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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 20
décembre 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Motion d’ordre relative à un fait personnel (Zoude)
3) Projet de loi relatif aux droits d’accises
sur les sucres. Discussion générale (notamment prime d’exportation) (Desmaisières, d’Huart, Desmaisières, d’Huart)
4) Fait personnel (Rogier,
Zoude)
5) Projet de loi relatif aux droits d’accises
sur les sucres. Discussion des articles. Rendement de l’impôt (d’Huart, Metz, Verdussen,
Metz, Rogier, Berger,
Metz, d’Huart, Metz,
Pirmez, Liedts, Verdussen, d’Huart, Demonceau, F. de Mérode, Desmaisières, Rogier, Dumortier)
(Moniteur belge
n°355, du 21 décembre 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse
procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Lejeune
lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse
fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Les administrations communales de Morlanwelz, Fayt,
Haine-Saint-Pierre, Thuin, Houdeng-Aimeries, etc., et diverses charbonnières du
couchant de Mons, réclament contre les pétitions qui demandent la libre entrée
des charbons anglais. »
« Même pétition des négociants, industriels et
propriétaires de charbonnages de Charleroy. »
________________
« Le sieur E. Deneufbourg d’Egger, ex-officier de
santé, demande que la chambre intervienne pour qu’il obtienne le traitement ou
la pension de son grade. »
________________
« Plusieurs communes de l’arrondissement de
Verviers adressent des observations sur le mode de répartition des charges
locales. »
________________
« Trois pharmaciens du Limbourg demandent
l’abrogation de la loi du 31 mai 1818, qui permet aux médecins et aux officiers
de santé du plat pays de vendre leurs médicaments. »
________________
« Le sieur Alt, cabaretier à Dinant, demande que la
commission des croix de fer soit reconstituée pour achever son travail. »
________________
« Le sieur Jamotte se plaint de nouveau d’une
prétendue violation de la liberté individuelle commise sur sa personne. »
________________
« Le sieur Brossart adresse des observations
contre les pétitions qui réclament l’entrée des houilles étrangères. »
- Les pétitions relatives à l’entrée des houilles étrangères
sont renvoyées à MM. les ministres de l’intérieur et des travaux publics, avec
demande d’un prompt rapport.
Les autres requêtes sont renvoyées à la commission des
pétitions.
M. Zoude.
- Messieurs, j’ai lu dans le Moniteur
la sortie entière qui a été dirigée contre moi par M. Rogier, mais je n’y ai vu
qu’une partie de ma réponse. J’ai dit que les idées que M. Rogier m’a prêtées
sur l’importance de la navigation sont une hérésie dont lui seul pouvait me
croire capable ; que rien du reste ne devait m’étonner de la part d’un homme
qui s’était permis de prononcer un jugement sur un rapport qu’il déclarait ne
pas avoir lu. J’ai ajouté que sa sortie était d’autant plus inconvenante à
propos des sucres, que je n’avais pas encore énoncé mon opinion cet égard. Je
suis étonné que le Moniteur n’ait pas
rendu compte de cette réponse, que j’ai prononcée à haute et intelligible voix,
comme je la répète maintenant.
Discussion générale
M. Desmaisières, rapporteur. - Lorsque la question des sucres est venue, à
l’occasion du budget des voies et moyens, faire invasion dans cette enceinte, elle
s’est trouvée entourée de bien des préjugés nés de ce que le système de la
législation de 1822 n’a jamais été généralement bien compris en Belgique.
Moi-même, j’en fais ici humblement l’aveu, je me
trouvais dominé par ces préjugés lorsque j’ai été nommé membre de la commission
à laquelle vous avez confié le soin de cette grave et importante question.
Je croyais la législation vicieuse, tant à l’égard des
intérêts du trésor qu’à l’égard des intérêts de l’industrie du sucre extrait de
la betterave.
Mais depuis que j’ai étudié la législation, et je
crois avoir prouvé par mon rapport que je l’ai étudiée consciencieusement, j’ai
acquis la conviction intime que mon opinion primitive n’était fondée que sur de
véritables préjugés, et ces préjugés, il importe avant tout, d’après moi, de
les effacer aussi de l’esprit de plusieurs membres de cette chambre, qui se
trouvent encore placés sous le joug de ces préjuges ; témoin le discours
prononcé hier par un honorable député d’Audenaerde.
Tel a été, du reste, le principal but que j’ai voulu
atteindre par mon rapport. J’ai vu avec plaisir, par le plus grand nombre de
discours qui ont été prononcés par les organes des diverses opinions, que mes
efforts n’ont pas été sans succès, et je suis tellement persuadé que l’opinion
que je soutiens est seule en harmonie avec les intérêts généraux du pays, que
je m’estimerai heureux, mille fois heureux, si je puis, par de nouveaux
efforts, achever de faire disparaître tous les préjugés qui existent encore
chez quelques membres, et ramener ainsi à l’opinion de la commission, non pas
la simple majorité de la chambre, mais la chambre tout entière qui, j’en suis
persuadé, se montrera ici, comme toujours, amie avant tout des intérêts
généraux du pays.
Ainsi que vous l’ont très bien exposé plusieurs
honorables orateurs, ce n’est point ici l’industrie du raffinage du sucre
exotique en elle-même et pour elle-même qui est principalement en jeu, ce sont
principalement la marine marchande, le commerce maritime, et avec eux toutes
les industries qui jouissent de débouchés extérieurs, l’agriculture y comprise,
qui viendraient à éprouver des pertes immenses si la législation venait à être
modifiée dans le sens pétitionné. C’est aussi le trésor, et c’est enfin aussi
l’industrie belge du sucre de betterave elle-même.
L’honorable membre qui siège à ma droite, et dont
l’opinion en cette matière a d’autant plus de poids qu’il remplit hors de cette
enceinte les fonctions d’inspecteur-général des douanes et accises, a cherché à
vous prouver par des chiffres que notre navigation et notre commerce maritime
n’ont pas toute l’importance que d’autres honorables orateurs y ont attachée ;
mais il a suffi des chiffres opposés par l’honorable député de Thielt pour vous
démontrer tout le contraire.
Mais, messieurs, fût-il vrai que nous ayons beaucoup
de navires qui soient obligés de sortir sur lest, quelle conséquence
faudrait-il en tirer ? Bien certainement cela prouverait que notre navigation
est encore bien souffrante, que les plaies que lui a faites la révolution sont
encore bien saignantes. Eh bien, réduisez maintenant le mouvement commercial et
de navigation produit par les sucres à 20 millions kil., c’est bien autrement
important ; mais réduisez-le même à ce chiffre, je vous le demande, est-ce bien
ici le cas, pour courir après quelques misérables cent mille francs que
d’ailleurs on n’atteindra pas dans le système qu’on propose, est-ce bien le cas
alors de donner le coup de grâce à la marine marchande et au commerce
extérieur, en leur ôtant le seul élément de vie qui leur reste ?
Je regrette que ni l’honorable
M. Smits, ni l’honorable ministre de l’intérieur n’aient pas été là hier ; ils
auraient probablement corroboré par d’autres chiffres encore ceux déjà, du
reste, bien victorieux de l’honorable député de Thielt. J’en ai pour preuve
l’opinion formelle émise par M. le ministre de l’intérieur, et consignée à la
page 32 de mon rapport. M. le ministre des finances y dit positivement que son
collègue au département de l’intérieur est d’avis que nul changement ne doit
être apporté, quant à présent, ni au fond, ni aux dispositions réglementaires
de la législation des sucres, et qu’il fonde cet avis sur les dangers qu’il y
aurait à enlever à la navigation nationale et au commerce d’exportation en
Belgique l’aliment vital qu’ils trouvent encore dans les dispositions de cette
législation.
M. le ministre des finances (M.
d’Huart). - A quelle
époque ?
M. Desmaisières, rapporteur. - Cette réponse m’a été envoyée au mois d’août.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Vous citez une réponse que je vous ai donnée dans
le temps ; il y a, je pense, 15 ou 18 mois. C’est un passage d’une lettre de M.
le ministre de l’intérieur ; je demande à quelle époque M. le ministre de
l’intérieur a fait connaître l’opinion que vous venez de citer.
M. Desmaisières, rapporteur. - Je n’en sais rien ; vous m’avez répondu le 19 août
dernier que telle était l’opinion de M. le ministre de l’intérieur, mais vous
ne m’avez pas dit quelle était la date de la lettre de M. votre collègue où il
exprimait cette opinion ; vous avez donc tort de me demander une chose que vous
ne m’avez pas renseignée.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - C’est avant le budget de 1837.
M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, lorsque des industries aussi
importantes que la navigation nationale, et le commerce d’exploitation, et par
conséquent une foule d’industries qui en dépendent, sont mis en danger par des
modifications à la législation sur les sucres, de quel côté nous, représentants
de la nation, envoyés ici pour défendre ses intérêts, devons-nous nous ranger ?
Est-ce du côté du ministre qui défend ses intérêts, et qui en est le
protecteur, ou bien est-ce du côté du ministre des finances, qui est avant tout
l’homme du fisc, et que nous désirerions voir plutôt tourner ses efforts avec
nous vers la diminution des charges publiques par la diminution apportée aux
dépenses de l’Etat ? Cela vaudrait beaucoup mieux que de disputer à l’industrie
nationale, en général, quelques mille francs, que d’ailleurs, je le répète, on
ne percevrait pas si malheureusement et contre toute attente la chambre,
manquant à ses devoirs les plus impérieux envers la nation, je ne crains pas de
le dire hautement, allait se ranger du côté de la proposition du ministre des
finances.
Déjà, messieurs, on est venu enlever de la même
manière, déjà on est venu porter un coup funeste à l’industrie des distilleries
: par un projet de loi présenté au moment même de la discussion de celui de la
commission de la chambre, et cela postérieurement au rapport de cette
commission qu’on avait aussi provoqué, dont on avait aussi pressé la
présentation, en disant qu’on était prêt à discuter ; déjà, à l’aide de cette
tactique, on a enlevé d’assaut en quelque sorte l’adoption d’une loi
pernicieuse à une grande industrie ; espère-t-on qu’il en sera de même ici ? Non,
messieurs, j’en suis persuadé, vous ne donnerez pas les mains à une pareille
tactique ; le côté moral de la question, a pu alors être pris en grande
considération par vous, mais ici il n’y a aucune fantasmagorie d’immoralité à
faire ; il n’y a en présence que l’industrie nationale, d’un côté défendue par
son protecteur né, M. le ministre de l’intérieur, et le fisc de l’autre côté,
défendu par son défenseur naturel, M. le ministre des finances, par qui
l’obligation de ne pas porter atteinte à la liberté des consommateurs nous
oblige de faire percevoir l’impôt de consommation des mains de l’industriel
même. En raison de ce qu’il doit percevoir de l’industriel lui-même les impôts
de consommation, ce ministre s’habitue peu à peu, par suite de l’état permanent
de défiance et d’hostilité dans lequel il se tient vis-à-vis de l’industrie, à
ne voir en elle qu’une matière à contribution directe, tandis que sa qualité
d’homme d’Etat, à lui ministre, devrait lui faire voir que bien souvent, et
c’est ici le cas, l’industrie qui ne paie pas directement au trésor, paie
infiniment plus indirectement soit par elle-même, soit par les ressources que
procurent au trésor d’autres industries, dont elle est un puissant appui.
Après avoir soutenu, pour obtenir un haut chiffre au
budget des voies et moyens pour l’administration des douanes, que Maestricht
était un vaste foyer de fraude, que la fraude sur le sucre dans le Limbourg se
faisait sur une vaste échelle, qu’elle menaçait de devenir plus forte encore,
que malheureusement enfin, avec tous les moyens que l’on avait et ceux que l’on
demandait encore, on ne pouvait pas espérer de la combattre quelque peu
victorieusement ; après cela, aujourd’hui qu’il s’agit de s’opposer à ce que
l’on puisse croire que cette introduction frauduleuse, toujours croissante, du
sucre étranger, est une des causes principales de la diminution des recettes du
trésor, on vient nous dire : Mais nous sommes à même de constater le chiffre de
cette fraude, parce que les Hollandais n’ont aucun intérêt à nous cacher ce
qu’ils font entre à Maestricht, et nous avons constaté qu’il y est entré tout
au plus quelque 100,000 kilog, ce qui ne peut jamais produire une grande
diminution sur nos recettes, puisque cela représenterait tout au plus 3 à
400,000 francs. Mais, messieurs, toute petite qu’au premier abord paraisse une
pareille somme prise isolément, n’est-elle rien en raison du chiffre moyen des
recettes de huit années qui est de 1,600,000 francs ? Ensuite, croit-on que les
fraudeurs n’ont pas, comme les hommes de guerre, leur stratégie, leur tactique
? Croit-on que lorsqu’ils savent que vous êtes avertis que Maestricht est leur
arsenal de fraude, ils auront la bonhomie de vous faire connaître exactement
les quantités de sucres qu’ils transportent dans cet arsenal de fraude ? Non,
certainement ; car ils ont bien trop d’intérêt à vous donner le change sur ces
quantités ; et puis n’est-ce que du côté de Maestricht seul qu’il entre du
sucre raffiné ? Il m’a été assuré, à moi, par des habitants de nos diverses
frontières, qu’on pouvait tenir pour certain que tout notre territoire réservé
de la douane était alimenté par du sucre étranger, introduit en fraude.
Il est vraiment étrange, messieurs, qu’alors qu’on
avoue son impuissance pour combattre cette fraude, on vienne cependant demander
le renversement d’un système de législation qui seul permet à nos raffineurs de
sucre exotique et de sucre de betterave de lutter contre elle sur le marché.
Car je le dis avec conviction et après une étude approfondie de la question,
renversez la législation actuelle, et il sera de toute impossibilité à notre
sucre indigène de lutter contre le sucre raffiné étranger. Plus d’un fabricant
de sucre de betterave, plus d’un même des signataires des pétitions demandant
des modifications, en sont venus à le reconnaître aujourd’hui.
J’ai dit, messieurs, que c’est parce qu’on se laissait
plus ou moins encore dominer par des préjugés, par des interprétations erronées
du système de la législation de 1822, que nous rencontrions encore des
adversaires dans cette enceinte. Ces préjugés, je l’avoue, sont d’autant plus
excusables, que l’auteur de ce système de législation ne s’en est jamais
expliqué ouvertement. Il a pensé que pour réussir à enlever à des nations
rivales et puissantes une grande partie de leurs débouchés extérieurs, au
profit de nos diverses industries nationales, il était nécessaire de voiler le
but, en voilant en quelque sorte la législation elle-même, qui devait servir de
moyen pour atteindre ce but.
Cela est tellement vrai que, lorsque la loi de 1822
fut présentée aux états-généraux, les raffineurs belges poussèrent tous des
cris de détresse et de réprobation. Plusieurs d’entre eux firent même le voyage
de La Haye, mais ils s’en retournèrent bientôt pleins d’espérance quand M.
Appelius, qu’on n’accusera pas sans doute d’avoir jamais négligé un seul moyen
d’alimenter le trésor, leur eut démontré que la loi ne blessait réellement
aucun intérêt, qu’elle était avantageuse à tous, au trésor comme à l’industrie,
à la navigation, au commerce maritime comme à l’agriculture, et aux Belges
enfin comme aux Hollandais.
Messieurs, lorsque le législateur a calculé la
décharge des candis, pains et lumps, de manière à ce que le raffineur qui
exporterait 55 kil. 11/20 de candis, pains et lumps, se verrait déchargé du
droit d’accise dû par lui pour 100 kil. de sucre brut pris en charge, il n’a
point dit au raffineur : De 100 kil. sucre brut vous ne tirerez que 55 k. 11/20
de sucre candis, pains et lumps ; mais il a dit : Le rendement moyen des divers
sucres bruts, qu’il y a avantage pour vous de travailler et que je veux vous
forcer à travailler, est de 55 kil. 11/20, et c’est sur ce chiffre par
conséquent que j’ai basé la haute décharge à l’exportation. Je veux vous
protéger non seulement parce que je désire acquérir au profit du pays la
main-d’œuvre de votre industrie, mais parce que je veux atteindre la plus
grande somme possible en fait de cette main-d’œuvre, et que je veux surtout
donner de l’extension à la marine marchande et au commerce maritime, et aux débouchés
extérieurs de l’agriculture et des diverses industries nationales qui en ont
besoin. Comme, toutes les fois que vous exporterez 55 kil. 11/20 de sucres
raffinés fins, vous serez déchargés de 100 kil. de sucre brut pris en charge,
il en résultera que vous pourrez livrer à la consommation intérieure non pas 44
9/20, vu qu’il y a un déchet réel d’environ 5 p. c., mais 40 kil. environ de
sucres communs. Le consommateur belge n’y perdra rien, parce que les sucres
consommés en Belgique se trouvent être, heureusement pour mon système, en
majeure partie des sucres communs, et que la masse des consommateurs se trouve
faire partie des classes moyennes et pauvres, les consommateurs riches faisant
seuls usage des sucres fins. Le trésor n’y perdra rien non plus, parce que
lorsque vous exporterez beaucoup il percevra moins de droits d’accise sur le
sucre ; mais il est vrai qu’il récupérera bien cette perte directe par les
droits de douane qu’il percevra en plus sur la plus grande importation de sucre
brut, par les droits de navigation qui augmenteront sensiblement, par les
contributions directes et indirectes que vous-mêmes et vos ouvriers lui
paierez, par les revenus de toutes espèces enfin que lui procureront le
commerce et les diverses industries dont vos importations de sucre brut et
exportations de sucres raffinés auront étendu les marchés. Le chiffre des
prises en charge est une limite infranchissable par les décharges, tandis
qu’aucune barrière n’est posée aux exportations. Ainsi, dans tous les cas, le
trésor ne peut que ne pas recevoir le droit d’accise pour toute perte, et
aucune limite n’est posée aux revenus qu’il gagnera en compensation de cette
perte. D’un autre côté, s’il arrive que vous n’exportez pas, eh bien, alors les
recettes du droit d’accise augmenteront. Mettez donc la main à l’œuvre, MM. les
raffineurs, a-t-il ajouté, perfectionnez votre industrie, travaillez,
efforcez-vous d’étudier les goûts des consommateurs étrangers, employez des
matières premières et combinez vos mélanges de manière à produire des sucres
adaptés à ces goûts, au meilleur marché possible, et vous verrez fleurir et
prospérer votre industrie en même temps que toutes les autres industries du
pays, par les débouchés que vous leur procurerez et par la vie et l’activité
que vous donnerez à la marine marchande, agent qui est plus indispensable au
commerce extérieur que le pain n’est nécessaire à la nourriture de l’homme
Voilà, messieurs, en peu de mots, quelle a été la pensée du législateur de 1822
; mais il eût été entièrement ridicule, ce législateur, s’il avait voulu, comme
on le prétend, que le raffineur ne pût livrer à la consommation, sans droit,
après exportation de 55, que le seul déchet, en d’autres termes une chose qui
n’existe pas ou de la poussière ; s’il avait voulu ensuite qu’apparemment le
raffineur mît le restant des 40 de sucres communs sur ses greniers, pour y
rester jusques dans l’éternité.
Non, messieurs, le législateur de 1822 a voulu, et les
faits sont là pour prouver qu’il a réussi à remplir ses vues, tout en alimentant
le trésor et en abaissant le prix du sucre le plus consommé en Belgique au
profit du consommateur le moins aisé, enlever à des nations rivales la plus
grande partie possible de leurs débouchés extérieurs, et cela au bénéfice de
nos diverses industries nationales. Par l’appât de la haute décharge pour les
candis, pains et lumps, il a forcé les raffineurs de sucre à être les
instruments de cette amélioration apportée au sort de toutes nos industries en
général.
Mais, a-t-on dit, nous n’avons pas de colonies, et par
conséquent, pourquoi favoriser l’emploi d’une matière première produite par les
colonies ? Messieurs, les peuples qui possèdent des colonies en retirent les
bénéfices, mais en supportent aussi les charges. Car ils ne peuvent obliger
leurs colonies à consommer exclusivement les produits de la mère patrie ; ils
ne peuvent ouvrir ainsi des débouchés extérieurs à celle-ci, sans lui imposer
en même temps l’obligation de consommer exclusivement les produits de ces
colonies. De là pour l’Angleterre, la Hollande et la France, la nécessité
d’imposer à leurs raffineries l’obligation de n’employer que du sucre de leurs
colonies.
L’Angleterre, et ici je suis bien aise d’ajouter ce
renseignement à ceux que seul j’avais réussi à me procurer lorsque j’ai présenté
mon rapport à la chambre, l’Angleterre, dis-je, vient-on de m’assurer il y a
deux jours (on m’a promis de m’en administrer sous peu la preuve officielle) a
deux législations sur le sucre, l’une récemment établie qui se trouve
mentionnée à la page 16 de mon rapport et qui concerne les sucres provenant de
colonies non anglaises, et l’autre plus ancienne établissant un drawback pour
les sucres des possessions anglaises.
Il suffit du rapprochement de ces deux espèces de
législations pour que l’on voie que malgré son drawback la raffinerie anglaise
n’a pu lutter sur les marchés extérieurs où nous avons réussi à la supplanter,
précisément à cause que le gouvernement britannique a dû lui imposer la
manipulation exclusive du sucre colonial anglais.
Pour obvier autant que possible à ce mal, qu’a fait ce
gouvernement ? Il a décrété une législation particulière établissant des
raffineries de sucre non anglais, ne pouvant travailler que pour l’exportation.
Les faits ont démontré que ce remède a été jusqu’ici impuissant, précisément à
cause de la législation belge, et, par conséquent, on peut être certain qu’il
sera d’un grand effet, qu’il nous enlèvera toute notre exportation, si nous
avons le malheur de modifier sensiblement notre système.
La Hollande, messieurs, est dans des conditions
meilleures que l’Angleterre, d’abord par sa législation, et ensuite parce
qu’une partie des sucres de ses colonies se trouve comprise parmi les sucres
offrant le plus d’avantages au raffinage. Mais pour l’autre partie, la
protection qui lui est accordée l’empêche d’employer autant que nous, des
sucres étrangers à ces colonies. On peut dire même que les conditions légales
du raffinage hollandais et du raffinage belge sont équivalentes. Si les
Hollandais ont plus que nous le génie commercial, nous sommes plus industriels
qu’eux, et, par suite, nos produits l’emportent sur les leurs par les qualités
recherchées sur les marchés extérieurs, et par les prix relatifs de vente. Eh
bien, nous perdrions de suite ces avantages, et les Hollandais, plus encore que
les Anglais, ne tarderaient pas à nous enlever tous nos débouchés extérieurs si
nous avions le malheur d’accéder aux demandes imprudentes de modifications à
notre législation, qui nous ont été faites.
Ainsi, à conditions égales, nos industriels
réussissent, par leur science industrielle, à l’emporter sur l’industrie
hollandaise, et de suite on voudrait leur enlever, par des modifications
proposées en faveur du fisc, et qui, tout le démontre, ne feront que du mal au
fisc lui-même, des avantages qu’ils ne doivent qu’à eux-mêmes, qui profitent à
une foule d’autres industries, et que, par conséquent, il faudrait savoir
respecter.
Eh, messieurs, si, lorsqu’une industrie a fait des
progrès tels qu’à conditions législatives équivalentes elle doive, à l’instant
même où elle a fait ces progrès, voir la législature venir lui enlever tout le
fruit des efforts qu’elle a dû faire pour arriver à ces progrès, par des
modifications injustes à la législation, qui placent cette industrie nationale
dans des conditions d’infériorité vis-à-vis de l’industrie étrangère ; si les
progrès qu’une industrie peut arriver à faire, ne lui offrent en perspective
que cette autre épée de Damoclès, suspendue sur sa tête et prête à la tuer dès
qu’elle aura réussi à faire ces progrès, soyez persuadés qu’aucune industrie
n’en fera plus. Si c’est là ce que veulent nos adversaires, si c’est là
l’espèce de progrès de l’industrie qu’ils veulent, oh ! alors ils s’y prennent
parfaitement ; aucun moyen n’y conduit mieux que cette instabilité de la
législation, que ces modifications qui énervent et tuent l’industrie.
Vient maintenant la France, messieurs, qui, vous le
savez, perçoit sur le sucre étranger une taxe telle que les raffineurs français
ne peuvent employer que du sucre colonial français, et que, par suite, aucune
exportation n’a lieu pour ainsi dire. C’est pourquoi on a toujours tort de
venir opposer le rendement légal de la France. Si elle travaillait les mêmes
sucres que la Belgique, on le pourrait dans un sens, mais encore on ne pourrait
pas en argumenter pour faire hausser notre rendement, car ce même rendement,
plus élevé en France, a eu pour effet de tuer les exportations.
On le voit donc, par notre législation, nous nous
donnons tous les avantages que procurent des colonies, puisque ces avantages
consistent dans des débouchés extérieurs pour l’agriculture et l’industrie,
dans l’alimentation et l’accroissement de la marine marchande, et de la
navigation en même temps que du commerce extérieur et nous nous donnons ces
avantages sans devoir donner les compensations que doivent donner les peuples
qui possèdent des colonies.
Je crois messieurs, que ces considérations, ajoutées à
celles qu’ont si bien et si justement fait valoir des honorables orateurs qui ont
parlé avant moi, démontrent à l’évidence que nous devons nous garder de changer
sensiblement une législation qui est la source de tant de bienfaits pour le
pays.
Mais le sucre est-il donc si indispensable à notre
navigation, à notre commerce extérieur, a-t-on demandé ? A cette question, je
dois répondre non et oui tout à la fois ; non si l’on peut indiquer une autre
matière qui puisse la remplacer et procurer les mêmes avantages, mais oui si on
ne le peut pas. Or, je défie ceux de nos honorables adversaires qui ont
présenté cette objection de nous citer une denrée qui offre ces mêmes
avantages. On a cité le café, mais les faits sont encore là pour en démontrer
l’impossibilité ; ce sont les Hollandais qui ont le monopole de ce commerce ;
et pourquoi ? Parce qu’ici notre industrie plus puissante que la leur ne peut
rien, n’a aucune action sur cette denrée qui se vend à la consommation comme
elle arrive des colonies. S’il nous était possible de vaincre les Hollandais
pour le café, comme pour le sucre, soyez persuadés que nos industriels
l’auraient déjà fait, messieurs, et au lieu d’un aliment pour notre navigation,
si souffrante depuis la révolution et que le sucre a seul soutenue, nous en
aurions eu deux alors. On n’aurait point vu alors beaucoup de navires pourrir
dans nos ports.
J’ai donc peut-être eu tort même de dire non pour le
cas où on aurait pu m’indiquer une denrée qui remplacerait avantageusement le
sucre, car les bienfaits ne sont jamais trop grands, la prospérité d’un peuple
n’est jamais trop élevée.
Avant d’aborder plus complétement la question du
rendement, que je n’ai fait qu’effleurer tout à l’heure, je dois encore
répondre à une objection présentée par l’un de nos contradicteurs, Cet
honorable membre a dit qu’admettant que l’effet de la législation actuelle
était de faire manger à un plus bas prix le sucre commun au consommateur le
moins aisé, il y aurait encore à voir s’il ne convient pas plutôt de mettre ce
consommateur moins aisé à portée de manger du sucre fin au lieu du sucre commun
; en d’autres termes, s’il ne vaut pas mieux de lui faire manger une meilleure
denrée qu’une plus mauvaise, de la viande par exemple, que des pommes de terre.
Certes, messieurs, cela vaudrait mieux, si tels étaient ses goûts et s’il était
possible de niveler le prix d’une denrée meilleure et plus recherchée avec
celui d’une denrée moins bonne et moins recherchée, mais qui cependant rentre
dans les goûts de ces consommateurs moins aisés. Dans tous les cas, c’est là un
problème qu’il n’est pas donné de résoudre, pas plus à l’honorable membre qu’à
nous. On ne saurait niveler en Belgique, par exemple, le prix du vin avec celui
de la bière, et alors encore je doute que notre classe ouvrière ne préférerait
pas la bière. Mais maintenant je lui demanderai à mon tour si, pour satisfaire
aux demandes du sucre de betterave, des intérêts duquel il s’est établi le
défenseur, il ne faudrait pas faire hausser les deux espèces de sucres, et
précisément plus fortement le prix du sucre raffiné, du sucre meilleur, en même
temps que l’on rendrait le sucre du consommateur le plus pauvre immangeable à
cause de la mauvaise odeur et du mauvais goût qu’ont les mélasses des
betteraves ; ce mauvais goût est tellement fort, qu’il n’y a moyen de tirer
parti de ces mélasses qu’en les mêlant en petite proportion avec des mélasses
provenant de sucres exotiques.
Par une préoccupation, très louable sans doute, de M.
le ministre des finances pour les intérêts du trésor, il a commis une grave
erreur en pensant que le projet de loi qu’il a présenté sous forme
d’amendement, ne portait aucune atteinte à la proportion du rendement, et
qu’ainsi cette question si difficile, a-t-il dit, pouvait rester en dehors du
procès.
C’est là une grave erreur qu’il importe de rectifier ;
car si, pour décharger les 3/4 ou 75 de sa masse de sucre manipulée et supposée
être de 100, le raffineur doit exporter 55, il faudra qu’il exporte 73 46/100,
pour décharger entièrement toute la masse de 100 kilogr. ; le différend qui
existe quant au rendement, loin d’être concilié et résolu par là, subsiste donc
dans son entier. Seulement la question est retournée ; et ce qu’il y a de pis,
c’est qu’elle est retournée de manière à ce que si le raffineur trouve à
exporter les 73 qu’il lui faut exporter pour apurer entièrement ses droits, il ne
le peut pas.
Il est tellement vrai que ce rendement, élevé à 73 par
le projet du ministre des finances, a le tort en sus d’être illusoire, que tout
raffineur vous dira qu’il préférerait voir porter le rendement à 80, dans le
système de la législation actuelle, qu’à celui illusoire de 73 qui ne lui
permettrait jamais et dans aucun cas d’apurer entièrement ses droits.
C’est par suite de préoccupation aussi sans doute que
M. le ministre des finances a annoncé avant-hier que la commission était dans
l’erreur lorsqu’elle prétendait que le rendement moyen qui résultait des
tableaux C et D, joints à son rapport et fournis par lui, était de 55 41/100.
Ainsi que j’ai déjà eu l’honneur de le dire, le
législateur a voulu avant tout que dès que le raffineur exporterait 55 11/20
sur 100 k. de sucre brut, il serait décharge du droit entier dû sur les 100 k.,
et ce parce que le législateur a voulu le forcer à exporter le plus possible.
Mais ces 55 11/20, il a voulu qu’ils fussent exclusivement composés de candis,
pains et lumps. C’est donc le rendement moyen en candis, pains et lumps qui est
le rendement légal à calculer ici, et non, comme le pensait encore avant-hier
M. le ministre des finances, le rendement moyen de toutes les espèces de sucre
que produit le raffinage, moins le déchet réel. Dans sa préoccupation pour les
intérêts du fisc, M. le ministre a donc confondu le déchet avec les sucres
communs que le législateur de 1822 a voulu que le raffineur pût livrer à la
consommation, francs de tous droits dès qu’il avait exporté le rendement moyen
légal en candis, pains et lumps. Mais il est bien évident que ce n’est pas le
déchet qu’il pourrait livrer à la consommation sans droits, car le déchet n’est
pas du sucre ; on ne pourrait livrer de la poussière pour du sucre à la
consommation ; et par conséquent, je me plais assez le répéter, la loi eût été
absurde, si elle avait entendu pousser le raffineur à l’exportation en le
déchargeant dans ce cas, purement et simplement, des droits dus pour ce déchet.
J’insiste beaucoup sur ce point, messieurs, parce que
c’est là que pour moi gît toute la question, et que c’est ce point qui, bien ou
mal compris, doit nécessairement influer beaucoup sur l’opinion que vous
adopterez. Je sens du reste d’autant plus le besoin d’insister sur ce point
quand je vois le ministre tomber lui-même dans l’erreur à cet égard. Il est
important qu’on se pénètre bien du but de la loi de 1822, où, quoi qu’on en
dise, le principe a été la protection des diverses industries nationales, et
l’impôt direct n’a été que l’exception, que l’accident.
On est venu, messieurs, jusqu’à contester aux tableaux
C et D leur exactitude, à raison, a-t-on dit, de leurs intitulés qui sont ;
pour l’un, « renseignements pris à Anvers, » et pour l’autre,
« renseignements pris à Gand. » Mais d’abord aurait-on voulu que le
ministre s’adressât à d’autres de ses agents que ceux qui résident sur les
lieux où on raffine le sucre ? Car pour moi ces intitulés veulent dire que ce
sont les agents du ministère d’Anvers et de Gand qui ont procuré ces
renseignements. Aurait-on voulu, par exemple, qu’on demandât ces renseignements
à Liége, à Arlon ou dans toute autre ville où l’on ne raffine pas de sucre ?
Est-ce alors que l’on aurait eu des renseignements plus véridiques ? Quant à
moi, messieurs, je tiens pour les plus véridiques ceux qui nous ont été fournis
par M. le ministre et qu’il a pris à Anvers et à Gand, et précisément parce
qu’il les a pris à Anvers et à Gand. D’ailleurs le ministre ne nous a-t-il pas
dit (voir page 29 de mon rapport) que, sans pouvoir garantir la parfaite
exactitude, les proportions indiquées dans les états C et D, on est cependant
fondé à les croire « très rapprochés de la réalité. »
Qu’on vienne alors argumenter de ce que les recettes
du trésor sont diminuées pour prétendre qu’il doit y avoir erreur dans le
rendement ; qu’on tourne autant qu’on voudra dans ce cercle vicieux, il est
certainement permis à ceux qui le veulent de se tenir dans un pareil cercle
vicieux, mais quant à moi je n’admettrai jamais un pareil système d’argumentation.
L’année 1831, l’année de l’invasion de l’armée
hollandaise, est là pour vous prouver ce que peut l’infiltration frauduleuse
des sucres étrangers sur les recettes du trésor ; les calculs irréfutables de
l’honorable M. David sont là pour vous démontrer ce que peut aussi et ce qu’a
produit le sucre de betterave en 1836 et 1837 sur les recettes du trésor ; les
notes qui se trouvent aux pages 38 et 40 de notre rapport sont là pour vous
prouver ce que peuvent encore sur ces recettes les transcriptions non
accompagnées de la marchandise. En vérité, messieurs, en présence de pareilles
considérations, je ne puis qu’attribuer à la précipitation avec laquelle on a
voulu, contre notre opinion, aborder cette importante question, la manière dont
on a cru devoir nous combattre.
Non seulement, messieurs le rendement moyen en candis,
pains et lumps ne dépasse pas le chiffre de 55 41/100, qui résulte des tableaux
fournis par M. le ministre des finances, mais encore il est souvent, et même
dans le moment où je vous parle, au-dessous de ce chiffre. Pour le démontrer,
je n’ai qu’à prouver que nos raffineurs ont intérêt à travailler actuellement
des sucres à moindre rendement.
D’après le tableau D, le sucre havane blanc donne un
rendement de 72, il coûte brut 52 florins. Le siam blond ne donne un rendement
que de 52 et il coûte 30 florins les 100 kil.
Si le raffineur veut rattraper son prix d’achat des
100 kilos sur le sucre raffiné en pains, candis et lumps, il devra vendre 52
fl. les 72 kilos provenant du havane blanc.
Maintenant 100 siam blond ne lui rendant que 52, qui
coûtent 30 florins, 72 kil. lui coûteront 41-65, prix auquel il devra les
vendre. Différence 10-35.
Ainsi il pourra vendre le siam blond 10-35 de plus
qu’il ne lui coûte, en supposant que les qualités des produits en candis, pains
et lumps soient les mêmes pour les deux espèces de sucres ; mais admettant
qu’elles ne soient pas les mêmes et qu’il y ait même une différence égale à ce
chiffre de 10-35, toujours est-il qu’il retirera ses avances alors de l’un et
de l’autre sucre par la vente de ses raffinés, candis, pains et lumps et que
par conséquent il lui restera en bénéfices, toujours d’après le tableau D,
seulement 27 sucre commun, s’il a travaillé du havane blanc, et 43 s’il a
travaillé du siam blond.
Ces chiffres démontrent à l’évidence que dans l’état
actuel des prix le rendement moyen, en sucre fin, sur les sucres véritablement
manipulés, est encore au-dessous de celui que donnent les tableaux C et D. II y
a encore une autre cause qui force le raffineur à employer en plus forte
proportion les sucres à moindre rendement, c’est que les qualités qui en
proviennent à raison des prix sont plus marchandes quoique moins bonnes.
Maintenant, messieurs, qu’on consulte les registres
des importations de la douane, qu’on visite les magasins de nos raffineurs,
qu’on consulte leurs livres, comme je l’ai fait moi-même à l’improviste sans
qu’ils s’attendissent, et on verra que les sucres à rendements inférieurs sont
les plus nombreux.
D’ailleurs, encore une fois, si le rendement était
pour quelque chose dans les diminutions des recettes du trésor, comment se
ferait-il qu’en 1831 le rendement légal étant le même, le chiffre des recettes
n’a été que de moitié des années antérieures et postérieures ? Comment expliquerait-on
le chiffre des recettes de 1836 qui n’a été que de 186,000 fr., tandis que pour
1837 on a déjà perçu en ce moment 327,000 fr. ?
Eh bien, messieurs, c’est lorsqu’un pareil état des
choses existe, que M. le ministre des finances voudrait obliger nos raffineurs
à exporter 73 p. c. en candis et pains pour pouvoir assurer entièrement leur
débit ; et remarquez-le bien encore une fois, de la manière dont ce rendement
de 75 p. c. se trouve posé dans la loi, il y a impossibilité d’exécution, il y
a impossibilité d’arriver à l’entier apurement. Je vous le demande donc,
n’est-ce pas là renverser tout le système de la loi ; n’est-ce pas vouloir
anéantir nos exportations et avec elles nos importations de sucre en même
temps, par conséquent, qu’enlever à notre marine marchande, à notre agriculture
et à toutes nos industries, les débouchés extérieurs que leur procure le sucre
? N’est-ce pas, en cherchant à percevoir directement des droits que l’on ne
percevra pas puisqu’il n’y aura dès lors plus d’importations de sucre exotique,
vouloir perdre une foule de revenus de toute espèce que la législation actuelle
apporte au trésor ?
N’est-ce pas, de la part du fisc ou du trésor, vouloir
par conséquent se suicider lui-même ? N’est-ce pas enfin vouloir enlever à la
betterave le moyen d’exercer son industrie sur un marché de 25 à 30 millions, à
l’aide du sucre exotique pour la restreindre à un petit marché réduit au tiers
de celui-là ? Et qu’on ne dise pas que tel n’est pas l’effet de la législation
actuelle, car comment se ferait-il que sous l’empire de cette législation la
betterave en est déjà parvenue à produire un chiffre égal à celui de la
consommation ? Croit-on que si elle avait à lutter, sur le marché intérieur,
contre les sucres étrangers de Hollande ou d’Angleterre, extraits de la canne,
et contre les sucre allemands extraits de la betterave, et sans le secours que
lui apporte le sucre exotique, raffiné en Belgique, sous la loi actuelle,
croit-on qu’elle réussirait seulement à s’emparer de 2 ou 3 millions de la
consommation intérieure ? Non, certainement, le rapport de M. Vandal est là
pour vous prouver qu’elle ne pourrait lutter contre le sucre de betteraves
allemand, et le roi Guillaume est là qui attend peut-être avec plus
d’impatience que nos adversaires que la loi soit modifiée dans leur sens, qui
attend ce moment avec la plus vive impatience pour faire déverser, sur notre
marché, des masses de sucre en fraude ; et notez bien, messieurs, que le
ministre a avoué son impuissance pour la combattre.
Le roi Guillaume est là,
dis-je, qui attend avec la plus vive impatience le moment où il pourra ainsi
nous faire une guerre bien autrement ruineuse qu’une guerre de baïonnettes,
parce que d’un seul coup il achèvera, il anéantira notre marine marchande et
notre commerce maritime, déjà si affaiblis depuis la révolution ; à nos
industries et à notre agriculture, il enlèvera une grande partie de leurs
débouchés extérieurs ; il tuera aussi, à leur naissance, nos sucreries de
betteraves, et enfin enlèvera à notre trésor une bonne partie de ses revenus
actuels. Ce sont là des intérêts bien autrement importants que quelque peu de
bois du Grunenwald.
Ainsi, messieurs, d’un côté, du côté du maintien de la
législation actuelle avec quelques modifications sur lesquelles on est
d’accord, protection pour tous, prospérité pour tous, en Belgique ; de l’autre,
rien que des ruines, et des ruines au profit de la Hollande. Choisissez
maintenant !
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je n’ai pas, messieurs, l’intention de rentrer
dans la discussion générale, je veux respecter à cet égard la décision de la
chambre ; mais il y a dans le discours de M. le rapporteur un point
quasi-personnel qu’il m’importe de rectifier à l’instant ; c’est, messieurs, ce
qui concerne le prétendu dissentiment qui existerait entre le ministre de
l’intérieur et le ministre des finances. Si la chambre veut considérer cette
réplique comme discussion générale, je ne m’y oppose pas ; je parlerai alors
sur l’article premier.
FAIT PERSONNEL
M. le président.
- La discussion est ouverte sur l’article premier.
M. Rogier
(pour un fait personnel). - Je regrette beaucoup, messieurs, de devoir prendre
la parole pour un fait personnel ; hier j’ai négligé de répondre à l’honorable
M. Zoude afin d’éviter une question personnelle ; mais il paraît qu’aujourd’hui
l’honorable membre a cru devoir insister sur ses allégations qui manquent tout
à fait de fondement. Il m’a reproché d’avoir attaqué le rapport sur les
houilles que, dit-il, je n’avais pas lu ; quand j’ai parlé de ce rapport,
messieurs, j’ai eu soin d’annoncer que j’en parlais d’après les extraits qui en
avaient été donnés par les journaux non officiels, me plaignant en même temps
de ce que le journal officiel ne l’avait pas encore publié ; j’ai en loin de
dire que « s’il fallait en croire les journaux non officiels, » ce
qui était dit dans le rapport de M. Zoude manquait d’exactitude.
Je suis d’autant plus étonné de ce que M. Zoude a
relevé cette assertion que le rapport publié par le Moniteur confirme en tous points ce qu’avaient dit les journaux non
officiels, et que dès lors mes attaques ne tombaient pas à faux. Je n’ai donc
rien à retirer à ce que j’ai dit du rapport de M. Zoude.
M. Zoude.
- J’ai dit, messieurs, que l’honorable M. Rogier a fait preuve, dans la
circonstance dont il s’agit, d’une légèreté toute particulière, puisqu’il
jugeait mon rapport tout en convenant qu’il ne l’avait pas lu. Je ne
m’occuperai pas en ce moment de prouver que ce rapport mérite ou ne mérite pas
le jugement qu’il en a porté ; son jugement m’est indifférent ; je me borne à
lui dire qu’il a fait preuve d’une grande légèreté en se prononçant sur une
pièce qu’il n’avait pas lue. C’est tout ce que j’ai à lui dire maintenant, et à
l’occasion je lui dirai autre chose.
Discussion des articles
Article premier
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Messieurs, l’honorable M. Desmaisières, que vous
venez d’entendre, a tâché de faire croire que le ministre de l’intérieur serait
en désaccord d’opinion avec le ministre des finances, sur la question qui nous
occupe, et pour le prouver, il vous a donné comme quelque chose de neuf, comme
une opinion manifestée tout récemment par M. le ministre de l’intérieur, une
chose fort ancienne, une opinion manifestée il y a 18 mois et qui a été
consignée dans mon discours à l’appui de la présentation des budgets de 1837,
le 10 novembre 1836. Voici, messieurs, ce que j’avais l’honneur de dire à la
chambre ; c’est textuellement ce que vient de rapporter M. Desmaisières.
Après avoir parlé des différents produits du trésor,
je disais :
« Cependant, messieurs,
un des impôts indirects établi pour être très productif au profit du trésor,
cesse de plus en plus d’alimenter les ressources de l’Etat, et ne profile plus
guère qu’à une de nos industries et à notre commerce maritime. Il s’agit de
l’accise sur les sucres.
« Depuis longtemps, et particulièrement lors de mon entrée au
ministère, l’état de choses qui s’est accompli, depuis, vous a été signalé
comme une conséquence inévitable et prochaine de la législation qui régit cette
branche de revenus. Il a été démontré dans cette enceinte que les proportions
établies dans la loi, pour la restitution des droits d’entrée sur le sucre
brut, lors de sa réexportation en sucre raffiné, étaient vicieuses ; que le
déchet au raffinage, supposé par la loi, était triple du déchet réel, et
qu’enfin ce n’était plus un simple drawback qui était accordé comme l’avait
voulu le législateur, mais une véritable prime d’exportation, prélevée sur le
consommateur indigène et dont le taux s’accroissait à chaque perfectionnement
introduit dans les procédés du raffinage.
« Des considérations graves qui se rattachaient à la fois aux
succès d’une manipulation profitable au pays par les bras et les matières
qu’elle emploie, et aux intérêts de notre navigation et de notre commerce à
l’étranger, avaient engagé le gouvernement à différer de vous présenter des
réformes qu’il croyait juste de faire, mais dont l’opportunité n’était pas
arrivée.
« Ces mêmes considérations subsistent encore aujourd’hui, du moins
telle est l’opinion de mon collègue au département de l’intérieur que j’ai
consulté à cet égard, et qui, par sa position et les avis qu’il peut
recueillir, est plus à même que moi d’apprécier les suites d’un changement de
système. Je dois ajouter que la complication qui va surgir de l’érection de
nombreuses sucreries de betteraves, fait une loi de prudence de n’apporter à
l’état des choses, quelque fâcheux qu’il soit pour le trésor, aucune
modification, avant de connaître à peu près le résultat que doit amener la
production d’un sucre indigène. Nous aurions trop de regrets, messieurs, si,
par des mesures intempestives nous nuisions aux développements d’une conquête
industrielle, qui promet d’être aussi favorable à notre agriculture qu’à notre
commerce et qui peut nous affranchir d’un tribut immense payé jusqu’ici à
l’étranger. »
Il s’agissait alors, messieurs, des fabriques de sucre
de betterave l’on craignait de froisser par des modifications à la loi des
sucres ; or, aujourd’hui cette crainte n’existe plus puisque de tous côtés les
fabricants de sucre de betterave réclament instamment des modifications à la
législation actuelle.
J’entrais ensuite, dans le discours auquel je viens de
me reporter, dans d’autres développements pour démontrer que le produit de
l’accise sur les sucres serait tellement réduit qu’on ne devait pas compter de
recevoir en 1837 plus de 120,000 fr. Mais vous voyez que nul désaccord
n’existait entre M. le ministre de l’intérieur et moi. Eh bien messieurs, que
s’est-il passé depuis 18 mois ? Il a été reconnu par tout le monde que nous ne
devions pas laisser subsister la législation actuelle sur les sucres aussi
improductive pour le trésor, parce que c’est là une matière essentiellement
imposable au profit de l’Etat ; dès lors M. le ministre de l’intérieur, qui a
aussi bien que moi les intérêts du trésor en vue, a dû vouloir, et a voulu
comme moi, que l’impôt sur les sucres produisît quelque chose.
Je viens maintenant demander, messieurs, que cet impôt
participe d’une manière certaine dans les ressources de l’Etat pour un million
; n’est-ce pas là une proposition éminemment modérée et qui renferme tous les
ménagements que M. le ministre de l’intérieur et moi, et comme vous tous,
voulons garder envers l’industrie des raffineurs de sucres exotiques ? En
effet, messieurs, serait-il raisonnable de soutenir qu’en adoptant cette
proposition nous empêcherons les raffineries de sucre de marcher, alors que
nous maintiendrons encore au profit des raffineurs les trois quarts de l’impôt
que nous proposons de laisser peser sur les consommateurs indigènes. Si ces
trois quarts ne suffisent pas, que nos adversaires s’en expliquent franchement,
qu’ils démontrent, s’ils le peuvent, que c’est trop d’un million pour le
trésor, mais qu’ils ne prétendent pas que nous avons agi dans la seule
préoccupation des intérêts du fisc, car s’il y a un reproche à me faire,
messieurs, c’est dans un sens différent ; peut-être ai-je mis de la faiblesse
dans cette affaire ; j’aurais peut-être dû, depuis deux ans, avoir réclamé plus
que je ne demande aujourd’hui ; aussi il me tarde de sortir de l’espèce
d’inaction que peuvent justifier les complications connues de vous tous, mais
dans laquelle je ne veux plus rester, parce que l’intérêt du pays l’exige
impérieusement.
Et cependant, messieurs, on vient de vous dire que j’avais
agi dans cette circonstance avec précipitation, avec irréflexion. De la
précipitation, messieurs ! de l’irréflexion ! Et c’est M. Desmaisières qui m’en
accuse ! et c’est quand la question, plusieurs fois ajournée, et vous savez
pourquoi, a été vivement agitée depuis deux ans à chaque discussion de
finances, que l’on m’accuse de précipitation ! C’est plutôt de longanimité, de
faiblesse qu’on devrait m’accuser, car j’aurais dû peut-être, depuis longtemps,
réclamer ce que je demande aujourd’hui.
Je ne rencontrerai pas, messieurs, puisque la
discussion générale est close, toutes les objections de discussion générale
avancées par M. le rapporteur. Je relèverai toutefois ce qu’il a dit du moyen
de laisser, en opérant des réductions dans les dépenses de l’Etat, subsister la
législation actuelle sur les sucres, législation par suite de laquelle le
trésor ne reçoit presque rien ; je voudrais bien que celui qui donne ce conseil
indiquât quelles dépenses nous faisons inutilement, quelles dépenses figurent à
nos budgets et qui ne sont pas indispensables ; qu’il nous indique ces
dépenses, et nous nous empresserons de les supprimer ; mais nous osons lui en
porter le défi, car toutes les dépenses sont calculées avec la plus grande
économie, et sous ce rapport encore, s’il y a des reproches à nous adresser,
c’est de consentir trop facilement peut-être à restreindre parfois des dépenses
fort urgentes.
M. le rapporteur vient de dire que sans doute nous
voulions agir à l’égard des raffineries comme à l’égard des distilleries, que
nous avons, selon lui, anéanties par la loi que nous vous avons présentée tout
à coup relativement à cette industrie.
Eh bien, je ne crains pas de dire, messieurs, que la
loi sur les distilleries ne va pas assez loin, et je suis convaincu que la majorité
de la chambre sera d’accord avec nous pour prendre à cet égard des mesures plus
énergiques, plus efficaces, dans le double intérêt du trésor et de la morale
publique. (Marques nombreuses
d’assentiment.)
M. Desmaisières a encore beaucoup parlé du rendement
des sucres bruts, et il a invoqué à ce sujet les tableaux déjà cités, dont, je
ne sais pourquoi, il prétend que nous aurions contesté l’exactitude. Ces
tableaux qu’on nous oppose, nous voulons bien, messieurs, les admettre comme
exacts ; cependant ils n’ont pas été dressés par des agents de l’administration
; ils ont été formés par des raffineurs, mais par des hommes de bonne foi ; eh
bien, messieurs, nous trouvons dans ces tableaux des preuves manifestes contre
le système de nos adversaires : car vous, M. Desmaisières, qui avez voulu
établir indistinctement des moyennes sur toutes les qualités de sucres qui sont
indiquées dans ces tableaux, vous perdez de vue que les quantités importées et
exportées, les plus considérables, sont précisément dans les qualités telles
que celles de Cuba, qui produisent le plus au rendement. Voilà ce à quoi vous
n’avez pas fait attention.
Une voix. - Ce n’est pas
là de la discussion.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Comment ! ce n’est pas discuter que de combattre
les chiffres qui viennent d’être présentés ; mais alors je ne sais plus ce que
c’est qu’une discussion.
Je mets peut-être trop de chaleur dans mes paroles,
messieurs ; mais il n’est guère possible de défendre avec conviction une cause
qui intéresse le pays, et de rester froid.
On nous dit que le roi Guillaume attend probablement
avec impatience les modifications que nous voudrions introduire dans notre
législation sur les sucres, et qu’il en profiterait pour nous enlever, selon M.
le rapporteur, le peu de grand commerce que nous avons encore. Je crois aussi
que le roi Guillaume attend les modifications dont il s’agit, mais dans un tout
autre but que celui qu’on allègue, pour s’empresser de modifier également la
législation hollandaise sur le même objet ; et déjà, messieurs, ces
modifications sont arrêtées en principe : il est reconnu en Hollande comme en
Belgique que la législation sur les sucres est intolérable. Nous sommes, sous
ce rapport, l’Angleterre, la Hollande et nous, dans une fausse position dont
aucun n’aime de sortir avant l’autre ; mais enfin, obligés impérieusement de
commencer, notre exemple sera, selon toute apparence, suivi de près par les
deux autres pays et surtout par la Hollande, qui éprouve un aussi grand besoin
que nous de tous ses revenus.
Messieurs, j’aborde maintenant tout spécialement
l’article premier du projet de loi en discussion.
M. le président.
- Je demande à faire une observation à la chambre. Il me semble qu’on pourrait
mettre à la fois en discussion l’article premier et l’article 2, sauf ensuite à
statuer sur les questions que pourraient présenter ces deux articles. M. le
ministre des finances propose qu’une partie du droit soit définitivement
acquise au trésor de l’Etat ; ainsi voilà une question que présente le projet
de M. le ministre des finances. MM. Lardinois et Dumortier, sans changer en
rien les principes de la législation actuelle, sauf ce qui concerne la
restitution, proposent d’augmenter le chiffre sur lequel la restitution a lieu,
c’est-à-dire de diminuer la présomption légale actuelle du déchet. La
commission propose une légère majoration de droit, et fixe le droit de
restitution à peu près au taux où il est aujourd’hui. Ainsi, l’on pourrait
ouvrir la discussion sur les deux questions suivantes :
Y aura-t-il une partie du droit définitivement acquise
au trésor ?
Diminuera-t-on la présomption légale du déchet, telle
qu’elle est admise actuellement ?
Au reste, M. le ministre des finances pourra
s’expliquer sur mon observation.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - M. le président vient de me dispenser d’indiquer
les différences qui existent entre les diverses propositions. Je n’ai donc plus
qu’à les examiner, et d’abord si les modifications que propose la commission
pourraient être de nature à nous faire atteindre le but que nous avons en vue,
c’est-à-dire d’assurer au trésor une perception plus forte que celle qu’il
obtient aujourd’hui.
Je pense, messieurs, que le projet de la commission va
en sens inverse de ce but, et que si vous l’adoptiez, le trésor ne percevrait
plus rien. Un autre effet de ce projet, c’est qu’il imposerait le consommateur
de trois francs de plus par 100 kilog.
En effet, la commission demande que le droit d’importation
sur le sucre brut soit porté de 37 à 40 fr., et en même temps elle demande que
la restitution à la sortie soit opérée à une très petite différence près,
suivant le rendement actuel. Il en résultera évidemment que stimulant bien
davantage ainsi, par des bénéfices plus grands, l’exportation du sucre, les
raffineurs en exporteront précisément jusqu’à concurrence de l’absorption
complète du droit. Je crois qu’il n’est pas nécessaire de démontrer une chose
aussi évidente.
Passant maintenant aux amendements des honorables MM.
Dumortier et Lardinois, je dirai que ces amendements amélioreraient un peu
l’état actuel des choses, mais qu’ils ne garantiraient nullement que nous
percevrions quelque chose de plus en 1838 ; car, d’après l’amendement de M. Lardinois
surtout, il reste encore un avantage notable pour les raffineurs qui exploitent
le sucre, et si les exportations s’augmentaient, on arriverait encore pour le
trésor au même résultat à peu près négatif d’aujourd’hui, c’est-à-dire, qu’on
observerait à peu près complétement les prises en charge par le drawback.
Mon amendement, au contraire, consacre quelque chose
de positif, de certain ; il assure au trésor la perception d’un quart du droit
sur les sucres pris en charge. On a dit que ce quart produirait beaucoup
au-delà d’un million : je ne le pense pas ; cependant si, par la discussion qui
va s’établir sur ce point, l’on parvient à me prouver d’une manière
péremptoire, et je ne crois pas qu’on y parvienne, que mon amendement doit
produire plus d’un million, j’adopterai volontiers une réduction jusqu’au
montant du droit que je réclame.
Je pense, messieurs, que ma proposition est tellement
précise, tellement modérée, qu’elle doit obtenir l’assentiment général de cette
assemblée.
M. Metz. -
Messieurs, je sais qu’il y a quelque chose de très positif dans l’amendement
qui a été proposé par le ministre des finances ; mais si je reconnais que
l’article soit très positif, je ne suis pas aussi certain que la proposition
soit aussi juste.
Je crois, messieurs, qu’il convient non seulement de
mettre en discussion les articles 1 et 2, mais d’y joindre les amendements de
MM. Lardinois et Dumortier. Je pense que la première question que nous devons
agiter sera celle de savoir si le rendement actuel sera maintenu ou majoré ;
car je voterai peut-être pour l’article 2, si l’article premier est adopté,
tandis que je voterais certainement contre l’article 2, si l’article premier
était rejeté.
Je m’explique d’une manière
plus claire. L’article premier inflige déjà, s’il est adopté, une perte très
grave aux raffineurs, et la raison en est sensible. Je regarde la loi qui nous
régit actuellement comme très vicieuse ; mais enfin c’est sous l’empire de
cette loi que nos raffineurs ont importé leurs sucres. Il faut que nous
prenions aujourd’hui notre part dans les pertes que nous causerions nous-mêmes
aux raffineurs. C’est un état de choses que notre législation a introduit, nous
devons donc aussi en subir les conséquences ; et comme je le disais tout à l’heure,
il n’est nullement certain qu’il soit juste d’accueillir aujourd’hui
l’amendement de M. le ministre des finances qui frappe d’un droit d’un quart
les importations que les raffineurs ont faites dans la prévision de pouvoir
faire leurs exportations sous le rendement de 55 p. c.
Je pense, messieurs, que ces observations suffiront
pour vous faire adopter le mode de discussion que j’ai indiqué.
M. Verdussen. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, je pense que pour simplifier la discussion,
il faudrait se borner pour le moment à déterminer le taux de l’impôt qu’on
établira. Cette question n’est pas intimement liée à celle de la restitution ;
si nous procédons autrement que je ne l’indique, si nous discutons toutes les
questions à la fois, la discussion va s’embrouiller, la confusion se mettra
dans les esprits, et il nous sera difficile d’arriver à une solution.
Occupons-nous donc d’abord de la question de l’impôt.
M. Metz.
- Messieurs, je ne pense pas que l’ordre de discussion que propose M. Verdussen
puisse être accueilli ; car le ministre vous a dit qu’en augmentant les droits
à l’entrée sur les sucres bruts, en en maintenant le même rendement pour la
décharge, on placera les raffineurs dans une position tout aussi avantageuse
que celle où ils se trouvent aujourd’hui. Or, c’est ce que nous voulons
prévenir, puisque le projet de loi qui nous occupe a pour but de ramener les
bénéfices de cette industrie à des limites raisonnables. La suite de la
discussion vous fera voir l’indispensable nécessité de voter en premier lieu
sur la question de savoir si la présomption du rendement de 55 p. c. sera
maintenue, ou bien s’il sera élevé à 70, comme le propose l’honorable M. Lardinois.
M. Rogier.
- Messieurs, je pense avec l’honorable M. Verdussen qu’il y aurait confusion
dans la discussion, si l’on discutait à la fois l’article premier du projet de
M. le ministre des finances et l’article 2 du projet de la commission, auquel
se rattachent les amendements de MM. Dumortier et Lardinois. L’article premier
du ministre des finances et l’article 2 de la commission consacrent deux
systèmes tout différents qui peuvent ne pas être inconciliables, mais qui sont de
nature à être discutés et votés séparément.
Par l’article premier, M. le ministre des finances
demande pour le fisc un droit dont la perception sera certaine, quel que soit
d’ailleurs le taux du rendement que vous fixerez ultérieurement. Voilà une
question que la chambre doit d’abord résoudre, indépendamment de la décision
qu’elle aura à prendre sur le taux du rendement.
Quant à ce second point, l’opinion de M. le ministre
des finances, basée sur l’expérience, doit le rendre d’une facile solution,
puisqu’il a dit que toucher au rendement ce ne serait pas un moyen d’assurer au
trésor le droit dont on veut lui garantir la perception.
Je pense que la chambre
pourrait arriver à s’entendre sur l’article premier de M. le ministre des
finances ; la discussion sur le rendement, qui viendrait ensuite, perdrait
ainsi de son importance, si par l’article premier on assurait au trésor le
million dont M. le ministre des finances a annoncé qu’il se contenterait. Je ne
pense pas qu’aucun membre voulût aller au-delà de ce que veut M. le ministre
des finances ; dans tous les cas il y aurait place pour des amendements si on
veut en présenter.
Mais du moment que le fisc serait assuré de percevoir
sur la prise en charge, non les 25 p.c. dont a parlé M. le ministre des
finances, mais un tantième moindre, qui pût assurer la perception du million
qu’on désire obtenir, je dis que la discussion aurait fait un grand pas.
Je demande donc que la proposition du gouvernement
soit discutée en premier lieu.
M. Berger. - Je ne pense pas qu’on puisse comprendre dans une même discussion les
articles 1 et 2.
L’article premier auquel se rattachent les amendements
de MM. Lardinois et Dumortier, s’attache au principe du rendement, tandis que
l’article 2 est relatif au chiffre de l’impôt, car cet article fixe la décharge
; or, la décharge est fixée en rapport avec l’impôt. Par conséquent si vous
adoptez l’article 2 tel qu’il est proposé par le gouvernement, vous adoptez
implicitement le chiffre de l’impôt tel qu’il existe actuellement. Or, comme la
commission a proposé une augmentation au chiffre de l’impôt, je voudrais que la
chambre statuât sur le rendement avant d’aborder la question du chiffre de
l’impôt. En effet on a signalé l’inconvénient qu’il y aurait si vous voulez
maintenir le rendement tel qu’il existe ; au lieu d’avoir une majoration
peut-être aurez-vous une diminution, car peut-être les raffineurs de sucre, au
lieu de mettre dans leur poche 37 fr., y mettront-ils 40 fr. Ce serait aggraver
les abus. Mais une fois que vous aurez reconnu qu’il faut maintenir le
rendement, une fois que vous aurez assuré au trésor une partie de l’impôt
absorbé par les raffineurs de sucre, vous concevez que la question de la
majoration de l’impôt change tout à fait. Je puis ne pas vouloir changer le
chiffre de l’impôt si je sais qu’il y aura toujours perte pour le trésor, mais
je puis le majorer une fois que le trésor sera assumé de la perception.
Je crois donc qu’il faut d’abord mettre en discussion
l’article premier proposé par M. le ministre des finances ; les questions de
majoration du rendement résultant des amendements de MM. Lardinois et Dumortier
s’y rattachent naturellement. Une fois que ces questions seront épuisées, nous
discuterons le chiffre de l’impôt ; nous déciderons s’il y a lieu de le
maintenir ou de le majorer.
M. Metz.
- Je crois qu’il y a un peu de finesse de la part de ceux qui défendent les
intérêts des raffineurs de sucre exotique à vouloir nous faire voter d’abord
l’article premier ; ils préfèrent sacrifier une partie, supporter la prise en
charge d’une partie de ce qu’ils ont en entrepôt, plutôt que d’être exposés à
voir majorer le chiffre de l’impôt. Il faut se méfier de cela.
Je puis poser la question tout simplement. Nous
prétendons que le rendement, tel qu’il existe, consacre une injustice criante.
Nous le prétendons, nous chercherons à le prouver. C’est là l’article 2. Mais,
à mes yeux, l’article premier consacre également une injustice. Je dois
déclarer que je ne voterai pas pour l’article premier qui soumet les raffineurs
à la prise en charge d’un quart des sucres qu’ils ont importés sous la foi de
la législation actuelle, qui leur permet d’exporter au rendement de 55 fr.
Adopter l’article premier, ce serait donner à la loi un effet rétroactif ; ce
qui serait injuste ; d’autres l’établiront sans doute mieux que moi.
Mais l’article 2 consacre également, comme je l’ai
dit, une injustice. Voilà deux injustices entre lesquelles je dois pouvoir
opter ; si donc on vote en premier lieu sur l’article premier, je voterai pour
cet article dans la crainte que la chambre, en votant l’article 2, ne consacrât
l’injustice dont nous nous plaignons actuellement.
Je crois donc qu’il faut d’abord résoudre la question
du taux du rendement ; peut-être quand nous aurons décidé cette question,
serons-nous tous d’accord pour ne pas voter l’article premier.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Je dois dire que, dans l’esprit de ma proposition,
il est entendu qu’il ne sera fait pour le moment aucun changement au rendement,
ni au droit d’accise. Il faut considérer la disposition que j’ai proposée comme
un moyen transitoire, en attendant (ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire au
début de la discussion) que le gouvernement présente un projet de loi complet,
c’est-à-dire qui comprenne le sucre exotique et le sucre indigène.
Un de mes motifs, c’est que nous serons dispensés
d’aborder la question du rendement sur laquelle il est difficile de s’entendre
à présent, vu la complication non encore assez éclairée, résultant de
l’établissement des sucreries de betterave.
Je crois donc
avec l’honorable M. Rogier qu’il conviendrait de décider d’abord si l’on
percevra d’une manière certaine une quotité quelconque du droit résultant de la
prise en charge.
La solution de cette question ne sera du reste pas
obstative à la discussion ultérieure de celle du rendement, si, contrairement à
la pensée qui a présidé à la rédaction de mon projet, des membres de cette
assemblée voulaient changer la décharge d’exportation.
- La chambre consultée accorde la priorité à la
question que présente l’amendement présenté par M. le ministre des finances à
l’article premier.
M. le président.
- M. Metz a la parole.
M. Metz. - C’est sur
l’article 2 que je voulais prendre la parole, parce que c’est sur le rendement
que je veux parler.
M. Pirmez.
- La chambre a toujours permis de faire des réponses à ce qui a été dit dans la
discussion générale, quand les orateurs qui demandent à être entendus n’ont
parlé qu’une fois. Il m’est impossible de parler sans rentrer dans la
discussion générale. Ceux qui parleront sur l’article premier et l’article 2 y
rentreront plus que moi. Au reste, si on trouve que je m’enfonce trop dans des
généralités, la chambre sera toujours libre de m’arrêter.
Je dois répondre à plusieurs objections que je puis
considérer comme des faits personnels.
J’ai démontré à l’évidence et par des faits posés par
nos adversaires, sans avoir entendu l’ombre d’une réponse à ma démonstration,
que le consommateur belge est imposé de 0,1720 par kilog. Lorsque l’on prouve
avec les faits qu’on avance soi-même, on ne prouve rien ; mais quand on prouve
en prenant les faits posés par des adversaires, la preuve est incontestable.
C’est ainsi que je crois avoir prouvé mes assertions, et je n’ai pas entendu
qu’on y ait fait l’ombre d’une réponse.
M. Verdussen a semblé en faire une. Il a dit que les
faits sur lesquels je me suis appuyé n’étaient que des hypothèses posées par
les fabricants de Gand ; et il a lu un passage de la pétition de ces
raffineurs. Mais l’honorable membre n’a pas lu la deuxième pétition des
raffineurs de Gand, dans laquelle ils confirment ce qu’ils ont dit dans la
première. Je vais donner lecture de ce passage que l’honorable membre n’a pas
lu.
« Du reste, messieurs, quelle est la vérité que nos
adversaires prétendent que nous ne dirons jamais ? Le chiffre du rendement
n’est-ce pas ? Qu’ils relisent notre première pétition du 5 janvier dernier,
ils y verront que nous avons pris pour base de notre calcul, celui adopté par
la législation française, et nous prouverons quand on le voudra qu’il est
au-dessus de celui régulièrement obtenu avec des sucres même très riches. Quoi
qu’il en soit, c’est en partant de ce chiffre que nous avons démontré que le
consommateur ne nous payait l’excédant de rendement en sucre en pains, lumps,
candi, sucre en poudre, et sirop, qu’à des prix où l’impôt ne figurait que pour
peu de chose. »
L’honorable rapporteur de la commission m’a présenté
dans le discours qu’il vient de prononcer comme un défenseur des sucreries de
betterave. Je n’ai jamais donné par mes paroles le droit de me regarder comme
le défenseur des sucreries de betterave. J’ai défendu les intérêts des
consommateurs et les intérêts du fisc. En vous entretenant dernièrement, il est
un point que je n’ai pour ainsi dire pas osé toucher, c’est celui de la
navigation, à cause du respect infini que l’on professe pour la navigation. Il
paraît que quand on prononce ce mot, tout le monde doit s’incliner.
Par respect pour ce que nous avons fait dernièrement
pour la navigation, je n’aurais en quelque sorte pas osé aborder cette question
; mais hier l’honorable M. Mercier a démontré tout ce qu’il y avait d’exagéré
dans l’influence que l’on attribue aux sucres sur la navigation. Il a démontré
que les prétentions du sucre exotique, par rapport à la navigation, sont aussi
exagérées que toutes les autres.
Ceux qui ont remarqué la manière dont je me suis
conduit dans toutes les questions industrielles, savent si je me suis montré
ennemi du commerce extérieur, si, dans toute circonstance, je n’ai pas toujours
appuyé le commerce extérieur. Je conjure la chambre en masse, et chacun des
membres individuellement, de dire s’ils peuvent me reprocher d’avoir, dans
aucune circonstance, voulu entraver le commerce extérieur. Mais il y a un
prestige auquel je ne me soumets pas. Ce prestige, c’est celui du mot
navigation.
Il est certain qu’en adoptant la proposition de M. le
ministre des finances, ou celle de M. Lardinois, ou une proposition quelconque
qui diminuera le rendement des sucres, vous diminuerez l’introduction et
l’exportation des sucres, et par conséquent vous diminuerez, non pas dans une
proportion aussi grande qu’on le prétend, mais dans une certaine proportion, le
nombre des navires qui entrent dans nos ports et en sortent. Le mouvement des
ports sera moindre que si vous mainteniez la loi actuelle, parce qu’il arrivera
moins de sucres.
Et ce résultat, comme on l’a présenté comme un grand
malheur, je crois devoir dire que je ne trouve pas que ce soit un mal.
La navigation n’est pas un but ; la navigation est un
moyen. Le but que nous nous proposons dans nos lois économiques, c’est
d’enrichir le pays. Voilà le but que nous cherchons. Il est vrai que la
navigation a souvent pour résultat d’enrichir le pays. Mais il n’est pas vrai
qu’elle ait toujours ce résultat. Il n’est pas vrai que plus il y aura de
vaisseaux qui entreront dans nos ports et qui en sortiront, plus le pays
s’enrichira. Il est au contraire possible que le pays s’appauvrisse par
l’entrée et la sortie d’un grand nombre de vaisseaux. Cela dépend des causes
qui les font entrer et sortir.
Il vous sera toujours libre de faire qu’un grand
nombre de vaisseaux entrent et sortent de nos ports ; il n’y a qu’à employer
pour d’autres produits le système établi par la loi sur les sucres, vous
obtiendrez ce résultat.
Il faut pour cela aller acheter des denrées fort cher
et les revendre à bon marché, c’est ce que l’on fait au moyen de la loi sur les
sucres.
La Belgique va acheter le sucre cher et elle le revend
à meilleur marché. Voilà la cause pour laquelle le sucre donne un grand
mouvement à la navigation ; ce mouvement vous pouvez l’opérer avec toutes les
denrées.
Quand je dis acheter cher, je veux dire vendre à
meilleur marché qu’on n’achète. Voilà mon idée.
Ainsi si vous appliquez le système adopté pour le
sucre à toutes les autres denrées, si vous les vendez à meilleur marché que
vous ne les achetez, vous aurez un plus grand mouvement de navigation que
maintenant. Vous aurez plus de vaisseaux qui entreront et qui sortiront, mais
aussi, plus vous vous appauvrirez. Voilà donc à quoi se réduit ce grand
mouvement de navigation dont on fait tant de bruit.
Vous pourriez appliquer le système de la loi sur les
sucres à un objet d’un plus grand poids, par rapport à sa valeur, pour obtenir
un plus grand mouvement de navigation ; je veux parler des céréales. Etablissez
un droit d’accises sur les céréales, faites-les venir dans le pays pour les (Erratum inséré au Moniteur belge n°356, du
22 décembre 1837 :) moudre par les machines à vapeur, établissez une
restitution de droit plus considérable que le droit d’accises payé à l’entrée,
vous aurez un mouvement considérable d’entrées et de sorties ; mais vous vous
appauvrirez considérablement. Par conséquent, la navigation n’enrichit pas
toujours. Elle n’enrichit pas par le sucre, elle enrichirait encore moins si on
procédait de cette manière pour les céréales. Je voulais vous montrer que la
navigation est une opération commerciale comme une autre, qu’elle peut
enrichir, mais qu’elle peut aussi appauvrir.
M. le président. - Voici un amendement qui vient d’être déposé par M.
Liedts :
« Les reliquats de comptes ouverts et les comptes
à ouvrir pour droit sur le sucre ne pourront être apurés par décharge à
l’exportation au-dessous de dix pour cent des prises en charge, résultant,
etc., etc. »
M. Liedts.
- Messieurs, je ne serai pas long quoiqu’il me soit impossible de ne pas
rentrer dans la discussion générale en traitant la question relative à mon
amendement.
Lorsque j’ai vu que l’amendement de M. le ministre des
finances alarmait le commerce d’Anvers plus encore que les raffineurs, j’ai dû
en conclure qu’il y avait ici en jeu autre chose que l’avenir des raffineurs de
sucre. Quand la révolution éclata, rappelez-vous les craintes manifestées par
le commerce : vous parviendrez, nous disait-on, à constituer la Belgique en Etat
indépendant, mais vous ne réussirez pas la faire vivre commercialement, vous ne
parviendrez pas à lui rendre la splendeur qu’elle avait acquise par sa réunion
avec la Hollande et qu’elle a perdue en s’en séparant. Ces craintes me parurent
confirmées lorsque je vis nos flottes entrer dans les ports de notre ennemie :
ce fut un jour de deuil que celui où l’on vit la plus belle flotte marchande
qu’ait jamais eue la Belgique, quitter nos ports, répudier notre pavillon, et
solliciter du roi de Hollande la faveur de prendre celui de la Hollande.
Cependant les sinistres prévisions du commerce ne se réalisèrent qu’en partie ;
par le sucre et par le sucre seul, on était parvenu depuis cinq ans à ranimer
un peu le port d’Anvers, et à établir une espèce de lutte, corps à corps, avec
les Hollandais, pour savoir à qui resterait ce dernier débris de notre commerce
maritime.
La législation sur les sucres est la même en Hollande
qu’en Belgique ; cette législation impose des sacrifices aux deux pays ; mais
elle en impose de plus durs aux Hollandais qu’aux Belges, et cependant nos
voisins persistent ; ils aiment mieux succomber sous le poids de leur dette que
d’abandonner à la Belgique le monopole du sucre sur les marchés étrangers. On a
beau dire que la Hollande changera sa législation quand nous aurons changé la
nôtre ; elle ne le fera certainement pas ; tout au rebours, elle se maintiendra
dans la même situation.
Voulez-vous seconder les efforts toujours croissants
du commerce, continuez aussi la législation sur les sucres.
La Hollande qui n’en peut plus sera forcée de changer,
et nos ports se ranimeront ; tandis que si c’est nous qui changeons, elle en
profitera pour toutes les branches de son industrie.
On a eu raison de dire que la navigation est un moyen
et non un but : mais que m’importe qu’elle soit l’un ou l’autre ? Ce qui
m’importe c’est que je fasse des bénéfices plus grands que les sacrifices que
je m’impose.
Que demande le ministre des finances ? Il demande au
budget que les sucres rapportent 800,000 fr. ; si donc l’amendement que j’ai
déposé rapporte au moins cette somme, il doit avoir l’assentiment de la chambre
et du ministre lui-même.
Les sucres bruts à l’entrée forment une quantité de 20
à 22 millions de kilogr. ; ce qui, à raison de 37 fr., donne un total de plus
de huit millions ; or, le dixième de cette somme est égal à 814,000 f r
Voilà donc 814,000 fr. que j’assure au trésor. Mais
outre cette somme nous aurons aussi les droits de douanes, lesquels ne sont pas
à dédaigner, puisqu’ils montent, selon M. Mercier, à 198,000 francs. Le droit
de tonnage est de 50,000 fr. Tout ceci forme, sans parler du droit de patente,
un ensemble de plus de 250,000 fr., qu’il faut ajouter aux 814,000 fr. Ainsi,
voilà plus d’un million assuré au fisc.
Il est vrai que je prends pour base l’entrée de 20 ou
22 millions de kilog. de sucre brut ; mais je crois pouvoir partir avec
assurance de cette base, puisque, par mon amendement, nos raffineries seront en
état de lutter sans désavantage sur les marchés étrangers.
L’amendement du ministre des finances aurait-il cet
effet ? C’est déjà avec grande peine que maintenant nos raffineurs soutiennent
la concurrence avec les Hollandais sur les marchés étrangers, parce que la
Hollande accorde une faveur à ses raffineurs que nous n’accordons pas.
Si donc vous frappez nos raffineries d’un surcroît de
charge, il est évident que nous ne pourrons plus soutenir la concurrence. Dès
lors, au lieu d’une entrée de 20 ou 22 millions de sucre brut, il n’en viendra
plus que pour notre consommation intérieure.
Le ministre des finances paraît l’avoir pressenti, car
il ne part que d’une base de 13 à 14 millions ; ainsi il semble prévoir que son
amendement diminuera l’importation du sucre brut. Cette diminution sera en
effet infaillible.
Je n’en dirai pas davantage pour le moment pour
appuyer mon amendement.
Quant à la considération qu’a
fait valoir M. Mercier, que la plupart des navires partent en lest, je trouve
cet argument bien bizarre ; car si nos navires partent en lest, il faut faire
tous nos efforts pour mettre le commerce a même de faire que le nombre de
navires qui partent ainsi diminue de jour en jour.
L’honorable M. de Foere nous a fait voir que par suite
de la législation actuelle sur les sucres, l’inconvénient signalé par M.
Mercier décroissait progressivement.
Il est évident que l’amendement du ministre des
finances aurait pour conséquence de faire partir tous les navires en lest.
Je repousse donc cet amendement comme devant avoir
l’influence la plus funeste sur le commerce maritime.
M. Verdussen.
- Messieurs, je me propose de vous entretenir de l’article premier du nouveau
projet présenté par M. le ministre des finances, et je me suis préparé par
quelques notes pour traiter la question que cet article renferme. Je ne pourrai
comprendre, dans mon examen, l’amendement de M. Liedts ; mais cette proposition
trouvera place dans la suite de la discussion.
Je regrette que l’amendement du ministre des finances
n’ait pas été envoyé à la commission spéciale ; je crois qu’il en serait
résulté beaucoup de clarté. La question est très compliquée quoiqu’elle se
présente bien simplement. .
D’abord, je dirai que l’article premier, tel qu’il est
conçu par le ministre, comprend non seulement l’avenir, mais comprend encore le
passé. En effet, voici comment la première partie de cet article est conçue «
Les reliquats de comptes ouverts et les comptes à ouvrir.... » Les reliquats de
comptes ouverts ; mais c’est là une véritable rétroactivité. Les comptes
ouverts jusqu’au 31 décembre qui n’auront pas été entièrement apurés ont été
ouverts sur la foi de la loi existante. Quand les déclarations ont été faites,
les raffineurs ont vendu en se reposant sur la législation et sur la foi donnée
par elle. La rétroactivité, messieurs, si elle est dans les limites du pouvoir
législatif, n’en est pas moins un manque de bonne foi, une injustice, une
iniquité !
Je pense, en parlant aux représentants d’une nation
aussi loyale que la nation belge, que jamais un pareil principe ne sera admis.
Je viens à la seconde partie de l’article.
Le ministre des finances propose de ne plus admettre
la décharge d’exportation que jusqu’à concurrence des trois quarts pour toutes
les prises en charge ; il force, par conséquent, la Belgique à consommer une
certaine quantité de sucre, et cette quantité de sucre, dont la consommation
est imposée à la Belgique, dépend de la quantité de sucre brut prise en charge
; dès lors vous concevez qu’il existe une liaison intime entre la consommation
possible et l’introduction possible des sucres bruts ; car si la consommation
possible de la Belgique est renfermée dans de certaines limites que la nature
des choses ne peut dépasser, il est certain aussi que la production des sucres
bruts doit rester dans les mêmes limites,
Jusqu’ici la décharge totale de l’impôt était opérée
par l’exportation de 55 et demi kilogr. de sucre raffiné des qualités
supérieures ; donc, pour la réduction de la décharge aux trois quarts, il ne
sera plus possible d’exporter que 41 et demi kilog. par 100 kilog. de sucre
brut introduit.
Messieurs, jusqu’ici la décharge totale de l’impôt
d’accise sur le quintal de sucre brut était opérée par l’exportation de 55 1/2
kil. de sucre raffiné de qualité supérieure ; donc, par la réduction du total
aux trois quarts, il ne sera plus possible désormais d’exporter que 41 1/2 p.
c. du poids introduit, et le surplus du quintal, après défalcation de kil. pour
déchet, devra être consommé dans le pays, c’est-à-dire 55 1/2 p. c.
La mesure proposée aura par conséquent pour premier
effet de limiter l’importation ou le commerce du sucre brut à un chiffre donné,
qui ne pourra être dépassé sous peine d’encombrement.
La consommation de sucre raffiné exotique a été
évaluée pour la Belgique à 10 millions ; mais le sucre de betterave viendra
nécessairement réduire ce chiffre en 1838 et plus encore dans les années
suivantes. Pour ne pas exagérer cette influence du sucre indigène, je
supposerai qu’en 1838 il sera encore consommé en Belgique 8,560,000 kil. de
sucre raffiné exotique de toutes les qualités, mélasse comprise, et dans cette
supposition l’importation du sucre brut se trouvera déjà limitée à 16 millions
; différence en moins de 6 millions sur l’importation moyenne des années 1834,
1835 et 1836.
Si plus tard le sucre indigène parvient à fournir à la
consommation intérieure jusqu’à 4,650,000 kil., ou environ la moitié des
besoins du pays, alors l’importation annuelle du sucre brut du canne ne pourra
plus être que de dix millions de kil,
Un pareil résultat est désastreux pour le commerce des
sucres, et surtout pour l’exportation des sucres raffinés qui donne tant de vie
à nos usines.
Ici, messieurs, je citerai des chiffres que vous
connaissez déjà peut-être ; ils sont indiqués dans les tableaux annexés au
rapport de l’honorable M. Desmaisières :
En 1835, l’exportation a été de 10,680,000 kil. ; en
1836, elle s’est élevée à 12,750,000 kil. ; et en 1838 elle ne serait que
de 4,150,000 kil.
Je passe à une autre
considération ; lorsque l’importation des sucres bruts destinés au raffinage
s’élevait à 22 millions de kilog., cela fournissait à la consommation du pays
plus de 4 millions de kilogr. de sirop commun ; car, comme on sait, il
s’exporte très peu de mélasse. Cette quantité énorme n’était pourtant pas à
charge au pays ; au contraire, le prix de cet aliment du peuple prouve qu’il
pourrait encore en consommer davantage ; il est donc certain qu’il y aura
disette dès que le raffinage sera diminué de plus de la moitié de son
importance actuelle, car le sirop qui provient du raffinage du sucre indigène,
ne peut pas remplacer celui du sucre de canne ; son goût est détestable
jusqu’au point que nos détaillants préfèrent de donner un prix très élevé pour
le sirop de sucre exotique, lorsqu’on leur garantit qu’il n’est mêlé d’aucun
produit de la betterave.
Un autre résultat de la mesure proposée par M. le
ministre des finances sera donc de faire renchérir démesurément la mélasse au
détriment du bas peuple.
Je bornerai là mes observations.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - M. Verdussen vous engage, messieurs, à repousser
avec indignation l’article premier du projet que j’ai eu l’honneur de vous
présenter, et moi je repousse l’indignation de M. Verdussen avec d’autant plus
de raison qu’elle retomberait sur la
chambre elle-même, qui dans d’autres circonstances a adopté des mesures
absolument semblables, absolument identiques à celles dont il s’agit : non
seulement la législature belge a adopté des mesures analogues, mais encore les
législatures qui l’ont précédée ; et pour ne citer à cet égard que des lois qui
se rapportent aux finances, je pourrais renvoyer l’honorable membre à l’article
trois de la loi générale de 1822 et à l’article 4 de la loi de 1836 sur le
transit ; il verrait là qu’on n’a pas sans doute considéré comme une injustice
d’astreindre de suite à un nouveau régime des marchandises qui se trouvent dans
le pays, parce que si le droit augmente sur ces marchandises, ce sont les
consommateurs qui paient l’augmentation. Il ne s’agit donc pas ici de
s’apitoyer sur le sort des industriels, qui sauront toujours se faire
rembourser par les consommateurs ce qu’ils devront payer au trésor.
On propose maintenant, messieurs, de percevoir un
dixième de l’impôt, et l’on voudrait d’un autre côté ne pas assujettir même à
ce dixième les sucres qui sont en ce moment entre les mains des raffineurs. Une
mesure semblable serait complétement illusoire et, pour ma part, je préférerais
rester dans l’état actuel des choses, afin de me servir plus tard des vices
entiers de cet état des choses pour obtenir une mesure plus complète. Je ne
veux pas du tout, messieurs, de ce dixième, qui serait ainsi appliqué à un
million ou deux de kil. de sucre brut ; il faut des ressources à l’Etat ; il
faut un million comme le gouvernement le demande, et comme je pense que
l’immense majorité de la chambre l’accordera ; peut-être même trouvera-t-elle
que nous sommes beaucoup trop modérés, que nous ne demandons pas assez.
On prétend, messieurs, que les mesures que nous
proposons auront, selon nos propres aveux, pour résultat de diminuer
l’importation du sucre exotique ; cela n’est pas exact. Nous avons dit que
cette importation devait nécessairement diminuer par suite de l’extension que
prennent les sucreries de betterave, quand bien même on maintiendrait tous les
avantages dont jouissent actuellement les raffineurs de sucre exotique. C’est
sans doute là un motif d’imposer le sucre de betterave ; mais cela ne prouve
nullement que les mesures que nous proposons gêneront le moins du monde
l’importation et 1’exportation des sucres exotiques.
On a beaucoup parlé dans cette discussion du sucre
vergeois, de la cassonade, du sirop ; on a présenté ces matières comme ne
devant payer, d’après l’intention du législateur, aucun droit, et on s’est
appuyé de cela pour soutenir que le rendement est bien établi à 55 kil. de
sucre exportable. Mais où a-t-on trouvé cela ? Où a-t-on vu que la cassonade,
le vergeois, le sirop ne sont pas imposés ? Il suffit d’examiner à quel prix
ces objets se vendent en Belgique pour s’assurer qu’ils sont frappés au profit
des exportateurs.
Du reste, messieurs, il a été démontré dans la séance
d’hier que si les choses se passaient comme on a bien voulu le dire, quant au
rendement en sucre exportable, la consommation ne s’élèverait en Belgique qu’à
112 kilogr. de sucre raffiné par tête ; or, messieurs, c’est là une absurdité :
car, dans un pays riche comme la Belgique, on consomme au moins 2 ou 3 kilogr.
de sucre raffiné par tête. Voyez la France, messieurs, où l’aisance n’est pas
aussi grande que chez nous ; eh bien, la consommation du sucre raffiné y est
calculée à raison de 2 1/2 kilogr. par tête.
Quoi qu’il en soit, messieurs,
il est tout à fait inutile de s’appesantir sur la question du rendement
évidemment mal établi dans la loi, puisque la haute décharge absorbe tout.
Je me restreindrai donc dans les termes de ma
proposition qui tend à assurer au trésor la perception d’un million. Si l’on
peut me démontrer, par d’autres raisons que celles qu’on a alléguées jusqu’ici
; si l’on peut, dis-je, me démontrer par des raisons solides, que l’article
premier produirait plus d’un million, je consentirais à le modifier de manière
à en ramener les effets probables à cette somme.
M. Demonceau.
- Messieurs, plusieurs de mes honorables collègues savent bien que ce n’est pas
d’aujourd’hui que je me suis occupé de l’examen de la législation sur les
sucres ; cependant j’avoue avec franchise que j’ai toujours reculé devant les
moyens proposés pour améliorer cette législation, malgré ma conviction intime
qu’elle établit, non pas une restitution, mais une véritable prime. J’ai fait
trois fois partie de la section centrale chargée d’examiner cette question,
j’en faisais partie lorsque le ministère lui a communiqué le document dont a
parlé M. Desmaisières, document qui constatait qu’il y avait divergence
d’opinion entre le département de l’intérieur et le département des finances ;
alors j’ai signalé à M le ministre des finances tous les vices de la
législation actuelle ; il résulte des explications qui m’ont été donnés par M.
le ministre, qu’on ne parviendra jamais à percevoir le droit, sans changer le
rendement. Toute la question, messieurs, se réduit donc à ceci : Voulez-vous
accorder une prime à l’industrie des sucres exotiques ? Cette prime existe ;
ceux-là même qui ont défendu la législation actuelle le reconnaissent, à tel
point que tout ce qui a été dit par eux, et surtout par M. Rogier, M. Dubus et
même par M. Liedts, prouve que si la réduction du quart proposé par M. le
ministre des finances peut être funeste, ainsi qu’on l’avance, à l’industrie du
sucre exotique, la disposition par laquelle nous établissons qu’à partir de ce
jour les sucres entreront librement en Belgique, lui serait plus funeste
encore.
M. Rogier.
- Faites une proposition dans ce sens.
M. Demonceau.
- Je ne proposerai rien, parce que, comme M. Rogier le sait bien, cela n’entre
pas dans mes opinions ; je veux une protection sage pour toutes les industries
; si j’ai fait cette observation, c’est seulement pour faire remarquer que
l’honorable membre soutient aujourd’hui une opinion qui est en contradiction
manifeste avec celle qu’il soutient ordinairement. Si vous voulez des
protections, il faut en vouloir pour toutes les industries ; si voulez
l’avantage des consommateurs, il faut toujours le vouloir.
La question, messieurs, est extrêmement grave ; j’ai
déjà dit deux fois qu’il fallait attendre pour changer le rendement ; je suis
encore de cet avis, mais il faut cependant chercher des moyens pour que tout le
produit de l’impôt ne tourne pas au profit de l’exportateur, tandis que l’impôt
pèse en grande partie sur les consommateurs indigènes.
J’accepterai donc l’amendement de l’honorable M.
Liedts, s’il a pour résultat d’assurer un million au trésor. J’espère que mon
honorable collègue, qui, dans une autre circonstance, a également fait partie
avec moi de la section centrale voudra bien me donner les apaisements dont j’ai
besoin, pour me prononcer. Je désire savoir si les 22 millions de sucres qui
sont introduits en Belgique sont intégralement livrés à la fabrication, en
d’autres mots, s’il y a prise en charge pour ces 22 millions ; et ensuite, si
ces 22 millions, calculés à raison de 10 p. c. donnent un million de revenu au
trésor. Si l’on répond affirmativement à ces diverses questions, j’adopterai
l’amendement de l’honorable M. Liedts. S’il ne m’est pas donné apaisement sur
ce point, à moins qu’on me prouve que la proposition faite par M. le ministre
des finances est exagérée, je l’accepterai ; j’attends donc pour me prononcer
définitivement, et je borne là mes observations faites dans le but de
donner les motifs du vote que je veux
émettre sur cette question.
J’ai demandé la parole pour combattre l’amendement de
l’honorable M. Liedts, parce qu’il ne ferait pas atteindre le but qu’on doit se
proposer en modifiant la législation actuelle sur les sucres, celui d’obtenir
pour le trésor un produit d’un million ou environ.
Nous voyons, messieurs, que nos exportations de sucre
ont commencé à diminuer dans le cours de cette année ; nous ne pouvons
attribuer ce résultat à des circonstances accidentelles ; car il était prévu,
et c’était l’effet inévitable de l’augmentation des droits d’entrée sur le
sucre raffiné dans les lieux qui formaient notre principal débouché.
Nous devons nécessairement nous attendre à ce que les
importations de sucre brut en Belgique se ressentent de cette diminution de nos
exportations de sucre raffiné ; personne ne peut élever aucun doute à cet
égard.
Lors même que la législation en vigueur serait
conservée, l’industrie du raffinage ne pourrait encore se maintenir dans son
état de prospérité actuelle, car des raffineries de sucre s’établissent
partout, c’est un fait notoire, et à mesure que nous ferons plus de sacrifices
pour protéger cette industrie, des droits de douane plus élevés seront créés
dans les pays d’importation et mettront obstacle à leur écoulement.
Ainsi, en prenant pour base de nos calculs une
importation moyenne de 20 ou 21 millions de kilog. de sucre brut, nous
arriverons à des résultats tout à fait erronés.
Urne autre circonstance qui contribuera à diminuer
l’importation du sucre brut, c’est le développement que prend l’industrie du
fabricant de sucre de betterave. Je ne prétends pas que les sucreries de
betterave doivent fournir à toute la consommation du pays, mais je pense
qu’elles doivent la partager avec le sucre exotique à peu près dans la
proportion de la moitié.
S’il en était ainsi, nous consommerions environ 6
millions de kil. de sucre indigène. Jusqu’à ces derniers temps, la consommation
du sucre de betterave a été insignifiante ; mais elle augmente considérablement
cette année, et je ne crois pas qu’il y ait exagération à la porter pour
l’avenir à 6 millions de kil., moitié de la consommation de la Belgique. Il
faut donc défalquer cette quantité des 20 millions qui forment à peu près la
moyenne des importations de sucre brut en Belgique, ce qui réduit ce dernier chiffre
à 14 millions. En supposant que nos exportations de sucre raffiné soient
diminuées dans une proportion équivalente à 4 millions de kil. de sucre brut,
les importations en Belgique seront alors réduites à 10 millions de kil. Or,
l’amendement de l’honorable M. Liedts aurait pour résultat de ne produire que
370,000 fr., tandis que la proposition du gouvernement a pour effet de procurer
au trésor une somme de 925,000 fr.
Je crois, messieurs, que nous ne pouvons pas adopter
cet amendement qui n’aurait vraiment aucun résultat, car il ne ferait que
laisser les choses dans leur état actuel.
Si l’on objecte que j’ai exagéré soit le chiffre de la
consommation de sucre de betterave, soit la diminution d’importation de sucre
raffiné, je consens à augmenter de 2 millions la quantité de sucre brut qui
pourra être annuellement importée en Belgique. L’augmentation d’impôt que
produirait l’amendement que je combats n’en resterait pas moins tout à fait
insignifiante.
Je répondrai quelques mots à
l’honorable M. Liedts, relativement à des observations que j’avais faites sur
notre commerce maritime. J’ai dit que la plupart des navires qui importaient du
sucre sortaient sur lest.
En faisant cette observation, je n’ai eu d’autre but
que de montrer que l’exportation de nos produits indigènes ne réclame pas
l’emploi de tous les navires qui importent du sucre brut en Belgique.
J’ai fait, à l’égard de l’influence du commerce du
sucre sur notre navigation et notre commerce maritime en général, d’autres
observations qu’on n’a pas rencontrées. Si l’on croit devoir y répondre, je me
réserve d’y répliquer.
M. F. de Mérode. - Messieurs, un honorable préopinant, ami ordinairement exagéré, selon
moi, de l’introduction de tous les produits exotiques manufacturés, ou autres,
vous a dit hier : « Je me renferme un moment dans cette hypothèse. Le
sucre est une matière éminemment imposable, ce n’est pas une matière de
commerce ; mais c’est le seul intérêt du fisc qui vous touche. Si le sucre est
essentiellement imposable, n’épargnez aucune espèce de sucre ; car le sucre de
betterave est une matière aussi essentiellement imposable que le sucre
colonial. Je ne pense pas que, fiscalement parlant, la betterave doive avoir un
privilège sur la canne à sucre. »
Messieurs, je suis de l’avis de l’honorable M. Rogier,
je pense que le sucre de betterave doit être imposé avec le sucre colonial ;
non point parce que, comme cet honorable membre, je n’accorde aucune préférence
aux produits nationaux sur les produits étrangers ; mais parce que je ne verrai
jamais avec plaisir les travaux agricoles, libres, du propriétaire ou du
fermier, transformés en travaux de fabrique, livrés au monopole des
spéculateurs et exécutés par des ouvriers vivant au jour le jour sous le
pouvoir d’un riche exploitant ou d’une société puissance.
Le bien-être d’un pays ne consiste pas exclusivement
dans les richesses qu’il possède, mais dans le mode de leur distribution, mais
dans le genre de vie le plus favorable aux mœurs, et le plus généralement
embrassé par le grand nombre des habitants de ce pays.
Messieurs, la culture de la betterave destinée aux
sucreries, substituée aux cultures qui sont actuellement en vogue, tend à concentrer
les petites exploitations rurales dans les mains de l’aristocratie
industrielle, s’il m’est permis de me servir de ce mot. Elle tend à faire
rentrer dans la classe ouvrière dépendante la classe des petits propriétaires
ou fermiers indépendants, au moins d’une manière relative.
Loin de moi l’idée de gêner l’industrie manufacturière
qui réunit les travailleurs sous la tutelle d’un maître fabricant ; mais aussi,
d’autre part, loin de moi l’intention de transformer l’existence paisible et
individuelle des familles qui habitent nos campagnes en agglomérations
manufacturières, beaucoup moins appropriés au véritable bien-être du peuple par
les motifs spéciaux et d’une grande importance à mes yeux. Je ne désire point
donner la préférence à la betterave sur la canne à sucre ; je crois donc qu’il
faut imposer sans retard, et suffisamment les produits sucrés de l’une et de
l’autre de ces plantes. Je voterai d’abord, pour l’article premier de la loi
actuellement présentée, toutefois avec l’espoir que M. le ministre des finances
nous proposera incessamment les moyens de percevoir au profit du trésor public
la part contributive que les sucreries de betterave doivent fournir à ses
besoins.
Messieurs,
l’industrie sucrière des betteraves n’est pas une industrie naissante, parce
qu’elle est assez récemment introduite en Belgique. Car elle y profite de
l’expérience acquise dans les pays voisins. Dès lors elle peut subir
immédiatement la taxe nécessaire au trésor, et je ne pense pas que l’on doive
attendre, afin d’obtenir cette taxe, un développement ultérieur des fabriques
de sucre de betterave.
Si on attend qu’elles aient pris une très grande
extension, alors on viendra nous dire, comme on vous le dit pour les
raffineries trop multipliées de sucre de canne, que vous compromettez de
nombreuses usines, et que vous attaquez des droits acquis. Les observations que
je viens de présenter sont en rapport direct avec l’article premier de la loi
en discussion, et si l’on y fait droit prochainement, le commerce d’importation
et d’exportation de sucre étranger sera traité d’une manière équitable et
n’aura nullement à se plaindre.
M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, je dois d’abord répondre à une
observation qu’a faite M. le ministre des finances relativement à un fait que
j’avais avancé, à savoir que le ministre des finances et le ministre de
l’intérieur n’étaient pas d’accord dans la question qui nous occupe.
J’ignore si le désaccord dont j’ai parlé existait ou
n’existait pas entre les deux ministres en 1836 ; d’après ce que vient de dire
M. d’Huart je dois croire que dans ce temps-là ils étaient d’accord, mais que
cet accord avait pour base l’opinion de M. le ministre de l’intérieur qui est
restée la même quand la dissidence a commencé. Quoi qu’il en soit, je sais du
moins que le 19 du mois d’août 1837, M. le ministre des finances, en réponse à
une des questions que je lui avais adressées, m’a lui-même informé que M. le
ministre de l’intérieur qu’on avait consulté, était d’avis qu’il ne fallait
faire aucune modification à la loi actuelle. M. le ministre des finances
ajoutait que, pour ce qui était de lui, il n’était pas encore fixé à cet égard,
que son opinion pouvait se modifier en raison du travail de la commission.
Depuis lors, je n’ai reçu aucune information, ni du ministère des finances, ni
de celui de l’intérieur, que les deux ministres seraient tombés d’accord. C’est
donc à juste titre que j’ai cru et dit aujourd’hui que les deux ministres
étaient en désaccord, puisque le projet du ministre des finances n’a pas été
proposé comme émanant du cabinet, et qu’il est en opposition formelle avec
l’opinion manifestée au 18 août dernier par son collègue du département de
l’intérieur.
Maintenant que M. le ministre des finances a déclaré
qu’il était d’accord avec son collègue de l’intérieur, cette circonstance
exercera nécessairement beaucoup d’influence sur la décision qu’on prendra.
Aussi, et comme il en résulte pour moi que le protecteur né de l’industrie
croit qu’une transaction, probablement à un moindre chiffre, peut être faite
ici entre les deux opinions, je ne serai pas moi-même éloigné d’accepter
l’amendement qui a été proposé par l’honorable M. Liedts. Mes honorables
collègues de la commission se rappelleront même qu’alors que je n’avais pas encore
étudié profondément la question, comme je l’ai étudiée depuis, j’avais moi-même
soulevé dans le sein de la commission la question qui fait l’objet de son
amendement, et que la commission n’a pas cru devoir y donner suite.
L’honorable M. Mercier a combattu la proposition de M.
Liedts en disant qu’il pensait que, aussi petites que fussent les modifications
qu’on apporterait à la loi actuelle, la maintînt-on même, nos exportations de
sucre raffiné doivent infailliblement diminuer.
Messieurs, si cette opinion était fondée, cela me
ferait renoncer tout à fait à l’amendement même de M. Liedts, et me porterait à
demander le maintien du système actuel ; car il est certain que si la position
des raffineurs de sucre exotique doit être empirée même avec le maintien de la
législation actuelle, il faut au moins maintenir ce qui doit l’empirer le
moins.
Mais, messieurs, je soutiens,
et l’honorable M. Mercier n’a pas plus de raisons à apporter à l’appui de son
opinion que moi de la mienne ; je soutiens que nos exportations resteront au
moins les mêmes et que par conséquent nos importations resteront aussi les
mêmes, et que les calculs présentés par M. Liedts, pour prouver que le trésor
percevrait le million que demande M. le ministre des finances sont justes.
Je dirai même que si l’on adoptait le chiffre de 2 p.
c. proposé par M. le ministre, ce serait alors que les exportations
diminueraient infailliblement et diminueraient même jusqu’à zéro ; les
importations diminueraient aussi jusqu’à zéro, et loin d’avoir son million, le
trésor ne percevrait rien du tout. Et comment voudrait-on qu’il en fût
autrement, quand, même avec un rendement quelque exagéré qu’il soit, un
raffineur ne pouvant décharger sa dette ne serait plus poussé à exporter et ne
pourrait même plus exporter ? Ainsi, messieurs, M. Liedts vous a prouvé
par des calculs qu’avec la retenue de 10 p. c. vous aurez le million que le
ministère veut avoir du sucre exotique, et moi je vous prouve de plus qu’avec
les 2 p. c. vous n’aurez rien.
M. Rogier.
- Messieurs, le ministre des finances, en présentant le budget des voies et
moyens, a porté une somme de 800,000 fr. comme devant résulter des
modifications à introduire dans la loi des sucres. Cette somme ne paraît plus
lui suffire, puisque maintenant c’est un million qu’il veut obtenir.
Nous ne chicanerons pas sur ces 200,000 fr. qu’on
espère obtenir en plus des premières prévisions ; mais ce à quoi nous devons
nous opposer, c’est aux moyens par lesquels le ministre se propose d’arriver à
ce résultat. M. le ministre demande à faire sur chaque prise en charge une
retenue de 25 p. c. sur les droits restitués à l’exportation.
On lui fait observer que par une retenue de 25 p. c,
il va beaucoup au-delà du résultat qu’il annonce vouloir obtenir ; du moins, on
se réfère au mouvement actuel du sucre qui doit plutôt être pris pour base de
la loi nouvelle, que les hypothèses auxquelles le ministre des finances et un
honorable préopinant se sont livrés.
Partant de ces faits avérés, reconnus de tout le monde,
les prenant pour base, que trouvons-nous ? Que le mouvement du sucre brut,
assujetti à la prise en charge, a été jusque dans les dernières années, et
notamment en 1836, de 22 millions de kilogr.
Nous prenons deux millions de moins pour base de nos
calculs, et nous supposons un mouvement de 20 millions de sucre brut. Ils
donnent pour prise en charge, additionnels et timbre collectif compris, une
somme de 7,404,000 fr. : je néglige les derniers chiffres. Dix pour cent de
cette somme donnent 740,000 fr. acquis d’une manière certaine au trésor. Je
prends pour base le chiffre de 20 millions qui est inférieur à celui de 1835 et
1836. Il n’est pas exact de dire que le mouvement des sucres a subi des
réductions successives comme on vient de le dire, car, au contraire, le
mouvement d’importation et d’exportation a été ascensionnel depuis 1831.
M. Mercier.
- Je n’ai pas dit que le mouvement avait subi des réductions successives, mais
qu’il en avait subi en 1837.
M. Rogier.
- Soit ; mais je pense que le mouvement de six mois de 1837 est une base moins
certaine que l’exemple de sept ou huit années que j’ai citées et où le
mouvement a toujours augmenté tellement qu’en 1836 il y a eu 22 millions
d’importation et 12 millions d’exportation. Il n’y a donc pas là une
diminution.
Partant donc de ce qui a eu lieu dans les années
antérieures et nous contentant de la simple base de 20 millions, nous
atteignons le chiffre de 740,000 fr. pour la simple retenue de 10 p. c.
Je prie qu’on me dise si ces calculs sont inexacts.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - Les bases sont fausses.
M. Rogier.
- Les bases ne sont pas bonnes ! Il n’en sera plus de même à l’avenir, dit-on ;
il y a une cause radicale qui s’oppose à ce que le sucre exotique continue à
fournir autant aux raffineries belges ; d’après M. le ministre des finances,
cette cause, c’est le sucre de betterave qui d’année en année doit envahir le
marché belge. Quelles sont les conséquences à tirer de cet aveu ? C’est que ce
sucre de betterave serait effectivement ce ver rongeur qui épuise le trésor.
Voici donc la principale cause du déficit que subit ou
que doit subir le trésor.
Ainsi, si en 1838 le sucre brut, dont on a importé
jusqu’ici, terme moyen, la quantité de 20,000,000 kil. par année, ne rapporte
pas 740 mille francs, ce sera la faute du sucre indigène, qui entrera en
concurrence avec le sucre exotique et réduira les importations à 10 millions, à
la moitié. A la vérité, on a parlé de l’éventualité d’un impôt sur le sucre de
betterave, mais jusqu’ici je ne vois pas qu’on se mette en mesure de présenter
une loi dans ce but. Je doute même qu’une loi semblable soit jamais présentée.
C’est alors que vous verriez une autre opposition que celle toute rationnelle,
toute nationale que rencontre la loi dont il s’agit.
Ainsi, c’est parce que l’industrie du sucre exotique
est menacée de perdre la moitié de son importance qu’on veut l’imposer
davantage, c’est parce que l’industrie du sucre exotique doit être réduite de
20 à 10 millions qu’il faut la traiter plus rigoureusement. Nous disons au
contraire : Maintenons-nous dans la position où nous sommes, ne réduisez pas de
moitié nos opérations. Elles sont basées sur un chiffre qui, à raison de 10 p.
c., produira 70 mille fr. au trésor.
A cela nous n’ajoutons pas ce qui pourra être perçu
encore au-delà pour la consommation intérieure ; nous n’ajoutons pas non plus
les droits de douane sur le sucre qui seront de plusieurs centaines de mille
francs, et enfin les droits d’entrée, de sortie, de navigation, perçus sur
toutes les marchandises qui seront mises en mouvement par le sucre importé ou
exporté.
Mais M. le ministre des finances a dit que plutôt que
d’admettre les 10 p. c. qui lui sont offerts, il préférerait la loi actuelle
telle qu’elle est.
Je crois que si M. le ministre n’est pas disposé à
adopter cette concession de la part des défenseurs de l’industrie du sucre exotique,
il fera sagement de laisser la loi telle qu’elle est, de ne pas compromettre
par une mesure imprudente et irréfléchie, si elle reste dans les termes
actuels, une industrie qui a droit à toute la sollicitude de la chambre, non
pas seulement comme industrie privée, mais surtout à cause de ses relations
avec le commerce, qui est aussi une industrie, et avec beaucoup d’autres
industries du pays.
Messieurs, je ne pourrais voir qu’avec une peine
extrême cette nouvelle restriction apportée à nos relations politiques.
L’intérêt national exige impérieusement que la Belgique étende et resserre ses
relations commerciales avec les pays voisins. Le but de la législature doit
être d’étendre ces relations et non de les restreindre. Si le nombre des
nations avec lesquelles nous avons des relations amicales était plus grand, si
nous n’avions plus de conquêtes à faire sous ce rapport, si notre existence
politique était assurée à l’extérieur par de fortes et nombreuses liaisons, je
pourrais admettre que nous pouvons songer à ne vivre que chez nous et pour nous
; mais, dans sa position toute nouvelle, la Belgique ne doit-elle pas chercher
à se créer des relations, à maintenir celles qu’elle a, et à les multiplier au
lieu de les compromettre ?
Pour ramener la question dans les seuls termes où on
doit la placer, je dirai : est-il de l’intérêt général du pays que l’industrie
du sucre exotique subisse une réduction de moitié ?
Que deviendront alors nos relations avec les pays
voisins, que nous devons tenir à avoir pour amis ? La Belgique a tendu la main
à l’Allemagne, elle a voulu établir des rapports commerciaux plus rapides, plus
directs et plus nombreux avec la confédération germanique ; elle lui a donné un
chemin de fer. Quelle est la destination de ce chemin de fer ? De fournir à
l’Allemagne toutes les marchandises dont elle a besoin pour sa consommation, et
de lui ouvrir chez nous des marchés pour les marchandises qu’elle a besoin
d’exporter.
A mesure que vous restreindrez l’importation des
produits dont l’Allemagne a besoin, vous restreindrez le marché qui peut servir
à l’écoulement de ces produits, et vous les reporterez chez une puissance
rivale qui, longtemps encore peut-être, sera notre ennemie. Prenez garde, au
lieu de faire une loi belge, de faire une loi qui tournera au profit de la
Hollande. Il faut l’avouer, c’est moins encore contre le sucre exotique qu’en
faveur du sucre de betterave, que certaines opinions se prononcent.
Petit à petit on veut expulser le sucre exotique de
nos marchés pour les assurer au sucre de betterave. Que cette industrie mérite
toute l’attention du gouvernement, soit. Pour moi, je ne suis pas plus partisan
de cette industrie, quant à présent, que je n’en suis l’adversaire. C’est une
question qui mérite un examen sérieux et approfondi ; mais je ne voudrais pas
que dans la vue des avantages incertains de la fabrication du sucre de
betterave, on fît des efforts pour priver le pays des avantages certains d’une
industrie qui a les liaisons les plus intimes avec les intérêts commerciaux, et
par conséquent avec les intérêts politiques de notre nouvelle Belgique.
Si vous tenez à ce que l’industrie du sucre exotique
demeure ce qu’elle est aujourd’hui, vous devez admettre l’amendement de M.
Liedts, qui est une concession. Si, au contraire, vous reconnaissez comme
inévitable la réduction de l’industrie, alors, je vous le demande, est-ce le
moment de vouloir surcharger cette industrie menacée et périclitante ?
J’ai dit, messieurs, que les
740,000 fr. qui résulteraient de l’application de l’amendement de M. Liedts
seront encore augmentés par le plus grand mouvement commercial qui résultera
d’un plus grand mouvement dans les sucres. Cependant il pourra encore être
augmenté par la modification des transferts de crédit. Dans le principe, il
semblait que toute la masse du déficit résultait de l’abus qui se faisait dans
les transferts de crédit ; et il y en a eu selon toute apparence.
Maintenant on demande que le sucre même accompagne le
transfert de crédit ; dès lors plus d’abus possibles, et cette modification
peut entraîner une augmentation que j’évaluerai à 300,000 fr. pour ne rien
exagérer.
Alors je demanderai au ministre des finances si un
million de francs et au-delà obtenus de cette manière ne seraient pas aussi
bien acquis au trésor que s’ils le sont par les moyens qu’il propose.
M. Dumortier.
- Une chose a dû frapper fortement vos esprits. Quand nous discutions la loi
des modifications au tarif des douanes, certains orateurs n’avaient qu’un cri ;
ils nous répétaient chaque jour, à chaque instant : Laissez faire, laissez
passer. Ces orateurs qui, à cette époque, voulaient vous mener dans un système
de refus de protection pour une industrie réellement nationale, sont ceux qui
viennent défendre par tous les moyens possibles, non pas un droit protecteur,
mais, ce qui est plus odieux, une prime de 4 millions de francs, si j’en crois
les chiffres du ministre des finances dont je reconnais toute l’exactitude.
Je vois des honorables membres sourire à mes paroles !
Je trouve l’opinion de M. le ministre des finances parfaitement fondée. En
effet, savez-vous quelle est la moyenne de la consommation des individus chez
les nations qui nous avoisinent ? L’Irlande qui compte 8 millions d’habitants,
consomme annuellement 18 millions de kil. de sucre annuellement, ce qui fait 2
1.2 kilogrammes par individu.
L’Espagne dont la population est de 12 millions
d’habitants, consomme 40 millions de kilogr. de sucre par an, ce qui fait 3
kilogr. par habitant. Les Etats-Unis qui comptent 12 millions d’habitants,
consomment 100 millions de kilogr. de sucre par an, c’est-à-dire 9 1/2 kilogr.
par habitant. La Grande-Bretagne qui compte 16 millions d’habitant, consomme
180 millions de kilogr. de sucre par an, ce qui fait 12 kil. par habitant. En
France dont la population est de 32 millions d’habitants, la consommation du
sucre est de 100 millions de kilogr., c’est-à-dire 3 1/2 kilogr. par habitant.
Si vous examinez la position de la Belgique eu égard
aux nations dont je viens de parler, vous devez conclure que la consommation ne
doit pas être moindre de 5 kil. par individu. Alors se trouvent justifiées
toutes les conclusions de M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. d’Huart). - J’ai pris 2 1/2 kil. pour base.
M. Dumortier.
- Alors à plus forte raison.
Au reste, il est toujours un fait incontestable ;
c’est que toutes les fois qu’il se consomme en Belgique un kil. de sucre, il y
a 37 centimes payés au profit du trésor public ; mais cette somme se trouve
absorbée par les fabricants de sucres exotiques.
Il est vrai qu’il
y a un ver rongeur dans le trésor public, mais quel est ce ver rongeur ?
C’est, dit-on, l’industrie du sucre de betterave. Quoi ! Cette industrie qui ne
demande rien, qui ne touche rien du trésor public, qui n’a pas un denier ni
directement ni indirectement du trésor public, ce ver rongeur, c’est
l’industrie dont vous prenez la défense, qui, par un système vicieux, enlève au
trésor 4 millions, et que vous appelez une industrie nationale ! Au fait vous
avez raison, car c’est la nation qui la paie.
Mais, dit l’honorable M. Rogier, admettez la betterave
au partage. Vous voulez que l’industrie que vous soutenez reçoive une prime et
que sa rivale paie l’impôt ! Avant de demander qu’on impose le sucre de
betterave, commencez par supprimer toute espèce de prime en faveur de votre
industrie ; alors les choses seront égales.
Mais, messieurs, en imposant le sucre de betterave, ce
sera sur l’agriculture qu’on fera peser l’impôt, et cela pour payer des primes
à l’industrie que vous soutenez. Vous vous engraissez aux dépens des sueurs du
peuple, des deniers du trésor public ; aussi cette industrie ne vit que des
deniers qu’elle nous soutire.
Ouvrez les tableaux de la section centrale, vous
verrez à l’évidence que le peuple paie à l’intérieur le sucre plus cher qu’on
ne le paie en Suisse et en Allemagne ; vous y verrez que le sucre raffiné se
vend en entrepôt à meilleur marché que le sucre brut.
Il est manifeste que si nous mettons un droit sur le
sucre que mange le Belge, c’est pour en faire manger à meilleur marché aux
Italiens et aux Allemands.
Je vous le demande, n’est-ce pas une iniquité
d’imposer une nation en faveur d’une autre ? C’est une misérable industrie que
celle qui ne vit que par de pareils moyens, qui réclame des primes payées par
la sueur du peuple. Le ver rongeur du trésor public, c’est l’industrie dont
l’honorable membre a pris la défense, puisqu’elle enlève 4 millions au trésor,
puisqu’elle fait tarir les sources de l’impôt à son bénéfice et au bénéfice de
l’étranger.
L’honorable membre soutient encore que si nous
adoptons la proposition de M. le ministre des finances, nous ferons une loi
hollandaise ; si cette opinion était fondée, il faudrait laisser les choses
dans l’état où elles sont. Il ne devrait pas perdre de vue qu’en Hollande le
rendement a été élevé, qu’on a diminué la tare, que le rendement a été élevé à
61 et 64 p. c.
Il doit se rappeler qu’il existe une circulaire du 29
juillet 1829, dont M. Jadot a donné lecture l’année dernière, au moyen de
laquelle le gouvernement est parvenu à empêcher les abus scandaleux qui
résultent de l’exportation des sucres lumps. Il n’est personne de nous qui
ignore que des sucres, qui ont subi un grossier raffinage, sont pilés dans le
port et rentrent comme sucre brut.
M. Rogier.
- Cela se fait à Tournay.
M. Dumortier.
- C’est une erreur !
M. Rogier.
- Il y a un jugement !
M. Dumortier.
- Alors je réclame l’intervention du gouvernement pour empêcher que cela ne se
reproduise aussi bien à Tournay qu’à Anvers.
Mais quand je vois que vous en prenez la défense,
quand je vois que vous soutenez la disposition qui prive le trésor d’un revenu
considérable, je dis alors que vous soutenez un abus.
En Hollande le rendement a été porté à 61 ou 64 p. c.,
et il est en outre retenu un bénéfice sur les tares.
En France, le rendement est de 70 p. c.
Comment peut-on prétendre que nous traitons mal une
industrie nationale, quand nous la traitons comme on la traite dans des pays
aussi éclairés sur leurs intérêts ?
L’industrie que l’on préconise ne mérite pas les
égards qu’on veut lui accorder ; elle est ruineuse ; elle est une véritable
calamité pour le pays.
J’ai dit que si vous jetiez les yeux sur le tableau
qui est à la suite du mémoire, vous verriez que les sucres raffinés se vendent
à meilleur marché en entrepôt que les sucres bruts. Quel est le résultat de
cette mesure ? C’est, comme je l’ai déjà dit, de faire manger le sucre à bon
marché aux Allemands et aux Italiens, et, en second lieu, de priver le trésor
public d’un revenu ; d’appauvrir annuellement la Belgique ; car les millions
que vous donnez sont un appauvrissement pour le pays. S’il est démontré que le
sucre raffiné se vend, en entrepôt, meilleur marché que le sucre brut, il
s’ensuit que la main-d’œuvre et que tous les frais de fabrication sont payés
par le pays.
Je ne veux cependant pas frapper d’un coup de mort
cette industrie. J’aurais voulu qu’on supprimât toute espèce de droit. Si la
proposition en eût été faite, nos adversaires l’auraient-ils soutenue ? Si vous
voulez soutenir ce système, je vais en faire la proposition formelle.
Je dis donc qu’une industrie qui amène un
appauvrissement chaque année n’est pas digne de notre sollicitude, en
comparaison d’une industrie qui nous enrichit, comme celle du sucre de
betterave. Dans ces circonstances je voterai pour l’amendement du ministre des
finances ; et je repousserai l’amendement de M. Liedts qui ne procurerait pas
plus de 400,000 fr. à nos caisses.
Quand les sucres nous coûtent quatre millions par an,
c’est bien le moins qu’ils nous en cèdent un.
J’aurais voulu qu’on traitât la question des
rendements ; mais puisqu’on l’a écartée, je voterai, je le répète, l’amendement
du ministre.
FIXATION DE L’ORDRE DU JOUR
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je voudrais que la loi relative au contingent de
l’armée fût mise à l’ordre du jour et discutée demain à l’ouverture de la
séance. La discussion en sera très courte.
M. le président.
- Demain la chambre décidera. Je mettrai seulement à l’ordre du jour la loi sur
le contingent de l’arme avec la suite de la discussion sur les articles de la
loi concernant les sucres.
La séance est levée à 4 heures.