laisser leurs denrées à terre jusqu’à ce que ceux-ci vinssent les aider tardivement et après avoir réuni leurs récoltes.
Messieurs, en décomposant devant vous le ministère tel qu’il était encore le 1er février, j’ai voulu vous prouver que ce qu’il en reste, quand même il parviendrait à se compléter, est incapable de nous faire sortir de l’ornière dans laquelle il nous a enfoncés. En supposant même que vous votiez pour le traité, il faudrait encore d’autres hommes ; car, ne vous y trompez pas, il y aura beaucoup, beaucoup à faire après l’acceptation.
Au reste, je n’ai pas besoin de m’étendre sur la nécessité d’un changement de ministres. Jusqu’à présent il n’est pas un seul orateur de la chambre, parlant pour ou contre le projet, qui ne les ait blâmés. Leur seul véritable orateur à eux a eu même la franchise d’aller au devant de deux chefs d’accusation ; entendez-vous le mot d’accusation sortir de leur propre bouche ? mais, je me trompe peut-être trop favorablement pour eux, quand j’attribue à la franchise ce qu’ils ne disent peut-être que pour détourner l’attention et amuser le tapis.
N’y aurait-il pas sous le rideau un chef d’accusation grave ? Le revirement subit qui s’est opéré dans le gouvernement, qui, après l’arrivée même des actes de médiation, avait nommé un général polonais, avait laissé partir les envoyés de Prusse et d’Autriche, ce revirement ne proviendrait-il point de l’ordre subit qu’ils auraient reçu d’une puissance étrangère de nous amener bien vite à la nécessité d’accepter les 24 articles, parce que cela entrait dans les moyens de cette puissance pour maintenir dans son intérieur un système qui rencontrait beaucoup d’obstacles ? Aussi voyez comme ils rejettent sur cette puissance tout le blâme, tout l’odieux de la position.
S’il était vrai que nos ministres eussent accepté le vasselage de l’étranger, en sacrifiant l’honneur et les intérêts du pays, ce n’est plus à la retraite qu’il faudrait les condamner !
Voilà, messieurs, ce qui épouvante nos ministres ; ce n’est point la guerre qui leur fait peur : croyez-moi, ils ne se placeraient point à l’avant-garde de l’armée ; mais savez-vous ce qui leur fait peur, c’est la réprobation générale, c’est vous qui leur faites peur, car ils doivent se séparer de leurs portefeuilles.
Je m’étais réservé plus haut des explications sur la véritable peu des ministres, les voilà.
A présent, je me joins de tout cœur et d’âme aux paroles des Beerenbroeck, Scheyven, Doignon, Simons, Angillis, d’Hoffschmidt, d’Huart et surtout de M Dechamps.
Belge ! votre position est belle, sachez en profiter ; n’écoutez pas ceux qui osent vous parler d’avenir, tout en vous proposant d’abandonner vos moyens présents et votre honneur. S’il y a des hommes de bonne foi qui attachent trop de prix à la signature d’un homme, trop de prix sans doute puisqu’elle serait achetée par le sacrifice de 400 mille de nos frères, il y a aussi en dehors des perfidies qui, par la division, veulent vous conduire à l’anéantissement. Des lâches ont crié « sauve qui peut », avant que de nouveaux ennemis parussent ; quelques égoïstes se sont pris de panique ; mais le cœur de la nation est toujours le même, il bat dans toute sa force. Vous n’échangerez point le drapeau de la vie, sur lequel est écrit : « Union et force », contre le drapeau de la mort, sur lequel est écrit : « Hodie mihi, cras tibi. »
Mânes du valeureux Mérode et vous, martyrs de la révolution, éveillez-vous, sortez de vos tombeaux, ralliez tous les Belges prêts à se désunir ; ne permettez pas que le despotisme vienne bientôt détruire les monuments élevés à votre patriotisme et à votre gloire ! …(Ici M. Pirson termine son discours par une phrase qui soulève de nombreuses protestations.)
M. le président – Je rappelle à l’orateur que l’inviolabilité royale est consacrée par la constitution….
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – M. Pirson a manqué au premier principe constitutionnel en mettant la royauté en cause ; je demande qu’il soit rappelé à l’ordre.
Voix nombreuses – Appuyé ! appuyé !
M. Gendebien – Je regrette, messieurs, que, dans une
discussion aussi grave, on se montre aussi pointilleux sur les détails ;
il aurait été beaucoup plus prudent de ne pas s’arrêter à chaque mot pour y
donner une interprétation dangereuse par des interruptions intempestives. Je ne
parle pas ici des dernières paroles qui ont échappé à l’honorable M. Pirson et
auxquelles je n’adhère point, dans la signification que vous seuls leur avez
donnée. Si, dès le principe, on ne s’était pas montré aussi pointilleux, on
n’aurait pas vu dans ces paroles des choses qui n’y étaient point. M. Pirson,
se lançant dans un langage allégorique, invoque les mânes des malheureuses
victimes de la révolution (oui, trop malheureuses victimes, puisque ce sont
maintenant des victimes inutiles) ; il fait en leur nom des vœu pour que
le Roi ait une longue lignée, et en même temps il manifeste des inquiétudes sur
les conséquences qui doivent résulter du démembrement de
Quoi qu’il en soit, messieurs, si l’on donne aux dernières paroles de l’honorable M. Pirson la signification que certains membres ont voulu leur attacher, je n’entends en aucune façon les approuver.
Mais je dis qu’on a eu tort de se montrer aussi susceptible, alors que des précédents pouvaient légitimer ou au moins expliquer ces paroles. Je demande que, donnant moins d’importance à ce qui a été dit dans cette séance, l’on soit plus indulgent et qu’on n’interrompe plus les orateurs ; c’est le seul moyen d’éviter l’excitation et de maintenir le calme et la dignité de la chambre.
M. Lebeau – Messieurs, je ne suis pas du nombre de ceux qui se sont montrés pointilleux, car je n’ai pas entendu le discours de M. Pirson. Ainsi, je n’accepte pas le reproche qui vient d’être articulé par l’honorable préopinant, comme je n’accepte pas non plus le reproche d’imprudence ; je m’en expliquerai ultérieurement dans la discussion. Je ferai voir que si l’on veut apporter une entière bonne foi dans le reproche que l’on m’adresse, il convient de ne pas séparer la phrase qu’on a citée, de tout ce qui la précède et de tous les événements qui l’ont suivie. Je ferai, en ce moment, remarquer cette différence que lorsque le congrès délibérait, la royauté était absente, le peuple seul délibérait ; la constitution n’avait pas encore d’application possible à la royauté. Ce qu’on réclame en ce moment, c’est le respect de cette inviolabilité. La chambre doit la première en donner l’exemple, si elle ne veut pas que le pays l’oublie. Voilà la différence fondamentale qu’il faut signaler, et lorsqu’on reviendra sur d’anciennes discussions, je saurai expliquer les paroles que j’ai proférées, je saurai montrer, s’il le faut, que je ne suis pas le seul qui aie prononcé des paroles que l’événement a démenties.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Messieurs, je consens à passer condamnation sur la première accusation de M. Gendebien, que je crois aller à mon adresse. J’avoue que j’ai cédé à un mouvement d’indignation qu’a excitée en moi la répétition de ces scènes inconvenantes qui se reproduisent trop souvent dans cette chambre, et qui, à mon avis, déconsidèrent et la chambre et le pays lui-même. C’est ce sentiment de profonde indignation, je dirai plus, ce sentiment de mépris que de semblables procédés m’inspirent, qui m’a fait brusquement interrompre l’orateur. Je passe néanmoins condamnation mais j’ai pensé que les paroles prononcées par M. Pirson ne devaient pas passer sans qu’on le relevât.
Je ne reviendrai pas sur la question d’inconstitutionnalité dont on a fait un reproche à M. Piron ; l’honorable M. Lebeau vient d’en faire justice, et j’espère que la chambre en fera justice à son tour, en rappelant M. Pirson à l’ordre.
Je viens maintenant au fait personnel pour lequel j’ai demandé la parole.
Pendant que j’étais hors de la salle, M. Pirson a prononcé mon nom au milieu d’insinuations injurieuses. Ceci est de sa part rien autre chose qu’une insolence anti-parlementaire (réclamations sur quelques bancs) ; oui, messieurs, une insolence anti-parlementaire, et d’autant moins honorable que l’âge de M. Pirson est pour lui une sorte de privilège d’insulter avec impunité. Voilà ce que j’étais bien aisé d’avoir l’occasion de dire : il faut que ceux qui entendent M. Pirson proférer continuellement des injures sachent qu’il est tout à fait un vieillard de qui on peut supporter des choses qu’on ne supporterait pas de la part d’autres personnes. (Très bien !)
Quant à ce que M. Pirson a dit, non pas de moi, puisqu’il a déclaré que ce qu’il disait ne s’adressait pas à moi, mais de ma famille, je suis désolé d’être obligé de me mettre en scène. Mais je déclare ici, et la chose serait facile à vérifier, que la famille nommé par M. Pirson se trouve précisément dans la situation où elle était lorsqu’elle était propriétaire direct de certaines établissements qui sont ensuite devenus des apports dans une société ; que ce qu’elle possédait, elle le possède encore avec plus ou moins de valeur, il n’importe, et qu’elle a été en dehors de toute opération qu’on pourrait appeler agiotage.
M. F. de Mérode – Messieurs, je pense que M. Pirson s’est servi d’expressions qui, dans mon opinion (je lui en demande pardon), lui mériteraient le rappel à l’ordre. Cependant, il est à remarquer que M Pirson est notre doyen d’âge ; M. Pirson est un excellent citoyen, dévoué au Roi et au pays.
Messieurs, dans la question qui occupe la chambre, nous avons un sujet continuellement irritant à discuter, et je me suis déjà suffisamment expliqué sur la tolérance que les diverses opinions doivent avoir mutuellement. Je regrette beaucoup que M. Pirson ne comprenne pas mieux que dans cette affaire chacun des membres de la chambre est dirigé par des sentiments et des motifs qu’il devrait respecter, car enfin la position n’est pas facile. M. Pirson est obligé d’en convenir. Quant à moi, je pense qu’en droit M. Pirson mérite le rappel à l’ordre, mais qu’en fait la chambre pourrait s’abstenir de voter ce rappel à l’ordre.
M. Pirson – Je n’accepte pas l’absolution que
vous voulez me donner. J’ai tort ou je n’ai pas tort ; si j’ai tort,
rappelez-moi à l’ordre. J’ai été menacé d’un rappel à l’ordre aux
états-généraux. Il y a encore ici des membres qui m’ont entendu ; ils
pourront vous dire à quel sujet on voulait me rappeler à l’ordre : ce fut
lorsque j’annonçai à la tribune que si le roi Guillaume ne changeait pas de
système envers
Messieurs, j’accepte toutes les explications que l’honorable M. Gendebien a donnés de mes paroles. S’il y a des doutes sur le véritable sens de la dernière phrase que j’ai prononcée, et que j’ai cru pouvoir sans inconvénients placer dans la bouche des mânes que je faisais comparaître, je consens à la biffer de mon discours, et elle ne sera pas non plus insérée dans le Moniteur. (Très bien !)
M. de Puydt – Messieurs, la question qui se débat ici va décider du sort de deux provinces. Je suis partie intéressée dans cette discussion, en ce sens que je suis représentant d’un district dont on propose la cession. Je viens donc, dans l’intérêt de cette cause, prier ceux qui la défendent avec nous de vouloir bien s’abstenir de toutes paroles blessantes, qui ne peuvent que lui nuire. C’est le calme et la dignité qui doivent présider à cette discussion. (Très bien ! très bien !)
M. le président – Puisque M. Pirson consent à retirer l’expression dont il s’est servi, la chambre ne croira sans doute pas devoir donner suite au rappel à l’ordre.
De toutes parts – Non ! non !
M. Pirson – M. le président, j’ai déposé un amendement ; avez-vous demandé s’il était appuyé ?
M. le président – Non, parce que l’amendement ne se trouvait pas sur le bureau.
M. Pirson – Je vais vous l’envoyer.
M. le président – Voici l’amendement de M. Pirson : il est ainsi conçu :
« Vu le projet de traité adressé au gouvernement, sous la date du 23 janvier dernier, vu le projet de loi du gouvernement, tendant à être autorisé à accepter et à signer ledit traité ; considérant que la question de territoire en ce qui concerne la province de Luxembourg n’a pas été traitée à la conférence après la reprise des négociations et avant la signature de ces derniers actes ; considérant que cette question si importante a besoin de nouveaux éclaircissements et qu’il est nécessaire d’appeler sur eux l’attention des puissances médiatrices, la chambre ajourne la discussion sur la question de refus ou d’acceptation de l’acte émané de la conférence, jusqu’au moment où le gouvernement, faisant une nouvelle demande elle croira devoir la remettre à l’ordre du jour. »
- L’amendement est appuyé.
M. Pirson – Ma proposition n’entraîne pas l’ajournement de la discussion pour le moment ; j’ai annoncé qu’elle ne pouvait pas être discutée maintenant et qu’il était nécessaire qu’on l’examinât préalablement.
M. le président – La parole est à M. de Foere.
M. de Foere – Messieurs, tous les moyens de négocier un traité moins inique et moins humiliant ont-ils été épuisés ? Oui, répond le ministre des affaires étrangères, tout ce qui a été humainement possible a été tenté. Oui, répond le ministre des travaux publics, tout a été essayé. Ces réponses sont positives, cependant le doute est si sage, si judicieux dans les affaires humaines souvent si compliquées par elles-mêmes et si embrouillées à dessein. Le doute revêt même un caractère de haute probité quand il parle des droits et des intérêts d’autrui. Or, ici, ce sont les droits et les intérêts de la nation tout entière sur lesquels ces assertions impérieuses sont prononcées. Mais, dit-on, dans certains cercles politiques, un ministère ne peut pas hésiter ; il ne peut pas douter ; il n’atteindrait pas son but. C’est dire en d’autre termes : toutes les moyens sont bons… Or, messieurs, vous connaissez la réponse que toujours la morale publique et la conscience commune se chargent de donner à cette odieuse maxime politique.
C’est sur vos assertions
empiriques que vous basez la valeur de votre cruel mot « nécessité ».
Que deviennent à mes yeux et vos assertions et la fatale conséquence que vous
en tirez, si vous-mêmes, par vos propres œuvres, vous m’avez prouvé que, loin
d’avoir épuisé tous les moyens de négociation, vous avez complètement négligé
les seuls moyens qui pussent produire quelque résultat ; que vous avez
totalement méconnu le vrai caractère des négociations diplomatiques ; que
vous vous êtes jetés dans le labyrinthe d’une diplomatie minutieuse et
insignifiante qui n’offrait aucune chance de succès ; que vous n’avez su
éviter les pièges que l’on vous tendait de toute part, ni vous tirer de ceux
dans lesquels vous étiez tombés ; que vous n’avez rien compris aux vrais
et presque seuls ressorts qui font mouvoir la diplomatie ; enfin que vous
avez même usé de moyens que les ennemis de
Cette tâche, messieurs, vous paraît difficile ; c’est un titre à votre bienveillance et à votre attention. Avant de juger, je demande d’être entendu. Pour moi, cette tâche est pénible, mais l’intérêt et l’amour de mon pays me l’imposent ; à cette enseigne, je proteste d’avance contre toute autre interprétation.
Posons d’abord des prémisses que vous-mêmes, sans déchirer l’histoire, vous ne nierez pas.
Quels sont les moyens de négociations diplomatiques ? le plus puissant c’est l’attitude menaçante de la force, prête à décider les questions qui n’ont pu être aplanies par voie de négociations ; afin d’augmenter cette force, la diplomatie cherche à contracter des alliances formées avec discernement et fondée sur une vraie conformité d’intérêts. Ensuite une politique prévoyante se réserve des concessions voulues par ses adversaires, pour les échanger contre celles que l’on désire obtenir ; c’est le seul moyen possible de négocier. De plus, la politique choisit bien son temps, c’est celui de sa propre force et de la faiblesse de ses adversaires. Enfin la diplomatie fait manœuvrer la ruse, l’intrigue, l’astuce, les menaces ; elle s’empare de l’opposition des intérêts pour semer sur le sol de la partie adverse la désunion et le découragement.
C’est sous ces diverses formes de pression, dont l’action se fait sentir de toutes parts, que les droits et la dignité des peuples se trouvent engagés ; cependant ils ne le sont qu’en apparence. La question commerciale est au fond de la politique. Elle est l’âme des négociations. Elle est le vrai et presque le seul ressort de la diplomatie. Vous auriez puisé dans l’arsenal de cette question des armes puissantes. Vous les avez complètement négligées. Vous avez fait plus ; vous saviez que tôt ou tard la lutte diplomatique devait commencer et d’avance, dans votre fatale imprévoyance, vous avez déposé ces armes ; vous les avez jetées dans l’arsenal même des ennemis du pays.
Eprouverais-je ici, à
cette tribune, le besoin de vous prouver la tout puissance de la question
commerciale, si, au lieu d’étudier l’histoire pour venir lancer dans la
discussion d’ingénieux rapprochements historiques, d’impuissantes subtilités
d’esprit, vous aviez compris les faits de votre temps ? Tout doute devrait
être dissipé après l’aveu formel que le chef du cabinet français a laissé
tomber, de la tribune de France. Il a déclaré hautement que, dans les affaires
de
La question industrielle et commerciale est tout pour l’Angleterre. Jetons un coup d’œil rapide sur sa politique extérieure et sur sa diplomatie.
En 1804, elle conclut, à
Amiens, une paix avec
Le congrès de Vienne
s’ouvre. Castlereagh pose ou fat poser le principe du statu quo de 1790. La
proposition sourit aux cinq puissances. Elle réintégrait chacune dans les états
que les guerres lui avaient successivement enlevées. La couronne d’Angleterre
recouvre celle du Hanovre. Cette possession ouvre comme autrefois les portes de
l’Allemagne au commerce anglais. Conduit par le même intérêt, lord Castlereagh
pousse la conséquence du principe aux villes hanséatiques. Ces ports libres
devaient ouvrir d’autres voies aux marchandises anglaises destinées à la
consommation de l’Allemagne centrale et orientale. L’ambassadeur anglais
obtient une autre victoire sans combattre. Les autres puissances, moins
Ces deux puissances du
Nord ont l’heureuse pensée de proposer au congrès de régler les droits
maritimes des nations. Le projet était voué au secret et attendait
l’opportunité de l’exécution. Mais l’Angleterre l’avait pénétré. Elle n’avait
d’ailleurs pas oublié les sympathies que, dans d’autres temps, l’empereur
Alexandre avait témoignées pour le système continental. Au milieu de
l’exaspération des esprits, excitée par d’autre causes, la flotte anglaise qui
croise devant l’île d’Elbe, ordinairement si vigilante, sommeille cette
fois-ci. Napoléon pose le pied sur le sol de
Le congrès de Vienne
avait rendu à l’Espagne ses possessions sur le continent de l’Amérique
méridionale. Cette puissance renouvelle à leur égard son ancienne politique
coloniale. C’est au fond la même que l’Angleterre suit envers ses propres
colonies. Cette politique gêne l’industrie, le commerce et la navigation de
Ferdinand VII n’a plus
que quelques mois à vivre. Aucune intrigue n’est épargnée pour lui faire
bouleverser l’ordre de successions au trône. L’équilibre de M. Nothomb est-il
ébranlé ? Non. L’Angleterre avait pénétré la politique de don Carlos. Ce
prince prétendait, avec raison, que son peuple vécût de son propre travail, et
non de celui du peuple anglais. A l’exemple de
Le même drame, dégoûtant d’honneur, est joué dans le même but mercantile sur la scène du Portugal. Don Miguel ne s’était point laissé éblouir, comme son frère, par la protection oppressive de l’Angleterre. Ses défenseurs ont succombé sous les couteaux que les fabriques de Sheffiels ont mis entre les mains d’une population ameutée contre son propre bonheur.
Quel est, messieurs, le
secret de l’animosité que l’Angleterre cherche constamment à entretenir chez
elle et sur le continent contre
Elle oppose aux ballots
anglais un tarif prohibitif. Ses constructions maritimes et son alliance avec
les Etats-Unis et avec
Les puissances du congrès de Vienne ont reconnu depuis leur erreur, et le commerce anglais pleure encore les faciles victoires que Castlereagh a remportées. En attendant la réparation de leur faute, l’Angleterre brave le monde entier. Elle peut s’emparer, quand elle veut, des colonies des états européens toutes les fois qu’ils ne se soumettent pas assez docilement à son sceptre commercial et maritime. Les puissances européennes cherchent à temporiser ; le commerce serait inutilement interrompu. C’est la raison pour laquelle l’Angleterre est la puissance la plus influente dans les congrès et dans les conférences diplomatiques. La prévoyance du roi de Hollande n’est pas en défaut. L’Angleterre convoite les belles colonies qui lui sont restées. Elle regrette de les avoir abandonnées à Vienne. Afin de détourner le coup autant qu’il le peut, le roi Guillaume charge d’avance ses colonies de dettes énormes.
Toute les fois que
Ces faits, qui caractérisent la politique anglaise prouvent que vous auriez dû parler à ses intérêts matériels. La était un premier moyen possible de succès. Dans vos négociations diplomatiques, vous n’aviez pas derrière vous une armée de 300 mille hommes. Bientôt je vous prouverai que vous n’aviez l’appui d’aucune alliance fondée sur une vraie conformité d’intérêts, sans laquelle toute alliance est impossible et n’est qu’une perfidie. Vous auriez dû chercher une force, un appui dans d’autres éléments ; ils étaient dans vos propres ressources.
Dès que vous vous étiez
aperçus que l’Angleterre prenait, sur les points les plus culminants, la
défense de
Comment, messieurs les
ministres, la question commerciale est l’âme de toutes les négociations
diplomatiques ; le projet de traité, lui-même, proclame hautement cette
vérité ; de 1831 à 1836, l’Angleterre a importé en Belgique au-delà de 346
millions de marchandises, et pendant la même période de six années,
Cette majoration de
droits n’eût pas même été de votre part un acte d’hostilité, ce n’était qu’un
acte de parfaite réciprocité, car le tarif belge serait resté en dessous du
tarif anglais qui, envers tous les produits fabriqués de
Mais, direz-vous, vous
auriez perdu l’appui de
Ces vieux gouvernements,
si riches d’expérience et de prévoyance ne suivent pas l’aveugle politique qui
caractérise celle de
Est-ce que l’appui de
l’Angleterre vous a été acquis sur la fin de 1837, lorsque, par son traité de
réciprocité, conclu avec
Si l’honorable ministre
des travaux publics avait porté son esprit d’investigation sur l’histoire de
son temps, et s’il l’avait combinée avec celle des deux siècles antérieurs, il
aurait mieux rattaché les causes à leurs effets. S’il s’était donné la peine de
suivre, pendant quelques années les discussions du parlement anglais, ou la
lecture des Revues de ces discussions, au lieu de se livrer aux illusions du
statu quo, il en aurait compris tout le danger et toute la perfidie. M. Devaux
a compris ce danger ; mais il l’a montré là où il n’était pas, là même où
beaucoup d’esprits sages et pénétrants voyaient une ancre de salut, et où, tout
au moins, on pouvait rencontrer des chances de sauver nos droits. Les affaires
hollando-belges, devant arriver tôt ou tard à leur dénouement, il fallait
préparer le terrain des négociations, et non pas, comme le ministère belge l’a
fait, s’endormir dans une aveugle confiance dans une dangereuse sécurité et
dans une molle inertie. Dès le principe des négociations de 1838, vous avez
trouvé Palmerston inflexible. C’était dans l’ordre naturel de la diplomatie.
Votre devoir était de
devancer le cabinet de
Il y a plus,
messieurs : non seulement, la politique belge ne s’est pas construit
d’avance un arsenal diplomatique pour y puiser des armes dans l’éventualité de
la cessation du statu quo ; elle a encore déposé d’avance les armes
qu’elle tenait en mains pour conduire les négociations à un meilleur résultat.
Le ministère a, sans s’en apercevoir, travaillé contre
L’insuffisance du
ministère ne s’est pas bornée là. Au lieu de majorer les chiffres du tarif,
pour se servir, en cas de besoin, de leur abaissement, comme d’un moyen sûr
d’obtenir dans les négociations un résultat plus avantageux, les ministres sont
venus proposer, en 1837, à la chambre la réduction de ces chiffres. Ce n’est
pas tout. Il ne restait au pays qu’un seul moyen de négociation possible. Ce
moyen-là, il est encore aveuglement sacrifié, et même, à part la question
hollando-belge, c’était le sacrifice des intérêts les plus vitaux du pays. Il
restait encore à
Les traités de
réciprocité compromettaient de plus en plus les intérêts maritimes commerciaux
et coloniaux de
Vous êtes prêts à me dire : vous raisonnez a posteriori. Vous vous emparez des faits accomplis pour les rattacher à leurs causes et vous nous accusez de ne pas les avoir connus.
Messieurs, les faits
parlementaires sont là. Ils sont consignés dans le Moniteur et dans les
archives de la chambre. Nous n’avons cessé de donner au gouvernement des
avertissements sur la tendance dangereuse de sa politique commerciale. Dès
1834, nous nous sommes opposés au but que l’administration d’alors voulait
imprimer au chemin de fer. Ce but était ouvertement déclaré. A la construction
de ce chemin de fer était lié le système de liberté commerciale et maritime. Ce
système a été depuis ouvertement développé. Eh bien, dans la discussion du
projet du chemin de fer, j’ai combattu cette politique commerciale. J’ai même
présenté à la chambre un projet de loi qui avait pour but de lui substituer le
système commercial opposé. Le projet de loi et ses développements sont déposés
dans les bureaux de la chambre. Si ce système commercial avait été suivi, vous
auriez trouvé dans ses exécution des concessions sans lesquelles on ne négocie
pas. Vous avez préféré suivre les instigations d’une fraction de la ville
d’Anvers, presque tout entière étrangère au pays et dont le système commercial,
en présence de
Dans tous les rapports que j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre, je n’ai cessé de vous dire que les traités sont uniquement dans les tarifs, que les seuls moyens de négociation étaient dans la hauteur des chiffres des tarifs, et dans leur abaissement employé comme moyen de concession en échange d’autres concessions.
Vous n’avez pas voulu ou pu comprendre ni votre temps, ni la grave position dans laquelle le pays se trouvait.
Enfin, lorsque dans la session
dernière, vous êtes venus révéler à la chambre (erratum, Moniteur du 13 mars
1839 : ) vos négociations commerciales, tendantes à conclure avec les
puissances maritimes des traités de réciprocité, j’ai vu dès lors que la ruine
commerciale du pays était consommée. Le traité anglo-hollandais de 1837 aurait
dû paraître à vos yeux un événement immense, un fait qui devait détruire
d’avance toutes nos espérances ; votre esprit politique a été frappé de
stérilité.
Je dirai, à mon
tour : « j’ai tout essayé ; tout a échoué. » Dans la séance
précédente, celle du 13 mars, vous n’avez pas même voulu que le pays, par sa
représentation, vous éclairât sur la question. Vous avez étouffé la discussion.
Le pays subit maintenant les malheureuses conséquences de votre déplorable
aveuglement. Ici, messieurs, j’éprouve le besoin d’être juste envers tous. Un
orateur vous a dit qu’ « il déplorait les erreurs qui ont été
commises à l’extérieur comme à l’intérieur » ; selon lui, non
seulement le discours du trône, mais la négociation, mais la politique qu’on a
suivie sont des fautes. » Il a cherché à justifier le ministre des travaux
publics, et à faire peser ces erreurs et ces fautes sur ses collègues. Eh bien,
messieurs, vous savez tous à quelle opinion commerciale, représentée par
l’Indépendant, l’honorable député de Bruges appartient dans cette chambre. Vous
savez que lui et ses amis politiques ont constamment poussé le ministère et la
chambre dans la voie de liberté commerciale et maritime. Ce système, en
compromettant l’existence même de
Le ministère ne voit pas
encore que les intérêts commerciaux de
Vous n’avez pas compris la toute-puissance de la question commerciale qui vous offrait des moyens si efficaces de négociation. Vous l’avez complètement négligée. Avez-vous mieux compris le système des alliances ? Voyons.
A Londres, vous n’aviez
pas derrière vous une nation de 30 millions d’âmes. Dans votre faiblesse, vous
deviez chercher un appui dans les alliances (erratum, Moniteur du 13 mars 1839 : ) c’était une nécessité.
Votre choix a-t-il été fait avec discernement ? l’alliance de l’Angleterre
et de
Chaque état n’a-t-il pas l’instinct de sa propre conservation ? Est-il naturel que les nation se donnent à elles-mêmes des blessures profondes, ou transportent bénévolement leurs intérêts sur d’autres pays ?
Mais vous avez fondé
votre espoir sur des alliances dynastiques et sur l’affinité libérale de
principes de politique intérieure. Les faits les plus patents ne vous ont donc
rien appris ! Les rois et les reines en Angleterre sont de vains
simulacres. Ils n’ont pas même le pouvoir d’exercer librement le droit de leurs
prérogatives constitutionnelles. Le ministère, appuyé sur la majorité du
parlement, est tout dans ce pays ; et un ministère quelconque, soit tory,
soit whig, est impossible, si sa politique extérieure ne tend pas constamment
vers l’accroissement de sa puissance industrielle, commerciale et navale.
Demandez au cabinet anglais une alliance fondée sur l’affinité de principes
libéraux, vous recevrez pour toute réponse un rire sardonique de pitié. Quant à
En hommes du moment vous
ne voyez pas que l’avenir soit tout pour les nations. Je vous fera la
concession gratuite que le statu quo a été onéreux pour
Mais, dites-vous, dans
notre pensée, les stipulations du statu quo, onéreuses qu’elles étaient pour
Vous prouvez vous-mêmes
que vous n’avez su rien pénétrer au milieu de la lumière qui dissipait toutes
les ténèbres. Le ministre des affaires étrangères proposa à la conférence une
longue trêve, comme si
Vous vous êtes reposés
sur les affinités dynastiques et libérales de
Il y a, en France, un opinion généreuse ; sa grandeur d’âme se dessine ouvertement dans la chambre des députés. Cette opinion vous la calomniez ; vous lui prêtez des intentions machiavéliques et conquérantes. C’est pourtant cette opinion qui ne croit pas que le bonheur et la dignité des peuples soient dans quelques balles de café ou dans quelques canastres de sucre plus ou moins.
Je vous ferai la
concession gratuite que la diplomatie du cabinet français n’était pas dans ses
intérêt matériels. Je supposerai que
En prenant envers vous
les formes hypocrites de la protection,
Ces faits, que vous ne
contesterez pas, auraient dû vous faire observer
Si vous aviez porté vos
études historiques sur le véritable terrain de la lutte, vous auriez compris
que la position industrielle de l’Angleterre et de
Elles comprennent trop
bien l’incomparable position commerciale d’Anvers. Elles savent que ce port,
rendu à la liberté, ne tarderait pas de reprendre la splendeur qu’elles lui ont
enlevée en 1648. L’Angleterre, dans ses aveux officiels, dans ses actes
parlementaires, désigne le port d’Anvers comme un des plus grands marchés du
monde, si les barrières de sa politique n’en obstruaient pas constamment les
avenues. Le haut commerce du Havre et de Dunkerque a la même conviction. Et
c’est dans vos plus cruels ennemis, dans l’Angleterre et
Quels ont été les autres
fruits amers que le fatal choix exclusif de vos deux appuis ont porté pour
Toutes les puissances du
Nord, y compris l’Autriche, élèvent contre les prohibitions de l’Angleterre et
de
Dans des congrès postérieurs à celui de Vienne, afin de soustraire tous les peuples au joug britannique et d’assure autant que possible la paix à l’Europe, les puissances du Nord ont posé le principe de la non-intervention étrangère dans les affaires et les lois commerciales de chaque pays. L’Angleterre a été forcée de reconnaître la justice du principe. Il est posé sans possibilité de réplique.
Vous étiez donc libres,
comme vous l’êtes encore, d’établir tel système commercial que les vrais intérêts
du pays vous auraient dicté. Si l’Angleterre ou
Par votre déplorable système d’alliances vous avez attiré sur le pays toute la pression des puissances du Nord et repoussé toute possibilité de sympathie.
Mais, dites-vous, ces
puissances sont absolutistes ; elles en veulent à nos institutions
libérales. Vous ont-elles permis ou non de discuter et d’établir au milieu de
votre faiblesse, la constitution la plus libérale du continent ? Quelles
entraves ont-elles apportées jusqu’à présent à nos institutions ? Je
demande des faits et non des paroles. N’ont-elles pas respecté le principe de
non-intervention dans les affaires intérieures du pays ? n’ont-elles pas
poussé ce principe jusqu’à protéger d’avance contre les violences commerciales
de l’Angleterre et de
Un autre résultat
malheureux de votre politique maladroite, c’est d’avoir resserré de toutes
parts, et sans possibilité d’issue, le pays entre des frontières prohibitives,
frontières que, dans leur intérêt, vos deux perfides alliés ne vous offrent pas
eux-mêmes. L’Angleterre ne veut de nous que des produits bruts dont elle
éprouve le besoin le plus impérieux.
En outre,
Vous n’avez pas trouvé des moyens de négociation ni dans vos propres ressources commerciales, ni dans un bon système d’alliance fondés sur une vraie conformité d’intérêts. Avez-vous saisi les moyens que le cours des négociations même vous offrait ? Là aussi votre diplomatie s’est fourvoyée dans une politique qui relève votre déplorable insuffisance.
Il est évident que la conférence vous a amusés par des formes extérieures de négociation. Son but était de nous présenter un traité négocié et d’en amener l’acceptation par tous les moyens de déception et de violence morale capables d’influencer les esprits timides et les caractères circonstanciels. La conférence a senti elle-même que le traité était trop inique, trop odieux ; elle n’a pas osé l’imposer, encore moins l’exécuter par la force brutale. Elle comprend à cet égard sa position. Elle demande que vous-mêmes vous reconnaissiez la souveraineté étrangère de l’Escaut, souveraineté que jamais la nation belge, à aucune époque de son histoire, n’a reconnue et n’a voulu reconnaître. Elle exige que vous-mêmes vous partagiez votre population par un contrat, partage devant lequel la conférence elle-même recule d’effroi. Vous êtes tombés dans le piège. Vous auriez dû éviter, à tout prix, un résultat de négociation si odieux par lequel la nation est amenée elle-même à souscrire à la renonciation de ses droits et au sacrifice de sa population.
Le cours des négociations vous a offert tant d’occasions, tant de justes motifs de les rompre, et vous ne les avez pas saisis. En les rompant, vous auriez abandonné l’œuvre inique à la conférence et la nation ne se trouverait pas entre les deux termes d’un dilemme épouvantable dont l’un est certain, c’est son déshonneur, sons avilissement, sa flétrissure qu’elle doit prononcer elle-même ; l’autre, qui est incertain, ce sont les conséquences désastreuses du refus de la nation, conséquences que vous tirez de prémisses que vous ne prouvez pas, que même vous ne pouvez prouver, et par lesquelles néanmoins vous intimidez la nation et jetez la terreur dans les esprits.
Je conçois que le pays, dans le sens le plus rigoureux du terme, ne pouvait se constituer diplomatiquement par lui-même. Je partage à cet égard l’opinion de M. Nothomb. Mais lorsque, bien loin de présenter le caractère de négociations, elles n’étaient plus qu’un enchaînement de déceptions, de violences, de perfidies, lorsque d’humiliations en humiliations elles traînaient le pays sur le bord de l’abîme, qui se présente maintenant devant ses yeux épouvantés, était-il d’une saine politique de les continuer ?
Vous-mêmes vous avez eu un jour la sage pensée de refuser à la conférence le droit d’arbitrage. En effet , elle était juge et partie dans votre cause. Vous n’avez cessé de sentir toute la pression de cette position, et vous n’avez pas eu le courage de vous y soustraire.
Vos adversaires vous ont
serré continuellement sur le terrain du congrès de Vienne, et lorsque vous
pouvez sauver la liberté de l’Escaut, dont, par le congrès de Vienne,
Afin de prouver que le
traité de 1831 n’a pas perdu sa valeur, la conférence vous a dit qu’elle n’a
cessé de remplir les engagements qu’elle avait pris dans le but de forcer
Vous demandez à la conférence les bases sur lesquelles la majoration du chiffre de votre commission financière est fondée. Vous éprouvez un refus formel, une nouvelle insulte est faite à la négociation, et vous la subissez. Le débiteur faible est livré aux exigences arbitraires du créancier puissant, et vous persistez dans une négociation qui ne présente, sur tous les points culminants, que le caractère de la violence.
Si vous n’acceptez ni
l’un ni l’autre traité, la conférence vous dépouille de tout titre d’existence
nationale. Elle vous relance au-delà de tous les protocoles. Il était de la
dignité du pays de mépriser l’ignoble menace et d’accepter cette position. Elle
était aussi digne que celle dans laquelle vous avez entraîné le pays est
humiliante.
Comment, messieurs les
ministres, une existence nationale légitimement acquise par le droit sacré de
postliminie, une possession paisible de huit ans, l’impossibilité d’un partage
comme celui de
Eh bien ! messieurs les ministres, je vous le demande avec un profond sentiment de douleur, est-ce ainsi que vous couvrez la dignité du trône ? ainsi que vous représentez au dehors la nation ? ainsi que vous repoussez l’insulte faite à l’une et à l’autre ? l’existence d’une nation est-elle possible quand vous permettez qu’on lui imprime de semblables flétrissures ? que ne demandiez-vous à la conférence ses propres titres ? En avait-elle d’autres que l’abus de la force qui, dans son sens, l’autorisait à fouler ainsi la dignité du Roi et de la nation ? Si en vous retirant simplement de la conférence, vous aviez repoussé l’insulte, la force morale de la cause nationale état doublée. Mais vous avez fait passer le pays par toutes les humiliations ; vous n’avez osé montrer aucune courage, exhiber aucun titre ; je me trompe vous en avez produit un, et celui-là, afin de ne pas humilier plus profondément la nation dans ses représentants au dehors et dans les agents du pouvoir exécutif au-dedans, je ne le définirai pas ; je passerai sur ce courage, sur ce titre, le silence qui m’impose le sentiment de l’honneur national.
Si, à chaque violence qui
a été faite à la négociation, vous l’aviez rompue, et si à chaque rupture vous
aviez, à l’exemple de
L’illustre O’connell sauve l’Irlande de l’oppression sous laquelle elle gémit depuis des siècles. Triomphe-t-il en (erratum, Moniteur du 13 mars 1839 : ) ménageant les oppresseurs de sa malheureuse patrie ? Non, ce n’est pas même par ses prodigieux talents parlementaires. C’est par son vertueux courage. Il fait entendre la voix puissante de la justice, dans le parlement et au-dehors du parlement. Cette voix fait trembler le parti qui vit de spoliation et d’oppression.
Sous ce rapport, l’appui de la nation anglaise, malgré les intérêts du parti mercantile, vous était infailliblement acquis. Le partage, par la coopération du cabinet anglais, whig ou tory, est impossible. Les dernières réponses évasives de lord Palmerston et de (erratum, Moniteur du 13 mars 1839 : ) John Russel vous en donnent l’assurance. Le partage des peuples est pour le parti whig ou tory un moyen sûr de renverser son adversaire. Le Revue d’Edimbourg demande à la nation anglaise comment elle recevrait le sacrifice d’une partie de la politique d’Essex ou de Kent, exigée par la violence étrangère. Cette seule proposition réveille tous les sentiments honorables de l’Angleterre et protège de ses sympathies les peuples que la violence veut démembrer. Lord Castlereagh a été l’ambassadeur de l’Angleterre au congrès de Vienne. Il a assisté au partage des peuples. Il est poursuivi à outrance par l’opinion publique de son pays. Vous connaissez sa fin tragique. Castlereagh s’était longtemps et vainement armé de la supériorité de son caractère. Il se plaçait, disait-il, au-dessus de l’opinion publique. Il est tombé victime de cette opinion.
Si vous avez le malheur d’accepter le traité, d’exécuter par vos votes le partage que l’on vous demande et de repousser vos compatriotes, la réponse de lord Palmerston est toute prête. Il n’aura pas, lui, ordonné l’infamie du traité ; c’était une proposition des puissances, un traité à accepter. Ce traité aura été librement discuté et voté. Le partage aura été consacré par le libre assentiment de la législature belge.
Les autres puissances ne
reculent pas moins devant l’horreur d’un partage violemment opéré. Déjà les
partages de
M. Nothomb a fondé cette morale sur la nécessité.
« La morale du parti qu’on vous propose est, a-t-il dit, dans la nécessité. » Messieurs, cette base de la morale est la destruction de toute morale. C’est le principe que tous les crimes politiques ont invoqué. Qui fixera la nature et les limites des nécessités devant lesquelles la morale doit fléchir ? cette dangereuse doctrine a été radicalement détruite par tous les publicistes allemands. Il n’y a plus aucun parti qui ose l’appeler à son secours. C’est la doctrine des (erratum, Moniteur du 13 mars 1839 : ) coups d’état que l’on base sur la nécessité. C’est la maxime de toutes les tyrannies, de tous les crimes politiques. C’est la consécration (erratum, Moniteur du 13 mars 1839 : ) de ces deux odieux principes : « Ce que la politique conseille, la justice l’autorise ; la suprême loi, c’est l’intérêt général ».
La suprême loi, messieurs, c’est la justice. Cette (erratum, Moniteur du 13 mars 1839 : ) maxime a été démontrée à toute évidence par tous les publicistes dont le matérialisme le plus brutal n’avait pas dénaturé la conscience. C’est là la maxime protectrice des peuples faibles comme des individus. C’est elle qui les protège contre les attentats de la force. Si la justice n’est pas inflexible devant toutes les nécessité, elle n’existe pas. Bonaparte croit qu’il est nécessaire de fonder sa dynastie. Il voit sur les bords du Rhin un jeune prince brillant de talent et d’avenir. Il menace sa dynastie. La nécessité de la fonder lui conseille l’assassinat du duc d’Enghien. Conduit par les mêmes intérêts dynastiques, il veut que sa dynastie soit assise sur le trône d’Espagne, il dépossède par la violence Ferdinand VII ; il lui substitue un frère et livre l’Espagne aux horreurs d’une guerre de spoliation et d’atrocité. Telles sont les conséquences de la doctrine qui fonde la morale sur la nécessité.
L’importante question qui nous occupe est dans ce seul principe : Vous ne pouvez pas disposer du bien d’autrui pour acheter votre propre bien-être. Or, c’est que vous nous proposez. Le rapport de la section centrale, les discours des ministres, les discours de tous les acceptants nous disent : repoussez les populations luxembourgeoises et limbourgeoises, c’est à ce prix que votre nationalité vous est acquise, à ce prix que vous éviterez la guerre, à ce prix que vous ferez cesser la crise industrielle. C’est vendre évidemment un bien qui ne vous appartient pas pour acheter votre propre bien-être. Ce bien, ce sont vos frères, ce sont les membres d’une longue communauté auxquels vous voulez faire subir une liquidation inique, auxquels vous voulez imposer par la violence de vos votes tout le passif, et vous réserver l’actif de la communauté. Je le concevrais si ces parties du Limbourg et du Luxembourg, ou les députés qui les représentent renonçaient à leurs droits ; s’ils vous disaient : Nous ne voulons pas que vous subissiez des malheurs ; nous nous retirons de la communauté.
Messieurs, quel que soit
le fatal progrès que la négociation ait faite, j’ai la persuasion qu’il est
encore possible de sauver nos frères. Un refus prononcé à l’unanimité ou à la
presque unanimité serait un fait immense. Un appel à la justice publique, fait
avec dignité en serait un autre. En tout cas, nous pourrions attendre la violence
et nous soumettre à la force. La violence brutale n’est pas un contrat, un
assentiment. La probité et l’honneur de
- La séance est levée à cinq heures et un quart.