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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 19 février 1839

(Moniteur belge du 5 février 1839, n°36. Partie non officielle. On peut y lire ce qui suit :

« Comme nous l’annoncions dans la partie officielle, les démissions de Messieurs Ernst et d’Huart, adressées au roi le 31 janvier, ont été acceptées. Depuis lors, ils ont cessé de prendre part au conseil des ministres.

« La retraite définitivement arrêtée de deux membres du cabinet, joint à l’état encore incomplet de la négociation, justifie l’ajournement des chambres.

« L’ajournement des chambres au 4 mars prochain n’implique nullement qu’elles ne puissent être convoquées par le gouvernement avant cette époque, pour recevoir communication de la résolution qu’il est appelé à prendre sur la grave question politique qui préoccupe le pays ; le gouvernement ne voudra en aucun cas prolonger l’état d’incertitude au-delà de l’époque où il pourra faire le cesser sans compromettre les intérêts du pays. »

(Moniteur belge du 20 février 1839, n°51)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven procède à l’appel nominal à 2 heures.

M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven communique à la chambre l’analyse des pièces suivantes qui lui sont adressées :

« Le sieur Flamant, né Français et habitant la Belgique depuis 1832, demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur J.-B. Vadier, né Français, habitant la Belgique depuis 1812, demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Hendrickx demande que la chambre prenne des mesures propres à éviter la guerre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les habitants de Namur demandent que la chambre persiste dans la résistance contre l’exécution du traité des 24 articles. »


« Des habitants notables de Charleroy réclament contre le morcellement du territoire. »


« Les officiers des quatre compagnies du 1er ban de la garde civique de Liége déclarent protester contre le morcellement du Limbourg et du Luxembourg. »


« Le sieur E.-J. Leroy, à St-Josse-ten-Noode, renouvelle sa demande que la chambre ordonne la restitution d’une somme de 27,468 francs 54 centimes, enlevée en 1794 de la dépositairerie générale à Mons pour être employée à la défense du pays. »


« Le conseil communal de la ville de Huy demande le maintien de l’intégrité du territoire. »


Toutes ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.


M. Lardinois s’excuse de ne pouvoir assister à la séance de ce jour à cause de la perte qu’il vient de faire de son fils.

M. Trentesaux s’excuse de ne pouvoir se rendre à la chambre pour cause de santé.

Présentation des négociations diplomatiques autour du traité des XXIV articles

Communication du gouvernement

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) demande la parole et s’exprime ainsi – Messieurs, mon rapport du 1er février vous a exposé la marche et les actes des négociations ouvertes à Londres,sur la question hollando-belge. Les espérances que l’on pouvait conserver dans le succès de nouveaux efforts pour obtenir d’autres résultats sur la question des territoires étaient faibles sans doute ; toutefois, elles n’étaient point dénuées de quelque fondement, alors qu’on ignorait si le cabinet de La Haye donnerait son adhésion pure et simple aux propositions du 23 janvier. Le gouvernement crut donc devoir soumettre à la conférence une dernière proposition.

Le 1er février, notre ministre à Londres fut chargé de remettre une note à cette haute assemblée ; cette note fut présente le 4 (Annexe A dans ce Moniteur). Le même jour, le plénipotentiaire néerlandais fit connaître que son souverain adhérait aux propositions du 23 janvier (Annexe B.)

La conférence informa de ce fait notre plénipotentiaire, en se référant à la teneur de la communication qu’elle lui avait adressée le 23 janvier (Annexe C).

Par une autre note, les plénipotentiaires des puissances déclarèrent que l’adhésion du cabinet de La Haye les avait mis dans le cas de regarder la négociation comme étant parvenue à sa conclusion à l’égard du roi des Pays-Bas ; qu’ils ne sauraient, en conséquence, rentrer en discussion sur aucune proposition nouvelle, et qu’ils ne pouvaient, en aucun cas, considérer comme admissible, d’après les vues de leurs cours, le projet d’arrangement produit par le gouvernement belge. Ils exprimaient en même temps l’espoir que ce gouvernement, convaincu des principes de justice et d’équité sur lesquels reposent les projets de traité qui lui ont été transmis, convaincu également de l’urgence d’une prompte conclusion de l’arrangement définitif entre la Belgique et le royaume des Pays-Bas, donnerait son assentiment auxdites propositions (Annexe D).

Le gouvernement du roi a cru devoir, en outre, s’assurer des chances, qui pourraient exister, d’obtenir des modifications aux dispositions concernant les intérêts matériels. Il a reçu à cet égard la communication suivante :

« A M. le chevalier G.H. Seymour

« Foreign Office 8 février 1839

« Monsieur,

En réponse à votre dépêche n°23 du 6 courant, par laquelle vous rendez compte de ce qui s’est passé dans les entrevues que vous avez eues avec les ministres belges, le 5 et le 6 de ce mois, je dois vous charger de déclarer au gouvernement belge qu’à présent il est tout-à-fait impossible de faire aucun changement aux stipulations qui ont été proposées aux deux parties, et que l’une d’elles a déjà acceptées. Le gouvernement belge doit comprendre sa position : il est lié par le traité de 1831, et les cinq puissances ont le droit d’exiger de la Belgique l’accomplissement littéral et complet des engagements que la Belgique a contractés par ce traité. Une négociation a cependant continué pendant les dix derniers mois, dans le but de modifier en faveur de la Belgique quelques-uns des articles de ce traité, et le nouveau projet de traité qui a été proposé par la conférence aux deux parties contient beaucoup de modifications d’une nature très importante.

« Le gouvernement hollandais a déjà consenti à ce projet, quoique avec répugnance ; mais aucune concession ultérieure d’aucune sorte ne pourrait maintenant être proposée par la conférence au gouvernement hollandais, ou ne serait consentie de la part de ce gouvernement.

« Les Belges ont donc à choisir maintenant entre le traité de 1831, auquel ils sont actuellement liés, et le traité modifié qui a été proposé à leur acceptation ; et comme le traité modifié est de beaucoup plus avantageux à la Belgique que celui de 1831, le gouvernement de S.M. ne peut douter de la décision du gouvernement de la Belgique.

« Par rapport aux points particuliers signalés par le ministre belge, je dois vous charger de faire observer que le droit actuellement proposé sur l’Escaut est beaucoup plus bas que celui stipulé par le traité de 1831, et est en réalité le montant précis du droit qui a été proposé et réclamé par les Belges eux-mêmes dans les négociations de 1833, et que, à cette époque, les marchands d’Anvers déclaraient être satisfaits pour eux ; et, quant à l’opinion du ministre belge, que, si la question territoriale était arrangée par la retraite des Belges des districts qui ne leur appartiennent pas, les cinq puissances ne seraient pas à même d’employer la coercition pour amener la Belgique à payer la dette à la Hollande, vous l’assurerez que si le gouvernement belge agissait dans une pareille supposition, il se trouverait sérieusement abusé.

« Vous communiquerez à M. de Theux copie officielle de cette dépêche.

« Signe Palmerson. »

Les plénipotentiaires réunis en conférence adressèrent, sous la date du 1er février, une note aux ministres de Belgique et de Hollande, dans laquelle ils signalent le danger du rapprochement des troupes des deux pays vers l’extrême frontière. Ils témoignent la confiance que ces ministres leur feront connaître les ordres que leurs gouvernements respectifs auront donnés pour faire retirer les troupes, de manière qu’il n’y ait plus lieu à l’appréhension d’une rencontre ou au soupçon d’un dessein hostile.

M. Van de Weyer fut chargé de déclarer que le mouvement des troupes belges vers la frontière du nord avait été un résultat naturel et inévitable des mouvements de l’armée hollandaise.

Cette note de la conférence semble être la conséquence de la résolution par laquelle elle s’est réservée d’aviser elle-même aux moyens de donner suite aux titres que l’une ou l’autre des parties aurait acquis par son adhésion aux protestations du 23 janvier.

En présence de ces faits, le gouvernement a acquis la conviction qu’il ne peut, sans compromettre les intérêts les plus essentiels du pays, se dispenser de demander aux chambres l’autorisation de souscrire aux proposition du 23 janvier, dans lesquelles sont reproduites les clauses du traité du 15 novembre relatives à la délimitation territoriale.

Le gouvernement déplore vivement que ses efforts, sur ce point capital de la négociation, soient restés sans succès. Si quelque considération peut adoucir l’amertume de ses regrets, c’est la certitude qu’il a de n’avoir négligé aucun moyen pour le triomphe d’une cause, dans laquelle on lui opposait les titres écrits de la diète germanique et les stipulations imposées à la Belgique en novembre 1831 et où il invoquait, de son côté, la longue suspensions d’exécution de ces stipulations et de cette ancienne communauté d’existence et d’intérêts qu’avait cimentée un même régime politique et administratif ; c’est la conviction que les ressources du pays, quelques grands que soient le patriotisme de ses habitants et le dévouement de son armée, seraient sacrifiées, désormais, sans aucune utilité, ou ne pourraient être mise en usage qu’au risque de compromettre notre nationalité elle-même.

Avant de s’arrêter à la proposition qu’il vous soumet, le gouvernement a mûrement examiné la situation de la Belgique à l’extérieur et à l’intérieur. Toute tentative nouvelle de négociation étant inutile, il ne lui resterait qu’à se mettre en opposition ouverte avec les cinq grandes puissances, qui viennent de se lier de nouveau par des actes formels. Le retour au statu quo paisible et, en quelque sorte, désarmé, est devenu impossible. Les armements préparés en Hollande et en Allemagne exigent, non seulement le maintien des nôtres, mais ils nous imposeraient bientôt de nouveaux développements de force. De là résulteraient, d’une part, la progression des dépenses publiques, et, d’autre part, l’extension rapide de la crise financière et industrielle, qui a commencé à se manifester au mois de décembre dernier, et dont les effets se font déjà sentir d’une manière si fâcheuse. Sans doute s’il nous était donné d’assigner un terme prochain à un état de choses si nuisible à la prospérité de la Belgique et à ses finances, le gouvernement pourrait compter sur le patriotisme de la nation. Mais, en position d’apprécier avec certitude la situation du pays vis-à-vis de l’étranger, il est obligé de l’éclairer et de lui apprendre que toute espérance dans une modification de la politique des grandes puissances serait chimérique. La diète germanique n’abandonnera point ses prétentions fondés sur les actes du congrès de Vienne. Nous avons même des raisons de croire que, assurée de l’adhésion de la conférence, elle prêterait main forte aux réclamations que le roi grand-duc pourrait lui adresser, à l’effet d’être rétabli dans l’exercice des droits qui ont été reconnu à son profit.

D’après nos informations, des mesures sont déjà concertées en ce sens. Cela étant, la résistance que les troupes belges seraient dans le cas d’opposer aux troupes de la confédération n’aurait de chance d’être efficace qu’à la condition qu’on imprimât à la guerre un caractère irrégulier ; et cette résistance deviendrait peut-être le signal d’une conflagration européenne, si la Belgique venait à être menacée dans son existence.

Vous conviendrez avec nous, Messieurs, que, lorsqu’il s’agit de s’engager dans une voie qui peut conduire à des conséquences aussi graves, on ne peut se dispenser de tenir compte des actes qui règlent les rapports entre nations, en même temps que des grands intérêts sociaux.

Il est profondément douloureux de voir rompre aujourd’hui, dans l’intérêt de la confédération germanique, intérêt de principe plutôt que de fait, une union qui, sauf les droits militaires de cette confédération, avait été maintenue, de la manière la plus complète, nonobstant l’érection du Luxembourg en état fédéral ; mais nous ne pouvons méconnaître que la diète a invoqué ses statuts et les actes du congrès de Vienne, et qu’elle s’y est vue encouragée par l’assentiment formel des cinq grandes puissances, y compris celles qui semblaient avoir le plus intérêts à constituer l’état belge dans les limites qu’il réclamait. Il ne nous est pas, non plus, permis de perdre entièrement de vue les engagements contractés en 1831 et reconnus en 1833 quand celles des puissances qui les avaient ratifiés sans réserve et qui nous ont accordé un appui sérieux, soit pour l’exécution partielle du traité, soit pour garantir le statu quo aux termes de la convention du 21 mai, acceptée par nous, demandent le maintien de ces engagements, dont la déchéance n’a jamais été proclamée.

Assurément, Messieurs, nous avons eu à faire valoir les considérations les plus puissantes contre l’exécution actuelle de stipulations remontant à une époque déjà loin de nous, contre la rupture des liens naturels qui subsistaient depuis des siècles.

Nous avions de justes motifs de compter qu’à l’aide de ces mêmes puissances, nous pourrions obtenir, moyennant compensation, un arrangement territorial conforme aux règles d’une saine politique, à l’aide duquel on aurait prévenu de légitimes sujets de mécontentement, qui seront aujourd’hui déposés dans le cœur des populations. Mais il n’en a point été ainsi. Tous nos efforts sont venus se briser contre la lettre des actes diplomatiques, à défaut d’un appui suffisant.

Dans ces circonstances, nous ne devons pas nous dissimuler les conséquences d’une guerre générale ou partielle ; elles pourraient devenir d’autant plus désastreuses pour la Belgique que des hostilités de notre part, ne seraient justifiées aux yeux d’aucune des puissances.

Il ne faut pas, messieurs, se faire illusion sur la situation actuelle. Soit que l’on considère le refus d’accepter le traité comme devant amener des hostilités plus ou moins prochaines, soit qu’on le considère comme devant seulement perpétuer nos embarras intérieurs sans nous laisser l’espoir de conserver, en définitive, les populations du Limbourg et du Luxembourg, il ne peut être douteux qu’une semblable solution ne serait contraire aux véritables intérêts du pays, et particulièrement à ceux de ces provinces.

Le gouvernement ne peut admettre un projet conçu par quelques-uns de nos concitoyens, dont il ne méconnaît point, du reste, le patriotisme, projet qui tendrait à refuser l’assentiment au traité, et à restreindre la résistance à la défense de Venloo. En nous engageant à suivre ainsi l’exemple donné les Hollandais en 1832, fait que peut d’ailleurs être diversement apprécié, on oublie que leur armée n’aurait pu porter secours à la citadelle d’Anvers qu’à la condition de pénétrer sur le territoire de la Belgique, et que, dès lors, elle pouvait abandonner la garnison à ses propres forces.

Le gouvernement ne manquerait-il point à des devoirs d’humanité en livrant le Limbourg et le Luxembourg à une invasion armée, plutôt que de stipuler les garanties destinées à mettre les personnes et les propriétés à l’abri de toute vexation ?

Serait-il d’ailleurs d’une politique sage de placer celles des grandes puissances qui ont souvent fourni à la Belgique un appui bienveillant, dans la nécessité de consentir des mesures de coercition, dont l’effet serait de nous constituer, sans utilité quelconque, en état d’hostilité directe vis-à-vis de la diète germanique qui se montre disposée à entrer avec nous en relations d’amitié. Une semblable politique, vous en conviendrez, Messieurs, propre à satisfaire peut-être l’exaspération du moment, serait d’une haute imprévoyance. Elle nous ferait perdre, pour longtemps, les avantages que nous pouvons recueillir de la paix.

Et remarquez-le, Messieurs : la paix qui nous est proposée assurera la reconnaissance formelle de la Belgique de 1830 par tous les états de l’Europe.

Si nous avons été impuissants à maintenir, dans toute son intégrité, l’état de possession de la révolution de 1830, cette impuissance tient, en partie, à ce que les forteresses de Maestricht et de Luxembourg, qui dominent les territoires environnants, n’ont pu être occupées par les troupes belges. La dissolution du Royaume uni des Pays-Bas, fondé en 1815 par l’Europe coalisée, est une preuve évidente que les grandes puissances elles-mêmes n’ont pu se soustraire, dans l’intérêt de la paix européenne, à l’impérieuse nécessité d’une transaction.

Observons que la diète croit avoir fait, de son côté, une importante concession, en se condamnant à l’inaction, durant les huit années qui viennent de s’écouler ; et qu’elle paraît d’autant plus empressée de donner suite à ses projets, en saisissant l’occasion que les offrent les résolutions récentes de la conférence.

Bannissons donc de nos esprits toute idée de déshonneur ; reconnaissons plutôt l’influence en quelque sorte irrésistible du système de paix, système qui tous les jours pousse des racines plus profondes dans les mœurs des nations.

Nous ne nous sommes point dissimulé, messieurs, qu’en vous exposant les considérations qui précèdent, nous semblons prêter appui aux critiques de la marche adoptée par le gouvernement, lors de l’ouverture de la négociation. Il aurait fallu, dit-on, annoncer hautement l’intention de souscrire à la délimitation territoriale déterminée par le traité du 15 novembre 1831. Pour répondre à cette objection, nous retracerons rapidement l’historique des négociations récentes, en l’accompagnant de quelques réflexions.

L’on se rappellera que l’adhésion donné par le roi des Pays-Bas, le 14 mars, fut l’occasion d’un dissentiment entre les plénipotentiaires réunis en conférence, et d’une demande d’instructions qui n’arrivèrent que dans le courant du mois de juillet. Dans ces circonstances, loin d’aller au devant de la cession du territoire, le gouvernement a dû chercher à la prévenir. L’on sait qu’en droit public la possession et les faits finissent souvent par exercer une grande influence, par cela seul qu’il est difficile de briser les liens et de froisser les intérêts qui en sont résultés. Le gouvernement pouvait donc espérer que huit années de possession et d’un régime régulier qui offrait toute garantie aux états voisins, venant se joindre au fait ancien, seraient prises en considération, au moment de l’arrangement final. Il pouvait espérer de faire admettre un principe de transaction et de compensation, surtout si, par un défaut momentané de coïncidence de vue entre les grandes puissances et les parties intéressées, le statu quo s’était prolongé, ou si quelque événement, tel qu’une crise en orient, était venu compliquer la politique de l’Europe.

Nous pouvons le proclamer, pour obéir à un sentiment de justice envers des populations qui s’étaient montrées si dévouées et qui avaient pris part aux périls communs en 1830, le gouvernement ne devait ni hâter, ni faciliter leur abandon. Entré en négociation avec la conférence, seulement au mois d’août, le gouvernement ne fut pas mis en demeure de s’expliquer sur cette question principale : la discussion s’établir d’abord exclusivement sur les questions financières. Si plusieurs dispositions du traité ont exigé, de notre part, une négociation de quelques mois, il faut en chercher le motif dans la précipitation avec laquelle elles ont été arrêtées en 1831, sous l’influence d’événements qui semblaient réclamer une prompte solution. Les négociations de 1838 auront, du moins, ce résultat qu’indépendamment des avantages qu’elles nous ont assurés, elles auront prévenu plusieurs contestations auxquelles le traité du 15 novembre aurait donné lieu.

On nous objectera sans doute les faits qui se sont produits à l’ouverture de la session des chambres, et l’on demandera comment nous pouvons concilier les propositions de paix avec ces faits et avec les développements donnés à notre état militaire.

Mais, à cette époque, Messieurs, il ne nous avait encore été adressé que des propositions officieuses et confidentielles, et ces propositions ont reçu, plus tard, des améliorations.

Un projet d’arrangement pour le territoire n’avait pu encore être produit officiellement par nous, parce qu’il devait se trouver en rapport avec le chiffre de la quote-part de la dette à supporter par la Belgique. L’appui moral d’une ou de plusieurs cours, les sympathies nationales invoquées dans votre adresse pouvaient exercer une influence utile. Un voeu si légitime, appuyé d’offres généreuses de transactions, semblait pouvoir être écouté.

Veuillez-vous rappelez que le premier acte officiel de la conférence ne date que du 6 décembre, et qu’il n’a reçu son complément que le 22 janvier.

Des mouvements de troupes à l’étranger et des menaces dirigées contre le statu quo garanti par la conférence de 21 mai, ont exigé, de notre part, des mesures de précaution. De là des armements qui ont pris un développement successifs pendant les derniers mois.

Instruits par l’expérience fatale de 1831, le gouvernement belge pouvait-il ne pas agir ainsi ? Si les intérêts du pays, si les obligations qu’il a à remplir envers l’Europe, ne lui permettent pas de faire en ce moment, un appel à la bravoure de l’armée, celle-ci n’en recevra aucune atteinte morale. Il lui suffira d’avoir fourni un témoignage de son dévouement plein d’ardeur, réglé par une parfaire discipline.

Si le gouvernement, si les chambres ont été les fidèles interprètes de la nation, en se montrant prêts à faire de grands sacrifices en faveur du Limbourg et du Luxembourg, nous devons aussi reconnaître que nous manquerions à notre mission si, par un sentiment exagéré d’honneur national, nous nous engagions obstinément, et avec une témérité pleine d’imprévoyance, dans des voies aussi dangereuses, tant pour les populations auxquelles nous voudrions porter aide, que pour la nationalité, que notre premier devoir est de préserver de tout péril sérieux.

Nous pensons, messieurs, avoir épuisé les considérations qui se rapportent le plus particulièrement aux questions territoriales. Si nous les avons longuement développées, vous reconnaîtrez dans cette circonstance même la vivacité et la persévérance des efforts que nous avons faits, pendant cette longue et difficile négociation, pour défendre des intérêts que nous regardions comme si précieux. Il nous reste maintenant à appeler votre attentions sur d’autres parties du traité et à vous exposer succinctement les avantages considérables, quoique encore incomplets, que nous avons obtenus par la négociation de 1838, avantages qui ne sont point sans rapport avec la marche suivie en ce qui concerne la question territoriale. En effet, il est permis de supposer, messieurs, que la conférence a compris jusqu’à quel point les décisions qu’elle voulait maintenir sur cette question blessaient le sentiment national, et qu’elle a été, dès lors, plus disposée à accueillir nos réclamations sur d’autres objets.

La remise des arrérages de la dette est due exclusivement à la dernière négociation, ainsi que je l’ai annoncé dans mon précédent rapport : quelques faits démontreront l’exactitude de cette assertion.

Dans son thème, proposé le 30 septembre 1832, lord Palmerston, de l’aveu du gouvernement belge, se bornait à demander que les avances faites par la Hollande, du 1er novembre 1830 au 1er juillet 1832, ne fussent remboursées par la Belgique qu’après liquidation du syndicat. C’était un simple terme de paiement ou une demande qui ne renfermait que le principe d’une remise indirecte des arrérages, pour le cas où le gouvernement néerlandais éluderait cette liquidation.

Dans la négociation de 1833, nos plénipotentiaires, tout en insistant sur le droit et l’équité de la défalcation des arrérages, présentèrent la rédaction suivante :

« Les plénipotentiaires belges proposent que la liquidation du syndicat d’amortissement aura lieu, en même temps que les deux parties règleront ce qui concerne le remboursement des avances faites par la Hollande pour le service de la dette. »

La conférence prétendait qu’elle n’était point liée par la déclaration qu’elle avait fait, en 1832, aux plénipotentiaires hollandais : « Que ce serait à bon droit que la Belgique refuserait de payer, à partir du 31 janvier 1832, les arrérages de sa quote-part de la dette, forcée qu’elle serait à en employer le montant à la défense légitime de son territoire. Elle soutenait que les autres moyens coercitifs, employés depuis contre la Hollande, avaient été substitués à celui qu’elle avait en vue par cette déclaration.

La prétention toute légitime que nous avons soutenue, durant la présente négociation, n’a été accueillie, dans son intégrité, qu’après de longues instances, appuyées de documents qui constataient la réalité des dépenses forcées auxquelles nous avions été exposées.

La réduction de la rente de 8,400,000 florins au chiffre de 5,000,000 est un avantage non moins important. Il est également le fruit des efforts du gouvernement.

Vous aurez remarqué, Messieurs, que dans les négociations antérieures, il ne fut point question de la révision de la dette. Les circonstances n’auraient sans doute point permis de la faire accueillir.

La justice de cette révision a été démontrée à l’aide de pièces authentiques que le gouvernement s’est procurées, dont plusieurs n’ont pu être obtenues qu’avec beaucoup de difficultés, et qu’il a mises sous les yeux de la conférence.

En admettant le principe d’une transaction, le gouvernement a dû abandonner la liquidation du syndicat. Pour apprécier cette condition à sa juste valeur, il ne faut point perdre de vue qu’il résulte des documents annexés au protocole n°53, que la cour de La Haye, s’était refusée, dès le principe, à admettre cette liquidation, à moins que la Belgique ne consentît à supporter sa part du passif à résulter éventuellement de l’opération, et que le même cabinet voulait fixer la date de la liquidation au 1er novembre 1830, ainsi que le proposaient encore récemment les plénipotentiaires d’Autriche et de Prusse. La Hollande entendait faire peser sur la communauté les opérations onéreuses du mois d’octobre 1830. Il résulte du récit secret qu’en 1833 cette puissance n’était encore arrivée qu’à concéder, pour tenir lieu de la liquidation, la remise d’une somme de 2,000,000 florins sur les arrérages de la rente de 8,400,000 florins.

La liquidation du syndicat aurait donné lieu à d’autres contestations. Mon rapport et les pièces qui y sont annexées, les indiquent suffisamment, et établissent en outre, la difficulté qu’aurait présentée le mode à suivre pour y mettre un terme, en cas de désaccord entre les parties.

Si l’on se reporte aux négociations précédentes, l’on verra que la préoccupation du gouvernement belge était que se trouvant obligé, aux termes du traité du 15 novembre, de payer la rente de 8,400,000 florins avant la liquidation du syndicat, il devait s’attendre à des lenteurs et à des difficultés, qui ne lui laissaient guère l’espoir d’un résultat avantageux. C’est dans cette pensée que lord Palmerston, par son thème du 30 septembre 1832, et que nos plénipotentiaires, par la note qu’ils ont remise en 1833, proposèrent de suspendre le remboursement de tout ou partie des arrérages jusqu’à ce que cette libération fut effective. La libération indirecte des arrérages échus en 1833 était donc, à cette époque, le maximum des espérances du gouvernement, comme prix de la renonciation à la liquidation du syndicat.

Durant la dernière négociation, nous avons soutenu que, dans l’état actuel des choses, il serait conforme à la justice et à la prudence de régler, avant tout (à la suite d’une discussion approfondie tant sur le syndicat que sur les portions de dettes que nous considérions comme indûment portées à notre passif), le chiffre réel de notre quote-part, et de suspendre, jusque-là, l’examen des autres parties du traité.

C’est en présence de cette prétention et des prétentions contraires, qu’après un examen officieux des documents fournis de part et d’autre, la conférence en est venue à nous proposer, à la fin d’octobre, un chiffre transactionnel de 5,400,000 florins, chiffre qu’elle a réduit, plus tard, à 5,000,000 de florins ; tandis que, de nôtre côté, nous avons fini par présenter celui de 4,000,000, y compris la somme de 600,000 florins pour les avantages commerciaux.

Nous devons reconnaître que la conférence a senti l’injustice et les difficultés d’exécution qu’offrait sur ce point, au préjudice de la Belgique, le traité du 15 novembre. Toutefois, il lui reste encore un redressement essentiel à opérer.

Si nous avons présenté la réduction de la dette que nous venons de signaler comme constituant un avantage remporté par la négociation, ce n’est point qu’elle soit à nos yeux un bénéfice acquis par la Belgique au détriment de la Hollande ; cette réduction de 3,400,000 florins n’est que la réparation, encore incomplète, du dommage que la Belgique aurait éprouvé par suite du traité de 1831.

Le gouvernement aurait désiré voir écarter la fixation d’un péage sur l’Escaut, mais c’était là un résultat impossible à obtenir. L’article 9 du traité du 15 novembre a toujours été envisagé par la conférence comme ne pouvant laisser subsister aucun doute à cet égard ; en effet, le dernier paragraphe de l’article 9, en attendant le règlement définitif à intervenir, rend provisoirement applicable à l’Escaut le tarif de Mayence : application provisoire qui évidemment consacre, comme base du règlement définitif, le principe du péage. La conférence, pour prévenir de graves difficultés, a pensé qu’elle devait, elle-même, autant que possible, insérer ce règlement définitif dans le traité et ne pas laisser consacrer, de fait, le précédent d’une application provisoire. Il est à remarquer que le tarif de Mayence eût frappé le fleuve d’un droit excédant 4 florins ; droit tellement exorbitant qu’il équivalait à la fermeture de l’Escaut. C’est pour ces motifs que lord Palmerston, d’accord avec le gouvernement belge, arrêté son thème du 30 novembre 1832.

Dans la négociation de 1833, nos plénipotentiaires firent connaître confidentiellement à lord Palmerston, qui cherchait à rapprocher les parties, que le gouvernement était disposé à consentir au droit d’un florin 50 cents ; mais les plénipotentiaires néerlandais n’étaient descendus, dans leurs propositions finales, qu’au chiffre de 1 florin 75 c. ; ils formèrent en même temps plusieurs prétentions défavorables à la Belgique. Nous devons remarquer ici que le péage est aujourd’hui généralement appliqué aux fleuves et rivières, et n’est point tenu pour une dérogation au principe de la libre navigation. Toutefois, Messieurs, nous pensons qu’il serait dans l’intérêt bien entendu, non seulement des parties contractantes, mais encore du commerce de toutes les nations, que, par suite d’un arrangement, ce péage fût acquitté globalement et non perçu sur chaque navire. C’est un objet que le gouvernement n’a jamais perdu de vue ; une ouverture a déjà été faite formellement dans ce sens, mais elle n’a pu amener de résultat, la majorité des membres de la conférence ayant subitement résolu, dès le 6 décembre, de fermer la négociation ; mais les dispositions de l’article 9, tel qu’il est formulé maintenant, ne renferment rien qui soit exclusif d’un paragraphe additionnel tel que celui que nous venons d’indiquer. Rien donc ne s’opposerait à ce que le gouvernement, dès qu’il sera muni de l’autorisation de conclure le traité, ne renouvelle la proposition du rachat du péage par le paiement direct d’une rente à la Hollande. Cette proposition, renouvelée alors, nous paraît de nature à être accueillie avec faveur. Si cependant il en était autrement, il resterait au gouvernement d’aviser aux moyens de parer au préjudice que l’application du péage causerait à la navigation, et sans doute les chambres, appréciant comme elle doit l’être cette grave question, prêteraient leurs concours pour l’adoption des mesures nécessaires.

Quant aux autres points réglés par l’article 9, il suffira de comparer les textes des deux traités pour s’apercevoir que le dernier renferme plusieurs changements utiles dans sa rédaction.

La réduction d’armements que permettra la paix, l’extension que cette paix assurera à nos relations commerciales, la cessation des difficultés auxquelles le statu quo a souvent laissé ouverture, sont des avantages qui compenseront largement, pour le pays, la charge à résulter du paiement de la dette et du péage sur l’Escaut. Nous pouvons donc dire que la condition véritablement dure et onéreuse de la paix, c’est l’abandon d’une partie du Limbourg et du Luxembourg ; mais cet abandon, nous devons le reconnaître, est inévitable, parce que les nations, pas plus que les individus, ne sont tenues à l’impossible. De même que la révolution de 1830 s’est arrêtée devant les forteresses de Maestricht et de Luxembourg, il ne nous a pas été donné de détruire les actes diplomatiques concernant le territoire qui les environne, ni de prévenir le concert des puissances pour en réclamer la possession. Tout ce que nous pouvons faire aujourd’hui, en faveur des habitants qui voudront rester associés aux destinées de la Belgique, nous le ferons avec empressement. Déjà une proposition vous est faite dans ce but.

C’est maintenant à vous, Messieurs, de prononcer sur la traité de paix que le gouvernement soumet à votre acceptation. Dans les délibérations qui vont s’ouvrir, vous n’aurez en vue que le bien général ; vous saurez concilier la maturité avec les exigences pressantes de tant d’intérêts qui sollicitent une décision de la question grave dont le pays est vivement préoccupé.

Projet de loi qui autorise le roi à signer le traité de séparation entre la Belgique et la Hollande

Dépôt

Je vais avoir l’honneur de donner lecture des deux projets de loi soumis à votre examen :

« Léopold, Roi des belges,

« A tous présents et à venir, salut.

« De l’avis de notre conseil des ministres,

« Nous avons chargé notre ministre des affaires étrangères et de l’intérieur de présenter aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :

« Considérant que, par leurs actes, en date du 23 janvier 1839, les plénipotentiaires des cinq puissances réunis en conférence à Londres, ont soumis à l’acceptation de la Belgique et de la Hollande les bases de séparation entre les deux pays ;

« Vu l’article 68 de la Constitution ;

« Revu la loi du 7 septembre 1831 ;

« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :

« Article unique. Le roi est autorisé à conclure et à signer les traités qui règlent la séparation entre la Belgique et la Hollande, sous telles clauses, conditions et réserves que S.M. pourra juger nécessaires ou utiles dans l’intérêt du pays.

« Bruxelles, le 16 février 1839.

« Léopold,

« Par le Roi : le ministre des affaires étrangères et de l’intérieur, de Theux ; Le ministre de la guerre, Willmar ; Le ministre des travaux publics, Nothomb. »

Projet de loi relatif aux Limbourgeois et aux Luxembourgeois

Dépôt

« Léopold, Roi des belges,

« A tout présents et à venir, salut.

« De l’avis de notre conseil des ministres,

« Nous avons chargé notre ministre des affaires étrangères et de l’intérieur de présenter aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :

« Vu le § 1 de l’article 4 de la constitution portant : La qualité de Belge s’acquiert, se conserve et se perd d’après les règles déterminées par la loi civile ;

« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :

« Art. 1er. Les habitants des parties du Limbourg et du Luxembourg détachées par suite du traité entre la Belgique et les cinq puissances, et entre la Belgique et la Hollande, qui jouissent de la qualité de Belge, peuvent conserver cette qualité, à la condition de déclarer que leur intention est de jouir du bénéfice de la présente disposition, et de produire en même temps un certificat de l’administration communale compétente portant qu’ils ont transféré leur domicile dans le territoire qui constitue définitivement le royaume de Belgique.

« Cette déclaration devra être faite dans les six mois, à compter du jour de l’échange des ratifications des traités prémentionnés, s’ils sont majeurs, et dans l’année qui suivra leur majorité, s’ils sont mineurs.

« La déclaration et la remise de certificat auront lieu devant la députation du conseil provincial de laquelle ressortit le lieu où ils ont transféré leur domicile.

« La déclaration sera faite en personne ou par un mandataire porteur d’une procuration spéciale et authentique.

« Art. 2. Les fonctionnaires de l’ordre judiciaire et administratif qui auront usé du bénéfice de la disposition précédente, jouiront de deux tiers de leur traitement actuel, aussi longtemps qu’ils n’auront pas obtenu un autre emploi.

« Mandons et ordonnons, etc.

« Bruxelles, le 16 février 1839

« Léopold,

« Par le Roi : le ministre des affaires étrangères et de l’intérieur, de Theux ; Le ministre de la guerre, Willmar ; Le ministre des travaux publics, Nothomb. »


M. le président – Il est donné acte à M. le ministre des projets de loi dont il vient de donner lecture.

Motion d'ordre

Proposition du gouvernement d'accepter les XXIV articles

La chambre veut-elle les renvoyer à l’examen des sections ?

M. Dumortier – Je demande la parole.

Messieurs, après le discours que le ministère avait mis dans la bouche du souverain, à l’ouverture de notre session législative, je m’attendais à n’entendre prononcer par le cabinet que des paroles dignes du Roi et de la nation.

Mais l’ai-je entendu ? Nos moyens, on les nie ; nos embarras, on les exagère ; nos affronts, on les supporte avec un dédain flegmatique, et l’on vient nous proposer de sanctionner l’opprobre de la Belgique !

Hommes d’état misérables ! ne voyez-vous pas que ces terreurs sont l’effet de votre faiblesse ? Vos fautes ont fait la force de nos ennemis que vous servez aujourd’hui, et ont seules conduit la patrie au point où, dans votre cœur, vous vouliez peut-être secrètement la mener. Mais la Belgique a pris, à la face de l’Europe, d’autres engagements que ceux que le ministère nous propose de sanctionner aujourd’hui. A l’appel de son Roi, aux mots de persévérance et de courage, la Belgique s’est levée comme un seul homme pour défendre son honneur et son indépendance ; les chambres ont déclaré qu’elles ne reculeraient devant aucun sacrifice pour défendre l’honneur et la dignité nationale. Elles n’ont reculé devant aucun sacrifice. Elles ont voté à l’unanimité tout ce qui a été demandé par le gouvernement. Et c’est en présence de pareils faits, quand rien n’est venu changer notre position, quand aucune force ne nous contraint, ne menace même nos frontières, qu’on vient proposer un traité dont l’acceptation couvrirait à jamais la patrie de honte et d’infamie !

Ministre pervers, qui a donc pu vous pousser à accepter un rôle aussi honteux ? Je concevrais qu’on pût fléchir devant la force et devant la force seule. Mais où sont donc ces forces, ces moyens qu’on présente comme devant nous écraser à l’instant où nous voudrions opposer la moindre résistance à de révoltantes exigences ?

Si votre intention était de conduire le pays à jouer un rôle aussi dégradant, pourquoi donc êtes-vous venus nous parler de persévérance et courage ? De la persévérance vous n’en avez pas ; du courage, vous venez de nos prouver que vous n’en aurez jamais. (Applaudissements dans la chambre et dans les tribunes.)

J’invite les citoyens qui occupent les tribunes à se montrer calmes.

M. le président – Comme je l’ai déjà fait observer, ce n’est pas par des applaudissements qu’on montre son patriotisme. Les délibérations doivent être libres ; on ne doit pas chercher à les influencer par des signes d’approbation ou d’improbation. J’espère qu’on voudra bien faire attention à cette observation.

M. Dumortier – Je renouvelle l’invitation que j’ai adressée aux citoyens qui m’écoutent, de rester calmes. Ce qu’il nous faut, c’est le triomphe de notre sainte cause et non des applaudissements. C’est en nous montrant calmes et fermes, que nous pourrons agir avec persévérance et courage, et repousser un projet impie, un projet indigne du peuple belge.

Ministres perfides, vous pouvez proposer de livrer à nos ennemis des frères qui sont Belges et ont droit de rester Belges, vous pouvez les vendre comme un vil troupeau ; mais du moins respectez leur dignité d’hommes et ne venez pas feindre de vous apitoyer sur leur sort, quand vous seuls avez préparé et voulez consommer leur malheur.

Vous pouvoir proposer d’immoler des victimes, mais vous devriez avoir la pudeur de leur épargner l’insulte de votre sardonique compassion.

Si l’intention des ministres était de conduire le pays à un rôle aussi humiliant, pourquoi être venus nous parler de persévérance et courage ; pourquoi être venus provoquer des votes d’impôt qu’on vous accordés à l’instant ? Si vous nourrissiez dans votre cœur le projet de déshonorer le pays, pourquoi avez-vous multiplié les armements ? Pourquoi avez-vous multiplié les nominations dans l’armée, si vous vouliez nous proposer une soumission honteuse ? Pourquoi avoir réclamé la célèbre épée d’un grand général polonais ?

Ah ! quand nous le vîmes s’associer à notre cause et arriver parmi nous, personne ne put penser que tout courage fût mort dans le cœur de nos gouvernants.

Et maintenant, à la suite de tant d’humiliations, de honte, de trahison et de perfidie, il ne nous restera plus, pour couronner tant d’infamie, qu’à expulser, que dis-je, qu’à livrer cet illustre général aux puissances despotiques qui le réclament. Oh ! il vous restera assez d’impudeur pour consommer ce nouveau sacrifice.

En proposant d’immoler nos frères du Limbourg et du Luxembourg, vous parlez de la qualité de Belge ; pensez-vous qu’il se trouvera encore des hommes de cœur qui voudront accepter une pareille solidarité ?

Pour mon compte, je la répudie de toute mon âme, je rougis d’être Belge quand je vois la honte, l’opprobre et l’infamie qu’on déverse sur mon pays.

Messieurs, s’il est quelque chose qui a dû nous frapper dans ce rapport, ce sont les expressions d’amers regrets dont on a accompagné les indignes propositions qu’on nous a faites.

Messieurs, je pourrais en dire davantage, mais je n’ai pu m’empêcher d’en dire moins ; je n’ai pu m’abstenir de protester de toute l’énergie de mon âme contre des propositions aussi déplorables, aussi humiliantes pour le pays.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, par respect pour le règlement, je m’abstiendrai de répondre en ce moment au discours que vous venez d’entendre. J’attendrai donc la discussion générale pour m’expliquer, mais je demande que le règlement soit observé à l’égard de tout le monde.

M. Pirson – Je demande la parole.

M. le président – Sur quoi ?

M. Pirson – Pour proposer une motion d’ordre. J’ai besoin de savoir pourquoi il n’y a que trois ministres présents. Nous savons que des démissions ont été données et acceptées, et que les démissionnaires n’ont pas été remplacés. Je vais formuler quelques interpellations ; mais ce n’est pas aux ministres restés que je les adresserai, car ils nous mentiraient ! ce sera à ceux qui se sont retirés que je m’adresserai, car ils ont été lâchement calomniés, et ils méritent qu’on ait confiance en eux.

Messieurs, la trahison de Judas a été précédée de la cène à laquelle présidait le Seigneur, le Dieu que nous adorons tous.

Hier il y a eu un grand dîner en haut lieu…

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je demande la parole. (Agitation.)

M. le président – Messieurs, vous connaissez tous l’article du règlement, j’espère qu’il sera exécuté.

M. Pirson, reprenant – Hier, il y a eu dîner en haut lieu et aujourd’hui trahison du ministère envers la patrie et envers le Roi, vente à l’encan de nos frères du Limbourg et du Luxembourg. Demain probablement la retraite, sans coup férir, de notre belle et valeureuse armée, ensuite licenciement de toute cette masse d’officiers que le ministre a nommés, sachant bien qu’il n’en aurait pas besoin, qu’il a nommés je ne sais dans quel but, sans doute pour dépenser en un mois, comme l’a dit un ministre, tout ce que le chambre lui avait offert d’argent. Et vous, précieuses et saintes reliques de la Pologne, pourquoi vous fait-on promener au milieu de nous ? Sans doute pour nous préparer tous à la mort politique.

Messieurs, j’ai parlé de trahison : oui, pour moi, la trahison est flagrante. Il y a conspiration contre l’intégrité du territoire, il y a conspiration contre notre union qui faisait toute notre force. Quoi ! cette unanimité de tout le pays, de tous les citoyens, de tous les fonctionnaires, de tous les grands pouvoirs, cette unanimité que l’ennemi extérieur n’aurait osé venir attaquer, cette unanimité, ce seraient trois hommes lâches, restes honteux d’un ministère auquel nous avions tout accordé pour nous défendre….

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Le règlement interdit les injures, je prie M. le président de le faire exécuter ; je suis bien décidé à ne pas en supporter. (Agitation.)

M. le président – J’invite l’orateur à se conformer au règlement ! (Le bruit continue.)

M. Pirson (au milieu du bruit.) – Je résisterai au despotisme du ministère je résisterai au despotisme du fauteuil et même du trône, et je dirai ce qui est dans mon conscience. Je le répète : ce seraient les restes honteux d’un ministère auquel nous avions tout accordé : confiance, hommes, argent ; ce seraient ces trois hommes qui viendraient rompre cette union ! Qu’ils osent donc porter la main sur ce drapeau qui ombrage le fauteuil du président et sur lequel nous lisons : L’union fait la force.

Ce n’est rien, la désunion du ministère. Mais il a cherché à la propager dans le pays et parmi ses représentants.

Avant de nous occuper de ses propositions, arrêtons, s’il est possible, ses menées ténébreuses. Sachons d’abord les motifs de la retraite de plusieurs membres du cabinet et pourquoi ils ne sont pas remplacés. Je ne m’adresserai point à ceux qui restent, parce que je suis certain, comme je l’ai déjà dit, qu’ils me mentiraient. Mais je m’adresserai à ceux qui sont sortis ; ils ont besoin de se justifier, car ce sont les lâches qui accusent de lâcheté des collègues qui pour moi sont des hommes d’honneur.

En Angleterre, que votre journal cite toujours pour modèle, à chaque dislocation du cabinet on interroge les ministres démissionnaires ; eh bien, je suivrai son conseil, et je demanderai aux ministres sortis quels ont été les motifs de leur retraite, et s’il est vrai qu’il ont donné une démission pure et simple et non motivée.

M. Gendebien – Sans m’associer au style de la motion d’ordre qui vous a été proposée, je crois qu’il y a lieu de l’examiner. Nous sommes dans un tel état de crise qu’il est bon de tenir compte de toutes les circonstances qui peuvent nous éclairer. Dans l’examen du rapport et du projet dont nous allons nous occuper ce soir ou demain au plus tard, il nous importe de connaître les motifs de la démission de deux ministres. Nous pourrions ajouter qu’il importe de connaître aussi les motifs qui ont détermine les trois ministres restants à ne pas se compléter. Il me semble que dans de telles circonstances il est de la plus haute importance de connaître pourquoi deux ministres ont donné leur démission, et pourquoi les ministres restants consentent à se charger, chacun pour un tiers, d’une responsabilité qui me paraît déjà très pesante pour cinq.

Il doit y avoir des motifs graves pour se retirer du ministère dans une position difficile comme celle où nous nous trouvons ; il doit y avoir des motifs plus graves peut-être pour les ministres restants de ne pas compléter le cabinet.

Je ne prétends ni préjuger aucune question, ni faire aucune insinuation. Je demande à m’éclairer. Je demande aux membres qui ont quitté le ministère de s’expliquer, s’ils croient pouvoir le faire. Quant aux ministres restants, je crois qu’ils feront bien aussi de répondre à mon interpellation.

M. Ernst – Il serait peut-être plus convenable que ces explications n’eussent lieu qu’au moment de la discussion sur le fond. Cependant si la chambre le désire, je les donnerai à l’instant. C’est par des raisons d’ordre public que nous avons tenu notre démission secrète, alors qu’il pouvait y avoir des inconvénients à la faire connaître. Aujourd’hui il n’y a plus rien qui doive nous engager à taire les motifs de notre retraite ; la communication qui vient d’être faite à la chambre, les explique suffisamment. Comme on peut croire que chacun des membres du cabinet a suivi l’impulsion de sa conscience et de son honneur, nous ne devons pas être embarrassés pour donner les explications qu’on demande. (Parlez ! parlez !)

Lorsque les résolutions finales de la conférence furent parvenues au gouvernement, et qu’il était question de les communiquer à la législature, mon honorable ami M. d’Huart et moi nous avons pensé que le gouvernement devait avoir un système net, franc et arrêté ; que le gouvernement ne devait pas se présenter devant les chambres avec un cabinet divisé ; qu’il ne fallait qu’une pensée, soit pour la résistance, soit contre la résistance. Nous avons cru que le moment était venu de faire connaître l’intention du gouvernement.

Quant au fond, mon honorable ami M. d’Huart et moi nous avons cru que la dignité et de l’honneur du pays ne permettaient de céder qu’en présence d’une force majeure et pour ainsi dire au moment de subir la contrainte.

Plusieurs membres – Bien ! très bien !

M. Ernst – Voilà quels ont été les motifs pour lesquels nous avons prié S.M d’agréer notre démission.

Plusieurs membres – Bien ! très bien !

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Nous ne discuterons pas maintenant la validité des motifs qui ont divisé les membres du cabinet. Chacun a suivi dans cette circonstance les inspirations de sa conscience et ce qu’il a cru son devoir. Nous aurons l’occasion de nous expliquer sur cette division lors de la discussion générale du projet présenté.

Je répondrai en peu de mots à l’interpellation de M. Gendebien sur les motifs pour lesquels le cabinet ne s’est pas complété. Je le déclare franchement, nous n’avons fait aucune démarche. Nous avons pris immédiatement la résolution, au moment de la retraite de nos collègues, de ne pas compléter le cabinet. Nous avons pensé que la négociation étant arrivée à son terme, le moment était venu pour le gouvernement de présenter sa proposition, et qu’il ne convenait pas d’y associer des hommes nouveaux.

En faisant cette observation, je vais au devant d’une objection qu’on pourrait nous faire en prétendant que nous aurions eu des difficultés à nous compléter. Ce n’est point une difficulté de cette nature, ni réelle, ni présumée, qui a motivé notre résolution ; il y a assez d’hommes de capacité et de lumière qui partagent notre opinion sur cette importante question.

Voici quels ont été nos motifs : nous connaissons à fond les négociations. Nous voulons que les membres actuels du cabinet soient seuls responsables et seuls défenseurs du projet de loi qui vient de vous être présenté.

M. F. de Mérode – Messieurs, depuis l’ouverture de notre session au mois de novembre dernier, de graves événements se sont accomplis ; les chambres françaises ont voté leur adresse au roi, le parlement anglais a voté la sienne après avoir entendu de la bouche de la reine l’annonce que le roi Guillaume consentait au traité dont les puissances présentées à la conférence de Londres exigeaient l’acceptation de la part des gouvernements de Belgique et de Hollande. Une banque importante, qui s’était formée d’abord sous d’heureux auspices, a tout-à-coup fléchi, tant par suite des circonstances que par des opérations trop étendues ; une grave perturbation a été portée dans les affaires de commerce et d’industrie qui vivent de confiance, et celle-ci, une fois ébranlée, a subi de plus en plus des altérations restrictives du crédit public et privé. Nous sommes donc placés aujourd’hui sous de nouvelles influences, il faut en convenir sincèrement…. J’attendais mieux de notre avenir, je l’avoue, lorsque j’entrepris, avec un zèle soutenu par une profonde conviction de la bonté de la cause, la défense de la nationalité de nos compatriotes du Luxembourg et du Limbourg. Messieurs, j’ai besoin de vous exposer certains faits dont la connaissance jettera quelque lumière sur la conduite du gouvernement depuis le mois de juin dernier. Lorsque je mis au jour ma lettre à lord Palmerston, deux de mes collègues encore assis au banc des ministres m’exprimèrent la crainte que par cette publication je n’excitasse trop vivement les esprits contre l’exécution des clauses fatales du traité du 15 novembre qui deviendrait peut-être une nécessité. Je me sentis fortement ému par les motifs qu’ils me présentèrent ; ils n’étaient pas sans valeur assurément ; néanmoins je crus bon de persister, la Belgique devait perdre matériellement en essayant tous les moyens possibles de maintenir le véritable droit social ; mais elle remplissait ainsi, selon moi, sa tâche morale dans le monde politique, monde où l’on tient si peu compte de la moralité.

Peu de jours après j’encourageai un homme qui me tient par les liens du sang, à soutenir dans un pays autrement fort que le nôtre et qui semble l’oublier, le principe qui intéresse tous les peuples ; il fut entendu avec faveur ; c’était du moins une sorte de premier succès. Quelle chance avions-nous de réussir dans une si difficile entreprise ? une seule, messieurs, celle de voir la diplomatie obligée de tenir compte de l’opinion politique par des débats solennels portés à une tribune, centre retentissant de la publicité en Europe. Il est aisé de comprendre que je parle de la tribune française. Nous étions loin encore du moment où l’on pouvait attendre d’elle un secours puissant ; et j’éprouvais une crainte sérieuse que des voies de fait ne fussent exercées contre nous pendant que le silence régnait dans l’enceinte où elle est placée. L’essentiel me paraissait donc de gagner du temps. Un des membres de cette chambre, dont le patriotisme n’a pas craint d’affronter le travail d’une œuvre laborieuse et ingrate de chiffres, jointe à d’autres considérations historiques pleines d’intérêt, venait de démontrer victorieusement avec quelle injustice on avait, par le traité du 15 novembre, et toujours en proclamant des principes d’équité, rendu la Belgique tributaire de la Hollande. Profitant des calculs posés par l’honorable M. Dumortier, il fallait ainsi d’abord attaquer devant la conférence la question de la dette, et après l’avoir discutée avec assez de persévérance pour obtenir une notable réduction de la surcharge imposée au pays, tâcher, par une transaction pécuniaire, de conserver à nos deux provinces menacées de partage leur intégrité territoriale. Messieurs, quelles que fussent les espérances des divers membres du cabinet, ils s’associèrent complètement à ce système de conduite. Ils le suivirent tous avec unanimité. Les négociations furent assez longues pour que rien ne se trouvât définitivement résolu avant votre session actuelle. Le roi vous dit dans son discours d’ouverture : « Nos différends avec la Hollande ne sont point encore arrangés. Les droits et les intérêts du pays sont la règle unique de ma politique ; ils ont été traités avec le soin qu’exige leur importance ; ils seront défendus avec persévérance et courage. » Vous applaudîtes, messieurs, à ces expressions, et dans la discussion rapide des budgets des voies et moyens et de la guerre, la preuve fut donnée que les chambres belges s’associeraient à tous les efforts successifs du gouvernement contre un morcellement territorial. Ces démonstrations effectives étaient indispensables pour intéresser à notre cause la nation qui pouvait lui donner un solide appui, la nation dont le drapeau avant enfanté le drapeau tricolore belge, la nation dont l’existence présente était fondée sur la même base que la nôtre. Malheureusement en France, les esprits, au lieu de porter leur attention vers des choses sérieuses et pratiques, furent engagés dans une lutte de théories, et, il faut le dire avec regret, de mesquines ambitions privées. Je l’ai vu, je ne l’oublierai pas, j’ai vu l’orateur, chef d’un parti qui naguère prêchait les doctrines les plus rigidement gouvernementales, parler aux hommes placés au banc des ministres, les yeux étincelants, comme à des criminels, sans avoir dans son programme de politique intérieure ou extérieure, un atome de réelle modification à présenter au pays. Je me trompe ; quand à la politique extérieure, il leur reprochait, non pas à la tribune, mais ailleurs, de ne pas s’être décidés plus tôt à livrer les habitants du Luxembourg et du Limbourg à une restauration. Cet acte paraissait dur au président du conseil des ministres ; il avait reculé, hésité. Quel tort, vraiment ! L’existence du peuple le plus voisin du centre actif de la France, et dont les frontières couvrent les frontières les plus rapprochées de sa capitale, sur une longueur de soixante lieues, obtient à peine les honneurs d’une séance, pendant une discussion de quinze jours, dans laquelle on traitait des questions de transparence, de suffisance ou d’insuffisances, aussi subtiles que la lumière créée ou incréée des Grecs du Bas-Empire. Tout cela, avec un immense talent d’élocution, j’en conviens, mais tristement employé, pour moi qui sentais mon pays en danger, peut-être de vie ou de mort Il me semblait entendre un savant médecin disputer près d’un malade abandonné à lui-même, sur la possibilité de dissoudre les corps reconnus simples jusqu’ici, et de les analyser encore.

Pendant la séance consacrée à la question belge, M. le comte de Molé tenta de prouver avec l’habilité qui le distingue et à laquelle je rends hommage, qu’un traité signé il y a sept ans, rejeté obstinément par une des parties qui depuis cinq ans avait rompu toute négociation, et modifié gravement par les arbitres, quant à l’époque d’exécution, possédait la même valeur entière que s’il eût été consenti la semaine précédente. Dans cette supposition singulière, la Belgique n’avait pas même en sa faveur la bonne foi ; elle sacrifiait les intérêts matériels de ses habitants pris en masse à une obstination tracassière et injuste. Un ancien président du conseil répliqua généreusement au ministre des affaires étrangères. Il applaudit au sentiment très légitimement fondé en droit, qui portait la Belgique à la résistance, et ce fut généreusement qu’il agit dans sa position politique, parce que indépendamment du parti ministériel compacte, une portion notable de la coalition réprouvait cette résistance et ne voulait lui prêter aucun secours. Du reste, cet ancien président du conseil qui parle en ami des droits nationaux, était depuis longtemps en dissidence avec la direction de politique extérieure imprimée au gouvernement. Son système, sans être belliqueux, différait du système qu’on pourrait nommer ultra-pacifique, bien qu’il déploie souvent encore la force militaire pour des expéditions où la valeur française ne se dément jamais lorsqu’elle est mise à l’épreuve. Je dois reconnaître, messieurs, que mes espérances fondées sur une discussion politique à la première tribune du continent étaient vaines. D’autres vont diront : la France n’a point l’opinion du ministère et de la grande majorité des chambres ; pour mon compte, je ne prolongerai pas plus loin mon illusion.

Ces circonstances reconnues, j’ai pensé, messieurs, que nous ne devions pas essayer une résistance par les armes dans une lutte inégale. Il m’a paru que la crise commerciale assez sérieuse exigeait que l’on n’effrayât pas ultérieurement l’industrie de la perspective possible d’un tel conflit ; mais qu’une attitude calme, accompagnant le refus de signer l’abandon de nos compatriotes suffirait à l’accomplissement des devoir que nous avons à remplir envers eux. Il m’a semblé que pour obtenir de ce refus un résultat, fût-il seulement moral, il fallait avoir égard à la situation des affaires matérielles du pays, et qu’en poussant trop loin les prétentions de résistance, le malaise intérieur s’aggraverait et détruirait les ressources nécessaires aux besoins des populations, ainsi que la possibilité d’une continuation prolongée passive. Tandis qu’en nous bornant à tenir nos moyens de défense en rapport avec les forces disponibles de l’armée hollandaise, nous ne succomberons pas financièrement sous un fardeau trop lourd.

Si les puissances allemandes veulent envahir nos provinces, elles rencontreront, en tout cas, les obstacles d’une occupation non consentie et plus entachée de violence. Quoiqu’en ait dit au parlement anglais lors Palmerston, personne, lui compris, n’ignore que le Luxembourg était complètement administré comme province méridionale ou belge du royaume des Pays-Bas, et non comme pays allemand.

Un peuple n’est pas lié à un autre par des mots écrits sur du parchemin déposé dans un greffe, mais par des faits ; or, ceux qui constatent l’alliance intime, ancienne et récente du Luxembourg avec la Belgique sont aussi clairs que la lumière du soleil. Les nier, c’est nier l’évidence. En outre, ne tenir compte en aucune manière des huit années d’état paisible dans lequel ont vécu les habitants de cette province et du Limbourg, et y porter le trouble au nom de l’Allemagne, c’est jouer, pour ceux qui s’en chargeront, un rôle moralement dangereux ; car tous les Allemands ne doivent pas être flattés de l’idée qu’ils sont le patrimoine, la chose possédée en pleine et absolue propriété, par les familles princières et leurs agnats, sans qu’aucune considération des intérêts propres à eux-mêmes puisse protéger le moins du monde ces intérêts, fussent-ils fondés sur des siècles d’existence. C’est là réduire l’espèce humaine à l’état d’une pièce de terre oud ‘un troupeau.

Je suis homme d’ordre gouvernemental ; je crois à la nécessité de l’obéissance, je respecte sincèrement la royauté, mais je désire qu’elle respecte aussi l’humanité, qui sous l’empire du christianisme ne peut être une proie dévolue aux princes confédérés ou non confédérés et divisible selon leur bon plaisir au jour et à l’heure qu’ils le jugent à propos. Je pense que tous ces partages successifs des Européens, sans égard pour leurs précédents et les affections natives porteront malheur aux maisons souveraines.

Si j’étais ministre d’un grand pays, ayant voix dans les conseils des puissances de premier ordre, j’appellerais leur attention sur le danger qu’il y a à tendre de toute part la corde du despotisme. Qu’a gagné le roi des Pays-Bas en insultant en Belgique les consciences et le langage ? Que gagne le roi de Prusse aux arrestations arbitraires exercées sur des évêques et les membres fidèles de leur clergé ? L’empereur Nicolas est-il plus heureux parce qu’il courbe les Polonais sous un joug qu’ils détestent ? et M. le prince de Metternich s’honore-t-il grandement en poursuivant sur une terre étrangère un homme de bien, un homme illustre qui a défendu noblement son pays ?

Messieurs, j’aime avec un dévouement désintéressé le Roi qui est venu partager nos dangers et le pénible enfantement de notre existence belge recréé depuis 1830 Ceux qui l’approchent connaissent l’active sollicitude avec laquelle il a traité les affaires d’un pays dont il craint de sacrifier le bonheur général à des essais périlleux. Mon attachement et ma reconnaissance m’aveuglent peut-être lorsque je répugne à voir son nom respecté et digne de l’être apposé à un acte de mutilation que la menace lui impose et que la force n’est pas encore venue commander impérieusement. Loin de moi cependant la pensée de mettre en doute le courage de ceux qui ne partagent point mon opinion, peut-être imprudente ! Dans la crise où nous sommes placés par les diplomates arpenteurs de sol et indifférents aux sentiments nationaux, il est plus difficile de soutenir une thèse de pure raison qu’une thèse de sentiment. Celle-ci donne lieu aux éloges bruyants de tous ceux qui aiment à paraître vaillants et généreux, tandis que l’autre est malheureusement accueillie, adoptée même, avec le morne silence du regret, lorsqu’elle n’a pas à subir les clameurs de haro d’un patriotisme injuste, aveugle ou qui masque de mauvaises passions.

Je ne doute pas, messieurs, que la liberté la plus entière de discussion ne règne dans cette enceinte. Un vote arraché par les cris héroïques de taverne serait indigne de la représentation nationale. C’est le résultat d’une délibération libre, sincère, consciencieuse que nous devons à nos commettants. Nous sommes exclusivement ici leurs délégués pour quatre millions de Belges dont le sort dans l’avenir nous est confié.

Voici, messieurs, la note que je proposais d’envoyer à la conférence, et qui ne fut point admise par le conseil des ministres :

« S.M. le Roi des Belges, pour éviter de plus grands maux, s’était soumise en 1831 à une cession forcée de territoire, infiniment pénible dès lors, mais devenue aujourd’hui, par suite d’un délai de sept années qui ne peut être imputé à son gouvernement, odieuse à l’égard des populations qu’elle concerne. Néanmoins, les cinq grandes puissances de l’Europe ayant rejeté toutes propositions conciliantes de nature à conserver aux trois cent mille habitants du territoire susdits leurs relations nationales, qu’ils revendiquent avec instance et d’une manière non douteuse ; lesdites puissances continuant à exiger l’exécution pure et simple d’un acte dont le caractère ne permet pas à S.M. le Roi des belges qu’elle s’y associe, sadite majesté déclare que, par des motifs facilement appréciables, son intention n’est point d’opposer de résistance par la force des armes dans une lutte inégale ; mais que protestant par d’autres voies effectives contre toute violence, en cas d’invasion quelconque, elle n’entendra payer à la Hollande que la part exacte et calculée sur pièces probantes qui incombe réellement à la Belgique dans la division équitable des dettes du précédent royaume des Pays-Bas.

« Il est inutile de rappeler que le devoir, et non l’intérêt, dicte la présente résolution. »

Comme suite nécessaire du refus exprimé dans cette note, je proposais la perception des voies et moyens qu’il importerait de fournir au trésor public et qui consiste dans l’avance d’une somme égale : 1° aux trois quarts de la contribution foncière de l’exercice courant, principal et additionnels, demandée aux propriétaires fonciers, et 2° de la même avance pour moitié de la contribution personnelle, y compris les centimes additionnels également versée au profit de l’état.

Cet emprunt sera recouvrable, à l’égard du foncier, en trois paiements, la moitié exigible au 10 avril prochain, un quart au 1er juin prochain et un quart au 1er octobre, et à l’égard de la contribution personnelle en deux paiements au 10 avril et au 1er octobre ; l’emprunt porterait intérêt de 3 p.c. à partir de ladite époque du 1er octobre.

Il est essentiel, messieurs, que le pays connaisse à quoi il s’engage. Les notes, les refus, les déclarations dépourvues d’auxiliaires effectifs ne sont rien à mes yeux. Il ne faut pas laisser croire aux populations que la résistance, même passive, ne consiste que dans les mouvements de tribune ou autres semblables. Elle est coûteuse, et de plus pour obtenir une chance quelconque de succès, le maintien de l’ordre le plus parfait et du respect aux autorités légales, est indispensable. Si cet ordre et ce respect devaient éprouver des atteintes, j’accepterais immédiatement le traité, comme le moindre des maux.

Du reste, je reconnais que les résultats d’une prolongation ultérieure de résistance sont incertains ; je ne me dissimule point tout ce qu’on peut lui opposer, aussi me garderai-je de blâmer ceux qui essaieront d’en démontrer les inconvénients. Nous avons à choisir entre des partis affligeants, laborieux, inquiétants ; tel est le sort qui nous frappe ; il faut le subir avec tolérance mutuelle d’opinions.

Quoi qu’il arrive, l’armée aura été le bouclier du pays ; elle ne pourrait vouloir sa ruine pour tenter des efforts hors de proportion avec la situation politique qui l’étreint.

Il m’a été pénible, messieurs, de quitter le conseil auquel je n’avais cessé d’appartenir depuis sept ans. Mais pour adopter le projet de loi proposé par mes collègues, je devais être comme eux convaincu de l’urgence qui le rendait nécessaire maintenant au salut du plus grand nombre.

M. Pollénus – Pour ma part je ne vois aucune difficulté à renvoyé aux sections la proposition du gouvernement ; toutefois, je pense qu’après la communication faite il y a 15 jours, l’opinion de la plupart des membres de cette assemblée est définitivement arrêtée ; tout examen préliminaire me paraît ainsi devenu sans objet. Mais tout en déclarant que pour ma part je ne vois pas d’empêchement au renvoi aux sections, je dois cependant déclarer qu’en ne m’y opposant pas, je ne prétends pas reconnaître que le pouvoir législatif ait la mission ou le pouvoir de statuer sur la proposition du gouvernement ; je me réserve mon droit sauf.

Voici d’où naissent mes doutes :

Par un décret du pouvoir constituant, les limites du territoire ont été fixées. Ce décret me semble devoir être considéré comme faisant partie intégrante de la constitution, par la raison que le serment du Roi à son avènement au trône semble lui avoir imprimé ce caractère.

Mon doute résulte de l’article 80 de la constitution, qui porte :

« Il (le Roi) ne prend possession du trône qu’après avoir solennellement prêté, dans le sein des chambres réunies, le serment suivant :

« Je jure d’observer la constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l’indépendance et l’intégrité du territoire. »

Intégrité du territoire !

Eh bien ! l’intégrité du territoire venait d’être fixée avant l’avènement du Roi. C’est donc l’intégrité du territoire fixé par les 18 articles et décrétée par le pouvoir constituant dont il est question dans le serment du Roi.

Il me semble résulter de cette disposition constitutionnelle que les chambres législatives, liées par le serment d’observer la constitution, sont sans mission comme sans pouvoir pour modifier un article de cette constitution, et que le seul moyen, si la chambre reconnaît qu’il y a lieu de délibérer sur cette proposition, ce serait de reconnaître la nécessité de modifier la loi de l’état et de convoquer les chambres en nombre double. Le temps ne m’a pas permis de méditer cette proposition que je viens simplement d’indiquer et les recommander à vos méditations. Pour le moment, l’article 80 de la constitution me paraît un obstacle insurmontable à la discussion de la proposition du gouvernement, car ce serait délier la royauté d’une obligation qu’elle a solennellement contractée envers le pays.

Cette question mérite d’être mûrement pesée, car sortir de la constitution, ce serait pousser le pays dans une révolution, ce serait compromettre la royauté même ; si un tel malheur devait arriver, il n’appartient à personne d’entre nous d’en prévenir les conséquences.

Je m’arrêterai pour le moment à cette simple observation, quoiqu’au milieu des pénibles pensées qui m’affligent, il s’en présente d’autres à mon esprit qui résistent à la mise en délibération de la proposition du gouvernement, car si j’ai bien compris la proposition du ministère, elle me semble consister à dire : « Les propositions faites par la conférence, c’est la force qui les impose. » La force, dites-vous ; mais en appelant nos délibérations sur cet objet, n’est-ce pas reconnaître que c’est un acte d’une volonté libre qu’on attend de nous ? Eh bien, la force brutale dont nous menace la conférence on peut bien la subir ; mais un corps délibérant ne l’accepte jamais. (Bien ! très bien !)

Mais, messieurs, cette force brutale en perspective, ou plutôt ces menaces diplomatiques, sont-elles donc si terribles ? Je ne vous rappellerai pas ce qu’on produit en faveur de la Belgique quelques actes d’énergie qui datent des premiers jours de la révolution : cette époque paraît déjà loin de nous ; je me contenterai de vous citer un exemple récent d’une noble énergie, d’un sentiment de dignité qui a étonné nos ennemis, et dont la Belgique reconnaissante gardera le souvenir ; vous vous en souvenez, messieurs, le prince qui a représente le Roi des Belges au couronnement de la reine d’Angleterre, passant sous le canon de Flessingue, fut sommé, lui aussi, par la force brutale, d’amener son pavillon ; ce prince, si digne du beau nom qu’il porte, si digne de la mission qu’il venait de remplir savez-vous quelle fut sa réponse aux sommations de la force brutale ? « Jamais je n’ai baissé mon pavillon devant celui des Nassau. » telle fut la réponse du prince belge. Eh bien, messieurs, voilà un exemple donné au gouvernement, donné à tous ; pourriez-vous ne pas imiter une conduite à laquelle tous les hommes de cœur ont applaudit et qui n’a pas peu contribué à relever le nom belge si indignement humilié par la diplomatie ? Baisserez-vous aujourd’hui le pavillon belge devant celui des Nassau ; accepterez-vous, sans résistance, l’humiliation du pays ? Vos contemporains, l’histoire, attendent votre réponse. (Bien ! très bien !)

M. Dumortier – Les considérations que vient de présenter l’honorable député d’Hasselt sont dignes, messieurs de toute votre sollicitude ; j’ajouterai un mot seulement pour vous prouver, à la dernière évidence, qu’il y aurait violation flagrante de la constitution si nous pouvions donner notre assentiment au traité qui nous est présenté.

L’article 1er de la constitution porte :

« la Belgique est divisée en provinces.

« Ces provinces sont : Anvers, le Brabant, la Flandre occidentale, la Flandre orientale, le Hainaut, le Limbourg, le Luxembourg, Namur, sauf les relations du Luxembourg avec la confédération germanique. »

Il y a donc, messieurs, dans l’article 1er, une disposition qui se trouverait supprimée si nous adoptions le projet de loi qui nous est présenté par le gouvernement ; or, la constitution a déterminé de quelle manière elle peut être modifiée ; l’article 131 dit :

« Le pouvoir législatif a le droit de déclarer qu’il y a lieu à la révision de telle disposition constitutionnelle qu’il désigne.

« Après cette déclaration, les deux chambres sont dissoutes de plein droit.

« Il en sera convoqué deux nouvelles, conformément à l’article 17.

« Ces chambres statuent, de commun accord avec le Roi, sur les points soumis à la révision.

« Dans ce cas, les chambres ne pourront délibérer si les deux tiers au moins des membres qui composent chacune d’elles ne sont pas présents ; et nul changement ne sera adopté s’il ne réunit au moins les deux tiers des suffrages. »

Vous le voyez, messieurs, d’après l’article 131 de la constitution, il y a lieu, avant d’examiner le fond du projet présenté par le gouvernement, de voir si la chambre a oui ou non le droit de voter sur le projet, et il me paraît incontestable qu’elle n’a pas ce droit, puisqu’il s’agit de supprimer une disposition de l’article 1er de la constitution, et que la constitution a consacré l’appel au peuple pour les modifications à y introduire, et que les résolutions à prendre à cet égard ne sont valables que si elles réunissent les deux tiers des suffrages. Il y a donc lieu, je le répète, d’examiner préalablement si le projet peut être pris en considération. Dans mon opinion, la chambre, en supposant, qu’elle puisse consentir aux propositions qui nous occupent, n’a d’autre droit que de déclarer qu’il y a lieu à modifier l’article 1er de la constitution.

M. Gendebien – Je partage, messieurs, l’opinion qui vient d’être émise par les deux honorables préopinants, mais je pense que la question est présentée prématurément, et que rien ne s’oppose pour le moment au renvoi en sections. Il est bien entendu (et je proteste hautement que telle est ma pensée), il est bien entendu que le renvoi ne préjuge rien, que toutes les questions restent sauves et intactes pour être discutées après le rapport des sections.

- Le renvoi en sections est mis aux voix et adopté.

M. le président – Quand désire-t-on s’occuper du projet en sections ?

De toutes parts – Demain.

M. le président – Ainsi les sections seront convoquées pour demain.

- Sur la proposition de M. de Brouckere, la chambre autorise le bureau à la convoquer aussitôt que le rapport sera prêt.

La séance est levée à 4 heures et demie.