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Note d’intention
Chambre des représentants
de Belgique
Séance
du vendredi 20 janvier 1837
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment règlement relatif à la
comptabilité de l’Etat (d’Huart, Verdussen,
de Jaegher), à des demandes en naturalisation (de Brouckere, Lejeune, Ernst)
2) Projets de loi portant les budgets des départements de la guerre et
des affaires étrangères pour l’exercice 1837
3) Fixation de l’ordre des travaux de la chambre. Lois sur la milice (Gendebien)
4) Projet de loi portant le budget du département de la justice pour
l’exercice 1837.
a) Discussion générale. Etablissements pénitentiaires et code pénal
militaire (Stas de Volder), équilibre général entre
recettes et dépenses et dette publique (de Foere),
personnel du tribunal de Charleroy ((+et compétence en matière civile) Frison), réplique générale (Ernst),
personnel du tribunal de Charleroy (Pirmez, Ernst, Gendebien)
b) Discussion des articles. Traduction flamande des lois au Bulletin officiel (Ernst,
Lejeune, Donny, Pollénus, Ernst, Gendebien), traitements des conseillers de la cour
d’appel (Gendebien, Ernst) et
personnel des tribunaux de première instance (Gendebien,
Dubus, Gendebien), tribunal de
première instance de Ruremonde (Scheyven, Ernst), cour de cassation (nouveau palais de justice de
Bruxelles) (de Brouckere, Pollénus,
Ernst, de Brouckere, Ernst, Gendebien)
(Moniteur
belge n°21, du 21 janvier 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen
fait l’appel nominal à 1 heure.
M. Lejeune donne
lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen
présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Jougenelen,
à Turnhout, chargé des expertises de la contribution personnelle pour
l’exercice 1835, réclame le paiement d’une somme de 20 fr. 76 c., qui lui
revient de ce chef, au lieu du paiement d’une somme de 7 fr. 11 c. qui lui a
été affecté. »
________________
« Le sieur J.-M. Hovard,
éditeur des lois administratives de
________________
« Le sieur
H. Peemans, du Limbourg, demande la naturalisation. »
- La pétition relative à des demandes en
naturalisation est renvoyée à M. le ministre de la justice ; les autres sont
renvoyées à la commission des pétitions.
________________
M. le ministre de la justice
(M. Ernst) adresse à la chambre une liste de 50 demandes en
naturalisation dont l’instruction est terminée.
- Mémoire.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart) adresse à la chambre un exemplaire du règlement
de l’administration des finances ; c’est le règlement de 1834 ; et M. le
ministre regrette de ne pouvoir y joindre les nombreux arrêtés et les
nombreuses décisions qui l’ont modifié, non seulement pour l’administration des
finances, mais aussi pour les autres administrations qu’il régit.
M.
le président. - Je dois rappeler à la chambre, relativement à ce
dernier document, la résolution qu’elle a prise le 13 décembre dernier.
M. Dubus aîné ayant demandé l’impression du
règlement de
Mais on ne nous transmet que le règlement de 1824,
concernant la comptabilité, et M. le ministre déclare regretter ne pouvoir y
joindre les arrêtés et décisions sans nombre qui ont apporté des modifications
à ce règlement, et qui existent non seulement dans les diverses branches de son
département, mais encore dans toutes les autres administrations régies par ce
règlement, parce que cette recherche exigerait plusieurs mois de travail ;
ainsi, messieurs, le désir de la chambre n’est pas complètement satisfait.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Mais vous voyez, messieurs, que c’est une
question de temps. Si la chambre veut avoir la collection de toutes les
instructions données aux diverses branches de l’administration qui ressortissent
des finances, il faut un travail fort long ; il y a des pièces en masse sur cet
objet ; et comme toute la comptabilité est résumée dans le règlement de 1824,
j’ai cru qu’il pouvait suffire.
M.
le président. - La chambre veut-elle l’impression du règlement qui nous
est envoyé ?
M. Verdussen. -
Je crois que l’impression de ce règlement ne nous mènerait à rien, car nous ne
savons pas quelles parties du règlement ont été modifiées, et nous pourrions
porter notre attention sur des objets changés ; tout travail que nous pourrions
entreprendre sur un tel document serait incomplet.
M.
de Jaegher. - Si j’ai bonne mémoire, c’est sur la demande de M. Rogier
que la chambre a décidé que l’on joindrait au règlement les modifications qu’il
a subies ; comme cet honorable membre est absent, je désirerais qu’on attendît
sa présence pour statuer sur la question qui nous occupe. Il a sans doute de
bonnes raisons pour croire qu’il nous fait ces modifications, et il les
développera.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Je présente maintenant tout ce
que j’ai.
M. le président. -
S’il n’y a pas d’opposition, la délibération sur ce point est suspendue.
M. de Brouckere
(pour une motion d’ordre.) - Je me permettrai de rappeler à MM. les membres de
la commission des naturalisations que la chambre les a priés de vouloir bien
faire imprimer une nouvelle liste des personnes sur la demande desquelles la
chambre sera appelée à se prononcer : il a été décidé que sur cette liste on
porterait tous les fonctionnaires ; je crains que la commission n’ait perdu de
vue l’invitation qui lui a été faite, et c’est pour cela que je la renouvelle.
M.
Lejeune. - La commission des naturalisations s’est occupée
immédiatement après l’avoir reçue, de la demande que lui a adressée la chambre
; si le bulletin n’est pas encore présenté, c’est parce qu’elle a désiré mieux
remplir les intentions de l’assemblée, et les intentions de l’honorable membre
qui a provoqué la formation de ce bulletin. Il a été dit que la commission ne
devait s’occuper que des demandes sur lesquelles les rapports avaient été faits
; mais la commission a reconnu les demandes sur lesquelles on n’avait pas fait
de rapports, il se trouvait encore beaucoup de fonctionnaires ; et elle a pris
des mesures pour que les rapports sur ces demandes puissent vous être présentés
dans un court délai, afin de pouvoir les comprendre dans le même bulletin qui,
maintenant, pourra vous être présenté sans beaucoup de retard.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Aujourd’hui j’adresse encore à la chambre la liste de 50
demandes instruites ; parmi ces demandes, il se trouve celle de beaucoup de
fonctionnaires : il est sans doute dans les intentions de l’honorable député de
Bruxelles que l’on comprenne ces demandes dans le bulletin qui va être dressé.
M. de Brouckere.
- Oui !
PROJETS DE LOI PORTANT LES BUDGETS DES DEPARTEMENTS
DE
M. Desmaisières.,
rapporteur d’une section centrale, dépose sur le bureau : 1° le rapport sur le
budget du ministère des affaires étrangères et de la marine ; 2° le rapport sur
le budget de la guerre.
- La chambre ordonne l’impression et la
distribution de ces rapports.
FIXATION DE L’ORDRE DES TRAVAUX DE
M. Gendebien
(pour une motion d’ordre.) - Il existe un projet de loi dont la discussion
n’entraînera pas une demi-heure, c’est le projet relatif aux exemptions pour la
milice, et qui contient quelques dispositions dérogatoires à la législation sur
la législation sur cette matière ; c’est un projet très urgent ; car
incessamment on va tirer au sort les miliciens de 1837, il est donc nécessaire,
indispensable même, qu’une loi votée avant le tirage au sort, puisque ce tirage
règle les droits de chacun. Je demande que l’on mette ce projet à l’ordre du
jour après le budget de la justice.
M. de Brouckere.
- Après les mines.
M. Gendebien. -
Après le budget de la justice, ou après tout autre projet jugé plus urgent que
celui dont je parle.
M. le président. -
Après les projets actuellement à l’ordre du jour.
- La proposition de M. Gendebien est adoptée dans
ce sens.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE
Discussion générale
M. Stas
de Volder. - Messieurs, parmi les développements du budget qui va être
discuté, on ne peut lire, sans en tirer les plus graves conséquences, une note
qui se trouve à la page 37, colonne d’observations, dont la portée ne se saisit
point au premier abord. Cette note est relative à une majoration demandée au
chapitre VIII, art. 2, pour traitements des employés attachés au service des
prisons ; la voici mot à mot :
« Il suffira sans doute de mentionner les
motifs de cette demande de majoration pour la justifier. L’accroissement
successif du nombre des prisonniers militaires, en nécessitant l’établissement
d’une maison auxiliaire, et l’agrandissement de celle d’Alost, a rendu
indispensable la nomination de quelques employés de plus. »
Il résulte de cette note, non pas seulement que
quelques employés de plus sont devenus nécessaires, « à cause de l’accroissement
successif des prisonniers militaires ; » mais plus particulièrement que
nos prisons ne sont plus suffisantes, qu’il faut en construire de nouvelles et
agrandir les anciennes.
Cet exposé doit nécessairement donner lieu à des
considérations bien affligeantes et bien capables de réveiller la sollicitude
du gouvernement sur les causes de la progression des délits militaires. La
continuation d’un pareil état de choses ne manquerait point de conduire à un
bien triste résultat, et il devient urgent d’y mettre un terme ; mais pour cela
faut-il avoir retours à de nouvelles prisons, aux cachots, aux verrous, etc. ?
La chose ne paraît nullement probable.
Que le gouvernement emploie plutôt des moyens de
prévoyance, qu’il prenne des mesures sages pour rétablir le moral de l’armée
par une bonne discipline, que le soldat soit stimulé par l’exemple de ses
chefs, qui peut avoir une si grande influence sur la conduite des subalternes,
et l’on verra bientôt que cette marche produira des résultats que l’on a cherchés
en vain jusqu’à présent par des voies qui abrutissent plutôt qu’elles ne
corrigent.
Si ces moyens étaient insuffisants envers
quelques-uns de ces hommes qui ne connaissent point de frein, que le
gouvernement alors pour des cas spéciaux fasse usage des lois fortes qu’il a
cru lui être nécessaires ; mais qu’il en use sobrement et sans exposer à la
dégradation qui résulte de l’incarcération, cette masse de jeunes soldats venus
des campagnes avec des mœurs simples qu’ils conserveraient à leur retour si, par
un esprit d’intolérance qui n’est plus de notre siècle, quelques chefs ne
cherchaient à les décatholiser en les détournant de
l’accomplissement de leurs devoirs religieux par le sarcasme et la raillerie, à
les démoraliser en déversant le ridicule sur la régularité de leur conduite, et
si, par suite d’une corruption déplorable, ils ne se trouvaient en quelque
sorte entraînés par le torrent.
Cette corruption, sentie et avouée par le
gouvernement, a malheureusement porté ses fruits, et il importe d’en arrêter
les progrès ; mais il faut que ce soit par de sages règlements disciplinaires,
il faut que le vice soit honni et la bonne conduite encouragée, il faut que
l’exemple du chef soit la règle du soldat, et bientôt, loin de devoir recourir
constamment aux incarcérations, nous aurons à fermer des prisons où gémissent
les malheureuses victimes d’un relâchement que l’on a trop longtemps négligé de
réprimer.
Il me reste à faire une observation qui pourrait
peut-être mieux trouver sa place lors de la discussion du budget de la guerre ;
mais comme elle est relative au sujet que nous traitons, je crois devoir la
mentionner ici brièvement, au moins pour mémoire.
Maintes fois nous avons
entendu réclamer, dans cette chambre et en dehors, contre l’usage du port
d’armes hors du temps de service. Cette réclamation est fondée sur les malheurs
qui arrivent si fréquemment lorsque le soldat, pris de boisson, dirige contre
ses concitoyens une arme qui ne lui a été donnée que pour maintenir l’ordre et
marcher à l’ennemi.
De graves et nombreux délits sont résultés de cet
abus, et tous les jours encore la justice se voit obligée de sévir, tandis que
rien ne serait plus facile que de prévenir ces délits par le dépôt des armes
après le service. Mais ici comme ailleurs aucune mesure de prévoyance n’est
prise ; il en résulte que la sûreté publique se trouve par là gravement
compromise, et qu’il n’y a pas de jour où le citoyen paisible et inoffensif ne
doive s’attendre à être la victime de quelque coup imprévu.
Je termine en concluant que la demande de
majorations au budget pour constructions de nouvelles prisons militaires ne me
paraît pas fondée. Je ne pourrais y donner mon assentiment qu’autant qu’il me
serait démontré que le gouvernement se trouve incapable de parvenir, par les
moyens ordinaires, à une réforme devenue malheureusement bien nécessaire.
L’aveu qu’il vient de nous faire de l’accroissement des délits militaires exige
que nous lui disions toute notre pensée avec franchise, et sous ce rapport je
crois avoir rempli loyalement mon devoir de député.
M. de Foere. -
Messieurs, quelques dépenses de luxe ont été proposées l’année dernière par le
ministère de la justice. (Erratum inséré
au Moniteur belge n°25, du 25 janvier 1837 :) Il propose, sur l’exercice de
1837, une majoration de ces dépenses. Des propositions de la même espèce sont
faites dans d’autres budgets. Telles est encore, à mon avis, celle que le
ministère de l’intérieur vient de soumettre à la chambre, relativement à
l’acquisition de la bibliothèque de M. Van Hulthem,
et, si la chambre se laissait aller à l’exaltation des sentiments patriotiques
dont le rapport de la section centrale sur ce dernier projet est affecté, les
dépenses pour l’établissement d’une bibliothèque nationale seraient énormes.
J’examinerai cette question dans ses parties luxueuses et par conséquent
inutiles, lorsqu’elle sera discutée à la chambre. J’en parle sommairement ici,
parce qu’elle se lie aux observations que je vais présenter à la chambre sur
les dépenses du pays considérées dans leurs rapports avec ses revenus, avec son
commerce, son industrie, et avec tout son avenir.
J’appelle dépenses de luxe toutes celles qui ne
sont d’aucun rapport pour le pays, ou qui n’ont qu’un rapport d’imagination ou
d’exaltation d’esprit. Jamais, dans l’état actuel de nos finances, de notre
jeune crédit, de notre commerce, de notre industrie et de nos charges
publiques, je ne pourrai donner mon vote à des dépenses qui ne produisent rien
au pays, ni à celles qui excèdent considérablement ses revenus, ni enfin à
celles qui n’ont pour but qu’une vaine et ridicule ostentation nationale. D’un
autre côté, jamais je ne refuserai mon vote à des dépenses productives ou
réellement nécessaires ou utiles.
On nous propose de construire un somptueux palais
pour la cour de cassation. Le pays ne peut avoir à cet égard d’autre intérêt
réel que la justice soit bien administrée, et qu’elle soit rendue avec économie
et promptitude. J’ai vu administrer de cette manière la justice en Angleterre
et en Ecosse dans des locaux dont la simplicité de style et l’étroite dimension
frappent l’esprit des étrangers. Or, personne dans ces pays riches et prospères
ne demande qu’il soit construit, aux frais de l’Etat, des palais de justice. On
s’y attache uniquement à la réforme de leurs lois civiles et pénales et des
formes de procédure, afin d’administrer la justice avec plus d’équité,
d’économie et de promptitude.
Avant de consentir à de semblables dépenses de luxe
et d’ostentation, il convient, messieurs, de vous donner une idée juste de
l’état actuel et futur de nos finances et des charges du pays, considérées dans
leurs rapports nécessaires avec le crédit, le commerce, l’industrie, et avec
tout l’avenir du pays.
Quand un pays se livre à des dépenses qui ne sont
ni productives, ni nécessaires, il ne fait qu’augmenter ses dettes, sans
augmenter, dans la même proportion, ses revenus. De là la nécessité des
emprunts, l’augmentation des charges publiques, et l’affaiblissement du crédit
du pays. Votre dernier emprunt de 30 millions et le besoin de maintenir votre
dette flottante, ne sont en partie que la conséquence des dépenses inutiles de
l’Etat.
(Erratum
inséré au Moniteur belge n°25, du 25 janvier 1837 :) Avez-vous bien songé,
messieurs, aux conséquences d’une dépense de 600,000 fr., qui n’est ni
nécessaire, ni urgente, ni productive ? Calculée à 4 p. c., taux auquel le
dernier emprunt de 30 millions a été fait, cette dépense suffirait au paiement
des intérêts de 14 millions de ce nouvel emprunt. Elle couvrirait les intérêts
de 12 millions d’autres emprunts contractés à 5 p. c., et lorsque cette dépense
ne peut être couverte par les revenus, elle nécessite, avec d’autres dépenses
inutiles, un nouvel emprunt. Ce serait une erreur dangereuse pour l’Etat que de
ne pas évaluer les dépenses du pays dans leur rapport avec l’intérêt de
l’argent représentant les capitaux.
Vous objecterez peut-être que l’on peut recourir
aux bons du trésor. Ce serait répondre à la question par la question. Une levée
de bons du trésor n’est autre chose qu’un emprunt.
Avez-vous d’ailleurs bien calculé les conséquences
du maintien et de l’augmentation d’une dette flottante ? En premier lieu une
dette de cette nature est une preuve évidente que la balance entre les dépenses
et les revenus de l’Etat n’est pas tenue. C’est déjà un grand mal. Ensuite
l’intérêt de la dette flottante influe pernicieusement sur le taux de
l’escompte et sur tous les autres intérêts commerciaux et industriels, qu’il
empêche de baisser dans l’intérêt du commerce et de l’industrie. Plus l’Etat
éprouve le besoin d’émettre des bons du trésor, plus il doit en augmenter
l’intérêt. Or, alors les capitaux se placent dans les bons du trésor, et ils
sont distraits, dans la même proportion, des capitaux affectés au commerce et à
l’industrie. L’intérêt de la dette flottante est à peu près la règle du taux
des autres capitaux.
Les autres nations
commerçantes et industrielles font aujourd’hui des efforts incroyables pour
diminuer les charges publiques. Elles sentent que le succès de la lutte
commerciale et industrielle qui va s’établir entre diverses nations est, en
grande partie, dans la différence proportionnelle entre les charges publiques.
Le pays devra nécessairement succomber dans cette lutte, si, comme les autres
pays, nous ne cherchons pas à réduire nos dépenses. Or, nous y allons dans un
sens inverse. Chaque année une augmentation de dépenses et de dépenses
improductives et non nécessaires est proposée, sans que même elles soient couvertes
par les revenus, attendu que nous avons une dette flottante pour suffire aux
dépenses générales. Si nous continuons dans ce système dangereux, nous devrons
nécessairement succomber dans cette lutte commerciale et industrielle.
Avant d’entrer, messieurs, dans la discussion des
divers budgets de l’Etat, j’ai cru devoir vous présenter ces observations
préalables, afin d’éclairer la chambre sur les dépenses proposées qui ne sont
ni productives, ni nécessaires.
M. Frison. -
Messieurs, aujourd’hui que la discussion du budget de la justice est arrivée,
je viens encore renouveler mes plaintes sur l’insuffisance du personnel qui se
fait sentir dans plusieurs tribunaux. Je le déclarerai dès l’abord, afin que
mes paroles et mes intentions ne soient point interprétées à rebours, parce que
je crois que mes observations seront favorables à la généralité, et parce que
je désire, ainsi que vous le disait l’honorable M. Dubus dans la séance du 19
décembre dernier, « qu’il y ait de la justice distributive, et que ce qui
sera fait pour une localité doit être fait pour toutes les autres localités,
dont les besoins sont les mêmes ou sont plus grands ; » je déclarerai
dis-je, que je ne conteste pas le fondement des réclamations élevées par plusieurs
honorables collègues sur pareil sujet. Mais, en émettant quelques
considérations générales, vous ne trouverez pas étrange que je m’occupe un
moment du tribunal de Charleroy, dont je suis à même de juger les besoins,
comme député du district. Rien de ce qui tend à obtenir les moyens d’une bonne
et prompte dispensation de la justice, dans quelque localité que ce soit, ne
vous paraîtra déplacé. Permettez-moi donc de vous dresser en abrége un bilan
des causes pendantes au tribunal de Charleroy et de l’effrayant arriéré qui
l’encombre.
Au 15 août 1835, l’arriéré était de 575 affaires
civiles ; du 15 août 1835 à la même époque de 1836, il en a été introduit 353 ;
ainsi le tribunal a eu à juger dans la dernière année 928 affaires civiles ;
ajoutez-y 312 affaires en référé de pro deo, etc., vous arrivez au chiffre
énorme de 1,240 affaires civiles. Vous remarquez, messieurs, que je divise les
affaires en deux catégories, car je n’ignore point que les 312 en référé, etc.,
présentent ordinairement peu de difficulté. Au 15 août dernier, sans compter
les affaires qui ne sont pas portées à l’audience, le tribunal s’est trouvé
avec un arriéré de 614 affaires civiles proprement dites et 47 commerciales :
total 661. Voilà donc augmentation de 86 causes dans une année.
Ce n’est pas tout : l’année qui vient de s’ouvrir
présentera plus de travail encore. Les expropriations à faire pour les
embranchements de la route de Beaumont, pour le chemin de fer de M. Spingard, et pour d’autres travaux d’utilité publique,
nécessiteront seules une section de plus. Le tribunal a maintenant à juger
d’urgence, en six semaines, 80 causes de cette nature. Pendant que l’on s’en
occupe, il faut bien que la marche des autres affaires en souffre.
Tel est l’état du civil.
Le correctionnel présente des chiffres aussi forts.
Les juges ont eu en 1836, du 1er janvier au 31 décembre, à s’occuper de 828
affaires ; de ce nombre 103 plus graves ont demandé plus de temps, un examen
plus sérieux, et ont été en instruction. Cependant, je l’avoue avec plaisir,
l’activité déployée par les officiers du parquet, dans la poursuite des crimes
et délits, a permis de se tenir au courant et au 31 décembre dernier, le
chiffre des affaires à poursuivre était moindre qu’au 31 décembre 1835.
Tels sont, messieurs, les renseignements que je me
suis procurés au greffe et au parquet du tribunal de Charleroy, tel est le
résultat des tableaux fournis à M. le ministre de la justice.
Je ne reviendrai pas sur le nombre d’audiences
accordées chaque semaine : la chambre est éclairée sur ce point ; elle sait que
nos juges font tout ce qu’il est humainement possible de faire. Je n’ai qu’à
citer quelques noms, pour prouver que le chiffre de l’arriéré n’est pas dû à la
négligence de nos magistrats, mais qu’il est la conséquence immédiate du développement
de l’industrie, des expropriations qui se font tous les jours, et surtout des
affaires de houillères, qui presque toutes sont douteuses et majeures par les
intérêts qui se trouvent en présence ; et vous le savez (l’honorable président
de cette assemblée nous le disait le 29 janvier de l’année dernière), une cause
douteuse demande un long examen et plus de travail qu’une cause claire et
précise.
Je citerai donc ces noms, parce que c’est rendre un
juste tribut d’éloges et de reconnaissance à d’honorables magistrats. M.
Peteau, conseiller à la cour de cassation ; M. Levieux, conseiller à la cour
d’appel, ont été successivement présidents de notre tribunal ; M. Lyon,
conseiller à la cour d’appel, s’est vu à la tête de notre parquet M. Pirmez est
président actuel ; M. Delevingne, dont M. le ministre
vient de récompenser le zèle et l’activité, remplit aujourd’hui les fonctions
de procureur du Roi. Voilà certes assez de garanties pour témoigner que le
talent, le zèle, l’activité, le dévouement n’ont pas fait défaut dans l’examen
et le jugement des affaires portées à notre tribunal.
L’on ne viendra plus nous parler, sans doute, de la
dépense à faire pour l’augmentation du personnel de divers tribunaux ; ce n’est
pas sérieusement que l’on fait une pareille objection. Il est constant qu’une
semblable mesure serait profitable aux intérêts du trésor, par le débit du
timbre, l’enregistrement des actes judiciaires, la rédaction et transcription
des actes, la mise au rôle et le relevé des amendes.
Ce n’est pas sérieusement non plus que M. le
ministre de la justice vient constamment nous donner ces réponses dilatoires :
qu’il ne peut obtenir les documents établissant le motif et le nombre des
causes arriérées dans les divers tribunaux, et que ce n’est pas sa faute s’il n’a
pu les réunir tous. Je dirai à M. le ministre de la justice qu’il est assez
haut placé, qu’il a assez de pouvoir pour exiger des officiers du parquet et
des fonctionnaires qui dépendent de son département, qu’ils lui fassent
parvenir les renseignements qu’il demande dans un temps donné. Et voici deux
ans que nous ne cessons de faire entendre de justes plaintes ! Avais-je eu tort
de dire que M. le ministre voulait nous renvoyer aux calendes grecques ?
J’étais loin de croire que je fusse si bon prophète.
Je suppose que l’on s’abstiendra de nous objecter
que la chambre est saisie de plusieurs projets présentés par quelques-uns de
ses membres ; il y aurait déception dans cette manière d’argumenter, puisque le
rapport fait par l’honorable M. de Behr, au nom de la section centrale, dans la
séance du 18 août 1835, conclut au renvoi de toutes les propositions de
l’espèce à M. le ministre de la justice, « avec invitation de fournir tous
les renseignements nécessaires et de faire un rapport à la chambre le plus tôt possible.
En attendant cet heureux moment, les pauvres plaideurs prennent patience. Nous
avons fait notre devoir, c’est à M. le ministre à faire le sien.
Au reste, messieurs, il est un moyen de tout
arranger, de mettre fin à de justes plaintes parties de tant de points à la
fois. Que M. le ministre propose à la chambre une loi spéciale formée de
l’article 40 du projet sur la compétence en matière civile : ce projet étant
présenté depuis longtemps, il ne sera pas hors de propos de rappeler la teneur
de cet article.
« § 1er. Lorsqu’à la fin d’un semestre, les
rôles d’un tribunal, ou de l’une de ses chambres, présenteront un arriéré de
plus de cent affaires civiles inscrites depuis plus de trois mois, le Roi, sur l’avis
conforme de la cour d’appel, pourra ordonner la formation d’une nouvelle
chambre. »
« § 2. Les membres de la chambre nouvelle
seront pris parmi les juges et suppléants. »
« § 3. En cas d’insuffisance, le personnel
pourra être augmenté de trois juges suppléants et d’un substitut-procureur du
roi. »
« § 4. Les suppléants chargés de remplacer les
juges qui feront partie de la chambre nouvelle, ou appliqués eux-mêmes à en
faire partie, recevront jusqu’à la suppression de cette chambre, le traitement
de juges effectifs. Ils seront astreints aux mêmes devoirs. »
« § 5. Le Roi règlera, eu égard aux besoins du
service de chaque tribunal, l’exécution des dispositions qui précèdent. »
Vous voyez, messieurs,
qu’au moyen d’une pareille loi, les intérêts des justiciables seraient
satisfaits, et des procès qui pendent à certains tribunaux depuis nombre
d’années, auraient enfin leur solution. Je me garderai bien de prendre
l’initiative d’une pareille présentation, l’expérience m’a appris quel est
l’heureux sort réservé aux propositions faites par des membres ; mais j’invite
instamment M. le ministre de la justice à y songer le plus tôt possible, sans
nous faire attendre deux ans encore. Il ne sera pas besoin de lui rappeler les
paroles du roi d’Angleterre, lors de l’ouverture du parlement, le 4 février
1836 : « L’administration prompte et satisfaisante de la justice est la
première dette, ainsi que la plus sacrée, d’un souverain. »
Nos impôts sont assez élevés pour que nous ayons
droit du réclamer bonne et prompte justice : c’est un des premiers besoins des
peuples. Je le dis comme je le pense : si le tribunal de Charleroy n’est pas
doté bientôt du nouvelle section, fût-elle provisoire, avant peu une troisième
ne suffira plus ; il en est sans doute de même dans d’autres tribunaux. C’est
la grandeur du mal qui m’engage à revenir si souvent sur un pareil sujet, tout
à fait étranger à mes études et à ma profession.
Si M. le ministre ne me donne pas l’assurance
d’écouter enfin nos plaintes, de présenter le projet dont je viens de parler,
projet qui permettrait de pourvoir au besoin des tribunaux dont le personnel
est insuffisant, moi, je ne me fatiguerai pas de voter contre le budget d’un
département qui ne remplit pas le but pour lequel il est institué. J’ai dit.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Messieurs, le premier des préopinants vous a parlé de
l’accroissement du nombre des prisonniers militaires ; mais il l’a attribué à
une cause tout à fait différente de celle à laquelle elle doit être attribuée.
Dans une autre enceinte, à l’occasion d’un projet de loi que j’avais présenté,
on avait remarqué qu’il y avait environ cent prisonniers de plus en 1837 qu’en
1836 ; un honorable membre me demanda quelle pouvait être la cause de cette
augmentation ; s’il fallait l’attribuer au relâchement de la discipline
militaire, ou à d’autres causes ; je m’empressai de lui adresser une réponse
qu’il a trouvée satisfaisante ; je désire qu’il en soit de même ici.
Le nombre des prisonniers n’augmente pas parce que
le nombre des délits augmente : il n’y a pas eu plus de délits commis en 1836
qu’en 1835, pas plus en 1835 qu’en 1834.
Le nombre des condamnations n’a pas augmenté, et
vous en aurez la conviction en consultant la statistique des tribunaux
militaires que je vous présenterai en même temps que la statistique des
tribunaux civils.
Pourquoi donc y a-t-il plus de prisonniers en 1836
que pendant les années précédentes ? La raison en est bien simple : c’est qu’il
faut ajouter aux prisonniers des années précédentes ceux de l’année courante,
parce que beaucoup de condamnations prononcent un emprisonnement de plus d’une
année ; il entre ainsi plus de prisonniers qu’il n’en sort annuellement.
Voila l’une des causes pour lesquelles il y a plus
de prisonniers en 1856 qu’en 1835. Ce fait ne peut être attribué au relâchement
de la discipline militaire. Il est une autre cause de cet accroissement du
nombre des prisonniers : la peine de l’emprisonnement est appliquée aujourd’hui
à beaucoup de délits militaires qui, sous l’ancien gouvernement, étaient punis
autre manière ; ainsi la peine de l’exportation des militaires, le rejet du
corps et autres peines infamantes, qui n’encombraient pas les prisons, ne sont
plus appliquées. Enfin, la désertion qui, en temps de paix, entraîne souvent de
simples peines disciplinaires, est aujourd’hui punie de l’emprisonnement, parce
que l’armée se trouve sur le pied de guerre. Voilà, messieurs, trois causes qui
occasionnent l’augmentation du nombre ce prisonniers.
Ainsi, loin qu’il y ait plus de sévérité
qu’autrefois, vous voyez qu’au contraire les peines sont devenues plus douces,
qu’elles se réduisent toutes à l’emprisonnement ; et vous savez que les
prisonniers ne sont pas maltraités.
L’honorable préopinant a donc tort de s’opposer à
l’augmentation de crédit qui est demandée pour l’amélioration des prisons. Eh
quoi ! messieurs, la prison d’Alost, par exemple, n’est pas suffisante, on est
obligé d’enfermer 200 prisonniers militaires avec les forçats à Vilvorde,
l’encombrement dans la prison d’Alost est tel que les mœurs et la salubrité en
sont gravement compromises, et l’on s’opposerait à l’allocation des fonds
demandés pour remédier à un semblable état de choses. J’ose croire que l’honorable
préopinant reviendra lui-même des idées qu’il a émises à cet égard.
Le second point qu’on a touché consiste dans la
question de savoir s’il est convenable, dans l’intérêt de la tranquillité
publique de priver les militaires du droit de porter leurs armes hors du temps
du service ; cette question est grave, messieurs, et je ne me reconnais pas
compétent pour la trancher ; mais je ne crains pas de dire que j’ai entendu
plusieurs officiers distingués assurer qu’en privant les militaires du port d’armes
hors du temps du service, l’on porterait un coup funeste à l’esprit militaire.
Un autre préopinant a saisi cette occasion pour
signaler les causes pour lesquelles des dépenses doivent être faites ; il pense
que l’on ne peut voter aucune dépense, si elle n’est pas nécessaire ou
productive. A cet égard, messieurs, nous sommes tous d’accord avec l’honorable
membre ; à mesure que nous discuterons chacune des dépenses portées au budget,
nous aurons l’occasion d’examiner si toutes sont nécessaires ou productives ;
mais je vous prierai en passant de remarquer que celles qui sont consacrées à
l’amélioration des prisons, ne sont pas improductives, puisqu’elles ont des
effets moraux très importants. L’honorable préopinant ne considère sans doute
pas seulement les produits matériels, mais aussi les produits moraux.
Quant à la question de savoir s’il est utile de
bâtir un palais pour la cour de cassation, je m’en occuperai lors du vote de
l’article qui concerne cet objet.
J’arrive aux observations qui ont été faites par
l’honorable préopinant qui a parlé en dernier lieu : d’abord je lui ferai
beaucoup de concessions, mais aussi il doit avouer (j’en appelle à sa justice)
que j’ai toujours reconnu la nécessité de prendre des mesures qui permettent au
tribunal de Charleroy de se débarrasser des causes arriérées ; il est vrai que
j’ai eu l’honneur de vous dire plusieurs fois qu’il n’est pas nécessaire de
créer une chambre permanente, mais qu’il existe, pour atteindre ce résultat, un
autre moyen qui vous a été proposé depuis longtemps dans un projet de loi
auquel l’honorable membre a fait allusion. J’ai droit de n’étonner qu’il vienne
me demander de distraire un article de ce projet qui vous est présenté depuis
plus d’une année.
A plusieurs reprises j’ai fait observer à la chambre
qu’il serait peut-être utile de s’occuper séparément de l’article 10 de ce
projet qui autorise la création de chambres temporaires ; j’ai invité la
commission à examiner cette question ; ce n’est donc pas à moins de venir
scinder aujourd’hui ce projet dont la chambre est saisie. J’invite de nouveau
la commission à s’occuper des observations de l’honorable membre, et je ferai
tout ce qui dépendra de moi pour qu’il y soit satisfait, Je n’ai aucun motif
pour renvoyer la question aux calendes grecques : quel intérêt puis-je avoir à
ce que le personnel du tribunal de Charleroy ne soit pas suffisant ? Mais il
est de mon intérêt et de mon devoir de ne pas réclamer des dépenses permanentes
pour obtenir un résultat qui peut être atteint par d’autres moyens, et je pense
que, dans le cas dont il s’agit, le but pourrait être atteint par la nomination
d’une chambre temporaire chargée de prononcer les causes arriérées. Une
extension de la compétence des juges de paix aurait aussi pour effet de
diminuer le nombre des affaires portées devant les tribunaux de première
instance et préviendrait leur accumulation. Ce n’est pas moi qui conteste le
zèle des membres du tribunal de Charleroy ; j’ai eu l’avantage de le
reconnaître en proposant l’élévation de l’un d’entre eux à de plus hautes
fonctions ; mais malheureusement ce tribunal a été pendant longtemps privé d’un
chef, et c’est là une des causes pour
lesquelles les procès s’y sont accumulés.
L’honorable préopinant croit me mettre en défaut,
lorsqu’il parle de la statistique que j’aurai à fournir à la chambre. Je prie
l’assemblée de me permettre de bien préciser la question à cet égard : lorsque
l’on a proposé d’augmenter le personnel du tribunal de Charleroy, la chambre a
demandé des renseignements ; ce ne pouvait pas être relativement à l’état du
personnel du tribunal de Charleroy seulement, vous connaissez tout ce qui le
concerne ; mais, si j’ai bien compris votre pensée, ce que vous désiriez
connaître, c’était la situation de tous les tribunaux de
Quoi qu’il en soit, si l’on
ne croit pas utile d’attendre cette statistique générale, dont j’appelle
l’achèvement de tous mes vœux comme je le hâte de tous mes efforts, je suis
prêt à vous remettre dès demain, si vous le désirez, un tableau concernant le
tribunal de Charleroy. Mais, quant à la statistique qui m’est demandée, je le
déclare et je suis prêt à en donner les preuves les plus évidentes, il est
impossible qu’elle marche plus rapidement qu’elle le fait ; je ne laisserai
certainement pas apporter le moindre retard à un travail que je m’honorerai de
vous présenter le plus tôt possible.
L’honorable orateur dit que le roi d’Angleterre a
reconnu que le premier devoir d’un gouvernement consiste à rendre bonne et
prompte justice au peuple ; nous ne pensons pas autrement à cet égard et on ne
peut pas nous reprocher un seul acte qui ne soit pas d’accord avec notre
pensée.
Du reste l’honorable membre est d’accord avec nous
que le meilleur moyen de terminer les procès dont le tribunal de Charleroy est
surchargé serait la création des juges temporaires. Eh bien ! l’article 10 du
projet que nous vous avons présenté autorise l’emploi de ce moyen. Cet article,
si la chose paraît urgente, peut être détaché du projet pour former une loi
séparée, mais il n’est pas nécessaire que je vienne aujourd’hui le revêtir d’une
forme nouvelle.
M.
Pirmez. - Il y a, messieurs, au tribunal de Charleroy, grand nombre de
causes pendantes depuis 5 ou 6 ans, et il indispensable de les vider, ce qui ne
peut se faire qu’au moyen d’un plus grand nombre de juges. Personne ne peut
ignorer que le personnel qui pouvait être suffisant il y a dix ans ne l’est
plus aujourd’hui, car l’arrondissement de Charleroy est peut-être le pays du
continent qui a le plus changé : en effet, c’est là qu’une infinité de sociétés
sont venues se fixer ; c’est là que se trouvent les exploitations sans nombre
qui font l’objet de leurs spéculations. Dans de semblables circonstances, il
est évident que les opérations de la justice doivent être condérablement
augmentées.
Je dois convenir que ce
n’est pas M. le ministre qui s’est opposé à l’augmentation du personnel du
tribunal de Charleroy, mais la chambre elle-même, parce que beaucoup de mes
honorables collègues semblent ne pas vouloir reconnaître le grand mouvement
industriel qui s’est opéré dans l’arrondissement de Charleroy, et qui, en
augmentant le nombre des procès, rend nécessaire la création d’un plus grand
nombre de juges.
Je demande donc, messieurs, qu’on nous propose un
projet de loi qui autorise le gouvernement à nommer, soit provisoirement, soit
définitivement, de nouveaux membres du tribunal de Charleroy.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - La chambre est saisie de deux projets, l’un définitif et
l’autre provisoire ; je n’ai donc rien à proposer.
M. Gendebien. -
Je n’entends pas, messieurs, me livrer à des considérations générales à propos
du budget de la justice, mais je dois exprimer de nouveau, comme je l’ai fait
les années précédentes, le regret que nous ne puissions jamais arriver à une
discussion générale de tous les budgets à la fois, et que par cela
l’administration en général ne puisse jamais être soumise au contrôle des
chambres ; qu’on ne trouve pas l’occasion de lui demander des explications sur
sa politique, de lui indiquer une marche à suivre ou de critiquer celle qu’elle
a suivie. Je me réserve toutefois de revenir sur cet objet lorsque nous en
serons à la discussion du budget de l’intérieur, qui me semble devoir se
rattacher plus que celle des autres budgets à des questions de politique
générale intérieure et extérieure.
Je me bornerai aujourd’hui à ajouter encore un mot
à tout ce que j’ai dit précédemment, et à plusieurs reprises, pour faire cesser
l’injustice qu’on s’obstine malgré toute évidence à continuer envers
l’arrondissement de Charleroy ; je répéterai pour la dixième fois, devant cette
chambre, que le tribunal de Charleroy est encore composé aujourd’hui comme il
l’était il y a quarante ans ; eh bien, messieurs, il suffit de se donner la
peine de parcourir l’arrondissement de Charleroy, pour se convaincre que les
choses n’y sont pas restées dans le même état où elles étaient il y a quarante
ans ; qu’elles ont complètement changé de face.
Si M. le ministre de la justice pouvait en douter,
qu’il prenne des informations près de son collègue de l’intérieur et de son
nouveau collègue des travaux publics ; il verra que tout a changé de face dans
l’arrondissement de Charleroy ; et cependant on s’obstine à ne pas augmenter le
tribunal de cette ville ; l’on vous parle encore aujourd’hui d’une chambre
provisoire, comme s’il n’était pas évident pour tous ceux que veulent faire un
usage consciencieux de leur jugement, que, vu l’état constamment progressif des
causes arriérées au tribunal de Charleroy, il faudra nécessairement rendre
définitive cette chambre provisoire, si l’on veut que justice soit rendue.
D’ailleurs, c’est une grave question que celle de
savoir si vous pouvez, d’après l’esprit et le texte de la constitution, former
une chambre provisoire. Il est, en effet, de 1’essence de tout juge qui reçoit
un mandat, d’être définitif, d’être à vie, d’être inamovible.
Que l’on remplace momentanément, et par accident,
un juge par un suppléant, cela se conçoit ; mais qu’on institue par une loi un
provisoire, des juges amovibles, je n’aurai pas de peine à prouver, quand on en
viendra là, que c’est une chose contraire à l’art. 100 de la constitution…
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Je n’ai pas entendu la question de cette manière.
M. Gendebien. -
On a proposé une chambre provisoire, et (erratum
inséré au Moniteur belge n°22, du 22 janvier 1837 :) vous n’avez pas trouvé
d’objection. Le projet dont la chambre est saisie contient d’ailleurs la même
proposition. Quoi qu’il en soit, je dirai maintenant que c’est tout au plus
avec 2 chambres provisoires que vous parviendrez à mettre les affaires au
courant ; je suis même convaincu, et j’ose même prédire sans crainte d’être un
mauvais prophète, que deux chambres effectives et définitives ne suffiront pas.
En effet, ainsi que l’a dit l’honorable M. Frison,
et moi-même plusieurs fois, ce n’est pas seulement à raison de la prospérité
générale de l’arrondissement de Charleroy qu’il est devenu nécessaire
d’augmenter le personnel du tribunal de cette ville, mais encore à raison de la
circonstance toute particulière que les divers genres d’industries qui s’y sont
établies, entraînent à leur suite toute espèce de relations, toute espèce de
transactions très importantes et très multipliées, soit de commerce, soit
d’emprunt.
Je mentionnerai encore les expropriations pour
cause d’utilité publique ; ce chapitre seul pourrait occuper une chambre tout
entière ; et ne croyez pas que ces expropriations soient une affaire de circonstance
; non, messieurs, les diverses espèces d’industries qui se sont implantées
depuis longtemps dans le district de Charleroy, et qui s’y multiplient de jour
en jour, tendent à produire incessamment de nouvelles causes d’expropriation ;
ce sont des routes construites dans tous le sens, des canaux, des chemins de
fer, etc.
Messieurs, quand il s’agit du paiement des impôts,
de l’évaluation des loyers et des terres dans le district de Charleroy, on ne
manque jamais de se prévaloir de la différence énorme qui se trouve entre
l’état actuel de ce district et celui dans lequel il se trouvait il y a
quarante ans. Mais quand il s’agit de rendre à ce district la justice, la dette
la plus sacrée du gouvernement vis-à-vis des administrés, alors on méconnaît
les causes et les effets, on parle de la nécessité d’établir une statistique
générale.
Que l’on fasse une statistique, à l’effet de savoir
si telle chambre doit être supprimée dans tel tribunal ; si l’adjonction d’une
chambre est nécessaire à tel autre, rien de mieux ; moi-même j’ai appuyé le vœu
d’un honorable collègue qui a demandé une semblable statistique. Quand j’ai dit
qu’il ne fallait pas plus de 15 jours pour terminer le travail, je n’ai pas
entendu parler de la statistique générale, cela aurait été une absurdité de ma
part, et il ne faut pas être ministre de la justice pour être convaincu que
plus de 15 jours sont nécessaires pour la rédaction d’une pareille statistique.
Mais j’ai dit, et je le répète pour la centième fois, qu’il ne fallait pas 15
jours pour s’assurer de l’état réel des choses, en ce qui concerne le tribunal
de Charleroy.
Au reste, il appartient plus aux députés du
district de Charleroy qu’à moi d’insister sur la question qui nous occupe ; ils
pourront parler avec plus de connaissance de cause, et à cet égard l’honorable
M. Frison vous a posé des chiffres ; il faut faire disparaître ces chiffres, ou
bien il faut rendre justice, conformément à ces chiffres, et se hâter de créer
une chambre de plus, Sinon, il arrivera que l’arrondissement de Charleroy se
considérera comme ilote, produisant en payant beaucoup, et ne pouvant jamais
rien obtenir lorsqu’il réclame avec le plus de raison et de justice.
Encore, si l’augmentation du personnel du tribunal
devait entraîner une charge réelle, je concevrais qu’on mît tant de scrupule à
accorder cette augmentation. Mais, loin de là, messieurs, il n’en résultera
aucune charge nouvelle pour le trésor, car il est de fait que le produit
balancera la dépense, s’il ne la dépasse pas, et il la dépassera, je vous l’assure.
A cette occasion, je rappellerai à la chambre que
lorsqu’il s’est agi d’augmenter les traitements du personnel de deux tribunaux
du ressort de la cour de Liége, on n’a pas hésité ; on n’a pas parlé alors de
statistique générale ; et cependant cette augmentation qui était de 6 à 7 mille
francs ne devait rien produire au trésor ; mais quand il s’agit de faire
justice au tribunal voter une dépense productive, on ne peut statuer qu’après
avoir élaboré une statistique générale qu’on nous promet depuis deux ans.
Qu’on soit de bonne foi. Si depuis deux ans l’on
avait accordé l’augmentation, le gouvernement serait maintenant en mesure de
savoir s’il y a lieu à comprendre le tribunal de Charleroy dans la catégorie de
ceux dont il faut augmenter ou réduise le personnel.
Le déni de justice dont nous nous plaignons est
d’autant plus révoltant que nous voyous des tribunaux de première classe dotés
de deux ou de trois chambres, et qui n’ont pour ainsi dire rien à faire.
Veut-on punir la meilleure province du Hainaut
d’envoyer à la chambre quelques députés qui se permettent de critiquer avec
franchise et persévérance les actes inconsidérés, les hommes malencontreux du
pouvoir ? S’il en est ainsi, qu’on ait le courage de le dire. S’il n’en est pas
ainsi, quel motif peut avoir le gouvernement à refuser au district de Charleroy
la justice qu’il réclame depuis si longtemps ?
- La discussion générale est close. La chambre
passe à la discussion des articles.
Discussion des articles
Chapitre premier. -
Administration centrale
Article
premier
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr.
21,000. »
- Adopté.
Article 2
« Art. 2. Traitement des employés et gens de
service : fr. 98,000.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Je prierai la chambre de me permettre de rattacher à
l’article en discussion une question qui, au premier abord, y paraît étrangère,
mais qui pourra donner lieu à une légère augmentation du chiffre proposé audit
article.
A l’occasion du Bulletin
officiel, la section centrale a fait l’observation suivante :
« La première section signale que des plaintes
s’élèvent au sujet de la traduction flamande des lois et actes du
gouvernement. »
Plus d’une fois,
d’honorables députés appartenant aux provinces où le flamand est
particulièrement en usage ont appelé mon attention sur la nécessité d’améliorer
la traduction flamande du bulletin. Ils ont eu la bonté de me remettre des
notes ; et je me suis empressé de mettre quelques-uns de ces honorables membres
en apport avec l’employé chargé de cette besogne dans mon administration. Je
dois le dire, mon traducteur a fait tous ses efforts pour améliorer la
traduction. J’ai fini par reconnaître cependant qu’il est impossible de bien
traduire les lois sans être à même de les bien comprendre ; et qu’il serait
peut-être nécessaire de charger de ce travail un jurisconsulte qui connaît
parfaitement les deux langues.
Mes efforts jusqu’ici, pour atteindre ce but, ont
été inutiles. Mais si la chambre appréciait l’importance de la chose, je la
prierais alors de vouloir majorer de 2,000 fr. le chiffre en discussion, ce qui
le porterait à 100,000 fr. ; j’ai tout lieu d’espérer qu’en ajoutant une autre
somme à ces 2,000 fr. je pourrai parvenir à satisfaire les désirs de
l’assemblée.
M. Lejeune. -
Messieurs, je viens appuyer l’amendement proposé par M. le ministre de la
justice.
Je suis convaincu qu’il est impossible de faire
droit aux observations qu’on peut faire valoir contre la traduction du Bulletin officiel des lois et des actes
du gouvernement sans une augmentation de crédit.
La législature a décidé que le texte français des
lois serait seul officiel ; je regarde cette mesure comme très sage ; car un
seul terme impropre peut en changer toute la signification, et comme le texte
français est seul soumis à la discussion des chambres, les lois seraient
abandonnées à la discrétion d’un ministère ou même d’un simple traducteur plus
ou moins capable. Le nombre des communes flamandes est plus considérable en
Belgique que celui de toutes les autres. Il y en a beaucoup dans ce nombre où
l’on ne comprend pas du tout le français. On doit cependant pouvoir y prendre
connaissance des lois.
La loi du 19 septembre
Le texte flamand du Bulletin officiel est un composé de phrases inintelligibles ou
ridicules, de termes impropres, de contresens, de gallicismes, et de
barbarismes.
Comment voulez-vous qu’on se conforme à des lois
aussi défigurées ? Pour le moment je me bornerai à appuyer l’amendement de
M. le ministre de la justice, afin de lui donner les moyens de faire faire,
pour l’avenir, une bonne traduction ; mais, plus tard, je crois qu’on
reconnaîtra la nécessité de réviser en entier le texte flamand du Bulletin officiel. Je pourrais citer un
grand nombre d’exemples qui prouveraient ce que j’avance, mais je ne le ferai
pas, parce que ce serait fastidieux pour un grand nombre de membres qui ne
comprennent pas le flamand.
Cependant je vous en citerai quelques-uns pour
donner une idée de cette traduction ; je les prends dans la loi communale :
La loi dit (art. 8) : « La déclaration de la
mère veuve sera faite à l’autorité communale ; » d’après le texte flamand,
la déclaration « sera rédigée par l’autorité communale. »
L’art. 68 porte qu’il est interdit à tout membre du
conseil d’assister à l’examen des comptes des administrations publiques
subordonnées à la commune et dont il serait membre.
La traduction flamande dit le contraire : elle dit
qu’il est défendu de ne pas assister, etc.
L’art 93 parle de l’officier délégué de l’état-civil.
Celui qui ne comprend pas le français doit croire qu’il s’agit dans cet article
d’un parlementaire.
A l’art. 128 de la même loi, les mots « corps
des sapeurs pompiers » sont traduits par « korps
van ondermynende spuytgasten. »
Le Bulletin
officiel en entier est un tissu de pareils exemples.
Le texte flamand est un monument d’ignorance
absolue non seulement du génie de la langue, mais de toutes les règles de
grammaire et de syntaxe. Il ne faut pas que la langue flamande continue à être
ainsi maltraitée officiellement.
« Occuper le camp » a été traduit par
« het veldieger belgeren ; »
« Encourir la déchéance, » par « den
afval ondergaen. »
Je terminerai par un dernier exemple.
Vous savez, messieurs, que « saint
siège » est un terme sacramentel par lequel on désigne la cour de Rome.
Cette expression, dont nous avons l’équivalent en flamand, est traduite par
« den heyligen zetel. »
C’est comme si l’on disait en français le saint-fauteuil ou le saint-canapé. (On rit.)
Je pense que ces
exemples prouveront suffisamment la nécessité d’avoir au département de la
justice un homme qui connaisse la langue flamande et le langage des lois, qui
connaisse la signification propre et la valeur des mots, un homme capable en un
mot de rendre en flamand les lois telles qu’elles ont été faites en français.
Aussi longtemps qu’on n’a pas une bonne traduction, peut-on raisonnablement
exiger une soumission entière aux lois, de la part de ceux qui ne comprennent
pas le français ?
J’espère que M. le ministre pourra distraire du
crédit demandé une certaine somme pour la réunir à l’augmentation qu’il
demande, afin de payer un bon traducteur flamand, car je pense qu’un traitement
de deux mille fr, serait insuffisant pour obtenir un homme capable, qui ait
fait une étude spéciale de la langue flamande, et qui ne soit pas étranger à la
science du droit.
M. Donny. - Je dois
appuyer l’amendement de M. le ministre de la justice par les mêmes raisons que
l’honorable préopinant. Aux exemples qu’il a cités, j’en ajouterai un autre. La
loi sur les barrières, encore en vigueur aujourd’hui, exempte du droit de
barrière les chariots transportant du fumier. Cet article a été traduit de
cette manière : que la loi exempte du droit les chariots transportant des
pâturages.
Je pourrais aussi citer d’autres dispositions
légales traduites d’une manière vraiment absurde. Le changement que le ministre
se propose de faire dans ses bureaux est d’une absolue nécessité.
M. Pollénus. - La
section centrale, en me chargeant de consigner dans le rapport le vœu de voir
apporter des améliorations à la traduction flamande de nos lois, n’a pas pu
formuler un amendement pour augmenter la somme allouée pour œ service, parce
qu’elle ne savait pas si l’employé qui, jusqu’à présent, a été chargé de ce
service, était, oui ou non, convenablement rétribué. Les explications données
jusqu’à présent par M. le ministre de la justice ne nous ont pas éclairés sur
ce point, mais j’espère que les explications qu’il nous donnera à cet égard
nous prouveront la nécessité de l’augmentation qu’il demande.
Quant à la nécessité d’améliorer le service des
traductions flamandes, vous devez tous en être convaincus ; l’honorable M.
Lejeune vous a cité pour cela assez d’exemples, et je crois inutile d’en
ajouter d’autres.
Je viens donc appuyer l’amendement de M. le
ministre, et je crois en cela être l’interprète de la section centrale ; mais
il est bien entendu que c’est pour le cas où le traitement payé aujourd’hui
serait insuffisant, car on pourrait être fort bien rétribué et faire fort mal
son travail.
Je prie donc M. le ministre de nous dire si le
traitement actuel de l’employé dont il s’agit est insuffisant. Pour ma part, je
dois dire que je pense qu’il en est ainsi, et qu’il convient d’augmenter ce
traitement.
Messieurs, je dois faire
une autre observation.
J’ai vu que dans quelques actes d’administration on
avait changé le langage administratif dans la traduction flamande. Frappé de
ces changements, j’ai pris quelques informations, et on m’a affirmé que des
ordres avaient été donnés de ne pas suivre une orthographe trop pure, qui est
l’orthographe hollandaise. Je pense que le gouvernement doit être convaincu
maintenant de la nécessité d’employer la bonne orthographe.
En appuyant l’amendement de M. le ministre, je
désire savoir quel est le traitement de l’employé qu’il s’agit d’augmenter.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - L’honorable préopinant dit que
des ordres avaient été donnés, relativement à l’orthographe flamande qu’on
devait suivre. Je doute que jamais des ordres de cette nature aient été donnés
par aucun ministre.
Il demande ensuite quel est le traitement actuel du
traducteur flamand du Bulletin officiel,
et si ce traitement est ou non insuffisant. J’ai déjà eu l’honneur de répondre
indirectement à cette question. Cet employé, chargé en même temps d’autres
fonctions, reçoit un traitement de 16 ou 1.800 fr. Les fonctions qu’il remplit
le rendront encore nécessaire.
Un traitement de 3,000 fr. ne serait peut-être pas
trop élevé, si, comme l’expérience l’a prouvé, il faut, pour bien traduire les
lois, non seulement être versé dans les deux langues, mais encore être initié
au style et à la connaissance des lois elles-mêmes.
M. Gendebien. -
Si nous jugeons par les fautes grossières qui viennent de nous être citées,
nous devons convenir qu’il n’y a pas seulement eu faute de la part du
traducteur, mais aussi de ceux qui doivent surveiller le travail qui sort des
ministères.
Augmenter le traitement est ordinairement une
garantie de capacité ; c’est sans doute un moyen d’avoir un autre homme plus
capable ; mais si on ne surveille pas plus le travail qu’on ne l’a fait
jusqu’ici, nous aurons encore de graves inconvénients à signaler plus tard.
Quand il s’agit de lois obligatoires pour tout le
pays, surtout d’une loi comme la loi communale dont l’application doit avoir
lieu partout dans les communes les plus petites et les plus reculées ; en un
mot, de la loi la plus en usage ; lorsque dans une loi comme celle-là, dont M.
le ministre aurait dû sentir la portée et l’importance, je vois des erreurs
aussi stupides, je dois croire que si l’on se borne à augmenter le traitement
du traducteur, on n’arrivera pas à un meilleur résultat. Ainsi, sans vouloir
récriminer sur le passé, j’engage M. le ministre de la justice à donner plus
d’attention à ce travail.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Tout le soin que le ministre pouvait apporter à ce
travail, c’était d’écouter avec attention les observations qu’on lui faisait,
de les communiquer au traducteur, de l’engager à faire tout ce qui dépendait de
lui. Mais il n’avait pas à sa disposition le moyen efficace qu’il vous demande
maintenant. L’observation de l’honorable préopinant peut donc pas s’appliquer à
mon administration ; il n’y a pas, je dois le dire, défaut de vigilance de ma
part.
M. Gendebien. -
Je n’attache aucune importance ce que le ministre de la justice prenne ou non
pour lui mon observation ; mais elle s’applique à tous les ministres passés,
présents et futurs, et par conséquent aussi bien au ministre actuel qu’à ceux
qui le remplaceront un jour.
- L’art. 2 est adopté avec le chiffre de 100,000
fr.
Articles 3 à 5
« Art. 3. Matériel : fr. 15,000. »
- Adopté.
________________
« Art. 4. Frais d’impression de recueils
statistiques : fr. 6,000. »
- Adopté.
________________
« Art. 5. Frais de route et de séjour : fr.
2,000 fr. »
- Adopté.
Chapitre II. -
Ordre judiciaire
Articles 1 et 2
« Art. 1er. Cour de cassation. Personnel : fr.
233,800. »
- Adopté.
________________
« Art. 2. Cour de cassation. Matériel : fr.
3,000. »
- Adopté.
Article 3
« Art. 3. Cours d’appel. Personnel : fr. 537,
190. »
M. Gendebien. -
Je ne puis me dispenser de protester aujourd’hui comme je l’ai fait chaque
année, contre le chiffre du traitement des conseillers des cours d’appel. Je ne
comprends pas pourquoi et comment, depuis la révolution, on a jugé à propos de
réduire le traitement des conseillers des cours d’appel, alors qu’on en a
diminué le nombre. Au commencement de la révolution, alors que la pénurie du
trésor était grande, et qu’il avait une volonté ferme de faire des économies,
il avait été question de fixer à 7,000 fr. le traitement des conseillers et de
réduire leur nombre à 5 par chambre. On a admis une partie de cette proposition
; on a réduit le nombre des conseillers à 5 ; mais en même temps on a réduit
leur traitement, manière facile de faire des économies ! Vous diminuez le
personnel et vous diminuez le traitement. Vous avez ainsi, de deux côtés, un
avoir au trésor. Mais est-il bien convenable, est-il décent de réduire les
membres des cours d’appel au traitement de 5,000 fr. tout en augmentant leur travail
? Est-il décent de les réduire au traitement d’un commis bien payé dans nos
ministères ? Est-ce dans une ville comme Bruxelles surtout qu’on peut offrir
5,000 fr. comme appât aux capacités ? Mais pour se loger décemment à Bruxelles,
il faut commencer par payer 2,000 fr. au moins. Reste donc à un conseiller
3,000 fr. pour tenir état convenable dans le monde, pour lui, sa femme et ses
enfants. Que voulez-vous qu’il fasse avec une telle somme !
Je sais que ce n’est pas le moment de faire une
proposition à cet égard. Mais je voudrais que le ministre y réfléchît et s’en
occupât avant la fin de l’année, afin de réparer le plus tôt possible une
injustice que je considère comme intolérable et humiliante pour le ministre de
la justice autant que pour la magistrature.
Voyez l’anomalie, les membres de la haute cour
militaire ont moins de besogne et ont besoin de connaissances bien moins
étendues que les membres de la cour d’appel, puisqu’ils ne sont appelés à juger
que sur une matière spéciale d’après un code spécial : Eh bien, ils ont 6,600
et des francs de traitement ; et les conseillers à la cour d’appel n’ont que
5,000 fr. ! Je ne veux pas diminuer le traitement des membres de la haute cour,
mais je soutiens que ceux de la cour d’appel doivent être supérieurs.
Je ne vois d’autre motif de
s’obstiner à maintenir à un chiffre si bas le traitement des conseillers à la
cour d’appel, que le désir de reprendre indirectement l’influence que l’on a
perdue par l’inamovibilité des conseillers. On veut leur laisser quelque chose
à désirer ; on les met dans une position à désirer arriver à quelque chose de
mieux. Je ne dis pas que telle soit précisément l’intention de l’auteur de la
loi ou du gouvernement ; mais comme je ne vois pas d’autre motif, je puis
croire qu’il en est ainsi. La meilleure réponse qu’on puisse me faire, c’est de
réparer l’injustice que je signale.
Que l’on propose une augmentation, je n’hésiterai
pas à l’accorder ; et la majorité sera sans doute de mon avis, car cette
augmentation est juste ; elle sera en outre productive ; car si vous conservez,
si vous attirez des capacités dans la cour, les affaires seront plus vite
expédiées. Ainsi s’augmentera le revenu du trésor par l’augmentation apparente
des charges du trésor.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Je prendrai volontiers en considération les observations
de l’honorable préopinant ; mais je dois protester contre les intentions qu’il
a très gratuitement supposées au gouvernement.
- L’art. 3 du chap. Il est mis aux voix et adopté.
Article 4
« Art. 4. Matériel : fr. 13,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Tribunaux de première instance et de
commerce : fr. 859,950. »
M. Gendebien. -
Les observations que j’ai faites sur le chiffre du traitement des conseillers
près des cours d’appel s’appliquent en grande partie aux tribunaux. Quand on
s’occupera des uns, j’espère qu’on s’occupera aussi des autres. Mais je dois
signaler une anomalie qu’il convient de faire disparaître au plus tôt, car elle
est flagrante et elle existe dans la classe la plus oubliée et la plus
laborieuse attachée à l’ordre judiciaire. Je veux parler des commis-greffiers
près des tribunaux. Il y a là une parcimonie vraiment dégoûtante et une
injustice révoltante. Les commis-greffiers de première classe ont un traitement
de 1,700 fr. Je ne m’occuperai pas de la question de savoir si ce traitement
est suffisant. Je n’ai pas de données à cet égard. Mais les commis-greffiers de
deuxième classe ont un traitement de 1,200 fr. Il y a donc une différence de
500 fr. entre les uns et les autres. Mais remarquez l’anomalie. Quand on arrive
à la troisième classe ; il n’y a plus qu’une différence de 100 fr., ceux-ci ont
1,100 fr.
Ainsi, de la deuxième à la première classe,
différence, 500 fr.
De la deuxième à la troisième, différence, 100 fr.
De la troisième à la quatrième classe, différence,
200 fr. Ils ont 900 fr.
On se propose de supprimer la quatrième classe des
tribunaux pour les réduire à trois classes ; je donnerai volontiers mon
assentiment à cette proposition pour améliorer le sort d’une partie de notre
ordre judiciaire. Mais je voudrais (et je crois que cela peut se faire dans le
budget) que l’on améliorât dès à présent le sort des commis-greffiers.
Je disais tout à l’heure que la classe des
commis-greffiers est la plus la plus laborieuse ; il suffit d’avoir quelque
pratique pour savoir combien leurs fonctions sont pénibles. Et ne croyez pas
que ce soient des hommes auxquels certaines capacités ne soient pas nécessaires
: on parlait tout à l’heure des connaissances nécessaires à un traducteur ;
mais il faut aussi des connaissances pratiques à un commis-greffier. Sans cela
il fera les mêmes bévues que l’on signalait tout à l’heure pour les traductions
Ainsi, voilà des hommes qui
doivent avoir un certain contingent de service, qui travaillent toute l’année
pour 1,200 francs, sauf quatre tribunaux de première classe, où ils ont 17,000
fr. ; je demande si cela n’est pas déplorable.
Si ces commis-greffiers avaient l’espoir d’arriver
un jour plus haut, d’arriver au poste de greffier en chef, le mal serait
peut-être moins intolérable ; mais c’est presque toujours une créature
privilégiée qui obtient ces emplois. Le népotisme, la faveur fait le choix ; et
le malheureux commis-greffier, après avoir passé 30 ou 40 années de sa vie dans
un emploi modeste, mal payé et laborieux, est supplanté par un nouveau venu,
par un homme qui quelquefois n’a jamais mis le pied dans un greffe et ne s’y
rend pas davantage après sa nomination.
Dussé-je éprouver un échec, je proposerai une
augmentation pour les commis-greffiers des tribunaux des trois dernières
classes ; à moins que le ministre ne se montre disposé à réparer cette
injustice.
M. Dubus. - Je
prends la parole non pour contredire les réflexions de l’honorable membre, mais
pour faire observer que sa proposition est contraire à une loi sur la matière.
Si veut refondre cette loi, il faut en porter une nouvelle ; on ne peut pas
changer une législation par des amendements au budget. Tous les traitements
judiciaires doivent être fixés par une loi ; voilà ce que prescrit la
constitution ; cette loi, elle a été faite il n’y a pas longtemps, en 1832.
On ne peut pas non plus imputer à la législature de
n’avoir rien fait pour l’ordre judiciaire ; si on veut se donner la peint de
relever les augmentations opérées par la loi de 1832, on verra qu’elles se
montent à des sommes assez considérables.
Je ne prétends pas
cependant qu’on ne doive rien ajouter aux traitements de l’ordre judiciaire,
mais je dis qu’il faut une loi spéciale pour atteindre ce but. Que l’on
remette, si l’on veut, en question tout ce qui est relatif aux tribunaux ;
toujours est-il qu’on ne peut s’occuper d’un tribunal sans s’occuper des
autres.
Si vous augmentez le traitement des
commis-greffiers des tribunaux de quatrième classe, vous devrez augmenter tous
les commis-greffiers des tribunaux des classes qui précèdent ; de même, si vous
augmentez le traitement des juges de quatrième classe, il faudra augmenter le
traitement des juges des premières classes ; sans cela, il n’y aurait plus
proportion entre eux. Il est clair que des juges à St-Hubert, à Diekirch, par
exemple, vivent mieux dans ces localités avec leurs honoraires que les juges
plus rétribués du tribunal de Bruxelles ne vivent dans cette capitale. Pour
toucher aux derniers degrés de l’échelle, il faut toucher à tous les degrés qui
précèdent ; il faut changer l’échelle entière.
Quant aux commis-greffiers, je me rappelle que la
loi de 1832 les a augmentés ; ils sont actuellement et plus nombreux et plus
rétribués qu’ils ne l’étaient avant cette époque.
M. Gendebien. -
Bien que pour la classe des commis-greffiers, dont je me suis spécialement
occupé, il n’y ait pas d’inconvénient à faire des augmentations par un article
du budget ; cependant, comme je ne vois pas grands inconvénients à ne pas
décider cette question actuellement, je consens, afin de ne pas interrompre la
discussion du budget de la justice, à ne point insister sur ma proposition ; mais
c’est dans l’espoir que le ministre trouvera justes mes observations, et qu’il
rétablira l’équilibre. Au reste, j’userai de mon droit d’initiative, et je
proposerai, s’il le faut, un projet, dans le cas ou on négligerait d’améliorer
le sort d’employés aussi utiles que mal payés.
- Le chiffre 859.930 fr. est adopté.
Article 6
« Art. 6. Justices de paix et tribunaux de
police : fr. 310,880 fr. »
- Adopté.
Chapitre III. -
Justice militaire
Articles 1 à 3
« Art. 1er. Haute cour militaire. Personnel : fr.
62,050. »
- Adopté.
________________
« Art. 2. Haute cour militaire. Matériel : fr.
4,200. »
- Adopté.
________________
« Art. 3. Auditeurs militaires et prévôts :
fr. 53,921. »
- Adopté.
Chapitre IV
Article unique
« Article unique. Frais de poursuite et
d’exécution, y compris 1,000 francs pour le greffier de la cour de cassation, à
charge de délivrer gratis toutes expéditions ou écritures réclamées par le
procureur-général et les administrations publiques : fr. 550,000. »
- Adopté.
Chapitre V
Article premier
« Art. 1er. Constructions, réparations et
loyers des locaux : fr. 35,000. »
M.
Scheyven. - Dans l’état de répartition de la somme de 35,000 fr. allouée
au budget de l’année dernière, qui est joint au rapport, l’on voit figurer une
somme de 2,500 fr. accordée comme subside à la ville de Ruremonde, afin de
l’aider à faire des réparations extraordinaires aux bâtiments du tribunal.
Cette somme avait été donnée par le gouvernement
dans la prévision que la dépense totale s’élèverait à 10,000 fr., ainsi qu’on
l’avait cru d’après la première évaluation ; mais d’après une évaluation
postérieure faite par un ingénieur envoyé, à ce que je pense, de la part de
l’autorité provinciale, la dépense est portée à 17,000 fr,, de sorte qu’il
serait nécessaire d’accorder un nouveau subside sur le budget de cette année.
Je demanderai donc à M. le ministre de la justice si la somme de 35,000 fr. qui
y figure a déjà une destination certaine, ou si elle n’est qu’éventuelle. Si
elle n’est qu’éventuelle, je pense que la ville de Ruremonde a droit à en
recevoir une part ; si au contraire la somme est déjà répartie, je demanderai
une majoration du chiffre.
Jusqu’ici le conseil de régence ne s’est pas encore
adressé au gouvernement à cet effet, puisque le devis estimatif vient seulement
d’être fait il y a une huitaine de jours ; mais je suis informé que dans
quelques jours la demande parviendra à M. le ministre.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Je puis déclarer à la chambre que la somme de 35,000 fr.
suffira à tous les besoins ; si même il était nécessaire d’accorder de nouveaux
subsides à la ville de Ruremonde, ce que je ne sais pas encore, l’article ne
devrait pas être augmenté.
- Le chiffre de 35,000 fr. mis aux voix est adopté.
« Art. 2. Constructions pour la cour de
cassation : fr. 100,000. (La dépense totale s’élèvera à 315,000 fr.) »
M. de Brouckere.
- Messieurs, l’an passé le gouvernement demandait une somme de cent mille
francs à imputer sur celle de deux cent trente mille francs à laquelle on
évaluait les constructions à faire pour le local de la cour de cassation ;
quelques observations ont été présentées relativement au projet que le
gouvernement annonçait (il voulait faire bâtir un palais pour la cour de
cassation sur l’emplacement où se trouvait l’hôtel du ministère de la justice
sous l’ancien gouvernement) ; et les 100,000 fr. ont été votés de telle manière
que le gouvernement a été libre de faire construire là où il voudrait :
aujourd’hui une nouvelle demande de 100,000 fr. vous est présentée, et cette
somme ne serait plus imputée sur celle de 250,000 francs, mais sur celle de
315,000 fr. a laquelle on évalue le montant de la dépense qu’occasionnera
l’érection de l’édifice.
Je vois d’après les notes qui sont jointes au
rapport de la section centrale, que le gouvernement a encore le même projet
d’élever un palais pour la cour de cassation sur la place du Petit Sablon ; je
crois qu’il serait infiniment sage de laisser la cour de cassation dans le
local qu’elle occupe aujourd’hui, sauf à y faire les réparations nécessaires.
Il est incontestable que la séparation des
différeras corps judiciaires entraînerait de graves inconvénients. Ce sont les
mêmes avocats qui plaident devant les diverses cours et les divers tribunaux ;
la plupart d’entre eux sont dans le cas de devoir plaider, dans la même
matinée, devant deux de ces corps ; et c’est ce qui deviendrait extrêmement
difficile, si la cour de cassation avait un palais séparé.
On sait que le palais de justice est un lieu
naturel de rendez-vous pour tous les hommes de loi, pour tous les hommes qui
doivent s’occuper de procès ; si plus tard ces personnes sont disséminées, il
en résultera des retards et un grand préjudice pour les affaires.
On pourrait dire encore qu’il est avantageux que,
comme aujourd’hui, tous les greffes soient réunis, que tous les dépôts
d’archives, tous les dépôts de pièces se trouvent dans un même local.
Dorénavant, ceux qui devront s’adresser à l’un ou à l’autre greffe seront
obligés de prendre d’abord des renseignements pour savoir si c’est au greffe de
la cour de cassation ou de la cour d’appel, ou de telle autre cour, que leurs pièces
se trouvent, et ils devront souvent courir de l’un à l’autre local.
Je ferai une autre observation : Le palais qui
réunit aujourd’hui les cours et tribunaux se trouve dans un état tellement
mauvais qu’avant peu il faudra y faire des réparations considérables, si pas
des constructions nouvelles ; vous serez ainsi entraînés, messieurs, dans une
double dépense, puisqu’après avoir fait cette année un palais pour la cour de
cassation, vous devrez dans peu d’années en faire un nouveau, ou un presque
nouveau, pour les autres corps judiciaires.
Je pense donc qu’il serait convenable et économique
de faire construire un local pour la cour de cassation sur le terrain où se
trouve aujourd’hui le palais des autres corps judiciaires. Et qu’on ne se
trompe point sur mes intentions, je suis le premier à reconnaître que le local
ou se trouve aujourd’hui la cour de cassation est tout à fait inconvenant, je
dirai presque indécent, et qu’il en faut nécessairement un autre. Si je prends
la parole, c’est uniquement parce que je pense que l’emplacement qui sert
aujourd’hui à la cour de cassation est plus convenable en y faisant les
réparations nécessaires que celui qu’on veut lui donner.
Messieurs, je crois que le
plan qu’a fait, il y a quelques années, un des meilleurs architectes de
Bruxelles, satisferait toutes les exigences ; d’après ce plan, la cour de
cassation, la cour d’appel, le tribunal de première instance, le tribunal de
simple police, en un mot tous les corps judiciaires, seraient réunis dans le
local où se trouvent aujourd’hui la cour de cassation et la cour d’appel ; je
ne sais pas jusqu’où s’élèverait la dépense, mais je pense qu’elle ne serait
pas beaucoup plus forte que celle qu’exigeront l’érection d’un nouveau palais
pour la cour de cassation et les réparations immenses qu’il faudra faire au
palais de justice actuel.
Je soumets ces réflexions au gouvernement, mais je
vous avoue que je n’ai pas beaucoup d’espoir de les voir accueillir, puisque
depuis longtemps de semblables observations lui ont été adressées et qu’il
semble néanmoins persister dans son premier projet.
La commission des monuments a approuvé ce projet,
ainsi que la cour de cassation elle-même ; mais si on leur soumettait le
nouveau projet dont je viens de parler, peut-être l’approuveraient-elles comme
elles ont approuvé l’ancien.
Avant de prendre la parole, je me suis adressé à M.
le rapporteur de la section centrale pour savoir si elle s’était occupée de
cette question, et M. le rapporteur m’a répondu que oui, et que lui
personnellement avait pris à cet égard des renseignements ; je le prierai de
bien vouloir les communiquer à la chambre, la matière me paraît assez
importante pour mériter pendant quelques moments l’attention de l’assemblée.
M. Pollénus, rapporteur.
- J’ai aussi partagé, dans le sein de la section centrale, l’opinion qu’il
vaudrait mieux, sous le rapport de la convenance et de l’économie même,
construire un palais qui pût réunir tous les corps judiciaires que d’élever un
palais séparé pour la cour de cassation.
Lorsque cette discussion s’est engagée au sein de
la section centrale, je me suis trouvé dans le cas de prendre quelques
renseignements auprès des hommes de l’art, qui ont été d’avis qu’à cet égard il
est préférable d’établir un palais de justice pour tous les cours et tribunaux
que de faire des constructions détachées pour la cour de cassation. Je crois,
messieurs, me rappeler qu’à cette occasion il a été dit que le bâtiment dont il
s’agit n’est pas destiné à rester toujours affecté au service de la cour de
cassation, nais qu’on avait l’intention de le faire servir plus tard à la cour
d’assises.
Je crois, messieurs, que ce sont là les propres
paroles de M. Suys, et ce qui me porte à croire que
ma mémoire est fidèle, c’est qu’en relisant le Moniteur de l’année dernière, j’y ai trouvé des explications
données dans cette enceinte par M. le ministre de la justice, explications qui
contiennent l’assertion dont je viens de parler. C’est surtout ce qui m’a
engagé à combattre dans la section centrale le projet du gouvernement ; car,
comme vous le savez, messieurs, le local de la cour d’assises doit être fourni
par la province, et ainsi le projet du gouvernement tend à faire bâtir aux
frais de l’Etat un local qui, dans un temps plus ou moins rapproché, devra servir
à un usage dont les dépenses doivent être supportées par la province.
Comme l’a dit l’honorable préopinant, les
dégradations survenues au palais de justice actuel réclameront bientôt des
constructions entièrement nouvelles ; c’est là un fait dont on peut s’assurer
par une première inspection, et qui a été reconnue par M. Suys
et d’autres architectes qui ont été chargés d’examiner ce bâtiment, ainsi que
dans une des dernières séances du conseil provincial du Brabant, où le
rapporteur d’une commission rend compte en ces termes des vœux de cette
commission :
« La commission émet le vœu qu’il soit
construit incessamment dans la ville de Bruxelles un palais de justice pour les
diverses cours de justice ; qu’à cet effet la députation se mette en relation
avec le gouvernement et avec l’administration municipale de Bruxelles, et qu’il
puisse être fait un rapport à cet égard dans la prochaine session du
conseil. »
Si mes informations sont exactes, ces conclusions
ont été adoptées par le conseil provincial ; d’un autre côté, l’on m’a assuré
que l’administration communale de la ville de Bruxelles partage le même avis et
est prête à exprimer les mêmes vœux ; d’ailleurs, messieurs, la province et la
ville sont également intéressées à ce qu’il soit établi un palais de justice
pour réunir tous les corps judiciaires puisque d’un côté la province doit
fournir un local pour la cour d’assises, et que d’un autre côté, la ville doit fournir des locaux pour le
tribunal de simple police et pour les conseils de discipline de la garde
civique ; il est donc juste que la province et la ville concourent avec le
gouvernement à couvrir les dépenses nécessaires pour l’érection d’un palais de
justice, ce qu’elles paraissent disposées à faire. Dès lors il serait imprudent
de voter des sommes considérables pour l’établissement d’un local séparé
destiné à la cour de cassation ; je dis des sommes considérables, car je vous
prie, messieurs, de remarquer que la somme de 315,000 francs demandée par le
gouvernement n’est destinée qu’à couvrir les seules dépenses de construction et
nullement les frais d’acquisition des terrains, ni les frais d’ameublement, de
manière qu’en évaluant les terrains à 100,000 francs et l’ameublement à 80,000,
on aura une dépense totale d’un demi-million de francs qui n’aboutira qu’à
élever un bâtiment qui, dans quelques années, sera destiné à la cour d’assises
dont le local doit être fourni par la province.
Je ne suis pas dans le cas de pouvoir donner
d’autres explications, mais je crois, messieurs, devoir vous présenter quelques
réflexions que j’ai également soumises aux hommes de l’art, car elles se
rapportent à une question que je me reconnais incompétent à décider. Il m’a
semblé que l’emplacement de la rue des Petits-Carmes est peu convenable pour
une construction monumentale, puisque la façade principale ne se trouverait en
face d’aucune place ni vue régulière.
(Erratum
inséré au Moniteur belge n°22, du 22 janvier 1837 :) Puisque la façade
principale ne se trouve à aucun point de centre ni avec la place ni avec une rue
régulière, le frontispice tel que nous le voyons sur le plan de M. Suys se trouvera d’un côté écrasé par la masse de bâtiments
de l’hôtel d’Aremberg, et de l’autre côté, sera relié
à quelques vieux bâtiments appartenant à des particuliers ; la construction
n’offrira ainsi rien d’agréable au coup d’œil, ce qui est cependant une
condition qui ne doit pas être négligée dans les constructions monumentales.
Ni dans l’avis de la commission des monuments, ni
dans celui de la commission prise au sein de la cour de cassation, nous ne
trouvons aucun motif qui justifie la proposition. La commission des monuments
déclare, sans en donner la raison, qu’elle trouve le projet excellent, et la
commission de la cour de cassation le trouve également bon.
Cependant je ferai remarquer que la cour de
cassation avait également donné son assentiment au projet de l’année dernière,
d’après lequel une dépense de 240 mille francs aurait été suffisante.
Maintenant je dois rendre compte d’une objection
qui a été faite dans le sein de la section centrale, savoir : que la cour de
cassation ayant un besoin pressant du local, il ne convenait pas d’attendre
parce qu’on s’attendait à des difficultés insurmontables de la part de la ville
de Bruxelles, à l’égard du terrain occupé par le palais de justice actuel. Si
mes informations sont exactes, et j’ai tout lieu de le croire, puisque je les
tiens d’un membre du conseil communal de Bruxelles, la ville de Bruxelles est
très disposée à contribuer, autant que possible, à favoriser l’exécution d’une
construction véritablement monumentale, et qui puissent concourir à
l’embellissement de la capitale. La province se montre également bien disposée
d’un côté. Le rapport fait à la dernière séance du conseil provincial en fait
foi.
Je crois devoir borner là mes observations, Si dans
le courant de la discussion, quelques autres objections sont soulevées, je
tâcherai d’y répondre autant que possible.
Je ferai cependant encore
une observation : c’est que je suis le premier à reconnaître que la cour de
cassation a un grand besoin d’un local nouveau ; mais cependant je crois qu’il
convient d’éviter la précipitation, et la cour de cassation elle-même a été de
cet avis, puisqu’elle a cru pouvoir concourir à différer le commencement de
l’exécution des travaux, afin d’obtenir un plan meilleur ; il est de fait que
si l’urgence avait été excessive, les travaux auraient reçu un commencement
d’exécution, tandis que le crédit qui a été voté à cet effet est aujourd’hui
tout à fait disponible.
(Erratum
inséré au Moniteur belge n°22, du 22 janvier 1837 :) Si cependant l’on
voulait dans un temps rapproché commencer la construction pour le local de la
cour de cassation, rien n’empêcherait de la faire, en combinant cette
construction de manière à pouvoir s’adapter à d’autres constructions qui
seraient appropriées de manière à former un ensemble ; un seul palais pouvant
servir à tous les corps judiciaires résidant dans la capitale, on pourrait, ce
me semble, faire une construction sur le terrain du palais de justice actuel,
sur la ligne qui s’étend sur la largeur du Grand-Sablon, on n’aurait à
exproprier que quelques bâtiments peu importants, de cette manière la cour de
cassation pourrait continuer à occuper le local actuel, en attendant
l’achèvement du nouveau local, et la dépense qu’entraînerait l’expropriation de
quelques maisons serait amplement compensée par le produit des terrains qui
resteraient disponibles plus tard.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Messieurs, on ne dira pas sans doute que nous avons agi
avec précipitation dans cette affaire, puisque le crédit alloué l’année
dernière n’a encore reçu aucune espèce d’emploi. Précisément pour ne rien
précipiter, j’ai attendu un nouveau vote de la chambre.
Si les travaux n’ont pas encore été entamés, ce
n’est pas, messieurs, parce que la dépense n’est pas urgente, mais uniquement
par respect pour vos délibérations, et encore pour l’acquit de mes devoirs, car
je n’ai pas cru pouvoir toucher au subside que vous aviez voté, lorsque
d’avance j’étais convaincu qu’il ne serait pas suffisant.
Je vais reprendre les choses d’un peu plus haut.
Je puis heureusement m’appuyer ici sur l’avis une
fois unanime, une deuxième fois à peu près unanime de la section centrale et
sur une décision même de la chambre.
L’année dernière, lorsque j’ai demandé 100,000 fr.
à valoir sur les 230 mille francs destinés à la construction d’un palais à
l’usage de la cour de cassation, j’ai fait tous mes efforts pour vous démontrer
qu’il était contraire à toute décence, contraire à l’importance des fonctions
du premier corps judiciaire du royaume, de laisser la cour de cassation dans le
local où elle se trouve actuellement. Tout le monde a été d’accord pour
reconnaître l’urgente nécessité de la construction d’un nouveau local ; et même
dans ce moment, les deux orateurs qui m’ont précédé, ont encore reconnu cette
urgence.
L’année dernière, on a examiné en même temps deux
questions : celles de savoir s’il fallait absolument réunir la cour de
cassation aux autres corps judiciaires, et s’il était nécessaire d’établir le
bâtiment sur une partie du terrain où se trouve le palais actuel de la justice,
ou s’il fallait le construire sur le terrain de l’ancien hôtel Van Maanen.
La question fut discutée et examinée avec le plus
grand soin dans le sein de la section centrale. Deux plans lui furent
communiqués, savoir l’un concernant la construction sur le terrain de l’ancien
hôtel van Maanen ; et l’autre, le plan sur le terrain
sur lequel est situé aujourd’hui le palais de justice. La section centrale a
jugé qu’il serait plus convenable de bâtir sur le terrain de l’ancien hôtel van
Maanen ; elle n’a voté le subside, et la chambre n’a
entendu le voter aussi, que pour autant que la construction eût lieu sur ce
terrain.
Tout le monde reconnut alors l’utilité de réunir
tous les corps judiciaires dans un
seul et même bâtiment. Mais on crut cependant que l’inconvénient de la
séparation n’était pas aussi grand que celui qui résulterait de la réunion dans
les circonstances actuelles. On fit observer à cette époque qu’il n’en était
pas des causes de la cour de cassation comme de celles des autres corps
judiciaires ; qu’à la cour de cassation le rôle est fixé d’avance ; que les
avocats ne courent aucun risque de perdre leurs temps, et que rarement ils sont
appelés d’un corps judiciaire à un autre.
Après que la chambre eut décidé que la somme de
230,000 fr. serait employée à la bâtisse d’un palais, à l’usage de la cour de
cassation, sur l’emplacement de l’ancien hôtel Van Maanen
; quand il s’est agi de mettre les constructions en adjudication, j’ai reconnu,
après un mûr examen du premier plan qui avait été fait avec assez de
précipitation, qu’il était impossible de pourvoir à la dépense projetée, à
moins de 300,000 fr.
Je priai mon collègue de l’intérieur de soumettre
la question à une commission d’hommes spéciaux. Les deux architectes, auteurs
des deux plans différents, ont été entendus par cette commission, dans le sein
de laquelle je me suis également rendu avec M. le ministre de l’intérieur Là,
messieurs, après une longue discussion, il à été reconnu qu’il était impossible
de construire le nouveau local sur le terrain où se trouve actuellement le
palais de justice ; il a été reconnu en même temps que la dépense qui avait été
proposée par M. Suys était nécessaire.
Et remarquez que le plan fut examiné sous le
rapport monumental, sous celui de la destination, du local, sous tous les
rapports enfin, la commission y donna son assentiment.
Depuis lors, la section centrale du budget de cette
année a soumis la question à un nouvel examen ; et tous les membres, à
l’exception de l’honorable rapporteur, ont persisté dans l’opinion émise par la
section centrale du budget de l’année dernière, et partagée par la chambre.
Je viens maintenant, messieurs, à la question
agitée par l’honorable préopinant. L’honorable membre vous a dit, messieurs,
qu’il ne fallait pas trop se prévaloir de l’avis de la cour de cassation, en ce
qui concerne le plan actuel, puisque cette cour avait aussi donné son
approbation au plan proposé l’année dernière. Mais, messieurs, il n’y a rien de
changé quant au fond ; la cour de cassation avait examiné si le local était
convenable, si la distribution intérieure était bonne, s’il y avait tout ce qui
était nécessaire pour l’exercice des fonctions de la cour.
Elle a trouvé les mêmes conditions dans le nouveau
plan ; il n’y avait entre celui-ci et le premier aucune différence essentielle
; seulement ce dernier plan est plus beau, plus régulier ; c’est un véritable
monument qu’on se propose de construire, monument digne de la capitale, et
digne de la haute cour à laquelle il est destiné.
Une autre question a été agitée, celle de savoir si
l’on ne pourrait pas placer la cour de cassation sur un côté du palais de
justice actuel, en expropriant quelques bâtiments.
Je dois dire que ce projet a déjà été examiné et
par la section centrale de l’année dernière et par la commission dont j’ai
parlé ; je l’ai examiné, de mon côté, à plusieurs reprises, et je crois que
réellement il est inexécutable.
Ne vaudrait-il pas mieux, dit-on, bâtir un seul
palais où seraient réunis tous les corps judiciaires ? Il est certain, mess,
que si le gouvernement avait eu la conviction que ce projet pût s’exécuter dans
un temps rapproché, de manière à ne pas laisser trop longtemps la cour rie cassation
dans son local actuel ; il est certain, dis-je, que ce plan aurait souri au
gouvernement, comme aux membres de cette chambre qui en sont partisans. Mais,
messieurs, il n’y a pas d’espérance que d’ici à plusieurs années un semblable
projet puisse être exécuté ; et je ne crains pas d’exagérer, en disant que le
palais, construit d’après ce projet, coûterait probablement un million, et
peut-être d’avantage.
Je dois vous faire connaître un fait : c’est qu’en
1817 lorsque les bâtiments du palais de justice actuel ont été appropriés, les
dépenses d’appropriation se sont élevées à 1,200 mille fr.
Je suppose que le plan que j’ai l’honneur de vous
proposer et que vous avez adopté une première fois soit exécuté, je ne pense
pas que d’ici à longtemps la nécessité absolue de construite un nouveau palais
de justice soit reconnue.
Si, au contraire, le plan que les honorables
préopinants croient préférable est adopté, qu’arrivera-t-il ? La ville de
Bruxelles n’a pas un budget de recettes assez riche pour que nous puissions
entreprendre une construction dans laquelle elle devrait entrer pour deux à
trois cent mille francs.
(Erratum
inséré au Moniteur belge n°22, du 22 janvier 1837 :) D’après les relations que
j’ai eues avec les autorités provinciales du Brabant à propos des réparations à
faire au dépôt de mendicité de
Je crains donc que le gouvernement ne soit obligé
de faire la plus grande partie de la dépense ; et le trésor public n’a pas
besoin de s’engager dans une dépense semblable. Ce qui est reconnu nécessaire
et urgent, c’est un palais pour la cour de cassation.
Lorsque cette cour pourra l’occuper, on trouvera
dans le palais actuel un local convenable pour la cour d’appel, à laquelle une
chambre nouvelle a été récemment adjointe.
D’un autre côté, le gouvernement n’est pas obligé
de fournir une salle pour le tribunal de commerce. Le conseil provincial l’a
reconnu, et fait préparer un local voisin du palais de justice pour y placer ce
tribunal. De cette manière, le palais de justice actuel, au moyen des
réparations nécessaires, suffira aux besoins de la cour d’appel et du tribunal
de première instance.
Ainsi, vous le voyez,
messieurs, le projet lui-même n’est pas suffisamment mûri. Nous ne devons pas
compter sur le conseil provincial du Brabant, et quant au conseil communal de
Bruxelles, nous ne savons pas combien de temps il faudrait pour se mettre
d’accord avec lui.
Quand il s’est agi de construire le palais de
justice de Gand, il a fallu deux ans pour s’entendre sur les proportions dans
lesquelles la commune, la province et le gouvernement interviendraient. Vous
devez donc vous attendre à ce que je rencontre, je ne dirai pas des difficultés
insurmontables, du mauvais vouloir, mais des obstacles résultant de la position
financière de la ville.
Je persiste donc à croire qu’il existe des raisons
suffisantes pour exécuter les constructions d’après le plan que nous avons
présenté, et je demande que la chambre alloue les 100,000 fr. qui forment
l’art. 2 avec autorisation de les imputer sur une somme de 315 mille fr.
M. de Brouckere.
- Je vais répondre quelques mots à M. le ministre de la justice ; je céderai
ensuite la parole à M. Gendebien qui, si je me rappelle bien ce qu’il a dit
l’année dernière, doit partager mon opinion.
M. le ministre de la justice ne nie pas qu’il
serait plus convenable d’élever un palais de justice où on pût réunir tous les
corps judiciaires ; mais il est arrêté par différentes considérations.
Ces considérations se bornent à trois. Je vais les
rappeler en quelques mots, il ne me sera pas difficile de les réfuter. La
première est qu’il est urgent de loger la cour de cassation d’une manière plus
convenable qu’elle ne l’est maintenant, et que pour ériger un nouveau palais de
justice, il faudrait un temps fort long avant qu’on pût installer la cour de
cassation comme il convient qu’elle le soit.
Je répondrai que quand un plan général aura été
fait, rien n’empêchera de l’exécuter successivement par parties et de commencer
par celle destinée à recevoir la cour de cassation ; cette partie pourrait être
terminée dans un délai plus ou moins rapproché.
La seconde objection est l’importance des dépenses
auxquelles on serait entraîné ; il les évalue à une somme très forte, en se
fondant sur ce qu’a coûté, il y a 15 ou 18 ans, l’appropriation du palais de
justice actuel. Mais ce local était occupé par un hôpital ; on n’a pas voulu
mettre les cours et tribunaux à l’hôpital, il a fallu approprier ce local ;
vous savez combien une appropriation de ce genre a dû coûter.
Le travail, d’ailleurs, a été très mal fait, et il
aurait pu être exécuté beaucoup plus économiquement. Ce point de départ ne
prouve donc rien, puisqu’on a fait de très mauvais ouvrage et qu’on a payé très
cher. C’est une chose de notoriété publique, personne ne peut la contester. La
construction d’un palais de justice nouveau nécessitera sans doute une dépense
plus forte que la construction d’un palais qui ne serait destiné qu’à la cour
de cassation, mais ce serait une dépense fort utile, car on reconnaît que dans
quelques années, sinon dans six ans, au moins dans dix on douze, il faudra
faire des constructions nouvelles pour la cour d’appel et le tribunal de
première instance.
Aujourd’hui vous devez consacrer 14 mille fr. aux
réparations urgentes qu’exigent les bâtiments occupés par la cour et le
tribunal de première instance ; chaque année vous serez obligés de faire pour
les réparations de ces bâtiments des dépenses plus fortes ; et après avoir
absorbé des sommes très fortes à l’entretien de locaux fort mauvais, vous
devrez construire un nouveau bâtiment qui vous coûtera la même somme qu’il
aurait coûté aujourd’hui.
Voici une autre objection, c’est que le
gouvernement n’est pas tenu de fournir un local pour le tribunal de première
instance, mais seulement pour la cour d’appel.
Qui sait, dit le ministre, si nous trouverons le
conseil communal et le conseil provincial du Brabant disposés à voter les
sommes nécessaires pour la part pour laquelle ils doivent concourir à
l’érection d’un nouveau palais de justice ? Je ne le sais pas non plus ; mais
il est facile de le savoir, c’est de le demander.
Je voudrais qu’avant de commencer la construction
du palais de la cour de cassation, le gouvernement s’assurât s’il n’y a pas
moyen de faire contribuer la régence de Bruxelles et le conseil provincial du
Brabant, d’une manière convenable, à la construction d’un palais où on pût
réunir tous les corps judiciaires.
Le conseil provincial, dit le ministre, ne
consentira qu’à des dépenses nécessaires, et les finances de la ville de
Bruxelles ne sont pas dans un état assez brillant pour qu’elle puisse s’imposer
de nouvelles charges.
La ville de Bruxelles, il est vrai, n’a pas ses
finances dans un état brillant, mais cela n’empêche pas que nous ne la voyions
satisfaire à toutes ses obligations.
Le conseil
provincial n’est pas disposé à voter des dépenses superflues, mais je suis
convaincu qu’il ne refuserait pas de participer aux dépenses nécessaires à
l’érection d’un palais de justice.
Enfin le ministre a dit que le projet n’était pas
mûri. En effet, aussi ne l’ai-je pas présenté comme devant être exécuté d’un
jour à l’autre ; mais je dis qu’il sera trop tard pour le mûrir quand des
sommes très fortes auront été employées à la construction d’un palais pour la cour
de cassation. Qu’on le mûrisse donc et qu’on n’y renonce que quand on se sera
convaincu de l’impossibilité de l’exécution.
Je demande que le ministre ne commence aucune
construction avant de s’être assuré de celle qu’il convient le mieux de faire.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Je ne puisqu’accueillir la dernière observation de
l’honorable préopinant et déclarer que je suis très disposé à faire ce qui
dépendra de moi pour m’assurer si on ne peut pas avec plus d’économie élever
une autre construction que celle projetée.
(Moniteur
belge n°22, du 22 janvier 1837) M. Gendebien.
- Messieurs, je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit l’année dernière, mes
arguments ont été trop bien reproduits par l’honorable M. de Brouckere ; mais
j’ajouterai quelques nouvelles considérations.
Tout à l’heure notre honorable collègue M. de Foere
disait qu’il était prêt à accorder toutes les sommes nécessaires pour les
dépenses utiles et productives, mais qu’il rejetterait toutes dépenses de luxe
; et parmi ces dernières il rangeait l’allocation demandée pour la construction
du palais de la cour de cassation.
Moi aussi je considère cette dépense comme une
dépense de luxe, ou au moins comme une dépense inutile. Je la considère comme
une dépense de luxe, parce que bien que la cour de cassation ne soit pas dans l’état de luxe où certaines
personnes voudraient la voir, je pense que, pour un provisoire, sa situation
est très convenable. J’ai eu l’honneur de plaider avant la révolution dans les
salles consacrées alors à la cour d’appel et à la cour de cassation, et je puis
vous assurer que s’il y eu défaut ou quelque chose à reprendre, il ne provenait
pas du local. On y plaidera et on y
jugera tout aussi bien aujourd’hui qu’autrefois ; car on peut très bien y
plaider et juger convenablement.
L’année dernière, on a demandé 240,000 fr. pour
l’érection du palais de la cour de cassation. C’était là le maximum rigoureux,
le nec plus ultra de la dépense ; on avait pris l’engagement positif de ne pas
le dépasser sous aucun prétexte.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - J’ai tenu l’engagement.
M. Gendebien. - Oui,
mais vous ne le tenez plus dès l’instant que vous demandez une somme plus
forte. On avait cependant assuré de la manière la plus positive et avec intime
conviction que le chiffre posé l’année dernière était le maximum de la dépense
; et voilà ce maximum augmenté de 33 p. c., c’est-à-dire de 75,000 fr., avant
d’avoir mis la main à l’œuvre !
Croyez-moi, faites-y attention, messieurs : comme
il s’agit d’un monument bien plus que d’un palais de justice, vous pouvez être
certain qu’il y aura un autre déficit à combler avant que la cour de cassation
ne soit installée. Nous avons l’expérience de ces devis et plans, surtout quand
s’agit d’un monument. Je ne sais pas, après tout, quel monument vous pourriez
avoir à Bruxelles avec une somme de 315,000 fr., et dans les dimensions et le
prolongement que la localité choisie exige.
On vous dit qu’il y a urgence, que c’est une
dépense qu’on ne peut pas retarder d’un jour. C’est un excellent expédient pour
arracher une décision sans discussion. Mais tranquillisez-vous, messieurs ; car
si le ministre a dit, en commençant, qu’il y avait urgence, d’un autre côté, il
vient de répondre à M. de Brouckere qu’il ne demandait pas mieux d’ajourner,
s’il avait l’espoir de s’entendre avec la province et la régence de Bruxelles ;
qu’il aviserai. Ainsi il commence à changer d’avis ou du moins de langage, et
il a raison, car réellement il n’y a pas d’urgence. La cour de cassation peut
très bien tenir ses séances où elle est, au moins provisoirement.
Savez-vous quels travaux sont urgents, et de la
plus grande urgence ? C’est la construction d’un local isolé pour tous les
greffes : c’est-à-dire de la cour de cassation, de la cour d’appel, des
tribunaux de première instance et de commerce ; un local isolé bien voûté et à
l’abri du feu. Si vous alliez au greffe de la cour d’appel, du tribunal de
première instance et de la cour de cassation, vous seriez effrayés des chances
d’accidents et d’incendie.
Une partie des archives de la cour a dû être
déplacée il y quelques années, parce que le plancher menaçait ruine ; de
nombreuses cheminées traversent partout, et cela dans un vieux bâtiment dont on
ne connaît pas bien la construction. Vieux bâtiment, vieux bois ! S’il y avait
le moindre incendie, tout y passerait.
Si le ministre de la justice, dans l’ordre de
l’accomplissement de ses devoirs, connaissait l’importance des archives
auxquelles sont attachées tant de fortunes, il vous proposerait, comme dépense
urgente, non un monument, mais un greffe isolé, et provisoirement il
maintiendrait la cour de cassation où elle se trouve. On pourrait réunir tous
les tribunaux dans ce local en leur donnant à tous successivement des locaux
convenables ; car ce n’est pas la cour de cassation qui est la moins
convenablement traitée. Le tribunal de première instance et de commerce est
beaucoup plus mal établi ; les archives sont cent fois plus mal encore. La
dépense, la seule dépense vraiment urgente, je le répète, c’est de construire
un greffe voûté partout, dans lequel on distribuerait les cheminées de manière
à être certain de ne pas avoir d’incendie à craindre. Voilà un devoir pour un
ministre de la justice et un devoir qu’il lui importe de remplir avant tout ;
car il est responsable de la conservation des archives, et cette responsabilité
est plus importante pour le public que celle envers la cour de cassation.
La dépense est inutile en ce sens, qu’elle ne
dispensera pas de faire plus tard une dépense qui deviendra indispensable pour
la cour d’appel et pour les tribunaux de première instance et de commerce, et
pour réunir les greffes dans un point central. En réunissant dans un bâtiment
nouveau à construire la cour de cassation, on pourrait vendre la totalité des
terrains du Sablon et une grande partie du terrain et des bâtiments de la cour
d’appel et des autres tribunaux. Ces terrains se vendraient fort cher ; car
aujourd’hui le terrain s’évalue non plus en mètre, mais au pied et au pouce. Je
ne serais pas étonné que l’on vendît ces terrains 200,000 ou 250,000 fr.
Si le prix des terrains à Bruxelles progresse, comme
depuis quelque temps, peut-être vendra-t-on ces terrains 7 ou 8 fr. le pied.
Mais il ne faut aller qu’au tiers de cette somme pour arriver au chiffre de
200,000 fr. au moins.
Joignez à cela l’avantage de pouvoir tirer parti du
local consacré actuellement à la cour d’assises. L’emploi de ce local empêche
de tirer parti d’un bâtiment et d’un terrain immense appartenant à la ville de
Bruxelles et au centre de cette ville. La province contribuera sans doute de ce
chef à la construction du palais central et unique pour tout ce qui est du
ressort de la justice.
On vous a dit que la ville de Bruxelles devra
contribuer aux frais de construction de locaux pour le tribunal de première
instance et le tribunal de commerce. Il n’en est pas ainsi ; au moins, je le
pense.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Je n’ai pas dit cela.
M. Gendebien. -
Je ne vous ai pas nommé, et si ce n’est pas vous, c’est un autre orateur. Car
cela a été dit tout à l’heure.
Remarquez que la ville de Bruxelles était
propriétaire des locaux de la cour d’appel et du tribunal de première instance.
C’est le palais que nous occupons et celui du ministère des finances et des
affaires étrangères.
La ville de Bruxelles qui a échangé des bâtiments
qui, en raison de leur construction solide, ne demandaient pas de réparations,
ne serait pas, ne pourrait pas être condamnée à faire de nouvelles dépenses ;
mais si je me trompe, si la ville de Bruxelles doit contribuer, elle
s’acquittera, quelque obérée qu’elle soit en ce moment ; ce qui ne durera pas
toujours, j’espère, car elle a de justes réclamations à faire valoir.
Ainsi sous le rapport de l’économie et de
l’urgence, vous devez avoir vos apaisements. Il n’y a pas plus d’urgence que
d’économie dans le projet du ministre.
Il est incontestable qu’il y aura économie à vendre
les terrains dont j’ai parlé et à bâtir sur les terrains de la cour actuelle,
appartenant au gouvernement, et qui seront condamnés à une perpétuelle
stérilité si on ne saisit pas cette occasion d’en tirer parti.
Je pense donc qu’il faut rejeter ou ajourner le
projet du ministre, dans l’intérêt du gouvernement, des justiciables et aussi
du barreau de Bruxelles, dont les intérêts doivent être pris en considération.
Je crois que le barreau de Bruxelles peut bien être
compté pour quelque chose. Il a fourni son contingent à la révolution. Je ne
pense pas qu’il ait démérite pour se voir molesté après et si inutilement.
Si vous ne réunissez pas tous les tribunaux dans un
même local, les avocats et leurs clients seront toujours en route d’un tribunal
à l’autre. Il leur faudra transporter leurs livres, leurs dossiers, se
transporter souvent en robe d’une cour à l’autre pour plaider, et souvent pour
arriver trop tard des deux côtés.
Il n’y a pas dit-on, d’inconvénient, parce que la
cour de cassation fixe les causes longtemps à l’avance. Mais les tribunaux de
première instance et la cour d’appel fixent aussi des causes longtemps à
l’avance, elles ne sont pas pour cela plaidées au jour fixé. Remarquez que l’on
ne plaide pas le plus souvent une cause le jour où elle a été fixée. On fixe 3
ou 4 causes le même jour en cassation. La première peut ne durer qu’une heure
ou deux, mais quelquefois aussi elle peut se prolonger pendant deux séances ;
il en est de même pour la deuxième cause. Les causes ne sont donc plaidées que
plusieurs jours après le jour fixé. Ainsi il faut que l’avocat perde son temps,
néglige son cabinet et retarde l’expédition des affaires. Sa clientèle en
souffre, les justiciables et la généralité en souffrent.
Vous voyez donc que tout en donnant satisfaction au
barreau, on satisferait l’intérêt général. Vous voyez bien qu’il y a mille
raisons de s’abstenir et qu’il n’y a aucune raison pour construire un bâtiment
spécial pour la cour de cassation, à moins que ce ne soit pour donner à un
architecte une occasion de satisfaire son amour-propre d’artiste en
construisant un monument.
Mais l’économie et les convenances sous tous les
rapports doivent vous faire abandonner ce projet.
Si la chambre était portée à croire qu’il y a
urgence de construire un local pour la cour de cassation, je l’inviterais à se
rendre au local occupé par cette cour. Je suis persuadé qu’elle serait alors
convaincue que provisoirement la cour de cassation peut très bien rester où
elle est. Mais si dans le même voyage la chambre voulait s’assurer de l’état
des locaux consacrés aux archives, je suis persuadé qu’elle serait convaincue
que s’il y a urgence, c’est pour construire un dépôt d’archives. Que l’on s’en
occupe donc le plus tôt possible, et qu’on ajourne le monument du Petit Sablon.
En ce qui concerne l’état de vétusté des bâtiments,
ils sont très vieux sans doute. Il sera nécessaire de les remplacer un peu plus
tôt, un peu plus tard. Mais, il est certain qu’on pourra le faire
successivement sur un plan général, et qu’il y a économie à construire un local
pour tous les tribunaux, au lieu d’en construire un spécial pour la cour de
cassation, et ensuite pour les autres tribunaux cela est évident : car les
dépenses de construction n’augmentent pas en raison directe de la grandeur, de
leur importance, et ici les murs principaux du bâtiment sont les mêmes, qu’il
soit destiné à la cour de cassation seule ou à tous ensemble. Par
l’agglomération des locaux et des accessoires, on pourra épargner bien des
dépenses qui, isolées, seront en double emploi.
Le local actuel de la cour de cassation peut durer
encore 25 ans, dit-on. La prudence commande de s’en occuper plus tôt, mais on a
le temps d’avoir de la prévoyance.
Ce qu’il faut de suite, c’est, je le répète en
terminant, un local pour les différents greffes et pour les archives. Que le
ministre examine les locaux, et il en sera convaincu.
Je pose en fait, comme je l’ai dit en commençant, que
la dépense de 315,000 fr. pour un monument sera insuffisante. Si on ne veut que
l’utile, il suffira d’ajouter à la somme de 315,000 fr. demandée celle de
200,000 fr. produit des terrains ; on aura une somme de 515,000 fr. Ajoutez à
cette somme celle de 500,000 fr. dans laquelle contribueront la province et
éventuellement la ville de Bruxelles, si le me trompe au sujet de son ancienne
propriété, vous verrez qu’en ajoutant 250 ou 300,000 fr. à celle de 315,000 fr.
pétitionnée pour la cour de cassation seule, vous aurez tous les locaux
nécessaires pour l’administration de la justice dans tous ses degrés,
Réfléchissez-y, je vous en conjure, la chose en vaut bien la peine.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.