Chambre des représentants de Belgique
Séance
du mardi 25 avril 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative à une
créance arriérée (Verdussen)
2) Prise en considération de demandes en naturalisation
3) Projet de loi portant des modifications au tarif des douanes. Discussion
générale (politique commerciale du gouvernement et négociations commerciales
avec la France)
(Seron, Hye-Hoys, Jullien, Rogier, Doignon,
Willmar, Devaux)
(Moniteur belge n°116, du 26
avril 1836 et Moniteur belge n°117, du 27 avril 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur belge n°116, du 26
avril 1836) M. de Renesse procède à
l’appel nominal à midi et demi.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance
précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des
pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Des fabricants, brodeurs et négociants en tulles de Bruxelles
demandent que la chambre adopte la proposition du gouvernement concernant les
tulles, laquelle réduirait les droits d’entrée à 6 p. c. sur les tuiles écrus,
blanchis et brodés, sans distinction. »
- Déposée sur le bureau pendant la discussion de la loi portant modifications
au tarif des douanes.
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« La régence et les
habitants d’Eeckeren demandent la construction, pour
cette année, d’une digue dans le polder Lillo. »
- Renvoyée à la commission des polders.
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« Le sieur A. Van Waerebeke, débitant de genièvre, à Gand, demande que les
droits sur le genièvre soient augmentés. »
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« Le sieur Glorieux, à Dostignies, demande la réparation de la route qui traverse
cette commune vers Mouscron. »
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« Les membres de l’administration
des hospices et secours de la ville de Louvain demandent que la chambre décide
si les frais d’entretien des aveugles et sourds-muets indigènes sont à la
charge de la ville ou des bureaux de bienfaisance. »
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« Le conseil communal de la
ville de Bruxelles, demande la reforme de la loi électorale. »
- Toutes ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
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« Le sieur J. Dally,
professeur, déclare convertir sa demande en grande naturalisation en celle de
naturalisation ordinaire. »
- Renvoyée à la commission des naturalisations.
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« Le sieur F.-J. de
Fontaines, à Mons, chargé de pouvoirs du sieur Abraham Soetens
de Klundert, entrepreneur de la réparation du bastion
de cette place n° 8, demande que la chambre vote les fonds nécessaires pour que
M. le ministre de la guerre puisse satisfaire aux condamnations intervenues
contre lui et terminer transactionnellement le
surplus des prétentions du sieur Soetens. »
- Renvoyée à la commission des finances sur la demande de M. Verdussen.
PRISE EN CONSIDERATION DE DEMANDES EN
NATURALISATION
Un scrutin est ouvert sur la demande en naturalisation ordinaire formée
par M. P-G. Laude, professeur à l’athénée de Bruges.
En voici le résultat :
Nombre des votants, 61.
Boules blanches, 45.
Boules noires, 16.
En conséquence, la demande est prise en considération et sera transmise
au sénat.
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Un second scrutin est ouvert sur la demande en naturalisation ordinaire
formée par M. C.-A.-C. Blondel, également professeur à l’athénée de Bruges.
Nombre des votants, 65.
Boules blanches, 47.
Boules noires, 18.
La demande est prise en considération et sera transmise au sénat.
PROJET DE LOI PORTANT DES
MODIFICATIONS AU TARIF DES DOUANES
M. Seron. - J’ai l’honneur, messieurs,
d’appartenir à l’opposition ; mais je ne suis pas pour cela dominé par des
idées fixes et n’ai pas fait serment de ne voter jamais avec le gouvernement,
même quand il a raison. Si je déplore la politique aveugle qui, depuis six ans,
le porte à s’appuyer dans sa marche incertaine sur un parti ambitieux,
hypocrite, ennemi des lumières, et dont les manœuvres ont pour objet de
soumettre l’Etat à l’Eglise ; si je blâme sa faiblesse et sa complaisance
quand, dans une question de propriété domaniale, il étaie ses arrêtés de l’avis
d’un archevêque ; si, enfin, je rejette ses projets de loi lorsqu’ils sont
inconstitutionnels, comme il arrive souvent ; cependant je n’en suis pas moins
disposé à admettre ses propositions avec empressement, toutes les fois qu’elles
sont dictées par des vues d’utilité publique et en harmonie avec les principes
du régime représentatif.
Les dispositions qu’il soumet aujourd’hui à la délibération de la
chambre tendent à donner à votre code des douanes un caractère de généralité,
propre à replacer la France
dans le droit commun, en abolissant les exceptions établies contre elles et en
accordant à son commerce les mêmes avantages dont jouit le commerce des autres
nations. Par là, votre tarif aurait cela de commun avec le tarif français
d’établir des droits uniformes sur toutes les marchandises de même espèce et de
même qualité, sans avoir égard à leur origine.
Cette mesure est-elle de nature à blesser les intérêts commerciaux du
pays ? L’honorable M. Smits a soutenu la négative par d’excellentes raisons, et
ses adversaires ne me paraissent pas lui avoir répondu. Au fait, vous vendez
chaque année à la France
pour 60 millions de marchandises, tandis que vous en vendez à l’Angleterre pour
8 ou 10 millions seulement, et à l’Allemagne pour 3 millions au plus. Cependant
les importations de la France
en Belgique n’excèdent pas une valeur annuelle de 35 millions ; et les
importations de l’Angleterre vont à 60 millions, et celles de l’Allemagne à 21
millions. Ainsi, la France
importe bien moins que L’Angleterre et même, proportion gardée, bien moins que
l’Allemagne. Toutefois, elle est votre principal débouché, tout le monde en
convient Si, pour le moment, elle ne consent pas à améliorer en votre faveur
cet état de choses, n’est-il pas prudent néanmoins de chercher à le maintenir
en attendant mieux ? Vous voudriez qu’elle admît dès à présent tous les
produits de vos manufactures. Sans doute vous y trouverez votre profit. Mais,
soyons raisonnables, y trouverait-elle également le sien ? Il me semble, à moi,
qu’en vous ouvrant ainsi sa frontière, elle donnerait entrée chez elle aux
marchandises anglaises, dont la
Belgique est continuellement encombrée, et préparerait la
ruine de l’industrie française. Croyez-moi, les prohibitions dont vous vous
plaignez ont été établies plutôt contre les fabriques anglaises que contre les
nôtres ; et le ministère français d’aujourd’hui pourrait opposer à vos
réclamations les mêmes objections qu’opposait M. de Saint-Criq
aux réclamations de M. Vanderfosse, commissaire du
roi Guillaume.
Ces hommes qui ne doutent de rien ont parlé de la nécessité d’insérer
dans votre loi de douanes, et contre la France, de nouvelles dispositions restrictives ou
prohibitives.
D’autres ont voulu prouver la nécessité d’un traité de commerce avec la
confédération germanique, et hostile à la France. Prêtez
donc l’oreille à de pareilles insinuations ; adoptez le plan insensé d’une
ligne de douanes composée en partie d’employés belges et d’employés prussiens,
et vous verrez plus tard si vous vous en trouverez mieux.
Ne craignez-vous pas de voir alors la France repousser vos fers, vos toiles et vos
houilles ? Croyez-vous que votre pays soit le seul au monde où elle puisse
s’approvisionner ? Est-ce par vos importations en Germanie que vous comptez
vous dédommager de la perte d’un débouché immense ? Mais l’Allemagne n’a besoin
de rien ; elle inondera vos marchés de ses marchandises sans recevoir les
vôtres, à l’exception peut-être de quelques pièces de draps de Verviers. Mais
la fabrication et la vente de ces tissus, tout intéressantes qu’elles soient,
ne doivent pas faire oublier le commerce bien autrement important du charbon de
terre, ni le commerce du fer, ni le commerce des toiles qui, sur tous les
points du royaume, entretiennent et nourrissent une immense population
d’extracteurs, de forgerons, de journaliers, d’ouvriers, de bateliers, de
bûcherons, de voituriers, d’employés, de maîtres de forges, de facteurs, de
fabricants, de négociants, de marchands en gros et en détail.
Que si, par la nature de sa position, la France est dans
l’impossibilité de modifier son tarif des douanes, de manière à le rendre tel
que vous le désirez, est-ce un motif pour laisser subsister dans le vôtre des
privilèges absurdes ? Pourquoi, par exemple, les écorces destinées pour
l’Angleterre paient-elles moins à la sortie que les écorces destinées pour la France, lorsque l’égalité
des droits peut établir une concurrence utile, augmenter le prix de cette
marchandise et en faciliter le débit ? Pourquoi les draps prussiens
paieraient-ils moins à l’entrée que les droits de Sedan, lorsque tout le monde
dit que les draps de Sedan ne peuvent ni par leur qualité, ni par leur prix,
soutenir la concurrence contre les draps de Verviers ? Ces différences ne
sont-elles pas sans objet, ridicules ? Quels avantages votre commerce peut-il
en tirer ?
Mais, dit-on, l’ancien gouvernement n’a fait qu’un acte de représailles,
en établissant contre la France
des mesures exceptionnelles. Ces mesures étaient fondées « en droit et en
justice. » Aussi furent-elles votées à l’unanimité des états généraux.
Mais non, messieurs, elles n’étaient pas fondées en justice, car elles
n’étaient pas fondées en raison, car la haine du roi Guillaume ne raisonnait
pas. Les députés de la
Belgique les adoptèrent à l’aveugle. Qu’était-ce donc en
effet que cet empêchement mis à l’entrée des vins de France par les frontières
de terre ? Un privilège accordé à la navigation hollandaise au détriment du
roulage de la Belgique
et dont l’Etat n’a recueilli aucun avantage, car le tarif français n’a pas été
changé ; car la Belgique
n’a pas cessé de consommer les vins de France, avec cette différence,
néanmoins, qu’au lieu de boire purs ceux de Champagne et de Bourgogne, on les
buvait coupés : car, afin qu’ils pussent supporter le transport par mer,
l’expéditeur avait l’attention de les mélanger avec des vins grossiers du midi.
Mais quand on serait parvenu, avec le temps, à faire renoncer les consommateurs
belges à l’usage des vins de France, ils n’auraient pas renoncé, en même temps,
à l’usage des autres vins étrangers ; il ne serait pas sorti un sou de moins de
la Belgique. Je
vois donc uniquement ici une mesure ab irato, inutile, déraisonnable, digne de
faire suite à la loi mouture, à la loi de l’abattage et à la loi d’après
laquelle il fallait parler le baragouin national ou se reconnaître inhabile à
exercer le moindre emploi.
« Les mesures exceptionnelles ne sont pas de notre fait ; on ne peut
donc les imputer à la
Belgique comme un acte d’hostilité. S’il s’agissait
aujourd’hui de les voter, nous n’y
donnerions pas notre assentiment ; mais elles existent, et l’on ne doit pas
bénévolement en dépouiller les industries qui en jouissent. » Voilà ce
qu’un orateur a dit. Ainsi, on convient que les mesures exceptionnelles sont
mauvaises, et l’on veut les conserver ! Il suffit, dit-on, pour justifier cette
manière de voir, qu’elles soient l’œuvre de la Hollande et non la nôtre
! Mais, en maintenant ce que vous regardez avec raison comme hostile, ne
faites-vous pas vous-mêmes un acte d’hostilité ? Vous ne voulez-pas,
dires-vous, dépouiller les industries d’un avantage dont elles jouissent ;
mais, parce qu’elles en jouissent, en repose-il moins sur des principes vicieux
? N’est-il pas d’ailleurs imaginaire ? Si d’un autre côté vous voulez
accueillir les prétentions nombreuses et contradictoires de toutes les
industries, vous n’en finirez pas ; et quel code aurez-vous ? Voyez ce qui
s’est passé en France dans l’enquête générale dont tout le monde a fini par se
moquer.
Au lieu de regarder comme nuisible l’adoption du principe sur lequel
repose le projet de loi, je la crois donc au contraire commandée par vos
intérêts commerciaux bien entendus.
Mais je la crois également commandée par vos intérêts politiques. Malgré
la constance du roi Guillaume, dans son attachement pour vous, malgré les
menaces de ses orateurs et serviteurs, enfin malgré le nombre de ses troupes et
leur concentration à une petite distance de nos frontières, je ne puis, si
j’envisage l’état de l’Europe et la politique actuelle des gouvernements,
admettre la possibilité d’une attaque prochaine de la part de la Hollande ; je crois même
à la continuation de la paix. En effet, cette nation, garantie par ses fleuves
et ses marais, n’est pas pour cela en état de faire des conquêtes. Le temps de
sa grandeur et de sa puissance est passé ; elle a, sous le joug des Nassau, et
grâce à leur politique désastreuse, perdu sa marine, son commerce colossal, ses
principales colonies et le courage du patriotisme auquel elle dut autrefois ses
étonnants succès. A peine aujourd’hui pourrait-elle lutter contre nous. Elle
n’oserait donc seule essayer une nouvelle invasion. Et cependant, elle aurait
tort de compter, dans une semblable entreprise, sur le concours et l’appui des
monarques absolus. Ceux-ci comprennent leur position ; ils sentent qu’une
petite étincelle peut allumer un vaste incendie ; que la moindre hostilité, au
milieu de l’Europe, occasionnerait probablement une configuration générale, une
guerre de principes. Ils ont peur, car elle mettrait, ils le savent bien, leur
trône en péril. L’expérience leur a d’ailleurs prouvé l’impossibilité de réunir
et de fondre en un seul corps de nation deux peuples antipathiques par la
différence de leur religion, de leurs mœurs et de leurs intérêts.
Cependant, il n’est rien de durable parmi les hommes, si ce n’est la
légèreté de leur caractère et l’inconstance de leur conduite. Nous ignorons ce
que le temps nous réserve, mais l’histoire des siècles passés et notre propre
expérience nous disent de ne pas compter sur la perpétuité de la paix.
Aujourd’hui les puissances protectrices de notre nationalité sont heureusement
d’accord, et vous êtes tranquilles. Mais si, ce qu’à Dieu ne plaise, des
intérêts bien ou mal entendus rompaient cette bonne intelligence, si la guerre
éclatait entre elles, que deviendrait votre indépendance ? Elle ne trouverait
plus d’appui dans les protocoles ; vous les invoqueriez inutilement. Il ne dépendrait
pas de vous de demeurer neutres ; car vos frontières ne sont défendues ni par
des montagnes inaccessibles ni par des eaux infranchissables ; elles sont
couvertes, au midi, de places fortes élevées contre la France, mais que le gain
d’une bataille peut rendre inutiles en un instant. Dans cette situation
tournerez-vous vos regards vers l’Allemagne absolutiste ? Réclamerez-vous
l’assistance de l’Angleterre, nécessairement unie alors à tous les monarques
ennemis de la liberté ? Non ; vous donnerez la main à la France libre vers laquelle
vous porteront vos sympathies et le désir bien naturel d’échapper au
despotisme, de n’être pas de nouveau placés sous une main de fer. Si elle
triomphe de vos ennemis communs, qu’arrivera-t-il ? Vous le devinez, messieurs,
et je n’ai pas besoin de le dire. Il est donc prudent de nous conduire dès à
présent envers elle comme envers un allié naturel dont la fraternité nous est
précieuse, nécessaire. En supprimant les exceptions dont vos lois frappent son
commerce, vous marcherez vers ce but, vous agirez dans le sens des intérêts
politiques de la nation. Au reste, je n’appelle pas de mes vœux l’événement
dont je parlais tout à l’heure ; au contraire, je le crains. Mais je le crois
dans l’ordre des choses très possibles, et quand on fait des lois, il faut
tâcher de tout prévoir.
On adresse souvent ici des reproches
à la France ;
on a vu avec déplaisir ses soldats prendre la citadelle d’Anvers sous les yeux
de l’armée belge condamnée à l’inaction. Mais il faut leur pardonner le tort
d’être venus se faire estropier, mutiler et tuer, car ils étaient forcés
d’obéir aux ordres de leur gouvernement qui n’est pas la nation, et qui
lui-même obéissait aux protocoles acceptés par le congrès et par les chambres.
Il ne faut pas d’ailleurs oublier qu’après la reddition de la citadelle
d’Anvers les chambres ont voté par acclamation des remerciements à l’année
française et une riche épée à son général.
Je n’ai pas, vous le voyez, messieurs, examiné le projet de loi dans ses
détails ; j’envisage seulement le principe qui le domine, et ce principe, je
l’adopterai par les considérations que je viens d’exposer, Elles me paraissent
suffisantes pour motiver mon opinion.
M. Hye-Hoys, rapporteur. - Messieurs,
mon intention n’était pas de prendre la parole dans la discussion générale pour
ne pas me répéter lors de la discussion des articles ; cependant je crois avec
M. de Brouckere qu’il est convenable de répondre aux discours de l’honorable M.
Smits, comme ayant mal interprété aussi quelques passages de mon rapport.
Des exceptions prohibitionnelles continuent de
subsister dans notre code de douanes, contre la France seule, et il faut se
hâter de les en faire disparaître, est venu vous dire l’honorable M. Smits. Mais rien n’est moins vrai,
messieurs, et vous connaissez tous trop bien les droits dont notre tarif frappe
les produits des autres nations, pour prendre à la lettre le discours de
l’orateur ; c’est en déplaçant ainsi la question, en la mettant sur un autre
terrain, en nous représentant la
France comme martyr de nos avances, qu’on s’imagine nous
donner le change et introduire des modifications à notre tarif qui causeront la
ruine de notre industrie.
On vous a dit, messieurs, que le droit dont le gouvernement frappe
certains produits de la France,
ôte à notre tarif le « caractère de généralité » qui est de son
essence ; mais je ne sais ce que pareille phrase peut signifier. Que sont les
tarifs, sinon les débris d’un système d’économie politique reconnu faux depuis
longtemps, débris qu’il fait cependant soigneusement conserver tant que toutes
les nations n’auront pas renoncé à une politique commerciale qui est le
résultat de leur création ; « prohibition ou droits à l’entrée, »
voilà les deux seules mesures que tous les tarifs de chaque nation soutiennent
contre les nations étrangères, et si elles les ont introduites pour protéger
leur industrie, que pouvez-vous objecter à cette prudence, que rien à notre
avis ne peut remplacer ? ne dirait-on pas, à entendre les prétentions du gouvernement
français, qu’il nous offre gratuitement des richesses et que nous ne
manifestons nos retours que par des actes blâmables ? Qu’en pouvons-nous si,
pour flatter ceux de nos industriels qui se laissent tirer à la remorque du
progrès, nous voyons la France
qui prohibe ou impose fortement nos produits, et si l’ancien gouvernement s’est
vu forcé de recourir, à regret, il est vrai, à des mesures de représailles,
afin de ramener la France
à d’autres principes ; que nous importe si les mesures prises par la France contre nous en 1823
ont été prises spécialement contre nous seuls, ou si, en haine des principes
qu’elle veut nous faire proclamer aujourd’hui, elle nous a compris à cette
époque dans ses tables de proscription avec beaucoup d’autres nations ? Qu’elle
répare d’abord le mal qu’elle a fait, et qu’elle nous accorde une entière
réciprocité, et nous pourrons traiter avec elle. Mais on est venu nous dire
qu’il y a réciprocité commerciale entre la France et la Belgique ; que sert alors de demander davantage ?
Mais si vous prétendez que nous devons laisser entrer les produits français
ainsi que nous l’ont proposé MM. les ministres de l’intérieur et des finances,
c’est-à-dire en levant les prohibitions ou en abaissant les droits, vous devrez
convenir que pour rétablir l’équilibre, que pour que la réciprocité commerciale
existe encore, il faut nécessairement que la France lève à son tour la prohibition, ou
rabaisse certains droits trop élevés au gré de nos industriels ; mais on a cru
dire quelque chose de bien profond en nous annonçant que la réciprocité réside
dans l’ensemble des rapports des échanges ; il va de soi que grammaticalement
parlant il n’en est ainsi, mais cela ne change rien à la question et ne détruit
en rien les arguments de la section centrale. Ainsi, au dire de l’honorable M.
Smits, pourvu que la Belgique
renvoie ses produits à d’autres nations qui lui en envoient aussi, il y a
réciprocité commerciale, et il importe peu que la France, par exemple,
prohibe ou frappe d’énormes droits certains produits belges ; il faudra, nous
ne savons par quel principe, que la
Belgique se contente de cet état des choses, et lorsque la France demandera à la Belgique d’abaisser pour
elle ou de faire disparaître certaines parties de son tarif, la Belgique n’aura que le
droit de demander la réciprocité.
Non, messieurs, il n’en est pas ainsi ; l’opinion qu’a prêchée
l’honorable M. Smits ne sera jamais regardée comme le droit commun de la Belgique : ce n’est pas
notre faute si les tarifs des douanes sont devenus la mesure de la
bienveillance des nations industrielles, et d’un pays à l’égard des autres ; la
réciprocité commerciale réside dans un abaissement réciproque des tarifications
des pays entre lesquels il existe des rapports commerciaux ; vous aurez beau
faire, rien ne détruira cette vérité.
L’exemple cité par l’honorable M. Smits, des droits imposés par la Prusse sur nos toiles de
coton, de la prohibition dont les frappe la France, et de la liberté que nous accorde la Suisse pour l’introduction,
pour dire que nous ne prendrons cette tarification comme base de celle à
laquelle nous soumettrons les produits de ce pays, contient une erreur, et
n’est que partiellement vraie ; que si elle mène à l’absurde, c’est une voie
dans laquelle la section centrale n’a pas donné et ne prouve pas contre ; la
tarification spéciale pour chaque pays existe dans tous les pays ; sans elle
les tarifs ne seraient rien ; et si la France pouvait équitablement prétendre que nous
lui accordions ce que MM. les ministres nous sont venus demander, qui lui
empêche de venir lui présenter aussi un programme des désirs de nos
industriels, de subordonner notre assentiment à sa demande à la certitude
qu’elle nous écoutera, et de combattre enfin ses industriels par les termes
qu’a employés l’honorable membre ? C’est nous qui vous diront avec justice, M.
Smits : il faut raisonner plus sérieusement des questions d’économie politique
; il ne faut pas obscurcir la vérité par des paroles sans fond qui ne
trouveront aucun cours dans cette chambre.
Mais, a dit l’honorable membre, nos échanges avec la France sont avantageux, et
il faut chercher à les étendre loin de les rétrécir par des représailles qui,
il est vrai, ne sont pas de notre fait, mais que nous pouvons faire
disparaître. Oui, certainement, nos rapports avec la Francs sont avantageux,
mais les rapports de la France
avec la Belgique
le sont aussi ; ils le sont, ils continuent sans cesse en s’élargissant, ce
n’est rien de neuf ; c’est la théorie du commerce tout simplement, et n’ayons
pas l’air de croire qu’il en faille être reconnaissant envers la France.
Si le gouvernement français, dans sa sollicitude pour la Belgique, nous engage à
ne pas rétrécir notre commerce par des représailles, nous lui répondrons avec
non moins d’intérêt : Pourquoi donc écoutez-vous les cris de vos industriels,
et pourquoi cet égoïsme et ce repoussement qui se sont manifestés à la tribune
française ; pourquoi ne levez-vous pas les prohibitions qui frappent les
produits belges ? Quant à nos représailles, elles constituent dans leur
exécution un acte de droit de gens ; c’est un veto international, c’est une
protestation contre les mesures qu’a prises la France contre notre
industrie, et il y va de l’honneur de la Belgique de ne pas y renoncer avant que les
causes qui l’ont amené n’aient entièrement disparu. Que si l’on vient vous dire
que la France
a montré sa bonne volonté à notre égard, nous répondrons que la Belgique n’est pas restée
en arrière depuis six ans ! Et que l’on ne vienne pas nous dire que le tarif
proposé par le gouvernement a reçu l’assentiment de nos chambres de commerce,
loin d’avoir été unanimement repoussé, comme on le fait dire à tort à la
section centrale.
J’ai dit que les avis étaient très partagés sur quelques-unes des
concessions qu’on nous demande et qu’il ressortait de l’avis de chambres de
commerce qu’il ne fallait rien accorder à la France, à moins que nous fussions sûrs d’une
entière réciprocité. Messieurs, avant d’avancer cette pensée, j’ai mûrement
réfléchi sur le travail des chambres de commerce ; celles de nos grandes
villes, c’est-à-dire les chambres où siègent des hommes d’expérience et de
lumière, des fabricants riches et instruits, ont tous manifesté une crainte
fondée pour le pays, si nous adoptions le tarif du gouvernement ; et en
examinant les modifications apportées au tarif par les chambres des villes
d’une moins grande importance, personne ne niera que ce que nous avons avancé
ne soit encore de la plus grande vérité, et que M. Smits seul a manqué
d’exactitude. Ecoutons les justes remontrances de ces chambres ; écoutons les
remontrances de la section centrale, tous n’ont qu’une chose en vue, le
maintien de notre dignité nationale et la défense des industriels belges ; ne
soyons pas dupes de ces mots de « concessions » que l’orateur, M.
Smits, a fait sonner bien haut ; que venez-vous nous offrir, dirons-nous avec
assurance à ces envoyés de la
France, pour tout ce que vous venez nous demander ? Rien,
sinon que vous répondez que vous êtes entrés dans la voie des concessions, et
quand vous venez nous vanter l’amitié et le patronage, l’alliance et la
communauté des principes de la
France, et quand nous vous étalons nos lois et nos
concessions qui, depuis six ans, ont montré notre bonne volonté à l’égard de la France, vous nous répondez,
par M. Smits, que nos concessions ont été calculées dans notre propre intérêt !
En vérité nous ne savons ce qu’il faut le plus admirer de
la maladresse, si je puis m’exprimer ainsi, de l’orateur, ou de la grande
finesse des Français ; écoutez l’honorable membre : notre pays est ouvert
de tous côtés ; donc les mesures de 1823 sont illusoires ! mais alors pourquoi
plaidez-vous avec tant de chaleur pour le gouvernement français ? Si vous
employé la loi de 1823 comme représaille, vous
compromettez le pays. Ce dernier fait n’est pas exact, cette mesure est un acte
de légitime défense ; si on ne l’avait pas prise, notre patience eût depuis
longtemps consacré notre déshonneur : entre nations comme entre particuliers,
un acte de légitime défense est un acte de morale.
Messieurs, je crois avoir réfuté suffisamment l’honorable M. Smits, il
s’est constitué l’apologiste des grandes concessions faites par la France ; vous savez à quoi
elles se réduisent, vous savez de quelle importance il est pour notre pays
d’avoir de nombreuses industries ; adoptez les mesures proposées par la France, et vous
compromettez plus de 500,000,000 de capitaux en Belgique ; vous accorderez
protection et richesse chez nous aux étrangers, et pour vos concitoyens vous
réserverez votre indifférence et vous porterez le découragement dans le pays.
M. Jullien. (Remarque du webmaster : ce texte inclut les errata insérés au Moniteur
belge du 27 avril 1837.) - Messieurs, si j’ai demandé la parole dans cette
discussion, c’est uniquement dans l’intention de soumettre à la chambre
quelques observations générales sur certains points, qui sont à la portée de
tout le monde, car je pense que dans ces matières il faut laisser tout le poids
et tous les honneurs de la discussion aux hommes spéciaux, quand on a, comme
nous, le bonheur d’en avoir, et surtout quand ils sont conséquents avec
eux-mêmes. (On rit.)
Un honorable orateur qui siège à ma droite, et qui a parlé contre le
projet, a dit que depuis la législation de 1823, il s’était élevé dans le pays
plusieurs industries qui pourraient tomber si cette législation venait à
disparaître de suite ; si l’honorable membre auquel je fais allusion, a entendu
dire qu’il ne fallait toucher à cette législation de 1823 qu’avec mesure, avec
prudence et discernement, je suis parfaitement de son avis, mais s’il entend
qu’il faut laisser subsister cette législation à cause de quelques industries
qui se sont élevées depuis l’époque où elle a été portée, et qui pourraient
certes souffrir soit de l’abaissement soit de l’élévation du tarif, alors je ne
partage pas son opinion, parce que je considère cette législation comme un
obstacle insurmontable aux transactions commerciales qu’il est de notre intérêt
de faire avec la France
: non pas que je regarde cette législation comme une sottise, ainsi que
l’appelait naguère un orateur qui a parlé dans la séance d’hier ; non pas que
je la considère dans la succession du royaume des Pays-Bas, comme une bourse
volée qu’un honnête héritier doit rendre à son légitime propriétaire, ainsi que
le disait hier un autre orateur ; mais parce que nous ne sommes pas dans une
position à pouvoir la maintenir, et que notre politique et nos intérêts sont
changés.
On a dit, messieurs, que les concessions qui nous sont faites par la France ne sont pas des
concessions réelles, que ce sont des concessions dérisoires, puisque, dans la
chambre française, il s’est trouvé des orateurs qui ont prétendu que ces
concessions sont faites dans l’intérêt de la France. Je n’admets pas,
messieurs, un pareil argument, il n’est ni digne ni concluant ; il ressemble au
langage de ces ingrats, qui disent : « Vous m’avez obligé, vous êtes mon
bienfaiteur, cela est vrai ; mais je ne vous dois rien, parce que celui qui
oblige éprouve plus de satisfaction et est plus heureux que celui qui est
obligé. » Un tel langage, messieurs, n’est pas digne de nous.
Il n’est pas possible d’envisager des conventions relatives aux tarifs
de douanes de deux pays, autrement que comme des transactions commerciales. Or,
c’est le caractère de toute transaction de se faire des concessions mutuelles,
et ces concessions sont bien dans l’intérêt de chacune des parties
contractantes. Ainsi, qu’on ne vienne pas dire que c’est dans son intérêt que la France nous accorde des
avantages ; s’il y a des avantages pour nous, il faut les accepter comme tels
sans rechercher l’intention. On ne s’est pas aperçu peut-être que la France pourrait rétorquer
l’argument avec beaucoup d’avantage : par exemple, dans le projet qui nous est
soumis, il s’agit de réduire le droit sur les tissus de soie, de 10 à 5 pour
cent ; c’est là une diminution considérable que la France doit envisager comme
un avantage réel ; cependant, en s’emparant de l’argument que je viens de
relever, elle pourrait fort bien nous dire : « Mais ce n’est pas dans mon
intérêt que vous me faites cette concession, c’est dans le vôtre ; car nous
nous sommes fait rendre compte de ce que vous rapportait votre droit de 10 pour
cent sur les soies, et nous avons vu qu’il produit à peine quelques mille
francs, tandis qu’il y a à Bruxelles des maisons de commerce dont chacune paie
à elle seule de beaucoup plus fortes sommes pour les tissus de soie qu’elle
reçoit en fraude. Est-ce un effet de la corruption, de la négligence, de
l’impossibilité d’empêcher la fraude ? Nous n’en savons rien mais ce qui est
certain, c’est que si vous réduisez votre droit de 15 pour cent à 5 pour cent,
vous êtes sûrs d’obtenir l’intégralité du droit, tandis qu’avec votre droit
actuel de 15 pour cent, vous n’obtenez rien ou presque rien. » Vous voyez
donc, messieurs, que le raisonnement qui consiste à dire que celui qui a
accordé des avantages ne l’a fait que dans son intérêt particulier est de nulle
valeur ; car, malgré l’avantage réel que nous retirerons de l’abaissement de
notre tarif sur cet article, il n’y aura pas moins un grand avantage pour la France dans cette même
réduction, quand elle n’aurait d’autre effet que de ramener à un commerce
honnête et régulier celui qui le faisait auparavant par la fraude.
On a, messieurs, dans cette discussion, longuement parlé de réciprocité
; mais, comme chacun a établi son système à cet égard, on a fini par ne plus se
comprendre. Suivant un honorable orateur, la réciprocité, c’est un bœuf pour un
bœuf ; suivant d’autres, qui ont une imagination plus fertile, il y a deux ou
trois systèmes de réciprocité : l’un d’eux a dit : « Il faut inscrire sur
notre bannière le mot réciprocité, il faut nous présenter au monde commercial
avec cette devise. » Il y a là quelque chose de chevaleresque ; mais,
quand on prend une bannière, il faut commencer par savoir où la planter, et il
faut pouvoir défendre et sa bannière et sa devise, sinon par la force, au moins
par le droit et la justice ; Et comment irez-vous parler de réciprocité à la France aussi longtemps que
vous la jetterez dans l’interdit de l’arrêté de 1823, que vous continuerez à la
placer hors du droit commun ? La
France aura toujours le droit de vous dire :
« Placez-moi au moins au même rang où vous placez les autres pays, si vous
voulez que je vous entende parler de réciprocité. » Vous ne pouvez pas
exiger qu’une nation comme la
France vienne solliciter pour ainsi dire à votre porte la
faveur d’être placée dans le droit commun : il faut nécessairement, quand elle
fasse les premières avances, que nous ayons au moins l’air de nous y prêter.
Un orateur a dit : « Si nous ne pouvons pas parvenir nous entendre
avec la France,
jetons-nous dans les bras de l’Allemagne. » Mais quand nous serons dans
les bras ou sur les bras de l’Allemagne, je vous demande ce que l’Allemagne
fera de nous ? Ne craignez-vous pas que l’Allemagne vous rejette dans les bras
des la Hollande
? Est-ce là ce que vous voulez ? D’un autre côté, jamais une nation ne se place
sous le patronage d’une autre sans qu’il faille le payer de quelque manière que
ce soit ; et savez-vous à quel prix l’Allemagne vous recevrait dans ses bras ?
Avez-vous oublié l’empereur Napoléon, protecteur de la confédération du Rhin ?
Ne savez-vous pas de quelle manière l’Angleterre protège le Portugal, et
l’Autriche l’Italie ; de quelle manière le Grand-Seigneur est protégé par la Russie ? Jetez-vous donc
dans les bras de l’Allemagne ; vous serez immédiatement obligés à la payer, par
quelques actes de complaisance, des avantages qu’elle vous accordera : il est,
par la nature des choses, impossible qu’il en soit autrement.
Je le dis avec franchise, messieurs, si vous tenez à l’ordre de choses
actuel, faites en sorte d’entretenir avec la France des relations amicales, ne tournez pas vos
regards d’un autre côté de crainte de trouver pire (si toutefois la France peut nous traiter
autrement qu’avec bienveillance : mais c’est là une question de haute
diplomatie dans l’examen de laquelle je ne veux pas entrer). Nous n’avons rien
à gagner à un changement, et je pense, au contraire, que si l’on poussait les
choses à l’extrême, il pourrait en résulter pour le pays des conséquences
fâcheuses. Quelques orateurs pensent par exemple que la France ne peut se passer de
nos houilles, parce qu’elle a admis des droits différentiels qui les protègent ;
c’est la une grave erreur, car les Anglais attendent avec impatience le moment
de voir cesser cette législation qui protège nos houilles, afin de se mettre à
bonne place pour fournir à toute la
France de la houille qu’elle lui livrerait à beaucoup meilleur
compte que nous.
Nous devons donc, comme je le disais tout à l’heure, y regarder à deux
fois avant de prendre une détermination qui serait empreinte d’un caractère
d’hostilité contre une puissance qu’il est de notre intérêt de ménager.
Sans entrer, messieurs, dans tous les calculs statistiques auxquels on a
eu recours pour examiner si la balance de notre commerce avec la France est avantageuse pour
nous, je ne ferai qu’une seule observation à cet égard. Presque tous nos produits sont demandés par la France ; moi, député des Flandres, je suis
surtout autorisé à dire que les Flandres ne produisent rien qui ne soit tiré
par la France,
que la France
ne paie en bons deniers comptant ; nous fournissons donc à la consommation des
32 millions d’habitants de la
France, et de quelque manière que vous entendiez la
réciprocité, il est toujours vrai que la France ne peut nous fournir de ses produits que
pour la consommation de 4 millions d’habitants ; il est donc évident que la
balance du commerce est toute à votre avantage.
Voilà, messieurs, en me réservant de parler sur les articles, les seules
observations que j’avais à présenter sur l’ensemble du projet, car il me semble
que la discussion générale est déjà assez longue. Je n’admets ni ne rejette dans
son ensemble le projet qui nous est soumis ; lorsque je serai éclairé par la
discussion, j’admettrai toutes les modifications qui me paraîtront compatibles
avec les intérêts du pays, et je rejetterai toutes celles qui n’auront pas ce
caractère. C’est là, messieurs, la profession de foi que j’avais à faire sur la
matière qui nous occupe.
M. Rogier. - Messieurs, je ne sais pas
si la chambre est encore disposée à continuer la discussion générale (Oui ! oui !) Ce sont des observations
assez générales que j’aurai l’honneur de vous présenter.
Depuis les 4 jours que dure cette discussion, que j’ai suivie ici et
dans le Moniteur, un fait m’a
désagréablement frappé ; c’est l’espèce de recrudescence que semble avoir prise
dans cette enceinte le système désigné ordinairement sous le nom de système
prohibitif.
Déjà, messieurs, depuis une discussion qui a eu quelque retentissement
dans le pays, la chambre a paru suivre imprudemment, à mon avis, la pente qui
conduit à ce système. Nous avions eu dans la discussion de la loi cotonnière un
point d’arrêt. Les partisans de ce qui existe, ceux qui pensent que la Belgique ne peut fleurir
à l’abri du tarif que lui a légué l’ancien gouvernement, ceux-là firent leurs
efforts et parvinrent à arrêter les chambres dans une voie rétrograde qu’ils
considéraient comme désastreuse à plusieurs égards.
Mais depuis lors, par une espèce de réaction qu’il n’a pas été possible
d’arrêter, nous nous sommes de plus en plus enfoncés, je ne dirai pas
fourvoyer, dans la voie prohibitive.
A qui la faute, messieurs ? C’est ce que je ne veux pas rechercher dans
ce moment ; mais ceux qui ont aujourd’hui des obstacles à vaincre, se
rappelleront qu’il n’a pas toujours dépendu d’eux que la chambre ne suivît un
système plus libéral. Ceux qui, par exemple, dans la discussion de la loi sur
le bétail, ont soutenu la théorie du système restrictif et prohibitif, ne
doivent pas trouver surprenant que la chambre, encouragée dans les tendances,
oppose aujourd’hui des obstacles à ce qui est leur manière de voir dans cette
discussion.
Messieurs, ici comme dans toutes les questions d’intérêt matériel,
d’intérêt industriel, l’intérêt privé s’est montré dans toute sa nudité :
l’intérêt privé qui est alerté, vivace, exigeant, et qui imite presque toujours
avec succès contre l’intérêt général, beaucoup moins vivace, beaucoup plus lent
à se faire comprendre et à triompher, mais qui en définitive finit toujours par
triompher.
Voici comment procède l’intérêt privé : Il demandera d’abord des droits
protecteurs ; suivant la pente que j’ai indiquée, il arrivera aux droits
prohibitifs ; les droits prohibitifs ne suffiront pas encore, l’on viendra à la
prohibition absolue ; après la prohibition, la confiscation et tout ce qu’il
voulait tenter de faire triompher lors de la discussion de la loi cotonnière.
Par exemple, pour ne pas sortir de cet objet si intéressant de notre
industrie, voici quelle a été chez nous l’histoire du coton dans ses rapports
avec le tarif :
En 1816, les 100
livres de toile de coton payaient 30 florins à l’entrée
; en 1819, faisant droit aux réclamations des industriels, on éleva le droit à
60 florins, c’est-à-dire au double. Ce n’est pas assez encore pour l’intérêt
privé ; il lui faut en 1828 une nouvelle augmentation, et ce droit est porté à
85 florins. Nous avons tous été témoins en 1835 que ce dernier droit n’était
pas encore suffisant, pour protéger, dit-on, d’une manière efficace l’industrie
cotonnière.
Toutes les industries (car je ne fais pas ici le procès uniquement à
l’industrie cotonnière), toutes les industries ont les mêmes tendances, les
mêmes exigences.
Mais du moment que vous sortez du cercle de leur intérêts personnels, oh
!, alors elles deviennent très accommodantes, très libérales, elles vont même dans
leurs tendances libérales au-delà de ce que voudraient les partisans de ce
qu’on appelle la liberté illimitée du commerce.
Et à cet égard, c’est un singulier résumé à faire que celui de tous les
avis émis dans la question qui nous occupe par les différentes chambres de
commerce. S’agit-il de l’industrie des draps ? Tout ce qui n’est pas chambre de
commerce de Verriers est d’accord avec le gouvernement, il faut laisser les
draps français entrer en Belgique. S’agit-il de l’industrie des cotons, toute
chambre de commerce qui n’appartienne pas aux localités où cette industrie
fleurie, est d’avis qu’on accorde toutes les facilités possibles aux cotons
étrangers.
Que pourrait-on conclure, messieurs, de cette manière de procéder de la
part des industries ? Qu’au fond elles voient très clair, en ce qui concerne
l’industrie en général, sauf seulement en ce qui concerne leur intérêt
particulier qui, je dois le dire, leur ferme les yeux sur ce qui est d’intérêt
général.
En présence de ces prétentions je conçois qu’il est difficile au
gouvernement, et je l’ai éprouvé par moi-même, de tenir une bonne position. Je
comprends les déviations que dans telle ou telle circonstance il est obligé de
faire subir à ses propres principes, à son propre système.
Il me semble, messieurs, que pour les chambres législatives, comme pour
le gouvernement, il y a dans les questions matérielles un principe général qui
doit dominer tous les autres principes, dominer tous les systèmes.
Un petit pays, comme le nôtre, ayant un sol fertile, une population
industrielle, commerçante ; un pays surtout nouveau venu en Europe, comme la Belgique, quelles doivent
être ses politiques, ses tendances ? Evidemment multiplier ses relations avec
les autres pays ; chercher partout des appuis, des soutiens, se créer avec eux
des besoins réciproques : c’est ainsi que se fonde la véritable politique d’un
pays ; ce sont ces liens matériels qui résistent le plus longtemps, après même
que la séparation politique a été effectuée.
C’est ainsi que la
Belgique doit regarder de très peu à ce qu’elle fait en ces
sortes de matière. Il ne faut pas qu’elle rende hostiles à son existence toutes
les autres nations. Il ne fait pas qu’on se dise que le royaume des Pays-Bas
présentait au commerce des nations plus d’avantages que n’en présente
aujourd’hui le royaume de Belgique. Il ne fait pas que le monde commercial
regrette la combinaison qu’heureusement pour la Belgique les événements
de septembre sont venus rompre.
Eh bien, messieurs, je crois que cette désaffectation des peuples commerçants
à l’égard de la Belgique
ne tarderait pas à se réaliser, si nous ne savions nous-mêmes modérer les
tendances que beaucoup de nous ont montrées vers le système restrictif ou
prohibitif.
Voyez, messieurs, la
France ; c’est elle qui a commencé à adresser des
réclamations ; elle a trouvé mauvais que la Belgique émancipée, ayant dans la France alliée son principal
appui, conservât des mesures exceptionnelles contre les arrêtés du gouvernement
hollandais de 1823 ; la
Belgique, alors que tout la poussait à conclure avec la France une union politique,
si nécessaire à son indépendance, la Belgique, a-t-elle dit, ne devait pas maintenir
un système personnellement hostile à la Belgique, a-t-elle dit, ne devaient pas maintenir
un système personnellement hostile à la France.
Pensez-vous que la
Prusse elle-même ait vu avec grand plaisir les mesures qui
ont successivement restreint les relations qu’elle entretenait avec la Belgique ? Pensez-vous
qu’elle n’ait pas protesté, si non officiellement, du moins officieusement,
contre les modifications introduites dans notre tarif des douanes, en ce qui
concerne les toiles, par exemple ?
L’Angleterre, à son tour, ne trouverait-elle pas mauvais que la Belgique émancipée, grâce
en partie à son loyal concours, se conduisît à son égard d’une manière moins
libérale, moins avantageuse à son commerce que ne le faisant le royaume des
Pays-Bas, qu’elle a contribué à renverser ?
Nous avons d’abord, messieurs, à donner raison à la France, et je crois que
c’est de toute justice. La France,
comme on vous l’a déjà dit, a été personnellement maltraitée dans notre tarif ;
c’est une injustice directe qu’elle demande qu’on fasse disparaître. C’est elle
qui a fait les premières avances, et je pense qu’il est juste que la Belgique y réponde spontanément.
Mais remarquez, messieurs, que s’il s’agissait d’être exceptionnellement
favorable à la France,
je serais le premier à combattre un pareil système. En matière commerciale, la
politique de la Belgique
ne doit être ni française, ni anglaise, ni allemande, sa politique à elle doit
être de vivre en bonne harmonie avec le plus de monde possible, et avec tout le
monde si faire se peut. Oui, messieurs, telles, à mon avis, doivent être nos
doctrines, tel doit être notre but. C’est là aussi, je l’espère, que nous
marchons, c’est là que nous arriverons, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille
pas. Notre situation géographique, notre force productive, nos chemins de fer
nous y poussent.
La Belgique par sa position dans les époques belliqueuses, a été le rendez-vous de
combats acharnés. La Belgique
dans l’ère industrielle où nous nous trouvons doit être le rendez-vous de
toutes les luttes commerciales, de tous les produits, de tous les échanges, de
toutes les richesses qu’ils amènent à leur suite.
S’il m’était permis de mêler à ces paroles décolorées, la parole
puissante d’un orateur français qui joint au privilège d’un grand talent
l’avantage d’un grand caractère, je dirai avec M. Lamartine :
« Quel est le besoin de ce temps-ci ? C’est la paix, c’est la continuation,
c’est l’affermissement de ces rapports d’harmonie, de ces relations de
bienveillance, commerciaux ou intellectuels entre les différentes nations dont
le monde politique se compose, et que la civilisation n’a d’autre fin que
d’étendre, de compléter, de rendre s’il se peut inviolables ! Effacer autant
que possible les nationalités rivales et tendre à l’unité morale et à l’unité
d’intérêts, c’est l’action du temps, c’est l’action des choses, c’est l’action
évidente de la providence ; constituer le genre humain en une famille,
réunissant ses lumières et ses forces pour s’améliorer, au lieu de se diviser
en mille races jalouses et ennemies se combattant pour s’entre-nuire ; voilà la
tendance de la nature aidée des religions, de la raison et de la vraie et
grande politique. »
Entendez le même orateur s’exprimer sur le compte de la Belgique en combattant,
lui aussi, le système restrictif préconisé par un grand nombre d’orateurs
français.
« J’ai réclamé, dit-il, cette liberté de la concurrence, cet abaissement
des tarifs, cette protection pour les matières premières nécessaires à nos
grandes industries, je l’ai réclamée pour la houille, pour le fer, et surtout
pour cette grande et nationale industrie dont j’ai parlé tout à l’heure, celle
des chemins de fer. Et je suis aussi étonné qu’affligé quand je pense
qu’aujourd’hui même, à cette heure même où nous discutons, au moment où ma voix
est repoussée par les murmures de tous ces intérêts des feudataires privilégiés
de l’industrie, la Belgique
inaugure, aux acclamations de tout un peuple, le chemin de fer qui doit joindre
Gand, Anvers et Bruxelles. Voilà la différence des hommes et des choses ; voilà
comment là on comprend les intérêts nationaux, comment ici on se suicide
! »
Oui, messieurs, telle est la bonne réputation de la Belgique à l’étranger,
telle est la réputation de cette industrie belge, « qui, comme l’a dit le
rapporteur de la section centrale, est en titre depuis des siècles, de donner
des modèles et des leçons à l’industrie étrangère. » Sachons donc
justifier cette bonne réputation dont nous jouissons, ayons confiance en
nous-mêmes, ne manifestons pas ces frayeurs, qui peuvent appartenir à des pays
peu avancés en industrie, mais non à un pays qui marche, on peut le dire sans
fanfaronnade nationale, un des premiers à la tête des nations industrielles.
C’est ainsi que j’aimerais à voir la Belgique ; aussi pour mon compte ai-je toujours
tâché par mes faibles efforts de la pousser vers ce but.
Ainsi, lorsqu’après avoir proposé une exposition des produits des
beaux-arts où étaient admis en concurrence tous les produits des articles
étrangers, je ne vis pas de difficultés à procéder d’après le même système en
ce qui concernait l’exposition des produits industriels proprement dits.
Qu’arriva-t-il ? Les artistes belges surent soutenir avec le plus grand succès
la concurrence des artistes étrangers, et aujourd’hui pas un seul ne voudrait
s’abaisser au point de réclamer contre l’importation des produits des
beaux-arts, cette prohibition que les arts industriels réclament encore pour
eux-mêmes.
Si, à cette époque, les principes admis pour les produits des beaux-arts
avaient pu prévaloir aussi à l’égard des arts industriels, si nous avions pu
appeler en concurrence à nos expositions d’industrie les produits étrangers
avec les produits belges, je pense en fait que, fier des succès obtenus par
l’industrie nationale, aujourd’hui on n’entendrait pas ces frayeurs exagérées
qui ont retenti tant de fois dans cette enceinte.
J’ai entendu souvent d’honorables membres accuser d’idées rétrogrades ce
peuple qui, comme on dit, est placé à la tête de la civilisation, le
représenter comme très arriéré dans les questions commerciale. Je crois qu’il y
a beaucoup de vrai là-dedans.
Je pense que la nation française est encore fort arriérée dans les
questions commerciales. Mais pourquoi donc, nous qui nous vantons de professer
dans ces matières des opinions plus avancées, qui nous vantons avec quelque
raison de l’état florissant et du perfectionnement de notre industrie, irions-nous
suivre ces exemples rétrogrades que nous condamnons chez les autres.
La France nous a donné l’exemple des
concessions, c’est un fait qu’il est impossible de nier ; et nous refuser à
suivre cet exemple, c’est nous substituer au rôle peu honorable que nous lui
attribuons aujourd’hui.
Mais, dit-on, le pas qu’a fait la France n’est pas immense, les concessions qu’elle
nous a faites sont insignifiantes, c’est un leurre qu’elle nous offre, elles
ont été dictées par son seul intérêt. Je ne discuterai pas ce moment l’étendue
des concessions faites par la France. Mais
nous ne devons pas perdre de vue que ces concessions, elle a été la première à
les faire.
Ne perdons pas de vue non plus que ce que nous avons obtenu, c’est en
grande partie ce que nous avions demandé. Car, que l’on remonte aux premiers
temps où une mission fut essayée vers Paris. A cette époque, il y avait
incrédulité presque générale dans cette chambre. A quoi bon, disait-on, envoyer
des commissaires à Paris ? Ils ne feront rien, ils n’obtiendront rien ! C’était
encore un leurre ! Les commissaires sont partis vers la capitale de la France munis d’instructions
spéciales ; en peu de temps, et grâce à un zèle et à des efforts auxquels, en
ma qualité d’ancien ministre, je me plais à rendre hommage, et secondés par le
zèle et les efforts de notre ambassadeur, qui a droit aussi à notre
reconnaissance, ils obtinrent ce que personne dans le pays n’espérait alors.
Mais une fois ces concessions obtenues, elles ne sont plus rien ; il
fallait beaucoup plus. Je le déclare hautement, les commissaires ont obtenu la
plus grande partie de ce qu’ils étaient chargés de demander et de tâcher
d’obtenir. Pour être juste, il faut aussi tenir compte de la position du
gouvernement français ; il a fait peu, je le veux bien, vis-à-vis de nous ;
mais je crois que vis-à-vis de la
France, il a fait beaucoup au-delà de ce que j’espérais qu’il
ferait envers la Belgique. Il
faut tenir compte, je le répète, de la position de la France, de ces embarras
politiques, auxquels le gouvernement ne doit être tenté de joindre des embarras
industriels ; il fait tenir compte de la position industrielle de la France, qui vit depuis
longtemps à l’abri d’un système protecteur qui a créé des industries, dont la
vie est toute précaire, qui murmurent, se lamentent, si elles ne se révoltent,
à la simple perspective d’un changement, à ce système qui les fait vivre, si on
peut appeler vivre l’existence de la plupart de ces industries ainsi protégées.
Ces concessions sont donc un événement que je considère relativement à la France, comme d’une grande
portée. Je pense que successivement, si nous ne nous montrons pas
récalcitrants, si nous mettons dans notre conduite toute la bonne foi et toute
la libéralité qui doit caractériser la Belgique, nous avons à espérer de la France de nouvelles
concessions. Nous ne pouvons pas tout vouloir et tout d’un coup. Dans ces
matières, il faut de grands ménagements. Mais il faut espérer aussi que la France, mue par son
intérêt, si l’on veut, se montrera de mieux en mieux disposée à multiplier et à
étendre ses relations commerciales avec la Belgique.
Je pense que c’est à tort qu’on a accusé les intentions du gouvernement
français. J’ai lu attentivement toute la discussion qui a eu lieu dans les
chambres françaises, et j’ai toujours reconnu dans les paroles du gouvernement
les intentions les plus franches, de s’associer de la manière la plus étendue
possible à la Belgique.
Voici ce que disait le président d’alors, M. Thiers dont on a souvent
parlé dans cette discussion :
« Qu’on ne croie pas que je veuille repousser les produits de la Belgique. Loin de moi une
pareille idée. Je tiens plus que personne à faire acte de bon voisin vis-à-vis
d’elle et à lui témoigner toute ma sympathie. Mais il faut qu’on sache bien
quels sacrifices nous lui faisons, afin qu’on apprécie mieux les avantages
commerciaux que nous sommes en droit d’attendre. »
S’il m’était permis de parler des entretiens particuliers, je dirai que
les conversations de l’honorable président à l’égard de la Belgique étaient encore
plus explicites que ses discours à la tribune française. Eût-on à redouter de
plus mauvaises dispositions de la part du cabinet qui succéda à celui de 22
février ? Quelqu’un de vous a-t-il mis en doute les principes et les intentions
du jeune et brillant ministre qui, dans le cabinet du 6 septembre, fut mis à la
tête du département des finances ?
Il a plus : il y a une opinion qui semble germer dans quelques têtes
gouvernementales de France et qui n’irait à rien moins qu’à vouloir former avec
la Belgique
une union intime, absolue, à l’instar de l’union de la Prusse avec tous les Etats
allemands qu’elle a su se rattacher d’une manière si intime en supprimant
toutes douanes et en ne formant de tous les Etats allemands qu’une seule nation
commerciale.
Pour ce système, vous comprenez que le moment n’est pas venu d’en
discuter les avantages et les inconvénients.
Je crois, je le répète, qu’il faut que la Belgique s’unisse
intimement non pas avec telle ou telle nation, mais autant que possible avec
toutes les nations riches, industrielles et commerciales, parce qu’il ne me
semble pas qu’il y ait grand avantage à avoir des relations commerciales avec
un pays qui n’a rien. C’est ainsi que nous devons applaudir à l’état de
prospérité de tous les pays, qui nous environnent, fût-ce la Hollande.
Mais le moyen d’avoir des rapports intimes, des relations de bon
voisinage avec les nations qui nous environnent, si dès le premier essai que
tente le gouvernement, forcé même par les vœux que vous-mêmes avez souvent et
énergiquement exprimés, il se voit tout d’abord arrêté par le plus mauvais
accueil ! Quel encouragement pour le gouvernement ! et
sur quel bon vouloir compter de la part des autres nations, avec lesquelles il
s’agira de traité ; car vous n’entendez pas sans doute que les négociations à
ouvrir se bornent à la
France. Vous entendez assurément qu’elles s’étendent à
d’autres pays.
A quelle confiance pouvons-nous prétendre, si, lorsque le gouvernement,
de bonne foi et en exécution de vos désirs exprès, a formé une espèce de
contrat synallagmatique avec un pays voisin, lorsqu’il a obtenu les premières
concessions, et qu’il vient vous demander en compensation, des concessions
moins fortes peut-être que celles faites par ce pays, il ne reçoit que des
refus et des injures ? Je dis qu’une telle conduite aurait les conséquences les
plus désastreuses dans l’avenir. Le pays manquerait ainsi à la bonne foi qui
lui est particulière et à laquelle il ne voudra sans doute pas renoncer dans
une circonstance aussi solennelle.
Dans les cas spéciaux qui nous occupent, ces dispositions de défiance et
d’hostilité seraient, me semble-t-il, d’autant moins opportunes, qu’en
définitive quels grands sacrifices s’agit-il de s’imposer ? Pour mon compte, je
tiens que les sacrifices qui nous sont demandés n’ont rien de colossal ; s’il
s’en trouve quelques-uns qui sont exagérés, quand on arrivera aux articles,
qu’on fasse valoir de bonnes raisons pour maintenir le tarif actuel. Mais qu’on
ne rejette pas en masse ces mesures désastreuses et incapables, lorsque le
projet est présenté par le gouvernement de bonne foi, dans la confiance que
vous le mettrez à même de répondre aux avances de la France et d’exécuter pour
votre compte une convention, dont la
France a commencé elle-même l’exécution.
Je n’entrerai pas dans le détail de tous les articles ; prenons-en
quelques-uns et voyons jusqu’où vont les sacrifices proposés.
Voyons, par exemple, les soieries, les vins, les draps, les toiles.
Les soieries. Je ne crois pas que nous ayons la prétention de lutter dans
le pays avec les soieries de Lyon. A la vérité, je représente
administrativement une localité où l’on s’occupe beaucoup de soieries. Il y a
là une industrie de soieries très ancienne ; cependant cette industrie n’a pas
réclamé un système prohibitif ; elle ne demande pour elle que plus de facilités
d’exportation.
Les vins. Jusqu’ici les producteurs de vins nationaux n’en sont pas
venus à vouloir prohiber les vins étrangers, et cette estimable industrie, il
faut le reconnaître, trouve, dans les vins français, une concurrence assez
redoutable.
Les draps. Ici la question présente un côté tout spécial. Il s’agit d’un
produit similaire à un produit français. La France prohibe nos draps. Nous entrons en
négociation avec la France
: nous demandons qu’elle lève cette prohibition, elle s’y refuse ; il est juste
que de notre côté nous nous refusions à lever la prohibition. Mais, remarquez
que le gouvernement ne vous propose pas de laisser entrer librement dans le
pays les draps français.
Au mot prohibition, substituez un chiffre prohibitif ; et les draps
français n’en resteront pas moins prohibés (alors qu’ils chercheront à
s’introduire loyalement) à la frontière, sous le tarif nouveau que sous le
tarif ancien.
Au reste, ayez la prohibition ou des droits prohibitifs, il est certain
que les draps français viendront toujours en concurrence avec les vôtres au
cœur même du pays. C’est un fait notoire pour tout le monde. Que chacun se
rende chez son tailleur, la première demande qui lui sera faite, sera s’il veut
du drap français ou du drap belge, cela est connu de tous ; les draps français
entrent dans le pays moyennant une prime de 7 ou 8 p. c. C’est mauvais sans
doute ; mais c’est un fait réel et qui sera inévitable jusqu’à ce que la douane
ait perfectionné ses moyens de surveillance et de répression, à l’égal des
moyens mis en œuvre par la fraude.
Ainsi, quoi que vous fassiez, les draps français entreront dans le pays,
malgré la prohibition, ou malgré les droits restrictifs, et sans les payer.
Les tulles, pour lesquels il y a eu beaucoup de réclamations ne
concernent nullement la France. La
France ne nous envoie pas ses tulles ; il est plus vrai de dire qu’elle reçoit
les nôtres, après que nous les avons brodés. Cette question des tulles mérite
une attention particulière ; c’est une question anglaise.
Pour ma part, je serais charmé que dans nos modifications à notre tarif,
relativement à la France,
il y eût quelque chose d’agréable, de favorable à l’Angleterre, pays que nous
avons également intérêt à ménager, et avec lequel plus tard il faut espérer que
nous aurons en commun de grands intérêts commerciaux.
J’aurais voulu que des modifications favorables à la Prusse figurassent
également dans le tarif, ne fût-ce que pour lui enlever le caractère trop
français que la force des choses nous a contraint à lui donner.
Je voudrais que, dans un terme
rapproché, ce que vous avez fait pour la France vous le fissiez pour l’Angleterre qui
réclame, pour la Prusse
qui attend ; et ceci sera d’autant plus facile alors, qu’il sera prouvé par
l’espèce que les concessions que vous faites aujourd’hui n’auront pas entraîné
pour le pays les conséquences désastreuses prédites par quelques-uns.
En résumé, je ne regarde pas comme trop étendus les sacrifices qu’on
vous propose de faire à la
France, c’est la réparation d’une mesure directement hostile,
réparation même incomplète, et qui ne s’est fait que trop attendre.
On répétera que les sacrifices que nous a faits la France ne sont pas non plus
immenses. Je ne dis pas qu’il en soit autrement. A mes yeux, on se sera fait de
part et d’autre quelques avances, quelques politesses ; rien que cela.
Quant à moi, je suis disposé à voter pour ce premier pas le gouvernement
dans une carrière où j’espère que la Belgique continuera de marcher.
M. Doignon. - Je ne puis me dispenser
d’ajouter une dernière observation sur le mode de procéder du gouvernement dans
la question qui nous occupe. La loi de concessions qu’il veut nous faire
adopter serait selon lui une loi de réciprocité entre la Belgique et la France. Mais on ne peut
concevoir de juste réciprocité, si elle ne porte en même temps sur tous les
points qui intéressent chacune des parties. Ce n’est donc point assez de
s’occuper de quelques articles pris isolément dans l’un et l’autre tarif, mais
c’est, comme je l’ai dit, dans leur ensemble qu’il faudrait les voir et les
comparer ; et s’il est vrai qu’on renonce à la voie de la négociation, et qu’on
veut ainsi, contre toutes les règles, nous faire négocier nous-mêmes, ce ne
peut être que par un travail général sur cet ensemble, travail qui est encore à
élaborer, qu’on peut nous mettre en état de marcher d’une manière rationnelle
vers une solution. Au reste, il m’est impossible de le dissimuler, l’action de
la diplomatie n’est point étrangère au projet de loi en discussion, et un
ministère placé sous cette influence doit nous tenir en garde dans cette
discussion. En pareil cas, les meilleures preuves sont les faits que nous avons
nous-mêmes sous les yeux ; ce sont les réclamations de tout le commerce et de
toute l’industrie, lesquelles ne se réduisent point à des termes vagues, mais
contiennent des faits précis et concluants connus dans tout le pays.
Je ne puis aussi m’empêcher de revenir un instant sur l’argument opposé
par la France
et tiré de la circonstance qu’elle ne nous livrerait annuellement qu’à
concurrence de 30 millions environ d’objets importés, tandis qu’elle en
recevrait de notre part pour une valeur supérieure, celle de 70 millions ; d’où
l’on voudrait inférer qu’il y a réciprocité en notre faveur.
Déjà plusieurs collègues vous ont également démontré qu’en distinguant,
comme on doit le faire, la nature et l’espèce des produits importés de part et
d’autre et leur degré de nécessité ou leur caractère d’utilité par rapport à
chacun de deux pays, il en résulte à évidence que, bien que notre chiffre
d’importation soit plus élevé que celui de la France, la balance serait néanmoins tout en
faveur de cette puissance, et que dans le fait la grande somme des avantages
est du côté de celle-ci.
A l’occasion de cette question, un orateur qui a pris la défense du
tarif français, m’a attribué une hérésie en droit public qu’il importe de
relever. Il a supposé que j’aurais admis pour règle de réciprocité entre deux
nations que toujours il faut prendre pour base les populations respectives, et
qu’ainsi la Belgique,
dont la population est peu importante, aurait un droit acquis vis-à-vis de
toutes les puissances de l’Europe à exporter chez elles dans la proportion de
la population de chacune d’elles.
C’est surtout, messieurs, en matière de douanes, qu’il n’existe point de
principe absolu, et je n’en ai émis aucun semblable. Ce n’est point comme règle
que j’ai présenté mon raisonnement sur la proportion des populations de la Belgique et de la France, mais ce ne fut que
pour un cas tout à fait spécial, pour combattre la prétention de réciprocité de
la France ;
prétention qu’elle fonde sur ce que nos importations sont supérieures aux
siennes, et afin de faire voir que la Belgique n’ayant à offrir d’un côté que quatre
millions environ de consommateurs pour les 30 millions de produits que lui
envoie la France,
et celle-ci au contraire ayant 32 millions de consommateurs pour les 70
millions que nous lui importons, il ne résultait que quoique notre chiffre fût
plus élevé, nos voisins avaient néanmoins, dans notre marché ou notre
consommation intérieur, une part de beaucoup plus grande que celle que nous
avons dans la leur. Certes, relativement à deux pays tels que la France et la Belgique, ce n’est point
se tromper lorsque, pour donner une idée de la consommation intérieure, on
rappelle respectivement le chiffre des deux populations ; mais la différence à
l’avantage de la France
est alors telle, que dans mon raisonnement, il est même largement tenu compte
du fait aujourd’hui reconnu que la
Belgique, avec ses quatre millions d’habitants seulement,
consomme en produits plus peut-être que huit millions de Français et au-delà.
Mais je n’ai employé ce raisonnement contre la France qu’hypothétiquement
et parce qu’elle-même voudrait se faire un titre de la supériorité de notre
chiffre d’importation ; et il ne s’ensuit nullement qu’abstraction faite de
cette dernière circonstance, je voudrais faire résulter en notre faveur un
droit contre nos voisins et autres, du seul chiffre de notre population comparé
avec celui des autres puissances. D’ailleurs, aucune, que je connaisse, n’élève
contre nous une prétention aussi mal fondée que celle de la France.
En fait de réciprocité, prendre toujours pour base le chiffre des
populations respectives serait évidemment commettre une grave erreur, parce que
presque toujours tout est relatif et que telle nation, par exemple, qui a une
population de 40 millions, peut consommer beaucoup moins qu’une autre qui n’aurait
que 25 ou 30 millions d’habitants et vice-versa. L’empire du Brésil avec ses
esclaves et ses sauvages a certainement une consommation inférieure à un autre
petit Etat plus civilisé.
Si donc relativement à la
France, je n’ai pris pour terme de comparaison que le chiffre
de la population, afin de démontrer la supériorité de ses besoins et de sa
consommation intérieure sur les nôtres, c’est parce qu’il m’a paru que cela
suffirait pour être compris ; mais je n’ai point entendu par là exclure les
autres circonstances.
Le chiffre de vos produits importés chez moi, dit la France, est de telle
valeur, de 70 millions, je suppose ; donc, vous devez en recevoir de nous
autant, ou pour le moins en une quantité plus approximative que vous ne le
faites jusqu’ici ; sinon, vous êtes des voisins injustes qui n’observent point
les règles de réciprocité.
Nous lui répondons : il n’y a en cela aucune injustice ; car si vous
recevez plus, c’est parce que vos besoins, votre consommation, votre travail,
votre production et en un mot tous vos intérêts de grande nation, vous
permettent d’aller jusqu’à ce chiffre à notre égard, tandis qu’au contraire,
relativement à nous, qui ne formons qu’un petit Etat, toutes ces conditions se
trouvant sur une échelle bien élevée que chez nous, on ne pourrait les
proportionner aux vôtres, sans être non seulement injuste, mais absurde ; donc
nous ne pouvons ni ne devons mettre notre chiffre en rapport avec le vôtre, ou
a-t-elle concurrence qui vous convient : donc cette comparaison, ce seul rapprochement
de chiffres ne conclut rien contre nous.
Quant aux concessions mutuelles que peuvent faire deux Etats en fait
d’importation, le droit des gens veut qu’elle ait pour base une réciprocité
équitable ; mais cette réciprocité cesserait d’être juste si l’on n’avait égard
à toutes les circonstances, et quand il s’agit de relations d’un petit Etat
avec une grande nation voisine, le même droit veut que le petit Etat placé
vis-à-vis de l’autre dans une position particulière, et que dans l’intérêt de
sa propre conservation et même de son existence, il ne soit soumis aux mêmes
règles qui seraient suivies, si les deux nations étaient de la même importance
et sur le même pied.
Ainsi, lorsque, toutes choses égales entre deux pays, on admet qu’il y a
réciprocité entre eux quand ils se livrent mutuellement pour une même valeur de
produits, à peu près de même nature, on ferait manifestement une fausse
application de cette règle si l’on prétendait y assujettir une petite nation à
l’égard d’une grande. S’il avait plus à celle-ci, et comme je le suppose, à la France, de recevoir de la
petite, c’est-à-dire de la
Belgique, et d’ailleurs pour ses besoins et ses convenances,
une valeur considérable, telle que celle de 70 millions, afin de s’en faire
ensuite un titre contre cette dernière, et réclamer d’elle une égale quantité
d’importations, une pareille prétention de la part du grand Etat contre le
petit ne pourrait certainement être admise à titre de réciprocité.
Je le répète, tout est relatif, l’importation de nos 70 millions pour la France peut fort bien
convenir à ses besoins et à ses intérêts et favoriser même sa consommation
intérieure sans lui nuire aucunement, tandis que, pour la petite Belgique, une
importation aussi majeure de produits français à une concurrence de 70 millions
ou même à un chiffre bien moins élevé, pourrait porter le coup le plus funeste
à son marché intérieur. Le marché français est si étendu et si important
relativement au nôtre, qu’il peut supporter facilement cette importation de 70
millions de notre part, lorsque d’un autre côté il nous serait impossible de la
souffrir de la part de la
France, à concurrence même d’une somme moindre, sans blesser
de la manière la plus grave les intérêts de notre industrie et de notre
commerce.
S’il est vrai que déjà avec les 30 millions plus ou moins que la France nous envoie, nous
nous trouvons surchargés de ses produits, que serait-ce si on y ajoutait encore
40 autres millions de ces mêmes produits ? Il est clair qu’il ne nous serait
plus possible de tenir contre ce pays voisin et qu’il faudrait peut-être
succomber.
La France a sans aucun doute proportionné
l’importance des produits belges d’après son grand marché, sa grande
population, ses besoins et ses progrès. Réciproquement, la Belgique a dû et doit
proportionner l’importance des produits français suivant les mêmes
circonstances, et dès lors aussi selon l’importance de son marché, de sa petite
population, de ses besoins et de ses progrès. Tel est le principe qui doit
présider aux relations de réciprocité entre deux Etats voisins et surtout entre
un grand et un petit. Vouloir que celui-ci prenne pour règle le chiffre de
celui-là, ou vouloir qu’il dépasse le sien pour se rapprocher de l’autre, sans
tenir compte de leur situation respective, c’est briser cette règle de
réciprocité, c’est oublier la distance qui existe naturellement entre une
grande et une petite nation, c’est en un mot méconnaître la nature même des
choses.
De la dérive cette conséquence, que si le chiffre des objets importés
par la Belgique
en France a un excédant sur celui des produits que la France fait passer chez
nous, cet excédant provient de ce que sous tous les rapports, les forces et les
besoins d’une grande nation sont naturellement supérieurs à ceux d’une petite,
et un pareille excédant ne peut rien conclure contre le petit Etat en faveur du
grand, qui certainement ne peut y puiser un titre pour demander des concessions
à celui-ci.
Ce serait donc évidemment abuser du principe de rétroactivité, que de
soutenir que nous devons permettre à la France une plus grande importation chez nous,
parce que le chiffre de l’importation que nous faisons ou qu’elle veut bien,
selon ses intérêts, nous laisser faire chez elle, se trouverait plus élevé que
celui de ses exportations en Belgique. Vous venez de le voir, dans les rapports
d’un petit Etat avec un grand, chacun d’eux doit mesurer suivant sa position
son marché et sa consommation intérieure, l’importation qu’il peut tolérer chez
lui de la part de l’étranger.
Or, à cet égard, il n’y a point de comparaison à faire entre le marché
français et le marché belge. La supériorité du premier sur le second est
incontestablement telle qu’il y a bien plus de différence entre eux qu’il
n’existe entre le chiffre de 30 millions importés par la France et celui de 70 millions
importés par la Belgique
; de sorte que, s’il devait être fait une balance entre les deux Etats, elle
serait réellement de beaucoup en faveur de nos voisins.
S’il était permis à une grande puissance de se prévaloir du chiffre des importations
qu’elle permet chez elle à un petit Etat, pour en obtenir de nouvelles
concessions, il lui serait libre, en facilitant successivement leur entrée
jusqu’à concurrence d’une somme énorme, de ruiner bientôt le marché de
celui-ci. Le seul droit de légitime défense qui appartient à tout nation suffit
pour faire tomber une telle doctrine.
Le grand Etat peut, si cela lui convient, recevoir chez lui, beaucoup
plus que nous ne recevons, ou plutôt que nous ne pouvons recevoir de lui ; mais
en cela il agit volontairement et d’après sa situation et ses intérêts de
grande puissance. Mais une circonstance semblable ne peut jamais lui conférer
aucun droit de réciprocité.
Reconnaissons donc que, pour appliquer sainement les principes de la
réciprocité au cas dont il s’agit, il faut, au lieu de s’arrêter à des
chiffres, consulter toutes les circonstances, peser et considérer les forces,
les ressources, les progrès, et principalement le plus ou moins d’importance
des marchés intérieurs de chacune des deux nations, et c’est d’après tout cela
qu’on peut voir s’établir une proportion équitable entre l’une et l’autre. Or,
le résultat de cette proposition qui, au fond est toute d’intérêt national pour
chaque pays, ne peut constituer ni privilège ni faveur, et dans l’espèce la
condition d’un petit Etat vis-à-vis d’un grand.
Au vrai, c’est improprement que tout cela s’appelle avantage ou
concessions ; car, en vertu du droit naturel, chaque nation est sûrement
autorisée à se défendre et à protéger ses habitants aussi bien contre le danger
des envahissements industriels et commerciaux de l’étranger, que contre les
envahissements de son territoire. Or, en cette matière surtout, le calcul de
leur intérêt réciproque sera toujours leur premier guide.
L’on a observé qu’à raison de nos 70 millions d’exportation en France,
chaque Belge, d’après notre population de 4 millions, est appelé à livrer à ce
pays-là une valeur supérieure à celle que chaque Français peut aussi nous
fournir à raison de sa population de 32 millions en rapport avec ses 30
millions d’importations en Belgique. Mais si les Belges peuvent,
individuellement, exporter plus, cette circonstance s’explique bien facilement,
c’est qu’ils sont moins nombreux que les Français à prendre part à leur
exportation.
Mais la question n’est point de savoir combien chaque Belge ou chaque
Français, pris individuellement, pourrait exporter, mais bien de connaître si,
parce que le chiffre de nos produits que la France admet chez elle est plus élevé que celui
des objets qu’elle nous envoie, cette circonstance lui donnerait aucun titre
pour réclamer de nouvelles concessions. Or, l’on a vu suffisamment que ce fait
est inconcluant, parce qu’effectivement, si elle le
veut ainsi, ce n’est que pour satisfaire à ses besoins de grande puissance, c’est
parce que nécessairement elle doit comme telle prendre d’autant plus chez le
voisin que ses intérêts et ses besoins de grande nation sont plus importants ;
tout cela résulte de la nature même des choses.
Mais si l’on veut s’en référer au rapprochement des chiffres, on peut,
ainsi que je l’ai déjà fait, rétorquer l’argument par un autre calcul qui
serait plutôt concluant. La
France important pour 30 millions à nos quatre millions de
consommateurs, son importation prélèverait annuellement comme taux moyen la
somme excessive de huit francs environ sur chaque individu belge, au lieu que la Belgique, moyennant ses
70 millions de produits importés, ne prélèverait sur chaque français que deux
francs et quelques centimes.
Le gouvernement aurait bien dû aussi nous faire connaître avant tout à
combien il évalue la perte que fera le trésor public par suite des réductions
qu’il propose. A cet égard encore, cent mille francs sont certainement bien
plus pour nous dont le budget est de 95 millions, que pour la France qui a un budget d’un
milliard pour ses voies et moyens. Ainsi, lors même que la réduction projetée
sur les vins ne serait que de 100 mille francs annuellement, ce sacrifice
serait réel relativement à nous, et il n’existe aucune raison pour faire
gratuitement d’ailleurs un pareil sacrifice envers la France.
Lorsque notre tarif est déjà trop libéral envers la France, il est vraiment
singulier d’entendre dire que nous maintenons à son égard des mesures
exceptionnelles. Ces grands mots, « mesures exceptionnelles, »
répétés à dessein par le gouvernement, semblent offenser et provoquer en même
temps le caractère libéral du Belge.
Mais ce n’est point avec des mots qu’on peut éblouir des députés belges.
La France, nous a-t-on objecté, traité les
nations sur le même pied. Pourquoi la Belgique n’adopte-t-elle pas le même système et
pourquoi fait-elle exception vis-à-vis de la France ?
Mai, je demanderai à mon tour : pourquoi serions-nous tenus de suivre le
même système que la France
qui est d’ailleurs une puissance de premier ordre ? Où a-t-on vu que, parce
qu’une nation voisine n’a pas jugé dans son intérêt d’établir des droits
différentiels, un autre Etat devait renoncer à ce système lorsqu’au contraire
son intérêt évident lui fait une loi de le conserver ?
Le système douanier de chaque pays n’est-il pas autre chose qu’un
système de protection ? Or, le droit de la défense naturelle peut et doit
varier selon la position et les intérêts de chaque Etat vis-à-vis de tous et de
chacun de ses voisins. Si donc la
France qui est par rapport à nous une grande puissance, a cru
convenable de créer en cette matière un droit commun pour tous ses voisins, on
ne peut en argumenter pour soutenir que nous serions obligés d’en adopter aussi
un dont la France
dût profiter.
Ces droits différentiels ou exceptionnels, comme on voudra les appeler,
ont été dans le temps provoqués par la France elle-même. Le roi Guillaume a même fait
moins que d’user de représailles, car il n’a point répondu, comme il avait pu
le faire, aux prohibitions de la
France par des prohibitions.
Si d’autres nations, telles que l’Angleterre n’ont pas dû recourir comme
nous à des droits différentiels, c’est parce que déjà leur tarif était
réciproquement aussi prohibitif que celui de la France ; au lieu que le
nôtre était alors, comme il est toujours resté, trop libéral. Le droit commun
de la France,
vis-à-vis des autres Etats étant lui-même prohibitif, c’est donc injustement
que la France
nous l’a rendu applicable, et dès lors elle nous a forcés de nous défendre
contre elle par des droits protecteurs. C’est conséquemment abuser et des mots
et des choses que de reprocher à la
Belgique des mesures exceptionnelles. Ce reproche retombe
évidemment sur la France
elle-même. Dans le vrai, c’est elle qui jusqu’aujourd’hui nous traite d’une
manière différente et sur un autre pied que les autres nations, puisqu’elle
s’est réglée par rapport à nous, comme si, à l’exemple de ces autres Etats,
nous étions prohibitifs, tandis que notre tarif se montre généralement libéral
et généreux.
C’est donc manifestement à la France qu’il appartient de
commencer à révoquer son prétendu droit commun, on plutôt ses mesures vraiment
exceptionnelles à notre égard, mesures réellement prohibitives qu’elle pouvait
bien opposer avec raison à l’Angleterre, elle-même prohibitive, mais qu’il
était d’une injustice évidente de tourner contre la Belgique.
Mais d’ailleurs, aujourd’hui toutes nos industries s’étant développées
et étendues sous la foi de nos droits protecteurs, elles ont toutes un égal
droit acquis ; et, en admettant gratuitement que la France nous a fait une
concession sérieuse, on ne pourrait porter cet avantage sur l’une d’elles au
préjudice des autres. Or, telle serait même encore la conséquence des
propositions qu’on nous fait ; par exemple, sous prétexte de rendre plus facile
l’entrée de nos houilles, de quel droit voudrait-on d’un autre côté diminuer
notre tarif au détriment de nos fabriques ? Dans tous les cas, s’il y avait
nécessité absolue de faire une concession, on ne pourrait la faire au profit d’une
branche et à la destruction de plusieurs autres.
(Moniteur belge n°117, du 27
avril 1837) M. le ministre de la guerre (M.
Willmar). - Je commencerai par relever quelques erreurs échappées à
l’honorable préopinant.
Entre autres, l’honorable M. Doignon a avancé que des prohibitions
n’avaient pas été opposées aux prohibitions du gouvernement et des douanes
françaises.
Je trouve dans les dispositions de l’arrêté du 3 juin 1823 que les
objets prohibés sont les verres et verreries, les draps et casimirs, les
acides, les eaux-de-vie de grains. Par conséquent de véritables prohibitions
ont été introduites dans le système de douanes belges, en opposition avec
l’esprit général du système.
L’honorable orateur a voulu que l’on procédât par changement général de
tout le tarif. Il me semble que prendre ce parti ce serait prendre celui de ne
rien faire ; car les difficultés réelles qui se présentent pour des
modifications partielles doivent faire présumer des difficultés plus grandes
pour un remaniement de tout le tarif.
Je pense qu’il a exagéré les conséquences qu’on a voulu tirer de la
balance commerciale. On a voulu simplement établir que les échanges étaient
plus favorables généralement à notre pays qu’à la France. Mais on n’a
pas prétendu que la France
a calculé jusqu’à quel point elle pourrait laisser venir nos produits, eu égard
au rapport des populations, des consommateurs et des producteurs.
Que les relations de commerce entre notre pays et la France nous soient
essentiellement avantageuses, c’est, j’espère, ce que personne n’a mis en
doute.
Le projet présenté, qui a pour objet d’augmenter ces relations, n’a été
combattu qu’en ce qu’on a prétendu qu’il n’y avait pas lieu, de notre part, à
faire des concessions quelconques ; et l’on a commencé par argumenter des
concessions que déjà nous avions faites : on a demandé que l’on nous tînt
compte de ces concessions en elles-mêmes, et de l’intention qui nous avait
portés à les faire. On a, en même temps, contesté aux concessions ou aux changements
apportés au tarif français la double qualité de nous être avantageux, et
d’avoir été introduits dans l’intention de nous procurer un avantage.
Je pense que ces reproches, s’ils étaient fondés, auraient pu également
être adressés à ce que l’on appelle nos propres concessions à ce premier pas
que nous avions fait, dès 1830, dans cette voie.
L’honorable rapporteur de la section centrale a fait l’énumération de
ces concessions.
La première est l’assimilation des bateaux charbonniers français aux
bateaux belges : mais cette assimilation devait avoir pour résultat immédiat un
avantage pour l’importation de nos houilles en France.
Il en est de même de la suppression du droit de sortie sur nos houilles
; si la France
en a profité, nos houillères en ont également tiré avantage.
La réduction de 15 f.
à 3 fr. 50 c. sur l’entrée des houilles françaises peut paraître avoir eu un
résultat inverse ; mais on sait très bien que cette diminution était à
l’avantage des fabricants de chaux. Pour Tournay c’était une chose importante,
parce que les houilles françaises sont plus propres aux fours à chaux que les
autres.
La levée de la prohibition contre les vins et les eaux-de-vie à leur
entrée par terre a été avantageuse pour la France ; mais cette mesure a été introduite dans
l’intérêt de nos consommateurs. Et je ferai observer que cette prohibition qui
avait été introduite dans notre système, sans avantage pour aucune de nos
industries, caractérisait parfaitement les mesures prohibitives prises en 1823.
Certainement cette mesure n’était point avantageuse à notre pays ; elle était
évidemment dirigée contre la
France ; elle n’avait pas pour objet de favoriser une des
branches de notre industrie, mais bien de nuire à une branche intéressante du
commerce français.
Je pense qu’il est inutile de suivre l’énumération des autres cessions,
et que je suis en droit de dire que si nous pouvons contester à la France les avantages
qu’elle nous a accordés dans son tarif, elle aurait pu aussi nous faire le même
reproche, et par conséquent refuser de faire ces changements.
Il me semble que l’on ne devrait pas entrer dans ce système de vouloir
juger des faits par les intentions ; qu’il vaudrait mieux, quand les faits sont
favorables, supposer que les intentions le sont également.
Cette manière de considérer les choses serait propre à maintenir
l’harmonie entre les peuples, surtout dans les cas où elle est désirable.
Il ne faut pas croire qu’en France on ait été généralement persuadé que
les changements apportés aux tarifs de 1835 fussent favorables aux intérêts
français.
Pendant que la commission chargée des négociations avec la France était réunie à
Paris, des membres très influents de la chambre des députés de France
prétendaient que les commissaires français s’occupaient à sacrifier les
intérêts de la France
aux intérêts de la Belgique.
Du reste, l’opposition que les maîtres de forges françaises, que les
propriétaires de bois ont faite à tout changement des tarifs en ce qui concerne
la forgerie, est une chose si connue qu’elle est devenu proverbiale.
Le gouvernement français a rencontré l’opposition la plus active.
Cependant on s’est servi pour appuyer ce système : que la France avait obtenu des
concessions dans son intérêt, de discours tenus à la tribune ; mais ces
discours, sans doute bien sincères, ne peuvent pas avoir eu pour objet de
combattre cette opposition très active dont je viens de parler ? Quand on a pu
observer de près cette opposition, on comprend que cette tactique pouvait être
nécessaire.
Du reste, on ne doit jamais demander à une nation de sacrifices ; tout
ce qu’on peut désirer, c’est que, par une étude approfondie de ses intérêts, un
gouvernement veuille surtout distinguer celles de ses industries qui ne peuvent
suffire à tous les besoins de la consommation, ou qui peuvent supporter, sans
une perte trop grande, la concurrence avec les produits étrangers : et si après
avoir fait cette étude, dans le désir d’arriver à un traité avantageux avec un
voisin, le gouvernement vient encore à bout de combattre l’opposition très
opiniâtre que des industriels intéresses et peu clairvoyants lui font, il donne
la preuve de son désir de conserver ou d’établir l’harmonie entre lui et le
peuple voisin auquel il juge devoir accorder ces avantages.
Mais a-t-on eu raison de prétendre que le gouvernement français n’a agi
que dans son seul intérêt, ou n’a eu en vue que ses seuls avantages ?
Je pense que cette proposition ne peut pas soutenir un examen sérieux.
Les fers et les houilles sont des objets trop importants de notre
industrie pour que nous n’ayons pas accordé comme un avantage plus étendu leur
placement ; et ces objets, suppléant à ce qui manque à la France, lui étaient utiles.
Sous ce rapport je crois qu’on s’est exagéré beaucoup en France les
inconvénients du tarif : toutes les industries françaises ont besoin de ces
éléments pour parvenir au développement de prospérité dont elles sont
susceptibles ; donc il y a eu avantage pour la France, en même temps
qu’avantage très grand pour nous, à ce que ces matières soient introduites en
plus grande quantité sur le sol français.
Je ne rentrerai pas dans une discussion qui paraît épuisée relativement
au point de savoir si le fer et la houille sont des matières premières ou des
produits de l’industrie.
On peut indifféremment admettre que pour la France ces substances sont
des matières premières, des agents de production ou des objets de consommation,
et qu’il lui était intéressant de les introduire dans l’un et dans l’autre cas.
Mais, pour nous, nous pouvons les considérer comme de véritables produits,
puisqu’ils doivent leur plus grande valeur au travail et aux capitaux.
Le minerai de fer, par exemple, quand il est en terre, n’a de valeur que
le droit du propriétaire ou du concessionnaire.
Supposons qu’une certaine quantité de ce minerai vaille 1 franc ; quand
elle est transformée en fonte de fer, ayant reçu la première manipulation par
conséquent, elle vaut 250 fr. ; elle acquiert enfin 250 fois sa valeur
primitive. Il est difficile de contester que la fonte ne soit là un produit de
la manipulation, de la main d’œuvre.
On a qualifié de « prétendus » les avantages que les
changements aux tarifs français nous auraient apportés ; et l’on s’est appuyé,
pour soutenir cette opinion, sur ce que, depuis ce changement de tarifs,
l’importation en France des fers de notre pays n’avait pas augmenté de
beaucoup, surtout pour les fers du Luxembourg, pays qui semblait destiné à
recueillir de ces changements les plus grands avantages et en faveur duquel ils
avaient été sollicités : mais s’il n’y a pas eu plus grande exportation, tout
le monde sait que cela tient à la circonstance d’une consommation plus grande
dans notre pays. Cette circonstance est postérieure aux changements introduits.
Quant aux changements, lorsqu’ils ont été demandés et obtenus, ils
étaient envisagés comme un bienfait, comme pouvant sauver le pays.
Nous n’avons jamais attaché une importance aussi grande à ces
changements ; mais puisqu’on conteste leur utilité, puisqu’on prétend qu’ils
étaient sans valeur aucune, je crois qu’il est bon d’établir jusqu’à quel point
ils pouvaient favoriser l’industrie du pays.
Demander 4 fr. pour nos fontes, jusqu’à la frontière de France, était
une chose qui paraissait impossible à obtenir. Toutefois on trouvait que c’était
demander une protection suffisante pour les usines du Luxembourg, et M. Zoude
était persuadé que c’était tout ce que l’on pouvait exiger pour cet objet :
cela a été obtenu, et je puis vous démontrer qu’avec cette concession on
pouvait espérer vendre les fontes du Luxembourg sur les marchés français.
Ces fontes se vendaient alors 14 fr. les cent kilog. sur
les marchés de notre pays ; et elles se vendaient à Sedan à raison de 20 fr. ;
et, bien, avec les frais de transport, et le droit réduit à 4 fr., elles
pouvaient arriver à Sedan au prix de 19 à 21 fr. ; ainsi il était possible de
vendre de ces fontes et même avec avantage au moyen de quelques améliorations
dans leur fabrication.
Pour le fer forgé l’avantage obtenu a été plus grand, et c’est celui que
M. Zoude présentait comme la planche de salut. La diminution était de 40 p. c.
quoiqu’elle ne se trouve plus que de 20 p. c. par une réduction que le droit
général a éprouvée en France. Nous pouvons livrer nos fers de première qualité
à Charleville à des prix variant, suivant l’éloignement des forges, de 48 à 52
francs.
Eh bien, à ces prix-là ou à des prix très rapprochés, les mêmes fers se
vendaient alors au marché de Charleville ; par conséquent les concessions
obtenues auraient pu nous mettre en état de lutter avec l’industrie rivale ;
les changement faits au tarif français pouvaient donc produire un avantage réel
pour les forgeries du Luxembourg.
Il est vrai que ce rapprochement des prix n’avait lieu que pour les
fontes et fers de première qualité, produits par les usines les moins éloignées
et par conséquent pour des quantités peu considérables. Mais il ne faut pas
perdre de vue qu’un abaissement successif des droits était annoncé en France,
et que chaque diminution devait étendre les avantages pour notre pays.
Maintenant, par suite du développement de toutes les industries qui
consomment du fer, il n’y a plus d’excédant notable de ce produit, et par
conséquent l’exportation en est pour le moment peu considérable ; mais qui peut
dire que, par le grand développement de la production du fer, l’équilibre entre
cette production et la consommation ne sera pas de nouveau rompu ? Alors nous
serons heureux d’avoir le marché français, d’autant plus que cela ne nuira pas
à l’industrie française, car les avantages des échanges sont toujours plus
favorables entre des nations riches et prospères qu’entre des nations qui
souffrent ou qui sont en état de crise.
Les opinions qui ont été émises en opposition au projet de loi avaient
pour principale base que nous avons pris l’initiative, que depuis 5 ans nous
avions déjà fait une première concession ; il est certain que nous avons fait
le premier pas dans une meilleure voie commerciale, mais la France a fait un pas à son
tour, et si nous voulons qu’elle en fasse un nouveau, ce qui est, je crois, le
désir de tout le monde, il faut que nous la suivions ; si nous ne voulons pas
la suivre, il est certain qu’elle s’arrêtera et peut-être même qu’elle voudra
reculer. Il y a peut-être quelque chose de puéril, de ridicule même à marcher ainsi
à pas comptés et à ne pas vouloir mettre un pied en avant sans que le voisin en
ait fait autant ; mais si cela tient aux grandes difficultés de l’affaire en
elle-même, il faut bien subir les conséquences de ces difficultés, et il faut
bien faire un troisième pas si l’on en veut un quatrième. Toute la question est
donc de savoir si nous voulons que la
France fasse ce quatrième pas ou si nous ne le voulons pas.
Il me semble que s’il y a puérilité à compter les pas qu’on fait de part et
d’autre, il y en aurait un plus grand encore à vouloir les rendre
mathématiquement égaux ; il est plus sage de se contenter de preuves de bonnes
intentions et de bienveillance réciproque, et du désir de se favoriser
réciproquement autant qu’on le peut, sans porter un trop grand préjudice à ses
propres intérêts.
L’honorable M. Zoude a trouvé que le gouvernement français ne cédait
qu’à son seul intérêt, et il a cité un exemple où le gouvernement français a
cédé à un avis du conseil général du département des Ardennes sur une pétition
présentée par les industriels de ce département qui demandaient précisément les
changements qui ont été introduits dans le tarif français : ce fait démontre,
messieurs, combien d’obstacles le gouvernement a eu à surmonter pour pouvoir
introduire les changements dont il s’agit. J’ai eu connaissance de cette
pétition, J’ai compris qu’elle pouvait être un auxiliaire très utile pour
appuyer notre réclamation ; j’ai fortement engagé les industriels du
département des Ardennes, avec lesquels mes fonctions me mettaient en rapport,
à faire parvenir leur pétition au gouvernement ; eh bien, messieurs, je crois pouvoir affirmer qu’aucun membre de
la députation du département des Ardennes n’a voulu se charger d’appuyer la
pétition : vous voyez par là combien était grande l’opposition que le
gouvernement français a rencontrée dans la représentation nationale. Il est
donc évident que s’il n’avait pas eu le désir sincère de faire des changements
avantageux pour notre pays, il aurait trouvé dans une aussi forte opposition
tous les prétextes désirables pour s’en dispenser.
L’honorable M. Zoude a attribué à la prévoyance du gouvernement français
la faveur qu’il a accordée à nos houilles ; « c’est, a-t-il dit, dans la
prévision d’une rupture avec l’Angleterre que la France a voulu s’assurer le
moyen de se procurer la houille dont elle a besoin pour la plupart de ses
industries. » Il n’y a d’abord aucune certitude que, si une rupture
éclatait entre la France
et l’Angleterre, la Belgique
ne serait pas entraînée dans cette rupture du côté opposé à la France, et qu’en
conséquence la France
aurait comptè très à tort sur la houille belge. Je ne
pense donc pas que cette prévoyance ait exercé une grande influence sur les
mesures qui ont été prises ; mais il est une autre prévoyance qui a amené de la
part de la France
beaucoup d’opposition aux concessions que nous avons demandées pour le fer et
que nous avons fini par obtenir : les ministres français disaient que le fer
est un élément indispensable de la défense nationale, et qu’aucune nation ne
peut se mettre dans le cas de pouvoir dépendre de ses voisins pour obtenir du
fer ; que par conséquent la
France devait employer tous les moyens possibles pour porter
la production du fer à l’intérieur du pays aussi loin que les besoins les plus
étendus pouvaient le réclamer. Cet argument réellement fort nous a été opposé à
différentes reprises ; cependant il a été à la fin écarté par le gouvernement
français lui-même. Je crois que c’est encore la une preuve du désir qu’a ce
gouvernement d’en venir à un système de rapports commerciaux avantageux aux
deux pays.
Quant à la question de la prohibition que le gouvernement précédent à
introduite dans notre tarif et que la
France désire voir disparaître, quoiqu’elle ait déjà été
traitée à plusieurs reprises dans cette discussion, il me semble cependant
qu’on ne peut trop insister sur la différence qui existe entre les mesures qui
ont été prises dans l’un et dans l’autre pays : le système général en France
était prohibitif, le système du royaume des Pays-Bas était au contraire libéral
; les mesures prises en 1823 n’avaient donc pas pour objet d’achever notre
système, d’en mettre quelques parties d’accord avec le reste ; elles ont
véritablement pour objet unique d’exercer un acte d’hostilité, de mauvaise
volonté contre la France,
Or, il ne semble que la France
s’est montrée assez dévouée à nos intérêts pour avoir le droit de demander que
nous fassions disparaître un acte de cette nature.
Ou a reproché à la
France qu’elle n’a pas voulu consentir encore à apporter à
son tarif des changements en ce qui concerne le bétail ; certainement un pareil
changement serait d’une grande importance pour nous, et nous avons fait des
efforts très grands pour l’obtenir ; mais M. le ministre des finances vous a
fait comprendre hier, messieurs, de quelle importance le maintien des
dispositions actuelles est pour la
France ; il vous a fait comprendre aussi que ces dispositions
ne peuvent pas être envisagées comme particulièrement hostiles à la Belgique, comme prise
dans une mauvaise intention à son égard. Du reste, plus le changement de ces
dispositions est désirable pour nous, plus nous devons tâcher de l’obtenir un
jour, et plus nous devons par conséquent faire un nouveau pas dans la voie des
concessions. Il me semble que c’est là un argument puissant en faveur du projet
de loi.
D’ailleurs l’abaissement du droit sur les chevaux est déjà un premier
pas de fait dans la voie de réduction du droit général sur les bestiaux. A la
vérité l’honorable M. Zoude a réduit cet abaissement a très peu de chose en
disant que cette mesure, n’ayant eu d’autre effet que de diminuer la fraude,
n’a été avantageuse que pour le trésor français ; je crois, messieurs, que
cette assertion n’est pas complètement exacte : un droit fixe et modéré, équivalent
de la prime de la fraude, est certainement moins désavantageux que cette prime
elle-même qui est nécessairement variable.
Je me souviens très bien que lorsque j’étais membre de la commission des
négociations avec la France,
j’ai su, d’après le rapport de plusieurs industriels, que la prime de la fraude
avait été portée tout à coup de 15 à 25 p. c. sur un produit important de notre
industrie ; de semblables variations sont évidemment plus nuisibles au commerce
qu’un droit fixe.
L’honorable M. Zoude a qualifié de leurre le transit des ardoises par la Semois que nous a été
accordé ; j’avoue que ce transit n’est pas un avantage réel puisque la Semois n’est pas
suffisamment navigable ; mais le fait est le résultat d’une erreur commise de
bonne foi et dans laquelle on a été entraîné par l’honorable membre lui-même ;
car d’après les notes que j’ai conservées, il a dans le temps réduit toute la
question des ardoises pour le Luxembourg précisément à la faculté du transit
par la Semois
et par la Meuse. Il
me semble donc que l’observation de l’honorable orateur vient trop tard,
maintenant que nous avons obtenu ce qu’il regardait jadis comme un très grand
avantage.
Je ne passerai pas en revue les différnetns
objets sur lesquels ont porté jusqu’à présent les changements introduits dans
le tarif. Mais pour traiter un point de la loi elle-même, je m’attacherai au
principe de la prohibition que l’on voudrait maintenir chez nous, et au risque
de répéter ce qui a déjà été dit, je prierai la chambre d’observer que maintenir
cette prohibition n’aurait pour nous aucune espèce d’avantage, puisque
maintenant les draps français viennent dans notre pays soit par le transit,
soit par la fraude ; et j’appliquerai ici le principe invoqué par M. Zoude :
qu’il vaudrait mieux que ce fût notre trésor public qui reçût un droit modéré,
que de laisser tomber un droit plus élevé dans la poche des fraudeurs.
Mais je crois devoir relever une erreur dans
laquelle l’honorable M. Lardinois est tombé dans la séance d’hier. En vous
parlant de la restitution du droit qui se fait en France, cet honorable membre
vous l’a présentée comme une véritable prime, et a prétendu qu’elle donnerait
ainsi à l’introduction des droits français un avantage sur les nôtres de cinq
p. c. : mais l’honorable M. Lardinois a perdu de vue que ce n’est pas une
prime, mais simplement une restitution de droit qui est accordée aux
importateurs français.
Je crois, messieurs, pouvoir borner là mes observations. Persuadé qu’un
système qui pourrait multiplier les échanges commerciaux entre la France et la Belgique serait
éminemment utile, je crois devoir me prononcer en faveur du principe et de
l’ensemble d’un projet de loi dont le but est évidemment de favoriser ces
échanges, et qui me semble de nature à entraîner un pareil résultat.
M. Devaux. - Messieurs je tâcherai
d’être court, en énonçant l’opinion que je me suis formée de l’ensemble des
dispositions qui nous sont soumises.
Le projet de loi n’a pas à mes yeux le caractère que plusieurs membres
de la chambre ont voulu lui attribuer ; je n’y vois pas l’effet de je ne sais
quelle domination qu’un gouvernement voisin aurait voulu exercer sur nous.
Rendons cet hommage à la
France, que dans ses rapports, soit politiques, soit
commerciaux avec la Belgique,
elle ne cherche point à abuser de l’influence de sa position. Malgré les grands
services qu’elle nous a rendus, elle se respecte assez elle-même pour respecter
notre dignité nationale. Je lui rends d’autant plus volontiers cette justice
que mon opinion n’a jamais été soupçonné d’une partialité exclusive envers les
étrangers, et que, Belge avant tout, je mesure mes sympathies politiques envers
les pays voisins à l’appui qu’ils donnent à l’indépendance et à la prospérité
de mon pays.
Messieurs la France
a fait des concessions sur l’étendue desquelles on peut n’être point d’accord,
mais qui n’en sont pas moins réelles.
Sans doute, pour les toiles par exemple, on aurait pu désirer davantage,
Bien qu’elle ait changé son tarif d’une manière favorable, surtout en ce qui
concerne les toiles fines, les toiles les plus grossières, l’article le plus
important de cette branche d’industrie, ont eu moins de faveur. En étendant le
nombre des classes de toiles, on a dû trop restreindre chacune d’elles, de
telle sorte que les droits nouveaux portent sur des classes d’un seul fil. Il
s’en suit que la vérification doit être plus minutieuse, et ainsi l’exécution
de la loi offre de grands inconvénients. Je suis porté à croire comme un des
précédents orateurs qu’il y a eu quelque erreur dans la conception de ce
système nouveau né d’une discussion de la chambre des députés.
Plusieurs orateurs prétendent que les autres concessions faites par la France sont peu utiles à la Belgique ; j’ai entendu
faire à cet égard une distinction que je ne comprends pas ; on a dit que ces
concessions ne portaient que sur des matières premières, et que la France maintenait la
prohibition de nos matières fabriquées : or, a-t-on ajouté, il y a bien plus
davantage à exporter à l’étranger des fabricats que des matières premières,
parce que par là le travail dans le pays qui exporte se trouve plus encouragé.
Vous avez entendu ensuite soutenir par les uns que la houille est une
matière première, par d’autres qu’elle ne l’est pas. J’avoue que quant à moi
cela m’importe peu, et je ne crois que cela doit peu nous importer.
Les matières premières, comme toutes les marchandises, ont une valeur
qui se règle principalement par le travail qu’elles ont coûté ; ainsi, quand
vous exportez pour 10 millions de houille, vous exportez, si je puis m’exprimer
ainsi, autant de travail que si vous exportiez 10 millions de toiles de coton.
Qu’est-ce qui fait le prix de la houille en règle générale et en temps
ordinaire ? ce sont les frais que l’on a dû faire pour l’extraire. Or, qu’est-ce
qui nécessite ces frais ? C’est précisément le travail qu’exige l’extraction de
ce combustible. Exporter, par conséquent, 10 millions de houille, ou 10
millions de marchandises fabriquées, c’est la même chose quant au travail.
Je ne sais même si on ne pourrait pas soutenir (toujours en raisonnant
d’après les principes du système prohibitif) qu’il y a plus de travail belge
encouragé par l’exportation de la prétendue matière première. En effet, il n’y
a que du travail belge dans l’extraction de la houille, tandis que quand vous
exportez pour dix millions de colonnades, une partie du prix que l’étranger
vous en donne doit payer le travail de l’étranger qui a cultivé le coton, celui
de l’étranger qui a peut-être transporté le coton brut dans le pays, ou qui a
fourni les matières colorantes.
Je crois donc que les concessions qui nous ont été faites par la France, et qu’il faut
regarder non comme son dernier mot, mais comme un acheminement, un premier pas
vers d’autres améliorations de son tarif, je crois, dis-je, que ces concessions
sont réelles. Quelles soient utiles à la France en même temps qu’à nous, peu importe, du
moment que nous en profitons.
La France se plaignait des mesures
exceptionnelles qui avaient été prises à son égard en 1823 ; elle se plaignait
que des droits élevés, des prohibitions étaient établies dans le tarif belge
contre elle seule.
Je ne crois pas, messieurs, que ce système de droits différentiels, si
l’on entre dans les idées des prohibitionnistes, soit absurde en principe ;
j’admets même qu’il n’est pas entièrement inexécutable. Ainsi, je concevrai
bien que pour les marchandises dont l’origine est facile à constater, on fît
une distinction entre les pays qui mettent une prime à la sortie des
marchandises et ceux qui n’en mettent pas.
Le système de ce genre de droits différentiels n’est donc pas
inadmissible dans tous les cas ; mais il a un grand défaut, c’est qu’il est
inusité, et comme tel il blesse non seulement l’intérêt, mais l’amour-propre de
la nation contre laquelle on le dirige. Et ici l’inconvénient est d’autant plus
grand qu’il est dirigé contre une nation amie, assez irritable dans son
amour-propre, et qui, elle, loin d’établir des exceptions contre nous, trouve
le moyen, tout en restant dans des termes généraux, de faire au contraire des
exemptions en notre faveur.
Disons-le, et c’est une réponse aux reproches fait ici au gouvernement
français et au gouvernement belge, la
France, en nous demandant ce changement, ne s’est montrée ni
hautaine ni importune ; elle n’a pris aucune mesure défavorable à notre
industrie pour nous forcer la main ; elle a attendu pendant sept ans, elle a
fait même les premières avances, elle a pris l’initiative des concessions.
C’est là une conduite loyale, une conduite noble dont il faut lui tenir compte.
Aujourd’hui qu’elle a fait le premier pas, je crois qu’il est de toute
nécessité que nous en fassions envers elle.
Messieurs, si la
Belgique avait fait les premières avances, imaginez-vous
l’impression que produirait sur nous le rejet d’un projet de loi qui aurait eu
pour but de les rendre réciproques. L’effet aujourd’hui serait le même chez nos
voisins, si nous venions à rejeter avec légèreté ou avec passion le projet qui
nous occupe. En voulant servir nos intérêts industriels aujourd’hui, vous
pourriez les compromettre gravement dans l’avenir.
Je me suis demandé, messieurs, quel système on devait suivre pour faire
droit aux plaintes de la France,
sans nuire à nos propres intérêts et sans sortir des voies d’une sage économie
politique.
En théorie, nous sommes tous d’accord ici pour admettre la liberté de
commerce ; il est vrai que ce n’est qu’en théorie, et il fâcheux qu’on ne
puisse gouverner un pays avec des principes généraux ; la tâche serait
peut-être moins difficile. Mais l’application de cette règle se résume pour moi
en deux autres : d’un côté, n’aggraver le tarif actuel que pour ainsi dire dans
le cas d’absolue nécessité, et n’opérer d’autre part de diminution que
progressivement et en ménageant les positions acquises. Le système qu’on a
suivi dans le projet, je regrette de le dire, n’est pas celui-là.
Il y a trois objets dans le projet de loi : abaisser les droits généraux
sur quelques objets à l’égard desquels il n’y a pas de mesure exceptionnelle
envers la France,
tels que les vins, les batistes, les tulles ; abaisser les droits exceptionnels
à l’égard de la France
pour la faire entrer entièrement dans le droit commun ; enfin, là où on ne
pourrait pas abaisser les droits exceptionnels au taux où on les a fixés pour les
autres nations, élever les droits généraux. Du moment qu’on voulait faire
disparaître entièrement les droits exceptionnels établis envers la France, on devait craindre
de tomber dans l’un ou l’autre de ces deux inconvénients : ou d’abaisser trop
précipitamment certains droits sur les produits français, ou d’élever trop et
sans nécessité les droits généraux à l’égard des autres pays. Eh bien, ces deux
inconvénients, je les retrouve dans le projet du gouvernement et dans celui de
la section centrale.
Outre qu’on s’écarte des vrais principes économiques, on s’écarte aussi
des vrais principes politiques : en faisant une loi qui a uniquement pour but
de faciliter les rapports de la
France et de la
Belgique, il ne fallait pas froisser les intérêts d’autres
pays étrangers.
J’admets, quant à moi, la suppression de toutes les prohibitions envers la France. Nous ferons
bien de les supprimer, nous avons même un intérêt spécial à donner cet exemple
à la France,
parce que nous n’avons pas, quant à la prohibition, un système comme celui qui
existe en France et qui donne au gouvernement des moyens tout particuliers de
surveillance que nous n’avons pas.
La prohibition entraîne en France des mesures de suite, de vérification,
de recherche, tout autrement sévères que celles établies à l’égard des droits
d’entrée.
Ces mesures n’existant pas chez nous, nous avons grand intérêt à donner
à la France
l’exemple de supprimer la prohibition.
Je supprimerais donc toutes les prohibitions ; mais je ne voudrais pas
passer brutalement de la prohibition à un droit, de 5 à 7 p. c., par exemple,
ainsi que le projet de loi le propose pour certains articles.
Quelque partisan que je sois de
la liberté commerciale, je n’ai jamais voulu l’application de ce système
qu’avec ménagement pour ce qui existe et progressivement. Je crois, sans
vouloir maintenir des droits bien élevés, qu’aller de la prohibition à un droit
de 5 ou 7 p. c., ce serait exagérer, ce serait une transition trop brusque.
D’autre part, je m’opposerais à l’augmentation des droits généraux qui
existent à l’égard d’autres pays. Nous faisons une loi qui a pour but de
réformer certaines mesures hostiles à la France, mais non d’introduire dans notre tarif
des élévations de droits à l’égard d’autres pays.
Nous ne devons admettre les aggravations du tarif que dans le cas où la
nécessité en serait bien et clairement prouvée. Or, elle ne l’est pas pour moi
jusqu’ici.
Je sens très bien que la
France ne sera pas entièrement satisfaite, si nous laissons
subsister dans certaines limites le régime exceptionnel établi à son égard. En
apparence il y aura toujours quelque chose de bizarre à conserver dans notre
tarif des mesures exceptionnelles envers la France qui est notre alliée, qui nous a rendu de grands services,
qui a adopté des mesures qui nous sont exceptionnellement favorables ; mais au
fond, cette fois, notre justification sera facile, péremptoire, telle qu’en
France aucun homme raisonnable ne pourra la rejeter ; c’est que ces mesures
exceptionnelles, ce n’est pas le gouvernement belge qui les a prises, c’est le
gouvernement précédent.
Le gouvernement actuel les a trouvées tout établies
: que peut-il faire ? Suivre la marche qu’a adoptée la France elle-même en matière
commerciale, une marche progressive, ménager les intérêts engagés, abaisser les
droits sans brusquerie, sans exagération, et se montrer sincèrement disposé à
continuer de marcher avec elle dans cette voie de progrès.
Je puis borner là mes observations générales. Telle
est la ligne que je me propose de suivre : nous devons faire un pas vers la France, faire même à
quelques égards le premier pas ; nous ne devons pas rougir de le faire après la
manière dont la France
a agi, nous devons supprimer la prohibition, diminuer les droits exceptionnels,
mais avec quelque ménagement, n’augmenter les droits généraux sur toutes les
frontières qu’avec une grande circonspection et seulement quand la nécessité en
sera démontrée.
Enfin, dans toute cette discussion, nous ne devons
pas perdre de vue, messieurs, que cette matière ne ressemble pas à tous les
autres objets de discussion législative ; elle nous arrive précédée d’un
demi-engagement envers une puissance étrangère. Il faut nous rappeler que la
chambre elle-même a provoqué les négociations, et si le gouvernement n’a pas
pu, envers la France,
s’engager entièrement et en termes précis, il y a du moins une espèce
d’engagement moral et général ; nous ne sommes pas forcés d’adopter tout ce
qu’il nous propose, mais un devoir de loyauté nous oblige à agir avec
circonspection en modifiant les dispositions présentées.
- La séance est levée à 4 heures 1/4.
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