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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 9 mai 1838

(Moniteur belge n°130, du 10 mai 1838)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.

M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Malberbe, de Goffontaine, fabricant d’armes à Liége, demande que la chambre n’alloue pas les crédits demandés par le ministre de la guerre pour construction d’une fabrique d’armes à Liége, attendu qu’il a loué son établissement au gouvernement sur l’assurance qui lui a été donnée qu’on en ferait l’acquisition. »

M. de Behr demande que cette pétition soit renvoyée à la commission qui a été chargée d’examiner les crédits demandés par le ministre de la guerre.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi ouvrant un crédit au département des travaux publics, applicable à l'acquit de diverses dépenses de l'exercice 1835 et années antérieures

Rapport de la section centrale

M. Van Hoobrouck de Fiennes. - Je viens déposer sur le bureau le rapport de la section centrale chargée d’examiner le projet de loi tendant à ouvrir un crédit spécial au ministère des travaux publics pour payer des créances arriérées de 1835 et années antérieures.

Parmi les créances dont il est question, il en est qui datent de 1830, et qui sont entre les mains de personnes se trouvant dans la nécessité de réclamer vivement le paiement : je proposerai de mettre en discussion ce projet de loi après celui sur le timbre.

M. Dubus (aîné). - La commission des finances a déposé hier un rapport sur les crédits arriérés du département de la justice : je demande que ce projet de loi ne soit pas primé, quant à l’ordre de la discussion, par celui qui est présenté aujourd’hui.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Il y a à l’ordre du jour des questions de même genre pour le ministre de la guerre ; ne pourrait-on pas mettre à l’ordre du jour ensemble les projets concernant les départements de la guerre, de la justice et des travaux publics ?

- La chambre consultée décide qu’elle discutera les crédits arriérés des divers départements après la loi sur le timbre.

Projet de loi autorisant un emprunt affecté à l'extinction de 10 millions de bons du trésor et à la continuation des travaux du chemin de fer

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue.

M. Devaux, rapporteur. - Messieurs, au lieu d’une discussion financière à laquelle tout le monde s’attendait, nous avons eu une discussion de travaux publics à laquelle il était difficile de s’attendre ; car quel est le projet de loi que nous discutons ? Il ne s’agit pas d’ouvrir un crédit au ministre des travaux publics pour terminer les chemins de fer.

Les dépenses du chemin de fer sont décrétées ; seulement il faut savoir si l’on continuera à les couvrir par les bons du trésor, ou si on y substituera l’emprunt.

Cependant l’honorable M. Verhaegen a porté la question sur un autre terrain ; et je regrette qu’il ait pris ce moment pour soulever ce débat ; car, outre qu’il ne se rattache pas à la loi qui nous est soumise, les faits nous sont mal connus. La situation du chemin de fer nous a été déclarée par le ministre aux mois de février ou de décembre derniers, et son rapport précédent va jusqu’au 1er octobre 1837 ; ainsi, les faits actuels, nous ne les connaissons pas officiellement. Ces documents, ayant été présentés depuis longtemps, ne sont pas présents à la mémoire des députés, et même n’ont pas été présents à la mémoire des orateurs qui ont parlé hier MM. Verhaegen et de Puydt.

Ou a suffisamment répondu à M. Verhaegen. On lui a prouvé qu’avec sa manière de calculer, il lui était facile de trouver des déficits. Quant à moi, je ne suis étonné que d’une chose, c’est qu’il se soit arrêté en si beau chemin. Il a prétendu que les routes en fer ne rapportaient que 1 p. c. ; je crois qu’il aurait pu, avec la manière dont il a calculé, arriver à un bien autre déficit ; car il a oublié qu’il y avait des capitaux employés au chemin de fer depuis quatre ans. On a suffisamment répondu que les dépenses faites pour commencer des sections de route ne pouvaient commencer à donner des revenus que quand ces sections sont livrées à la circulation. Si quelqu’un a un secret pour faire produire un revenu à chaque pelletée de terre, une heure après qu’elle a été remuée, je l’en félicite ; ce sera une invention pour laquelle on fera bien de prendre un brevet, et qui sera fort utile, non seulement au gouvernement, mais à tous ceux qui construisent des routes ; mais ce secret-là n’est pas connu encore de tout le monde.

Un autre orateur, M. de Puydt, a reporté la question sur le terrain de 1834. Ce n’est pas moi qui cherche à retourner sur ce terrain. Quand on a été, comme mes amis et moi, de l’opinion qui a triomphé ; quand les faits, l’opinion de la Belgique, sont venus confirmer cette opinion d’une manière si peu équivoque ; quand des collègues qui avaient figuré parmi les opposants sont venus franchement et publiquement reconnaître leur erreur, on peut se contenter de pareils résultats.

Mais quand, d’après ces résultats, d’anciens adversaires viennent eux-mêmes rouvrir la lutte, il y aurait trop d’humilité à accepter en silence le reproche de s’être trompés. Toutefois, pour ne pas rendre la discussion trop longue, je me restreindrai. Je n’insisterai pas sur les craintes manifestées en 1834 par d’autres orateurs et qui ne se sont pas réalisées ; je ne parlerai pas de l’évaluation de la ligne d’Anvers à Ostende à 80 millions, je ne parlerai pas de cette prédiction que la création d’un chemin de fer serait la ruine de l’agriculture et de tant d’autres industries ; ni de cette autre idée que le chemin de fer était une inspiration anglaise ; qu’il était créé au profit de l’Angleterre et en haine de notre industrie. A cette époque on prédisait aussi que le chemin de fer amènerait, sinon une révolution à l’intérieur, tout au moins et bien certainement une guerre avec la Hollande ; on soutenait que ce n’était là qu’une ruse diplomatique pour enlever à la Belgique la liberté de l’Escaut. Tout cela, cependant, a été soutenu sérieusement, longuement, pendant huit ou dix longues séances avec accompagnement manqué d’épithètes acerbes contre ceux qui réfutaient de semblables objections, qu’on appelait députés ministériels, députés diplomatiques, faiseurs de dupes. Ces souvenirs, nous les indiquons sans amertume ; en présence des résultats, on fait bien d’oublier bien des choses ; si le chemin de fer a été représenté dans le temps comme un joujou, comme un leurre, comme une mystification, ceux qui ont deviné et exprimé dès cette époque ce qu’il y avait de grand et de fécond dans cette entreprise, auraient tort de se plaindre aujourd’hui.

L’honorable M. de Puydt, à qui je réponds spécialement, s’est d’ailleurs sagement maintenu alors dans la question technique en quelque sorte. Mais c’est lui qui, de la part de l’opposition, a fait les frais des calculs de cette discussion ; car c’est sur ces chiffres qu’a roulé le débat technique ; je dois donc rappeler les chiffres qu’al a posés. Si je suis obligé de les rapprocher des faits, je prie M. de Puydt de n’y pas voir une intention désobligeante, je n’ai d’autre vue que de soutenir une opinion qui est encore, comme elle l’était alors, contraire à la sienne sur l’avantage des concessions.

Messieurs, je pourrais me mettre fort à l’aise en répondant à l’honorable M. de Puydt qu’en 1834 je n’ai jamais soutenu que les calculs des ingénieurs fussent exacts : en pareil cas, chacun le sait, les prévisions sont d’ordinaire dépassées ; mais d’autre part je disais qu’on n’avait évalué les progrès de la circulation qu’à un tiers ou un cinquième en sus de la circulation actuelle ; c’était une exagération en moins ; mais ce n’était pas exagérer que de dire que l’évaluation trop peu élevée de la circulation compenserait l’augmentation que pourraient présenter les travaux.

M. de Puydt a dit qu’à cette époque il avait eu raison de soutenir que les travaux étaient évalués trop bas, qu’il fallait les élever de 50 p. c., et porter les frais de construction de chaque kilomètre à 148,000 fr. ou 150,000 fr.

Je regrette encore ici que l’on ait choisi pour cette discussion le moment où nous n’avons pas de documents récents sur la situation du chemin ; je ne puis faire autre chose que de m’en rapporter à la dernière situation du chemin de fer donnée par le ministre. Eh bien, je trouve qu’à l’époque du 1er octobre 1837, il y avait 143 kilomètres d’achevés, et que les frais de construction de ces 143 kilomètres étaient jusqu’à cette époque de 14,138,000 fr., c’est-à-dire 98,000 fr. par kilomètre. Voilà ce que constatent les derniers rapports faits par le gouvernement. Ainsi je crois que jusqu’à présent au moins l’honorable M. de Puydt n’a pas droit de conclure qu’il n’avait rien prévu. Il s’en faut de 40 à 50 p.c., puisqu’il avait fixé à 145,000 fr. le chiffre le plus économique. Et remarquez que si même ce chiffre de 145,000 fr. par kilomètre était exact, il en résulterait que les ingénieurs avaient mal calculé, mais non que l’Etat eût dépensé plus que ne l’auraient fait des compagnies.

Ainsi, messieurs, il résulte des faits, tels qu’ils sont constatés par le gouvernement, que la construction, loin de ne pas être économique, est réellement restée en-dessous du chiffre que l’honorable M. de Puydt regardait comme nécessaire.

Quant aux produits, messieurs, les produits bruts avaient été évalués par les ingénieurs à 2,900,000 fr., lorsque la route de Prusse serait faite, et en attendant, à 1,400,000 fr., notre route étant achevée. Le premier de ces chiffres et même le second chiffre furent contestés, comme une exagération, par l’honorable M. de Puydt ; eh bien, messieurs, les produits bruts figurent aujourd’hui au budget pour 4,000,000 fr. ; l’honorable M. le Puydi s’est donc trompé sur ce point, non pas de 50, mais de 200 p. c. Les ingénieurs faisaient entrer dans cette somme les voyageurs pour 4 à 500,000 fr. La seule section de Bruxelles à Anvers donne un produit deux ou trois fois supérieur.

Les ingénieurs avaient dit, messieurs, que les capitaux consacrés à la construction du chemin de fer coûteraient 5 p. c. d’intérêt ; l’honorable M. de Puydt soutenait qu’ils coûteraient, non pas,5, mais 7 p. c. Eh bien, les bons du trésor ont été émis à l’intérêt de 4 1/2 p. c. au maximum ; l’emprunt de 30 millions coûte 4 2/5 p. c. ; il y a donc encore ici une erreur très considérable.

Messieurs, je crois qu’on peut dire avec certitude que la construction du chemin de fer a été économique ; il reste maintenant à savoir quels seront les frais d’exploitation.

J’ai cherché, messieurs, à me rendre compte de ces frais d’exploitation, d’après le dernier rapport de M. le ministre ; mais j’ai bientôt vu que cela était impossible, qu’avec la meilleure volonté du monde on ne saurait y parvenir ; la chose est facile à expliquer : pour comparer les frais d’exploitation avec les produits, il faut prendre une section achevée, pendant un certain temps, et l’exploitation de cette section, pendant un certain temps ; or, messieurs, jusqu’à présent l’exploitation n’a pas été divisée par sections et elle ne peut pas l’être, car à Bruxelles, par exemple, vous payez des employés au bureau de recette, mais à ce bureau on donne des billets pour Gand, pour Anvers, et par conséquent vous ne pouvez imputer cette dépense ni à l’une section ni à l’autre. Si vous vouliez calculer sur l’ensemble, alors vous commettriez l’erreur dans laquelle est tombée l’honorable M. Verhaegen ; vous confondriez les sections achevées avec celles qui ne le sont pas, et dès lors vos calculs seraient complétement inexacts, d’autant plus qu’il n’y a encore aucune section qui se trouve dans l’état normal, dans l’état où elle devrait être, pour qu’on pût apprécier le rapport qu’il y a entre les produits et les frais de construction et d’exploitation.

En effet, messieurs, la section de Liége, par exemple, n’a encore que deux départs ; la section de Louvain n’a été ouverte qu’à la fin de l’année dernière, et n’a eu que deux ou trois départs par jour ; Gand et Termonde sont dans le même cas ; la section d’Anvers à Bruxelles pourrait fournir des éléments de calcul plus exacts, mais si je la choisissais, on me dirais que je prends celle-là parce qu’elle est la plus productive ; d’ailleurs cette section supporte en ce moment les frais de construction d’une seconde voie qui n’est pas encore utilisée : ici aussi, il est donc impossible de reconnaître exactement quelle est la proportion entre les frais et les produits.

J’ajouterai que le transport des marchandises, qui est entré pour une partie très considérable dans l’évaluation des produits, que ce transport n’est encore exploité que très partiellement, très provisoirement et d’une manière très peu lucrative pour le gouvernement.

Prenons, messieurs, le seul résultat que nous puissions prendre : on a établi des prévisions approximatives ; une commission de la chambre les a examinées, les a modifiées ; il en est résulté qu’on a porté au budget une somme de 3,000,000 pour les frais d’exploitation du chemin de fer, et une somme de 4,500.000 fr., comme produit présumé du chemin de fer ; il y a donc là un boni de 1,500,000 fr. Or, dans le rapport que j’ai eu l’honneur de vous faire, vous verrez, messieurs, qu’au 16 mars dernier on n’avait encore dépensé que 28 millions ; le montant des intérêts et de l’amortissement auxquels il faudra faire face en 1838, ne sera donc même de 28 millions, peut-être 25 millions ; et si l’on a un million et demi pour y pourvoir, certes, c’est déjà là un résultat qui n’est pas regrettable ; surtout lorsqu’on considère que la section de Liége à Verviers ne sera pas encore exploitée cette année, que la section de Liége ne l’est que depuis quelques mois et ne l’est que très partiellement ; que la section de Bruges et la section d’Ostende ne sont pas encore ouvertes : si malgré tout cela on parvient à faire face aux intérêts et à l’amortissement des capitaux employés, certes, ce sera un très beau résultat.

Croit-on que des compagnies fassent mieux ? Le seul chemin de fer en Belgique qui soit exécuté par une compagnie, c’est celui du haut et bas Flénu, qui a été entrepris à peu près en même temps que le chemin de fer du gouvernement ; je ne sais pas si mes renseignements sont exacts, mais on vient de me dire que ce chemin de fer ne rapporte, dans ce moment, pas un denier d’intérêt à ses actionnaires, tellement les frais ont dépassé les prévisions ; il faut convenir, messieurs, que cette comparaison entre l’Etat et les compagnies ne serait pas à l’avantage des compagnies.

Messieurs, l’expérience quant à l’exploitation (et en cela je suis parfaitement de l’avis des honorables MM de Puydt et de Brouckere), l’expérience quant à l’exploitation est incomplète ; il n’y a pas moyen de la juger, c’est à d’autres temps qu’il faut remettre de se prononcer à cet égard. Alors il y aura lieu, pour les honorables membres, à examiner ce qu’il faudra faire du chemin de fer ; ils pourront alors, s’ils le jugent convenable, faire la proposition de vendre le chemin de fer ; seulement je ferai une observation, c’est que si nos adversaires s’étaient trompés dans leurs calculs et si le gouvernement, s’égarant sur leurs traces, avait abandonné le chemin de fer aux compagnies, il n’y aurait plus moyen de réparer la faute qu’on aurait faite ; tandis que maintenant il sera toujours possible de faire ce que les honorables membres auraient voulu qu’on fît dès le principe.

Quoique l’expérience soit incomplète, une chose qu’on devrait voir dès aujourd’hui, c’est, d’une part, que la construction du chemin de fer a été économique ; d’autre part, ce qui est notoire, que les voyageurs affluent sur le chemin de fer : avec ces deux conditions de succès, économie dans la construction et affluence de voyageurs, il est impossible que l’entreprise ne soit pas encore définitivement avantageuse.

Si les procédés administratifs ne sont pas bons, on peut les améliorer ; car, à cet égard, je ne vois aucune différence entre les compagnies et le gouvernement ; je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne pourrait pas faire tout ce que peuvent faire les compagnies : les actionnaires n’administrent pas par eux-mêmes, mais par une administration intéressée dans l’exploitation pour un tantième ; le ministère des travaux publics peut faire ce que ferait l’administration d’une compagnie ; il restera toujours cet avantage pour le premier, qu’il sera plus réellement contrôlé que l’autre.

Sans être dans les secrets de l’exploitation du chemin de fer, je suis persuadé a priori qu’il y reste beaucoup à faire : c’est chose toute nouvelle, une administration très compliquée ; des règles administratives adaptées à une institution nouvelle ne se font pas en un jour. Si vous aviez aujourd’hui à organiser une armée, sans précédent, sans connaissance de ce qui se fait ailleurs, certes, messieurs, vous seriez longtemps avant de trouver de bonnes règles d’organisation militaire. Le gouvernement fera plus d’un essai ; il en fera peut-être même de malheureux, et ce ne sera qu’avec le temps qu’il pourra atteindre à une certaine perfection ; toutefois les essais qu’il fera ne seront pas fort coûteux, chaque fois qu’on pourra mettre au budget des recettes les sommes suffisantes pour couvrir les intérêts et l’amortissement des emprunts contractés pour l’exécution du chemin de fer.

Lorsque l’expérience sera plus avancée, nous pourrons apprécier avec plus de certitude ce que le chemin de fer rapporte, et juger en connaissance de cause le système d’exploitation par le gouvernement ; mais nous examinerons aussi alors si nous sommes arrivés au point de ne plus pouvoir introduire des améliorations, nous examinerons la question de savoir si les imperfections qui pourront exister proviennent de hommes et des circonstances, ou si elles proviennent du système lui-même ; nous saurons alors ce que vaut définitivement ce que moi, en attendant, je me permettrai d’appeler le plus bel ouvrage qui ait été exécuté sur le continent depuis longues années, la plus grande chose, peut-être la seule grande chose, que le gouvernement belge ait exécutée depuis six ans ; le fait qui propage le plus, à l’intérieur et à l’extérieur, le respect de notre nationalité.

En attendant, je crois aussi, messieurs, qu’on ferait chose plus sage, plus utile, de tenir un autre langage que celui que nous avons entendu ; dire au gouvernement : « Vous êtes un mauvais exploitant, » c’est, ce me semble, l’encourager extrêmement peu à faire les améliorations qu’il peut faire ; lui dire : « Il faut que vous soyez nécessairement volé, » c’est lui inspirer peu de zèle pour prévenir les dépenses excessives ou les dilapidations ; il serait beaucoup plus sage à mon avis de dire : « Votre exploitation a pour elle toutes les conditions de succès ; vos dépenses d’établissement ne sont pas trop grandes ; vous avez pour vous la faveur du public, une affluence immense de voyageurs ; avec de telles conditions, le succès dépend de vous ; avec du zèle et du temps vous pouvez, vous devez réussir ; agissez donc avec activité et intelligence ; et croyez que si le succès venait à ne pas répondre à l’attente du pays, ce ne serait pas le système, mais le gouvernement plutôt qui serait en cause. »

M. Gendebien. - Messieurs, mon intention n’est pas de rentrer dans la discussion qui a été soulevée hier, et j’aurai peu de chose à ajouter ce que j’ai dit sur d’autres points.

Quand j’ai critiqué hier le mode qu’on a adopté pour l’exécution du chemin de fer, c’était une conséquence toute naturelle de l’opinion que j’ai émise en 1834 ; l’opinion que j’ai cru devoir rappeler, parce qu’on l’avait méconnue, calomniée, et qu’on avait attribué à de mauvaises intentions ce qui était le résultat d’une conviction qui s’est justifiée et réalisée complétement sur tous les points.

Il me reste aujourd’hui à dire quelques mots, d’une part, pour tranquilliser nos concitoyens sur les résultats du chemin de fer ; d’autre part, pour empêcher que les étrangers ne se dégoûtent des chemins de fer et abandonnent trop inconsidérément cette entreprise qui est à son enfance, et qui produira, je l’espère, des résultats meilleurs que ceux que nous avons obtenus jusqu’à présent.

Lorsqu’en 1834 on proposa la construction du chemin de fer, on réduisit toutes les évaluations pour les dépenses et on exagéra les produits pour le transport des marchandises ; de telle façon, messieurs, que si le transport des voyageurs n’avait pas été triplé, n’avait pas dépassé trois ou quatre fois les calculs, non seulement le chemin de fer ne rapporterait rien, mais il y aurait même un déficit énorme.

Eh bien, je ne suis pas découragé par ces résultats, et cela par une raison bien simple : c’est que lorsque le gouvernement nous a imposé le calcul des produits, il nous a fait connaître la recette qui devrait provenir du transport des marchandises. Le chemin de fer, disait alors le ministre de l’intérieur, rapportera 1,400,000 fr. ; cette somme se composait d’un million, produit du transport des marchandises ; de 340,000 francs, produit du transport des voyageurs ; et enfin de 66,000 fr., produit éventuel de menus transports.

Vous voyez donc que dans le calcul du ministre de l’intérieur, au-delà des 2/3 de la recette devaient provenir du transport des marchandises. C’était là la conviction de tout le monde, c’est-à-dire du ministre et de la majorité ; aujourd’hui, on ne transporte pas encore les marchandises, rien n’est organisé pour cet objet le plus important, selon la majorité ; on ne peut donc pas établir de calcul sur les produits de l’avenir, d’après les produits actuels.

Mais qu’il me soit permis de m’étonner, et la chambre s’étonnera sans doute comme moi, que lorsqu’on nous a présenté avec assurance un million pour le produit du transport des marchandises, on n’ait pas encore, après un intervalle de quatre ans, organisé le service du transport des marchandises.

Et je trouve encore dans cette circonstance un argument pour soutenir l’opinion que j’ai émise dans le temps que les particuliers feraient mieux que le gouvernement, qu’ils feraient plus vite et à meilleur marché, et qu’ils obtiendraient de meilleurs produits. Je vous demande, messieurs, si une association, calculant l’intérêt du capital dépensé, n’eût pas, avant même que le chemin de fer eût été livré au transport des voyageurs, songé à organiser en même temps le service du transport des marchandises.

Une année entière s’est écoulée entre le vote du 1er mai et l’ouverture de la section de Bruxelles à Malines. Il me semble que pendant une année on aurait pu méditer sur les moyens d’organiser le service du transport des marchandises. Plusieurs mois se sont écoulés entre l’ouverture de la section de Bruxelles à Malines et celle de Malines à Anvers ; et l’on aurait encore pu, pendant cet intervalle, songer à établir le service du transport des marchandises ; eh bien, on n’a rien fait. Qu’on veuille bien nous dire ce qui a empêché le gouvernement d’organiser ce service ; qu’on veuille nous dire si une société particulière se serait abandonnée à une pareille niaiserie ; pardonnez-moi l’expression, car elle est juste. Certes, si un négociant faisait une aussi grande faute, il perdrait son crédit, il serait ruiné le lendemain.

L’Etat et les ministres ne se ruinent pas ; l’Etat et les ministres ne craignent pas de banqueroute, parce que le gouvernement a toujours la ressource de demander, et que les chambres refusent rarement, les crédits demandés n’importe pour quel but.

Voilà encore une des raisons que j’ai alléguées dans le temps, pour m’opposer à l’adoption du système de l’exécution de toutes, oui, je le répète, de toutes les sections par le gouvernement ; voilà ce qui me faisait proposer, à titre d’essai, la ligne de Bruxelles à Anvers, pour prendre ensuite une résolution définitive sur le mode d’exécution à suivre, d’après les résultats qu’on aurait obtenus sur cette ligne.

Maintenant, messieurs, je ne calcule pas sur un million de revenu, du chef des transports des marchandises entre Anvers et Verviers ; je crois qu’il y a eu exagération pour quelque temps au moins. Supposons seulement un produit de 700,000 francs ; ajoutez cette somme au produit du transport des voyageurs, et vous arriverez non pas à un résultat de 9 p. c., ainsi que le disait le ministre de l’intérieur, bien moins encore à un revenu de 12 p. c. comme on le supposait, mais à un résultat de 5 à 6 p. c. Et encore, pour obtenir ce résultat, il faudra de l’économie, beaucoup d’économie dans l’exécution et dans l’exploitation du chemin de fer.

La section d’Anvers à Verviers a été évaluée à 16,500,00 fr. Dans cette somme est comprise une somme de 12 cent et autant de mille francs pour l’intérêt pendant trois ans. Il faudra majorer cette somme d’intérêts, parce que nous sommes à la cinquième année et qu’il n’est pas probable que la section de Verviers soit achevée d’ici à deux ans. Il y aura donc 6 ans d’intérêt à ajouter au capital pour la construction.

Ensuite, au lieu d’avoir une moyenne de 95,000 francs pour l’établissement du chemin de fer, de la manière dont on a opéré et de l’aveu même du ministre, on se rapprochera beaucoup d’une dépense de 2 millions.

Pour couvrir l’intérêt et l’amortissement de cette somme, il faudra agir autrement qu’on n’a agi jusqu’à présent ; il faudra non seulement s’occuper de l’organisation du service du transport des marchandises ; mais il faudra encore simplifier l’administration.

Pourquoi les gouvernements font-ils moins bien que les particuliers dans toutes espèces d’entreprises industrielles et commerciales ? C’est, messieurs, que d’une part les gouvernements n’ont que des employés salariés qui ne font que tout juste le nécessaire pour rester en place, et s’occupent fort peu de savoir si le patron gagne ou ne gagne pas.

Dans les messageries, on payait aussi aux employés des gages fixes ; mais il y avait là l’œil du maître qui surveillait de près chaque employé. Eh bien, l’on a trouvé que cela ne suffisait pas ; on a intéressé dans l’entreprise tous les employés, depuis le premier jusqu’au dernier. Il y en a qui ont de légers traitements, mais tous ont un tantième dans les produits ; et je crois que ce tantième va jusqu’à 10 p. c. ; et ils sont payés d’après une échelle de proportion, selon leur mérite et les services qu’ils rendent. Pourquoi le gouvernement n’entrerait-il pas dans cette voie ?

Indépendamment du manque de zèle chez les employés qui n’en ont généralement tout juste qu’en proportion de leur traitement, il existe un autre inconvénient, c’est que le gouvernement se trouve constamment embarrassé par des questions de personnes. Dans les emplois les plus élevés comme les plus infimes, on s’occupe souvent beaucoup moins du mérite de l’individu que des protections qui le poussent. On a trop souvent égard à des services qu’on n’oserait avouer, et qu’on récompense par quelque place. Pourquoi en serait-il autrement jour les chemins de fer ? Voilà encore un obstacle à ce que le gouvernement fasse aussi bien que les particuliers. Cet obstacle a des conséquences tout aussi funestes pour la morale publique que pour l’entreprise elle-même.

Me résumant, je dis que je n’ai jamais partagé les utopies de ceux qui nous présentaient le chemin de fer comme pouvant remplir une grande partie de nos impôts. Ainsi, les uns portaient l’intérêt à 9 p. c. pour la route d’Anvers à Verviers ; d’autres le portaient à 12 p. c ; quant aux sections de Bruxelles, Gand et Ostende, on a calculé l’intérêt à un taux bien plus élevé. J’ai dit alors que, pour moi, ces exagérations suffisaient à elles seules pour me donner la conviction que les calculs sur lesquels elles étaient fondées étaient erronés Je soutiens qu’on n’arrivera pas même au chiffre le plus bas qu’on indiquait dans la première discussion, à celui de 7 1/2 p. c. qu’un orateur qui défendait le projet du gouvernement présentait comme le minimum. Je déclare aujourd’hui que si l’on obtient 6 p. c. dont un à défalquer pour l’amortissement, je serais très satisfait. 5 p. c. est un bel intérêt par le temps qui court. Il y a beaucoup d’industries qui se contentent d’un pareil intérêt ; et pour le gouvernement c’est un intérêt qui représenterait 7 ou 8 p. c. pour des particuliers.

Après avoir indiqué sommairement les vices et quelques moyens de remède du mode d’exploitation adopté, je dois combattre un moyen d’amélioration de produits proposé et qui serait d’augmenter le prix des places. A cet égard, j’aurai aussi recours à la discussion de 1834. Le ministre de l’intérieur a dit, dans la séance du 17 mars 1834, que pour les voyageurs il serait perçu 4 centimes par kilomètre. Eh bien, voici le prix du transport des voyageurs par kilomètre, selon le tarif adopté :

Dans les berlines : 8 centimes 75 centièmes ;

Dans les diligences, 7 centimes 50 centièmes ;

Dans les chars à bancs, 5 centimes ;

Dans les waggons, 3 centimes.

Moyenne, 6 centimes et 625 millièmes par voyageur et par kilomètre.

Ainsi le prix a dépassé de plus de 50 p. c. celui indiqué par le ministre pour faire adopter son projet. Qu’on ne vienne donc pas nous dire que le prix des places est trop faible et que c’est là la cause de la faible quotité des produits, puisque vous pouvez transporter autant que vous voulez, autant qu’il s’en présente, des voyageurs à 8 centimes 75 centièmes par kilomètre, c’est-à-dire à cent pour cent et une fraction de plus, enfin à un prix plus que double de celui indiqué par le ministre en 1834. Il en est de même en descendant l’échelle.

Maintenant irez-vous augmenter le prix des places destinées au peuple ? Ce serait là un contre-sens. Je ne veux rien dire de plus. Ce serait un contre-sens ; car on n’a cessé de vanter le chemin de fer comme une entreprise essentiellement populaire. Si vous allez élever le prix des places destinées au peuple, votre chemin de fer cessera d’être populaire ; et adieu la démocratie qu’on s’est vanté d’avoir établie en Belgique pour les moyens de transport !

Un autre inconvénient qui tient aux intérêts matériels et qui sera nécessairement mieux compris, c’est que si vous élevez le prix de places, il y aura beaucoup moins de voyageurs. Comme le principal produit résulte du bas prix des waggons et qu’il ne nuit en rien au transport des voyageurs moins nombreux qui prennent d’autres voitures qu’on appelle aristocratiques, vous aurez réduit le produit des voyageurs démocratiques, sans augmenter le nombre des voyageurs que vous appelez aristocratiques et aussi sans diminuer en rien la dépense, car il faudra le même personnel ou peu s’en faut pour le transport des voyageurs, alors que vous aurez diminué d’un tiers ou d’un quart le nombre des voyageurs des waggons. Il faudra les mêmes locomotives, le même feu, les mêmes ouvriers.

Le prix d’établissement du chemin de fer et de ses accessoire ne coûtera pas un centime de moins. Les dépenses premières seront toujours les mêmes. Vous aurez donc diminué le produit sans diminuer la dépense, et cela pour rendre le chemin de fer moins populaire ; cependant vous attachez un certain prix à cette popularité.

Je le dis, la moyenne des prix du transport des voyageurs est aujourd’hui de 50 p. c. plus élevée que le prix indiqué par le ministre ; on ne peut donc attribuer le mécompte au trop bas prix des places qui sont ce qu’elles doivent être. Pour arrêter toute récrimination, qu’on parle franchement ; que l’on convienne tout uniment qu’on s’est trompé, et tout sera dit.

Quant à moi, je passe l’éponge sur le passé sans aliéner mon droit de contrôle et de critique pour l’avenir ; je vais plus loin : j’engage le gouvernement à ne pas se décourager, et je le prie d’apporter plus d’attention qu’il n’en a été apporté dans les trois premières années à l’établissement du chemin de fer, qui a été tellement négligé, oublié jusqu’ici qu’il me semble n’avoir été l’affaire de personne ; et pour dire la vérité, on ne s’en est occupé qu’incidemment, tandis qu’il est plus important qu’aucune autre branche ; je dirai même qu’un ministère ayant pour toutes attributions l’établissement, l’organisation et l’exploitation du chemin de fer, aurait, pour mener les choses à bien, autant de besogne que le ministère de l’intérieur tout entier.

M. Angillis. - Messieurs, le gouvernement propose, dans le même projet de loi, la conversion de la rente provenant de l’emprunt de 100,800,000 francs, et l’emprunt dont nous nous occupons en ce moment. La conversion n’a trouvé faveur ni dans les sections ni dans la section centrale. Cette question ne me paraît pas avoir été assez élaborée dans les sections ; on s’est trop attaché ou plutôt on s’est trop effrayé de l’inopportunité ; peut-être aussi la discussion que l’on soulève en ce moment en France, sur une pareille mesure, a exercé une certaine influence sur les délibérations des sections ; dès lors la section centrale qui n’est que l’organe de l’opinion de toutes les sections particulières, n’a pu faire autre chose que ce qu’elle vous propose, et moi-même je me suis rangé à cet avis.

J’aurais cependant désiré qu’on eût laissé le projet de loi tel qu’il a été présenté, du moins pour le principe. J’ai fait un examen approfondi de la question, j’ai interrogé sévèrement mes convictions, j’ai trouvé, conformément à mes désirs, qu’il n’y a dans le projet aucune mesure d’illusion, aucune mesure impolitique. Au contraire, la Belgique, en s’occupant de cette grande mesure, la plus importante qui puisse être agitée dans un pays, au moment même où l’Europe entière a les yeux fixés sur elle, aurait peut-être fait un acte de haute politique ; elle aurait prouvé par cette conversion, à ses amis et à ses ennemis, qu’elle n’a cessé de grandir en prospérité depuis sa séparation de la Hollande, malgré les sinistres prédictions des partisans de tous les vieux abus ; qu’elle peut faire en finances ce que de vieilles puissances n’oseront peut-être jamais entreprendre, et qu’elle a déjà marqué sa place parmi les Etats indépendants de l’Europe. Ainsi la mesure, considérée politiquement, aurait produit un bon effet ; sous les rapports financiers., il était facile de la justifier.

J’espère que son ajournement ne sera pas de longue durée et que cette opération sera prise en mûre considération pendant la session prochaine. il nous reste à rembourser la somme de 91,600,000 fr. sur le malheureux emprunt de 100,800,000 fr., emprunt qui n’a rapporté à la Belgique que 70,622,686 fr., après déduction de la différence entre le capital effectif et le capital nominal, frais de commission, bonifications semestrielles, intérêts anticipés sur les dix parties du premier emprunt et les douze parties du second emprunt, et enfin perte sur le change de la livre sterling. La Belgique a donc perdu par cette opération financière 30,177,314 fr. Ce calcul, messieurs, est effrayant, et cependant il est exact ; mais n’accusons personne de cette perte, elle est due aux circonstances d’alors. On s’est récrié contre les bénéfices énormes faits par des capitalistes dans nos mauvais jours ; et qui le nie ? Mais nous étions passablement heureux que nous ayons pu, lorsque nous n’étions presque rien, exciter les capitalistes, par les chances d’un lucre disproportionné, à venir nous aider dans notre détresse, et je ne dois pas oublier de dire que sur la première partie de l’emprunt, qui s’élevait à 50,400,000 fr., les capitalistes belges n’ont rien profité dans le principe ; 100,000 florins seulement ont été cédés à un Belge au taux de 75.

Si nous calculons l’intérêt que nous payons sur un capital que nous n’avons pas reçu, nous trouvons que nous payons sur cet emprunt un intérêt réel de 7 1/4 p. c. et une fraction. Et, bien que toutes les opérations financières possibles ne puissent faire que cette perte n’existe pas, parce que le sacrifice de cette perte est fait sans retour, il est cependant dans l’intérêt du pays que nous nous débarrassions de ce lourd fardeau. Une fois le principe arrêté, la mesure s’exécutera au moment où elle sera exécutable.

En Angleterre, on a fait quatre opérations de réductions depuis 1822 ; deux d’entre elles embrassaient chacune des sommes de trois et demi à quatre milliards de francs en capital, et cependant on n’a pas hésité à faire la conversion d’une aussi énorme somme, et l’opération a chaque fois parfaitement réussi.

Toutes les questions qui se rapportent à la théorie soit des emprunts, soit de l’amortissement, sont compliquées de leur nature ; l’art d’emprunter et d’amortir avec le plus d’économie possible n’est pas encore mis à la portée de tous les esprits, mais j’ose dire qu’en Belgique on le comprend aussi bien que partout ailleurs, et ce qu’on a fait en Angleterre on le fera ici avec autant de facilité et autant d’avantage. Telle est mon opinion, et cette opinion est une conviction pour moi, une conviction qui repose sur des faits certains, sur des calculs exacts.

Le premier projet séparé maintenant de la conversion ne s’occupe plus que de l’emprunt d’un capital nominal qu’on a porté à 37 millions au lieu de 36 que propose le projet. La section centrale l’a augmenté de un million, parce que, lorsqu’on emprunte d’après les règles généralement reçues, 37 ne font souvent pas 34. Je pense cependant que les gouvernements mieux éclairés comprendront enfin qu’il est plus avantageux pour l’Etat de payer un intérêt élevé en empruntant au pair, que de payer un intérêt modéré en apparence et de perdre beaucoup sur le capital. Lorsque cette question sera traitée avec les développements dont elle est susceptible, elle méritera sans doute l’attention de l’assemblée.

Vous savez, messieurs, à quelles fins cet emprunt est destiné ; une partie doit servir à rembourser 10 millions des bons du trésor ; ce remboursement est non seulement nécessaire, mais il est indispensable. Il est souvent dangereux pour un Etat d’être chargé d’une dette exigible à des époques rapprochées. La moindre crise financière jettera la perturbation dans le crédit public, et l’expérience nous a plus d’une fois démontré que les crises financières ne sont pas toujours occasionnées par des causes politiques.

L’autre partie de l’emprunt a pour destination spéciale la continuation de nos chemins de fer. Cette continuation, messieurs, est maintenant une mesure de justice ; car les grands travaux publics entrepris au nom de la nation doivent avoir pour objet l’utilité générale. Si toute la nation n’en profite pas dans des proportions plus ou moins inégales, alors il y aura privilège d’un côté et oppression de l’autre. C’est là un des principes, une des bases de l’association politique. La justice distributive du gouvernement doit donc veiller à ce que chaque contrée du royaume ait, dans un avenir, plus ou moins prochain, et selon que les ressources du pays le permettront, une communication, soit par des chemins en fer, soit par des routes pavées, d’après la nature et la situation de la contrée.

Lorsqu’on a établi notre première ligne en fer, les deux termes, c’est-à-dire la dépense et la recette, étaient également inconnus. Dans cet état de choses, lorsque tout était problématique, le plus sage était d’attendre que l’expérience fût acquise. Je voulais alors, comme le veut à présent mon honorable ami M. Verhaegen, que toute l’entreprise fût abandonnée à l’industrie particulière par la voie de concession. Je pensais alors, comme je le pense encore aujourd’hui, que par ce moyen la Belgique aurait été dotée de plusieurs chemins en fer dans un temps donné, sans peu ou point de frais pour le trésor, pendant que la nation aurait profité de toute son utilité. On sait que la majorité de la chambre a décidé le contraire.

Maintenant, dans l’état ou sont les choses, je crois que le gouvernement doit achever ce qu’il a commencé ; il ne peut plus reculer, et j’espère qu’il ne le fera pas. Eclairé par la discussion sur quelques inconvénients, voire même quelques abus, appuyé par la législature, le gouvernement aura tous les moyen pour faire cesser les plantes et faire cette grande entreprise, sinon avec bonheur, du moins avec honneur. D’ailleurs, ce ne sera que lorsque toutes les grandes lignes de communication seront établies que l’on pourra connaître la véritable balance, et juger s’il y a profit ou perte.

Remarquez-le bien, messieurs, cette perte ne sera jamais réelle ; ce serait une perte que la nation paierait à elle-même, car elle profitera sur le bas prix et la rapidité du transport, au moins autant qu’elle aura payé dans les frais. Il en est ainsi de tous les grands établissements d’utilité publique. Toutes nos routes pavées prises ensemble ne donnent que 2 p. c. d’intérêt pour les capitaux qui y ont été employés, et cependant on demande continuellement de nouvelles communications, en offrant de payer une grande partie dans les frais. En ce moment même la localité que j’habite et deux localités voisines offrent au gouvernement un subside de 55,000 francs, presque à fonds perdus, non compris 25,000 fr. donnés par la province, pour seulement 30,000 fr. que le gouvernement paiera dans la construction d’un bout de pavé qui servira à compléter un système de grande communication. Lorsque des communes proposent de tels subsides pour avoir une communication, c’est qu’elles en connaissent toute la valeur, c’est qu’elles savent que s’il y a perte d’un côté, il y a profit de l’autre, et qu’ainsi il y a toujours compensation.

C’est sous ce point de vue que l’on doit considérer l’emprunt, emprunt qui n’est pas destiné à combler un déficit, à solder une dépense perdue pour toujours, mais à faire une dépense productive, à semer de l’argent pour recueillir en définitive de l’argent une dépense enfin qui intéresse l’agriculture, le commerce, l’industrie et toutes les classes de la société ; car, quoi qu’on dise, nos relations intérieures doivent considérablement gagner par l’établissement des chemins en fer ; les forces productives d’un pays s’accroîtront avec la rapidité des communications, et l’économie qui doit en résulter est immense.

En me résumant, je dis, en premier lieu, que je regrette qu’on n’ait pas discuté la grande question de la conversion de la rente : cette discussion, riche en principes, aurait fait la plus belle page de notre session qui va finir dans quelques jours ; 2° que le gouvernement doit achever la grande entreprise des chemins en fer ; 3° que l’on ne peut pas lui refuser l’emprunt qu’il demande, et que, par une conséquence logique, je voterai pour le projet de loi.

M. de Puydt. - Je dois déclarer de nouveau que c’est avec regret que j’ai pris part à une discussion dont en vérité je ne comprends pas le but ; mais j’y suis entré une première fois, malgré moi, parce qu’on avait attaqué les opinions que j’ai émises il y a plusieurs années ; je me vois obligé d’y revenir parce que j’ai été mis personnellement en cause ; cependant je n’entrerai dans aucun détail ; je répondrai simplement par une observation générale.

L’honorable M. Devaux voudra bien se rappeler que ce n’est pas moi qui ai dit que le chemin de fer serait nuisible à l’agriculture, était une œuvre diplomatique, entraînerait une guerre avec la Hollande, était une inspiration anglaise. J’ai été un des premiers à reconnaître que le chemin de fer était une grande conception d’une haute utilité pour le pays. La seule chose que j’aie contestée et que je conteste encore, c’est l’utilité de faire construire ce chemin de fer par l’Etat. C’est à propos de cette discussion que, dans le temps, j’ai contesté certains articles d’évaluation ; maintenant je considère comme inutile de revenir sur ce point. Il me suffit que M. le ministre des travaux publics ait déclaré dans cette chambre que la moyenne de la dépense s’élevait à 160,000 francs par kilomètre, pour que ma prévision de 1834 soit justifiée, quand j’ai dit que les évaluations seraient dépassées de 50,000 fr. par kilomètre. Et quand je fais cette observation, je ne veux faire aucun reproche ; car si j’ai dit cela, c’est que je reconnaissais que le chemin de fer devait coûter 50,000 fr. de plus. J’ai eu si peu la pensée d’un reproche, que je n’ai pas l’intention de voter contre le projet de loi ; je voterai au contraire pour son adoption.

On a cru devoir rappeler que j’ai commis une erreur sur l’évaluation des intérêts. On avait dit que l’intérêt serait de 5 p. c. J’ai pensé en 1834 que l’intérêt irait jusqu’à 7 p. c. J’ai commis une erreur, mais ce n’est pas dans le sens qu’on a prétendu.

Je dois, à cette occasion, répondre à une observation faite par l’honorable M. Lebeau. Je commence par dire que je crois que ctlte observation était faite de bonne foi, en toute loyauté, et sans aucune intention défavorable pour la société à laquelle il a fait allusion.

L’honorable M. Lebeau a dit :

« Une autre compagnie a demandé la concession d’un chemin de fer dans l’entre-Sambre et Meuse. Le parcours est d’environ 20 lieues. Savez-vous à combien est établie la dépense de construction ? Si mes renseignements sont exacts, à 12 millions pour une seule voie et sans matériel. »

Cette estimation est faite par les concessionnaires du chemin de fer ; mais elle a été vérifiée par les ingénieurs du gouvernement ; elle est contradictoire, elle est le fruit de 3 ans d’étude.

L’estimation des travaux de ce chemin de fer n’est que de 11 millions 16 mille francs, parce qu’il faut déduire les intérêts. Ce qui fait 107,000 fr. par kilomètre.

Mais il faut remarquer que, quoique ce ne soit pas un chemin de fer à double voie, il y a obligation d’acquérir les terrains qui seraient nécessaires pour deux voies, de construire des gares d’évitement et une double voie dans certaines parties formant ensemble 45 kilomètres, c’est-à-dire sur la moitié de la longueur du chemin de fer. De sorte que c’est presque un chemin à double voie.

L’honorable M. Lebeau a ajouté que la canalisation de la Sambre a donné lieu à des dépenses considérables. Je ne crois pas qu’il ait voulu, à cet égard, faire une observation qui me soit personnelle ; car c’est le gouvernement hollandais qui a fait cette canalisation ; toutes les observations sur ce point doivent lui être renvoyées.

Je le répète, on se méprendrait si on voulait conclure de mes paroles que mon intention est de faire rejeter la loi. Je considère l’entreprise commue devant être achevée avant qu’on puisse porter un jugement définitif sur les résultats de l’exécution par le gouvernement. J’ai dit que pour moi l’expérience était suffisante pour porter mon jugement, mais cela ne suffit pas pour le public ; pour le public il faut que l’exécution soit achevée.

M. Andries. - Dans un des premiers rapports il est dit qu’on a acheté pour 106 mille francs de terrains qui n’étaient pas nécessaires pour le service du chemin de fer et qu’on va revendre. Depuis 1835, ces terrains sont restés sans emploi. Je demanderai si le gouvernement est autorisé à vendre ces terrains, et si la loi de 1837 est applicable aux parcelles achetées de 1834 à 1835. Si cette loi n’autorise pas le gouvernement, je crois qu’il est de l’intérêt du gouvernement de demander une autorisation à cette fin, car on empiète constamment sur ces parcelles, et si on tarde à les vendre, on finira par ne plus les retrouver.

Il est un deuxième point sur lequel je désire avoir des éclaircissements. Dans l’intérêt du trésor, je crois qu’il ne convient pas de permettre à des employés subalternes du trésor de manier de l’argent. Les conducteurs sont autorisés à recevoir des suppléments qui vont quelquefois jusqu’à 15 et 20 francs. Je demanderai s’il y moyen de contrôler ces recettes partielles. S’il n’y avait pas de moyen de contrôle, il vaudrait mieux défendre aux conducteurs de recevoir des suppléments, car il en peut résulter beaucoup d’abus.

M. Lebeau. - L’honorable préopinant, j’aime à le croire, n’a pas plus voulu m’attaquer personnellement que je n’avais eu l’intention de le faire à son égard. Il prétend que j’ai commis une erreur matérielle dans ce que j’ai dit sur les frais de construction de la route d’entre-Sambre et Meuse. J’ai pris mes calculs dans le texte même de l’acte constitutif de la société concessionnaire. Il y est dit que dans l’année qui suivra le 1er janvier 1870, et chaque année après à la même époque, le chemin de fer pourra être racheté par le gouvernement pour la somme de 12,780,000 fr. à laquelle sont évalués les travaux, plus une prime de 25 p. v.

Voilà où j’ai pris mes chiffres. Maintenant je ne méconnais pas que sur certains points le chemin est à double voie. Mais je ne crains pas de le dire : la voie simple ou la double voie de l’entre-Sambre et Meuse coûtera certainement autant que les travaux de même nature exécutés par le gouvernement.

Quant à la canalisation de la Sambre, je n’en ai parlé que pour prendre un exemple, sans arrière-pensée, sans vouloir diriger d’insinuation contre l’honorable préopinant. Je crois que j’ai pu citer cet exemple, sans mériter le reproche que, du reste, il ne m’a pas adressé, d’avoir voulu faire une allusion personnelle.

-La discussion générale est fermée.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à emprunter jusqu’à concurrence d’un capital nominal de trente-sept millions de fr., à un intérêt dle 4 et demi p. c., ou à un intérêt moindre avec augmentation relative du capital nominal.

« Il sera consacré à l’amortissement de ce capital une dotation d’au moins un p. c. par an, indépendamment du montant des intérêts des obligations amorties.

« Les obligations à créer seront, préalablement à leur émission, soumises an visa de la cour des comptes. »

M. A. Rodenbach. - Messieurs, je ne puis pas supposer que l’on prélèvera sur les 21 millions consacrés spécialement à la route en fer des fonds pour faite des stations, entre autres celle des Bogards. J’ai eu occasion d’en parler hier. J’observerai que le gouvernement a dépensé 300 mille fr. pour la station de l’Allée-Verte ; sous le précédent gouvernement on a fait une dépense de 500 mille fr. pour augmenter cette station.

Maintenant on veut changer de système ; on veut deux stations, on veut en quelque sorte une station de localité. Je désirerais connaître l’utilité de cette seconde station. D’abord les habitants des Flandres et d’Anvers qui voudront se rendre dans le Hainaut, devront s’arrêter à l’Allée-Verte. C’est une barrière qu’on veut mettre entre le nord et le midi. Il en résultera pour eux au moins une heure de retard, cela équivaut à 6 lieues sur le chemin de fer. Il faudra traverser la ville le soir pour se rendre à l’autre station ; si on veut continuer sa route pour éviter cet embarras, on sera obligé de coucher à Bruxelles. Par les chemins de fer, il faut des communications directes et sans obstacles. Vous voyez que ce changement de système, au lieu d’être favorable, sera défavorable à l’intérêt général.

On se récrie contre les octrois ! Les voyageurs seront arrêtés à l’entrée de la ville pour prendre des bulletins de transit.

On a dit que le chemin rapportait peu d’intérêt. Je demanderai aux députés de Bruxelles, qui ont dit que cela ne rapporterait rien, s’il est possible qu’une entreprise semblable soit productive quand dans l’intérêt d’une localité on fait une dépense qui équivaut à 70 mille fr. par an. On m’a assuré que des spéculateurs avaient acheté, dans la vue de la station qu’on se propose de faire, des terrains moyennant 15 mille fr., et dont ils demandent 80 mille fr.

Cette dépense, est-ce la ville de Bruxelles qui la fera ? La ville d’Anvers a bien payé 500,000 fr. pour sa station, la ville de Bruges en paiera 4 ou 500,000 ; Gand a payé 200,000 fr. Ces villes devraient réclamer des stations de localité, afin de faire dépenser de l’argent dans leur sein. Il faut exploiter le chemin de fer dans l’intérêt de l’Etat, et non dans le sein de telle ou de telle localité.

Je voterai les 37 millions, mis à condition qu’on ne détournera pas un liard dans l’intérêt des localités ; sans cela, je ne les voterai.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Il faut que la chambre sache que la station de l’Allée-Verte telle qu’elle existe, est insuffisante pour le transport des voyageurs. Des terrains ont été acquis par mon prédécesseur qui peuvent être utilisés pour la station des marchandises ; la station de l’Allée-Verte, pour les voyageurs, est trop petite. De deux choses l’une : il faut l’agrandir ou en établir une deuxième. Voici le principe que j’ai cru devoir poser comme point de départ. Il faut que cette deuxième station ne coûte à peu près au gouvernement que ce que lui coûterait l’agrandissement de la station de l’Allée-Verte. C’est sur cette base qu’on a entamé des négociations avec la régence de Bruxelles. L’établissement de cette station étant subordonné aux arrangements à prendre avec les propriétaires des Bogards, nous avons pu espérer des résultats satisfaisants. Les propriétaires voyant qu’il n’y avait pas de décision prise, ont été placés en face de cet argument On ne prend pas toute votre propriété ; si la station est établie, elle décuplera la valeur du reste de votre propriété ; il faut vous montrer raisonnables dans la vente de la parcelle nécessaire à la station.

Cette négociation a amené des résultats très avantageux. La ville doit entrer pour un tiers dans les frais d’achat des terrains nécessaires à l’établissement de la station. Il faut en outre lui tenir compte de l’influence qu’elle a eue dans les pourparlers avec les propriétaires. Le gouvernement n’a pas traité avec eux ; il a dit à la ville : Traitez avec les propriétaires ; si vous obtenez des conditions avantageuses, nous pourrons nous entendre.

On avait supposé que les terrains pour l’établissement de la station des Bogards coûteraient un million ; mais il se trouve qu’ils ne coûteront que six à sept cent mille francs, et la ville entrera pour un tiers dans cette dépense. La somme que le gouvernement paierait représente à peu près celle qu’il paierait pour expropriation de l’Allée-Verte, afin d’y agrandir la station trop peu spacieuse pour les voyageurs. Voilà un côté de la question.

Nous connaissons les inconvénients de la centralisation, de l’encombrement. Et puisque l’on a cité l’Angleterre, je dirai que là on a évité l’encombrement, et qu’on a fait des stations et pour les voyageurs et pour les marchandises ; qu’on y a évité enfin la centralisation extrême.

Si la station des Bogards s’établit (il n’y a rien de décidé à cet égard), ce sera à une condition de participation analogue à celle que l’on a imposée à d’autres villes.

L’honorable préopinant a trouvé qu’il serait extrêmement avantageux de pouvoir passer en quelque soute à côté de la ville de Bruxelles pour se rendre d’une extrémité du pays à l’autre ; je ne sais jusqu’à quel point ceci est à désirer. Ce serait placer la ville de Bruxelles à côté du chemin de fer. Si le chemin de fer du Hainaut arrivait à l’Allée-Verte, on ne ferait que traverser la Belgique ; l’habitant des bords du Rhin prendrait sa place pour se rendre à Paris ; l’habitant de Paris prendrait sa place pour se rendre à Cologne ; et la Belgique ne compterait pour rien dans les voyages.

Jusqu’à quel point un tel état de choses serait utile à l’intérêt général, jusqu’à quel point devons-nous admettre que l’on doit laisser sous nos yeux sans s’arrêter parmi nous ; c’est une question qui ne manque pas d’une certaine portée ; je ne sais si je dois m’y arrêter ; je ne sais si notre temps me le permet. Dans d’autres pays il est sans exemple que près de la capitale on ait raccordé deux routes ; c’est ce qu’on n’a pas admis à Paris, à Londres. Les chemins de fer doivent aboutir aux capitales et non s’y raccorder. Nous serons moins rigoureux ; nous admettrons un chemin de jonction, mais je crois qu’il ne servira de fait qu’aux marchandises. Je suis persuadé que, sur dix, il y en a neuf qui voudront rester à Bruxelles ; de sorte que s’il n’y avait pas de jonction, vous ne feriez violence qu’à un sur dix, puisqu’on parle de violence.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Une double station à Bruxelles est dans l’intérêt du pays et du service. Impossible sans cela.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - On a parlé des inconvénients de la station centrale de Malines ; eh bien, si cette station centrale était à Bruxelles, on ne s’en plaindrait pas. Pourquoi se plaint-on de celle de Malines ? Parce que l’on est forcé de perdre quelque temps dont on ne sait que faire ; à Bruxelles les voyageurs pourraient profiter de ce temps.

Au reste, il n’y a rien de définitif dans la question des Bogards ; mais, répondant franchement à l’interpellation qui a été faite, j’ai indiqué succinctement dans quel sens un arrangement pourrait être pris avec la ville de Bruxelles relativement à cette station.

Puisque j’ai pris la parole, je répondrai aussi à des questions qu’a bien voulu m’adresser M. Andries .

Il est très vrai que les conducteurs touchent des suppléments de prix. Lorsqu’un voyageur juge à propos de changer de place, comme le temps est précieux, il faut bien que le conducteur reçoive le supplément qu’exige ce changement. Avez-vous confiance dans les gardes ? Je répondrai oui ; sans cela il faudrait renoncer à l’exploitation des chemins de fer. Il en est de même pour les diligences. En route il entre des personnes dans une diligence, et ces personnes peuvent quitter la voiture avant d’arriver au bureau : qui touche le prix ? Le conducteur. Demandez à M. Van Gend s’il a confiance dans ses conducteurs ; il vous répondra : Oui, il le faut bien.

Vous ferez tout ce que vous voudrez, vous ne pourrez échapper à certaines conditions de l’exploitation. Du reste, les employés du chemin de fer sont choisis avec soin, avec une grande circonspection.

Il est vrai encore que pour certaines stations intermédiaires où, il n’y a pas encore de bureaux, les gardes ont l’autorisation de délivrer des billets ; mais ces billets provenant d’une souche, il faut que l’on remette ceux qui n’ont pas été placés, et que les gardes paient le prix de ceux qu’ils ne peuvent représenter. La souche est un moyen de vérification fort simple.

Je dois dire aussi que l’on a dû faire des excédants d’emprises. J’en ai tenu compte hier pour ce qu’a coûté le chemin de fer. Prochainement, je pense, on pourra prendre une mesure à l’égard de ces parcelles non incorporées au chemin de fer.

M. le président. - M. de Puydt propose par amendement de porter l’emprunt à 40 millions.

M. A. Rodenbach. - Ce qu’a dit le ministre ne m’a pas fait changer d’opinion. Dans la première partie de son discours, il nous fait remarquer que le temps est précieux ; je le pense avec lui, mais ce n’est pas là un motif pour faire rester les voyageurs à Bruxelles.

Si la ville de Bruxelles a intérêt à avoir une seconde station, qu’elle en fasse les frais, comme font les autres villes pour l’unique station qu’elles possèdent. En achetant le terrain de l’Allée-Verte, on pourrait agrandir la station existante d’une manière suffisante pour les besoins du service, et on n’aurait pas un double personnel. Dans les calculs qu’il fait, le ministre dit que la seconde station ne coûtera que sept à huit cent mille francs ; mais cette seconde station entraîne un nouveau personnel, et c’est ce qu’il ne faut pas perdre de vue.

Avec la dépense totale qu’occasionnerait une autre station on pourrait achever un embranchement, ce qui serait bien préférable et bien plus dans l’intérêt général. On ne doit prélever sur la somme de 21 millions que des dépenses dans l’intérêt du pays entier. Pour augmenter les produits du chemin de fer, il ne faut pas multiplier les stations, mais les embranchements.

La Campine réclame l’embranchement d’Anvers à Turnhout ; les Flandres réclament des embranchements pour Alost, pour Audenaerde, voilà ce qui augmenterait les revenus.

La seconde station que l’on demande serait une entrave à la célérité qui est le principal mérite des chemins de fer ; elle occasionnerait de graves inconvénients par rapport à l’octroi, chose dont les Anglais ont horreur. Augmentez la station de l’Allée-Verte, je le répète, cela suffira.

J’ai lu le compte-rendu de la séance du conseil municipal de Bruxelles, tenue le 10 avril. Il y a été question de la seconde station, et on a promis d’entrer pour un tiers dans la dépense, quand on pourra le payer : peut-on compter sur une telle promesse ? Elle n’a rien de définitif. Nous sommes ici les députés de la nation, notre attention ne doit pas se porter sur l’intérêt local. Si l’on me donne pas de meilleures raisons que celles qui ont été alléguées, je voterai contre l’emprunt des 37 millions.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, c’est aussi en faveur de l’intérêt général que je vais parler et que j’appuierai franchement le projet d’une station intérieure dans la ville de Bruxelles, afin d’engager mon collègue des travaux publics à seconder ouvertement la réalisation de ce projet.

L’honorable préopinant semble ne se préoccuper que des voyageurs étrangers, et dans cette pensée il voudrait voir arranger les choses pour qu’ils puissent traverser la Belgique au plus vite et sans s’y arrêter le moins du monde, pour qu’ils aillent de Cologne à Paris, et réciproquement, sans faire halte. Mais, messieurs, notre chemin de fer n’est pas créé dans l’intérêt exclusif des étrangers, il est surtout construit dans l’intérêt de la Belgique ; et s’il lui convient que les voyageurs s’arrêtent dans la capitale, il faut continuer l’exploitation du chemin de fer de manière à ce qu’ils soient, non pas obligés, mais en quelque sorte invités à le faire.

Les avantages à résulter de ce que les voyageurs s’arrêtent dans la capitale sont incontestables ; il est évident que les revenus de l’Etat, en général, s’en ressentiront d’une manière favorable ; que les produits du sol et de nos manufactures en retireront des avantages immédiats. Or, si nous établissons une station à l’intérieur de la ville de Bruxelles, les voyageurs s’y arrêteront tout naturellement ; ils y séjourneront même, parfois, plus ou moins longtemps, sans qu’on ait fait pour cela le moins du monde violence à leurs projets de route ; si au contraire nous établissons les stations à l’extérieur de la ville, la plupart des voyageurs n’y entreront pas, parce qu’ils auraient les embarras de transporter leurs bagages de l’Allée-Verte au centre de Bruxelles ; ce serait indirectement les mettre dans la nécessité de continuer leur route, souvent contre leur gré ; ce serait les forcer en quelque sorte à éviter la capitale où ils auraient préféré trouver l’occasion de s’arrêter.

On parle des frais que doit occasionner à l’Etat l’établissement d’une seconde station intérieure ; mais M. le ministre des travaux publics vient déjà de vous démontrer qu’il faudrait au moins 500,000 fr. pour rendre la station actuelle suffisamment spacieuse, qu’au lieu de dépenser 500,000 fr. à l’extérieur de la ville, on les dépensera à l’intérieur ; ce ne sera donc qu’un simple déplacement de travaux.

On a dit aussi, messieurs, qu’il faudra un double personnel avec deux stations ; mais l’on n’évitera dans aucun cas ce double personnel, qui serait indispensable à la station unique ; seulement, au lieu d’être réuni, il sera divisé, et cette division constituera un avantage immense pour la célérité même du parcours : on sait qu’il est déjà impossible aujourd’hui d’empêcher certaine confusion à la station de l’Allée-Verte ; or, cette confusion ne serait-elle pas complète si tous les voyageurs qui seront obligés de descendre sur un seul point, si tous les voyageurs qui arriveront de France, d’Angleterre, d’Allemagne et de Hollande étaient forcés de mettre pied à terre tous ensemble à la station de l’Allée-Verte ? Il est humainement impossible que, quelque que soit l’aptitude des employés, quelle que soit l’organisation, l’ordre puisse être assuré là où seraient parfois groupées deux ou trois mille personnes, toutes plus ou moins exigeantes, toutes voulant avoir leurs bagages à l’instant même ; déjà aujourd’hui, je le répète, la station est insuffisante, déjà il y a cohue, et l’on voudrait n’avoir qu’une seule station alors que le nombre des voyageurs sera doublé ou triplé ? Cela me paraît de toute impossibilité.

Je ne puis donc, messieurs, qu’engager mon collègue des travaux publics à seconder, dans l’intérêt général, l’établissement d’une station intérieure à Bruxelles, et à ne pas être touché du soin que l’on semble prendre de faire en sorte que les étrangers ne séjournent pas dans le pays ; l’intérêt général gagnera à ce qu’ils s’arrêtent dans la capitale, et dès lors nous devons organiser les choses de manière à les y convier ; je ne voudrais pas les y forcer, et il ne s’agit pas de cela, mais bien leur donner toutes les facilités pour le faire ; je dis qu’il ne s’agit pas de les contraindre, et en effet les départs seront toujours organisés de manière qu’il y ait très peu d’interruption, puisqu’il existera constamment six départs par jour en été, et par conséquent peu d’intervalle entre l’un et l’autre transport ; si les voyageurs ne veulent s’arrêter qu’un instant en ville, il leur sera loisible de partir avec le premier convoi qui suivra leur arrivée, et il y aura en réalité moins de temps perdu de cette manière que s’il fallait se soumettre au dédale d’une station unique.

Je dis, messieurs, que si la station se trouvait exclusivement extra muros, des voyageurs qui auraient le désir de s’arrêter en ville, souvent ne le feraient pas, parce que cela leur occasionnerait des embarras ; avec deux stations au contraire on procurera au pays les avantages d’un séjour plus ou moins prolongé, dans la capitale, d’un grand nombre d’étrangers, en même temps qu’il sera possible d’introduire l’ordre et la régularité dans le service.

M. de Puydt. - J’ai déposé un amendement, messieurs, tendant à porter à 9,000,000 le crédit accordé au gouvernement pour la construction de routes pavées et empierrées. Lorsque la chambre a voté un emprunt de 6,000,000 pour cette destination, la situation du produit des barrières était loin d’être aussi prospère qu’elle l’est aujourd’hui, et si ces produits avaient été alors ce qu’ils sont maintenant, au lieu de demander 6,000,000 nous aurions insisté pour en obtenir 9 ou 10. A cette époque, messieurs, le produit des barrières était de 2,205,541 fr. ; les adjudications qui viennent d’être faites en vertu de la loi que vous avez votée portent ce produit à 2,497,965 fr., de sorte qu’il y a maintenant un excédant sur le produit de 1835 de 292,424 fr. ; cette somme, de près de 300,000 fr., dépasse celle qu’il faut consacrer aux intérêts et à l’amortissement de l’emprunt de 6,000,000 à tel point, que si vous ajoutez 3 millions à cet emprunt, vous n’aurez pas même absorbé tout le bénéfice que vous avez fait depuis deux ans sur le produit des barrières.

D’un autre côté, messieurs, l’honorable ministre des travaux publics nous a fait connaître, lors de la discussion de la loi des barrières, que beaucoup de projets de routes nouvelles étaient présentés ; qu’il y avait des demandes considérables, faites par toutes les provinces ; mais que le crédit des 6 millions serait insuffisant pour accorder des subsides nécessaires.

Je crois que M. le ministre des travaux publics reconnaîtra avec moi qu’en augmentant de 3 millions le crédits de 6 millions qui a déjà été mis à sa disposition, il sera plus à même de satisfaire aux vœux des provinces.

- L’amendement de M. de Puydt est appuyé.

M. Pollénus. - Messieurs, la question qui vient d’être soulevée par l’interpellation de l’honorable M. A. Rodenbach me paraît mériter toute l’attention de la chambre.

Ainsi que vous l’avez entendu, les prévisions de notre honorable collègue sont continuées par les déclarations qui viennent d’être faites par les organes du gouvernement. Le projet d’établir une station secondaire dans la ville de Bruxelles existe réellement : mais, ainsi que l’a dit M. le ministre des travaux publics, rien n’est encore arrêté à cet égard. La question est donc entière ; dès lors, la discussion à laquelle nous sommes à nous livrer peut être très utile encore.

Pour ma part, je partage entièrement l’avis de M. le ministre des finances, que le chemin de fer est destiné à être utile au pays. Mais je ne pense pas qu’en partant de ces prémisses, il faille reconnaître que le pays est vraiment intéressé à l’établissement d’une station secondaire dans l’intérieur de Bruxelles. Il me semble au contraire, messieurs, que les faits qui ont été allégués par les deux membres du cabinet que vous avez entendus, prouvent évidemment que la ville de Bruxelles y est seule intéressée, et que la Belgique ne l’est pas.

L’honorable auteur de l’interpellation a dit que de l’établissement d’une station secondaire devait résulter un arrêt forcé qui neutraliserait les avantages du chemin de fer, puisqu’on perdrait par là celui de la vitesse dans les communications. Le gouvernement n’a nullement répondu à cette objection qui est puisée dans la pensée de la loi de 1834.

L’inconvénient signalé se fera sentir non seulement pour les voyageurs, mais aussi pour le transport des marchandises. Le retard qui en résultera sera même tel qu’il occasionnera nécessairement une perte de cinq quarts d’heure ; M. le ministre ne conteste pas ce fait.

Vous vous rappellerez, messieurs, que lorsque la chambre a été appelée à discuter le système des chemins de fer en 1834, il ne s’est jamais agi d’établir dans la ville de Bruxelles deux stations séparées. Nous avons entendu dans cette enceinte le prédécesseur de M. le ministre actuel ; nous y avons entendu depuis deux hommes qui ont donné tant de preuves de leur capacité et qui sont les auteurs du chemin de fer ; eh bien, ni le ministre de l’intérieur d’alors, M. de Theux, ni les honorables ingénieurs, MM. Simons et de Ridder, n’eut jamais fait soupçonner qu’il y eût utilité pour la Belgique à ce que deux stations isolées fussent établies à Bruxelles. Je crois que les auteurs du chemin de fer n’ont jamais songé à l’idée qui est aujourd’hui défendue par le gouvernement. La pensée même qui a présidée au projet me paraît exclure l’idée d’une station secondaire, d’où doit résulter une perte de temps considérable, et par conséquent la perte des principaux avantages que l’on préconisait en 1834, c’est-à-dire l’économie et la célérité dans les transports.

Rappelez-vous d’ailleurs que le gouvernement possède des terrains acquis pour l’agrandissement de la station actuelle ; ces terrains ont coûté environ 500,000 francs ; vous voudriez abandonner ces terrains pour vous imposer les dépenses inutiles de la station des Bogards, qui coûtera peut-être un million ? Telle ne sera jamais, je l’espère, l’opinion de la chambre.

« Mais, dit M. le ministre des travaux publics, il est urgent d’éviter l’encombrement : il faut de toute nécessite qu’il y ait une station pour les voyageurs, et une autre pour les marchandises, »

Je prie la chambre de faire attention à cette proposition : s’il est vrai qu’il faut de toute nécessité deux stations, quoique les deux hommes capables que nous avons si souvent entendus, et au jugement desquels j’en appelle volontiers en ces matières, n’aient jamais reconnu leur nécessité ; s’il est vrai, dis-je. que ce besoin soit aujourd’hui reconnu pour Bruxelles, que ferez-vous pour les stations des autres villes, pour celles de Gand, Liége, Anvers, Bruges ? Si l’encombrement dont vous parlez et que vous invoquez en faveur de l’établissement d’une station secondaire à Bruxelles, est un motif fondé, vous serez obligés de doubler la dépense pour toutes les autres villes que je viens de citer, parce que si l’encombrement doit nécessiter une double station, vous êtes obligés d’appliquer ce même raisonnement pour toutes les autres villes.

Mais, dit-on, si l’on n’établissait pas une double station dans l’intérieur de la ville de Bruxelles, les étrangers traverseraient la Belgique sans passer par Bruxelles. Tâchons, messieurs, de nous défendre de l’exagération. Qui de nous prétendrait qu’une station à la porte de Laeken n’est pas une station établie à Bruxelles ?

Comment ! Malines, Anvers, Termonde, etc., viendraient prétendre, parce que la station de leur chemin de fer est établie à quelques pas de leurs portes, qu’il n’en résulte aucun avantage pour elles ! Il y aurait évidemment de l’exagération dans cette prétention ; ce n’est pas ainsi qu’on parlait en 1834.

Je suis convaincu, et le langage de M. le ministre n’a fait que me confirmer dans cette conviction ; je suis convaincu, dis-je, que la station des Bogards est seulement dans l’intérêt de la ville de Bruxelles, car on veut forcer les voyageurs à faire une halte ; les marchandises et les bagages devront y supporter les frais de déchargement.

Si l’établissement d’une station secondaire est uniquement dans l’intérêt de la commune, de l’aveu même des ministres, cette commune évidemment doit en supporter les frais. Ainsi que l’a fait observer l’honorable M. Rodenbach, la commune intéressée dans la question a seulement offert de contribuer dans la dépense pour un tiers, sans même fixer l’époque à laquelle elle paierait sa quote-part. Elle a demandé que le gouvernement fît l’avance de la somme entière ; vous avez entendu plus d’une fois les députés de Bruxelles ; nous connaissons la situation financière de la capitale, et je ne sais jusqu’à quel point il sera possible à la capitale de tenir sa promesse.

Quant à moi, je pense que personne mieux que les ministres n’a prouvé que le pays n’est nullement intéressé à une station secondaire à Bruxelles, qui d’ailleurs est en opposition manifeste avec la loi de 1834, et combattue par les ingénieurs les plus capables dans la matière.

Messieurs, l’on a dit qu’il est de toute justice que la législature vienne au secours de la capitale. Sans doute, Bruxelles a des titres à notre sympathie ; je déclare, quant à moi, que chaque fois qu’il me sera prouvé que l’intervention de la législature en faveur de la capitale pourra se concilier avec l’intérêt du pays, je ne lui refuserai jamais mon concours, et j’ en ai fourni des preuves dans d’autres occasions. Mais pour ce qui concerne l’établissement d’une station secondaire et séparée à Bruxelles, à qui doit neutraliser les avantages de la route en fer et donner lieu à un énorme surcroît de dépense, je déclare que je ne puis y donner mon assentiment, parce que je ne puis y voir qu’un intérêt de localité ou de quelques spéculateurs, en opposition avec l’intérêt du pays.

(Moniteur belge n°131, du 11 mai 1838) M. Verhaegen. - Messieurs, je ne suivrai pas l’exemple des honorables préopinants. Tout le monde ici parle pour son clocher, et l’esprit de localité va si loin que toutes les provinces envient même la position de la capitale. Faut-il une station dans l’intérieur de la ville de Bruxelles ? C’est ce que l’intérêt public, auquel se lie intimement l’intérêt du centre, exige aux yeux de tout homme impartial. Si des spéculateurs auxquels a voulu faire allusion l’honorable M. Rodenbach, ont déjà acquis les terrains des Bogards pour les revendre ensuite au gouvernement à des prix exorbitants, l’opinion publique et les tribunaux feront justice de ces spéculations. Pour moi, je me garderai bien de leur donner mon appui.

Si j’ai pris la parole sur l’article premier, c’est pour justifier le vote que je me propose d’émettre.

Certain journal du matin, que je considère comme semi-officiel, a méconnu mes intentions et a supposé que mon vote serait contraire au projet d’emprunt, alors que mon but n’a été que d’obtenir des renseignements et que je me suis réservé de prendre un parti après la discussion générale.

Comme ces reproches amers ont eu de l’écho, il m’importe d’y donner une réponse.

« Je ne me suis pas constitué à plaisir l’adversaire du chemin de fer contre l’unanimité des témoignages qui applaudissent à cette grande œuvre de la Belgique. » J’ai critiqué, il est vrai, l’administration du chemin de fer, dont j’ai le premier reconnu l’utilité ; j’ai signalé des abus ; je me suis permis même de donner des conseils au gouvernement ; mais l’opinion publique, à laquelle on a fait un appel, vient à l’appui de mes critiques et me rendra, j’espère, la justice que tant d’autres me refusent.

« Tout est pour moi, dit-on, sujet à objections, matières à procès. » Le journal auquel je fais allusion me louait naguère lorsque je soutenais contre des attaques vives et sérieuses certains projets de loi présentés par le ministère. Pour ce qui est des procès l’observation est au moins inconvenante, j’ai toujours séparé ma qualité de député de celle de membre du barreau et je ne me suis jamais permis de venir dévoiler dans cette enceinte les secrets du cabinet. Si je ne m’étais pas fait à cet égard une loi positive, j’aurais pu vous détailler des faits que m’avaient fait connaître certains procès notamment celui de M. Dupont du Fayt et qui auraient pu exercer dans cette discussion une grande influence ; mais quelle que soit la provocation dont j’ai été l’objet, mon devoir l’emportera et je me tairai. Toutefois, ma conviction n’en sera pas moins profonde.

Il n’y a pour moi ni matière à procès, ni matière à intérêt personnel ; si j’avais eu des concessions à demander, si je m’étais proposé de recommander tôt ou tard telle ou telle demande en concession, je me serais bien gardé de combattre le ministère des travaux publics. La voie que je suis et que j’ai suivi dès le principe en prenant place parmi vous ne devait pas me conduire à des faveurs. J’ai apporté ici une indépendance de position et de caractère qui me permettra de dire en toute occasion et en toutes matières ma pensée entière et de vous communiquer le résultat de mes convictions. (Très bien, assez ! assez !)

« Je n’ignorais pas, continue-t-on, ce (assez, assez !) qu’ont coûté les chemins de fer et ce qu’ils ont produit, je ne me suis pas donné la peine de lire les comptes rendus à deux différentes époques par M. le ministre des travaux publics. »

L’objection pourrait avoir quelque apparence de fondement si on appelle comptes rendus des aperçus informes que M. le ministre a fait imprimer et que je n’ai jamais reçus, bien qu’ils n’aient été soumis à la chambre, comme ils devaient l’être aux termes de l’article 6 de la loi du 1er mai 1834. (Assez ! Cela ne nous regarde pas ! Vous répondez au journal !)

Ces aperçus, que je me suis procurés depuis la séance d’hier, ne sont en définitive que des assertions de M. le ministre qu’aucune pièce ne justifie, et ces assertions ne sont elles-mêmes que le résultat des rapports envoyés au gouvernement par les agents de l’administration dont je désirerais voir contrôler les actes. Il y a si peu de comptes que les premiers éléments d’un compte, tel que l’inventaire du matériel, manquent de l’aveu même de M. le ministre.

A défaut de comptes exigés par la loi, je me suis permis de demander des renseignements : j’ai soumis au gouvernement huit questions qui sont restées sans réponses précises ; je me suis avisé de donner de conseils à l’administration, dans l’intention de voir cesser des abus que la notoriété publique signale ; j’étais bien hardi, j’en conviens, surtout d’après les dispositions de la chambre. J’ai fait plus ; j’ai manifesté le désir de voir nommer une commission d’enquête pour examiner tout ce qui tient à l’exécution des chemins de fer, et si je n’ai pas fait de proposition formelle à cet égard, c’est que je prévoyais le sort qui lui était réservé d’après l’intérêt e localité qui se manifestait de toutes parts.

M. le président. - Ce n’est pas ici qu’on répond aux journaux.

M. Verhaegen. - Je termine ; on me permettra bien de dire encore un mot ?

Une voix. - Non.

M. Verhaegen. - En définitive, je n’ai eu d’autre but que de faire consigner au Moniteur, et le résultat de ma conviction et mes prévisions ; j’ai rempli ma tâche. Toutefois, d’après les observations de mon honorable ami, M. Angillis, force me sera, d’après les antécédents et quel que soit mon regret, de voter l’emprunt.

(Moniteur belge n°130, du 10 mai 1838) M. Pirmez. - C’est aujourd’hui pour la première fois que j’apprends qu’il y aura dans la ligne du chemin de fer solution de continuité, qu’une station sera placée à une porte de la ville et une autre à une autre porte.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Il n’y aura pas solution de continuité ; il y aura un chemin de jonction entre les deux stations à l’extérieur de la ville. Si l’expérience démontre qu’il faut faire des convois spéciaux pour les voyageurs qui se présentent pour passer outre sans s’arrêter à Bruxelles, on fera des convois directs à la station de l’Allée-Verte. Si au contraire l’expérience démontre l’inutilité de ces convois spéciaux, on n’en fera pas.

D’après les faits, j’ai lieu de croire que les voyageurs ne feront pas usage du chemin de jonction et que ce chemin ne servira que pour les marchandises.

Aujourd’hui, il n’y a pas une seule diligence qui passe à travers Bruxelles, sans s’y arrêter. Toutes les villes qui entourent la capitale ont des diligences qui y aboutissent ; quand on y arrive, on y retient ou on a retenu sa place pour aller plus loin. Voilà un fait qui atteste jusqu’à un certain point quelle sera la volonté des voyageurs.

M. Van Gend n’a pas une diligence partant de Mons et allant directement à Louvain. Pour la centralisation, voici un autre fait que je citerai encore : M. Van Gend, qui fait en petit ce que le gouvernement fait en grand, a deux bureaux à Bruxelles. Il a trouvé qu’il y avait avantage à partager son personnel, qu’il y avait économie et plus grande facilité pour lui, et surtout agrément pour les voyageurs.

En supposant qu’il n’y ait pas de chemin de jonction, te temps qu’on perdrait par suite de l’encombrement inévitable à l’Allée-Verte suffirait pour faire le trajet en omnibus ou autrement.

M. Pirmez. - Si vous n’aviez pas de chemin de jonction, il en résulterait un grand embarras pour le transport des marchandises. D’après ce qu’a dit le ministre des finances qu’il fallait forcer les voyageurs à s’arrêter à Bruxelles, j’ai dû penser qu’il n’y aurait pas de chemin de jonction.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - J’ai constamment dit qu’on convierait les voyageurs à s’arrêter à Bruxelles, et que par la force les choses ils s’y arrêteraient nécessairement, s’il y avait une station intérieure. Mais il est entendu qu’on n’amènera le voyageur dans Bruxelles que s’il le désire, s’il veut s’y arrêter ; il n’y aura d’ailleurs pas plus de perte de temps qu’il n’y en aurait s’il n’était construit qu’une station centrale. Je suppose qu’il arrive 500 voyageurs de Paris à l’Allée-Verte, autant de Gand et de Liége, dont une partie veuille continuer vers Anvers et vers Paris, et une autre s’arrêter à Bruxelles ; il faut retirer les bagages de ceux qui restent et recharger les bagages et les voyageurs qui continuent, sur d’autres voitures, parce qu’un matériel spécial est affecté à chaque section ; eh bien, quand il y aura des changements semblables à faire pour 1,500 personnes, ne perdra-t-on pas plus de temps que pour aller en omnibus de l’une à l’autre de deux stations ?

M. Gendebien. - Messieurs, pour bien établir la discussion voyons quel est l’état des choses actuel en Belgique ? De quelque part qu’on vienne on arrive péniblement, en s’arrêtant de ville en ville, au point central qui est Bruxelles pour toutes les communications. Il n’y a pas un seul entrepreneur dont les voitures traversent Bruxelles sans s’arrêter. Chacun des voyageurs descendent au bureau, et force lui est, s’il ne veut pas marcher à pied, d’envoyer chercher un fiacre qu’il attend longtemps, pour se faite transporter où il veut aller, ou bien, il faut qu’il prenne un commissionnaire pour porter ses bagages et il le suit à pied. Au lieu de cela, les voyageurs arrivant par le chemin de fer seront transportés rapidement à travers la Belgique, arriveront à la station des Bogard et là, pour 50 centimes, un omnibus les transportera en peu de temps au centre de la ville ou à l’autre station.

Vous vous intéressez, dites-vous aux voyageurs : mais si vous voulez mieux que ce qu’on vous propose ; si vous voulez qu’on voyage avec une telle célérité qu’on traverse la Belgique sans s’arrêter un instant ; si vous voulez qu’elle se ruine pour les voyageurs, et qu’elle ne retire aucun avantage de ses communications établies à si grands frais, je ne vois qu’un moyen sûr : embarquez vos voyageurs dans une bombe et lancez ainsi d’une frontière à l’autre, par-dessus la Belgique ; ou bien faites voyager en ballon, on ne sera arrêté par aucune ville, par aucun obstacle, la Belgique n’y gagnera rien, mais elle sera aussi dispensée de dépenser des millions pour ses chemins de fer.

Les voyageurs seront forcés, dit-on, de séjourner, de s’arrêter au moins cinq quarts d’heure à Bruxelles. Maie ils trouveront à la station des omnibus pour les transporter d’une station à l’autre ; sept ou huit minutes suffiront pour traverser la ville, ils ne seront donc pas forcés à un séjour ni à un retard. Et combien de voyageurs traversent la ville de Bruxelles sans s’y arrêter ? Les diligences sont composées, terme moyen de 15 personnes, j’en sais quelque chose, car c’est le moyen de transport que me permet ma fortune ; il est bien rare que, sur 15 personnes, il y ait une qui ne s’arrête pas à Bruxelles, souvent toutes y arrivent à destination. En un mot, le plus souvent, il y a à peine un voyageur sur 15 ou 20 qui traverse la ville sans s’y arrêter ; eh bien, vous feriez faire un circuit autour de la ville à 19 voyageurs qui veulent s’arrêter au centre, pour un seul qui voudra passer outre.

Je parle plus que vous dans l’intérêt des voyageurs en défendant la station des Bogards ; car si on ne l’admettait pas, les arrivants seraient obligés, en arrivant en face de la capitale, de recommencer un nouveau voyage autour de la ville, avant de s’arrêter. Veuillez bien remarquer que le point central de Bruxelles, c’est la Grand-Place. Je demande s’il n’y a pas une distance quadruple, de la Grande-Place à l’Allée-Verte, que des Bogards à la Grande-Place, car, remarquez-le bien, on va faire des rues droites en face de la station. Vous voyez que c’est défendre la cause des voyageurs que de défendre la station des Bogards, puisque sur 20 voyageurs, 19 qui auraient pu arriver au centre de la ville seraient débarqués à la partie la plus éloignée du centre, pour éviter à un vingtième, le désagrément de traverser la ville pour continuer son voyage.

Ainsi, il nous arrivera, je suppose, du Hainaut 200,000 voyageurs, de Paris 50,000, ce n’est qu’une proportion prise au hasard ; sur ce nombre, il y en aura peut-être 10,000 qui désireront ne pas descendre des waggons, et il faudra, pour satisfaire cette volonté ou ce caprice, que les 240,000 autres indigènes ou étrangers qui désireront se rendre le plus tôt possible au centre de Bruxelles, fassent le circuit tout en s’éloignant du centre des affaires ? Ce serait ridicule, ce serait absurde.

On nous a dit qu’il y aurait plus d’économie à agrandir la station de l’Allée-Verte, mais c’est là une simple allégation. Je voudrais au moins qu’on citât un fait à l’appui de cette assertion ; je voudrais qu’on dît comment on pourrait agrandir cette station à moins de la rapprocher du pont de Laeken ; car, vous avez d’un côté l’Allée-Verte (je ne pense pas que le gouvernement soit disposé à exproprier l’Allée-Verte), et de l’autre côté vous avez des bâtiments qu’on ferait payer fort cher. Comment donc agrandirait-on cette station ? en l’allongeant. Vous allez ainsi gêner encore les voyageurs, plus qu’ils ne le sont aujourd’hui. L’encombrement est déjà tel qu’à ma connaissance, il empêche beaucoup de personnes de voyager par le chemin de fer. Je pourrais me citer au nombre de ces personnes ; car, comme je n’ai plus de campagne depuis la révolution, j’irais peut-être 25 fois par été à Malines, Louvain, Anvers, Gand, Liége ou ailleurs ; eh bien, je m’en abstiens parce que je crains l’encombrement pour ma femme et mes enfants qui le craignent encore bien plus que moi. Ce que je dis de moi-même, je puis le dire de toutes les personnes qui ne voyagent pas seules mais avec leur famille.

Quand toute la France va arriver à votre station de l’Allée-Verte, comment ferez-vous ? Déjà cette station a aujourd’hui un nombre de voyageurs triple et même quadruple de celui qui avait été prévu en 1834. Il y a déjà encombrement ; eh bien quand le chemin de fer dépassera Anvers, il vous viendra des voyageurs de la Hollande et de la Prusse ; tout cela arrivera à votre station unique de l’Allée-Verte ; comment ferez-vous donc ? Mais non seulement alors il vous faudra une station aux Bogards, pour la France, il vous faudra en outre, comme je l’ai déjà dit, une seconde station vers Malines, station qui serait située au bout de la rue Neuve, prolongée à travers le jardin de feu le baron Van Volden. Cette station serait consacrée pour Liége et pour toute l’Allemagne. Cette division sera, j’en suis convaincu, reconnue bientôt indispensable, et alors l’occasion sera perdue de la réaliser. Si vous voulez n’avoir qu’une seule station à l’Allée-Verte, quand la Hollande, l’Allemagne et toute la France vous arriveront, à moins de prolonger cette station unique jusqu’à Vilvorde, je ne sais comment vous ferez pour distinguer les arrivants des partants. (On rit.)

On veut éviter à quelques voyageurs le désagrément de traverser la ville et de perdre 10 ou 15 minutes ; mais il n’y aura aucune perte de temps, car rarement au moment de l’arrivée d’un convoi un autre convoi ne sera prêt à partir immédiatement ; il y aura toujours nécessairement 15 ou 16 minutes d’attente ; or que les voyageurs attendent 15 ou 25 minutes à une station unique ou qu’ils restent 5 minutes en omnibus et 10 ou 15 minutes à la station de départ, n’est-ce pas exactement la même chose ? Vous voyez donc que de quelque manière qu’on considère la question, les voyageurs ne seront en aucune façon molestés et c’est même dans l’intérêt des voyageurs qu’il faut établir une station aux Bogards et qu’il faudra incessamment établir une troisième station au bout de la rue Neuve.

On vous a dit que la loi de 1834 n’a pas accordé une seconde station à la ville de Bruxelles. On n’a pas pensé à cette seconde station en 1834, par une raison très simple, c’est que le projet de loi ne parlait pas de chemins de fer pour le Hainaut. C’est par amendement que cette ligne a été introduite dans la loi, et il n’a pas même été alors question de Mons : ce n’est que depuis qu’on a reconnu qu’un chemin de fer pour Mons serait d’un immense produit et qu’on a songé à l’établir. Dès lors il est tout naturel d’établir une seconde station, bien qu’on n’y ait pas pensé en 1834.

Ensuite quand on a fait la loi de 1834 on n’avait pas prévu le grand nombre des voyageurs ; or, il est quadruple du nombre présumé ; et quand toutes les constructions seront complétées, ils seront décuplés, décuples peut-être, au moins quant au point d’arrivée à la capitale.

On vous a dit encore que c’était un pur intérêt de localité qui faisait demander l’établissement de la station des Bogards, qu’il n’y avait pas de raison pour que Malines ne demandât que le chemin de fer entrât dans la ville et qu’il y fût établi une station. Je vous ferai remarquer que la station de Malines est presque aussi grande que la ville même, qu’il eût été par conséquent bien difficile de l’y établir. Si on l’avait essayé, on aurait été rebuté bientôt par l’exigence des habitants ; et en définitive, pour avoir une station beaucoup moins commode, on l’aurait payée le double ou le triple. Quelle comparaison y a-t-il d’ailleurs entre Malines et la capitale ?

Mais on a dit que puisqu’il s’agissait d’intérêt de localité (je crois avoir prouvé qu’il n’y avait d’intérêt réel que pour les voyageurs), Bruxelles devait payer la station tout entière . M. le ministre des travaux publics a déjà répondu que la ville de Bruxelles contribuerait à la dépense pour un tiers. Grâce à son influence (le ministre l’a assuré et je puis l’affirmer), le gouvernement sera traité pour l’expropriation mieux qu’il ne l’a été nulle part. Mais, dit-on, la ville de Bruxelles ne pourra pas même payer ce tiers ; car dans une séance récente du conseil communal, dit-on, il a été dit qu’on paierait quand on pourrait ; un autre membre a même ajouté que l’état de la ville était tel qu’on ne pouvait espérer qu’elle paierait ; que c’était une véritable mystification.

Si la ville de Bruxelles est dans la malheureuse position de douter si elle pourra faire les fonds de ce tiers de la dépense, à qui la faute ? C’est la conséquence de la révolution, en vertu de laquelle vous êtes ici. Qui l’a placée dans cette position ? La plus noire ingratitude. La ville de Bruxelles sera obligée, peut-être, non seulement de renier le paiement de ce tiers, mais encore de manquer à bien d’autres engagements ; car à l’heure qu’il est la ville de Bruxelles, la capitale de la Belgique si prospère, ne paie plus ses rentes. Et cela pourquoi ? Parce que Bruxelles a été choisi par votre ennemi, pour champ de bataille, parce que Bruxelles a été le foyer de l’insurrection et de toutes les intrigues. Qui a donné à la Belgique l’indépendance dont vous vous vantez chaque jour ; qui lui a donné la prospérité dont vous vous réjouissez chaque jour ? N’est-ce pas Bruxelles ?

Il faut donc que Bruxelles soit ruiné, au milieu de la prospérité générale, alors que Bruxelles a donné et parce qu’il a donné la liberté et l’indépendance à la Belgique entière !

Je ne répondrai pas à de pareilles assertions.

Quand j’entends ajouter au malheur l’ironie et l’insulte, je n’ai plus besoin de répondre. Le pays seul répondra !

M. Verdussen. - La question soulevée par l’honorable M. A. Rodenbach s’agrandit à mesure que la discussion marche. En effet, il me semble que cela influera sur le vote que nous avons à émettre, et tellement que je regrette amèrement que, dans la section centrale, on ne se soit pas occupé de l’emploi des 37 millions demandés. Cela tient à ce que nous avons cru voir que la somme de 7 millions ou 56 millions effectifs était nécessaire pour l’achèvement du système décrété par la loi du 1er mai, mais dans le sens de cette loi.

Je crois qu’il faut ici parler franchement. On n’a parlé jusqu’ici que de la ville de Bruxelles. Je dis moi que si le système des stations intérieures, préconisé par M. le ministre des travaux publics, devait être suivi pour toute autre localité, je voterais contre la loi en discussion ; et s’il allait s’agir d’établir des impasses à Gand, à Bruges, à Anvers, de couper enfin la ligne établie d’un bout du pays à l’autre, et de forcer soit en apparence, soit réellement, les voyageurs à descendre ; je n’y donnerais pas mon assentiment et ne voterais plus un centime. Comment ! c’est dans l’intérêt seul de la ville de Bruxelles qu’il faut convier les voyageurs à venir dans l’impasse des Bogards, et si les voyageurs arrivés de France ou du Hainaut veulent ne pas descendre et préfèrent continuer leur route, ils ne le pourront pas !

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je viens de dire le contraire.

M. Verdussen. - Il n’en sera rien, puisqu’on a dit qu’il fallait convier les voyageurs à rester à Bruxelles.

Quel est l’argument de M. le ministre des travaux publics ? Lorsqu’on est arrivé à Malines, pourquoi se chagrine-t-on du retard ? C’est, dit-il, parce qu’on ne sait que faire de son temps pendant le quart d’heure qu’il faut attendre le convoi. A Bruxelles que fait-on ? On envoie les gens se promener. (On rit.) Si un convoi part de la station de l’Allée-Verte, aussitôt après l’arrivée d’un convoi à la station des Bogards, ceux qui partent pour Anvers par ce convoi seront arrivés à leur destination, lorsque ceux qui auront préféré l’invitation qui leur était faite de rester à Bruxelles auront fini du boire leur tasse de café à la place de la Monnaie.

On dit que la station des Bogards sera très avantageuse pour les voyageurs qui voudront rester à Bruxelles ; mais je dis que ce sera pour eux, quant à la dépense, la même chose ; car ils ne pourront faire transporter leurs bagages de la station des Bogards à l’hôtel, à moins d’un demi-franc, ce que coûte l’omnibus de l’Allée-Verte à Bruxelles.

Au reste le but avoué est d’attirer et même de retenir les voyageurs à Bruxelles.

On a beaucoup vanté la facilité qu’il y aurait à avoir deux stations ; mais qui empêche qu’il y ait une station pour la France du côté d’Anderlecht tandis qu’il y aurait toujours la station de l’Allée-Verte ? Il n’y aurait pas là grand inconvénient, car à ceux qui viendraient de Malines et qui auraient des affaires à Bruxelles on pourrait destiner les dernières voitures du convoi qu’il s’agirait de détacher seulement à la station, et les autres poursuivraient leur route. Il en serait de même pour ceux qui viendraient de France. On mettrait dans les voitures à la queue du convoi ceux qui veulent descendre à Bruxelles. On peut faire également des compartiments pour les bagages de ceux-ci, et les autres voitures continueraient leur route.

Il y aurait perte de temps de cinq quarts d’heure avec la double station ; c’est précisément le temps qu’il faut pour aller de Bruxelles à Anvers ; cette perte, considérable pour les voyageurs, l’est bien plus encore pour les lettres et pour les transports des militaires.

D’ailleurs peut-on voir rien de sérieux dans la promesse faite par la ville de Bruxelles, d’entrer pour un tiers dans les frais ? Cette promesse est illusoire de la part d’une ville qui, au dire d’un député qui est en même temps conseiller de régence, est dans le cas de ne pas pouvoir faire face à ses engagements les plus sacrés, à l’acquittement des intérêts des capitaux dont elle est grevée ; je ne me laisserai pas prendre à un pareil piège. Si la double station n’est qu’une impasse, je voterai contre la loi.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - J’ai déjà déclaré qu’il n’y aurait pas solution de continuité. Le plan qui m’est soumis un ce moment, est conçu dans ce sens : Il y aura possibilité d’aller directement soit à l’une soit à l’autre station ; mais je le répète, je crois que la majorité des voyageurs voudra s’arrêter à Bruxelles. Je ne fais pas de ceci une question de théorie ; tous les jours je me renforce dans la connaissance des faits. L’année dernière, sur un total de 1,384,516 voyageurs, il y en a eu 391,428 qui ont pris leurs places à Bruxelles ; eh bien, je dis que lorsque de tels faits sont constatés par l’expérience, on peut en conclure qu’il y aura à Bruxelles une telle affluence de voyageurs que la centralisation entraînerait les plus graves inconvénients.

En centralisant, il faudrait agrandir la station actuelle, ce qui coûterait à peu près autant que l’établissement d’une seconde station.

Une station unique causerait donc les plus grands embarras sans produire d’économie dans les dépenses. Vous connaissez les embarras de la station centrale de Malines ; voulez-vous en recommencer l’expérience à Bruxelles ? La station de Malines est grande, il faut l’agrandir encore.

Je le répète, que l’on fasse deux stations, que l’on n’en fasse qu’une, les frais seront les mêmes à peu près ; restent les embarras de la centralisation extrême dans le cas de la station unique.

- La séance est levée à quatre heures et demie.