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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 9 mai
1838
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
pétition relative à la construction par l’armée de la fabrique d’armes de Liége
(de Behr)
2) Projet de loi accordant des crédits
supplémentaires pour créances arriérées au budget du département des travaux
publics (Van Hoobrouck, Dubus
(aîné), Nothomb)
3) Projet de loi autorisant le gouvernement à
contracter un emprunt de 37 millions de francs. Coût et rentabilité du chemin
de fer, préférence à accorder à l’initiative privée plutôt qu’à celle de l’Etat
(Devaux, Gendebien,
(+modalités d’émission de l’emprunt) Angillis, de Puydt, Andries, Lebeau), construction d’une seconde gare à Bruxelles (A. Rodenbach, Nothomb, d’Huart, A. Rodenbach, d’Huart), construction de routes pavées (de
Puydt), construction d’une seconde gare à Bruxelles (Pollénus,
Verhaegen, Pirmez, Nothomb, Pirmez, d’Huart,
Gendebien, Verdussen, Nothomb)
(Moniteur belge
n°130, du 10 mai 1838)
(Présidence
de M. Raikem.)
M.
de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M.
Kervyn lit le procès-verbal de la séance d’hier ; la
rédaction en est adoptée.
M.
de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à
la chambre.
« Le
sieur Malberbe, de Goffontaine, fabricant d’armes à Liége, demande que la
chambre n’alloue pas les crédits demandés par le ministre de la guerre pour
construction d’une fabrique d’armes à Liége, attendu qu’il a loué son
établissement au gouvernement sur l’assurance qui lui a été donnée qu’on en
ferait l’acquisition. »
M. de Behr
demande que cette pétition soit renvoyée à la commission qui a été chargée
d’examiner les crédits demandés par le ministre de la guerre.
-
Cette proposition est adoptée.
PROJET DE LOI
ACCORDANT DES CREDITS SUPPLEMENTAIRES POUR CREANCES ARRIEREES AU BUDGET DU
DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS
M. Van Hoobrouck de
Fiennes. - Je viens déposer sur le bureau le rapport de
la section centrale chargée d’examiner le projet de loi tendant à ouvrir un
crédit spécial au ministère des travaux publics pour payer des créances
arriérées de 1835 et années antérieures.
Parmi
les créances dont il est question, il en est qui datent de 1830, et qui sont
entre les mains de personnes se trouvant dans la nécessité de réclamer vivement
le paiement : je proposerai de mettre en discussion ce projet de loi après
celui sur le timbre.
M.
Dubus (aîné). - La commission des finances a déposé hier un
rapport sur les crédits arriérés du département de la justice : je demande que
ce projet de loi ne soit pas primé, quant à l’ordre de la discussion, par celui
qui est présenté aujourd’hui.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Il y a à l’ordre
du jour des questions de même genre pour le ministre de la guerre ; ne
pourrait-on pas mettre à l’ordre du jour ensemble les projets concernant les
départements de la guerre, de la justice et des travaux publics ?
-
La chambre consultée décide qu’elle discutera les crédits arriérés des divers
départements après la loi sur le timbre.
PROJET DE LOI AUTORISANT LE GOUVERNEMENT A
CONTRACTER UN EMPRUNT DE 37 MILLIONS DE FRANCS
Discussion générale
M. le
président. - La discussion générale continue.
M.
Devaux, rapporteur. - Messieurs, au lieu d’une discussion
financière à laquelle tout le monde s’attendait, nous avons eu une discussion
de travaux publics à laquelle il était difficile de s’attendre ; car quel est
le projet de loi que nous discutons ? Il ne s’agit pas d’ouvrir un crédit au
ministre des travaux publics pour terminer les chemins de fer.
Les
dépenses du chemin de fer sont décrétées ; seulement il faut savoir si l’on
continuera à les couvrir par les bons du trésor, ou si on y substituera
l’emprunt.
Cependant
l’honorable M. Verhaegen a porté la question sur un autre terrain ; et je
regrette qu’il ait pris ce moment pour soulever ce débat ; car, outre qu’il ne
se rattache pas à la loi qui nous est soumise, les faits nous sont mal connus.
La situation du chemin de fer nous a été déclarée par le ministre aux mois de
février ou de décembre derniers, et son rapport précédent va jusqu’au 1er
octobre 1837 ; ainsi, les faits actuels, nous ne les connaissons pas
officiellement. Ces documents, ayant été présentés depuis longtemps, ne sont
pas présents à la mémoire des députés, et même n’ont pas été présents à la
mémoire des orateurs qui ont parlé hier MM. Verhaegen et de Puydt.
Ou
a suffisamment répondu à M. Verhaegen. On lui a prouvé qu’avec sa manière de
calculer, il lui était facile de trouver des déficits. Quant à moi, je ne suis
étonné que d’une chose, c’est qu’il se soit arrêté en si beau chemin. Il a
prétendu que les routes en fer ne rapportaient que 1 p. c. ; je crois qu’il
aurait pu, avec la manière dont il a calculé, arriver à un bien autre déficit ;
car il a oublié qu’il y avait des capitaux employés au chemin de fer depuis
quatre ans. On a suffisamment répondu que les dépenses faites pour commencer
des sections de route ne pouvaient commencer à donner des revenus que quand ces
sections sont livrées à la circulation. Si quelqu’un a un secret pour faire
produire un revenu à chaque pelletée de terre, une heure après qu’elle a été
remuée, je l’en félicite ; ce sera une invention pour laquelle on fera bien de
prendre un brevet, et qui sera fort utile, non seulement au gouvernement, mais
à tous ceux qui construisent des routes ; mais ce secret-là n’est pas connu
encore de tout le monde.
Un
autre orateur, M. de Puydt, a reporté la question sur le terrain de 1834. Ce
n’est pas moi qui cherche à retourner sur ce terrain. Quand on a été, comme mes
amis et moi, de l’opinion qui a triomphé ; quand les faits, l’opinion de la
Belgique, sont venus confirmer cette opinion d’une manière si peu équivoque ;
quand des collègues qui avaient figuré parmi les opposants sont venus
franchement et publiquement reconnaître leur erreur, on peut se contenter de pareils
résultats.
Mais
quand, d’après ces résultats, d’anciens adversaires viennent eux-mêmes rouvrir
la lutte, il y aurait trop d’humilité à accepter en silence le reproche de
s’être trompés. Toutefois, pour ne pas rendre la discussion trop longue, je me
restreindrai. Je n’insisterai pas sur les craintes manifestées en 1834 par
d’autres orateurs et qui ne se sont pas réalisées ; je ne parlerai pas de
l’évaluation de la ligne d’Anvers à Ostende à 80 millions, je ne parlerai pas
de cette prédiction que la création d’un chemin de fer serait la ruine de
l’agriculture et de tant d’autres industries ; ni de cette autre idée que le
chemin de fer était une inspiration anglaise ; qu’il était créé au profit de
l’Angleterre et en haine de notre industrie. A cette époque on prédisait aussi
que le chemin de fer amènerait, sinon une révolution à l’intérieur, tout au
moins et bien certainement une guerre avec la Hollande ; on soutenait que ce
n’était là qu’une ruse diplomatique pour enlever à la Belgique la liberté de
l’Escaut. Tout cela, cependant, a été soutenu sérieusement, longuement, pendant
huit ou dix longues séances avec accompagnement manqué d’épithètes acerbes
contre ceux qui réfutaient de semblables objections, qu’on appelait députés
ministériels, députés diplomatiques, faiseurs de dupes. Ces souvenirs, nous les
indiquons sans amertume ; en présence des résultats, on fait bien d’oublier
bien des choses ; si le chemin de fer a été représenté dans le temps comme un
joujou, comme un leurre, comme une mystification, ceux qui ont deviné et
exprimé dès cette époque ce qu’il y avait de grand et de fécond dans cette
entreprise, auraient tort de se plaindre aujourd’hui.
L’honorable
M. de Puydt, à qui je réponds spécialement, s’est d’ailleurs sagement maintenu
alors dans la question technique en quelque sorte. Mais c’est lui qui, de la
part de l’opposition, a fait les frais des calculs de cette discussion ; car
c’est sur ces chiffres qu’a roulé le débat technique ; je dois donc rappeler
les chiffres qu’al a posés. Si je suis obligé de les rapprocher des faits, je
prie M. de Puydt de n’y pas voir une intention désobligeante, je n’ai d’autre
vue que de soutenir une opinion qui est encore, comme elle l’était alors,
contraire à la sienne sur l’avantage des concessions.
Messieurs,
je pourrais me mettre fort à l’aise en répondant à l’honorable M. de Puydt
qu’en 1834 je n’ai jamais soutenu que les calculs des ingénieurs fussent exacts
: en pareil cas, chacun le sait, les prévisions sont d’ordinaire dépassées ;
mais d’autre part je disais qu’on n’avait évalué les progrès de la circulation
qu’à un tiers ou un cinquième en sus de la circulation actuelle ; c’était une
exagération en moins ; mais ce n’était pas exagérer que de dire que
l’évaluation trop peu élevée de la circulation compenserait l’augmentation que
pourraient présenter les travaux.
M.
de Puydt a dit qu’à cette époque il avait eu raison de soutenir que les travaux
étaient évalués trop bas, qu’il fallait les élever de 50 p. c., et porter les
frais de construction de chaque kilomètre à 148,000 fr. ou 150,000 fr.
Je
regrette encore ici que l’on ait choisi pour cette discussion le moment où nous
n’avons pas de documents récents sur la situation du chemin ; je ne puis faire
autre chose que de m’en rapporter à la dernière situation du chemin de fer
donnée par le ministre. Eh bien, je trouve qu’à l’époque du 1er octobre 1837,
il y avait 143 kilomètres d’achevés, et que les frais de construction de ces
143 kilomètres étaient jusqu’à cette époque de 14,138,000 fr., c’est-à-dire
98,000 fr. par kilomètre. Voilà ce que constatent les derniers rapports faits
par le gouvernement. Ainsi je crois que jusqu’à présent au moins l’honorable M.
de Puydt n’a pas droit de conclure qu’il n’avait rien prévu. Il s’en faut de 40
à 50 p.c., puisqu’il avait fixé à 145,000 fr. le chiffre le plus économique. Et
remarquez que si même ce chiffre de 145,000 fr. par kilomètre était exact, il
en résulterait que les ingénieurs avaient mal calculé, mais non que l’Etat eût
dépensé plus que ne l’auraient fait des compagnies.
Ainsi,
messieurs, il résulte des faits, tels qu’ils sont constatés par le
gouvernement, que la construction, loin de ne pas être économique, est
réellement restée en-dessous du chiffre que l’honorable M. de Puydt regardait
comme nécessaire.
Quant
aux produits, messieurs, les produits bruts avaient été évalués par les
ingénieurs à 2,900,000 fr., lorsque la route de Prusse serait faite, et en
attendant, à 1,400,000 fr., notre route étant achevée. Le premier de ces
chiffres et même le second chiffre furent contestés, comme une exagération, par
l’honorable M. de Puydt ; eh bien, messieurs, les produits bruts figurent
aujourd’hui au budget pour 4,000,000 fr. ; l’honorable M. le Puydi s’est donc
trompé sur ce point, non pas de 50, mais de 200 p. c. Les ingénieurs faisaient
entrer dans cette somme les voyageurs pour 4 à 500,000 fr. La seule section de
Bruxelles à Anvers donne un produit deux ou trois fois supérieur.
Les
ingénieurs avaient dit, messieurs, que les capitaux consacrés à la construction
du chemin de fer coûteraient 5 p. c. d’intérêt ; l’honorable M. de Puydt
soutenait qu’ils coûteraient, non pas,5, mais 7 p. c. Eh bien, les bons du
trésor ont été émis à l’intérêt de 4 1/2 p. c. au maximum ; l’emprunt de 30
millions coûte 4 2/5 p. c. ; il y a donc encore ici une erreur très
considérable.
Messieurs,
je crois qu’on peut dire avec certitude que la construction du chemin de fer a
été économique ; il reste maintenant à savoir quels seront les frais
d’exploitation.
J’ai
cherché, messieurs, à me rendre compte de ces frais d’exploitation, d’après le
dernier rapport de M. le ministre ; mais j’ai bientôt vu que cela était
impossible, qu’avec la meilleure volonté du monde on ne saurait y parvenir ; la
chose est facile à expliquer : pour comparer les frais d’exploitation avec les
produits, il faut prendre une section achevée, pendant un certain temps, et
l’exploitation de cette section, pendant un certain temps ; or, messieurs,
jusqu’à présent l’exploitation n’a pas été divisée par sections et elle ne peut
pas l’être, car à Bruxelles, par exemple, vous payez des employés au bureau de
recette, mais à ce bureau on donne des billets pour Gand, pour Anvers, et par
conséquent vous ne pouvez imputer cette dépense ni à l’une section ni à l’autre.
Si vous vouliez calculer sur l’ensemble, alors vous commettriez l’erreur dans
laquelle est tombée l’honorable M. Verhaegen ; vous confondriez les sections
achevées avec celles qui ne le sont pas, et dès lors vos calculs seraient
complétement inexacts, d’autant plus qu’il n’y a encore aucune section qui se
trouve dans l’état normal, dans l’état où elle devrait être, pour qu’on pût
apprécier le rapport qu’il y a entre les produits et les frais de construction
et d’exploitation.
En
effet, messieurs, la section de Liége, par exemple, n’a encore que deux départs
; la section de Louvain n’a été ouverte qu’à la fin de l’année dernière, et n’a
eu que deux ou trois départs par jour ; Gand et Termonde sont dans le même cas
; la section d’Anvers à Bruxelles pourrait fournir des éléments de calcul plus
exacts, mais si je la choisissais, on me dirais que je prends celle-là parce
qu’elle est la plus productive ; d’ailleurs cette section supporte en ce moment
les frais de construction d’une seconde voie qui n’est pas encore utilisée :
ici aussi, il est donc impossible de reconnaître exactement quelle est la
proportion entre les frais et les produits.
J’ajouterai
que le transport des marchandises, qui est entré pour une partie très
considérable dans l’évaluation des produits, que ce transport n’est encore
exploité que très partiellement, très provisoirement et d’une manière très peu
lucrative pour le gouvernement.
Prenons,
messieurs, le seul résultat que nous puissions prendre : on a établi des
prévisions approximatives ; une commission de la chambre les a examinées, les a
modifiées ; il en est résulté qu’on a porté au budget une somme de 3,000,000
pour les frais d’exploitation du chemin de fer, et une somme de 4,500.000 fr.,
comme produit présumé du chemin de fer ; il y a donc là un boni de 1,500,000
fr. Or, dans le rapport que j’ai eu l’honneur de vous faire, vous verrez,
messieurs, qu’au 16 mars dernier on n’avait encore dépensé que 28 millions ; le
montant des intérêts et de l’amortissement auxquels il faudra faire face en
1838, ne sera donc même de 28 millions, peut-être 25 millions ; et si l’on a un
million et demi pour y pourvoir, certes, c’est déjà là un résultat qui n’est
pas regrettable ; surtout lorsqu’on considère que la section de Liége à
Verviers ne sera pas encore exploitée cette année, que la section de Liége ne
l’est que depuis quelques mois et ne l’est que très partiellement ; que la
section de Bruges et la section d’Ostende ne sont pas encore ouvertes : si
malgré tout cela on parvient à faire face aux intérêts et à l’amortissement des
capitaux employés, certes, ce sera un très beau résultat.
Croit-on
que des compagnies fassent mieux ? Le seul chemin de fer en Belgique qui soit
exécuté par une compagnie, c’est celui du haut et bas Flénu, qui a été
entrepris à peu près en même temps que le chemin de fer du gouvernement ; je ne
sais pas si mes renseignements sont exacts, mais on vient de me dire que ce
chemin de fer ne rapporte, dans ce moment, pas un denier d’intérêt à ses
actionnaires, tellement les frais ont dépassé les prévisions ; il faut
convenir, messieurs, que cette comparaison entre l’Etat et les compagnies ne
serait pas à l’avantage des compagnies.
Messieurs,
l’expérience quant à l’exploitation (et en cela je suis parfaitement de l’avis
des honorables MM de Puydt et de Brouckere), l’expérience quant à
l’exploitation est incomplète ; il n’y a pas moyen de la juger, c’est à
d’autres temps qu’il faut remettre de se prononcer à cet égard. Alors il y aura
lieu, pour les honorables membres, à examiner ce qu’il faudra faire du chemin
de fer ; ils pourront alors, s’ils le jugent convenable, faire la proposition
de vendre le chemin de fer ; seulement je ferai une observation, c’est que si
nos adversaires s’étaient trompés dans leurs calculs et si le gouvernement, s’égarant
sur leurs traces, avait abandonné le chemin de fer aux compagnies, il n’y
aurait plus moyen de réparer la faute qu’on aurait faite ; tandis que
maintenant il sera toujours possible de faire ce que les honorables membres
auraient voulu qu’on fît dès le principe.
Quoique
l’expérience soit incomplète, une chose qu’on devrait voir dès aujourd’hui,
c’est, d’une part, que la construction du chemin de fer a été économique ;
d’autre part, ce qui est notoire, que les voyageurs affluent sur le chemin de
fer : avec ces deux conditions de succès, économie dans la construction et
affluence de voyageurs, il est impossible que l’entreprise ne soit pas encore
définitivement avantageuse.
Si
les procédés administratifs ne sont pas bons, on peut les améliorer ; car, à
cet égard, je ne vois aucune différence entre les compagnies et le gouvernement
; je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne pourrait pas faire tout ce que
peuvent faire les compagnies : les actionnaires n’administrent pas par
eux-mêmes, mais par une administration intéressée dans l’exploitation pour un
tantième ; le ministère des travaux publics peut faire ce que ferait
l’administration d’une compagnie ; il restera toujours cet avantage pour le
premier, qu’il sera plus réellement contrôlé que l’autre.
Sans
être dans les secrets de l’exploitation du chemin de fer, je suis persuadé a
priori qu’il y reste beaucoup à faire : c’est chose toute nouvelle, une
administration très compliquée ; des règles administratives adaptées à une
institution nouvelle ne se font pas en un jour. Si vous aviez aujourd’hui à
organiser une armée, sans précédent, sans connaissance de ce qui se fait
ailleurs, certes, messieurs, vous seriez longtemps avant de trouver de bonnes
règles d’organisation militaire. Le gouvernement fera plus d’un essai ; il en
fera peut-être même de malheureux, et ce ne sera qu’avec le temps qu’il pourra
atteindre à une certaine perfection ; toutefois les essais qu’il fera ne seront
pas fort coûteux, chaque fois qu’on pourra mettre au budget des recettes les sommes
suffisantes pour couvrir les intérêts et l’amortissement des emprunts
contractés pour l’exécution du chemin de fer.
Lorsque
l’expérience sera plus avancée, nous pourrons apprécier avec plus de certitude
ce que le chemin de fer rapporte, et juger en connaissance de cause le système
d’exploitation par le gouvernement ; mais nous examinerons aussi alors si nous
sommes arrivés au point de ne plus pouvoir introduire des améliorations, nous
examinerons la question de savoir si les imperfections qui pourront exister
proviennent de hommes et des circonstances, ou si elles proviennent du système
lui-même ; nous saurons alors ce que vaut définitivement ce que moi, en
attendant, je me permettrai d’appeler le plus bel ouvrage qui ait été exécuté
sur le continent depuis longues années, la plus grande chose, peut-être la
seule grande chose, que le gouvernement belge ait exécutée depuis six ans ; le
fait qui propage le plus, à l’intérieur et à l’extérieur, le respect de notre
nationalité.
En attendant, je crois aussi, messieurs, qu’on
ferait chose plus sage, plus utile, de tenir un autre langage que celui que
nous avons entendu ; dire au gouvernement : « Vous êtes un mauvais
exploitant, » c’est, ce me semble, l’encourager extrêmement peu à faire
les améliorations qu’il peut faire ; lui dire : « Il faut que vous soyez
nécessairement volé, » c’est lui inspirer peu de zèle pour prévenir les
dépenses excessives ou les dilapidations ; il serait beaucoup plus sage à mon
avis de dire : « Votre exploitation a pour elle toutes les conditions de
succès ; vos dépenses d’établissement ne sont pas trop grandes ; vous avez pour
vous la faveur du public, une affluence immense de voyageurs ; avec de telles
conditions, le succès dépend de vous ; avec du zèle et du temps vous pouvez, vous
devez réussir ; agissez donc avec activité et intelligence ; et croyez que si
le succès venait à ne pas répondre à l’attente du pays, ce ne serait pas le
système, mais le gouvernement plutôt qui serait en cause. »
M.
Gendebien. - Messieurs, mon intention n’est pas de
rentrer dans la discussion qui a été soulevée hier, et j’aurai peu de chose à
ajouter ce que j’ai dit sur d’autres
points.
Quand
j’ai critiqué hier le mode qu’on a adopté pour l’exécution du chemin de fer,
c’était une conséquence toute naturelle de l’opinion que j’ai émise en 1834 ;
l’opinion que j’ai cru devoir rappeler, parce qu’on l’avait méconnue,
calomniée, et qu’on avait attribué à de mauvaises intentions ce qui était le
résultat d’une conviction qui s’est justifiée et réalisée complétement sur tous
les points.
Il
me reste aujourd’hui à dire quelques mots, d’une part, pour tranquilliser nos
concitoyens sur les résultats du chemin de fer ; d’autre part, pour empêcher
que les étrangers ne se dégoûtent des chemins de fer et abandonnent trop
inconsidérément cette entreprise qui est à son enfance, et qui produira, je
l’espère, des résultats meilleurs que ceux que nous avons obtenus jusqu’à
présent.
Lorsqu’en
1834 on proposa la construction du chemin de fer, on réduisit toutes les
évaluations pour les dépenses et on exagéra les produits pour le transport des
marchandises ; de telle façon, messieurs, que si le transport des voyageurs
n’avait pas été triplé, n’avait pas dépassé trois ou quatre fois les calculs,
non seulement le chemin de fer ne rapporterait rien, mais il y aurait même un
déficit énorme.
Eh
bien, je ne suis pas découragé par ces résultats, et cela par une raison bien
simple : c’est que lorsque le gouvernement nous a imposé le calcul des
produits, il nous a fait connaître la recette qui devrait provenir du transport
des marchandises. Le chemin de fer, disait alors le ministre de l’intérieur,
rapportera 1,400,000 fr. ; cette somme se composait d’un million, produit du
transport des marchandises ; de 340,000 francs, produit du transport des
voyageurs ; et enfin de 66,000 fr., produit éventuel de menus transports.
Vous
voyez donc que dans le calcul du ministre de l’intérieur, au-delà des 2/3 de la
recette devaient provenir du transport des marchandises. C’était là la
conviction de tout le monde, c’est-à-dire du ministre et de la majorité ;
aujourd’hui, on ne transporte pas encore les marchandises, rien n’est organisé
pour cet objet le plus important, selon la majorité ; on ne peut donc pas
établir de calcul sur les produits de l’avenir, d’après les produits actuels.
Mais
qu’il me soit permis de m’étonner, et la chambre s’étonnera sans doute comme
moi, que lorsqu’on nous a présenté avec assurance un million pour le produit du
transport des marchandises, on n’ait pas encore, après un intervalle de quatre
ans, organisé le service du transport des marchandises.
Et
je trouve encore dans cette circonstance un argument pour soutenir l’opinion
que j’ai émise dans le temps que les particuliers feraient mieux que le gouvernement,
qu’ils feraient plus vite et à meilleur marché, et qu’ils obtiendraient de
meilleurs produits. Je vous demande, messieurs, si une association, calculant
l’intérêt du capital dépensé, n’eût pas, avant même que le chemin de fer eût
été livré au transport des voyageurs, songé à organiser en même temps le
service du transport des marchandises.
Une
année entière s’est écoulée entre le vote du 1er mai et l’ouverture de la
section de Bruxelles à Malines. Il me semble que pendant une année on aurait pu
méditer sur les moyens d’organiser le service du transport des marchandises.
Plusieurs mois se sont écoulés entre l’ouverture de la section de Bruxelles à
Malines et celle de Malines à Anvers ; et l’on aurait encore pu, pendant cet
intervalle, songer à établir le service du transport des marchandises ; eh
bien, on n’a rien fait. Qu’on veuille bien nous dire ce qui a empêché le
gouvernement d’organiser ce service ; qu’on veuille nous dire si une société
particulière se serait abandonnée à une pareille niaiserie ; pardonnez-moi
l’expression, car elle est juste. Certes, si un négociant faisait une aussi
grande faute, il perdrait son crédit, il serait ruiné le lendemain.
L’Etat
et les ministres ne se ruinent pas ; l’Etat et les ministres ne craignent pas
de banqueroute, parce que le gouvernement a toujours la ressource de demander,
et que les chambres refusent rarement, les crédits demandés n’importe pour quel
but.
Voilà
encore une des raisons que j’ai alléguées dans le temps, pour m’opposer à
l’adoption du système de l’exécution de toutes, oui, je le répète, de toutes
les sections par le gouvernement ; voilà ce qui me faisait proposer, à titre
d’essai, la ligne de Bruxelles à Anvers, pour prendre ensuite une résolution
définitive sur le mode d’exécution à suivre, d’après les résultats qu’on aurait
obtenus sur cette ligne.
Maintenant,
messieurs, je ne calcule pas sur un million de revenu, du chef des transports
des marchandises entre Anvers et Verviers ; je crois qu’il y a eu exagération
pour quelque temps au moins. Supposons seulement un produit de 700,000 francs ;
ajoutez cette somme au produit du transport des voyageurs, et vous arriverez
non pas à un résultat de 9 p. c., ainsi que le disait le ministre de
l’intérieur, bien moins encore à un revenu de 12 p. c. comme on le supposait,
mais à un résultat de 5 à 6 p. c. Et encore, pour obtenir ce résultat, il
faudra de l’économie, beaucoup d’économie dans l’exécution et dans
l’exploitation du chemin de fer.
La
section d’Anvers à Verviers a été évaluée à 16,500,00 fr. Dans cette somme est
comprise une somme de 12 cent et autant de mille francs pour l’intérêt pendant
trois ans. Il faudra majorer cette somme d’intérêts, parce que nous sommes à la
cinquième année et qu’il n’est pas probable que la section de Verviers soit
achevée d’ici à deux ans. Il y aura donc 6 ans d’intérêt à ajouter au capital
pour la construction.
Ensuite,
au lieu d’avoir une moyenne de 95,000 francs pour l’établissement du chemin de
fer, de la manière dont on a opéré et de l’aveu même du ministre, on se
rapprochera beaucoup d’une dépense de 2 millions.
Pour
couvrir l’intérêt et l’amortissement de cette somme, il faudra agir autrement
qu’on n’a agi jusqu’à présent ; il faudra non seulement s’occuper de
l’organisation du service du transport des marchandises ; mais il faudra encore
simplifier l’administration.
Pourquoi
les gouvernements font-ils moins bien que les particuliers dans toutes espèces
d’entreprises industrielles et commerciales ? C’est, messieurs, que d’une part
les gouvernements n’ont que des employés salariés qui ne font que tout juste le
nécessaire pour rester en place, et s’occupent fort peu de savoir si le patron
gagne ou ne gagne pas.
Dans
les messageries, on payait aussi aux employés des gages fixes ; mais il y avait
là l’œil du maître qui surveillait de près chaque employé. Eh bien, l’on a
trouvé que cela ne suffisait pas ; on a intéressé dans l’entreprise tous les
employés, depuis le premier jusqu’au dernier. Il y en a qui ont de légers
traitements, mais tous ont un tantième dans les produits ; et je crois que ce
tantième va jusqu’à 10 p. c. ; et ils sont payés d’après une échelle de
proportion, selon leur mérite et les services qu’ils rendent. Pourquoi le
gouvernement n’entrerait-il pas dans cette voie ?
Indépendamment
du manque de zèle chez les employés qui n’en ont généralement tout juste qu’en
proportion de leur traitement, il existe un autre inconvénient, c’est que le
gouvernement se trouve constamment embarrassé par des questions de personnes.
Dans les emplois les plus élevés comme les plus infimes, on s’occupe souvent
beaucoup moins du mérite de l’individu que des protections qui le poussent. On
a trop souvent égard à des services qu’on n’oserait avouer, et qu’on récompense
par quelque place. Pourquoi en serait-il autrement jour les chemins de fer ?
Voilà encore un obstacle à ce que le gouvernement fasse aussi bien que les
particuliers. Cet obstacle a des conséquences tout aussi funestes pour la
morale publique que pour l’entreprise elle-même.
Me
résumant, je dis que je n’ai jamais partagé les utopies de ceux qui nous
présentaient le chemin de fer comme pouvant remplir une grande partie de nos
impôts. Ainsi, les uns portaient l’intérêt à 9 p. c. pour la route d’Anvers à
Verviers ; d’autres le portaient à 12 p. c ; quant aux sections de Bruxelles,
Gand et Ostende, on a calculé l’intérêt à un taux bien plus élevé. J’ai dit
alors que, pour moi, ces exagérations suffisaient à elles seules pour me donner
la conviction que les calculs sur lesquels elles étaient fondées étaient
erronés Je soutiens qu’on n’arrivera pas même au chiffre le plus bas qu’on
indiquait dans la première discussion, à celui de 7 1/2 p. c. qu’un orateur qui
défendait le projet du gouvernement présentait comme le minimum. Je déclare
aujourd’hui que si l’on obtient 6 p. c. dont un à défalquer pour
l’amortissement, je serais très satisfait. 5 p. c. est un bel intérêt par le
temps qui court. Il y a beaucoup d’industries qui se contentent d’un pareil
intérêt ; et pour le gouvernement c’est un intérêt qui représenterait 7 ou 8 p.
c. pour des particuliers.
Après
avoir indiqué sommairement les vices et quelques moyens de remède du mode
d’exploitation adopté, je dois combattre un moyen d’amélioration de produits
proposé et qui serait d’augmenter le prix des places. A cet égard, j’aurai
aussi recours à la discussion de 1834. Le ministre de l’intérieur a dit, dans
la séance du 17 mars 1834, que pour les voyageurs il serait perçu 4 centimes
par kilomètre. Eh bien, voici le prix du transport des voyageurs par kilomètre,
selon le tarif adopté :
Dans
les berlines : 8 centimes 75 centièmes ;
Dans
les diligences, 7 centimes 50 centièmes ;
Dans
les chars à bancs, 5 centimes ;
Dans
les waggons, 3 centimes.
Moyenne,
6 centimes et 625 millièmes par voyageur et par kilomètre.
Ainsi
le prix a dépassé de plus de 50 p. c. celui indiqué par le ministre pour faire
adopter son projet. Qu’on ne vienne donc pas nous dire que le prix des places
est trop faible et que c’est là la cause de la faible quotité des produits,
puisque vous pouvez transporter autant que vous voulez, autant qu’il s’en
présente, des voyageurs à 8 centimes 75 centièmes par kilomètre, c’est-à-dire à
cent pour cent et une fraction de plus, enfin à un prix plus que double de
celui indiqué par le ministre en 1834. Il en est de même en descendant
l’échelle.
Maintenant
irez-vous augmenter le prix des places destinées au peuple ? Ce serait là un
contre-sens. Je ne veux rien dire de plus. Ce serait un contre-sens ; car on
n’a cessé de vanter le chemin de fer comme une entreprise essentiellement
populaire. Si vous allez élever le prix des places destinées au peuple, votre
chemin de fer cessera d’être populaire ; et adieu la démocratie qu’on s’est
vanté d’avoir établie en Belgique pour les moyens de transport !
Un
autre inconvénient qui tient aux intérêts matériels et qui sera nécessairement
mieux compris, c’est que si vous élevez le prix de places, il y aura beaucoup
moins de voyageurs. Comme le principal produit résulte du bas prix des waggons
et qu’il ne nuit en rien au transport des voyageurs moins nombreux qui prennent
d’autres voitures qu’on appelle aristocratiques, vous aurez réduit le produit
des voyageurs démocratiques, sans augmenter le nombre des voyageurs que vous
appelez aristocratiques et aussi sans diminuer en rien la dépense, car il
faudra le même personnel ou peu s’en faut pour le transport des voyageurs,
alors que vous aurez diminué d’un tiers ou d’un quart le nombre des voyageurs
des waggons. Il faudra les mêmes locomotives, le même feu, les mêmes ouvriers.
Le
prix d’établissement du chemin de fer et de ses accessoire ne coûtera pas un
centime de moins. Les dépenses premières seront toujours les mêmes. Vous aurez
donc diminué le produit sans diminuer la dépense, et cela pour rendre le chemin
de fer moins populaire ; cependant vous attachez un certain prix à cette
popularité.
Je le dis, la moyenne des prix du transport des
voyageurs est aujourd’hui de 50 p. c. plus élevée que le prix indiqué par le
ministre ; on ne peut donc attribuer le mécompte au trop bas prix des places
qui sont ce qu’elles doivent être. Pour arrêter toute récrimination, qu’on
parle franchement ; que l’on convienne tout uniment qu’on s’est trompé, et tout
sera dit.
Quant
à moi, je passe l’éponge sur le passé sans aliéner mon droit de contrôle et de
critique pour l’avenir ; je vais plus loin : j’engage le gouvernement à ne pas
se décourager, et je le prie d’apporter plus d’attention qu’il n’en a été
apporté dans les trois premières années à l’établissement du chemin de fer, qui
a été tellement négligé, oublié jusqu’ici qu’il me semble n’avoir été l’affaire
de personne ; et pour dire la vérité, on ne s’en est occupé qu’incidemment,
tandis qu’il est plus important qu’aucune autre branche ; je dirai même qu’un
ministère ayant pour toutes attributions l’établissement, l’organisation et
l’exploitation du chemin de fer, aurait, pour mener les choses à bien, autant
de besogne que le ministère de l’intérieur tout entier.
M.
Angillis. - Messieurs, le gouvernement propose, dans le même projet de
loi, la conversion de la rente provenant de l’emprunt de 100,800,000 francs, et
l’emprunt dont nous nous occupons en ce moment. La conversion n’a trouvé faveur
ni dans les sections ni dans la section centrale. Cette question ne me paraît
pas avoir été assez élaborée dans les sections ; on s’est trop attaché ou
plutôt on s’est trop effrayé de l’inopportunité ; peut-être aussi la discussion
que l’on soulève en ce moment en France, sur une pareille mesure, a exercé une
certaine influence sur les délibérations des sections ; dès lors la section
centrale qui n’est que l’organe de l’opinion de toutes les sections
particulières, n’a pu faire autre chose que ce qu’elle vous propose, et
moi-même je me suis rangé à cet avis.
J’aurais
cependant désiré qu’on eût laissé le projet de loi tel qu’il a été présenté, du
moins pour le principe. J’ai fait un examen approfondi de la question, j’ai
interrogé sévèrement mes convictions, j’ai trouvé, conformément à mes désirs,
qu’il n’y a dans le projet aucune mesure d’illusion, aucune mesure impolitique.
Au contraire, la Belgique, en s’occupant de cette grande mesure, la plus
importante qui puisse être agitée dans un pays, au moment même où l’Europe
entière a les yeux fixés sur elle, aurait peut-être fait un acte de haute
politique ; elle aurait prouvé par cette conversion, à ses amis et à ses
ennemis, qu’elle n’a cessé de grandir en prospérité depuis sa séparation de la
Hollande, malgré les sinistres prédictions des partisans de tous les vieux abus
; qu’elle peut faire en finances ce que de vieilles puissances n’oseront
peut-être jamais entreprendre, et qu’elle a déjà marqué sa place parmi les
Etats indépendants de l’Europe. Ainsi la mesure, considérée politiquement,
aurait produit un bon effet ; sous les rapports financiers., il était facile de
la justifier.
J’espère
que son ajournement ne sera pas de longue durée et que cette opération sera
prise en mûre considération pendant la session prochaine. il nous reste à
rembourser la somme de 91,600,000 fr. sur le malheureux emprunt de 100,800,000
fr., emprunt qui n’a rapporté à la Belgique que 70,622,686 fr., après déduction
de la différence entre le capital effectif et le capital nominal, frais de
commission, bonifications semestrielles, intérêts anticipés sur les dix parties
du premier emprunt et les douze parties du second emprunt, et enfin perte sur
le change de la livre sterling. La Belgique a donc perdu par cette opération
financière 30,177,314 fr. Ce calcul, messieurs, est effrayant, et cependant il
est exact ; mais n’accusons personne de cette perte, elle est due aux
circonstances d’alors. On s’est récrié contre les bénéfices énormes faits par
des capitalistes dans nos mauvais jours ; et qui le nie ? Mais nous étions
passablement heureux que nous ayons pu, lorsque nous n’étions presque rien,
exciter les capitalistes, par les chances d’un lucre disproportionné, à venir
nous aider dans notre détresse, et je ne dois pas oublier de dire que sur la
première partie de l’emprunt, qui s’élevait à 50,400,000 fr., les capitalistes
belges n’ont rien profité dans le principe ; 100,000 florins seulement ont été
cédés à un Belge au taux de 75.
Si
nous calculons l’intérêt que nous payons sur un capital que nous n’avons pas
reçu, nous trouvons que nous payons sur cet emprunt un intérêt réel de 7 1/4 p.
c. et une fraction. Et, bien que toutes les opérations financières possibles ne
puissent faire que cette perte n’existe pas, parce que le sacrifice de cette
perte est fait sans retour, il est cependant dans l’intérêt du pays que nous
nous débarrassions de ce lourd fardeau. Une fois le principe arrêté, la mesure
s’exécutera au moment où elle sera exécutable.
En
Angleterre, on a fait quatre opérations de réductions depuis 1822 ; deux
d’entre elles embrassaient chacune des sommes de trois et demi à quatre
milliards de francs en capital, et cependant on n’a pas hésité à faire la
conversion d’une aussi énorme somme, et l’opération a chaque fois parfaitement
réussi.
Toutes
les questions qui se rapportent à la théorie soit des emprunts, soit de
l’amortissement, sont compliquées de leur nature ; l’art d’emprunter et
d’amortir avec le plus d’économie possible n’est pas encore mis à la portée de
tous les esprits, mais j’ose dire qu’en Belgique on le comprend aussi bien que
partout ailleurs, et ce qu’on a fait en Angleterre on le fera ici avec autant
de facilité et autant d’avantage. Telle est mon opinion, et cette opinion est
une conviction pour moi, une conviction qui repose sur des faits certains, sur
des calculs exacts.
Le
premier projet séparé maintenant de la conversion ne s’occupe plus que de
l’emprunt d’un capital nominal qu’on a porté à 37 millions au lieu de 36 que
propose le projet. La section centrale l’a augmenté de un million, parce que,
lorsqu’on emprunte d’après les règles généralement reçues, 37 ne font souvent
pas 34. Je pense cependant que les gouvernements mieux éclairés comprendront
enfin qu’il est plus avantageux pour l’Etat de payer un intérêt élevé en
empruntant au pair, que de payer un intérêt modéré en apparence et de perdre
beaucoup sur le capital. Lorsque cette question sera traitée avec les
développements dont elle est susceptible, elle méritera sans doute l’attention
de l’assemblée.
Vous
savez, messieurs, à quelles fins cet emprunt est destiné ; une partie doit
servir à rembourser 10 millions des bons du trésor ; ce remboursement est non
seulement nécessaire, mais il est indispensable. Il est souvent dangereux pour
un Etat d’être chargé d’une dette exigible à des époques rapprochées. La
moindre crise financière jettera la perturbation dans le crédit public, et
l’expérience nous a plus d’une fois démontré que les crises financières ne sont
pas toujours occasionnées par des causes politiques.
L’autre
partie de l’emprunt a pour destination spéciale la continuation de nos chemins
de fer. Cette continuation, messieurs, est maintenant une mesure de justice ;
car les grands travaux publics entrepris au nom de la nation doivent avoir pour
objet l’utilité générale. Si toute la nation n’en profite pas dans des
proportions plus ou moins inégales, alors il y aura privilège d’un côté et
oppression de l’autre. C’est là un des principes, une des bases de
l’association politique. La justice distributive du gouvernement doit donc
veiller à ce que chaque contrée du royaume ait, dans un avenir, plus ou moins
prochain, et selon que les ressources du pays le permettront, une
communication, soit par des chemins en fer, soit par des routes pavées, d’après
la nature et la situation de la contrée.
Lorsqu’on
a établi notre première ligne en fer, les deux termes, c’est-à-dire la dépense
et la recette, étaient également inconnus. Dans cet état de choses, lorsque
tout était problématique, le plus sage était d’attendre que l’expérience fût
acquise. Je voulais alors, comme le veut à présent mon honorable ami M.
Verhaegen, que toute l’entreprise fût abandonnée à l’industrie particulière par
la voie de concession. Je pensais alors, comme je le pense encore aujourd’hui,
que par ce moyen la Belgique aurait été dotée de plusieurs chemins en fer dans
un temps donné, sans peu ou point de frais pour le trésor, pendant que la
nation aurait profité de toute son utilité. On sait que la majorité de la
chambre a décidé le contraire.
Maintenant,
dans l’état ou sont les choses, je crois que le gouvernement doit achever ce
qu’il a commencé ; il ne peut plus reculer, et j’espère qu’il ne le fera pas.
Eclairé par la discussion sur quelques inconvénients, voire même quelques abus,
appuyé par la législature, le gouvernement aura tous les moyen pour faire
cesser les plantes et faire cette grande entreprise, sinon avec bonheur, du
moins avec honneur. D’ailleurs, ce ne sera que lorsque toutes les grandes
lignes de communication seront établies que l’on pourra connaître la véritable
balance, et juger s’il y a profit ou perte.
Remarquez-le
bien, messieurs, cette perte ne sera jamais réelle ; ce serait une perte que la
nation paierait à elle-même, car elle profitera sur le bas prix et la rapidité
du transport, au moins autant qu’elle aura payé dans les frais. Il en est ainsi
de tous les grands établissements d’utilité publique. Toutes nos routes pavées
prises ensemble ne donnent que 2 p. c. d’intérêt pour les capitaux qui y ont
été employés, et cependant on demande continuellement de nouvelles communications,
en offrant de payer une grande partie dans les frais. En ce moment même la
localité que j’habite et deux localités voisines offrent au gouvernement un
subside de 55,000 francs, presque à fonds perdus, non compris 25,000 fr. donnés
par la province, pour seulement 30,000 fr. que le gouvernement paiera dans la
construction d’un bout de pavé qui servira à compléter un système de grande
communication. Lorsque des communes proposent de tels subsides pour avoir une
communication, c’est qu’elles en connaissent toute la valeur, c’est qu’elles
savent que s’il y a perte d’un côté, il y a profit de l’autre, et qu’ainsi il y
a toujours compensation.
C’est sous ce point de vue que l’on doit
considérer l’emprunt, emprunt qui n’est pas destiné à combler un déficit, à
solder une dépense perdue pour toujours, mais à faire une dépense productive, à
semer de l’argent pour recueillir en définitive de l’argent une dépense enfin
qui intéresse l’agriculture, le commerce, l’industrie et toutes les classes de
la société ; car, quoi qu’on dise, nos relations intérieures doivent
considérablement gagner par l’établissement des chemins en fer ; les forces
productives d’un pays s’accroîtront avec la rapidité des communications, et
l’économie qui doit en résulter est immense.
En
me résumant, je dis, en premier lieu, que je regrette qu’on n’ait pas discuté
la grande question de la conversion de la rente : cette discussion, riche en
principes, aurait fait la plus belle page de notre session qui va finir dans
quelques jours ; 2° que le gouvernement doit achever la grande entreprise des
chemins en fer ; 3° que l’on ne peut pas lui refuser l’emprunt qu’il demande,
et que, par une conséquence logique, je voterai pour le projet de loi.
M.
de Puydt. - Je dois déclarer de nouveau que c’est avec
regret que j’ai pris part à une discussion dont en vérité je ne comprends pas
le but ; mais j’y suis entré une première fois, malgré moi, parce qu’on avait
attaqué les opinions que j’ai émises il y a plusieurs années ; je me vois
obligé d’y revenir parce que j’ai été mis personnellement en cause ; cependant
je n’entrerai dans aucun détail ; je répondrai simplement par une observation
générale.
L’honorable
M. Devaux voudra bien se rappeler que ce n’est pas moi qui ai dit que le chemin
de fer serait nuisible à l’agriculture, était une œuvre diplomatique,
entraînerait une guerre avec la Hollande, était une inspiration anglaise. J’ai
été un des premiers à reconnaître que le chemin de fer était une grande
conception d’une haute utilité pour le pays. La seule chose que j’aie contestée
et que je conteste encore, c’est l’utilité de faire construire ce chemin de fer
par l’Etat. C’est à propos de cette discussion que, dans le temps, j’ai
contesté certains articles d’évaluation ; maintenant je considère comme inutile
de revenir sur ce point. Il me suffit que M. le ministre des travaux publics
ait déclaré dans cette chambre que la moyenne de la dépense s’élevait à 160,000
francs par kilomètre, pour que ma prévision de 1834 soit justifiée, quand j’ai
dit que les évaluations seraient dépassées de 50,000 fr. par kilomètre. Et
quand je fais cette observation, je ne veux faire aucun reproche ; car si j’ai
dit cela, c’est que je reconnaissais que le chemin de fer devait coûter 50,000
fr. de plus. J’ai eu si peu la pensée d’un reproche, que je n’ai pas
l’intention de voter contre le projet de loi ; je voterai au contraire pour son
adoption.
On
a cru devoir rappeler que j’ai commis une erreur sur l’évaluation des intérêts.
On avait dit que l’intérêt serait de 5 p. c. J’ai pensé en 1834 que l’intérêt
irait jusqu’à 7 p. c. J’ai commis une erreur, mais ce n’est pas dans le sens
qu’on a prétendu.
Je
dois, à cette occasion, répondre à une observation faite par l’honorable M.
Lebeau. Je commence par dire que je crois que ctlte observation était faite de
bonne foi, en toute loyauté, et sans aucune intention défavorable pour la
société à laquelle il a fait allusion.
L’honorable
M. Lebeau a dit :
« Une
autre compagnie a demandé la concession d’un chemin de fer dans l’entre-Sambre
et Meuse. Le parcours est d’environ 20 lieues. Savez-vous à combien est établie
la dépense de construction ? Si mes renseignements sont exacts, à 12 millions
pour une seule voie et sans matériel. »
Cette
estimation est faite par les concessionnaires du chemin de fer ; mais elle a
été vérifiée par les ingénieurs du gouvernement ; elle est contradictoire, elle
est le fruit de 3 ans d’étude.
L’estimation
des travaux de ce chemin de fer n’est que de 11 millions 16 mille francs, parce
qu’il faut déduire les intérêts. Ce qui fait 107,000 fr. par kilomètre.
Mais il faut remarquer que, quoique ce ne soit
pas un chemin de fer à double voie, il y a obligation d’acquérir les terrains
qui seraient nécessaires pour deux voies, de construire des gares d’évitement
et une double voie dans certaines parties formant ensemble 45 kilomètres,
c’est-à-dire sur la moitié de la longueur du chemin de fer. De sorte que c’est
presque un chemin à double voie.
L’honorable
M. Lebeau a ajouté que la canalisation de la Sambre a donné lieu à des dépenses
considérables. Je ne crois pas qu’il ait voulu, à cet égard, faire une
observation qui me soit personnelle ; car c’est le gouvernement hollandais qui
a fait cette canalisation ; toutes les observations sur ce point doivent lui
être renvoyées.
Je
le répète, on se méprendrait si on voulait conclure de mes paroles que mon
intention est de faire rejeter la loi. Je considère l’entreprise commue devant
être achevée avant qu’on puisse porter un jugement définitif sur les résultats
de l’exécution par le gouvernement. J’ai dit que pour moi l’expérience était
suffisante pour porter mon jugement, mais cela ne suffit pas pour le public ;
pour le public il faut que l’exécution soit achevée.
M. Andries. - Dans un des
premiers rapports il est dit qu’on a acheté pour 106 mille francs de terrains
qui n’étaient pas nécessaires pour le service du chemin de fer et qu’on va
revendre. Depuis 1835, ces terrains sont restés sans emploi. Je demanderai si
le gouvernement est autorisé à vendre ces terrains, et si la loi de 1837 est
applicable aux parcelles achetées de 1834 à 1835. Si cette loi n’autorise pas
le gouvernement, je crois qu’il est de l’intérêt du gouvernement de demander
une autorisation à cette fin, car on empiète constamment sur ces parcelles, et
si on tarde à les vendre, on finira par ne plus les retrouver.
Il
est un deuxième point sur lequel je désire avoir des éclaircissements. Dans
l’intérêt du trésor, je crois qu’il ne convient pas de permettre à des employés
subalternes du trésor de manier de l’argent. Les conducteurs sont autorisés à
recevoir des suppléments qui vont quelquefois jusqu’à 15 et 20 francs. Je
demanderai s’il y moyen de contrôler ces recettes partielles. S’il n’y avait
pas de moyen de contrôle, il vaudrait mieux défendre aux conducteurs de
recevoir des suppléments, car il en peut résulter beaucoup d’abus.
M.
Lebeau. - L’honorable préopinant, j’aime à le croire,
n’a pas plus voulu m’attaquer personnellement que je n’avais eu l’intention de
le faire à son égard. Il prétend que j’ai commis une erreur matérielle dans ce
que j’ai dit sur les frais de construction de la route d’entre-Sambre et Meuse.
J’ai pris mes calculs dans le texte même de l’acte constitutif de la société
concessionnaire. Il y est dit que dans l’année qui suivra le 1er janvier 1870,
et chaque année après à la même époque, le chemin de fer pourra être racheté
par le gouvernement pour la somme de 12,780,000 fr. à laquelle sont évalués les
travaux, plus une prime de 25 p. v.
Voilà
où j’ai pris mes chiffres. Maintenant je ne méconnais pas que sur certains
points le chemin est à double voie. Mais je ne crains pas de le dire : la voie
simple ou la double voie de l’entre-Sambre et Meuse coûtera certainement autant
que les travaux de même nature exécutés par le gouvernement.
Quant
à la canalisation de la Sambre, je n’en ai parlé que pour prendre un exemple,
sans arrière-pensée, sans vouloir diriger d’insinuation contre l’honorable
préopinant. Je crois que j’ai pu citer cet exemple, sans mériter le reproche
que, du reste, il ne m’a pas adressé, d’avoir voulu faire une allusion
personnelle.
-La
discussion générale est fermée.
Discussion des articles
« Art.
1er. Le gouvernement est autorisé à emprunter jusqu’à concurrence d’un capital
nominal de trente-sept millions de fr., à un intérêt dle 4 et demi p. c., ou à
un intérêt moindre avec augmentation relative du capital nominal.
«
Il sera consacré à l’amortissement de ce capital une dotation d’au moins un p.
c. par an, indépendamment du montant des intérêts des obligations amorties.
«
Les obligations à créer seront, préalablement à leur émission, soumises an visa
de la cour des comptes. »
M.
A. Rodenbach. - Messieurs, je ne puis pas supposer que l’on
prélèvera sur les 21 millions consacrés spécialement à la route en fer des
fonds pour faite des stations, entre autres celle des Bogards. J’ai eu occasion
d’en parler hier. J’observerai que le gouvernement a dépensé 300 mille fr. pour
la station de l’Allée-Verte ; sous le précédent gouvernement on a fait une
dépense de 500 mille fr. pour augmenter cette station.
Maintenant
on veut changer de système ; on veut deux stations, on veut en quelque sorte
une station de localité. Je désirerais connaître l’utilité de cette seconde
station. D’abord les habitants des Flandres et d’Anvers qui voudront se rendre
dans le Hainaut, devront s’arrêter à l’Allée-Verte. C’est une barrière qu’on
veut mettre entre le nord et le midi. Il en résultera pour eux au moins une
heure de retard, cela équivaut à 6 lieues sur le chemin de fer. Il faudra
traverser la ville le soir pour se rendre à l’autre station ; si on veut
continuer sa route pour éviter cet embarras, on sera obligé de coucher à
Bruxelles. Par les chemins de fer, il faut des communications directes et sans
obstacles. Vous voyez que ce changement de système, au lieu d’être favorable,
sera défavorable à l’intérêt général.
On
se récrie contre les octrois ! Les voyageurs seront arrêtés à l’entrée de la
ville pour prendre des bulletins de transit.
On a dit que le chemin rapportait peu d’intérêt.
Je demanderai aux députés de Bruxelles, qui ont dit que cela ne rapporterait
rien, s’il est possible qu’une entreprise semblable soit productive quand dans
l’intérêt d’une localité on fait une dépense qui équivaut à 70 mille fr. par
an. On m’a assuré que des spéculateurs avaient acheté, dans la vue de la
station qu’on se propose de faire, des terrains moyennant 15 mille fr., et dont
ils demandent 80 mille fr.
Cette
dépense, est-ce la ville de Bruxelles qui la fera ? La ville d’Anvers a bien
payé 500,000 fr. pour sa station, la ville de Bruges en paiera 4 ou 500,000 ;
Gand a payé 200,000 fr. Ces villes devraient réclamer des stations de localité,
afin de faire dépenser de l’argent dans leur sein. Il faut exploiter le chemin
de fer dans l’intérêt de l’Etat, et non dans le sein de telle ou de telle
localité.
Je
voterai les 37 millions, mis à condition qu’on ne détournera pas un liard dans
l’intérêt des localités ; sans cela, je ne les voterai.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Il faut que la
chambre sache que la station de l’Allée-Verte telle qu’elle existe, est
insuffisante pour le transport des voyageurs. Des terrains ont été acquis par
mon prédécesseur qui peuvent être utilisés pour la station des marchandises ;
la station de l’Allée-Verte, pour les voyageurs, est trop petite. De deux
choses l’une : il faut l’agrandir ou en établir une deuxième. Voici le principe
que j’ai cru devoir poser comme point de départ. Il faut que cette deuxième
station ne coûte à peu près au gouvernement que ce que lui coûterait l’agrandissement
de la station de l’Allée-Verte. C’est sur cette base qu’on a entamé des
négociations avec la régence de Bruxelles. L’établissement de cette station
étant subordonné aux arrangements à prendre avec les propriétaires des Bogards,
nous avons pu espérer des résultats satisfaisants. Les propriétaires voyant
qu’il n’y avait pas de décision prise, ont été placés en face de cet argument
On ne prend pas toute votre propriété ; si la station est établie, elle
décuplera la valeur du reste de votre propriété ; il faut vous montrer
raisonnables dans la vente de la parcelle nécessaire à la station.
Cette
négociation a amené des résultats très avantageux. La ville doit entrer pour un
tiers dans les frais d’achat des terrains nécessaires à l’établissement de la
station. Il faut en outre lui tenir compte de l’influence qu’elle a eue dans
les pourparlers avec les propriétaires. Le gouvernement n’a pas traité avec eux
; il a dit à la ville : Traitez avec les propriétaires ; si vous obtenez des
conditions avantageuses, nous pourrons nous entendre.
On
avait supposé que les terrains pour l’établissement de la station des Bogards
coûteraient un million ; mais il se trouve qu’ils ne coûteront que six à sept
cent mille francs, et la ville entrera pour un tiers dans cette dépense. La
somme que le gouvernement paierait représente à peu près celle qu’il paierait
pour expropriation de l’Allée-Verte, afin d’y agrandir la station trop peu
spacieuse pour les voyageurs. Voilà un côté de la question.
Nous
connaissons les inconvénients de la centralisation, de l’encombrement. Et
puisque l’on a cité l’Angleterre, je dirai que là on a évité l’encombrement, et
qu’on a fait des stations et pour les voyageurs et pour les marchandises ;
qu’on y a évité enfin la centralisation extrême.
Si
la station des Bogards s’établit (il n’y a rien de décidé à cet égard), ce sera
à une condition de participation analogue à celle que l’on a imposée à d’autres
villes.
L’honorable
préopinant a trouvé qu’il serait extrêmement avantageux de pouvoir passer en
quelque soute à côté de la ville de Bruxelles pour se rendre d’une extrémité du
pays à l’autre ; je ne sais jusqu’à quel point ceci est à désirer. Ce serait
placer la ville de Bruxelles à côté du chemin de fer. Si le chemin de fer du
Hainaut arrivait à l’Allée-Verte, on ne ferait que traverser la Belgique ;
l’habitant des bords du Rhin prendrait sa place pour se rendre à Paris ;
l’habitant de Paris prendrait sa place pour se rendre à Cologne ; et la
Belgique ne compterait pour rien dans les voyages.
Jusqu’à quel point un tel état de choses serait
utile à l’intérêt général, jusqu’à quel point devons-nous admettre que l’on
doit laisser sous nos yeux sans s’arrêter parmi nous ; c’est une question qui
ne manque pas d’une certaine portée ; je ne sais si je dois m’y arrêter ; je ne
sais si notre temps me le permet. Dans d’autres pays il est sans exemple que
près de la capitale on ait raccordé deux routes ; c’est ce qu’on n’a pas admis
à Paris, à Londres. Les chemins de fer doivent aboutir aux capitales et non s’y
raccorder. Nous serons moins rigoureux ; nous admettrons un chemin de jonction,
mais je crois qu’il ne servira de fait qu’aux marchandises. Je suis persuadé
que, sur dix, il y en a neuf qui voudront rester à Bruxelles ; de sorte que
s’il n’y avait pas de jonction, vous ne feriez violence qu’à un sur dix,
puisqu’on parle de violence.
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - Une double
station à Bruxelles est dans l’intérêt du pays et du service. Impossible sans
cela.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - On a parlé des
inconvénients de la station centrale de Malines ; eh bien, si cette station
centrale était à Bruxelles, on ne s’en plaindrait pas. Pourquoi se plaint-on de
celle de Malines ? Parce que l’on est forcé de perdre quelque temps dont on ne
sait que faire ; à Bruxelles les voyageurs pourraient profiter de ce temps.
Au
reste, il n’y a rien de définitif dans la question des Bogards ; mais,
répondant franchement à l’interpellation qui a été faite, j’ai indiqué
succinctement dans quel sens un arrangement pourrait être pris avec la ville de
Bruxelles relativement à cette station.
Puisque
j’ai pris la parole, je répondrai aussi à des questions qu’a bien voulu
m’adresser M. Andries .
Il
est très vrai que les conducteurs touchent des suppléments de prix. Lorsqu’un
voyageur juge à propos de changer de place, comme le temps est précieux, il
faut bien que le conducteur reçoive le supplément qu’exige ce changement.
Avez-vous confiance dans les gardes ? Je répondrai oui ; sans cela il faudrait
renoncer à l’exploitation des chemins de fer. Il en est de même pour les
diligences. En route il entre des personnes dans une diligence, et ces
personnes peuvent quitter la voiture avant d’arriver au bureau : qui touche le
prix ? Le conducteur. Demandez à M. Van Gend s’il a confiance dans ses
conducteurs ; il vous répondra : Oui, il le faut bien.
Vous ferez tout ce que vous voudrez, vous ne
pourrez échapper à certaines conditions de l’exploitation. Du reste, les employés
du chemin de fer sont choisis avec soin, avec une grande circonspection.
Il
est vrai encore que pour certaines stations intermédiaires où, il n’y a pas
encore de bureaux, les gardes ont l’autorisation de délivrer des billets ; mais
ces billets provenant d’une souche, il faut que l’on remette ceux qui n’ont pas
été placés, et que les gardes paient le prix de ceux qu’ils ne peuvent
représenter. La souche est un moyen de vérification fort simple.
Je
dois dire aussi que l’on a dû faire des excédants d’emprises. J’en ai tenu
compte hier pour ce qu’a coûté le chemin de fer. Prochainement, je pense, on
pourra prendre une mesure à l’égard de ces parcelles non incorporées au chemin
de fer.
M. le
président. - M. de
Puydt propose par amendement de porter l’emprunt à 40 millions.
M.
A. Rodenbach. - Ce qu’a dit le ministre ne m’a pas fait
changer d’opinion. Dans la première partie de son discours, il nous fait
remarquer que le temps est précieux ; je le pense avec lui, mais ce n’est pas
là un motif pour faire rester les voyageurs à Bruxelles.
Si
la ville de Bruxelles a intérêt à avoir une seconde station, qu’elle en fasse
les frais, comme font les autres villes pour l’unique station qu’elles possèdent.
En achetant le terrain de l’Allée-Verte, on pourrait agrandir la station
existante d’une manière suffisante pour les besoins du service, et on n’aurait
pas un double personnel. Dans les calculs qu’il fait, le ministre dit que la
seconde station ne coûtera que sept à huit cent mille francs ; mais cette
seconde station entraîne un nouveau personnel, et c’est ce qu’il ne faut pas
perdre de vue.
Avec
la dépense totale qu’occasionnerait une autre station on pourrait achever un
embranchement, ce qui serait bien préférable et bien plus dans l’intérêt
général. On ne doit prélever sur la somme de 21 millions que des dépenses dans
l’intérêt du pays entier. Pour augmenter les produits du chemin de fer, il ne
faut pas multiplier les stations, mais les embranchements.
La Campine réclame l’embranchement d’Anvers à
Turnhout ; les Flandres réclament des embranchements pour Alost, pour
Audenaerde, voilà ce qui augmenterait les revenus.
La
seconde station que l’on demande serait une entrave à la célérité qui est le
principal mérite des chemins de fer ; elle occasionnerait de graves
inconvénients par rapport à l’octroi, chose dont les Anglais ont horreur.
Augmentez la station de l’Allée-Verte, je le répète, cela suffira.
J’ai
lu le compte-rendu de la séance du conseil municipal de Bruxelles, tenue le 10
avril. Il y a été question de la seconde station, et on a promis d’entrer pour
un tiers dans la dépense, quand on pourra le payer : peut-on compter sur une
telle promesse ? Elle n’a rien de définitif. Nous sommes ici les députés de la
nation, notre attention ne doit pas se porter sur l’intérêt local. Si l’on me
donne pas de meilleures raisons que celles qui ont été alléguées, je voterai
contre l’emprunt des 37 millions.
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, c’est
aussi en faveur de l’intérêt général que je vais parler et que j’appuierai
franchement le projet d’une station intérieure dans la ville de Bruxelles, afin
d’engager mon collègue des travaux publics à seconder ouvertement la
réalisation de ce projet.
L’honorable
préopinant semble ne se préoccuper que des voyageurs étrangers, et dans cette
pensée il voudrait voir arranger les choses pour qu’ils puissent traverser la
Belgique au plus vite et sans s’y arrêter le moins du monde, pour qu’ils
aillent de Cologne à Paris, et réciproquement, sans faire halte. Mais,
messieurs, notre chemin de fer n’est pas créé dans l’intérêt exclusif des
étrangers, il est surtout construit dans l’intérêt de la Belgique ; et s’il lui
convient que les voyageurs s’arrêtent dans la capitale, il faut continuer
l’exploitation du chemin de fer de manière à ce qu’ils soient, non pas obligés,
mais en quelque sorte invités à le faire.
Les
avantages à résulter de ce que les voyageurs s’arrêtent dans la capitale sont
incontestables ; il est évident que les revenus de l’Etat, en général, s’en
ressentiront d’une manière favorable ; que les produits du sol et de nos
manufactures en retireront des avantages immédiats. Or, si nous établissons une
station à l’intérieur de la ville de Bruxelles, les voyageurs s’y arrêteront
tout naturellement ; ils y séjourneront même, parfois, plus ou moins longtemps,
sans qu’on ait fait pour cela le moins du monde violence à leurs projets de
route ; si au contraire nous établissons les stations à l’extérieur de la
ville, la plupart des voyageurs n’y entreront pas, parce qu’ils auraient les
embarras de transporter leurs bagages de l’Allée-Verte au centre de Bruxelles ;
ce serait indirectement les mettre dans la nécessité de continuer leur route,
souvent contre leur gré ; ce serait les forcer en quelque sorte à éviter la
capitale où ils auraient préféré trouver l’occasion de s’arrêter.
On
parle des frais que doit occasionner à l’Etat l’établissement d’une seconde station
intérieure ; mais M. le ministre des travaux publics vient déjà de vous
démontrer qu’il faudrait au moins 500,000 fr. pour rendre la station actuelle
suffisamment spacieuse, qu’au lieu de dépenser 500,000 fr. à l’extérieur de la
ville, on les dépensera à l’intérieur ; ce ne sera donc qu’un simple
déplacement de travaux.
On
a dit aussi, messieurs, qu’il faudra un double personnel avec deux stations ;
mais l’on n’évitera dans aucun cas ce double personnel, qui serait
indispensable à la station unique ; seulement, au lieu d’être réuni, il sera
divisé, et cette division constituera un avantage immense pour la célérité même
du parcours : on sait qu’il est déjà impossible aujourd’hui d’empêcher certaine
confusion à la station de l’Allée-Verte ; or, cette confusion ne serait-elle
pas complète si tous les voyageurs qui seront obligés de descendre sur un seul
point, si tous les voyageurs qui arriveront de France, d’Angleterre,
d’Allemagne et de Hollande étaient forcés de mettre pied à terre tous ensemble
à la station de l’Allée-Verte ? Il est humainement impossible que, quelque que
soit l’aptitude des employés, quelle que soit l’organisation, l’ordre puisse
être assuré là où seraient parfois groupées deux ou trois mille personnes,
toutes plus ou moins exigeantes, toutes voulant avoir leurs bagages à l’instant
même ; déjà aujourd’hui, je le répète, la station est insuffisante, déjà il y a
cohue, et l’on voudrait n’avoir qu’une seule station alors que le nombre des
voyageurs sera doublé ou triplé ? Cela me paraît de toute impossibilité.
Je
ne puis donc, messieurs, qu’engager mon collègue des travaux publics à
seconder, dans l’intérêt général, l’établissement d’une station intérieure à
Bruxelles, et à ne pas être touché du soin que l’on semble prendre de faire en
sorte que les étrangers ne séjournent pas dans le pays ; l’intérêt général
gagnera à ce qu’ils s’arrêtent dans la capitale, et dès lors nous devons
organiser les choses de manière à les y convier ; je ne voudrais pas les y
forcer, et il ne s’agit pas de cela, mais bien leur donner toutes les facilités
pour le faire ; je dis qu’il ne s’agit pas de les contraindre, et en effet les
départs seront toujours organisés de manière qu’il y ait très peu
d’interruption, puisqu’il existera constamment six départs par jour en été, et
par conséquent peu d’intervalle entre l’un et l’autre transport ; si les
voyageurs ne veulent s’arrêter qu’un instant en ville, il leur sera loisible de
partir avec le premier convoi qui suivra leur arrivée, et il y aura en réalité
moins de temps perdu de cette manière que s’il fallait se soumettre au dédale
d’une station unique.
Je dis, messieurs, que si la station se trouvait
exclusivement extra muros, des voyageurs qui auraient le désir de s’arrêter en
ville, souvent ne le feraient pas, parce que cela leur occasionnerait des
embarras ; avec deux stations au contraire on procurera au pays les avantages
d’un séjour plus ou moins prolongé, dans la capitale, d’un grand nombre
d’étrangers, en même temps qu’il sera possible d’introduire l’ordre et la
régularité dans le service.
M.
de Puydt. - J’ai déposé un amendement, messieurs,
tendant à porter à 9,000,000 le crédit accordé au gouvernement pour la
construction de routes pavées et empierrées. Lorsque la chambre a voté un
emprunt de 6,000,000 pour cette destination, la situation du produit des
barrières était loin d’être aussi prospère qu’elle l’est aujourd’hui, et si ces
produits avaient été alors ce qu’ils sont maintenant, au lieu de demander
6,000,000 nous aurions insisté pour en obtenir 9 ou 10. A cette époque,
messieurs, le produit des barrières était de 2,205,541 fr. ; les adjudications
qui viennent d’être faites en vertu de la loi que vous avez votée portent ce
produit à 2,497,965 fr., de sorte qu’il y a maintenant un excédant sur le
produit de 1835 de 292,424 fr. ; cette somme, de près de 300,000 fr., dépasse
celle qu’il faut consacrer aux intérêts et à l’amortissement de l’emprunt de
6,000,000 à tel point, que si vous ajoutez 3 millions à cet emprunt, vous
n’aurez pas même absorbé tout le bénéfice que vous avez fait depuis deux ans
sur le produit des barrières.
D’un autre côté, messieurs, l’honorable ministre
des travaux publics nous a fait connaître, lors de la discussion de la loi des
barrières, que beaucoup de projets de routes nouvelles étaient présentés ;
qu’il y avait des demandes considérables, faites par toutes les provinces ;
mais que le crédit des 6 millions serait insuffisant pour accorder des subsides
nécessaires.
Je
crois que M. le ministre des travaux publics reconnaîtra avec moi qu’en
augmentant de 3 millions le crédits de 6 millions qui a déjà été mis à sa
disposition, il sera plus à même de satisfaire aux vœux des provinces.
-
L’amendement de M. de Puydt est appuyé.
M.
Pollénus. - Messieurs, la question qui vient d’être
soulevée par l’interpellation de l’honorable M. A. Rodenbach me paraît mériter
toute l’attention de la chambre.
Ainsi
que vous l’avez entendu, les prévisions de notre honorable collègue sont
continuées par les déclarations qui viennent d’être faites par les organes du
gouvernement. Le projet d’établir une station secondaire dans la ville de
Bruxelles existe réellement : mais, ainsi que l’a dit M. le ministre des
travaux publics, rien n’est encore arrêté à cet égard. La question est donc
entière ; dès lors, la discussion à laquelle nous sommes à nous livrer peut
être très utile encore.
Pour
ma part, je partage entièrement l’avis de M. le ministre des finances, que le
chemin de fer est destiné à être utile au pays. Mais je ne pense pas qu’en
partant de ces prémisses, il faille reconnaître que le pays est vraiment
intéressé à l’établissement d’une station secondaire dans l’intérieur de
Bruxelles. Il me semble au contraire, messieurs, que les faits qui ont été allégués
par les deux membres du cabinet que vous avez entendus, prouvent évidemment que
la ville de Bruxelles y est seule intéressée, et que la Belgique ne l’est pas.
L’honorable
auteur de l’interpellation a dit que de l’établissement d’une station
secondaire devait résulter un arrêt forcé qui neutraliserait les avantages du
chemin de fer, puisqu’on perdrait par là celui de la vitesse dans les
communications. Le gouvernement n’a nullement répondu à cette objection qui est
puisée dans la pensée de la loi de 1834.
L’inconvénient
signalé se fera sentir non seulement pour les voyageurs, mais aussi pour le
transport des marchandises. Le retard qui en résultera sera même tel qu’il
occasionnera nécessairement une perte de cinq quarts d’heure ; M. le ministre
ne conteste pas ce fait.
Vous
vous rappellerez, messieurs, que lorsque la chambre a été appelée à discuter le
système des chemins de fer en 1834, il ne s’est jamais agi d’établir dans la
ville de Bruxelles deux stations séparées. Nous avons entendu dans cette enceinte
le prédécesseur de M. le ministre actuel ; nous y avons entendu depuis deux
hommes qui ont donné tant de preuves de leur capacité et qui sont les auteurs
du chemin de fer ; eh bien, ni le ministre de l’intérieur d’alors, M. de Theux,
ni les honorables ingénieurs, MM. Simons et de Ridder, n’eut jamais fait
soupçonner qu’il y eût utilité pour la Belgique à ce que deux stations isolées
fussent établies à Bruxelles. Je crois que les auteurs du chemin de fer n’ont
jamais songé à l’idée qui est aujourd’hui défendue par le gouvernement. La
pensée même qui a présidée au projet me paraît exclure l’idée d’une station
secondaire, d’où doit résulter une perte de temps considérable, et par
conséquent la perte des principaux avantages que l’on préconisait en 1834, c’est-à-dire
l’économie et la célérité dans les transports.
Rappelez-vous
d’ailleurs que le gouvernement possède des terrains acquis pour
l’agrandissement de la station actuelle ; ces terrains ont coûté environ
500,000 francs ; vous voudriez abandonner ces terrains pour vous imposer les
dépenses inutiles de la station des Bogards, qui coûtera peut-être un million ?
Telle ne sera jamais, je l’espère, l’opinion de la chambre.
« Mais,
dit M. le ministre des travaux publics, il est urgent d’éviter l’encombrement :
il faut de toute nécessite qu’il y ait une station pour les voyageurs, et une
autre pour les marchandises, »
Je
prie la chambre de faire attention à cette proposition : s’il est vrai qu’il
faut de toute nécessité deux stations, quoique les deux hommes capables que
nous avons si souvent entendus, et au jugement desquels j’en appelle volontiers
en ces matières, n’aient jamais reconnu leur nécessité ; s’il est vrai, dis-je.
que ce besoin soit aujourd’hui reconnu pour Bruxelles, que ferez-vous pour les
stations des autres villes, pour celles de Gand, Liége, Anvers, Bruges ? Si
l’encombrement dont vous parlez et que vous invoquez en faveur de
l’établissement d’une station secondaire à Bruxelles, est un motif fondé, vous
serez obligés de doubler la dépense pour toutes les autres villes que je viens
de citer, parce que si l’encombrement doit nécessiter une double station, vous
êtes obligés d’appliquer ce même raisonnement pour toutes les autres villes.
Mais,
dit-on, si l’on n’établissait pas une double station dans l’intérieur de la
ville de Bruxelles, les étrangers traverseraient la Belgique sans passer par
Bruxelles. Tâchons, messieurs, de nous défendre de l’exagération. Qui de nous
prétendrait qu’une station à la porte de Laeken n’est pas une station établie à
Bruxelles ?
Comment
! Malines, Anvers, Termonde, etc., viendraient prétendre, parce que la station
de leur chemin de fer est établie à quelques pas de leurs portes, qu’il n’en
résulte aucun avantage pour elles ! Il y aurait évidemment de l’exagération
dans cette prétention ; ce n’est pas ainsi qu’on parlait en 1834.
Je
suis convaincu, et le langage de M. le ministre n’a fait que me confirmer dans
cette conviction ; je suis convaincu, dis-je, que la station des Bogards est
seulement dans l’intérêt de la ville de Bruxelles, car on veut forcer les
voyageurs à faire une halte ; les marchandises et les bagages devront y
supporter les frais de déchargement.
Si
l’établissement d’une station secondaire est uniquement dans l’intérêt de la
commune, de l’aveu même des ministres, cette commune évidemment doit en
supporter les frais. Ainsi que l’a fait observer l’honorable M. Rodenbach, la
commune intéressée dans la question a seulement offert de contribuer dans la
dépense pour un tiers, sans même fixer l’époque à laquelle elle paierait sa
quote-part. Elle a demandé que le gouvernement fît l’avance de la somme entière
; vous avez entendu plus d’une fois les députés de Bruxelles ; nous connaissons
la situation financière de la capitale, et je ne sais jusqu’à quel point il sera
possible à la capitale de tenir sa promesse.
Quant à moi, je pense que personne mieux que les
ministres n’a prouvé que le pays n’est nullement intéressé à une station
secondaire à Bruxelles, qui d’ailleurs est en opposition manifeste avec la loi
de 1834, et combattue par les ingénieurs les plus capables dans la matière.
Messieurs,
l’on a dit qu’il est de toute justice que la législature vienne au secours de
la capitale. Sans doute, Bruxelles a des titres à notre sympathie ; je déclare,
quant à moi, que chaque fois qu’il me sera prouvé que l’intervention de la
législature en faveur de la capitale pourra se concilier avec l’intérêt du
pays, je ne lui refuserai jamais mon concours, et j’ en ai fourni des preuves
dans d’autres occasions. Mais pour ce qui concerne l’établissement d’une
station secondaire et séparée à Bruxelles, à qui doit neutraliser les avantages
de la route en fer et donner lieu à un énorme surcroît de dépense, je déclare
que je ne puis y donner mon assentiment, parce que je ne puis y voir qu’un
intérêt de localité ou de quelques spéculateurs, en opposition avec l’intérêt
du pays.
(Moniteur belge n°131, du 11 mai 1838) M. Verhaegen. - Messieurs, je ne suivrai
pas l’exemple des honorables préopinants. Tout le monde ici parle pour son
clocher, et l’esprit de localité va si loin que toutes les provinces envient
même la position de la capitale. Faut-il une station dans l’intérieur de la
ville de Bruxelles ? C’est ce que l’intérêt public, auquel se lie intimement
l’intérêt du centre, exige aux yeux de tout homme impartial. Si des
spéculateurs auxquels a voulu faire allusion l’honorable M. Rodenbach, ont déjà
acquis les terrains des Bogards pour les revendre ensuite au gouvernement à des
prix exorbitants, l’opinion publique et les tribunaux feront justice de ces
spéculations. Pour moi, je me garderai bien de leur donner mon appui.
Si
j’ai pris la parole sur l’article premier, c’est pour justifier le vote que je
me propose d’émettre.
Certain
journal du matin, que je considère comme semi-officiel, a méconnu mes
intentions et a supposé que mon vote serait contraire au projet d’emprunt,
alors que mon but n’a été que d’obtenir des renseignements et que je me suis
réservé de prendre un parti après la discussion générale.
Comme
ces reproches amers ont eu de l’écho, il m’importe d’y donner une réponse.
« Je
ne me suis pas constitué à plaisir l’adversaire du chemin de fer contre
l’unanimité des témoignages qui applaudissent à cette grande œuvre de la
Belgique. » J’ai critiqué, il est vrai, l’administration du chemin de fer,
dont j’ai le premier reconnu l’utilité ; j’ai signalé des abus ; je me suis
permis même de donner des conseils au gouvernement ; mais l’opinion publique, à
laquelle on a fait un appel, vient à l’appui de mes critiques et me rendra,
j’espère, la justice que tant d’autres me refusent.
« Tout
est pour moi, dit-on, sujet à objections, matières à procès. » Le journal
auquel je fais allusion me louait naguère lorsque je soutenais contre des
attaques vives et sérieuses certains projets de loi présentés par le ministère.
Pour ce qui est des procès l’observation est au moins inconvenante, j’ai
toujours séparé ma qualité de député de celle de membre du barreau et je ne me
suis jamais permis de venir dévoiler dans cette enceinte les secrets du
cabinet. Si je ne m’étais pas fait à cet égard une loi positive, j’aurais pu
vous détailler des faits que m’avaient fait connaître certains procès notamment
celui de M. Dupont du Fayt et qui auraient pu exercer dans cette discussion une
grande influence ; mais quelle que soit la provocation dont j’ai été l’objet,
mon devoir l’emportera et je me tairai. Toutefois, ma conviction n’en sera pas
moins profonde.
Il
n’y a pour moi ni matière à procès, ni matière à intérêt personnel ; si j’avais
eu des concessions à demander, si je m’étais proposé de recommander tôt ou tard
telle ou telle demande en concession, je me serais bien gardé de combattre le
ministère des travaux publics. La voie que je suis et que j’ai suivi dès le
principe en prenant place parmi vous ne devait pas me conduire à des faveurs.
J’ai apporté ici une indépendance de position et de caractère qui me permettra
de dire en toute occasion et en toutes matières ma pensée entière et de vous
communiquer le résultat de mes convictions. (Très bien, assez ! assez !)
« Je
n’ignorais pas, continue-t-on, ce (assez,
assez !) qu’ont coûté les chemins de fer et ce qu’ils ont produit, je ne me
suis pas donné la peine de lire les comptes rendus à deux différentes époques
par M. le ministre des travaux publics. »
L’objection
pourrait avoir quelque apparence de fondement si on appelle comptes rendus des
aperçus informes que M. le ministre a fait imprimer et que je n’ai jamais
reçus, bien qu’ils n’aient été soumis à la chambre, comme ils devaient l’être
aux termes de l’article 6 de la loi du 1er mai 1834. (Assez ! Cela ne nous regarde pas ! Vous répondez au journal !)
Ces
aperçus, que je me suis procurés depuis la séance d’hier, ne sont en définitive
que des assertions de M. le ministre qu’aucune pièce ne justifie, et ces
assertions ne sont elles-mêmes que le résultat des rapports envoyés au
gouvernement par les agents de l’administration dont je désirerais voir
contrôler les actes. Il y a si peu de comptes que les premiers éléments d’un
compte, tel que l’inventaire du matériel, manquent de l’aveu même de M. le
ministre.
A
défaut de comptes exigés par la loi, je me suis permis de demander des
renseignements : j’ai soumis au gouvernement huit questions qui sont restées
sans réponses précises ; je me suis avisé de donner de conseils à
l’administration, dans l’intention de voir cesser des abus que la notoriété
publique signale ; j’étais bien hardi, j’en conviens, surtout d’après les
dispositions de la chambre. J’ai fait plus ; j’ai manifesté le désir de voir
nommer une commission d’enquête pour examiner tout ce qui tient à l’exécution
des chemins de fer, et si je n’ai pas fait de proposition formelle à cet égard,
c’est que je prévoyais le sort qui lui était réservé d’après l’intérêt e
localité qui se manifestait de toutes parts.
M. le président. - Ce n’est pas ici
qu’on répond aux journaux.
M.
Verhaegen. - Je termine ; on me permettra bien de dire
encore un mot ?
Une
voix. - Non.
M. Verhaegen.
- En définitive, je n’ai eu d’autre but que de faire consigner au Moniteur, et le résultat de ma
conviction et mes prévisions ; j’ai rempli ma tâche. Toutefois, d’après les
observations de mon honorable ami, M. Angillis, force me sera, d’après les
antécédents et quel que soit mon regret, de voter l’emprunt.
(Moniteur belge n°130, du 10 mai 1838) M. Pirmez. - C’est aujourd’hui pour la première
fois que j’apprends qu’il y aura dans la ligne du chemin de fer solution de
continuité, qu’une station sera placée à une porte de la ville et une autre à
une autre porte.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Il n’y aura pas
solution de continuité ; il y aura un chemin de jonction entre les deux
stations à l’extérieur de la ville. Si l’expérience démontre qu’il faut faire
des convois spéciaux pour les voyageurs qui se présentent pour passer outre
sans s’arrêter à Bruxelles, on fera des convois directs à la station de
l’Allée-Verte. Si au contraire l’expérience démontre l’inutilité de ces convois
spéciaux, on n’en fera pas.
D’après
les faits, j’ai lieu de croire que les voyageurs ne feront pas usage du chemin de
jonction et que ce chemin ne servira que pour les marchandises.
Aujourd’hui,
il n’y a pas une seule diligence qui passe à travers Bruxelles, sans s’y
arrêter. Toutes les villes qui entourent la capitale ont des diligences qui y
aboutissent ; quand on y arrive, on y retient ou on a retenu sa place pour
aller plus loin. Voilà un fait qui atteste jusqu’à un certain point quelle sera
la volonté des voyageurs.
M. Van Gend n’a pas une diligence partant de
Mons et allant directement à Louvain. Pour la centralisation, voici un autre
fait que je citerai encore : M. Van Gend, qui fait en petit ce que le
gouvernement fait en grand, a deux bureaux à Bruxelles. Il a trouvé qu’il y
avait avantage à partager son personnel, qu’il y avait économie et plus grande
facilité pour lui, et surtout agrément pour les voyageurs.
En supposant qu’il n’y ait pas de chemin de
jonction, te temps qu’on perdrait par suite de l’encombrement inévitable à
l’Allée-Verte suffirait pour faire le trajet en omnibus ou autrement.
M.
Pirmez. - Si vous n’aviez pas de chemin de jonction,
il en résulterait un grand embarras pour le transport des marchandises. D’après
ce qu’a dit le ministre des finances qu’il fallait forcer les voyageurs à
s’arrêter à Bruxelles, j’ai dû penser qu’il n’y aurait pas de chemin de
jonction.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - J’ai constamment dit qu’on convierait les
voyageurs à s’arrêter à Bruxelles, et que par la force les choses ils s’y
arrêteraient nécessairement, s’il y avait une station intérieure. Mais il est
entendu qu’on n’amènera le voyageur dans Bruxelles que s’il le désire, s’il
veut s’y arrêter ; il n’y aura d’ailleurs pas plus de perte de temps qu’il n’y
en aurait s’il n’était construit qu’une station centrale. Je suppose qu’il
arrive 500 voyageurs de Paris à l’Allée-Verte, autant de Gand et de Liége, dont
une partie veuille continuer vers Anvers et vers Paris, et une autre s’arrêter
à Bruxelles ; il faut retirer les bagages de ceux qui restent et recharger les
bagages et les voyageurs qui continuent, sur d’autres voitures, parce qu’un
matériel spécial est affecté à chaque section ; eh bien, quand il y aura des
changements semblables à faire pour 1,500 personnes, ne perdra-t-on pas plus de
temps que pour aller en omnibus de l’une à l’autre de deux stations ?
M.
Gendebien. - Messieurs, pour bien établir la discussion
voyons quel est l’état des choses actuel en Belgique ? De quelque part qu’on
vienne on arrive péniblement, en s’arrêtant de ville en ville, au point central
qui est Bruxelles pour toutes les communications. Il n’y a pas un seul
entrepreneur dont les voitures traversent Bruxelles sans s’arrêter. Chacun des
voyageurs descendent au bureau, et force lui est, s’il ne veut pas marcher à
pied, d’envoyer chercher un fiacre qu’il attend longtemps, pour se faite
transporter où il veut aller, ou bien, il faut qu’il prenne un commissionnaire
pour porter ses bagages et il le suit à pied. Au lieu de cela, les voyageurs
arrivant par le chemin de fer seront transportés rapidement à travers la
Belgique, arriveront à la station des Bogard et là, pour 50 centimes, un
omnibus les transportera en peu de temps au centre de la ville ou à l’autre
station.
Vous
vous intéressez, dites-vous aux voyageurs : mais si vous voulez mieux que ce
qu’on vous propose ; si vous voulez qu’on voyage avec une telle célérité qu’on
traverse la Belgique sans s’arrêter un instant ; si vous voulez qu’elle se
ruine pour les voyageurs, et qu’elle ne retire aucun avantage de ses
communications établies à si grands frais, je ne vois qu’un moyen sûr :
embarquez vos voyageurs dans une bombe et lancez ainsi d’une frontière à
l’autre, par-dessus la Belgique ; ou bien faites voyager en ballon, on ne sera
arrêté par aucune ville, par aucun obstacle, la Belgique n’y gagnera rien, mais
elle sera aussi dispensée de dépenser des millions pour ses chemins de fer.
Les
voyageurs seront forcés, dit-on, de séjourner, de s’arrêter au moins cinq
quarts d’heure à Bruxelles. Maie ils trouveront à la station des omnibus pour
les transporter d’une station à l’autre ; sept ou huit minutes suffiront pour
traverser la ville, ils ne seront donc pas forcés à un séjour ni à un retard.
Et combien de voyageurs traversent la ville de Bruxelles sans s’y arrêter ? Les
diligences sont composées, terme moyen de 15 personnes, j’en sais quelque
chose, car c’est le moyen de transport que me permet ma fortune ; il est bien
rare que, sur 15 personnes, il y ait une qui ne s’arrête pas à Bruxelles,
souvent toutes y arrivent à destination. En un mot, le plus souvent, il y a à
peine un voyageur sur 15 ou 20 qui traverse la ville sans s’y arrêter ; eh
bien, vous feriez faire un circuit autour de la ville à 19 voyageurs qui
veulent s’arrêter au centre, pour un seul qui voudra passer outre.
Je
parle plus que vous dans l’intérêt des voyageurs en défendant la station des
Bogards ; car si on ne l’admettait pas, les arrivants seraient obligés, en
arrivant en face de la capitale, de recommencer un nouveau voyage autour de la
ville, avant de s’arrêter. Veuillez bien remarquer que le point central de
Bruxelles, c’est la Grand-Place. Je demande s’il n’y a pas une distance
quadruple, de la Grande-Place à l’Allée-Verte, que des Bogards à la
Grande-Place, car, remarquez-le bien, on va faire des rues droites en face de
la station. Vous voyez que c’est défendre la cause des voyageurs que de
défendre la station des Bogards, puisque sur 20 voyageurs, 19 qui auraient pu
arriver au centre de la ville seraient débarqués à la partie la plus éloignée
du centre, pour éviter à un vingtième, le désagrément de traverser la ville
pour continuer son voyage.
Ainsi,
il nous arrivera, je suppose, du Hainaut 200,000 voyageurs, de Paris 50,000, ce
n’est qu’une proportion prise au hasard ; sur ce nombre, il y en aura peut-être
10,000 qui désireront ne pas descendre des waggons, et il faudra, pour
satisfaire cette volonté ou ce caprice, que les 240,000 autres indigènes ou
étrangers qui désireront se rendre le plus tôt possible au centre de Bruxelles,
fassent le circuit tout en s’éloignant du centre des affaires ? Ce serait
ridicule, ce serait absurde.
On
nous a dit qu’il y aurait plus d’économie à agrandir la station de
l’Allée-Verte, mais c’est là une simple allégation. Je voudrais au moins qu’on
citât un fait à l’appui de cette assertion ; je voudrais qu’on dît comment on
pourrait agrandir cette station à moins de la rapprocher du pont de Laeken ;
car, vous avez d’un côté l’Allée-Verte (je ne pense pas que le gouvernement
soit disposé à exproprier l’Allée-Verte), et de l’autre côté vous avez des
bâtiments qu’on ferait payer fort cher. Comment donc agrandirait-on cette
station ? en l’allongeant. Vous allez ainsi gêner encore les voyageurs, plus
qu’ils ne le sont aujourd’hui. L’encombrement est déjà tel qu’à ma
connaissance, il empêche beaucoup de personnes de voyager par le chemin de fer.
Je pourrais me citer au nombre de ces personnes ; car, comme je n’ai plus de
campagne depuis la révolution, j’irais peut-être 25 fois par été à Malines,
Louvain, Anvers, Gand, Liége ou ailleurs ; eh bien, je m’en abstiens parce que
je crains l’encombrement pour ma femme et mes enfants qui le craignent encore
bien plus que moi. Ce que je dis de moi-même, je puis le dire de toutes les
personnes qui ne voyagent pas seules mais avec leur famille.
Quand
toute la France va arriver à votre station de l’Allée-Verte, comment ferez-vous
? Déjà cette station a aujourd’hui un nombre de voyageurs triple et même quadruple
de celui qui avait été prévu en 1834. Il y a déjà encombrement ; eh bien quand
le chemin de fer dépassera Anvers, il vous viendra des voyageurs de la Hollande
et de la Prusse ; tout cela arrivera à votre station unique de l’Allée-Verte ;
comment ferez-vous donc ? Mais non seulement alors il vous faudra une station
aux Bogards, pour la France, il vous faudra en outre, comme je l’ai déjà dit,
une seconde station vers Malines, station qui serait située au bout de la rue
Neuve, prolongée à travers le jardin de feu le baron Van Volden. Cette station
serait consacrée pour Liége et pour toute l’Allemagne. Cette division sera,
j’en suis convaincu, reconnue bientôt indispensable, et alors l’occasion sera
perdue de la réaliser. Si vous voulez n’avoir qu’une seule station à
l’Allée-Verte, quand la Hollande, l’Allemagne et toute la France vous
arriveront, à moins de prolonger cette station unique jusqu’à Vilvorde, je ne
sais comment vous ferez pour distinguer les arrivants des partants. (On rit.)
On
veut éviter à quelques voyageurs le désagrément de traverser la ville et de
perdre 10 ou 15 minutes ; mais il n’y aura aucune perte de temps, car rarement
au moment de l’arrivée d’un convoi un autre convoi ne sera prêt à partir
immédiatement ; il y aura toujours nécessairement 15 ou 16 minutes d’attente ;
or que les voyageurs attendent 15 ou 25 minutes à une station unique ou qu’ils
restent 5 minutes en omnibus et 10 ou 15 minutes à la station de départ,
n’est-ce pas exactement la même chose ? Vous voyez donc que de quelque
manière qu’on considère la question, les voyageurs ne seront en aucune façon
molestés et c’est même dans l’intérêt des voyageurs qu’il faut établir une
station aux Bogards et qu’il faudra incessamment établir une troisième station
au bout de la rue Neuve.
On
vous a dit que la loi de 1834 n’a pas accordé une seconde station à la ville de
Bruxelles. On n’a pas pensé à cette seconde station en 1834, par une raison
très simple, c’est que le projet de loi ne parlait pas de chemins de fer pour
le Hainaut. C’est par amendement que cette ligne a été introduite dans la loi,
et il n’a pas même été alors question de Mons : ce n’est que depuis qu’on a
reconnu qu’un chemin de fer pour Mons serait d’un immense produit et qu’on a
songé à l’établir. Dès lors il est tout naturel d’établir une seconde station,
bien qu’on n’y ait pas pensé en 1834.
Ensuite
quand on a fait la loi de 1834 on n’avait pas prévu le grand nombre des
voyageurs ; or, il est quadruple du nombre présumé ; et quand toutes les
constructions seront complétées, ils seront décuplés, décuples peut-être, au
moins quant au point d’arrivée à la capitale.
On
vous a dit encore que c’était un pur intérêt de localité qui faisait demander
l’établissement de la station des Bogards, qu’il n’y avait pas de raison pour
que Malines ne demandât que le chemin de fer entrât dans la ville et qu’il y
fût établi une station. Je vous ferai remarquer que la station de Malines est
presque aussi grande que la ville même, qu’il eût été par conséquent bien
difficile de l’y établir. Si on l’avait essayé, on aurait été rebuté bientôt
par l’exigence des habitants ; et en définitive, pour avoir une station
beaucoup moins commode, on l’aurait payée le double ou le triple. Quelle
comparaison y a-t-il d’ailleurs entre Malines et la capitale ?
Mais
on a dit que puisqu’il s’agissait d’intérêt de localité (je crois avoir prouvé
qu’il n’y avait d’intérêt réel que pour les voyageurs), Bruxelles devait payer
la station tout entière . M. le ministre des travaux publics a déjà répondu que
la ville de Bruxelles contribuerait à la dépense pour un tiers. Grâce à son
influence (le ministre l’a assuré et je puis l’affirmer), le gouvernement sera
traité pour l’expropriation mieux qu’il ne l’a été nulle part. Mais, dit-on, la
ville de Bruxelles ne pourra pas même payer ce tiers ; car dans une séance
récente du conseil communal, dit-on, il a été dit qu’on paierait quand on
pourrait ; un autre membre a même ajouté que l’état de la ville était tel qu’on
ne pouvait espérer qu’elle paierait ; que c’était une véritable mystification.
Si la ville de Bruxelles est dans la malheureuse
position de douter si elle pourra faire les fonds de ce tiers de la dépense, à
qui la faute ? C’est la conséquence de la révolution, en vertu de laquelle vous
êtes ici. Qui l’a placée dans cette position ? La plus noire ingratitude. La
ville de Bruxelles sera obligée, peut-être, non seulement de renier le paiement
de ce tiers, mais encore de manquer à bien d’autres engagements ; car à l’heure
qu’il est la ville de Bruxelles, la capitale de la Belgique si prospère, ne
paie plus ses rentes. Et cela pourquoi ? Parce que Bruxelles a été choisi par
votre ennemi, pour champ de bataille, parce que Bruxelles a été le foyer de
l’insurrection et de toutes les intrigues. Qui a donné à la Belgique l’indépendance
dont vous vous vantez chaque jour ; qui lui a donné la prospérité dont vous
vous réjouissez chaque jour ? N’est-ce pas Bruxelles ?
Il
faut donc que Bruxelles soit ruiné, au milieu de la prospérité générale, alors
que Bruxelles a donné et parce qu’il a donné la liberté et l’indépendance à la
Belgique entière !
Je
ne répondrai pas à de pareilles assertions.
Quand
j’entends ajouter au malheur l’ironie et l’insulte, je n’ai plus besoin de
répondre. Le pays seul répondra !
M.
Verdussen. - La question soulevée par l’honorable M. A.
Rodenbach s’agrandit à mesure que la discussion marche. En effet, il me semble
que cela influera sur le vote que nous avons à émettre, et tellement que je
regrette amèrement que, dans la section centrale, on ne se soit pas occupé de
l’emploi des 37 millions demandés. Cela tient à ce que nous avons cru voir que
la somme de 7 millions ou 56 millions effectifs était nécessaire pour
l’achèvement du système décrété par la loi du 1er mai, mais dans le sens de
cette loi.
Je
crois qu’il faut ici parler franchement. On n’a parlé jusqu’ici que de la ville
de Bruxelles. Je dis moi que si le système des stations intérieures, préconisé
par M. le ministre des travaux publics, devait être suivi pour toute autre
localité, je voterais contre la loi en discussion ; et s’il allait s’agir
d’établir des impasses à Gand, à Bruges, à Anvers, de couper enfin la ligne
établie d’un bout du pays à l’autre, et de forcer soit en apparence, soit
réellement, les voyageurs à descendre ; je n’y donnerais pas mon assentiment et
ne voterais plus un centime. Comment ! c’est dans l’intérêt seul de la ville de
Bruxelles qu’il faut convier les voyageurs à venir dans l’impasse des Bogards,
et si les voyageurs arrivés de France ou du Hainaut veulent ne pas descendre et
préfèrent continuer leur route, ils ne le pourront pas !
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je viens de dire
le contraire.
M.
Verdussen. - Il n’en sera rien, puisqu’on a dit qu’il
fallait convier les voyageurs à rester à Bruxelles.
Quel
est l’argument de M. le ministre des travaux publics ? Lorsqu’on est arrivé à
Malines, pourquoi se chagrine-t-on du retard ? C’est, dit-il, parce qu’on ne
sait que faire de son temps pendant le quart d’heure qu’il faut attendre le
convoi. A Bruxelles que fait-on ? On envoie les gens se promener. (On rit.) Si un convoi part de la station
de l’Allée-Verte, aussitôt après l’arrivée d’un convoi à la station des
Bogards, ceux qui partent pour Anvers par ce convoi seront arrivés à leur
destination, lorsque ceux qui auront préféré l’invitation qui leur était faite
de rester à Bruxelles auront fini du boire leur tasse de café à la place de la
Monnaie.
On
dit que la station des Bogards sera très avantageuse pour les voyageurs qui
voudront rester à Bruxelles ; mais je dis que ce sera pour eux, quant à la
dépense, la même chose ; car ils ne pourront faire transporter leurs bagages de
la station des Bogards à l’hôtel, à moins d’un demi-franc, ce que coûte
l’omnibus de l’Allée-Verte à Bruxelles.
Au
reste le but avoué est d’attirer et même de retenir les voyageurs à Bruxelles.
On
a beaucoup vanté la facilité qu’il y aurait à avoir deux stations ; mais qui
empêche qu’il y ait une station pour la France du côté d’Anderlecht tandis
qu’il y aurait toujours la station de l’Allée-Verte ? Il n’y aurait pas là
grand inconvénient, car à ceux qui viendraient de Malines et qui auraient des
affaires à Bruxelles on pourrait destiner les dernières voitures du convoi
qu’il s’agirait de détacher seulement à la station, et les autres
poursuivraient leur route. Il en serait de même pour ceux qui viendraient de
France. On mettrait dans les voitures à la queue du convoi ceux qui veulent
descendre à Bruxelles. On peut faire également des compartiments pour les
bagages de ceux-ci, et les autres voitures continueraient leur route.
Il y aurait perte de temps de cinq quarts
d’heure avec la double station ; c’est précisément le temps qu’il faut pour aller
de Bruxelles à Anvers ; cette perte, considérable pour les voyageurs, l’est
bien plus encore pour les lettres et pour les transports des militaires.
D’ailleurs
peut-on voir rien de sérieux dans la promesse faite par la ville de Bruxelles,
d’entrer pour un tiers dans les frais ? Cette promesse est illusoire de la part
d’une ville qui, au dire d’un député qui est en même temps conseiller de
régence, est dans le cas de ne pas pouvoir faire face à ses engagements les
plus sacrés, à l’acquittement des intérêts des capitaux dont elle est grevée ;
je ne me laisserai pas prendre à un pareil piège. Si la double station n’est
qu’une impasse, je voterai contre la loi.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - J’ai déjà déclaré
qu’il n’y aurait pas solution de continuité. Le plan qui m’est soumis un ce
moment, est conçu dans ce sens : Il y aura possibilité d’aller directement soit
à l’une soit à l’autre station ; mais je le répète, je crois que la majorité
des voyageurs voudra s’arrêter à Bruxelles. Je ne fais pas de ceci une question
de théorie ; tous les jours je me renforce dans la connaissance des faits.
L’année dernière, sur un total de 1,384,516 voyageurs, il y en a eu 391,428 qui
ont pris leurs places à Bruxelles ; eh bien, je dis que lorsque de tels faits
sont constatés par l’expérience, on peut en conclure qu’il y aura à Bruxelles
une telle affluence de voyageurs que la centralisation entraînerait les plus
graves inconvénients.
En
centralisant, il faudrait agrandir la station actuelle, ce qui coûterait à peu
près autant que l’établissement d’une seconde station.
Une
station unique causerait donc les plus grands embarras sans produire d’économie
dans les dépenses. Vous connaissez les embarras de la station centrale de
Malines ; voulez-vous en recommencer l’expérience à Bruxelles ? La station de
Malines est grande, il faut l’agrandir encore.
Je
le répète, que l’on fasse deux stations, que l’on n’en fasse qu’une, les frais
seront les mêmes à peu près ; restent les embarras de la centralisation extrême
dans le cas de la station unique.
-
La séance est levée à quatre heures et demie.