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Note d’intention
Chambre des représentants
de Belgique
Séance
du vendredi 19 mai 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi modifiant les limites territoriales des communes de
Chimay, Baileux, Bourlers, Forges, Seloignes, Momignies et Bauwelz (de Jaegher, de Theux)
3) Projet de loi
relatif au chemin de fer de Gand vers Lille (de
Muelenaere)
4) Proposition de loi
établissement une incompatibilité entre le mandat de représentant et les
fonctions de gouverneur et de commissaire de district (Dumortier,
C. Rodenbach, Seron, de Jaegher, de Brouckere, de Theux, C. Rodenbach, de Jaegher, Dumortier, Mast de Vries, Lardinois, de Brouckere, Devaux, Dubus, de Theux, Lardinois)
5) Motion d’ordre
relative au droit de timbre sur les journaux (A.
Rodenbach, d’Huart, A.
Rodenbach)
6) Motion d’ordre
relative à l’indemnisation des victimes des événements de la révolution (Gendebien, Nothomb, Rogier, Gendebien)
7) Projet de loi relatif à la construction d’un chemin de
fer de Gand vers la frontière de France par Courtray, avec embranchement vers
Tournay. (Liedts, F. de Mérode).
Concurrence de ce chemin de fer avec celui du Hainaut (de
Puydt, Nothomb), embranchement vers Roulers (A. Rodenbach), chemin de fer du Hainaut (Dumortier, de Puydt)
(Moniteur belge n°140, du 20 mai 1837 et Moniteur
belge n°141, du 21 mai 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur belge n°140, du 20 mai 1837) M. de Renesse
procède à l’appel nominal à une heure, et donne lecture du procès-verbal de la
séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
Il présente ensuite
l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Des négociations en toile, de Bruxelles,
demande que le droit de sortie sur les fils soient maintenus au taux actuel de
3 p. c. »
- Dépôt sur le
bureau pendant la discussion du second vote de la loi relative au tarif des
douanes.
______________
« Le sieur
Jean-Marc Troy, artiste peintre, né en Suisse et habitant Anvers depuis 1825,
demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le
ministre de la justice.
______________
« Le sieur Van Dael,
chevalier de la légion d’honneur, à Mons, adresse des observations sur le
projet de loi relatif aux légionnaires. »
______________
« Les conseils communaux des commune de Braine-Lalleud, Sartdam et Gentinnes (Nivelles), réclament contre la demande de la
ville de Wavre tendant à ce que le siège électoral soit transféré à Wavre. »
______________
« Le conseil communal de Monk demande que la
chambre réclame de M. le ministre de l'intérieur les explications qui lui ont
été demandées sur la pétition par laquelle elle réclame contre une décision des
états provinciaux. »
______________
« Le conseil communal de Beersel
(arrondissement de Malines) demande le maintien du cens électoral. »
______________
- Ces dernières
requêtes sont renvoyées à la commission des pétitions.
______________
Par deux messages en date du 18 mai, le sénat
informe la chambre qu’il a adopté le projet de loi allouant un crédit
supplémentaire au département de la guerre, pour satisfaire provisoirement aux
dépenses du service de santé, ainsi que le projet de loi relatif à la
réciprocité internationale en matière de successions et de donations.
- Pris pour
notification.
______________
Par lettre du 18 mai, M. le ministre de la
guerre adresse à la chambre des explications relatives à une pétition du sieur
H.-J. Mary, qui lui a été renvoyé.
- Pris pour
notification.
______________
M. Quetelet adresse
à la chambre 102 exemplaires d’un mémoire sur les températures de la terre.
- Cet ouvrage sera
distribué à MM. les membres de la chambre.
______________
M. Groenendaels, de
Malines, fait hommage à la chambre de son examen du rapport de M. Vleminck, relatif à l’ophtalmie.
- Dépôt à la
bibliothèque.
M. Eloy de Burdinne écrit à la chambre qu’un événement imprévu
l’empêche pendant quelques jours d’assister aux séances.
- Pris pour
notification.
PROJET DE LOI
MODIFIANT LES LIMITES TERRITORIALES DES COMMUNES DE CHIMAY, BAILEUX, BOURLERS,
FORGES, SELOIGNES, MOMIGNIES ET BAUWELZ.
M. de Jaegher,
rapporteur de la commission qui a été chargée de l’examen du projet de loi
concernant la délimitation des communes de Chimay, etc. - Messieurs, le projet
de loi tendant à déterminer une nouvelle délimitation de plusieurs communes du
canton de Chimay ne présente aucune difficulté et ne pourra soulever aucune
discussion, et d’un autre côté ce projet est de la plus haute importance pour
les communes qu’il concerne ; ces communes sont entièrement désorganisées,
l’administration en est tout à fait en souffrance. Il serait donc à désirer
qu’avant de se séparer la chambre pût encore voter ce petit projet. Si vous voulez
me le permettre, messieurs, je vous donnerai lecture du rapport.
Plusieurs membres. - L’impression.
M. de
Jaegher, rapporteur. - Messieurs, le rapport n’est pas très long
et l’impression n’en sera probablement pas nécessaire ; il s’agit simplement
d’une délimitation de communes à laquelle tous les intéressés consentent, et
qui est approuvée par le conseil communal ainsi que par le gouvernement ; à
l’égard de laquelle, en un mot, tout le monde est d’accord. Ainsi, messieurs,
je vous demande la permission de lire le rapport, qui, je le répète, n’est pas
long. (Lisez ! lisez !)
Messieurs, à
l’époque de la délimitation cadastrale du canton de Chimay, en 1827, la
nécessité de concilier les intérêts des communes de Chimay, Baileux,
Bourlers, Forges, Seloignes,
Momignies et Bauwetz, avec les prescriptions de
l’art. 77 du Receuil méthodologique des lois et
instructions relatives à l’exécution du cadastre, qui tend à fixer les délimitations
des communes de manière à ce qu’elles ne forment qu’un ensemble et un même
périmètre, fit réunir en conseil les autorités locales de ces communes, aux
fins de s’entendre sur les concessions réciproques à faire en compensation de
la valeur des enclaves à échanger.
Malgré la gravité
d’objections provoquées par les difficultés que présentait la nature des
localités, on en vint à un arrangement à l’amiable, consigné dans un
procès-verbal en date du 26 juin de la même année, et approuvé par arrêté royal
du 7 juillet suivant.
Cet arrêté, qui ne
devait sortir son effet qu’à l’époque de la péréquation cadastre du royaume,
reçut force de loi par suite de l’adoption de la loi sur cette matière, en date
du 31 décembre 1835.
On s’était fait
illusion sur les difficultés de la mise à exécution de la convention arrêtée ;
dès le premier essai elles se firent jour dans toute leur réalité.
De nouvelles
négociations s’entament ; instruits par l’expérience, les administrateurs des
localités intéressées avisent de commun accord, à la modification du premier
arrangement dans un sens plus équitable, et soumettent enfin à la sanction de
la législature une nouvelle convention, en date du 23 septembre 1836, qui,
mieux que la première, concilie les intérêts et les besoins des populations
respectives.
Approuvée par
l’autorité provinciale qui, pour le bien du service, réclame instamment une
prompte solution, cette convention fait l’objet du projet de loi que vous avez
renvoyé à l’examen de la commission dont j’ai l’honneur d’être l’organe.
Les détails que
contiennent les pièces annexées au projet, me dispensent de plus longs
développements pour en exposer les motifs déterminants.
Convaincue de leur
urgence, votre commission a adopté sans objection l’art. 1er et les articles 4
et 5 qui s’y rapportent. Quant aux articles 2 et 3, elle n’a pas cru pouvoir y
donner son approbation.
Depuis l’époque de
la mise en vigueur de la loi précitée du 31 décembre 1835, certaines enclaves
ont de droit, en vertu de l’arrêté-loi du 7 juillet 1828, cessé de faire partie
du territoire des communes auxquelles jusque-là, elles avaient appartenu ;
mais, exécution entière n’ayant pas été donnée à cet arrêté, les uns ont de
fait continué à faire partie de ces communes ; les autres, repoussés des deux
parts, sont restés dans un état de neutralité.
Il en est résulté
pour les actes de l’état-civil, entre autres, de la population qu’ils
renferment, inscription fautive pour les premiers, omission complète pour les
autres.
Etrangers au fait
de l’irrégularité qu’impliquent ces omissions ou inscriptions indues, ceux
qu’intéressent ces acte ne peuvent, d’un côté, pas en être victimes ; de
l’autre, quelque répréhensible que soient les administrateurs auxquels elle est
à attribuer, les difficultés en face desquelles ils se sont trouvés, présentent
en leur faveur des circonstances atténuantes dont il doit être tenu compte.
C’est vers ce double but que tendent les deux articles précités du projet du
gouvernement, qui ont pour objet d’assurer les rectifications nécessaires.
Tout en appréciant
les motifs sur lesquels ils sont basés, votre commission a pensé que les
dispositions du code civil, qui ne permettent de rectification de ce genre
qu’en vertu d’un jugement, s’opposaient à leur adoption, et qu’une déviation de
la loi générale, dans le sens proposé, était d’autant moins admissible que
l’art. 3 attribuerait à la loi une force rétroactive.
En les supprimant,
en conséquence, du projet, elle a cru qu’il restait à l’administration d’autres
moyens de parer au mal, sans compromettre ni les intérêts de l’administration
ni ceux de l’administré, en faisant jouir l’un de la remise de l’amende à
laquelle il s’est exposé, et l’autre de la faveur du pro Deo.
Elle s’est d’autant
plus facilement arrêtée à cette détermination que, dans l’état actuel des
travaux de la chambre, un projet qui soulèverait une aussi grave question de
droit aurait peu de chances d’être instantanément mis en discussion, et
qu’après avoir pourvu au plus pressant, il serait, au besoin, loisible au
gouvernement de revenir plus tard, et par un projet spécial, sur les
dispositions que la régularisation en question pourrait nécessiter.
J’ai, pour ces
motifs, l’honneur de vous soumettre en son nom le projet de loi suivant :
« Léopold, Roi des
Belges,
« A tous présents et
à venir, salut.
« Nous avons, de
commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. Les limite séparatives des communes de Chimay, Baileux, Bourlers, Forges, Seloignes, Momignies et Bauwelz
sont fixées conformément au plan figuratif des lieux et aux procès-verbaux des
séances des conseils réunis des 22 septembre et 28 décembre 1836, annexés à la
présente loi.
« Art. 2. Les
parties de territoire qui sont acquises ou perdues par les diverses communes,
en exécution de l’art. 1er, entreront dans leur nouveau ressort ou sortiront de
l’ancien, le septième jour après la publication de la présente loi.
« Art. 3. Le cens
électoral et le nombre des conseillers à élire dans les communes délimitées par
la présente loi seront déterminés par l’arrêté royal fixant la population
desdites communes. »
M.
le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux).
- Messieurs, je me suis mis d’accord avec la commission à l’égard de
l’ajournement de deux articles qu’elle demande ; quant aux autres, ils ne
peuvent donner lieu à aucune espèce de difficulté ; les conseils communaux sont
entièrement d’accord sur la délimitation qu’il s’agit d’opérer, et le conseil
provincial y est de son côté favorable. Il y a une extrême urgence à
régulariser la position des habitants qui ne savent plus à quelle commune ils
appartiennent, de manière que depuis un an les actes de l’état-civil ne sont
plus dressés, et que les affaires de ces communes s’embrouillent à tel point
que bientôt elles seront indéchiffrables.
Je demande donc
que, vu l’urgence, la chambre veuille passer au vote, car je ne pense pas qu’il
puisse donner lieu à une discussion quelconque.
PROJET DE LOI RELATIF AU
CHEMIN DE FER DE GAND VERS LILLE
M. de Muelenaere. - Messieurs, sur nos billets de convocation
l’ordre du jour se trouve indiqué de la manière suivante : « Proposition de M.
Dumortier, en premier lieu ; en deuxième lieu, le second vote du projet de loi
concernant le tarif des douanes, et en troisième lieu, le projet de loi relatif
au chemin de fer. » Cette fixation de l’ordre du jour n’est pas conforme à la
résolution qui a été prise par la chambre dans la séance de mercredi dernier.
Je vous rappellerai, messieurs, que sur une motion que j’ai eu l’honneur de
vous faire, vous avez décidé dans la séance de mercredi que la discussion du
projet de loi relatif au chemin de fer aurait lieu entre les deux votes de la
loi concernant le tarif des douanes ; j ai consulté le Moniteur pour voir si la décision de la chambre était conforme à
l’idée que je m’en étais faite ; il en résulte en effet que, sur ma
proposition, appuyée par l’honorable M. Dumortier, la chambre a mis le projet
de loi relatif au chemin de fer à l’ordre du jour après ceux qui s’y trouvaient
déjà, entre les deux votes de la loi concernant le tarif des douanes.
Je n’ai nullement
l’intention, messieurs, de retarder le second vote de la loi relative aux
douanes ; mais ce vote se trouverait tout au plus retardé d’une heure par la
discussion préalable du projet de loi concernant le chemin de fer, tandis que
la discussion de la loi relative aux douanes peut absorber peut-être plusieurs
séances, et que dès lors il serait à craindre que nous ne discutions pas dans
la session actuelle le projet de loi concernant le chemin de fer. Quoi qu’il en
soit, la chambre a décidé formellement dans la séance de mercredi dernier
qu’elle discuterait le projet de loi relatif au chemin de fer, entre les deux
votes de la loi concernant le tarif des douanes ; je demande que la chambre
maintienne cette décision et qu’elle s’occupe de la discussion du projet de loi
relatif au chemin de fer après avoir voté sur la proposition de M. Dumortier.
De toutes parts. - Appuyé ! appuyé !
M. le président. - Je dois
faire une observation, c’est que dans les billets de convocation, le bureau
n’entend aucunement décider des questions de priorité sur lesquelles la chambre
peut seule prononcer. J’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de faire une
semblable déclaration.
PROJET DE LOI MODIFIANT LES
LIMITES TERRITORIALES DES COMMUNES DE CHIMAY, BAILEUX, BOURLERS, FORGES,
SELOIGNES, MOMIGNIES ET BAUWELZ.
La chambre adopte
successivement sans discussion les trois articles du projet présenté par la
commission, auquel M. le ministre s’est rallié.
Il est procédé à
l’appel nominal sur l’ensemble de la loi, elle est adoptée à l’unanimité par
les 71 membres qui prennent part au vote ; ce sont : MM. Beerenbroeck,
Bekaert-Baeckelandt, Brabant, Corneli, Cornet de Grez, David, de Brouckere, de
Foere, de Jaegher, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, W. de
Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de
Roo, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, Doignon,
Donny, Dubois. Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Duvivier, Ernst, Fallon,
Frison, Heptia, Hye-Hoys, Keppenne, Lardinois, Lebeau, Lejeune, Liedts, Mast de
Vries, Milcamps, Morel-Danheel, Polfvliet, Raymaeckers, A. Rodenbach, C.
Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Smits, Stas de Volder, Thienpont, Troye,
Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vanden Wiele,
Vanderbelen, Verdussen, Vergauwen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Wallaert,
Watlet, Willmar, Zoude et Raikem.
M. Seron s’est
abstenu. Il est appelé à motiver son abstention.
M. Seron. - Je me suis
abstenu, parce que le rapport n’ayant pas été distribué, je n’ai, par la simple
lecture qui en a été donnée, pas pu comprendre de quoi il s’agissait.
______________
M. Rogier (pour une motion
d’ordre). - Messieurs, l’administration communale de Capryck
a adressé à la chambre une pétition relative à une nouvelle délimitation de
cette commune ; elle ignorait sans doute que c’était au gouvernement qu’elle
devait s’adresser ; je demanderai que cette pétition soit renvoyée à M. le
ministre de l’intérieur.
- Cette proposition
est adoptée.
PROPOSITION DE LOI
ETABLISSEMENT UNE INCOMPATIBILITE ENTRE LE MANDAT DE REPRESENTANT ET LES
FONCTIONS DE GOUVERNEUR ET DE COMMISSAIRE DE DISTRICT
M. le
président. - « Tout gouverneur, tout commissaire de district,
élu membre de l’une ou l’autre chambre par le district ou l’un des districts où
il exerce ses fonctions, devra opter entre ces fonctions et le mandat de
représentant ou de sénateur.
« Néanmoins, les
gouverneurs et les commissaires de district qui, à l’époque du 1er juin 1837,
seraient élus membres de l’une ou de l’autre chambre, dans la province ou le
district où ils exercent leurs fonctions, pourront, par continuation, siéger
dans les chambres, sans être astreints à cette option. »
La commission
propose de modifier comme suit :
« Tout commissaire
de district, élu membre de l’une ou de l’antre chambre par le district où il
exerce ses fonctions, devra opter entre ces fonctions et le mandat de
représentant ou de sénateur.
« Néanmoins, les
commissaires de district qui, à l’époque du 1er juin 1837, seraient élus
membres de l’une ou de l’autre chambre où ils exercent leurs fonctions, pourront,
par continuation, siéger dans les chambres, sans être astreints à cette option
?
M. Dumortier se
rallie-t-il au projet de la commission ?
M.
Dumortier. - Messieurs, la proposition de la commission
n’apporte qu’une seule modification à celle que j’ai eu l’honneur de présenter,
et je dois convenir que les motifs donnés par la commission à l’appui de cette
modification me paraissent fondés.
En effet, les
gouverneurs ne se trouvent pas dans la même position que les commissaires de
district ; ils n’exercent pas une influence aussi directe, aussi quotidienne
sur les divers fonctionnaires communaux.
Je pense donc que
je puis me rallier au projet de la commission.
M. C.
Rodenbach. - Il se passe ici, messieurs, quelque chose d’étrange
et d’inusité dans cette enceinte où se débattent d’ordinaire les plus grands
intérêts du pays ; un objet tout d’intérêt personnel, tout palpitant
d’individualité, est soumis à vos délibérations.
Je ne sais,
messieurs, si l’idée d’entrer dans une question toute personnelle vous répugne
ainsi qu’à moi. Mais si j’en crois les antécédents du congréa national, si j’en
crois ses larges vues, les sentiments de générosité et de désintéressement qui
ont éclaté si souvent dans cette assemblée, une prompte et bonne justice sera
faite des prétentions qu’on élève aujourd’hui.
Un axiome de droit,
jusqu’ici incontesté, qu’on ne peut être à la fois juge et partie, est
applicable à la circonstance. Chacun plaide dans sa propre cause. Si je me
récusais, ainsi que mes collègues les commissaires d’arrondissement, quel est
celui d’entre vous qui pourrait lever la main et dire qu’il n’a aucun intérêt
personnel dans la solution de cette question ? Oui, messieurs, la cause est
appelée, les avocats, les plaideurs sont prêts ; mais où sont les juges
compétents, où sont les arbitres ? Il ne peut y en avoir ; je ne les vois nulle
part.
Je sens que je n’ai
pas besoin de me rassurer sur la pureté de mes motifs ; ils sont, je le déclare
hautement individuels comme les vôtres. Permettez-moi donc d’élever la voix
contre une mesure qui me paraît trop rigoureuse envers une classe de
fonctionnaires devenus suspects par leur influence électorale, qu’on cherche à
placer hors du droit commun et à frapper d’ostracisme, et pourquoi ? pour
satisfaire quelques passions politiques, pour neutraliser des rivalités, pour
accaparer, pour monopoliser soi-même la matière électorale.
Oui, messieurs, la
loi présentée par la commission n’a d’autre source, n’a d’autre but ; elle tend
à privilégier, dans un gouvernement constitutionnel, et par conséquent un
gouvernement d’influences, une classe de personnes au détriment d’une autre ;
elle tend à favoriser les hauts fonctionnaires publics, les ministres, les
gouverneurs distributeurs d’emplois ; elle tend à donner la prépondérance
électorale aux bourgmestres des grandes villes, aux colonels de la garde
civique qui ont tous une influence relative, aux membres inamovibles de l’ordre
judiciaire, notamment aux présidents des tribunaux et aux procureurs du Roi,
qui par leurs relations habituelles avec les officiers de l’état-civil et avec
les notaires, véritables puissances dans les communes, pourront être les grands
dominateurs dans les élections populaires.
Au lieu de
consacrer l’égalité des droits politiques entre tous les citoyens, la mesure
proposée favorise, crée des catégories, et inflige à des fonctionnaires
suspects à la jalousie de leurs concurrents une véritable humiliation. Il en
est un qui est particulièrement frappé par la nouvelle disposition. Député d’un
district où il n’est point administrateur, il lui est défendu d’accepter un
mandat dans l’arrondissement où il occupe des fonctions publiques, tandis que
ses collègues, comme lui membres de la chambre, sont autorisés à se faire élire
dans toutes les localités sans exception. Cela n’est ni juste, ni généreux, ni
convenable. N’est-ce pas là proscrire une personne et la mettre en suspicion
vis-à-vis un seul collège électoral ? n’est-ce pas (permettez-moi une figure de
mots) confisquer, spolier partiellement la matière électorale au détriment d’un
homme ? Vouloir une pareille anomalie, une pareille inégalité de droits,
lorsqu’il n’y a pas de parité, de position, c’est méconnaître le principe
régénérateur de notre époque ; c’est plus encore, c’est vouloir suivre un
système de législation exceptionnelle, rétrograde, qui porte indirectement
(indirectement, j’appuie sur ce mot) atteinte au libre vote des électeurs.
Il faut remarquer
aussi, messieurs, qu’il n’y a aucune analogie entre la position des
commissaires de district et celle des membres de la cour de cassation, de la
chambre des comptes et du conseil provincial. Les incompatibilités consacrées
dans les lois d’organisation de ces corps sont d’une nature spéciale,
inhérentes à la chose ; cela vient des conditions connues par les titulaires
avant l’acceptation de leurs fonctions, tandis que les commissaires de district
ont des droits acquis dont vous ne pouvez les dépouiller sans être
réactionnaires.
Je sais fort bien que
ce n’est qu’une exclusion déguisée, indirecte, locale, qu’on cherche à établir
; que la mesure n’a rien d’inconstitutionnelle. Mais Je vous le demande,
messieurs, est-il juste, est-il loyal de forcer un homme qui comptait, en
acceptant une fonction publique, sur l’égalité des droits et des charges, à
résigner son mandat ou à changer sa position sociale ? Si ce n’est pas
provoquer une exclusion formelle, c’est du moins faire un dommage considérable,
c’est restreindre, c’est modifier une carrière. Vous ne serez pas représentant
dans tel endroit, dans tel arrondissement : n’est-ce pas forcer la main aux
électeurs et leur dire : Ne donnez pas vos suffrages à cet homme qui jouit de
votre estime et de votre confiance, qui vit au milieu de vous, qui connaît vos
besoins, vos intérêts et dont vous appréciez la probité politique et connaissez
la vie intime ; cet homme ne peut accepter votre mandat sans perdre sa
place ? C’est la condition sine qua non.
Pense-t-on qu’il
soit facile pour un administrateur de se faire délivrer un mandat dans un
district étranger à celui qu’il habite ? J’y vois, moi, de grandes difficultés,
parce que les électeurs, oublieux parfois des services rendus, préfèrent pour
mandataires ceux qui sont sous leurs yeux, et qui pour ce motif sont plus à
même de défendre leurs intérêts, de faire connaître leurs besoins. De ces
considérations on peut conclure que la mesure provoque, par des moyens
détournés, une véritable exclusion des chambres. Pourquoi ne pas demander avec
des formes plus franches et moins déguisées des incompatibilités absolues ? On
y viendra à cette demande. On ajourne l’exécution d’un système raisonné
d’expulsions des fonctionnaires. On commence par les infiniment petits, en
attendant le moment favorable pour éliminer les grands. C’est avec ces ressorts
que nos niveleurs comptent faire marcher notre gouvernement, fonder notre
nationalité, et saper ce qu’ils appellent le pouvoir fort.
Si réellement les
commissaires d’arrondissement ont la grande influence que vous leur supposez,
et peuvent à volonté disposer du plus grand nombre d’électeurs, ils pourront
facilement tourner l’obstacle que vous leur présenté ; Qu’arrivera-t-il- ? ces
fonctionnaires éluderont vos dispositions hostiles ; ils feront élire dans
leurs districts, sauf la réciprocité, des collègues voisins ou éloignés. Ainsi,
dans la supposition de cette domination électorale, votre mesure n’atteint pas
son but.
Il est encore une
autre circonstance, messieurs, qu’il ne faut point perdre de vue : c’est le
changement de résidence d’un titulaire. Ne peut-il pas arriver en effet que les
électeurs ne soient plus disposés à donner leur vote à un administrateur qui,
par son séjour dans un autre district, n’est plus en position pour plaider leur
cause ? ne peut-il pas arriver qu’un gouvernement provoque un changement de
résidence pour éliminer un député indépendant, consciencieux, intègre ? Je sais
que rien n’est à craindre de ce chef de la part des ministres actuels. Mais
nous faisons des lois pour l’avenir. Tout doit être prévu avant de sanctionner
un principe, car il est de fait qu’un pouvoir ombrageux pourra, pour sauver les
apparences d’une destitution toujours odieuse vis-à-vis de l’opinion publique,
avoir recours à des combinaisons de cette nature et même envoyer un commissaire
d’arrondissement dans une localité dont il est déjà mandataire. Tout cela n’a
pas été prévu dans le projet de loi, entaché d’irrégularités, de lacunes et
d’incohérences remarquables.
Je suis encore à me
demander quel peut être le motif de cette animosité continuelle contre les
commissaires de district, véritables parias sous tant de rapports. A moins de
faire des monstres de tout ce qui tient de près au gouvernement, de supposer
que les administrateurs d’arrondissement soient toujours prêts à dévorer les libertés,
on doit avouer cependant qu’il en est beaucoup qui ont fait preuve de vertus
publiques, d’un civisme généreux, de courage, d’énergie dans les circonstances
difficiles, et qui ont été en plusieurs occasions autant les soutiens des
communes que les hommes du gouvernement. Quel est le fonctionnaire qui ne sente
un affreux dégoût de toutes ces attaques qui tendent évidemment à le dégrader
vis-à-vis ses concitoyens et à faire supposer qu’il a renoncé à tout sentiment
d’honneur, qu’il est inféodé au pouvoir ? Dans de pareilles attaques il n’y a
ni justesse, ni mesure, ni convenance. Sans cesse noircir tout ce qui tient au
gouvernement, c’est, suivant moi, discréditer, troubler le pays. Ce n’est pas
là de la logique, ce n’est pas là de la froide raison, ce n’est pas là du
civisme.
Pour terminer,
messieurs, je dirai qu’il vaut mieux laisser aux électeurs l’appréciation de
leurs votes que de recourir à une législation en quelque sorte exceptionnelle,
d’autant plus que les exceptions ôtent toujours la force aux lois générales et
font la satire de notre constitution. C’était au congrès national, à un corps
constituant qu’il appartenait de déterminer de semblables exclusion. Il n’y a
pas ici de juges véritablement compétents : il n’y a que des plaideurs
intéresses et même des accusateurs. S’il y a des abus, livrez-les à la presse ;
fiez-vous à l’instinct, aux sympathies populaires auxquelles le congrès
national n’a voulu imposer aucune entrave. S’il y s des abus, abandonnez-le, à
l’action gouvernementale. Le pouvoir exécutif pourra plus convenablement, par
des mesures d’administration générale, statuer pour l’avenir sur les
incompatibilités sans léser les droits acquis des membres de la représentation
nationale. Pour rendre hommage à l’équité et par pudeur, vous devez, messieurs,
vous abstenir et ne pas donner main forte à une véritable confiscation
électorale, faite au détriment d’une catégorie d’éligibles.
M. le
président. - La parole est à M. de Jaegher.
M. de Jaegher.
- Comme je veux parler contre la proposition, je désirerais que la chambre
voulût entendre un orateur pour.
M. le président. - Il n’y a
d’inscrit que M. Seron, et je ne sais dans quel sens il veut parler.
M. Seron. - Je veux parler
pour.
M. le président. - Dans ce
cas, la parole est à M. Seron.
M. Seron. - Messieurs, par la
constitution monarchique de 1791 les fonctions de ministre et celles de
représentant étaient incompatibles ; elles peuvent, au contraire, se cumuler
dans les gouvernements dits constitutionnels d’aujourd’hui. Cependant ce
système a de graves inconvénients. Il en résulte, par exemple, que celle des
trois branches de la législature à laquelle appartient le pouvoir exécutif,
intervient, par les ministres, dans les délibérations de la chambre dont ils
font partie. Ainsi, les chambres ne sont pas indépendantes, puisqu’elles
agissent sous l’influence du ministère ; ainsi la nature de leurs pouvoirs se
trouve altérée par le mélange d’un élément hétérogène. De plus, les mêmes
hommes par qui ont été conçus et rédigés les projets de loi, et dont la mission
était d’abord de les proposer au nom du chef du gouvernement, les votent ensuite
comme représentants de la nation et deviennent par là juges de leur propre
ouvrage. Leur suffrage peut déterminer l’adoption d’une mauvaise loi et le
rejet d’une bonne loi, sans que la décision à laquelle ils ont pris part puisse
être regardée comme le vœu réel de la majorité. Enfin, si l’un des ministres
est accusé dans les chambres d’avoir abusé de sa place et mis ses devoirs en
oubli, il compte au nombre de ses juges ses propres confrères naturellement
portés et souvent intéressés à l’absoudre ; et ils y parviennent d’autant plus
facilement que là où la représentation nationale n’est pas nombreuse, il arrive
quelquefois que leurs seules voix peuvent former le cinquième de la majorité.
Si, indépendamment
des membres du ministère, on admet encore dans les chambres les fonctionnaires
amovibles, salariés, à la nomination du gouvernement, ils peuvent, avec le
temps, s’y trouver même en grande majorité, par la facilité de se faire élire,
commue on vous l’a déjà dit. Alors le mal augmente ; alors le vœu des chambres
représente bien moins le vœu de la nation ; car on a beau dire, ces
fonctionnaires amovibles ne peuvent être ni indépendants ni libres dans leur
conduite. Ce sont sans doute de très honnêtes gens ; ils tâchent d’être justes,
mais cela ne leur est pas facile. L’homme est naturellement faible, et
l’intérêt personnel est malheureusement le mobile de ses actions. Or, comment,
même avec d’excellentes intentions, résister au penchant par lequel nous sommes
entraînés à approuver, à ne pas contredire du moins, ceux à qui nous devons une
bonne place et qui se trouvent en position de nous l’ôter ? Comment ne pas
céder à leurs insinuations quand ils nous en promettent une meilleure ? Comment
même ne pas se persuader avec le temps, et par la force l’habitude, que les
ministres ne peuvent jamais se tromper ; que toutes leurs vues ont pour objet
le bien public, et que quiconque les contrarie est un ennemi de l’ordre et de
l’Etat, ou tout au moins un brouillon ?
Ainsi, messieurs,
il ne faudrait, à mon avis, dans les chambres ni ministres, ni fonctionnaires
salariés révocables par le gouvernement. La constitution de 1791 allait
beaucoup plus loin, elle imposait aussi l’obligation d’opter aux officiers
municipaux et aux commandants des gardes nationales ; elle déclarait même les
fonctions judiciaires incompatibles avec celles de représentant de la nation,
pendant toute la durée de la législature.
Le projet soumis à
votre examen est uniquement relatif aux commissaires de district et aux
gouverneurs ; il améliore l’état des choses existant, et l’on doit savoir gré à
l’honorable M. Dumortier d’en avoir fait la proposition. Mais, je l’avouerai,
je ne vois pas pourquoi votre commission retranche du projet primitif MM. les
gouverneurs, ni pourquoi elle ne soumet pas à l’option MM. les commissaires de
district siégeant actuellement dans les chambres, qui pourront être nommés dans
les élections prochaines. C’est un privilège que ni les uns ni les autres ne
demandent, et que, sans doute, leur délicatesse s’empressera de répudier.
Mais le projet
blesse-t-il, comme on le prétend, l’article 36 de la constitution ? Cet article
porte : « Le membre de l’une ou de l’autre chambre, nommé par le gouvernement à
un emploi salarié qu’il accepte, cesse immédiatement de siéger et ne reprend ses
fonctions qu’en vertu d’une nouvelle élections. » Je suis ennemi des subtilités
et des arguties ; il m’est difficile, j’en conviens ingénument, de trouver dans
cette disposition l’idée d’une incompatibilité quelconque. Mais, est-ce à dire
que votre pacte fondamental ait lié les mains à la législature, au point de lui
défendre d’établir une incompatibilité dont l’expérience a prouvé la nécessité
et l’urgence ? La proposition ne blesse en aucune manière les principes ; elle
ne met nulle limite, nulle entrave à la liberté, à la volonté des électeurs ;
elle ne les empêche pas de nommer qui ils trouvent bon ; seulement leur élu,
s’il est commissaire de district, demeurera tenu après son élection d’opter
entre ses fonctions actuelles et celles de membre, soit de la chambre, soit du
sénat. Il sera membre de la chambre ou du sénat s’il le veut. Il n’y a là rien
d’inconstitutionnel ; au contraire, j’y vois une des mesures propres à prévenir
les abus du cumul, objet auquel le n°8 de l’article 139 de la constitution vous
ordonne expressément de pourvoir dans le plus court délai possible. Il est
singulier qu’on refuse de voir dans la charte ce qui s’y montre manifestement à
tous les yeux, après y avoir trouvé tant de choses auxquelles ses auteurs n’y
ont jamais songé. Enfin, la mesure proposée est dictée par le bon sens et par
l’intérêt du service ; car il est impossible d’être ici, à la chambre, et de
remplir ailleurs d’autres fonctions en même temps.
On m’a dit : « Le projet a été conçu dans l’intérêt de l’église ; » mais
c’est une pauvre objection. Je ne vois pas, en effet, comment il pourrait
favoriser les vues de l’église et augmenter son influence, à la vérité déjà
trop grande. Je conçois seulement qu’il contrariera quelques vues particulières
mais ce ne doit pas être une raison pour le faire rejeter.
Au reste,
j’ajouterai que dans ce peu de mots, dont l’objet est de motiver mon vote, il
ne faut chercher aucune espèce d’allusion. Mes observations sont générales ;
elles s’appliquent à tous les hommes, à tous les temps, à tous les
gouvernements représentatifs, et c’est par là seulement qu’elles peuvent
mériter quelque attention.
M. de Jaegher.
- Messieurs, la proposition qui vous est faite n’est pas nouvelle, son
honorable auteur a lui-même pris le soin de vous le rappeler, et je dois le
dire, il n’a pas mal choisi le moment de vous la présenter, à l’approche d’une
réélection qui met en jeu certains intérêt individuels de nature à rendre assez
accommodants sur les questions de principe ceux qui, dans leur solution, voient
avant tout une question de personnes.
Je rends hommage,
dit l’honorable M. Dumortier dans ses développements, à l’indépendance des
commissaires de district, nos collègues ; et la commission tient le même
langage. Quel est dès lors le motif légitime de la guerre qu’il déclare aux
absents ? Seront-ils, eux, moins indépendants ; et devant l’expérience qu’il
proclame, est-il juste de les condamner avant l’épreuve ?
En d’autres
circonstances, on a déjà fait ressortir l’inconvénient de l’emploi de termes
généraux sans définition précise ; à cette occasion j’aurais, pour les mêmes
raisons, désiré que l’honorable membre nous eût donné sa définition de
l’indépendance. Le gouvernement constitutionnel,, nous a-t-il dit parfois, est
le gouvernement des majorités, le gouvernement des partis. J’en avais conclu
que la tolérance devait d’un pareil gouvernement être la première condition
d’existence, et que le caractère d’indépendance était incompatible avec celui
de majorité ; l’honorable membre, dont la proposition déroute dans ses
expressions mes idées à cet égard, voudra bien m’apprendre, j’espère, s’il
entend monopoliser l’indépendance en faveur du parti dont il est habituellement
l’organe.
L’indépendance,
nous dira-t-il peut-être, consiste à ne pas occuper de fonctions salariées par
l’Etat. Sans faire d’application à personne, je dirai encore qu’en général
celui qui tient une place présente au moins une garantie, celle qu’il n’a pas à
intriguer pour en obtenir une ; et j’ajouterai, en passant, que nos annales
parlementaires ne renferment heureusement rien qui justifierait un pareil
principe, principe qui ne serait qu’une injure gratuite faite à ceux qui
consacrent leur existence au service de leurs concitoyens, principe qui
révolterait tout fonctionnaire dont le cœur bat aux sentiments d’honneur et de
moralité qui distinguent le caractère belge.
Si telle était
néanmoins la pensée de l’honorable membre, sa proposition serait bien
incomplète ; elle devrait porter sur toutes les classes de fonctionnaires. Il
lui serait, il est vrai, plus difficile de la faire passer, parce que nous
comptons parmi nous, et je m’en félicite pour les lumières que chacun d’eux
apporte dans les discussions, des militaires, des présidents de tribunaux, des
procureurs royaux, des bourgmestres, des agents comptables, etc., qui ne se
suicideraient pas de très bonne grâce ; mais enfin, s’il ne la complète pas,
c’est que, selon lui, l’indépendance ne consiste pas à ne pas être
fonctionnaire, mais seulement à ne pas être gouverneur ou commissaire de
district.
Messieurs, la
proposition a été examinée sérieusement, à ce qu’il paraît, par la commission,
puisqu’au dire de son rapporteur elle a consacré toute une séance à se
constituer, à s’assurer de l’opinion publique, à la discuter, et à faire son
rapport ; il ne s’agit donc pas de la traiter en plaisanterie.
Jusqu’ici les rares
incompatibilités prononcées entre les fonctions législatives et certaines
autres n’avaient été que celles proclamées par la constitution ; et, quant au reste,
le principe général ainsi proclamé par elle, qui déclare tous les Belges égaux
devant la loi, avait servi de règle. Mis en pratique dans la loi électorale, ce
principe est trouvé vicieux par un membre de la législature qui propose d’en
modifier l’application ; vingt pétitions, émanées des principales villes du
royaume, sont successivement venues s’accumuler sur le bureau de la chambre :
elles portent réclamation contre une autre disposition de la même loi ; elles
ne s’étendent pas au-delà de l’application de la constitution par la loi ; la
proposition de ce membre isolé porte au contraire atteinte et à la loi et à la
constitution ; les unes expriment le vœu de populations nombreuses, l’autre
celui d’un seul homme ; les premières n’attaquent directement personne, la
seconde menace la dignité, l’honneur, les intérêts de toute une classe de
fonctionnaires. Qu’en résulte-t-il ? Les pétitions, dont je n’entends
aucunement préjuger l’objet, passent silencieusement dans les cartons, et la
proposition est instruite et expédiée à la vapeur, si je puis me servir de
cette expression, à la fin d’une session, au moment où personne ne s’y
attendait, lorsque la fatigue étouffe les discussions. Ceux, messieurs, que
votre décision va peut-être frapper, et qui loin de cette enceinte consacrent
leur zèle aux intérêts de l’Etat, n’ont-ils pas à se plaindre de cette marche
exceptionnelle ? Eux qui voient les plus futiles propositions arrêter
longuement vos graves méditations, ne seraient-ils pas excusables s’ils
doutaient de l’impartialité d’une décision qui leur ravirait en un instant le
droit le plus honorable et le plus précieux que leur donne la constitution, que
vous avez juré comme eux de maintenir ? Pourriez-vous équitablement vous
plaindre si, rentrés dans vos foyers, vous les trouviez communiquant aux
électeurs, dont vous allez en partie avoir à réclamer les suffrages, leurs
doutes sur votre respect pour le maintien de cette constitution à laquelle vous
auriez si légèrement porté la première atteinte ? Qu’il me suffise d’avoir fait
cet appel à votre conscience ; vous ne vous êtes jamais fait un jeu de l’avenir
de vos commettants, et vous ne commencerez pas par faire des parias de ceux
dont tout le crime et de servir fidèlement la patrie.
Je croirais,
messieurs, en avoir dit assez pour motiver mon vote pour un examen plus mûr,
plus approfondi, plus dégagé de questions d’intérêt personnel, de la
proposition qui vous est soumise, mais la commission l’ayant examinée sous un
autre point de vue, ma tâche ne serait pas remplie.
Je reconnais avec
la commission qu’il serait à regretter qu’un trop grand nombre de
fonctionnaires parvînt a la représentation nationale ; je reconnais encore que
la considération dont elle doit être entourée pourrait en recevoir des
atteintes, mais ce qu’elle me semble avoir perdu de vue, c’est qu’au lieu de
faire le procès aux commissaires de district, elle l’a fait aux électeurs ;
c’est qu’au moment d’aller réclamer leurs suffrages, elle les déclare inaptes à
les donner avec discernement.
Tout notre système
représentatif repose sur la même base ; son représentant dans la commune, dans
la province, dans la chambre et au sénat, c’est d’après le même principe que,
libre et indépendant, l’électeur le choisit ; si le principe est vicieux, s’il
prête à abus, ces abus devaient se faire sentir aussi bien dans la commune et
dans la province que dans les chambres ; si vous croyez qu’ils ne se détruisent
pas par eux-mêmes, si vous désespérez des progrès de la raison publique, eh
bien, soyez francs avant tout, et déclarez vicieux le principe ; attaquez de
front la cause, mais n’allez pas frapper en aveugles sur les effets. Quand vous
proclamez les élections libres, ne mettez pas les électeurs en curatelle.
Les commissaires de
district, dit-on, ont, par la nature de leurs fonctions et leurs relations
journalières, une influence qui leur facilite les moyens de se faire élire ;
mais, messieurs, cette influence n’a pas empêché plusieurs de ces agents
d’échouer dans leurs démarches, et certains autres d’être éliminés après une
première élection. Celui qui a paru juste, qui s’est montré franc et loyal aux
yeux d’une population qui a pu contrôler le moindre de ses actes, ne pourra pas
obtenir de cette population une marque de confiance qui l’honore, sans résilier
des fonctions que la constitution ne déclare pas incompatibles ; il devra
renoncer à une carrière publique à laquelle il a consacré toute son existence,
et un procureur du roi qui a des relations à peu près aussi suivies avec elle ;
un président du tribunal qui est en rapport avec les hommes les plus influents
sur elle ; un doyen qui a dans chaque commune au moins un subordonné pour le
recommander par toutes les voies directes et indirectes ; un secrétaire général
du ministère de l’intérieur, par exemple, qui dispose de toutes les places de
bourgmestres, échevins, secrétaires, resteront éligibles sans condition ? Mais,
messieurs, il y aurait là une injustice criante.
L’administration en
souffre, dit-on ; l’élu est pourtant momentanément remplacé, et il peut
concilier ses devoirs de telle manière que son délégué le consulte sur toutes
les dispositions quelque peu importantes ; il peut donc parer en grande partie
aux inconvénients de son éloignement. Ce grief est pourtant énoncé à l’appui du
projet par la commission, et elle se tait sur celui que présente à cet égard
l’éloignement d’un procureur du Roi, celui d’un président de tribunal, eux qui
ne sont pas remplacés, et quoique de leurs lumières puissent parfois dépendre
des intérêts bien autrement graves, la liberté, la fortune de leurs
concitoyens.
Les commissaires de
district seront éligibles sans condition hors de leurs districts, dit la
commission : mais leurs fonctions en seront-elle mieux remplies ? et pourquoi
faire si bon marché, dans un cas, d’un grief contre lequel on vient de s’élever
dans un autre ?
C’est sans doute
parce qu’elle a reconnu elle-même qu’une restriction dans le sens proposé
équivalait à une exclusion complète, vu que pour un particulier, pour un
industriel comme pour un fonctionnaire ce n’est que dans la localité où il a le
principal siège de son établissement, là où il a le mieux pu se faire
connaître, qu’une élection présente des chances réelles.
Lorsque j’ai
reconnu que la présence d’un trop grand nombre de fonctionnaires dans la chambre
pouvait porter atteinte à sa considération, j’ai reconnu les conséquences
éventuelles d’un fait ; mais la possibilité du fait lui-même, je suis loin de
la reconnaître.
Dans un
gouvernement constitutionnel, ou des majorités, comme le dit M. Dumortier, laisser
tomber les chambres en déconsidération serait pour le gouvernement se
déconsidérer lui-même. Quel est dès lors, messieurs, le ministère qui prêterait
les mains à pareille œuvre ? Le mal qui semble préoccuper les esprits est donc
flagrant, ou la proposition n’est qu’un acte de défiance envers ceux qui
disposent des moyens de la rendre inutile. S’il est flagrant, pourquoi une
demi-mesure, pourquoi une exception pour une catégorie de fonctionnaires à
sacrifier à toutes les autres ; pourquoi dans cette exception première une
seconde exception qui, dans cette catégorie, crée des privilèges ? Quand vous
voulez vous ériger en juges de la conscience des autres, sachez au moins faire
acte de justice, et n’épargnez pas au coupable la peine que vous faites subir à
l’innocent. Si le mal n’est encore que dans les prévisions de l’avenir, est-ce
bien en inscrivant dans vos lois un acte de défiance, d’injustice et de
favoritisme, que vous appellerez sur vous cette considération dont vous vous
montrez justement jaloux ?
Quelques-uns de nos
collègues, passibles de réélection, craignent la concurrence de leur
commissaire de district : voilà le grand mot lâché. Après moi la fin du monde,
se dit chacun d’eux, et dussent de petites choses coûter de grands moyens,
parce que dans le nombre il en est qui menacent, il faut les sacrifier tous.
Messieurs, que le
gouvernement, s’il le juge convenable, prenne fait et cause pour les plaignants
; que même, pour me servir d’une expression à laquelle un membre du cabinet a
donné cours, il mobilise ces redoutables fonctionnaires, et tout l’échafaudage
de la proposition s’écroule, sauf à prendre plus tard telle mesure ultérieure
que le temps et la réflexion suggéreront. On veut un moyen, on en veut un à
tout prix et tout de suite ; eh bien, c’en sera un, efficace au moins pour le
moment, et on se sera réservé le temps de peser plus mûrement les conséquences
de ce que l’on propose.
D’autres mieux à
même que moi d’y imprimer le cachet de logique et de raison que comporte le
sujet, se chargeront sans doute d’examiner la question sous le rapport
politique et gouvernemental ; quant à moi, je me bornerai à vous soumettre
encore quelques considérations spéciales. Les fonctions du commissaire de
district sont en général aujourd’hui plus honorables que lucratives. Rétribués
en la plupart des localités moins que de simples commis aux écritures dans les
administrations, ces agents ont néanmoins certaine dignité à garder et des
obligations de position à remplir qui les astreignent à des frais beaucoup plus
considérables que le produit de leur place. Recherchées pourtant beaucoup plus
que d’autres infiniment mieux salariées, ces fonctions sont en général restées
entre les mains de la classe intermédiaire de la société.
Pour le
fonctionnaire en sous-ordre, une pareille composition de personnel est une
condition d’amour-propre et de zèle dans le service, parce qu’il est de
l’essence de l’homme de ne servir qu’à contrecoeur sous un chef que
personnellement il reconnaît pour son inférieur. Pour le gouvernement c’est une
condition de force et de bonne administration, parce que celui qui n’est pas à
la hauteur de sa position ne peut pas y être considéré, et que sans
considération il n’y a pas d’influence. Pour l’administré c’est une garantie,
parce que celui qui n’est pas dépendant de sa place joint en général à plus
d’élévation de caractère l’avantage de ne jamais être exposé à devoir lui
sacrifier sa dignité personnelle. Quel serait le stimulant qui ferait
rechercher ces fonctions, puisque ce n’est pas l’appât lucratif, si ce n’est la
considération dont elles sont entourées et l’influence qu’elles donnent ?
Frappez au vif cette considération, cette influence, en dégradant de leur rang
politique ceux qui en sont investis, et il ne reste que le chétif traitement, hors
de proportion avec tous les autres affectés à des rangs analogues.
Ce n’est pas sous
ce seul rapport que les fonctions de commissaire de district sont peu
avantageuses ; dans toute carrière une honorable ambition permet d’aspirer à
quelque avenir progressif ; l’ordre judiciaire, la finance, l’armée, ont leur
avancement, et maint chétif avocat, avec un peu de savoir et un peu de
savoir-faire, compte déjà quelques degrés derrière lui dans l’ordre
hiérarchique depuis que la révolution l’a fait sauter d’un petit bureau sans
clientèle dans un grand fauteuil de magistrat. Quelle est la perspective du
commissaire de district ? aucune ; un avancement se présente, il compte sur ses
années de service, sur son activité, sur ses connaissances pratiques, et ce
qu’il attendait comme récompense de son zèle, devient le domaine de noviciat de
quelque protégé, en faveur duquel ont milité de puissantes considérations.
Il reste donc où il
est, fixe comme un terme, jusqu’au premier mouvement politique, dans lequel,
par la nature de ses fonctions, son zèle actif est inévitablement marqué. Il
est fonctionnaire, il doit exécuter les ordres qu’il reçoit, et compromet sa
popularité ; la conséquence, messieurs, une citation de faits me dispensera de
vous l’expliquer : à l’exception d’un seul, tous les commissaires de district
en fonctions à l’époque de la révolution ont immédiatement été destitués, et
presque tous sont encore aujourd’hui sans place, sans pension. En a-t-il été de
même dans d’autres carrières ? Les fonctionnaires du département des finances,
ceux de l’ordre judiciaire, ceux qui occupent des grades militaires, ont-ils,
comme eux, perdu leur rang, leurs avantages et leurs titres ? Il est inutile,
messieurs, que je réponde par la négative ; à de rares exceptions près, exceptions
tout à fait basées sur des questions de personnes, les commissaires de district
sont les seuls fonctionnaires qui aient en masse fait l’objet d’une disposition
de ce genre, et la nature de leurs attributions l’explique.
Quel est, je vous
le demande, messieurs, celui qui, à de pareilles conditions, irait consacrer le
fruit de ses études loin de sa famille, loin de ses intérêts, dans une localité
dont les ressources ne sont pas toujours en rapport avec ses goûts, y dépenser
une partie de son patrimoine, subir les effets de chaque fluctuation politique,
s’il n’attachait plus de prix à la considération dont est entourée la place,
qu’aux avantages matériels qui y sont affectés ?
Portez-leur le coup
qui vous est proposé, en rendant cette place l’objet d’une exception
déshonorante, et avec le prestige s’évanouit l’ambition.
Promptement, je vous l’assure, messieurs, passeraient alors ces
fonctions des mains de la classe sus-indiquée aux mains d’une autre classe.
On craint
aujourd’hui l’influence de ces gens pour eux-mêmes, ce serait bien pis si elle
devenait à craindre alors qu’elle serait exploitée au profit d’un autre ; ce
serait bien pis encore si, par des mesures telles que celle qui nous occupe,
ils étaient déconsidérés au point de ne plus en avoir qui pût porter ombrage.
J’abandonne,
messieurs, ces réflexions à votre sagesse : quant à moi, je repousserai la
proposition comme injuste, irréfléchie, impolitique dans sa forme, et comme
pouvant dans ses effets être efficacement remplacée par une simple disposition
administrative qui la rendrait inutile.
M. de
Brouckere. - Messieurs, je ne sais si d’autres que ceux que le
projet de loi en discussion doit froisser quelque peu trouveront dans ce projet
des vues d’opposition au gouvernement, ou du moins l’intention de diminuer son
influence on d’affaiblir son action. Je ne puis empêcher que l’on suppose ce
but à aucuns de ceux qui dans la chambre se prononceront en faveur du projet ;
mais j’ai besoin de déclarer que tel n’est pas du tout le mien, et je crois
pouvoir ajouter que tel n’est pas celui que s’est proposé la majorité de la
commission qui a adopté le projet.
Je ne suis pas de
ceux qui pensent qu’il y a inconvénient à ce que l’on compte dans la chambre un
certain nombre de députés que leurs fonctions amovibles mettent plus ou moins
dans la dépendance du gouvernement. Je ne suis pas de ceux qui veulent limiter
le choix des électeurs au-delà de ce que la nécessité exige. Je pense, au
contraire, qu’il faut leur laisser beaucoup de latitude, et que s’il leur
convient de choisir pour représentant un homme qui s’annonce comme voulant
appuyer le gouvernement en toute occasion, ce choix peut être tout aussi
honorable, tout aussi avantageux qu’un autre.
Le député qu’on
appelle ministériel, c’est-à-dire celui qui croit que le pouvoir ne doit pas
être contrarié dans sa marche, celui qui pense qu’il faut lui prêter appui et
confiance ; ce député peut tout aussi bien mériter du pays que celui qui croit
mieux remplir son mandat, en surveillant le gouvernement de plus près, en le
contrôlant sans cesse, en disséquant tous ses actes. Le premier convient à
certains électeurs ; d’autres préfèrent le second ; tous doivent être libres,
et ma pensée est que ce sera toujours un bien pour le pays que toutes les
opinions, tous les intérêts aient leurs représentants dans les chambres.
S’il était donc
question, messieurs, de décider que telle ou telle classe de fonctionnaires
sera exclue des chambres par ce seul motif que leurs fonctions les rendent plus
ou moins dépendants du gouvernement, je m’y opposerais. Je désire sincèrement
qu’il y ait toujours parmi nous des gouverneurs, des commissaires de district,
comme je désire y voir des magistrats, des fonctionnaires municipaux, des
industriels et des commerçants. L’absence des gouverneurs ou des commissaires
de district dans la chambre, j’en ai la conviction, se ferait bientôt sentir ;
car, dans les discussions relatives à des lois organiques, à des mesures
d’administration, leurs lumières et leur expérience nous ont toujours été d’une
grande utilité.
Mais ce qu’il faut
prévenir autant que possible, c’est qu’une classe quelconque de fonctionnaires
n’envahisse la chambre, parce que les décisions de la chambre, alors
influencées par cette classe, ne seraient bientôt plus regardées comme prises
dans l’intérêt du pays, mais bien dans l’intérêt d’une fraction, d’un parti.
Je ne dis pas que
ce mal soit toujours facile à éviter ; mais il le faut faire, quand cela est
possible, et ici toute la question est, selon moi, de savoir si, en laissant
les choses comme elles sont, il n’est pas vraisemblable qu’après les deux
prochaines élections, c’est-à-dire, après que la moitié de la chambre aura été
renouvelée, le nombre des commissaires de district envoyés parmi nous sera plus
que doublé.
Pour moi,
messieurs, cela paraît être hors de doute. Ce qui s’est passé jusqu’ici, ce
dont nous sommes tous les jours témoins, nous le prouve suffisamment. Nous
avons en ce moment parmi nous 10 commissaires de district, sans comprendre dans
ce nombre les membres de la chambre qui occupaient ces fonctions lorsqu’ils ont
été élus, et qui ont changé de position.
La nouvelle loi
communale qui est maintenant en vigueur donne sans contredit une influence bien
plus grande aux commissaires de district que celle qu’ils avaient jusqu’alors.
Il est donc certain, messieurs, qu’il sera à l’avenir beaucoup plus facile aux
commissaires de district de se faire élire que cela ne leur a été
jusqu’aujourd’hui. De là cette conséquence nécessaire que le nombre des commissaires
de district qui seront envoyés à la chambre doit s’accroître dans une très
grande proportion.
Cela est d’autant
plus vrai, messieurs, que d’après ce que vient de dire l’honorable préopinant
lui-même, les fonctions de membre de la législature doivent être l’objet de
l’ambition des commissaires de district. Car cet honorable membre s’est
appliqué à prouver longuement, et par de bons arguments, j’en conviens, que le
mandat de député doit être recherché par tous les commissaires de district.
Mettez maintenant le raisonnement de l’honorable préopinant à côté de l’extrême
facilité des commissaires de district à se faire nommer, et vous verrez que
d’ici à très peu de temps la plupart de ces fonctionnaires doivent
nécessairement arriver au corps législatif. Il y a dans le royaume 44
commissaires de district qui, comme l’a dit l’honorable M. de Jaegher, doivent
ambitionner la place de député.
Eh bien, je suppose
que parmi ces 41 commissaires de district il y en ait quelques-uns à qui, par exception,
le mandat de député ne convienne pas, ou qui ne réussissent pas à se faire
élire. Je suppose que nous n’ayons parmi nous que 30 ou 35 de ces
fonctionnaires. Je vous le demande, messieurs, croyez-vous qu’une chambre de
102 membres, dans laquelle seraient appelés 30 ou 35 commissaires de district,
puisse encore exercer au-dessus l’influence dont elle a besoin, et jouir de
cette considération qui fait toute sa force, comme l’a dit l’honorable
préopinant lui-même ?
Messieurs, vous
avez entendu deux orateurs se prononcer conte le projet. Le premier a peu
cherché à s’étayer sur un argument pour le combattre ; mais il a fait un appel
à vos sentiments de générosité. Selon lui, il n’y aurait ici que des plaideurs
et des avocats ; des juges, il n’en trouve pas. Nous sommes incompétents pour
décider la question.
J’aurais bien voulu
que l’honorable membre eût étayé cette allégation de quelques preuves. Quant à
moi, il me semble que la chambre peut tout aussi bien juger cette question que
toutes les autres concernant la loi électorale ; car, dans toutes les questions
qui concernent cette loi, il est évident que les députés ont un intérêt au
moins indirect. Mais enfin la conclusion du plaidoyer de l’honorable membre a
été que nous devrions nous abstenir par pudeur. Je suis très persuadé que,
s’appliquant à lui-même le conseil qu’il nous donne, l’honorable membre aura,
lui, la pudeur de s’abstenir, parce que, comme il l’a dit en commençant, il n’a
pas seulement un intérêt indirect, mais bien un intérêt direct dans la
question.
Mais quant à nous
qui ne sommes intéressés que de très loin au projet de loi, si toutefois nous
le sommes, je ne pense pas que nous devions nous abstenir. Si nous nous
abstenions, je demanderais à l’honorable membre devant quel tribunal sera portée
la question ? Car enfin, la question une fois soulevée, il faut qu’on la juge ;
et l’honorable auteur ne veut par faire porter la cause devant un autre
tribunal, il faut nécessairement que ce soit le vôtre qui prenne la décision.
Le même orateur
s’est particulièrement élevé contre le projet, parce que, selon lui, c’est une
espèce de croisade contre les commissaires de district qu’on veut présenter à
la nation comme suspects. Selon lui encore, la loi porterait atteinte à la
liberté des élections, elle exciterait l’animosité des électeurs contre une
certaine classe de citoyens ; ce serait, messieurs, je me sers de ses propres
expressions, une loi de proscription.
J’avoue que tous
ces mots sont bien sonores, mais je ne puis en faire l’application à la loi qui
nous occupe en ce moment.
D’abord il est
inexact de dire que cette loi soit faite contre les commissaires de district ;
il n’est entré dans l’esprit d’aucun des membres qui composaient la commission
aucune pensée hostile quelle qu’elle soit contre les commissaires de district.
Ce qu’elle a fait, elle l’a fait dans l’intérêt de la chambre et dans l’intérêt
du pays ; mais elle n’a eu aucun égard à ce qui concernait les individus ; on
n’a pas même exclu les commissaires de district. Il dépendra des électeurs de
choisir pour leur représentant leur commissaire de district, et il sera reçu
dans cette chambre ; son élection sera valable, pourvu qu’il renonce aux
fonctions administratives qu’il a remplies jusqu’alors.
Je vous prie de ne
pas perdre de vue l’état de la législation en France. Là, non seulement on a
prononcé l’incompatibilité des fonctions de sous-préfet (je ne parle pas des
autres, elles sont hors de cause) avec celles de membre de la chambre des
députés ; mais la loi décide formellement qu’un sous-préfet ne pourra pas être
élu à la chambre par son arrondissement dans les six mois qui suivraient sa
démission de sous-préfet. Il ne peut pas être élu dans l’arrondissement où il a
exercé ses fonctions avant ce laps de temps, parce que l’on a compris combien
devait être grande l’influence de cette espèce de fonctionnaire, et quel
inconvénient il y aurait à ce qu’un trop grand nombre de ces fonctionnaires fût
envoyé aux chambres.
L’honorable membre
qui a parlé le dernier s’est beaucoup appuyé sur une prétendue
inconstitutionnalité dont serait entaché le projet que nous discutons. Mais je
dois faire pour lui la même observation que j’ai déjà faite pour un autre
orateur. C’est que cette allégation, il ne l’a appuyée d’aucune preuve. Le
projet, vous dit-il, est inconstitutionnel ; mais en quoi il est
inconstitutionnel, il ne s’explique pas. Je lui répondrai par l’aveu fait par
M. C. Rodenbach lui-même, qu’il n’y a rien d’inconstitutionnel dans le projet.
Et en effet, on
n’augmente pas les conditions d’éligibilité, et on ne restreint pas le choix
des électeurs ; rien en un mot ne se trouve dans le projet qu’on puisse
considérer le moins du monde comme contraire au texte ou à l’esprit de la
constitution.
Mais un autre grief
sur lequel on s’est récrié, c’est que le projet a été jeté au milieu de nous
sans que personne s’y attendît, et dans des circonstances telles qu’on n’a pas
le temps de le discuter.
A cela je répondrai
que la proposition n’est pas neuve. Elle a été faite au moment où nous
discutions la loi électorale ; la chambre s’en est alors occupée, et elle a
même émis un premier vote sur cette proposition. Ainsi chacun de vous a été
d’autant plus à même de se former une opinion, que déjà il a été dans le cas
d’émettre cette opinion.
Enfin l’on reproche
à la loi d’être injuste. Pourquoi ? Parce qu’elle frappe une seule classe de
fonctionnaires et qu’elle pourrait, avec la même raison, en frapper plusieurs
autres, telles que celle des procureurs du Roi, celle des présidents de
tribunaux el les militaires, Mais je ferai remarquer à l’honorable orateur qui
a fait cette observation, que les mêmes raisons n’existent pas contre ces
classes de fonctionnaires. D’abord il est incontestable que ni les militaires
ni les magistrats n’ont la même facilité pour se faire élire aux chambres.
L’expérience l’a bien prouvé.
En second lieu,
peut-on trouver qu’il y ait dans la chambre des magistrats ou des militaires en
nombre tel qu’il soit hors de proportion avec le nombre total des membres de la
chambre ? Assurément non. Pour tranquilliser l’honorable membre, je dirai que
si je voyais des procureurs du Roi dans cette enceinte, et que j’eusse la
certitude que ce nombre pût être doublé, je présenterais moi-même un projet de
loi pareil à celui que nous discutons, et qui aurait pour objet de décider que
les fonctions de procureur du Roi seront incompatibles avec celles de membre de
la chambre.
Je regarde comme
dans intérêt de la chambre, dans l’intérêt du pays, et j’ajoute dans l’intérêt
du gouvernement lui-même, que la chambre ne soit pas envahie par une classe de
fonctionnaires, parce • qu’alors elle ne représenterait plus le pays, elle ne
serait plus regardée comme indépendante, et elle ne pourrait plus faire le bien
qui doit rejaillir sur la nation des décisions qu’elle prend.
Messieurs, l’on a dit encore que le projet de loi faisait le procès aux
électeurs bien plus qu’il ne le fait aux commissaires de district, et l’on a
cherché prouver cette assertion. Je répondrai que le projet ne fait pas plus le
procès aux électeurs qu’aux commissaires de district, car il ne le fait à
personne. J’ai déjà dit et je répète, parce que c’est une vérité incontestable,
que le projet n’attaque personne, et n’a pas été fait dans un esprit
d’hostilité contre qui que ce soit, pas plus contre les électeurs qui pourront
continuer à se faire représenter par leurs commissaires de district, que contre
les commissaires de district qui pourront continuer à être élus membres des
chambres.
Je crois avoir
répondu aux principales objections qui jusqu’ici ont été faites contre le
projet. Si d’autres orateurs se joignent à ceux qui ont pris jusqu’ici la
parole pour l’attaquer, je me réserve de leur répondre.
Je crois inutile de
relever ce qui a été dit de la manière dont la commission a fait son travail ;
la commission se regarde comme au-dessus de pareils reproches.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). -
Messieurs, quoi qu’en ait dit l’honorable préopinant, il est à regretter
que la chambre ait été saisie de cette proposition, à la fin de la session et
en présence d’une élection immédiate ; je crois que dans d’autres temps, dans
d’autres circonstances, cette proposition eût été plus approfondie, méditée
plus à froid, qu’on en eût mieux apprécié toutes les conséquences.
Je pourrais appuyer
cette opinion du rapport même fait par l’honorable préopinant. En effet l’on y
lit :
« Dans d’autres
circonstances, la commission eût sans doute employé plus d’une séance à une
discussion dont aucun de ses membres ne méconnaissait l’importance ; elle eût
même attendu que l’opinion publique se fût plus ou moins manifestée ; mais,
pressée par le temps, elle a voulu que ses conclusions vous fussent présentées
sans retard ; je viens, en son nom, vous les faire connaître. »
Cette proposition,
messieurs, fut également discutée à peu près à l’improviste en 1835, à
l’occasion de la loi sur le renouvellement des chambres ; et alors elle fut
rejetée, après une courte discussion, par 39 voix contre 27. Il est vrai que
les gouverneurs de province se trouvaient compris dans la même disposition que
les commissaires d’arrondissement. Bien que la commission ait écarté de la
cause les gouverneurs de province, la question de principe n’en est pas moins
la même.
On a énoncé des
craintes sur le danger de voir s’accroître indéfiniment le nombre des
commissaires d’arrondissement dans cette enceinte. Mais, messieurs, ne peut-on
pas croire avec fondement que, si ce nombre allait croissant, l’attention des
collèges électoraux serait suffisamment éveillée pour porter remède au mal.
Nous n’hésitons pas non plus à penser qu’il n’est pas convenable qu’une classe
de fonctionnaires soit dans le cas de dominer dans une assemblée législative.
Mais jusqu’à présent, nous n’avons pas vu d’exemple d’une semblable tendance
dans les collèges électoraux. En effet, si nous voyons ici un certain nombre de
commissaires d’arrondissement, nous y voyons aussi un certain nombre de
procureurs du Roi, un certain nombre de présidents de tribunaux, des membres
des cours d’appel, enfin des fonctionnaires des divers ordres de l’Etat, des
industriels,des rentiers, enfin des hommes des diverses classes de la société ;
jusqu’à présent donc, on ne peut pas dire qu’il y ait monopole au profit
d’aucune classe.
Nous n’examinerons
pas la question sous le rapport d’une prétendue influence gouvernementale. Sous
ce rapport nous déclarons que nous sommes entièrement désintéressés. En effet,
j’en appelle à vous tous, vous pouvez apprécier si, dans aucune occasion, nous
avons cherché à exercer de l’influence sur un membre quelconque de cette
assemblée.
Ainsi les votes des
députés sont complètement libres, sous ce rapport, c’est aux collèges
électoraux qu’il appartient surtout d’apprécier de quelle manière le mandataire
a rempli son mandat.
Quant aux
inconvénients administratifs qui peuvent résulter de l’absence d’un trop grand
nombre de commissaires d’arrondissement, de leur résidence, ce sera au
gouvernement à apprécier s’il est nécessaire de poser une limite à l’absence de
cette classe de fonctionnaires, s’il n’entre pas dans l’intérêt de
l’administration d’exiger leur résidence permanente dans leur ressort
administratif, sauf permettre seulement à un certain nombre d’entre eux de
faire partie des chambres à raison de leur expérience dans l’administration :
car il ne faut pas perdre de vue que l’expérience de l’administration est
fréquemment nécessaire dans nos débats.
Il serait fâcheux de voir que l’ordre administratif ne fût pas
représenté dans cette enceinte, alors que l’ordre judiciaire y serait largement
représente.
On ne nous
reprochera pas de favoriser les élections des commissaires de district ; c’est
ainsi que, persuadés que dans ce moment le besoin d’augmenter le nombre de ces fonctionnaires
dans cette enceinte ne se fait pas sentir, nous-mêmes, avant la présentation du
projet de loi, nous avons exigé de deux commissaires d’arrondissement,
récemment nommés, la promesse préalable qu’ils ne se mettraient pas sur les
rangs aux élections prochaines ; c’est ainsi nous avons fait preuve de notre
manière large d’apprécier la représentation nationale. D’après cela, nous ne
voyons pas la nécessité d’adopter la mesure législative qu’on nous propose.
(Moniteur belge n°141, du 21 mai 1837) M. C.
Rodenbach. - L’honorable M. de Brouckere m’a fait une
interpellation. Je tiens à y répondre.
Il m’a demandé si
j’aurais la pudeur de m’abstenir. Quoiqu’on ne soit pas obligé en prononçant un
discours de dire en quel sens on votera, quoiqu’on ait le droit par conséquent
de suspendre son vote, je veux cependant dire à l’honorable orateur comment je
voterai et quels sont les motifs qui me guident.
Je ne réfuterai pas
toutes les argumentations sophistiques qu’il a avancées pour défendre le projet
de loi dont il est le rapporteur ; car ce serait tomber dans une discussion
oiseuse, une discussion de mots, une véritable logomachie. Je me bornerai donc
à répondre à son apostrophe.
Si j’avais parlé et voté pour la loi, c’eût été uniquement agir dans un
but personnel, d’autant plus que je suis partie fortement intéressée dans le
projet de loi et que je décline la compétence de la chambre qui siége
actuellement. Si je n’avais pas parlé contre, on aurait pu supposer que j’avais
pensée d’écarter un concurrent dans l’arrondissement que je représente ; par
conséquent j’ai parlé contre mes intérêts politiques. Je suis dans une position
toute spéciale, tout exceptionnelle, qui sera, je l’espère, appréciée par la
chambre ; elle sera la cause de mon abstention. J’ai l’honneur d’être le député
d’un arrondissement où je ne suis pas administrateur. Si la loi passe, si les
commissaires de district sont déclarés en quelque sorte non éligibles dans le
ressort de leur administration, j’évite un concurrent dans la personne du
commissaire de district dans la contrée dont je suis le représentant. Si donc
je n’avais consulté que mon intérêt, j’aurais appuyé la loi ; mais je me suis
prononcé avec force et avec chaleur contre la loi, parce qu’elle est saugrenue,
incohérente et déplacée dans les circonstances actuelles, d’autant plus que
tout le monde est partie en cause, tout le monde parle ici dans son intérêt
individuel ; je crois donc avoir eu raison de dire que je voyais ici des avocats
et des plaideurs, mais que je n’y voyais pas des juges compétents ; voilà
l’épithète dont je me suis servi.
Je terminerai mes
observations sur cette matière.
M. de Jaegher.
- L’honorable M. de Brouckere a cherché à réfuter les arguments que j’ai eu
l’honneur de présenter ; je laisse à votre appréciation s’il a réussi. Mais il
a cherché surtout à nous persuader que ce n’était pas contre les commissaires
de district particulièrement qu’était dirigée la proposition.
Il nous a dit : «
C’est pour éviter un abus. La chambre compte déjà au nombre de ses membres dix
commissaires de district ; si cela continue, la chambre entière pourra un jour
être envahie par les 44 commissaires de district qui se trouvent dans le
royaume. »
En admettant cette
considération, il faudrait reconnaître encore que la proposition est tout à
fait incomplète ; car il a échappe au préopinant que si les commissaires de
district sont au nombre de dix dans la chambre, les présidents du tribunal
civil y sont au nombre de huit. Je ne vois pas pourquoi d’après cela on ne
redouterait pas autant de voir la chambre envahie par les présidents de
tribunal que par les commissaires de district.
Dira-t-on qu’ils
n’ont pas la même influence sur les électeurs ? Mais ils président les collèges
électoraux, et il me semble qu’étant ainsi en face de l’électeur, ils exercent
par cela même une influence telle qu’il peut en résulter en quelque sorte une
atteinte portée à la liberté de son vote. C’est entre ses mains que l’électeur
dépose son bulletin, et si le président a cherché à exercer quelque influence
sur l’électeur, ne peut-il pas employer des moyens pour s’assurer si le
bulletin est bien celui qu’il l’a chargé de remettre ?
Je ne m’arrête pas
à la catégorie des présidents. Les juges sont ici au nombre de sept. Il y a en
outre quatre membres du parquet.
L’ordre judiciaire
compte donc ici un assez grand nombre de représentants.
Quant aux membres
des cours d’appel, je n’en parlerai pas.
Quand je remarque
que ces MM. trouvent dans leurs loisirs le temps nécessaire pour remplir les
fonctions de commissaire de société, je trouve qu’il est bien qu’ils puissent
utiliser ces loisirs dans l’intérêt du pays.
Lorsque j’ai pris la parole pour la première fois, j’ai dit que la
proposition était inconvenante. Les citations que j’ai eu l’honneur de faire
confirment cette première assertion. Vous jugerez si maintenant il est
convenable, s’il est juste de sacrifier les commissaires de district aux autres
catégories de fonctionnaires.
Si l’on croit à la
dépendance des fonctionnaires, lorsque l’on voudra assurer l’indépendance des
membres de la législature, que l’on prenne une mesure contre les fonctionnaires
en général ; sinon je crois qu’une mesure particulière telle que celle dont a
parlé M. le ministre de l'intérieur suffit pour satisfaire aux intérêts de ceux
qui se croient menacés par l’influence des commissaires de district.
M. Dumortier.
- A entendre les adversaires du projet de loi, la chambre ne pourrait pas adopter
ce projet de loi ; elle n’en est pas juge parce qu’elle est partie intéressée ;
eux seuls seraient donc bons juges du projet puisqu’ils donnent d’excellentes
raisons pour le rejeter. Je pense que vous ferez justice de cette singulière
manière d’argumenter, et qu’il suffira que je la signale pour que vous la
réfutiez dans vos esprits. Je me bornerai à répondre quelques mots à ce qu’a
dit en dernier lieu un honorable préopinant. Je ne m’occuperai pas de son
premier discours, car l’honorable M. de Brouckere y a répondu de telle manière
que je ne pourrais que répéter ce qu’il a dit.
Vous ne pouvez, a
dit ce préopinant, adopter une disposition semblable, alors qu’il se trouve
dans la chambre tant de membres de l’ordre judiciaire et spécialement des
présidents de tribunaux ; car c’est entre leurs mains que les électeurs
déposent leurs bulletins. Assurément vous n’admettrez pas que les présidents de
tribunaux aient les mêmes moyens d’influence que les commissaires de district ;
car ces magistrats n’ont de rapport avec les administrations communales que
pour légaliser les signatures des bourgmestres, et ils n’ont aucun moyen
d’influence ni direct ni indirect sur les membres des administrations
communales, tandis, au contraire, que les commissaires de district ont été
investis par la loi, dans l’intérêt de la chose publique, du pouvoir qu’ils ont
entre les mains et dont ils peuvent faire un grand usage pour vicier les
élections. C’est pour cela que nous n’avons pas étendu la loi aux autres
fonctionnaires.
Le gouvernement lui-même reconnaît la nécessité de
la loi, puisqu’il a dit que le besoin d’un plus grand nombre de commissaires de
district dans cette enceinte ne se faisait pas sentir, et qu’il a exige de deux
de ces fonctionnaires qu’ils ne se missent pas sur les rangs aux élections qui
vont avoir lieu.
Il y aurait encore
beaucoup à dire en faveur de la proposition, mais les moments sont précieux, je
n’en dirai pas davantage. Je pense que ce peu de mots suffira pour déterminer
l’adoption de la proposition.
M. Mast de
Vries. - M. le ministre de l’intérieur vient de dire qu’il avait
exigé de deux commissaires de district, récemment nommés, qu’ils ne se missent
pas sur les rangs aux prochaines élections ; je demanderai si cette mesure
administrative ne pourrait pas être étendue aux autres commissaires de
district. Dans ce cas cette mesure suffirait ; la proposition qui nous occupe
deviendrait inutile.
M. Lardinois.
- Personne ne révoquera en doute que la proposition faite par l’honorable M.
Dumortier a une portée immense et touche aux questions les plus graves ; car
elle mérite d’être considérée sous le rapport constitutionnel aussi bien que
sous le rapport gouvernemental et politique.
C’est au moment de
nous séparer, messieurs, que cette proposition qui exigerait un examen
approfondi et des débats solennels, est lancée dans la discussion et au milieu
d’une loi de douanes qui a fatigué tous les esprits. Je vous le demande,
sommes-nous disposés à traiter convenablement cette question, alors que nous
n’avons pas le temps d’en faire le sujet de nos méditations ? Je déclare, quant
à moi, que la chose me paraît impossible ; qu’une décision de la chambre peut
être enlevée, mais comme une surprise et sans discussion approfondie. Si je
prends donc la parole, messieurs, mon but n’est pas de vous faire un long
discours, mais de rappeler succinctement quelques faits et de donner les motifs
de mon vote.
D’ailleurs,
l’honorable M. de Jaegher vient de faire valoir des arguments tellement
pertinents qu’ils devraient suffire pour faire rejeter ce projet de loi.
L’auteur de la
proposition demande que les gouverneurs et les commissaires d’arrondissement,
élus membres de la représentation nationale, aient à opter entre leurs
fonctions et leur mandat de représentant ou de sénateur, lorsqu’ils sont nommés
par le district ou l’un des districts qu’ils administrent.
Cependant il fait
une exception pour ceux de ces fonctionnaires qui font actuellement partie de
la législature. Je regarde cette exception comme un principe que la loi ne doit
pas consacrer, parce que ce serait violer l’égalité des droits.
Dans les
développements de sa proposition, M. Dumortier a défini le gouvernement représentatif,
le gouvernement des partis. Ainsi, ce n’est plus celui dans lequel le peuple,
la classe des grands propriétaires et le prince concourent tout à la fois à la
confection des lois. C’est le gouvernement des partis, celui qui ne peut être
composé que de vainqueurs et de vaincus, d’oppresseurs et d’opprimés, que la
révolution de septembre a conquis, l’entendez-vous !
C’est donc un parti
ou plusieurs partis réunis qui demandent l’exclusion de la représentation
nationale d’une certaine catégorie de fonctionnaires publics. Si cette mesure
était adoptée, elle servirait de prélude à d’autres propositions plus odieuses
les unes que les autres, parce qu’il est de la nature des partis de ne
s’arrêter jamais.
Lorsque l’on est
dominé par des principes et non pas par des passions, je conçois que l’on
réclame une mesure large, franche, loyale, comme, par exemple, de demander
qu’il y ait incompatibilité pour tous les fonctionnaires amovibles avec la
qualité de membre de l’une ou l’autre des deux chambres. Dans ce cas, une
proposition pareille pourrait se justifier, parce qu’elle aurait un caractère
plus général, et que ce ne serait pas une demi-mesure imaginée par une coterie
ou un parti.
Il paraît que la
loi communale a donné beaucoup d’influence aux gouverneurs et aux commissaires
de district, et qu’au moyen de cette influence on peut fausser la
représentation nationale en y introduisant des fonctionnaires qui seraient
apparemment les hommes serviles du ministère. De pareilles suppositions sont
faciles à faire, messieurs, et les fonctionnaires à qui on impute gratuitement
des sentiments de bassesse et de servilité, ne peuvent y répondre que par le
mépris. Mais que doivent dire les électeurs, lorsque celui qui se proclame à
chaque instant le soutien et le représentant du peuple, les considère comme des
hommes sans volonté, sans jugement, sans indépendance, et se laissant conduire
aux élections pour voter aveuglément ? Je ne sais si les choses se passent
ainsi dans le district de Tournay, mais j’en doute.
Je sais qu’en
France on avait admis en principe, depuis 1789 jusqu’en 1814, que les fonctions
législatives étaient incompatibles avec toutes les autres fonctions publiques ;
mais après, mieux éclairés, on reconnut qu’il était indispensable d’avoir dans
les assemblées parlementaires un certain nombre de fonctionnaires, parce qu’en
général ils ont plus de lumières et plus d’expérience pour traiter les affaires
publiques que les hommes qui ne s’en sont jamais occupés.
A l’appui de sa
proposition l’honorable M. Dumortier invoque ce qui se pratique dans les autres
pays constitutionnels. Les lois en France ont effectivement proclamé plusieurs
incompatibilités de cette nature ; l’Espagne et le Portugal en ont également
admis dans leurs constitutions récentes, mais il aurait aussi pu vous dire que
l’Espagne a exclu tous les ecclésiastiques des cortès du royaume.
Toutes ces
exclusions ne prouvent pas, à mon avis, que l’on agit sagement, parce que dans
le gouvernement représentatif, comme je l’entends, toutes les opinions et tous
les intérêts doivent y être représentés.
Ne perdons pas de
vue, messieurs, que les lois doivent toujours s’harmoniser avec les mœurs du
pays, pour être salutaires et durables. Mais lorsqu’on les base sur des
exclusions ou des exceptions, elles deviennent odieuses, parce qu’elles sont
arbitraires, et elles enfantent les révolutions,
Ce n’est donc pas
en France ni en Angleterre que nous devons chercher des exemples pour établir
notre législation ; mais nous devons plutôt nous inspirer des mœurs, des
opinions de notre pays et de sa constitution.
Voyons donc ce qui
s’est passé lors du congrès national et quel a été l’esprit qui a dirigé cette
assemblée dans cette question.
Certes le congrès
n’a pas voulu qu’il fût établi des incompatibilités pour la chambre des
représentants et le sénat, parce qu’elle désirait étendre l’éligibilité au plus
grand nombre possible des citoyens. La constitution fixe seulement les
conditions d’éligibilité, et il ne nous appartient pas de les augmenter ni de
les diminuer. Il est vrai que la constitution établit des incapacités, et
qu’elle exclut de la représentation nationale les condamnés à des peines
afflictives ou infamantes, les faillis et les interdits ; mais j’aime à croire
que l’on ne veut pas ranger les gouverneurs et les commissaires de district
dans ces incapacités. (Hilarité générale.)
Je fais cette question parce que je serais bien aise de connaître une bonne
fois l’opinion de certains députés sur les commissaires de district, qui ont au
moins autant que tout autre le sentiment de leur dignité.
Vous vous
rappellerez, messieurs, que dans le congrès national il se trouvait beaucoup de
jeunes législateurs dont les talents devançaient leur âge. Un projet de
constitution fut rédigé et présenté par MM. Liedts, Fleussu, Barbanson et
Forgeur. Ce projet fut renvoyé à la section centrale pour information, et
l’art. 11 ou 12 disposait que les fonctionnaires amovibles ne pourraient faire
partie de la représentation nationale. La section centrale délibéra longuement
sur cette question, et voici comment l’honorable M. Raikem, son rapporteur,
s’exprimait à ce sujet :
« Quelques
sections avaient proposé d’établir des incompatibilités entre certaines
fonctions publiques et celles de membre de l’une ou l’autre chambre ; mais la
section centrale a rejeté les incompatibilités. Elle a cru qu’à cet égard on
devait s’en rapporter au bon sens des électeurs, et que la disposition qui
prescrivait la réélection des membres appelés à des emplois salariés, après
leur nomination, parait à tous les inconvénients.
« Une
incompatibilité relative avait aussi été réclamée. Cinq membres de la section
centrale ont demandé que les gouverneurs et les chefs d’administration
provinciale ne pussent être élus dans les provinces dont l’administration leur
est confiée. La majorité a rejeté cette exclusion. »
Vous voyez,
messieurs, que l’on ne voulait pas des incompatibilités, et qu’il n’était pas
même question des commissaires de district, parce qu’on délibérait en décembre
1830 et que l’on savait que la plupart de ces fonctionnaires s’étaient dévoués
pour la révolution et qu’ils avaient donné des preuves éclatantes de leur
patriotisme. On se taisait peut-être par pudeur à cette époque, mais
aujourd’hui, on oublie les services rendus, et l’on a raison de dire que l’on
traite les commissaires de district comme des parias.
C’est très curieux
de voir comment certains hommes se conduisent selon le but qu’ils veulent
atteindre. Lorsqu’il s’agit de faire de la popularité, ils se posent le plus
haut possible pour qu’on les entende bien et ne tarissent pas sur le bon sens
des électeurs. Mais lorsqu’il s’agit de mesures exceptionnelles qui doivent
affaiblir le gouvernement, alors on vire de bord, et l’on vous dit que
l’influence des commissaires du district est telle qu’ils conduisent les
électeurs comme un troupeau de moutons, et qu’ils n’ont d’autre volonté que
celle du fonctionnaire.
Ceci m’amène à
faire une observation. J’ai toujours vu que les organes de la presse
n’accusaient pas seulement d’influence les agents du pouvoir, mais le clergé en
général à qui on impute de fausser les élections par l’influence dont il
dispose. Je vous dirai même que j’avais eu une certaine velléité de présenter
un amendement tendant à l’exclusion, pour le même motif, de tous les
ecclésiastiques ; mais, après y avoir réfléchi, j’ai renoncé à mon dessein,
parce que j’ai vu que je commettais une injustice, et que je me suis toujours
trouvé très honoré d’être assis à côté des membres du clergé qui ont siégé avec
moi au congrès et à la chambre.
L’opinion a toujours
voulu considérer les fonctionnaires comme étant dans la dépendance absolue du
gouvernement, et qu’ils soient pour ainsi dire inféodés aux ministres. Je ne
crains de dire que c’est un vrai préjugé, et pour preuve, vous n’avez qu’à
examiner la conduite des commissaires de district dans cette chambre. Je crois
que les ministres n’ont pas trop à se féliciter de l’appui qu’ils ont obtenu de
ces fonctionnaires, et qu’au contraire ils ont fait depuis six ans une bonne et
rude guerre aux mesures proposées par le gouvernement. Du reste, chacun entend
l’indépendance à sa manière. J’ai aussi goûté du plaisir à faire de
l’opposition ; mais je me suis aperçu que j’énervais le pouvoir, et, homme de
la révolution, j’ai cru devoir rebrousser chemin pour conserver le gouvernement
que le peuple a conquis. Pour en agir ainsi, il fallait, je pense, du courage
et de l’indépendance ; car je savais que je sacrifiais ma popularité, à
laquelle tout homme politique tient beaucoup, Je n’ai pas balancé dans
l’intérêt de mon pays.
Pour faire de la
popularité, il arrive que l’on sacrifie quelquefois l’ordre et la tranquillité
publique, et puis on se déclare un homme indépendant. Quant à moi je pense que
l’indépendance se rencontre moins dans la position sociale que dans le caractère
et la volonté de l’individu. Je crois aussi qu’il n’y a personne de moins
indépendant que l’homme de parti, parce qu’il est constamment dominé par les
idées qu’il a embrassées et par toutes les influences qui l’entourent, pour
faire usage de sa raison, de sa volonté et agir librement.
Je reconnais avec
d’autres orateurs que si des fonctionnaires sont indispensables dans les
assemblées délibérantes, un trop grand nombre aussi serait nuisible plutôt
qu’utile à la chose publique. Mais c’est au gouvernement à prendre des mesures
pour empêcher tout envahissement de cette nature. Je vous prie de croire que je
ne parle pas dans mon intérêt personnel, car il est probable que bientôt
j’aurai fini ma carrière politique.
Je pense aussi
qu’un bon moyen de prévenir l’excès de fonctionnaires dans cette chambre serait
de proposer qu’à l’exception des ministres, tous les fonctionnaires salariés
par l’Etat qui feraient partie des chambres ne jouiraient pas de leurs
traitements pendant la durée des sessions législatives.
Si une pareille proposition était adoptée par la législature, je suis
persuadé qu’on ne se plaindrait plus du trop grand nombre de fonctionnaires
dans cette chambre. Car, remarquez-le bien, messieurs, les commissaires de
district contre lesquels on récrimine sans cesse, doivent payer leurs
suppléants quand ils sont absents ; tandis que les juges, les présidents de
tribunaux, les conseillers, etc., sont suppléés gratis pendant leur absence, et
touchent, de cette manière, leurs traitements et leur indemnité de membres de
cette chambre. Vous conviendrez que leur position est un peu plus avantageuse
que celle des commissaires de district, car ils sont déclarés inamovibles et
ils sont doublement rétribués. Je ne veux pas dire pour cela que ces honorables
fonctionnaires ne sont pas désintéressés, mais on devrait s’abstenir d’insinuer
constamment que les commissaires de district jouissent d’une sinécure.
M. de Brouckere, rapporteur.
- Je n’ai que deux mots à dire. A entendre l’honorable préopinant, il y aurait
des conseillers qui cumulent ; mais je suis dans cette assemblée le seul membre
qui soit conseiller ; or, je n’ai jamais cumulé mon traitement avec l’indemnité
de député, même quand j’étais député de Ruremonde qui est à 30 lieues d’ici.
M. Lardinois.
- Je sais que vous avez votre domicile à Bruxelles ; mais un conseiller ou un
président pourrait faire comme d’autres, aller se loger à Schaerbeck,
et alors il toucherait l’indemnité allouée aux députés. (On rit.)
M. Devaux. - Je voudrais,
messieurs, motiver en quelques mots l’opinion de la minorité de la commission
dont j’ai fait partie.
Nous avons pensé
que dans l’intérêt du gouvernement lui-même, le nombre des commissaires de district,
dans cette enceinte, a atteint ou à peu près atteint sa limite raisonnable,
mais nous ne désirons pas, nous regretterions même que ce nombre s’étendît
au-delà de ce qu’il est. Toutefois la minorité de la commission a vu plus d’une
difficulté à porter une loi pour atteindre un semblable but. Sous tous les
rapports une mesure administrative prise par le gouvernement lui-même nous a
paru préférable.
La première
difficulté d’une mesure législative concerne la forme ; tous nous voudrions ne
point expulser de la chambre les collègues actuels qui sont commissaires de
district ; or, comment écrire cette exception toute personnelle, ce privilège
dans une loi ? Ce serait tout au moins une grande bizarrerie législative, je
doute qu’en législation régulière pareille chose se soit jamais vue.
Mais, au fond de la
mesure prise législativement, il y a des difficultés plus sérieuses encore.
C’est qu’elle
change complètement l’esprit, la base de notre législation électorale,
c’est-à-dire, une des parties fondamentales de notre constitution.
Quel est, en effet,
le principe de notre loi électorale ? Au fond c’est, je ne crains pas de le
dire, l’infaillibilité présumée de l’électeur. On vous a cité l’Angleterre,
Nos dispositions
électorales s’appuient toutes sur cette fiction légale que l’électeur seul est
juge de la bonté de son choix, qu’il a capacité pour cela, qu’il ne peut se
tromper. Aussi n’a-t-on pris aucune précaution pour l’empêcher de s’égarer,
point d’exclusion, point de cens d’éligibilité. L’électeur choisit où il veut,
qui il veut, sans que la loi mette ni obstacle, ni limite à la liberté de son
choix.
En France on ne
part pas de cette idée que l’électeur est infaillible ; on suppose au contraire
que l’électeur est facile à égarer : de là les exclusions, les incompatibilités
; de là surtout le cens d’éligibilité. Ce qu’on vous propose aujourd’hui c’est
donc le changement d’une des bases principales de notre loi électorale, la
capacité présumée de l’électeur : c’est un premier pas dans le système
français, dans le système du cens d’éligibilité.
Vous vous rappellerez
que, dans la discussion de la loi provinciale et communale, ceux qui
soutiennent la proposition dont il s’agit aujourd’hui, ont porté si loin le
système de l’infaillibilité présumée de l’électeur, qu’ils ont fait repousser
par la chambre la dissolution des corps communaux et provinciaux, la
dissolution qui n’est cependant qu’un appel de l’électeur à l’électeur même.
On me dira que la
loi de la cour des comptes et celle qui organise la cour de cassation ont
établi déjà deux exceptions à ce principe. Remarquez bien la différence.
Pourquoi les membres de la cour de cassation ont-ils été exclus des chambres ?
parce que, a-t-on dit, il ne pourrait plus juger impartialement les ministres
après avoir voté déjà pour ou contre l’accusation dans la chambre. Pourquoi les
conseillers de la cour des comptes ont-ils été exclus ? parce qu’on a voulu
que, nous rendant leurs comptes, ils ne fussent pas indépendants des chambres
ni sur le pied d’égalité avec elles. Ce n’est pas comme mauvais députés, comme
députés mal choisis par l’électeur que les conseillers de la cour de cassation
et de la cour des comptes ont été écartés des chambres ; ce sont au contraire
les députés qui ont été exclus de ces deux cours comme mauvais conseillers.
Ici au contraire,
c’est comme mauvais députés, comme députés mal choisis qu’on veut exclure les
commissaires de district de la représentation nationale. On craint donc que les
électeurs ne se trompent, on met donc en question l’infaillibilité légale des
électeurs ; à mon avis, écrire cela dans la loi, c’est faire un premier pas
vers le cens d’éligibilité, c’est déclarer qu’il faut pour être député d’autres
garanties que la confiance des électeurs. Je le répète, je ne discute pas ce
système en lui-même Je ne dis pas s’il est bon ou s’il est mauvais : si même on
venait un jour le mettre tout entier aux voix, quoique je ne me plaigne pas de
ce qui existe, j’en serais probablement un adversaire moins passionné que ceux
qui veulent nous y faire entrer aujourd’hui. Mais je dis qu’un pareil changement
est chose grave. N’oublions pas que la loi électorale est la législation la
plus sérieuse d’un gouvernement tel que le nôtre ; avant d’y toucher, avant d’y
faire brèche, il faut y songer mûrement ; surtout cela ne peut se faire
incidemment, sans préparation, sans qu’on ait eu le temps d’en apercevoir les
conséquences, alors que la chambre est pressée de se dissoudre, et soumise aux
préoccupations d’une élection prochaine.
Le mal d’ailleurs n’est pas tel qu’un délai de quelques mois, qu’une
élection de plus peut-être doive le rendre irréparable ; il est impossible que
le gouvernement ne sente pas que le nombre des commissaires de district,
faisant partie de la chambre, ne peut pas, dans son intérêt bien entendu,
dépasser de beaucoup ses limites actuelles, et qu’il n’en vienne pas à prendre
lui-même une mesure dans ce sens. De cette manière, on préviendrait le mal que
l’on craint, sans donnera aux inconvénients qui résulteraient de l’adoption de
la proposition forme législative : une mesure administrative peut beaucoup plus
convenablement qu’une loi maintenir des exceptions personnelles en faveur des
membres actuels de la chambre qui exercent les fonctions de commissaire de
district, et elle a le grand avantage de laisser la législation actuelle
intacte. C’est dans ce sens que je voterai contre la proposition.
M. Dubus.
- Messieurs, à en croire l’honorable préopinant, l’adoption de la proposition
de mon honorable ami ne serait rien moins qu’un changement à la loi électorale,
loi qui est fondée sur le principe de l’infaillibilité des électeurs, tandis
que la proposition serait une mesure de défiance envers les électeurs. Il est
si vrai, messieurs, que cette proposition ne porte pas la moindre atteinte à
l’indépendance des électeurs qu’elle ne les empêcherait en rien de choisir des
commissaires de district pour les représenter au sein de l’une ou de l’autre
chambre ; le seul but de la loi qui nous est proposée, c’est d’empêcher les
commissaires de district de faire usage dans leur intérêt personnel de
l’influence que leur donnent sur les électeurs les lois communale et
provinciale ; cela est tellement exact que la proposition ne s’oppose nullement
à ce que les commissaires de district élus par un autre district que celui où
ils exercent leurs fonctions, fassent partie de la chambre où ils auraient été
envoyés par les électeurs. Un commissaire de district élu, par exemple, par la
localité où il est né et où il doit être aussi connu que dans celle qu’il
administre, pourra sans le moindre empêchement cumuler les fonctions
législatives avec les fonctions administratives, parce que dans ce cas il sera
manifeste qu’il ne devra pas son élection à l’influence que lui donnent les
lois dont j’ai parlé tout à l’heure, lois auxquelles je me glorifie de ne pas
avoir donné mon assentiment.
Je m’étonne que
l’honorable préopinant, ainsi que d’autres orateurs aient présenté la
proposition comme n’ayant pas subi un examen assez approfondi : il y a deux ans
que cette proposition a été présentée à la chambre, et alors l’honorable membre
qui voudrait aujourd’hui l’ajourner comme n’ayant pas été assez mûrement
examiné, n’a pas hésite à la trouver suffisamment mûrie, il n’a pas hésité à la
rejeter ; or, il me semble que si la proposition était alors assez mûrie pour
que le préopinant la repoussât par un vote négatif, elle l’est aussi
suffisamment pour que ceux qui ne partagent pas son opinion l’admettent
aujourd’hui par un vote approbatif.
L’honorable
préopinant invite le gouvernement à prendre un peu plus tôt ou un peu plus tard
une mesure administrative, pour parer l’abus dont il s’agit, abus qu’il ne
reconnaît pas, mais qui selon lui n’exigerait pas une mesure immédiate ; il me
semble cependant que le gouvernement a pensé qu’il y eût une mesure immédiate à
prendre, puisque, si le fait qu’on a cité est vrai, le gouvernement, lors de la
nomination récente de deux commissaires de district, leur aurait imposé la
condition de ne point accepter de candidature pour la chambre. Du reste je ne
suis pas du tout partisan de la mesure administrative dont parle l’honorable
préopinant ; car, d’après les deux mots qu’en a dits M. le ministre de
l'intérieur, une semblable mesure serait peut-être ce qu’il y aurait de pis :
selon M. le ministre de l'intérieur, cette mesure serait prise pour les moments
où le besoin d’un plus grand nombre de fonctionnaires administratifs ne se
ferait pas sentir à la chambre ; cette mesure comporterait des exceptions, de
sorte qu’en dernière analyse le système dont il s’agit reviendrait à ceci : « Il
convient au gouvernement que les 44 commissaires de district ne soient en
position de se faire élire chacun, dans la localité qu’ils administrent, que
pour autant qu’il leur en ait donné la permission. » De sorte que la dépendance
de ces fonctionnaires serait encore bien plus grande qu’aujourd’hui, qu’elle ne
se bornerait pas leurs rapports actuels avec le gouvernement, mais qu’elle
s’étendrait d’autant qu’ils ne pourraient pas accepter une candidature pour
l’une ou l’autre chambre sans sa permission. Je suis intimement convaincu qu’un
système semblable serait réellement ce qu’il pourrait y avoir de pis.
Quant à ce qu’a dit l’orateur qui a parlé avant le préopinant, qu’une
proposition analogue à celle qui est en ce moment présentée à la chambre aurait
été soumise à la section centrale du congrès et rejetée par elle, c’est là,
messieurs, une erreur manifeste qui a été relevée en 1832 par le ministre de la
justice, lequel a démontré alors de la manière la plus complète que la loi peut
établir des incompatibilités en cette matière sans être aucunement en
opposition ni avec la constitution, ni avec l’esprit dans lequel la
constitution a été faite ; il résulte uniquement du rapport de la section
centrale du congrès qu’on n’a pas voulu d’incompatibilité constitutionnelle,
mais il résulte également du rapport au congrès, huit jours après, sur la loi
relative à la cour ces comptes, qu’ont a voulu laisser à la législature
ordinaire le soin d’établir des incompatibilités qu’une loi pourrait créer et
qu’une autre loi pourrait supprimer. Je m’abstiendrai de développer cette thèse
à l’égard de laquelle la discussion de 1832 ne laisse rien à désirer.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux).
- Messieurs, l’honorable préopinant a mal interprété ce que j’ai dit tout à
l’heure. Il ne pense pas sans doute qu’il y ait de l’arbitraire à ce que le
gouvernement ait exigé de deux commissaires de district, nommés à l’approche
des élections, qu’ils ne se missent pas sur les rangs pour être nommés ; ce
n’est point là ce que peut me reprocher l’honorable membre ; je n’ai cependant
nullement annoncé que, si le gouvernement se décidait plus tard à prendre une
mesure relativement à la résidence des commissaires de district, il permettrait
aux uns de siéger à la chambre, et le défendrait aux autres ; je ne conçois pas
comment l’honorable député de Tournay a pu inférer de mes paroles que le
gouvernement eût l’intention d’agir d’une manière aussi arbitraire.
M. Lardinois.
- Je croyais, messieurs, que les orateurs qui ont traité la question politique
auraient au moins soulevé aussi la question constitutionnelle ; cela n’étant
pas, je crois qu’il est de mon devoir de dire encore un mot de la proposition,
considérée sous ce rapport. Je considère, messieurs, le projet comme tout à
fait inconstitutionnel, et il est un fait, c’est que la constitution a établi
des conditions d’éligibilité, qu’il avait été proposé une incompatibilité, et
qu’elle a été rejetée par le congrès. L’honorable M. Dubus prétend que le
congrès a seulement voulu qu’il n’y eût point d’incompatibilités
constitutionnelles, et il en cherche la preuve dans la loi relative à la cour
des comptes : je ferai observer que cette loi a été promulguée le 30 décembre
1830, tandis que la constitution n’a été décrétée que le 7 février 1831 ; c’est
donc après la promulgation de la loi relative à la cour des comptes que le
congrès national a décrété qu’il n’y aurait pas d’incompatibilités, et qu’il n’y
aurait pas d’autres conditions pour être éligible que celles qui sont
déterminées dans l’article 50 de la constitution.
De toutes parts. - Aux voix ! aux voix ! La clôture ! la clôture.
- La clôture est
prononcée
Il est procédé au
vote par appel nominai sur l’article unique du projet de loi.
En voici le
résultat
85 membres prennent
part au vote.
2 s’abstiennent.
(MM. Mast de Vries et C. Rodenbach.)
43 répondent oui.
42 répondent non.
En conséquence le
projet de loi est adopte et sera transmis au sénat.
Ont répondu oui :
MM. Andries, Berger, Corneli, Cornet de Grez, Dams, David, de Brouckere,
Dechamps, de Meer de Moorsel, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet,
Doignon, Dolez, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Frison,, Gendebien,
Hye-Hoys, Jadot, Keppenne, Kervyn, Liedts, Morel-Danheel, Pirmez, Polfvliet,
Raymaeckers, A. Rodenbach, Seron, Stas de Volder, Thienpont, Trentesaux, Troye,
Vandenbossche, Vanden Wiele, Vergauwen, C. Vuylsteke,
L. Vuylsteke,Wallaert, Watlet et Zoude.
Ont répondu non :
MM. Brabant, Coghen, de Jaegher, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode,
W. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Sécus,
Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Donny, Dubois,
Duvivier, Ernst, Fallon, Goblet, Heptia, Lardinois, Lebeau, Lejeune, Meeus,
Milcamps, Nothomb, Rogier, Scheyven, Simons, Smits, Ullens, Vandenhove,
Vanderbelen, Verdussen, Verrue-Lafrancq, Willmar et Raikem.
M. le président. - Les
membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à faire
connaître les motifs de leur abstention.
M. Mast de
Vries. - Messieurs, j’avais admis une partie du principe dans la
commission ; mais mon vote aurait quelque chose de spécial vis-à-vis des droits
de l’honorable fonctionnaire de Malines, député d’un autre district.
M. C.
Rodenbach. - Messieurs, voter contre la loi eût été, comme
partie en cause, agir dans un intérêt purement personnel, d’autant plus que
j’ai cherché, dans mon discours, à prouver qu’il y avait de l’indélicatesse à
se prononcer dans une affaire dans laquelle on est juge et partie ; voter pour
était, suivant moi, me rendre complice d’une véritable spoliation en matière
électorale, et faire supposer que j’ai eu pour but d’écarter un concurrent,
commissaire de district dans la contrée dont j’ai l’honneur d’être le
représentant.
C’est pour ces
motifs qui me paraissent plausibles et conséquents que j’ai cru devoir
m’abstenir.
M. A.
Rodenbach. - Messieurs, les rédacteurs et éditeurs des journaux
de Bruxelles ont adressé à la chambre une pétition à laquelle ont adhéré les
rédacteurs et éditeurs des journaux de province ; cette pétition tend à obtenir
suppression ou une diminution du timbre dont les feuilles périodiques sont
frappées.
Je demanderai que
la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport. Je
rappellerai, messieurs, que M. le ministre des finances nous a formellement
promis en 1834 qu’une réduction serait opérée sur le timbre des journaux.
M. le ministre
des finances (M. d'Huart). - Messieurs, si j’ai bien compris
l’honorable préopinant, au milieu du bruit qui règne dans l’assemblée, il
demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport
sur les diverses pétitions qui vous ont été adressées, ayant pour objet une réduction
du timbre sur les journaux.
Je pense,
messieurs, que la chambre est si rapprochée du terme de ses travaux que, selon
toute apparence, la commission n’aurait pas le temps de lui présenter un
rapport, quelque célérité qu’elle y mît.
Au reste, je n’ai pas pris la parole pour m’opposer à la motion de
l’honorable M. Rodenbach, mais pour faire connaître à la chambre que, bien
avant qu’elle eût reçu les pétitions des rédacteurs et éditeurs de journaux, je
m’étais occupé de la question qui les concerne, Dans mon opinion, il y a lieu
d’apporter une amélioration à la position de la presse périodique, et j’ai
l’espoir que, dans le cours de la session extraordinaire que le gouvernement a
pris l’engagement de convoquer pendant l’été, je pourrai présentera la chambre
une disposition en faveur des éditeurs de journaux. (Très bien.)
Je pense,
messieurs, que l’engagement que je prends à cet égard doit satisfaire
pleinement l’honorable préopinant, et qu’il peut remplacer un rapport de la
commission sur les conclusions duquel il vous serait impossible de délibérer
avant la clôture de la session.
M. A.
Rodenbach. - Messieurs, je me déclare satisfait de la promesse que
vient de nous faire M. le ministre des finances. Les éditeurs et rédacteurs de
journaux sont d’autant plus dignes d’intérêt que si leur position n’a pas été
améliorée immédiatement après la révolution, ç’a été un effet de leur volonté
et de leur patriotisme. Au moment de la révolution, je me trouvais à Bruxelles,
j’avais des relations avec les publicistes, et je crus devoir proposer au
gouvernement provisoire la législation américaine, la suppression entière du
timbre sur les journaux. Cette suppression me paraissait de droit, en présence
de la liberté d’enseignement qui venait d’être proclamée et dont la conséquence
était la liberté de la presse. Eh bien, messieurs, les journalistes n’ont pas
voulu alors de cette suppression ; ils disaient : Le gouvernement a besoin de
fonds pour combattre notre ennemi et le chasser de
Je le répète,
messieurs, y a-t-il en Belgique une seule industrie qui soit frappée d’un impôt
aussi écrasant que celui qu’a supporté jusqu’à présent la presse périodique ?
Je défie que l’on m’en cite un exemple. Il est donc plus que temps de faire
disparaître une aussi injuste disproportion dans l’assiette de nos impôts.
MOTION D’ORDRE RELATIVE A L’INDEMNISATION DES
VICTIMES DES EVENEMENTS DE
M. Gendebien.
- Messieurs, vous voudrez bien vous rappeler que lors de la discussion du
budget du département des travaux publics on a négligé de porter dans ce budget
une somme de 300,000 francs, pour secours en faveur de tous ceux qui ont eu à
souffrir des résultats de la guerre et de la révolution.
La suppression ou
plutôt l’ajournement de ce crédit a eu lieu, parce que la chambre pensait
qu’elle pourrait s’occuper dans un court délai de la loi concernant les
indemnités ; or, nous n’avons pu jusqu’ici aborder la discussion de ce projet.
Je crois qu’il importe dès lors que le gouvernement nous demande un
crédit supplémentaire qui le mette à même de faire cette année ce qui a été
fait les années précédentes en faveur des victimes de la guerre et de la
révolution.
Je désirerais donc
que le gouvernement nous proposât demain un projet de loi que nous pussions
voter immédiatement.
La chambre n’a pas
été dessaisie ; le premier projet, je ne le considère que comme ajourné,
puisque ce n’est qu’en raison de la discussion prochaine de la loi d’indemnité
qu’on n’a pas voté la somme pétitionnée au budget.
M. le
ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Si la somme était
votée maintenant, elle ne serait pas répartie avant l’hiver. C’est la marche
qu’on a suivie pour les secours votés les années précédentes. La répartition ne
s’est faite qu’au commencement de l’hiver ; la dernière même s’est faite presque
au milieu de l’hiver. Rien n’empêchera la chambre, si la loi d’indemnité n’est
pas votée dans la session d’été, de voter un secours de 300,000 francs, qui
sera reparti au commencement de l’hiver prochain. Le but qu’on se propose sera
de cette manière atteint.
M. Gendebien.
- Personne n’ignore le temps que le gouvernement prend pour faire cette
répartition. Le ministre lui-même vient de vous dire combien il y a eu de
retard. Je crois que si l’on veut que la somme que l’on votera soit reportée au
commencement de l’hiver prochain, il est temps de s’en occuper dès à présent.
Je demande si le gouvernement s’oppose si la proposition que je fais
aujourd’hui, car demain j’appellerai la chambre à la voter.
M. Rogier.
- Lorsque l’honorable membre qui avait proposé d’allouer une somme pour venir
au secours des victimes de l’agression hollandaise a retiré sa proposition, ce
fut dans le but d’obtenir la discussion de la loi d’indemnité. Nous n’avons pas
renoncé à l’espoir de voir voter cette loi cette année. Les motifs qui ont fait
ajourner la demande de secours subsistent donc encore aujourd’hui. Si nous
avons une session d’été, on pourra voter la loi d’indemnité ou porter au budget
le secours de 300,000 fr. On aura cinq mois pour procéder à la répartition. Ce
temps est plus que suffisant, attendu que le travail antérieur pourra servir
pour la répartition prochaine.
L’honorable membre
devrait donc ajourner sa proposition jusqu’à la session prochaine ; nous
pourrons la voter, si on ne prend pas un parti sur la question des indemnités.
M. Gendebien.
- Il n’y a pas plus de quatre ou cinq semaines qu’on a fait la répartition de
la somme allouée en décembre 1835 ou janvier 1836. Il faut donc un temps moral
au gouvernement pour faire cette répartition, car voilà deux fois qu’un si long
retard a lieu.
Il me semble que la
province d’Anvers a le plus grand intérêt à ce que ma proposition soit adoptée
; mais puisqu’un député, le gouverneur même de cette province, s’y oppose, je
n’insiste pas ; je suis déchargé comme citoyen et comme député de la
responsabilité de l’oubli ou du refus de venir au secours des victimes des
inondations ; je laisse peser cette responsabilité sur ceux qui s’opposent à ma
proposition.
PROJET DE LOI RELATIF A
Discussion
générale
M. le président.
- Voici le projet du gouvernement :
« Vu la loi du 1er mai 1834,
décrétant l’établissement d’un système de chemins de fer ayant pour point
central Malines, et se dirigeant à l’est vers la frontière de Prusse, par
Louvain, Liége et Verviers ; au nord sur Anvers ; à l’ouest sur Ostende, par
Termonde, Gand et Bruges, et au midi sur Bruxelles et vers la frontière de
France par le Hainaut ;
« Voulant donner une première
extension à la loi du 1er mai 1834, par la continuation du chemin de fer de
Gand vers Lille ;
« Nous avons, de commun accord avec les
chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. Il sera établi, aux frais
de l’Etat, un chemin de fer de Gand la frontière de France par Courtray, avec
un embranchement sur Tournay.
« Art. 2. Il sera pourvu à cette
dépense par les moyens qui ont été ou qui seront mis à la disposition du
gouvernement pour l’exécution de la loi du 1er mai 1834. »
Celui que propose la commission est ainsi
conçu :
« Vu la loi du 1er mai 1834,
décrétant l’établissement d’un système de chemins de fer ayant pour point
central Malines, et se dirigeant à l’est vers la frontière de Prusse, par
Louvain, Liége et Verviers ; au nord sur Anvers ; à l’ouest sur Ostende, par
Termonde, Gand et Bruges, et au midi sur Bruxelles et vers la frontière de
France par le Hainaut ;
« Voulant donner une première extension à
la loi du 1er mai 1834,
« Nous avons, de commun accord avec
les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit
« Art. 1er. Il sera établi, aux frais
de l’Etat, un chemin de fer de Gand à la frontière de France et à Tournay, ter
Courtray.
« Art. 2. La ville de Namur et les
provinces de Limbourg et de Luxembourg seront également rattachées par un
chemin de fer, construit aux frais de l’Etat, au système décrété par la loi du
1er mai 1834.
« Art. 3. Il sera pourvu à cette
dépense par les moyens qui ont été ou qui seront mis à la disposition du
gouvernement pour l’exécution de la loi du 1er mai 1834. »
MM. Frison, Gendebien, Dubus, de Puydt,
Troye, Goblet, Dolez, Duvivier, Pirmez proposent d’ajouter à l’article 1er un
deuxième paragraphe ainsi conçu :
« Néanmoins, cette communication
nouvelle ne pourra recevoir un commencement d’exécution que quand toutes les
branches du chemin de fer décrété par la loi du 1er mai 1834 seront en
construction ou auront été adjugées, de manière que leur exécution soit
assurée.
M. A. Rodenbach a déposé l’amendement
suivant :
« Il sera établi, aux frais de
l’Etat, un chemin de fer de Gand à la frontière de France et à Tournay par
Courtray, avec embranchement sur Roulers par la vallée d’Iseghem et d’Engelmunster. »
La discussion générale est ouverte.
Si personne ne demande la parole, je la
déclarerai fermée.
Nous passerons à la discussion des
articles.
Discussion des articles
M. le président.
- M. le ministre se rallie-t-il au projet de la commission ?
M. le ministre des travaux publics (M.
Nothomb). - Je me rallie à
l’art. 1er ; je me réserve de demander des explications sur l’amendement
proposé à l’art. 1er et sur l’art. 2.
M.
Liedts. - Je demande la parole.
Je ne comprends pas cette grande
précipitation qu’on veut mettre à la discussion d’uen
loi aussi importante. Dans l’état où était l’assemblée, chacun pensait qu’on ne
la discuterait que demain, et un grand nombre de nos collègues sont partis dans
cette persuasion.
Nous nous sommes traînés sur une foule de
lois peu importantes pendant le cours de cette session, et maintenant que nous
arrivons à la fin, on veut nous faire voter presque au galop les lois les plus
importantes. Nous serons encore en nombre demain ; on pourra discuter la loi
dont il s’agit, et on aura eu le temps de l’examiner.
M.
F. de Mérode. - Rien n’empêchera de continuer la discussion à demain,
mais on peut toujours la commencer aujourd’hui. De ce qu’on se sera occupé de
cette loi aujourd’hui, ce n’est pas une raison pour qu’on la vote dans cette
séance.
M. le président.
- M. de Puydt a la parole pour développer son amendement.
M. de Puydt.
- Messieurs, lors de la discussion qui a en lieu en 1834, une grande question
de principe a été débattue. Il s’agissait de décider si l’exécution des travaux
serait faite par le gouvernement ou si la concession en serait faite à
l’industrie particulière.
Cette question a dominé toute la
discussion ; c’est sur ce seul point que nous, députés du Hainaut, avons porté
toute notre attention. Nous n’avons pas fait opposition à l’établissement de
chemins de fer dans le pays, mais nous avons voulu l’exécution par l’industrie
particulière.
La chambre a décidé la question en faveur
du gouvernement ; dès lors pour tout le monde la question était jugée : mais il
n’est pas exact de dire, comme on l’avance dans le rapport de la commission
chargée d’examiner le projet de loi pour le chemin de fer de Gand à Lille, que
nous ayons manqué des lumières de l’expérience pour discuter la question du
mode d’exécution. Je crois, au contraire, que jamais principe théorique n’a été
appuyé de plus d’expériences et surtout de plus d’expériences concluantes que
celui soutenu par les députés du Hainaut. Il serait fastidieux de revenir sur
les exemples que nous offrent l’Angleterre et l’Amérique, et de rappeler les nombreux,
les importants travaux exécutés avec tant de succès et tant d’utilité dans ces
pays par des compagnies. Nous ne voulons pas recommencer une lutte qui n’aurait
plus d’objet, et cependant je n’admets pas que l’expérience commencée par le
gouvernement soit un argument en sa faveur. Je dirai qu’il est prudent
d’attendre la fin de l’exécution pour juger le résultat définitif.
L’opinion des députés du Hainaut ou au
moins de ceux qui ont soutenu leur opinion en connaissance de cause et avec
conviction est restée la même. Il se peut que quelques-uns de ceux qui ont en
1834 soutenu la question de principe dont il s’agit aient renoncé à leur
opinion, mais je ne crois pas qu’il faille rien en conclure en faveur de leur
manière de voir actuelle. S’ils ont renoncé à des principes, c’est qu’ils
avaient adopté ces principes sans conviction, et si nous conservons au
contraire nos opinions premières, c’est que nous avions comme nous avons encore
une conviction profonde, conviction raisonnée et fondée sur l’expérience.
J’en viens aux motifs de mon amendement.
Ce que nous avons craint le plus à
l’époque que je viens de rappeler, c’est une des conséquences du projet conçu
par MM. Simons et de Ridder.
Vous vous rappellerez que le premier
projet présenté par ces ingénieurs n’avait d’abord pour objet que l’exécution
d’un chemin de fer destiné à réunir Anvers à la frontière prussIenne. Ce projet
avait un double but : l’un d’amener sur le marché d’Anvers les charbons de
Liège, l’autre de favoriser le transit des marchandises étrangères vers
l’Allemagne. Conçus de la sorte, ce projet était évidemment hostile au Hainaut
en ce que les charbons des districts de Charleroy et de Mons se trouvaient
exclus du marché d’Anvers : exclusion tout à fait dans l’intention des auteurs
du projet, ainsi que cela résulte du mémoire publié par eux et de la discussion
de la loi du 1er mai.
Dans la section centrale chargée de ce
projet, on a complété le système tel qu’il est aujourd’hui, en ajoutant à
l’art. 1er de la loi que le chemin de fer se dirigerait : « à l’ouest, sur
Ostende, par Termonde, Gand et Bruges, et au midi, sur Bruxelles et vers les
frontières de France, par le Hainaut. »
La loi du 1er mai 1834 est donc le projet
de la chambre et de la section centrale, et non le projet tel qu’il avait été
présenté par le gouvernement.
Cette intention hostile contre une partie
du Hainaut n’a pas été complètement neutralisée par la loi votée ; car
jusqu’ici on s’en est tenu au projet primitif. Il suffit, pour s’en convaincre,
de faire attention à ce qui s’est passé depuis 1834. Bien que la loi ait fait
une obligation au gouvernement de l’établissement de l’embranchement par le
Hainaut, il n’y a eu à cet égard aucune exécution et même aucune étude, et si
une société particulière n’était venue à la traverse avec un projet de route
vers Paris, ce qui remplit tout le but, peut-être en serions-nous encore à
attendre de la part de l’administration des travaux publics une première
manifestation de son intention d’exécuter cette partie du système de la loi du
1er mai ; car jusque-là les ingénieurs, si actifs sur d’autres directions, ont
constamment opposé la force d’inertie à l’impatience et aux réclamations du
Hainaut.
Depuis qu’une société particulière a
présenté un projet dont je viens de parler, depuis que le gouvernement a vu
qu’il avait une rivalité à combattre, qu’est-il advenu ? Deux directions sont
proposées : l’une, par la société particulière ; l’autre, par les agents du
gouvernement. Entre ces deux directions, il y a un choix à faire. Pour
déterminer à laquelle on donnera la préférence, on a institué une commission.
Je ne dis pas que cette commission n’arrivera pas à un résultat quelconque ;
mais ce résultat, on ne l’obtiendra pas de suite ; car de tous les moyens de
solution en pareil cas, les commissions sont les plus lents ; il est donc à
craindre que ce ne soit pas avant six mois, avant un an peut-être, que la
commission ait examiné les deux projets qu’elle est appelée à comparer, et
c’est là une circonstance qui favorise singulièrement le mauvais vouloir de
ceux qui ont jusqu’à présent et volontairement retardé l’embranchement du
Hainaut, de ceux qui voulaient anéantir la concurrence du Hainaut sur le marché
d’Anvers, ainsi que cela a été dit dans le temps.
Si, dans l’intervalle qui s’écoulera
jusqu’à la décision de la commission, nous votons la loi nouvelle que le
gouvernement nous propose, si nous autorisons la construction d’un chemin de
fer de Gand à Lille, il y a presque certitude que rien ne sera fait pour le
Hainaut ; et lorsque l’on aura construit le chemin de fer dont il s’agit
aujourd’hui, on viendra dire que le but étant d’établir une communication avec
« Néanmoins, cette
communication nouvelle ne pourra recevoir un commencement d’exécution que quand
toutes les branches du chemin de fer décrété par la loi du 1er mai 1834 seront
en construction ou auront été adjugées, de manière que leur exécution soit
assurée. »
Il n’y a là rien que de juste, puisque,
avant de songer à faire de nouveaux chemins de fer et à donner au gouvernement
le pouvoir de les exécuter, il faut commencer par compléter le système voté en
1834. Ce système a été déterminé en raison des besoins qui réclamaient l’exécution
prompte de toutes ces parties du chemin de fer. Commençons par faire en sorte
que ces premiers besoins soient satisfaits. Il y a priorité et urgence, et le
Hainaut est fondé à demander qu’on exécute d’abord ce qui est décidé depuis
trois ans.
Vous sentirez, messieurs, toute l’équité
de notre proposition ; je ne doute pas qu’elle n’ait l’assentiment de la
chambre.
M. le ministre des travaux publics (M.
Nothomb). - Il n’est jamais
entré dans l’intention du gouvernement
d’abandonner l’exécution de la loi du 1er mai 1834 en ce qui concerne
l’embranchement du Hainaut.
L’honorable préopinant lui-même vous a
rappelé quelle difficulté a jusqu’à présent retardé le commencement des
travaux. Le gouvernement a fait tout ce qu’il était possible de faire en
semblable occurrence. Il a nommé une commission d’enquête ; pouvais-je décider
à moi seul cette question dans le cabinet, en ne consultant que les mémoires
des ingénieurs ?
Ne me serait-je pas exposé aux plus graves
reproches ?
Ne m’a-t-on pas, dans cette chambre même,
convié à instituer une enquête ?
L’amendement me suggère deux observations
de style en quelque sorte. Il porte : « Néanmoins cette communication
nouvelle ne pourra recevoir un commencement d’exécution ? » Que faut-il entendre
pas ces mots : Commencement d’exécution » ? Est-ce que cet amendement
interdit toute étude, toute levée de plan, toute expropriation ? Ou
n’interdit-il que l’adjudication des travaux proprement dits ? Ne pourrait-on
pas faire les études préparatoires dans les Flandres et dans le Hainaut ? Les
études pour les deux routes seraient terminées vers la même époque. La mise à
exécution aurait ainsi lieu simultanément. C’est ainsi, je pense, qu’il faut
entendre l’amendement : « Cette communication nouvelle ne pourra recevoir
un commencement d’exécution … » c’est-à-dire, d’exécution matérielle des
travaux.
Il me semble, en second lieu, que les
honorables rédacteurs de l’amendement vont beaucoup plus loin que le suppose
l’un d’eux, l’honorable préopinant dans ses explications.
L’amendement porte :
« Néanmoins, cette communication
nouvelle ne pourra recevoir un commencement d’exécution que quand toutes les
branches du chemin de fer décrété par la loi du 1er mai 1834 seront en
construction ou auront été adjugées, de manière que leur exécution soit
assurée. »
Et cependant, d’après l’explication de
l’honorable préopinant, il suffirait que l’embranchement du Hainaut fût exécuté
ou eût été adjugé.
Cette observation a une certaine
importance parce qu’il y a une section du chemin de fer où malheureusement un
obstacle se rencontre, obstacle que le gouvernement cherche à lever. C’est la
section du chemin de fer de Liège vers la frontière de Prusse.
« Malheureusement, au-delà de Liège
(ai-je dit dans le compte-rendu), la concession de la route de
En effet l’administration a à examiner
s’il lui faut racheter intégralement la concession de la route de
Ainsi l’honorable préopinant serait
satisfait si l’amendement était rédigé de la manière suivante :
« Néanmoins, les travaux de cette
communication nouvelle ne pourront recevoir un commencement d’exécution que
quand l’embranchement du Hainaut décrété par la loi du 1er mai 1834 sera en
construction ou aura été adjugé, de manière que son exécution soit assurée. »
Je n’entends pas dire par là que la
section de Liège vers la frontière prussienne est ajournée ; je me borne à
signaler l’obstacle.
Ce qui doit rassurer les auteurs de
l’amendement, c’est le projet de chemin de fer tel qu’il a été conçu en France
pour rejoindre la frontière belge. D’après le plan annexé au projet de loi,
plan que je tiens en main, le chemin part de Paris, se partage en quelque sorte
en deux, si je puis m’exprimer ainsi, à Douai, d’où un embranchement se dirige
vers la frontière belge par Valenciennes, et un autre embranchement vers la
frontière belge par Lille. Ces deux embranchements seront mis à exécution pour
le même système de transport.
Si, comme paraît le craindre l’honorable
préopinant, le gouvernement belge abandonnait la section du Hainaut vers
Valenciennes, il y aurait en quelque sorte une impasse pour cette partie du
chemin de fer français. Aussi, le plan tel qu’il est conçu en France, est en
quelque sorte une garantie pour les habitants du Hainaut. Les deux
gouvernements, l’un par voie de concessions, l’autre aux frais de l’Etat, iront
se rejoindre sur deux points de la frontière.
Le but de l’amendement, restreint dans les
termes que j’ai indiqués, ne m’effraie donc pas ; mais l’amendement est-il
nécessaire ? N’est-ce pas une précaution surabondante ?
Nous avons six stations
en construction ; c’est tout au plus si cette année, avant le mois de
septembre, on pourra mettre en adjudication la section si nécessaire de Bruges
à Ostende. Les adjudications trop multipliées feraient même hausser à un point
extraordinaire la main-d’œuvre. Les adjudications ne doivent point se faire
prématurément ; il ne faut pas l’exiger de l’administration.
Le reproche que j’ai à faire à
l’amendement, c’est d’être inutile.
Les circonstances sont telles, que les
choses se passeront comme le désirent les auteurs de la proposition.
M. le président.
- M. A. Rodenbach demande un embranchement de Courtray à Roulers.
M. A.
Rodenbach. - Messieurs, je ne veux pas d’autre preuve que cet
embranchement sera utile et d’un grand rapport pour le gouvernement, c’est
qu’une demande en concession a été faite pour la construction du chemin de fer
de Mons à Tournay, Courtray et Roulers.
L’embranchement que je demande ne coûtera
pas au-delà de 1,200,000 fr., et tout fait croire que les bénéfices ne seront
pas moins de 10 p. c.
Dans une de nos
précédentes séances, j’ai dit que la moitié de
J’ai déjà fait valoir l’utilité de
l’embranchement que je demande, dans d’autres discussions ; et puisque
aujourd’hui on admet l’embranchement de Tournay à Courtray, on doit appliquer
le même principe pour Roulers, surtout si l’on considère que ce dernier
embranchement procurera de grands bénéfices.
M.
Dumortier. - Je ferai observer que l’amendement présenté par nos
honorables collègues est de nature à renverser la loi. Il est des sections du
chemin de fer, vers
M. de Puydt.
- Il n’est pas dans notre intention de rien empêcher.
Nous entendons par branches du système
décrété en mai les sections de Malines vers Anvers, de Malines vers Liége, de
Malines vers Ostende, de Malines vers
Pour éviter de plus longs débats, nous
restreignons notre amendement dans les termes proposés par le ministre des
travaux publics ; nous ne considérons pas les travaux préparatoires comme des
travaux d’exécution ; il ne s’agit ici que de l’exécution matérielle du chemin
de fer.
- La séance est levée à quatre heures et
demie.