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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 21 décembre
1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
pétitions relatives aux ventes à l’encan (C. Rodenbach)
et aux droits d’accises sur les sucres (Eloy de Burdinne, de Brouckere, Pirmez, Verdussen)
2) Projet de loi fixant le contingent de l’armée
pour l’année 1838
3) Projet de loi relatif aux droits d’accises
sur les sucres. Discussion des articles. Rendement de l’impôt et prime
d’exportation (Eloy de Burdinne, Rogier,
Pirson, d’Huart, Eloy
de Burdinne, Rogier, d’Huart,
Rogier, Desmaisières, Metz, d’Huart, Donny,
Rogier, de Foere, d’Huart, de Brouckere, Lardinois, d’Huart, Donny, de Foere, d’Huart,
Seron)
(Moniteur belge
n°356, du 22 décembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. B. Dubus
procède à l’appel nominal à midi et un quart.
M. Lejeune
lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. B. Dubus
fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Des fabricants de sucre indigène adressent des
observations sur la question des sucres. »
- Déposé sur le bureau pendant la discussion du projet
concernant les sucres.
________________
« Le sieur Longis, architecte à Anvers, demande
qu’il soit mis des fonds à la disposition de M. le ministre des finances pour
liquider les créances arriérées de l’ancien gouvernement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Plusieurs armateurs, négociants et raffineurs
de sucre d’Anvers, de Gand et de Bruxelles, demandent le maintien de la
législation actuelle sur les sucres, ou, à défaut de ce maintien, l’abolition
pure et simple du droit d’accise, à dater du 1er juillet 1838, avec maintien
toutefois du droit de douane actuel. »
- Déposé sur le bureau.
« Des négociants détaillants de Beveren demandent
des mesures répressives contre les ventes à l’encan de marchandises neuves. »
- A la demande de M. C. Rodenbach., cette pétition est renvoyée
aux ministres des finances et de l’intérieur.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, il vient de vous être faire l’analyse
d’une pétition adressée à la chambre par des fabricants de sucre indigène ;
comme la question des sucres est en discussion, et même déjà très avancée, je
demande qu’il soit donné lecture de la pétition dont je viens de parler.
M. de Brouckere. - C’est un fâcheux antécédent que de donner lecture des pétitions ; si
vous procédez de cette manière, vous serez accablés de pétitions ; si vous en
lisez une, il faudra lire toutes les autres. Il est d’usage de déposer les
pétitions sur le bureau afin chacun puisse les consulter quand elles traitent
de questions à l’ordre du jour.
M. Eloy de Burdinne. - Si l’antécédent n’existait pas, je partagerais
l’opinion de M. de Brouckere. La question est en discussion ; les pétitions
peuvent donner des renseignements utiles ; prenons-en connaissance. Je ne veux
pas introduire un usage ; mais c’est parce nous sommes à la veille de voter,
que je demande la lecture.
M. Pirmez. - Quoique l’observation de M. de Brouckere soit
assez juste, je crois qu’on doit lire la pétition si elle est relative à
l’article en discussion et sur lequel nous allons voter.
M. de Brouckere. - On veut faire une exception, mais cette exception n’est fondée sur rien.
Si on lit une pétition, il faudra lire les autres. A quoi cela conduira-t-il ?
A donner à tout le monde le droit de prononcer des discours dans cette enceinte
: on vous préparera des pétitions dont on demandera la lecture. Il ne faut pas
poser un pareil antécédent. S’il se trouve quelque chose dans les pétitions,
qu’elles soient déposées sur le bureau, il ne manquera pas de membres qui les
consulteront et qui en feront valoir les considérations.
M. Verdussen.
- Je crois qu’il faut faire exception à cause de notre situation. Nous sommes à
la veille de voter un article important de la loi concernant les sucres ; si on
laissait la pétition sur le bureau, tous les membres n’auraient pas le temps
d’aller la consulter. Il peut se trouver quelque chose d’important dans le
mémoire.
- La proposition de M. Eloy de Burdinne, appuyée par
M. Verdussen est mise aux voix et adoptée après deux épreuves par assis et
levé.
M. B. Dubus
fait lecture des deux pétitions concernant les sucres.
PROJET DE LOI FIXANT LE CONTINGENT DE L’ARMEE
POUR L’ANNEE 1838
M. le président.
- Le projet de loi présenté par M. le ministre de la guerre est admis sans
modification par la commission à laquelle il a été soumis. Ce projet est ainsi
conçu :
« Art. 1er. Le contingent de l’armée sur le pied
de guerre, pour l’année 1838, est fixé à 110,000 hommes, qui sont mis à la
disposition du gouvernement.
« Art. 2. Le contingent de la levée de 1838 est
fixé à un maximum de 110,000 hommes, qui sont mis à la disposition du
gouvernement.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire à
dater du 1er janvier 1838. »
- Personne ne prend la parole sur l’ensemble de la
loi, et les articles en sont mis aux voix et adoptés sans discussion.
L’ensemble de la loi est soumis à l’appel nominal.
70 membres sont présents.
2 s’abstiennent de prendre part au vote.
La loi est adoptée à l’unanimité des membres qui
votent, et sera envoyée au sénat.
MM. Seron et Dumortier se sont abstenus.
Ont voté l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck,
Bekaert, Berger, Brabant, Coppieters, Corneli, de Brouckere, Dechamps, de
Florisone, de Foere, de Langhe, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de
Moorsel, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Perceval, de Puydt, Dequesne, de
Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, d’Hoffschmidt, d’Huart,
Doignon, Donny, B. Dubus, Dubus aîné, Duvivier, Eloy de Burdinne. Ernst, Frison
Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lardinois, Lecreps, Lejeune, Liedts, Maertens,
Manilius, Mercier, Metz, Milcamps, Pirmez, Pirson, Pollénus, Raikem,
Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Smits, Stas
de Volder, Thienpont, Trentesaux, Meeus, Vandenbossche, Vandenhove, Van Hoobrouck,
Verdussen, Willmar, Zoude.
M. le président.
- MM. les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de
leur abstention.
M. Seron.
- Messieurs, il nous faut une armée, mais la nôtre me paraît trop nombreuse
pour un Etat neutre, destiné à demeurer éternellement en paix : voilà pourquoi
je me suis abstenu.
M. Dumortier.
- Messieurs, je ne pouvais point voter contre la loi fixant le contingent de
l’armée, parce que je suis disposé à accorder au gouvernement tous les moyens
nécessaires pour soutenir l’indépendance et l’honneur du pays ; mais d’un autre
côté je trouve la loi trop mal rédigée, je n’y vois aucune garantie. J’ai vu
avec la plus grande peine que, l’année dernière, on a appelé sous les drapeaux
des pères de famille, qu’on a empêché beaucoup d’hommes de se marier, et que
par là on les a forcés, en quelque sorte, de vivre en concubinage ; ces motifs
m’ont empêché de donner mon assentiment à la loi. J’ai donc dû m’abstenir.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS D’ACCISES SUR
LES SUCRES
Discussion des articles
Article premier
M. le président.
- La discussion est continuée sur la question de savoir si une partie du droit
d’accise sur les sucres sera définitivement acquise au trésor sans être sujette
à restitution lors de l’exportation.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, le ministre des finances nous demande
de percevoir, en faveur du trésor, un million de francs sur les consommateurs
de sucre ; en d’autres termes il vous demande de partager l’impôt de quatre à
cinq millions, que paient les consommateurs de Belgique, de telle manière que
trois millions environ continueront à être perçus en faveur des raffineurs et
du haut commerce, si toutefois on parvient à éviter que le fraudeur n’en prenne
une part.
D’un côté on trouve que ses exigences sont trop
fortes, et moi, messieurs, je les trouve trop faibles ; je crois même que M. le
ministre excède et ses pouvoirs et son devoir, et qu’un jour il éprouvera des
regrets d’avoir sacrifié les intérêts du trésor aux exigences d’une industrie
qui, aujourd’hui, n’est plus que factice ; en d’autres termes, d’avoir donné la
main à la perception d’un impôt en faveur des raffineurs de sucre et du haut
commerce.
L’impôt sur les sucres devrait rapporter quatre à cinq
millions au trésor. En maintenant l’ordre de choses actuel, avec les
modifications proposées par M. le ministre, il en résultera qu’un million sera
perçu par l’Etat, et environ trois millions par l’industrie. Ni le ministre ni
les hommes consciencieux ne peuvent, selon moi, tolérer un abus semblable, et
depuis longtemps M. le ministre aurait dû prendre l’initiative et nous proposer
un projet de loi qui aurait fait cesser un abus que je certifierai de
scandaleux.
Si M. le ministre a négligé de présenter ce projet, il
n’est pas à eu avoir des regrets : déjà hier il en a manifesté le doute. En
proposant aujourd’hui de partager un impôt de 4 millions au moins, à raison de
5 p. c. seulement, au profit du trésor, ne se prépare-t-il pas des remords de
conscience pour l’avenir ; ne lui reprocherait-on pas, plus tard, d’avoir donné
lieu à prélever des contributions en faveur d’une industrie, et d’avoir, en
quelque sorte, faussé son serment en agissant contradictoirement à la
constitution, qui interdit les privilèges, etc. ?
Pour mon compte, je ne puis donner mon assentiment au
projet du ministre ; je veux qu’il soit pris des mesures telles que l’impôt
cesse d’être perçu, même en partie, en faveur de l’industrie, par le motif que
la constitution, que nous avons jurée, nous en impose le devoir, je dirai plus,
l’obligation.
Si nous percevons un impôt que je fixe à 5 millions au
moins, vu qu’en 1838 le sucre de betterave peut être considéré comme devant
donner un quart de la consommation, alors nous éviterons d’augmenter les impôts
directs en évitant les cinq centimes additionnels que demande M. le ministre
des finances. Comme le sucre est très imposable, je veux qu’il soit imposé en
faveur de l’Etat et non en faveur de l’industrie.
Le sucre indigène en sera affranchi en 1838, mais je
partage l’opinion de l’honorable M. de Mérode. En 1839 j’espère que le trésor
percevra également un impôt sur le sucre indigène, mais de manière à ce que
cette industrie puisse soutenir la concurrence avec l’étranger. Je m’explique,
je veux que les fabricants de sucre de betterave puissent vendre, concurremment
avec les fabricants de sucre de canne, leurs produits sur nos marchés, et ils
en ont d’autant plus le droit que la matière première a payé un impôt à l’Etat
pour l’obtenir (l’impôt foncier), et que la canne à sucre n’a rien payé au
gouvernement belge ; en outre, pour le motif que la fabrication du sucre de
betterave brut est l’œuvre de nos populations, tandis que la fabrication du
sucre de canne est l’œuvre des populations étrangères.
En agissant autrement, on aurait droit de dire à la
majorité de la chambre qu’elle traite mieux les intérêts des étrangers que
celui de ses commettants ; en d’autres termes, que la chambre est plutôt
indienne que belge.
L’Etat ne peut marcher sans impôts, il doit les
répartir avec équité ; eh bien, messieurs, n’est-il pas scandaleux de voir
l’impôt sur le sel rapporter à l’Etat 3,700,000 francs, impôt perçu pour la
plus grande partie sur la classe pauvre, tandis que l’impôt sur le sucre, qui
est la consommation de la classe aisée, ne produit à l’état qu’un million de
francs, aux termes de la proposition ministérielle ? Je le répète, je ne
pourrai pas voté en faveur d’un semblable projet ; d’autres modifications sont
indispensables, et ce ne serait qu’en désespoir de cause, si je reviens de
cette résolution.
Nos adversaires prétendent que si nous changeons la
législation actuelle, nous ruinons notre commerce maritime.
Dans la première séance j’ai eu l’honneur de vous
faire remarquer que pendant le courant de l’an 1834 les navires belges
n’avaient été chercher à Cuba et au Brésil que 1,800,000 kil. de sucre brut.
Depuis on vous a fait voir qu’en 1836 ou 1837 seulement 500,000 kil. de sucre
brut avaient été introduits en Belgique par navire belge de provenance des
Indes.
Si notre commerce de navigation, dont on nous a fait
un si grand étalage, doit dépendre du transport dans nos ports de 500,000 kil.
de sucre venant des Indes, je vous le demande, messieurs, ce commerce est-il
aussi important qu’on cherche à nous le faire croire, et faut-il accorder une
prime de trois millions au moins pour favoriser l’introduction de 500,000
kilogr. de sucre venant des Indes ? Cette prime, messieurs, serait, à raison de
6 fr. par kilogr. de sucre brut venant des Indes directement par navire belge
en 1837, trois fois la valeur de la marchandise ; et en 1834, comme il en a été
introduit 1,800,000 kilogr., alors la prime serait de 1 fr. 60 centimes par
kilogr.
Ajoutez à cela les primes pour construction de navires
et autres dépenses, vous apprécierez, messieurs, que s’il y a un ver rongeur,
c’est bien le commerce maritime et non l’industrie des sucreries indigènes,
comme on l’a dit : le ver rongeur du commerce maritime a rongé plus de dix
millions à l’Etat depuis la révolution, et le ver rongeur de la betterave est à
peine né, et il n’a pu encore ronger ; il ne rongera pas, et s’il ronge un
jour, nous ferons en sorte qu’il ronge en faveur de l’Etat et du pays tout
entier et non en faveur de telle ou telle industrie.
On nous a dit que la loi sur les sucres avait été
faite en partie en faveur de l’industrie ; cet allégué peut fort bien être
contesté ; elle fut nommée loi fiscale, elle est de nature de la loi
personnelle et autres, elle est née en même temps en 1822 et à une époque où le
gouvernement des Pays-Bas faisait des lois productives, et dans la supposition
où le gouvernement hollandais aurait voulu faire une loi à l’avantage de
l’industrie, ce dont je doute.
La constitution veut que nous révisions les lois
financières ; ce n’est plus le temps où on peut jeter à pleines mains les
millions de l’industrie. Avant la révolution combien n’a-t-on pas crié contre
le million Merlin !
Vous le savez, messieurs, ce fut un des griefs de la
révolution ; et un de nos plus fameux adversaires, que je ne nommerai pas, doit
se rappeler que lui-même était fortement opposé au maintien de cet abus, et, ce
qui a lieu de surprendre, c’est qu’aujourd’hui il s’érige en défenseur, non pas
d’un million Merlin, mais de 3 à 4 millions.
Il a été démontré à l’évidence que l’intérêt du
commerce maritime n’est qu’un prétexte pour conserver la perception de 3
millions en faveur de l’industrie sur les consommateurs de sucre, au détriment
du trésor ou même à charge de la nation tout entière. En un mot, comme en cent,
nous avons à examiner si nous continuerons à renoncer à la perception d’environ
3 millions en faveur de l’industrie, et si, par suite, nous consentirons à une
augmentation d’impôt pour remplacer ce déficit ; en d’autres termes,
consentirons-nous à prélever des centimes additionnels pour les impôts directs
en faveur d’une industrie ? Pour mon compte, je n’y souscrirai pas, ma
conscience me le défend.
Pour finir, il me reste à
répondre à un argument qu’ont fait valoir nos adversaires dans la séance
d’avant-hier. Un des plus zélés défenseurs du haut commerce vous a dit que le
sirop et le sucre commun ne doivent pas payer d’impôt, vu que c’est le pauvre
qui les consomme. J’aime beaucoup la philanthropie et je partage l’opinion de
mon adversaire sur ce point. Si cet honorable philanthrope ne veut pas que les
douceurs de la classe peu aisée paient des impôts, comment se fait-il qu’il ne
propose pas d’affranchir de droit les objets indispensables à la classe pauvre,
qui ne fait pas usage de sucre ? Comment ne demande-t-il pas la suppression de
l’impôt sur le sel, ainsi que la suppression de l’impôt sur la bière légère,
qui est indispensable à la classe pauvre ? L’honorable philanthrope, ne
proposant pas la suppression de l’impôt sur le sel, paraît n’exercer sa
philanthropie que sous le rapport du sucre ou plutôt dans l’intérêt du haut commerce
; en d’autres termes, c’est la perception d’un impôt de 3 à 4 millions en
faveur du haut commerce qui le rend si philanthrope, au moins j’ai quelque
motif de le croire ; sa conduite m’y autorise.
M. le président. - Voici un amendement qui vient d’être déposé par M. Rogier :
« En cas de non adoption de l’amendement de M. Liedts,
j’ai l’honneur de proposer à la chambre l’amendement suivant à celui de M.
Pirson :
« A partir du 1er avril 1838, le droit d’accise sur
les sucres sera supprimé et remplacé par un droit d’entrée de 4 fr. par cent
kil. de sucre brut. »
Voici l’amendement de M. Pirson :
« Je propose la suppression de l’accise sur le sucre.
« Bien entendu, je laisse subsister le droit de
douane à l’entrée. »
M. Rogier.
- Messieurs, j’ai appuyé hier comme une concession l’amendement proposé par
l’honorable M. Liedts ; j’ai établi (et jusqu’à présent cette démonstration n’a
été réfutée par personne) que la retenue de 10 p. c., opérée sur la prise en
charge, en partant de la base actuelle du mouvement des sucres, réduite même de
2 millions, procurerait au trésor la somme réclamée par M. le ministre des
finances ; j’ai établi cela d’une manière péremptoire, et, je le répète, qu’on
n’a point prouvé que mes calculs fussent inexacts ; j’attends encore cette
preuve.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - On vous a répondu d’avance.
M. Rogier.
- On ne m’a point répondu d’avance.
Si l’amendement de M. Liedts venait à être repoussé et
si la proposition de M. le ministre des finances avait chance d’être admise, je
proposerais l’amendement que je viens d’avoir l’honneur de déposer et auquel on
me permettra de donner quelques développements.
Cet amendement, messieurs, a pour but de supprimer le
droit d’accise sur le sucre et de le remplacer par un droit de douane, non
restituable, plus élevé que celui qui se perçoit aujourd’hui. Par cet
amendement, messieurs, s’il est adopté, viendra à s’écrouler l’échafaudage de
toutes les réclamations qui ont retenti dans cette enceinte contre les
raffineurs de sucre ; viendront à tomber et le discours de l’honorable
préopinant, et le discours de l’honorable membre qui a clos la séance d’hier ;
viendront à tomber aussi les reproches d’inconséquence qui nous ont été
adressés de diverses parts. On a avancé que dans la question qui nous occupe,
nous soutenons, contrairement à nos principes, le système des primes.
D’abord je déclare, messieurs, que, pour ma part, je
ne me suis jamais prononcé d’une manière absolue contre toute espèce de prime.
On prétend que l’industrie des sucres perçoit sur le consommateur une prime de
4 millions. Eh bien, messieurs, vous venez d’entendre une pétition des
raffineurs si intéressés à percevoir ces quatre millions, qui demandent
cependant la suppression de cette prime. A cette pétition, messieurs, nous,
défenseurs de l’industrie qui est en cause, nous venons nous joindre ; nous
demandons avec elle la suppression d’une prime qui, dit-on, est si favorable à
cette industrie, et par cette suppression nous ne voulons pas priver le trésor
de toute espèce de revenus ; au contraire, nous substituons au système actuel
un droit dont la perception est assurée, dont le taux est certain : nous
demandons un droit d’entrée de 4 fr. par 100 kilog. de sucre brut ; nous
supposons que le mouvement des sucres sera au minimum de 20 millions de kilog.,
chiffre inférieur à celui du mouvement des dernières années ; 4 fr. par 100
kilog., sur 20 millions, produiront 800,000 francs, somme demandée par M. le
ministre des finances, et qui serait acquise au trésor d’une manière
définitive, tous les avantages indirects qui résultent du système actuel, pour
le pays en général, et pour un très grand nombre d’industries, demeurant
maintenus.
Voilà, messieurs, l’amendement que nous proposons
d’une manière subsidiaire pour le cas où l’amendement de l’honorable M. Liedts
ne serait pas adopté. Quant à moi, je le déclare, je préférerais l’adoption de
mon amendement à l’adoption de celui de M. Liedts. N’est-il pas à craindre, en
effet, que ce dernier amendement, s’il est adopté, ne continue à placer
l’industrie des sucres exotiques dans une position tout à fait pénible
vis-à-vis de ses adversaires ; si par la force des choses, par le développement
successif de la fabrication du sucre de betterave, l’impôt qui serait établi
d’après la proposition de M. Liedts, ne produit pas les 3 ou 4 millions que,
bon gré, mal gré, on peut faire produire par les sucres, à chaque discussion de
finances de nouvelles réclamations vont s’élever contre nous ; on reviendra sur
les sucres, qui ont le privilège d’exciter l’antipathie de plusieurs de nos
honorables collègues, par cela seul qu’ils favorisent le haut commerce,
c’est-à-dire le commerce, car je ne comprends pas la distinction. Le commerce a
pour mission de nous procurer les matières premières dont nous avons besoin, et
d’exporter les produits de notre industrie. Voilà, messieurs, ce que je vois
dans le commerce ; et que vous appeliez cela du haut ou du bas commerce, je
n’en verrai pas moins dans le commerce la première de toutes les industries,
puisqu’il est l’agent indispensable de toutes les autres.
Je le répète, messieurs, si
mon amendement est adopté, il répondra victorieusement à toutes les accusations
qui ont été lancées avec si peu de raison et si peu de modération contre
l’industrie des sucres exotiques, cette industrie qui, à ce qu’il semble, ne
mérite aucune considération, qui est sans importance, qui ne concerne que la
seule ville d’Anvers.
Il est faux, messieurs, que l’industrie des sucres ne
concerne que la ville d’Anvers ; il a été démontré à satiété qu’elle intéresse
tout le pays ; si elle concerne plus directement la ville d’Anvers, elle
intéresse directement aussi d’autres cités, non moins importantes, entre autres
Gand, Ostende, Bruges, une partie du Brabant. Mais, quand il serait vrai que la
seule ville d’Anvers serait intéressée au commerce des sucres, serait-ce là un
motif pour la traiter avec dédain, avec mépris ? N’est-ce rien en Belgique que
la ville d’Anvers ? Quels sont donc les torts de cette cité si importante aux
yeux de l’étranger ? Est-ce de verser au trésor la moitié des droits de douane
? Est-ce de payer à elle seule en contribution personnelle presqu’autant que la
province du Hainaut tout entière, et 160,000 francs de plus que la province de
Liége ? Est-ce de payer en contributions, plus que les trois provinces de
Namur, de Limbourg et de Luxembourg réunies ?
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Cela prouve qu’elle est riche.
M. Rogier.
- Cela prouve qu’elle n’est pas peu de chose dans le pays, et que, quand ses
intérêts vitaux sont menacés, il faut agir avec quelques ménagements.
On s’est plu trop longtemps à ravaler, je dirai
presque à ridiculiser, cette cité importante qui fait honneur au pays. (Dénégations.)
Je demande alors comment il se fait que chaque fois
que la ville d’Anvers a été mise en jeu dans cette enceinte, nous avons entendu
des paroles d’animosité partir de certains bancs. (Non ! non !) Il n’y a pas 5 minutes qu’on vous a parlé encore avec
dédain de ce qu’on appelle le haut commerce.
M. de Jaegher.
- La chambre n’est pas responsable de l’opinion d’un de ses membres.
M. Rogier.
- Je n’incrimine pas la chambre ; je demande seulement qu’elle ne s’associe pas
au système de ceux qui traitent avec si peu de ménagement une cité si utile au
pays.
- L’amendement de M. Rogier est appuyé.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, je viens de faire prendre le Moniteur du 20, qui rend compte de la
séance dans laquelle j’ai fait connaître, en réponse à une interpellation de M.
Rodenbach, le produit que mon amendement amènerait, selon moi ; je donnerai
tout à l’heure lecture de mon discours, et l’honorable préopinant sera
convaincu que je lui avais répondu d’avance.
Je laisserai, messieurs, suivre la discussion. Il est
inutile, je pense, de répliquer à l’honorable préopinant, en ce qui concerne
Anvers. Personne dans cette chambre n’a dit et n’a eu l’intention de dire ce
que M. Rogier prête cependant à tout le monde. Je ferai observer à cette
occasion que l’honorable membre qui s’est élevé dans maintes circonstances,
avec raison, je le veux bien, contre des députés qui défendent trop
spécialement les intérêts de leur localité, vient de tomber lui-même dans
pareille déviation, car il n’était pas du tout nécessaire de prendre si
chaudement la défense de la ville qu’il représente, alors que personne ne songe
à attaquer cette cité à laquelle on doit des ménagements, ainsi que le dit
l’honorable M. Rogier, ménagements que renferme aussi la proposition que nous
avons eu l’honneur de présenter. Nous regardons au moins cette proposition
comme excessivement modérée, et nous ne nous y arrêterions pas définitivement
si la suite de la discussion venait en établir la portée réelle, comme
dépassant beaucoup celle que nous lui attribuons.
On a parlé de
la forte part pour laquelle Anvers contribue dans les impôts de l’Etat. Eh
bien, messieurs, comme je le disais tout à l’heure, en interrompant M. Rogier,
ce fait prouve que la ville d’Anvers est dans l’aisance, qu’elle est riche,
qu’on y fait beaucoup d’affaires importantes de commerce, et je pense que nous
ne pouvons tous qu’applaudir à cette situation.
M. Eloy de Burdinne. (pour un fait personnel). - Messieurs, dans le
discours que l’honorable M. Rogier vient de prononcer, il m’a paru faire
allusion à ce que j’ai dit. Je lui répondrai que je n’ai pas entendu parler de
la ville d’Anvers : le haut commerce existe ailleurs qu’à Anvers, et ceux qui
s’adonnent au haut commerce peuvent habiter Liége comme Anvers. Or, j’ai fait
allusion au haut commerce, et j’ai démontré que le haut commerce était une
véritable fantasmagorie sous le rapport de la fabrication du sucre. Je n’en
dirai pas davantage ; mais je le répète, je n’ai fait aucune allusion à la
ville d’Anvers.
M. Rogier.
- M. le ministre des finances vient de dire qu’il avait répondu d’avance à mes
observations, en ce qui concerne l’importance actuelle du sucre brut importé en
Belgique. Je désirerais que M. le ministre répétât en peu de mots ce qu’il a
dit à cet égard, il y a deux jours.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - J’ai dit que j’évaluais de 12 à 14 millions de
kilog. la quantité de sucre qui serait prise en charge pendant l’année 1838, et
j’ai prouvé que si l’on partait d’un maximum de 14 millions, mon amendement
assurait au trésor un revenu de 1,295,000 fr. J’ai dit ensuite que si je
calculais à ce maximum de 14 millions la quantité de sucre qui sera prise en
charge en 1838, c’était parce que la production du sucre indigène fournirait
une partie de la consommation, et M. Rogier lui-même s’est servi de cette
déclaration pour prouver que les sucres indigènes n’étaient pas dans une
position si malheureuse ; l’honorable membre aurait dû dire que j’ai ajouté que
ce serait là un motif pour frapper prochainement d’un impôt les sucreries
indigènes, et non pour laisser les choses dans l’état actuel, quant au sucre
exotique.
M. Rogier. - Je n’ai demandé de nouveau la parole que pour
prendre acte de la déclaration de M. le ministre des finances ; elle a une
telle importance dans la question qui nous occupe, que j’ai cru indispensable
de la faire répéter avant le vote.
(Moniteur belge
n°357, du 23 décembre 1837) M. Desmaisières, rapporteur. - J’ai demandé
hier la parole au moment où un honorable député de Tournay a cru pouvoir
renouveler, envers les honorables membres de la chambre qui soutiennent
l’opinion de la commission, le reproche fait, à une autre époque peu éloignée,
à lui-même, d’avoir, en fait de système commercial, changé d’opinion par esprit
de localité.
Ce n’est sans doute pas à moi que ce reproche peut
s’adresser, car j’ai toujours défendu la protection à accorder à l’industrie,
et peu a toujours importé pour moi, j’en ai donné plus d’une preuve, dans
quelle localité la branche industrielle qui était en question se trouvait
pratiquée.
Mais si j’accorde à notre honorable contradicteur
qu’on ne peut, dans cette assemblée, chercher à faire prévaloir l’intérêt de sa
localité sur l’intérêt général, il m’accordera aussi, j’espère, que parce
qu’une industrie se pratique dans la localité qu’il représente, ce n’est point
là un motif non plus pour qu’il soit interdit à un représentant de défendre
cette industrie. Il m’accordera même, j’en suis persuadé, qu’ici il y a alors,
à raison de ce qu’il le peut mieux que tout autre, obligation absolue pour lui
de chercher à éclairer l’opinion de ses honorables collègues.
Les visites de remerciement que j’ai reçues après la
discussion de la loi de douanes, d’honorables industriels de Tournay, sont là
pour témoigner que je n’agis jamais par esprit de localité. Ces remerciements,
du reste, je le reconnais et je l’ai dit à ces honorables fabricants, ne
m’étaient aucunement dus, parce qu’en défendant l’industrie tournaisienne, je
n’ai pas entendu défendre les intérêts personnels de ces industriels, mais bien
les intérêts généraux du pays, et que par conséquent je n’ai fait que remplir
un devoir que je regarde comme le plus impérieux de ceux que nous impose le
beau mandat que nous avons reçu de la nation.
Permettez-moi, messieurs, de vous donner lecture de
cinq à six lignes du Moniteur, où se
trouve le compte-rendu de notre séance du 11 décembre 1833, dans laquelle la
question des sucres a été aussi traitée à l’occasion du budget des voies et
moyens, et vous verrez si l’honorable membre qui a accusé hier plusieurs des
honorables codéfendeurs de l’opinion que je soutiens, ne s’est pas lui-même
aujourd’hui en contradiction avec l’opinion qu’il professait alors.
Voici, messieurs, ce que disait l’honorable membre
auquel je fais allusion :
« Vous n’ignorez pas que les raffineries de sucre
constituent une branche importante d’industrie à Gand ; la privation de
débouchés rend cette industrie très périclitante. Ce sont les sucres français
que l’on consomme maintenant chez nous. Tout le temps que les bureaux, dont on
a parlé, ont été ouverts à l’exportation, les raffineries de Gand et de Tournay
ont été florissantes ; dès qu’ils ont été fermés, les raffineurs de ces deux
villes ont été obligés de renvoyer leurs ouvriers. »
Vous le voyez, messieurs, c’était alors les
raffineries de sucre exotique que l’honorable membre a défendues ; il nous expliquera,
sans doute, pourquoi il a changé aujourd’hui d’opinion.
L’honorable M. Pirmez s’est plaint hier que, quoique
j’eusse cru devoir être assez long, j’avais laissé sans réponse plusieurs
objections qu’il avait faites, et entre autres les calculs qu’il avait
présentés pour combattre ceux qui se trouvaient dans une pétition adressée à la
chambre par les raffineurs de Gand. Mais, je le dirai franchement, je n’ai pas
répondu aux calculs de M. Pirmez, parce qu’il combattait des calculs qui
reposaient sur une hypothèse contre laquelle les raffineurs, auteurs de ces
calculs, ont eux-mêmes protesté. Je ne vois pas pourquoi il aurait fallu
entretenir la chambre de pareils faits. Du reste, il serait très facile de
prouver qu’en supposant que l’hypothèse contre laquelle les raffineurs de Gand,
je le répète, ont protesté, fût vraie, les calculs de ces raffineurs étaient
justes dans ce cas.
Mais, encore une fois, ce serait abuser des moments de
la chambre. Et d’ailleurs, quand bien même ces calculs ne seraient pas exacts,
quel argument pourrait-on en tirer contre nous ? Sommes-nous solidaires des
calculs que, selon les raffineurs, on établit et que l’on reconnaît n’être pas
justes ? Je ne pense pas que l’honorable M. Pirmez veuille le prétendre.
Afin que cet honorable membre ne puisse plus me
reprocher de laisser ses objections sans réponse, je dirai quelques mots
relativement à l’argumentation qu’il a prétendu tirer du rapprochement des mots
« but » et « moyen. »
Il nous a dit, si je l’ai bien compris, que, lorsqu’il
s’agissait ici de protection, ce n’était pas la navigation qui était le but,
mais que c’était l’industrie et le commerce.
M. Pirmez.
- Je n’ai pas dit cela !
M. Desmaisières. - Alors je vous prierai d’expliquer votre pensée.
M. Pirmez.
- J’ai dit que la navigation n’était que le moyen ; que le but était la
richesse.
M. Desmaisières. - Soit ! Ainsi, vous l’entendez, messieurs, l’honorable membre vient
de dire que le but était la richesse et que la navigation n’était que le moyen.
Eh bien, je répondrai en deux mots à l’honorable membre que qui veut la fin
doit vouloir les moyens, et que, par conséquent, on doit protéger la navigation
qui est le moyen d’arriver au but, qui est la richesse, si l’on veut protéger
la richesse.
Vous venez d’entendre, par la lecture des pétitions
des fabricants de sucre de betterave, que les 25 p. c. demandés par le ministre
des finances, comme devant rester dans tous les cas au trésor sur les prises en
charge de sucre exotique, vont directement contre les intérêts du sucre de
betterave. Quand un pareil argument est présenté par des fabricants de sucre de
betterave, je crois qu’il est inutile de donner de plus longs développements
pour en établir la preuve.
Nous avons consenti, comme l’a fort bien dit
l’honorable M. Rogier, non pas sans crainte pour l’avenir de l’industrie du
sucre, nous avons consenti à l’adoption de l’amendement présenté par M. Liedts
qui porte à 10 p. c. la somme qui doit rester définitivement au trésor sur les
prises en charge. Mais on a prétendu que ces 10 p. c. ne suffiraient pas, qu’il
en résulterait que le trésor ne percevrait pas ce million qu’il lui faut, et
qu’il lui faut sur le sucre exotique, quoiqu’il soit démontré que le sucre de
betterave est la cause principale de la diminution des recettes du trésor.
On a dit que le chiffre de nos exportations diminuera
nécessairement encore en 1838, parce qu’il a diminué en 1837.
Mais, messieurs, si l’on peut raisonner ainsi, si l’on
peut argumenter de la diminution du chiffre de nos exportations en 1837, pour
prévoir qu’en 1838 il sera encore moindre, on m’accordera que je puis
argumenter des chiffres de recette de 1837 pour prévoir ceux de 1838 ; car il
n’y a pas plus de raison pour faire l’application de ce système à l’un des
problèmes qu’à l’autre. Eh bien, les recettes du trésor en 1830 ont été de 180
mille francs, et mon honorable ami M. Mercier, avec qui je regrette de me trouver
en opposition, vous a fait connaître que les recettes de 1837 sont déjà
assurées jusqu’au chiffre de 400,000 fr.
Ainsi, les recettes de 1837, relativement à celles de
1836, ont doublé. Si je puis appliquer ici le même raisonnement qu’on a
appliqué aux exportations, il en résultera qu’en 1838 les recettes augmenteront
encore et s’élèveront à 800,000 francs, en maintenant la législation actuelle.
Toutefois, je le reconnais, moi, ce n’est pas ainsi qu’il faut apprécier un
chiffre dans l’avenir, c’est en raisonnant d’après une moyenne de plusieurs
années. Or, cette moyenne est de 21 millions pour les exportations. Si
j’applique sur cette somme la retenue de 10 p. c., j’ai à peu près 800,000 fr.
qui, avec les 200,000 francs de recettes de douanes qu’on opérera en sus,
feront le million qu’on veut avoir à toute force du sucre exotique.
Et notez bien, messieurs, qu’on a oublié de faire
entrer dans les calculs la levée des transcriptions que nous proposons. Ici
messieurs, je crois pouvoir dire que cette levée des transcriptions, sans que
la marchandise les accompagne, aura peut-être plus d’effet encore sur
l’augmentation de recette que les 10 p. c. que par transaction nous vous
accordons.
Voyez à la page 40 de mon rapport : les exportations
qui ont eu lieu au moyen de transcriptions non accompagnées de la marchandise
se montent à 5,420,038 kil. en 1834, et à plus de 6 millions en 1835.
Ainsi il faut seulement qu’il y ait un cinquième du
chiffre de ces transcriptions qui ont eu lieu sans être accompagnées de la marchandise,
et qui ait donné lieu à la fraude pour un million de kil. qui n’ait pas payé le
droit. Ce chiffre, dans mon opinion, est bien au-dessous de la vérité ; la part
qu’il faut attribuer à la fraude dans ces 5 à 6 millions est à moins de la
moitié.
Pour fixer les idées à cet égard, je crois qu’il est
bon d’entrer dans quelques développements.
On comprendra facilement par un exemple comment se
fait cette fraude. Un raffineur doit au trésor 10,000 francs de droits pour ses
prises en charge. Il a livré son sucre à la consommation, et ces 100 mille fr.
doivent être payés au trésor. Mais vient le négociant fraudeur qui lui achète
ses droits moyennant une prime de 1, 2, 5, 6 ou même 10 p. c,, si vous le
voulez, car ici il ne s’agit que d’expliquer la chose. Supposons donc qu’il ait
une prime de dix pour cent. Il paie au négociant fraudeur 90,000 fr., et
moyennant cela, le négociant fraudeur est chargé de payer au trésor les cent
mille francs de droit. Que fait alors le négociant fraudeur ? Il fait sortir une
quantité de sucre raffiné à haute décharge, qu’il se procure, soit par la
fraude à l’étranger, soit en l’achetant dans les raffineries du pays. Il
présente ce sucre à l’exportation, et il se décharge d’autant de droit que
comporte cette quantité. Après cela, il fait rentrer dans le pays, en fraude,
cette même quantité de sucre, ce même sucre, après l’avoir pilé, ainsi que le
prouve un jugement que j’ai joint à mon rapport et qui a été rendu contre un
négociant de Tournay. Après avoir fait rentrer ce sucre, il le représente de
nouveau à l’exportation. De nouveau il est déchargé de cette quantité, et
successivement il parvient à apurer ces 90 mille francs que lui a payés le
raffineur.
En supprimant donc cette transcription non accompagnée
de la marchandise, vous ferez chose agréable au raffineur qui n’a pas intérêt à
ce qu’on introduise des sucres étrangers, et qui, s’ils ne paient pas toujours
les droits au trésor, le paient au négociant fraudeur. Par cela vous pouvez
juger quelle sera la ressource qui résultera, pour le trésor, de la suppression
des transcriptions pour autant qu’elles ne soient pas accompagnées de la
marchandise.
Je vous prie d’y prendre garde, nous proposons cette
suppression, et en même temps nous stipulons que la marchandise qui accompagnera
la transcription devra être mise sous la clef de l’administration jusqu’à
l’exportation.
Voilà donc encore une grande augmentation pour les
recettes du trésor, dont on n’a pas tenu compte dans les calculs présentés
hier.
Ensuite, est-ce pour ne pas atteindre son but que le
ministre des finances serait venu vous demander à son budget une majoration
pour l’administration de la douane ? Cette majoration ne servira-t-elle donc à
rien ? J’ai, moi, meilleure opinion de notre administration douanière. Je crois
qu’à l’aide de cette majoration, elle réussira à empêcher l’introduction
frauduleuse du sucre raffiné étranger, et qu’il y aura là encore une forte
augmentation de recette pour le trésor, en sus des 10 p. c. proposés par
l’honorable M. Liedts.
Je reviens à l’objection présentée par l’honorable M.
Mercier relativement aux exportations. Il vous a dit que la loi qu’avait portée
la Prusse relativement à l’entrée des lumps avait eu pour effet de diminuer vos
exportations en 1837, et qu’elle aurait un effet plus grand encore en 1838.
Mais d’abord a-t-il perdu de vue que cette loi a été
mise en vigueur le 1er janvier 1837, qu’elle a dû nécessairement être portée
avant cette époque, et que par conséquent elle a dû avoir en 1837 tout son
effet ?
En outre, si je suis bien informé (et la source où
j’ai puisé mes renseignements me permet de le croire), cette loi prussienne a
excité tant de plaintes en Prusse même que déjà on pense à la modifier dans le
sens de l’augmentation de nos exportations.
Ensuite croit-on que nos raffineurs soient restés
oisifs en présence de cette loi ? Croit-on que quand on leur a fermé un
débouché, ils n’aient pas cherché à en trouver ailleurs ? Eh bien, ils ont fait
ces recherches, et ont été assez heureux pour trouver à remplacer le débouché de
la Prusse, de manière que si la Prusse modifiait sa loi qui interdit nos
exportations en Prusse, si elle admettait nos lumps, nous aurions un surcroît
d’exportation sur le chiffre que nous avons eu jusqu’ici.
Vous voyez que nos raffineurs ont été chercher
maintenant des débouchés dans le Levant, et je suis heureux de pouvoir le dire,
non seulement pour l’industrie du raffinage, mais pour toutes nos industries ;
car vous voyez qu’en même temps qu’on a exporté du sucre on a exporté des
draps, des charbons, des verreries et d’autres objets manufacturés encore. Je
suis encore heureux de pouvoir le dire, ces essais dans le Levant ont offert
tant d’avantages, que ces exportations ne tarderont pas à prendre un très grand
développement.
Je dis donc que nos raffineurs ont trouvé d’autres
débouchés, et je le prouve. Je tiens en main le Moniteur du 11 juillet de cette année, et j’y trouve :
« Les navires belges suivants ont quitté le port
d’Anvers avant hier matin : le Télémaque, pour Smyrne et Constantinople, chargé
de 56,000 kilog. de sucre raffiné, et la Jeune Clémence, chargé de 300 caisses
sabres de grosse cavalerie, d’une valeur d’environ 150,000 fr. Ces navires
emportent en outre d’autres marchandises, telles que verres à vitre, draps,
charbons, etc. »
N’avons-nous pas vu arriver dans le pays trois
négociants persans ! Et de quoi ont-ils principalement composé leurs
chargements en marchandises qu’ils ont achetées dans le pays ? De sucre et à
l’aide de ce même sucre que l’on regarde toujours comme l’ennemi de l’industrie
et de l’agriculture, ils ont exporté d’autres objets produits par le pays.
Il est encore d’autres pays lointains où des essais
heureux, des commencements d’exportation ont été faits. Mais en présence des
nations rivales et puissantes qui nous observent, je crois devoir, à cet égard,
garder une sage réserve et ne pas les faire connaître.
Je m’en tiendrai là. Je crois avoir prouvé que loin de
voir diminuer nos exportations, elles augmenteront, que les transcriptions
apporteront encore au trésor des revenus sur lesquels on n’a pas calculé, et
que la répression de la fraude du sucre étranger introduit en Belgique, à
laquelle pourvoira sans doute l’administration des douanes, au moyen de
l’augmentation allouée au budget, viendra encore augmenter ce même chiffre.
Je dirai maintenant avec l’honorable M. Rogier que
certainement je préférerais encore (et je crois que je serai d’ailleurs
d’accord avec les fabricants de sucre de betterave qui viennent de s’élever
contre le système de M. le ministre des finances) que le droit d’accise fût
entièrement supprimé et qu’il y eût une protection raisonnable en même temps
pour la betterave et pour le trésor dans nos lois de douanes. Je pense que dans
tous les cas il ne faudrait pas trop élever la protection ; car je crois avoir
démontré que la raffinerie de sucre exotique est trop importante et d’un trop
grand appui à l’industrie, à l’agriculture et aux sucreries de betterave, pour
qu’on puisse risquer de leur porter la moindre atteinte.
(Moniteur belge
n°356, du 22 décembre 1837) M. Metz. - Depuis hier la question s’est un peu
agrandie ; depuis hier on a appris à connaître la portée de l’amendement
présente par M. le ministre des finances à l’article premier. Comme on vous l’a
dit, cet amendement soulève la question de savoir s’il faut ou non changer la
question des sucres.
Mon intention est de prouver à la chambre qu’il faut
changer la législation des sucres, soit par le moyen proposé par M. le
ministre, c’est-à-dire par le paiement des droits pour le quart des comptes
ouverts, soit par le changement du rendement proposé à l’article 2.
MM. Rogier, Verdussen et un autre orateur ont examiné
d’abord l’esprit de la loi de 1822. L’esprit de cette loi est tel, ont-ils dit,
que le législateur n’a entendu frapper que 55 kil. de sucre raffiné. Je me suis
enquis de l’esprit de cette loi ; j’étais étonné que l’impôt du sucre
n’atteignît pas la totalité du produit à extraire de la matière brute ; je me
suis informé si la moindre partie du produit devait échapper à l’impôt ; j’ai
vu la loi de 1822 ; elle porte au nombre des moyens de faire face aux dépenses
de l’exercice 1822, immédiatement après les droits sur la bière et les
eaux-de-vie indigènes, l’impôt sur les sucres. On a donc entendu faire produire
quelque chose aux sucres. On a entendu que les sucres entrassent pour quelque
chose dans l’acquit des charges de l’Etat, et on a établi l’impôt sur les
sucres. Comment se fait-il que la pensée de la loi ait été tellement dénaturée
qu’aujourd’hui cet impôt se réduit à rien ? C’est, dit l’honorable M. Rogier,
dans l’intérêt du commerce et de la navigation qu’a été portée la loi de 1822.
On a voulu appeler dans le pays le commerce du sucre exotique que faisait
l’Angleterre ; on a voulu concilier les intérêts du commerce et ceux du trésor.
Je veux admettre cette interprétation, nous n’en arriverons pas moins à la loi
de 1822. A quel titre l’industrie des sucres aurait-elle le privilège de ne pas
contribuer aux charges de l’Etat ? S’il est arrivé que les prévisions de la loi
ont été changées, que cette industrie a absorbé les sommes qu’on voulait lui
faire verser au trésor, évidemment il faut changer la loi pour que le trésor
reçoive désormais les sommes qu’absorbe maintenant cette industrie ; en un mot,
les conditions étant changées sous ce rapport, il importe de changer la loi.
Qu’a-t-on dit pour justifier l’industrie des
raffineurs de sucres, qui absorbe l’impôt qu’elle devrait verser dans les
caisses de l’Etat ? On a parlé de fraude, de transcriptions, etc. M. Rogier nous
dit de prendre pour base de l’impôt du sucre l’année 1836. Prenons cette base,
et nous trouverons des rapports évidents avec nos exportations. Nous avons
importé, en 1836, 22 millions de sucre brut. Ces 22 millions devraient
rapporter 22 mille fois les 37 fr. 02 c. dont le sucre est frappé à l’entrée.
Enfin, la restitution sur les 12 millions, à la
sortie, absorbe entièrement le droit perçu à l’entrée sur les 22 millions. Il
faut 180 livres de sucre brut pour faire 100 kilog. de sucre raffiné ; c’est ce
rapport qui sert de base à mes calculs. N’allons donc pas rechercher loin de
nous, et dans des circonstances dont nous ne connaissons pas la portée, la
cause de la diminution de la recette ; cette cause est de 12 millions absorbe
précisément la recette donnée par 22 millions importés.
Voulez-vous voir quel est le résultat de cette
opération ? Les raffineurs de sucre vous disent qu’il y a 5 p. c. de déchet sur
le travail du sucre brut pour le convertir en sucre raffiné. Cette observation
est très importante. Il y a donc environ un million de déchet sur les 22
millions importés ; reste donc 21 millions de matière sucrante. Nous en avons
exporté 12 millions ; donc 9 millions sont demeurés dans le pays, pour les
convertir en mélis, en lumps, etc. Et ces 9 millions de matières sucrantes
restent avec cette condition que le trésor ne reçoit rien du tout.
On se dispute pour savoir si ce sont les raffineurs ou
les consommateurs qui profitent de la matière sucrée restante ; mais cela est
peu important pour le trésor. Quoiqu’il en soit, nous pouvons arriver
facilement à composer le chiffre de la consommation intérieure du sucre. Nous
avons d’abord 9 millions de sucres exotiques, nous avons ensuite 2 millions de
sucres provenant de la fabrication de la betterave ; cela fait en tout 11
millions ; à quoi il faut ajouter 1 million de sucres étrangers introduits en
fraude ; ainsi en Belgique il se consomme par an environ 12 millions de kil. de
sucre.
Cette quantité de sucre doit-elle échapper à tout
impôt ? Le sucre ne doit-il pas entrer pour quelque chose dans les charges de
l’Etat ? Il serait ridicule de ne pas supposer le sucre une matière imposable.
Les raffineurs prétendent qu’ils ne profitent pas des
sommes que le fisc ne perçoit pas, et qu’il devrait percevoir dans la pensée de
la loi. Ils disent que ce sont les consommateurs qui jouissent de ce
non-paiement de droit.
Je le répète, je n’attache pas la moindre importance à
cette circonstance ; nous n’avons point à rechercher qui profite maintenant du
raffineur ou du consommateur ; nous n’avons qu’à nous occuper des moyens de
rendre profitable au trésor la consommation intérieure des sucres, et
d’empêcher que cette matière échappe à un impôt qu’elle doit supporter.
L’industrie des sucres raffinés a senti qu’elle était
trop faible pour défendre le scandaleux abus qui règne chez nous depuis
plusieurs années ; elle a ameuté autour d’elles toutes les industries de la
Belgique ; elle s’est retranchée derrière ces industries comme derrière un
rempart, et elle s’est accrochée à elles. C’est là de la finesse, du
charlatanisme ; mais n’allons pas croire ce qu’elle dit, et qu’il faille lui
donner la préférence sur toutes les industries parce que, selon elle, elle
serait le soutien de toutes les industries particulières en Belgique.
L’honorable M. de Foere a précisé les prétentions de
l’industrie des sucres raffinés ; et vous avez encore présente à la mémoire
l’impression que son discours a paru faire dans la séance d’avant-hier. Il a
mis sous vos yeux le tableau du mouvement commercial de la Belgique, et il vous
a montré une balance plus favorable, plus riante depuis quelques années ; et
c’est au moment, a-t-il dit, où vous entrez dans une prospérité croissante que
vous voulez arrêter le mouvement maritime qui est une des grandes causes de
cette prospérité. Il vous a dit qu’en 1832 nous avions exporté pour 111
millions ; qu’en 1833 nous avions exporté pour la même somme ; qu’en 1834 nous
avions exporté pour 118 millions de produits belges. Il vous a montré que nous
n’avions en notre défaveur, en 1832, que 109 millions ; en 1833 que 92 millions
; en 1834 que 71 millions ; qu’ainsi notre position commerciale s’améliorait de
plus en plus.
L’honorable M. de Foere attribue aux sucres le
mouvement commercial. Mais, comme M Pirmez, je n’ai pas voulu m’en rapporter à
ce mot magique, « la navigation, » et j’en ai voulu en examiner le
prestige. Je me suis assuré que le sucre est pour peu de chose dans notre
balance commerciale. Vous allez le voir.
La cause pour laquelle la balance commerciale, depuis
1832 jusqu’à ce jour, s’améliore d’une manière sensible, nous la trouvons, non
dans notre commerce maritime, mais dans les résultats de notre commerce avec la
France.
En 1833, nous avons exporté en France pour 55 millions
; en 1832, nous avons exporté pour 78 millions ; la différence, à notre
avantage, est de 23 millions.
La France fait aussi des importations chez nous. En
1833, elle a importé pour 48 millions ; en 1834, elle a importé pour 35
millions, ou 13 millions de moins qu’en 1835.
Et comme nous avons exporté en France pour 22 millions
de plus, cela fait une différence de 35 millions en notre faveur. Mais si on
recherche les résultats de notre commerce avec les autres pays pendant le même
temps, on trouve qu’il a diminué de 14 millions.
Est-ce le sucre qui a fait l’augmentation de nos
échanges avec la France ? Mais nous n’y importons pas une livre de sucre, et
cependant nous sommes en boni avec elle de 35 millions, tandis qu’avec les
autres pays où nous exportons du sucre, nous sommes en déficit de 14 millions.
Notre commerce maritime n’influe donc en rien sur
notre mouvement commercial. Tous les chiffres que je cite sont extraits du
tableau général.
En 1831, nous étions parvenus à exporter 22 millions
123 mille ; en 1832, nous avons exporté 17 millions ; en 1833, nous avons
exporté 28 millions 854 mille ; en 1834, nous avons exporté 27 millions 597
mille.
Vous remarquez qu’il y a une différence assez notable
entre 1832 et 1833 pour les exportations de nos produits ; elle est de 11 millions
; le sucre a-t-il pris un mouvement ascendant à cette époque ? Est-ce la
progression des raffineries qui a occasionné la progression de nos exportations
? Sont-ce nos produits lancés dans les contrées lointaines qui nous ont valu
cette augmentation d’exportation ? Si vous l’avez pu croire, détrompez-vous ;
c’est autour de nous que beaucoup d’exportations ont eu lieu. La Hollande
elle-même a pris rang parmi les nations chez lesquelles nous exportons ; elle a
commencé à nous ouvrir ses ports en 1832.
En 1831, nous avons exporté en Hollande 1 million.
En 1832, 1 million.
En 1833, 7 millions.
En 1834, 10 millions.
Vous voyez donc, messieurs, que la Hollande seule a
fourni à notre exportation une augmentation de 9 millions depuis 1831 jusqu’à
nos jours.
En 1831, le chiffre général de nos exportations s’est
élevé à 22 millions ; en 1834, il était de 27 millions, c’est-à-dire de 5
millions de plus ; or, la Hollande seule a reçu 9 millions de plus en 1834
qu’en 1831. Vous voyez donc, messieurs, que ce n’est pas au commerce des sucres
que nous devons l’augmentation de nos exportations, puisque, comme je l’ai déjà
dit, le mouvement de nos exportations en Hollande est tout à fait indépendant
des sucres.
Je vais vous prouver, en un mot, messieurs, que le
mouvement des sucres est pour ainsi dire indifférent à l’exportation de nos
produits fabriqués. En 1833, le mouvement des sucres en Belgique tant en
importations qu’en exportations a été de 19 millions, et l’exportation des
produits belges de 29 millions. En 1834, le mouvement des sucres, tant en
importations qu’en exportations, a été de 28 millions ; vous allez croire sans
doute que l’exportation de nos produits a augmenté dans la même proportion ;
pas du tout, messieurs : en 1834, nous avons exporté pour 26 millions et demi
de produits belges, tandis qu’en 1833 nous en avions exporté pour 29 millions.
L’honorable M. Mercier a dit qu’il sort de nos ports
beaucoup de navires sur lest ; en effet, messieurs, en 1834 il en est sorti 413
; eh bien, messieurs, les produits fabriqués qui s’exportent à l’aide du
commerce des sucres auraient fort bien trouvé place sur ces 413 navires ; je
crois que lorsqu’ils étaient réduits à partir sans charge, ils auraient été
fort aises de pouvoir emporter des marchandises quelconques.
Maintenant, messieurs, faut-il oui ou non changer la
loi ? Ne profiterons-nous pas de toutes les leçons qui nous ont été données par
nos voisins ? La France, messieurs, avait une loi tout aussi vicieuse que la
nôtre, et plus vicieuse encore ; la France a-t-elle hésité à changer cette loi
? Non, messieurs ; cependant la France avait avec ses colonies un commerce de
120 millions, et on avait dit à la tribune française que ces colonies seraient
compromises si la loi sur les sucres était changée ; la France avait une marine
militaire qui tirait ses matelots à la marine marchande, et on a dit que si la
loi sur les sucres était changée, la marine militaire ne retrouverait plus à
recruter des sujets et qu’elle se ferait battre dans tous les combats qu’elle
aurait à soutenir. Voilà, messieurs, ce qui a été par 30,000 familles, par les
représentants de cités populeuses comme Anvers. Eh bien, qu’a fait la France ?
Elle a consulté les intérêts généraux du pays, les intérêts des contribuables,
et la nouvelle loi sur les sucres a été adoptée par 225 voix contre 20. Que
ferons-nous après cela, messieurs, nous qui n’avons pas de colonies, qui
n’avons pas de marine, qui n’avons pour ainsi dire qu’un seul intérêt à
ménager, celui des raffineries de sucre exotique ? Ne supprimerons-nous pas une
législation qui prête aux abus les plus scandaleux, alors que dans d’autres
pays, où cette suppression rencontrerait les plus grandes difficultés, on n’a
pas hésité à l’opérer ?
Il faut changer la loi, messieurs, parce que le
rendement qu’elle établit repose sur un calcul fictif ; parce que le rendement
réel n’est pas de 55 p. c. comme la loi le suppose, mais de 70 au moins.
Lorsqu’en 1822 cette loi a été faite, on n’avait
encore aucune donnée certaine, personne ne savait quel pourrait être le
rendement exact ; aujourd’hui il est démontré que le rendement réel est de 70
p. c. ; pour le prouver, je n’irai pas puiser dans les allégations des
défenseurs des raffineries, je puiserai à une source beaucoup plus pure, je
puiserai loin de chez nous, où aucun intérêt de localité ne peut voiler la
vérité ; je puiserai en France où la loi des sucres a été illustrée par les
travaux nombreux de savants éclairés. Là personne n’a osé soutenir que les
sucres ne rendissent pas 70 pour cent ; cependant, il est certain que le sucre
employé par les raffineurs belges est beaucoup plus riche que le sucre des
colonies françaises qu’on raffine en France.
Dans les tableaux qu’on a fait valoir en faveur du
maintien de la loi actuelle, on a fait un calcul fort adroit : on a pris le
rendement de toutes les espèces de sucres depuis les plus riches jusqu’aux plus
pauvres, et l’on en a tiré une moyenne comme si on les travaillait tous
également ; cette moyenne est de 55 p. c.
Or, si vous établissez vos calculs sur tous les sucres
indistinctement, la moyenne est de 30 ; mais vous vous gardez bien, et l’on
comprend pourquoi, de procéder ainsi ; vous ne tenez compte dans vos calculs
que des sucres les plus riches.
Au reste, les raffineurs de sucre exotique n’ont-ils
pas, les uns diront dans un moment de faiblesse, et, je dirai moi, dans un
moment de louable franchise : n’ont-ils pas eux-mêmes reconnu que c’était sur
les sucres les plus riches qu’ils opéraient ? En effet prenez la page 7 de leur
mémoire, et vous y lirez :
« Le sucre havane blond étant celui qui est le
plus généralement employé, nous le prendrons pour base de notre calcul. »
Vous l’entendez, messieurs, les raffineurs n’ont pris
pour base de leurs calculs que le sucre havane blond ; il ne s’agit ici ni de
sucre moscovade, ni de sucre manille, ni d’autres sucres de qualité commune.
Vous voyez donc bien que la moyenne que l’on a voulu
établir repose sur des bases mensongères, sur des bases fautives. En nous
emparant des allégations des raffineurs eux-mêmes, nous pouvons facilement
calculer le rendement du sucre qu’ils peuvent exporter. Or, le havane blond
produit 46 livres de sucre en pains, et 19 livres de sucre lumps ; voilà déjà
65 livres ; ils ont en outre 18 livres de cassonade et 13 livres de sirop. Et
malgré ces divers produits, il suffira au raffineur de prendre en charge pour 5
kilogrammes, pour avoir droit au remboursement du droit de 100 kilogr. de sucre
brut.
Est-ce donc là une législation dont vous voudriez
perpétuer les abus ? Ne faut-il pas impérieusement la changer ? En la
maintenant, ne consacrerions-nous pas la faute la plus grave qu’on puisse
commettre en matière de finances ? Je veux parler du système des primes, qui
est une véritable plaie dans toutes les législations où il est établi ?
Il faut donc changer la loi ; nous avons des exemples
de pareilles modifications autour de nous.
Il faut la changer, parce qu’elle est essentiellement
vicieuse ; et si nous la modifions suivant la proposition qui a été faite, nos
raffineurs de sucre exotique jouiront encore d’un avantage de 5 p. c. sur les
raffineurs français, puisqu’en France le rendement a été porté, si je ne me
trompe, à 75.
Ce n’est pas tout. Les raffineurs de sucre exotique
sont venus dire (singulier système, plaisante manière de discuter !), sont venus
dire : Vous, raffineurs de sucre de betterave, qui élevez contre nous une
industrie rivale, la nouvelle loi que l’on propose va vous ruiner.
Pour ma part, je me défie un peu des prédictions des
raffineurs de sucre exotique sur le sort des sucreries indigènes ; je me range
bien plus volontiers de l’avis des fabricants de sucre de betterave qui vous
disent, qui vous crient : Changez la loi. Sans entrer davantage dans la
discussion de ce point, je dirai que si les fabricants de sucre de betterave
demandent à grands cris que la loi actuelle soit modifiée, l’on doit en
conclure que ces modifications doivent profiter aux sucreries indigènes, et
tourner par suite au détriment de leur rivale.
L’on a dit hier que si l’on voulait frapper de mort
l’industrie des raffineurs de sucre exotique, qui en principe au moins doit
certains droits à l’Etat, au profit d’une industrie rivale qui est libre de
tout impôt, vous allez tarir une source du revenu public. Ne faudra-t-il pas
immédiatement les remplacer, en frappant d’un impôt les sucreries indigènes ?
Ces observations me paraissent justes, me paraissent
fondées ; je ne prendrais pas ici la défense des sucreries indigènes si je
n’avais l’intime conviction qu’elles sont appelées à venir occuper dans les
caisses de l’Etat la place qu’y occupent aujourd’hui les sucreries exotiques. A
mes yeux l’industrie du sucre de betterave à un avenir dont il ne me paraît
guère possible de prévoir l’étendue. Cette industrie qui s’enrichit tous les
jours par les découvertes de la science, est déjà assez audacieuse pour aller
s’implanter même dans l’Amérique ; certes, elle doit être bien sûre de son
avenir, pour oser prendre une attitude aussi fière. Eh bien, favorisez cette
industrie, permettez-lui de prendre racine chez nous, et vous aurez procuré au
pays un bienfait incontestable.
Mais, nous dit-on, vous avez tort de la favoriser aux
dépens de sa rivale ; car, s’il pouvait arriver que les raffineries de sucre
indigène pourvussent seules à toute la consommation du pays, vous n’auriez plus
rien à chercher dans les contrées lointaines, et par suite, vous n’auriez plus
rien à y exporter.
Messieurs, si vous considérez ce que nous exportons
dans ces contrées, vous serez véritablement étonnés de la proportion qui existe
entre le chiffre de nos exportations et celui des importations.
Eh bien, nous importons de l’Amérique et des îles
lointaines pour une valeur de 44 millions, et nous n’y exportons que pour une
valeur de 5 millions. Donc le chiffre de l’importation surpasse celui de l’exportation
de 3 millions. Je sais bien que dans ces 44 millions entre une masse de
matières premières qui servent au travail de nos industries ; importation qui
dès lors serait plus favorable que défavorable.
Maintenant, messieurs, croyez-vous que nous n’aurons
pas le moyen de placer trois millions de produits en Amérique, quand nous
aurons diminué le chiffre de nos importations des 11 millions que nous
importons de sucres exotiques ? Mais il restera encore pour 33 millions
d’importations d’autres produits que nous tirons de l’Amérique, ce qui est un
assez bel échange que nous pouvons leur offrir contre les 3 millions de
produits que nous leur livrons.
Hâtons-nous, messieurs, d’implanter chez nous un
produit qui nous dispenserait d’aller verser à l’étranger 11 millions pour une
matière que nous produirions nous-mêmes. Le pays qui produit le plus est le
pays le plus riche. Pourquoi dès lors ne pas favoriser les sucreries de
betterave, pour une industrie factice qui doit chômer au premier coup de canon,
qui à la première guerre ne pourra plus rien fournir au trésor ni à la
consommation ? Voilà l’industrie à laquelle on veut sacrifier une industrie
nationale, celle des sucreries de betterave.
Je le répète, il faut favoriser l’industrie du sucre
de betterave, et pour l’impôt dont vous voulez le frapper, je serais fâché
qu’il ne pût pas le supporter, parce que le sucre est une matière
essentiellement imposable. Il faut que le sucre de betterave le produise, et il
le produira peut-être ; mais ce n’est pas aujourd’hui, parce que cette
industrie est dans une position équivoque ; elle tremble en présence d’une loi
contre laquelle elle lutte. Elle lutte dans la prévision d’un avenir plus
heureux ; elle se soutient, elle ne prendra d’essor que quand, par votre loi,
vous aurez amélioré les conditions de production. Encore faible aujourd’hui,
elle grandira avec rapidité ; enfant aujourd’hui, elle sera géant demain.
Il ne faut pas la frapper
aujourd’hui parce qu’elle ne produit pas encore d’une manière assez assurée
pour soumettre ses produits à un impôt. Un arbre, on le laisse grandir avant de
lui faire porter des fruits ; on sait qu’un enfant ne ressemble pas à un
adulte. Quand l’industrie du sucre de betterave aura grandi, imposez-la sans
crainte, mais laissez-la un an sous la protection de la loi que vous allez
introduire, et vous la verrez faire des progrès instantanément. Elle sera assez
forte pour supporter l’impôt, et elle ne reculera pas devant celui que vous
pourrez réclamer d’elle.
Au milieu de ces intérêts rivaux, nous perdons de vue
qu’il s’agit d’un impôt. Si au lieu de 3 millions ou pouvait en assurer deux au
trésor, nous ne nous briserions pas la tête pour savoir comment voter les 5
centimes additionnels qu’on nous demande. Si nous avions un million de plus, ce
malheureux projet d’abonnement pour les distilleries nous n’en aurions pas
besoin. Je crois en définitive que l’impôt est le premier intérêt qui doit nous
occuper, la première règle qui doit diriger notre industrie. Le sucre, d’après
sa nature, doit produire un impôt. La loi actuelle le laisse improductif. Le
seul moyen de le faire produire, c’est de changer la loi, et vous la changerez.
Plusieurs voix. - La
clôture ! la clôture !
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Si la chambre se sentait disposée à adopter
l’amendement de M. Rogier, comme ce serait un système tout différent de celui
dont nous nous sommes exclusivement occupés jusqu’à présent, il y aurait lieu
d’y réfléchir. Pour mon compte, je ne pourrais me prononcer dès maintenant, car
je n’apprécie pas quelle influence cet amendement pourrait avoir sur l’avenir
des raffineries de sucre exotique. Je ne suis pas convaincu qu’il ne leur
serait pas très nuisible, quoique les industriels aient, dit-on, demandé
eux-mêmes une disposition semblable. Je ne suis pas convaincu non plus que cet
amendement ne ruinerait pas les raffineries de sucre indigène ; car il peut
arriver cette singularité qu’il nuise en même temps à l’une et à l’autre de ces
deux industries.
Aujourd’hui le consommateur belge pourvoit à la
prospérité du raffineur de sucre exotique par le paiement d’un droit élevé, qui
tourne en partie au profit de celui-ci, et en partie, faible peut-être, au
profit du raffineur de sucre indigène. Si on va abaisser ce droit d’une manière
absolue sur le sucre exotique, il y aura, par une conséquence nécessaire,
ralentissement d’exportation et abaissement de prix des sucres en Belgique. Il
en résultera que la concurrence du sucre indigène serait dérangée ; car ce
sucre ne saurait plus être placé sur nos marchés qu’à un prix moins élevé qu’à
présent. Voilà les effets probables de l’amendement de M. Rogier, dont il
serait d’ailleurs bien difficile de déterminer exactement la portée.
M. Donny. - Ce que vient de dire M. le ministre des finances
prouve que vous ne pouvez pas clore la discussion. L’amendement de M. Rogier
n’a pas été discuté ; à la vérité son auteur l’a développé ; mais aucun autre
orateur n’en a parlé. Je me suis fait inscrire pour ajouter quelques mots à ce
que l’honorable membre a dit sur cet amendement. Je demande que la clôture ne
soit pas prononcée et qu’on maintienne mon tour de parole pour que je puisse
expliquer mon opinion sur cette disposition.
M. Rogier. - Je crois que ce que vient de dire M. le ministre des finances
nécessite la continuation de la discussion. Il est certain que mon amendement a
été développé d’une manière sommaire, et qu’il n’a pas été discuté. M. le
ministre sent la nécessité de réfléchir sur ses conséquences. Je pense qu’il a
une portée qui mérite d’être méditée, non seulement par M. le ministre, mais
par les autres membres de cette chambre. Pour moi, je ne l’ai pas lancé à la
légère, je ne l’ai proposé qu’après mûre réflexion et avec l’assentiment de
personnes plus à même que moi d’en apprécier la portée.
M. de Foere.
- Messieurs, l’amendement de M. Rogier n’a pas été discuté. M. le ministre
assure qu’il ne peut pas se prononcer maintenant ; il s’ensuit que la clôture
ne peut pas être prononcée. Continuons à mettre en regard l’amendement de M.
Liedts et la proposition de M. le ministre des finances, car celle de M. Rogier
n’a été présentée que subsidiairement, pour le cas où celle de M. Liedts ne
serait pas adoptée. Nous aurons ainsi le temps de bien apprécier cette dernière
proposition.
Je m’oppose donc à la clôture.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Vous devez comprendre, messieurs, la difficulté
que j’éprouve à me prononcer sur une proposition telle que celle de M. Rogier,
même à la discuter. Il vous a dit qu’il l’avait présentée après avoir consulté
les raffineurs de sucre exotique. Il faudrait donc croire que c’est une
proposition plus avantageuse ou moins désavantageuse, si vous voulez, pour ces
industriels, que les autres propositions dont vous êtes saisis. Or, moi,
j’incline à penser que ce serait la mort des raffineries. Voyez, messieurs,
quelle singularité ; j’étais accusé hier de vouloir tuer l’industrie des
raffineurs de sucre exotique, aujourd’hui je crains de me prononcer pour une
proposition qui émane de ces mêmes raffineurs, parce que j’entrevois qu’elle
pourrait leur porter les plus graves préjudices. Dans une position pareille, il
y a lieu de réclamer les lumières de la discussion, avec d’autant plus de
raison, que l’industrie des producteurs de sucre indigène éprouverait aussi,
dans mon opinion du moins, un préjudice notable.
M. le président. - La chambre a décidé qu’on déciderait d’abord la
question de savoir si une partie du droit serait acquise à l’Etat, sans
déterminer la quotité ; il s’agit seulement maintenant de clore la discussion
sur cette question.
M. de Brouckere. - Quand la clôture sera prononcée, on devra mettre aux voix le système
auquel on donnera la préférence. Parmi les systèmes qui sont en présence, se
présentera celui proposé par M. Rogier. M. le ministre vous a dit qu’il n’était
pas suffisamment éclairé sur la portée de ce nouveau système. Mais je suis loin
de croire qu’avec le système de M. Rogier, nous arriverons à fournir la somme
que nous croyons que l’industrie du sucre doit produire au trésor. Je crois
qu’il serait facile d’établir qu’au lieu de faire entrer un million au trésor,
il ne produirait pas plus de 500,000 fr. La seconde question est celle de
savoir si ce ne serait pas faire un tort réel aux raffineurs eux-mêmes et aux
navigateurs, au nom desquels on semble parler. Pour avoir ses apaisements, il
faudrait contredire les calculs de M. Rogier, et qu’un orateur qui partage son
opinion fût admis à la développer de nouveau.
Il est impossible de clore maintenant la discussion,
d’autant plus qu’il faut que M. le ministre s’explique. Or il dit que, sans
avoir vérifié les calculs, il ne peut pas s’expliquer. On ne peut donc pas
clôturer ni voter sur un système quelconque avant d’avoir entendu les
explications que le ministre doit donner après avoir vérifié les calculs
présentés par M. Rogier.
M. le président. - La proposition de M. Rogier porte ces mots : «
Dans le cas où l’amendement de M. Liedts ne serait pas adopté. »
M. de Brouckere. - Mais il est possible que l’amendement de M. Lieds ne soit pas adopté
; alors on sera obligé de se prononcer sur l’amendement de M. Rogier ; dans
l’état des choses, c’est impossible.
M. Lardinois. - Je demande que la clôture ne soit pas prononcée.
L’amendement de l’honorable M. Rogier serait nuisible non seulement aux
fabricants de sucre indigène, mais encore au trésor ; nous devons laisser à M.
le ministre des finances le temps d’examiner cet amendement et d’en apprécier
la portée.
M. le président fait observer que la chambre a décidé
qu’elle statuerait d’abord sur la proposition de M. le ministre des finances.
Cependant il existe d’autres amendements ; si la proposition de M. le ministre
des finances est adoptée, ces amendements sont nuls, car nous ne pouvons
frapper de deux coups l’industrie des raffineurs de sucre exotique.
Je veux prouver à M. le ministre des finances que son
amendement n’atteint son but ni quant au sucre indigène, ni quant au sucre
exotique. On n’a pas traité cette question. En conséquence je demande non
seulement que la discussion continue aujourd’hui, mais encore qu’on laisse à M.
le ministre des finances le temps d’examiner l’amendement de M. Rogier.
- La clôture est mise aux voix ; elle n’est pas
adoptée ; la discussion continue.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - On va sans doute examiner plus spécialement
l’amendement de l’honorable M. Rogier ; je ferai une seule remarque que je prie
les orateurs de rencontrer.
On vous a fait connaître, d’après les tableaux fournis
par le gouvernement sur les sucres, qu’il s’en exporte de 10 à 12 millions de
kilog. par an, soit 10 millions ; ces 10 millions produiraient, d’après
l’amendement de M. Rogier, 400,000 fr. de droits qui ne seraient pas restitués
puisqu’il s’agit de droits de douanes. Je demande que l’on veuille bien dire si
la non-restitution de ces 400,000 fr. ne serait pas de nature à entraver
fortement l’exportation et à nuire d’une manière très notable à la navigation.
M. Donny.
- Je voterai d’abord pour l’amendement de M. Liedts. Si cet amendement est
rejeté, je voterai pour l’amendement de M. Rogier. Si cet amendement était
rejeté encore, je voterais contre l’amendement de M. le ministre des finances,
parce que, de tous ceux qui ont été proposés, celui-là est le plus mauvais.
Je ne rentrerai point, comme l’a fait un honorable
préopinant, dans la discussion générale. Je pense que nous avons assez parlé
principes et théorie, et que le moment est venu de s’en tenir exclusivement à
des chiffres.
A l’appui de mon vote je chercherai à établir que
l’amendement de M. Liedts, s’il était adopté, rapporterait même, d’après les
données du ministre des finances, une somme d’au-delà d’un million, et je chercherai
à établir en second lieu que l’amendement de M. Rogier rapportera, même d’après
les bases de M. le ministre, au-delà de 700,000 fr. dans le cours de 1838.
M. le ministre a basé ses calculs sur une importation
de 14 millions. C’est cette importation de 14 millions que je vais par
conséquent prendre pour base, bien qu’elle me paraisse beaucoup trop faible.
Les 14 millions pris en charge, à raison de 37 francs les 100 kil., donneront
5,180,000 fr., et le quart que M. le ministre veut prélever sue cette prise en
charge, produira 1,295,000 fr. ; si, en portant la partie fixe de l’impôt à 25
p. c, on obtient un produit de 1,295,000 fr., il est évident qu’en portant
cette partie fixe à 10 p. c., on obtiendra 518,000 fr.
Voilà d’abord 518,000 fr. sur lesquels il n’y aura pas
de contestations entre M. le ministre des finances et moi, et ces 518,000 fr.
sont le produit d’importations qui doivent avoir lieu en 1838. Mais, veuillez
le remarquer, là ne doit pas se borner le produit de la partie fixe de l’impôt ;
car il se trouve dans l’amendement de l’honorable M. Liedts une disposition
importante qui se trouve également dans l’amendement de M. le ministre des
finances, disposition qui a un caractère rétroactif, et qui par conséquent
devra faire produire quelque chose aux restants des exercices antérieurs à
1838.
Je sais qu’on a combattu cette disposition, à raison
de sa rétroactivité. Mais M. le ministre des finances a répondu que lorsqu’on
fait une loi fiscale, il y a presque toujours nécessité n’y insérer l’une ou
l’autre disposition rétroactive ; et il a ajouté qu’ici cette disposition
rétroactive ne serait pas préjudiciable aux raffineurs de sucre, puisqu’ils
pourront en définitive se faire indemniser par les consommateurs.
S’il est vrai que ces industriels puissent se faire
indemniser par les consommateurs, la disposition rétroactive peut être adoptée
sans inconvénients. Au reste, que cette disposition présente ou non des
inconvénients, qu’elle soit juste ou ne le soit pas, toujours est-il qu’elle se
trouve dans l’amendement de M. Liedts, et si cet amendement est adopté, la
disposition rétroactive sera exécutée et produira au trésor.
Il s’agit maintenant de se faire une idée de ce qui
pourra résulter pour le trésor des restants des exercices antérieurs à l’exercice
1838. Vous verrez, messieurs, que ce n’est pas peu de chose.
Les restants que les exercices précédents légueront, à
la fin de cette année, à l’exercice 1838, sont de deux espèces. La première
espèce consistera en prises en charge non apurées ; la deuxième en quantités de
sucre brut existant dans les entrepôts, quantités de sucre qui peuvent du jour
au lendemain entrer dans la consommation ou dans la fabrication, et qui
certainement y entreront dans le cours de 1838. On doit donc considérer les
sucres étant en entrepôt à la fin de 1837, comme devant venir en avoir pour
l’exercice 1838.
Le gouvernement est peut-être dans la possibilité de
nous donner une idée plus ou moins précise du montant des prises en charge et
du montant des restants en entrepôt. Dans tous les cas je me suis, de mon côté,
procuré des renseignements sur ce point.
Un des principaux raffineurs au pays m’a déclaré que,
dans le moment actuel, il se trouvait pris en charge pour 200,000 fr. ; il a
ajouté que son travail pouvait être évalué au douzième des travaux de raffinage
de la Belgique, et qu’ainsi l’on pouvait, sans crainte de se tromper fortement,
évaluer les prises en charge de toute la Belgique, à la fin de 1837, à la somme
de 3 millions.
Je vois que M. le ministre des finances me fait un
signe que ce calcul peut être exact ; je l’admets donc avec d’autant plus de
confiance.
Quant aux restants en entrepôt, le même industriel a
calculé que ces quantités de sucre sont telles, que si on les livrait à la
consommation ou à la fabrication, il en résulterait une prise en charge, qui
pourrait s’élever à 2 millions.
Voilà donc :
3 millions résultant des prises en charge ;
2 millions qui seront pris en charge, en 1838, comme
provenant des restants en entrepôt.
Soit 5 millions ensemble.
L’amendement de M. Liedts ne permettant l’apurement de
ces 5 millions que jusqu’à concurrence des 9 dixièmes, voilà donc 500,000 fr.
qui ne peuvent échapper à l’effet de cet amendement. Maintenant, si l’on ajoute
à ces 500.000 fr. les 518,000 fr. qui sont le produit des importations de 1838,
d’après les données de M. le ministre des finances, voilà son million tout
trouvé pour 1838, car mon total s’élève à fr. 1,018,000.
Ce n’est pas tout. Les calculs que je viens de faire
ne sont relatifs qu’à la partie fixe de l’impôt. Indépendamment de cela, il
reste encore les 9 dixièmes de l’impôt. Je sais que cette dernière partie peut
s’apurer par des exportations. Mais il n’est pas probable, je dirai plus, il
n’est guère possible qu’on pousse les exportations jusqu’à leur dernière
limite. Ce qui me porte à penser ainsi, c’est le résultat de l’expérience.
Pendant 7 ans, il y a eu liberté d’exportation jusqu’à
concurrence de la prise en charge ; on a eu la faculté la plus absolue d’apurer
les comptes par des transcriptions pendant 7 ans. Il faut bien le dire (et il
n’y a plus de doute sur ce point), l’on a abusé de la manière la plus
scandaleuse de ces transcriptions, et cependant, pendant aucune de ces 7
années, l’on n’est parvenu, même au moyen de la fraude, à pousser les exportations
jusqu’au point d’absorber la prise en charge. Je crois donc pouvoir conclure
logiquement du passé, qu’à l’avenir la partie de l’impôt qui peut être apurée
par les exportations, ne le sera pas en totalité, et j’admets par conséquent
qu’à la somme de 1,018,000 fr. que je viens de trouver, il faudra ajouter
une certaine somme encore pour l’impôt
sur les quantités exportables qui ne seront pas exportées.
Je crois avoir démontré que l’amendement de M. Liedts
satisfait aux désirs de M. le ministre des finances et à ceux beaucoup moins
exigeants de M. Demonceau.
Je sais qu’on pourra me dire que je fais intervenir
dans mes calculs un produit qui, à l’avenir, ne se renouvellera plus. Mais je
répondrai qu’il ne s’agit maintenant que d’une loi en quelque sorte
transitoire, d’une loi destinée à régler l’accise pendant une seule année, car
M. le ministre des finances vous a dit qu’après 1838 il vous proposera un
système général qui frappera également le sucre exotique et le sucre indigène.
Je dirai, en passant, que s’il le fait, il n’y aura de notre part aucune
opposition à ce qu’on porte les droits de consommation aussi haut qu’on le
voudra, pourvu qu’on maintienne le juste équilibre qui doit exister entre les
deux industries.
Quant à l’amendement de M. Rogier, j’ai dit que s’il
était adopté, il rapporterait au-delà de 700.000 fr. ; et c’est encore en
partant des données ministérielles que je vais prouver ce que j’avance.
Il y aura, dit le ministre, en 1838 pour 14 millions
d’importations de sucre brut ; ces 14 millions de kil., à raison de 4 fr. les
100 kil., donneront un produit de 560,000 fr.
Dans l’amendement de M. Rogier, les additionnels ne
sont pas compris ; ils sont de 13 p. c.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Les additionnels ne sont pas compris dans le mien
non plus.
M. Donny.
- Il faut qu’ils soient perçus ; sur 560,000 fr., ils donneront 72,800 fr., ce
qui porte le droits à percevoir en 1838 à 632,830 fr., et cela sur les
importations à faire pendant cette année-là.
Mais indépendamment de ces importations il existe dans
les entrepôts des quantités de sucre brut qui ne sont pas encore prises en
charge, et auxquelles il faudra encore appliquer l’amendement de M. Rogier,
avec cette restriction cependant que sur l’impôt à percevoir il faudra tenir
compte de ce que ces parties de sucre peuvent avoir déjà payé à l’entrée. Cette
déduction faite, il ne restera, terme moyen, à recevoir que 3 fr. pour 100 kil.
Je viens de calculer à la hâte
ce droit d’entrée supplémentaire ; Je l’ai pris sur 2 millions de kil.
seulement, et ce n’est pas assez ; j’ai dû opérer avec trop de précipitation,
et je m’aperçois que j’ai commis une erreur à mon préjudice ; cependant par ce
calcul j’arrive à 67,800 fr. ; et j’ai par conséquent pour résultat total
700,600 francs. Je serais arrivé à 800,00 fr. environ, en prenant des chiffres
plus exacts. Toujours est-il que malgré cette erreur j’ai obtenu 700,600
francs.
Ces aperçus pourront éclairer la question. Pour ceux
de nos honorables collègues qui ne demandent autre chose à l’impôt que 800,000
fr., chiffre porté au budget, ou même pour ceux qui se bornent au million que
demande aujourd’hui le ministre, il sera évident que l’amendement de M. Liedts
peut les satisfaire, et qu’à son défaut on peut adopter celui de M. Rogier.
M. de Foere.
- L’amendement de M. Rogier, messieurs, n’ayant été proposé que subsidiairement
à la non-adoption de celui de M. Liedts, il s’ensuit que deux amendements
seulement sont directement en présence du projet de la commission. Ce sont
celui du ministre des finances et celui de M. Liedts. Je vais tâcher de les
mettre en regard l’un de l’autre et de prouver :
1° Que l’amendement du ministre très probablement ne
vous conduira pas au but que vous vous proposez d’atteindre.
2° Que cet amendement vous mène, ou non, au but, dans
les deux cas, son adoption exposerait plusieurs branches de la prospérité
publique aux dangers les plus imminents.
3° Que la proposition de M. Liedts vous conduit au but
d’une manière certaine.
4° Que l’adoption de cette proposition, bien loin
d’attaquer à la racine aucune branche de la richesse publique, les maintient
toutes, et, de plus, leur permettra de continuer leurs mouvements de
progression dans lesquels elles étaient entrées depuis plusieurs années.
Si je parviens à vous transmettre la conviction
profonde qu’un examen sérieux de ces quatre points a formée dans mon esprit,
j’ai le droit d’attendre de votre impartialité et de votre attachement aux intérêts
du pays, qu’il sera mis un terme à toute divergence d’opinion sur la grave
question qui nous occupe.
Pénétrons-nous bien du but que vous vous proposez
d’atteindre. Vous voulez, comme nous, que la consommation du sucre dans le pays
trace sur le budget des voies et moyens un chiffre effectif de 800,000 fr., et,
sans aucun doute, vous voulez aussi que ce revenu soit obtenu sans léser aucun
intérêt majeur du pays. Jusqu’ici nous sommes tous d’accord ; il ne peut
exister sur ce point, dans l’esprit de la saine majorité de la chambre, aucune
différence d’opinion.
Le ministre des finances propose de percevoir le droit
de consommation, à raison de 25 p. c. sur tous les sucres bruts importés dans
le pays, c’est-à-dire, sur le quart de l’importation de cette denrée coloniale.
Un membre. - Sur les sucres
pris en charge.
M. de Foere.
- C’est ainsi que je l’entends, puisque, dans la discussion, on a établi les chiffres
sur la quantité de sucre importé ; je me sers des mêmes expressions. Toujours
est-il que je n’entends que les quantités de sucre prises en charge.
Ce droit de consommation est de 37 fr. 2 c. sur 100
kilog. Je n’entrerai pas ici dans la question de savoir si ce droit, en raison
de son élévation, est nuisible, ou non, aux revenus du trésor, et à la
véritable richesse du pays.
Quoique, dans mon opinion, la démonstration de
l’affirmative soit très facile, je la négligerai. Cependant je ferai observer transitoirement
que M. Dumortier a pris dans la Revue d’Edimbourg les chiffres sur la
consommation du sucre dans divers pays, destinés, dans l’intention de l’auteur
de l’article de la Revue, à prouver l’absurdité de cette taxe énorme, et
l’honorable membre s’est emparé de ces mêmes chiffres pour venir soutenir
indirectement, dans cette enceinte, que cette taxe « absurde, » comme
l’appelle Adam Smits, doit être maintenue. Je me bornerai à constater ici le
chiffre de 37 fr. 2 c. Vous le considérez, ou non, comme un droit nuisible au
trésor et aux autres intérêts du pays, peu importe à la question qui nous
occupe. Toujours est-il vrai que, sous le régime des deux amendements que
j’examine, ce droit devra être payé par les importateurs du sucre colonial.
D’après les propres calculs du ministre, il compte
recouvrir ce droit sur le quart de 14 millions de kilogrammes. Je vous demande,
messieurs, si, en présence du développement extraordinaire que prend dans tous
les pays la fabrication du sucre exotique et indigène, alors que ce dernier
sucre opposera progressivement, comme en France, une concurrence effrayante à
la consommation du premier, je vous demande, dis-je, s’il peut entrer dans
l’esprit d’aucun membre de la chambre que les négociants ou les fabricants de sucre
exotique soient assez imprudents pour importer une quantité de sucre brut
supérieure à celle qui doit entrer dans la consommation intérieure, sûrs qu’ils
seraient que sur le quart d’un chiffre quelconque plus élevé ils auraient à
payer le même droit de 37 fr. 2 c. ? Je ne pense pas qu’aucun de nous ose
soutenir l’affirmative. En voici la raison toute simple : Si le négociant ou
fabricant de sucre se permettait d’aller au-delà du chiffre de la consommation,
il aurait à payer le droit de 37 fr. 02 c. sur le quart du chiffre
d’importation plus élevé. La conséquence infaillible en serait que, pour
recouvrer le surplus du droit qu’il aurait payé sur le quart d’une quantité
supérieure à celle de la consommation, il devrait majorer le prix de ses sucres
destinés à l’exportation, et dès lors il ne pourrait plus entrer en concurrence
sur aucun marché étranger. Attendu donc que très probablement la quantité de
sucre importée se bornera à celle de la consommation intérieure, il s’en suivra
aussi que le ministre ne percevra que le quart sur le quart qu’il se propose
d’imposer, et que, par conséquent, il n’atteindra pas son but. C’est le premier
point que je m’étais proposé le prouver.
La démonstration de ma proposition devient très
facile. D’abord le ministre a déjà prévu lui-même, et avec raison, que
l’importation du sucre exotique, de 22 millions et au-delà qu’elle était en
1835 et 1836, sera réduite à 14 millions. C’est son propre chiffre, sur lequel
il se propose de percevoir le quart du droit. Il convient déjà lui-même que le
mouvement industriel, commercial et naval sera diminué sous ce rapport, et par
sa proposition, de huit millions. C’est déjà un mal qu’un ministre des finances
d’aucun pays, qui comprend ses vrais intérêts, n’oserait proposer, bien loin de
le produire d’après ses propres aveux. Mais je vous ai déjà prouvé, messieurs,
que ce résultat désastreux ne s’arrêtera pas au chiffre de 8 millions.
L’importation du sucre exotique se bornera selon les prévisions les plus
fondées, au chiffre de la consommation intérieure, c’est-à-dire à 3 millions et
demi. Dès lors, la fabrication de sucre est restreinte dans ce pays à ce
chiffre ; le commerce en est détruit, ainsi que la navigation, et l’exportation
d’autres produits indigènes auxquels ce commerce donne lieu.
Dans la position donc dans laquelle cette grave
question se trouve, si nous voulons atteindre notre but sans léser profondément
d’autres intérêts majeurs, il ne nous reste d’autre moyen que celui d’accepter
l’amendement de M. Liedts. Cette proposition nous mène directement an but que
nous désirons obtenir, et elle ne froisse et ne détruit aucune autre branche de
la prospérité publique. Elle abandonne celle de l’industrie et du commerce du
sucre à son propre sort.
L’importation du sucre exotique s’est élevée, en 1835
et 1836, terme moyen, à 22 1/2 millions. En n’opérant que sur le chiffre rond
de 22 millions, et calculant la perception du droit sur un dixième de cette
importation, vous arrivez à 814,000 fr., et par conséquent au but que vous vous
proposez d’atteindre. Ajoutez à cette somme pour droit de douane 198,000 fr.,
pour droit de tonnage 50,000 fr., pour droit de patente 6,000 fr., vous
atteignez avec le droit d’accise de 814,000 fr., une perception de 1,068,000
fr.
Il faut encore ajouter à cette somme celle des prises
en charge pendant l’exercice de 1837, qui devra être recouvrée en 1838, et qui,
dans le système de M. Liedts, et d’après les calculs que vient de nous
soumettre M. Donny, peut être portée à 300,000 fr.
II y aurait donc, en 1838, une perception, d’après la
proposition de M. Liedts, de 1,368,000 fr.
Il résulte encore de l’amendement de M. Liedts que, si
vous n’opérez que sur 18 millions d’importation, vous arrivez encore à une
perception de 1,114,000 fr., c’est-à-dire à une perception qui excède de
314,000 fr. vos propres prévisions, ou la perception de 800,000 fr., que vous
voulez atteindre.
Puisque j’ai la parole, je répondrai quelques mots à
l’honorable M. Metz qui a prétendu qu’en établissant, dans une séance
précédente, mes chiffres d’exportations annuelles, j’en aurais attribué
l’accroissement progressif exclusivement à notre commerce de sucre ; j’ai dit
seulement que ce résultat était dû « en grande partie » à la
navigation employée au commerce du sucre. Le Moniteur est là pour prouver mon assertion.
M. Metz n’a qu’à jeter les yeux sur le tableau
officiel de nos exportations progressives.
Il pourra se convaincre de cette progression
d’exportations maritimes, en prenant un à un les divers produits du pays que
successivement nous sommes parvenus à exporter par la voie de la mer. Ce sont
nos ferreries de toute espèce, nos verreries, nos farines extraites de nos
propres grains, nos sucres, nos cotonnades et une foule d’autres articles.
M. Metz nous a assuré que le progrès de nos
exportations est dû au mouvement ascensionnel de nos échanges avec la France.
Or, messieurs, les produits nationaux que je viens d’énumérer, nous ne les
exportons pas en France ; il faut donc bien que nous ayons exporté ces mêmes
produits sur d’autres marchés, attendu que leur exportation a eu lieu ; et, dès
lors, j’ai été en droit de dire que nos exportations avaient augmenté dans
d’autres pays ; or, nos documents officiels prouvent que ces produits ont été
exportés dans des pays d’outre-mer, et, par conséquent, ils ont dû l’être par
la voie de la navigation.
M. Metz comme M. Mercier ont prétendu renverser nos
conclusions sur la navigation en citant un grand nombre de navires qui ont
quitté nos ports sur lest. Pour prouver quelque chose par ce moyen, il aurait
fallu établir que tous les navires sont partis sur lest ; car s’il en est qui
ne sont pas partis sur lest, ceux-là sont partis avec un chargement. Au
surplus, s’il est vrai qu’un grand nombres de navires ont quitté nos ports sans
chargement aucun de marchandises, il en résulte précisément le contraire de ce
que MM. Metz et Mercier ont voulu prouver ; car plus est grand le nombre de
navires qui partent sur lest, plus aussi nous devons rechercher tous les moyens
qui sont en notre pouvoir pour faire partir ces navires avec chargement de nos
marchandises. Or, qu’est-ce que nous avons voulu ? Nous avons soutenu que le
commerce de sucre était un des moyens d’activer la navigation. Détruisez la
grande fabrication de sucre, et par conséquent le commerce auquel elle donne lieu,
et vous aurez encore un plus grand nombre de navires qui partiront sur lest.
Telles sont les conséquences, contraires à leurs intentions, auxquelles MM.
Metz et Mercier sont arrivés en énumérant le grand nombre de navires qui ont
quitté nos ports sans chargement.
M. Mercier et M. Metz se
sont-ils bien pénétrés des sacrifices énormes que, sans sortir de la question
des sucres, la France a faits, depuis longues années, en faveur de son commerce
et de sa navigation marchande ? La France consomme 100 millions de kilogrammes
de sucre. Ce sont les sucres de ses propres colonies. Les sucres de la
Martinique et de la Guadeloupe lui reviennent sur son marché à 50 fr. Or, elle
peut obtenir le sucre de même qualité à 35 fr., si elle va le chercher au
Brésil ou à la Havane. Elle soutient volontairement donc une perte de 15
millions de francs sur sa consommation de 100 millions de kilogrammes. Cette
perte elle la fait subir au consommateur. Pourquoi la France s’est-elle,
pendant très longtemps, résignée à cet énorme sacrifice ? Evidemment,
messieurs, ce sacrifice a pour but principal de soutenir son commerce maritime
et sa marine marchande, et ce but elle l’a avoué. Or, c’est ce même but que
nous nous sommes proposé d’atteindre par les mêmes moyens que nous avons fait valoir.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je vais rencontrer les chiffres présentés par M.
Donny pour démontrer que les amendements de MM. Rogier et Liedts produiraient
moins de 800,000 fr. M. Donny a pris pour base de ses calculs le chiffre de 14
millions que j’ai indiqué comme représentant les prises en charge notables en
1838 ; et c’est sur ce chiffre qu’il s’agit d’établir la discussion. Je ne
crois pas en effet que les importations dépassent 14 millions en 1838.
Or, 14 millions à raison de 4 fr. par 100 kilog.
donnent, en principal, un produit de 300,000 fr., auquel l’honorable M. Donny
ajoute 13 p. c. additionnels, ce qui fait en tout 632,800 fr. Mais ce à quoi
n’ont pas songé M. Donny et M. Rogier, c’est qu’aujourd’hui il existe un droit
de douane, qu’ils ont englobé dans celui de 4 fr. qu’ils proposent d’établir.
Pour les sucres venant par navires étrangers le droit
de douane est de 80 cents ; il est de 10 cents pour les navires nationaux ;
comme l’importation des sucres se fait, d’après les tableaux qui vous ont été
fournis, en égale quantité par navires nationaux et par navires étrangers, on
peut prendre pour moyenne 43 cents ou 95 centimes et 4 centièmes. Ces 43 cents,
avec les 13 p. c. additionnels, donnent une somme de 151,922 fr. qu’il faut
défalquer des 632,800 fr. de M. Donny pour avoir la recette que produira
l’amendement de M. Rogier. Cette recette sera donc de 480,878 fr.
L’amendement de M. Liedts supputé d’après 14 millions
donnera 518,000 fr. et pas plus.
Ainsi les deux amendements n’ont pas la portée qu’on
leur attribue.
M. Donny.
- Et l’effet rétroactif ?
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Ces amendements n’auraient pas d’effet rétroactif,
et, pour celui de M. Rogier surtout, on ne ferait certes pas payer les droits
de douanes deux fois aux sucres déposés en entrepôt fictif.
Selon l’amendement de M. Rogier, comme d’après celui
de M. Liedts, on n’arrivera donc pas à la somme de 800,000 fr. calculée dans le
budget des voies et moyens.
Messieurs, puisque j’ai pris le parole pour parler sur
les chiffres qui ont été présentés, je répondrai à une demande d’explication
qui a été faite par l’honorable M. Donny dans la première séance de la discussion
actuelle.
Ainsi que je l’ai dit en interrompant l’honorable
membre, les calculs qu’il faisait étaient exacts, mais ils reposaient sur des
bases erronées.
Il résulte du discours de M. Donny, inséré dans le Moniteur, qui contient le compte rendu
de la séance dont il s’agit, que d’après les chiffres donnés par le
gouvernement relativement aux importations et exportations de sucre pendant les
années 1831 à 1836 inclusivement, il resterait à renseigner, au trésor, une
somme de 8,892,470 fr.
Ayant revu les bases d’après lesquelles l’honorable
représentant avait établi ce dernier chiffre, j’ai remarqué qu’elles étaient
erronées :
1° En ce qu’il n’était fait aucune déduction pour
perte et déchet des sucres en entrepôt libre, public ou particulier, ni pour la
déduction d’un et de deux pour cent, mentionnée à l’article 15 de la loi ;
2° En ce que le chiffre renseigné pour les
exportations avec décharge de droit des années 1831 à 1836 inclusivement
n’était pas exact ;
3° En ce que l’on n’a pas réduit en sucre brut de la
manière qu’on eût dû le faire, les quantités de sucre raffiné exporté.
Ne pouvant donc admettre les bases de M. Donny, l’on
ne peut à plus forte raison admettre ni les résultats, ni les conséquences
qu’il en tire.
Admettons pour le moment comme exact le chiffre
renseigné par l’honorable membre pour les importations de 1831 à 1836
inclusivement, soit 107,000,000 kil.
Or, il y a lieu d’en déduire :
1° Pour déchet dans les entrepôts libres, publics ou
particuliers, pour déduction mentionnée à l’article 15 de la loi sur le sucre,
de même que pour restitutions pouvant être effectuées pour incendies ou pour
tous autres cas, en vertu de l’article 282 de la loi générale du 26 août 1822,
2 p. c., soit 2,140,000 kil.
2° Pour les exportations de sucre raffiné, en considérant
toutefois, comme il y a lieu de le faire dans la circonstance que 55 kil. de
sucre raffiné représentent, en ce qui concerne le calcul établi par M. Donny,
cent kil. de sucre brut, soit 65,082,672 kil.
Il y a lieu de faire observer à l’égard du chiffre de
65,082,672 qui précède, qu’il a été calculé non sur une exportation de
33,702,754 kilog., comme le porte le Moniteur,
mais sur une exportation totale de 35,795,470 kilog., attendu que le chiffre
renseigné hier, pour les exportations de 1831 à 1833, présente une différence
assez importante.
3° Pour les quantités sur lesquelles le droit d’accise
a été perçu pendant les six années dont il est question.
Le droit d’accise en principal (de 26 à 71), perçu
pendant cet intervalle étant de 6,333,062 fr. la quantité de sucre brut sur
laquelle frappe cette perception est de 23,710,545 kil.
Total 90,933,126 kil.
Resterait à justifier : 16,066,874 kil.
Mais il y a encore à déduire de ce nombre de kil. les
exportations pour transit direct, pendant les années 1831 à 1836, dont M. Donny
ne tient aucun compte dans ses calculs, non plus que pour les restants en
entrepôt au 31 décembre 1836, quantités qui s’élèvent à 7,317,517 kil.
En sorte que le nombre de kil. restants, dont les
droits ont dû être pris en charge, ne monte effectivement qu’à 8,649,297 kil.
Et ces droits, à raison de 26-41 en principal, ne sont
que de 2,310,227 fr.
Or, il est facile de concevoir
que cette somme puisse, en raison de la position bien différente du commerce au
31 décembre 1830 et au 31 décembre 1836, former la différence entre le montant
des prises en charge à ces deux époques, surtout lorsque l’on considère que les
termes de crédit sont de 3, 6 et même, 9 mois lorsqu’on désire user de la
faculté de transcription permise par l’article 29 de la loi sur le sucre.
Ainsi, ce n’est donc pas d’une somme de 8,892,470 fr.
qu’il s’agissait de justifier, mais d’une somme de 2,310,227 fr., et je crois,
messieurs, l’avoir fait complétement. J’ajouterai que cette somme de 8,892,470
fr. devrait d’ailleurs, dans les calculs mêmes de M. Donny, être réduite de
797,965 fr. faisant le montant des produits du timbre collectif, dont il n’a
pas tenu compte dans le calcul dont il s’agit, tandis qu’il en a tenu compte
dans tous les autres calculs.
M. Seron.
- Messieurs, mes observations seront
courtes et n’offriront rien de neuf ; elles n’ont pour objet que de motiver mon
opinion.
Les impositions sur les consommations ont de graves
inconvénients ; la perception en est excessivement coûteuse, et elles
démoralisent les citoyens dont elles font des fraudeurs. Mais telle est
aujourd’hui votre situation financière qu’avec la meilleure volonté de soulager
les classes nécessiteuses, il ne vous serait même permis d’abolir la gabelle du
sel dont elles supportent la plus forte partie.
Lorsqu’on maintient cet odieux impôt ; lorsque, pour
couvrir vos dépenses, on vient vous demander de nouveaux centimes additionnels
à la contribution personnelle et au droit de patente déjà trop élevé, il ne
faut pas hésiter d’adopter toutes les mesures nécessaires pour assurer le
recouvrement de l’impôt sur les sucres qui ne peut atteindre que les classes
aisées et prendre l’argent où il est.
On donne trop d’importance à la question qui vous occupe.
Si l’on en croit les raffineurs, c’est de leur industrie que vient la
prospérité de la Belgique ; sans eux point de marine, point de navigation,
point de commerce, point de salut pour elle : nous allons mourir de
consomption. C’est inutilement que nous posséderons les terres les plus
fertiles de l’Europe, produisant en abondance les céréales, le houblon, le
colza, le tabac et le lin, habitées par un peuple nombreux laborieux et
industrieux ; c’est en vain que ces terres recéleront la houille, le fer, le
plomb, la calamine, le marbre ; sans les raffineurs de sucre toutes ces
richesses deviennent inutiles.
Et pourquoi cette risible exagération ? Pour maintenir
à zéro les recettes de l’Etat sur la consommation du sucre, pour empêcher
qu’elles ne s’élèvent pas même annuellement à un million tandis qu’elles
devraient en produire plus de quatre.
Sans doute les raffineurs de sucre doivent vivre comme
tout le monde ; mais un million de plus dans les caisses publiques ne les tuera
pas.
Je voterai toutes les dispositions qui auront pour
objet d’empêcher la fraude du droit et d’en augmenter le montant. J’adopterai
donc le projet ministériel, à moins qu’il n’en soit présenté un autre plus
avantageux au trésor, et plus propre à mettre un terme à l’abus scandaleux qu’on
a fait de la loi existante. Les propositions de MM. Liedts et Rogier me
paraissent loin de remplir la première de ces conditions.
- La séance est levée à quatre heures et demie.