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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 7 juin 1836

(Moniteur belge n°160, du 8 juin 1836)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et quart.

M. Schaetzen lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces suivantes adressées a la chambre.

« Le conseil de régence de la ville de Bruxelles demande que les indemnités à payer du chef des pertes essuyées par la révolution et par les pillages, soient mises à la charge de l’Etat. »

- Cette pétition est renvoyée à la commission des pétitions chargée d’en faire le rapport.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Fallon, rapporteur de la commission des naturalisations donne lecture de la proposition suivante :

(Nous donnerons le rapport de l’honorable membre dans un de nos prochains numéros.)

M. Verdussen. - Messieurs, je demande que le rapport de l’honorable M. Fallon soit imprimé, et que le bureau veuille bien y joindre les numéros des feuilletons qui ont rapport aux différents noms dont il vient d’être fait mention. (Appuyé.)

- La proposition de M. Verdussen est adoptée.

La proposition de la commission des naturalisations est adoptée.

Projet de loi qui alloue un crédit supplémentaire au département de la guerre pour le service du couchage des troupes, exercice de 1836

Rapport d'une commission spéciale

(Moniteur belge n°161, du 9 juin 1836) M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, lorsque la chambre a levé la séance d’hier, j’étais arrivé à la sixième question.

Je vais continuer à répondre successivement aux observations les plus importantes que le ministre de la guerre a présentées, en réponse au rapport de la commission.


La sixième question est ainsi conçue :

« Aux conditions de l’adjudication, eût-il été plus utile à l’Etat d’acquérir et de fournir lui-même les couchettes en fer que charger l’entreprise ? »

Je trouve à la page 17 du mémoire :

« Il est démontré aujourd’hui que la fourniture des couchettes, loin d’être, comme on l’a prétendu, une source de bénéfices considérables pour la compagnie Legrand, est au contraire une charge, et une grande charge pour elle ; et cela est si vrai, qu’elle se croirait fort heureuse d’en être débarrassée en cédant ses couchettes en fer au prix coûtant et en diminuant son prix de location de 67,000 fr.

Oui, messieurs, il est possible, très possible même qu’aujourd’hui la fourniture des couchettes soit une charge, et une très grande charge pour la compagnie Legrand. Mats pourquoi se peut-il que ce soit une charge ? parce qu’on a adopté un mauvais modèle. Qu’on attende quelque temps, et l’expérience aura alors démontré que c’est une charge bien plus grande encore pour le soldat, car il aura à payer beaucoup plus, non seulement à raison de ce qu’on a dû augmenter les couches de peinture et qu’ainsi on a augmenté le prix des réparations, mais encore pour les dégradations qui surviendront aux ferrures elles-mêmes, et pour les taches qui se manifesteront sur les literies, par suite de la mise à nu de quelques parties du fer des lits.

« Mais, dit le ministre, la commission argumente dans l’hypothèse que l’on aurait obtenu des couchettes à une place, à raison de 24 fr.

Oui, nous avons bien voulu calculer sur le prix de 21 francs, parce que nous avons bien voulu établir nos calculs sur le modèle adopté. Mais quelle différence notable n’aurait pas été apportée à l’appui de notre opinion (qui est : qu’il eût été plus avantageux que l’Etat fournît lui-même les lits de fer), si nous avions compté sur le modèle français dont le prix en Belgique n’irait pas au-delà de 12 à 13 fr., et qui est incontestablement meilleur ?

Maintenant, même avec vos prix de 30 et de 47 francs, vous arrivez encore à 5,000 francs par an à payer en moins par l’Etat ; et vous oubliez d’ajouter qu’au bout de 20 ans l’Etat devenait propriétaire des lits et n’avait par conséquent plus rien à payer.

A la page 19 du mémoire, je lis :

« Je suppose encore (et cette supposition est très admissible) que j’eusse eu affaire à un entrepreneur imprévoyant qui ne se fût pas assuré à l’avance, au moyen de marchés pour des quantités à livrer à des époques fixes, de la totalité des fers dont il avait besoin pour l’exécution de ses propres engagements ; que serait-il arrivé ? Cet entrepreneur devrait supporter aujourd’hui toutes les conséquences de la hausse, et je dirai plus, il ne trouverait plus maintenant à contracter un marché pour des fournitures livrables à terme, si ce n’est aux prix du jour où les fers lui seraient fournis. »

Mais, messieurs, fait-on des entreprises pour des entrepreneurs imprévoyants ? Et n’est-il pas reconnu de tout le monde que lorsque l’entrepreneur soumissionne une entreprise considérable, il a toujours soin de faire d’avance des marchés à forfait, des marches auxquels sont attachés des conditions résolutoires, en cas que l’adjudication ne lui soit point accordée ?

Le ministre dit ensuite :

« J’ai dit que pour faire l’achat des couchettes au compte de l’Etat, j’aurais été obligé de demander un crédit extraordinaire de 600,000 francs à la prochaine session des chambres, dont la réunion pouvait être retardée jusqu’au mois de novembre.

Ainsi, vous avez craint les chambres pour une adjudication de 600 mille francs, à payer une fois ; et vous n’avez pas craint ces mêmes chambres pour une adjudication de 432,650 francs à payer par année pendant 20 ans.

Mais, dit le ministre, page 20 :

« J’obtenais un excellent lit avec couchette en fer pour chaque homme séparément, et la faculté de faire transporter les fournitures là où les besoins du service l’exigeraient. »

Nous avons prouvé le contraire, et le ministre a lui-même prouvé le contraire, puisque déjà après peu de mois de l’exécution du marché il a été obligé de changer le modèle. Et à quelle condition obtient-il d’ailleurs ce prétendu meilleur lit ? En imposant des charges onéreuses à l’Etat et aux soldats, et en le mettant dans le cas d’être obligé plus tard de léser les intérêts des communes qui cependant avaient bien le droit de se reposer sur la foi de leurs contrats et sur la bonne volonté qu’elles avaient montrée en secondant les vues du gouvernement. Je passe à septième question.


« Etait-il plus avantageux de faire porter l’adjudication sur 20,600 lits que de la borner d’abord au service d’une ou de plusieurs garnisons ? »

Le ministre s’étend ici longuement sur les considérations secondaires qui ont motivé la réponse à cette question de la commission, tandis qu’il ne dit rien sur les principaux motifs.

Au reste, cela n’a rien d’étonnant : quand on veut réfuter, il est bien plus facile de s’attacher au secondaire qu’au principal.

Quoi qu’il en soit, voici, messieurs, la thèse principale qui a été soutenue par la commission, et que le ministre de la guerre n’a nullement combattue.

Il est incontestable qu’en faisant d’abord un essai partiel pour une ou deux garnisons au plus, on se mettait à même d’apporter au système tout neuf qu’on introduisait en Belgique les commanderait d’y apporter.

Cela est d’une telle vérité que les entrepreneurs eux-mêmes ont demandé à pouvoir n’établir d’abord que le service d’une seule place, d’une place à faible garnison, celle de Termonde et cela est encore tellement vrai que le ministre de la guerre, comme je viens de le dire, n’a pas essayé de réfuter la commission sur ce point.

« Tout ce qu’il a répondu à cet égard, c’est que son expérience de 30 ans l’ayant parfaitement initié dans la connaissance de tous les systèmes de casernement, et que celui adopté par lui en Belgique n’ayant de nouveau que la bonté des fournitures et les couchettes en fer dont l’emploi a réussi en France, il n’avait aucun doute sur les succès qu’il en obtiendrait et que les résultats ont, dit-il, confirmés. »

L’emploi a réussi en France ! Mais de quels lits de fer ? Est-ce de vos lits de fer ? Non, ce sont des lits à tréteaux et à fonds en planches, car on a abandonné les lits à fonds en fer après une expérience faite sur 70,000 couchettes.

Beau succès en vérité, obtenu par un ministre, que celui qui, de l’aveu du ministre lui-même, met le soldat à la discrétion de l’entrepreneur ! Belle preuve d’une bonne administration et d’une expérience de 30 années, que celle de l’adoption d’un lit qu’on est obligé de modifier dès les premiers jours de l’usage qu’on en fait ! Belle preuve encore d’expérience administrative que de se lancer dans un système général et complet de casernement, sans même s’être fait renseigner à qui appartiennent les casernes et à quels titres, et sans s’être fait produire des renseignements exacts sur la contenance des casernes ! Belle preuve enfin, je le répète, en faveur de votre couchette à fond métallique, que l’abandon qu’on en a fait en France après l’expérience sur 70 mille couchettes !

Le ministre met ici de nouveau en avant la faculté de mobilisation, et déjà on en a eu un exempte, dit-il, puisque pour pourvoir au service de Bruxelles, de Vilvorde et de l’école militaire, on a dû augmenter la fixation de Bruxelles de 200 lits et diminuer d’autant la fixation de Termonde et de Lierre.

Je demanderai si, lorsqu’on a fait cette modification dans les fixations, le service était déjà monté dans ces places ? Je crois pouvoir dire qu’il ne l’était pas. Ainsi vous n’avez pas fait voyager les lits, vous avez donné seulement une nouvelle preuve de la négligence, pour ne pas dire plus, qui a présidé à cette opération, puisque le service non encore établi, vous êtes obligé de changer les chiffres de fixation sans qu’il y ait rien de changé dans les chiffres des garnisons.

Mais les villes sont prévenues qu’elles n’auront que les 3/5 à la paix. Oui, elles sont prévenues qu’elles n’auront que les 3/5 ; alors et en outre elles sont prévenues aussi qu’à moins que les circonstances ou les chambres législatives en déterminent autrement, ces trois conséquences sont assurées et que dans l’état actuel le tout est assuré sous les mêmes conditions ; c’est-à-dire qu’en définitive rien ne leur est assuré. A la page 21 du mémoire il est dit :

« Admettons maintenant que l’on veuille faire une exception en faveur de ces villes à raison des sacrifices qu’elles ont dû faire récemment pour l’achat de leur matériel ; on devrait conserver pour l’occupation de leurs fournitures après la réduction des garnisons sur le pied de paix, au chiffre fixé par la circulaire du 2 juillet :

« A Liége, la totalité, 1,500 hommes.

« A Ath, les 3/5, 480 hommes.

« A Ypres, les 3/5, 720 hommes

« A Audenaerde, au plus, 100 hommes.

« Total, 2,800 hommes. »

« L’on voit par ce simple aperçu que les réductions dans les garnisons en supposant même que l’armée sur le pied de pais n’excédât point 23,000 hommes, n’auraient ni pour l’Etat ni pour les villes des conséquences aussi fâcheuses que l’a pensé la commission. »

Ainsi, parce que les villes de Gand, de Bruges, de Namur, etc., auraient fait des sacrifices pour traiter de leur casernement, et ce afin de seconder les voies du gouvernement, vous réduirez l’occupation des fournitures de toutes les régences en général, à celles de Liége, Ath, Ypres et Audenaerde, c’est-à-dire en tout au casernement de 2.800 hommes. Et pour tout le reste des garnisons pour lesquelles les régences ont traité, vous occuperez les fournitures de la compagnie. N’est-ce pas là l’aveu le plus formel que votre circulaire du 2 juillet 1834 est un véritable leurre, un véritable piège tendu aux administrations communales, et que même les 3/5 à l’état de paix, vous n’avez pas l’intention de vous y tenir ?

Faut-il s’étonner après cela si les régences de Tournay, de Bruxelles et d’Anvers omit refusé de traiter ? Non, ces régences ont su mieux apprécier votre circulaire à sa juste valeur que les autres régences ne l’ont fait. C’est pourquoi elles ont refusé ou quasi-refusé de traiter ; et ne faut-il pas s’étonner que d’autres régences aient consenti à traiter sous des conditions aussi fallacieuses ? Enfin cela ne prouve-t-il pas combien il eût été plus avantageux de traiter avec les régences, puisque celles-ci savent faire des sacrifices en raison des bénéfices qu’une garnison fait toujours faire dans une ville ?


« 8ème question : La soumission de Félix Legrand et compagnie était-elle plus avantageuse que celle de Destombes. »

Ici, je dois d’abord une première observation : « Les avantages d’une entreprise unique sont aussi palpables que sont évidents les inconvénients d’une entreprise qui se fait partie par l’Etat partie par une compagnie. Cette vérité est démontrée aujourd’hui par des faits irrécusables, et elle a été si bien sentie par le gouvernement français, que s’il n’était lié par des traités, il eût renoncé depuis longtemps à fournir les couchettes pour son compte. »

D’abord je demanderai où sont donc ces faits irrécusables, sur lesquels vous vous appuyez. Et je dirai que prétendre que le gouvernement français eût renoncé, s’il avait pu, à fournir les couchettes pour son compte est une assertion, selon moi, bien vague et qui aurait besoin d’être prouvée.

Je soutiens moi, au contraire, que le gouvernement français doit s’être applaudi d’avoir stipulé qu’il fournirait lui-même les couchettes ; car dès qu’il s’est aperçu, par l’expérience faite sur les premières fournitures, que les lits à fonds métalliques ne valaient rien, il a pu, à raison même de ce qu’il avait stipulé qu’il ferait lui-même la fourniture, il a pu, dis-je, renoncer aux couchettes à fonds métalliques, et se décider pour les couchettes à tréteaux en fer et à fonds en bois.

« Un gouvernement, dit la commission, page 45, est toujours un mauvais entrepreneur, et la régie n’est pas à consulter.

« Or, qu’est-ce autre chose, dit-on ensuite, qu’une régie, que la fourniture des couchettes par l’Etat à ses troupes ? »

Oui, messieurs, la commission a pensé que l’Etat est un mauvais entrepreneur, et que la régie n’est pas à consulter. Mais a-t-elle pour cela résolu la huitième question en faveur du ministre ? Non, sans doute, et parce qu’elle a pensé que l’Etat aurait mieux fait de faire confectionner lui-même, pour son compte, les lits de fer, elle n’a nullement voulu pour cela qu’il les mît en règle.

Elle s’est positivement expliquée page 4. de son rapport, en disant que le conditions des deux cahiers des charges alors à faire, l’un pour la fourniture des literies et le service général, et l’autre pour la fourniture seule des lits de fer, devaient être combinées de telle manière que l’entrepreneur de l’une des entreprises fût responsable envers l’autre en ce qui touche les termes fixés pour les livraisons.

Mais elle a été loin de vouloir qu’on mît en régie les fournitures, elle ne voulait pas non plus même qu’on mît en régie l’entretien des lits en fer, pas plus que le cahier des charges de l’adjudication qui, dans la seconde base qu’il posait, disait que l’adjudicataire de la fourniture serait chargé de l’administration et de l’entretien des lits de fer.

Certes, s’il était démontré qu’il eût été onéreux à l’Etat d’acquérir et de fournir les couchettes en fer, il en résultait que la soumission de Félix Legrand et compagnie était la meilleure ; mais nous avons à satiété prouvé le contraire à la sixième question, nous avons prouvé que l’Etat aurait payé 16 mille fr. de moins par an et fût resté propriétaire des lits après les 20 ans. Ainsi il eût été très avantageux à l’Etat de fournir les couchettes, loin que cette condition eût été onéreuse, et par conséquent l’adjudication revenait à la compagnie dont la soumission était la plus basse sur la seconde base.


« 9ème question. Les conditions de l’adjudication et son prix sont-ils en résultat plus onéreux que profitables au pays ? »

« J’ai démontré plus haut, par la citation de faits irrécusables, ce que c’était que ce paiement des dégradations, et à quoi il se réduisait ; et ainsi, dans la pensée de la commission, la modique somme de 1 fr. 27 c. que le soldat paiera chaque année pour les dégradations (et ceci en supposant toutefois que les paiements continueront à être aussi élevés qu’ils l’ont été dans les premiers mois), la position du soldat sera plus mauvaise qu’auparavant, intolérable enfin ; de pareils arguments n’ont pas besoin d’être réfutés. »

Voilà ce que dit le ministre. Mais encore une fois, dirai-je, moi, vous n’avez rien démontré ; et ce chiffre de 1 fr. 27 c., sur quoi repose-t-il ? Sur les premiers mois d’occupations, sans que vous justifiiez vos chiffres mois par mois ; cependant vous avez osé ajouter entre parenthèses : « Et en supposant que les paiements continueraient à être aussi élevés qu’ils l’ont été dans les premiers mois, » commue si les paiements n’iraient pas toujours en augmentant au contraire.

« La commission trouve encore, ajoute le ministre, que le marché est onéreux parce qu’on n’a pas procédé à l’adjudication comme elle aurait voulu. »

Mais vous avez vous-même, lorsque vous avez assisté à la séance du 20 mars de la commission, vous avez vous-même avoué qu’il aurait fallu procéder comme la commission l’aurait voulu. Est-ce donc pour venir ensuite les nier que vous auriez désiré que les explications fussent plutôt verbales que par écrit, et que vous auriez désiré aussi nous faire des confidences ?

« Nous payons aux régences pour un lit avec couchette en bois, dans lequel couchent deux hommes, 30 fr. 50 centimes de loyer par année, soit 5 centimes par homme et par jour.

« Nous payons à la compagnie Legrand 20 fr. 50 c. par an, soit 5 c. 61/100 par jour pour un lit à une place, avec couchette en fer, garni d excellentes fournitures et dans lequel l’homme couche seul ; donc différence en plus 61/100 de centime.

Mais vous payez les régences, seulement pour l’occupation, et vous ne leur assurez rien dans l’avenir.

Je viens de faire voir tout à l’heure que vous les avez dupées en leur présentant un appât de trois cinquièmes à l’état de paix ; je vous ai pris en flagrant délit.

Ce n’est pas pour l’augmentation de 61/100 de centime en elle-même que nous trouvons que vous avez mal fait ; c’est parce que vous auriez payé moins en prenant un bon modèle de lit, en prenant le lit français, par exemple ; c’est parce que vous avez posé des conditions telles que le soldat est frappé d’une manière vexatoire par le paiement des dégradations, et que par là il est placé dans une condition vraiment onéreuse, intolérable, révoltante même. Cela résulte de votre propre aveu et de votre propre démonstration.

C’est aussi parce qu’en mettant un peu moins de luxe dans les fournitures (car ici le luxe ne vient pas à point ; c’est de la solidité, de la salubrité, de la commodité qu’il faut au soldat, et non du luxe) ; c’est, dis-je, parce qu’en mettant un peu moins de luxe, on aurait obtenu les lits à meilleur compte, et on aurait ainsi évité d’augmenter les sommes à payer pour dégradation.

Et enfin quatrièmement : C’est parce que vous n’avez pas pris le système d’adjudication qui aurait conduit à obtenir le plus bas prix possible des loyers à payer.

« Mais, encore une fois, poursuit M. le ministre, j’ai dit que ce qui m’avait porté à préférer l’entreprise générale à l’entreprise par services partiels, était la faculté de rendre les lits mobilisables ; j’ai dit à satiété qu’avec cette faculté j’avais le moyen de faire occuper constamment tous les lits de l’entreprise donc l’objection tombe d’elle-même, et toute la question se réduit à savoir maintenant si, en accordant à la compagnie Legrand 61/100 de centime par homme et par jour de plus qu’aux régences, pour introduire dans le casernement des améliorations qui assurent à toujours le bien-être et la santé du soldat, j’ai doté le pays d’un système de couchage plus onéreux que profitable. »

Cependant les entrepreneurs eux-mêmes calculent déjà, dans le mémoire qu’ils vous ont distribué, sur un vingtième de non-occupation. Et d’ailleurs, comptez-vous pour rien la non-occupation résultant des campements, des mutations ; du temps qu’il faudra pour faire voyager les lits, si vous les faites voyager ; du temps nécessaire pour les faire réparer ; du temps de guerre, qui comme le disent très bien les entrepreneurs, rendra inactif presque le tout ?

Ne venez donc pas argumenter de ce que vous occuperez constamment les lits ; et par conséquent toute la question ne gît pas dans cette différence de 61/100.

Dans tous les cas, il ne s’agit pas de savoir si vous payez aux entrepreneurs plus ou moins cher qu’aux régences, eu égard aux conditions et à la position respective des uns et des autres ; il s’agit ici de savoir si vous auriez pu obtenir un système de couchage meilleur que celui que vous avez obtenu, et moins onéreux aussi bien pour l’Etat que pour le soldat.

C’est là qu’est toute la question, et nous avons prouvé l’affirmative.


« 10ème question : En tout cas, le ministre avait-il capacité pour lier irrévocablement l’Etat à l’exécution de cette adjudication, sans l’assentiment des chambres ? »

« Ainsi donc, c’est en l’absence d’une loi sur cette matière que la commission prendra l’initiative sur la question de savoir si un marché conclu par un ministre ne peut avoir son effet qu’après la ratification des chambres ; et elle fonde sa proposition sur ce que ce marché engage l’Etat pour 20 ans, et que le ministre ne pouvait disposer que des fonds mis à sa disposition par le budget annuel. »

En l’absence d’une loi sur la matière ! Mais, en l’absence d’une loi sur la matière réglant le mode de comptabilité générale de l’Etat, avez-vous, vous ministre, avez-vous le pouvoir de lier l’Etat pour 20 ans, sans l’assentiment des chambres, sans y être autorisé par une loi spéciale, et cela lorsque les fonds pour la première année de la durée de votre adjudication n’avaient pas été préalablement alloués ?

Ne serait-ce pas là le renversement le plus complet de la constitution ? ne serait-ce pas l’anéantissement le plus complet de la prérogative des chambres de voter les budgets annuels que ce droit que vous prétendez avoir ? Si vous avez ce droit, eh bien, qu’on renvoie les chambres, elles n’ont rien à faire ici ; qu’on les supprime, puisque par ce droit vous pouvez mettre le budget en adjudication pour 20 ans, et les chambres n’auront plus qu’à dire amen, ainsi soit-il.

Vraiment, messieurs, il est singulier qu’on argumente toujours de ce regret que la commission a témoigné de l’absence d’une loi de comptabilité générale ; mais ce regret était d’autant plus naturel que nous voyons le ministre de la guerre, en l’absence de cette loi, se croire un pouvoir que la constitution ne lui accorde pas : nous voulions une loi de comptabilité. parce que c’est le moyen de mettre de l’ordre dans nos finances, et de rendre le contrôle de la cour des comptes un véritable contrôle. Et puis encore une fois, s’il y a absence de loi de comptabilité, il n y a pas absence de loi constitutionnelle, et il n’est pas permis, pas plus à un ministre qu’à tout autre, d’ignorer la constitution.

Si M. le ministre de la guerre avait un peu plus réfléchi sur ce qu’il allait faire, il se serait rappelé que son opinion n’était pas celle de ses honorables collègues de l’intérieur et des finances. M. le ministre de l’intérieur n’a pas cru pouvoir consommer une transaction avec les concessionnaires du canal de Charleroy sans l’assentiment des chambres. Les collègues de M. le ministre de la guerre n’ont pas cru pouvoir faire des emprunts sans l’assentiment des chambres ; ils n’ont pas cru pouvoir faire faire des travaux publics sans l’assentiment des chambres. Récemment encore, le ministre de l’intérieur ne nous a-t-il pas soumis un projet de loi pour ratifier un traité qu’il avait fait pour l’achat de bâtiments et de terrain destinés à l’école vétérinaire.

Si M. le ministre de la guerre avait donc un peu plus réfléchi, il n’aurait pas mis les entrepreneurs (je l’avoue aujourd’hui dupes de leur bonne foi et de leur ignorance de la constitution) dans le cas de perdre des bénéfices sur lesquels ils comptaient. Ceci est un malheur sans doute, mais pour nous la maxime ; Salus populi suprema lex, doit être notre règle invariable ; et ce sera toujours la mienne.

« Mais est-il raisonnable d’établir la supposition que, dans l’espèce de traité dont il s’agit, on eût trouve à traiter pour un an seulement ; et d’ailleurs ce qui se passe dans d’autres circonstances et pour d’autres services, n’engage-t-il l’Etat que pour une année ? »

Certes, messieurs, la commission ne prétend pas qu’il soit possible d’adjuger ce service pour une année seulement ; mais là n’est pas la question : ce que la commission prétend, c’est que les chambres ont droit d’allouer ou de refuser des fonds pour les adjudications.

Ce que la commission prétend, que le vote d’aucune allocation ne peut être forcé, que toutes les allocations doivent être votées chaque année au budget, et que M. le ministre ne veut pas s’exposer à voir repousser ses transactions par les chambres, il doit se faire autoriser préalablement par une loi ; et quand je dis une loi, j’entends le budget aussi bien qu’une loi spéciale.

« Le ministre est responsable des actes de son administration : si les chambres en trouvent de répréhensibles, elles peuvent lui refuser les fonds qu’il demande : là est le droit de la chambre, ou celui de le traduire en accusation pour malversation. »

Oui, messieurs, les chambres peuvent refuser les fonds, comme le dit M. le ministre de la guerre, et c’est par ce refus qu’elles expriment leur non-ratification. Préférerait-il par hasard qu’elles se décidassent pour une autre alternative ?

« Ainsi, messieurs, en laissant à chaque pouvoir son action à exercer dans les limites que lui a tracées la constitution, je persiste (dit M. le ministre) à soutenir que j’avais toute capacité à conclure un marché, et que ce pouvoir est inhérent à celui de ministre, tant que la loi que désire la Commission n’aura pas tracé les bornes de ce pouvoir, si tant est que ce principe soit compatible avec ceux de notre constitution et avec la responsabilité des ministres qui, jusqu’à présent, n’ont pas été astreints à soumettre les marchés qu’ils passent à la ratification des chambres. »

Je le répète, la loi de comptabilité que nous demandons n’a pas pour objet de poser de nouvelles limites au pouvoir du gouvernement. Ce droit, la constitution ne nous l’accorde pas. Nous ne sommes pas pouvoir constituant. Mais nous voulons une loi de comptabilité pour poser des règles générales et afin de ne pas avoir des lois partielles à faire pour chaque objet. De l’absence de loi générale, il ne s’ensuit pas que le ministre ait des pouvoirs plus étendus que ceux qui lui sont attribués par la constitution.


Je passe maintenant au discours à l’aide duquel M. le ministre de la guerre a appuyé son mémoire. Dans ce discours il a commencé par poser quels sont les véritables points de la question selon lui, qui sont à examiner. Je dois d’abord dire qu’en ce qui concerne ces points à examiner, je suis d’accord avec lui. Oui, la moralité, la probité, la bonne foi, les résultats et l’ensemble sont effectivement toutes choses à examiner ici, et c’est aussi ce que la commission a fait. Mais nous avons pensé que l’ensemble devait résulter des détails, et nous avons toujours cru que la question était trop grave pour qu’on pût en négliger aucun.

« J’étais dans l’intime persuasion que cette commission rechercherait d’abord les preuves de tous les faits et de toutes les assertions dont j’appuyai mon opinion dans les divers discours que je prononçai pour soutenir la bonté et la régularité de cette opération ; qu’elle m’appellerait dans son sein pour lui donner tes explications verbales et confidentielles qui résultaient des faits que j’ai avancés, et dont j’aurais désiré pouvoir lui administrer de nouvelles preuves.

« Il n’en a pas été ainsi, et hors un simple entretien d’une heure au plus, qui eut lieu le 20 mars, toutes mes relations avec la commission se sont bornées à la transmission par écrit, des divers renseignements qu’elle m’a demandés et dont elle a cru devoir faire imprimer une partie à la suite de son rapport. »

Des explications verbales et confidentielles, qui résultaient des faits avancés ! J’avoue que je ne comprends pas bien ce que veut dire M. le ministre de la guerre ; car je ne sais quelles pouvaient être ces explications, verbales et confidentielles, qui résultaient des faits avancés. Et je dis, en outre. que si M. le ministre de la guerre désirait, dès le 20 janvier, faire des confidences à la commission, il est étonnant que, lorsqu’il s’est rendu le 20 mars dans le sein de la commission, il ne lui en ait pas fait la demande. Il ne fallait pas sans doute plus d’une heure pour faire cette demande. Pourquoi, dans la volumineuse correspondance qu’il a entretenue avec nous et qui s’est prolongée bien au-delà du 20 mars, le ministre de la guerre n’a-t-il pas demandé a être entendu de nouveau ? Si donc il n’a pas été entendu avant le 20 mars, qu’il s’en prenne à lui, et à lui seul.

« S’il est un axiome indubitable, et je fais ici un appel direct à votre propre conscience, c’est qu’il est dans la nature humaine, à très peu d’exceptions près, d’être disposé à croire le mal plutôt que le bien, et à se laisser aller aux préventions qu’inspire une calomnie activement et habilement exploitée, quand surtout elle puise ses motifs dans le désir de se venger.

« Je ne suis donc pas en droit d’être étonné que MM. les membres de la commission aient pu et même qu’ils aient dû d’abord partager la défiance et les préventions qu’ont fait naître les dépositions du sieur Destombes, qu’elle a reçues plusieurs fois, et que ces sentiments n’aient été partagés par plusieurs d’entre vous, car le sieur Destombes n’a épargné aucune démarche pour me nuire et causer du scandale. Ceci est un fait patent, prouvé, dont il ne s’est nullement caché et qu’il est de mon droit de faire connaître. »

Voilà, messieurs, des allégations, que je ne qualifierai pas : et une commission nommée par les suffrages spontanés de la chambre ne devrait y faire d’autre réponse que le plus profond… Je ne dirai pas le mot ; mais tout le monde devine, et si ce n’est que des tiers sont compromis dans ces allégations, je ne me donnerais pas même la peine d’en faire mention.

D’abord il n’est pas vrai que nous ayons reçu plusieurs fois le sieur Destombes. Nous ne l’avons reçu qu’une seule fois, et moins longtemps que nous n’avons reçu M. le ministre de la guerre ; et puis, l’eussions-nous reçu plusieurs fois, n’étions-nous donc pris libres de diriger nos investigations comme nous voulions ? N’étions-nous dont pas libres de faire à l’égard du sieur Destombes ce que nous avons fait à l’égard des membres de la compagnie Legrand ? Nous avons entendu la compagnie Legrand quatre fois. Une fois quatre membres de cette compagnie ont été reçus par la commission. Ce sont MM. Beaussier, Desfontaines, Verrue-Lafrancq et Legrand. Une autre fois trois membres ont été reçus. Ce sont MM. Desfontaines, Verrue-Lafranc et Legrand. Nous avons entendu ensuite deux fois M. Charles de Brouckere.

La commission a procédé dans l’ordre logique et naturel ; elle a entendu M. Destombes, puis la compagnie, et enfin M. le ministre de la guerre. Ainsi le désavantage serait plutôt du côté de M. Destombes puisque les autres ont été entendus après lui.

« Celle-ci, dans le dernier mémoire qui vous a été distribué la semaine dernière, a fait une justice éclatante de toutes ces assertions et allégations. Je vous prie, messieurs, de lire ce qu’il contient de la page 5 à la page 11, en vous déclarant que je certifie la véracité de tous les faits qu’elle expose avec sincérité, et que je n’ai rien à y ajouter. »

Ainsi, M. le ministre de la guerre vous certifie tout ce que contient le mémoire des entrepreneurs, de la page 5 à la page 11. Eh bien, messieurs, à la page 9, cette compagnie avoue que l’état de guerre laissera beaucoup de lits inoccupés ; et en présence de la vérité de ce fait, vous faites une adjudication pour 20 années, pendant lesquelles vingt années beaucoup de guerres peuvent survenir, et vous faites un marché à prix ferme de loyer, et vous payez pour des lits inoccupés comme pour des lits occupés ! Cela ne suffit-il pas pour que le marche du 16 juin soit déclaré onéreux. En vérité, si je ne tenais à faire voir toute la légèreté qu’on a mise dans cette affaire, je pourrais m’en tenir là pour la solution affirmative de la neuvième question posée par la commission : « les conditions de l’adjudication et son prix sont-ils en résultat plus onéreux que profitables au pays ? »

« Il s’est ensuite produit un incident de si peu d’importance à mes yeux (je vous le dis avec toute la sincérité dont je suis capable), que je l’avais complètement oublié, quand on me dit, au mois de mars dernier, que la commission y attachait, elle, une certaine gravité. »

Ainsi M. le ministre de la guerre n’attache aucune gravité à un fait par lequel un homme qu’il a protégé avant, pendant et après l’adjudication, a cherché à compromettre son honneur, à lui ministre de la guerre, et cela vis-à-vis de la compagnie adjudicataire près de laquelle il a sollicité par écrit une place pour cet homme.

M. le ministre de la guerre résume ensuite dans son discours les divers points qu’il croit avoir victorieusement traités. Au n°3 il dit :

« Qu’il espère que vous reconnaîtrez qu’il a été fonde à conclure que le modèle de ces couchettes a été fait avec soin, qu’il est en rapport avec son prix de revient que je ne voulais point dépasser, qu’il a subi, depuis son adoption, une grande amélioration par le pliage des six pieds ou supports sur lesquels il repose, ce qui lui donne une base plus large et conséquemment plus de solidité, et qu’il est surtout bien préférable aux 5 planches sur tréteaux, qui présentent, ainsi que je l’explique, deux graves inconvénients, qui m’ont décidé à n’en pas faire usage. »

Il espère donc que nous reconnaîtrons que le modèle des couchettes en fer a été fait avec soin, et immédiatement après il dit que ce modèle a subi, depuis son adoption, une grande amélioration, Mais s’il avait été fait avec soin, il ne pouvait pas subir, dès les premiers mois en quelque sorte de la mise en service, une grande amélioration. Je n’ai donc rien à ajoutera la réfutation qu’il fait lui-même de cette allégation, immédiatement après qu’il l’a énoncé.

« 4° Que les effets de literie, tels qu’ils sont exigés par le marché et tels qu’ils ont été fournis avec loyauté par la société, sont de la meilleure qualité, et infiniment supérieurs à ceux qui existent en France, ce dont je me suis assuré dans mon dernier voyage en France ; et je vous le déclare avec toute assurance, nos effets ont coûté à l’entreprise le double et même le triple du prix que l’entreprise a déboursé par la faculté qu’elle a eue de faire servir la laine, le crin et les couvertures de la précédente entreprise qu’elle a achetés à bas prix. »

Oui, les effets de literie sont bons, et nous l’avons reconnu dans le rapport. Mais quant à la différence entre les prix de France et ceux de Belgique, M. le ministre de la guerre me permettra de croire que cela est au moins fort douteux.

Ensuite, comme je l’ai dit tout à l’heure, un peu moins de luxe dans les fournitures n’eût pas fait que le soldat eût été moins bien couché, et cependant cela eût atténué le paiement qu’il avait à faire sur les dégradations.

« 5° Qu’au refus des régences de se charger de ce service, il était préférable de faire une adjudication générale, plutôt que de recourir à des adjudications partielles pour chaque place. »

Mais encore une fois, où est ce refus des régences ? Et ce refus, s’il eût eu lieu, justifiait-il les conditions onéreuses à l’Etat, consenties en faveur des entrepreneurs ? Non, certainement, puisque l’on n’a jamais offert ces conditions aux régences, puisqu’on les leur a même formellement refusées.

« 6° Qu’il ne peut rester aucun doute sur les inconvénients qui seraient résultés de la fourniture des couchettes au compte du gouvernement ; que je n’avais posé cette alternative que pour le cas où les régences se seraient chargées de ce service, et que, tout balancé et considéré administrativement, il est préférable que cette fourniture ait été laissée à la charge de l’entrepreneur, ainsi que vous en acquérez l’intime conviction par la connaissance que vous allez prendre des motifs dont j’appuie mon opinion. »

Il est vraiment étonnant que l’on persiste toujours a soutenir que l’on n’avait posé cette alternative de la livraison du couchage par le gouvernement ou par les entrepreneurs que pour le cas où les régences se seraient rendues adjudicataires, lorsque dans le premier cahier des charges, comme je l’ai fait remarquer dans mon rapport, et comme je l’ai encore fait remarquer hier, l’art. 4 était tel qu’il n’y avait pas moyen pour les régences de concourir, et lorsque dans le deuxième cahier des charges il n’était question que d’une entreprise générale.

Or, si le 15 juin il n’était plus question des régences, et si l’alternative de la base de l’adjudication pour les couchettes étant devenue en quelque sorte illusoire, ne figurait plus au cahier des charges que pour mémoire, si vous avouez même que votre choix pour la première base était fixé d’avance, pourquoi alors les avez-vous remis au lendemain pour choisir entre les deux bases ? Votre choix étant décidé d’avance, il n’y avait plus rien de complexe, et il ne fallait pas, par conséquent 24 heures pour le décider.

« 7° Que les graves inconvénients qui résultaient du mauvais couchage de nos troupes ne permettaient plus de différer d’y apporter un prompt remède, qu’il ne devait plus être question de faire encore de nouveaux essais, qu’il était indispensable que le nouveau service fût monté instantanément, et que l’on peut d’ailleurs être assuré que les 20,600 lits seront toujours occupés en presque totalité. »

Il ne pouvait plus être question de nouveaux essais ! Mais pourquoi alors n’avoir pas fait vos essais auparavant ? et fallait-il nous lancer en aveugles dans une opération que vous-même reconnaissez être très grande ? J’ose ici en appeler à vous-mêmes, et j’en suis certain, vous répondrez pas la négative.

« 9° Que les conditions du marché sont donc bien loin d’être onéreuses à l’Etat, puisqu’il est mathématiquement prouvé que, prélèvement fait de l’intérêt légal de 5 p. c. du capital engagé, la société ne peut faire un bénéfice de plus de 1 1/2 à 2 p. c. au maximum, et qu’elle est en outre exposée à perdre une portion notable de la valeur de son capital engagé. »

Des calculs basés sur des hypothèses hasardées ne prouvent rien, selon moi. Et puis quel a donc été la préoccupation du ministre en s’occupant de rechercher aussi soigneusement les bénéfices de l’entrepreneur ? Que nous fait à nous, que doit faire au gouvernement la question des bénéfices de l’entreprise ? Que les entrepreneurs fassent les plus grands bénéfices possibles ! Quant à moi, je ne demande pas mieux que les entrepreneurs fassent des bénéfices ; ils doivent en faire. Mais qu’au moins les intérêts de l’Etat, et ici aussi du soldat, ne soient pas lésés. C’est là ce que le gouvernement a à examiner avant tout. C’est ce à quoi nous législateurs, envoyés ici pour soutenir les intérêts du peuple, devons nous attacher avant tout. Aux entrepreneurs la question de leurs bénéfices, et à nous gouvernement et représentants de la nation, la question des intérêts de l’Etat et du soldat.

« 11° Enfin, que les conséquences du refus par la chambre d’allouer au budget de la guerre les fonds nécessaires à l’exécution de l’adjudication seraient des plus déplorables pour le crédit national, pour le manquements des engagements pris, et qu’une telle résolution serait contraire aux règles de la justice, entraînerait l’Etat dans des dépenses décuples de la somme de 36,000 fr. qui fait le fond du liège, et le jetterait dans des embarras inextricables qu’il ne peut être dans vos intentions de lui susciter. »

Comptez-vous pour rien la non-occupation ? Comptez-vous pour rien les frais de transport, si vous faites usage d’une faculté dont nous ne croyons pas, nous, que vous fassiez usage ? Comptez-vous pour rien les dégradations pour lesquelles vous avez mis le soldat à la discrétion des entrepreneurs ? Comptez- vous pour rien la diminution que vous avez opérée sur la possibilité de caserner un plus grand nombre d’hommes ! A cet égard je me réfère aux calculs présentés à la page 30 de mon rapport, calculs dont j’attends encore la réfutation. Qu’il me soit permis de vous en lire le résumé.

« Ainsi en résumé :

« Dans l’état de paix, perte de 228,165 francs, par année, pour l’Etat, et vente à vil prix de fournitures pour 11,130 hommes de la part des villes qui ont contracté.

« Dans la situation actuelle, dépense en plus par l’Etat, de 460,000 francs, chaque année.

« A l’état de guerre, perte pour les régences qui ont contracté de 349,487 francs par an, sans compter le déchet qui surviendrait sur les effets, et paiement par l’Etat, sans utilité aucune, de 432,650 fr, par année à la compagnie Legrand.

« A l’état de paix comme à l’état de guerre, perte en sus pour l’Etat ou les régences, par suite de la vente des fournitures pour 5,092 hommes qui se trouvent dans les villes à garnisons temporaires.

« Enfin, dans les trois situations encore en sus : 1° vente à grande perte, de la part des régences d’Anvers et de Termonde de leurs fournitures pour 6,870 hommes ; et 2° vente à vil prix par l’Etat de ses fournitures pour 17,620 hommes. »

Voilà, messieurs, quels seront les effets du marché du 16 juin, si vous veniez jamais à le ratifier.

« Ayant donc aussi résolu toutes les questions posées par la commission, j’ai donné de nouveaux éclaircissements sur l’incident relatif au sieur Marie de Valiennes et sur les démarches qu’il fit, à mon insu, pour obtenir un emploi dans l’entreprise des lits militaires. »

A votre insu, dites-vous, et vous l’avez dit vous-même à la page 30 de votre mémoire vous avez écrit à la compagnie des lits militaires, pour le faire recevoir ; et cela après que le 12 juin, M. Ch. de Brouckere vous avait mis sous les yeux les pièces à l’aide desquelles le sieur Marie de Valiennes avait voulu se faire admettre par les entrepreneurs, en compromettant votre responsabilité.

J’ai ici en main le dossier du sieur Marie de Valiennes. Les deux lettres qui s’y trouvent, à la page 59, ne sont pas même les deux lettres que M. Ch. de Brouckere a mises sous les yeux du ministre de la guerre ; car nous avons mis ce dossier sous les yeux de M. Ch. de Brouckere, et après examen il a déclaré que ce n’étaient pas les deux lettres en question. Quant à celles- ci, jusqu’ici nous n’avons pu les découvrir.

A la page 4 de son mémoire, M. le ministre de la guerre dit :

« Par une coïncidence assez singulière, cette même question vient d’être débattue la chambre des députés de France, à leur séance de vendredi dernier, et pour un cas entièrement analogue à celui qui nous occupe : il s’agissait d’un traité passé pour dix ans par un des ministres, qui avait en outre stipulé que le traité serait résilié de droit, dans le cas où les chambres refuseraient tout ou partie du crédit qui serait annuellement demandé, et que, dans le cas résolutoire, l’Etat devrait payer une indemnité pour les pertes qui seraient éprouvées par suite de la cassation de ce traité.

Je dirai d’abord que les chartes et les principes des deux pays ne sont pas les mêmes ; que, d’ailleurs, je ne pense pas que les votes de la législature française doivent servir de règle aux votes de la législature belges. Mais admettons que la charte française soit, à cet égard, aussi implicite que la constitution belge ; eh bien, dans cette supposition même je n’ai besoin que de citer les propres paroles de M. le ministre pour répondre, car il dit lui-même que M. Thiers avait fait stipuler dans le contrat qu’il avait passé, la clause qu’il serait résilié de plein droit si les chambres refusaient tout ou partie du crédit qui serait annuellement demandé pour faire face aux obligations imposées au gouvernement par ce contrat. Ainsi, vous voyez, messieurs, que le président du conseil des ministres en France rendait lui-même hommage aux principes que nous défendons.

A la page 5, M. le ministre de la guerre dit :

« Qui ne voit en effet la destruction complète de l’autorité administrative dans cette obligation que M. Mauguin voudrait lui imposer de borner tous ses engagements financiers à une année ? »

Mais, messieurs, M. Maughin n’a pas dit, plus que nous ne le disons, que l’Etat doit borner à une année la durée des marchés qu’il conclut ; quand il y a nécessite, utilité de conclure des marchés pour plus d’une année, cela peut se faire, mais il faut que le ministre y soit autorisé par une loi. Il y a plus, quand il y a urgence, le ministre peut le faire sans autorisation préalable des chambres ; mais dans ce cas le contrat ne peut encore acquérir force de loi que par la ratification de la législature.

J’ai recours aussi au Moniteur français, et voici ce que j’y trouve :

« M. Vivien (premier orateur qui a parlé sur la question) dit : Dans la loi que vous avez voté dans votre dernière session, vous avez imposé au gouvernement l’obligation de faire un règlement d’administration publique pour les théâtres ; la même disposition porte qu’à la prochaine session ce règlement sera converti en loi. »

Vous la voyez, messieurs, on invoque l’exempte de la France ; et dans ce pays la législature a prescrit au gouvernement l’obligation, qu’il a acceptée, de faire un règlement d’administration publique pour les théâtres, et de le soumettre à la législature pour être converti en loi ; après cela on prétendrait que nous n’avons pas le droit d’intervenir par notre ratification ; on prétendrait pouvoir se passer de cette ratification, lorsqu’il s’agit d’un marché pour vingt ans, que nous trouvons onéreux, aussi bien pour l’Etat que pour les soldats ! Le gouvernement français lui-même a reconnu pour un objet sans doute bien moins important (un règlement d’administration publique pour les théâtres), la nécessité de le soumettre à la sanction des chambres ; et ici un ministre viendrait soutenir que l’intervention de la législature n’est pas nécessaire pour rendre définitif un traité qui affecte au plus haut degré les intérêts du trésor et de nos soldats !

Je lis plus loin, encore dans le compte rendu du Moniteur français, que M. le rapporteur de la commission s’exprime ainsi :

« Je terminerai par une seule observation : la chambre n’entend sans doute pas lier l’avenir à l’égard de la subvention annuelle. (De toutes parts : Ceci entendu ; c’est de droit.) »

Dans la même discussion, M. le président du conseil dit :

« Tous les traités qui ont été faits dans mon administration, et même les traités antérieurs, ont toujours porté la mention que dans le cas où une seule des chambres législatives refuserait, en tout on en partie, la subvention, le gouvernement serait dégagé envers le contractant ; ainsi, vous votez cette année 1,300,000 francs, et si une autre année vous réduisiez cette subvention seulement à mille francs, cela suffirait pour faire périr le traité. »

Vous voyez, messieurs, que l’opinion de la législature française et celle des ministres français eux-mêmes est loin d’être le contraire à l’opinion qui a été soutenue par votre commission.

M. le ministre de la guerre aborde ensuite la discussion du projet de loi présenté par la commission, et il s’étend d’abord longuement sur le chiffre de fr. 778,603 20 qu’elle propose, tandis qu’il ne demande plus, lui, que 723,000 fr. ; je ne sais, messieurs, si c’est là un de ces petits et innocents moyens d’obtenir plus facilement ce qu’on désire, ou, si c’est pour avoir le plaisir de trouver la commission en défaut ; quoi qu’il en soit,aucun de ces deux buts ne sera rempli ; la chambre ne se laissera pas surprendre par de semblables moyens, et, d’un autre côté, la commission n’est pas en défaut, car elle savait fort bien que la section centrale, qui a examiné le budget de la guerre, avait proposé une réduction, en raison du cantonnement de 3,000 hommes ; mais elle n’avait à s’occuper d’autre chose que des lits militaires, et ce n’était pas à elle qu’il appartenait d’examiner le budget ; elle a donc cru devoir respecter le chiffre proposé par M. le ministre dans son budget et il n’avait, jusque-là, aucunement été modifié par la chambre puisque aucun vote n’a eu lieu.

Est-ce à dire que les membres de la commission voudraient accorder la somme de 778,603 fr. 20 c. ? Non, messieurs, et moi tout le premier, je demanderai peut-être, non seulement la réduction dont parle M. le ministre, mais encore d’autres diminutions, si vous adoptez les articles subséquents de la proposition, et j’appuierai ces demandes de réduction de ce que dit M. le ministre lui-même dans la note, littera K, qui était jointe au rapport de la section centrale sur le budget de la guerre, et dans laquelle je lis :

« L’excédant de dépense de 62 centièmes de centime par lit fait pour l’année 2 fr. 26 c., pour avoir les couchettes en fer à un seul homme, avec sommier, matelas, traversin, double couverture, etc., d’excellente qualité : ce qui fait, pour les 20,000 nouveaux lits, une dépense totale de 45,200 fr. »

Ainsi, en réduisant l’indemnité de 5 centimes 62 centièmes à 5 centimes, il y aura une nouvelle réduction de 45,200 fr. ; il s’agira donc de voter, non pas 723,000 fr., mais tout au plus 676 à 678 mille francs.

Je lis à la page 7 du discours de M. le ministre de la guerre :

« Je vous prie surtout de remarquer (car c’est un point essentiel) que si j’avais traité pour des lits à deux places, j’aurais obtenu de mon adjudication, malgré la fourniture de la couchette en fer, et de tous les effets neufs de première qualité, des prix moindres, non seulement que ceux que nous payons aujourd’hui aux régences (36 fr. 50 c.), mais moindres aussi que ceux que payait à ces mêmes régences l’ancien gouvernement (35 fr. 80 cent.)

Ici, je regrette, messieurs, l’absence de mon honorable collègue de ta commission, qui est l’auteur de la proposition que nous avons adoptée ; il aurait pu mieux que moi défendre cette proposition : quoi qu’il en soit, je vais essayer de répondre aux allégations de M. le ministre.

Je dirai : Etes-vous bien certain que si, au lieu de 19 mille lits à une place, et mille lits à deux places, il y eût eu dix mille lits à deux places et mille lits à une place, vous eussiez encore obtenu à 29,50 au lieu de 36,50 c. ? Ensuite, tout le monde sait que ce n’est pas toujours ce qui est le meilleur qui coûte le plus cher ; le lit français, par exemple, est meilleur que le lit de l’adjudication, et il coûte infiniment moins.

Les conditions de loyer ferme des lits occupés ou non, les conditions d’expertise pont le paiement des dégradations, le tarif des pertes sont-ils les mêmes dans un cas comme dans l’autre ? Non certainement, et si les régences, à part la composition des fournitures, avaient eu la même condition que l’entrepreneur, je n’hésite pas dire que cinq centimes seraient trop ; mais il est loin d’en être ainsi. Les régences ne sont certaines ni de plusieurs années de service ni même d’une seule année, car les engagements que prétend avoir envers elles le ministre de la guerre ont été démontrés par lui-même tout à fait illusoires. Il prouve qu’en temps de paix il n’y aura au plus que 2,800 lits des régences occupés. Cela se trouve à la page 21 de son mémoire.

Il est donc de toute justice que les régences qui ont traité se trouvent indemnisées de l’éventualité de non-occupation par un prix qui serait trop fort en toute autre occurrence.

J’aurais préféré même qu’on leur donnât plus encore, parce que quand les régences se seraient remboursées, comme Gand et Ypres ont fait en grande partie de leur prix d’achat, elles pourraient faire des conditions plus avantageuses à l’Etat, comme l’ont fait encore les villes de Gand et Ypres ; et ainsi l’Etat eût été amplement dédommagé de ce qu’il aurait payé en plus dans les années précédentes.

Je citerai des faits qui sont à ma connaissance :

A Gand, en 1814, la ville venait de payer de fortes contributions en argent et en nature, par suite de l’occupation de l’armée du général Maison ; les finances de la ville étaient en mauvais état. Cependant elle dut pourvoir à l’établissement du casernement suivant les règlements de 1814 ; elle fit un appel aux habitants, elle leur demanda une souscription volontaire de 25 p. c. sur la contribution personnelle et mobilière. En 1825, lorsque le gouvernement reprit lui le service du couchage des troupes, la ville de Gand put rembourser aux habitants les 15 p. c. qu’ils lui avaient prêtée, et demeura propriétaire des lits qu’elle avait achetés.

En 1830, elle avait conservé une partie de ces lits ; mais la garnison étant devenue plus nombreuse, et des pillages ayant eu lieu dans les casernes, elle dut faire de nouvelles acquisitions ; elle prit le même moyen qu’en 1814, elle engagea les habitants à souscrire volontairement d’abord pour 10 p. c., et plus tard en 1831, pour 5 p. c. de la contribution personnelle et mobilière. J’ai moi-même souscrit à cet emprunt volontaire. Et déjà aujourd’hui, la ville est en état de rembourser 10 de ces 15 p. c. qu’elle a empruntés.

Aurait-on voulu que la commission se bornât à diminuer le chiffre total de l’allocation ; la note qui se trouve sous le littera K à la suite du rapport que je viens de citer doit voir faire voir que quand on a un chiffre de 6 à 800 mille fr. dans lequel on peut se promener à son aise en tous sens on trouve moyen de payer 5 centimes 61/100 au lieu de 5 centimes qu on a portés dans les développements du budget, présentés à la chambre après qu’on avait adjugé à 5 centimes 61/100/

Il est vrai qu’en fixant à 5 centimes, le ministre trouvera moyen de maintenir encore en partie le marché ; il pourra peut-être même le faire en améliorant le système, s’il adopte le lit français qui est mille fois meilleur que le sien ; mais au moins ml ne pourra se dispenser de modifier les autres conditions tant dans l’intérêt de l’Etat que dans l’intérêt du soldat.

Il pourra le faire d’autant mieux que par votre vote, nous n’aurons pas ratifié ce marché. Tandis que si nous nous en tenions purement et simplement à voter l’article que le ministre nous propose, quelque soit le chiffre que nous y porterions à cet égard, ce serait de notre part accorder purement et simplement un bill d’indemnité au ministre et ratifier un marché que notre conscience nous dit être onéreux à l’Etat et aux soldats.

Après cela, qu’on vienne dire qu’il n’est pas raisonnable de ne pas accorder plus pour des lits à une place que pour des lits à deux places.

Nous avons dit que si des régences fournissaient des lits à deux places, elles avaient d’autres conditions qui font compensation ; elles ont la fourniture et l’entretien de l’ameublement de casernes ; et si vous dites, dirai-je à M. le ministre de la guerre, que l’arrête de 1814 met cette dépense à leur charge, pourquoi n’avez-vous pas exigé le paiement de cette dépense de toutes le régences, pourquoi payez-vous dans certaines villes le loyer des bâtiments ?

Mais non, l’arrêté de 1814 n’a pas pu imposer cette obligation aux communes, et si cet arrêté a pu le faire pendant un temps, cet arrêté est tombé depuis devant l’art. 110 de la constitution, qui dit qu’aucune charge, aucune imposition communale ne peut être établie que du consentement du conseil communal.

Enfin, quand la révolution a voulu émanciper les communes, elle n’a pas pu maintenir les charges imposées aux villes sous le régime précédent.

C’est, dites-vous encore une fois, les centièmes de centimes qui forment, selon vous, toute la différence ! Je dois donc le répéter de nouveau, vous oubliez que vous payez les lits occupés ou non, et que c’est pendant 20 ans que le pays devra les payer. Vous avez ensuite avoué qu’en cas de guerre rien ou peu seront occupés, et qu’en temps de paix les 3/4 seulement environ le seront, en laissant aux régences tout leur mobilier sur les bras. Encore une fois, suis-je obligé de répéter à mon tour, ne venez donc pas dire qu’il ne s’agit que d’une différence de 36,000 fr. quand il s’agit de centaines de mille fr. Ne laissez pas de côté ensuite la question des dégradations pour lesquelles vous avouez que vous avez mis le soldat à la discrétion des entrepreneurs, tandis qu’il n’en est pas ainsi pour les marchés faits avec les régences.

Page 10 de son discours, le ministre de la guerre dit :

« Car il ne faut pas se le dissimuler, les entrepreneurs d’un service quelconque, quelqu’honnêtes gens qu’ils soient, savent toujours faire tourner à leur avantage les conditions combinatoires des marchés, quand on est obligé d’en insérer qui présentent des chances de bénéfices pour eux. »

Ainsi, M. le ministre en convient : quelque honnête que soit un entrepreneur, il sait toujours faire tourner à son profit les conditions comminatoires des marchés ; et cependant il n’a pas craint d’avouer formellement qu’il avait mis, par le contrat du 29 juin, le soldat à la discrétion des entrepreneurs sous le rapport des dégradations.

« Si le nombre diminuait, dit-il, je pourrais placer les lits dans des places autres que celles indiquées au traité. »

Nouvel aveu que la circulaire du mois de juillet 1834 ne contenait que des promesses trompeuses.

Messieurs, je n’abuserai pas plus longtemps de votre attention.

J’en ai dit assez pour prouver qu’à la législature appartient le droit de ratifier ou de ne pas ratifier le contrat du 29 juin ; j’en ai dit assez pour prouver que ce contrat est onéreux et à l’Etat et aux soldats, et qu’enfin nous ne devons pas balances à le repousser.

Quand j’ai accepté la mission honorable, mais non moins délicate qu’honorable, de rapporteur de la commission, je ne me suis pas dissimulé, messieurs, que j’allais être en butte à des haines, à des inimitiés, qui le sait ! à des vengeances peut-être ; mais je n’en ai pas moins rempli consciencieusement et religieusement mes devoirs. Je me suis dit qu’un loyal représentant ne devait envisager que l’intérêt de la nation, l’intérêt de l’Etat, qu’importe ce qui peut lui en advenir ; et vous me rendrez tous, je l’espère, cette justice que j’au suivi fidèlement cette règle. Ce sera la plus noble récompense de mon zèle et de mon dévouement pour les intérêts du pays.

(Moniteur belge n°160, du 8 juin 1836) M. A. Rodenbach. - Je serai très court, car je n’ai demandé la parole que pour motiver mon vote.

J’ai parcouru les nombreux documents qu’on nous a remis. Je n’y ai rien vu de neuf ; mon opinion est encore la même que celle que j’avais conçue lors des premiers débats sur cette affaire. Je pense, aujourd’hui comme alors, que le ministre de la guerre a eu tort de louer, pour le laps de vingt années, 20,600 lits à raison de 57,413 fr. par année. Il a été prouvé, en effet, lors des premiers débats, que si le ministre de la guerre nous avait demandé un capital de cinq ou six cent mille francs, capital qu’on ne lui aurait pas refusé (puisque annuellement nous lui accordons tous les millions qu’il demande, et au-delà même de ses besoins), il aurait pu avec cette somme procurer un couchage qui n’aurait coûté par année que 40,000 fr.

Le marché est évidemment onéreux. Au bout de 20 ans nous n’aurons pas un seul lit, nous aurons dépensé la même somme, et la compagnie en recevant quinze ou seize mille fr. par an aura un matériel de couchage en très bon état.

Le marché sera de plus très funeste aux soldats. J’ai consulté sur ce point deux ou trois officiers-généraux de l’armée et d’autres officiers ; je pourrais les nommer ici ; ils ne m’ont pas défendu de prononcer leurs noms ; je les ferai connaître au ministre, s’il le désire ; et ils m’ont déclaré que le marché était loin d’être conçu dans l’intérêt du soldat.

Par ce même motif, je ne pourrai ratifier un semblable marché.

J’ai examiné le rapport présenté par la commission tout aussi attentivement que les autres documents. J’y ai vu qu’on nous demandait à peu près la même somme réclamée par le ministre pour le service du couchage : ainsi, les conclusions de la commission, formulées en projet de loi, ne nous présentent pas de grandes économies. Je ne vois pas trop comment on peut sortir de ce malheureux marché. Cependant on ne peut revenir à l’ancien couchage jugé très mauvais et auquel on a attribué les trop nombreuses ophtalmies qui ont frappé nos soldats.

La compagnie Legrand dit ou fait dire qu’elle ne tient pas au malencontreux marché des lits de fer, qu’elle est prête à le résilier. On prétend qu’elle a tenu ce langage jusques dans le sein de la commission. Si c’est la sa véritable intention, si ce langage n’est pas de la forfanterie, n’y aurait-il pas moyen de rompre ce traité ?

Le ministre de la guerre ne pourrait-il pas, par un amendement, après s’être assuré des résolutions de la compagnie Legrand, annuler la transaction ? On pourrait par là éviter un procès duquel ne résulterait que du scandale. Il faut trouver un expédient quelconque pour sortir de cette affaire, car le marché étant évidemment onéreux, les députés ne peuvent en conscience voter les sept cent mille francs demandés, ou plutôt une perte annuelle de 16,000 fr. pendant 20 ans, et au bout de ces 20 ans la perte d’un matériel important.

M. Verdussen. - Je demande la parole pour rectifier une erreur échappée à l’honorable M. Rodenbach.

Cet orateur a comparé le chiffre demandé par la commission au chiffre demandé par M. le ministre de la guerre, il dit qu’en dernière analyse, il n’a pas trouvé d’économie dans l’un ou l’autre projet ; mais pour décider sur la question d’économie, ce n’est pas à ce chiffre qu’il faut s’attacher. La grande différence qui se trouve entre le projet de la commission, et celui du ministre, est dans l’art. 2 présenté par la commission. Que le couchage s’élève à sept cent mille traites, huit cent mille fr, cela ne décide pas la question d’économie ; c’est dans la manière d’appliquer cette somme que se trouve la solution de cette question.

La commission ne donne d’indemnité que pour les lits occupés, tandis que par le marché du ministre l’indemnité est accordée pour tous les lits occupés ou non ; c’est là qu’est la différence et l’économie.

C’est pour cette rectification que je me suis permis de prendre la parole un instant.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je désire donner actuellement quelques explications qui rencontreront parfaitement les objections faites par M. le rapporteur de la commission.

Je vais aborder, messieurs, la question qui a été soulevée par M. le rapporteur sur les bénéfices considérables et illicites que peut faire l’entreprise sur le paiement des dégradations à la charge du soldat.

Je sais qu’un grand nombre d’entre vous, messieurs, pleinement rassurés sur la régularité de l’adjudication, sur la bonté du marché, pénétrés enfin de la conviction que, loin d’être onéreux à l’Etat, il est beaucoup moins coûteux que celui de France et que celui des Pays-Bas de 1815 ; qu’il l’est moins aussi réellement que ceux qui existent avec les régences, quand on compare ce qui a lieu pour les lits à deux places dans l’un et l’autre système, et surtout quand on veut bien tenir compte de la différence énorme dans la qualité des fournitures ; je sais, dis-je, messieurs, qu’une seule objection reste encore alors contre les résultats de ce marché, et cette objection, vous la puisez dans l’intérêt que vous portez à notre brave armée, dans votre désir que les soldats ne viennent pas, sur leur modique solde, augmenter les bénéfice de la société.

Je conçois toute l’importance de la question réduite à ces termes, et je m’estimerais heureux de pouvoir vous faire partager la conviction intime que j’ai, que cet abus ne pourra avoir lieu.

Je vais donc ajouter quelques développements à l’article spécial de mon mémoire qui traite cette question, à laquelle, par les mêmes motifs, je n’attache pas moins d’intérêt que vous pour mettre nos soldats à l’abri de toute exaction.

Permettez-moi d’abord de vous rappeler un passage de cet article.

« Le règlement du 30 juin 1814 ordonne de faire payer aux soldats toute espèce de perte au maximum de la valeur.

« Le marché français fixe bien évidemment le prix des effets perdus à un taux plus élevé que la valeur réelle, malgré que ces prix aient éprouvé une diminution par le marché refondu en 1826, et qui est celui actuellement suivi en Fiance. Mais encore les prix en sont-ils restés trop élevés, ainsi que je l’ai démontré par les calculs que j’établis en janvier dernier, et en cela consiste l’avantage de l’entreprise française, de recevoir, en paiement des effets perdus, plus que le montant de leur valeur réelle.

« Je me suis bien garde de commettre une telle injustice, au détriment du soldat, et j’ai stipulé le remboursement des effets perdus aux 4/5 environ de leur valeur d’achat, au lieu du maximum de cette valeur que fixaient les règlements promulgués en Belgique le 30 juin 1814, et qui ont été suivis jusqu’à la passation du nouveau marché.

« Il est juste que le soldat paie les effets qu’il perd ou qu’il dérobe, pour que l’entreprise puisse immédiatement les remplacer en effets neufs, ainsi qu’elle y est obligée.

« Ainsi, messieurs, en ce qui concerne les pertes, vous reconnaîtrez que le soldat n’a pas à se plaindre, puisqu’il est mis dans une condition plus favorable que celle où il était placé sous l’empire du règlement de juin 1814, règlement qui est encore en vigueur pour les pertes qu’il a à rembourser aux régences, qui sont autorisées à réclamer le maximum de la valeur des effets. » (Pages 33 et 34.)

J’ajouterai maintenant que cette fixation du remboursement des effets perdus, d’après le tarif du prix moyen des effets pour servir au paiement des pertes (car c’est ainsi qu’il est intitulé) ne doit nécessairement être employée, conformément à l’article 38, pour l’évaluation du montant des pertes, que : « lorsque la valeur ne pourrait être estimée autrement, à défaut d’objets de même catégorie qui puissent être pris comme points de comparaison et servir de base à une expertise.

Tels sont les termes du traité. Ainsi on peut toujours avoir recours à l’expertise d’objets de même catégorie, pour estimer la valeur de ceux qui sont perdus, et en cela je ne vois qu’une marche juste, régulière et conforme à ce qui se pratique journellement.

Vous pensez tous comme moi qu’il est juste que le soldat paie les effets qu’il perd ou qu’il dérobe ; mais vous voulez aussi qu’il ne les paie pas au-dessus de leur valeur.

Or, messieurs, quels autres moyens à prendre que ceux qui sont prescrits par le traité ? Il ne faut pas non plus que les effets soient estimés trop bas, car ce serait donner des tentations de les voler pour aller les revendre, ce que j’ai déjà vu arriver plusieurs fois.

Ainsi, sous le rapport du paiement des pertes, vous ne penses disconvenir que le soldat ne sera point lésé dans ses intérêts. Voilà un premier point bien établi. Venons maintenant à l’article des dégradations.

J’ai dit dans mon mémoire : « L’art. 37 du traité porte expressément que l’intendant militaire doit faire procéder, par expertise, à l’estimation du dommage qui sera résulté par les dégradations pour l’entrepreneur.

« Toutefois l’estimation de ces dommages peut être faite à l’amiable entre l’officier du casernement et le préposé de l’entreprise, si le premier ne veut pas recourir à la voie d’expertise.

« Les entrepreneurs m’ont soumis un tarif qu’ils proposaient pour chaque espèce de dégradations ; mais je ne l’ai pas approuvé, par la raison d’abord que je voulais avoir six mois d’expérience de ce service, pour bien apprécier tous les faits et espèces de dégradations, et en second lieu je voulais avoir l’avis d’une commission présidée par un officier général, et composée d’intendants militaires, de chefs de corps, et d’officiers de casernement, qui se prononcera sur la nécessité au non d’avoir un tarif, et en second lieu, sur les bases à adopter pour la fixation juste et équitable des prix.

« Voilà les causes de ces discussions qui ont eu lieu entre l’entreprise et des corps, discussion dont parle la commission spéciale dans son rapport, et dans lesquelles je n’ai pas voulu faire intervenir mon autorité pour pouvoir en tirer les conséquences qui m’éclaireront sur la décision à prendre. »

Pour développer ces premières idées, j’ajouterai, messieurs, que je ne suis pas encore décidé sur la question de savoir si j’adopterai ou non un tarif des dégradations, et si je ne laisserai pas à l’expertise, à défaut d’arrangement à l’amiable, le soin d’en déterminer le montant. J’attends l’avis de la commission d’officiers que j’ai nommée à ce sujet, et je veux savoir si, par un travail consciencieux, elle sera parvenue à concilier avec justice les intérêts du soldat et ceux de l’entreprise.

Je vous ai dit que j’avais voulu avoir quelques mois d’expérience avant de rien décider sur ce litige, et je m’applaudis du parti que j’ai pris.

J’ai vu l’entreprise, très jalouse de la conservation de son mobilier, tâcher de faire adopter, soit par moi, soit par les corps, un tarif qu’elle croit juste et équitable.

D’un autre côté, j’ai vu quelques corps, hors ceux de l’artillerie, trouver ce tarif trop exorbitant. Il fallait donc laisser au temps les moyens et l’occasion d’établir les diverses espèces de dégradations, et nous y sommes arrivés, ainsi qu’à la nécessité de prendre un parti.

En France il n’y a pas de tarif adopté par le ministre, mais lorsqu’un corps arrive dans une place, le préposé du casernement propose un tarif des dégradations à l’officier du casernement : les prix sont débattus et convenus pour servir pendant le séjour du corps : en outre, en France, le corps garde et conserve à son compte tous les effets de literie qu’il a reçus à son arrivée, et ne les remet qu’à son départ, à l’exception des draps de lit qu’on échange tous les vingt jours ou tous les mois, suivant la saison.

Tel est aussi le mode que je compte établir et qui fera tout d’abord disparaître une partie des reproches que j’ai entendu faire, sur ce que l’agent du casernement allait marquer les taches qu’il découvrait sur les effets en service, et qu’il pouvait faite payer plusieurs fois.

A Bruxelles et à Tournay, les corps ont cru devoir rendre au magasin les effets des hommes partant en congé ou allant aux hôpitaux ; et il en est résulté qu’une partie des effets de literie a été successivement rendue au magasin, puis reprise à la rentrée des hommes, et qu’il a dû y avoir constatation des dégradations.

Il faut donc que dans chaque caserne, il y ait un local destine à renfermer les effets de literie des hommes absents, et que l’officier du casernement constate lui-même, au moment du départ du soldat, les dégradations qui peuvent être mises à sa charge.

Ce ne sera donc qu’à l’époque où le corps quittera la garnison, qu’il remettra au magasin la totalité des effets qui lui auront été confiés. Cependant, quand le nombre des lits vacants dépassera le 1/10 de l’effectif, le corps sera autorisé à faire au magasin le versement du surplus, et ce sera alors que l’officier du casernement réglera avec le préposé le montant des dégradations, soit à l’amiable, soit par expertise, soit enfin au moyen d’un tarif, si l’on adopte ce mode.

Voilà, messieurs, le remède aux difficultés que l’on a signalées, et aux abus qui auraient pu en résulter.

Mais est-il possible de croire qu’une société aussi bien composée que celle que nous avons pour le service des lits militaires, ait songé à établir ses bénéfices sur une spéculation aussi immorale et aussi réprouvée ?

Cette société dit dans son mémoire, et la loyauté de sa conduite a prouvé jusqu’à présent la justesse de ses assertions : « Les sommes perçues pour dégradations ne doivent être que la juste indemnité du dégât commis, des frais occasionnés, et non point une source de bénéfices. Telle est la ligne de conduite que doit adopter et invariablement suivre toute compagnie qui se respecte. C’est ce qu’a fait la compagnie Legrand, c’est ce qu’eût prouvé une inspection attentive de ses registres, si on eût daigné les consulter. »

J’ai prouvé et clairement démontré que cette compagnie ne pouvait obtenir pour intérêt de sou capital et pour bénéfice de son entreprise que 6 à 7 p. c. au maximum. Donc, pour qu’elle gagnât 20 à 30 p. c., comme l’assure M. Destombes, il faudrait qu’elle tirât un profit de 13 p. c. sur les dégradations, rien que pour arriver au taux de 20 p. c.

Or, les 13 p. c. de son capital de 3,000,000 fi, est bien de 390,000 fr.

Mais pour avoir un bénéfice de 390,000 fr. sur le montant des dégradations annuelles, il faut bien supposer qu’elle n’aura dépensé pour leur réparation que moitié seulement de leur estimation faite à l’amiable ou à dire d’experts.

Ainsi l’on doit nécessairement en inférer que le montant des dégradations au compte du soldat sera le double du bénéfice qu’on lui accorde, c’est-à-dire que ce montant devra être de 780,000 f. par année.

Cette somme répartie sur 20,000 lits, donne par terme moyen 39 fr. de dégradation annuelle pour chaque lit.

Cependant l’expérience de 7 mois à Bruxelles et de 5 mois à Tournay, ne nous a donné pour terme moyen du payement de dégradations commises et constatées que fr, 1 27 par an et par lit.

Or, cette somme de 1 fr. 27 c, que je regarde déjà comme très forte, en l’absence de toute instruction à cet égard, et qui ne peut que diminuer, par la mesure que je prendrai, est tout justement la 30ème partie de ce qu’il faudrait pour gagner 13 pour cent.

Jugez par là, messieurs, du degré de foi que vous devez accorder à de telles assertions ; et cependant je n’ai établi mon calcul que sur le prétendu bénéfice de 20 pour cent. Que serait-ce si j’allais jusqu’à 30 p. c. !

Soyez donc bien persuadés, messieurs, que je mettrai le complément nécessaire au service que j’ai rendu à nos soldats, en améliorant leur couchage, par les mesures que je prendrai ou que je proposerai à mon successeur de prendre pour empêcher qu’il ne soit commis la moindre exaction envers le soldat pour fait de dégradation à ses effets de literie.

Mais il faut aussi que le soldat sache bien que c’est sur lui que pèse la responsabilité de son désordre, de son incurie, et de sa mauvaise conduite. C’est d’ailleurs un excellent moyen que celui des retenues justement appliquées, pour assurer l’ordre et la discipline dans l’armée qui ne tardera pas à en sentir le bon effet.

Je vais traiter maintenant un autre point de la question qui nous occupe.

Un des principaux griefs qu’on ne cesse de citer contre l’adjudication du marché des lits militaires est que la soumission de M. Destombes, sans couchettes, eût été plus avantageuse à l’Etat que celle de M. Félix Legrand avec couchettes.

J’ai déjà exposé les motifs qui m’avaient fait préférer la première base d’adjudication, et je vais prouver ici, par des calculs, que l’on ne peut contester, que même sous le rapport du montant des fonds a débourser, c’est-à-dire du montant de la dépense réelle, ce montant est absolument le même, et que, dans le système de l’adjudication sans couchettes, les charges et les chances de perte au compte de l’Etat devaient la faire rejeter, en supposant même qu’il fût un peu plus coûteux.

En effet, voyons quelle eût été la dépense à faire, en fournissant les couchettes au compte du gouvernement.

Il aurait été payé au sieur Destombes, pour location annuelle d’un lit sans couchette, 17 fr. 97 c.

Le gouvernement aurait dû fournir ces couchettes à son compte, et en admettant même que j’eusse trouvé à les faire confectionner à 25 fr,, comme on le prétend, et ce qui est douteux, l’intérêt annuel du capital déboursé eût été de 1 fr. 25.

Mais le prix de 25 fr. était à prendre sur place et sans peinture : il faut donc y ajouter les frais et les risques de transport, les frais de montage et de démontage, les frais de trois couches de peinture et de vernis, les frais d’expertise au lieu de fabrication et dans les places. Ces frais se montent à 5 fr. par lit, et l’intérêt annuel de cette somme est de 25 c.

Ne portant en dépense que l’intérêt annuel du capital de 600,000 fr. déboursé par l’Etat pour la fabrication des 20,000 couchettes, il faut nécessairement faire entrer en dépense ce que ce matériel aura perdu de sa valeur à l’expiration des 20 ans, soit qu’alors un autre système de couchage vienne remplacer celui-ci, soit que le gouvernement ait à céder ses couchettes à dire d’experts, soit qu’il ait à les vendre. Malgré la hausse passagère du prix des fers, il est probable que dans 20 ans le prix en sera beaucoup plus bas qu’il ne l’est aujourd’hui. J’estime donc avec toute assurance que la couchette ne pourra plus valoir que la moitié du prix de sa fabrication, soit 12 fr, 50, et comme elle revient à 30 fr., y compris les frais accessoires, la perte finale sera de 17 fr. 50, laquelle, répartie en vingt annuités, fait par an, 87 c.

Total de la dépense réelle : 20 fr. 34 c.

D’après le marché conclu avec le sieur Félix Legrand, l’Etat lui paie 20 fr. 30 c.

Différence en plus, 16 c.

Or, ces 16 centimes d’augmentation par lit représentent une somme de 3,200 fr, pour les 20,000 lits, à payer en plus par an. Mais si l’Etat eût été propriétaire des couchettes, il aurait fallu faire des frais d’administration et de surveillance dans les dix places de garnison, et en ne les estimant qu’à 320 fr. dans chaque place, nous aurions déjà l’emploi des 3,200 fr. d’excédant, ce qui égalise le montant des dépenses dans l’un et l’autre système d’adjudication,

Mais que de nouvelles charges, que de nouvelles chances de pertes incombaient à l’Etat dans le système de la fourniture des couchettes à son compte !

1°Chances de perte totale en cas de guerre ;

2° Chances de sinistres pendant 20 ans ;

3° Difficulté que présentait la fabrication dans les délais voulus au cahier des charges, et, en cas de retard, double procès à soutenir avec le fabricant et l’entrepreneur des literies ;

4° Incertitude des couchettes bien confectionnées avec de bons fers : l’Etat ne pouvant exercer une surveillance aussi active que des entrepreneurs intéressés personnellement à la bonne fabrication ;

5° Procès inévitables avec l’entrepreneur des literies pour l’admission de ces couchettes dans son service, et surtout pour leur entretien.

6° Charge au compte de l’Etat du montant des dégradations provenant des défauts de fabrication ou de la matière, et qu’on lui eût imputé, comme propriétaire de ces couchettes.

Voilà donc, à dépense égale, comme je viens de le prouver, les chances de perte et les charges qui seraient résultées pour l’Etat, en faisait lui-même la fourniture des couchettes,

Peut-on, après ces nouvelles explications, soutenir encore qu’il lui eût été plus avantageux de faire fournir les couchettes à son compte ?

M. Fallon. - Messieurs, je ne prends pas la parole pour intervenir dans la discussion des diverses questions sur le point de savoir si le marché dont il s’agit est ou n’est pas onéreux au pays ; si, avec plus de soin, de circonspection et de prudence, et surtout à l’aide des lumières qu’on aurait pu recueillir d’une proposition faite préalablement à la chambre, on aurait pu obtenir, à moindre prix, des conditions plus avantageuses à l’Etat et surtout au soldat.

Je laisse le soin de la discussion de ces questions à l’honorable rapporteur de la commission, et à d’autres orateurs beaucoup plus habiles que moi pour traiter ces sortes de matières.

Je me bornerai à défendre l’opinion de votre commission sur la question de légalité, contre les attaques qui ont été dirigées contre elle, tant de la part de l’entreprise que de la part du ministre de la guerre.

De la part de l’entreprise, parce que cette opinion alarme ses intérêts, et de la part du ministre, parce que tous les moyens lui paraissent convenables pour chercher à sortir de la position embarrassante dans laquelle il a eu l’imprudence de se placer.

J’aurais conçu qu’en appelant à son secours sa bonne foi ; qu’en nous occupant de la capacité scientifique, à son expérience, plutôt que de la capacité légale ; qu’en s’attachant exclusivement à nous démontrer que votre commission avait mal apprécié la question d’économie et avait mal jugé le marché, il eût pu espérer de faire excuser l’excès de pouvoir, l’inconstitutionnalité dont on l’accuse ; mais s’opiniâtrer à vouloir justifier cette inconstitutionnalité, c’est suivant moi ajouter une faute de plus aux fautes déjà trop nombreuses qu’on lui reproche.

Un point sur lequel il faut bien que nous soyons d’accord, c’est que le droit de voter chaque année toute dépense quelconque de l’Etat appartient aux chambres, et qu’à la chambre seule des représentants appartient l’initiative de ce droit. - Art. 27 et 15 de la constitution.

La conséquence toute naturelle de ce principe, c’est que le pouvoir exécutif, qui comprend le pouvoir d’administrer, ne peut faire aucune dépense quelconque qui n’ait d’abord été votée par les chambres.

C’est là l’une des garanties les plus importantes que la constitution donne au pays.

Aucune dépense ne peut être imposée à l’Etat sans le concours de la représentation nationale.

Quelles que soient les fausses entreprises, les spéculations irréfléchies ou hasardeuses, les prodigalités ou les malversations des agents du pouvoir exécutif, elles ne pourront jamais dépasser les sommes que les chambres auront trouvé bon de mettre à leur disposition.

Ce droit de voter les dépenses doit nécessairement être libre de l’action des agents du pouvoir exécutif, car, sans cette liberté, ce droit ne serait plus qu’un vain mot, et la garantie constitutionnelle qu’une véritable illusion.

Si le droit de voter la dépense, si l’initiative d’un droit appartient à la chambre des représentants, le pouvoir exécutif s’y trouve soumis ; il doit le respecter ; il doit y coordonner sa gestion administrative ; et par conséquent il ne peut faire aucun acte qui, soit directement soit indirectement, enchaînerait la liberté du vote.

Or, que deviendrait la liberté du vote ? que deviendrait le vote lui-même avec le système que professe M. le ministre de la guerre ?

Il reconnaît la liberté du vote, mais il prétend que, comme ministre, il a capacité pour lui faire violence et pour l’entraîner pendait vingt ans.

J’avais, dit-il, capacité pour consentir le marché, et par conséquent l’Etat se trouve lié par mon fait.

Si la chambre ne veut pas voter les fonds nécessaires pour en assurer l’exécution, les tribunaux sont là pour faire respecter le marché.

Si en effet, le marché lie l’Etat, les tribunaux ne pourront pas se dispenser de condamner l’Etat à l’exécuter ; la condamnation serait même d’autant plus certaine que le ministre se garderait bien de contester la demande des entrepreneurs ; et comme ce n’est pas en Belgique que les chambres donneraient le scandale de ne pas respecter un jugement rendu dans le cercle de pouvoir judiciaire, il s’ensuivrait qu’au lieu de voter librement les fonds pour l’exécution du marché, la chambre voterait les fonds pour satisfaire à la condamnation judiciaire, de manière qu’en résultat, le vote de la chambre serait à la discrétion d’un ministre qui le forcerait quand il le trouverait convenir.

Votez, nous dira-t-il, parce que je suis d’avis que l’engagement que j’ai pris est avantageux à l’Etat, et parce qu’il importe peu que vous en jugiez autrement. L’Etat est lié par mon fait et si vous résistez, je saurai bien vous faire exécuter mon engagement, bon gré mal gré, au moyen d’une condamnation judiciaire.

- M. Fallon s’interrompt et réclame le silence.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Nous ne savons pourquoi l’honorable orateur s’interrompt ; mes collègues et moi disions à voix basse, que l’objection que se faisait M. Fallon n’était pas soulevée, que nous croyons que rien dans les écrits du ministre de la guerre ne pouvait y donner lieu, qu’il nous semblait que ce ministre n’avait rien dit de semblable à ce qu’on lui attribuait. Du reste, nous ne voulions en aucune manière, empêcher l’honorable membre de continuer son discours.

M. Fallon. - Il me semble qu’il aurait fallu m’entendre jusqu’au bout avant de se prononcer : j’avais démontré ce que je dis à l’instant, si vous voulez ne pas m’interrompre.

Plusieurs membres. - Continuez ! continuez !

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Nous ne voulons pas vous empêcher de continuer.

M. Fallon continue en ces termes. - Voilà, messieurs, le langage qu’on nous tient.

Ce n’est pas autre chose, en résumé que l’action du pouvoir exécutif substituée à l’action de la chambre des représentants dans le vote des dépenses de l’Etat.

Aujourd’hui, c’est le couchage de la troupe que l’on a adjugé pour 20 ans ; demain, pour obtenir plus d’uniformité dans la manière de la nourrir, ce seront les subsistances que l’on adjugera pour 25 ou 30 ans, et que cela nous plaise ou ne nous plaise pas, il faudra bien y passer, sinon le pouvoir judiciaire sera là pour nous mettre à la raison.

Un tel système est par trop révoltant, par trop destructif des garanties assurées au pays dans le libre vote de la représentation nationale, pour que l’on puisse croire un instant qu’une doctrine anticonstitutionnelle puisse séduire la chambre.

Examinons toutefois cette doctrine.

Nous connaissons parfaitement quels sont les pouvoirs de la chambre en ce qui concerne les dépenses de l’Etat ; nous savons que le libre vote lui appartient ; nous savons que c’est à elle, et à elle seule qu’il appartient de réaliser la dépense.

Voyons maintenant quels sont les pouvoirs d’un ministre. Voyons si, comme on le prétend, ces pouvoirs sont tels qu’en matière de dépenses, ils puissent dominer ceux de la chambre.

Qu’avec M. Perrier on qualifie un ministre de « procureur fondé de l’Etat, » ou qu’on lui donne toute autre qualification, cela est assez indifférent, puisque le mot ne fait rien à la chose.

Je l’appelle, moi, l’agent responsable du pouvoir exécutif, et je défie qu’on puisse lui reconnaître d’autres pouvoirs que ceux dont le pouvoir exécutif se trouve lui-même investi.

Or, dans l’ordre constitutionnel, le pouvoir exécutif peut-il lier l’Etat à des dépenses qui n’auraient point été votées, et votées librement par la chambre ?

Il faut bien qu’en présence des articles 27 et 115 de la constitution, on me réponde que non.

Les termes de l’art. 27 sont on ne peut plus clairs ; l’Etat ne peut être engagé à aucune dépense ; il ne peut être fait aucune recette qu’en vertu d’une loi : la loi du budget ou toute autre loi spéciale.

Le pouvoir exécutif ne peut donc engager l’Etat dans une dépense pas plus qu’il ne peut lui procurer un moyen de recette, sans l’assentiment des chambres, sans le vote également libre pour la dépense comme pour l’impôt.

Mais, dit-on, le ministre est chargé d’un département d’administration ; il faut bien qu’il pourvoie aux différents services dont il est chargé ; il est responsable des actes de son administration et dès lors, il faut bien que, sous cette responsabilité, il puisse engager l’Etat dans des dépenses nécessaires au service de son département.

Si je comprends bien l’objection c’est à cause de la responsabilité qu’il pourrait lier l’Etat à une dépense à laquelle il aurait trouvé bon de s’engager lui-même, par anticipation sur le vote de la chambre, car, sans cela, on concevrait difficilement que l’agent d’un pouvoir puisse faire plus que le pouvoir même dont il tient son mandat.

C’est donc parce que c’est un agent responsable, qu’il pourrait exercer un pouvoir plus étendu.

Cela paraît d’abord incompréhensible, et en effet, il n’est pas facile de concevoir comment il se ferait que la responsabilité attachée à une action constituerait le droit plus ou moins étendu d’exercer l’action, et comment il se ferait que la responsabilité de l’agent lui conférerait un droit que n’a pas le pouvoir au nom duquel il agit.

Il faut donc s’expliquer plus clairement, et tout s’explique lorsque l’on veut examiner en quoi consiste la responsabilité ministérielle et à quels actes elle s’applique.

Le pouvoir exécutif est chargé de faire exécuter les lois et d’administrer conformément aux lois.

C’est au Roi qu’appartient ce pouvoir ; mais comme il est de l’essence de la monarchie constitutionnelle que le Roi soit inviolable, il a bien fallu chercher ailleurs des garanties contre les excès et les abus du pouvoir exécutif, et ces garanties on les a placées dans la responsabilité des agents immédiats de ce pouvoir.

Ainsi, si le ministre fait ou ordonne ce que la loi ne permet pas, ou s’il ne fait pas ce que la loi ordonne, il est responsable de l’action comme de l’omission.

Mais est-ce à dire pour cela, est-ce à dire que parce qu’il est responsable de son fait, son fait lie l’Etat dans le cas où il a fait ce que n’autorisait pas la loi ?

Non, sans doute, ce serait là une absurdité. Ce qui est introduit dans la constitution comme garantie en faveur de l’Etat, tournerait précisément contre lui, car c’est l’Etat qui deviendrait à son tour responsable de l’excès de pouvoir du ministre. Deux actions seraient ouvertes à la partie lésée, l’une contre le ministre personnellement, et, en cas d’insolvabilité de celui-ci, ce qui peut arriver assez fréquemment, une autre adieu serait ouverte contre l’Etat directement.

Avant qu’une loi spéciale, ou le budget, n’ait autorisé l’ouverture d’une communication et la dépense, le ministre trouvera bon de faire mettre à l’avance la main à l’œuvre, il aura fait abattre un édifice.

Comme il a agi comme ministre, et sous sa responsabilité, il importera peu que la chambre ratifie ou ne ratifie pas son fait ; l’Etat sera lié et, sans le recours de l’Etat contre le ministre, c’est l’Etat qui devra payer les dommages et intérêts que réclamera le propriétaire de l’édifice.

Comme ministre, il aura ordonné une arrestation arbitraire qui aura ruiné celui qui en aura été la victime, c’est encore comme ministre et sous sa responsabilité qu’il aura agi, l’Etat se trouvera lié, et c’est encore l’Etat qui devra payer les dommages et intérêts sauf son recours contre le ministre.

Il faut bien que l’on admette forcément ces conséquences si l’on prétend que, dans la circonstance actuelle, le ministre de la guerre ayant agi sous sa responsabilité, quoiqu’à ce non autorisé ni par une loi ni par le budget, c’est sur l’Etat que retomberaient les dommages et intérêts que pourraient réclamer l’entreprise à défaut par la chambre d’autoriser la dépense.

Ce n’est pas ainsi, messieurs, que l’on peut se jouer de la responsabilité ministérielle an préjudice de l’Etat et en dérision des droits que la constitution attribue exclusivement aux chambres.

La responsabilité ministérielle n’est pas introduite pour légaliser le fait du ministre, mais pour lui en imposer toutes les conséquences si le fait est illégal ou abusif.

Cette responsabilité attachée au fait n’en change ni la nature ni le caractère ; elle ne fait pas qu’un abus de pouvoir ne soit pas un abus de pouvoir ; qu’un fait illégal ne soit pas un fait illégal.

Or, prétendre qu’en vertu de la responsabilité ministérielle, l’Etat se trouve lié à tout ce que fait un ministre en dehors du cercle du pouvoir exécutif, ou par anticipation sur des chambres ; prétendre surtout qu’en cas semblable, le pouvoir judiciaire ne pourrait se dispenser de considérer l’Etat comme responsable du fait du ministre et lui en imputer les conséquences, c’est précisément prétendre qu’un abus n’est pas un abus, qu’un fait illégal est un fait légal. C’est constituer l’Etat responsable de toutes les illégalités du pouvoir exécutif ; c’est dépouiller les finances de l’Etat de toutes les garanties dont la constitution a pris soin de les entourer, c’est permettre que les agents du pouvoir exécutif ruinent le trésor.

Les tribunaux, dites-vous, condamneraient l’Etat !

Mais, pensez-vous qu’il suffise de se présenter en justice avec un acte, un contrat, un marché pour obtenir condamnation à la charge de celui au nom duquel tel acte, tel contrat, tel marché a été passé ?

Avant de condamner les tribunaux n’examinent seulement pas si une obligation a été contractée, mais si elle a été légalement contractée, et si elle a été contractée par personne capable.

Si l’obligation a été contractée par un mandataire, ils examinent le mandat, et si l’obligation a été contractée en dehors des limites du mandat, ils ne condamnent pas le mandant.

Si l’obligation a été contractée par un tuteur en dehors des pouvoirs que lui confèrent les lois sur la tutelle, ils ne condamnent pas le mineur.

Il n’en serait pas autrement, messieurs, dans le cas où il s’agirait d’un contrat passé par un ministre.

Les tribunaux ne feraient pas moins application de la constitution et des lois de l’Etat, que dans le cas que je viens de prendre pour exemple, ils ne feraient application des lois du mandat et de la tutelle.

Le contrat, le marché impose une dépense à l’Etat, et aux termes de l’art. 27 de la constitution, l’Etat ne peut être valablement obligé à une dépense qu’en vertu du budget ou d’une loi spéciale.

Les tribunaux examineront donc si le ministre était autorisé à contracter la dépense, soit en vertu d’une loi, soit en vertu du budget ; en d’autres termes, s’il avait pouvoir, s’il avait capacité pour obliger l’Etat à l’exécution du marché.

N’en doutez pas, messieurs, ils saisiront aisément une distinction importante que l’on prend soin ici de ne pas aborder.

La question pour les tribunaux ne sera pas de savoir s’il y a obligation ; si le marché est ou n’est pas onéreux ; si le ministre a agi ou n’a pas agi de bonne foi ; ce ne sera pas là du tout leur affaire.

La dépense à laquelle le marché doit donner lieu à la charge de l’Etat, a-t-elle été votée par les chambres ? Existe-t-il une loi, un budget qui l’autorise, voilà tout ce que les tribunaux ont à considérer.

Si la dépense est autorisée par la loi ou par le budget, il importe peu que le marché soit ou ne soit pas onéreux à l’Etat. L’application des dépenses votées par la législature appartient au pouvoir exécutif ; le marché peut être une fort mauvaise application de la dépense votée, mais le ministre a agi dans le cercle de ses pouvoirs, il a obligé l’Etat ; les tribunaux ordonnent l’exécution du marché sauf le recours de l’Etat envers le ministre s’il a fait une mauvaise application de la dépense. Voilà le cas de la responsabilité ministérielle en ce qui regarde l’administration des finances de l’Etat. Le seul remède de l’Etat pour le garantir du préjudice causé, c’est cette responsabilité.

Mais, si la dépense n’est autorisée ni par la loi ni par le budget, quel que soit l’avantage ou le désavantage du marché, ce dont les tribunaux n’ont nullement à s’occuper, ils ne manqueront pas de remplir les devoirs que la constitution leur impose comme à tous les citoyens ; ils verront dans le ministre une absence de pouvoir, une incapacité radicale pour imposer à l’Etat une dépense non votée par la législature, et ils ne balanceront pas à repousser l’action.

La responsabilité ministérielle n’a que faire dans ce cas, elle est donnée à l’Etat, non pour le préserver de l’illégalité du fait du ministre, mais uniquement pour le couvrir du préjudice causé dans le cas où le fait peut l’atteindre, et ici le fait ne pouvant légalement l’atteindre, le bénéfice de la responsabilité est sans application.

Cette distinction essentielle entre l’effet d’un marché passé par le ministre pour l’emploi d’une dépense votée, et l’effet d’un marché par lequel il anticipe sur une dépense à voter, par les chambres, explique parfaitement la différence qui existe dans l’application de la responsabilité ministérielle dans un cas et dans l’autre ; elle réfute suffisamment cette assertion hasardée que, dans le cas actuel, les tribunaux pourraient, au refus de la chambre de sanctionner le marché, condamner l’Etat soit à l’exécuter, soit à des dommages et intérêts au profit des entrepreneurs.

Si cette distinction dans le but, l’effet et l’application de la responsabilité ministérielle, pouvait être méconnue des tribunaux, ce serait sans doute une calamité fâcheuse, puisqu’elle tendrait à substituer la violence à la liberté du vote réservé exclusivement à la législature. Mais la loi n’en serait pas désarmée pour cela ; les moyens ne manqueraient pas à la chambre pour faire respecter ses pouvoirs et rendre inefficace toute usurpation directe ou indirecte sur ses attributions constitutionnelles, soit de la part du pouvoir exécutif, soit même de la part du pouvoir judiciaire.

Ces diverses considérations justifient suffisamment, je pense, l’opinion de votre commission sur les conséquences du refus par la chambre d’approuver le marché dont il s’agit ; elles servent en même temps de réfutation aux objections qui lui sont opposées. Cependant, pour ne rien négliger, j’aborderai celles qui ne se trouveraient pas assez directement rencontrées.

Je répondrai d’abord à l’entreprise.

« Chaque ministre, dit-elle, est chargé d’assurer le service de son département, et il est ainsi l’ordonnateur des fonds publics. »

L’assertion est vraie ; mais s’en suit-il pour cela qu’il puisse arbitrairement et souverainement juger de ce qui convient à ce service, et puiser à son gré dans le trésor de l’Etat ? On sait bien qu’il ne peut assurer le service de son département sans argent, mais ce n’est pas à dire pour cela que le trésor est à sa disposition. La constitution ne le laisse pas en défaut, le moyen légal d’en obtenir est ouvert ; il en demande à la législature, la législature lui en assigne sur le trésor, et alors il en dispose sous sa responsabilité comme il le juge convenir.

Cette marche n’est pas nouvelle ; ouvrez la constitution de l’an VIII qui, à coup sûr, n’était pas plus restrictive des pouvoirs d’un ministre que la constitution beige, et vous verrez si l’ordonnateur pouvait disposer des fonds de l’Etat autrement que par une loi, et au-delà des ronds qu’elle avait déterminés pour chaque genre de dépense.

« Les services du département de la guerre se résolvent en marchés, dit-on, et ces marchés une fois acceptés et consentis forment la loi des parties. »

Oui, si le marché est revêtu des formalités prescrites par la loi, et si le ministre qui a contracté le marché avait reçu de la loi le pouvoir d’en imposer la dépense à l’Etat ; sinon, non. L’objection n’est donc ici qu’une pétition de principe.

« En refusant d’exécuter ce que l’entreprise appelle la loi des parties, il y a confusion de pouvoirs ; les chambres administrent, elles posent les clauses d’un marché, elles les modifient, elles les cassent ; on renverse de fond en comble toutes les notions de la théorie du gouvernement représentatif. »

En fait, comme en droit, ce reproche n’a pas le plus léger fondement.

La chambre ne s’occupe pas des conditions d’un marché lorsque ce marché ne donne ouverture qu’à une dépense autorisée par la loi ou le budget, La chambre ne modifie ni ne casse de marchés ; lorsque l’agent du pouvoir exécutif qui les a contractés ne tenait, ni de la loi, ni du budget le pouvoir de l’imposer à l’Etat, elle n’en tient pas compte, et en cela elle use de son droit. Car c’est bien à elle qu’il appartient de voter la dépense. Si, comme l’entend l’entreprise, la théorie du gouvernement représentatif consiste à laisser à un ministre la faculté de pouvoir engager à son gré et sans limites les finances de l’Etat, dès lors qu’il s’agit du service de son département, nous ne voulons pas, nous, d’une semblable théorie.

« Le ministre, dit-elle, est le procureur fondé de l’Etat ; par lui l’Etat est engagé ; sa responsabilité seule est compromise s’il dépassé ses pouvoirs, s’il a irrégulièrement ou illégalement engagé l’Etat. »

Comprenez-vous, messieurs : un ministre pourrait engager illégalement l’Etat ?

Mais ce sont là des mots qu’on s’étonne de rencontrer ensemble. Si l’Etat a été illégalement engagé, il n’est sans doute pas engagé, car ce qui n’est pas légal ne peut produire d’effet légal.

L’objection va donc évidemment trop loin. Le procureur fondé de l’Etat, ainsi qu’on l’appelle, engage l’Etat lorsqu’il dispose, par un marché ou tout autrement d’une dépense mise à sa disposition par la loi ; s’il abuse de ce pouvoir de disposer, s’il fait un mauvais emploi de la dépense, il compromet sa responsabilité. C’est là, dans ce cas, la garantie réservée à l’Etat ; dans le cas, au contraire, où il contracte pour une dépense que la loi n’a pas mise encore à sa disposition, l’Etat n’a pas besoin de sa responsabilité pour garantie, par la raison, comme je l’ai déjà dit, que, dans ce cas, l’Etat n’est pas valablement lié par son fait.

« On confond, dit-on, le vote qui doit être annuel, avec des annuités qui peuvent se répéter pendant une longue suite d’années. »

Ce sont là des choses qu’en effet il ne faut pas confondre et que votre commission n’a pas confondue.

Comme on le dit fort bien, le vote annuel a souvent pour objet l’exécution de stipulations de contrats ou de mesures consenties pour plusieurs années, et c’est ce qui s’applique notamment aux emprunts, aux marchés pour vivres et fourrages, aux baux à termes plus ou moins longs, à l’entretien des routes et canaux, etc.

Sans doute, c’est ce qui a lieu tous les jours, et nous savons fort bien que si la chambre vote la somme demandée par le ministre pour la première annuité du marché dont il s’agit, elle ne pourra se dispenser de voter la même annuité pendant 20 ans.

Pourquoi cela ? Parce qu’une fois que la législature a sanctionné par son vote le traité consenti pat le ministre, il a légalisé le traité et a lié l’Etat à son exécution pleine et entière.

Lorsque le vote annuel a pour objet l’exécution d’une stipulation, d’un marché ou d’une mesure consentie pour plusieurs années, c’est qu’originairement la stipulation, le marché ou la mesure avait été autorisée par la législature ou avait été ratifiée par la législature, dans le cas où le ministre avait pris sur lui ou bien de traiter en subordonnant l’exécution à une allocation à consentir par les chambres, ce qu’ont soin de faire très prudemment d’autres ministres que le ministre de la guerre, ou bien de traiter de confiance sur des objets peu importants et de nature à ne pas rencontrer d’obstacle dans le vote du budget.

On sait fort bien que le couchage de la troupe fait partie du département de la guerre, que c’est au ministre à y pourvoir de la manière la plus convenable, et que, par la nature des matières dont ce service exige l’emploi, un marché pour un certain nombre d’années est nécessaire.

Que le ministre de la guerre soit plus en état que tout autre de juger de quelle manière et pour quel terme ce service devait être monté, je suis loin de lui contester son expérience en cette matière.

Mais qu’est-ce que cela prouve ?

Cela prouve que nous avons un excellent ministre de la guerre, un homme qui mérite la confiance de la chambre dans les projets qu’il lui soumet, et dans les allocations qu’il demande pour son service ; cela prouve également qu’un marché pour les lits militaires était opportun, et qu’il était convenable que ce marché fût fait pour un terme plus ou moins long.

Mais cela ne prouve pas que ce ministre, quelque expérimenté qu’il soit, avait capacité légale pour décider seul, et sans le concours des chambres, des innovations et améliorations coûteuses qu’il convenait d’apporter dans le service du casernement ; de régler seul les dépenses qui seraient à supporter par l’Etat, pour obtenir ces améliorations ; de fixer à lui seul le terme pendant lequel l’Etat serait lié par une entreprise ; d’exclure à lui seul de l’adjudication le mode simple de soumission qui eût permis d’apprécier mathématiquement l’avantage d’une soumission sur l’autre, pour y substituer un mode de soumission complexe qui livrait cette appréciation à son arbitraire ; de soustraire enfin au vote constitutionnel de la chambre, qui seule en avait l’initiative, une dépense dont il s’agissait de grever l’Etat pour 20 ans.

Tout ce que cela prouve encore, et ce n’est pas la première fois que nous avons lieu de nous en apercevoir, c’est que, quelque expérimenté que soit le ministre de la guerre dans l’administration de son département, ce n’est pas moins un ministre très imprudent et très peu soucieux du régime de nos institutions constitutionnelles, des droits, des prérogatives et de l’initiative de la chambre en matière de dépense.

Il y avait urgence, dit-on, la chose était pressante ; le ministre n’a fait que se soumettre à la nécessité ; et venir le désavouer lorsque les choses ne sont plus entières, lorsque son projet a reçu son exécution, c’est porter atteinte au crédit et à la dignité du gouvernement.

D’abord, il est fort inexact de dire qu’il y avait urgence, et surtout qu’il y avait urgence telle que le ministre n’eût pas pu soumettre à la chambre l’appréciation de son projet avant la mise en adjudication.

Au 15 juin, époque de l’adjudication, le ministre de la guerre savait fort bien que les chambres seraient réunies au 4 août ; et seraient réunies pour examiner des projets d’une moindre importance ; il n’y avait donc que six semaines à attendre, et que faisaient six semaines de plus avant de lier le pays pour 20 ans, alors que le premier projet conçu en 1832 avait déjà été ajourné pendant trois ans ?

Si d’ailleurs il y avait urgence, et si, comme on l’a dit, les casernes de Bruxelles étaient tellement infectées de punaises que le soldat devait se coucher sur le plancher, cette infection ne s’était pas fait apercevoir inopinément ; ce grave inconvénient existait à coup sûr plus d’un mois avant l’adjudication du 15 juin ; et du 15 mai au 15 juin il n’y a qu’un mois ; et au 15 mai les chambres étaient encore assemblées. Ainsi donc l’urgence, si urgence il y avait, n’empêchait nullement de respecter le droit constitutionnel d’initiative qui appartenait à la chambre, et de lui soumettre le projet avant de procéder à l’adjudication, et surtout avant de le mettre à exécution.

Les faits en disent ici beaucoup plus que les raisonnements ; il semble résulter de leur rapprochement que c’est de propos délibéré que l’on a voulu adjuger le nouveau service avant de consulter la chambre, avant de demander son vote pour la dépense.

Est-ce parce qu’on aurait espéré que l’adjudication étant faite et exécutée, ou obtiendrait une composition plus facile de la chambre, en présence des conséquences du refus de son vote, et qu’on éviterait ainsi toute investigation de sa part, sur l’avantage ou le désavantage de la mesure ? cela serait très blâmable, et il n’y aurait pas à balancer de faire justice d’une semblable combinaison.

Est-ce plutôt parce qu’on se serait flatté que le projet était tellement parfait dans ses avantages, que la chambre n’eût pu y apporter aucune amélioration ? Ce serait là une présomption, et, dans tous les cas, une imprudence tout aussi blâmable, et qui n’appellent pas moins toute la sévérité de la chambre, si le marché n’en est pas moins onéreux au pays.

Les fastes parlementaires de la Belgique, dit-on, ne nous offrent aucun antécédent d’un désaveu de la part des chambres en cas semblable, et l’entreprise, ainsi que M. le ministre lui-même, nous appellent à la tribune française.

Avant de me rendre à cet appel, je ferai d’abord observer qu’il n’est pas du tout exact de dire que les fastes parlementaires de la Belgique sont muets sur cette question constitutionnelle. Que l’on en parcoure les antécédents, et si l’on remarque dans le ministère de la guerre une tendance plus d’une fois renouvelée, mais sans succès, à soustraire au vote préalable des chambres, on remarquera, d’un autre côté, d’autres ministres plus prudents et plus consciencieux observateurs de nos institutions, qui ont toujours eu la précaution de n’ouvrir aucune dépense, ni annale, ni surtout annuelle, sans avoir soumis leurs propositions dans le budget, ou sans avoir eu la précaution de subordonner l’exécution d’un traité à l’allocation à consentir par les chambres.

Je dirai, en second lieu, qu’il est fort mal à propos de nous renvoyer à la tribune française pour résoudre une question du régime constitutionnel de notre pays. Il faudrait commencer par nous démontrer qu’il y a similitude dans les dispositions des deux chartes en ce qui regarde les dépenses de l’Etat, et surtout quant au droit d’initiative en cette matière.

Voyons, du reste, s’il est bien vrai que l’opinion de votre commission ne puisse rester debout en présence des exemples que l’on nous cite ; voyons s’il est bien vrai qu’il a été décidé à la tribune française qu’un marché passé par un ministre sans le vote préalable de la législature, lie l’Etat à son exécution, dans le cas même où le marché ne serait pas ratifié par les chambres ; voyons s’il est bien vrai qu’il a été jugé que, dans ce cas, il ne reste d’autre remède à l’Etat pour se soustraire au préjudice résultant du marché qu’un recours sur le ministre, qu’il soit solvable ou qu’il ne le soit pas.

En 1828, M. Perrier disait que « le vote des chambres se trouve indirectement engagé, lorsque les dépenses sont faites d’avance par la seule volonté de l’ordonnateur. »

Je n’ai pas besoin de faire observer que ce n’est pas là une autorité, mais bien l’opinion isolée d’un orateur, et nous savons par expérience que ce serait souvent fort mal raisonner que d’en conclure qu’une semblable opinion, jetée dans les débats parlementaires, a été celle de la majorité.

Je me bornerai à faire remarquer qu’on ne rapporte rien qui prouve que la chambre française aurait sanctionné le principe de cette opinion, et qu’au surplus tout ce que l’on peut induire de l’opinion de M. Perrier, dans les termes qu’il l’a exprimée, c’est que lui-même reconnaissait que, sans le vote de la chambre, l’Etat ne se trouvait pas lié par la dépense faite à l’avance ; suivant lui, ce n’est pas l’Etat qui se trouve lié en pareil cas, c’est le vote de la chambre qui se trouve indirectement engagé, c’est la liberté du vote qui se trouve compromise.

Les considérations de crédit public et d’intérêt des tiers, sur lesquelles M. Perrier appuyait son opinion, n’avaient pas pour objet de faire décider par la chambre que l’Etat se trouvait lié par le fait du ministre avant le vote de la chambre elle-même, mais bien comme étant de nature à engager ce vote ; de manière que son système se borne à établir qu’en cas semblable, c’est à la chambre qu’il appartient de décider si, d’après les circonstances, il y a lieu de ratifier le fait du ministre, et c’est là un point de doctrine qui, bien loin de contrarier l’opinion de votre commission, vient tout au contraire l’appuyer.

En 1809, M. Pelletier d’Aulnay disait :

« Il ne suffit pas de tenir compte des paiements faits, des ordonnances délivrées ; il faut tenir compte des dépenses commandées, car c’est là l’acte qui constitue le créancier de l’Etat. »

Je partage entièrement, quant à moi, cette opinion ; mais je ne vois pas ce qu’elle vient faire à la question actuelle.

Lorsqu’un crédit a été ouvert au budget, le ministre a pouvoir et capacité pour ordonnancer la dépense, de manière que s’il en fait une mauvaise application, il ne crée pas moins un créancier à l’Etat, et c’est précisément là le cas ou il ne reste à l’Etat d’autre remède pour se soustraire au préjudice causé que la responsabilité ministérielle.

La célèbre affaire de la salle à manger de M. le comte de Peyronnet n’offrait à décider qu’une difficulté de même nature.

Il ne s’agissait nullement là d’un marché passé avant le vote de la chambre, ni d’une dépense ouverte ou faite à l’avance ; il s’agissait d’un abus d’application d’un crédit ouvert, et c’est toujours là un autre ordre de choses.

M. le comte de Peyronnet avait appliqué à la construction de sa salle à manger une somme de 179,000 fr. ; il fut constate que c’était là un véritable abus d’application du crédit ouvert pour les dépenses de cette nature ; il fut reconnu que l’Etat ne s’en trouvait pas moins tenu envers les fournisseurs, et l’on a bien jugé.

Le pouvoir de disposer se trouvait dans le crédit voté par la chambre ; l’abus dans la disposition du crédit n’empêchait pas que la disposition ne fût légale quoique abusive, et dès lors l’Etat se trouvait lié envers les fournisseurs. C’était donc encore là le cas où l’Etat est placé daim la situation à ne pouvoir user du bénéfice du désaveu, mais seulement du bénéfice de la responsabilité ministérielle.

Vient maintenant l’affaire toute récente relative au traité de subside conclu par M. Thiers en faveur de l’un des théâtres de la capitale, affaire que l’on nous présente comme entièrement analogue à celle qui nous occupe.

Pour apprécier cette prétendue analogie, tant en fait qu’en droit, ce n’est pas dans le cadre étroit où M. le ministre nous présente les circonstances de cette affaire et sous l’une de ses faces seulement, qu’il convient de l’examiner, mais bien dans le journal qui rapporte la discussion.

On y verra que rien, absolument rien, n’a été décidé, ni même préjugé par la chambre française sur le point de savoir si le marché passé par un ministre avant le vote de la chambre et sans sa ratification, oblige efficacement l’Etat à son exécution.

M. Mauguin a soutenu la négative ; M. Thiers a soutenu l’affirmative, et la chambre a passé outre ; non pas parce que, sur le point de droit, M. Thiers avait plutôt raison que M. Mauguin, mais parce que dès lors qu’il résultait des circonstances que le traité dont il s’agissait n’avait rien de préjudiciable à l’Etat. Il importait peu de s’arrêter au point de savoir si, à défaut de la ratification de la chambre, l’Etat se fût trouvé lié efficacement par ce traité.

Que l’on nous cite cette affaire pour démontrer que si, dans le cas actuel, un ministre de la guerre combat l’opinion de votre commission, il se sert des mêmes armes que celles employées là-bas par M. Thiers contre l’opinion de M. Mauguin, à la bonne heure, cela est vrai ; mais le fait qui n’est pas vrai, c’est que là- bas la chambre se serait prononcée sur la question de principe constitutionnel.

De ces débats pour ainsi dire simultanés à la tribune française et à la chambre belge, que peut-il résulter ?

La conséquence est facile à saisir ; c’est que si la chambre belge juge que le marché des lits militaires ne pouvait pas être conclu d’une manière plus utile, et que c’est erronément que votre commission l’a trouvé onéreux au pays, la chambre fera ici ce qui a été fait à la chambre française ; elle ne s’arrêtera pas à la question de savoir si, à son refus de sanctionner le marché, l’Etat ne s’en trouverait pas moins obligé à l’exécuter ; elle se bornera tout simplement à le ratifier en accordant l’allocation qui est demandée.

Pour ce cas éventuel, l’exemple cité trouve son application. Mais, dans le cas contraire, c’est-à-dire, si la chambre juge que le marché est onéreux au pays, ce n’est pas plus en présence de la doctrine de M. Thiers que de celle de M. le ministre de la guerre, que la chambre hésiterait à le repousser.

Là bas, comme ici, c’était un ministre qui cherchait à défendre son ouvrage, à couvrir son imprudence, pour ne pas dire son excès de pouvoir, et, sans doute, en pareille circonstance, le langage d’un ministre n’est pas de nature à faire autorité.

Admirez du reste avec quel art M. Thiers s’attachait à tourner la difficulté et à éviter de l’aborder de front.

Il faut bien, disait-il, se prêter à la nature des choses ; et quand il y a des engagements autres que des engagements annuels à contracter, il faut bien que le ministre ait le pouvoir de les prendre.

Personne sans doute, et pas plus M. Mauguin que tout autre, ne pensait à lui contester ces vérités.

Il est effectivement des services d’administration qui, par leur nature, exigent des traités pour plusieurs années ; et s’il n’était pas possible que ces traités se fassent autrement qu’en les abandonnant à l’initiative du ministre et à son libre arbitre, je dirais, avec M. Thiers, qu’il faut bien que le ministre ait le pouvoir de les faire, et que c’est pour cela qu’il est ministre.

Mais lorsque, par la nature du service, le service exige qu’il soit pourvu par un traité pour plusieurs années, y a-t-il quelque chose qui empêche que le ministre en fasse la proposition, soit par une loi spéciale, soit dans le développement du budget ? y a-t-il quelque motif un peu raisonnable de soustraire aux chambres l’appréciation de la mesure avant de la mettre à exécution d’autorité ?

M. Thiers tiendrait-il encore le même langage en présence de l’art. 27 de notre constitution qui réserve exclusivement à la chambre des représentant, et non au pouvoir exécutif, l’initiative dans les dépenses de l’Etat ? Il ne contesterait pas sans doute que c’est bien prendre l’initiative de la dépense, que c’est bien violer et violer ouvertement la dispositions de cet article, que d’ouvrir cette dépense par un traite, sans égard au vote préalable de la dépense.

Lorsqu’il s’agit d’une entreprise pour plusieurs années, traitez pour plusieurs années, dit M. Thiers : c’est administrer, et la chambre n’est pas appelée à administrer.

C’est là un fort mauvais jeu de mots ; sans doute la chambre n’administre pas ; et enfin, lorsqu’un traité est à faire, n’est-ce pas elle qui fait le traité ? La chambre n’administre pas parce que c’est elle qui tient la bourse et qui seule a droit de l’ouvrir à l’agent chargé d’administrer.

Sans doute, il faut de l’argent pour exécuter un traité de plusieurs années, comme pour pourvoir à une dépense à faire pour une année seulement. Pourquoi donc, dans un cas plutôt que dans l’autre, le ministre serait-il dispensé de demander à la chambre l’ouverture du crédit qu’il juge nécessaire à l’exécution d’un marché que réclame le service de son administration pour plusieurs années ? Il ne s’agit pas là, par la chambre, ni de faire le traité, ni d’administrer ; il s’agit simplement d’autoriser la dépense nécessaire à un acte d’administration et autoriser la dépense, ce n’est pas administrer.

M. Thiers continue en ces termes :

« Si toutes les choses pouvaient se faire et se défaire annuellement, la chambre pourrait administrer elle-même ; mais cela est impossible. Pourquoi ? C’est qu’il faut une volonté, une autorité supérieure, qui ait la faculté de conclure des engagements à ses risques et sous sa propre responsabilité, et cette faculté est l’attribut essentiel de l’autorité administrative ; cela est incontestable. Reste à savoir s’il y a bonne ou mauvaise administration. C’est là que commence le contrôle des chambres. »

Je ne retranche rien à ce passage de la doctrine de M. Thiers ; c’est bien à lui qu’appartiennent ces divagations qui, rapprochées du texte de notre constitution, renferment autant d’hérésies que de mots.

« La chambre pourrait administrer, dit-il, si les choses pouvaient se faire et se défaire annuellement. »

Faut-il s’arrêter à cette première assertion qui, à elle seule, prouve déjà avec combien de légèreté M. Thiers se joue tout à la fois du raisonnement et des principes ?

Suivant lui, si les services des divers départements d’administration n’exigeaient que des dépenses annales, la chambre pourrait administrer, c’est-à-dire qu’elle réglerait et autoriserait les dépenses par le budget et qu’elle en ferait également l’application.

Si c’est ainsi que M. Thiers comprend le droit d’administrer, il n’est pas étonnant que, lorsqu’il s’agit de dépenses annuelles, c’est-à-dire dont l’application doit se faire ou se renouveler sur plusieurs exercices, ii attribue au pouvoir exécutif le droit d’administrer, c’est-à dire celui d’ouvrir et d’appliquer la dépense.

Dans le premier cas, lorsqu’il ne s’agit que d’une dépense annale, il veut bien que la chambre puisse la voter librement. Il va même jusqu’à consentir à ce qu’elle en fasse elle-même l’application ; et dans le second cas, lorsqu’il s’agit d’une dépense à répartir sur plusieurs exercices, le vote de la chambre ne peut plus être libre, il doit être forcé, il ne doit plus être donné que pour la forme.

M. Thiers transporte donc, dans ce dernier cas, le droit de voter la dépense dans le pouvoir exécutif ; car on ne conçoit pas de droit sans la faculté de l’exercer librement ; et si, dans ce cas, la chambre n’a plus à voter que forcément et pour la forme, il faut bien que l’on reconnaisse que ce n’est plus dans la chambre qu’existe réellement le droit d’imposer la dépense à l’Etat, mais dans le pouvoir exécutif, dès lors que, par son fait, il peut exercer sur la chambre une semblable contrainte.

Pourquoi doit-il en être ainsi, dit M. Thiers ?

Ecoutez la réponse à ce pourquoi... Non, elle serait vraiment plaisante, s’il était permis de rire avec choses aussi sérieuses.

C’est que, pour administrer, il faut une volonté, une autorité supérieure qui ait la faculté de conclure des engagements.

Mais on ne conclut pas d’engagements sans imposer une dépense à l’Etat ; et, sans doute, c’est, avant de conclure l’engagement, et non après qu’il est conclu, qu’il importe d’examiner s’il convient aux intérêts de l’Etat de le conclure, et comment il convient de le conclure à son plus grand avantage.

Il faut donc une première volonté, une première autorité supérieure qui ait la faculté de juger s’il convient de prendre un engagement, et il faut ensuite une seconde volonté, une seconde autorité supérieure qui ait la faculté de conclure l’engagement.

S’il s’agit de mettre en adjudication un service d’administration pour plusieurs années, la première volonté délibérera et décidera s’il convient de prendre l’engagement, s’il convient de passer le marché, et la seconde volonté mettra la première volonté à exécution ; elle réglera et conclura l’engagement ou le marché.

M Thiers pense lui que l’une et l’autre de ces volontés, que si l’une et l’autre de ces capacités ne peuvent se rencontrer que dans l’autorité administrative, et c’est là qu’il les place toutes deux.

Cela n’est sans doute pas très obligeant pour les capacités de la chambre française à laquelle il n’attribue ainsi aucune volonté, mais cela est très commode pour se rendre indépendant de son action, pour se donner les coudées franches, et pour arriver à cette conclusion tout aussi logique que ce n’est qu’alors « qu’il reste à savoir s’il y a bonne ou mauvaise administration c’est là que commence le contrôle des chambres. »

J’ignore, messieurs, jusqu’à quel point la charte permet l’essai de semblables doctrines à la tribune française. Ici, un semblable essai est une véritable révolte contre nos principes constitutionnels.

Chez nous les dépenses de l’Etat se trouvent tout autrement garanties. Le congrès savait fort bien que l’action des chambres, après la dépense faite, serait le plus souvent un moyen de contrôle tout à fait illusoire. Sur ce point, ce qui se passe en France servait parfaitement de leçon. Il a donc pensé, et il a pensé très sagement, qu’il valait mieux prévenir le mal que de se réserver le droit d’y apporter remède alors que le fait serait consommé.

De là le double contrôle ou plutôt la double action des chambres sur les dépenses de l’Etat :

Son vote avant la dépense, conformément à l’art. 27 de la constitution, et son contrôle après la dépense, conformément à l’art. 115.

Ici cette volonté, dont parle M. Thiers, cette autorité supérieure, cette faculté d’apprécier l’avantage ou le désavantage d’un engagement ou d’un marché avant de grever l’Etat, n’ont pas été confondues avec la volonté et la capacité d’en régler les conditions et de le conclure, pour en faire du tout l’attribut de l’autorité administrative.

L’article 27 de la constitution a rendu plus de justice à la chambre belge ; elle a pensé que l’on pouvait bien rencontrer autant de volontés, de capacités dans le personnel de la chambre des représentants que dans le personnel des agents du pouvoir exécutif ; elle a fait en conséquence la part à l’un et à l’autre.

Cet article 27 a attribué exclusivement l’initiative de la dépense à la chambre des représentants, et il a attribué l’application de la dépense à l’autorité administrative.

En vertu de ce droit d’initiative, la volonté, c’est l’autorité, c’est la faculté de la chambre qui apprécie et juge d’abord s’il convient de grever l’Etat d’un acte, d’un engagement ou d’un marché devant donner ouverture à une dépense quelconque, qu’elle soit annale ou annuelle ; et c’est ensuite la volonté, l’autorité et la faculté de l’autorité administrative qui fait tout ce qu’il convient dans l’application de la dépense, qui rédige et conclut les actes, contrats ou marchés.

Voilà la première action, voilà le premier contrôle de la chambre avant que l’Etat soit grevé de la dépense.

Sur le point de savoir s’il y a eu bonne ou mauvaise administration dans l’application de la dépense, c’est après coup, à l’occasion de la loi des comptes, que s’exerce la seconde action que M. Thiers appelle le premier contrôle.

Je crois bien que si M. Thiers savait que la constitution belge a adopté une semblable combinaison, a investi la chambre des représentants d’une semblable initiative sur les dépenses de l’Etat, il trouverait que cette constitution est détestable pour un ministre ; je ne doute pas même que s’il venait ici en personne défendre la cause de notre ministre de la guerre, il ne ferait pas moins d’efforts pour tâcher de nous persuader que nous comprenons fort mal nos institutions et pour nous engager à faire ici, à l’égard du ministre de la guerre, ce qu’il demandait que l’on fasse à son égard à la tribune française.

Il défendrait naturellement cette cause comme il a défendu la sienne, c’est-à-dire, avec tout autant d’impartialité, de désintéressement et de bonne foi.

Cependant, tout en s’appuyant des paroles de cet habile homme d’Etat, M. le ministre de la guerre a bien pensé qu’à raison de la position dans laquelle se trouvait celui qui les a proférées, elles ne seraient pas écoutées ici sans défiance ; il a bien prévu que toutes ses digressions à la tribune française, alors qu’il défendait sa propre cause, feraient peu d’impression sur cette assemblée, et qu’enfin invoquer l’autorité de M. Thiers en semblables circonstances, c’était invoquer une autorité récusable de tous chefs ; aussi, a-t-il pria soin de nous avertir qu’il croyait devoir faire suivre les paroles de M. Thiers d’autres réflexions qu’il nous invite à apprécies subsidiairement.

Voyons et jugeons ces réflexions.

Je pense, quant à moi, que bien loin de préparer à l’opinion de M. Thiers un meilleur accueil, elles vont précisément servir à repousser cette opinion avec beaucoup plus de raison encore.

M. Mauguin, dit M. le ministre, s’abuse sur la nature du gouvernement représentatif ; ses principes sont subversifs de semblable gouvernement ; ils tendent à substituer l’action des chambres à tout pouvoir exercé dans le cercle de la constitution. Ils transportent le gouvernement dans les deux chambres ; ils annulent l’administration.

Ce sont là bien des généralités ; ce sont là bien des mots avant de nous dire en quoi M. Mauguin se trompe d’une manière aussi grossière, aussi étrange, aussi étonnante.

Or, voici la conclusion, et il n’y a pas du tout à s’épouvanter C’est que M. Mauguin voudrait imposer à l’administration l’obligation de borner ses engagements financiers à une année.

Mais si M. Mauguin se fût exprimé d’une manière aussi absolue, il eût dit une sottise, et cette sottise il ne l’a pas dite.

Sans doute, si l’autorisé administrative était contrainte à devoir borner ses engagements financiers à une année ; si elle ne pouvait conclure aucun engagement, aucun marché, qui ne pût être remis en question chaque année et à chaque session, elle ne trouverait certainement personne pour traiter avec elle ; son action serait paralysée, et, comme le dit fort bien M. le ministre, vaudrait mieux alors charger les chambres d’administrer elles-mêmes.

Maia ce n’est pas là du tout ce que veut M. Mauguin, et pareille exagération ne lui est pas plus imputable qu’à votre commission qui, comme vous savez, avait formé sa conviction sur la question qui nous occupe longtemps avant la discussion qui a eu lieu à la tribune française.

Nous voulons l’exécution franche de la constitution, tant en ce qui regarde les dépenses de l’Etat qu’en toute autre chose. Nous voulons avec elle que l’autorité administrative puisse offrir au public toute garantie dans les actes, contrats, engagements et marchés qu’elle conclut ; nous voulons qu’elle puisse conclure ces engagements pour plusieurs années comme pour un seul exercice ; nous ne voulons pas qu’on puisse chaque année et à chaque session remettre en question un marché conclu pour un terme plus ou moins long ; nous voulons que ce soit cette autorité qui passe les traités avec les fournisseurs de la guerre, avec les entrepreneurs de routes, canaux, chemins de fer, etc., etc. ; ce sont bien là des actes d’administration, et nous ne voulons pas du tout que les chambres s’en chargent.

Mais nous voulons en même temps conserver au trésor les garanties dont la constitution le couvre, et comme ces garantie. sont placées dans l’initiative que la constitution attribue à la chambre des représentants sur les dépenses de l’Etat, quelle qu’en soit la nature, nous ne voulons pas que ce droit d’initiative, que ce vote préalable soit usurpé par un autre pouvoir ; nous voulons, en un mot, que les prérogatives de la chambre soient respectées, et qu’il n’y soit porté atteinte ni directement ni indirectement.

Le service de cette branche de votre administration n’exige-t-il qu’une dépense une fois faite, vous la proposez au budget, la chambre l’accorde, et vous êtes libre alors, dans l’application de cette dépense, de conclure tel engagement, de faire tel marché que vous trouvez convenir. Tel autre service était-il de nature à exiger, en règle de bonne administration, une dépense à faire pendant plusieurs années, vous demandez à la chambre de vous ouvrir ou crédit pour y pourvoir ; la chambre examine s’il est utile, s’il est avantageux à l’Etat d’assurer le service de la manière et pour le temps que vous proposez ; elle vote la dépense, et vous êtes libre encore de prendre et conclure les engagements que vous jugez les plus convenables à l’application de la dépense.

Dans l’un et l’autre de ces cas, la chambre a exercé son initiative, l’Etat est lié, les tiers trouvent toute garantie dans les engagements que vous contractez ; et si la mesure votée par la chambre a donné ouverture à une dépense pour un terme plus ou moins long, les engagements que vous avez contractés ne peuvent plus être remis en question chaque année et à chaque session.

Qu’y a-t-il donc là qui vous gêne et qui puisse le moins du monde contrarier la marche de l’administration ? Par quel renversement d’idée voulez-vous que, tandis qu’il n’est question que d’une dépense annuelle, que d’une dépense à faire un fois, vous ne pouvez pas valablement vous engager avant le vote de la dépense, vous pourriez valablement vous obliger, alors qu’il s’agit d’une dépense qui doit se renouveler pendant plusieurs années, de manière que le plus vous serait permis, alors que le moins vous est interdit ; de manière que pour lier l’Etat à une dépense pendant 20 ans, vous n’auriez besoin ni de la chambre, ni de budget, et que pour lier pour un an, vous devriez cependant avoir recours à la chambre ou au budget.

La responsabilité ministérielle explique, dites-vous, cette bizarrerie ; mais la manière dont vous comprenez cette responsabilité n’est pas moins bizarre.

Comme vous l’entendez, elle serait plus fatale à l’Etat qu’elle ne lui serait profitable ; elle légaliserait l’abus et l’usurpation de pouvoir de la part d’un ministre, alors qu’elle n’a été introduite que pour en garantir l’Etat et les citoyens.

Comme je l’ai déjà dit, l’Etat y trouve sa garantie contre la mauvaise application que vous pouvez avoir faite d’une dépense autorisée par le vote de la chambre ; mais l’Etat n’a que faire de votre responsabilité alors qu’à défaut du vote de la chambre, vous n’aviez ni le pouvoir ni la capacité de lui imposer la dépense.

Laissons là ces arguments tirés de la responsabilité ministérielle, dont la portée serait qu’un ministre pourrait se placer au-dessus des chambres, ruiner le trésor et tout faire ; laissons là ces exagérations au moyen desquelles on voudrait nous faire croire que c’est renverser le gouvernement représentatif et paralyser l’action de l’autorité administrative, que de la soumettre rigoureusement, pour les dépenses à termes, comme pour tout autre engagement, au vote préalable de la chambre, à l’initiative qui lui est réservée par l’art. 27 de la constitution.

Que chacun reste dans le cercle de ses pouvoirs, et nous ne verrons plus ces divisions toujours déplorables entre les chambres et l’administration.

Je crois avoir suffisamment réfuté l’opinion étrange et étrangère que M. le ministre de la guerre a appelée au secours de sa défense, et en même temps la plupart de ses arguments ; Il en reste quelques-uns moins importants, et auxquels il convient que je réponde également.

M. le ministre a cru remarquer une contradiction de principe entre l’opinion que votre commission a émise sur la capacité, et l’observation par laquelle elle termine son rapport sur l’urgence d’une loi qui réglerait la comptabilité générale de l’Etat, qui tracerait les limites dans lesquelles seraient tenues les adjudications publiques faites par le gouvernement, et que prescrirait les garanties nécessaires pour que les intérêts de l’État ne puissent jamais être lésés.

« Cette loi, dit-il, que vous appelez de vos vœux, n’existe pas, et cependant c’est dans son absence que la commission prend l’initiative sur la question de savoir si le marché que j’ai conclu ne pourra avoir son effet que par la ratification des chambres. »

Il n’y a pas là, messieurs, contradiction de principe, il y a tout au contraire conséquence directe dans son application.

Pour décider la question de savoir si le ministre de la guerre avait capacité pour lier l’Etat par son marché, et l’obliger valablement à en faire la dépense, il n’y a pas besoin de loi, la constitution suffit.

En présence de l’art. 27 de la constitution qui attribue l’initiative de la dépense à la chambre et non au ministre ; en présence de cet article, qui ne veut pas qu’une dépense soit imposée à l’Etat, ni par un ministre ni par tout autre, sans le vote préalable de la chambre, il n’y a qu’un point de fait à constater.

La mesure que M. le ministre a prise, avait-elle été autorisée par la chambre ? en avait-elle voté la dépense ?

Voilà toute la question, et pour la résoudre, une loi n’est pas nécessaire.

Ce n’est donc pas pour le cas où il s’agit d’un marché fait, alors que la dépense n’a pas été votée par la chambre, que la commission a appelé votre attention sur une loi qui déterminerait la manière de procéder aux adjudications publiques et les garanties à y stipuler pour que les intérêts de l’Etat ne soient pas lésés, mais bien précisément pour le cas où la dépense étant votée par la chambre, c’est à l’autorité administrative qu’est réservé le soin de prendre et conclure des engagements, ou de procéder à des adjudications pour l’application de la dépense, pour l’exécution de la mesure autorisée par la chambre.

Comme je l’ai déjà fait observer, outre l’initiative qui appartient à la chambre pour voter la dépense, elle a en outre le droit de contrôle sur l’application qui en est faite par le ministre, et comme c’est précisément dans cette application de la dépense qu’il lie valablement l’Etat, et qu’il peut par conséquent le léser par des mesures mal combinées ou imprudentes, il importe qu’alors qu’il doit recourir à la voie de marchés ou d’adjudications, il soit tenu de la conformer aux règles de précautions que la législature trouverait convenables.

Le moindre avantage d’une loi semblable serait d’aller au-devant des discussions que peuvent soulever tous les jours des marchés ou adjudications. Non quant à la légalité de la dépense, alors qu’elle avait été votée par la chambre ; non quant à leur efficacité envers les tiers, alors que l’engagement contracté était autorisé par la chambre ; mais bien quant à la forme des adjudications, leurs conditions et leurs termes.

Voilà dans quel sens votre commission a pensé que cette loi était désirable. Cette explication répond en même temps aux reproches irréfléchis que la compagnie Legrand lui a aussi adressés de son côté, en se récriant que nous voulions la traiter rétroactivement, et la rendre victime, non d’une loi faite, mais d’une loi à faire.

La commission, dit M. le ministre, reconnaît l’utilité et même la nécessité du marché dont il s’agit, et par conséquent il y a encore contradiction de sa part à en contester l’efficacité.

La contradiction n’est pas encore mieux établie ici, car il n’est pas du tout exact de dire que la commission a reconnu l’utilité et la nécessité du marché tel que M. le ministre de la guerre l’a conclu.

Elle a reconnu qu’il était utile et nécessaire d’améliorer le service du couchage de la troupe ; qu’il était utile et nécessaire de coucher le soldat isolément et sur une couchette en fer ; mais elle a dénié formellement au ministre le droit de prendre à lui, sans le vote de la chambre, l’initiative dans le choix de la mesure qui pouvait être la plus convenable à ce service et surtout aux intérêts du trésor et du soldat.

De ce qu’il était utile et nécessaire de pourvoir à une amélioration dans le couchage de la troupe, c’était une raison pour proposer à la chambre la mesure que le ministre trouvait la plus propre à atteindre ce but, en demandant le crédit nécessaire pour la mettre à exécution ; mais ce n’était pas un motif pour y procéder d’autorité et se placer, ainsi qu’il l’a fait, au-dessus de la loi constitutionnelle.

C’est la nature du marché, dites-vous, qui doit en déterminer la durée, et par conséquent ce n’est pas à cause de sa durée qu’il doit être soumis à la ratification des chambres.

Non, sans doute, si la dépense, dont le marché règle l’application à plusieurs exercices, a été votée, et si la durée du marché n’en dépasse pas les limites. Ce n’est pas seulement à cause que la durée du marché ne serait pas en relation avec la nature même du marché que vous opérez illégalement, et que vous commettez un excès de pouvoir ; c’est à cause que vous usurpez le droit de conclure le marché lui-même avant que la dépense en soit votée, avant que vous y ayez été autorisé par la législature.

Vous engagez l’Etat pour plus d’une année, dites-vous, lorsque vous passez des baux pour 3, 6 ou 9 ans ; et vous en concluez que l’engager pour plus d’une année, c’est la même chose que de l’engager pour 5, 10, 15 ou 20 ans.

Ce raisonnement, qui paraît si simple, si naturel, doit exciter au plus haut point votre attention, messieurs, parce qu’à lui seul il renferme la mesure de ce qui pourra advenir si vous légalisez l’antécédent que nous discutons.

Admettez cet antécédent dans le sens que lui donne le ministre, et vous rayez de la constitution l’art. 27 ; et vous répudiez votre droit d’initiative sur les dépenses de l’Etat ; et vous mettez les finances de l’Etat à la discrétion des ministres.

Admettez cet antécédent, et pour peu que les autres ministres trouvent bon d’en agir comme le ministre de la guerre, ils mettront en adjudication les divers services de leurs départements pour le même terme que le service du casernement, et d’ici à vingt ans vous n’aurez plus de budget à faire, car sans doute vous n’accepteriez pas ce rôle absurde de ne vous réunir ici chaque année que pour la forme, que pour venir enregistrer les dépenses telles que les ministres auraient trouvé bon de les faire sans votre participation ?

Et, en effet, messieurs, s’il est vrai que ce n’est pas dans la durée du marché que se trouve la question de savoir si le marché lie l’Etat ou, en d’autres termes, si le ministre avait capacité pour le contracter, n’est-il pas vrai que vous n’auriez pas un mot à dire s’il lui passait par la tête de mettre en adjudication demain, pour 20 ou 40 ans, la subsistance de la troupe, les fourrages et tout autre service, sous prétexte, car les prétextes ne manquent jamais, sous prétexte que les fournitures sont meilleures alors qu’on assure à l’entrepreneur le bénéfice pour un plus grand nombre d’années ?

Mais, fort heureusement pour le maintien des garanties du trésor et la conservation des droits et prérogatives des chambres, M. le ministre se trompe dans son raisonnement, et là, comme dans tous les autres arguments, c’est toujours la même confusion d’idées qui égare son jugement.

Sans doute, il peut tout aussi bien traiter efficacement et engager l’Etat pour un terme de 5, 10, 15 ou 20 ans, que pour 3, 6 ou 9 ans ; mais dans quels cas ? Dans les cas où il s’agit d’une dépense votée par la chambre ou de l’exécution d’une mesure soumise à son initiative et autorisée par elle ; dans tous autres cas il n’a pas la capacité de lier l’Etat, pas même pour une année.

Il adjuge des travaux de fortifications qui ne peuvent être effectués qu’en plusieurs années, dit-il ; il fait bien, et il lie l’Etat pour toutes ces années si ces travaux ont été autorisés par la chambre, si la dépense pour les faire a été votée, ne lui eût-on même alloué qu’une partie de la dépense dans le budget où l’utilité et la nécessité de ces travaux a été reconnue. Mais s’il adjuge des travaux de fortifications avant que l’exécution de ces travaux ait été votée, il agit sans pouvoir et ne lie pas l’Etat.

Il existe encore, dit-il, partie de ces travaux adjugés pour 6 et 9 ans qui remontent à des traites conclus sous le gouvernement précédent, et chaque année on ne fait pas difficulté de lui allouer les fonds nécessaires à l’exécution de ces traités.

Mais qu’est-ce que cela prouve ? L’Etat se trouvant lié par des traités valablement faits sous le gouvernement précédent, il est dans le cercle de la légalité en les exécutant, et la chambre de sou côté ne fait que satisfaire à la dette de l’Etat, valablement contractée, en allouant les fonds nécessaires à cette exécution.

Il peut citer d’autres exemples, ajoute-t-il, et il trouverait beaucoup de cas analogues au département de l’intérieur, pour l’exécution des travaux des ponts et chaussées, et qui n’ont jamais soulevé semblable discussion.

L’exemple est mal choisi, je pense, car je crois avoir remarqué que le ministre qui dirige ce département a toujours eu la prudence de se garder de prendre aucun engagement pour objet un peu important, sans subordonner son engagement à une allocation à consentir par les chambres. Ce cas s’est encore présenté il y a peu de jours.

Quant à ce qui regarde les adjudications pour travaux des ponts et chaussées, il ne s’agit jamais que de l’application d’une dépense votée soit par une loi spéciale, soit dans le budget.

Le marché français pour location de 300,000 lits a été passé pour 20 ans, et il ne vint à aucun membre des chambres la pensée d’attaquer la validité de ce marché.

J’ignore les circonstances dans lesquelles ce marché a été passé, et je veux bien croire à son exactitude.

Mais si la validité de ce marché n’a pas été attaquée, est-ce parce que les chambres avaient voté la mesure ou la dépense, ou bien est-ce parce qu’il a été reconnu par les chambres qu’il avait été rendu d’une manière avantageuse à l’Etat ?

Dans le premier cas l’exemple prouverai contre le système du ministre ; dans le second cas, l’exemple ne prouverait rien, car ici aussi ce n’est pas la question de légalité et de capacité qui arrêterait la chambre belge s’il était démontré que le marché dont il s’agit, bien loin d’être onéreux au pays, lui est avantageux.

On peut toujours sans mandat rendre meilleure la condition d’autrui et gérer utilement pour lui, et la ratification a pour effet de rendre légal et efficace, ce qui sans la ratification resterait inopérant et sans effet.

S’il est démontré dans le cas actuel, non pas que le marché est onéreux à l’entreprise, ce qui serait fort possible sans qu’il soit pour cela moins onéreux à l’Etat, attendu qu’il peut fort être onéreux pour toutes les parties sans est être meilleur pour cela ; s’il était démontré qu’on ne pouvait pas traiter à des conditions plus avantageuses au trésor, et surtout à la bourse du soldat, la chambre ne s’arrêterait certainement pas à la question de légalité ; l’intérêt de l’Etat lui dirait qu’il faut approuver, et elle approuverait sans hésiter.

La chambre belge ferait ce que la chambre française a fait dans les deux circonstances dont M. le ministre a invoqué l’analogie.

Ainsi qu’il nous l’a dit, le marche de 20 ans pour la location des 300,000 lits était d’un avantage évident, personne n’a contesté cet avantage, et dès lors il importait peu à la chambre française, avant de le sanctionner, d’examiner si le ministre avait ou n’avait pas excédé ses pouvoirs.

L’avantage du traité pour le subside en faveur de l’un des théâtres de Paris n’était pas aussi évident, et M. Mauguin à soulevé la question de légalité, mais, comme nous le dit encore M. le ministre, M. Thiers, tout en combattant l’opinion de M. Mauguin, a prouvé qu’il avait eu raison de faire ce marché, qu’il était convenable, utile et de bonne administration, et la question ainsi posée (c’est M. le ministre qui parle) la chambre s’est décidée pour l’affirmative, de manière que, sans qu’il soit besoin d’examiner si M. Mauguin avait raison ou avait tort sur la question de légalité, elle a accordé l’allocation.

C’est probablement ainsi que nous en agirons, messieurs, si M. le ministre de la guerre parvient à prouver qu’en effet, comme il prétend, on ne pouvait rien faire de plus avantageux pour l’Etat et le soldat que ce qu’il a fait.

S’il fait cette démonstration, ce sont des félicitations et non des reproches qu’il obtiendra ici, même de la part des membres de votre commission.

Si je ne craignais de trop vous fatiguer, messieurs, je poursuivrais la réfutation de quelques autres assertions, quoique moins importantes et tout aussi étrangères à la question de légalité. Mais Il me semble que les considérations que je viens de vous soumettre doivent suffire pour vous donner la conviction que les principes sur lesquels votre commission a exprimé une opinion unanime sont incontestables, et qu’en conséquence le marché dont il s’agit ne liera l’Etat, et ne sera obligatoire pour lui, que pour autant que vous trouveriez avantageux à l’Etat de le ratifier.

Quant aux conséquences du refus par la chambre d’accorder le subside nécessaire à l’exécution du marché, la commission vous a fait observer qu’il ne pouvait en résulter aucune de préjudiciable soit à l’Etat, soit même au ministre.

L’incapacité ministérielle résultant d’une disposition prise de la loi constitutionnelle, le marché ne peut obliger l’Etat sans la ratification des chambres, et par conséquent la compagnie Legrand s’adresserait vainement aux tribunaux pour réclamer à la charge de l’Etat des dommages et intérêts.

En s’y adressant pour réclamer ces dommages et intérêts à la charge du ministre, elle n’y serait pas plus fondée, puisqu’à défaut d’une loi qui ait réglé les effets de la responsabilité ministérielle envers les tiers, il faut bien s’en tenir au droit commun qui nous dit qu’on ne peut jamais prétexter cause d’ignorance de la condition de la personne avec qui l’on a traité, que l’on ne peut jamais se faire un titre de son imprudence et de sa propre faute, qu’on ne peut jamais se prévaloir de l’ignorance de la loi et surtout de la loi constitutionnelle, et qu’enfin lorsqu’on a connu suffisamment les pouvoirs du mandataire avec lequel on a traité, on ne peut réclamer de lui ni garantie, ni dommages et intérêts pour ce qui a été fait en dehors des limites du mandat, à moins qu’il ne se soit personnellement obligé aux conséquences de l’engagement.

Je viens de dire qu’en l’absence d’une loi qui ait réglé les effets de la responsabilité ministérielle à l’égard des tiers, et je ne parle ici que de la responsabilité civile, l’action de la compagnie ne serait pas fondée au cas présent.

Je puis encore ajouter qu’à part les circonstances du marché, il est fort douteux si, en présence de l’art. 90 de la constitution, l’action serait même recevable.

A s’en tenir aux termes de cet article, il semble qu’aussi longtemps qu’une loi n’aura pas déterminé quand et comment l’action civile de la partie lésée sera exercée et poursuivie, les tribunaux n’auraient pas à connaître de ces sortes d’actions.

La compagnie Legrand trouve naturellement que ces principes sont par trop rigoureux.

Elle sait bien, elle reconnaît, que la bonne foi ne suffit pas pour s’assurer l’exécution d’un marché, et qu’il faut en outre qu’on ait traité avec personne ayant qualité pour légaliser le marché et imprimer à l’engagement son efficacité.

Elle fait dès lors un appel au crédit public, à l’équité, et à la justice de la chambre.

Je n’ai pas besoin de faire observer que, quelle que soit la résolution de la chambre, elle consolidera le crédit de l’Etat, et ne l’ébranlera en aucun cas, le préjudice qui pourrait en résulter pour la compagnie fût-il plus ou moins considérable.

C’est assurer le crédit public et non le compromettre que de donner au public non seulement l’assurance, mais la preuve, que la chambre sera toujours là pour veiller pour que rien ne sorte du trésor que de par la loi et la représentation nationale.

On traitera peut être avec plus de circonspection avec un ministre, mais bien loin d’être un mal ce sera un bien. Il trouvera toujours assez de gens disposés à traiter avec lui lorsqu’il se renfermera dans le cercle de ses pouvoirs ; lorsqu’il voudra devancer le vote du budget, il en trouvera moins qui s’exposeront à un refus d’allocation, et l’occasion de renouveler les discussions de la nature de celle qui nous occupe sera moins fréquente, ce qui est grandement à désirer.

Quant aux considérations d’équité et de justice, nous dire qu’on ne peut exiger qu’un entrepreneur fasse un cours de droit politique et administratif, ou qu’il doive être plus instruit dans la science des lois constitutionnelles que le ministre lui-même, ce sont là des considérations qui, dans le cas actuel, devraient peu nous toucher, puisque la faute commise par l’entreprise est d’autant plus lourde que nous voyons figurer en tête de la direction des hommes parfaitement instruits et en politique et en administration.

Ce n’est sans doute pas la science administrative qui leur manquait pour s’assurer si la chambre avait autorisé le marché directement ou indirectement. La chose en valait bien la peine, puisqu’il était question d’une entreprise considérable dans laquelle il s’agissait de lier l’Etat pour 20 ans. Ils eussent appris qu’aucun crédit n’avait été ouvert pour semblable destination, que l’efficacité de marché était par suite soumis à une allocation à consentir par la chambre, et ils ne se fussent pas exposés à cette exception que le droit fournit en pareil cas : « apprenez à traiter avec plus de précaution. »

Nous dire que si la commission eût jugé le marché onéreux à la compagnie quoiqu’avantageux à l’Etat, elle n’eût pas proposé d’améliorer ses prix, pour demander, en réciprocité, que si l’on juge le marché onéreux à l’Etat quoique avantageux à la compagnie, on lui en conserve le bénéfice ; ce n’est pas là encore une considération puissante pour nous détourner des devoirs que nos serments nous prescrivent.

Si vous décidez, messieurs, que le marché est onéreux à l’Etat, quelles que soient les considérations d’équité qui pourraient vous apitoyer sur la position de l’entreprise, il faudrait bien que vous résistiez à leur influence.

Ce n’est pas l’intérêt de la compagnie que nous avons ici à apprécier, c’est celui du trésor que nous sommes appelés à défendre, c’est à une lésion de nature à se reproduire pour un terme non moindre de 20 ans qu’il s’agit de le soustraire.

C’est sous la protection tout spéciale de la chambre que la constitution a placé les intérêts du trésor public, c’est à sa tutelle qu’elle a confié la dispensation des deniers des contribuables ; notre mandat nous impose le devoir d’observer ce qu’elle prescrit.

Quelque pénibles qu’en puissent être les conséquences, votre commission a rempli ce devoir, et je ne doute pas, messieurs, que les conclusions qu’elle vous a imposées ne soient pas adoptées, ce ne sera pas en raison que, sur ce point, vous hésiteriez à imiter son exemple, mais à cause que, mieux informés, sur le point de fait, vous jugeriez que le marché ne lèse pas les intérêts du trésor, et est avantageux à l’Etat.

Dans ce cas encore, la discussion sur ces graves débats ne sera pas restée stérile. Il y aura toujours des fruits à en recueillir.

On saura que la chambre ne permettra pas aisément qu’au mépris de son initiative, un ministre engage pour 20 ans les finances de l’Etat, et le département de la guerre s’en tiendra suffisamment informé, information que, dans tous les cas, il était, je pense, fort opportun de lui donner.

M. Gendebien. - J’ai une motion d’ordre à faire.

Voici des questions que je vais déposer sur le bureau de la chambre et auxquelles je demande que le ministre soit invité à répondre. Il faut les lui transmettre.

Je demande que le ministre de la guerre fasse connaître et donne communication :

1° Du nombre et de l’état approximatif des fournitures de couchage appartenant à l’Etat ;

2° Du traité par lequel ces fournitures ont été cédées en totalité ou en partie à la compagnie Legrand ;

3° Du traité relatif à la cession de plusieurs draps de lit à la même compagnie ;

4° Du chiffre exact de la garnison de Bruxelles dans les casernes depuis le premier octobre 1835 jusqu’au premier juin 1836.

- La séance est levée à 5 heures.