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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 22 mars
1838
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Proposition de loi relatif à l’usage abusif de
la clause d’exemption du mariage en matière de milice (proposition Seron) (Liedts)
3) Projet de loi relatif au droit d’entrée sur
le tabac (Mercier)
4) Projet de loi relatif aux droits d’accises sur le sel (A. Rodenbach,
Mast de Vries, Milcamps, Devaux, Angillis, de Foere, de Jaegher, Desmet, de Brouckere)
5) Projet de loi relatif aux droits sur les fils
de lin (de Nef, Zoude, Mercier, Desmet, d’Huart)
6) Projet de loi relatif aux droits d’accises
sur le sel (Zoude, Coghen)
(Moniteur belge n°82, du 23 mars 1838 et
Moniteur belge n°83, du 24 mars 1838)
(Présidence
de M. Raikem.)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à une heure et demie.
M.
Kervyn lit le procès-verbal de la dernière séance ; la
rédaction en est adoptée.
M.
B. Dubus fait connaître l’objet des pièces adressées à
la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
«
La régence de Louvain adresse de nouvelles observations contre le projet de loi
relatif à l’accise du sel. »
________________
« La
dame veuve Serneels, à Bruges, réclame l’exemption de la milice pour son fils majeur. »
________________
« Des fabricants de fromage de la commune
de Charneux demandent l’exemption de l’impôt sur le sel pour la salaison de
leurs produits, ou une restitution à la sortie. »
________________
-
Les pétitions relatives au sel seront déposées sur le bureau pendant la
discussion du projet de loi concernant l’impôt du sel ; l’autre pétition est
renvoyée à la commission des pétitions.
PROJET DE LOI RELATIF A L’USAGE ABUSIF DE LA CLAUSE DU
MARIAGE EN MATIERE DE MILICE
M.
Liedts dépose sur le bureau le rapport de la
commission chargée de l’examen de la proposition faite par M. Seron sur les
mariages des miliciens.
-
L’impression de ce rapport est ordonnée.
PROJET DE LOI RELATIF AU DROIT D’ENTREE SUR LE TABAC
M.
Mercier, rapporteur de la section centrale chargée de
l’examen sur le projet de loi relatif aux droits d’entrée sur les tabacs, monte
à la tribune et dit. - Messieurs, parmi les réclamations parvenues à la chambre
contre le projet de loi tendant à augmenter les droits d’importation sur les
tabacs étrangers, et qui ont été renvoyés à la section centrale chargée de
l’examen de ce projet, il en est qui concernent également l’exemption de
l’accise sur le sel, dont les fabricants de tabacs sont menacés d’être privés
par le projet de loi de l’impôt sur le sel, qui fait actuellement l’objet de
nos délibérations.
Votre
section centrale n’ayant mission de s’occuper que du projet de loi relatif aux
droits d’importation sur les tabacs, a cru devoir se borner, en ce qui concerne
l’exemption dont je viens de parler, à conclure au dépôt de ces pétitions sur
le bureau, et je viens l’effectuer en son nom, afin que chaque membre de cette
chambre puisse, dans le cours de la discussion actuelle, prendre connaissance
des considérations qu’elles renferment à cet égard.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS D’ACCISES SUR LE SEL
Discussion générale
M.
A. Rodenbach. - L’orateur qui s’est fait entendre le dernier
dans la séance d’hier, regrette la loi qui est maintenant en vigueur : je
conçois ce regret de la part de quelques localités ; mais il n’en est pas moins
vrai que depuis sept années, plus de 300 pétitionnaires ont réclamé une
nouvelle loi, et que la très grande majorité des raffineurs de sel de la
Belgique l’ont demandée. Il y a eu, je crois, quatre ministères qui ont formulé
des projets ; plusieurs sections centrales s’en sont occupées. Il n’y a pas
encore un mois que les sauniers de Bruxelles ont fait entendre leurs plaintes
contre la législation actuelle, surtout contre les passe-avant que l’on exige
pour la vente du sel en détail ; ils ont dit que ces passe-avant constituaient
un véritable grief, et en ont demandé le redressement. D’après tous ces faits,
il semble donc que la loi nouvelle est indispensable.
Lorsque
nous examinons la consommation qui se fait du sel en Belgique, d’après les
revenus que donne la législation actuelle, avec la consommation qui se fait
dans les pays voisins, il n’y a pas le moindre doute que le droit sur le sel
devrait rapporter infiniment plus. En Angleterre on calcule que la consommation
moyenne par individu est annuellement de 11 kilog. ; en France, elle est de 10
kilog. ; eh bien, les produits du sel n’étant que de trois millions sept cent
mille francs, ne représentent qu’une consommation moyenne de 5 à 6 kil. ; le
droit devrait donc être de sept millions ; ainsi le trésor est frustré de près
de trois millions. Est-ce le consommateur qui en profite ? Je ne le pense pas.
Quelles sont donc les personnes qui en profilent ? Les fraudeurs.
Depuis
plusieurs années on a fraudé près de trois millions par an ; nous devons mettre
ordre à un tel état de choses.
La
section centrale a proposé douze francs, le ministre avait demandé seize francs
; si même on veut proposer un nouvel amendement pour porter le droit à dix
francs, je serai prêt à le voter. A dix francs, l’impôt rapporterait encore
quatre millions. Il me semble que nous ne devons pas craindre de baisser le
droit.
Dans
la séance d’hier, un orateur a dit que ce serait une injustice que d’imposer
l’eau de mer. Je crois, au contraire, que ce serait une iniquité que de ne pas
l’imposer. Le charbon, a dit cet orateur, est plus cher près des côtes que dans
l’intérieur de la Belgique, et, par compensation, on doit laisser aux côtes
l’emploi de l’eau de mer : l’assertion n’est pas exacte : dans l’intérieur de
la Flandre occidentale, le charbon est à un plus haut prix qu’à Ostende. Je
connais les prix courants. De l’exemption de droits sur l’eau de mer, il est
résulté qu’à Thielt, à Dixmude, à Ypres, à Courtray..., les raffineries de sel
ont diminué en nombre, et que cette industrie a été exploitée par les villes de
Bruges et d’Ostende.
Lorsque
j’étais dans ma province, j’ai eu l’occasion d’apprendre que c’était à l’usage
de l’eau de mer que les sauniers de nos contrées devaient d’être obligés de
fermer leurs usines.
La section centrale demande 35 centimes pour
l’eau de mer à 3 degrés, afin de rétablir l’équilibre. Dans des mémoires on a
dit : Si, par exemple dans le Hainaut, on imposait le charbon, ne serait-ce pas
une injustice ? Mais la comparaison est en défaut. L’eau de mer produit du sel,
et on doit l’imposer comme l’on impose le sel ; mais le charbon ne produit pas
du charbon. Sous le gouvernement de Napoléon on a imposé l’eau de mer ; il faut
prendre cette mesure, ou adopter le droit de 35 centimes, si l’on ne veut pas
fermer les usines qui ne sont pas sur les côtes.
Je
me bornerai pour le moment à ces considérations. Je sais qu’il y a dans la loi
des dispositions vicieuses ; mais il en sera de cette loi comme d’une foule
d’autres ; par des amendements on remédiera aux erreurs commises par le
ministère et par la section centrale.
J’adopte
le principe de la loi.
M. Mast de Vries.
- Parmi les griefs dont la législation actuelle est l’objet, il en est qui me
paraissent de telle nature que si, au moyen de la loi nouvelle, on pouvait les détruire,
je m’empresserais de l’adopter, en supposant que ces griefs soient fondés. Le
premier de ces griefs concerne la fraude. L’on prétend que le chiffre élevé de
l’impôt prête à la fraude, et la section centrale, il est fâcheux de le dire,
préoccupée de cette idée fixe, a vu de la fraude partout. Partant de cette
idée, elle s’est trompée dans ses calculs.
On
vous a déjà dit hier que les importations de sel qui se faisaient dans nos
villes à l’intérieur avaient été déclarées dans les villes maritimes, et que de
cette manière on arrivait à un total de l’importation hors de toute proportion
avec notre consommation. La section centrale prétend que la consommation du
sel, telle que la donne l’impôt, ne représente pas la consommation réelle. Elle
croit que la consommation moyenne en Belgique doit être, comme elle le prétend
en France, de 10 kilog. par individu ; que cela donne une consommation, pour la
Belgique, de 45 millions de kilogrammes, tandis qu’il n’y a que 22 millions de
kilogrammes de payés ou qui sont soumis au droit ; qu’ainsi il y a fraude de
moitié, c’est-à-dire, que 150 navires de sel qui viennent de mer devaient être
fraudés. Ces calculs n’ont pu être établis que sur des erreurs.
Comment
voulez-vous que 22 millions de sel soient fraudés ? Ce ne sera pas par la
frontière de terre, car la France ne peut nous envoyer du sel, puisqu’il y est
plus imposé ; il en est de même en Prusse ; reste donc la Hollande.
L’importation
en Hollande n’est que les deux tiers de ce qu’elle est en Belgique, et s’il fallait
en diminuer ce qu’on prétend être introduit en fraude, il n’y resterait plus
rien.
Je
ne prétends pas qu’il n’y ait pas de fraude, mais je dis que la fraude n’est
pas plus considérable pour le sel que pour une foule d’autres objets.
Quelques
pétitions, messieurs, qui demandaient le maintien de la législation actuelle,
demandaient cependant que l’eau salée ne fût plus admise ; dans ces pétitions
on évaluait à 500,000 kilog. la quantité de sel fabriquée annuellement avec
l’eau de mer. Pour que cette évaluation fût exacte, il faudrait qu’on importât
par an 500,000 hectolitres d’eau de mer : car vous savez, messieurs, que l’eau
de mer, pesant environ deux degrés, ne donne qu’un kilog. de sel par hectolitre
; or, de la manière dont se fait l’importation de l’eau par mer, il faudrait
2,000 à 2,500 cargaisons pour en importer 500,000 hectolitres. Vous voyez donc,
messieurs, que l’évaluation dont je viens de parler est tout à fait absurde.
On
est loin, messieurs, de faite un usage général de l’eau de mer : chez nous, il
y a quatre salines considérables ; les unes s’en servent, les autres ne s’en
servent pas, et celles qui s’en servent ne le font pas parce qu’elles y
trouvent un bénéfice, mais parce que le sel qui provient de l’eau de mer est
plus brillant, mieux cristallisé. A Anvers, où l’on est si bien situé, où
toutes les salines devraient employer de l’eau de mer, à Anvers, dis-je, les
salines qui n’ont pas de canaux, et qui devraient, par conséquent, la faire
transporter par charrettes, n’en veulent pas, parce qu’elle leur revient trop
cher. D’après mes indications, une seule en fait usage. Il est donc injuste
d’imposer l’eau de mer d’un droit de 35 centimes ; il est impossible qu’elle
paie ce droit, il est impossible qu’elle paie quelque chose, et mieux vaudrait
en interdire ouvertement l’importation.
« Mais,
dit-on, les navires qui importent l’eau de mer peuvent en même temps importer
du sel brut ; c’est là un moyen facile de fraude. » S’il en est ainsi,
messieurs, il faut avouer que la douane ne sert à rien ; car il est bien aisé,
je pense, de reconnaître si l’eau de mer a été mélangée avec du sel brut ; on
sait que l’eau de mer ne pèse que deux degrés ; à plus de trois degrés, il est
évident qu’il y a fraude ; cette vérification se borne donc à une opération
matérielle. D’ailleurs cette fraude n’a pas lieu, car on n’a jamais fait une
saisie de ce genre.
Je
reviens encore, messieurs, sur le chiffre de 40 kil. qui a servi de base aux
calculs de la section centrale. Je pense que chacun de nous, dans une question
de cette importance, a eu soin de prendre quelques renseignements ; je crois
que ces renseignements doivent être assez d’accord entre eux, puisque la
consommation du sel est à peu près uniforme dans toutes les localités ; j’ai
consulté, moi, différentes administrations ; enfin ce que l’on consulte avec le
plus de fruit c’est son propre ménage ; j’ai donc aussi consulté le mien, et
j’ai vu qu’à l’exception du sel qu’on emploie pour saler les provisions, la
consommation de cette denrée est d’environ 3 kil. par individu ; ajoutez-y 2 ou
3 kilog. pour le sel nécessaire pour les salaisons de toute espèce, vous aurez 5 ou 6 kilog. par individu. Je le demande
maintenant, messieurs, quel soulagement résulte-t-il pour les classes pauvres
d’un projet de loi qui réduit l’impôt sur le sel de 1 fr. 61 c. par cent
kilogrammes ? Le pauvre qui achète le sel par un quart ou par un huitième de
kilogramme, trouvera-t-il le moindre bénéfice sans une pareille déduction ? Je
sais que la section centrale propose une réduction un peu plus forte, mais elle
est encore trop faible pour que le pauvre, qui achète par petites quantités,
puisse en profiter.
Il
ne pourrait y gagner que si la réduction était de 8 fr., ce qui ferait un
centime par 1/8 de kil. Si une réduction semblable était proposée et possible,
je m’empresserais de l’appuyer.
J’aurais
encore d’autres objections à faire contre différentes dispositions du projet,
je me réserve, messieurs, d’en parler dans la discussion des articles.
M.
Milcamps. - Messieurs, les industriels, dans mon
district, n’ont pas la voie d’une chambre de commerce pour faire connaître
leurs besoins et leurs vœux à la législature ; ils n’ont que la voie du
pétitionnement ou l’organe des députés du district. Rarement ils usent du
premier moyen, plus rarement encore du second ; et c’est presque la première
fois, depuis que j’ai l’honneur de siéger dans cette chambre, que mon attention
a été provoquée sur un projet de loi.
Messieurs,
des sauniers sont venus me trouver, et, dans une longue conférence que j’ai eue
avec eux, nous sommes demeurés d’accord que le système de la loi du 21 août
1822 était vicieux pour la Belgique, et qu’il devait subir d’importants
changements ou améliorations.
Les
plus notables qui m’ont été signalés sont :
L’importation
du sel brut ou raffiné et de l’eau de mer, aux seuls ports d’Anvers et
d’Ostende ;
L’imposition
de l’eau de mer ;
La
libre circulation du sel brut et raffiné ;
La
diminution du droit d’accise ;
Le
crédit à terme aux sauniers.
Mais
ces améliorations, je les trouve dans le projet de loi présenté par le
gouvernement ; et cette fois, comme presque toujours, le gouvernement a
consulté franchement l’intérêt général en le conciliant avec celui du trésor, sans
se laisser dominer par des intérêts de localité.
La
chambre adopterait-elle les améliorations ?
Voici
les raisons qui me le font espérer :
Quant
à l’importation du sel brut ou raffiné et de l’eau-mer aux seuls ports d’Anvers
et d’Ostende, cette disposition, nous apprend la section centrale, a en sa
faveur l’opinion de tous les ministres qui, depuis 1831, ont occupé le
département des finances. J’ignore si cette allégation est exacte, mais je
dirai qu’il ne faut pas une grande perspicacité pour reconnaître que c’est le
seul moyen de mettre un terme à la fraude, qu’on porte à plus de 15,000 kilog.,
et pour faire jouir le sel d’une libre circulation à l’intérieur. Car,
messieurs, qu’on ne s’y trompe pas, c’est là le point culminant de la loi,
c’est son but et son objet ; elle fait droit aux nombreuses pétitions qui ont
été adressées à la chambre. Il ne faut pas s’étonner des réclamations des
villes maritimes à cet égard. C’est dans l’intérêt de leur navigation qu’elles
réclament ; mais, pour appuyer leurs réclamations, elles sont obligées de
demander le maintien des entraves actuelles à la libre circulation du sel,
elles sont dans l’impossibilité d’indiquer des mesures propres à arrêter la
fraude ; mais qui ne voit qu’il existe un intérêt qui parle plus haut, celui
des sauniers de l’intérieur, et qui a l’avantage de se concilier avec celui du
trésor ?
Relativement
à l’imposition de l’eau de mer, j’ai vu avec étonnement la ville d’Ostende,
malgré les avantages que lui accorde le projet de loi, s’élever contre cette
disposition. Elle veut l’importation de l’eau de mer libre de droits d’accise.
Mais
l’eau de mer ne favorise-t-elle pas, au détriment des sauniers de l’intérieur,
les sauniers rapprochés des eaux navigables, déjà favorisés par le transport
facile de leur sel brut et du charbon, etc. ? Où serait la garantie des
sauniers qui ne peuvent communiquer directement avec la mer (et ceux-là font
bien le plus grand nombre), si on laissait exister le principal moyen de fraude
et la seule entrave portée à la concurrence, qui doit être le domaine de tous ?
Quoi qu’on en dise, et abstraction de l’avantage, l’eau de mer prête à la
fraude ; le pied carré faisant 16 pots liquide, donne, en eau de mer, 72 livres
poids courant, et en eau douce, 70 livres ; elle possède 4 à 5 degrés de
salure, et voici comment cette fraude se fait, ou peut du moins se faire,
d’après les renseignements qui m’ont été donnés, et dont cependant je n’ai pas
vérifié l’exactitude.
Le
départ des bateaux qui vont prendre l’eau de mer coïncide souvent, au-delà des
côtes, avec l’arrivée des bateaux chargés de sel brut. On jette du bateau
chargé de sel dans le fond de celui chargé d’eau de mer, des quantités plus ou
moins fortes de sel, dont la fonte ne laisse aucune trace à la surface, parce
que le sel pesant plus que l’eau, toutes les parties salines se fixent dans le
fond, et c’est particulièrement par suite de cette fraude et au grand préjudice
du fisc et des sauniers de campagne, que ces raffineurs font vendre le sel
quasi pour le prix du droit.
Je
dirai même que pour rendre le droit uniforme et pour maintenir la concurrence
entre les sauniers rapprochés des eaux navigables et ceux de l’intérieur, il
faudrait, ou que l’on défendît l’usage de l’eau de mer, ou que l’on accordât au
dernier l’équivalent du bénéfice que donne l’eau de mer. Cependant, messieurs,
le gouvernement se borne à établir, à l’importation de l’eau de mer, une accise
de 50 cent. par hectolitre d’eau marquant 3 degrés, et la section centrale une
accise de 35 c. Je pense, messieurs, que nous ne pouvons refuser notre
assentiment à la proposition de la section centrale sans porter atteinte à la
concurrence qui doit exister entre tous les sauniers en général.
Venant
maintenant à la libre circulation du sel brut et du sel raffiné, on doit admettre
que cette proposition n’est que la conséquence, et la conséquence nécessaire,
de l’importation, bornée aux deux seuls ports d’Anvers et d’Ostende ; elle aura
cet heureux résultat d’affranchir la circulation du sel à l’intérieur du
royaume des entraves auxquelles elle est maintenant assujettie.
J’aime
à croire que la chambre adoptera ces diverses dispositions ; ce sont de grandes
améliorations, et il fallait être ce que nous sommes maintenant pour arriver à
ce résultat.
Car
remarquez-le bien, messieurs, la loi du 21 août 1822 était bonne pour la
Hollande. Là, en effet, l’étendue des côtes et les facilités offertes à la
contrebande rendaient difficile la répression de la fraude par le cabotage. Il
y eût eu des inconvénients à proclamer la libre circulation du sel brut et du
sel raffiné ; il devenait nécessaire, pour prévenir la fraude, d’assujettir les
sauniers de l’intérieur à de minutieuses et gênantes formalités. C’était le
contraire en Belgique, où l’on eût bien fait de n’établir que deux dépôts, Anvers
et Ostende, et où les sauniers de l’intérieur se fussent approvisionnés. Il
n’eût pas fallu, pour prévenir la fraude qui se montre si scandaleuse,
assujettir les sauniers de l’intérieur aux formalités gênantes et onéreuses de
la loi du 21 août 1822 ; mais nous devions subir la loi commune, et il faut
être, je le répète, ce que nous sommes pour arriver à l’ordre naturel des
choses.
Ce
ne sont pas là les seules améliorations que l’intérêt général réclame ; nous
devons y ajouter la diminution du droit d’accise. La loi actuelle établit les
droits d’accises à 17 fr. 65 c. par 100 kil. de sel brut ; le gouvernement
propose de le réduire à 16 fr., et la section centrale à 12.
Si je savais qu’en Belgique la consommation pût
être évaluée à 10 kil. par tête, je ne verrais pas grand inconvénient à
adoption la réduction proposée par la section centrale ; mais je n’ai pas des
donnes certaines à cet égard. On peut craindre qu’une aussi forte réduction
compromette les prévisions du trésor. J’attendrai des explications sur ce
point.
Il
y a lieu aussi d’accorder aux sauniers, comme le propose le gouvernement, le
crédit à termes. Je ne suis nullement touché des arguments qu’on oppose à cette
disposition.
En
résumé, le projet de loi présenté par le gouvernement me paraît, dans le plus
grand nombre de ses dispositions, concilier les intérêts généraux avec ceux du
trésor ; j’en adopterai les bases.
(Moniteur belge n°83, du 24 mars 1838) M. Devaux. - Messieurs, à la vue d’un projet
de loi en 41 articles, contenant 23 à 24 pages in-folio ; d’un projet de loi
dont la discussion va absorber probablement une grande partie du restant de
notre session ; à la vue des pétitions qui surgissent de presque tous les
points de la Belgique contre le projet de loi, la première question que je me
suis faite, c’est celle de savoir quelle était l’urgence de cette modification
de la législation actuelle. Je me suis demande quel avait été le but d’un certain
nombre (assez restreint, il est vrai) de membres de cette chambre, qui ont
insisté à diverses reprises pour obtenir une loi nouvelle sur cette matière.
Ce
but, messieurs, est celui-ci : on voulait trois choses : une diminution dans le
droit d’accise ; une diminution de la fraude, pour augmenter le revenu du fisc
; ou voulait enfin délivrer les sauniers des gênes qui résultent pour eux de la
nécessité actuelle de se munir d’un document, pour vendre le sel raffiné.
Quant
au premier but qui est la diminution du droit d’accise et qu’on voudrait
atteindre dans l’intérêt du pauvre, je ne veux pas nier que jusqu’à un certain
point le pauvre ne soit pas intéressé à une diminution dans le droit d’accise.
Mais pour que cette diminution se fasse sentir pour lui, ainsi qu’on vous l’a
dit tout à l’heure, il faut une diminution considérable ; il faut une
diminution qui se traduise non seulement en kilogrammes, mais encore en demi,
en quart, en huitième, en seizième de kilog. ; et alors, messieurs, vous aurez
une expérience à faire, pour savoir si cette diminution étant opérée, l’accise
produira plus ou produira moins. Si nous sommes financièrement en position de
faire de semblables expériences, si l’on croit le moment opportun de les
tenter, pour mit, au fond, je n’y suis nullement opposé.
Mais,
messieurs, ce n’est pas là ce que l’on vous propose ; le projet de loi du
ministre réduit l’accise de 17 centimes par kilog. à 16 centimes, et la section
centrale croit aller très loin en vous proposant de la réduire à 12.
Tout
en ne perdant pas de vue l’intérêt du pauvre, ne l’exagérons pas. L’importance
de l’impôt est aujourd’hui année moyenne d’après la section centrale de
2,800,000 fr. M. le ministre des finances me fait observer que ce n’est là que
le principal et qu’il faut ajouter les additionnels, ensemble donc environ
4,000,000. Eh bien, pour avoir un terme de comparaison plus facile, je
supposerai que la population du royaume n’est que de 4 millions ; nous avons donc annuellement 1 fr. par
individu, et par conséquent moins d’un tiers de centime par jour et par
individu.
Voilà,
messieurs, l’importance du droit sur lequel M. le ministre des finances dans
son projet vous propose une réduction d’un dix-septième. Aussi, vous aurez à
réduire, pour le pauvre, d’un dix-septième le tiers de centime qu’il paie par
jour. La section centrale vous propose de le réduire d’environ un quart, ce qui
ferait un douzième de centimes à retrancher d’un tiers.
Messieurs,
je dis que tout en ne niant pas l’intérêt qu’il peut y avoir à obtenir une diminution
notable de l’accise, on ne peut s’empêcher de reconnaître que le projet
consacre une diminution véritablement illusoire. Si vous considérez que le
pauvre achète le sel par très petites quantités, il devient très problématique
si de ce chef la moindre diminution de prix pourra se faire sentir pour lui.
Or,
d’autre part, on vous propose une foule de difficultés nouvelles pour le
commerce. On vous propose d’abolir les crédits permanents, de restreindre le
grand commerce de sel à deux villes ; or, le monopole et tout ce qui s’en
rapproche, n’a jamais passé pour favoriser le bas prix des marchandises. On
vous propose ensuite la suppression des entrepôts à l’intérieur, la suppression
du déchet ; on vous propose enfin d’imposer l’eau de mer. Je crois qu’en présence
de toutes ces mesures, il ne faut pas être fort sceptique pour rester dans le
doute sur la question de savoir si, par suite de l’adoption du projet de loi,
le prix du sel augmentera ou baissera.
Le
second but qu’on a en vue en réclamant une législation nouvelle, c’est de
diminuer la fraude. Remarquez ici la contradiction dans laquelle on tombe. On
veut diminuer le prix du sel ; on allègue qu’il y a grande fraude, et on veut
la supprimer ; il me semble que diminuer la fraude, ce n’est pas agir dans le
sens de la diminution du prix. De deux choses l’une ; ou bien la fraude est peu
considérable, et alors il n’y a pas grand intérêt à la supprimer ; ou bien la
fraude est considérable, et alors nécessairement elle doit faire baisser le
taux naturel du prix de cette denrée.
On
veut supprimer la fraude, et en même temps que fait-on ? On supprime la
nécessité qui existe aujourd’hui d’avoir un document pour la circulation du sel
raffiné. L’on évalue à des quantités monstrueuses, en quelque sorte, le sel
fraudé, et en même temps l’on vous propose de supprimer ce qui paraît un des
moyens les plus efficaces contre la fraude, le document qui doit accompagner
aujourd’hui la circulation de toute quantité de 25 kil. de sel raffiné.
La
suppression de cette mesure offre tellement de chances de fraude que les
sauniers de Liége qui sont voisins d’une frontière par où l’on fraude le sel
raffiné, vous demandent eux-mêmes en grâce de ne pas leur accorder la libre
circulation du sel, parce qu’ils ne pourraient lutter contre la fraude. Or, si
vous supprimer le document, vous n’avez pas seulement à craindre la fraude dans
le rayon de Maestricht, vous avez encore à la craindre sur toute la limite des
Flandres, car les mêmes motifs qui peuvent faire frauder dans le rayon de Maestricht
peuvent faire frauder également le long de la Flandre zélandaise.
Voilà
bien des contradictions ; mais dans tout cela, cependant, le but réel, le seul
avantage, c’est la suppression du document qui doit accompagner aujourd’hui le
sel raffiné, c’est la suppression des gênes que les marchands de sel raffiné
éprouvent en le débitant. Reste à savoir maintenant si d’une part cet avantage
est très grand, et, d’autre part, si on peut l’obtenir sans l’acheter trop
cher.
Au
prix que propose le projet de loi, c’est le payer trop cher ; si on peut
l’obtenir à de bonnes conditions, je ne le repousserai pas : mais aux
conditions du projet de loi, je n’en veux pas ; car, je vous le déclare, la loi
proposée est, à mon avis, la plus inadmissible de toutes celles qui vous ont
été présentées jusqu’ici. Et la chose est d’autant plus étonnante qu’aucun de
ces principes contestés d’économie sociale qui nous divisent souvent n’est ici
en cause. Le projet actuel est une loi fiscale et rien de plus.
Messieurs,
je ne m’attacherai aujourd’hui, dans la discussion générale, qu’à ce qu’on a
proclamé hier être le point culminant de la discussion.
La
mesure la plus grave du projet est sans contredit la restriction de
l’importation directe, sans rupture de charge, à deux ports, Ostende et Anvers,
à l’exclusion de Louvain, Bruxelles et Bruges. Cette mesure, messieurs, est
celle qui, à mes yeux, a le plus de gravité, et elle en a une très haute ; je
ne désespère pas de vous en convaincre.
Il
faut bien, messieurs, qu’il en soit ainsi, car si vous lisez et l’exposé des
motifs du gouvernement et le rapport de la section centrale, vous serez frappés
d’une chose : c’est qu’il semble que personne ne veuille avoir l’honneur d’être
auteur du projet de loi. M. le ministre des finances, et avec assez de raison,
je pense, vous déclare que ce n’est pas lui qui a pris l’initiative de ce
projet, mais qu’il lui a été inspiré par la section centrale de la chambre.
De
là, le projet a passé dans une commission de membres des chambres nommée par M.
le ministre des finances, et dont les membres de cette même section centrale
faisaient partie, et c’est sur les bases posées par cette même commission que
le projet de loi a été rédigé. Ainsi M. le ministre des finances me paraît,
jusqu’à un certain point, pouvoir décliner avec raison sa responsabilité. La
section centrale à son tour prend soin de s’entourer de toutes les autorités
pour motiver. Oh ! ce n’est pas elle seulement, elle la première, qui a pensé
ainsi. Voyez plutôt.
Voici,
messieurs, ce que je lis à la page 3 du rapport de la section centrale,
relativement à la proposition de restreindre l’importation du sel aux deux
seuls ports d’Anvers et d’Ostende :
« Le
premier moyen qui vous a été signalé, et qui proviendrait du trop grand nombre
de ports de déchargement avait été reconnu par tous les chefs qui se sont
succédé dans l’administration des finances.
« M.
de Brouckere, dans la note explicative du projet qu’il a présenté au congrès,
dit que la latitude des arrivages vers des lieux de déchargement à l’intérieur,
il est résulté de fréquents et graves abus.
« M.
Coghen, dans son projet présenté à la législature en 1832, dit que le système
le plus propre pour obvier à la fraude serait de ne permettre le premier
déchargement à l’arrivée que dans les ports d’Ostende et d’Anvers.
« M.
Duvivier était plus restrictif encore, car ne consultant que l’intérêt du
trésor, il aurait voulu borner l’importation au seul port d’Ostende, parce que
sa longue expérience en douane et accise lui avait appris qu’il y avait
d’autant plus d’abus et de fraude que le point d’entrée était plus éloigné de
celui du déchargement.
« Et
enfin le projet présenté à la commission en 1834, celui de M. d’Huart à la
chambre en 1836, la commission spéciale chargée de son examen, et la section
centrale au nom de laquelle j’ai l’honneur de vous parler, tous se sont réunis
pour restreindre les bureaux de déchargement aux seuls ports d’Ostende et
d’Anvers.
« Quant
au port de Bruges, déjà la section centrale, dans son rapport au congrès,
disait, par l’organe de son rapporteur, M. d’Elhoungne, qu’on ne pouvait placer
un bureau d’entrée à Bruges, sans ouvrir une large voie à la contrebande. Comme
se flatter, disait-il, d’empêcher le versement en fraude d’une denrée aussi
fortement imposée, pendant un trajet de plusieurs lieues, par un canal
abordable de tous les points ? »
Que
croyez-vous, après cette lecture que je viens de vous faire ? Que les projets
de loi présentés par MM. de Brouckere, Coghen, Duvivier et d’Elhoungne
tendaient à supprimer la faculté d’importation par tout autre port que ceux
d’Anvers et d’Ostende. Eh bien, veuillez m’écouter.
M.
de Brouckere, dans le projet qu’il a présenté, reconnaît que ce moyen est un de
ceux qui peuvent empêcher la fraude ; dans l’intérêt du commerce, il le
rejette, et son projet de loi propose expressément de conserver à tous les
ports la faculté dont ils jouissent.
M.
Coghen dit la même chose, et rejette également la restriction. Son projet
maintient tous les ports d’importation.
Quant
à M. Duvivier, on ne cite pas la date à laquelle il a énoncé son opinion, je ne
l’ai pas retrouvée.
Venons
à l’opinion de M. d’Elhoungne, à laquelle on attache probablement quelque prix,
car il était du district de Louvain, et ce serait, pense-t-on, sans doute un
argument assez fort, si un député de Louvain convenait qu’il faut supprimer le
port de Louvain. Eh bien, j’ai trouvé que le projet présenté par M.
d’Elhoungne, loin de restreindre les ports de déchargement, tend à les étendre.
Loin de restreindre l’importation à Ostende et à Anvers, il maintient tous les
ports actuels et ajoute celui de Termonde.
Voici
la phrase qu’on cite de M. d’Elhoungne : « On ne pourrait placer un bureau
d’entre à Bruxelles sans ouvrir une large voie à la contrebande. Comment se
flatter d’empêcher le versement en fraude d’une denrée aussi fortement imposée,
pendant le trajet de plusieurs lieues, par un canal abordable de tous les
points ? »
Savez-vous
de quoi il s’agit là, de quoi parle M. d’Elhoungne ? De quelque chose qui n’a
rien de commun avec la question dont je vous entretiens. Bruges avait demandé à
cette époque non pas de pouvoir importer directement le sel, car on le lui
contestait pas cette faculté, non pas d’être mise sur le même pied qu’Anvers,
car le projet de loi d’abord conservait cette égalité, mais d’être mise sur le
même pied que Lillo, que le premier bureau d’entrée situé à l’extrémité du
territoire. C’est-à-dire de n’être plus soumise au plombage et convoyage dans
le trajet d’Ostende à Bruges.
La
section centrale répond que cela offrirait des chances de fraude dans le
trajet. Je demande ce que cela a de commun avec la mesure dont il s’agit ;
quelqu’un demande-t-il ici d’ériger Bruges en bureau d’entrée et de supprimer
les plombs et le convoiement ?
Je
n’ajouterai ici aucun commentaire ; mais il doit être permis de dire qu’il est
vraiment pénible d’avoir à relever de pareilles choses dans un rapport fait
officiellement par une section centrale au nom de la chambre, je ne dirai pas,
pour relever des citations fausses, car littéralement elles sont vraies, mais
des citations qui, incomplètes et de la manière dont elles sont présentées,
doivent, contre l’intention de l’auteur du rapport, induire en erreur tous ceux
qui ne les rapprochent pas des documents dont elles sont extraites.
Le
grand motif dont on s’est servi pour demander que l’on restreigne les bureaux
de déchargement à deux ports et que l’on exclue les autres ports qui jouissent
de la faculté d’importation, c’est la fraude.
Quand
on allègue de pareils faits pour arriver à une conclusion si extraordinaire, il
faudrait quelques preuves, ou au moins quelques présomptions un peu précises.
J’avais pensé que la section centrale aurait commencé par mettre sous nos yeux
des procès-verbaux, car si on fraude une quantité aussi considérable de sel, il
doit y avoir des procès-verbaux. Je comprends que quelques fraudeurs échappent
; mais si la fraude est si considérable, quelques-uns doivent avoir été pris
sur le fait. La section centrale n’indique ni le nombre, ni la nature des
procès-verbaux ! Au lieu de constater les faits, elle se livre à des
conjectures, elle calcule quelle doit être la consommation du sel en Belgique.
Vous savez que dans de telles évaluations il y a une grande latitude ; la
section centrale décide que l’on doit consommer en Belgique 10 kil. de sel par
individu, ce qui fait pour toute la Belgique 40 millions de kil. par année ;
or, comme il n’y a de déclaré que 25 millions de kilog., on trouve, en faisant
une soustraction, qu’il doit y avoir une fraude de 15 millions de kil. Mais sur
quoi se fonde-t-on lorsqu’on dit qu’en Belgique il se consomme par an 10 kil.
de sel par individu ? On se fonde sur des données non-officielles de France,
données contradictoires d’après lesquelles la consommation par individu
varierait entre 5 1/2 et 11 kil.
Pourquoi
choisit-on le chiffre de 10 kilog. ? Je n’en sais rien. Si on n’a pas trouvé de
chiffres en France, on en a trouvé en Prusse ; mais on ne veut pas de ceux-là.
Cependant en Prusse le calcul doit être assez bien fait, car le gouvernement a
le monopole du sel, et chacun est tenu de prendre chez lui le sel qu’il doit
consommer. En Prusse la quantité de sel consommé par chaque individu est de 3 à
6 kilog. Je crois que si on peut raisonner d’un pays à un autre dans cette
matière, cette quantité doit être très approximativement juste. Ce qui le
prouve, c’est que la confédération commerciale d’Allemagne a formé un contrat
d’après lequel tous les gouvernements (comme ils ont tous ou presque tous le
monopole du sel) ne peuvent débiter le sel que dans une proportion donnée.
C’est à la suite d’une discussion entre les gouvernements que la consommation a
été évaluée à un chiffre déterminé, ce qui est probablement celui de la Prusse
que cite la section centrale.
Pour
la France, je n’ai pas à ma disposition de renseignements officiels ; le seul
ouvrage que j’ai eu entre les mains est celui de M. Chaptal sur l’industrie
française, qui évalue aussi la consommation française entre 5 ou 6 kilog.
Chacun de nous a pu s’informer dans son ménage, comme je l’ai fait dans le mien
et dans quelques autres ; je suis arrivé ainsi à ce résultat que la
consommation est de 5 à 6 kilog. par personne, en faisant une certaine
distinction pour les enfants. Il est constaté, vient-on de dire, que cette
quantité de sel est consommée dans les hospices par chaque individu. C’est
aussi la ration du soldat ; je crois donc que l’évaluation de la consommation
du sel en Belgique à 5 ou 6 kilog. par individu est très près de la réalité.
Cela ferait par année, pour la Belgique, 25 millions de kilog., ce qui
correspond exactement à l’importation déclarée. Si donc il y a fraude (comme je
le crois vers les frontières de terre, et comme pour toute autre marchandise),
le sel étant une matière dont le transport est très coûteux, puisqu’elle occupe
un grand espace relativement à sa valeur, elle ne peut s’étendre loin.
La
section centrale suppose que l’on fait la fraude du sel brut par les vaisseaux,
et comme, suivant elle, il y a 15 millions de kilog. de sel fraudés par année,
cela fait à 100 tonneaux par vaisseaux 150 cargaisons de sel qui entrent en
fraude, et tout cela sans qu’il y ait un seul procès-verbal !
J’ai
voulu rechercher un autre moyen de vérification de cette énorme fraude. Tout le
monde sait que le sel est n’est importé que par vaisseau belge, les vaisseaux
étrangers ne pouvant soutenir a concurrence à cause du droit différentiel
établi en leur défaveur ; le sucre est dans le même cas que le sel ; ce sont à
peu près nos seuls objets de navigation.
Il
a été importé en 1834 (dernière année des documents officiels qui nous ont été
présentés : en sucres, 26 millions de kilog ; en sel, 20 millions de kilog. ;
total, 46 millions de kilog.
Eh
bien ! Savez-vous quel est le tonnage constaté par le gouvernement des
vaisseaux belges entré en 1834 dans nos ports ? 46 millions de kilogrammes,
correspondant à 46 mille tonneaux. Le tonnage des vaisseaux belges entrés avec
chargement dans les ports du royaume est de 43 mille tonneaux. Ainsi le
chargement réel surpasse la totalité du jaugeage de nos vaisseaux entrés, car
ils ne jaugent que 43 mille tonneaux. Cette différence vient de ce que beaucoup
de vaisseaux chargent plus que leur tonnage. Supposons qu’ils chargent un
huitième en sus, prenez que les 43 mille tonneaux officiellement déclarés en
aient chargé 48 à 50 mille ; sur ces 48 à 50 mille tonneaux, le sucre et le sel
déclarés en absorbent 46 mille, de sorte que pour les autres objets importés
par les vaisseaux belges, il ne reste que 2 à 4 mille tonneaux. Est-ce
trop ? N’est-il pas évident que si vous tenez compte des denrées et
marchandises autres que du sel et du sucre, importés par vaisseaux belges, il
reste extrêmement peu de marge pour une fraude quelconque par vaisseau, et que
la prétendue consommation de 10 kilog. par individu est une exagération qui
passe les bornes du possible.
Il
peut y avoir eu de la fraude en 1830, quand les autorités avaient perdu
beaucoup de leur force morale, quand tout ce qui avaient un caractère de
sévérité était mal vu ; à cette époque les douaniers n’osaient pas se montrer
sévères, parce que s’ils l’avaient été, ils auraient été menacés de violence.
Mais depuis longtemps cet état de choses a cessé ; j’ajoute que si on fraudait
alors, ce n’était pas dans le trajet d’une ville à l’autre, mais dans les ports
mêmes les plus voisins de la mer.
Remarquez
ce qu’il y a d’exorbitant dans ce qu’on vous propose. On dit : Nous avons
quelques présomptions qu’on fraude, rien ne constate la fraude dont nous nous
plaignons ; mais nous avons idée qu’elle se fait et que c’est dans le trajet
vers les lieux de déchargement ; nous supprimons ce trajet, nous supprimons les
lieux de déchargement intérieur. Ainsi, désormais, si on fraude dans un port,
ou aux abord d’un port, supprimera-t-on le port ? Le remède peut être sûr, mais
il me paraît singulièrement héroïque.
Lorsque
des vaisseaux arrivent, on fait la déclaration de ce qu’ils contiennent au
bureau d’entrée ; ils sont convoyés jusqu’au lieu de déchargement, c’est-à-dire
entre Ostende, Anvers, Louvain, Bruxelles et Bruges, où on fait vérification du
contenu. Si la vérification ne correspond pas à la déclaration, les peines sont
très sévères, on peut aller jusqu’à la confiscation du navire. Avouer
l’impuissance de pareils moyens pour réprimer la fraude, savez-vous où cela
conduit ? A la suppression de tous les entrepôts. Ils ont été introduits en
1827, aux applaudissements du commerce. Si on dit qu’on ne peut plus importer
en entrepôt de marchandises payant 12 fr. de droit par 100 kil., ce n’est pas
au sel seul que la mesure doit s’appliquer, il y a 50 articles du tarif qui
paient un droit de douane plus élevé que 12 fr. les 100 kil., et dont par
conséquent vous ne pourrez pas empêcher la fraude, si vous n’en bornez pas le
déchargement à Ostende et Anvers ; ce sont : le thé, les draps, les tabacs, les
toiles, les cuirs tannés, la fonte, l’étain, les épingles, les bougies, les
cordages, le savon, les livres, la soie, etc.
M.
le ministre des finances me fait observer dans ce moment que ces articles ont
une plus grande valeur. Soit, mais quel est le sens de cette objection ? C’est
sans doute que les fraudeurs risquent moins à frauder, parce qu’en cas de
saisie ils ne perdent qu’un objet de peu de valeur. Cette objection se réduit à
rien pour la fraude qui se fait par vaisseau ; puisqu’on peut confisquer le
navire, cette confiscation est assez importante pour que celui qui y introduit
du sel de cette manière en tienne compte.
Messieurs,
il y a plus : ce ne sont pas seulement les entrepôts intérieurs qui sont mis en
question, mais même la liberté du port d’Anvers ; car enfin le port d’Anvers
n’est pas contigu à la mer, et il n’est pas situé à l’extrême frontière. Il
faut traverser plusieurs lieues de pays pour y arriver. Si les précautions
actuelles ne suffisent pas pour empêcher la fraude dans le trajet d’Ostende à
Bruges, par exemple, comment les marchandises arriveront-elles sans danger à
Anvers ?
Anvers
est dans une position pire que celle de Bruges. On donne dans le projet 48
heures pour faire le trajet du premier bureau d’entrée à Anvers. Il n’en faut
pas à beaucoup près autant pour que les vaisseaux se rendent d’Ostende à Bruges
: il n’y a que quatre lieues. Si on peut frauder le long du canal de Bruges, on
le peut à plus forte raison le long de l’Escaut pour arriver à Anvers, car la
surveillance est plus difficile dans ce cas que dans le premier. Vous
reconnaissez la nécessité que les vaisseaux passent la nuit dans l’Escaut avant
d’arriver à Anvers, tandis que cette nécessité n’existe pas pour Bruges.
Le
commerce de 25 millions de kilogrammes de sel, qui aliment presque
exclusivement avec le sucre notre navigation, est chose très importante, quand
vous le mettez en présence du chiffre du tonnage des vaisseaux de nos ports,
qui, d’après le dernier document publié, était de 44 mille tonneaux, 25 tonneaux
de sel sur une navigation de 44 mille, c’est chose assurément qui mérite d’être
prise en sérieuse considération. Ce commerce du sel se fait en change des
écorces, du grain et du lin que nous fournissons à l’Angleterre. Il s’est
partagé entre Ostende, Anvers, Bruges, Bruxelles, Louvain. Il a créé et lié une
foule d’intérêts et de relations. Pouvez-vous les détruire tout d’un coup ?
Jamais
on n’a présenté de loi de douane brisant ainsi brusquement de semblables
intérêts. C’est cependant ce qu’on nous propose de faire d’un trait de plume.
On supprime ce commerce dans les villes de Bruges, Bruxelles et Louvain pour le
concentrer dans les ports d’Ostende et Anvers.
Je
le répète, la législation qui a permis aux importations d’arriver directement,
non seulement à Bruges où elles arrivent de tout temps, mais bien plus avant
dans l’intérieur du pays ; cette législation a été reçue comme un bienfait,
comme un grand progrès commercial ; il s’agit d’en détruire une des parties la
plus réelle, car le commerce du sel est ce qu’il y a de plus réel et de plus
considérable dans le commerce extérieur de plusieurs de ces localités.
Permettez-moi,
messieurs, de vous entretenir quelques instants de la position particulière du
port de Bruges, et de ses antécédents. Vous connaissez tous l’antique
réputation de cette grande cité commerciale du moyen-âge. Au moyen-âge, Bruges
dut sa haute fortune à ses communications directes avec la mer. A cette époque
sa position géographique était autre qu’aujourd’hui. Elle communiquait avec la mer
non par Ostende, mais par l’Ecluse, au moyen d’un canal qui allait déboucher
dans le Zwyn. Cette communication directe avec la mer, on attacha le plus grand
prix à la conserver malgré les obstacles qui survinrent déjà au moyen-âge. Des
villes intermédiaires s’étaient agrandies entre la mer et Bruges et élevaient
des difficultés. Un nouveau canal fut creusé dans la même direction, et les
anciennes cartes indiquent jusqu’à trois canaux parallèles entre Bruges et le
Zwyn pour arriver à la mer, trois canaux éloignés pour ainsi dire de quelques
mètres l’un de l’autre ; tant on fit d’efforts pour conserver ce grand avantage
d’être en rapport immédiat avec la mer. Malheureusement la nature et les
événements politiques conspirèrent contre une si louable persévérance. Le port
de Bruges, par suite de l’ensablement du Zwyn et des événements qui mirent
l’embouchure du port entre les mains de nos ennemis, fut privé de cette
communication. Il y avait de quoi se décourager sans doute, surtout lorsque
d’autres causes avaient détruit en même temps une grande partie de l’ancienne
et brillante industrie de la ville. Bruges, dans cette terrible lutte, ne se
découragea pas ; privée de communication avec la mer du Nord, elle se retourna
vers l’ouest. Alors fut créé ce véritable fleuve artificiel, cet admirable
ouvrage, admirable encore aujourd’hui, mais admirable surtout pour le temps où
il fut fait, le canal de Bruges à Ostende, qui permit aux vaisseaux de commerce
d’arriver directement jusqu’au port de Bruges. Malheureusement de si nobles
efforts ne furent pas couronnés de succès, dont ils étaient bien dignes : il
était trop tard, les événements avaient marché, le temps avait dispersé
les capitaux, le commerce avait changé de cours. Puis vinrent les guerres, les
invasions, la mort du commerce belge ; non seulement l’Escaut fut fermé, mais
le gouvernement étranger qui nous dominait alors eut la faiblesse de consentir
à la suppression de toute grande navigation. Ce n’est que dans le dernier
siècle, pendant la guerre de l’Amérique, alors que la Hollande était
compromise, dans la lutte de l’Angleterre et de sa colonie, que les ports de
Bruges, grâce à la neutralité du pays, parurent vouloir se ranimer ; mais ce ne
fut qu’un éclair qui s’évanouit avec les circonstances passagères qui l’avaient
produit. L’empire ne favorisait pas des dispositions d’esprit favorables à un
grand élan commercial ; ce n’est pas pendant le blocus continental que nos
ports pouvaient se relever de leur longue décadence. Cependant jamais l’espoir
ne fut complétement perdu. Sous le gouvernement des Pays-Bas, Anvers eut besoin
de beaucoup de temps pour se refaire quelque peu ; Bruges avait besoin de plus
de temps encore, car la chute datait de plus loin.
Cependant
le progrès commençait. Il y avait à Bruges, à la chute du gouvernement des
Pays-Bas, outre le commerce du sel, quelques expéditions vers les Indes et
quelques retours ; la révolution arrivant, elle arrêta les expéditions de long
cours, et Bruges fut réduite au commerce du sel. Aussi puis-je dire avec vérité
que tous les vaisseaux de mer du port de Bruges font aujourd’hui le commerce du
sel sans exception. Ce commerce n’est peut-être pas le plus lucratif, mais il
est sûr et se fait en toute saison ; il convient à des armateurs timides encore
qui n’ont ni beaucoup d’expérience ni beaucoup de hardiesse. Nos relations
commerciales ont été trop longtemps interrompues pour que nous puissions
entreprendre de plus grandes expéditions, sans passer par un noviciat plus
modeste.
Là
comme ailleurs, cependant, la révolution a fait ce grand bien ; les esprits se
sont retrempés ; le besoin du progrès s’est fait plus vivement sentir ; de
jeunes armateurs sont entrés en lice ; de nouveaux projets surgissent : une
espérance, un peu vague encore, de la résurrection d’une partie du commerce
brugeois se répand ; et elle est nourrie par l’expectative du chemin de fer qui
s’approche de la ville. Eh bien, que fait le projet de loi ? Il étouffe ces
heureuses et nouvelles dispositions d’esprit dans leur germe ; cette nouvelle
existence qu’on espère, il la coupe dans sa racine.
Je
crois, messieurs, que les auteurs du projet, quels qu’ils soient, n’ont pas vu
la gravité de la question ; ils n’ont pas vu qu’ils devaient à une ville une
position dont elle était en possession depuis des siècles. Car elle, quelle
différence y a-t-il entre une ville située à 4 lieues de la mer sur un large
canal de 4 à 5 mètres de profondeur, et une ville située à l’embouchure d’une
rivière ? Je ne vois d’autre différence si ce n’est que l’une a été servie par
la nature et que l’autre s’est créé elle-même ses propres ressources,
ressources qui en sont d’autant plus respectables.
Je
m’oppose à la loi en ce qui concerne Bruxelles, Louvain et Gand, mais elle est
bien plus inadmissible encore relativement à Bruges ; car si elle est
rétrograde pour les autres ports, si pour eux elle nous reporte de dix siècles
en arrière, je ne sais jusqu’où elle recule pour Bruges, car elle lui ôte un
avantage dont elle a joui de tout temps. Je ne vous fatiguerai pas de la
lecture de toutes les législations qui ont régi nos ports, mais je ne puis
m’empêcher de vous en donner le résumé de la législation à partir du
gouvernement français.
La
loi de floréal an XI contient des dispositions sur les divers ports français.
Elle déclare ports d’entrepôt réel 16 ports pour tout l’empire français ; ce
sont ceux qui sont en contact immédiat avec la mer et les grands ports situés à
l’embouchure des fleuves, comme Bordeaux, Nantes…, pour la Belgique, Ostende,
Bruges et Anvers. Cette législation prescrit les précautions nécessaires qu’on
doit prendre pour les ports dans l’intérieur ; tels que Bruges, Rouen… Ces
précautions pour le convoyage, le plombage, à partir du bureau d’entrée, ce
sont celles qu’on observe encore.
En
1816, une nouvelle législation douanière arrive, elle indique les bureaux vers
lesquels l’importation directe était permise ; ce sont ceux de Nieuport,
Ostende, Bruges et Anvers.
Ainsi,
vous le voyez, Bruges est toujours sur la même ligne qu’Anvers et Ostende.
En
1819 on va un peu plus loin. La législation douanière établit comme lieux de
déchargement, Nieuport, Ostende, Bruges, Gand, Bruxelles et Louvain. Toutefois,
il fut dit qu’Ostende, Bruges, Anvers, étaient seuls ports d’allège.
En
1822, nouvelle législation. Sont indiqués comme ports de déchargement, Bruges,
Nieuport, Ostende, Anvers, Bruxelles, Louvain et Gand. Cette fois, il est dit
dans la loi : Sont exceptés pour le sel, Bruxelles, Louvain et Gand. Ainsi,
Anvers, Bruges et Ostende sont encore et toujours sur le même pied ;
l’exception ne concerne que Bruxelles, Louvain et Gand.
En
1827, il paraît que l’on ne s’était pas aperçu de grandes fraudes, puisque, par
les mesures prises par le gouvernement à cette époque, on élargit le système.
L’arrêté
du 17 février 1827 porte :
« Par
extension de notre arrêté du 10 décembre 1822 et comme essai tendant à faire
connaître si cette mesure donnerait naissance à quelque abus nuisible aux
intérêts du trésor, les villes de Bruxelles, Louvain et Gand seront,
provisoirement et jusqu’à révocation, considérées comme lieux de déchargement
pour le sel entrant par mer… »
Ainsi
les importations directes à Bruges offraient si peu d’inconvénients que l’on
fait un essai pour les étendre à Bruxelles, Louvain et Gand, et il paraît qu’on
se trouvait bien de l’essai ; car, en 1829, après la loi qui étendit le nombre
des entrepôts, la loi du 23 décembre déclara que le sel pourrait être admis
dans les entrepôts de Bruxelles, Louvain et Gand, afin, dit-elle, de faire un
essai plus général des moyens propres à assurer une plus grande extension du
commerce de sel brut, pour autant que ces moyens pourront se concilier avec la
sûreté de la perception des droits et accises du royaume.
Ainsi, bien que la loi témoigne elle-même que le
gouvernement n’agit pas à la légère et en perdant de vue les intérêts du fisc
et les moyens de fraude, loin de supprimer les facilités dont jouit le port de
Bruges et de se plaindre qu’elles entraînent des inconvénients de fraude, il
les étend de plus en plus aux ports de l’intérieur.
Messieurs,
je vous demande pardon d’être si long. Je terminerai ici ; mais je reprendrai
probablement la parole sur d’autres questions, car il en est beaucoup
d’importantes pour le commerce et pour l’industrie dans cette loi. Dès
aujourd’hui je dois dire que je ne pense pas que la loi puisse être adoptée ;
j’impose une grande modération à mes expressions, mais je puis dire que la
mesure dont je vous ai entretenus a quelque chose de si extrême, de si violent
en matière de commerce, qu’après que les gouvernements et les plus fiscaux ont
reculé devant son adoption, il est impossible qu’elle soit mise à exécution par
un gouvernement national qui aspire à conserver la sympathie du pays.
M.
Angillis. - Messieurs, dans la séance d’hier, on a de
nouveau parlé des droits différentiels ; à cette occasion, M. le ministre des
finances a fait observer que cette question a été ajournée par une majorité de
quarante et quelques voix. Comme j’appartiens à cette majorité, et que je n’ai
pas pu motiver mon opinion alors, je saisis l’occasion que me fournit la
discussion pour déclarer qu’en votant l’ajournement je n’ai pas entendu
repousser le principe ; au contraire, j’ai l’intime conviction que l’établissement
des droits différentiels sera très utile et en même temps très avantageux à
notre commerce et surtout à notre navigation. Si j’ai voté l’ajournement, c’est
que le moment me paraissait inopportun, et les observations faites par M. le
ministre de l’intérieur dans la section centrale m’ont confirmé dans cette
opinion. Je fais donc cette déclaration pour que le commerce sache qu’au lieu
de trouver en moi un adversaire de ce système, il doit me considérer comme un
partisan dévoué et prêt à le soutenir de tous mes moyens lorsque l’époque me
paraîtra opportune pour adopter le système, qui, selon moi, n’est qu’ajourné en
Belgique. Maintenant, messieurs, j’arrive à la question du sel.
Notre
état financier actuel nous oblige de maintenir l’impôt sur le sel, qui
d’ailleurs est une matière que la nature prodigue en abondance et presque sans
frais à tous ceux qui se livrent à sa facile exploitation. L’usage de cette
denrée étant général, la charge qu’elle fait supporter à la nation tout entière
se répartit d’une manière très peu sensible sur chacun des nombreux tributaires
de l’impôt.
J’ai
entendu demander la suppression de cet impôt qui pèse trop, dit-on, sur les
pauvres ; à cela je dois faire observer que le prix du sel ne dépasse pas les
facultés des ouvriers, et cette source du trésor n’enlève nullement un aliment
indispensable au prolétaire.
On
ne doit pas, par des abolitions des taxes, s’exposer à déranger l’équilibre de
notre système financier, et forcer ensuite le gouvernement à demander de plus
onéreux sacrifices à ceux-là mêmes qui auraient obtenu, par cette suppression,
un léger dégrèvement. Je le répète, on doit encore maintenir l’impôt sur le
sel.
Comme
mon intention n’est pas de prendre souvent la parole dans cette discussion,
aussi longue qu’elle puisse être, je demanderai la permission d’anticiper un
moment sur la discussion d’un article qui, à mes yeux, consacre une grande
iniquité. Cet article, messieurs, est le troisième, qui jette un interdit, une
espèce d’anathème sur le port de la ville de Bruges. Mais qu’a donc fait cette
ville pour mériter cette réprobation, cette excommunication fiscale ? Ce
qu’elle a fait ? On fraude, dit-on, beaucoup sur le canal de Bruges à Ostende ;
et remarquez-le bien, cette accusation n’est appuyée par aucune preuve ni même
par aucune raison quelconque. Voici, du reste, une réponse péremptoire à cette
allégation et à d’autres de cette nature. Cette réponse est consignée dans une
pétition que je tiens à la main ; nous laisserons parler les pétitionnaires.
« Les
registres de la douane attestent que depuis 1830 aucune contravention ni fraude
n’a été constatée sur le canal de Bruges à Ostende, et qu’un seul procès-verbal
a été fait depuis cette époque, à Bruges même, lequel a été trouvé non
fondé. »
Cette
réponse, messieurs, fondée sur des pièces que le gouvernement peut vérifier,
fait écrouler tout l’échafaudage sur lequel on a bâti tout ce fœtus d’arguments
pour soutenir le nouveau système.
Ce
n’est pas sur des suppositions plus ou moins inexactes, plus ou moins
injurieuses pour le commerce, que l’on fait des lois ; ce sont des faits
exacts, des vérités mathématiques que l’on doit présenter pour obtenir une
disposition législative ; comme dans le cas présent, qu’il s’agit pour le port
de ville de Bruges d’une question de vie ou de mort, il faut qu’on établisse,
les preuves à la main, des faits tellement graves, que toute négation devienne
impossible. Mais loin de là, on ne prouve rien, absolument rien ; car la base
de toutes les allégations manque complétement.
Voici
maintenant les faits graves qu’on avance, et vous savez, messieurs, si j’ai eu
tort de les réfuter comme non valables. Un fonctionnaire, dit-on, chef de la
province, a fait un rapport en 1832, duquel il résulte que les importations du
sel par les canaux de l’intérieur donnent lieu à des fraudes considérables ; et
pour rendre cette grande preuve plus complète encore, on ajoute que M. le
ministre a été obligé de déclarer positivement que c’est principalement dans le
trajet d’Ostende à Bruges que se commettent les fraudes et soustractions dont
fait mention l’exposé des motifs.
M.
le ministre a dit cela, c’est possible ; c’est là son opinion peut-être, et
cette opinion est aussi respectable que toute autre ; mais cette déclaration ne
prouve encore rien du tout, tandis que les registres de la douane prouvent
précisément tout le contraire ; et chose étrange, ce fonctionnaire, ce prétendu
chef de province, auteur du rapport dont on a parlé, lui qui savait si bien où
la grande fraude se commettait, n’a dressé ni fait dresser aucun procès-verbal
pour la constater et pour la punir ! et chose plus étrange encore, c’est sur
des motifs dénuées de preuves, sur des présomptions sans vraisemblance, que
l’on veut enlever à la ville de Bruges, qui a le marché du sel brut le plus
imposant de la Belgique, avec son port de déchargement, sa meilleure ressource
financière ! S’il s’agissait de faire une loi, on pourrait dire : Telle ou
telle localité par sa situation, par sa position peut donner lieu à la fraude,
cela se conçoit ; mais fermer un port au débarquement du sel, qui fait la
branche principale de la navigation de la ville, sur l’opinion d’un
fonctionnaire qui pense qu’on fraude, alors même que ses agents ne sont jamais
parvenus à la constater, malgré tous les moyens qu’ils possèdent pour la
découvrir et la réprimer, c’est ce qui ne se conçoit pas.
De
deux choses l’une, ou toutes vos allégations sont inexactes, ou vos employés ne
font pas bien leur devoir, ce qui n’est pas probable. Mais voici une autre
preuve ; et vous allez juger, messieurs, si elle prouve quelque chose. Il est
constant, dit-on, et les chiffres le prouvent, que les importations du sel sont
beaucoup plus considérables que le montant qu’on déclare à la douane, et de là
on conclut, à tort ou à raison, je n’en sais rien, que l’on fraude. Mais on va
plus loin, on dit : Puisqu’on fraude, cette fraude se commet nécessairement sur
le canal de Bruges à Ostende. Avec une pareille logique on irait loin ; le
fameux cardinal Richelieu n’aurait pas mieux raisonné. Mais encore une fois,
prouvez vos allégations ; vous avez tous les moyens nécessaires pour constater
la fraude, si elle se faisait réellement là où vous le dites ; mais comme vous
ne prouvez rien, toutes vos conclusions sont fausses.
Quant
aux chiffres de la prétendue importation, les pétitionnaires en contestent
l’exactitude, et ils soutiennent avec beaucoup d’apparence de raison qu’il y a
double emploi, et je partage assez leur opinion.
Messieurs,
avec quelques-uns des tableaux qu’on présente on peut soutenir des opinions
divergentes ; il n’y a que deux jours qu’un honorable député vous a prouvé,
c’est-à-dire comme on prouve que deux et deux font quatre en finances, que les
fileuses des Flandres qui ne gagnent que dix-huit centimes par jour en
travaillant du matin au soir, ne sont pas malheureuses !
Quant
aux craintes que le trajet d’Ostende à Bruges puisse fournir l’occasion de
frauder, voici les observations pleines de justesse et de raison du conseil
municipal de Bruges : « Si ces craintes étaient fondées pour Bruges, ne le
seraient-elles pas infiniment plus pour Anvers, où le trajet depuis la mer est
beaucoup plus long et où d’ailleurs les magasins sont accessibles à chacun et à
toute heure, puisqu’ils sont sur la voie publique » ? Si, pour de
pareilles craintes, le port de Bruges devait être fermé au commerce du sel,
celui d’Anvers ne devrait-il pas l’être à plus forte raison ?
Voilà,
messieurs, des observations auxquelles on ne répondra pas facilement. J’y
ajouterai seulement qu’au moyen des précautions qu’on prend, la fraude devient
sinon impossible, du moins extrêmement difficile, et vous le jugerez.
Tout
navire chargé de sel venant de la mer, en destination pour Bruges, doit, avant
d’entrer dans le canal, faire la déclaration en détail de toute sa cargaison,
d’après son manifeste et ses connaissements ; un acquit à caution lui est alors
délivré en conséquence ; ses écoutilles et toutes les issues de la cale sont
fermées ; trois douaniers le convoient jusque dans le bassin de Bruges, et le
navire est en outre surveillé pendant le trajet par deux autres employés, qui
marchent à côté sur l’une et l’autre rive du canal, etc., etc. Si, malgré
toutes ces précautions, malgré toutes ces formalités, vous dites qu’on fraude
encore, j’en tirerai une conclusion plus logique que la vôtre, je dirai que
votre armée de douaniers est devenue inutile.
Hier, messieurs, on a parlé de positions
particulières ou plutôt de positions personnelles, je sens aussi le besoin de
faire connaître ma position. Je n’appartiens ni à la ville de Bruges, ni à son
district administratif, ni à son arrondissement judiciaire. Je n’appartiens ni
au commerce ni à l’industrie, ni à aucune association quelconque ; je ne suis à
la chambre sous aucune influence, je ne demande rien à personne, mais je veux,
pour les autres comme pour moi-même, justice et liberté, et quand j’ai remarqué
que l’on veut enlever à la ville de de Bruges un droit que l’on pourrait
qualifier de droit acquis, puisqu’elle en a joui sous le gouvernement autrichien,
sous le gouvernement du grand empire et sous le gouvernement des Pays-Bas,
alors je me suis dit ce que je répète ici, je ne donnerai jamais mon adhésion à
une mesure qui consacre une injustice.
(Moniteur belge n°82, du 23 mars 1838) M. de Foere. - Messieurs, je ne partage pas
l’opinion de l’avant-dernier préopinant. Il a cherché à décharger le ministère
actuel de la responsabilité du projet de loi sur le sel. Ce projet est le fait
du ministère. C’est lui qui l’a présenté. Il ne l’a pas fait sans l’examiner,
sans en connaître toutes les dispositions : quelque odieuses que soient les
conséquences qui résultent du projet, conséquences que l’orateur vient de
déduire des principes mêmes du projet, elles retombent tout entières sur le
ministère actuel. Il doit en porter toute la responsabilité. (M. le ministre
des finances dit que c’est vrai que cette responsabilité tombe sur lui). Les
commentaires que l’honorable M. Devaux a voulu tirer contre la section centrale
retombent sur le ministère. Cette section a été induite en erreur par le projet
de loi du ministère et par les documents qu’il lui a fournis. Les sections sont
dirigées par la présomption légitime que les projets de loi, présentés par un
ministère quelconque, ont été bien élaborés, et qu’ils sont fondés sur les
vrais intérêts du pays.
J’ai
dit que l’administration actuelle ne savait pas combiner les besoins du trésor
avec les besoins impérieux du commerce et de l’industrie, que son action était
purement fiscale, et qu’il ne savait pas même respecter le droit de possession
pour lequel d’immenses sacrifices avaient été faits. Cet odieux caractère de
fiscalité exclusive va résulter d’autres dispositions du projet sur le sel, à
tel point que ces vexations sont complétement gratuites pour les intérêts du
trésor.
L’article
2 du projet ministériel établit une accise de 50 cent. par hectolitre d’eau de
mer marquant moins de 3 degrés de densité au pèse-poids de Cartier. L’article 3
prohibe l’usage de l’eau de mer de 3 degrés et au-dessus.
L’article
2 équivaut à une prohibition au moyen du droit ; l’article 3 porte prohibition
dans les termes.
Tous
les sauniers qui emploient l’eau de mer conviennent que cette disposition de
l’article 2 équivaut à une prohibition. Ils conviennent aussi que cette eau ne
leur est utile que parce qu’elle leur procure une plus qualité de sel.
Les
chimistes dit la chambre de commerce de Bruxelles, sont du même avis, et elle
ajoute que tout le monde sait que l’eau de mer est mêlée de sel marin et de sel
neutre ; que le premier ne s’y trouve qu’en petite quantité, et que le second
n’est d’aucune valeur. La pétition de Gand et celle de Bruges expriment la même
opinion.
Sur
quoi cette prohibition frappe-t-elle ? Sur une matière première recueillie dans
les eaux du pays. Sur quoi cette singulière conception est-elle basée ?
L’exposé ministériel des motifs du projet de loi sur le sel reste complétement
muet ; il n’en dit mot. Existe-t-il peut-être dans la législation de la
Belgique une disposition qui, sous quelque gouvernement que ce fût, même sous
la fiscalité odieuse de l’empire et de la Hollande, ait, je ne dirais pas
prohibé, mais même imposé l’usage de l’eau de mer ? Pas une seule.
J’ai
dit que le ministère n’a justifié par aucun motif cette extravagante conception
; mais la solution de l’énigme se trouve dans les réclamations de quelques
sauniers auxquels, à cause de leur éloignement de la mer, l’emploi d’eau de mer
est impraticable. Ils ont trouvé que l’usage de l’eau de mer était une fraude,
et jusqu’à présent jamais aucune loi ne l’a imposée, bien loin d’en avoir
prohibé l’emploi ; et ce serait une fraude !
Mais
en quoi enfin cette fraude consisterait-elle ? Ils partent d’un fait déjà
contesté par les ministres, que l’eau de mer contient une valeur d’un
kilogramme et six dixièmes de kilogramme de sel par kilogramme, pesant moins de
trois degrés. Voici maintenant textuellement leurs calculs et leurs
raisonnements : « Les provinces d’Anvers, de Brabant, de la Flandre
orientale et de la Flandre occidentale, les seules qui se servent d’eau de mer,
ont une population d’environ 2,200,000 habitants, ce qui donne, à raison de 5
kil. par tête, une consommation annuelle de onze millions de kilogrammes
représentant un hectolitre de saumure saturée ; par conséquent, les onze millions
de kilogrammes supposent l’emploi de 333,334 hectolitres d’eau de mer, qui sur
le pied de 1 et 6/10 de kil. de sel par hectolitre donnent un résultat de
533,335 kil ; soit une somme ronde, 500,000 kil. affranchis de tout
droit. » Ils concluent de ces calculs, basés sur ces faits, que le droit
sur l’eau de mer fournirait au trésor une recette annuelle d’environ 80,000 fr.
80,000
fr. ! Quelle belle pâture pour le fisc ! Cependant ce chiffre se réduit presque
à rien. Les chiffres ne sont jamais autre chose représentation des faits, et
ces faits sur lesquels les chiffres sont basés, doivent être bien constatés,
avant que les chiffres puissent être un élément de conviction. Ces
pétitionnaires portent en fait que tous les sauniers de quatre provinces font usage
de l’eau de mer. Voilà leur erreur. Le fait est qu’il n’y en a pas un sur 20
qui fasse emploi d’eau de mer. Voilà donc le chiffre de 80,000 fr. réduit à
19/20. La raison en est palpable. Les frais de transport absorbent les minimes
avantages au point que les sauniers à peu de distance de la mer n’emploient pas
l’eau de mer. L’honorable M. Mast de Vries vient de nous assurer qu’à Anvers
même, un seul saunier fait usage d’eau de mer.
Si
ce sont là aussi les calculs du ministère, voilà à quoi ils se réduisent, et
pour obtenir 4,000 fr., il vient proposer une disposition qui sacrifie tous les
droits de possession acquis depuis un temps immémorial, qui efface, d’un seul
trait, les établissements coûteux qu’il a fallu construire, tels que bateaux,
futailles, citernes, bâtiments expressément élevés sur les canaux ; une
disposition enfin qui enlève à quelques bateliers et à leurs familles leurs
moyens d’existence.
Voilà
donc, messieurs, à quel haut degré le ministère actuel pousse son caractère
d’odieuse et de pure fiscalité. Tout est sacrifié à ce génie de fiscalité,
jusqu’au perfectionnement des produits de cette industrie ; car il est bien
prouvé que les sauneries qui emploient l’eau de mer n’en obtiennent d’autre
résultat qu’une cristallisation plus facile et une qualité de sel plus belle.
Messieurs,
quelques pétitionnaires qui réclament cette disposition reculent ou hésitent
eux-mêmes devant les odieuses conséquences que sa sanction entraînerait.
Voici
textuellement les paroles d’une de ces pétitions :
« La
loi du 21 août, en permettant l’emploi de l’eau de mer, sans en grever le
compte du saunier, a voulu protéger par là d’autres industries et notamment la
navigation, élément essentiel de tout Etat commercial.
« Quoique
ce ne soient que de petits bâtiments qui vont charger l’eau à une certaine
distance en mer, ils ne forment pas moins des marins hardis et s’offrent, comme
moyen d’apprentissage, à la marine. »
Après
avoir calculé que l’impôt sur l’eau de mer donnerait annuellement 80,000 fr. au
trésor, ils ajoutent : « Mais l’intérêt pécuniaire ne doit-il pas
s’effacer devant la considération qu’il est un grand nombre de famille dont le
transport de l’eau de mer est le seul moyen d’existence ! … C’est, messieurs,
ce que vous aurez à peser dans votre sagesse et votre humanité, avant d’aller
aux voix sur ce point. »
Malgré
ces hésitations devant cette grande injustice, exprimées par les sauniers qui
n’emploient pas l’eau de mer, le ministère n’a pas reculé devant la proposition
de l’article 2 du projet !
Messieurs,
j’avais une autre tâche à remplir, j’avais à vous prouver que, par son projet
de loi, le ministère propose de consacrer une grande injustice en voulant
priver les villes du pays de leurs ports d’importation, et surtout ces villes
qui, en raison de leur proximité de la mer, ont joui de ce droit pendant un
temps immémorial, et pour lequel elles ont fait des sacrifices énormes. Il me
restait aussi à démontrer que cette disposition du projet porte gratuitement la
perturbation dans le commerce, sans qu’il puisse en résulter aucun bénéfice
pour le trésor, et qu’elle tend aussi à détruire entièrement le commerce dans
les mêmes ports. Cette tâche a été remplie par M. Devaux
Je terminerai par une réponse à l’honorable
ministre de l’intérieur et des affaires étrangères. Dans l’intention de
proposer un amendement tendant à soumettre le sel venant de la Méditerranée à
un droit inférieur à celui sur le sel importé d’Angleterre, j’avais tâché de
faire comprendre à la chambre que cette proposition avait pour but d’établir un
commerce régulier avec le Levant, que sans une disposition semblable, un
commerce régulier avec l’Orient était impossible, et qu’il était aussi le seul
moyen d’atteindre le but commercial que la mission de Constantinople devait
remplir. Le ministre de l’intérieur, comme celui des finances, confond ce droit
avec un droit différentiel imposé sur les navires étrangers, tandis que ce
n’est qu’un simple droit d’accise qui n’a rien de commun avec les droits
différentiels. C’est une nouvelle preuve qu’ils comprennent bien cette grave
question.
Le
ministre de l’intérieur, en terminant son discours, a dit que je ne serai pas
le dissolvant du ministère. Il a dit une vérité. Ce dissolvant, ce seront ses
propres actes.
M. de Jaegher. - Messieurs, j’ai
demandé la parole lorsque j’ai entendu l’honorable Milcamps venir, sur la foi
d’une députation de sauniers de Nivelles, nous donner des détails qui sont
complétement entachés d’erreur. Je voulais rétablir les faits dans leur
exactitude, et faire voir surtout jusqu’à quel point ces sauniers, partie
intéressée dans la question, avaient (si je puis me servir de cette expression)
abusé de la bonne foi et des intentions bienveillantes de M. Milcamps à leur
égard. Toutefois, comme ma réfutation ne pourrait que rétablir des faits qui
ont été développés d’une manière si éloquente par l’honorable M. Devaux,
j’attendrai qu’on ait réfuté le discours de cet honorable membre ; jusqu’ici on
n’y a rien répondu, et, dans mon opinion, M. le ministre des finances, pas plus
que le rapporteur de la section centrale, ne pourront détruire les faits que M.
Devaux a posés.
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - C’est ce que nous
verrons !
M.
Desmet. - Je ne pense pas qu’on puisse dire que
l’impôt sur le sel n’est pas odieux. A cet égard, je partage l’avis de M. Seron
que c’est l’impôt le plus odieux qu’il puisse y avoir. La constituante l’avait
apprécié ainsi et elle l’avait supprimé ; les guerres de Napoléon nous
l’avaient rendu, mais les alliés l’avaient supprimé en 1814, pour nous les
rendre deux années après ; il est mal assis parce qu’il ne frappe que sur les
pauvres, les 3/4 sont payés par la classe inférieure, et il est encore mal
assis, parce qu’il est tellement fort qu’il prend quelquefois la valeur de la
denrée, et je ne puis que contredire ce que vient d’avancer notre honorable
collègue M. Angillis, qu’il faut conserver l’impôt sur le sel, parce qu’il se
paie facilement : il ne se paie pas si facilement comme on le pense ; j’ai vu
plus d’une fois à la campagne que des petits fermiers devaient vendre les
jambons du porc qu’ils tuaient pour pouvoir acheter le sel nécessaire pour
saler le porc qu’ils avaient tué.
Il
n’y a pas moyen cependant de supprimer l’impôt sur le sel, puisque
malheureusement nous avons besoin d’argent. Je crois cependant qu’il y a moyen
de le diminuer, et de le diminuer de façon à favoriser aussi bien le
consommateur que le commerce et même les revenus du trésor, car plus un impôt
est modéré, plus il produit, et surtout celui sur le sel qui se fraude beaucoup
à cause de sa hauteur, et il est indubitable que si le taux en était moindre,
le commerce du sel raffiné et l’exportation à l’extérieur y gagneraient
beaucoup.
C’est
en 1806 que le premier impôt a été établi en France sur le sel ; il était de
dix centimes le kilog., et alors, il a produit 40 millions pour la France
entière. On l’a doublé quelque temps après, et il n’a plus dès lors produit
autant.
Je
crois donc que si l’on réduisait notre droit à 8 ou 10 centimes le kil., on
aurait le même produit qu’aujourd’hui ; qu’on aurait près de 4 millions.
Il
existe un autre motif, et c’est un motif commercial. Quand il s’est agi du
sucre, on a fait valoir si haut l’entrée du sucre brut pour le commerce
d’échange, et cependant il n’y a pas de comparaison avec le sel ; il est
certain qu’il y aurait de grands avantages à diminuer le taux de l’impôt et de
le réduire à 8 ou 10 francs les 100 kilogrammes.
Je
proposerai à cet égard un amendement, tendant à réduire l’impôt à 8 ou 10
francs les 100 kil.
Mais
je vous demanderai si à présent l’on peut changer le système actuel de la
perception de l’impôt dont il s’agit. Pourquoi ce système ? C’est pour éviter
la fraude ; comme c’est un impôt qui est établi uniquement pour produire un
grand revenu, et qui est d’une telle hauteur qu’il force à la fraude, il faut
prendre des moyens efficaces pour l’empêcher.
Quand
je veux un impôt tel, je dois, pour le percevoir, en vouloir les conséquences.
Cependant je n’oserais pas même déclarer qu’il faut conserver le système
actuel. Il est certain que ce système prête à beaucoup d’inconvénients, à
beaucoup de fiscalité.
Je
parle surtout du recensement : le recensement est certainement accompagné de
fiscalités, et à cet égard il n’y a qu’un cri général dans le pays. Si l’on
veut changer le système actuel, qu’on le fasse surtout en vue de ce
recensement. Quand on trouve des déficits ou des excédants, on met à l’amende
les sauniers, alors même qu’ils ont agi avec la meilleure foi du monde.
C’est
cette considération qui me met en doute si je dois adopter ou non la
continuation du système actuel. Je pense au moins que c’est là mon motif pour
tâcher de rendre l’exécution de la loi moins fiscale, et si le fisc le voulait,
je pense que le recensement pourrait se faire sans fiscalité.
Etes-vous
bien sûr qu’avec la circulation uniquement documentée du sel brut vous pourrez
avoir une surveillance assez forte pour prévenir la fraude ?
C’est
pour moi une question très douteuse, et je désire qu’on l’examine très
scrupuleusement avant d’adopter le nouveau système.
C’est
pourquoi, je pense, qu’il peut rester des doutes sur l’opportunité de la
suppression du système actuel de la perception.
La
circulation libre du sel raffiné a un autre danger. Nous sommes entourés de
pays qui raffinent le sel à meilleur marché que nous, et si vous renoncez à
avoir la circulation du sel raffiné documentée, il est probable que ce sel va
entrer en abondance en fraude de Hollande et même de France.
Le
principal défaut que je trouve dans le système actuel est celui des exemptions
; ceux-là peuvent facilement la supprimer sans toucher au principe de
perception.
Je
ne vois aucun motif pour exempter qui que ce soit, excepté la grande pêche de
mer. Faites-y attention, messieurs, si vous supprimez les exemptions, vous
allez procurer au fisc un bénéfice résultant de 3 millions de kilog. Car, en
1834, les exemptions sont montées à près de 3 millions de kil. ; il est vrai
qu’en 1836 elles étaient moindres, mais cela prouve que ces exemptions servent
à la fraude !
Messieurs,
un autre objet fort important du projet, c’est l’imposition de l’eau de mer ;
je crois bien qu’on l’a employée pour frauder, qu’au lieu de faire entrer de
l’eau pure de mer, on a fait entrer de la saumure, et ainsi on extrait beaucoup
de sel de la soi-disant eau de mer ; mais quand vous employez
consciencieusement de l’eau pure de mer, elle ne contient pas une grande
quantité de sel, et comme l’a très bien dit l’honorable M. Mast de Vries, il
est rare que l’eau de mer dépasse trois degrés ; ordinairement elle ne dépasse
pas deux degrés, et encore pour les obtenir, il faut aller très avant dans la
mer et puiser profondément.
Et
veuillez d’ailleurs considérer que cette eau de mer que vous avez chez vous,
vous ne devez pas aller chercher à l’étranger ; c’est une considération qui
mérite qu’on y ait égard ; en outre, le transport de l’eau fait gagner la vie à
une quantité de petits bateliers ; je pense donc que pour favoriser la
fabrication de cette matière première que vous avez chez vous, il faut la
ménager en l’imposant.
Messieurs,
encore un objet fort important pour le commerce : c’est un vice que je trouve
dans le projet de loi, en ce qui concerne le déchet. Dans ce pays, on
n’introduit que deux sels bruts, du sel de roche et du sel de marais. Pour le
déchet du sel de marais, vous donnez 6 p. c., et vous n’accordez rien pour le
sel de roche. D’après les calculs que j’ai faits, sur 100 kil., il y a un
déchet de 60 c. en défaveur du sel de roche. Messieurs, je ne vous ferai pas le
détail de ce calcul, mais je le ferai insérer dans le Moniteur, afin que vous
puissiez l’apprécier et juger de l’exactitude de ce que je vous avance.
(Le détail de ce calcul est ensuite repris
dans le Moniteur. Ces détails ne sont pas reproduits dans la présente
version numérisée.)
Je
n’entrerai pas dans la discussion de cette question, car je ne désire point de
voir renouveler ces scènes d’incriminations dont nous avons été témoins hier,
et qui ont donné lieu à des phrases qui heureusement ne sont pas sorties de la
chambre, mais qui étaient déshonorantes pour la nation, et en même temps
politiques, et que je repousse.
Je
crois pouvoir appuyer le système qui a été défendu avec tant de talent par
l’honorable M. Devaux. La ville de Bruges a certainement droit d’être un lieu
d’allégement. Pourquoi craint-on d’établir un entrepôt libre à Louvain, à
Termonde ? A cause de la fraude qu’on peut faire par le littoral. Si la fraude
peut se faire par le littoral, c’est de Flessingue à Anvers ; là vous ne
pourrez jamais l’empêcher. Je voudrais qu’on me dît si avec un droit quadruple,
on pourra empêcher que les Hollandais ne viennent frauder sur un littoral qui
est en leur possession, sur une si grande étendue comme celui qui côtoie les
deux Flandres.
La
fraude est beaucoup moins facile d’Ostende à Bruges, car on peut convoyer les
vaisseaux, et je défie qu’on décharge pendant le trajet sans qu’on s’en
aperçoive. Entre Flessingue et Anvers au contraire, la fraude est tellement
facile que c’est un véritable port hollandais. Il y a au Doel des bâtiments
hollandais en très grand nombre occupés à transborder. Et, messieurs, quand
vous n’avez pas de grands motifs pour ne pas donner des établissements
d’entrepôts libres à Bruges, à Louvain et Termonde, vous mettez dans la gêne
une grande partie des populations du pays ; tout le pays de Liége ne peut aller
prendre son sel brut qu’à Louvain ; tout le pays d’Alost et une grande partie
du pays de Waes doivent aller à Anvers ou à Ostende pour se procurer le sel
brut dont ils ont besoin ; c’est impossible ! Il faut donc nécessairement que
vous ayez intermédiairement établis des entrepôts libres, car gêner tant de
populations et tant causer de frais inutiles, ce serait de plus ridicule. Je
pourrais le concevoir, si, pour prévenir la fraude, vous n’aviez qu’un seul
port d’allégement, qui serait celui d’Ostende, que vous excepteriez Bruges,
Louvain et Termonde ; mais quand vous comprenez Anvers, où pour y arriver de la
mer la fraude est des plus faciles, je ne vois aucune raison plausible.
Il
me semble donc qu’on peut très bien laisser à Bruges son entrepôt de sel brut ;
je pense de même pour Louvain et Bruxelles, et je crois même qu’on doit en accorder
un à la ville de Termonde, car une population de plus d’un demi-million
d’habitants serait obligée d’aller aux entrepôts d’Anvers ou d’Ostende, pour
chercher le sel brut et faire beaucoup de dépenses, tandis qu’ils pourraient
s’en procurer à Termonde et ainsi diminuer de beaucoup les dépenses.
Une autre observation, c’est qu’aujourd’hui on
donne 10 p. c. de déchet sur la déclaration faite dans le port d’arrivage,
qu’on peut défalquer au moment où on décharge ; cela fait un moyen de diminuer
le produit de l’impôt ; ce serait assez de défalquer 5 p. c.
Je
dis donc qu’avant d’adopter un changement de système, il faut bien peser la
chose, voir si on ne va pas ouvrir une plus large voie à la fraude. Je dois
cependant ajouter qu’on se plaint beaucoup dans le pays des fiscalités qui
s’exercent dans les opérations des recensements, et que c’est là le plus grand
motif pour lequel on demande dans plusieurs endroits un changement de système
de perception.
M.
de Brouckere. - Je ne viens pas me mêler à la discussion
générale. Je ne prends la parole que pour faire une simple observation qui m’a
été suggérée par les discours prononcés par plusieurs honorables orateurs, et
particulièrement par ceux de MM. Devaux et Angillis. Vous avez entendu que ces
honorables membres ont pris avec chaleur les intérêts de la ville et du port de
Bruges ; j’abonde dans leur sens. S’ils présentent un amendement, je
l’appuierai. Mais je ferai observer que jusqu’ici on n’a rien dit de la ville
et du port de Bruxelles. Je prétends que la plupart des raisons et des
arguments présentés par ces honorables membres s’appliquent aussi bien à
Bruxelles qu’à Bruges.
J’ai
voulu seulement déclarer dès à présent, et afin que le ministre le sache, parce
que tout à l’heure il prendra probablement la parole pour défendre son projet,
j’ai voulu déclarer, dis-je, que je ne voterais pour aucun amendement ayant
pour but d’étendre la disposition du projet à un port autre qu’Ostende et
Anvers, pour autant que Bruxelles serait mis sur la même ligne.
Puisqu’on
a parlé d’affection, je vous prie de remarquer que ce n’est pas seulement par
affection pour Bruxelles que j’agis ainsi, car si je prends les intérêts de la
ville de Bruxelles, je prends aussi ceux de la ville de Bruges qui est ma ville
natale. C’est par un esprit de justice que je défendrai les intérêts du port de
Bruxelles. Je m’expliquerai quand nous en serons venus à cet article.
M. de Nef (pour une motion
d’ordre). - Je demande que le second vote sur la loi concernant les fils de lin
soit ajourné à samedi, afin que la commission d’industrie puisse combiner une
disposition dans le sens de l’amendement que j’avais présenté.
M.
Zoude. - La commission ne peut plus s’occuper de
l’amendement de M. de Nef, la chambre en ayant prononcé le rejet.
M.
Mercier. - La commission pourrait examiner s’il n’y a
pas lieu d’adopter un droit moins élevé pour la catégorie de fil que
l’amendement de M. de Nef avait en vue. Je demande dans tous les cas le renvoi
du second vote à samedi, afin qu’un membre puisse préparer une proposition, si
la commission ne juge pas à propos de le faire.
M. Desmet. - Nous avons
modifié nos propositions sur les instances de M. le ministre des finances, nous
avons établi le droit assez bas. La commission a examiné l’amendement de M. de
Nef et l’a repoussé. Si M. de Nef veut faire une autre proposition, cela le
regarde.
M.
Mercier. - Nous nous bornons à demander la remise du
second vote à samedi. Il n’y a pas péril en la demeure.
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - Je crois aussi qu’il
y a lieu de remettre à samedi le second vote de la loi relative au fil de lin,
afin de pouvoir prendre des renseignements sur la proposition de M. de Nef.
Cette proposition a bien été rejetée dans sa forme, mais le fond peut être
reproduit. Si M. de Nef trouve le droit de 15 fr. par 100 kilog. sur les
numéros 1 à 30 trop élevé, il peut présenter un amendement qui introduirait une
catégorie de 1 à 20 par exemple, sur laquelle le droit serait de 5 ou 10 fr.
Mais il ne pourrait plus demander que le fil mesurant 1,462 mètres par
hectogramme fût exempt de tout droit quand on l’introduirait par un bureau
déterminé.
Je
tenais à faire cette observation parce que M. Rogier, qui n’est pas présent,
avait fait des réserves à cet égard, lors du premier vote, et il avait été
convenu que des amendements nouveaux pourraient être présentés au vote
définitf. Ceci est d’ailleurs conforme à notre règlement.
-
L’ajournement à samedi est adopté.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS D’ACCISES SUR LE SEL
Discussion générale
(Moniteur belge n°83, du 24 mars 1838) M.
Zoude, rapporteur. - Plusieurs orateurs ont attaqué le rapport
de la section centrale, et l’un d’eux s’est attaché particulièrement à la
personne de son rapporteur.
Je
commencerai par réfuter les faits graves qui me sont imputés, comme ayant
prétendument fait des citations fausses. D’abord qu’ai-je voulu comme
rapporteur ? J’ai voulu prouver que l’opinion de tous les ministres des
finances était que, pour obvier à la fraude, il ne faudrait que deux ports
d’entrée et de déchargement.
Si
des considérations de commerce n’ont pas permis à ces ministres de proposer
l’exclusion des ports intérieurs, il n’est pas moins vrai qu’ils ont exprimé
leur opinion sur l’abus de ces ports.
Voici
leurs expressions :
M.
de Brouckere : « Pour satisfaire au désir exprimé d’obtenir
l’affranchissement du transport et de la circulation à l’intérieur, non
seulement pour le sel raffiné, mais même son extension au sel brut, etc. ; mais
avec des conditions pour ne point porter atteinte à la sûreté de l’impôt, et
surtout celle indispensable de n’admettre l’imputation que par les seuls
bureaux d’Anvers et d’Ostende. »
Et
plus bas :
« L’autre
a restreint les formalités de surveillance, etc., avec précautions que la
latitude des arrivages vers des lieux de déchargement à l’intérieur réclame,
latitude d’où sont résultés fréquemment de graves et funestes abus. »
Voici
maintenant comment s’exprimait M. Coghen :
« La
nature de la matière imposable, etc., son mode d’importation, etc., nécessitent
des précautions pour obvier à la fraude ; le système le plus propre à cet effet
eût été de ne permettre l’importation du sel et le premier déchargement à
l’arrivage que dans les ports d’Ostende et d’Anvers ; mais les convenances du
commerce s’opposent jusqu’à un certain point à une restriction aussi absolue et
fait reconnaître la nécessité d’accorder quelques lieux de déchargement à
l’intérieur ; si cette concession de facilités ne peut, malgré tous les inconvénients
qu’elle présente, être refusée, elle doit au moins être consentie avec les plus
grandes réserves, car elle a toujours servi de véhicule à la fraude la plus
active. »
Je
vous le demande, messieurs, quelles expressions pouvaient employer les ministres
pour vous dire plus clairement que le foyer de fraude était dans les ports de
déchargement à l’intérieur, que c’était là qu’elle se développait dans toute
son activité ; et lorsqu’invoquant leur opinion, je vous ai retracé
textuellement les expressions dans lesquelles elle est consignée, vous jugerez,
messieurs, s’il y a fausse citation, auquel de moi ou de mon contradicteur elle
devra être attribuée. Qu’ai-je fait maintenant en invoquant le témoignage de M.
d’Elhoungne ? Il s’agissait, messieurs, de ne plus admettre que deux ports de
déchargement.
Il
fallait donc indiquer la position de Bruges pour que cette ville fût soumise à
la loi commune, et cette position, elle se trouve dans le rapport d’un ancien
collègue dont l’opinion pour moi est souvent une autorité.
Si
la section centrale a ajouté une considération résultant de la fraude, c’est
qu’elle a dû croire à un rapport officiel qui se trouvait entre les mains d’un
de ses membres, ce qui, du reste, a été confirmé par la réponse que lui a faite
M. le ministre des finances, dans les termes consignés au rapport même.
Je
répondrai maintenant aux autres orateurs qui nous ont reproché d’avoir puisés
un grand argument de fraude dans les importations annoncées par les divers
mémoires et pétitions des régences, chambres de commerce, armateurs, etc.,
etc., et nous être ainsi exagéré les arrivages, pour pouvoir en tirer la
conclusion qu’il existait une grande fraude.
Je
prie les honorables contradicteurs de la section centrale de vouloir se
reporter aux expressions du rapport : ils y verront combien peu d’importance
nous attachons à ces divers renseignements. En effet, que dit le rapport ? « Si
nous devions croire aux réclamations de deux villes contre la réduction du
nombre des ports de déchargement, la fraude serait bien autrement
manifeste. »
Nos
arguments, messieurs, pour démontrer la fraude, nous les avons pulsés dans le
produit de l’impôt qui représente une consommation inférieure de beaucoup à
celle qui se fait réellement, et cette consommation réelle nous l’avons établie
par comparaison avec celle qui se fait en France, en Prusse, en Angleterre et
même en Espagne.
Je
l’établis, moi, par des renseignements qui me sont particuliers, je l’établis
encore sur beaucoup de pétitions avec lesquelles mes renseignements
particuliers sont d’accord.
Nous
l’établissons sur la conviction des ministres qui se sont succédé dans
l’administration des finances, et qui tous, comme je l’ai déjà dit, ont reconnu
que le seul moyen d’obvier à la fraude était de réduire le nombre des ports de
déchargement ; et l’un d’eux, le seul qui par sa position toute particulière
ait pu suivre la fraude dans ses replis les plus tortueux, ce ministre,
instruit par une longue expérience, n’aurait pas hésité à ne permettre l’entrée
du sel que dans le seul port d’Ostende.
Nos
convictions d’une nombreuse fraude ont été encore bien plus fortes depuis que
le gouvernement est venu vous proposer une réduction de près de 1/9 ou 400,000
francs sur cet impôt ; il devait être à coup sûr bien certain d’en être dédommagé
amplement par suite d’une répression considérable de fraude.
En
effet, messieurs, le ministre des finances sait très bien que ce n’est pas par
une faible modération du droit qu’il obtiendra une plus grande consommation de
sel.
Il
sait que les consommations des denrées, même d’un usage général, n’éprouvent
d’augmentation que lorsqu’il survient une grande diminution dans leur valeur ou
dans l’impôt dont elles sont frappées.
L’expérience
est d’ailleurs là pour nous instruire.
En
Angleterre, lorsque l’impôt sur le café fut réduit de moitié, le produit, qui
était de 10 millions, s’est élevé à 15.
Le
droit sur le sucre a été diminué de 1. p. c., et le trésor qui percevait 112
millions, n’en a plus reçu que 110.
Il
en a été de même chaque fois que l’abaissement d’un impôt n’a été que modéré,
le trésor en a toujours souffert.
Nous
croyons donc qu’en réduisant le droit de 1 fr. 61 c. seulement, le ministre
commettrait une faute, s’il n’était certain par son projet d’atteindre la
fraude, de manière à indemniser largement le trésor du sacrifice qu’il propose.
Voilà,
messieurs, où nous avons puisé nos éléments de conviction qu’une grande partie
du sel est soustraite à l’impôt.
La
fraude d’ailleurs ne vous a-t-elle pas été signalée dans cette masse de
pétitions et de rapports, qui vous ont été présentés de tous côtés ?
Les
armateurs et les négociants de la ville de Bruges, dans un mémoire distribué
depuis deux jours et qui mérite de fixer l’attention de la chambre, vous disent
qu’il est loin de leur pensée de contester l’existence de la fraude, qu’ils
sont d’accord avec le gouvernement et la section centrale relativement à
l’existence de la fraude.
Ailleurs
on rappelle les fraudes importantes et nombreuses qui ont forcé
l’administration à changer une grande partie du personnel dans les villes
d’Anvers et d’Ostende.
On cite enfin quelque part ce qui a dû se passer
à Ostende en 1832 et 33.
Enfin,
messieurs, les dénonciations de fraude transpirent par tous les pores d’une
masse de pétitionnaires.
Il
n’a donc pas fallu que la section centrale s’ingéniât beaucoup pour vous faire
une courte analyse de ce qui lui était signalé de toute part ; elle y a ajouté
le témoignage des autorités les plus compétentes sur la matière, et elle pense
vous l’avoir prouvé, malgré les dénégations qui viennent de lui être faites.
M.
Coghen. - J’ai demandé la parole pour m’expliquer à
l’égard des citations de l’honorable rapporteur. Quand j’eus l’honneur
d’occuper le ministère des finances, j’ai dit dans un rapport, en présentant un
projet de loi, que le moyen de prévenir la fraude sur le sel serait de limiter
l’importation aux ports d’Anvers et d’Ostende ; mais au même instant, j’ai dit
aussi que les égards qu’on devait au commerce intérieur ne permettaient pas de
recourir à une semblable mesure.
Sans
doute on diminuerait la fraude si on pouvait borner l’introduction de certaines
marchandises par un ou deux bureaux, si on pouvait sacrifier les autres
localités aux convenances de l’administration. Mais cela n’est pas possible.
Etablissons de fortes pénalités, ne transigez pas avec les fraudeurs, et la
fraude diminuera ; et n’allez pas détruire ce qui fait la fortune de nos
principales cités, Bruges a dépensé des millions pour créer et entretenir son port
; Bruxelles a également fait des sacrifices considérables pour former le sien ;
Louvain vient de dépenser un million ; et on veut frapper, proscrire le
commerce direct de ces villes pour la plus grande facilité de l’administration
!
Oui
certainement la fraude se fait, mais c’est dans les grands foyers
d’importation. Je défie qu’on cite un seul procès-verbal de fraude sur
l’introduction directe du sel à Bruxelles.
Membre
de la commission, j’ai protesté dans son sein contre la mesure de proscription
dont il s’agit ; depuis qu’elle l’a adoptée, je ne me suis plus occupé du
projet de loi qui nous occupe, parce qu’il consacre une injustice : lorsque
nous en serons aux articles, messieurs, j’aurai des observations à vous
soumettre. (A demain ! à demain !)
-
La séance est levée à 4 heures et demie.