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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 7 mai 1838

(Moniteur belge n°128, du 8 mai 1838)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. B. Dubus fait l’appel nominal à une heure et demie.

M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance d’avant-hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. B. Dubus fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.

« Le conseil communal de la ville (erratum inséré au Moniteur belge n°131, du 11 mai 1838) d’Ath demande la réforme électorale et l’uniformité du cens. »


« L’administration communale de Lierre demande la construction d’un embranchement du chemin de fer de Lierre au chemin principal, conformément à la dépêche de M. le ministre, en date du 30 juin 1836. »


« Le sieur Dominique Van Bauwel, milicien de 1832, demande son licenciement par suite du décès de l’un de ses frères. »


« Des fabricants, marchands et cultivateurs de Lin de Wevelghem et communes environnantes, adressent des observations sur le projet de loi relatif à la canalisation de la Lys. »


« La dame Marie-Thérèse Stallemans, veuve Peeters, se plaint de ce que sa pension comme veuve de victime de septembre lui ait été retirée. »


M. Mast de Vries. - Messieurs, je demande que la pétition de la ville de Lierre soit renvoyée à M. le ministre des travaux publics ; car il est probable qu’il n’y aura plus de rapport de pétitions avant que la chambre s’ajourne.

M. Gendebien. - La chambre a déjà passé à l’ordre du jour sur des pétitions de même nature.

M. de Brouckere. - Est-ce qu’on entend, en proposant le renvoi, appuyer la pétition ? Il faudrait, en cas d’affirmative, que nous la connussions. Dans le cas contraire, le renvoi est tout à fait inutile.

M. Mast de Vries. - Messieurs, voici de quoi il s’agit. La ville de Lierre a voulu faire un embranchement du chemin de fer à ses frais ; le gouvernement lui a fait connaître qu’elle ne pouvait pas construire cet embranchement à ses frais, et que lui-même s’en chargerait. La ville de Lierre réclame l’accomplissement de la promesse qui lui a été faite.

M. de Brouckere. - Il s’agit donc d’une affaire contentieuse. Eh bien, si l’assemblée, sans connaître l’affaire, renvoyait la pétition au département des travaux publics, ce serait appuyer les réclamations des pétitionnaires. Si le renvoi n’est pas un appui offert aux pétitionnaires, il est tout à fait illusoire, et les pétitionnaires obtiendront le même résultat en adressant la pétition au gouvernement. Je crois donc que le renvoi de la pétition ne peut avoir lieu sans que nous ayons eu d’abord un rapport de la commission.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, voici quelques faits qui se rattachent aux antécédents de cette affaire. Un embranchement sur Lierre a été compris dans l’étude primitive du chemin de fer d’Anvers à la frontière prussienne, et la loi du 1er mai a été votée dans l’idée que cet embranchement, compris dans le devis, serait exécuté en même temps que le chemin de fer d’Anvers à la frontière de Prusse.

Cet embranchement devait en effet être exécuté ; mais jusqu’à présent, le projet n’est pas complétement étudiée, parce que deux directions se présentent, l’une vers Contich et l’autre vers Vieux-Dieu. Dès que la direction sera décrétée, le gouvernement donnera suite à ce qu’il faut regarder comme un engagement tacite de la législature, quoiqu’il ne soit pas formellement question de l’embranchement de la ville de Lierre dans la loi du 1er mai.

M. de Jaegher. - Si j’ai bien compris M. le ministre des travaux publics, il veut faire une exception en faveur de l’embranchement sur Lierre, entre tous les embranchements qui, dans le temps, ont été demandés per différentes localités. Il me semble que l’embranchement sur Lierre rentre dans la même catégorie que les autres embranchements...

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Non ! non !

M. de Jaegher. - Lorsque cet embranchement a été sollicité, il n’était encore question que du chemin de fer d’Anvers à Bruxelles, et l’on conçoit qu’à une pareille époque une pareille demande n’ait pas rencontré de grandes difficultés ; mais aujourd’hui que les lignes s’étendent et que des localités plus importantes que celle de Lierre sont également à proximité du chemin de fer, il me semble que la question est changée, et que si l’Etat a des ressources à appliquer à des embranchements, il faut encore examiner quel est l’embranchement le plus important. Je ferai à cette occasion une observation qui concerne la localité à laquelle je dois m’intéresser particulièrement. Un chemin de fer doit se diriger de Gand vers la frontière française ; ce chemin de fer pouvait prendre deux directions, celle du bassin de la Lys ou celle du bassin de l’Escaut. Eh bien, on a pris la première direction au préjudice du bassin de l’Escaut. On a dit qu’il y aurait moyen de concilier les deux intérêts, en réunissant les deux bassins par un embranchement. Voilà donc un embranchement qui sera au moins aussi important que celui de Lierre.

M. de Brouckere. - Messieurs, ce qui vient de se passer prouve qu’on ne peut pas admettre le renvoi de la pétition au ministre des travaux publics ; car, sans même que nous connaissions le contenu de cette pétition, la discussion s’engage déjà sur le fond même de la pétition. Nous rentrerons dans les vues de l’honorable M. Mast de Vries, en manifestant le désir que la commission s’occupe le plus tôt possible de la pétition, et nous fasse son rapport dans le plus bref délai, au moins avant la fin de la session. J’en fais la proposition.

- Cette proposition, à laquelle se rallie M. Mast de Vries, est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi modifiant le tarif général du timbre

Motion d'ordre

M. Metz (pour une motion d’ordre.) - Messieurs, il y a déjà longtemps que les journaux font entendre leurs plaintes sur l’impôt dont ils sont frappés ; depuis longtemps aussi on leur a promis justice, et le gouvernement l’a si bien senti que, dans le projet de loi sur le timbre, il y a une réduction sur le droit qui frappe actuellement les journaux. Cependant il y a quelques jours que la chambre a ajourné à une époque assez éloignée la discussion de la loi entière sur le timbre, sous prétexte que cela devrait donner lieu à de longs débats. Comme il conviendrait cependant de rendre justice aux journaux, je pense que nous pourrions facilement séparer de la loi les articles qui concernent les journaux, pour en faire un projet de loi séparé. J’ai l’honneur d’en faire la proposition à la chambre.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, je ne pense pas qu’il y ait lieu à admettre la motion de l’honorable préopinant. Le projet de loi sur le timbre contient en effet une disposition relative aux journaux ; cette disposition doit amener une réduction assez notable sur le produit actuel, car la réduction doit s’élever au moins au tiers d’un impôt qui monte en totalité à plus de 250,000 francs.

D’un autre côté, la loi dont il s’agit comprend des dispositions qui doivent, par compensation, maintenir les revenus sur le timbre au taux où ils sont aujourd’hui.

Dans un pareil état de choses, et eu égard aux besoins du trésor, il nous paraît tout à fait insolite de scinder un projet de loi qui est présenté par le gouvernement et qui forme un ensemble ; il nous paraîtrait contraire aux intérêts généraux de donner une priorité à la discussion de la partie du projet qui doit amener une diminution dans les ressources de l’Etat.

Du reste, pourquoi scinder la loi ? Quel motif invoque-t-on pour agir ainsi ? Je n’en aperçois pas. Qu’on mette la loi entière à l’ordre du jour, je ne demande pas mieux. La session ne doit pas se clore immédiatement, nous avons encore le temps d’examiner ce projet et d’autres questions importantes. Voyons donc la loi dans son ensemble, et c’est ainsi que nous agirons véritablement dans les intérêts généraux du pays, sans établir un privilège pour aucune classe de citoyens.

Je demande, messieurs, qu’on mette à l’ordre du jour la loi sur le timbre, lorsque les objets dont la discussion a déjà été fixée auront été épuisés.

M. Metz. - Je me rallie volontiers à cette motion, sauf, si elle et rejetée, à reproduire celle que j’ai faite.

M. de Brouckere. - Messieurs, si ma mémoire est fidèle, dans la séance de samedi, le rapporteur de la section centrale s’est en quelque sorte opposé à ce que le projet de loi sur le timbre fût mis à l’ordre du jour. Je voudrais savoir si dans l’opinion de la section centrale, rien ne s’oppose à ce que le projet soit discuté dans cette session.

M. Demonceau, rapporteur. - Messieurs, dans la séance de vendredi, je vous ai dit que si nous n’étions pas d’accord avec te gouvernement sur les propositions de la section centrale, je pensais que la loi subirait une longue discussion. Je faisais observer cependant que s’il ne s’agissait que du timbre des journaux, il serait possible de s’en occuper, et que la question me paraissait même assez simple, parce qu’aujourd’hui tous les journaux semblent disposés à adopter le système de la section centrale.

Je dois ajouter que M. le ministre des finances a pensé trouver une compensation à la réduction qu’il a proposée dans une augmentation que la section centrale repousse. Je dois dire aussi qu’il est un article où la section centrale est d’accord avec le gouvernement et qui servira peut-être à compenser la réduction : je veux parler du timbre relatif aux annonces. Aujourd’hui le timbre des journaux et celui des annonces sont régis par les mêmes lois. Or, nous admettons trois centimes pour le timbre des journaux, et cinq centimes pour le timbre des annonces : j’ignore si cette augmentation compensera la réduction que les revenus de l’Etat doivent éprouver, par suite de la diminution de l’impôt sur les journaux.

A entendre les organes de la presse, moins le timbre est élevé, plus le droit du timbre deviendra productif pour le gouvernement ; car les abonnés deviendront plus nombreux, quand le prix de l’abonnement pourra être proportionnellement réduit.

Aujourd’hui, je dois le reconnaître, nous avons une loi spéciale qui régit la matière, le timbre des journaux, des annonces et des affiches. Mais le projet du gouvernement est une refonte de toutes les lois sur le timbre. Pour moi, je ne vois pas d’inconvénient à faire une loi particulière sur le timbre ; je suis prêt à défendre la loi dans son entier, ou en partie si on veut la diviser.

M. Metz. - La chambre se trouvera peut-être arrêtée pour la motion de M. d’Huart par cette raison que la discussion de toute la loi devra prendre plusieurs jours. Cette considération ne devrait pas arrêter la chambre pour ma motion, car la discussion de la loi du timbre, en ce qui concerne les journaux, durera tout au plus la moitié d’une séance.

Il ne faut pas se laisser influencer par cette considération que l’ensemble de la loi, en réduisant le timbre sur les journaux, donne au trésor une compensation sur une autre nature de timbre. Je ne partage pas cette opinion que la réduction du timbre sur les journaux doive entraîner une réduction dans les produits du trésor. Il est reconnu que partout où le taux du timbre a été diminué, le produit s’est élevé, parce que les journaux pouvant se livrer à meilleur marché se répandent avec plus de profusion. Je ne pense donc pas qu’en abaissant le timbre des journaux, comme il est juste de le faire, le revenu du trésor doive subir une réduction qu’il faille compenser.

Si ma motion est admise, l’expérience, j’aime à le croire, prouvera ce que j’ai eu l’honneur d’avancer.

M. Gendebien. - En mettant à l’ordre du jour la loi sur le timbre, il est bien entendu qu’on laisse intacte la question de savoir si l’on discutera cette loi ou si on ne la discutera pas.

M. le président. - A quel jour veut-on fixer cette discussion ?

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - A vendredi.

M. de Brouckere. - Si on termine aujourd’hui les objets qui sont à l’ordre du jour, que ferons-nous alors demain et après-demain ? Je demande qu’on fixe l’ordre de la discussion de cette loi avant de passer au vote de la loi dont nous allons nous occuper.

M. Gendebien. - Il vaut mieux fixer éventuellement la discussion à demain, sauf à l’ajourner à après-demain, si nous ne terininons pas aujourd’hui les deux projets à l’ordre du jour.

- La chambre, sur la proposition de M. le ministre des finances, décide qu’elle fixera, à la fin de la séance, le jour de la discussion de la loi sur le timbre.

Projet de loi qui ouvre un crédit au budget de l'intérieur pour l'encouragement de la culture de la garance

Dépôt et rapport de la commission d'industrie

M. Desmaisières. - J’ai à vous présenter le rapport de la commission permanente d’agriculture, d’industrie et de commerce, sur les pétitions qui lui ont été renvoyées relativement à la garance.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport.

M. Pollénus. - D’après la communication qui vient de m’être faite par le rapporteur, il semble que les conclusions de la commission tendent à proposer, en faveur de la culture de la garance, des encouragements qui depuis longtemps ont été réclamés en faveur de cette branche d’agriculture. Je demande qu’on mette prochainement à l’ordre du jour ce rapport. Je ne pense pas que la discussion donne lieu à de longs débats.

M. de Jaegher. - M. Pollénus propose de fixer prochainement la discussion du projet présenté par la commission d’industrie en faveur de la garance, paraît-il, car jusqu’ici personne n’en a connaissance. Ce projet, si c’est un projet d’encouragement, intéresse deux espèces d’industrie, l’agriculture et les fabricants de cotonnades, de draps et de tous les produits pour lesquels on emploie la garance.

Je pense que ce projet peut être très bon, mais il faut que les industries qu’il pourrait menacer aient le temps d’adresser leurs observations à la chambre. Nous ne devons pas donner suite, quant à présent, à la proposition de M. Pollénus .

M. Van Hoobrouck. - La commission d’industrie propose d’accorder des encouragements à la culture de la garance. Si M. de Jaegher avait eu connaissance du rapport que M. le rapporteur a bien voulu nous communiquer, je suis persuadé qu’il n’aurait pas fait les observations que vous venez d’entendre. Il s’agit purement et simplement de consacrer à la culture de la garance les sommes mises à la disposition du ministre pour cet objet les années précédentes et qui n’ont pas été employées. Je pense que cet objet ne peut pas souffrir la moindre difficulté à la chambre. J’appuie la proposition de M. Pollénus.

M. de Jaegher. - Si la chambre avait eu connaissance du projet qu’on propose de mettre à l’ordre du jour, je ne me serais pas opposé à la proposition.

M. Desmaisières. - Pour mettre fin à ce débat, je demanderai la permission de lire le projet qui ne se compose que de deux articles. (Lisez ! lisez !) (L’honorable membre donne lecture de ce projet de loi.)

Je crois qu’il est réellement urgent de discuter ce projet, parce que l’époque de la plantation est arrivée. C’est vers la fin de mai qu’on plante ordinairement la garance. Si on veut que la loi ait son effet cette année, il faut la discuter promptement. Elle ne rencontrera, je pense, aucune difficulté.

M. de Brouckere. - Après la loi sur le timbre.

- La discussion du rapport de la commission d’industrie est fixée après le vote de la loi sur le timbre.

Projet de loi autorisant un emprunt affecté à l'extinction de bons du trésor et à la continuation des travaux du chemin de fer

Discussion générale

M. le président. - Je demanderai à M. le ministre des finances s’il se rallie au projet de la commission.

M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Le projet du gouvernement a pour but de l’autoriser à la fois à contracter un emprunt pour faire face aux dépenses de l’achèvement des chemins de fer, et pour opérer la conversion de l’emprunt de 100,800,000 fr. en 5 p. c. ; (Erratum inséré au Moniteur belge n°129, du 9 mai 1838 :) mais aucun délai n’est prescrit pour cette double opération le gouvernement resterait juge de l’opportunité, maître d’user de l’autorisation, lorsqu’il en croirait le moment arrivé, dans l’intérêt du pays. Il lui serait loisible d’emprunter en une ou plusieurs fois ; son action ne devrait être aucunement limitée.

Je reste persuadé, messieurs, qu’il n’y aurait aucun inconvénient à voter le projet tel qu’il vous est soumis, et qu’au contraire ce projet aurait l’immense avantage de permettre au gouvernement de saisir le moment d’opérer la conversion du 5 p. c. dès que ce moment s’offrirait, ce qui est essentiel, car personne n’ignore la variation presque continuelle du cours des fonds publics, les fluctuations sensibles que provoque la simple appréhension, réfléchie ou non réfléchie, d’événements de diverses natures.

Je dois toutefois reconnaître que des incidents de politique extérieure, l’imminence de grandes mesures financières dans un pays voisin, sont venus modifier l’état de choses qui existait lors de la présentation de la loi ; à ces considérations, la section centrale en ajoute d’autres sur l’opportunité de la conversion, qui ne peuvent manquer de faire impression. Dans cette position, je crois agir selon les intentions de la chambre en n’essayant pas de soutenir et de faire prévaloir, dès maintenant, l’ensemble du projet que j’ai eu l’honneur de vous soumettre. Je me rallie à celui de la section centrale, tendant à borner l’opération à la partie qui ne peut subir d’ajournement, c’est-à-dire, à celle qui a pour objet de donner au gouvernement les moyens de continuer les travaux des chemins de fer décrétés.

La rédaction de la loi qui vous est proposée par la section centrale laisse au gouvernement toute latitude sur le mode à suivre pour contracter l’emprunt et sur le taux de l’intérêt ; cette latitude nous est indispensable pour l’exécution utile de la loi, car dans de semblables opérations (Erratum inséré au Moniteur belge n°129, du 9 mai 1838 :) rien ne doit être arrêté d’avance en théorie, il faut rester libre d’user de ce qui est pratique.

Je dis, messieurs, que je me rallie à la proposition de la section centrale, parce que je trouve dans sa rédaction toute liberté d’action ; parce que, modifiant dans les développements de cette rédaction, spéciale pour l’emprunt destiné à la construction des chemins de fer, les principes et les raisonnements émis en ce qui concerne la conversion, le rapport de la section centrale déclare suffisamment ne pas vouloir obliger moralement le gouvernement à préférer tel système d’emprunt à tel autre.

Il serait intempestif, messieurs, puisqu’il ne s’agira actuellement que de l’emprunt destiné aux travaux du chemin de fer, de vous exposer mon opinion sur les vues exprimées dans le rapport de la section centrale en ce qui concerne la conversion. J’attendrai, messieurs, que cette seconde question arrive spécialement à la discussion pour me prononcer.

M. le président. - Ainsi M. le ministre des finances se rallie au projet de la section centrale. La discussion est ouverte sur l’ensemble de ce projet.

M. Verhaegen. - Par le projet en discussion, le gouvernement vous demande de l’autoriser à emprunter jusqu’à concurrence d’un capital nominal de 37 millions à un intérêt de 4 1/2 p. c. ou à un intérêt moindre avec augmentation relative du capital nominal. Les fonds à provenir de cet emprunt seraient affectés à l’extinction de dix millions de bons du trésor créés en vertu de la loi du 12 novembre 1837, et à la continuation des travaux des chemins de fer.

En discutant ce projet d’emprunt, il ne sera pas inutile d’examiner si l’Etat doit continuer de construire à ses frais toutes les lignes des chemins de fer destinées à lier les diverses parties de la Belgique.

Allouer sans examen au gouvernement les fonds qu’il sollicite pour ces constructions, ce serait lui donner les moyens de persévérer dans un système qui selon moi est essentiellement vicieux, dans un système qui est repoussé par tous les pays qui ont adopté ces nouvelles voies de communication ; les Etats-Unis d’Amérique, l’Angleterre, l’Allemagne, la Hollande, nous ont indiqué les seuls moyens de réussite, et la France tout récemment encore nous a donné d’utiles leçons.

Ne perdons pas de vue que l’utilité des chemins de fer pourrait être mise en doute si les frais de construction et d’administration étaient tellement élevés qu’il faudrait augmenter les péages ou lever de nouveaux impôts pour couvrir les intérêts, je ne dirai pas encore l’amortissement des emprunts. L’enthousiasme a certes son bon côté, mais prenons garde qu’il ne nous entraîne à des mesures fiscales dont auraient à souffrir les classes les plus nombreuses de la société, déjà frappées par l’impôt dans leur strict nécessaire.

Tout l’avenir, toute la question des chemins de fer se résout dans une question d’argent. Construisez à bon compte, administrez sagement et avec économie, pour que vous puissiez offrir au commerce des péages modérés ; l’utilité sera démontrée et la réussite sera certaine ; au contraire, si vous construisez à grands frais, vous vous éloignez du but et vous chargez inutilement le pays de dépenses considérables.

Loin de nous de vouloir, par nos observations, arrêter l’essor de la Belgique, car des compagnies, investies de la confiance générale, offrant toutes les garanties désirables de moralité et de savoir, sollicitent la concession de plusieurs chemins de fer ; ces compagnies construiront mieux et à meilleur compte que le gouvernement. C’est une vérité qui s’applique par gradation. Les particuliers construisent à meilleur compte que l’Etat et même que les sociétés. Les chemins de fer ne pouvant être construits par de simples particuliers, il faut bien recourir à ceux qui, après eux, construiront le mieux et à meilleur compte. C’est pour les grandes constructions que le code de commerce a introduit la société anonyme.

« L’industrie particulière, disait M. Molé en 1833 à la tribune française, a le secret du juste rapport des avantages et des dépenses. Elle seule sait approprier les travaux à leur fin, elle seule sait éviter les folles dépenses où entraîne le grandiose dans les travaux qui ne le réclament pas. »

Ce goût ruineux pour le grandiose se rencontre chez les ingénieurs de tous les pays et surtout chez nous ; on construit de beaux et d’énormes bâtiments qui font l’objet de l’admiration et la réputation des architectes ; on absorbe dans ces constructions des capitaux immenses, et souvent la partie essentielle, celle d’utilité et de garantie individuelle, est négligée.

Ces vues générales, applicables à toutes les natures de travaux possibles en faveur de compagnies, se fortifient quand il est question de chemins de fer : dans un chemin de fer il ne s’agit pas uniquement de nivellements, de tracés, de travaux d’art ; des transactions commerciales y jouent un rôle important. Les affaires de commerce supposent une aptitude toute spéciale qui ne s’acquiert que par l’expérience. Les achats de terrains, de rails, de machines, de locomotives, se font moins bien et à des conditions moins favorables par les employés de l’Etat que par ceux des compagnies.

Cette vérité a été si bien sentie en Hollande, où les questions d’intérêt matériel sont ordinairement bien appréciées, que tout récemment les états-généraux ont rejeté à l’unanimité, sauf une voix, la proposition du gouvernement, voulant exécuter lui-même le chemin de fer entre Rotterdam et Amsterdam, Utrecht et Arnhem.

Notre loi du 1er mai 1834, autorisant l’exécution d’un système de chemins de fer qu’elle détermine à charge du trésor public, et par les soins du gouvernement, n’a été portée qu’après de longues et vives discussions, et ne peut être considérée qui comme un essai.

Si l’essai ne répond pas à l’attente de la chambre, elle doit s’empresser d’abandonner le système et de recourir à d’autres mesures.

L’article 4 de la loi, en attendant la négociation de l’emprunt, autorise l’ouverture au gouvernement d’un crédit de dix millions à couvrir en tout ou en partie par l’émission de bons du trésor aux conditions de la loi du 16 février 1833.

D’après l’article 5, les produits des péages à régler annuellement par la loi doivent servir à couvrir les intérêts et l’amortissement de l’emprunt, ainsi que les dépenses annuelles d’entretien et d’administration de la nouvelle voie.

L’article 6 exige qu’avant le 1er juillet 1835, et d’année en année, jusqu’au parfait achèvement des travaux, il soit rendu un compte détaillé aux chambres de toutes les opérations autorisées par la loi.

De nouvelles ressources ont été créées au gouvernement par les lois du 18 juin 1836 et 12 novembre 1837 ; et aujourd’hui que les chemins de fer ont absorbé près de 34,000,000, on en demande 21,000,000 autres.

Les péages couvrent-ils les intérêts des capitaux employés aux sections déjà ouvertes à la circulation ? Nous ne parlerons pas de l’amortissement d’une partie de l’emprunt, car pour 73 ou 75 qu’il a reçu, le gouvernement doit payer 100. La dette, au lieu de diminuer, est augmentée.

Quelles sont les dépenses de construction ?

Quels sont les frais d’administration ?

Quels sont les produits ?

Quel est le matériel qui appartient à l’Etat ? où sont les inventaires ?

Il serait curieux de savoir ce que le gouvernement a payé pour rails et combien il en a été placé ; c’est ce qui devrait faire l’objet du compte détaillé qu’on aurait dû nous présenter.

Jamais il n’y a eu un arbitraire comme dans l’espèce nous occupe. Nous votons aveuglément des crédits au ministère ; des millions sont absorbés.

De son côté, le ministre doit mettre deux ou trois millions à la disposition de MM. les ingénieurs.

La besogne n’est pas encore assez compliquée, le contrôle n’est pas encore assez difficile. On veut, si nous sommes bien informés, créer des établissements à l’instar de ceux de Seraing, des ateliers de fabrication, des hauts-fourneaux ; on est déjà en marché pour acheter des ustensiles en Angleterre.

On était jadis très bien avec M. Cockerill, les industriels du pays s’en plaignaient peut-être avec raison ; aujourd’hui on abandonne Cockerill et les industriels du pays, et on va chercher à grands frais les locomotives en Angleterre.

Les bonnes dispositions envers M. Cockerill semblent avoir fait place à une animosité qu’il serait difficile d’expliquer.

Cette animosité est allée si loin qu’on a fait ôter les plaques qui se trouvent sur les locomotives et qui portent le nom Cockerill ; elles n’ont pas reparu, si nous sommes bien informés, quoiqu’un arrêté de M. le ministre en ait ordonné le replacement.

Voyez l’inextricable dédale dans lequel l’administration du chemin de fer jette le ministre dans notre pays ; à peine a-t-il redressé quelques abus, que d’autres le remplacent aussitôt.

J’ai parlé d’administration du chemin de fer, je me trompe : à vrai dire, il n’y a pas d’administration, pas de hiérarchie ; l’un marche d’un côté, l’autre de l’autre ; on conçoit difficilement que le gouvernement persiste à vouloir continuer à ses frais la construction des chemins de fer, alors que des plaintes sur l’inexactitude du service, je dirai même sur des inconvénients graves de nature à compromettre la vie des voyageurs, lui arrivent tous les jours ; cela ne devrait-il pas lui servir de preuve que la direction et l’administration du chemin de fer ne s’implantent pas dans l’action gouvernementale ? C’est tout un gouvernement que l’administration du chemin de fer. Autre chose est d’organiser un ministère, des administrations, et d’organiser une entreprise colossale dans laquelle il faut la surveillance incessante de l’intérêt particulier, pour en embrasser tous les détails et prévenir les abus de tous genres auxquels ces rouages si compliqués prêtent trop facilement occasion. Il n’y a pas de jour qu’il n’y ait des retards de 2 à 3 heures dans l’arrivée des convois, et déjà on se prépare à monter des services accélérés pour entrer en concurrence avec le chemin de fer de Bruxelles à Louvain, de Louvain à Tirlemont, etc. Les accidents graves qui se renouvellent sans cesse, éloigneront d’ailleurs les voyageurs. Il n’y a que trois jours que le convoi de Tirlemont a abandonné le railway. Certes ce n’est pas à M. le ministre qui dirige le département des travaux publics qu’il faut en attribuer la faute, mais à la centralisation de l’action du gouvernement.

L’administration devrait servir d’exemple. M. le ministre pourrait-il nous dire s’il a action sur ses ingénieurs ? M. le ministre a porté un arrêté qui défend d’attacher plus de douze waggons à une locomotive ; hier il y en avait 15 ou 16 ; le conducteur suivait au pas à côté de la locomotive.

Faut-il, pour éviter la reproduction de ces abus, destituer et remplacer un de ces nombreux employés qui se serait rendu coupable d’une inexactitude ou d’une négligence ; faut-il même réprimander un ingénieur ? Un particulier ne recule pas devant cette nécessité, mais le gouvernement est obligé de suivre une filière administrative où des rapports complaisants viennent souvent absoudre les imprévoyances les plus impardonnables, où l’intérêt de l’administration et l’amour-propre des fonctionnaires haut placés l’emportent souvent sur l’intérêt général ; de là des abus permanents, des abus graves qui dégoûtent des chemins de fer, et font quelquefois regretter les anciens modes de communication.

Comme il a été démontré, la question d’argent se résout contre le gouvernement, et il en est de même de la question de temps qui n’est pas moins importante. Si la construction des chemins de fer avait été confiée à des sociétés particulières, toute la Belgique serait déjà, à l’heure qu’il est, liée par différentes lignes au centre commun ; déjà, depuis longtemps des convois de nuit pour les marchandises seraient organisées, et on ne serait plus à attendre la confection des waggons nécessaires pour le transport de celles appelées pondéreuses. L’intérêt particulier aurait tout d’abord et simultanément ordonné toutes les constructions ; l’intérêt toujours plus lent du gouvernement y va plus méthodiquement, c’est au jour le jour qu’il fait construire les parties de ce vaste ensemble. Combien cependant ne doit-on pas être frappé de la perte immense qu’éprouve le commerce de n’être mis en possession de tous les avantages que le chemin de fer doit lui procurer qu’un an ou deux ans plus tard ! Partout on se plaint de la cherté du combustible, et on néglige de diminuer les frais de transport, ce qui seul pourrait amener une diminution dans les prix.

Le gouvernement, au lieu de spéculer lui-même, doit surveiller les spéculateurs. Qu’on impose aux sociétés telles conditions qu’on jugera nécessaires ; que le gouvernement se réserve de disposer en faveur de l’Etat, dans des circonstances données, de telles lignes politiques ; que sous le point de vue commercial il prenne des mesures pour la diminution des péages lorsque l’intérêt général l’exigera, moyennant une juste indemnité au concessionnaire ; qu’on établisse telles inspections que l’importance de l’entreprise exigera ; qu’on attache aux infractions des peines sévères. Là, l’action du gouvernement sera prompte et utile. Là, le contrôle amènera des résultats, tandis qu’une administration intéressée qui se contrôle elle-même est à la fois juge et partie.

Le gouvernement, en abandonnant ses spéculations et en ouvrant la concurrence, fera cesser ce reproche, de monopole si odieux aux Belges.

Nous avons entendu le rapport, il y a peu de jours, sur une demande en concession de M. Vandenbossche et de ses co-intéressés. Il s’agissait d’ouvrir une communication directe entre Bruxelles et Louvain, et entre Bruxelles et Gand. Certes, les plus grands avantages doivent en résulter pour le public. Je ne parlerai pas des avantages des localités ; les Flandres et le pays d’Alost en retireraient la plus grande utilité ; eh bien, on a jugé à propos de détourner l’attention de ce projet. Aux termes de la loi sur les concessions, il s’agissait d’ouvrir des enquêtes, afin de prendre des mesures pour arriver à un résultat quelconque ; mais on a renvoyé les pétitionnaires à la chambre, quoiqu’il n’y ait aucun motif pour les y renvoyer ; car c’était une demande de concession à temps, et elle se trouvait dans les attributions du ministre.

A la chambre qu’a-t-on fait ? On a fait ce que l’on pouvait faire ; on a ordonné le dépôt de la pétition au greffe pour renseignement. Tout cela est le résultat de ce monopole que le gouvernement exerce. Quand il s’agit de l’intérêt public, si le gouvernement vient se mettre à la place de cet intérêt, tout est perdu. Je croyais jusqu’ici que l’intérêt public et l’intérêt gouvernemental étaient les mêmes, mais il paraît qu’ils sont séparés. Quand le gouvernement spécule, l’intérêt gouvernemental peut se mettre en opposition avec l’intérêt public. Certes l’intérêt public exige les nouvelles voies de communication directes de Bruxelles à Gand et de Bruxelles à Louvain ; et si l’on voulait s’expliquer franchement à cet égard, on dirait que le système adopté pour le centre des lignes est manqué. C’est pour revenir à des idées plus saines qu’il importerait que le gouvernement abandonnât ce monopole, tout aussi odieux dans les mains du gouvernement que dans les mains des particuliers ou des sociétés.

Le gouvernement, en suivant notre système, évitera cette rivalité entre les villes et les provinces. N’est-il pas injuste que ceux qui perdent leur cause, voient une partie de l’impôt qu’ils paient détourné au profit de ceux qui l’auront gagnée ?

Laissons donc faire les compagnies ; exigez seulement des garanties et prenez des précautions.

Nous terminerons par dire un mot sur la partie financière. Chez nous il n’y a certes pas d’excédant de recette ; il ne nous reste que la voie d’emprunt, et c’est celle-là qu’on prend.

Emprunter, c’est aggraver notre position.

Par l’emprunt de 100 millions nous avons perdu réellement 30 millions ; pour 73,000,000, nous en avons reconnu 100.

Emprunter de cette manière, c’est courir à une banqueroute.

Emprunter pour des chemins de fer quand bientôt nous aurons à trouver des millions pour remplir des obligations qu’on nous a imposées, quant à la dette de l’ancien royaume des Pays-Bas, peut- être même pour racheter une partie du territoire contesté ;

Emprunter dans un moment où il faudrait payer une dette légitime et criarde, celle des indemnités ;

Emprunter en définitive pour des travaux que l’industrie particulière veut exécuter et exécutera mieux que le gouvernement, alors surtout que pour le gouvernement il n’y a aucun avantage, c’est un acte de grande imprévoyance ; et si j’osais donner ici un conseil au gouvernement, je lui dirais : Le temps est venu de modifier la loi du 1er mai 1834 ; l’essai n’a pas répondu à l’attente.

Si j’avais un conseil à donner, je dirais au gouvernement : Vendez votre chemin de fer ; il y a encore assez d’engouement dans les circonstances actuelles pour que vous en retiriez vos capitaux ; si vous attendez plus longtemps, les chances ne seront peut-être plus les mêmes. Il est à craindre que les capitaux que vous avez employés et que vous voudriez employer encore ne soient perdus. Laissez faire l’industrie particulière ; soyez stricts dans l’exécution des obligations qu’elle contractera ; Faites des lois sévères contre ceux qui ne rempliraient pas leurs engagements, et vous atteindrez le but que vous vous proposez ; vendez vos lignes de chemins de fer, employez le produit aux indemnités, et laissez les nouvelles lignes à l’industrie.

On trouverait alors les fonds dont on aura besoin lorsqu’on voudra remplir les conditions qui nous ont été imposées, lorsqu’on voudra peut-être racheter les territoires contestés ; on trouverait alors des fonds pour payer une dette sacrée, celle des indemnités ; le gouvernement, de son côté, se trouverait retiré d’un véritable chaos, qui doit peser à M. le ministre des travaux publics.

Dans ces circonstances, messieurs, il et de notre devoir, avant de voter le nouvel emprunt, d’obtenir des éclaircissements de M. le ministre des travaux publics : je me permettrai en conséquence, de lui adresser les questions que voici :

1° Quelles sont les sommes dépensées pour la construction de chacune des sections du chemin de fer, actuellement ouvertes à la circulation ?

2° Quel a été le produit des péages pour chacune de ces sections, depuis leur ouverture ?

3° Quels sont les employés attachés à chacune de ces sections ?

4° Quelle est la hauteur des frais d’administration ?

5° Le gouvernement pense-t-il qu’il sera nécessaire d’élever le tarif, pour couvrir les intérêts et l’amortissement de l’emprunt ?

6° Existe-t-il dans les bureaux du ministère des inventaires du matériel acquis pour compte de l’Etat ?

7° Le gouvernement se propose-t-il d’organiser les services de nuit ?

8° Est-il vrai que le gouvernement va créer des ateliers de fabrication, établir des hauts-fourneaux, exploiter des houillères pour l’exploitation des chemins de fer ?

J’ai dit.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, la loi du 1er mai, en décrétant l’établissement du chemin de fer, a imposé au gouvernement l’obligation de présenter chaque année, aux chambres, un rapport sur les opérations de cette grande entreprise.

Deux fois, messieurs, je vous ai présenté ce compte-rendu ; mon prédécesseur, avant moi, vous l’avait également présenté. Le premier des comptes-tendus que j’ai eu l’honneur de vous soumettre, est du 1er mars 1837, l’autre est du 20 octobre de la même année. J’aurais pu, à la rigueur, me regarder comme dispensé de présenter un troisième compte-rendu, celui du 21 octobre dernier pouvant être considéré comme le compte-rendu de la session ; il ne faut pas deux rapports par an ; néanmoins j’en ai préparé un nouveau, qui pourra, j’espère, être déposé cette semaine sur le bureau ; il y sera répondu à tous les points qui viennent d’être posés par l’honorable préopinant ; toutefois, je pourrai dès à présent répondre de mémoire à quelques-uns.

Je croyais, messieurs, je l’avoue, que les questions soulevées par l’honorable membre étaient des questions jugées, des questions jugées par les votes que vous avez émis, des questions jugées d’une manière plus solennelle encore, des questions jugées par les faits. Je trouve, messieurs, que les événements ont largement répondu à notre attente : quand on veut tenir compte des circonstances, quand on veut être juste, on doit convenir que nous avons été heureux dans la construction, heureux, jusqu’à présent, dans l’exploitation du chemin de fer. Nous avons été heureux dans la construction, puisque le chemin de fer belge est celui qui, de tous les chemins de fer, coûte le moins en frais d’établissements.

Le chemin de fer belge, y compris le matériel, les stations et la double voie, conterait environ 160,000 fr. par kilomètre ; eh bien, messieurs, j’ai sous les yeux un relevé de ce qu’ont coûté les chemins de fer dans les autres pays, exécutées par des compagnies ; le chemin de fer de Liverpool à Manchester a coûté 700,000 fr. ; le chemin de fer de Londres à Birmingham, 300,000 fr. ; le chemin de fer de Birmingham à Waringthon, 300,000 fr. ; de Londres à Bristol, 600,000 fr.

Je ne parte pas du chemin de fer de Londres à Greenwich, qui est construit d’une manière toute particulière ; il s’élève sur des arcades au-dessus de la ville de Londres. Il coûte 2 millions par kilomètre.

On me dit : Citez les chemins de fer français. J’y arrive.

Le chemin de fer de Lyon à St-Etienne, exécuté par une compagnie, qui a doublé son capital, a coûté 300,000 fr. par kil, et n’est pas encore entièrement achevé.

Celui de Paris à St-Germain. 600,090 fr.

Celui de Paris à Versailles, 400.000 fr.

Celui de Paris à Lille et Valenciennes est évalué 250,000 francs.

L’expérience nous permet de dire que nous pouvons faire des chemins de fer à double voie à raison de 150 à 160,000 fr. par kilomètre. ; le chemin de fer à voie unique coûte moins encore.

Voilà, messieurs. des chiffres, en réponse aux assertions de l’honorable préopinant.

Ouvrez, messieurs, les rapports faits à l’étranger sur le chemin de fer de la Belgique, lisez l’ouvrage qui vient d’être publié sur les intérêts matériels de la France, vous verrez que partout on cite le chemin de fer belge comme celui qui a le moins coûté pour l’exécution.

Je pourrais, messieurs, entrer dans bien des détails, mais je ne puis m’empêcher de croire que ces détails ne sont pas susceptibles d’entrer dans une discussion parlementaire ; ils sont insaisissables ; il faut le secours des yeux ; la chambre me permettra de m’en référer au rapport que je déposerai très prochainement sur le bureau.

J’ai dit, en deuxième lieu, que nous avons été heureux dans l’exploitation ; il ne restera aucun doute à cet égard, si l’on veut apprécier toutes les circonstances, si l’on veut les apprécier avec impartialité, si l’on veut être juste. Nous avons été heureux dans l’exécution, d’abord parce que nous n’avons eu à déplorer aucune de ces terribles catastrophes qui se renouvellent presque périodiquement dans d’autres pays ; nous avons eu des accidents, mais des accidents partiels ; des hommes ont péri, et la vie de l’homme est toujours précieuse, mais je vous le demande, messieurs, est-ce qu’il ne périt pas aussi des hommes dans les autres entreprises ? Si l’on tenait compte de l’exploitation des mines, par exemple, croyez-vous que vous ne seriez pas effrayés des malheurs auxquels elle donne lieu ? Mais les mines sont exploitées par des particuliers, et le public ne sait rien de ce qui s’y fait ; je le sais moi ; si les houillères étaient exploitées par le gouvernement, comme je l’ai fait remarquer dans une autre circonstance, c’est le ministre dans les attributions duquel se trouveraient les houillères qu’on rendrait quotidiennement responsable de la vie des ouvriers qui périssent dans les entrailles de la terre.

Quand le gouvernement exploite, il le fait sous l’inspection du public, sous le contrôle quotidien de la presse, et sous ce rapport l’exploitation du chemin de fer a quelque chose de tout nouveau ; lorsqu’il arrive un accident à une diligence, par exemple, il ne contrarie qu’un très petit nombre de personnes, tandis qu’un accident arrivé au chemin de fer atteint un millier d’individus ; les diligences les plus chargées contiennent tout au plus 18 personnes : qu’une diligence soit empêchée de continuer sa route, voilà dix-huit individus de mauvaise humeur ; mais, 18 personnes ne font pas beaucoup de bruit, leurs plaintes n’ont pas un vaste retentissement. Les choses sont bien différentes avec le chemin de fer : qu’un accident quelconque interrompe quelque peu le service, et voilà deux ou trois milles personnes mécontentes, qui se plaignent du gouvernement, du ministre qui devrait, pour ainsi dire, se trouver présent à chaque station.

Le chemin de fer de la Belgique, messieurs, est exploité aussi bien que les chemins de fer d’Angleterre ; et cependant, par suite de l’élévation du tarif, on ne transporte, dans ce pays, qu’un petit nombre de voyageurs. Le tarif belge n’est pas un tarif aristocratique comme le tarif anglais ; donnez-moi un tarif comme celui de l’Angleterre, rien de plus facile que l’exploitation du chemin de fer ; il n’y aurait pas alors des convois de huit cents personnes, il n’y aurait pas l’embarras de résoudre la question de savoir quand il faut deux locomotives, quand il en faut trois. Les compagnies ont raisonné tout autrement que nous ; elles ont dit : Cent voyageurs qui paient 20 fr. valent mieux que 1,000 voyageurs qui paient 2 fr., quoique les uns comme les autres rapportent 2,000 fr. ; la raison en est très simple : c’est qu’on peut, sans de grands embarras, transporter 100 personnes, tandis que, pour en transporter 1,000, il faut un matériel énorme, des frais d’administration considérables, des mesures de surveillance bien plus compliquées.

Les conditions de l’exploitation des chemins de fer en Belgique sont donc des conditions d’un genre tout particulier, des conditions qui ne se rencontrent nulle part ; en Belgique, c’est la foule qu’on transporte sur le chemin de fer ; en Belgique, on a résolu ce problème que jusque-là personne n’avait osé poser.

L’année dernière, messieurs, on a transporté 1 million 3 cent mille voyageurs sur le chemin de fer belge ; sur ce 1,300,000, nous pouvons admettre très facilement que 200,000 avaient des bagages, et nous accorderons, parce que nous ne voulons pas exagérer, que chacun n’avait qu’un paquet ; eh bien, messieurs, il n’y a eu que très peu de pertes, et des pertes à l’égard desquelles l’administration s’est parfaitement justifiée, pour lesquelles on n’a pas osé intenter de procès parce qu’il a été prouvé qu’elles sont dues au défaut de précautions prises par les voyageurs eux-mêmes.

Il y a, messieurs, 4 ans et quelques jours que la loi qui décrète le chemin de fer est promulguée, et aujourd’hui environ 40 lieues sont livrées à la circulation.

Messieurs, j’ose dire que c’est là un beau résultat, un résultat dont nous devons nous féliciter et dont le pays se félicite : j’en appelle volontiers au pays, j’en appelle à vous, les organes du pays.

Un de mes premiers actes de mon administration a été de proposer à la chambre de faire figurer les frais d’entretien et d’exploitation du chemin de fer au budget ordinaire de l’Etat. Dès lors, il s’est établi une séparation plus complète et distincte entre les dépenses d’exécution et les dépenses d’entretien et d’exploitation.

Par cette séparation, il a été possible d’établir, au 31 décembre dernier, la balance, d’une part, entre les dépenses réelles d’entretien et d’exploitation, et d’autre part, entre les recettes réelles.

Les dépenses d’entretien et d’exploitation ont été de 1,051,407 fr. ; les recettes se sont élevées à 1,416,982 fr. ; il reste une somme de 365,875 fr. 93 c. pour pourvoir au paiement des intérêts des capitaux employés.

Ce résultat est satisfaisant, parce qu’il faut tenir compte de plusieurs circonstances. D’abord, plusieurs sections ouvertes sont à leur première année, et c’est pendant les premières années que l’entretien est le plus coûteux. J’ai déjà eu occasion de le faire remarquer plusieurs fois à la chambre : c’est que l’état normal d’entretien est en quelque sorte la troisième année,

D’un autre côté, le service n’est pas complétement organisé ; les marchandises ne se transportent pas encore. Je dis que dès lors l’excédant de 365,875 fr. obtenu sur les dépenses d’entretien et d’exploitation est un résultat qu’on peut considérer comme satisfaisant.

Voulez-vous savoir ce qu’aurait probablement fait une compagnie ? S’il s’agissait d’une compagnie, vous ne sauriez d’abord pas ce qu’un chemin de fer a coûté ; une compagnie n’est pas tenue, comme le gouvernement, de rendre compte de ses opérations à qui que ce soit ; personne ne peut interpeller une compagnie. Le coût du chemin de fer d’une compagnie serait connu tout au plus approximativement. Une compagnie aurait ensuite adopté un tarif tout différent ; une compagnie aurait adopté un tarif se rapprochant des tarifs anglais ; une compagnie n’aurait pas transporté la multitude, elle ne se serait adresser qu’à certaines classes de la société, et les personnes de ces classes, on les aurait transportées avec beaucoup plus de facilité, avec beaucoup moins d’embarras, et même avec moins de mesures de police. Dès lors, le chemin de fer n’aurait pas eu la grande portée sociale qu’il a aujourd’hui ; dès lors, le chemin de fer n’aurait pas en quelque sorte changé les conditions de locomotion de toutes les classes de la société, et surtout des classes inférieures.

Messieurs, l’état du matériel du chemin de fer m’est parfaitement connu. D’après un règlement qui a été inséré au Moniteur, le ministre doit recevoir, le 2 de chaque mois, l’état du matériel disponible et l’état du matériel en réserve ou en réparation. On s’occupe aussi d’un inventaire général du matériel, inventaire qui sera déposé au ministère. Ainsi, je le déclare à l’honorable préopinant, l’état du matériel m’est parfaitement connu par les rapports mensuels que je dois recevoir ; il m’est aussi connu par tous les certificats de réception qui doivent m’être adressés à l’appui des demandes de paiement.

Messieurs, le gouvernement a fait construire à Malines des ateliers en quelque sorte centraux, et des ateliers pour petites réparations dans quelques autres stations. Jusqu’à présent ce ne sont que des ateliers d’entretien et de réparations ; il est impossible que le gouvernement, exploitant le chemin de fer, ne se charge pas de l’entretien et des réparations du matériel.

Prétendre le contraire, messieurs, ce serait livrer l’administration du chemin de fer à la merci de l’entrepreneur, avec lequel il faudrait contracter pour la moindre réparation ; pour un clou qui manquerait, il faudrait renvoyer la voiture ou la locomotive chez un industriel qui pourrait être fort éloigné et très négligent.

Je ne dis pas que si l’exploitation se faisait à proximité du grand établissement qui a livré les locomotives, on ne pût pas passer un contrat avec le chef de cet établissement pour entretenir pendant un certain temps au moins les locomotives qu’il aurait fournies. Encore, un contrat de ce genre soulèverait-il des questions très délicates, parce qu’il arrive très souvent que les réparations se font de nuit ; les locomotives et les voitures qui ont éprouvé des accidents pendant la journée, se réparent d’urgence la nuit, pour pouvoir être livrées de nouveau à la circulation le lendemain.

Messieurs, le gouvernement a contracté avec deux entrepreneurs pour les locomotives ; il a contracté avec M. John Cockerill de Seraing et avec M. Robert Stephenson de Newcastle. L’industriel anglais a pleinement rempli ses engagements ; il devait fournir quatorze locomotives, suivant le contrat passé avec mon prédécesseur ; de mon côté, j’ai fait un nouveau marché avec lui pour huit autres. Et j’ai dû faire cette commande, parce que l’industriel belge n’avait pas pleinement exécuté ses engagements. L’industriel belge devait fournir 27 locomotives : ce marché n’est pas encore accompli.

En contractant l’autre marché, j’ai eu même soin, pour prévenir toute réclamation, de consulter l’industriel belge ; il a reconnu que le gouvernement pouvait sans inconvénient contracter un nouveau marché peu considérable à l’étranger.

Les rails ont toujours été achetés en Belgique, à l’exception d’un marché peu considérable qui s’est fait tout au commencement de l’entreprise. Tous les rails ont été achetés à des prix très élevés.

Messieurs, l’honorable préopinant a annoncé la résurrection des diligences. Messieurs, que les diligences se rétablissent, je le veux bien ; mais je me permets d’en douter. Je consens volontiers à ce que tout le monde vive ; mais à en croire un rapport que j’ai reçu ce matin, cet événement n’est pas très prochain. Car hier encore l’affluence était telle sur le chemin de fer que l’exploitation était devenue pour ainsi dire impossible ; et si l’on n’a pas mis deux locomotives, c’est qu’il n’y en avait plus. D’après le rapport que j’ai reçu dans la matinée, tout le matériel était épuisé.

Le matériel du chemin de fer deviendra immense, toujours pour satisfaire aux conséquences du tarif qui a fait un appel à la foule. Des commandes seront faites pour porter d’ici à 6 ou à 8 mois le nombre de locomotives à 80 ou 100 ; des commandes de nouvelles voitures sont déjà faites ; le nombre devrait être de 500 au 1er juin. Toutes les soumissions sont approuvées depuis le mois de janvier. Mais on ne fait pas un matériel aussi considérable du jour au lendemain.

C’est cette pénurie de matériel qui cause aussi de grands embarras pour l’exploitation du chemin de fer ; peut-être, pour bien exploiter, faut-il un matériel superflu ; c’est alors que les combinaisons seraient bien faciles.

Mais, dit-on, il y a quatre ans qu’on aurait pu faire confectionner le matériel nécessaire. Mais, messieurs, les idées n’étaient pas fixées sur les modèles ; les Anglais ne veulent plus de ceux qu’ils avaient suivis jusqu’ici ; nos modèles, ceux que nous avons inventés, sont reconnus meilleurs que ceux des pays qui nous ont devancés dans la carrière.

Aujourd’hui que les essais sont faits, que nous pouvons adopter les modèles dont l’expérience a prouvé la bonté, nous n’avons pas hésité à faire des commandes. Et sans doute, si nous les avions faits dans le principe d’après les modèles anglais, nous nous en repentirions aujourd’hui,.

Et voyons quelles étaient nos prévisions. Que voulait la loi du 1er mai ? D’après le mémoire des ingénieurs que j’ai relu ce matin, on avait compté sur 98,000 voyageurs par an entre Malines et Anvers, et sur 100,000 voyageurs entre Malines et Bruxelles.

Eh bien, au lieu de 100,000 voyageurs, il en a été transporté 563,2100 entre Bruxelles et Malines depuis le 5 mai 1835, jour de l’ouverture, jusqu’au 3 mai 1836. Mon prédécesseur aurait-il osé le 4 mai 1835 dire : « Il s’est transporté un demi-million d’hommes entre Bruxelles et Malines, et je vais faire commander des voitures pour transporter un demi-million d’hommes.» Evidemment non.

On supposait donc qu’on transporterait 198,000 voyageurs entre Bruxelles et Anvers pendant un an. Eh bien, on a transporté 729,745 voyageurs sur le chemin de fer entre ces deux villes, dans l’espace de huit mois, du 5 mai 1836 au 31 décembre de la même année. Ce qui aurait fait plus d’un million de voyageurs par an. C’est aussi la raison pour laquelle on n’a pas construit de stations, autre objet de plaintes du public. Il faut construire les stations d’après le nombre des voyageurs qui se présenteront.

Qui aurait conseillé au gouvernement d’établir une station à Bruxelles pour une éventualité d’un demi-million de voyageurs ? L’année dernière on a transporté 4,300,000 voyageurs, c’est à-dire le triple de ce qu’on supposait qu’on transporterait sur tous les chemins de fer en Belgique.

Ainsi on a fait des stations provisoires, parce que la prudence exigeait qu’on s’en tînt autant que possible au provisoire ; en attendant les éventualités, ou a fait un matériel d’essai, parce qu’on a reconnu que le matériel étranger ne nous présentait pas des conditions satisfaisantes ; et ce qui prouve que nous avons eu raison, c’est que les modèles particuliers que nous avons faits, ont réussi à tel point que les étrangers nous les empruntent.

En ce moment, une compagnie allemande s’adresse à moi pour me demander des voitures comme modèles. Les ingénieurs étrangers affluent en Belgique pour s’enquérir de ce que nous faisons.

Ainsi, les agents de l’administration, les ingénieurs chargés de l’exécution des chemins de fer se consoleront bien s’ils sont méconnus par d’honorables préopinants ; les étrangers leur rendent justice, ils viennent étudier chez nous la construction et l’exploitation des chemins de fer ; ils se croient dispensés de passer la mer.

M. Desmanet de Biesme. - En entendant le premier orateur qui a pris la parole, j’ai dû regretter qu’il ne fît pas partie de la chambre au moment où nous avons discuté la loi sur le chemin de fer ; il se serait joint à nous pour s’opposer à ce que le gouvernement le construisît par lui-même et pour demander que l’industrie particulière en fût chargée. Nous avions prévu les difficultés qu’il a signalées, nous avions même poussé l’opposition jusqu’à voter contre le chemin de fer exécuté par l’Etat. Aujourd’hui la position est-elle la même ? Peut-on venir arrêter l’exécution de ce qui a été le résultat d’une délibération faite non sans maturité, mais après un mûr examen ? Nous avions conçu la pensée que le gouvernement aurait fait le chemin de fer d’Anvers au Rhin, parce qu’il y avait des raisons politiques pour agir ainsi ? Quand on aurait dû transporter pour rien les marchandises, il fallait le faire pour lutter avec la Hollande sur le marché de l’Allemagne.

Le gouvernement a été amené presque malgré lui à faire le monopole qu’on lui reproche. Il n’aurait pas pu obtenir son chemin de fer, s’il n’avait pas promis d’en faire aussi dans les provinces qui se trouvaient déshéritées dans le projet primitif et dont le commerce se trouvait ainsi menacé. Elles ont adressé des réclamations à la chambre, et alors est venue la loi du mois de mai 1837 qui complète le système des chemins de fer par l’Etat. Peut-on venir maintenant dire au gouvernement : Arrêtez vos constructions ? Non ; je regarde la loi de 1837 comme aussi sacrée que celle du 1er mai 1831. Je pense que si on voulait revenir à un autre système, il faudrait, comme l’a dit un préopinant, arrêter les travaux de l’Etat dans toutes les directions, vendre à des compagnies les chemins de fer terminés, et laisser aux sociétés le soin de faire les autres.

Mais cela est impossible. Que la voie dans laquelle on est entré soit bonne ou mauvaise, il faut la suivre.

Je ne veux pas me joindre au préopinant pour adresser des compliments au ministère français. Il eût été facile au gouvernement belge de mériter les mêmes compliments : c’était de ne rien faire. Les paroles qu’on emprunte à un membre du cabinet français pour combattre le système de construction par l’Etat, peuvent être rétorquées par celles du ministère actuel, qui demande que les grandes lignes de chemin de fer soient exécutées par le gouvernement. J’insiste sur ce point, parce que la province que j’ai l’honneur de représenter y est particulièrement intéressée. Et je saisis cette occasion pour demander à M. le ministre des travaux publics si bientôt il commencera à mettre à exécution la loi qui a décrété que les provinces de Namur et du Limbourg seraient reliées au système général du chemin de fer.

Je dirai à cette occasion qu’une foule de pétitions sont venues appuyer le projet primitif ; le gouvernement doit s’entourer de beaucoup de lumières pour décider un point très important pour le commerce de cette province. Je suis convaincu que M. le ministre ne sacrifiera pas ses intérêts.

On a parlé de l’administration. Je sais qu’il y a beaucoup de plaintes, qu’on éprouve beaucoup de retards. Je pense que la station centrale de Malines peut être une mauvaise conception qui devra être changée. Mais je sais les difficultés que le gouvernement doit rencontrer.

Le ministre les a fait sentir dans sa réponse au député de Bruxelles. Nous ne pourrons juger le système que quand tous les points principaux seront ralliés entre eux. Et maintenant, entrés que nous sommes dans la voie de construction par le gouvernement, nous devons le continuer pour toutes les directions, aussi bien pour les routes décrétées en 1837 que pour celles décrétées en 1834. Je le répète, j’appuie sur ce point, et je prie M. le ministre de me dire si bientôt on donnera exécution aux travaux qui intéressent les provinces de Limbourg et de Namur.

M. A. Rodenbach. - Je pense que nous sommes à peu près unanimes pour reconnaître que les chemins de fer font honneur à la Belgique ; c’est l’opinion qu’on professe à l’étranger. Si nous voulons des chemins de fer, il faut voter les fonds, nous devons adhérer à l’emprunt ... J’entends une rumeur. Est-ce que par hasard on aurait regret d’avoir fait des chemins de fer ? En 1837, malgré les abus qu’il doit nécessairement y avoir eu, il y a eu un excédant de 40 mille fr. Le peuple n’a pas été accablé d’impôts par suite de la construction des chemins de fer. C’est le produit de l’exploitation qui a payé l’intérêt du capital déboursé.

On dira que, d’après le rapport, on peut penser qu’il y aura plutôt déficit que boni en 1838. C’est l’encombrement des voyageurs qui est cause de cela ; c’est parce que le matériel manque, que le produit n’est pas plus considérable ; sans cela il n’y aurait pas de déficit. Je pense même qu’il n’y en aura pas quand le matériel sera complété.

Je crois que le revenu augmenterait beaucoup si le service du transport des marchandises était amélioré. Ou loue à un entrepreneur un waggon moyennant 30 francs par jour. Il est évident que c’est trop peu, car cet entrepreneur met au moins trois articles dans son waggon à 50 fr. chacun ; voilà 150 fr., ce qui lui fait 120 fr. de bénéfice. Je ne conçois pas comment on n’a pas renoncé à cet essai. Le ministre devrait trouver d’autres moyens pour obtenir un plus grand produit.

Ne pourrait-on pas mettre en adjudication le taux du prix des transports, comme pour les barrières ? Il me semble que le gouvernement devrait y songer. Le ministre qui a étudié à fond la question pourrait sans doute nous donner des explications sur ce point. Si on devait perdre au lieu de gagner à la construction des chemins de fer, je m’opposerais à ce qu’on les continuât. Mais je ne pense pas qu’on puisse perdre si ou augmente convenablement le matériel.

M. Desmet. - L’honorable député de Bruxelles vous a prouvé par des faits que la construction du chemin de fer, avec une administration par régie, est mauvaise. L’honorable ministre des travaux publics lui a répondu par des faits. Je n’examinerai pas les faits allégués par le députe de Bruxelles, parce que je les tiens pour fort exacts. Je répondrai seulement aux faits avancés par le ministre des travaux publics.

Nous sommes heureux, a-t-il dit, de ce que les faits répondent à notre attente et prouvent, en premier lieu, la bonne construction du chemin de fer. Pourquoi ? parce qu’elle a été faite au bon marché ; parce qu’il n’y a pas au monde un autre chemin de fer qui soit fait à aussi bon compte que le chemin de fer de Belgique. Mais c’est précisément ce bon marché que je critique ; c’est à ce bon marché que j’attribue les accidents qui arrivent. Pourquoi ce bon marché ? Parce qu’on emploie de mauvais matériaux, de mauvais bois qui ne dureront que peu d’années.

La Belgique aurait-elle donc le privilège que le bois tendre du peuplier du Canada y serait aussi bon que le bois de chêne ? Nous savons d’où vient cette mauvaise construction. Elle vient de ce que, dans la discussion de la loi du 1er mai 1834, on a prédit que les dépenses du chemin de fer seraient considérables. Aujourd’hui, vous pensez qu’il vous coûtera moins cher, mais vous ne tenez pas compte de ce que d’ici à peu d’années vous devrez tout remplacer. Où sera alors le bon marché ? Le chemin de fer n’offrira que quelques accidents de plus. Il est certain, en effet, qu’en employant du bois du Canada pour soutenir les rails, vous aurez bien plus d’accidents que si vous aviez employé de la maçonnerie ou de la pierre, ou des traversines en bois de chênes, qui est aussi bon que de la maçonnerie puisqu’on sait qu’il résiste sus terre.

Quand on dit que le chemin de fer ne coûte que tant par kilomètre, le calcul n’est pas bien établi ; on ne calcule pas les millions que l’on a perdus sur l’emprunt. Le chemin de fer a déjà coûté au-delà de fr. 39,000,000. Voici son compte :

Crédit ouvert par la loi du 1er mai 1834, fr. 10,000,000 ; l’emprunt accordé par la loi du 18 juin 1836 était de fr. 30,000,000. Après avoir défalqué de ce capital la somme de 10,000,000 pour le remboursement des bons du trésor émis en suite de la loi de 1834, et 350,000 fr. pour construction de routes pavées, il vous restera pour le chemin de fer 19 650,000 fr., et par la loi du 19 novembre 1837, vous avez encore consenti à une émission de bons du trésor pour un capital de 10,000,000 pour l’emploi du chemin de fer ; lesquelles trois sommes ensemble s’élèvent à un capital de fr. 39,650,000 ; mais comme il a encore été employé de cette somme fr. 312,224 pour des routes, le capital crédité pour le chemin de fer montera à fr. 39,337,776, et en y ajoutant les 27,000,000 qu’on vous demande en ce moment, vous aurez dépensé en chemins de fer pour l’énorme capital de fr. 66,337,776.

Avec cela vous aurez 100 lieues de chemin de fer. Ainsi, chaque lieue vous coûtera près de 700,000 fr. Ce sera donc comme en France et en partie comme en Angleterre.

Je le répète encore, si vous ne prenez pas garde à la mauvaise construction, avant peu de temps vous aurez des accidents à déplorer ; et on tient très peu compte de la grande dépense que vous devrez faire quand vous devrez renouveler entièrement vos traversines de peuplier du Canada, et vous aurez cette dépense sous peu de temps.

Nous sommes heureux, dites-vous, dans l’exploitation. Oui, il y a peu d’accidents ; cependant il y en a, et les derniers qui ont eu lieu, et qui ont été assez graves, proviennent de la mauvaise construction. Ainsi il y a peu de jours 5 waggons sont sortis des rails : cela ne serait pas arrivé s’il n’y avait pas eu un rail brisé. Ainsi un malheureux conducteur est mort avant-hier ; il se tenait à une latte d’un waggon qui s’est détaché ; la mauvaise construction du waggon est donc la cause de cet accident.

On a parlé d’irrégularités : à cet égard il faut rendre justice à l’honorable ministre des travaux publics, les irrégularités ont diminué, il s’en faut bien qu’il y ait le même désordre qu’auparavant. Il y a de l’ordre ; les comptes sont régularisés ; il n’y a plus qu’un compte d’un demi-million des premiers travaux qui n’est pas régularisé. Je rends justice sous ce rapport à M. le ministre des travaux publics, mais je crains qu’en donnant toute son attention au chemin de fer, il ne néglige parfois les autres branches de son administration, et que par suite le nombre des abus n’augmente.

L’honorable ministre des travaux publics, pour défendre le système de l’administration du chemin de fer en régie, vous a dit qu’on s’était trompé dans l’évaluation des produits et surtout quant au transport des voyageurs. Il vous a dit qu’un demi-million d’individus est transporté par année par le chemin de fer ; mais ceci est précisément la condamnation de l’administration par régie. Comment ! les transports sont du quadruple de l’évaluation présumée, et cependant le bénéfice est tellement nul qu’il ne couvre pas les intérêts. Vous ne recevez pas 4 p. c. tandis que le chemin de fer de Liverpool à Manchester, chemin qui a tant coûté parce qu’il traverse des marécages, et qui présente des ouvrages d’art extraordinaires, rapporte jusqu’à 6 p. c. Cela prouve, dans le sens de l’honorable M. Verhaegen, qu’une société ferait mieux et à meilleur compte.

Mais, dit-on, il y a lieu d’espérer que d’ici à peu de temps le produit du chemin de fer augmentera en raison de l’ouverture de plusieurs nouvelles sections ; je dis qu’il en sera tout autrement parce que les dépenses d’entretien augmenteront dans une proportion supérieure aux recettes.

Un objet plus important encore, c’est le monopole qu’exerce le gouvernement en matière de construction et d’exploitation de chemins de fer. On demande la concession d’un chemin de fer de Bruxelles à Gand, au moyen duquel on ferait ce voyage, non pas en 3 ou 4 heures comme par le chemin actuel, mais en 3/4 d’heure. On rejette cette demande comme on rejette celle de construction de chemins de fer à peu près parallèles à ceux de l’Etat, et une grande partie du pays en souffre.

Ne trouve-t-on pas ridicule l’opinion qu’a exprimée un honorable préopinant de voir ressusciter les diligences ? Pour moi je désire vivement cette résurrection. Les diligences sont utiles, elles sont nécessaires. Autrefois, de demi-heure en demi-heure, il passait des diligences sur les principales routes, aujourd’hui c’est à peine si on en trouve une par jour, tout est mort sur nos belles routes, et une seule ligne dans tout le pays absorbe tout ! Que résultera-il de là ? Que tout le monde sera forcé d’avoir un équipage. (On rit.)

Vous riez, messieurs, mais c’est un fait certain. On devra aller à pied si l’on n’a pas une voiture à soi, qui vous transporte au chemin de fer.

Je répète que le monopole du gouvernement pour les chemins de fer est subversif de l’aisance et de la commodité publique et fera le plus grand tort au commerce et à l’industrie. A cet égard, au lieu de tourner en ridicule la résurrection des diligences, on devrait la désirer, car c’était un grand bien pour le pays.

M. Vergauwen. - Pour Alost.

M. Desmet. - Pour les autres pays comme pour Alost.

Je termine en appelant votre attention sur la voie de dépenses effrayantes dans laquelle on entre pour la construction de chemins de fer.

On a déjà dépensé, et on ne sait combien il faudra dépenser encore pour l’achèvement des chemins demandés. On vous a demandé aujourd’hui un embranchement ; mais je crains qu’il ne soit à la charge de l’Etat. Le produit en est douteux. Dans quelle position placez-vous les finances de l’Etat ? J’appelle sur cette question, qui est des plus sérieuses, l’attention de la chambre et du gouvernement.

A cet égard je pense avec l’honorable M. Verhaegen, qu’il faudrait vendre les chemins de fer de l’Etat et laisser faire les concessionnaires, et j’ai l’intime conviction que si dès l’année 1834 les chemins de fer eussent été laissés à des concessionnaires, déjà vous auriez eu en Belgique le double de voies en fer, et que vous n’auriez pas ressenti tout le mal que fait peser sur le pays le monopole du gouvernement.

M. Devaux, rapporteur. - Les orateurs qui ont parlé contre le système actuel de construction et d’exploitation du chemin de fer ont quelque peu égayé l’assemblée ; il me sera donc permis sans doute de ne pas prendre toutes leurs objections au sérieux ; cependant il en est quelques-unes que, comme rapporteur de la section centrale, je ne crois pas devoir laisser sans réponse. La section centrale a cru le mode en usage pour la construction et l’exploitation des chemins de fer, chose tellement jugée par la chambre et par les faits, qu’elle n’a pas cru devoir insister dans son rapport sur cet objet, auquel se rattache plus ou moins la loi en discussion.

Un de ces orateurs qui vient de se rasseoir, n’a guère fait que reproduire les objections qu’il avait présentées lors de la discussion de la loi du 1er mai 1834. L’autre qui ne faisait pas partie de la chambre à cette époque a exprimé une crainte que l’on exprimait il y a 4 ans dans la même discussion. A cette époque, ce qui effrayait surtout, c’était que la construction du chemin de fer par le gouvernement eût lieu sans économie, c’était que les ingénieurs du gouvernement dépensassent plus d’argent que les compagnies ; aujourd’hui je crois qu’il ne serait plus permis de renouveler l’expression de pareilles craintes. Vous venez d’entendre M. le ministre des travaux publics faire justice d’une erreur échappée à M. Verhaegen qui a prétendu que nos chemins de fer seraient construits à plus grands frais que ceux faits en Angleterre par les compagnies. Les chiffres répondent suffisamment à ce qu’a dit M. Verhaegen... J’entends dire à cet honorable membre qu’il n’a pas dit cela. Je lui rappellerai cependant qu’il a dit que tout se fait d’une manière grandiose. Je suppose qu’il aura voulu dire que tout coûte plus cher, car si on faisait du grandiose à meilleur compte, personne ne s’en plaindrait ; mais le grandiose est ce qu’il y a de moins dans notre chemin de fer ; ceux qui ont vu des chemins de fer à l’étranger en ont été frappés.

Si vous comparez le grandiose des constructions du chemin de fer de Manchester à Liverpool avec la simplicité des constructions du nôtre, vous trouveriez que le nôtre a l’air très mesquin. Si vous comparez notre chemin de fer avec le court chemin de fer de Paris à St-Germain, vous trouverez encore que le nôtre et sans grandiose ; aussi plusieurs personnes venues dans le pays pour voir les chemins de fer ne les ont pas trouvés assez grandioses.

Un autre orateur prétend aussi que les constructions ont été faites à trop bon marché : ceci étant une question technique, je me sens incompétent pour la résoudre. Quoi qu’il en soit, j’approuve le gouvernement d’avoir choisi les justes proportions où il est resté pour le chemin de fer ; il a eu raison de ne pas construire sur une trop grande échelle, et sur une double voie.

La nécessite de la double voie n’est pas chose démontrée sur toutes les parties de la route ; et je crains même que le gouvernement ne cède trop facilement aux réclamations qui seraient faites pour obtenir la double voie. L’expérience apprendra bientôt au gouvernement qu’elle n’est pas utile partout. Il faut attendre que nous soyons dans des conditions normales par rapport au chemin de fer, et nous n’y sommes pas encore, pour juger des améliorations dont il pourra être susceptible.

le chemin de fer a été critiqué sous le rapport de la sûreté des voyageurs : mais il me semble que si tous les voyageurs qui ont été transportés par les chemins de fer, et le nombre en est grand, avaient été transportés par les diligences, ils auraient été exposés à plus d’accidents qu’ils n’en ont éprouvé.

Le bonheur avec lequel on a exploité les chemins de fer est vraiment admirable. Un seul accident provenant de la faute de l’administration n’est pas à déplorer. Quelques personnes, il est vrai, y ont perdu la vie, d’autres ont été blessées ; mais toujours ç’a été par suite de leur propre imprudence.

Je crois qu’il est impossible d’avoir une plus grande sûreté pour les marchandises ; car il n’y a pour ainsi dire rien eu de perdu parmi les effets des voyageurs. Le nombre des voyageurs a été énorme et a dépassé toute prévision ; cependant il n’y a eu de perdu qu’une guitare pendant toute une année.

Les retards qu’éprouvent les convois sont sans doute chose fort contrariante, mais ces choses étaient-elles à prévoir ? Quand, au lieu de cent mille voyageurs sur lesquels on comptait, il y en a sept ou huit cent mille, il peut bien y avoir des retards. Lors même qu’une compagnie eût été à la tête de l’exploitation, elle n’aurait pu parer à de tels inconvénients.

Mais, dit-on, les chemins de fer sont un monopole et un monopole odieux : je ne connais pas le moyen d’exécuter un chemin de fer sans monopole ; et je préfère au monopole exercé secrètement par une compagnie celui du gouvernement qui est surveillé, contrôlé et par les chambres et par le public. Si j’avais quelque crainte à cet égard, ne serais-je pas rassuré par le soin minutieux avec lequel on épluche les moindres griefs que l’on croit avoir contre l’administration du chemin de fer ? Il serait à désirer que dans les compagnies qui entreprennent des chemins de fer, il se trouvât des actionnaires qui fissent aux directeurs et aux administrateurs des questions aussi multipliées que celles qu’on adresse au ministre des travaux publics ; malheureusement il n’en est pas ainsi.

M. Desmet a dit que par suite de l’érection des chemins de fer, tout le monde serait bientôt obligé d’avoir équipage, parce que les lignes des chemins de fer ne suivent pas exactement les lignes des anciennes diligences. Par exemple, pour aller de Bruxelles à Gand, on allait autrefois par Alost, maintenant on passe par Termonde et les habitants d’Alost sont obligés d’aller à Termonde, ou à pied, ou en voiture. Mais il faut bien que le chemin de fer passe quelque part ; et comme il ne peut passer partout, l’inconvénient signalé par l’honorable membre est inévitable pour une localité ou une autre.

Un des effets du monopole, dit-on encore, c’est que le gouvernement n’accorde plus d’autres concessions de chemins de fer ; mais quand même les chemins de fer eussent été concédés à une compagnie, je doute fort qu’on accordât toutes les demandes d’embranchement qui seraient faites par d’autres compagnies. Le gouvernement ne pourrait approuver tous les plans qui lui seraient présentés ; il empêcherait les diverses compagnies de se ruiner les unes les autres. Eh bien, ce droit qu’il exercerait à l’égard des diverses compagnies, il est très juste qu’il l’exerce à son propre égard.

Le chemin de fer a un côté financier et un côté qui ne l’est pas, et peut-être ce côté n’est-il pas le moins influent. On a dit que le gouvernement aurait dû céder l’entreprise aux compagnies, et l’on a cité l’exemple du gouvernement français ; exemple assez mal choisi, puisque le gouvernement français a demandé à imiter le nôtre. On a avancé que tous les gouvernements repoussaient notre système ; et l’assertion n’est pas heureuse, puisque tous les gouvernements demandent à construire eux-mêmes.

En Hollande, il y a peu de jours, on a décidé la construction par le gouvernement. En Italie, si je suis bien informé, on prépare en ce moment des lois pour faire exécuter des chemins des fer par le gouvernement : aussi, loin que ce mode soit repoussé, l’exemple de la Belgique est suivi, et le système des concessions aux compagnies ou aux particuliers a beaucoup perdu.

On prétend encore que le chemin nécessitera des mesures fiscales dont les classes les plus nombreuses auront à souffrir. Je demanderai si jamais on a montré plus de sympathie pour les classes nombreuses que par les chemins de fer exécutés par le gouvernement ? En Belgique ces chemins sont devenus populaires ; ils sont à la portée de tout le monde ; comparez les prix de transport qu’ils coûtent avec ceux des compagnies, et vous verrez ce qu’il faut penser de l’objection qui est faite.

J’ai dit que les chemins de fer avaient un côté autre que le côté financier, c’est le côté politique. Sous le rapport financier toutes les prévisions ont été dépassées ; sous le rapport politique les chemins de fer ont fait le plus grand honneur à notre administration ; tous les étrangers qui les ont visités ont loué le gouvernement de les avoir entrepris et de les avoir exécutés comme ils le sont. Mais si à l’étranger les chemins de fer nous obtiennent des suffrages, à l’intérieur ils ont contraint les partis à se dissoudre ; et ils ont payé à la patrie les soins qu’elle a pris pour les ériger.

On a parlé encore de l’exploitation ; mais l’exploitation d’une telle œuvre peut-elle se juger dès aujourd’hui ? On nous avait assuré que cette exploitation serait très onéreuse ; maintenant, tout en avouant le contraire, on voudrait qu’ils rapportassent des sommes immenses. Je le demande encore, pouvez-vous juger actuellement de l’exploitation quand vous payez des intérêts pour des capitaux qui ne rapportent encore rien ? Pouvez-vous juger de cette exploitation quand toutes les lignes ne sont pas construites, quand le transport des marchandises n’est pas encore organisé ? Pouvez-vous en juger quand jusqu’ici ou n’a pu s’occuper que de la construction elle-même ?

Je crois qu’il reste beaucoup faire, qu’il est impossible que le gouvernement ait trouvé, ou plutôt imaginé, toutes les améliorations dont l’entretien du chemin de fer et les différentes parties du service sont susceptibles ; je pense qu’il devra s’occuper de ces améliorations ; mais on ne peut exiger que toutes choses soient faites à l’avance. Des essais sont de rigueur dans cette matière.

Pour une compagnie, comme pour le gouvernement, ce n’est qu’après des essais qu’on arrive à organiser tout définitivement. Je pense que, relativement à l’administration, le gouvernement devra s’attacher des hommes spéciaux pour le chemin de fer, des hommes s’occupant sur les lieux des moyens d’en perfectionner l’exploitation. Peut-être conviendrait-il, à cet égard, d’imiter ce qui se passe dans des sociétés qui paient des hommes chargés d’indiquer les économies qu’on peut effectuer ; peut-être faudrait-il stimuler ces hommes en leur accordant un tantième dans les économies réalisables.

Dans un gouvernement représentatif, quand des fautes ont lieu, un grand avantage, c’est qu’elles sont passagères ; c’est qu’il y a des orateurs sévères qui les reprochent à l’administration ; alors le gouvernement rectifie ses fautes, et elles sont l’occasion d’améliorations. Ici, le contrôle du public, qui, Dieu merci, est assez largement exercé, profite au gouvernement et au pays. Avec les compagnies, messieurs, une fois que le cahier des charges est accepté, que les conditions sont faites, on a beau faire des interpellations, le mal est sans remède. Ce mal nous l’avons signalé en 1834, nous avons fait voir alors quelle différence il y avait entre les prix du gouvernement et ceux demandés par la compagnie à laquelle on aurait pu concéder le chemin de fer.

Il est donc incontestable, messieurs, que dans tous les détails de l’exploitation il s’introduira plus de régularité, plus d’économie qu’on n’a pu en introduire, lorsqu’on est encore forcé de marcher à la hâte, lorsque tous les six mois on ouvre une section nouvelle. Je crois même qu’on a déjà fait des progrès dans cette voie, si je suis bien informé ; les réparations, par exemple, se font plus économiquement ; tout cela on ne pouvait pas le faire dès l’abord ; il fallait aller au plus pressé, il fallait que les voyageurs pussent faire le trajet avec sûreté.

On ne peut pas encore fixer le maximum des produits du chemin de fer, parce que ce maximum dépend de l’ouverture de nouvelles sections, de l’organisation du transport des marchandises, du parti qu’on peut tirer, par exemple, du service de nuit.

Il est également impossible de juger des frais, parce que les frais n’ont encore rien de définitif, parce qu’il doivent être beaucoup plus considérables aujourd’hui que dans la suite, attendu qu’on n’est pas encore dans des circonstances normales, qu’il faut encore faire beaucoup de dépenses qui pourront être supprimées ou réduites plus tard.

Je crois donc, messieurs, que jusqu’à présent le chemin de fer a tenu bien au-delà de ce qu’il avait promis, et que des propositions du genre de celles qui ont été faites, de vendre le chemin de fer aux compagnies, trouveront toujours à la chambre l’accueil qu’elles y ont reçu dans d’autres circonstances.

M. Desmet. - Messieurs, l’honorable préopinant croit que je m’oppose au mode actuel d’exploitation du chemin de fer, parce que la section de Bruxelles à Gand ne passe pas par Alost ; loin de là ; j’ai toujours été opposé à l’exécution du chemin de fer par l’Etat, et les faits prouvent aujourd’hui que je n’ai pas eu tort. Si le gouvernement voulait se désister du monopole qu’il exerce et accorder la concession d’un chemin de fer de Bruxelles à Gand, qui est demandée par un certain M. Vandenbossche, la ville d’Alost et 300,000 habitants de ces localités auraient leurs apaisements. Si je critique le monopole du gouvernement, c’est parce qu’il est cause qu’il n’y aura qu’une seule ligne de pays qui jouira des avantages du chemin de fer, tandis que tout le reste verra sa position empirer en proportion de la faveur qu’auront reçue les localités privilégiées.

On a voulu tourner en ridicule ce que j’ai dit de l’anéantissement des diligences ; je soutiens que les diligences ont de la plus grande utilité pour le public, pour le commerce et l’industrie ; et, je le répète encore, si les choses continuent à marcher comme elles marchent actuellement, on sera obligé d’aller à pied ou de tenir équipage.

Je voudrais donc que le gouvernement ne s’obstinât pas autant à conserver le monopole, et qu’il accordât la concession qui est demandée d’un chemin de fer de Bruxelles à Gand dans une direction plus directe, qui serait dans l’intérêt d’une population de plus du 300,000 habitants qui est demandé par les villes d’Alost, Grammont, Ninove, Lessines, par un grande partie du Brabant, de la Flandre et du Hainaut, et qui compenserait tout le mal que fait à ces contrées le chemin de fer de l’Etat, par la privation d’autres moyens de transport dont il est la cause.

M. Demonceau. - Messieurs, je ne faisais pas partie de la chambre lorsque la loi du 1er mai 1834 a été votée ; si j’avais siégé dans cette enceinte, j’aurais appuyé la loi, j’aurais voté pour que le chemin de fer fût construit par l’Etat et exploité par l’Etat ; je ne partage donc en aucune manière l’opinion qui a été défendue aujourd’hui par quelques honorables membres, qui voudraient que le gouvernement vendît le chemin de fer.

On parle de monopole, messieurs ; mais je crois que c’est bien à tort qu’on fait à cet égard un reproche au gouvernement ; le gouvernement pourrait-il accorder une concession sans concéder un monopole ? La société qui deviendrait concessionnaire d’une ligne de chemin de fer n’aurait-elle pas le droit exclusif de parcourir cette ligne et de fixer son tarif ? Que le gouvernement achève le chemin de fer, et lorsqu’il sera achevé, s’il nous prend envie de faire une spéculation, soyez persuadés, messieurs, que nous trouverons à le vendre avec un bénéfice considérable.

« Le chemin de fer, dit-on, ne produit pas ce qui est nécessaire pour couvrir les dépenses. » Songez donc, messieurs, que vous voyagez pour la moitié du prix que vous paieriez à une société ; croyez-vous qu’une société particulière se chargeât de transporter des voyageurs de Bruxelles à Liége pour 2 à 3 francs, tandis que les diligences coûtent 14 francs ? Eh bien, messieurs, malgré le bas prix du transport, lorsque le chemin de fer sera entièrement construit, lorsque le service sera définitivement organisé, il procurera des ressources considérables au trésor, il rapportera annuellement plus de 10 p. c. des sommes qu’il aura coûté.

Ce n’est cependant pas dans un intérêt financier que le chemin de fer a été décrété, c’est dans un but plus élevé ; c’est pour consolider notre nationalité, pour rapprocher les habitants des différentes parties du pays, pour concilier les opinions, pour resserrer les liens qui doivent unir de plus en plus tous les habitants de la Belgique.

Vous vous plaignez des produits du chemin de fer ; mais faites donc attention que les capitaux qui sont employés aujourd’hui aux constructions non achevées, ne produisent encore rien. Vous avez dépensé des sommes considérables pour construire la route d’Ans ; cette route vient seulement d’être livrée à la circulation, ce n’est que maintenant qu’elle va produire. Ce n’est que quand toutes les sections seront ouvertes, quand le service sera complétement organisé, que vous pourrez apprécier, avec exactitude, les produits du chemin de fer ; et alors, soyez-en persuadés, vous aurez lieu d’être satisfaits.

L’honorable M. Desmet se plaint du bois qu’on emploie à la construction du chemin de fer : je ne connais rien en cette matière, mais je dois faire part à la chambre d’une conversation qui a eu lieu en ma présence entre des ingénieurs de la société qui doit construire le chemin de fer de Cologne et des ingénieurs belges ; ces messieurs, reconnaissaient tous que le bois de chêne coûte trois fois autant que le bois que nous employons ; nous faisons donc là une économie notable, je dois cependant ajouter que les ingénieurs de la société du chemin de fer de Cologne disaient que les conventions portaient que le bois de chêne devait être employé de préférence.

Maintenant, messieurs, je dirai un mot de la partie du chemin de fer d’Ans à la frontière prussienne ; aujourd’hui que la société de Cologne désire ardemment voir la Prusse en contact avec la Belgique, je demanderai à M. le ministre des travaux publics s’il a l’espoir de tenir la promesse qu’il nous a faite, il y a à peu près 8 mois, d’exécuter très prochainement cette ligne ? Au mois d’octobre dernier, je me suis plaint de ce que la route de Liége à la frontière prussienne n’était pas encore mise en adjudication, de ce qu’elle paraissait même en quelque soute abandonnée ; M. le ministre me répondit que la section de Tirlemont à Liège serait terminée très prochainement, que l’étude de la route de Liège à la frontière de Prusse était très avancée, que très prochainement il mettrait en adjudication la section de Liège à Fraipont.

Je n’en veux aucunement à M. le ministre des travaux publics de ce qu’il prend les plus grandes précautions avant d’entreprendre les travaux dont il s’agit, cependant je dois lui dire que les populations de ces localités attendent avec la plus vive impatience la construction de la communication qui leur est promise ; les frais de transport sont énormes dans ce pays ; les produits qui sont employés dans nos manufactures, surtout la houille, ont haussé considérablement ; vous comprenez, messieurs, quel avantage nous devons retirer d’une route qui diminuera si fortement le prix du transport.

D’un autre côté, messieurs, si vous consultez l’esprit de la loi de 1834, vous verrez qu’elle a eu principalement pour objet de réunir l’Escaut à la frontière du Nord ; cependant on s’occupe d’embranchements, tandis que la ligne principale ne sera pas achevée d’ici à longtemps ; car M. le ministre a dû rencontrer, et il rencontrera dans cette direction des travaux difficiles qui occasionneront beaucoup de retards ; il serait donc urgent de commencer, car quelqu’activité qu’on y mette, il faudra toujours encore longtemps avant que nous ne voyions la fin des travaux. il y a sept mois que la route dont je parle devait être mise en adjudication ; les sept mois sont écoulés, et nous sommes tout aussi avancés que le premier jour ; le chemin de fer ira à Ostende que l’on n’aura pas encore commencé la route de Liége à la frontière prussienne.

J’espère que M. le ministre des travaux publies voudra bien me dire à quel point nous en sommes pour le chemin de der dont il m’a promis, depuis si longtemps, l’exécution, et qu’il fera tout ce qui sera en lui pour remplir enfin sa promesse. Je voterai l’emprunt tel qu’il est proposé.

- La séance est levée à 4 heures et demie.