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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 20 mai 1836

(Moniteur belge n°142, du 21 mai 1836)

(Présidence de M. Fallon., vice-président.)

M. Dechamps procède à l’appel nominal à une heure et demie.

M. Schaetzen lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Projet de loi qui fixe la position des officiers de l’armée

Projet de loi concernant la perte des grades des officiers de l’armée

Discussion générale

M. Gendebien. - Messieurs, je ne ferai pas remarquer la contradiction qui existe entre l’opinion de M. Rogier et celle de M. de Mérode sur la proclamation du gouvernement provisoire dont j’ai parlé hier ; M. de Mérode la considère comme excessivement révolutionnaire et même anarchique ; M. Rogier l’a mieux appréciée ; je suis de son avis plus que de celui de M. de Mérode, bien que nous ne soyons plus d’accord sur l’application qu’on pourrait en faire aujourd’hui.

Ce n’est pas de cet objet que je veux m’occuper ; je dois relever une erreur qui a été commise involontairement, sans doute, par M. Rogier ; relever une insinuation qu’il n’était peut-être pas dans son intention de faire d’une manière fâcheuse pour moi, mais que je ne dois pas moins relever ; cette insinuation a rapport à un fait de la révolution qui me concerne personnellement.

En parlant d’un arrêté du gouvernement provisoire, que j’avais rédigé, dans le but de proclamer l’indépendance du pays et de délier l’armée de son serment, M. Rogier vous a dit que pour être conséquent avec moi-même, je devrais faire aujourd’hui la même chose. J’ai déjà fait remarquer que cette conséquence est antilogique et même ridicule ; il serait absurde en effet de supposer que pour être conséquent avec moi-même, je dusse délier aujourd’hui l’armée de ses serments. Si l’occasion s’en présente, je serai conséquent avec moi-même. Si on nous replaçait dans la même position où nous étions au 26 septembre 1830, je n’hésiterais pas à faire ce que j’ai fait, non dans des vues d’intérêt personnel, mais pour l’honneur et l’indépendance de mon pays, comme je l’ai fait en septembre 1830.

Voici maintenant une phrase du discours de M. Rogier, à laquelle je dois répondre : « M. Gendebien, le 26 septembre au soir, aussitôt après son arrivée au gouvernement provisoire, où nous étions réunis dès le 24, nous présenta une proclamation, ayant pour but de délier les officiers de leur serment ; nous l’avons tous approuvée. Aujourd’hui, dirait-on que M. Gendebien serait inconséquent, s’il refusait de signer une semblable proclamation ? »

Je dois d’abord rappeler à M. Rogier que ce n’est pas le 26 septembre, mais le 25 que je suis rentré au gouvernement provisoire. J’insiste sur ce point, parce qu’un jour de plus ou de moins est un siècle en pareille circonstance. Je dirai à M. Rogier que s’il était à Bruxelles dès le 24 septembre, c’est parce qu’il y avait moins loin de Waterloo à Bruxelles que de Lille à Bruxelles. Je ne ferai pas un reproche à M. Rogier d’avoir, avec une partie de sa troupe, quitté Bruxelles le 23 septembre 1830, avant le combat. Il y avait, quelques heures avant l’arrivée des Hollandais si peu de chances de victoire et même de résistance, que j’aurais probablement fait comme lui, si je m’étais trouvé à Bruxelles.

Je ne crois pas moins de mon devoir d’expliquer ma conduite, parce que mes ennemis ont souvent cherché à tirer parti de mon absence pendant les deux premiers jours des glorieux combats de Bruxelles.

Ce n’est pas le 25 septembre, premier jour de combat, que j’ai quitté Bruxelles, mais le 18 ; j’ai été chargé des missions les plus périlleuses ; je suis parti de Bruxelles le 18 dans la nuit pour aller organiser l’insurrection dans le Hainaut, et chercher M. de Potter à Lille.

J’ai été retenu à Lille plus longtemps que je ne le voulais, par des événements indépendants de ma volonté ; d’abord M. de Potter est arrivé 24 heures plus tard qu’il avait été convenu ; d’autres causes de retard sont survenues, je m’abstiendrai de les dire ; un honorable membre de cette chambre a été témoin des dernières conversations qui ont précédé le départ, et si l’on en doutait, je prierais cet honorable membre de s’expliquer à cet égard.

M. A. Rodenbach. - C’est vrai !

M. Gendebien. - J’appris à Lille que le mouvement qui devait avoir lieu à Mons, d’après les instructions que j’y avais données le mardi 22 au soir ou le mercredi matin, jour où nous devions nous présenter devant la place avec M. de Potter, avait commencé le dimanche dans l’après-midi ; et que, par suite, la garde civique avait été désarmée et les volontaires dispersés et obligés de sortir de la place ou de se cacher. J’appris que toutes les dispositions que j’avais prises, pour faire réussir une insurrection à Ath avaient manqué, parce que celui à qui j’avais remis les instructions, les chiffres et autres fils de la conspiration, n’avait pas cru prudent d’y aller.

Je ne perdis cependant pas courage ; je conservai, même vis-à-vis de mon compagnon de voyage, le secret de ces désappointements bien faits pour déconcerter l’homme le plus déterminé, car tout me manquait à la fois. J’allai à Valenciennes, parce que nous ne pouvions pénétrer par la frontière de Tournay. Je ralliai là tous les patriotes de Bruxelles qui, désespérant de voir le peuple se défendre, avaient quitté Bruxelles ; je les dirigeai sur trois points vers la capitale.

A Valenciennes je pris, avant de partir, des engagements pour 35,000 fr. de fusils et 5,000 fr. de poudre ; et après avoir fait une marche de nuit de 8 heures, dans la boue jusqu’aux genoux et par une pluie battante, j’arrivai à Leuze à travers mille dangers ; là je recrutai de braves et nombreux volontaires. Je continuai ma marche distribuant partout des proclamations du gouvernement provisoire, composé dès le 18 septembre, avant mon départ, de MM. de Mérode, Van de Weyer et moi ; expédiant partout des courriers, et déliant partout les autorités civiles et militaires de leur serment.

Enfin, M. Van de Weyer et moi, et d’autres honorables patriotes, nous arrivâmes le vingt-cinq et non le vingt-six septembre à Bruxelles ; nous conduisions avec nous 300 braves volontaires armés et équipés, et de la poudre et autres munitions. J’avais, dans notre pénible marche, donné partout des ordres pour faire arriver à Bruxelles, sans retard, des volontaires, des armes et de la poudre.

Vous voyez donc que si je ne suis arrivé à Bruxelles que le 25, c’est par suite d’une absence justifiée par la mission importante dont j’étais chargé, mission que j’aurais pu prolonger sans encourir le blâme.

J’ai cru devoir donner ces explications, pour qu’on n’interprétât pas d’une manière fâcheuse le fait dont a parlé M. Rogier dans un sens peu favorable. Je défie qu’on conteste ce que je viens de dire.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, vous avez entendu, dans la séance d’hier, deux orateurs qui ont attaqué les principes développés, avec autant de sagesse que de talent, sur l’utilité et l’opportunité des lois que le gouvernement vous a présentées, principes que vous avez favorablement accueillis, comme étant les seuls vrais et les seuls qui puissent atteindre le but proposé, le maintien de la discipline dans l’exécution des dispositions prescrites par notre constitution.

Parmi les moyens que ces orateurs ont employés pour combattre ces principes et les bases des lois, ils ont surtout fait valoir que c’était donner au pouvoir ministériel de nouvelles armes pour continuer l’arbitraire, commettre des injustices ; et de là des reproches amers, et sur mon arbitraire, et sur mes injustices, et sur ma partialité, et sur mes actes de tyrannie et sur mes actes de faiblesse.

L’un et l’autre de ces orateurs ont cité quelques faits à l’appui des reproches qu’ils m’ont adressés, et il est de mon devoir d’y répondre.

Je le ferai brièvement, messieurs, pour ne pas continuer une discussion dégénérée en personnalités, au lieu d’avoir pour objet l’examen des dispositions et lois proposées.

Quand, après les investigations les plus minutieuses, les dénonciations clandestines et patentes sur tous les actes de mon administration, on est réduit à présenter les faits dont il s’agit comme des actes d’injustice et de partialité, tenant à l’influence qu’exerce sur moi un gouvernement étranger, vous conviendrez, après les explications que je vais vous donner sur chacun d’eux, que ces accusations n’ont de réalité que dans l’imagination de ceux qui les produisent. Mais, avant tout, je dois vous déclarer que je me crois tout aussi bon Belge, tout aussi dévoué aux intérêts de ma nouvelle patrie que prétendent l’être ceux qui m’accuse de céder à une influence étrangère.

Quand, pour consacrer ma longue expérience au service de ce pays, je cédai aux vives instances qui me furent faites d’accepter le ministère de la guerre et de me faire naturaliser Belge, je renonçai par là à ma qualité de Français, au rang de lieutenant-général que j’occupais en France depuis 10 ans, et je dévouai franchement le reste de mon existence à mon nouveau pays.

J’ai la conviction que je lui ai rendu des services importants, et ce qui m’avait soutenu jusqu’à présent dans les pénibles travaux où j’use les dernières années de ma vie, c’était le noble espoir que ces services et ce dévouement ne seraient pas méconnus.

Si les hommes consciencieux, et il en est beaucoup, qui ne se laissent pas entraîner par les passions politiques, rendent justice à mes intentions et apprécient mes services, il en est quelques-uns qui prennent à tâche d’envenimer les uns et les autres, et qui en saisissent avidement toutes les occasions. Il est facile d’en pénétrer le but, et de voir où tendent ces attaques répétées.

Elles servent aujourd’hui d’objection, de la part des deux orateurs que j’ai cités, à l’adoption des lois proposées, en ce qu’elles remettraient leur exécution à mon arbitraire, à mes caprices, à mes injustices et à ma partialité.

Cette objection, messieurs, tombe d’elle-même par suite de l’intention formelle où je suis, et que j’ai déjà manifestée, de déposer le pouvoir quand j’aurai contribué, autant qu’il est en moi, à l’adoption des lois que j’ai proposées ; que j’aurai répondu au rapport de la commission d’enquête sur les lits militaires, et que je vous aurai prouvé que dans cette dernière affaire j’ai agi consciencieusement et dans les véritables intérêts du pays.

Je ne veux pas m’étendre davantage sur ce point ; je remets au temps à prononcer entre mes adversaires et moi, et j’aborde chacun des faits qui ont été cités.

Un des faits qui m’a été reproché, dont je n’avais eu nulle connaissance, ou du moins dont je n’ai pas gardé le moindre souvenir, est celui qui a trait une altercation entre un inspecteur-général de cavalerie et un colonel qui avait refusé, dit-on, de passer son inspection.

Je viens d’avoir à l’instant des informations à ce sujet, et il résulte de la déclaration de l’officier-général en question qu’il n’a jamais eu la moindre altercation avec le colonel que l’on a cité, et que l’inspection qui eut lieu date de février 1832, époque à laquelle je n’étais pas ministre. Ainsi, à défaut de faits à ma charge, on va en chercher avant l’époque de mon entrée au ministère.

Messieurs, il a été question d’un officier de santé qui, ayant déposé dans l’affaire relative au procès en calomnie intenté, je crois, contre l’Eclaireur de Namur, aurait été puni par moi, du chef de cette déposition.

D’après ce que je viens d’apprendre ce matin, il y a eu cinq officiers de santé qui ont déposé dans le procès dont il s’agit ; ce sont MM. Feigneaux, Mathieu, Zoude, Cunier et Pasquier, pharmacien.

Le dernier n’a été puni ni par moi, ni par M. l’inspecteur-général du service de santé, mais bien par le médecin en chef de l’hôpital, à cause de négligence dans son service ; mais cette punition n’avait nullement trait à ce qui passé auparavant.

L’autre officier, au sujet duquel on a signalé une punition injuste, est le sieur Cunier, médecin de bataillon. Or, messieurs, voici ce qui est arrivé :

Il me fut rapporté que l’infirmerie de la place de Nieuport n’était pas convenablement surveillée par le jeune médecin qui s’y trouvait ; et comme d’ailleurs celui-ci était sur le point de partir, il fut jugé convenable de le remplacer par une personne à poste fixe, qui pût diriger cette infirmerie qui réclame les soins d’un officier de santé.

On me représenta que M. Cunier avait déjà dirigé cet établissement avec distinction pendant onze mois ; qu’on l’avait fait médecin de bataillon pour le récompenser de ce service ; et qu’il convenait de l’envoyer à Nieuport.

Je signai l’ordre, avant que je susse que M. Cunier devait déposer dans l’affaire dont il est question, et plusieurs jours avant qu’il fût appelé à faire sa déposition.

L’honorable député de Mons vous a dit que j’avais été gravement compromis dans le marché des lits militaires par un homme qui s’était servi de lettres que je lui avais écrites, pour faire croire qu’il pouvait avoir de l’influence près de moi dans la passation de ce marché.

Je vous prie, messieurs, de vous reporter aux explications que j’ai données de ce fait, et qui font partie des pièces imprimées à la suite du rapport de la commission spéciale chargée de l’examen des lits militaires ; fait entièrement indépendant de ma volonté, et dont je n’ai eu connaissance que 8 mois après qu’il a eu lieu.

Qu’un homme qui désire obtenir un emploi dans une administration particulière tâche de tirer parti d’un travail fait depuis quatre ans, et auquel j’avais donné mon approbation quand je n’étais pas ministre, au mois de janvier 1832, je ne vois réellement rien de bien blâmable dans sa conduite ; mais qu’on en infère que la production de ces lettres puisse me compromettre en quoi que ce soit, c’est cette insinuation que je peux qualifier à mon tour d’une grande injustice à mon égard. Qu’au mois d’août dernier, et à la sollicitation des amis de ce même homme, je l’aie recommandé au directeur de la compagnie des lits militaires pour l’inviter à lui donner une place dans son administration, s’il en avait une dont il pût disposer, je ne vois encore rien là-dessus qui puisse me compromettre si gravement quand j’ignorais complètement quelle avait pu être sa conduite au mois de juin précédent ; et croyez-vous, messieurs, que si j’avais eu la moindre révélation à cet égard, je n’aurais pas hautement démenti ses démarches antérieures ?

Ce fait seul prouve qu’elles ont eu lieu à mon insu.

Voilà cependant, messieurs, en quoi consiste ce grave compromis dont on a voulu faire si grand bruit.

J’aurais désiré, messieurs, qu’on ne soulevât pas la question relative à la mise en non-activité d’un officier supérieur du génie, et que l’accusation d’injustice et de partialité qu’a portée contre moi M. le représentant de Mons ne me forçât point à vous faire connaître les motifs de cette mesure.

Quoiqu’elle soit toute de discipline, et rentrant dans le droit qui m’est dévolu, et quoique je ne reconnaisse pas l’obligation de publier ces motifs, je ne peux laisser, planer plus longtemps les soupçons d’injustice et de partialité qu’on a articulés contre moi.

Ayant décidé, dès le 15 du mois de février, qu’il serait donne une nouvelle destination à M. le lieutenant-colonel du génie Huybrecht, dont la présence, dans les circonstances actuelles, n’était plus nécessaire à l’état-major général de l’armée, j’autorisai M. l’inspecteur-général du génie à employer cet officier supérieur, en qualité de commandant du génie, dans la place de Venloo, et je lui prescrivis de lui donner l’ordre de s’y rendre.

M. le lieutenant-colonel Huybrecht reçut cet ordre le 5 mars, et m’adressa, le lendemain 6, la lettre que j’annexe ici, et dans laquelle il fait des imputations que je vous laisserai juger contre son chef supérieur, M. le général Goblet.

Voici cette lettre :

« Bruxelles, ce 6 mars 1836.

« Le lieutenant-colonel du génie Huybrecht à M. le ministre de la guerre.

« M. le ministre,

« Je viens de recevoir l’ordre de me rendre immédiatement à Venloo ; une indisposition assez grave pour m’avoir forcé à appeler ce matin le médecin, me met dans l’impossibilité physique d’y obtempérer de quelques jours.

« Dans cette mesure que je ne puis comprendre, je vois une nouvelle preuve de haine que me porte le général Goblet, haine que j’attribue à ce que je n’ai jamais voulu partager son animadversion pour les Français.

« Cette mesure n’étant probablement que le prélude d’autres vexations, je me vois dans la dure nécessité de demander à quitter un corps dont le chef est mon ennemi déclaré.

« En conséquence, M. le ministre, je vous prie de m’accorder le commandement d’un bataillon d’infanterie, ou ma retraite à laquelle me donnent droit plus de 40 années de service, dans le cas où vous ne m’accorderiez pas ma première demande.

« Le lieutenant-colonel du génie, Huybrecht. »

En attendant la punition qui devait lui être infligée pour une telle infraction aux règles de la discipline militaire, je me bornai à lui réitérer, par dépêche du 7, l’ordre de partir pour Venloo, en lui annonçant que je prononcerais sur l’objet de ses demandes aussitôt qu’il serait rendu à sa nouvelle destination.

Ce fut ce même jour, 7 mars, et après ma lettre écrite, que M. le lieutenant-colonel Chapelié vint me faire le rapport de ce qu’il avait découvert sur la conduite de M. Huybrecht à son égard.

Ainsi, l’ordre qu’a reçu cet officier supérieur de se rendre à Venloo, n’a aucune espèce de rapport avec l’affaire qui est survenue entre le lieutenant-colonel Chapelié et lui.

Le 8, je reçus une nouvelle lettre de M. le lieutenant-colonel Huybrecht, me transmettant copie de celle qu’il avait reçue la veille du lieutenant-colonel Chapelié ; il insistait sur la nécessité de rester à Bruxelles pour pouvoir se justifier de ces accusations, ainsi que de celle de M. le capitaine Lahure ; s’en rapportant, m’annonçait-il, à ma prudence pour trancher la difficulté de sa position.

J’eus l’honneur de proposer immédiatement au Roi la convocation d’un conseil d’enquête, pour examiner et apprécier les accusations portées contre le lieutenant-colonel Huybrecht, et pour l’entendre lui-même dans ses moyens de défense.

Je prévins cet officier supérieur, par dépêche du 10, de la formation de ce conseil d’enquête, en lui faisant connaître que j’avais décidé qu’il y serait entendu dans ses moyens de défense et de justification, et que je suspendais en conséquence l’exécution de l’ordre qu’il avait reçu de se rendre à Venloo.

Le conseil d’enquête ayant ouvert ses séances le 11, et entendu, dans celles du 12 et du 13, les personnes appelées à déposer sur les faits, invita M. le lieutenant-colonel Huybrecht à se rendre à la séance du 14 : il s’y présenta, en effet ; mais il refusa, malgré les invitations pressantes du président, et malgré l’avis que le conseil n’avait pas de jugement à émettre, de répondre a toute espèce d’interpellation qui pourrait lui être faite.

Tout en déclinant la juridiction du conseil d’enquête, le lieutenant-colonel Huybrecht, dans sa lettre du 13, par laquelle il m’informait de sa résolution, m’assurait qu’il était disposé à donner toutes les explications que je pourrais lui demander.

Ayant reçu, le 19, le résultat de l’enquête faite par le conseil, j’ordonnai à M. le lieutenant-colonel Huybrecht de se rendre près de moi le 22, voulant entendre moi-même, et en présence de M. le général de division Goethals, de M. le colonel du génie Willmar, ses moyens de défense et de justification.

Cet interrogatoire a eu lieu le 22, et les réponses de M. le lieutenant-colonel Huybrecht à toutes les questions que je lui ai adressées, ainsi que les diverses déclarations qu’il a cru devoir y ajouter, lui ont été relues dans une seconde séance, qui a eu lieu le 24.

Dès sa première lettre du 6, M. Huybrech a commis une faute grave contre la discipline, en m’écrivant :

« Dans cette mesure que je ne puis comprendre, je vois une nouvelle preuve de haine que me porte le général Goblet, haine que j’attribue à ce que je n’ai jamais voulu partager son animadversion pour les Français. »

Ces imputations sont d’autant plus blâmables qu’elles sont dénuées de tout fondement, et c’est très faussement que M. le lieutenant-colonel Huybrecht attribue à M. le général Goblet l’ordre de se rendre à Venloo, puisque c’est moi qui avais pris cette décision, que le général n’a fait qu’exécuter.

En second lieu, il résulte de l’interrogatoire de M. le lieutenant-colonel Huybrecht, qui assure d’ailleurs n’avoir jamais élevé aucune plainte contre des officiers français dans les rangs de l’armée belge, qu’il n’a pu administrer aucune preuve que M. le général Goblet ait fait jamais la moindre tentative pour lui faire partager sa prétendue animadversion pour les Français.

Ce qui constitue un second grief, est le refus obstiné qu’a fait le lieutenant-colonel Huybrecht de répondre aux questions qui devaient lui être adressées sur des faits qui se rattachent à une question toute d’honneur, devant un jury composé d’honorables chefs militaires, jury dont la compétence ne pourrait être contestée par les hommes les plus susceptibles, pour prononcer sur la matière, qui n’était pas du ressort des tribunaux, chargés de faire l’application des lois et règlements dans les cas prévus : et celui-ci ne l’était dans aucune loi ou règlement.

Le refus, malgré l’injonction que je lui avais faite, constitue un acte de désobéissance punissable.

Mais ce qui aggrave ces deux premiers torts est l’aveu que M. le lieutenant-colonel Huybrecht a fait, dans son interrogatoire, d’avoir eu connaissance d’un article injurieux dirigé contre un officier de son grade, article qu’on devait insérer le lendemain, ou le surlendemain, dans un journal dont le rédacteur a déclaré être son ami, et qu’il voyait dans l’intimité ; d’avoir su que cet article était faussement signé un élève de l’école militaire, et de s’être tout au plus faiblement élevé contre ce faux, et de n’avoir rien fait, en tous cas, pour empêcher qu’il ne fût lancé au milieu du public, quand il devait nécessairement compromettre des élèves de l’école militaire, en faisant planer sur chacun d’eux un soupçon aussi odieux.

Cette indifférence coupable envers un officier, dont, d’après ses propres déclarations, il n’avait reçu que des services et des marques d’estime, et envers 60 élèves de l’école militaire, dont le sort pouvait dépendre des suites qu’aurait une pareille attaque ; enfin, sur le fait de faux matériel qu’il savait être commis, constitue le plus grave des torts, puisqu’il compromet son honneur, et que toutes les allégations données pour en atténuer l’effet, laissent la certitude que ce fait n’est malheureusement que trop vrai.

Avant même qu’il ne fût constaté, les 15 officiers du génie présents alors à Bruxelles, me firent remettre une enquête motivée qui a pour objet de demander, afin d’éviter les conflits qui pourraient survenir dans le service, que M. le lieutenant-colonel Huybrecht cesse provisoirement ses fonctions dans l’arme, jusqu’à ce qu’il ait produit une justification pleine et entière des imputations graves et attentatoires à l’honneur qui pèsent sur cet officier supérieur.

Avant de proposer au Roi la décision à prendre sur cette déplorable affaire, J’ai voulu connaître, autant qu’il m’a été possible, les faits qui devaient éclairer mon opinion : je les ai tous recueillis avec soin, et j’ai donné à M. le lieutenant-colonel Huybrecht tous les moyens d’établir sa justification.

C’est après un examen consciencieux de tous les interrogatoires et des pièces qui y sont annexées, c’est également après avoir pris des informations sur la conduite du lieutenant-colonel Huybrecht, que, voulant maintenir dans l’armée la discipline, l’esprit et les sentiments honorables qui la distinguent, et empêcher qu’il y soit porté atteinte, j’ai cru devoir proposer au Roi de retirer au lieutenant-colonel Huybrecht l’emploi de son grade, et de l’admettre au traitement de non-activité.

Quant à l’autorisation que j’ai donnée, le 9, d’insérer dans un des journaux de la capitale la lettre écrite le 7 par le commandant de l’école militaire à M. le lieutenant-colonel Huybrecht, je vous déclarerai franchement que je lui défendis positivement d’abord de la faire imprimer, en lui représentant qu’il fallait mépriser toutes ces attaques calomnieuses de quelques journaux, et ne pas y attacher la moindre importance ; que vouloir y répondre, c’était s’exposer à une polémique que désiraient les rédacteurs de ces journaux.

Mais quand j’appris, par le rapport d’un officier, en la véracité de qui j’ai toute confiance, que l’officier inculpé s’était avoué l’auteur de cet article ; quand les détails donnés à cet égard ne purent me laisser aucun doute ; quand je me rappelai avoir vu positivement vu un manuscrit de cet officier, contenant des attaques violentes contre son chef, qui avaient été insérées dans un journal ; quand un ami de cet officier me déclara qu’il songeait à devenir commandant de l’école militaire, je ne pus alors résister aux instances d’un officier supérieur, attaqué dans son honneur et je lui permis de faire imprimer sa lettre.

C’est cette permission qu’on m’impute comme une injuste partialité, quand depuis deux mois cet officier était en butte aux plus violentes attaques de la part de ce journal.

Mais, ce n’est donc pas assez qu’un officier qui a rendu de si grands services au pays, puisse être accablé de sarcasmes, d’injures, de calomnies ? Il faut encore lui refuser les moyens de se défendre.

Enfin, messieurs, cette enquête prétendue que l’orateur me reproche d’avoir autorisée, a en lieu sans que j’en fusse aucunement informé : mais peut-on qualifier d’enquête une déclaration de quatre officiers, qui se bornent à constater ce qu’ils ont entendu dire, et cela sur la demande d’un officier qui les avait réunis pour qu’ils pussent rendre témoignage de ce qu’ils avaient entendu ?

Et si une fille perdue est mêlée à toute cette affaire, qui est la cause première de ce scandale ?

Je regrette, messieurs, que l’on m’ait forcé d’entrer dans des explications dont j’aurais désiré m’abstenir.

Du reste, j’en laisse la responsabilité à ceux qui les ont si imprudemment provoquées.

M. Dumortier. - Je demande la parole sur un fait personnel. Messieurs, je suis étonné que le ministre de la guerre ait prétendu que les observations que j’ai faites sur la marche du département de la guerre avaient pour but d’envenimer ses actes.

Je déclarerai d’abord, avec ma franchise ordinaire, que je reconnais les services que M. le ministre de la guerre a rendus au pays ; je dirai plus, et je pourrais en appeler à M. le ministre lui-même, et lui demander s’il n’est pas vrai que, pendant les première innées de son administration, il a trouvé en moi un soutien constant.

Mais, messieurs, est-ce ma faute si depuis une année la conduite de M. le ministre de la guerre est entièrement changée ?

Est-ce ma faute si le ministre de la guerre, dont les actes jusqu’alors n’avaient donné lieu à aucun reproche dans le sein de la chambre, a, depuis lors, soulevé les plaintes les plus graves contre lui ?

Est-ce ma faute si M. le ministre a cru devoir destituer des officiers, pour n’avoir pas voulu prêter un serment que la constitution leur défendait de prêter, un serment contre lequel leur conscience se révoltait ?

Est-ce ma faute si M. le ministre de la guerre n’a pas eu la force de briser comme verre deux hommes qui sont près de lui, et qui lui ont fait commettre tant de fautes que nous pouvons malheureusement ne reprocher qu’à lui ?

Est-ce ma faute si nous avons vu M. le ministre de la guerre se permettre des actes que nous devons qualifier d’inconstitutionnels, créer, par exemple, une école de santé militaire par un simple arrêté, alors que la constitution déclare que tout ce qui concerne l’instruction publique doit être réglé par la loi ; créer, par arrêté, des docteurs dans l’art de guérir, alors que la loi exige que l’exercice de cet art ait lieu en vertu d’un diplôme à décerner par un jury ?

Quelle que soit notre estime pour le ministre de la guerre, devons-nous rester les mêmes à son égard, alors que nous avons sous les yeux des actes aussi répréhensibles ?

Certes, messieurs, je le déclare hautement, je professe l’estime la plus grande pour M. le ministre de la guerre ; mais je déplore qu’il n’ait pas eu le courage de se débarrasser de deux hommes qui lui ont fait commettre beaucoup de fautes. L’honorable M. d’Huart lui-même, avant qu’il ne fût ministre, avait signalé à cette tribune avec beaucoup d’énergie des faits d’une haute gravité. Aussi l’entrée au ministère de l’honorable membre nous avait fait espérer le terme des abus. Ces abus n’ont pas disparu. Est-ce à nous qu’il faut s’en plaindre ?

Il n’y avait dans les paroles que j’ai prononcées hier rien qui tendît à envenimer les actes de M. le ministre de la guerre.

M. le ministre vient de me rappeler que l’inspection à laquelle j’ai fait allusion avait eu lieu sous le ministère précédent. J’en appelle à vos souvenirs, à votre bonne foi. Ai-je appliqué ce fait à M. le ministre Evain ? J’ai dit que la désorganisation dont on se plaignait venait du ministère de la guerre, par la faute des différents ministres qui se sont succédé dans ce département. C’est alors que j’ai signalé des faits partis du ministère de la guerre, des faits qui prouvent jusqu’à évidence que la désorganisation vient de ceux mêmes qui devraient la prévenir.

D’ailleurs, messieurs, puisque l’on nous représente comme cherchant à envenimer les faits, je demanderai à l’assemblée de pouvoir donner une explication sur un point auquel on a fait allusion.

Comment ! des officiers ont été traduits devant les tribunaux pour dire la vérité, rien que la vérité, sur un fait dont la chambre a été saisie. Ils ont prêté serment en justice, devant Dieu et les hommes, de dire la vérité. Cette vérité, ils l’ont dite ; et maintenant on les menace d’une disgrâce. Voulez-vous avoir la preuve que je n’ai pas envenimé les faits ? Voici une lettre en date du 7 avril 1836, écrite à l’inspecteur-général du service de santé par M. le ministre de la guerre.

(Ici l’orateur donne lecture de cette lettre.)

Vous voyez que dans tout ceci l’on donne droit à celui que la justice a condamné. Car, comme le disait avec beaucoup de raison et de justesse M. le procureur du Roi à Namur, c’est un procès entre l’inspecteur-général et le prévenu. Si vous déclarez le prévenu non coupable, vous déclarez l’inspecteur-général coupable. C’est ainsi qu’il parlait au jury. Qu’a fait le jury ? Il a déclaré à l’unanimité que le prévenu n’était pas coupable.

Et pourtant dans toute cette lettre, on s’apitoie sur le sort de l’inspecteur-général. On le regarde comme une malheureuse victime poursuivie par la calomnie. Comment s’explique-t-on à l’égard d’officiers qui avaient dit la vérité sur des faits qui leur étaient connus ? Ecoutez ces paroles, elles porteront la conviction dans tous vos cœurs.

(Ici M. Dumortier donne lecture d’une phrase de la lettre. - Rire au banc des ministres.)

Ne vous prenez pas de rire, MM. les ministres ; je vous répondrai tout à l’heure.

Puisque MM. les ministres se sont permis de rire, je ferai remarquer que j’ai en ma possession des lettres qui prouvent que lorsque les médecins de garnison se plaignaient du mauvais état des médicaments, l’on donnait l’ordre de les employer. Ces lettres, je les possède et je les montrerai quand le temps en sera venu.

Il résulte de tout ceci que M. le ministre de la guerre, tout en s’apitoyant sur l’homme que la justice avait condamné, disait que les officiers qui avaient dit la vérité devant la justice devaient être poursuivis. Ainsi, comme je le disais hier, il faut ou que les officiers soient parjures, ou, s’ils disent la vérité, ils s’exposent à être poursuivis.

Si de pareils faits sont arrivés, est-ce par votre faute ? Est-ce que nous avons cherché à examiner les faits ? Je déplore la division qui règne dans l’armée. Mais tant que j’aurai l’honneur de siéger dans cette enceinte, je serai le premier à signaler les abus de quelque part qu’ils viennent, fussent-ils commis par mon meilleur ami.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - J’aurai quelques observations à faire en réponse à ce que l’honorable M. Dumortier vient de dire. La lettre dont il a parlé a été écrite le 27 et remise le même jour au soir à M. l’inspecteur-général. Je fus fort étonné de la voir reproduite le 28 par un journal du matin. Je ne pouvais me rendre compte de ce fait, je ne concevais pas comment il se faisait qu’une lettre écrite et envoyée le 27 pût être rendue publique le lendemain même par la presse. Je fis demander au rédacteur du journal de m’en donner l’explication. Je voulais savoir comment cette lettre lui avait été communiquée. Il me répondit que c’était son secret, qu’il avait sa police à lui, et qu’il n’y avait pas un acte de mon administration qu’il ne connût aussi bien que mon secrétaire-général. (Hilarité.)

Deux fautes graves ont été commises dans l’impression de cette lettre. D’abord je ne suis pas capable d’écrire : Je vous prie de prier. Je disais : Je viens de prier M. le ministre de l'intérieur de me désigner des officiers de santé totalement étrangers au service de santé de l’armée. Cette dernière phrase a été omise dans la reproduction de ma lettre.

Ce qui vous prouve, messieurs, que la lettre produite par la presse n’est pas conforme en tout à celle que j’ai écrite.

Je n’ai pas puni des officiers de santé pour des dispositions qu’ils ont faites en justice. Je me serais bien gardé de commettre une injustice semblable ; car c’en aurait été une. Mais ces officiers avaient avoué s’être servis de mauvais médicaments.

Or, en rapprochant les dates, je découvris que c’étaient eux qui les avaient reçus. C’était donc à eux à les refuser s’ils avaient trouvé qu’ils étaient mauvais. Ils s’étaient donc mis dans leur tort puisqu’ils n’avaient pas rempli leur devoir. C’était pour le leur rappeler que je disais que si j’avais leurs dépositions écrites, je pourrais donner suite aux plaintes portées par M. l’inspecteur-général.

J’écrivis à ce sujet à M. le procureur du Roi à Namur. Mais M. le procureur du Roi me répondit que dans les cours d’assises on ne tenait pas note des dépositions des témoins. Comme je n’avais pas de preuves écrites, les choses en sont restées là.

M. Gendebien. - Messieurs, l’on a commencé par supposer des intentions, un but caché dans ce que nous avions dit à la séance d’hier.

Je commencerai à mon tour par dire au ministre qu’il doit savoir et qu’il sait que je suis trop franc pour avoir un but caché ; que quand je ne dis pas toute ma pensée, c’est par indulgence, par pitié pour les personnes que j’attaque, et nullement par défaut de franchise. Ce que j’ai dit était si peu calculé, si peu modifié, que je n’avais pas l’intention de prendre la parole hier dans la discussion générale ; mais des théories étranges, développées par le député qui a parlé avant moi, m’avaient paru tellement inconstitutionnelles, tellement antisociales, qu’il était de mon devoir de ne pas les laisser sans réponse.

Je ne serais donc entré dans aucun détail relatif à M. le ministre de la guerre, si je n’avais été provoqué par des théories que l’on ne peut laisser passer sous silence dans cette chambre, qui représente la nation et les principes consacrés par la constitution. Je me serais réservé d’attaquer M. le ministre dans la discussion des articles de la loi ou dans la discussion du trop fameux marché des lits militaires ; et je serais resté dans les bornes d’une discussion ordinaire de loi. Si j’ai quitté ce terrain, c’est qu’on m’a provoqué imprudemment sur un autre.

Il faut bien que je réponde encore, et bien malgré moi, à M. le ministre de la guerre. Il a paru ne pas me comprendre lorsque j’ai parlé du sieur Marie Valienne, ou plutôt du sieur Vallenne qui se faisait nommer ici Marie. Je l’appelle par son nom, car M. le ministre m’en a donné l’exemple.

Le sieur Valienne a travaillé dans les bureaux du M. le ministre de la guerre. Il a fait en 1832 un travail sur la fourniture des lits en fer qui était alors en projet.

En 1835 le même individu se mit en rapport avec une ou des sociétés qui devaient soumissionner pour l’entreprise de couchettes en fer.

Et pour faire croire à un crédit très grand auprès du ministre de la guerre, il remit à l’une des personnes qui se proposaient de soumissionner deux lettres à lui écrites par le ministre de la guerre ; elles étaient sans date, a dit M. C. de Brouckere qui a déposé dans l’enquête tenue au sujet du marché des lits militaires.

On attachait une grande importance à ces lettres et à la promesse donnée par Marie Valienne de donner le chiffre de l’adjudication.

M. C. de Brouckere ne croyant pas que Marie Valienne eût le chiffre du ministre, et ne voyant dans les démarches de Marie qu’une manière de soutirer de l’argent (ce sont ses expressions) ; pensant, en un mot, qu’il avait voulu se donner une importance qu’il n’avait pas, M. de Brouckere, voulant éclaircir cette affaire, se rendit au ministère de la guerre. Le ministre était absent ; mais il y trouva deux honorables aides-de-camp en la parole desquels on peut avoir foi, qui lui dirent que le chiffre de l’adjudication était dans le secrétaire de l’un d’eux, qu’il n’en était pas sorti et que Marie Valienne ne pouvait pas l’avoir. J’ai anticipé sur les faits, ce n’est qu’après le retour de M. de Brouckere du ministère de la guerre qu’on lui montra les deux lettres pour lui prouver le crédit de Marie Valienne. Voyez, incrédule, lui dit-on ; voilà deux lettres qui vous convaincront sans doute. C’est alors que M. de Brouckere se rendit près du ministre et, lui montra ces lettres ; C’était le 13 ou le 14 juin, veille de l’adjudication.

Le ministre lui dit : « Ces lettres sont sans date ; je les ai écrites en 1831 ou 32, quand je m’occupais d’un marché de lits qu’on se proposait de mettre en adjudication. »

M. de Brouckere informa le ministre de l’emploi qu’on avait fait de ces lettres et de l’abus qui pouvait le compromettre.

Ai-je voulu inculper jusqu’ici le ministre de la guerre, l’ai-je accusé de complicité ? Non sans doute. On pourra tirer plus tard les conséquences qu’on voudra, après ce que je vais dire.

Le ministre a donc su dès le 14 juin, que Marie Valienne avait compromis son nom, sa délicatesse, sa position de ministre, qu’il avait usé de son nom pour faire croire à un crédit imaginaire. Que fait alors le ministre de la guerre ? Il garde le silence, il souffre qu’un lieutenant-colonel résidant à Bruxelles couvre de son estime, de sa protection, ce même Marie Valienne. Il souffre qu’il le conduise par la main sur le banc de la cour d’assises pour là lui servir d’égide. De plus, le ministre le recommande à la compagnie adjudicataire des lits militaires, et le recommande pour un emploi, sachant l’abus que MarIe Valienne avait fait de lettres qu’il lui avait écrites antérieurement.

Je vous demande s’il n’y avait pas là excessive obligeance, excessive condescendance, excessive faiblesse. Je n’ai pas voulu tirer de conséquence. Mais il y a là une alternative fâcheuse qui résulte du silence du ministre. Ou il y a complicité, ou il y a faiblesse extrême.

J’écarte la complicité ; mais reste la faiblesse, la complaisance excessive envers un homme qui ne la méritait pas, et qui malheureusement avait de fâcheux antécédents en France et qui a été fort maltraité en cour d’assises. Cependant le ministre ne trouve pas mauvais qu’un lieutenant-colonel protège de l’estime dont il jouit dans l’opinion publique, ce Marie de Valienne, jusqu’à aller s’asseoir près de lui sur les bancs de la cour d’assises. Et quand il s’agit d’un autre lieutenant-colonel, mais Belge celui-là, tout est rigueur ; il suffit de la dénonciation d’une fille perdue pour le destituer, lui faire perdre son grade et son avenir.

Voilà dans quel sens j’ai présenté la chose. Sous ce rapport le ministre de la guerre ne pourrait pas se justifier. Je lui porte le défi de se justifier.

Ainsi, grande condescendance envers le lieutenant-colonel Chapelié. Le ministre ne trouve pas mauvais qu’il continue à avoir des rapports avec ce Marie de Valienne.

D’un autre côté, on n’a pas assez de rigueur contre le lieutenant-colonel Huybrecht, et son grand crime, messieurs, c’est d’avoir été accuse par une fille perdue, d’être l’auteur d un article signé : Un élève de l’école militaire. Qu’on lise cet article, qu’on le juge même sévèrement. Pour moi, je n’y aurais fait aucune allusion tant il est peu saillant ; ce n’est que quand il a été réimprimé que je l’ai lu avec la préoccupation de la célébrité qu’il avait acquise ; et je me suis demandé comment il était possible d’y voir quelque chose de coupable au premier chef. Le crime de M. Huybrecht est d’avoir dit : Je suis complètement étranger à la rédaction de cet article, mais je l’ai entendu lire.

On lui reproche de n’avoir pas empêché l’impression de cet article qui, en lui-même, ne signifie rien. Son grand crime encore est d’avoir écrit au ministre qu’il attribuait sa disgrâce (et c’en était une que d’être envoyé à Venloo, pour remplacer un capitaine de l’arme dans laquelle il est lieutenant-colonel) ; son grand crime, dis-je, était d’avoir écrit au ministre qu’il attribuait sa disgrâce à la haine que le général Goblet a pour les Français, haine que lui ne veut pas partager.

Remarquez qu’il avait écrit cela à son chef, qui devrait toujours être plutôt le père que le chef des officiers de l’armée. Que devait faire ce ministre ? il devait faire venir le lieutenant-colonel Huybrecht, pour s’expliquer, le réprimander ou même prendre une mesure quelconque disciplinaire s’il le jugeait nécessaire.

Avoir écrit cette lettre est considéré comme un crime, et plus tard un officier inférieur, un capitaine vient faire un rapport tout au moins inconvenant, si pas absurde, contre son supérieur, contre un lieutenant-colonel : il est cru sur parole, on ne se donne pas même la peine d’interroger le lieutenant-colonel sur ce rapport, et chose incroyable, on en autorise l’impression ; on autorise aussi la publication d’une lettre du lieutenant-colonel Chapelié contre le lieutenant-colonel Huybrecht. Qu’on lise ces deux documents que je ne qualifie pas parce que la haute cour militaire en est saisie, on verra si on peut établir une comparaison entre ces pièces et la plainte versée, en secret et de pleine confiance dans le sein du ministre de la guerre par le lieutenant-colonel Huybrecht.

Où est le scandale ? dans la publication de ces lettres. Où est le scandale d’indiscipline ? N’est-ce pas dans le fait d’une enquête tenue par des officiers inférieurs sur un officier supérieur, n’est-ce pas dans la foi ajoutée au rapport d’un officier inférieur contre un officier supérieur sans entendre cet officier supérieur ? Le scandale est dans l’autorisation de publier ce rapport d’un capitaine et l’enquête des quatre autres capitaines.

A propos de publication, le ministre a dit qu’il avait d’abord défendu formellement la publication de la lettre du colonel Chapelié.

Pourquoi a-t-il ensuite autorisé cette publication ? Parce que, vous a-t-il dit, un rapport a été fait par un capitaine qui a assuré que le lieutenant-colonel Huybrecht s’était reconnu coupable de l’article.

Remarquez que la lettre du lieutenant-colonel Chapelié a été publiée le 8, et que le rapport dont on parle est daté du 8.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - La lettre du lieutenant-colonel Chapelié n’a été imprimée que dans le numéro du 9.

M. Gendebien. - L’Indépendant porte-t-il la date du jour ou du lendemain ?

Plusieurs membres. - La date du jour.

M. Gendebien. - C’est un point à vérifier, et j’ai des raisons de croire que la publication a été autorisée avant le rapport du capitaine contre le lieutenant-colonel. Ce rapport est d’ailleurs encore aujourd’hui l’objet d’une poursuite en calomnie ; il n’était donc pas de nature à décider, encore moins à justifier, la publication de la lettre de M. Chapelié.

Vous parlez d’union et de la nécessité de mettre un terme aux malheurs qui résultent de la zizanie qui existe dans l’armée. Mais ne sont-ce pas des brandons de discorde que ces infractions à la discipline, cette enquête faite par quatre officiers inférieurs, ce rapport, ce rapport fait par un officier inférieur et dont on autorise la publication ?

Pourquoi croire les uns et les autres sur parole, plutôt que le lieutenant-colonel que vous ne voulez pas même entendre, et que vous frappez dans son honneur et dans son avenir, vous si bon, si indulgent, si bon homme pour un Marie Valienne ?

Mais, dit-on, le lieutenant-colonel Huybrechi a lui-même demandé une commission d’enquête et l’a déclinée ensuite.

Le lieutenant-colonel Huybrecht, pressé d’une part entre des menaces de publication et la publication déjà faite d’une lettre que je n’ai pas qualifiée, mais qui le sera par la haute cour militaire ; placé entre une provocation en duel et des ordres impératifs de départ, dit au ministre : Je laisse à votre sagesse le soin de me tirer de l’embarras de ma position ; je suis forcé de me laisser déshonorer ou de désobéir à vos ordres.

Un militaire est obligé de désobéir quand il s’agit de sauver son honneur, car pour un militaire l’honneur marche avant tout, même avant la discipline ; ce n’était point une enquête qu’il demandait, puisqu’il annonçait qu’il avait porté plainte en calomnie.

Le ministre a ordonné une enquête, mais quand ? Après la publication de la lettre du lieutenant-colonel Chapelié, lorsque le mal était fait, quand ce qui n’était qu’une insulte personnelle pouvait être considéré par le lieutenant-colonel Huybrecht comme une calomnie.

Cet officier ayant saisi la haute cour militaire, pouvait-il décliner la juridiction de la haute cour pour accepter cette d’une commission d’enquête ? Pourquoi le ministre n’ordonne-t-il une enquête pour s’éclairer, dit-il, sur l’état des choses, que quand tout le mal est fait et qu’une enquête secrète ne peut plus le réparer ?

Voulez-vous savoir ce que le lieutenant-colonel Huybrecht a répondu au ministre de la guerre ? Voici sa lettre, méditez-la, je vous en prie :

« Bruxelles, 13 mars 1836.

« Monsieur le ministre,

« Répondant à la dépêche que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser, sous la date d’hier, 12 mars, j’ai celui de vous exprimer de nouveau mes regrets de ne pouvoir accepter la juridiction exceptionnelle que vous m’offrez.

« Avant la publication de la lettre de M. Chapelié, j’aurais accepté avec empressement tous les moyens de prouver mon innocence ; je pouvais accepter et j’aurais accepté en effet le huis-clos, pour éviter le scandale de débats toujours fâcheux entre officiers de grades supérieurs : mais. M. le lieutenant-colonel Chapelié a pris l’initiative de la publicité, et vous-même, général, vous avez autorisé la publication qui, d’une injure personnelle, a fait une calomnie. Je ne puis, sans manquer à l’armée, sans manquer à ma dignité d’homme, décliner la publicité dont les conséquences retomberont de tout leur poids sur ceux qui ont pris l’initiative.

« Je suis disposé à reconnaître, général, que la mesure que vous avez prise, est essentiellement disciplinaire, et dans ce sens, je conçois que vous appeliez devant la commission d’enquête le lieutenant-colonel Chapelié, pour lui fournir les moyens de se justifier de son infraction commise aux règles de la discipline, en se permettant d’instituer une espèce d’information secrète contre son égal, devant quatre officiers inférieurs à son grade et au mien, et dont deux sont des subordonnés à l’école militaire ! Cette infraction et la publicité qui lui a été donnée, sont, j’ose le dire, inouïes dans les fastes militaires.

« Je conçois que vous constituiez une commission d’enquête pour fournir à M. le lieutenant-colonel Chapelié et dans l’intérêt de l’honneur militaire le moyen de se justifier de la publicité qu’il s’est empressé de donner à des accusations qui ne reposent que sur les honteuses et clandestines déclarations d’une fille perdue.

« Je conçois enfin que le lieutenant-colonel Chapelié soit admis à expliquer son inconcevable et inexplicable conduite envers un officier son égal en grade, sans avoir préalablement pris la peine de l’entendre, ou de provoquer au moins ces explications franches, qui, entre militaires, sont rarement sans résultat. Mais ce que je ne puis comprendre, général, c’est que vous m’appeliez, devant une commission d’enquête, pour répondre aux accusations portées contre moi par M. le lieutenant-colonel Chapelié et pour me disculper de ces graves accusations.

« Permettez-moi de vous le dire, général, avec la franchise et le respect que je dois à un chef, vous avez interverti les rôles, et, contre votre volonté, sans doute, vous avez dévié des règles d’impartialité qui doivent toujours diriger le chef de l’armée. M. Chapelié n’a pas, que je sache, saisi une autorité militaire quelconque d’une plainte à ma charge ; il m’a insulté, il m’a calomnié ; il en a appelé à l’opinion publique par la voie de la presse : c’est devant ce juge suprême que je l’ai sommé de prouve ses accusations.

« S’il avait saisi régulièrement une juridiction militaire d’une plainte on d’une accusation contre moi, je concevrais que nous fussions appelés tous les deux devant une commission d’enquête et, dans ce cas, il me semble qu’à grade égal, ma dénégation devrait avoir la même valeur que son affirmation, et elle aurait suffi pour neutraliser son accusation et pour le forcer à la prouver, à moins qu’entre deux officiers du même grade, le témoignage d’une fille perdue doive être admis comme preuve suffisante. La haute cour militaire en jugera.

« Qu’il me soit permis, avant de terminer ma lettre, de vous exprimer mes vifs et bien légitimes regrets de n’avoir pas été appelé à répondre, préalablement et devant vous, général, aux graves accusations portées contre moi par un officier de mon grade. Vous n’eussiez pas, j’en suis convaincu, permis la publication dont je déplore les conséquentes plus que qui que ce soit.

« Néanmoins, je crois qu’il est de mon devoir de vous prévenir, général, que je livrerai encore à la publicité votre dépêche du 12 mars et la réponse que je viens d’avoir l’honneur d’y faire, suivant en ceci votre propre exemple, qui m’a mis dans la nécessité de recourir à ce moyen de justification.

« Tout en déclinant la juridiction de la commission d’enquête, je suis loin de me refuser à toute explication ; je m’empresserai au contraire de me rendre près de vous, aussitôt que vous m’en aurez donné l’ordre.

« J’ai l’honneur d’être, monsieur le ministre, votre dévoué serviteur, lieutenant-colonel du génie, Huysbrecht.

« A M. le baron Evain, ministre de la guerre. »

Eh bien, messieurs, voilà la lettre de l’honorable colonel Huybrecht, écrite au ministre de la guerre.

Je vous demande si cette lettre était de nature à provoquer la mise en non-activité de cet officier.

Le grand crime de M. Huybrecht est d’avoir laissé publier une lettre dans le journal le Méphistophélès et sous la signature : Un élève de l’école militaire. M. Huybrecht s’est expliqué sur cette publication et s’en expliquera encore. Mais ne sait-on pas ce que c’est que la rédaction des journaux ? Quiconque a des relations avec ceux qui écrivent dans les journaux, finit par ne plus attacher d’importance et même à ne pas faire attention à ce qu’ils publient ; il en est ainsi en toutes choses. L’habitude use tout, et ce qui était de nature à attirer d’abord notre attention finit par passé inaperçu.

M. Huybrecht l’a dit, et ne divisez pas ce qu’il a dit, il a dit : Je suis complètement étranger à la lettre signée : Un élève de l’école militaire ; j’en ai, à la vérité, entendu la lecture avant l’impression, mais voilà tout ce que j’en sais. Il pouvait fort bien vous répondre : je n’ai ni rédigé, ni connu la lettre avant son insertion dans le Méphistophélès, et vous n’auriez jamais su lui prouver le contraire.

C est donc parce qu’il a mis trop de franchise dans sa déclaration, c’est parce qu’il a dit ce qu’il aurait très bien pu taire, c’est parce qu’il a dit : « J’en ai eu connaissance. » Je ne voulait pas qu’on mît en bas : Un élève de l’école militaire ; alors on proposa de mettre : Un membre de la chambre. Je fais observer que cela ferait encore plus de bruit... Il a déclaré en outre qu’il n’avait été rien décidé en définitive sur ce point. Voilà le grand crime de M. Huybrecht. Et on fera un grand crime à M. Huybrecht de ne pas s’être opposé à la publication de la lettre, et d’un autre côté, on admet sans scrupule la déposition d’une fille perdue poussée par la vengeance et peut-être le besoin. On admet sans hésiter l’enquête faite par quatre capitaines et la déclaration d’un autre capitaine contre un officier supérieur ; le tout comprenant des imputations très graves ; et on en permet la publication, et le ministre de la guerre permet lui-même la publication Et chose incroyable, chose révoltante ! sans entendre le colonel Huybrecht, objet de toutes ces dégoûtantes délations.

Les élèves de l’école militaire pouvaient être compromis et l’ont été, vous a-t-on dit : oui, messieurs ; je ne suis pas arrivé à temps au ministère de la guerre pour empêcher un acte d’injustice, et, j’ose le dire, un acte de la plus incroyable faiblesse ; acte qui a été réparé, grâce aux réflexions qui ont été faites, mais qui n’ont été appréciées que tardivement par le ministre de la guerre : Voici les faits de cette déplorable faiblesse : On avait demandé aux élèves de l’école militaire une espèce de protestation contre l’article signé : Un élève de l’école militaire. Ils la donnèrent sur-le-champ. On demanda la même chose aux aspirants à l’état-major…

M. Milcamps. - Mais alors tout cela n’a aucun rapport avec la loi en discussion.

M. Gendebien. - Votre réflexion est tardive, M. Milcamps ; il fallait empêcher qu’on me conduisît sur ce terrain ; maintenant je réponds, et vous n’avez pas le droit de m’interrompre. Je continue.

Je ne sais par quel caprice on trouve que la déclaration des officiers aspirants à l’état-major est insuffisante ; on donne trois jours à ces jeunes gens pour dénoncer ! pour dénoncer le coupable ! Les cours sont fermés et tous doivent être renvoyés, si dans les trois jours le coupable n’est pas dénoncé ! Voilà ce qu’on entend par discipline, voilà ce qu’on regarde connue un point d’honneur militaire ! Toujours des dénonciations !

Cependant, sur la réflexion d’un homme dont on trouva bon le conseil et qui dit : Mais vous ne faites pas attention qu’en exigeant quelque chose de plus que la protestation de vingt officiers sur l’honneur, c’est considérer le Méphistophélès, que vous méprisez tant, que vous trouvez si mauvais, comme plus digne de foi que la déclaration de ces vingt officiers belges faite sur l’honneur. Songez que c’est un étranger qui se trouve en présence de 20 officiers belges, et dans un moment où les esprits sont très irrités contre les étrangers.

On ne persista pas à maintenir l’arrêté qu’on avait pris ; toutefois il ne fut levé qu’au dernier jour, et un peu tardivement pour l’honneur du ministre. Plusieurs personnes avaient alors l’intime conviction que c’était un élève de l’école militaire qui avait écrit l’article ; on le désignait même par son nom. J’ai fait voir au ministre de la guerre qu’il n’existait pas de preuves à cet égard et qu’on se faisait une fatale illusion.

Les mêmes hommes à conviction intime si facile ne tardèrent pas à se persuader que c’était M. Huybrecht qui avait écrit l’article, parce qu’une fille perdue l’avait dit derrière une porte où ils avaient été invités à écouter ! par un lieutenant-colonel !

Enfin, on assure que les mêmes hommes à conviction intime sont depuis intimement convaincus que l’auteur de la lettre est un élève de l’école militaire, autre que le premier soupçonné. Ainsi, voilà trois convictions intimes sur le même objet, mais sur trois personnes différentes, dont aucune n’est coupable, puisque l’auteur véritable s’est fait connaître.

Voila les embarras où l’on s’est jeté pour avoir eu la faiblesse de céder à des susceptibilités trop grandes, quoique honorables peut-être. Si, au lieu de céder à des exigences ridicules, le ministre de la guerre avait dit aux deux officiers : C’est une affaire dont je ne puis me mêler, il se fût évité des embarras, des inconséquences impardonnables. Cependant si le ministre voulait éviter une rencontre fâcheuse, il pouvait faire venir devant lui les deux officiers, et les forcer à s’expliquer tous deux ; mais il devait s’abstenir de faire intervenir son autorité pour exalter l’un et écraser l’autre sans l’entendre ! Mais il ne devait pas pousser les choses de façon en faire un scandale pour la nation et pour l’armée.

Je ne connais particulièrement ni l’un ni l’autre des officiers ; je n’ai vu M. Huybrecht qu’une seule fois avant la publication de la lettre. C’était à l’occasion des plans pour les fortifications de la frontière du Nord. Il vint me trouver et m’exposer ses opinions relativement à ces plans, parce qu’il paraissait qu’on allait les discuter à la chambre ; c’était en décembre 1835. Je ne me permettrai pas de juger de la partie stratégique de son plan, qui m’a cependant paru très raisonnable et très rationnel ; mais je jugeai que c’était un homme très sensé et qu’il avait fait un travail très logique.

J’étais réuni avec les membres de la commission des lits militaires, lorsqu’un des membres vint nous lire la lettre du lieutenant-colonel Chapelié imprimé dans l’Indépendant ; chacun s’écria que cette publication était scandaleuse.

Un des membres de la commission, homme très calme et très réfléchi, nous dit : Comment M. le ministre de la guerre peut-il donner une telle autorisation ? Un autre ancien et honorable militaire dit : Il n’y a plus de discipline possible si le ministre autorise des enquêtes par des officiers inférieurs contre leurs supérieurs, et s’il permet de les publier, c’est une infraction flagrante à la discipline. Tous pensèrent que le colonel Huybrecht devait se pourvoir en calomnie.

Voilà l’effet que la publication de l’Indépendant a fait sur des personnes qui ne connaissaient ni l’un ni l’autre officier, et qui sont dans la classe des modérés de la chambre.

Messieurs, pour ne pas abuser plus longtemps de vos moments, je dirai en terminant que, sans attribuer au ministre aucune mauvaise intention, aucun but caché, sans supposer des intentions secrètes, comme il s’est permis de l’insinuer contre mes paroles d’hier, je serai plus modéré que lui, et je dirai qu’il y a eu faiblesse impardonnable, et que tout le mal procède de là.

M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, le projet de la section centrale a été, non pas attaqué (l’expression serait trop forte), mais quasi attaqué en sens inverse par deux des honorables orateurs qui ont parlé hier.

D’un autre côté, M. le ministre de la guerre ne s’étant pas rallié aux modifications que la section centrale a cru devoir vous proposer, j’aurais désiré, avant de prendre la parole, connaître ses motifs.

J’espère cependant qu’il le fera avant que nous passions à la discussion des articles, et avant de répondre aux discours qui ont été prononcés hier, Je lui rappellerai, pour qu’il veuille ne pas négliger d’y répondre, l’observation que j’ai faite en appuyant la motion d’ordre de l’honorable M. de Puydt. Je crois même que c’est au nom du ministère tout entier que la réponse devrait m’être faite, car je regarde les projets de loi comme étant les œuvres du ministère, et non du seul ministre qui a dans ses attributions le département auquel se rapporte l’objet dont ils traitent.

Je renouvellerai donc ma demande :

« Pourquoi n’a-t-on pas réuni en un seul, divisé en deux titres, les deux projets de loi que nous discutons ? »

Maintenant je passe à ma réponse aux discours prononcés hier.

Le premier orateur qui a parlé et qui a fait une motion d’ordre a bien voulu reconnaître que les projets de la section centrale étaient des améliorations des projets présentés par le ministre ; seulement il a trouvé que nous avions encore laissé subsister beaucoup trop d’arbitraire.

Certes il est vrai, messieurs, que nos projets ouvrent encore une large porte à l’arbitraire. Mais c’est là, avouons-le aussi, une condition inévitable de l’état militaire, et à laquelle doit se soumettre tout militaire qui veut servir utilement son pays.

L’unité d’action est la nécessité d’une armée qui veut pouvoir vaincre, et elle ne peut l’obtenir que par une bonne organisation et par une discipline sévère.

L’action disciplinaire des chefs est et doit être de sa nature même arbitraire ; cela est incontestable ; aussi est-ce dans l’exercice, bien entendu, de cet arbitraire, que résident principalement les qualités qui constituent les bons chefs militaires.

Toutefois, en concédant qu’il faut de l’arbitraire dans le commandement militaire, je ne prétends pas qu’il soit interdit à l’inférieur de demander réparation d’abus d’autorité ; mais il doit y arriver par les voies légales. Ce sont ces principes même qui ont dicté à la section centrale l’amendement par lequel elle propose que le grade puisse être enlevé à l’officier pour sévices envers son inférieur.

La hiérarchie militaire, messieurs, est tellement conçue et combinée qu’il y a toujours un officier de grade supérieur prés duquel l’inférieur envers lequel un abus d’autorité a été commis peut réclamer. Cette hiérarchie se poursuit jusqu’au Roi, qui en vertu de la constitution a le commandement suprême de l’armée. Ainsi, toutes les garanties qui peuvent être accordée, sans compromettre le salut de l’armée, et par conséquent le salut du pays, se trouvent en quelque sorte dans l’organisation elle-même de l’armée.

L’honorable colonel qui a pris la parole hier, et aux vues duquel d’ailleurs je me plais à rendre hommage, vous a dit en vous parlant des projets de loi :

« Les uns les considèrent comme essentiels pour corriger des vices existant actuellement dans notre armée, et veulent qu’une partie de leurs dispositions soient temporaires ; d’autres pensent que la discipline et l’esprit militaire doivent résulter de règles constantes et d’une législation fixe. »

Je ne sais si dans ce passage de son discours, et dans la protestation chaleureuse par laquelle il a terminé, il a entendu faire allusion à l’amendement de la section centrale qui tend à rendre la loi sur la perte des grades temporaire, en ce sens qu’elle n’aurait de durée que jusqu’à la conclusion du traite de paix avec la Hollande. Quoi qu’il en soit, je crois de mon devoir de justifier l’opinion de la section centrale à cet égard.

Nous avons tous, la majorité comme la minorité, été d’opinion que l’état des officiers devait être réglé par des lois permanentes, et, en ce qui me touche personnellement même, la chambre se rappellera que dès la première fois, et que toutes les fois, depuis que j’ai parlé sur le budget de la guerre dans cette enceinte, j’ai toujours demandé la présentation des projets de loi que nous discutons aujourd’hui.

Mais lorsque ces projets ont été mis en discussion dans la section centrale, j’ai dû, avec mes honorables collègues, considérer l’influence sous laquelle ils nous étaient présentés ; nous avons dû examiner si, peut-être à raison des circonstances extraordinaires où nous sommes placés actuellement, il n’y avait pas lieu à laisser subsister dans ces projets de loi des dispositions telles, qu’elles devraient nécessairement cesser leurs effets ou au moins être modifiées, quand ces circonstances extraordinaires seraient venues elles-mêmes à cesser. Cet examen, nous l’avons fait soigneusement et consciencieusement, parce que nous avons pensé que la gravité des questions que soulèvent ces projets de loi, surtout celui sur la perte des grades, était telle qu’elle exigeait impérieusement que nous agissions ainsi.

Du reste, la protestation elle-même qui termine le discours de l’honorable membre, messieurs, vient en aide de notre opinion sur ce point.

« Je proteste ici hautement, a-t-il dit, contre l’opinion de ceux qui prétendraient vouloir, par des mesures temporaires, établir implicitement le fait de l’existence d’une indiscipline ou d’un désordre quelconque. Je l’ai déjà dit, il n’y a pas d’indiscipline, il n’y a pas de désordre intérieur, il n’y a pas de vice actuel à corriger ; l’armée repousse cette accusation ; mais il y a en dehors d’elle des doctrines pernicieuses qu’on voudrait y faire pénétrer, et c’est contre l’action dissolvante de ces doctrines que nous demandons une barrière. Nous ne voulons nullement priver l’armée de droits constitutionnels, mais nous voulons mettre le principe de sa force sous la sauvegarde de son honneur. »

Eh bien, oui, admettons-le, il y a en dehors de notre armée des doctrines pernicieuses, sans aucun doute nos ennemis cherchent, par tous les moyens possibles, à les y faire pénétrer, afin de l’affaiblir, afin de l’énerver. Il y a donc nécessité pour nous de parer à ces coups mortels que veut nous porter la puissance avec laquelle nous sommes en guerre, et la maxime : Salus populi suprema lex nous commande de le faire, quand bien même, pour y parvenir, nous devrions mettre en pratique, momentanément, un arbitraire que plus d’un d’entre nous peut considérer comme n’étant pas en parfaite harmonie avec la constitution.

Mais de ce que cette nécessité peut exister dans le moment actuel, s’ensuit-il qu’il faille conserver à tout jamais ce régime arbitraire ? Non certainement.

La constitution, quoi qu’on en dise, a voulu que le grade fût la propriété de l’officier ; elle a voulu qu’il ne put perdre cette propriété, qu’il ne pût en être en quelque sorte exproprié que de la manière déterminée par la loi.

Mais, dit-on, les fonctions d’officiers ne sont pas forcées, elles sont volontaires ; le Roi les confère, le citoyen les accepte.

Je demanderai, moi, messieurs, s’il est permis aussi de ne pas accepter d’être soldat, et dès qu’il n’est pas permis de ne pas accepter d’être soldat, il n’est pas permis de ne pas accepter d’être officier.

Dans les siècles les plus reculés, chez les peuples où régnait le despotisme comme chez ceux où la liberté répandait ses bienfaits, le grade du militaire a toujours été considéré comme chose sacrée pour ainsi dire.

Permettez-moi, messieurs, de vous lire un extrait du testament de Louis XI, de ce roi de cruelle mémoire ; et remarquez bien, je vous prie, que je le trouve dans un discours prononce en 1834 à la chambre des pairs de France par un illustre maréchal, ancien aide-de-camp et élève du grand empereur militaire. Voici cet extrait, ou plutôt voici l’extrait du discours du maréchal Grouchy :

« Un fait bien plus ancien et non moins digne de remarque :

« Louis XI, quelle que fût sa propension pour l’arbitraire, sa soif d’absolutisme, reconnaissait qu’on ne devait porter aucune atteinte à la stabilité de l’emploi des chefs et capitaines des gens de guerre, et qu’ils ne pouvaient en être dépouillés qu’en vertu d’un jugement. Lorsqu’il sentit sa fin approcher, il enjoignit à son fils de respecter l’un et l’autre de ces principes. Peut-être la lecture du fragment de son testament qu’il fut enregistrer en divers parlements et notamment à celui de Paris, et qui contient cette injonction, ne vous paraîtra-t-elle pas sans intérêt. La voici :

« Lui avons aussi par exprès commandement ordonné et enjoint que quand il plairait à Dieu qu’il parvienne à la dite couronne de France, qu’il entretienne aux charges et offices qu’il trouvera être en nos dits royaumes, pays ou seigneuries, lesdits seigneurs de notre sang ou lignage, les autres seigneurs barons, gouverneurs, chevaliers, écuyers, capitaines et chefs de gens de guerre, et tous autres, ayant charge, garde et conduite de gens, villes, places, forteresses, etc... Sans aucunement les changer, muer, ni désappointer, ni aucun d’eux ; sinon, toutefois, qu’il fût et soit trouvé qu’ils ou aucun d’eux fussent et soient autres que bons et loyaux, et que due et juste déclaration en soit faite par justice, ainsi qu’en tel cas il appartient. »

« Comme vous le voyez, messieurs (ajoute le maréchal Grouchy), le plus despote de nos rois regardait l’inamovibilité de l’emploi comme utile, et proclamait comme principe, dès longtemps admis qu’on ne pouvait le perdre qu’en vertu d’un jugement. »

Vous le voyez, ajouterai-je à mon tour, messieurs, Louis XI de cruelle mémoire, lui-même, considérait l’état de l’officier comme sa propriété ; et nous, oubliant que nous avons fait une révolution au nom de la liberté, en tout et pour tous, nous irions vouloir rendre permanente une loi qui consacre un arbitraire que nous ne pouvons refuser aux nécessités du moment, une loi dont on proclame tellement l’urgence, que nous sommes obligés de le voter lorsqu’à peine elle vient de nous être présentée !...

Si vous voulez, messieurs (et telle est, j’en suis persuadé, notre volonté à tous), que cette loi produise un bon effet dans l’armée ; si vous voulez que tous nos militaires, sans en excepter aucun, s’y soumettent avec ce dévouement qu’ils doivent avoir, que dis-je, qu’ils ont tous pour les intérêts de la patrie, eh bien, n’allez pas, je vous en conjure, assigner un caractère permanente à une telle loi.

Quand les militaires sauront que la nécessité seule a commandé le décrètement de cette loi, et que plus tard leurs libertés et garanties leur seront pleinement rendues, vous les verrez tous faire de plein cœur ce nouveau sacrifice pour le maintien de notre indépendance nationale.

Dans le rapport que j’ai eu l’honneur de vous présenter, messieurs, j’ai émis l’opinion qu’en tout ce qui ne concernait pas le service, le militaire était citoyen libre comme tous les autres citoyens.

L’honorable colonel auquel je réponds, nous a dit, en parlant de l’armée de la république française : « On y voulait y être à la fois citoyen et soldat, remplir des devoirs comme défenseur du pays, exercer des droits politiques et s’associer aux travaux de la tribune. »

Je ne sais encore si par là il a entendu se mettre en opposition avec l’opinion de la section centrale. Je dois croire que non puisque plus loin il accorde les droits de citoyen aux militaires. Mais, ajoute-t-il, il est du devoir du militaire de s’abstenir à cet égard. Les fonctions d’un officier absorbant tous ses instants il reste naturellement étranger à la plupart des habitudes de la vie civile. Il doit surtout se tenir éloigné des affaires publiques.

Je dois dire que l’honorable membre ou s’est mal expliqué, ou a mal interprété notre opinion, car je crois qu’au fond nous sommes d’accord. Nous ne disons pas d’abord que l’officier doit pratiquer, hors du service, tous ses droits quelconques de citoyen, mais nous disons qu’il doit pouvoir les pratiquer ; c’est-à-dire, selon moi du moins, que s’il est électeur, il doit pouvoir concourir librement aux élections, que s’il est élu député il doit pouvoir discuter, voter librement et éclairer même par ses lumières et son expérience les votes de ses collègues ; qu’il doit, lorsque, d’après lui, la presse s’égare sur les questions d’art militaire, pouvoir, par ses écrits, contribuer à ramener l’opinion vers les véritables principes, sans toutefois jamais entrer dans des personnalités, ni dans rien de ce qui est essentiellement du domaine du service militaire intérieur. En un mot, l’officier doit pouvoir s’occuper des affaires publiques en tout ce qui n’est pas contraire au bien-être du service.

Et comment, en effet, refuser, en ce qui ne concerne pas le service, à celui qui se dévoue entièrement à la défense du pays, à celui qui verse son sang pour nous assurer notre indépendance nationale et avec elle ces libertés constitutionnelles dont nous nous montrons si jaloux, comment, dis-je, pourrions-nous lui refuser ces mêmes libertés ?

D’ailleurs ne perdons pas de vue que si c’est par la discipline que l’exécution de la volonté suprême est assurée dans la pratique de l’art de la guerre, c’est en inspirant aux militaires les sentiments d’honneur et d’amour de la patrie qu’on parvient à leur faire remporter des victoires.

Ainsi que l’a dit hier l’honorable M. Rogier, messieurs, nous discutons en ce moment des projets de loi de la plus haute importante, et quelque parfaites que seront les lois que vous allez faire, elles n’en seraient pas moins des armes très dangereuses, menant même à un but directement opposé à celui qu’on veut atteindre, si, confiées à des mains inhabiles, l’esprit de la plus grande fermeté, l’esprit de la plus sévère comme de la plus rigoureuse justice ne présidait pas à leur exécution.

Les chefs militaires peuvent, doivent même être sévères ; mais ils doivent être aussi justes que sévères, et ne point perdre de vue qu’en fait de discipline militaire, comme en beaucoup de choses, l’injustice naît souvent de la faiblesse et du manque de fermeté.

Quand le supérieur est sévère et juste, l’inférieur apprend, comme il le doit, à le respecter, à s’en faire estimer et à mériter sa bienveillance. Ce n’est qu’en étant sévère et juste que lui-même apprendra, comme il le doit aussi, à aimer et à aider ses subordonnés, et qu’il fera naître entre les militaires sous ses ordres cette amitié, et cette estime réciproque, qui doivent toujours régner dans une armée.

- La clôture est demandée, et la chambre ferme la discussion générale.

Discussion des articles

M. le président. - Nous passons à la discussion des articles.

Article premier

« Art. 1er. Les grades conférés par le Roi dans l’armée, depuis et y compris celui de sous-lieutenant, constituent l’état de l’officier. »

M. Liedts. - Messieurs, je ne comprends pas bien le premier paragraphe de cet article ; je ne sais pas trop ce qu’il veut dire, et je voudrais que M. le ministre de la guerre s’expliquât sur le sens qu’il lui attribue.

En France, car c’est la loi française que l’on a copiée, en France ce premier paragraphe était nécessaire.

Lors de la révolution de juillet on a révisé la charte, et un de ses articles porte qu’une loi assurerait ou réglerait l’état des officiers. Les uns croyaient que l’état de l’officier comprenait le grade et l’emploi, les autres disaient que l’état de l’officier consistait dans le grade seulement. Il fallut s’expliquer en présence d’opinions diverses ; et c’est pour ce motif qu’on a déclaré que l’état de l’officier était le grade.

Le paragraphe était donc utile en France ; mais il est inutile chez nous.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - L’article 66 de la constitution porte que le Roi confère les grades dans l’armée. Elle s’est bornée à poser ce simple principe, et il n’y est pas question de l’emploi.

L’article 124 de la constitution contient aussi une disposition relative aux officiers. Il y est dit que les militaires ne peuvent perdre leurs grades, honneurs et pensions que d’une manière déterminée par la loi.

Nous avons pensé que cet article ne concernait que les officiers. C’est pour combiner les articles 124 et 66 que nous avons cru devoir proposer l’article premier qui porte « les grades conférés par le Roi dans l’armée, depuis et y compris celui de sous-lieutenant, constituent l’état de l’officier. »

L’article 2 porte que « le grade est distinct de l’emploi. » J’ai pensé que l’article premier était nécessaire pour montrer que cette disposition n’est pas applicable aux sous-officiers.

- L’article premier est mis aux voix et adopté.

Article 2

M. le président. - L’article 2 est ainsi conçu dans le projet du gouvernement :

« Art. 2. Le grade est distinct de l’emploi. Au Roi seul appartient le droit de conférer l’emploi du grade ou de le retirer.

« L’emploi est exercé en vertu de lettres de service du ministre de la guerre, délivrées d’après les ordres du Roi. »

La commission propose la rédaction suivante :

« Art. 2. Le grade est distinct de l’emploi. Le Roi confère l’emploi du grade ou le retire ; l’emploi est exercé en vertu de lettres de service du ministre de la guerre, délivrées d’après les ordres du Roi. »

M. le ministre de la guerre se rallie-t-il à la rédaction proposée par la commission ?

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Oui, M. le président. Je trouve la rédaction de la commission plus concise, plus claire, plus dans les principes ; Par conséquent j’y donne plein et entier assentiment.

M. Dumortier. - Je voudrais bien savoir quel sera, d’après l’art. 2, le sort des officiers de santé. Vous n’ignore pas qu’on s’est plaint dans cette enceinte de la position exceptionnelle des officiers de santé. Il est temps de faire cesser ces plaintes qui sont réellement fondées.

Dans l’armée, lorsqu’une place de major vient à vaquer, un capitaine remplit les fonctions de major ; ce capitaine reste capitaine ; il n’obtient pas un brevet de major ; il ne porte que les insignes de capitaine ; il ne touche que le traitement de capitaine ; de telle manière que si la place de major est remplie, le capitaine reprend les fonctions de capitaine. Le gouvernement agit ainsi rationnellement ; ainsi aucun affront n’est fait à personne.

Dans le service de santé, le système est différent ; il n’est pas en harmonie avec notre système constitutionnel. On a délivré dans le service de santé des commissions en vertu desquelles, par suite de lettres du ministre, un docteur en médecine est commissionné médecin de régiment, c’est-à-dire chirurgien-major, et cela, remarquez-le bien, en portant les insignes, en touchant le traitement de chirurgien-major. Vous voyez que la différence est saillante. En effet, si plus tard on retire à ce chirurgien-major sa commission, il devient simple officier subalterne, ou même rien du tout ; car l’an dernier, M. le ministre de la guerre a déclaré que les deux tiers et au-delà des officiers de santé n’étaient pas brevetés. Or, puisque d’après les projets de loi qui nous sont soumis, les officiers de santé doivent être passibles des mêmes peines que les autres officiers, ils doivent jouir des mêmes avantages que les autres officiers. Je voudrais savoir si dans la loi on conserve cet état exceptionnel des officiers de santé que rien ne justifie et n’autorise à mes yeux.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Le service des officiers de santé a été assimilé au service militaire par différents arrêtés qui remontent à l’ancien gouvernement.

Un de ces arrêtés assimile le grade de chaque classe des officiers de santé à un grade militaire dans l’armée. Ainsi le grade de médecin en chef de l’armée est assimilé au grade de colonel, celui de médecin du régiment au grade de capitaine, celui de médecin de bataillon au grade de lieutenant, et enfin celui de médecin adjoint au grade de sous-lieutenant.

J’ai proposé, pour arriver à une meilleure organisation du service de santé et à une organisation définitive, par l’arrêté du 8 mars dernier, de fixer le cadre des officiers de santé pour le service de l’armée, réduite au pied de paix. Les officiers de santé sont au nombre de 90, dont 80 seulement ne sont que commissionnés. J’ai proposé de fixer le nombre total des officiers de santé à 147.

Vous voyez qu’il y aura une grande réduction à faire. C’est ce qui a engagé le gouvernement à ne pas délivrer de brevets définitifs à ceux qui n’ont été admis au service que par simple commission. Car que les officiers de santé sont brevetés, ils sont nommés effectivement par le Roi dans leur grade, avec assimilation du grade militaire qui est affecté à l’emploi qu’ils remplissent.

Quant aux officiers commissionnés, leur nomination est délivrée par le ministre, et peut être révoquée.

Si on demande pourquoi il y a un si grand nombre d’officiers de santé qui sont seulement commissionnés, je ferais de nouveau connaître qu’il en est ainsi pour maintenir l’organisation du service des ambulances, des hôpitaux temporaires ; que c’est pour augmenter le personnel du service de santé dans quelques hôpitaux sédentaires où il n’était pas en rapport avec le nombre des malades existants.

Il y aura, sur le personnel du service de santé, une diminution de 220 à 147, c’est-à-dire de 73, quand les circonstances politiques nous permettront de mettre notre armée sur le pied de paix.

Je pense qu’à l’égard des officiers de santé brevetés, il est indispensable d’établir un mode d’avancement. Mais il ne peut être entièrement conforme à celui déterminé pour les autres officiers de l’armée. En conséquence j’ai déjà déclaré et je déclare encore que, dans la prochaine session, le gouvernement proposera un projet de loi sur le mode d’avancement des officiers de santé, dès que les chambres auront statué sur la base que j’ai déjà proposée.

M. Dumortier. - J’ai quelques mots de réponse à adresser à M. le ministre de la guerre ; pour justifier la mesure exceptionnelle qui pèse sur les officiers de santé, il vous dit que leur nombre qui est de 220, sera réduit à 147. M. le ministre dit que si un grand nombre d’officiers n’a pas de brevets, c’est que leur nombre est plus grand que celui réclamé définitivement par les besoins du service, et que l’on n’a pas voulu créer des droits pour l’avenir.

Mais s’il en est ainsi, comment se fait-il que l’on reçoive de nouveaux élèves, et que l’on donne de nouvelles commissions à des personnes qui n’ont pas non plus le droit d’exercer l’art de guérir ? cela est complètement illégal. La loi sur l’instruction publique porte que nul ne peut exercer l’art de guérir, s’il n’est gradué. Maintenant donc, l’on augmente le nombre des officiers de santé, alors que l’on vient dire à la chambre qu’il serait nécessaire de le réduire.

Je voudrais que l’on conciliât les faits avec cette déclaration. Ou le nombre des officiers de santé est trop grand, alors n’en admettez plus, ou il est trop restreint alors délivrez des brevets au lieu de ne donner que des commissions.

La position de la plupart des officiers de santé est ridicule, déraisonnable. Le nombre des officiers de santé n’est pas trop grand.

M. le ministre de la guerre l’a déclare lui-même dans une autre circonstance ; c’est précisément pour cela qu’il voulait créer une école de santé militaire. Telle est la déclaration que vous avez faite il n’y a pas trois mois. Et maintenant qu’il faut justifier d’une manière quelconque une mesure qui blesse tout homme d’honneur, vous venez déclarer que le nombre des officiers de santé est trop grand. Il faudrait, ce me semble, être plus conséquent avec soi-même.

Je vais déposer sur le bureau un amendement dont le but est de déterminer enfin la position des officiers de santé. Je prie la chambre de vouloir bien renvoyer cet amendement à la commission comme on l’a fait de mon premier.

Voici cet amendement :

« Nul ne peut être admis officier de santé, s’il n’est gradué dans l’art de guérir. »

La santé de nos soldats est d’une importance trop grande à vos yeux pour que vous souffriez que l’on nomme aux fonctions d’officiers de santé des hommes qui n’auraient pas fait d’études préalables, qui n’auraient pas de diplôme. Mais comme il s’en trouve beaucoup de cette catégorie dans l’armée, j’ai prévu ce cas et je continue ainsi :

« Néanmoins les officiers de santé actuels, non gradués, pourront dans trois ans, à partir de la présente loi, se pourvoir du grade de docteur dans l’art de guérir. »

Je fais donc la part de tous.

« L’avancement des officiers de santé, jusqu’au grade de médecin de régiment, aura lieu, un tiers d’après l’ancienneté, un tiers au choix du Roi, un tiers au concours. » (Réclamations.)

Plusieurs membres. - C’est un amendement à la loi sur l’avancement.

M. Dumortier. - Soit, mais on peut ajouter un article transitoire à la loi actuelle. M. le ministre de la guerre déclare qu’il y a trop d’officiers de santé. Il est urgent d’assurer la position de ceux qui sont au service. Je ne vois pas pourquoi ils seraient plus bâtards que les autres officiers de l’armée. Je termine ainsi mon amendement :

« La nomination des grades supérieures au grade de médecin de régiment est laissée au choix du Roi. »

M. Legrelle. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Je n’examinerai pas le mérite de l’amendement de M. Dumortier. Je ferai remarquer que nous discutons en ce moment une toute autre loi que celle à laquelle cet amendement se rattache ; ne serait-ce pas jeter la confusion dans nos discussions, si des amendements étrangers à l’examen de la loi à l’ordre du jour venaient nous le faire abandonner ? je demande donc que l’examen de l’amendement de M. Dumortier soit ajournée jusqu’au deuxième vote de la loi sur l’avancement des officiers. (Appuyé.)

M. le président. - Ainsi l’amendement de M. Dumortier est retiré.

M. Gendebien. - Un moment, je le fais mien.

M. Dumortier ne demande pas que l’on s’occupe immédiatement de son amendement. Il demande qu’on le renvoie à la commission chargée d’examiner d’autres articles additionnels à la loi déjà votée.

Je demande à M. le ministre de la guerre s’il considère l’article 2 de la loi sur la position des officiers comme applicable aux officiers de santé.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense qu’il y a lieu de renvoyer l’amendement de M. Dumortier à la discussion de la loi annoncée par M. le ministre de la guerre, concernant le service de santé. Nous nous occupons en ce moment d’une loi sur les officiers de l’armée de ligne. Ce serait jeter la confusion dans la discussion que de s’occuper de l’amendement dont vient de parler l’honorable M. Dumortier, amendement qui est relatif à des officiers de santé non brevetés.

M. le ministre de la guerre, en répondant tout à l’heure, a dit qu’il s’occuperait d’une loi sur l’administration et l’avancement des officiers du service de santé. C’est donc, je le répète, jusqu’à la discussion de cette loi qu’il convient de différer l’examen de l’amendement de l’honorable M. Dumortier.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Indépendamment des considérations présentées par mon honorable collègue M. le ministre des finances, je ferai remarquer que la proposition de M. Dumortier est assez importante par elle-même pour subir toutes les épreuves auxquelles le règlement soumet de semblables projets, la prise en considération, l’examen des sections, le rapport de la section centrale et la discussion publique.

J’engage donc l’honorable M. Dumortier à faire de son amendement, s’il persiste dans sa proposition, l’objet d’un projet de loi, ou à attendre la loi promise par M. le ministre de la guerre.

M. de Brouckere. - M. Dumortier a retiré sa proposition. Dès lors, MM. les ministres peuvent se dispenser de lui donner des conseils ; il est libre de la reproduire, s’il le veut, au second vote de la loi sur l’avancement.

M. Dumortier. - Je retire ma proposition en ce sens que je consens à ce qu’on en ajourne la discussion jusqu’au second vote.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je sens le besoin de donner des explications sur les différents points traités par MM. Dumortier et Gendebien.

Ce qui m’a arrêté dans la rédaction définitive du projet à soumettre à la chambre sur le mode d’avancement des officiers de santé, c’est que je devais partir d’une base. J’ai soumis à la chambre un projet de loi sur l’organisation d’une école de santé militaire ; de même que j’ai présenté un projet de loi pour l’organisation d’une école militaire. Il faut que la chambre se soit prononcée sur le plan de l’école de santé pour que je base les diverses dispositions du projet d’organisation du service de santé militaire.

Je n’ai pas dit que, dans le moment actuel, il y avait trop d’officiers de santé ; mais j’ai dit que quand l’armée sera sur le pied de paix, le nombre de 220 dont ce corps se compose sera trop élevé. Si tous avaient des brevets, il faudrait donc les mettre en non-activité ou à la retraite, selon qu’il y auraient des droits ; au lieu que n’étant que simplement commissionnés, le gouvernement les remerciera de leur service en leur accordant une indemnité de six mois ou d’un an d’appointements, selon l’occurrence.

On a dit que j’avais admis de nouveaux officiers de santé non commissionnés. L’honorable M. Rodenbach avait dit déjà que d’autres examens que celui qui doit avoir lieu au mois de juillet avait été ouverts à Gand et à Anvers. J’ai pris des renseignements à ce sujet. Il résulte effectivement qu’il y a eu un concours dans les hôpitaux du royaume, des élèves non rétribués pour obtenir l’emploi d’élève soldé ; encore, au budget de cette année, la chambre m’avait accordé une somme de 8,400 fr. pour rétribuer les plus dignes d’entre eux ; M. l’inspecteur-général a appelé, en vertu de l’arrêté du mois de juillet 1831, tous les élèves non soldés à subir un examen, afin de connaître ceux qui seraient reçus définitivement comme élèves jusqu’à concurrence du nombre fixé au budget.

Mais ces examens sont en dehors de ceux qui n’ont pour objet que l’avancement à un grade supérieur, ou pour l’obtention du grade dont on exerce l’emploi. Nous avons ainsi ouvert un moyen d’obtenir un brevet définitif aux officiers de santé qui ne sont que commissionnés. Tel est l’objet de l’examen qui aura lieu le premier juillet et pour lequel 48 des officiers de santé se sont fait inscrire.

Ainsi, la question de savoir s’il y aura une école de médecine militaire doit être résolue pour qu’on puisse proposer un mode d’organisation du service de santé.

Quant à l’observation de l’honorable M. Gendebien, j’en sens toute la portée. Les officiers de santé sont assimilés aux autres officiers de l’armée.

L’honorable membre a demandé si l’article 11 de la loi leur était applicable à tous. Je lui répondrai que ceux qui ont des brevets sont seuls dans ce cas, mais que ceux qui ne sont que commissionnés n’ont pas qualité pour être compris dans les diverses catégories de la loi sur la position de l’officier breveté.

Je pense qu’il faudra ajouter une disposition dans ce sens :

« Les officiers de santé brevetés sont soumis aux dispositions de la présente loi. »

M. Gendebien. - Je suis satisfait de l’explication du ministre ; nous sommes d’accord sur l’application de la loi en discussion ; et également que les officiers de santé ne sont passibles de la loi pénale que pour le grade pour lequel ils sont breveté.

M. Dumortier. - Les ministres ont tort…

M. Rogier. - Aux voix !

M. Dumortier. - Vous n’avez pas le droit de m’interrompre.

M. Rogier. - J’ai le droit de rappeler à l’exécution du règlement. C’est la quatrième fois que vous parlez.

M. Dumortier. - M. le président m’a accordé la parole ; je la garde.

Les observations du ministre de la guerre reposent sur une erreur, car l’article 11 porte que les dispositions de la présente loi seront applicables aux officiers de l’intendance militaire et aux officiers de santé.

Vous allez leur appliquer les dispositions sévères de la loi sur la perte des grades ; vous devez aussi leur donner les garanties nécessaires pour la conservation de leur grade une fois qu’ils l’ont obtenu, et régler ce qui est relatif à leur avancement. Je ne tiens pas à ce que mon amendement soit discuté maintenant, je consens à le retirer quant à présent ; mais bien entendu qu’au second vote de la loi sur l’avancement on ne m’opposera pas une fin de non-recevoir. D’ailleurs on ne le peut pas, car cette loi n’est pas terminée, attendu qu’une disposition a été renvoyée à la section centrale pour être discutée plus tard.

Je serai donc dans les termes du règlement quand je représenterai mon amendement.

M. Seron demande qu’on le renvoie à une commission.

M. de Brouckere. - M. Dumortier a-t-il retiré son amendement ?

M. Dumortier. - Oui, mais je le représenterai au second vote de la loi sur l’avancement.

M. de Brouckere. - Vous le représenterez, sauf à vous en contester le fond et la recevabilité.

M. Gendebien. - Je n’avais insisté que pour avoir du ministre une explication que j’ai obtenue, et il a même ajouté qu’il proposerait un article spécial. Quant à l’amendement de M. Dumortier, c’est à la chambre à juger si elle veut s’éclairer sur cet amendement de l’examen de la commission, avant le second vote de la loi d’avancement ; mais on ne peut en contester la recevabilité, car il a été reconnu que les trois lois étaient connexes.

- L’article 2, amendé par la section centrale, est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Les positions de l’officier sont :

« 1° L’activité ;

« 2° La disponibilité ;

« 3° La non-activité ;

« 4° La réforme. »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4. L’activité est la position de l’officier appartenant aux cadres de l’armée, et exerçant l’emploi de son grade.

« Les officiers chargés de missions temporaires ou d’un service spécial, en dehors de l’emploi de leur grade, sont également dans la position d’activité. »

M. de Brouckere. - Je désirerais que M. le ministre de la guerre nous expliquât ce qu’il entend par un service spécial.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - La réponse sera simple. Je me prendrai pour exemple. Je suis général de division et je fais un service spécial comme ministre de la guerre. Je suis censé en activité de service. Mais comme le cumul est défendu, je ne touche aucun traitement comme général de division tant que je suis ministre de la guerre.

Il en est de même quand des officiers sont chargés de missions diplomatiques ; les titulaires sont payés sur les fonds du ministère des affaires étrangères, ils ne touchent rien du département de la guerre. Et comme pour le règlement de la pension on recherche de quelle manière on a été payé, lorsqu’un officier a été envoyé en mission diplomatique, on lui compte le temps de cette mission comme une continuation de l’activité. C’est ainsi que j’entends l’article.

M. de Brouckere. - Alors je ne comprends pas l’épithète « temporaires » qui se trouve dans l’article 4. Car de cette manière l’officier chargé d’une mission diplomatique qui ne serait pas temporaire ne serait pas considéré comme restant en activité. Ordinairement un envoyé diplomatique n’est pas nommé pour un temps donné. Je désire savoir ce qu’on entend pas mission temporaire et service spécial. Il résulte de l’explication du ministre que toute espèce de fonction étrangère au service militaire, temporaire ou non, donnée à un officier, ne lui fait pas perdre sa position d’activité. Je dis que la disposition ne rend pas la pensée du ministre.

Il faut supprimer le mot « temporaires ; » si vous ne le supprimez pas, l’officier chargé d’une mission diplomatique pour un temps indéterminé, perdra sa position d’activité.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Il est possible que les termes de l’article ne rendent pas parfaitement l’idée que je viens d’exprimer. La loi française dit : « L’officier employé temporairement à une mission diplomatique ou à un service spécial conserve la position d’activité. »

On pourrait dire : « Les officiers chargés temporairement d’une mission ou d’une service spécial en dehors de l’emploi de leur grade, sont également dans la position d’activité. »

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je propose de supprimer le mot : « temporaire. » De cette manière, que la mission soit temporaire ou non, l’officier conservera sa position d’activité. Il pourrait arriver, par exemple, qu’un officier du génie fût temporairement détaché au corps des ponts et chaussées pour la construction d’un ouvrage urgent, ce que nous avons déjà spécialement prévu dans la loi sur l’avancement ; il faut bien lui tenir compte de ce temps comme s’il avait été passé au service militaire ; toutefois, si on laissait le mot temporaire, les officiers chargés de missions qui n’auraient pas ce caractère seraient exclus du bénéfice de la disposition.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Ce que propose M. le ministre de la guerre est ce qui vaut le mieux, c’est plus en harmonie avec la loi sur l’avancement qui ne distingue pas entre les emplois temporaires et ceux qui ne le sont pas.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je me rallie à cette proposition.

M. Gendebien. - Le premier paragraphe de l’article n’est pas bien rédigé non plus. Il porte l « L’activité est la position de l’officier appartenant aux cadres de l’armée et exerçant l’emploi de son grade. »

Il est des officiers qui appartiennent aux cadres de l’armée et n’exercent pas l’emploi de leur grade.

Il y a des lieutenants qui exercent l’emploi du grade de capitaine ; il y a des officiers à la suite ; d’après la rédaction du paragraphe, ces officiers ne seraient pas ou pourraient n’être pas considérés comme étant en activité. L’article au moins ne dit pas ce qu’on veut lui faire dire.

Il me semble qu’il faudrait se borner à dire : « L’activité est la position de l’officier appartenant aux cadres de l’armée. »

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Mais l’officier en disponibilité appartient aux cadres de l’armée.

M. Gendebien. - La disposition est spécialement définie dans un autre article, et il n’en est pas question dans l’article 4.

On a mal copié la loi française, qui est claire et à laquelle il serait bon de revenir.

Voici ce que dit l’article 3 de la loi de 1834 :

« L’activité est la position de l’officier appartenant à l’un des cadres constitutifs de l’armée, pourvu d’emploi, et de l’officier hors cadre, employé temporairement à un service spécial ou à une mission. »

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je me rallie à la proposition qui vient d’être faite. Je conviens que si l’on voulait équivoquer sur les termes, un lieutenant qui commande une compagnie, un capitaine qui commande un bataillon, ne serait pas dans les termes de la loi. Il faut que la loi soit bien explicite et ne prête à aucune interprétation. Ici les deux conditions sont nécessaires, le grade et l’emploi.

M. Devaux. - Je crois qu’il faut dire, en terminant le deuxième paragraphe :

« Conservent leur position d’activité. »

- Cet amendement est adopté.

L’article 4 est adopté.

Article 5

« Art. 5 (proposé par la section centrale) - Les traitements des officiers en activité seront annuellement portés au budget du département de la guerre.

« La loi sur l’organisation de l’armée fixera ces traitements. »

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je me rallie à la rédaction du premier paragraphe de l’article 5. Elle est plus simple que celle de l’article présenté par le gouvernement. C’est effectivement l’objet important que tous les traitements soient connus et mis au budget annuel pour être restés avec connaissance de cause.

Le deuxième paragraphe est une chose assez difficile à concilier avec nos institutions.

Je ne vois pas qu’une loi puisse prescrire ce qui sera fait dans une autre loi. Je comprends bien que notre constitution prescrive de faire une loi sur tel objet, mais je ne conçois pas qu’une loi puisse dire qu’une autre loi réglera telle chose ; cela me semblerait au moins extraordinaire.

Ce n’est pas tout. L’article 103 de notre constitution porte que les traitements des magistrats seront réglés par la loi, mais il n’y est rien dit sur les traitements militaires et administratifs. C’est vraiment une question que de savoir si les traitements seront réglés par la loi. Je sais qu’en France les traitements ont été réglés par des arrêtés royaux et compris aux budgets.

J’ai fait observer plusieurs fois à la chambre que je croyais que le congrès, en disant que l’on porterait des lois sur l’organisation de l’armée, cela voulait dire que l’on porterait des lois sur le recrutement.

Quoi qu’il en soit, je regarde le deuxième paragraphe comme inutile et j’en demande la suppression.

M. Pollénus. - J’ai défendu dans le sein de la section centrale le deuxième paragraphe admis par elle, et je puis faire connaître les motifs qui ont déterminé cette admission.

M. le ministre de la guerre pense que la loi constitutionnelle ne fait pas obligation aux législateurs de régler ce qui concerne les traitements des officiers, et qu’il n’en est pas de même des officiers de l’armée comme des magistrats de l’ordre judiciaire. On pourrait répondre au ministre de la guerre que la constitution dit que les droits des officiers seront réglés par les lois, et que parmi ces droits on peut soutenir qu’il faut comprendre les traitements.

Toutefois, ce n’est pas ce motif qui m’a déterminé à soutenir le deuxième paragraphe.

J’ai cru qu’il était désirable d’écarter de la discussion des budgets tout ce qui était possible d’en écarter, et de faire que les lois de finances fussent des lois d’application autant que possible.

J’ai été mu par une autre considération. Les amateurs de gros traitements les augmentent tous les jours ; et dans les budgets j’ai vu dans certains traitements des variations qui n’étaient pas à l’avantage du trésor ; j’ai cru qu’il était important d’arrêter ces improvisations de gros traitements.

Lorsque des augmentations sont portées au budget, quelque objection que nous fassions, on nous répond que c’est un fait accompli : ces raisonnements-là ne sont pas d’une grande valeur ; cependant je désire que les budgets ne donnent plus lieu dorénavant à de semblables discussions, et pour cela il faut fixer les traitements.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - M. le ministre de la guerre vous demande avec raison le retranchement d’une disposition qui ne peut avoir aucune sanction. Dans une loi qui parle impérieusement, comme la constitution, on a bien fait de déterminer les matières qui seraient l’objet des travaux législatifs, mais ici vous ne seriez pas liés par la disposition proposée, car elle n’obligerait pas à faire ce qu’elle prescrirait. S’il convient de s’occuper plus tard d’une loi telle que celle indiquée, on le pourra en l’absence comme en présence d’une semblable prescription législative.

Les auteurs de la proposition ont sans doute cru qu’il serait inutile de s’occuper de cet objet dans un temps rapproché ; eh bien, je leur ferai remarquer que le moment serait mal choisi en ce moment pour discuter sur les traitements des officiers de l’armée. Quand nous seront en état de paix, c’est-à-dire dans un état normal, à la bonne heure.

J’ajouterai, messieurs, pour les membres qui ont parlé de la proposition de la commission, comme étant de nature à faciliter la tâche de M. le ministre de la guerre, comme pouvant lui épargner des sollicitations, qu’il n’est pas dépourvu de règles ; des arrêtés qui le lient jusqu’à un certain point, relativement aux traitements, règlent ceux-ci, et ces arrêtés sont consacrés par les éléments du budget ; la disposition du deuxième paragraphe est donc complètement inutile sous tous les rapports, et elle ne saurait en tout cas obtenir aucune espèce de sanctions.

Cette fixation serait encore un moyen de repousser des demandes de privilèges. Lorsqu’un officier verra que dans la loi tous ses droits sont définis, cela donnera un grand repos au ministre de la guerre, puisque cela le mettra à l’abri de beaucoup de sollicitations.

Je vote pour la conservation du second paragraphe de l’art. 5.

M. Rogier. - Il ne me semble pas que l’article 5 ait un rapport bien essentiel et se lie avec les dispositions de la loi dont nous nous occupons. Tout cet article 5 est inutile ; car les traitements des officiers doivent être portés annuellement au budget de la guerre, sans quoi la cour des comptes n’en autoriserait pas le paiement. Je ne sais pas pourquoi on parle seulement dans cet article des officiers en activité, puisque les autres officiers reçoivent aussi des traitements.

Quant à savoir dans quelle loi on fixerait le traitement des officiers, je ne pense pas que ce puisse être dans la loi sur le recrutement ; ce ne pourrait être que dans une loi spéciale ; mais devons-nous faire une loi pour cet objet ?

M. le président. - La parole est à M. de Brouckere.

M. de Brouckere. - Je pourrais renoncer à la parole, si la chambre juge à propos de supprimer l’article, comme le propose M. Rogier. (Oui ! oui !)

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - En me ralliant à la proposition de l’honorable M. Rogier, je dois donner les motifs qui m’avaient porté à insérer cet article dans la loi, c’est que les traitements de non-activité, de disponibilité et de réforme, étant des parties aliquotes du traitement d’activité, soit des deux cinquièmes, des trois quarts, de la moitié, du quart de ce traitement, j’avais pensé qu’il était nécessaire de le maintenir. Mais comme chaque année, en faisant le budget, on y joint, comme pièce justificative, l’état des traitements de chaque grade, je ne vois pas d’inconvénient à supprimé la disposition ; elle ne me paraît pas nécessaire d’après les explications qui ont été données.

- L’amendement est mis aux voix et n’est pas adopté.

Article 6 (devenu article 5)

« Art. 6. La disponibilité est la position spéciale de l’officier-général ou supérieur qui appartient aux cadres de l’armée, et qui est momentanément sans emploi.

« L’officier-général ou supérieur en disponibilité jouit d’un traitement égal aux deux tiers de la solde d’activité de son grade.

« Quelle que soit la position de l’armée, il n’a droit au nombre de rations de fourrages attribuées à son grade sur le pied de paix. »

M. Gendebien. - L’article 6 doit subir un retranchement et une addition.

La disponibilité est la position spéciale de l’officier-général et supérieur qui appartient aux cadres de l’armée et qui est momentanément sans emploi. »

Messieurs, c’est sur ce mot « supérieur » que porte l’amendement que j’ai à présenter, parce qu’il a rapport à tous les officiers au-dessus du grade de capitaine jusqu’à celui de général.

Or je ne sais pas pourquoi on ferait une exception en faveur des officiers dont le traitement de non-activité est plus fort que celui de capitaine, de lieutenant et de sous-lieutenant.

Il me semble qu’il faut en revenir aux dispositions de la loi française et rédiger l’article comme suit :

« La disponibilité est la position spéciale de l’officier-général ou de l’état-major appartenant aux cadres de l’armée et qui sont momentanément sans emploi. »

- La chambre n’est plus en nombre.