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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 10 mai 1838
Sommaire
1) Projet de loi prorogeant la loi sur les
péages du chemin de fer et concernant la police judiciaire de ce chemin (Nothomb)
2) Motion d’ordre relative au personnel du
tribunal de première instance de Charleroy (Lebeau)
3) Motion d’ordre relative à l’incident
militaire de Stassen (Zoude)
4) Projet de loi autorisant le gouvernement à
contracter un emprunt de 37 millions de francs. Construction d’une seconde gare
à Bruxelles (de Langhe, Lebeau,
Devaux, Nothomb, Pollénus, Desmet, Pirmez, Nothomb, Desmaisières, Van Volxem, de Brouckere), répartition entre les provinces de la
part de l’emprunt affectée à la construction de routes pavées (Peeters, de Muelenaere, Nothomb, d’Hoffschmidt, Pirson, de Muelenaere, Nothomb, Dubus (aîné), Dolez, d’Hoffschmidt),
construction d’une seconde gare à Bruxelles (Pollénus)
(Moniteur belge n°131, du 11 mai 1838)
(Présidence
de M. Raikem.)
M.
B. Dubus fait l’appel nominal à une heure.
M.
Kervyn lit le procès-verbal de la séance d’hier ; la
rédaction en est adoptée.
M.
Dubus (aîné) demande une rectification au procès-verbal de
la décision prise par la chambre dans la séance d’hier, et consistant à mettre
les projets de loi de crédits arriérés du département de la justice avec le
projet de loi de crédit du département de la guerre, après la loi d’emprunt
pour le chemin de fer, et non après la loi sur le timbre.
M.
Van Hoobrouck fait la même demande pour les projets de loi de
crédits du département des travaux publics.
-
Le procès-verbal est adopté avec la rectification indiquée par MM. Dubus (aîné)
et Van Hoobrouck.
PROJET
DE LOI PROROGEANT LA LOI SUR LES PEAGES DU CHEMIN DE FER ET CONCERNANT LA
POLITICE JUDICIAIRE DE CE CHEMIN
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb) monte à la tribune ;
à la suite de quelques explications, il donne lecture du projet de loi suivant,
que nous faisons précéder de l’exposé de motifs, qu’il se borne à analyser.
(Exposé
des motifs) Messieurs l’exploitation du chemin de fer par le gouvernement s’est
faite jusqu’ici en vertu de la loi du 12 avril 1835.
Cette
loi, qui ne devait avoir force obligatoire que jusqu’au 1er juillet 1836, en
tant qu’elle autorisait le gouvernement à opérer la perception des péages en
vertu d’arrêtés royaux, a été successivement prorogée d’année en année jusqu’au
1er juillet 1838.
En
accordant au budget de l’exercice courant les fonds nécessaires pour
l’exploitation du chemin de fer pendant l’année, les chambres ont décidé implicitement
que l’exploitation continuerait à se faire par le gouvernement.
Mais
cette prorogation implicite ne peut suffire. Le gouvernement croit une
disposition expresse nécessaire. Il vous propose, messieurs, de proroger pour
une année, la loi du 12 avril 1835.
L’expérience
étant encore incomplète, il ne semble pas que le moment soit venu de sortir du
régime provisoire résultant de la loi de 1835.
Ce
sont des essais que cette loi a autorisés ; il est donc important que tous les
résultats en soient constatés avec soin.
La
loi du 1er mai 1834 exige un compte annuel de toutes les opérations.
Ces
opérations sont de deux natures aujourd’hui : elles concernent soit la
construction, soit l’exploitation.
Le
rapport que je déposerai dans quelques jours sur le bureau embrasse ces deux
objets ; en ce qui concerne l’exploitation, il y est rendu compte de toutes les
mesures prises à cet effet en exécution de la loi du 12 avril 1835, qu’il
s’agit de proroger.
Le
projet de loi soumis à vos délibérations comprend quatre articles.
L’article
premier est relatif à la prorogation de la loi du 12 avril 1835, en ce qui
concerne les tarifs. Sa rédaction s’accorde entièrement avec celle des lois
votées en 1836 et 1837.
Les
articles 2, 3 et 4 du projet sont destinés à compléter, sous le rapport de la
police, les dispositions de la loi du 12 avril 1835.
L'article 2 étend d'une manière explicite aux chemins
de fer les règles établies par la loi du 29 floréal an X et par le décret du 16
décembre 1811. Il charge les ingénieurs, conducteurs, cantonniers, garde-ponts,
gardes-barrières, de constater les contraventions, telles qu'anticipations sur
le corps de la route, dégradations des ouvrages ou plantations, vols d'objets
appartenant à la route, dépôts de nature à entraver la marche des convois , et
généralement toutes tentatives de la malveillance.
Plusieurs des faits prévus dans cet article peuvent
avoir des conséquences fort graves pour la sûreté des voyageurs. Il importe
donc d'en faciliter la constatation.
L'article 3 autorise le gouvernement à nommer des
agents ayant le caractère d'officiers de police judiciaire , dont les
attributions seraient de constater les contraventions, concurremment avec les
autres agents de l'administration , et, en outre, de rechercher les délits
commis dans les stations ou dans le voisinage des stations , ainsi que sur les
parties des routes dont ils auraient la surveillance. Ces agents seraient
placés sous la surveillance et l'autorité du ministère public, tout en restant
sous les ordres de l'administration du chemin de fer ; leurs attributions et
leurs devoirs se trouveraient, à certains égards, réglés par le code
d'instruction criminelle.
Des officiers de police ont déjà été nommés pour le
chemin de fer ; ils sont attachés aux principales stations ; les services
qu'ils rendent sont assez restreints parce que, n'ayant qu'une autorité
contestable, en ce qu'elle ne s'appuie sur aucun texte de loi, ils ne peuvent
agir qu'avec le concours de la gendarmerie ou de l'autorité locale. L'article 3
du projet permettra de tirer une utilité réelle de l'institution des officiers
de police. L'on sent, d'ailleurs, que les stations du chemin de fer, où tant de
personnes se réunissent journellement, où tant d'objets susceptibles d'être
soustraits sont déposés, peuvent être le théâtre de délits fréquents qu'il
importe de pouvoir faire constater et rechercher par des agents résidant sur
les lieux mêmes.
Texte du projet de loi
« Léopold, etc.
« Sur la proposition de notre ministre des
travaux publics,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Notre ministre des travaux publics présentera
aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :
« Vu
la loi du 12 avril 1835, relative à l’exploitation du chemin de fer ;
« Considérant
que cette loi, prorogée d’année en année, n’a force obligatoire, en ce qui
concerne la perception des péages, que jusqu’au 1er juillet 1838 ;
« Considérant
qu’une nouvelle prorogation est nécessaire ;
« Considérant
aussi qu’en ce qui concerne la police, il y a lieu de prendre quelques mesures
complémentaires de la loi du 12 avril 1835,
« Nous
avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui
suit :
« Art. 1er. Le terme fixé par l'article premier de la
loi du 12 avril 1835 (Bulletin officiel, n« 196), est prorogé au 1er
juillet 1839.
« Art.
2. Les ingénieurs, conducteurs, surveillants, cantonniers, gardes-barrières,
attachés au service du chemin de fer, constateront toutes les contraventions en
matière de voirie, telles qu’anticipations sur le corps de la route ou sur ses
dépendances, dégradations des ouvrages ou plantations, vols d’objets
appartenant à la route, dépôts de nature à entraver la marche des convois, et
généralement toutes tentatives de la malveillance.
« Les
procès-verbaux de ces agents feront foi en justice jusqu’à preuve contraire.
« Art.
3. Le gouvernement est autorisé à nommer des agents ayant le caractère
d’officiers de police judiciaire, qui constateront, concurremment avec les
autres agents de l’administration, les contraventions en matière de voirie, et
seront en outre spécialement chargés de rechercher les délits commis dans les
stations ou dans le voisinage des stations, ainsi que sur les parties des
routes dont la surveillance leur est confiée.
« Art.
4. Les agents mentionnés aux articles 2 et 3 prêtent serment devant le tribunal
de première instance.
« Mandons
et ordonnons, etc.
« Donné
à Bruxelles, le 10 mai 1838.
« Léopold.
« Par
le Roi : Le ministre des travaux publics, Nothomb. »
La
chambre donne acte à M. le ministre des travaux publics de la présentation de ce projet de loi et de
l’exposé de ses motifs, et en ordonne l’impression, la distribution et le
renvoi à l’examen de la section centrale du budget du département des travaux
publics pour l’exercice 1838.
MOTION D’ORDRE RELATIVE AU PERSONNEL DU TRIBUNAL
DE PREMIERE INSTANCE DE CHARLEROY
M.
Lebeau. - Puisque la chambre en est à régler l’ordre
de ses travaux, je prendrai la liberté d’appeler l’attention sur un objet dont j’ai
reconnu non seulement la nécessité, mais même l’urgence, dans les diverses
positions dans lesquelles je me suis trouvé. Je veux parler de l’augmentation
proposée pour le tribunal de Charleroy. La chambre a décrété l’urgence du
rapport ; elle a décidé ainsi (sans cela elle aurait pris une décision
dérisoire, ce qu’il est impossible de supposer) qu’elle s’en occuperait avant
la fin de la session ; car sans cela je ne comprends pas pourquoi on a engagé
la section centrale à faire un prompt rapport.
Je
prendrai la liberté de demander à M. le président s’il sait où en est l’examen
de ce projet de loi, et si nous pouvons espérer qu’il sera fait droit aux
justes réclamations du tribunal de Charleroy.
M. le
président. - La section centrale, chargée comme
commission de l’examen de ce projet de loi, s’est réunie à plusieurs reprises ;
elle s’est occupée de cet objet. Je crois que le rapport pourra être présenté
demain.
MOTION D’ORDRE RELATIVE AU L’INCIDENT MILITAIRE
DE STASSEN
M. le
président. - La parole est à M. Zoude.
M.
Zoude. - Arraché aux travaux législatifs par une
circonstance douloureuse, j’ai été privé de l’occasion de donner publiquement
mon assentiment aux paroles prononcées dans cette enceinte à l’occasion de la
violation du territoire et du statu quo qui a eu lieu d’une manière si brutale
dans le village de Strassen. Je déclare adhérer aux sentiments exprimés par la
chambre dans son adresse au Roi. Je déclare renouveler la protestation contre
les 24 articles que j’ai faite le jour de mon admission dans la chambre, le 7
novembre 1831.
Arrivé
de ma province, que j’ai quittée il y a à peine 24 heures, je dois dire que la
volonté de tous les habitants est de s’opposer, de tous leurs efforts et par
tous les moyens, à l’abandon d’une partie quelconque de leurs frères. C’est la
volonté particulière de mes commettants, et je prends l’engagement de la
soutenir de toute mon énergie, quelles que puissent en être les conséquences
pour moi personnellement. (Approbation.)
Discussion des articles
Article premier
M. le
président. - La discussion continue sur l’article premier.
M.
de Langhe. - J’ai entendu avec plaisir les explications
données par M. le ministre des travaux publics. J’avais cru jusque-là, et
plusieurs de mes honorables voisins avaient cru comme moi, que l’intention du
ministère était d’obliger les voyageurs à faire un séjour à Bruxelles, de les y
convier en d’autres termes. Cette idée m’a rappelé la conduite d’une régence
d’une ville où les voyageurs avaient coutume de s’arrêter pour dîner, et où,
par suite de plus d’accélération dans le voyage, ce dîner fut supprimé. La
régence de cette ville voulut, dit-on (je dis dit-on, parce que j’ai toujours
et de la peine à croire que ce fût exact), prendre un arrêté qui obligeât les
voyageurs arrivant dans cette ville par la diligence à s’y arrêter pour prendre
un repas. Je crois que les idées que le ministère avait donné lieu de se faire
attribuer hier, ont beaucoup de ressemblance avec ce projet d’arrêté.
Quoi
qu’il en soit, je me hâte de dire que les explications de M. le ministre des
travaux publics prouvent que telle n’a pas été l’intention du ministère, et que
ces explications ne m’ont pas paru suffisantes. En effet il y a deux sortes de
voyageurs : les uns voyagent pour leur agrément ou par curiosité. Ceux-là
s’arrêteront toujours à Bruxelles, quelle que soit la station, qu’elle soit à
l’Allée-Verte ou aux Bogards. Plusieurs quartiers qui ne sont pas moins beaux
sont plus près de la première station que de la deuxième. Mais il y a une autre
classe de voyageurs : ce sont ceux qui voyagent pour leur commerce, pour leurs
affaires ; ceux-là doivent vouloir beaucoup de célérité ; ce qui est à mes yeux
le premier agrément du chemin de fer. Eh bien, ceux-là, si la station est aux
Bogards, éprouveront un retard considérable. En effet, il faudra qu’ils
parcourent en omnibus ou à pied, selon leurs moyens, une partie de la ville,
dont les rues torses et étroites pourraient n’être pas sans danger pour les
omnibus. On peut dire, sans exagération, qu’il y aura une heure de retard. En
effet il faudra, indépendamment du temps du trajet, celui du chargement et du
déchargement des bagages. Ce n’est donc pas trop que de supposer que le départ
de la station des Bogards n’aura lieu qu’une heure après l’arrivée à la station
de l’Allée-Verte.
Alors
qu’arrivera-t-il ? Un voyageur du commerce, pressé d’aller de Mons à Anvers, et
désirant d’y aller en un jour, sera obligé de perdre deux jours.
Quant
aux frais, quoique je ne me connaisse pas très bien dans cette matière, j’ai
toujours vu qu’un grand établissement général coûtait moins que deux moyens ;
et je crois qu’il en est de même pour le chemin de fer.
On
m’a assuré, mais je ne vous en parle que comme un on-dit, on m’a assuré qu’il y
avait des personnes intéressées, des personnes qui possédaient des terrains
près des Bogards, qui avaient été chargées par le ministre de traiter cette
affaire : c’est un doute dont je fais part à la chambre.
Relativement
à l’encombrement, il ne sera jamais aussi grand à Bruxelles qu’à Malines, où
les chemins de fer se croisent, et où cependant une seule station suffit.
Je
ne conçois pas bien l’intérêt des villes pour demander les stations dans leur
intérieur. Pour quelque consommation qui peut en résulter, pour quelques
terrains qui augmentent de valeur, elles sont obligées à faire de grands
sacrifices. Je parlerai de Bruges ; on y a coupé un quartier de la ville, et on
a donné en outre quatre ou cinq cent mille francs pour faire cette coupure qui
exigera qu’on fasse un pont sur le chemin de fer. C’est acheter trop cher un
faible avantage. Ce n’est pas l’avis du conseil de Bruges ; c’est son affaire
et non la mienne.
On a parlé de la détresse financière de la ville
de Bruxelles ; je suis charmé d’avoir l’occasion d’en parler. Si l’on prouvait
que cette situation financière est désespérée, je ne voudrais pas que l’on
recourût à des moyens détournés, indirects, pour la rétablir ; je voudrais
qu’on employât des moyens directs. Si cette ville a besoin de secours, on lui
en votera. L’établissement d’une seconde station est inutile, est même
nuisible, et l’Etat ne peut contribuer pour une chose au moins inutile.
On
nous a dit qu’il n’y avait rien de fait ; j’en suis enchanté. Mais cette
assurance ne me suffit pas ; il me faut une assurance qu’on ne fera rien de
semblable ; sinon, je voterai contre toute espèce d’allocation.
M.
Lebeau. -
Messieurs, lorsqu’on se croyait au terme de cette discussion dont on a
un peu perdu l’objet principal de vue, un nouvel incident est venu la compliquer,
et il est difficile d’assigner la fin du débat. Quoi qu’il en soit, je ne puis
laisser passer, sans soumettre à la chambre quelques réflexions, les attaques
dont le projet, annoncé par la ministre des travaux publics, de construire une
seconde station à Bruxelles, a été l’objet.
Je
ne pense pas avoir besoin de faire une profession de foi sous le rapport de mon
indépendance de tout esprit de localité ; je crois que des faits et des faits
récents parlent assez haut pour prouver à la chambre et au pays que, lorsque je
vois l’intérêt général en jeu, et que je le vois en opposition avec les
opinions les plus vives de mes commettants, ce n’est pas l’opinion de mes
commettants que je suis, mais la mienne.
Je
n’ai pas l’avantage d’être propriétaire de quelques hectares près de la station
des Bogards ; et si l’intérêt général ne me paraissait pas y prescrire
l’établissement d’une station, je n’hésiterais pas à voter contre le projet de
cette station, comme j’ai voté dans d’autres circonstances contre des projets
qui me semblaient repoussés par l’intérêt général. Mais je crois que rien de
semblable ne peut être légitimement adressé à ceux qui soutiennent avec le
gouvernement la nécessité d’une seconde station à Bruxelles.
Je
ferai remarquer d’abord que le ministre, d’un seul mot, a fait dissiper bien
des scrupules. Ce qui surtout avait alarmé d’honorable préopinants, c’était
l’annonce d’une solution de continuité ; or, le ministre a déclaré, à plusieurs
reprises, qu’il n’y aurait pas solution de continuité : qu’il n’y en aurait pas
pour les marchandises, parce que cela serait impossible à concilier avec la
stricte surveillance que réclame l’octroi ; mais encore qu’il n’y en aurait pas
pour les voyageurs. Il me semble dès lors que la question perd à peu près toute
son importance, Cependant on ne se contente pas de ces déclarations ; on ne
veut même pas, à ces conditions, se débarrasser des inconvénients attachés à
une station unique ; on ne veut pas d’une seconde station.
Mais,
messieurs, la nécessité d’une seconde station, sa nécessité immédiate, me
paraît avoir été démontrée dans la séance d’hier, et par le ministre des
travaux publics, et par les honorables membres qui ont appuyé son opinion d’une
manière irréfragable.
Le
ministre a cité des faits ; car c’est la pratique qu’il faut consulter dans une
discussion de cette nature. Il a cité ce qui se passe dans l’organisation des
messageries ; il a dit que la même entreprise était obligée d’avoir plusieurs
bureaux à Bruxelles pour exploiter le service qui lui est confié. Et je puis
poser en fait que le mouvement des voyageurs, restreint à ce qu’il est pour les
diligences, ne pourrait pas être centralisé.
Je
défierais un entrepreneur, quelque bien secondé qu’il fût, s’il avait à lui
seul l’exploitation de toutes les messageries qui partent de Bruxelles et qui y
aboutissent, de parvenir à son but par un seul bureau : ce que personne
n’oserait tenter pour une exploitation aussi mesquine, en comparaison de celle
des chemins de fer, voudriez-vous l’imposer au gouvernement, au gouvernement
qui aura à faire face, je ne dirai pas à un service décuple, mais à un service
dont les proportions sont véritablement incalculables ? La progression qu’a
atteinte le mouvement des voyageurs depuis l’ouverture de la première section,
progression qui a dépassé toutes les prévisions, ne laisse aucun doute à cet
égard.
Mais,
dit-on, c’est une surprise qu’on veut faire à la chambre ; on ne lui a pas
parlé, dans la discussion de la loi des chemins de fer, en 1834, de l’intention
qu’on pouvait avoir d’établir une seconde station ; les mémoires des ingénieurs
n’en font mention nulle part. Je le crois bien. Est-ce que les mémoires des
ingénieurs pouvaient indiquer toutes les conséquences des amendements qui ont
agrandi le projet ministériel ? Est-ce que les ingénieurs pouvaient prévoir
qu’il y aurait un embranchement vers le Hainaut, embranchement qui est la
première nécessité de la création d’une seconde station à Bruxelles ? Est-ce
qu’ils pouvaient prévoir que non seulement le chemin de fer irait de la
frontière de Prusse à Anvers, mais qu’il irait encore de Bruxelles à Mons, et
bien plus, qu’il irait de Bruxelles à Paris ? Voilà ce qui dépasse toutes les
prévisions, voilà ce qui fait que l’importance du chemin de Mons s’étend dans
une proportion démesurée, puisqu’il n’est qu’une première section d’un chemin
de fer qui doit relier les deux capitales.
Et
lorsque, réduit aux proportions où il est aujourd’hui, le chemin de fer amène à
la station actuellement existante à Bruxelles un tel encombrement de voyageurs,
que c’est à peine si l’administration peut faire face aux réclamations qui
s’élèvent de toutes parts, voudriez-vous qu’une station unique suffît quand
tous les chemins de fer seront terminés, et quand un seul bureau ne peut
suffire au service des messageries ? Evidemment cela est impossible ; et je
prévois le moment où ce n’est pas une station de plus qui sera nécessaire, mais
où il en faudra deux ou trois ; et j’en féliciterai le pays tout entier, car ce
sera le signe le plus certain de la prospérité de cette grande et belle
entreprise.
Mais,
ajoute-t-on, de grands terrains autour de la station actuelle ont été achetés,
voyez quelle ruine pour le gouvernement ! Si le gouvernement a des terrains de
trop autour de la station, vous devez vous en féliciter, car en les revendant
il vous procurera de grands bénéfices : il est reconnu que ces terrains ont
doublé, triple de valeur.
Ainsi,
messieurs, ce ne serait pas un grand malheur, si, reconnaissant la nécessité de
construire une seconde station, on aliénait deux ou trois hectares de terrain
dont le gouvernement n’aurait que faire, aux environs de la station actuelle.
La
station actuelle est vicieuse ; elle est fort incommode, elle est beaucoup trop
excentrique ; le véritable siège de la station eût été près du jardin botanique
; alors on n’aurait pas obligé certaines classes de voyageurs, qui ne vont
guère en omnibus, certaines classes de voyageurs venant d’Anvers, par exemple,
à payer presque autant pour se rendre en fiacre de l’Allée-Verte à leur demeure,
qu’ils ont payé pour venir d’Anvers à Bruxelles. Eh bien, messieurs, puisque ce
vice existe et qu’il ne semble pas pouvoir être corrigé, cherchons un correctif
ailleurs ; ne commettons pas la même faute ; ne forçons pas les voyageurs
venant de Mons, de l’intérieur de la
France, de Paris, à se soumettre aux mêmes embarras, à faire les mêmes frais
que les voyageurs qui arrivent d’Anvers, de Gand, de Malines, etc.
D’après
les renseignements qui m’ont été donnés sur l’état des lieux, la station
projetée aux Bogards peut arriver bien plus avant dans la ville, elle peut
arriver très près de la Grand’Place. On dit : « Mais il y a des rues
étroites, des obstacles, des impasses. Eh, messieurs, le chemin de fer ne
respecte rien de semblable : devant lui les impasses s’effacent, les petites
rues font place à de grandes ; le chemin de fer vivifie tout, renouvelle tout
sur son passage ; s’il y a des impasses, de petites rues, devant le chemin de
fer elles disparaîtront ; de belles rues se créeront comme il s’en serait créé
si le chemin de fer avait pu aboutir aux environs du jardin botanique.
J’ai
entendu dire, messieurs, qu’il s’agit ici d’accorder un avantage exclusif à la
ville de Bruxelles, et que par conséquent c’est la ville de Bruxelles qui doit
en faire les frais. Je crois avoir prouvé surabondamment (car la preuve a déjà
été faite hier) que Bruxelles n’est que très accessoirement intéressé à
l’établissement d’une seconde station ; que la force des choses, même,
nécessite la création d’une nouvelle station, sous peine, à cause de
l’affluence des voyageurs venant du midi et du nord, de l’est et de l’ouest, de
rendre impossible l’administration du chemin de fer. Mais la capitale fût-elle
moins accessoirement intéressée à la construction dont il s’agit, je n’hésiterais
pas encore à défendre le projet du gouvernement. N’est-ce donc rien, messieurs,
que l’intérêt de la capitale ? Est-ce que par hasard, aux yeux de tout vrai
Belge, la ville de Bruxelles est une ville ordinaire ? Je ne parlerai pas (on
l’a fait déjà) des services rendus par Bruxelles à la cause de l’indépendance
belge ; je ne dirai pas que Bruxelles s’est mis à la tête de la révolution ; je
ne dirai pas que si Bruxelles est dans une grande détresse financière, qu’on
lui a en quelque sorte reprochée hier, c’est en partie pour avoir, par des
précautions coûteuses, par de grandes dépenses, matériellement improductives,
maintenu l’ordre dans ses murs, assuré la liberté des délibérations du congrès
national ; voilà cependant ce que Bruxelles a fait pour le pays ; il ne faut
être ingrat, ni envers les villes ni envers les hommes, et je n’hésite pas à
dire que si, en octobre ou novembre 1830, l’on avait proposé au congrès
national, en faveur de la ville de Bruxelles, un avantage comme celui dont il
s’agit aujourd’hui (s’il y en a un), une semblable proposition n’eût pas été
discutée, elle eût été votée par acclamation.
J’ai
dit tout à l’heure, messieurs, que Bruxelles n’est pas une ville ordinaire ;
Bruxelles appartient à la Belgique tout entière ; Bruxelles doit faire honneur
au pays, devenir une des gloires du pays ; chez tous les peuples où le
sentiment de la nationalité vit à un haut degré, on est convaincu que l’éclat
d’une capitale, centre des richesses, des arts et des lumières, rejaillit sur
le pays tout entier.
Messieurs,
on a voulu une monarchie en Belgique, on a voulu l’unité nationale ; prenons-y
garde, ce n’est pas avec un esprit provincial, avec des mœurs fédéralistes, que
l’on constitue l’unité nationale ; prenons garde, messieurs, qu’à notre insu, sans
trop nous rendre compte de l’impression à laquelle nous cédons trop souvent,
nous ne soyons ici beaucoup plus Flamands, beaucoup plus Wallons, beaucoup plus
Gantois, beaucoup plus Liégeois que Belges. Certes, les intérêts provinciaux et
locaux ont droit à notre sollicitude, et je crois que le législateur leur a
fait une bonne part dans notre organisation politique ; mais prenons bien garde
d’aller trop loin ; discutons ce qui concerne la capitale, non pas avec envie,
avec défiance, avec antipathie, mais avec sympathie, avec bienveillance. Je le
répète, si Bruxelles était moins accessoirement intéressé à la construction
projetée, il y aurait encore des raisons politiques d’une haute portée pour ne
pas hésiter à l’accorder ; mais on a prouvé que Bruxelles n’a pas dans la
question tout l’intérêt qu’on lui suppose lorsqu’il n’y a pas solution de
continuité.
Je n’irai pas plus loin, car je m’aperçois que
les considérations auxquelles je me livre ont une gravité qui n’était pas dans
mon point de départ. J’ai voulu prouver d’abord qu’il est impossible, dans
l’intérêt général, dans l’intérêt de la bonne administration du chemin de fer,
de se contenter d’une seule station ; mais j’ai ajouté ensuite que l’intérêt de
la ville de Bruxelles fût-il plus engagé dans la question qui se débat, je
n’hésiterais point, par suite de considérations politiques, qui ne peuvent
échapper à aucun esprit sérieux, à donner mon assentiment au projet annoncé par
M. le ministre des travaux publics.
M.
Devaux. - Messieurs, la question financière n’est pas
pour moi d’une grande importance : que le gouvernement fasse deux stations ou
qu’il étende la station actuelle, il y aura dans tous les cas des dépenses
assez notables à faire ; que le gouvernement, par les arrangements qu’il
prendra, fasse, sous le rapport des constructions, quelques avantages à la
ville de Bruxelles, je n’y vois, quant à moi, aucun inconvénient ; ce n’est pas
à cet égard que je me montrerai sévère ; il me semble que la question
principale n’est pas là.
Je
crois que nous ne nous entendons guère ; on ne sait pas au juste ce qu’il
s’agit de faire ; nous ne savons pas d’une manière certaine si l’on veut forcer
les voyageurs à mettre pied à terre oui ou non.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Non.
M.
Devaux. - Si l’on ne veut pas forcer les voyageurs à
s’arrêter Bruxelles, tout ce qu’on a dit aujourd’hui et hier en faveur de cette
ville tombe à faux ; si l’on ne force pas les voyageurs à mettre pied à terre,
s’ils peuvent prendre leur place depuis Louvain par exemple, jusqu’à Mons,
alors je demande ce que deviennent tous les arguments qu’on a fait valoir pour
démontrer l’utilité d’une seconde station, par rapport à Bruxelles ; on dit que
l’on convie les voyageurs à s’arrêter, et l’on dit en même temps qu’ils
pourront passer sans interruption ; mais alors on ne les convie pas à
s’arrêter, et s’il en est ainsi, je ne vois pas ce que la ville de Bruxelles
peut gagner à l’établissement de la station projetée.
Quant
à moi, je pense que si l’on veut faire une solution de continuité (et je crois
que c’est bien là ce que l’on veut), je crois que si l’on veut interrompre le
chemin de fer, c’est là une idée inadmissible, une idée qui est en contradiction
avec le principe de la rapidité des communications, en contradiction avec le
principe même des chemins de fer ; créer des obstacles, messieurs, pour
retarder les voyageurs, dans l’intérêt d’une ville, c’est faire tout le
contraire de ce que vous faites tous les jours ; c’est créer deux bassins là où
il n’y en avait qu’un ; c’est élever à plaisir une montagne là où il y avait
une plaine, c’est du moyen-âge tout pur, et l’on sait ce que c’est que le
moyen-âge en fait de communications.
On
craint que les voyageurs ne passent trop vite ; mais, messieurs, une semblable
crainte est contraire aux chemins de fer, contraire même aux routes pavées ; si
l’on voulait agir en conséquence de cette crainte, il faudrait en revenir aux
chemins de terre, car il est certain qu’avec des chemins de terre, ces
voyageurs passeraient beaucoup plus de temps dans le pays qu’avec toute autre
espèce de routes. Ce n’est pas ainsi, messieurs, qu’il faut envisager la
question ; facilitez le plus que vous pourrez tous les moyens de communication,
et alors les voyageurs demeureront, il est vrai, moins longtemps dans le pays,
mais le nombre des voyageurs sera décuplé, centuplé peut-être. Quoique les
diligences aillent aujourd’hui beaucoup plus vite qu’autrefois, consultez les
hôteliers, et vous verrez, messieurs, que leur position est beaucoup plus
avantageuse que lorsqu’on voyageait plus lentement.
Je
sais messieurs, que Bruxelles n’obtient pas toujours tout l’appui qu’elle
mérite, je sais qu’elle est peut-être un peu trop l’objet de jalousies locales
; quant à moi je voterai toujours en faveur de toutes les mesures qui pourront
être utiles à la capitale sans nuire à l’intérêt général du pays ; mais je ne
pourrais consentir à ce que, dans l’intérêt d’une ville, on force les voyageurs
à traverser, à pied ou en omnibus, une
distance d’une demi-lieue ou d’un quart de lieue.
L’intérêt
général exigeât-il l’établissement de deux stations, encore faudrait-il
qu’elles fussent aussi rapprochées que possible parce que les retards seraient
moindres, et parce qu’aussi les employés de l’administration du chemin de fer,
occupés d’un côté, pourraient être utilisés, quelques minutes après, dans
l’autre station.
Je
conviens cependant qu’à cet égard il faut consulter les circonstances locales.
Mais, dans tous les cas j’espère qu’on renoncera à l’idée de faire rompre
charge aux voitures des voyageurs et aux voitures des marchandises : il faut
que le voyageur qui a pris sa place à Mons puisse aller sans arrêt jusqu’à
Malines et jusqu’à l’extrémité du chemin de fer.
On a dit qu’il y aurait un encombrement de
marchandises. Cela prouve seulement qu’il faut des sections dans la station...
Mais l’encombrement des marchandises venant de France existera également pour les
voyageurs venant du même pays, à moins que vous ne les reteniez à Bruxelles.
Messieurs,
je le répète, je suis très disposé à contribuer à ce qui peut favoriser la
prospérité de Bruxelles ; mais je ne veux, au profit de la capitale, rétablir
un usage du moyen-âge, en vertu duquel le seigneur d’un château qui dominait un
pont percevait forcément un tribut sur les passants ; je ne veux pas que les
hôteliers de Bruxelles succèdent aux anciens seigneurs.
En
résumé, je dis qu’il est de l’intérêt général qu’à Bruxelles, comme ailleurs,
le service du chemin de fer ne soit pas interrompu.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, je
suppose qu’il y ait à l’Allée-Verte une belle station, une station spacieuse,
accessible, suffisante pour le service ; la question se présentera tout
autrement qu’elle ne se présente en ce moment. Si, à quelque distance de cette
station suffisante, spacieuse, de facile accès, on proposait d’établir une
deuxième station, on pourrait, à juste titre, contester la nécessité, l’utilité
de cette mesure.
Mais,
messieurs, les choses n’en sont pas là : il existe une station insuffisante,
difficilement accessible, une station séparée même de la ville par des terrains
qui n’appartiennent pas au gouvernement, par des maisons.
Dès
lors, messieurs, deux remèdes se présentent : c’est ou d’agrandir la station
actuelle, ou bien de partager le service, au moyen de l’établissement d’une
seconde station.
C’est
ainsi que les faits s’offrent à nous. Il faut accepter la question, non pas en
théorie, mais il faut l’accepter telle qu’elle résulte des circonstances.
L’alternative est celle-ci : faut-il agrandir démesurément la station actuelle
? ou bien faut-il, dans l’intérêt du service, établir une deuxième station ?
Dans
ce dernier cas, il n’y a pas deux stations isolées ; comme on l’a déjà dit
hier, il y aura une jonction entre les deux stations ; l’on pourra aller du
chemin de fer du Hainaut à l’Allée-Verte. Et tant que l’intérêt des voyageurs
l’exigera, on fera des convois spéciaux ; à partir de Halle par exemple, on
pourra même partager les convois ; l’un se dirigera directement sur
l’Allée-Verte, et l’autre sur les Bogards. Voilà comment le service peut
parfaitement se faire.
Maintenant,
si l’on me demande de rendre compte à l’avance des combinaisons que le service
rendra nécessaires, je dirai que je ne peux pas répondre dès à présent ; bien
des combinaisons sont encore inconnues ; mais une chose que nous savons
positivement, c’est que la station actuelle de l’Allée-Verte est insuffisante,
et qu’il faut remédier à cette insuffisance, soit par l’agrandissement
considérable de la station, soit par l’établissement d’une deuxième station en
relation avec la première.
Ainsi,
messieurs, je fais de ceci une question de bonne administration du chemin de
fer. Que faut-il faire dans l’intérêt du chemin de fer ? Est-il convenable de
centraliser tout le service dans une station unique quelle qu’elle soit ?
J’ai
déjà fait remarquer hier à la chambre que sur les 1,300,000 voyageurs qui ont
été transportés l’année dernière, 400,000 à peu près ont pris leurs billets à
Bruxelles. On peut aussi admettre que 3 ou 400,000 voyageurs sont arrivés à
Bruxelles ; car ce ne sont que les 400,000 personnes qui ont pris leurs billets
à Bruxelles, qui sont les partants, si je puis m’exprimer ainsi ; il y a autant
d’arrivants à peu près.
On
peut dès lors, sans être taxé de visionnaire, supposer que le jour viendra où
il y aura, tant arrivant que partant, un million et demi, et peut-être même
deux millions de voyageurs à Bruxelles. Je demande de quelle manière vous
pourriez, sans décentraliser le service, concentrer sur un seul point ce
mouvement d’hommes, mouvement sans exemple. Il n’y a aucune exagération dans
ces conjectures, puisque l’année dernière il y a eu déjà 400,000 partants et
probablement autant d’arrivants. Nous n’étions donc pas bien loin d’un million
de voyageurs. Pendant les quatre mois d’hiver écoulés depuis le 1er janvier,
122,000 voyageurs ont déjà pris leurs billets à Bruxelles. Le bureau de
Bruxelles est le plus important ; il équivaut pour le double au bureau le plus
important, celui de Malines excepté.
Maintenant,
il faut aussi s’entendre sur ce qu’on appelle station ; s’il s’agit de
plusieurs bureaux, vous aurez beau faire ; vous arriverez à la nécessité de
décentraliser le service, d’avoir plusieurs bureaux, un bureau dans telle
direction, un bureau dans telle autre direction.
J’ai
dit hier que le point de départ du gouvernement, dans la négociation ouverte
avec la ville de Bruxelles, avait été celui-ci : Il faut dépenser 500,000 fr.
environ à l’Allée-Verte, pour agrandir cette station ; la ville de Bruxelles
consent-elle à ajouter à cette somme ce qui sera nécessaire pour
l’établissement d’une deuxième station aux Bogards ? La ville de Bruxelles y a
consenti. Et remarquez que 500,000 fr. ne présentent pas une somme bien
exagérée, quand il s’agit d’acheter des terrains dans les environs de
l’Allée-Verte ; ces terrains sont devenus d’un prix très élevé. Cinq cent mille
francs représentent un peu plus de 5 hectares à l’Allée-Verte, et il faudra
acquérir trois hectares pour agrandir convenablement la station actuelle. A
l’Allée-Verte, on est entouré de maisons ; ou bien les terrains sont déjà
devenus des emplacements de maisons.
Il
n’en est pas de même de l’endroit dit des Bogards, où les terrains ne sont pas
bâtis et ne sont pas encore devenus des emplacements de maisons ; ils ne le
deviendront que si on vient à y établir une station.
Maintenant
rapetissons, si vous le voulez, la question pour un moment ; acceptons-la
commue question locale.
Il
y a deux manières d’agrandir la ville de Bruxelles : c’est de construire des
quartiers nouveaux, ou de vivifier ceux qu’on peut considérer comme inertes. Eh
bien, en acceptant la question sous ce point de vue restreint, l’établissement
d’une station aux Bogards transformera tout un quartier de Bruxelles. La
question réduite à des proportions en apparence purement municipales s’agrandit
malgré nous ; elle se rattache de nouveau aux intérêts généraux du pays.
Pensez-vous,
messieurs, que les revenus généraux de l’Etat ne se ressentent pas de
l’établissement d’une deuxième station au milieu d’un quartier mort de
Bruxelles ? Mais les valeurs des terrains décupleront. Des propriétés restées
depuis des siècles en la possession de la même famille, sont passées de main en
main. Croyez-vous que le trésor public ne se ressente pas de cette
transformation d’une partie de la ville de Bruxelles ?
Et
quand je dis qu’il y a des terrains aux Bogards qui sont restés depuis des
siècles en la possession des mêmes familles, je pourrais les citer, je pourrais
citer des propriétaires par leurs noms propres. (Interruption.) L’on me demande ce que cela fait ? Cela fait qu’en acceptant
la question sous le point de vue restreint, l’intérêt général s’y rattache
indirectement, impérieusement.
Il
faudrait, me dit encore l’honorable membre qui m’interrompt ; il faudrait, à ce
compte-là, faire des stations partout. Mais messieurs, les résultats ne
seraient pas partout les mêmes. Vous aurez beau mettre une station dans tel ou
tel endroit, vous ne déciderez pas la valeur des propriétés ; vous ne
mobiliserez pas le sol.
On m’a aussi adressé une interpellation qui
porte sur une question toute personnelle, sur le choix de l’agent qui aurait
été employé par le gouvernement. Je dois dire que, dès le premier, jour, cet
agent avait fait loyalement ses réserves, qu’il a déclaré qu’il céderait les
propriétés situées dans le quartier des Bogards, aux prix qu’il les avait
achetées. D’ailleurs, le propriétaire qu’on a en vue n’est qu’un des petits
propriétaires de ce quartier. Je dois même déclarer qu’en général tous les
propriétaires auxquels on s’est adressé, voyant que le gouvernement ne prenait
pas de décision, ont fait des conditions fort raisonnables qui étonneront tout
le monde. Le gouvernement dans cette circonstance était resté en dehors de la
négociation ; c’était la ville de Bruxelles qui était censée agir seule, et
l’on s’est montre envers la ville de Bruxelles plus accommodant qu’on ne
l’aurait été envers le gouvernement, si au préalable il avait fait entendre
qu’en tout état de cause une station serait établie aux Bogards.
Ainsi,
pour la question financière, je crois avoir fait connaître assez de faits pour
prouver qu’il ne résultera pas de l’établissement d’une seconde station une
dépense beaucoup plus considérable que celle qu’il faudrait faire pour
approprier convenablement la station actuelle de l’Allée-Verte. Quant à
l’intérêt du service et aux convenances des voyageurs, j’ai dit aussi de quelle
manière on s’y prendrait pour concilier les intérêts.
M.
Pollénus. - La réponse de M. le ministre des travaux
publics aux différentes observations présentées hier et aujourd’hui ne me
rassure pas entièrement que les moyens de transport ne seront pas interrompus
par l’établissement de la station des Bogards. Je prie la chambre de remarquer
que le ministre dit bien qu’il n’y aura pas solution de continuité dans le chemin
de fer, mais il ajoute qu’il n’y aura de moyens de transport organisés des
convois que pour autant que les circonstances l’exigeront. Qui décidera si les
circonstances exigent l’organisation de ces moyens de transport ? Qui sera juge
pour décider s’il y a un nombre suffisant de voyageurs, une quantité assez
considérable de marchandises, en un mot, ces circonstances non définies dans
parle le ministre ?
Je
ne crois pas qu’il soit entré dans les intentions des législateurs de 1834 de
faire dépendre le succès du chemin de fer de circonstances semblables ; vous ne
perdrez pas de vue que le but qu’on se propose, c’est d’arrêter les voyageurs à
Bruxelles, on l’a dit hier. Il est difficile, après les déclarations faites par
les organes du gouvernement dans la séance d’hier, de ne pas penser qu’on
trouvera toujours des circonstances pour forcer le transbordement des
marchandises et obliger les voyageurs à faire halte à la section des Bogards.
J’arrive
à la question financière qui, de l’avis d’un honorable préopinant ne devrait
pas nous occuper dans cette circonstance. Je pense que cette question
financière mérite cependant de fixer votre attention. D’après le ministre des
travaux publics, il ne s’agirait que de déplacer une dépense. Il pense qu’il y
a deux moyens de remédier à l’encombrement de l’Allée-Verte, c’est d’agrandir
la station actuelle de l’Allée-Verte ou d’en établir une seconde.
Par
là il semble dire qu’en établissant la station des Bogards, on sera dispensé
d’augmenter la station de l’Allée-Verte. Pour moi, il est démontré que
l’encombrement de l’Allée-Verte nécessite dès à présent l’agrandissement de
cette station. Vous aurez beau établir deux ou trois autres stations détachées
à des points différents, cela ne dispensera pas de devoir faire des travaux considérables
d’agrandissement à l’Allée-Verte. Ainsi il ne s’agit pas de déplacer une
dépense, puisque la nécessité de l’agrandissement de l’Allée-Verte existera
toujours.
S’il
est aussi évident que je le pense, que le gouvernement sera obligé d’agrandir sous
peu la station de l’Allée-Verte, je demande si, en présence d’une nécessité
reconnue par tout le monde de faire cet agrandissement, il est prudent, il est
rationnel de construire, à une grande distance de cette station actuelle qu’on
est obligé d’agrandir, une autre station qui n’aura qu’une faible influence sur
l’encombrement de la station de l’Allée-Verte, car tous les voyageurs dont on a
parlé ne partent pas au même instant pour toutes les directions.
Puisque
je touche à la question financière, j’engagerai aussi la chambre à ne pas se
méprendre sur les dépenses que doit entraîner la station des Bogards. Cette
station ne sera pas établie au moyen d’expropriations des terrains nécessaires
pour la station proprement dite. Je prie la chambre de faire attention que si
la station des Bogards est admise, on sera obligé d’établir un chemin de
jonction qui couperait le faubourg de Flandre dans la partie la plus couverte
d’habitations. Ainsi, après avoir exproprié quelques hectares pour la station,
vous aurez d’autres expropriations à faire pour le chemin de jonction. La
question financière ne se réduit donc pas à la nouvelle station, mais elle
consiste surtout dans la route qui coupera de part en part le faubourg de
Flandre ; là est l’énormité de la dépense.
Comme
le ministre des travaux publics ne s’est pas rendu aux observations qui
tendaient à établir qu’il y avait économie à avoir une station unique, sauf à
la diviser de telle manière qu’elle pût servir à tous les besoins du service,
qu’il y avait certains employés qui pouvaient recevoir une extension de
travail, tandis que si on crée deux stations, on est obligé de doubler le
personnel pour certains services : par exemple, pour l’inspection des
locomotives, un seul ingénieur suffit s’il n’y a qu’une station ; il en faudra
deux si l’on admet deux stations. Il faudra également deux bâtiments pour
placer les locomotives. Pour la réparation, les ouvriers réparateurs réunis sur
un seul point feront plus de besogne que s’ils sont éparpillés.
Quant à la question d’économie, je ferai une
autre observation ; c’est qu’en admettant la station des Bogards on allonge de
beaucoup le chemin de fer. Je désire que d’autres qui se connaissent mieux que
moi en cette matière parviennent à engager le ministre à s’arrêter au plan qui
me paraît le plus rationnel et dont il n’a pu contester l’utilité, la
possibilité, c’est-à-dire l’agrandissement de la station actuelle, afin de
réunir dans cette station unique tout ce qu’exigeraient les besoins du service.
Le
ministre a dû renoncer à sa pensée de vouloir forcément arrêter les voyageurs à
Bruxelles. Cette pensée a été qualifiée comme elle devait l’être, par
l’honorable M. Devaux. Elle est d’un autre siècle. Il serait impossible de la
réfuter mieux que ne l’a fait cet honorable membre. Malgré cette déclaration,
la ville renoncera difficilement aux avantages que lui promettait la pensée
première du gouvernement.
M.
Desmet. - A entendre les orateurs qui ont pris la
parole dans la séance d’hier, on peut douter de l’intention du gouvernement de
faire un chemin de jonction. Cependant le ministre des travaux publics vous a
dit que le chemin de fer de la mer et de l’Allemagne serait mis directement en
communication avec celui de France. Si on continue ainsi le chemin de fer sans
s’arrêter nulle part, le chemin de jonction ou plutôt de continuation doit être
à la charge de l’Etat comme les autres parties de notre grande ligne de chemin
de fer. C’est là qu’on voit la faute qu’on a commise en établissant un centre à
Malines, où on est quelquefois obligé de s’arrêter deux heures.
Comme
je crois que c’est l’intention du gouvernement de faire cette route de
jonction, j’appuie la proposition de la station des Bogards ; mais il me semble
que d’après le plan, le chemin de jonction n’irait pas d’une station à l’autre,
mais qu’il aboutirait au-delà de la station ; vous aurez ainsi deux stations :
c’est une faute, en ce qu’il en résultera une plus grande dépense et un retard
pour les voyageurs. Je voudrais que la jonction se fît par un embranchement
allant d’une station à l’autre.
La
question est maintenant sur la station des Bogards ; on s’oppose à son
établissement. Il me semble que les deux stations sont nécessaires.
La
station de la porte de Laeken est trop éloignée du chemin de France ; on aurait
pu faire une station unique entre le chemin de l’Allemagne et de la mer et le
chemin de France, au centre de la ville.
M.
Lebeau a dit qu’il était mieux de placer la station au jardin botanique.
Je
ne suis pas un ingénieur pour indiquer une place, mais il me semble qu’on
pourrait en trouver une au Marché-aux-Grains. Je crois qu’il serait nécessaire
d’avoir deux stations dans la ville de Bruxelles, parce que celle de la porte
de Laeken est mal placée, et que je crois qu’il serait en ce moment moins
coûteux et plus facile d’établir une seconde, que de supprimer celle de la
porte de Laeken et en faire une centrale entre les deux routes, qui serait
difficile à trouver et entraînerait de grandes dépenses.
Il
est certain que les stations d’arrivage doivent être à la charge de l’Etat ;
mais la station de Bruxelles sert aussi à faite arrêter les voyageurs à
Bruxelles ; sous ce rapport, il y a avantage pour la ville de Bruxelles, elle
doit donc concourir à la dépense comme les autres villes concourent à la
dépense de leurs stations.
A
cet égard je ne suis pas de l’opinion de l’honorable M. Lebeau que les
provinces doivent tout faire pour la capitale. Dans ce sens il n’y aurait pas
besoin d’un budget pour la capitale. Je ne suis pas de cet avis, et en fait il
ne s’agit pas de cela, puisque la ville de Bruxelles a déjà voté un tiers de la
dépense, et que même elle a cédé des terrains d’une grande valeur ; si c’est
ainsi, elle contribuera pour sa part comme l’ont fait les autres villes où on a
établi des stations ; mais, je le répète, c’est une erreur qui a été avancée
par l’honorable M. Lebeau, qu’il faille faire
par l’Etat toutes les dépenses qu’entraîneront les stations du chemin de
fer à établir dans la ville de Bruxelles ; elle a déjà le double avantage de
recevoir beaucoup de visiteurs, étant le centre des affaires de la capitale du
pays, et en outre on voudrait qu’elle ait ces avantages tout gratuitement : il
voudrait donc, cet honorable membre, que tous les capitaux viennent se
concentrer dans la capitale et que nos autres villes s’appauvrissent ; c’est
une erreur palpable, car nous devons chercher l’aisance et la prospérité du
pays. Mais que veut-on faire en augmentant les stations de Bruxelles et y
portant les principaux arrivages et départs ?
On
veut corriger ce qu’on a fait et établir un bon centre à Bruxelles. On a fait
une faute en établissant le centre à Malines, on veut le corriger, j’en
félicite le gouvernement. C’est à Bruxelles que doivent être le centre et le
point d’arrivages. Par le déplacement du centre, on pourra beaucoup corriger la
direction des sections, et on pourra plus facilement faire profiter toutes les
parties du pays du chemin de fer ; quand le centre sera établi à Bruxelles, je
me flatte que le gouvernement abandonnera son exécrable monopole et laissera
établir des chemins de fer là où les différentes localités le trouveront
nécessaire. Car, quand vous faites contribuer tout le pays à votre chemin de
fer, laissez-le au moins jouir de ses avantages et ne faites pas, pour continuer
ce système, des parties privilégiées. J’insiste de toutes mes forces pour que
le gouvernement abandonne le monopole, laisse faire les sociétés, laisser
arriver tous les chemins de fer à la capitale, et j’insiste encore pour que,
par un intérêt mal calculé et au détriment d’une grande population, le ministre
ne s’oppose pas à la construction du chemin de fer direct de Gand à Bruxelles,
au moyen duquel on fera ce trajet non plus en deux heures et demie, mais en
trois quart d’heure ; les habitants de la vallée de la Dendre, etc., 400,000
habitants enfin, profiteront de ce chemin de fer. Laissez faire les sociétés,
soyez certains que vous vous en trouverez bien ; imitez ici l’Angleterre et
surtout l’Amérique, car quoi qu’on en ait dit hier, les Etats-Unis ne font rien
par l’union, tout se fait par les localités et par les particuliers, et
cependant il n’y a nulle part plus de chemins de fer qu’en Amérique.
Messieurs, le chemin de fer coûte au pays une
forte somme. Je ne me trompe pas en disant qu’il faudra 100,000 fr. pour
exécuter toutes les routes en fer et ouvrages qui les concernent qu’on a
décrétés dans cette chambre, et pour l’exécution desquels tout le pays devra
contribuer ; mais si on fait contribuer tous les habitants de la Belgique dans
cette énorme somme, qu’on les laisse au moins aussi en avoir un certain profit
et qu’on leur laisse la liberté de faire des routes à leur frais, qui viendront
s’aboutir au grand centre de la capitale. J’ai presque toujours voté contre les
dépenses du chemin de fer, parce que je n’ai jamais voulu donner mon
assentiment au mode d’administration par régie ; mais si j’avais l’assurance
que le gouvernement veut renoncer au monopole et laisser faire les sociétés je
voterais cet emprunt, parce ce que je dirais : Le gouvernement a donné l’élan,
et maintenant il va laisser faire.
Mais
si le gouvernement veut continuer le monopole, je voterai contre le projet.
M.
Pirmez. - Le gouvernement a parlé aujourd’hui d’une
tout autre manière qu’hier.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Ce que j’ai dit
hier, je l’ai encore dit aujourd’hui.
M.
Pirmez. - Il ne s’agit seulement de M. Nothomb, il
s’agit du gouvernement en général. Les organes du gouvernement ne pouvaient
d’ailleurs parler autrement qu’ils l’ont fait aujourd’hui, après que
l’honorable M. Devaux a si bien démontré combien sont petites les idées émises
hier. Aujourd’hui on laisse penser qu’il n’y aura pas de point d’arrêt ; que de
Halle, par exemple, on pourra aller directement à Anvers ; mais cependant, dans
cette déclaration, il manquer quelque chose, car il semble que l’arrêt sera la
règle, et le libre parcours l’exception, puisque les voyageurs devront
témoigner le désir de continuer leur voyage ; à défaut de quoi l’arrêt sera la
règle.
Si
le gouvernement avait persévéré aujourd’hui dans les idées émises hier,
j’aurais cru nécessaire de faire insérer dans la loi une disposition pour
empêcher que le gouvernement eût le pouvoir de les mettre à exécution, car ses
idées, comme l’a fort bien dit l’honorable M. Devaux, sont des idées du
moyen-âge ; c’est le droit d’arrêter les passants pour les rançonner. Voilà
l’idée du gouvernement.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Vous exagérez.
M.
Pirmez. - Il n’y a qu’à lire ce que MM. les ministres
ont dit hier et à se rappeler ce que vient de dire l’honorable M. Lebeau, pour
s’assurer qu’il ne s’agit pas d’autre chose que d’arrêter les passants pour les
rançonner.
On
a parlé de l’intérêt de la ville de Bruxelles ; on a fait remarquer qu’il
fallait un point d’arrêt à Bruxelles pour que le voyageur fût obligé d’y
dépenser son argent, et cela dans l’intérêt de la ville de Bruxelles ; mais
Bruxelles n’a pas intérêt à cela. Vous ferez un mal infini pour avoir un bien
extrêmement minime. Si vous forcez un étranger à rester quelque temps à
Bruxelles et par suite à y dépenser 2 fr. environ, ce ne sera pas la ville de
Bruxelles qui aura gagné ces 2 fr., mais un ou deux habitants, en un mot, une
partie minime de Bruxelles ; tandis que l’étranger, qui aura dépensé ces 2 fr.
aura, non seulement son argent, mais encore son temps, bien plus précieux que
ses 2 fr.
M.
de Brouckere. - Mais il aura bu et mangé.
M.
Pirmez. - Vous causerez ainsi un préjudice
considérable à un nombre immense d’étrangers et de nationaux pour procurer un
bien faible avantage à quelques habitants de Bruxelles ; en un mot, vous
brûlerez une maison pour cuire un œuf.(On
rit.) Voilà à peu près le système préconisé au profit de la ville de
Bruxelles.
On
a parlé du coût de la station ; je regarde cette question comme très peu
importante. Si on veut que l’Etat paie, soit ; mais on ne doit pas laisser au
gouvernement le pouvoir d’arrêter les voyageurs, il fait que le libre parcours
soit la règle et qu’il n’y ait d’arrêt pour personne.
Je crois que l’honorable M. Lebeau a parlé
d’esprit provincial, et a dit que l’esprit national est de faire arrêter les
passants à Bruxelles. A mes yeux l’intérêt national est de laisser librement
circuler ceux qui veulent circuler, et leur donner tous les moyens de circuler
le plus facilement possible. Ces idées-là, nous les avons payées cher.
N’avons-nous pas sous les yeux le canal de Charleroy et ses écluses ? N’est-on
pas saisi de pitié et d’indignation en en voyant le résultat, en voyant le mal
immense qu’on a fait à une contrée en voulant l’empêcher d’aller librement à la
mer et rendre nécessaire le déchargement à Bruxelles ?
J’espère
que M. le ministre s’expliquera clairement, et dira que l’on pourra aller aussi
librement de Mons à Anvers qu’on peut aller ailleurs. Toutes ces idées de
privilège pour Bruxelles ne sont plus de ce siècle.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Ce que j’ai dit
hier, je l’ai répété aujourd’hui. Je crois n’avoir rien retranché ; je
n’entends rien rétracter. Je ne suis pas en contradiction avec moi-même ; je
n’ai pas dit qu’on forcerait les voyageurs à s’arrêter à Bruxelles. Je dis que
les voyageurs s’arrêteront d’eux-mêmes à Bruxelles, et qu’ils aimeront mieux
s’arrêter à la station des Bogards que se morfondre à la station de l’Allée-Verte,
si vous y concentrez tout ; voilà ce que j’ai dit. J’en appelle à cet égard à
l’avenir, je puis même me contenter d’en appeler à l’expérience qu’on a déjà
faite ailleurs.
Il y a dans cette question une question
financière et une question de bonne administration pour le chemin de fer. Sur
la question financière je me suis expliqué, et l’honorable préopinant lui-même
a déclaré qu’il n’y attachait pas une importance prépondérante. Reste la
question de bonne administration. La chambre me permettra de demander pourquoi
cette question de direction de chemin de fer jouit d’un privilège unique depuis
trois ans, que nous nous occupons d’exécution de chemins de fer, de tracés et
de stations ; pourquoi la chambre ne s’est-elle pas occupée de la question des
plans inclinés de Liége et de celle de la station de Louvain par exemple ? Je
ne veux pas en dire davantage à cet égard. Depuis trois jours, dans cette
chambre, on m’a dit plus d’une fois, mes amis en particulier m’ont dit plus
d’une fois que je devais être ministre vis-à-vis de mes agents. Je prie la
chambre de ne pas m’affaiblir comme ministre vis-à-vis de mes agents. (Bien ! très bien !)
M.
Desmaisières. - Ayant fait partie de la commission d’enquête
instituée pour les chemins de fer, je crois pouvoir m’expliquer sur la question
relative à la station des Bogards. Je le ferai très brièvement.
Je
demanderai d’abord à la chambre la permission de lui lire quelques lignes du
rapport que mes collègues et moi avons fait aux ministres des travaux publics
(page 68 du recueil des documents relatifs à ce travail).
«
1ère section de Bruxelles à Tubise. » Ici il est important d’abord de vous
faire remarquer la note qui se trouve au bas de la page, qui est ainsi conçue :
« Les
observations que nous rapportons ici, relativement à la première section de
Tubise à Bruxelles, sont communes à la majorité et à la minorité de la
commission. »
Nous
avons donc été unanimes en ce qui concerne cette section qui comprend la
station des Bogards. Je continue ma citation.
«
Cette première section appelle l’attention de la commission sur deux points
principaux : liaison du chemin projeté vers Mons avec celui vers Malines ;
station des Bogards. Que la route venant de Mons soit prolonger jusqu’à
l’Allée-Verte, c’est une condition que l’on doit nécessairement s’imposer. Il
ne peut rester de lacune dans les grandes lignes de Paris vers Anvers et Liége.
« Si
cette lacune existait, il faudrait la combler de suite, ne fût-ce que pour le
commerce.
« Nous
admettrons donc que la route de Bruxelles par le Hainaut partira de la station
de l’Allée-Verte.
« Quant
à la station des Bogards, nous la croyons utile, nous la croyons indispensable,
non seulement dans les intérêts de Bruxelles, qui, à mes yeux, sont des
intérêts généraux, plutôt que des intérêts locaux ; non seulement par des
raisons politiques, mais aussi dans l’intérêt des voyageurs eux-mêmes, surtout
si le chemin de fer conduit jusqu’au centre de la ville. Toutefois ce repos, à
Bruxelles, doit être facultatif et non obligatoire ; les convois se
diviseraient donc à la naissance d’un embranchement dirigé du tronc principal
vers les Bogards, et cela pourrait se faire incontestablement sans grande
difficulté d’administration. Quant aux embarras d’octroi, ils concernent l’administration
municipale ; or, elle a déclaré, par son délégué, qu’elle en faisait son
affaire et qu’elle saurait y obvier.
« Indépendamment
du point de départ de l’Allée-Verte et de la station des Bogards, il importe
d’adopter, pour la partie de route qui longera l’enceinte de Bruxelles, un
tracé qui facilité l’établissement de lieux de dépôt, rapprochés, pour les
matières encombrantes qui arriveront par le chemin de fer, pour l’usage de la
capitale, telles que houilles, pierres de taille, pavés, bois de construction,
etc. »
Messieurs,
j’ai cru devoir rappeler à la chambre ce passage du rapport de la commission
dont j’ai fait partie, parce que les explications données hier par l’honorable
ministre des travaux publics et par son collège le ministre des finances m’ont
fait juger qu’ils entendaient autrement l’établissement d’une station aux
Bogards. Il est vrai qu’aujourd’hui le ministre des travaux publics a en
quelque sorte modifié ses explications. Mais de ce que ces ministres ont dit
hier, il résultait que, dans leur opinion, la station des Bogards était la
principale…
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Toutes les deux
sont principales.
M.
Desmaisières. - Tandis que la commission, regardant cette
station comme utile, comme indispensable, considérait néanmoins celle de
l’Allée-verte comme principale.
Si
la commission a jugé nécessaire la station des Bogards, ç’a n’a pas été par les
motifs exposés dans cette discussion ; ce n’a pas été, par exemple, parce
qu’elle aurait vu l’administration Van Gend établir deux bureaux à Bruxelles
pour ses diligences ; car on peut croire que si cette administration agit
ainsi, c’est probablement parce qu’elle n’a pas trouvé un local assez spacieux
pour y réunir tous ses bureaux. Ce n’a pas été non plus en considérant que 400
mille voyageurs, sur 1,200, auraient pris, en 1837, leurs billets à Bruxelles ;
car il n’a existé, pendant cette année, que le chemin de Bruxelles à Anvers, et
par conséquent tous les habitants du royaume ainsi que les étrangers qui
voulaient voir le chemin de fer étaient bien obligés de se rendre dans l’une de
ces deux villes pour avoir des places.
Si
la commission d’enquête a jugé la station des Bogards indispensable, c’est
parce que Bruxelles est capitale, et que ses intérêts, sous ce rapport, sont
ceux du pays. Il est de l’intérêt général de rendre possible à tous, quel que
soit le point de départ, l’arrivée au centre de Bruxelles ; je dirai même
d’attirer et de faire séjourner le plus de monde possible dans une capitale.
Une station au centre de Bruxelles devenait donc utile. Cependant il n’est pas
entré dans les idées de la commission de forcer personne d’y séjourner ; cela
d’ailleurs aurait été un obstacle invincible à ce que le but principal des
chemins de fer, la célérité, fût atteint.
La
seconde station ne présente aucune difficulté quant à l’exploitation ou quant à
l’administration du chemin de fer, et rien de plus aisé que d’imaginer les
moyens d’organiser le service avec deux stations : je n’entrerai pas dans ces
détails, je me bornerai à faire remarquer que, comme on délivre, dans les
bureaux, des billets de place, qui portent pour point d’arrivée telle ou telle
station, on pourra en délivrer qui portent pour point de débarquement,
Bruxelles, station des Bogards, à ceux qui voudront pénétrer au centre de
Bruxelles pour s’y arrêter, et d’autres portant Bruxelles, station de l’Allée
Verte, à ceux qui voudront s’y arrêter ou continuer immédiatement leur route.
Relativement à la question d’argent, la
commission d’enquête n’a pas eu à s’en occuper ; elle n’a eu qu’à donner son
avis sur la direction du chemin de fer et sur les plans soumis aux ministres.
Toutefois, si vous considérez la station des Bogards comme facultative, comme
secondaire, elle ne coûtera pas autant qu’une station principale. De plus,
comme Bruxelles en retirera de grands avantages, il faut que cette ville
contribue à la dépense. Je sais bien que ses finances sont dans un état
désastreux qu’il faut attribuer en grande partie, peut-être, aux circonstances
de la révolution qui ont fait de cette cité le théâtre principal des combats
qui ont eu lieu ; je sais bien que sa situation ne lui permet pas de grandement
coopérer à la dépense ; mais c’est là une raison de plus pour ne pas faire des
Bogards une station principale. Or, messieurs, si j’en juge d’après les
explications données hier par les deux ministres, il faudrait un million et
demi de francs pour établir la station des Bogards telles qu’ils l’entendent.
Eh
bien, messieurs, avec un million et demi on pourrait peut-être donner des
embranchements à certaines localités qui en demandent, embranchements qui
seraient beaucoup plus utiles que la station des Bogards ; mais, encore une
fois, j’ai voté dans la commission d’enquête pour la station des Bogards ; je
voterai encore pour cette station si le ministère déclare qu’il soumettra à la
chambre un projet de loi spécial pour en régler les dépenses.
M. Van Volxem.
- Messieurs, après les paroles éloquentes qu’ont fait entendre dans cette
enceinte les partisans de la station des Bogards, il y a peut-être témérité de
ma part de revenir encore sur ce sujet ; je crois cependant indispensable de le
faire. Ayant vu circuler dans la salle un plan, j’ai cherché à me le procurer,
et j’ai remarqué qu’on y a établi deux tracés, l’un d’après le projet Vifquain,
l’autre d’après le projet Simons et de Ridder ; ce plan n’émane ni du
gouvernement ni du bureau, il faut donc qu’une personne intéressée l’ait fait
circuler ici.
Ce
n’est pas sans surprise que je vois qu’on s’est abstenu de le faire exact ; on
a négligé d’y indiquer une rue qui doit donner les plus grandes facilités pour
l’accès de la station des Bogards, une rue de 20 mètres de large ; si cette rue
avait été tracée, et si l’honorable M. Pollénus l’avait vue, il n’aurait pas eu
la crainte qu’il a manifestée de voir naître des dangers de la circulation des
omnibus ; au moyen d’une autre rue de 14 mètres, on arriverait, non pas à
l’endroit où cette rue s’arrête sur le plan dont il s’agit, mais beaucoup plus
au centre de la ville, de manière qu’il serait extrêmement facile aux voyageurs
de se répandre dans tout le quartier sans s’exposer au moindre désagrément.
Lorsqu’on livre à la chambre des documents qui sont de nature à fixer son
attention, on devrait, ce me semble, se donner la peine de les faire tels
qu’ils doivent être. Si je n’avais pas une connaissance aussi exacte que je
l’ai des localités, je n’aurais pas pu, messieurs, vous donner ces
renseignements ; je m’estime heureux d’avoir pu rectifier des idées que le
document fautif dont il s’agit a dû donner à plusieurs membres.
Je
suis échevin de Bruxelles, messieurs, mais en entrant dans cette enceinte, je
me souviens uniquement que je suis représentant de la Belgique ; je fais
abstraction de tout intérêt de localité.
La
question qui s’agite devant vous, messieurs, se présente sous deux faces ; on
l’a envisagée d’abord sous le rapport de l’intérêt des voyageurs et ensuite sous
le rapport financier ; quant à l’intérêt des voyageurs, les assurances
multipliées données à cet égard par M. le ministre ont dû rassurer les plus
timorés ; sous le rapport financier, les adversaires mêmes de la station des
Bogards n’ont pas hésité à déclarer que la ville de Bruxelles a un intérêt
excessivement minime dans cette affaire. L’honorable M. Pirmez a même fait un
calcul à cet égard ; seulement il a oublie de dire que pour les 2 francs qu’un
voyageur dépenserait en ville, il boirait et mangerait.
On
convient généralement que la dépense que nécessitera l’établissement de la
station des Bogards excédera de très peu, si elle l’excède, celle qu’il
faudrait faire pour agrandir la station actuelle ; quant à moi, j’ai la conviction
intime que la première dépense sera inférieure à l’autre, et je vais motiver
cette opinion.
L’administration
municipale de Bruxelles, par ses délégués, est intervenue auprès d’un grand
nombre de propriétaires dont les terrains devaient être empris pour
l’établissement de la station des Bogards ; elle a obtenu la cession de
plusieurs hectares de terrains à des prix excessivement modiques, tellement
modiques qu’on n’obtiendrait nulle part des terrains à aussi bon compte. Si ces
propriétaires ont consenti à un semblable marché, c’est parce qu’ils
prévoyaient que les autres terrains qu’ils possèdent dans les environs
acquerraient une valeur beaucoup plus grande par suite de l’établissement de la
station. Il y en a même un qui a été jusqu’à donner 41,000 pieds pour rien.
Hors de la porte d’Anvers, au contraire, il est à ma connaissance que des
terrains se louent 1 fr. 30 c. le mètre, par an ; concluez d’après ce prix de
location ce que vous paieriez pour l’acquisition de semblables terrains. Ce
fait, messieurs, est constaté par des comptes publics, les comptes de
l’administration des hospices.
Examinez
maintenant, messieurs, d’après le plan dont je parlais tout à l’heure et qui
est évidemment dressé de manière à favoriser la station de l’Allée-Verte, examinez
quels sont les terrains qu’il faudrait acquérir pour agrandir cette station ;
il faudrait au moins acquérir le double de l’étendue de la station actuelle, et
si vous prenez pour base de vos calculs le prix locatif que je viens de vous
faire connaître, vous verrez que de ce côté la dépense serait beaucoup plus
considérable que celle qui résulterait de l’établissement de la station des
Bogards, car là plusieurs hectares de terrain ont été acquis conditionnellement
à raison de 75 centimes le pied.
Indépendamment
de cette circonstance, il est évident encore que sous le rapport financier
l’établissement de la station des Bogards sera avantageux à l’Etat ; de vastes
terrains enceignent cette station et ses abords ; ces terrains se couvriront de
maisons, ils seront vendus à des prix élevés ; le gouvernement percevra les
droits de mutation, la contribution foncière considérablement augmentée ; il
percevra la contribution personnelle sur les habitants qui viendront s’y
établir ; tout cela ne sera pas peu considérable.
Ainsi
donc, messieurs, si d’un côté le gouvernement dépense quelques deniers pour
établir la station des Bogards, il sera indemnisé d’une manière très large par
une autre voie ; si au contraire le gouvernement construit une station à
l’extérieur de la ville, en supposant même, gratuitement, que cela donne lieu à
la construction de maisons dans les environs, là il ne percevra les
contributions personnelles que comme sur des propriétés communales extérieures,
et non pas en raison du nombre d’habitants ; et vous savez tous, messieurs,
quelle différence il y a entre ces vieux espèces de perceptions. Il est donc
évident que l’établissement de la station des Bogards doit procurer des
avantages immenses à l’Etat.
On
a insinué, messieurs, que parmi ceux qui ont été chargés de la négociation de
cette affaire, il y en avait qui avaient un intérêt direct à ce que la station
s’établît ; M. le ministre a déjà donné, à cet égard, des explications qui
devraient satisfaire nos adversaires, mais j’irai plus loin ; je dirai que la
personne à laquelle on a fait allusion a acquis les terrains qu’elle possède
dans les environs des Bogards, dans une vente publique, au plus offrant et
dernier enchérisseur, il y a plusieurs années ; le prix auquel cette personne a
acheté les terrains dont il s’agit est donc constaté d’une manière
irréfragable, et ce prix peut servir de base en cas d’expropriation, ce qui ne
sera pas nécessaire, car elle est prête à céder cette propriété au prix d’achat
; il n’y a donc là aucune vue d’intérêt personnel. De plus, la vente dont je
viens de parler ayant eu lieu publiquement, elle pourrait, en cas de
contestation pour d’autres terrains avoisinants, servir à l’évaluation de
l’indemnité qu’il y aurait à payer pour l’expropriation.
Je
suis charmé, messieurs, d’avoir pu rendre hommage au désintéressement du
propriétaire dont je viens de parler.
On
vous a rappelé, messieurs, l’opération des finances de la ville ; cette
opération n’est malheureusement que trop exacte ; mais la ville, quoique, de
l’aveu même de nos adversaires, elle n’eût à retirer que très peu de chose de
la station des Bogards, n’a cependant pas hésité à s’associer à la dépense que
doit occasionner l’établissement de cette station : elle a promis de donner
pour rien le terrain qui devrait servir au passage de la voie ferrée, tant à
l’extérieur qu’à l’intérieur de la ville ; outre ce terrain, elle a pris sur
elle de payer le tiers de la dépense.
Les représentants de la commune, pénétrés des
avantages que le pays, en général, doit retirer de la station des Bogards, ont
su, dans cette circonstance, faire le sacrifice des deniers de la ville comme
les enfants de la ville ont su faire le sacrifice de leur sang alors qu’il
s’est agi de fonder la liberté et l’indépendance de la Belgique en septembre
1830.
Plusieurs
voix. - La clôture !
M. le
président. - M. Peeters a demandé la parole pour parler
sur une autre question, sur l’amendement de M. de Puydt.
M.
de Brouckere (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je ne
veux pas empêcher la discussion sur un autre point. Mais il me semble que la
chambre doit avoir ses apaisements, en ce qui concerne la station de Bruxelles.
(Oui ! oui !) Je ne pense pas qu’on puisse désirer qu’une semblable discussion se prolonge, et je me bornerai à manifester le vœu qui,
je crois, est partagé par la grande majorité de la chambre, que dorénavant on
ne parle plus sur des questions étrangères aux projets de loi en discussion. (Assentiment.)
M. Dolez,
M. Lebeau
et M. Pirmez
renoncent à la parole sur la question de la station des Bogards.
-
La chambre reprend la discussion de l’amendement de M. de Puydt.
M.
Peeters. - Messieurs, je viens appuyer fortement les
amendements proposés par l’honorable M. de Puydt. Je pense qu’il est juste que,
dans un moment où nous engageons le pays par des sommes si considérables
destinées à la construction des chemins de fer, nous votions au moins trois
millions pour la construction des routes ordinaires dans les parties du pays où
l’on n’a pas d’espoir de voir s’établir des chemins de fer. D’ailleurs, la
construction des routes pavées conduisant vers le chemin de fer, pour des populations
qui en sont dépourvues jusqu’à présent, doit influer beaucoup sur le produit de
ces chemins, ainsi que l’a fort bien observé l’honorable M. le ministre des
travaux publics, dans son rapport du 4 de ce mois.
L’honorable
M. Angillis nous a dit hier que la justice distributive exigeait que, dans un
avenir plus ou moins rapproché, il y eût une communication pour chaque contrée
du royaume, soit en chemin de fer, soit en routes pavées, d’après la nature et
la situation de la contrée.
Les
conseils provinciaux de toute la Belgique, pénétrés de la même idée, ont voté
des sommes considérables dans leur dernière session pour la construction des
voies de communication ; mais aussi ont-ils compté sur des subsides plus ou
moins grands de la part du gouvernement ; et si vous voulez seconder cet élan
généreux, il faut ouvrir de nouveaux crédits au ministre des travaux publics,
afin de pouvoir le mettre à même de satisfaire à des demandes aussi justes ;
car vous aurez vu par ledit rapport que le crédit de six millions est presque
épuisé.
Je
profiterai de cette occasion pour engager M. le ministre de la guerre à lever
l’opposition si peu fondée coutre la construction des routes de la Campine,
pays qui a été oublié par tous les gouvernements précédents, et qui par son
patriotisme et son attachement à l’ordre de choses établi a bien des titres à
notre sollicitude.
J’ai
dit opposition peu fondée, car tous ceux qui connaissent les terrains
sablonneux de la Campine trouveront avec moi qu’il est ridicule de croire que
la construction des routes dans ces contrées pourrait nuire à la défense du
pays.
Nous avons vu une grande partie de l’armée des
alliés traverser la Campine en 1813, au milieu de l’hiver, avec armes et
bagages et une artillerie considérable, sans le moindre obstacle et par les
mêmes chemins où l’on défend actuellement la construction des routes pavées. La
même chose a eu lieu en 1831 lors de l’invasion hollandaise ; aussi, si je
n’avais pas la conviction de ce que j’avance, je me garderais bien de demander
la construction de ces routes, car je tiens autant que qui que ce soit à la
défense de mon pays.
Finalement
j’ajouterai que, si toutefois, contre mon attente, les amendements de
l’honorable M. de Puydt étaient rejetés, je serais forcé, bien malgré moi, de
voter contre la loi ; car, comme représentant d’une partie du pays qui n’aura
jamais des chemins de fer, je ne pourrais pas l’engager à des sommes si
considérables si l’on refusait de voter les trois millions demandés pour
construction des routes pavées dont la Campine a si grandement besoin.
M.
de Muelenaere. - Messieurs, dans la séance d’hier,
l’honorable M. de Puydt a déposé sur le bureau un amendement à l’article premier
du projet en discussion. La section centrale propose, par l’article premier,
d’autoriser le gouvernement à emprunter jusqu’à concurrence d’un capital
nominal de 37 millions de francs, à un intérêt de 4 1/2 p. c., ou à un intérêt
moindre avec augmentation du capital nominal.
L’amendement
que l’honorable M. de Puydt propose à cet article tend à porter à 40 millions
de francs au lieu de 37 millions, l’emprunt à contracter. L’honorable M. de
Puydt entend probablement que l’emprunt soit augmenté d’une somme effective de
trois millions de francs. Ensuite, par une conséquence de cet amendement
apporté à l’article premier, l’honorable M. de Puydt propose un paragraphe
additionnel à l’article 3. Il propose de déclarer que sur la totalité de
l’emprunt de 40 millions, trois millions seront ajoutés au crédit qui a été
ouvert au gouvernement par la loi du 2 mai 1835 pour la confection de routes
pavées et empierrées.
Au
fond, je partage entièrement l’avis de l’honorable M. de Puydt ; je suis du
nombre de ceux qui pensent que le gouvernement ne saurait assez encourager, ne
saurait assez faciliter la construction des routes pavées.
Sans
révoquer aucunement en doute les grands avantages qui peuvent résulter pour le
pays de l’établissement des chemins de fer, je crois cependant, messieurs, que
le gouvernement ne doit négliger ni l’entretien des routes pavées existantes,
ni les constructions de nouvelles routes pavées. Je pense que l’utilité de ces
routes est plus directe, plus durable et surtout plus générale que les chemins
de fer.
Messieurs,
par la loi du 2 mai 1835, vous avez, par un vote de confiance, mis à la
disposition du gouvernement un emprunt de 6 millions pour servir à la
confection de routes nouvelles et de certaines lacunes existantes entre des
communications établies.
Il
y a quelques jours, M. le ministre des travaux publics a déposé sur le bureau
de la chambre un tableau de la répartition de cette somme, qui ne nous a pas
encore été distribué. Je dirai que ce tableau doit indispensablement nous être communiqué,
pour que la chambre puisse se prononcer sur l’amendement de l’honorable M. de
Puydt.
J’aime
à croire que le gouvernement aura fait des 6 millions un usage équitable, une
répartition juste entre les diverses provinces. Mais cette conviction, je ne
l’aurai que par l’inspection même du tableau. J’en ferai un examen
consciencieux et calme ; et s’il n’en résultait pas pour moi la preuve que la
répartition a été équitable, je déclare franchement que je ne donnerai plus mon
approbation à une proposition quelconque qui tendrait à mettre de nouvelles
sommes à la disposition du gouvernement. Jusque-là mon vote est en suspens. Je
ne puis acquérir de conviction que par l’examen scrupuleux du tableau qui, je
l’espère, nous sera prochainement distribué. Toutefois, comme la chambre semble
être à la veille de se séparer, et que peut-être l’impression du tableau ne
pourra pas avoir lieu en temps utile, je demanderai que M. le ministre des
travaux publics veuille bien au moins nous communiquer une note sommaire de la
répartition des 6 millions entre les diverses provinces.
Je sais fort bien que M. le ministre des travaux
publics pourra me répondre qu’au moyen de ces 6 millions il n’a pas pu
satisfaire à toutes les exigences. Sous ce rapport, je suis tout à fait d’accord
avec le ministre ; je sais que la somme de 6 millions était insuffisante ;
aussi je ne fais ni ne ferai aucun reproche à M. le ministre des travaux
publics pour n’avoir pas pu satisfaire à toutes les demandes qui ont été faites
par les provinces.
Mais
ce que nous avons intérêt à savoir, c’est que le gouvernement ait fait une
répartition équitable des 6 millions ; et voilà à quoi se borne ma demande.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, dans
plusieurs circonstances j’ai dit à la chambre que le crédit des 6 millions
était insuffisant. Je tenais à ce que ce fait fût bien constaté, et avant la
clôture de la session.
Je
me suis empressé de déposer sur le bureau un travail très volumineux qui
malheureusement n’a pas encore pu être distribué aux membres de la chambre.
J’ai fait insérer le jour même au Moniteur
le rapport qui précède ce travail et qui le résume ; vous avez pu le lire
dans le Moniteur de samedi dernier.
La
chambre verra, d’après ce travail, de quelle manière les six millions ont été
employés, et ce qui reste encore à faire dans le pays.
L’honorable
préopinant désire savoir de quelle manière la répartition a été faite, si cette
répartition a été juste et équitable.
Messieurs,
cette répartition ne s’est pas faite a priori ; cette répartition ne s’est pas
faite entre les provinces. Il faut s’entendre sur ce qu’on peut appeler une
répartition du crédit des 6 millions ; quand la chambre a voté l’emprunt des 6
millions, elle n’a pas dit : Vous ferez une répartition, d’après telle ou telle
base, entre les provinces ; mais elle a dit au gouvernement : Vous ferez des 6
millions l’emploi le plus convenable dans l’intérêt général du pays.
J’affirme
que mon prédécesseur et moi, nous avons fait de ces millions l’emploi le plus
convenable dans l’intérêt général du pays.
Messieurs,
le crédit des six millions n’est pas une question provinciale. Il faut remonter
à la source du crédit des six millions : les barrières. Est-ce que le fonds des
barrières constitue un fonds provincial ? Non, messieurs. Le fonds des
barrières constitue un fonds général de l’Etat dont l’emploi doit se faire
annuellement dans l’intérêt général de l’Etat.
De
même que le produit annuel des barrières est employé dans l’intérêt général de
l’Etat, le crédit des 6 millions hypothéqué en presque sorte sur le produit des
barrières a dû être employé dans l’intérêt général de l’Etat. II en est résulté
qu’on a fait des routes dans les provinces où il n’y a pas d’excédant du
produit annuel des barrières, tandis que dans d’autres provinces où il y a un
excédant très considérable, on a fait très peu de routes. Je citerai la
province de la Flandre occidentale. En 1837, le produit des barrières a été de
171.600 francs ; l’entretien ordinaire des routes de l’Etat dans cette
province, pendant la même année, a exigé une dépense de 170,995 francs.
L’excédant n’aurait pas été de 1,000 francs ; cela n’a empêché le gouvernement
de faire des routes dans les Flandres, parce que la base de la répartition
n’était pas une base provinciale.
Il
y a plus, dans la même année on y a fait pour 15,150 fr. de travaux
extraordinaires d’entretien et d’amélioration. Dans le sens provincial, il y
avait ici non pas excédant, mais déficit de 14,485 fr. Ainsi c’est grâce à ce
principe que le fonds du produit des barrières ne constitue pas un fonds
provincial, mais un fonds général, que le gouvernement a pu faire dans la
Flandre occidentale des travaux extraordinaires d’entretien et d’amélioration,
et des routes ; c’est grâce au même principe qu’il pourra en faire encore si le
crédit des 6 millions est augmenté. Telles sont les règles qui ont été posées
lors du vote des 6 millions et que le gouvernement a prises pour guide,
d’accord avec la pensée qui a dicté la loi du 2 mai 1836.
Je ne crois pas devoir entrer dans d’autres
considérations générales ; je me bornerai à rappeler à la chambre que dans
d’autres circonstances j’ai dit qu’il fallait aussi ne pas perdre de vue un
système de compensation, que dans les provinces où on n’exécuterait pas de
travaux hydrauliques ou de chemins de fer, il fallait faire des routes
ordinaires en plus grand nombre que dans les autres provinces.
Voilà
les principes que le gouvernement a suivis. Il n’a pas satisfait à toutes les
demandes, parce que le crédit était insuffisant. C’est ce qui résultera du
compte rendu.
M.
d’Hoffschmidt. - Je n’ai demandé la parole que parce que j’ai
entendu l’honorable M. de Muelenaere parler de répartition juste et équitable
de l’emprunt des six millions, et s’opposer à l’amendement de l’honorable M. de
Puydt. Ces paroles ont dû vous paraître, messieurs, très étranges dans
l’occurrence. En effet, quand il s’agit d’emprunter pour l’exécution du chemin
en fer, emprunts qui se montent déjà à 55 millions, on ne s’y oppose pas ; mais
aussi quelles sont les provinces qui en profitent ? Toutes, excepté une,
excepté le Luxembourg.
Un
membre. - Et le Limbourg !
M.
d’Hoffschmidt. - Soit, et le Limbourg.
Plusieurs
voix. - Il y en a d’autres encore qui n’en ont pas !
M.
d’Hoffschmidt. - Puisque vous vous récriez, je vais lire la
loi du 26 mai. Elle porte :
« Art.
1er. Il sera établi aux frais de l’Etat un chemin de fer de Gand à la frontière
de France et à Tournay par Courtray. » (Voilà pour le Hainaut.)
«
Art. 2. La ville de Namur (voilà pour Namur), et les provinces de Limbourg
(voilà pour le Limbourg) et du Luxembourg, seront également rattachées par un
chemin de fer construit aux frais de l’Etat au système décrété par la loi du
1er mai 1834.
« Néanmoins
il ne sera donné suite à la disposition précédente, en ce qui concerne le
Luxembourg, que lorsque le tracé aura été fixé par une loi ultérieure. »
Vous
voyez que la province du Luxembourg est seule exceptée, puisque pour elle seule
on exige une loi ultérieure qui fixe le tracé, et ce tracé, messieurs, il ne
s’en agira jamais.
Un
député du Luxembourg vient vous proposer de porter l’emprunt à 40 millions,
afin de faire des travaux autres que des chemins de fer, et par là établir des
compensations aux localités frustrées de grandes communications, et M. de
Muelenaere lui oppose qu’il lui faut une garantie que l’emprunt précédent de
six millions a été réparti d’une manière juste et équitable entre toutes les
provinces, et qu’il n’accordera plus de fonds qu’autant qu’il saura que cette
répartition aura été faite également dans toutes les provinces.
J’ai
trouvé cela vraiment étrange ! Quand on parle d’équité, il se rappeler les
faits. Avons-nous refusé les emprunts qu’on nous a demandés pour les chemins de
fer et les canaux ? Non, messieurs, nous voulons la prospérité générale du pays
; mais agissez comme nous et ne nous excluez pas du bienfait que produisent les
communications.
La
station de Bruxelles dont on a tant parlé depuis hier, coûtera un million et
demi. Dans les 61 millions d’emprunt dont 55 ont été employés au chemin de fer
et aux routes pavées, à peine a-t-on employé pour nous autant que ce que cette
station des Bogards va coûter. Après cela, peut-on venir parler comme l’a fait
M. de Muelenaere ?
Heureusement,
d’autres membres pensent autrement, et j’espère que ce sera le plus grand
nombre.
Messieurs,
permettez-moi de vous rappeler à cette occasion les paroles prononcées hier par
notre honorable collègue M. Angillis. « Les grands travaux publics
entrepris au nom de la nation doivent avoir pour objet l’utilité générale. Si
toute la nation n’en profite pas dans des proportions plus ou moins inégales,
alors il y aura privilège d’un côté et oppression de l’autre. C’est là un des
principes, une des bases de l’association politique. La justice distributive du
gouvernement doit donc veiller à ce que chaque contrée du royaume ait, dans un
avenir plus ou moins prochain, et selon que les ressources du pays le
permettront, une communication, soit par des chemins en fer, soit par des
routes pavées, d’après la nature et la situation de la contrée. »
Cette
opinion si juste, contre laquelle personne ici n’oserait s’élever, je voudrais
la voir mise en pratique, professée par tout le monde. S’il en était ainsi,
l’amendement proposé par M. de Puydt serait adopté.
Si
le gouvernement était pénétré de cette vérité, qu’il faut des compensations
pour les provinces où on ne peut exécuter de chemin de fer, il n’aurait pas
demandé 36 millions, mais 46, pour exécuter des travaux utiles et productifs
pour l’Etat là où on ne peut pas faire de chemin de fer. Je parle de rapports
pécuniaires, parce que cela a été un des motifs qui ont fait faire des chemins de
fer.
Je
citerai, comme devant être productif, le canal de Meuse et Moselle à propos
duquel il existe un procès que je considère comme interminable. L’on a proposé,
à la vérité, d’entrer en arrangement avec l’ancienne société du Luxembourg,
mais je ne crois pas que c’était sérieusement.
Il a été dépensé plusieurs millions aux travaux
commencés depuis Liége jusqu’à Barvaux, et ces travaux sont actuellement un
embarras pour la navigation. Des pétitions vous ont été adressées pour demander
l’achèvement ou la suppression des travaux commencés, parce qu’ils sont un
obstacle à la navigation. Plusieurs bâtiments ont péri. Voilà, messieurs, à
quoi en sont nos grandes communications. Ne vous paraît-il donc pas que nous
pouvons réclamer une faible part dans le grand nombre de millions qui sont
votés à nos charges comme aux vôtres ?
Je
me serais abstenu de vous apporter de nouveau des doléances de la part de ma
province, sans les paroles de M. de Muelenaere. Il lui faut, dit-il, pour son
apaisement le tableau de la répartition de l’emprunt de 6 millions, et il est
même si susceptible qu’il ne veut rien voter avant que ce tableau ait été
produit. Cependant il sera satisfait en attendant que sa province jouisse
largement des nombreux canaux et des chemins de fer qui s’y construisent.
Disons-le, M. de Muelenaere veut un ajournement qui équivaut à un rejet. Et
c’est à cet ajournement que je viens m’opposer, messieurs, parce qu’il n’est
qu’un moyen détourné de froisser l’une de nos provinces des bienfaits auxquels
elles doivent en bonne justice toute profiter.
M.
Pirson. - Je voterai pour l’amendement de M. de Puydt.
Je n’ai pas besoin de répéter les principes posés par M. le ministre des
travaux publics, pour prouver que l’excédant du produit des barrières n’est pas
un fonds provincial, mais un fonds général. On a exprimé des opinions qu’on
reproduit de temps en temps ; les députés du Hainaut ou des Flandres vous
disent : Nos barrières produisent tant ; ce produit est à nous ; faites-nous
des chemins en proportion de ces produits. Il est à observer que ce ne sont pas
les habitants de ces provinces qui paient ces droits de barrières, mais les
habitants des autres provinces qui viennent chercher les produits dont la
nature les a dotées.
On
va chercher la houille dans le Hainaut, et le sucre et le café à Anvers. Ce
sont les habitants de toutes les provinces qui vont chercher ces objets qui
paient les droits de barrières. Ainsi les produits des droits des barrières
n’appartiennent pas aux provinces où ils sont payés. Je ne m’étendrai pas
davantage pour détruire l’opinion de certains membres que les produits des
barrières appartiennent à leur province.
Je
pense que vous devez voter la somme demandée dans l’espérance que le ministre
des travaux publics emploiera cette somme à favoriser les provinces qui
voudront faire de grands sacrifices pour avoir des routes provinciales.
Ceci se rattache à la loi des chemins vicinaux
qui nous a été proposée et ne me satisfait pas. Elle est la répétition des
règlements vicinaux de la province de Namur qui, quoique assez bons, ne peuvent
être mis à exécution dans les communes rurales.
Il
faudrait, pour stimuler les communes rurales, qu’il y eût des lignes
principales traversant les provinces ; alors chaque commune aurait grand
intérêt à raccorder ses chemins avec ces routes-là. Vous auriez bientôt alors
dans toute la Belgique un réseau de routes. Toutes les communes auraient leurs
routes particulières ; il en serait pour les routes comme pour la poste rurale.
Sous
ce rapport, je demanderai une augmentation du crédit proposé par l’honorable M.
de Puydt, en engageant M. le ministre des travaux publics à faire quelque
attention aux observations que j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre.
M.
de Muelenaere. - J’ai eu l’honneur de dire que je désirais,
par l’examen du tableau qui nous sera communiqué, acquérir la conviction que M.
le ministre des travaux publics a fait entre les provinces une répartition sage
et équitable de l’emprunt de 6 millions mis à sa disposition. Quant à moi, j’ai
toujours pensé et je pense encore que l’équité et la justice doivent diriger
tours les actes du gouvernement, et que c’est surtout en matière d’emprunt et
de fonds publics que le gouvernement doit se montrer parfaitement équitable à
l’égard de toutes les provinces.
L’honorable
député de Bastogne a mal interprété ma pensée, a mal compris mes paroles. Quand
je parle d’une répartition juste et équitable, je n’entends pas dire une
répartition mathématiquement égale entre toutes les provinces. Je prie cet
honorable membre de se rappeler que dans toutes les circonstances qui se sont
présentées jusqu’à présent, quand il s’est agi des travaux publics, je me suis
toujours prononcé en faveur des travaux à exécuter dans le Luxembourg parce que
je suis convaincu que sous ce rapport cette province est moins favorablement
traitée que celle qui m’a député ici. Cela n’empêche pas que le fonds de 6
millions, dans l’intention de la chambre, n’a pas été voté pour être affecté
exclusivement à l’une ou à l’autre province. Rappelez-vous que ces 6 millions
ont été demandés pour l’exécution de routes essentielles et d’un intérêt
général. Dans ma province il manque encore des communications aussi nécessaires
dans l’intérêt du gouvernement et de la province que toutes les routes du
Luxembourg. A cette époque, j’ai déclaré à la chambre que je demanderais une
part des six millions pour ma province, parce que je suis convaincu qu’elle y a
droit pour certaines communications à exécuter et qui sont dans l’intérêt du
gouvernement, et notamment pour augmenter le produit des barrières.
Je
n’ai jamais été opposé à l’emploi dans le Luxembourg d’une part plus forte des
six millions que dans la Flandre occidentale. Mais au moins je veux avoir la
conviction que le gouvernement a fait une répartition juste et équitable de ces
six millions, et cette conviction, je ne puis espérer l’acquérir que par
l’inspection du tableau. Jusque-là, je le déclare franchement, je ne donnerai
plus mon approbation à une proposition tendant à mettre une nouvelle somme à la
disposition du gouvernement.
M.
le ministre des travaux publics vous a cité le produit des barrières dans la
Flandre occidentale et la somme nécessaire cette année pour l’entretien des
routes. Il en résulte que l’excédant du produit des barrières est assez minime
comparativement à l’entretien des routes dans la province ; mais vous savez que
l’entretien des routes varie, qu’il y a des réparations plus ou moins
extraordinaires à faire dans une année et qui ne se représentent pas dans les
autres années.
L’honorable
M. Pirson a répondu d’une manière victorieuse que le produit des barrières doit
former un fonds général, parce que le produit des barrières dans une province
n’est pas payé exclusivement par les habitants de cette province, et que tous
les habitants du royaume concourent à ce produit.
M.
le ministre des travaux publics vous a dit : « Je crois avoir fait des 6
millions l’emploi le plus convenable dans l’intérêt du pays ; c’était tout ce à
quoi j’étais obligé. » Sans doute ; mais qui sera juge ici ? Ce ne sera pas
vous qui avez fait l’emploi des 6 millions, ce doit être la chambre. Pour ma
part, je désire être d’accord avec vous que vous avez fait des 6 millions
l’emploi le plus convenable dans l’intérêt du pays, mais pour cela il faut bien
que vous commenciez par dire quelle répartition vous avez faite de cette somme.
C’est pour ce motif que je demandais que M. le
ministre des travaux publics nous indiquât au moins sommairement la répartition
faite entre les provinces. Sur cette indication même sommaire, je ne me
proposais de faire aucune observation, parce que cette indication ne serait pas
suffisante pour fixer mon opinion sur la question de savoir s’il a été fait un
emploi convenable des fonds dans l’intérêt du pays. En effet, pour cela il me
faudrait non seulement savoir quelles sont les routes que le gouvernement a
décrétées, mais encore connaître les propositions faites par les provinces et
les communes : sous ce rapport très peu de provinces se sont montrées aussi
bien disposées en faveur du gouvernement que la Flandre occidentale. On a voté
des sommes considérables, on a offert de céder à l’Etat la propriété des routes
qui auraient été construites au moyen des subsides accordés par l’Etat, par la
province et par les communes.
Je
bornerai là quant à présent mes observations. J’ai demandé des renseignements.
S’il est donné des renseignements suffisants, je pourrai émettre un vote sur
l’amendement de l’honorable M. de Puydt ; mais jusqu’à ce que je connaisse le
rapport de M. le ministre des travaux publics, je déclare que je ne donnerai
mon approbation à aucune proposition de ce genre.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je pense toujours
qu’il ne s’agit pas d’une répartition faite a priori, d’après des bases posées
d’une manière abstraite ; il s’agit d’une question de fait. Il s’agit de savoir
de quelle manière les 6 millions ont été employés. Le gouvernement en a fait
emploi dans l’intérêt général du pays ; il a notamment cherché à combler les
principales lacunes, mais il ne prétend pas les avoir comblées toutes, il reste
beaucoup à faire.
Dans
la Flandre occidentale, puisque cette province est principalement en cause, le
gouvernement a décrété les routes de Furnes à Nieuport, de Dottignies à Roubaix
; il a pris des arrangements pour la construction de routes de Commines à
Wervicq et de Roulers à Iseghem.
Y
a-t-il encore dans cette province des routes à faire qui présentent un
caractère d’intérêt plus ou moins général, soit pour augmenter le produit des
barrières, soit pour influer sur le chemin de fer, qui manque d’affluents ; je
n’hésite pas à répondre : Oui, il y a des routes de ce genre à faire dans la
Flandre occidentale. Cette province a fait des propositions qui, je n’hésite
pas à le déclarer encore, sont avantageuses au gouvernement, considéré comme
traitant avec une province ; mais encore, pour accéder à ces arrangements,
faut-il que le gouvernement ait de l’argent.
En
parlant du produit des barrières de la Flandre occidentale, et en le mettant en
parallèle avec le montant des dépenses de l’entretien des routes de cette
province, j’ai parlé de l’entretien ordinaire. L’entretien ordinaire de 1837,
qui sera à peu près celui de 1838, est de 170,000 fr. environ. Le produit des
barrières de 1837 dans cette province a été de 171,000 fr. ; cette année il y
aura une augmentation sur le produit des barrières.
En
principe je me félicite d’être de l’avis de l’honorable M. de Muelenaere. Le
fonds des barrières, pour lui comme pour moi, est un fonds général de l’Etat ;
l’emploi doit s’en faire avec les idées qui se rattachent à tout fonds général,
c’est-à-dire avec des idées d’intérêt général.
Je
pourrais dire à la chambre ce qui a été fait, ce qui reste à faire dans chaque
province. Je ne le ferai pas parce que de tels détails sont insaisissables pour
la chambre dans une discussion orale. Le rapport avec toutes les pièces pourra
être distribué lundi. La chambre verra ce qui a été fait et ce qui reste à
faire.
L’augmentation de crédit, si elle était accordée
au gouvernement, le mettrait à même de satisfaire à beaucoup de réclamations
qui lui sont adressées, de continuer avec les provinces des négociations
commencées, surtout depuis la dernière session provinciale ; c’est là, d’après
l’honorable M. de Puydt, le côté utile de sa proposition.
Je
crois qu’il conviendrait de renvoyer sa proposition à la section centrale qui a
examiné le projet de loi ; demain à l’ouverture de la séance elle ferait son
rapport.
M. le
président. - Voici une proposition de M. Dubus. -
« J’ai l’honneur de proposer à la chambre de renvoyer l’amendement de M.
de Puydt à l’examen des sections. »
M.
Dubus (aîné). - S’il est des lois qui méritent un mûr
examen, ce sont les lois de finances ; ce sont les lois qui, comme celle-ci,
sont à la fois lois de voies et moyens et lois de dépenses. Le gouvernement a
proposé un emprunt et son projet en détermine l’application. Il avait deux
objets bien indiqués, l’achèvement du chemin de fer, la conversion de la rente
; on a été d’avis d’ajourner ce second objet, reste donc l’emprunt pour le
chemin de fer. Eh bien, quel rapport y a-t-il entre cette loi et un emprunt
pour la confection des routes pavées ? La proposition que l’on a faite à cet
égard aurait dû être soumise à toutes les épreuves exigées par le règlement. Si
l’on admet une fois qu’une loi semblable peut être improvisée, peut être
discutée et votée sans examen préalable, je demande où l’on s’arrêtera. On
propose actuellement une augmentation de trois millions, ne peut-on pas
proposer d’autres augmentations ?
Dans mon opinion, ce n’est pas de cette manière
que nous devons traiter d’aussi graves intérêts. Je demande que l’on ne complique
pas la discussion actuelle. Je ferai même remarquer à la chambre que depuis
trois jours que nous discutons, nous n’avons pas encore abordé l’objet du
projet de loi. On a parlé de toute autre chose que du projet. Nous nous sommes
occupés d’une question incidente relativement aux Bogards, ce qui ne nous a
conduits à rien de définitif, puisqu’aucune conclusion n’a été prise. La
discussion actuelle est oiseuse, puisque le gouvernement n’a fait aucune
demandé pour les routes pavées et que les sections n’ont pas examiné ce qui les
concerne. Nous manquerions à notre mission si nous ne suivons pas le règlement.
Je propose donc formellement de disjoindre du projet en discussion l’amendement
de M. de Puydt, et de le renvoyer en sections. Elles donneront leur avis ; tout
aboutira à une section centrale qui fera un rapport sur lequel vous pourrez
prendre une résolution qui aura été suffisamment préparée.
M.
Dolez. - Je crois que l’incident se lie d’une manière
intime à l’amendement de M. de Puydt. L’honorable M. Dubus a très bien dit que
cet amendement était en dehors de la loi en discussion. Quant au fond, M. de
Muelenaere a déclaré ne pouvoir donner son assentiment à l’amendement avant de
connaître l’emploi des six millions donnés au ministre des travaux publics pour
les routes. Eh bien, si vous renvoyez l’amendement aux sections, pendant le
temps qu’elles l’examineront, le rapport du ministre sur l’emploi des six
millions nous sera remis, et nous aurons les renseignements désirables pour voter
la proposition de M. de Puydt . Tout ce qu’a dit M. de Muelenaere appuie donc
la proposition faite par M. Dubus.
M.
le ministre des travaux publics prétend qu’il n’est pas nécessaire de
s’éclairer par l’examen de son rapport, parce que l’emprunt de 6 millions n’a
pas été destiné à être réparti proportionnellement entre les provinces :
cependant je me souviens très bien que la première fois que j’ai porté la
parole dans cette enceinte, c’a été pour demander la répartition équitable de
ces six millions, et que ma demande a eu l’assentiment de l’assemblée. Ce
premier vote des six millions a été un vote de confiance : n’est-il pas d’une
sage prudence de savoir maintenant si les faits justifient cette confiance ?
Peut-on voter un nouvel emprunt sans connaître la manière dont le premier a été
appliqué ?
L’honorable
M. d’Hoffschmidt a parlé de la loi des chemins de fer ; nous lui répondrons que
la compensation que le Luxembourg doit obtenir, s’il n’a pas de chemin de fer,
est dans la loi même des chemins de fer, puisque le ministre a dit que s’il
était impossible de faire un tel chemin dans cette province, on lui donnerait
un équivalent. Ainsi attendez donc que l’on ait constaté cette impossibilité ;
quant à moi, si un chemin de fer ne peut vous être donné, je serai des premiers
à voter la compensation.
D’après les explications données par M.
d’Hoffschmidt, il me paraît que l’amendement de M. de Puydt n’est pas complet
et qu’il faudrait y ajouter : « Les trois millions d’augmentation sont pour les
routes à construire dans le Luxembourg. » M. d’Hoffschmidt vous a déclaré
lui-même s’être concerté avec M. de Puydt pour cet amendement.
Comme
je crois que le principe de la loi des 6 millions est tel que M. de Muelenaere
l’a exposé, et que nous ne pouvons voter sans connaître le compte-rendu de leur
emploi, je ne vois rien de mieux à faire que d’adopter la proposition de M.
Dubus, ou de renvoyer l’amendement de M. de Puydt aux sections.
M.
d’Hoffschmidt. - Les raisons données par M. Dubus, pour le
renvoi à la section centrale, ne m’ont pas touché. Les lois de finances,
dit-il, doivent être l’objet d’un mûr examen ; mais je ne vois pas que la loi
de finance que nous discutons soit modifiée dans son essence par la proposition
de M. de Puydt ; il s’agit d’une augmentation de chiffre et voilà tout. La
section centrale a posé le principe ; c’est tout ce qu’elle pouvait faire. M.
Dubus prétend aussi que l’amendement complique la discussion, mais une
augmentation de chiffre ne complique rien. Je suis étonné qu’un tel argument
sorte de la bouche de M. Dubus. Au reste, si vous voulez, renvoyez à la section
centrale, j’en fais partie...
M. le président.
- C’est aux sections que le renvoi est demandé.
M.
d’Hoffschmidt. - Je demande, messieurs, que la proposition
soit renvoyée à la section centrale ; car si on la renvoie aux sections, il est
évident qu’elle ne serait pas examinée dans le cours de cette session. Ce
serait là un ajournement indéfini, ou plutôt un véritable rejet.
M. le
président. - Voici un amendement déposé par M. Pollénus :
«
La construction d’embranchements et de tous autres établissements au chemin de
fer à exécuter en dehors des lignes décrétées par les lois des 1er mai 1834 et
26 mai 1837, feront l’objet d’une loi spéciale. »
-
La séance est levée à 5 heures.