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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 19 mai 1836

(Moniteur belge n°141, du 20 mai 1836)

(Présidence de M. Fallon, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dechamps fait l’appel nominal à 1 heure et demie.

M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dechamps fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.

« Cinq habitants de Stembert réclament contre le cens exigé pour être électeur communal dans cette commune, dont la population est de 1,994 habitants, tandis qu’elle est comprise dans la catégorie des communes de 2,000 à 5,000 habitants. »


« Les sieurs de Troye et Landrieux, fermiers propriétaires, réclament contre la demande en naturalisation adressée à la chambre par les sieurs Mallet et Malfaison. »


« Le sieur Dufresni, directeur du pensionnat de Sart-Moulin, sous Braîne-Lalleud, habitant la Belgique depuis 1818, demande la naturalisation. »


« Les sieurs J,-B. et A. Dubrule, nés Français et domiciliés à Bleharies (Hainaut), demandent la naturalisation. »


« Le sieur C.-B. Wibault, né Français, et domicilié à Bleharies (Hainaut), depuis 9 années, demande la naturalisation. »


- La première pétition est renvoyée à la commission des pétitions chargée d’en faire le rapport ; les autres sont renvoyées au ministère de la justice.

Projet de loi autorisant un transfert de crédit au sein du budget du ministère de la guerre de l'exercice 1836

Rapport de la commission

M. de Puydt dépose sur le bureau le rapport sur un transfert de crédit demandé par M. le ministre de la guerre.

- La chambre ordonne l’impression de ce rapport.

Projet de loi qui fixe la position des officiers de l’armée

Discussion générale

M. Fallon, président. - M. le ministre de la guerre se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je ne me rallie pas au projet de la section centrale, quoiqu’il n’y ait que peu de changements.

Je demande donc que la discussion s’établisse sur le projet du gouvernement, et les trois modifications proposées par la section centrale seront considérées comme amendements à ce projet.

M. le président. - La discussion est ouverte sur le projet du gouvernement.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Bruxelles

M. Pollénus. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je désirerais savoir si les pièces concernant l’élection de Bruxelles ne sont pas encore arrivées. Il y a déjà 5 à 6 jours que cette opération électorale est terminée, et je serais étonné que les pièces ne fussent pas encore parvenues à la chambre.

Il est essentiel que le nouvel élu de Bruxelles soit admis le plus tôt possible, et cela pour deux motifs : d’abord la chambre, depuis quelques jours, a beaucoup de peine à être en nombre ; en second lieu, le nouveau représentant, par ses connaissances spéciales, pourra fournir des lumières à la chambre sur les projets que nous discutons en ce moment.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, le procès-verbal de l’élection ne m’est pas encore parvenu ; mais je l’ai fait réclamer aujourd’hui, et j’espère le recevoir dans un jour ou deux.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne pense pas qu’il faille encore attendre deux jours pour faire venir le procès-verbal d’une élection qui a eu lieu à Bruxelles même ; le commissaire du district qui réside dans cette ville aurait pu envoyer son rapport immédiatement.

J’entends quelques membres qui disent que ce fonctionnaire n’y est pas obligé ; moi, je soutiens que si le président de la chambre le voulait, il pourrait réclamer l’envoi immédiat du procès-verbal de l’élection.

J’appuie les observations qui ont été présentées par M. Pollénus. L’armée a besoin d’être représentée dans la discussion des lois importantes dont nous nous occupons maintenant, et comme le nouvel élu appartient à l’armée, nous devons espérer qu’il en viendra défendre les droits dans cette circonstance.

M. de Brouckere. - Je n’ai rien à opposer à la motion d’ordre de M. Pollénus. Il n’y a aucun inconvénient à ce qu’on vérifie le plus tôt possible l’élection de Bruxelles. Mais, pour diminuer les regrets de l’honorable auteur de la motion, je lui dirai que l’honorable collègue qu’il désire si vivement voir siéger parmi nous vient d’éprouver un malheur de famille qui, j’en ai la certitude, l’empêchera encore de se rendre à la chambre pendant quelque temps.

M. F. de Mérode. - Messieurs, je voulais faire la mémé observation que celle que vient de vous présenter l’honorable préopinant. J’ajouterai que je suis charmé de voir M. Dumortier désirer que M. Goblet soit admis le plus tôt possible dans cette enceinte.

M. Dumortier. - L’honorable préopinant a fortement raison de dire que je serais charmé de voir parmi nous l’honorable représentant de Bruxelles. Quand il s’agit des droits de l’armée, c’est particulièrement aux intéressés qu’il appartient de les défendre ; et je suis convaincu que l’honorable député n’y manquera pas.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, je dois m’élever contre les insinuations que l’on se permet envers le gouvernement. Il semble que le gouvernement soit venu ici pour attaquer les droits des officiers de l’armée. Mais, messieurs, de quelles circonstances pense-t-on tirer de semblables inductions ?

Les projets de loi que nous allons discuter n’ont qu’un but, celui de consolider l’armée, d’assurer à chacun les droits qui lui sont dus, et en même temps de faire connaître à tous les devoirs qu’ils ont à remplir.

Il faut certainement que dans une armée on connaisse ses droits ; mais il est encore plus indispensable qu’on connaisse ses devoirs.

M. Duvivier et d’autres membres. - Très bien ! très bien !

M. Dumortier. - Je suis vraiment étonné de voir M. le ministre des finances prendre la parole d’une manière aussi verte, et m’accuser de faire des insinuations contre le gouvernement.

Messieurs, je ne fais pas d’insinuations ; je m’explique clairement. Je dis ouvertement que le projet de loi, relatif à la perte du grade d’officier, est un projet qui attaque formellement l’armée ; et je puis le prouver à l’instant.

Projet de loi qui fixe la position des officiers de l’armée

Projet de loi concernant la perte des grades des officiers de l’armée

Motion d'ordre

M. de Puydt. - Messieurs, nous avons à discuter deux projets de loi qui ont entre eux beaucoup de rapport. Je demande par motion d’ordre que la discussion s’établisse sur les deux projets.

M. Desmaisières. - Je me proposais de faire la motion de l’honorable préopinant.

Les deux projets de loi ont une connexité telle qu’on ne pourrait modifier l’un sans modifier l’autre.

Il serait même convenable de n’en former qu’une loi qui serait composée de deux divisions, dont l’une serait consacrée à la position des officiers, et l’autre à la perte des grades.

J’engage même M. le ministre de la guerre à consentir à cette réunion.

- La motion d’ordre de M. de Puydt est mise aux voix et adoptée.

Discussion générale

M. Seron. - Messieurs, les anciennes républiques n’avaient pas de troupes réglées. Ces Romains dont nous admirons la résignation, le dévouement et le courage à la guerre, et qui firent de si grandes choses avec de petites armées, redevenaient de simples citoyens et rentraient dans leurs foyers à la paix. L’amour de la domination et le génie du despotisme donnèrent naissance, sur le déclin de la république, à ces armées permanentes formées pour la retenir dans les fers et non pour la défendre, et qui perdirent sous les empereurs les provinces que les citoyens avaient conquises sous les consuls.

Dès le commencement de la révolution française, on sentit combien l’armée de ligne confiée au chef de l’Etat pouvait être menaçante et dangereuse pour les libertés publiques. Mais comment les supprimer dans un moment où tous les rois de l’Europe se liguaient contre la France et s’apprêtaient à l’envahir ? Elle fut conservée comme un mal nécessaire. Cependant on chercha à l’attacher aux nouvelles institutions, à faire comprendre au soldat que son intérêt et son premier devoir étaient de les défendre ; et tel fut l’objet des lois militaires de la monarchie constitutionnelle de 1789 et de la république. Les nôtres, messieurs, doivent être conçues dans le même esprit, si nous sommes conséquents et si nous voulons conserver intact le régime représentatif établi pour nous rendre libres.

Voyons si le projet de loi soumis en ce moment à votre examen par M. le ministre de la guerre est conforme à ces idées. L’article 59 de l’ancienne loi fondamentale s’en éloignait beaucoup ; il conférait au Roi le droit de nommer les officiers des armées de terre et de mer, et de les révoquer à volonté avec ou sans pension ; mais, suivant l’art. 124 de votre acte constitutionnel, les militaires ne peuvent désormais être privés de leurs grades, pensions et honneurs que de la manière déterminée par la loi. C’est, dit M. le ministre, pour répondre au vœu de cette disposition qu’il vous présente son projet dont suivant lui, le principe doit être compté au nombre des bienfaits les plus marqués de notre révolution, et serait, s’il en était besoin, un nouveau lien qui rattacherait l’armée au gouvernement national. Le principe est excellent sans doute, mais est-il permis d’en dire autant des développements qu’il prétend lui donner ?

L’art. 1er du projet est ainsi conçu :

« Les officiers de tout grade en activité, en disponibilité, en non-activité ou en réforme, pourront être privés de leur grade et de leur traitement pour les causes ci-après exprimées, savoir :

« 1° Pour faits graves non prévus par les lois, qui sont de nature à compromettre et la dignité de la profession des armes ou la subordination militaire ;

« 2° Pour manifestation publique d’une opinion hostile à la monarchie constitutionnelle, aux institutions fondamentales de l’Etat, ou pour offenses à la personne du Roi ;

« 3° Pour absence illégale de leurs corps ou de leur résidence pendant huit jours ;

« 4° Pour résidence hors du royaume sans autorisation du Roi après trois jours d’absence. »

Les articles 2 et suivants, jusques et compris l’article 9, ordonnent la formation d’un conseil d’enquête chargé de constater les faits, et règlent la manière dont il devra procéder. L’article 10 attribue au Roi le pouvoir d’appliquer la peine ; l’article 11 rend toutes ces dispositions communes aux officiers de l’intendance militaire et à ceux du service de santé ; enfin, l’article 12 et dernier porte : « Il n’est pas dérogé, par la présente loi, aux dispositions des lois militaires ou civiles relatives à la perte des grades militaires. »

Avec l’intention, comme il l’annonce de présenter une loi organique de l’article 124 de la constitution, M. le ministre aurait dû, ce me semble, insérer ici, à la suite de l’article 1er, tous les cas de punition par la réforme avec traitement, dont il a fait l’objet de l’article 8 du projet de loi sur la position des officiers. En effet, la réforme avec traitement est une véritable privation de traitement et de grade, car l’officier réformé perd son grade et une forte partie de son traitement. Il est bon de mettre les choses à leur place. Mais peut-être jugez-vous cette observation sans importance ? En voici d’autres qui méritent un peu mieux votre attention.

Le paragraphe premier de l’article premier qui ôte à l’officier son grade et son traitement pour faits graves de nature à compromettre l’honneur et la dignité de la profession des armes ou de la subordination militaire, est trop vague pour s’accorder avec l’esprit de l’article 124 de la constitution. Quoi ! il y aura des faits graves à raison desquels un défenseur de la patrie, un citoyen, pourra être destitué, dépouillé de tout ! et ces faits graves si sévèrement punis, votre sagacité ne peut les prévoir, les lois ne les préciseront pas, ne les expliqueront pas ; elles les passeront même sous silence ! Quel code militaire aurez-vous donc ? Avec des dispositions semblables, ne rendez-vous pas complètement illusoires les garanties promises par la charte ? Ne livrez-vous pas les officiers à l’arbitraire le plus illimité ? En est-il dans l’armée un seul que le caprice ministériel ne puisse à chaque instant renvoyer chez lui sans emploi ou sans pain ? Est-ce donc là le bienfait qu’on leur promet et qui doit dériver de votre loi ?

On trouve dans le paragraphe 2 le même vague, le même défaut de précision et, aussi, une large porte ouverte à l’arbitraire. Je voudrais savoir ce qu’on entend par la manifestation publique d’une opinion hostile à la monarchie constitutionnelle, aux institutions fondamentales de l’Etat, et par offense à la personne du Roi. Un officier se sera plaint, même avec chaleur, de vos lois ; il les aura amèrement critiquées comme tant d’autres font ; il en aura cité ou cru citer les défectuosités et les vices ; il aura témoigné le désir de les voir corriger, améliorer et changer. Est-ce là une opinion subversive de la monarchie et des institutions fondamentales ? Si, aigri par l’injustice et les vexations de quelque chef, il a regretté le temps passé, s’il s’est permis dans un moment d’ivresse ou dans un transport de colère de vociférer contre le Roi, ne trouvez- vous pas un peu dur que, pour ces imprudences d’un instant, on supprime tous ses moyens d’existence ? Un premier mouvement ne fut jamais un crime ; les observations qu’il se sera permises ne seront pas dangereuses, elles ne renverseront pas votre constitution ; ses cris, ses invectives n’atteindront pas le monarque.

A Rome, les soldats, les esclaves même poursuivaient impunément de leurs brocards le consul triomphateur, sans que pour cela la république fût en péril. Ah ! messieurs, soyons prudents, soyons humains ; craignons que des propos sans portée, insignifiants en eux-mêmes, ne soient envenimés par l’esprit d’intrigue, de parti, de haine et de vengeance et traduits en crimes ; songeons aux conséquences qu’aurait le paragraphe 2 ; ne faisons pas de nos soldats des automates, ne les condamnons pas au mutisme, ne les dégradons pas ; c’est quand ils perdent le sentiment de leur dignité, qu’ils cessent d’être citoyens, et que les libertés publiques sont en danger ; c’est alors que ces nouveaux prétoriens deviennent un instrument d’oppression pour le pays. Craignons, dis-je, que, sous le prétexte de la nécessité de l’ordre et de la discipline, on ne les accoutume insensiblement à une obéissance passive trop aveugle, trop opposée aux principes de votre révolution, et qui les disposerait à soutenir machinalement les usurpations et la tyrannie du pouvoir dont la tendance naturelle, irrésistible, est de se mettre au-dessus des lois. Non que je ne sente parfaitement la nécessité d’une discipline bien entendue ; mais le militaire ne doit jamais être traité en esclave, et hors du service il n’y a nul inconvénient à lui laisser son franc-parler.

Remarquez, d’un autre côté, messieurs, qu’aux termes de l’article premier de la loi du 25 juillet 1834, quiconque par des discours, des cris ou des menaces proférés dans des réunions ou lieux publics, aura appelé ou provoqué le retour de la famille d’Orange-Nassau ou de l’un de ses membres, sera puni d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans ou d’une amende de 500 à 10,000 fr. ; que, suivant l’article 2, quiconque aura fait une démonstration en faveur de cette même famille, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amende de 25 à 300 fr. ; que, d’après l’article 4, tout militaire déclaré coupable de l’un de ces faits doit, en outre, être condamné à la déchéance de toute fonction publique, grades, honneurs, et peut même être prive de sa pension ; et qu’enfin la connaissance de tous ces délits est, par l’article 9, exclusivement attribuée aux cours d’assises. Or, la manifestation publique d’une opinion hostile à la monarchie constitutionnelle, aux institutions fondamentales de l’Etat, et les offenses à la personne du monarque, ont la plus grande analogie avec les démonstrations orangistes, ou, pour mieux dire, tous les délits sont de même nature ; les peines pour les uns et pour les autres sont d’ailleurs fort sévères, soit dans la loi citée, soit dans le projet en discussion. Comment donc ! lorsque les uns sont de la compétence de la cour d’assises, les autres devront-ils être jugés par le Roi, par le ministre, sur les rapports d’un conseil d’enquête ? Quels motifs justifient cette différence ? le législateur doit-il avoir deux poids et deux mesures ? S’il se met ainsi en contradiction évidente avec lui-même, quelle idée donnera-t-il de son ouvrage ? pourra-t-on le regarder et le respecter comme le fruit de la réflexion et de la sagesse ?

J’arrive au troisième et au quatrième paragraphe de l’article premier, et je demande si les peines sont ici proportionnées aux délits.

Un officier en non-activité, même en réforme, et dont vous n’avez nul besoin, que vous ne voulez plus employer, quitte sa résidence pendant huit jours, mais sans sortir du royaume ; un autre va sur la frontière d’un pays voisin et ami, son absence dure trois jours seulement, et pour ces fautes, assurément insignifiantes, et dont le service ne souffre pas, puisque ces officiers ne sont chargés d’aucun service, ils perdent l’un et l’autre, pour toujours, leur traitement. Ne serait-ce pas ici une précaution imaginée pour tenir éloignes de certaines villes les officiers dont la présence y déplairait à des personnages influents ? Je connais un docteur en médecine, mis en non-activité, excité à sortir de la commune qu’il habite et à s’établir ailleurs, par le désir de mieux utiliser ses connaissances, d’en acquérir de nouvelles, de se perfectionner dans son art. Eh bien ! on ne veut par le lui permettre ; on répond à ses demandes réitérées : Vous demeurerez bon gré mal gré là où vous avez déclare originairement vouloir prendre votre domicile ; si vous en bougez, nous supprimons votre traitement. Veut-on rendre légale la continuation d’un pareil abus ?

M. le ministre nous invite à étudier son projet ; mais en vérité, quand j’en ferais pendant dix ans le sujet de mes méditations, il serait impossible d’en trouver le contenu raisonnable et constitutionnel ; je ne pourrais donc jamais y donner mon adhésion. Quant au travail de la commission, il me semble assurément moins défectueux ; les délits y sont mieux caractérisés, et quelques garanties sont offertes au prévenu. Mais, à dire vrai, ce n’est au fond, et à peu de chose près, qu’une seconde édition de la loi du 22 septembre 1831, envisagée par ses auteurs comme une véritable loi de circonstance, puisqu’ils avaient borné son existence à une année seulement.

D’ailleurs, ce travail renferme toujours deux vices essentiels. D’une part, des peines exorbitantes, la perte du grade et du traitement pour des fautes légères et susceptibles seulement d’une simple détention disciplinaire ; de l’autre, ces peines appliquées par un ministre et non par un tribunal. En un mot, messieurs, le projet de la commission n’est guère mieux élaboré que le projet ministériel, enfin, rien ne prouve la nécessité d’aborder dès à présent la discussion de ces projets.

Tandis que le ministère vous engage à enrichir votre législation de nouveaux délits et de peines nouvelles, il paraît perdre entièrement de vue la révision et la refonte des lois criminelles militaires dont nous a gratifiés la science et la philanthropie des faiseurs de l’ancien gouvernement. Ainsi, malgré le vœu positif de l’art. 139 et dernier de la constitution, aucun travail ne nous a encore été présenté sur cette matière importante. Ainsi, nous conservons une haute cour militaire coûteuse, dangereuse puisqu’elle prononce en dernier ressort sans recours en cassation ; inutile surtout, puisque rien n’empêche de porter l’appel du jugement d’un conseil de guerre devant un autre conseil de guerre. Ainsi, le code pénal de la Hollande, à la bastonnade près, supprimée par le gouvernement provisoire, subsiste ici dans toutes ses parties, après six années, tout à l’heure écoulées, d’une révolution entreprise pour détruire les abus : ainsi, des délits qui ne sont pas désignés dans ce code peuvent néanmoins, par analogie, être jugés et punis conformément aux articles dudit code ; en d’autres termes, des actes non qualifiés crimes par la loi peuvent être considérés comme des crimes par les juges. Ainsi, nous conservons la peine absurde de la privation de la cocarde, plus propre à dégrader l’homme, à en faire un mauvais sujet qu’à le corriger ; nous conservons aussi la peine d’exclusion et d’infamie, consistant à faire arracher par le geôlier à un coupable ses marques militaires, à le tondre et à le chasser, afin sans doute d’en faire un voleur de grands chemins.

Ainsi, la peine des arrêts ou de la réclusion est toujours la prison ou le cachot avec ou sans fers aux pieds et aux mains, ou bien à un pied et à une main, comme s’il était nécessaire d’ajouter la torture à l’emprisonnement dans un cachot : cette torture, dis-je, subsiste ; car une instruction ministérielle où l’on défend, dit-on, de l’employer, n’a pu l’effacer de la loi, et rien n’empêche de la remettre tout à l’heure en usage ; ainsi, et sans égard pour l’état de la civilisation, nous avons encore dans une foule de cas le supplice de la corde ; ainsi, lorsqu’un chef se plaint de la désobéissance de l’un de ses subordonnés, de ses injures, de ses menaces, de ses coups, le chef en est cru sur parole, sa seule déposition est tenue pour une preuve complète ; et, sur cette preuve, le subordonné peut être condamné à passer par les armes. Mais si c’est l’officier qui bat le soldat, alors l’officier doit être puni suivant l’exigence des cas, c’est-à-dire qu’il en est quitte pour quinze jours de prison ou pour deux mois d’arrêt. Voyez à cet égard les articles 5, 9 et 28 du code de discipline. Comment, pour l’honneur de la profession des armes et dans l’intérêt de la raison et de l’humanité, n’a-t-on pas encore annulé de pareilles dispositions ? Comment n’a-t-on pas fait revivre l’art. 16 du titre 8 de la loi du 21 brumaire an V, ainsi conçu : « Tout militaire qui, hors le cas de défense naturelle et ceux de ralliement des fuyards devant l’ennemi, ou du dépouillement des morts ou des blessés sur le champ de bataille, sera convaincu d’avoir frappé son subordonné, sera destitué de son grade, puni d’un an de prison et déclaré incapable d’occuper aucun grade dans les troupes de la république. Si la mort s’est ensuivie, le coupable sera puni de mort. » Ce respect du législateur républicain pour l’espèce humaine répugnerait-il aux principes de la monarchie constitutionnelle, le meilleur, le plus parfait de tous les gouvernements ?

Je n’en finirais jamais si j’entreprenais de passer en revue toutes les inepties dont fourmillent les lois militaires néerlandaises. Il m’aurait suffi d’en citer quelques lignes pour faire sentir combien y dominent les idées rétrogrades. Par exemple, le militaire puni de mort (dit l’art. 29 du code pénal) ne pourra être privé de la sépulture, quel qu’ait été le genre de son supplice. Les juges pourront accorder à ses proches la faculté de le faire enterrer, pourvu que cela ait lieu de nuit, en silence et sans pompe. Cet article, en effet, n’est-il pas digne du treizième siècle ?

Il est temps, messieurs, de substituer à cette législation inhumaine et absurde une législation plus en harmonie avec l’esprit du siècle, plus conforme aux principes, au but et aux promesses de votre révolution, afin de porter le militaire à s’honorer de sa profession, à l’aimer ; afin d’avoir une armée vraiment civique et forte contre l’ennemi. Il est indispensable, urgent, de s’occuper de la refonte du code pénal militaire actuellement en vigueur, S’il est utile, comme le ministère le prétend, d’établir pour certains cas de nouvelles peines contre les officiers, elles doivent nécessairement appartenir au nouveau code pénal ; elles ne doivent pas faire l’objet d’une loi particulière ni être discutées séparément. Que le gouvernement vous présente donc incessamment une loi complète au lieu de tous ces fragments de loi insuffisants pour satisfaire au vœu de l’art. 129 de la constitution. Aussi bien ne pourrait-il résulter de ce morcellement que des dispositions contradictoires et discordantes. Pour bâtir un édifice régulier, il faut d’un coup d’œil en saisir l’ensemble et les détails, en coordonner les parties et ne pas mêler l’architecture gothique à l’architecture des temps modernes ou de l’antiquité.

Voici ma motion d’ordre : Je propose à la chambre d’ajourner jusqu’à l’époque de la révision et de la refonte du code pénal militaire, actuellement en vigueur, la discussion du projet soumis à ses délibérations.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je crois que la motion de l’honorable M. Seron n’a pas la moindre chance de succès au fond.

Quant au reste, je pense qu’on ne peut pas ainsi proposer l’ajournement des projets présentés par le gouvernement ; ils doivent, selon moi, être discutés, adoptés ou rejetés, suivant que la chambre en décidera.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne sais comment M. le ministre de l’intérieur peut venir contester une des principales prérogatives de la chambre.

La chambre a le droit d’admettre ou de rejeter la motion d’ordre de M. Seron ; elle a le droit d’ajourner des propositions qui lui sont présentées par le gouvernement.

M. Gendebien. - Messieurs, le gouvernement est si pressé de se donner toute latitude en fait d’arbitraire, que je suis bien convaincu que la proposition de M. Seron ne trouvera pas accès dans cette chambre.

Mais il est toujours vrai de dire que cette proposition est plus logique que celle des ministres.

Lorsque l’honorable M. Dumortier nous a présenté un projet de loi tendant à mettre tous les citoyens à l’abri des attaques des militaires, ou plutôt du pouvoir militaire ; lorsque M. Dumortier a voulu garantir les droits de ce qu’on appelle les bourgeois, on a dit qu’il fallait attendre la discussion du code pénal militaire. Et cependant rien n’était plus facile que de faire droit à sa demande ; c’était une proposition toute simple à formuler en un seul article, qui consacrerait le rétablissement de nos anciens droits ; car, autrefois, la juridiction ordinaire était saisie des délits commis par les militaires envers les bourgeois.

Le ministère, toutefois, trouva des difficultés insurmontables dans la proposition, et fut d’avis qu’il fallait l’ajourner jusqu’à la discussion du code pénal militaire ; et l’on nous dit alors que ce code était achevé et qu’il pourrait être incessamment présenté aux chambres.

Aujourd’hui qu’il s’agit d’établir l’arbitraire contre les militaires, au profit du gouvernement, ah ! alors, toute la logique change ; dès lors il y a urgence ; il n’y a plus moyen d’attendre le code pénal ; il faut, pour arrêter l’anarchie, livrer nos militaires au bon plaisir de nos ministres ; que dis-je ! au bon plaisir d’un policier ; il faut livrer tous les militaires à la vengeance de tel ou tel ministre, et il suffira, pour le priver de son grade, de sa position, même de sa modique solde de retraite ou de traitement de réforme, il suffira, dis-je, de la dénonciation d’un mouchard, et même de quelque chose de plus vil encore !

Et l’empressement est si grand pour réaliser cette grande œuvre que l’on ne veut pas même faire honneur de la discussion à la proposition de M. Seron, qui ne demande que de l’ensemble dans vos dispositions, de la réflexion dans vos délibérations.

Soyez au moins logiques : que vous vous opposiez à la proposition de M. Seron, je le conçois, dans ce que vous appelez l’intérêt du gouvernement, et ce que je crois, moi, contre son intérêt... Mais alors, si vous voulez qu’on discute les propositions du gouvernement, laissez aussi discuter la proposition de M. Dumortier qui ne peut en être séparée ; si vous êtes sincères, n’ayez qu’une logique. N’ayez pas une logique dans un sens quand il s’agit de faire de l’arbitraire, et une logique contraire quand il s’agit de liberté. De deux choses l’une : ou vous adopterez la proposition de M. Seron, et alors tout sera ajourné ; ou vous la repousserez, et alors vous devez nécessairement, à moins de pécher contre toutes les règles de la logique, de la raison, du bon sens et de la prudence, admettre en même temps la discussion de la proposition de M. Dumortier.

Voilà l’alternative dans laquelle je crois avoir le droit de vous placer et pouvoir vous placer logiquement. Choisissez.

(Moniteur belge n°142, du 21 mai 1836) M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, lorsque l’honorable rapporteur de la section centrale a fait son rapport sur la proposition de M. Dumortier, l’honorable préopinant a proposé de le mettre à l’ordre du jour avec les lois militaires. J’ai demandé qu’on ne décidât rien jusqu’à ce que le rapport fût imprimé. La chambre a accueilli ma proposition.

Maintenant que nous avons connaissance du rapport de l’honorable député du Limbourg, nous avons acquis la certitude qu’il est impossible de discuter la proposition de M. Dumortier avant que le code pénal militaire soit à l’ordre du jour. Telle a été l’opinion de la commission ; ainsi le gouvernement n’en a pas eu l’initiative.

La commission a été tellement convaincue de l’impossibilité de discuter immédiatement la proposition de M. Dumortier, qu’elle a exclusivement examiné, ainsi que le dit le rapport, la question de savoir s’il y avait lieu d’ajourner la proposition, et elle n’a pas hésité a adopter et à vous proposer l’ajournement.

Messieurs, les motifs de ces conclusions sont tellement péremptoires que la chambre tout entière, et l’honorable préopinant lui-même, je l’espère, les admettra.

Quelle est la proposition de M. Dumortier ? Que les délits commis par des militaires et entre militaires soient soumis à la juridiction militaire, et que les autres délits soient réservés à la juridiction ordinaire.

Or, pour organiser une semblable proposition, il ne faut pas moins qu’un code pénal militaire tout entier. Je vais démontrer la vérité de cette proposition.

Quels sont les délits purement militaires ? On ne peut résoudre cette question par une règle générale, par des théories ; il faut des dispositions positives, il faut s’occuper de chaque délit, il faut les passer tous en revue et se demander : Tel délit est-il un délit militaire ? tel autre délit est-il un délit militaire ? Il suffit d’avoir jeté un coup d’œil sur le code pénal militaire pour s’en convaincre.

Il y a des délits militaires par leur propre nature ; il y en a qui sont tels à raison des circonstances dans lesquelles ils ont été commis ; ces définitions, ces distinctions présentent les principales difficultés de la législature militaire ; on ne saurait improviser quelques articles sur cette matière si délicate, il faut l’embrasser dans son ensemble. Il y a des délits commis par des bourgeois qui sont cependant des délits militaires : tels sont l’embauchage et l’espionnage. D’un autre côté, il y a tels délits commis par des militaires contre des bourgeois, qui sont des délits militaires par leur nature, tels que le maraudage. L’honorable préopinant, s’il voulait traiter cette question en conférence avec moi, se convaincrait qu’il faut parcourir tout le code pénal militaire pour discuter la proposition de M. Dumortier.

Telle a été la pensée de la commission, que je viens de développer en apportant des preuves évidentes à l’appui.

L’honorable préopinant a dit que, pour engager la chambre à remettre la discussion de la proposition de M. Dumortier jusqu’à la présentation du code pénal militaire, le ministère avait affirmé que le délai ne serait pas long, que le code pénal militaire était prêt. C’est une erreur, personne n’a affirmé cela.

Permettez, messieurs, que j’expose ici les faits. Je suis charmé que l’occasion me soit offerte de rendre justice aux travaux de la commission, chargée de la révision de la législation militaire. Le code d’organisation de la justice militaire est achevé, il est en ma possession ; le code de procédure militaire est également terminé. La commission va s’occuper du code pénal militaire.

Depuis quelque temps, malheureusement, ses travaux ont été suspendus par la maladie d’un magistrat distingué, dont nous déplorons la perte, et dont vous avez entendu récemment dans cette enceinte un si bel et si juste éloge.

Quand ce magistrat sera remplacé, la commission continuera son rapport avec le même zèle qu’elle y a mis jusqu’ici et auquel je suis heureux de rendre un public et solennel hommage.

Les travaux de ce genre ne doivent pas être faits avec précipitation, mais avec prudence et maturité.

Quel reproche peut-on nous faire de ne pas présenter les codes militaires ? Si les codes de procédure et d’organisation de la justice militaire avaient été déposés ici, aurait-on pu se livrer à leur examen ? J’ai cru, d’ailleurs, qu’il n’était pas convenable de vous soumettre ces deux codes sans le troisième, parce qu’il doit y avoir de l’ensemble dans la législation.

La commission continuera son travail avec le même zèle, la même assiduité ; mais je ne puis pas dire quand elle l’aura terminé.

La nécessité d’ajourner la proposition de M. Dumortier est complètement démontrée ; j’ajouterai que cette proposition n’est pas urgente. Quand l’occasion s’en présentera, je pourrai rectifier les faits mis en avant par l’honorable M. Dumortier dans son exposé des motifs ; ils sont tous inexacts.

Je pose en fait que la justice militaire marche régulièrement, qu’il n’y a pas plus impunité pour les délits militaires que pour les autres délits.

L’honorable M. Dumortier ne s’est pas seulement trompé en fait, il a aussi commis plus d’une erreur de droit en parlant de la législation militaire.

Les lois qui nous régissent n’ont fait que renouveler les dispositions qui réglèrent la compétence des tribunaux militaires en Belgique, même avant sa réunion à la France. Depuis plus de 40 ans (loi de pluviôse an II), la législation française contient des règles semblables.

En 1814, un arrêté du prince souverain des Pays-Bas statua que les militaires seuls seraient soumis à la juridiction militaire et ce uniquement pour les délits militaires ; mais comme les délits militaires n’étaient pas définis, cet arrêté devint une source de conflits. La loi fondamentale de 1815 remit en vigueur les principes des lois françaises.

Je répète qu’il n’y a aucune urgence de changer une législation à laquelle nous sommes habitués, et qui n’a pas donné lieu à des inconvénients.

Je passe à la motion d’ordre de l’honorable M. Seron. L’ajournement qu’il propose des lois militaires qui sont à l’ordre du jour, serait aussi contraire à la constitution qu’à l’intérêt du pays, et nous manquerions à nos premiers devoirs en l’adoptant.

Le gouvernement, qui répond de l’exécution des lois et de la sûreté de l’Etat, doit pouvoir compter sur une armée bien disciplinée ; dans l’intérêt de sa responsabilité, il vous propose des lois qui lui donnent une action nécessaire ; vous avez le droit de rejeter ces lois, de les modifier, mais vous ne pouvez en ajourner l’examen.

Je ne chercherai pas, messieurs, à vous démontrer l’urgence de ces lois, elle est généralement sentie ; tout le monde comprend le besoin de donner au gouvernement les moyens de maintenir la discipline dans l’armée, d’y assurer le règne de l’ordre et de l’union.

(Moniteur belge n°141, du 20 mai 1836) M. Dumortier. - C’est une chose vraiment étrange que de voir le membre du cabinet préposé chef des tribunaux vouloir faire écarter une proposition qui a pour but de rendre à ces tribunaux une portion de juridiction qui leur était primitivement dévolue, Je comprenais que des ministres pourraient s’opposer à ma proposition. Mais je pensais que le ministre de la justice aurait alors au moins la pudeur de ne pas prendre part à la discussion et ne viendrait pas prétendre que les tribunaux sous ses ordres sont moins compétents que des commissions militaires pour juger les délits dont il s’agit.

M. Raikem. - Les tribunaux ne sont pas sous les ordres du ministre.

M. Dumortier. - Je prie M. Raikem de ne pas m’interrompre.

Quand j’ai fait ma proposition, j’ai déclaré formellement et je déclare encore que je ne voulais en aucune manière que l’armée fût en dehors de la loi, que je ne voulais pas qu’elle fût ni au-dessous ni au-dessus, qu’elle devait être en dedans de la loi, aussi bien en ce qui concerne les délits que pouvaient commettre ceux qui la composent, qu’en ce qui concerne leurs droits.

La proposition que j’ai eu l’honneur de faire était bien plus rationnelle que celle faite par le gouvernement puisqu’elle tendait à empêcher des abus qui compromettraient l’armée, et à enlever au gouvernement la faculté d’employer des moyens liberticides contre elle.

Je voulais que les mesures auxquelles l’armée serait soumise fussent légales ; je voulais que les délits commis contre les bourgeois par des militaires fussent du ressort des tribunaux.

Le ministre de la justice a donc tort de présenter la proposition faite par le gouvernement comme étant plus urgente que celle que j’ai faite ; il est prouvé maintenant que les lois existantes sont impuissantes pour punir les délits commis par les militaires contre les bourgeois.

L’acte qui a donné lieu à ma proposition a été jugé par les tribunaux militaires ; eh bien, qu’a fait le gouvernement ? Vous savez tous ce qui s’est passé dans cette circonstance.

Le général qui commande la division a refusé de donner sa signature au jugement jusqu’à ce qu’il en ait reçu l’ordre du ministre de la guerre. Puis nous avons vu la peine réduite d’une manière inconcevable, et tellement réduite que le ministre de la justice a refusé de signer l’arrêté de grâce : on sait que c’est au ministre de la justice à signer les arrêtés de grâce, et on a été étonné de voir un autre ministre contresigner l’arrêté de commutation de peine.

Par cet arrêté on reconnaissait que la peine infligée était trop forte. Si les tribunaux civils l’eussent appliquée, elle eût été certainement moins sévère. Ce fait prouve enfin que les tribunaux militaires sont impuissants pour réprimer les délits commis par les militaires envers les bourgeois, puisqu’il faut rectifier leurs jugements.

Quand j’ai présenté ma proposition, je l’ai présentée comme principe, en laissant aux sections et à la section centrale le soin de la développer.

Toutes les sections, excepté une seule, ont accueilli mon projet ; celle qui ne l’a pas accueilli en a demandé simplement l’ajournement. Les autres demandaient que la section centrale déduisit les conséquences du principe que je posais, ou qu’elle l’organisât.

Qu’a fait la section centrale ? s’est-elle efforcée de se conformer au vœu exprimé par les sections ? non, elle a trouvé beaucoup plus commode de conclure à l’ajournement. Et voilà les motifs péremptoires dont parle M. le ministre de la justice.

Je ne suis pas jurisconsulte ; je n’ai pas l’avantage d’avoir professé le droit comme M. le ministre de la justice ; je n’ai pas voulu déposer un projet formulé en loi ; mais j’ai déposé un principe que l’on pouvait rendre exécutable au moyen de quelques amendements ou même en le simplifiant.

J’en reviens à ce qu’a dit l’honorable M. Gendebien : ou il faut admettre que ma proposition doit être discutée simultanément avec celle du ministre de la guerre, ou il faut ajourner la proposition du ministre de la guerre avec la mienne.

M. Raikem. - Comme M. Dumortier a mêlé mon nom à la discussion, je crois devoir lui répondre.

Je n’avais nullement interrompu cet orateur. Il est vrai que quand il a dit que les tribunaux sont sous les ordres du ministre de la justice, je n’ai pu m’empêcher de laisser échapper une exclamation négative. Tout le monde sait que le ministre de la justice ne peut commander aux tribunaux aucune espèce de décision, qu’ils ne sont pas sous ses ordres. Il me semblait au moins singulier d’entendre placer les tribunaux sous les ordres d’un ministre, par ceux-là même qui ne veulent pas placer l’armée sous les ordres du chef de l’Etat, quoique la constitution dise formellement que le Roi commande les forces de terre et de mer. (Marques d’adhésion.)

M. Dumortier. - Je n’ai pas dit que les tribunaux sont sous les ordres du ministre de la justice, j’ai dit qu’ils sont dans ses attributions.

M. Raikem. - Vous avez dit sous les ordres ; il n’en est pas ainsi, ils sont indépendants.

(Moniteur belge n°142, du 21 mai 1836) - M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne relèverai pas ce qu’il y a de peu parlementaire dans les expressions échappées à l’honorable M. Dumortier : je ne relèverai que les erreurs de ses assertions.

Suivant l’honorable préopinant, je n’aurais pas pris la défense de la juridiction civile autant que de la juridiction militaire ; mais ce que j’ai dit repousse directement cette allégation.

J’ai prouvé que l’on n’établit pas la compétence des tribunaux par des dispositions vagues et incertaines, mais par des règles nettes et positives ; et j’ai protesté contre ce qu’il a dit, d’une manière hasardée, que les tribunaux militaires sont impuissants pour la répression des délits.

L’honorable préopinant a été étonné que ce fût le ministre de la justice qui défendît les droits de la juridiction militaire, comme si la juridiction militaire n’était pas dans ses attributions aussi bien que la juridiction civile. Et à cette occasion l’orateur a répété ce que j’ai lu plusieurs fois dans certains journaux, auxquels je n’ai pas jugé convenable de répondre. Il a dit que j’avais refusé de contresigner un arrêté de grâce ou de commutation de peine porté récemment. Voici les faits tels qu’ils se sont passes et tels qu’ils devaient se passer dans cette circonstance :

Les jugements portés par les conseils de guerre en campagne n’ont rien de commun avec le département de la justice.

M. Dumortier s’agite et parle.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Ecoutez-moi, M. Dumortier : Vous prêtez bien votre attention aux journaux ; prêtez-la un moment à un ministre qui n’a d’autre prétention que de rectifier des erreurs, que d’exposer ce qui est vrai.

Je disais que les jugements des tribunaux militaires en campagne ne ressortent pas des attributions du ministre de la justice en ce qui concerne le recours en grâce. Le général commandant la division a le droit de suspendre leur exécution sous sa responsabilité ; il doit alors en référer au Roi ; l’arrêté de grâce, s’il y a lieu, est contresigné par le ministre de la guerre.

Quand il s’agit d’arrêts prononcés par la haute cour militaire ou de jugements des conseils provinciaux, alors les requêtes en grâce sont renvoyées au ministre de la justice, et c’est sur sa proposition que le Roi décide. Je n’ai donc pas pu refuser de contresigner un arrêté qui était étranger à mes attributions.

L’honorable préopinant a prétendu que je n’avais pas rapporté exactement les faits relativement à sa proposition. Toutes les sections ont admis ma proposition, a-t-il dit, il n’y en a qu’une seule qui a demandé l’ajournement ; et faisant la guerre à la section centrale, il a ajouté qu’elle n’avait pas rempli le vœu des sections. Il est vrai que cinq sections ont trouvé bon le principe de la mesure présentée par M. Dumortier, et qu’elles ont émis le vœu de la voir organiser par la section centrale ; la troisième section a compris que pour organiser le principe il fallait un code pénal tout entier.

Quand la section centrale voulut, en effet, se conformer aux vœux des sections, elle s’aperçut que son premier travail devait être de définir, d’énumérer les délits militaires, de les distinguer des délits civils ; que par conséquent elle avait un code pénal à faire : alors elle a dû conclure à l’ajournement.

Voici comment elle a terminé ses conclusions :

« La section centrale a pensé que cette énumération doit trouver sa place dans la loi qui, en exécution de l’art. 105 de la constitution, réglera l’organisation et les attributions des tribunaux militaires : puisque le gouvernement a confié la révision des codes militaires à une commission spéciale, il est utile d’attendre le résultat de son travail et de renvoyer entre-temps le projet de loi à MM. les ministres de la justice et de la guerre, afin de recueillir leur avis avant d’introduire quelques changements à la législation existante.

Je bornerai là mes observations.

(Moniteur belge n°141, du 20 mai 1836) M. le président. - La parole est à M. Milcamps. (L’ordre du jour ! l’ordre du jour !)

M. Milcamps. - La section centrale, dont j’ai l’honneur d’être rapporteur, a été attaquée ; je demande à la justifier (L’ordre du jour ! l’ordre du jour !) Ce serait la première fois que l’on refuserait la parole à un rapporteur pour défendre les conclusions qu’il a prises (La clôture ! la clôture !) Je demande la parole contre la clôture. Il n’est pas dans les usages de la chambre de refuser la parole à un membre d’une section centrale lorsque le travail de cette section est attaqué.

M. Seron. - Je demande la parole pour dire deux ou trois mots. On a prétendu que ma proposition est inconstitutionnelle. Je ne conçois pas comment elle serait inconstitutionnelle.

M. Raikem. - On s’occupe de la clôture.

M. Fallon, président. - Je rappellerai à M. Seron qu’il n’a la parole que sur la clôture.

M. Seron. - Cela tient à la clôture. Cela tend à prouver que la clôture ne doit pas avoir lieu ; car la question de constitutionnalité n’a pas été traitée. Je dis que ma proposition est constitutionnelle. Car la chambre, qui a le droit de rejeter les projets de loi, a le droit à plus raison d’en ajourner la discussion.

M. le président. - Mais ceci est le fond.

M. Seron. - C’est le fond, soit ; mais c’est une observation que je devais présenter.

J’ajouterai que qui peut le plus peut le moins.

- La clôture est prononcée.

La motion d’ordre faite par M. Seron est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte sur les deux projets de loi.

La parole est à M. de Puydt.

M. de Puydt. - On est en général d’accord depuis longtemps sur la nécessité de lois propres à fixer l’état des officiers de l’armée ; mais on a différé d’opinion sur les causes de cette nécessité et d’après cela sur la nature des lois à faire.

Les uns les considèrent comme essentielles pour corriger des vices existant actuellement dans notre armée, et veulent qu’une partie de leurs dispositions soient temporaires ; d’autres pensent que la discipline et l’esprit militaire doivent résulter de règles constantes et d’une législation fixe.

Ces différences d’opinion tiennent à la manière d’envisager des faits antérieurs que je crois devoir rappeler ici pour en constater l’influence sur l’état de la question.

Quand éclata la révolution de juillet 1830 à Paris, elle se manifesta par une lutte entre le peuple et la troupe, par des combats entre des masses organisées, manoeuvrant avec ensemble, et des masses confuses, poussées par des impulsions diverses et désordonnées : cependant l’armée fut vaincue, et des hommes sans discipline triomphèrent de la force compacte et obéissante.

Quelques semaines plus tard, quand la révolution belge éclata à son tour, le même phénomène se reproduisit aux journées de septembre. Les bataillons hollandais, après avoir essuyé un échec dans les rues de Bruxelles, se retirèrent devant des bandes irrégulières.

Que résulte-t-il de ces actes ? En France comme en Belgique, on vit s’élever et prédominer pendant quelque temps une opinion qui n’a pas été sans influence sur notre position, C’est que les armées permanentes peuvent être avec avantage remplacées par des volontaires ; c’est que la science de la guerre peut être déjouée par quelques opérations expéditionnaires. C’est qu’enfin des nuées de tirailleurs peuvent arrêter des troupes régulières.

Il ne faut plus d’armée, disait-on ; une armée est une plaie dans l’Etat, et puisque le peuple, le peuple seul, au jour du danger, a pu vaincre l’élite des troupes du pays, à quoi bon entretenir à grands frais des bataillons inutiles ?

Une semblable opinion réduite en système conduisait inévitablement à exclure toute discipline, toute soumission à des chefs, et toute instruction militaire. Charger son arme, croiser la baïonnette et marcher en avant, voilà toute ce qu’un volontaire a besoin de savoir.

On oubliait les causes premières de ces faits ; on ne réfléchissait pas qu’à Paris comme à Bruxelles, c’était le peuple qui avait combattu contre une armée émanée de lui : choses qui devaient dès lors exercer une immense influence morale et détruire le principe d’union qui fait la force de la troupe.

Je m’abstiens de m’étendre davantage sur cette démoralisation connue et appréciée par tous ceux qui ont jugé froidement les faits.

La France s’est promptement arrêtée dans cette voie, elle a évité les écarts où elle pouvait être entraînée. L’ordre faiblement ébranlé s’est rétabli dans l’armée.

Mais, en Belgique, il n’en était pas de même. L’ancienne armée, presque entièrement hollandaise, s’était retirée sur son territoire, et nous, il nous restait la tâche d’en créer une nouvelle au milieu de l’agitation des esprits, en présence des événements qui avaient amené la retraite de nos ennemis, sous le charme de l’opinion que je viens de signaler et avec une grande partie de ces mêmes hommes, de ces mêmes volontaires, qui les premiers avaient fait croire que le courage peut tenir lieu d’organisation et l’amour de la patrie suppléer à l’obéissance.

Il est donc assez naturel que, dès son origine, l’armée belge ait été plus ou moins dominée par toutes les circonstances qui ont présidé à sa formation, et que l’esprit d’indépendance des volontaires s’y soit propagée pendant quelque temps.

Il nous a fallu à nous une leçon pour comprendre tout le danger de cette position, et cette leçon, nous l’avons reçue à Louvain. En ce sens au moins, ce déplorable désastre a eu un résultat dont on a pu tirer quelque fruit.

Loin de moi la pensée de chercher à diminuer le mérite des efforts de nos volontaires et de nos gardes civiques ; je rends justice à leur courage, à leurs services éminents ; mais si je fais allusion à des revers qui n’ont rien de honteux, ce n’est que pour en déduire des conséquences morales et parce qu’il importe de chercher ici ce qui a pu contribuer à rendre plus difficile, plus lente l’introduction des règles anciennes, seules propres à donner à notre armée sa véritable force motrice, la discipline.

Ces inévitables effets d’un mouvement révolutionnaire, la France en avait déjà donné antérieurement un exemple en 1792.

Les armées républicaines étaient composées d’anciens régiments dont les officiers avaient été presque entièrement renouvelés par suite de l’émigration, et de près de deux cents bataillons de volontaires ayant des cadres électifs. Dans ces armées, on négligeait les manœuvres, il y avait absence de discipline, mépris de l’autorité, prédominance de l’esprit raisonneur, parce qu’alors, comme de nos jours, l’exaltation du courage individuel rendait chacun impatient du moindre joug. On se sacrifiait sans calcul pour la cause nationale, et l’on croyait faire assez.

Les grandes vicissitudes morales qu’ont essuyées ces armées sont faciles à saisir. Elles ont été affaiblies et sans nerf, quand elles ont commencé leur carrière, alors qu’elles sortaient des rangs des citoyens. Elles ont été puissantes et victorieuses quand on y a introduit la force du commandement.

Elles se sont affaiblies de nouveau lorsqu’après une succession de malheurs inattendus, d’autres intérêts que ceux de combattre l’ennemi sont venus encore une fois les arracher à leur spécialité et énerver la discipline.

On se rappellera le peu de succès des armées républicaines à l’origine de la guerre, et pendant près de deux ans, Mais si l’on examine d’un peu près leur mécanisme et les principes d’après lesquels on les dirigeait, on y trouvera l’explication de leurs désastres.

L’esprit de discussion des assemblées populaires et législatives avait pénétré dans les camps.

On y voulait être à fois citoyen et soldat, remplir des devoirs comme défenseur du pays, exercer des droits politiques et s’associer aux travaux de la tribune : de là les réunions, les clubs militaires ; de là cette habitude de disserter sur les opérations de la guerre, de peser les ordres reçus, d’exprimer son opinion sur la conduite et les intentions des chefs ; de là aussi tant de défiances personnelles, si peu d’harmonie dans les corps et dans l’ensemble de leurs mouvements ; de là, enfin, cette facilité à soupçonner la trahison, et ces destitutions sans motifs plausibles, résultat inévitable des relations établies entre les clubs militaires et les clubs populaires.

Un historien militaire de la révolution rapporte que la discipline fut relâchée par les provocations anarchistes des Jacobins, dont les clubs prenaient peu à peu beaucoup d’empire sur les troupes, et dont les journaux semaient la division entre les officiers et les soldats.

La seule armée du Rhin a eu, depuis 1792 jusqu’au commencement de 1794, au moins onze commandants en chef, la plupart sacrifiés successivement par l’effet de l’indiscipline et de l’abus de la liberté. Qu’on juge par là des autres mutations, et l’on comprendra que l’instabilité du commandement a dû entraîner celle des opérations de la guerre.

On peut au reste apprécier ces désordres par l’opinion qu’en avaient les étrangers :

« N’achetez pas trop de chevaux, disait le ministre d’une puissance coalisée à plusieurs officiers de marque. La comédie ne durera pas longtemps, et l’armée des avocats sera bientôt anéantie. »

Cette armée des avocats, c’était celle qui fit la première tentative d’invasion en Belgique, sous le commandement de Rochambeau et de Dillon, si l’on peut appeler armée une réunion d’hommes sans ordre, sans instruction militaire, volontaires, mais sans volonté d’obéir, et qui fut si promptement mise en déroute.

Cet état de chose devait avoir son terme ; il ne s’agissait que de combattre le mal dans sa cause, et c’est ce que fit Bonaparte appelé au commandement de l’armée d’Italie.

Est-ce par la force numérique que Bonaparte a dispersé, l’une après l’autre, en quelques mois, trois armées autrichiennes. Non, car son effectif n’a jamais dépassé 40,000 hommes, et les armées ennemies étaient toujours de 60 à 80,000 hommes. Mais c’est par la puissance de l’organisation qu’il a donnée à son armée, c’est en rétablissant la discipline, l’obéissance pleine et entière aux chefs, de grade en grade ; c’est en s’isolant des causes de désordre qui agissaient sur les autres armées de la république ; c’est en se faisant pour ainsi dire dictateur militaire. Il avait compris, lui, ce puissant génie, que sans obéissance passive, il n’y a pas d’organisation d’armée possible, que sans organisation il n’y a pas de victoire à espérer.

Il ne faut donc pas être surpris que notre armée, si semblable dans son origine aux armées françaises dont j’ai parlé, ait éprouvé momentanément le même sort : des circonstances tout à fait identiques devaient amener ce résultat.

Il ne faut pas être surpris aussi de voir les germes de désunion se propager pendant quelques années ; l’esprit du temps a dû influer sur l’esprit de l’armée, et retarder cette uniformité de pensée et de vues qui doit distinguer un corps militaire. Dans le corps d’officiers, les nuances d’origine n’ont pu s’effacer entièrement ; les catégories sont restées distinctes, on s’est observé, on a pesé les droits respectifs, les services rendus, l’ancienneté. Malgré le temps écoulé depuis 1830, ces discordances existent encore. Il s’agit aujourd’hui de savoir si elles doivent disparaître à toujours, on bien s’il leur sera donné un nouvel aliment.

Les circonstances organiques dont j’ai fait mention méritent d’être appréciées ; il ne faut pas les perdre de vue dans la discussion des lois qui ont pour objet la constitution militaire du pays.

Cependant, si cette influence était la seule qu’il fallût combattre, il n’y aurait aucune urgence de nous occuper aujourd’hui de toutes les lois proposées. Il suffirait du mode d’avancement que la chambre vient de décréter. Soumis à cette loi importante, on verrait bientôt tous les intérêts d’accord. Car, remarquez-le bien, nous n’avons pas à nous plaindre de l’indiscipline de l’armée, en tant qu’elle naîtrait de causes ordinaires ; la législation actuelle serait suffisante pour la rétablir, si elle était relâchée momentanément, pourvu que l’on appliquât cette législation d’une main ferme. Ce serait donc faire à nos officiers une injure gratuite que de supposer des infractions au service dont la répression est possible au moyen des règlements en vigueur.

Mais, il y a malheureusement un principe de désordre bien autrement grave, qui, combiné avec ces circonstances organiques, menace la discipline dans sa base. Ce principe est étranger à l’armée, antipathique à tout esprit militaire bien entendu et comme il résulte de dispositions constitutionnelles mal comprises et mal appliquées tout à la fois, on n’échappera au danger qu’il entraîne que par une explication franche et une interprétation positive.

C’est ce que je vais essayer de faire.

L’article 14 de la constitution garantit à chacun « la liberté de manifester ses opinions en toute matière. »

L’article 18 établit « la liberté de la presse. »

L’article 128 dit : « Les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions que de la manière déterminée par la loi. »

De ces dispositions, beaucoup ont conclu que l’on ne pouvait pas ôter à un officier le grade qu’il aurait obtenu ; d’autres, qu’en toutes circonstances un militaire devait pouvoir user du droit d’exprimer librement sa pensée par la voie de la presse.

Je ne prétends pas attaquer la constitution ; mais qu’il me soit permis de dire en quoi ceux qui interpréteraient de la sorte peuvent se tromper.

Parlons d’abord de la propriété du grade. Dans tous les Etats européens, le gouvernement a toujours le droit de nomination et de révocation des officiers ; ce droit était également consacré par la loi fondamentale des Pays-Bas.

En abuse-t-on dans ces divers Etats ? en a-t-on abusé sous l’ancien gouvernement ? C’est ce que nous n’avons pas à examiner pour le moment ; mais la révolution belge a jugé que c’était là un droit exorbitant, elle a voulu le restreindre ; de là l’art. 124 de la constitution.

Cet article ne prononce pas l’inamovibilité de l’officier ; ce n’était pas là la pensée du corps constituant. Il laisse au contraire à la loi à déterminer les cas et le mode de révocation, parce qu’on a senti que, sans cette faculté, le principe serait contraire à l’institution qu’il voudrait protéger.

Le congrès voulait que cette loi fût votée sans retard, parce que l’esprit de prévoyance qui distinguait cette assemblée lui en démontrait l’urgence.

Si la loi avait suivi immédiatement la disposition constitutionnelle qui la prescrit, l’interprétation de cette disposition ne se serait pas égarée ; mais cinq ans se sont écoulés, et l’on n’a rien statué ; dès lors la tendance toute naturelle à expliquer l’art. 124 dans le sens le plus absolument favorable aux officiers a eu ses effets. Il en est résulté chez beaucoup de personnes l’opinion que le grade était une propriété irrévocablement acquise ; or, cette opinion, répandue dans des corps où l’esprit d’union n’était pas suffisamment consolidé par les causes que j’ai dites, devenait une erreur dangereuse pour une jeune armée.

Cette erreur n’a pas peu contribué ensuite à encourager d’autres écarts ; elle a porté plus d’un officier à user, avec irréflexion au moins, du droit que donne la constitution à tout citoyen d’exprimer ses opinions par la presse, et à les pousser dans le champ de la controverse, même en matière de service.

La liberté de publier sa pensée est une des conquêtes de la révolution, sa conservation comme principe importe au bien-être du pays ; les militaires comme tous autres ont le droit d’en jouir. Mais convient-il que comme militaires ils en usent ? Voila une question dont la solution sera vitale pour l’état militaire belge ; car si l’on admet l’affirmation sans restriction, dans un an il n’y a plus d’armée.

Jusqu’aujourd’hui le doute a pu retenir beaucoup d’officiers, et malgré les instigations dont on use pour les entraîner, l’abus est resté circonscrit dans d’étroites limites. Décidez ici le principe de liberté complète et la licence n’aura plus de frein.

Les armées permanentes sont un résultat de la civilisation et de la politique actuelle de l’Europe. Obligés d’en entretenir une, nous devons bien lui conserver ses conditions d’existence, c’est-à-dire une discipline basée sur cette obéissance passive si effrayante pour certains esprits. Sans ces conditions, je ne connais pas de moyens d’organiser les masses, de les rendre mobiles et agissantes.

L’obéissance passive est une nécessité des devoirs militaires ; elle s’applique au service.

Cette nécessité consiste à recevoir, à exécuter les ordres sans les raisonner ; autrement il n’y aurait plus de commandement et plus d’unité d’action à espérer.

Les masses n’ont pas d’esprit de discernement qui leur soit propre ; elles ne peuvent agir que par l’impulsion reçue ; il faut donc qu’elles soient obéissantes ; sinon, à la place de l’action vous n’obtiendrez que l’inertie.

Pont nier une semblable proposition, il faudrait pouvoir prouver le contraire, ce qui me paraît difficile.

Un gouvernement qui tient à maintenir les règles d’obéissance remplit un impérieux devoir : il serait blâmable d’en tolérer le relâchement, parce qu’alors il démoraliserait réellement l’armée et compromettrait par conséquent la sûreté du pays. Ce n’est donc pas pour lui qu’il veut la conservation des conditions d’existence de l’armée ; c’est pour la chose publique.

Les devoirs du militaire sont de deux natures : ceux qui tiennent à sa position spéciale, à l’accomplissement de la mission qui lui est confiée ; ceux qu’il a en commun avec tous les citoyens.

Pour les premiers, l’obéissance passive est indispensable, ainsi que je l’ai dit. Pour les seconds, l’officier suit les règles de conduite que lui imposent son honneur d’homme et les convenances reconnues de sa position.

Ses fonctions d’officier absorbant tous ses instants, il reste naturellement étranger à la plupart des habitudes de la vie civile : il doit surtout se tenir éloigné des affaires publiques.

Sous un régime constitutionnel le gouvernement est l’expression de la majorité. Le gouvernement exécute ce que veut la nation ; l’armée est un des moyens du gouvernement ; elle agit donc suivant le vœu de la majorité. Qu’est-il besoin qu’elle prenne part aux débats politiques par la manifestation d’opinions séparées, par l’action individuelle de ses membres, puisqu’elle a pour destination d’exécuter comme corps obéissant ?

C’est donc par l’effet même de sa spécialité que le militaire ne doit pas s’associer aux agitations politiques ou aux publications des journaux, et non parce que cela lui serait imposé par des ordres arbitraires.

Un officier qui sort de cette sphère spéciale pour appeler l’investigation du public dans un intérêt tout militaire où le public ne peut que mal voir, manque à la loyauté, parce qu’il place par là, sous le coup de faux jugements, ses camarades ou ses chefs, qui ne peuvent et ne doivent pas le suivre dans une pareille voie, sous peine d’exposer tout un corps à la dissension la plus complète. Or, s’ils s’en abstiennent, comme ils le doivent, ils restent donc sans défense, en butte à des attaques, que la prévention publique vient fortifier. Un officier qui écrit pour prendre comme publiciste une position politique étrangère à ses occupations comme militaire, ne peut le faire qu’aux dépens de ses devoirs.

D’après nos principes de guerre et l’organisation de nos armées, qui supposent à la fois la valeur, l’instruction et la discipline, il faut s’attacher à réunir au plus haut degré ces diverses qualités. L’officier est l’instituteur de ses subordonnés ; un corps est une école où les hommes de tous grades s’instruisent simultanément et s’exercent à faire produire à ce corps sa plus grande somme d’action. La valeur personnelle se multiplie, par cette instruction mutuelle ; instruction de tous les jours, de tous les instants pour un bon officier ; elle ne concerne pas seulement le maniement des armes, les manœuvres, elle embrasse encore tous les détails administratifs et hygiéniques. Comment concilier des devoirs si impérieux et des occupations si continues avec les nombreux sujets de distraction qui doivent nécessairement dominer l’officier qui se livrerait à des discussions étrangères à ses obligations obligées et habituelles ?

L’usage de la liberté d’écrire, en ce qui concerne le service, est une contravention à l’honneur et aux devoirs ; il ne doit pas être toléré. Appliqué aux différends politiques, il fait perdre aux militaires un temps qu’ils doivent à leurs fonctions.

Tout officier qui méconnaît ces convenances s’isole de ses camarades. De deux choses l’une : ou cet isolement est la critique de la conduite des autres, ou par cet isolement les autres critiquent sa conduite. Dès lors les liens de l’harmonie sont rompus, et le mauvais exemple est donné aux sous-officiers et soldats.

Si tous les officiers d’un corps se livrent en masse au même travers, la discorde est alors à son comble, car toutes les passions sont en jeu dans cette lutte ; le tumulte de la place publique est introduit dans la caserne ; l’ordre, l’union et la discipline, sont perdus a jamais.

Il n’y a rien d’inconstitutionnel à prévenir de pareils écarts par des mesures réglementaires.

Les fonctions d’officier ne sont pas forcées, elles sont volontaires, le Roi les confère, le citoyen les accepte.

Il est naturel, il est juste que les convenances de cette position puissent être déterminées, et comme les obligations qui en résultent sont librement consenties, il n’y a pas de tyrannie d’une part à les prescrire, il n’y a pas de servilité de l’autre à les accepter.

Les militaires, par suite des devoirs qui leur incombent, s’abstiennent de ce que, dans le sens absolu, ils ont la faculté de faire ; mais n’est-il pas mille positions sociales qui imposent à d’autres classes de citoyens des réserves semblables ?

Que dirait-on des membres d’une cour judiciaire qui, au sortir de l’audience, iraient publier les débats intérieurs de la chambre du conseil et ouvrir une polémique sur les opinions émises par leurs collègues ?

Que dirait-on des membres d’un jury qui critiqueraient dans les journaux les votes et la conviction de ceux qui n’auraient pas partagé la leur ?

Certes, les uns et les autres ont bien le droit de le faire, mais le doivent-ils faire ? Et parce qu’une règle de leur position leur commande de s’en abstenir, s’ensuit-il qu’ils fassent acte de servilité ?

Une loi que nous venons de voter interdit aux membres d’un conseil de mines de posséder des actions dans une exploitation sous peine de ne pouvoir assister aux délibérations du conseil. Mais tous les citoyens sont égaux devant la loi aux termes de la constitution. Pourquoi donc priverait-on un conseiller des mines d’un droit appartenant à tout le monde ? Pourquoi ? Par un devoir de position qu’il accepte volontairement. Car, on ne le force pas d’être conseiller des mines. Il est libre d’aliéner un droit que la constitution lui garantit, parce que cette aliénation est nécessitée par les convenances de fonctions qu’il s’engage à remplir, attendu que l’intérêt de ces fonctions l’exige.

Or, ce que doit faire le juge ou le juré ou le conseiller des mines, ce que doivent faire tant d’autres fonctionnaires, à plus forte raison un militaire doit-il le faire. A plus forte raison, doit-il s’imposer cette réserve commandée par l’honneur et le devoir.

On a parlé de démoralisation. On nous accusera sans doute encore de vouloir l’introduire dans l’armée. Mais cette accusation ne s’adresse-t-elle pas mieux à ceux qui conseillent aux officiers l’oubli de ces devoirs et qui prétendent les entraîner dans une voie excentrique ? car, c’est là qu’est véritablement sa démoralisation.

Pour excuser certains de ces écarts, on a été jusqu’à nous citer les Romains, dont les mœurs n’ont rien de commun avec les nôtres. On a rappelé cette coutume des triomphes consulaires qui permettaient aux esclaves de poursuivre le triomphateur d’invectives de tous genres. Mais remarquez que c’était là une partie du cérémonial, et que, le jour de l’ovation passé, cette licence n’aurait plus été soufferte.

Ce n’est pas au reste l’effet direct ou immédiat de l’abus dont il s’agit qu’il faut envisager, mais l’effet inévitable produit sur l’esprit de discipline qui repousse ces habitudes.

Je pense que l’on chercherait vainement des causes de dangers plus menaçantes pour l’armée, ailleurs que dans cette apparente opposition entre des devoirs indispensables et des principes de liberté mal appliqués.

J’ai dit en commençant que la différence d’opinion sur les lois à faire résultait de l’influence de faits récents. Ces faits, je les ai exposés ; rapprochez-les, mettez-les en présence des institutions que nous nous sommes données, et chacun se convaincra qu’une jeune armée, composée spontanément d’éléments d’origines différentes, devait facilement s’imprégner de doctrines nouvelles, et si contraires par leur nature à l’esprit et aux habitudes militaires ?

Livrée à elle-même, l’armée échapperait à ces effets ; le bon sens, la droiture et le dévouement patriotique de nos officiers nous en répondent. Mais l’armée pourrait-elle toujours résister aux insinuations extérieures ? Et quand de prétendus défenseurs de ses droits viendront au nom de ses libertés menacées, qui nous répondrait de sa constance à repousser un langage trompeur, si l’on permettait aux agitateurs du dehors de travailler son moral sans que l’on eût aucun préservatif contre leurs menées ? Voilà, messieurs, le danger que j’ai signalé, danger contre lequel nous ne pouvons pas prendre de mesures directes, mais que la majorité de la chambre peut conjurer par une manifestation positive de son opinion.

Messieurs, l’ensemble des considérations que j’ai fait valoir établit évidemment l’urgence de lois qui complètent la législation militaire et donnent enfin à notre armée un principe de vue uniforme. Celles qui nous sont soumises ne comprennent pas encore toutes les dispositions dont l’absence se fait sentir, mais ce sont au moins les plus pressées.

J’appuierai ces lois en général, sauf à admettre les modifications qui pourraient servir à les améliorer.

La loi d’avancement, déjà votée, fixera les conditions d’après lesquelles l’officier est investi de son grade et peut aspirer à parcourir tous les degrés de la carrière militaire.

Avec cette loi disparaîtront la plupart des causes d’inquiétudes nées du défaut de règles légales, et qui ne laissent pas que de jeter de l’incertitude sur l’avenir de l’armée.

Le grade obtenu, il importe aussi de déterminer par une autre loi la position dans laquelle il place le titulaire, et les chances à courir suivant les vicissitudes et les obligations du service.

Ces deux lois sont prescrites par l’article 118 de la constitution.

Mais après avoir obtenu un grade, soit par droit d’ancienneté, soit par droit de mérite ou de services rendus, il faut continuer à s’en rendre digne. C’est la condition tacite des garanties posées dans l’art. 124 de la constitution.

Or, dans la supposition que cette condition pourrait ne pas toujours être remplie, il devient nécessaire de prescrire aussi, par une loi, la manière dont le grade serait alors révoqué. Cette troisième loi est aussi essentielle que les deux autres ; toutes trois constituent réellement l’état de l’officier, elles lui donnent la mesure de la carrière qui lui est ouverte et posent des bornes aux écarts qu’il doit éviter.

C’est par conséquent pour exécuter ce que commande la constitution, aussi pour donner à l’armée les seules bonnes règles d’organisation compatibles avec sa destination, que nous sommes appelés aujourd’hui à discuter les lois proposées.

Je me résume en deux mots.

La nation veut le maintien du régime qu’elle a fondé par ses mandataires ; elle veut des institutions dérivant des principes rationnels consacrés par le temps et l’expérience.

L’armée est une de ces institutions, une des plus importantes puisqu’elle a pour mission de maintenir l’ordre intérieur, de repousser les attaques du dehors, de défendre l’indépendance et l’intégrité du territoire contre toute espèce d’ennemis de la constitution et du pays. Or, la raison et l’expérience de tous les temps ont démontré qu’une armée ne peut rester forte et entière sans l’obéissance passive ; donc il faut en admettre le principe.

Ce principe étant incompatible avec l’usage arbitraire de certaines libertés garanties par la constitution, il est de convenance que se fasse une règle d’honneur de ne pas user de ces libertés. Il devrait être du devoir du gouvernement de convertir cette règle en condition quand il confère un grade.

C’est comme ami du pays et de ses institutions que j’exprime cette opinion.

Les amis du pays sont aussi les amis de l’armée ; ceux-là se garderont bien de la bercer d’illusions, et de le détourner des devoirs réels par l’appât mensonger de libertés dont on ne la déshérite pas, mais dont l’exercice, toujours inutile dans sa position, est souvent dangereux.

Les véritables amis de l’armée sont ceux qui veulent des lois pour arrêter l’esprit d’anarchie, juste aux limites de nos camps.

Les véritables amis de l’armée sont ceux qui veulent des lois définitives et durables, parce qu’il ne s’agit pas de guérir un mal du moment, mais d’empêcher une cause permanente d’agir aujourd’hui comme dans l’avenir.

Je proteste ici hautement contre l’opinion de ceux qui prétendraient vouloir, par des mesures temporaires, établir implicitement le fait de l’existence d’une indiscipline ou d’un désordre quelconque. Je l’ai déjà dit, il n’y a pas d’indiscipline, il n’y pas de désordre intérieur, il n’y a pas de vice actuel à corriger ; l’armée repousse cette accusation ; mais il y a en dehors d’elle des doctrines pernicieuses qu’on voudrait y faire pénétrer, et c’est contre l’action dissolvante de ces doctrines que nous demandons une barrière. Nous ne voulons nullement priver l’armée de droits constitutionnels, mais nous voulons mettre le principe de sa force sous la sauvegarde de son honneur.

M. Gendebien. - Messieurs, je regrette de ne pas avoir sous la main une proclamation du gouvernement provisoire à l’armée. Vous y verriez quels étaient les principes régénérateurs qu’on cherchait alors à inspirer à l’armée. Cette proclamation était signée (je cite les noms dans l’ordre où ils étaient, je crois, au bas de la proclamation) :

« Alexandre Gendebien,

« Charles Rogier,

« Van de Weyer,

« Comte Félix de Mérode,

« Joly, adjoint comme commissaire près du ministère de la guerre. »

Je me serais muni de ce texte, si j’avais pu prévoir qu’on eût discute aujourd’hui les deux projets dont on ne devait s’occuper que successivement.

Dans cette proclamation, qui a été rédigée par M. Charles Rogier, à la suite d’une inspection qu’il avait faite avec M. Joly, il fut dit à l’armée que le gouvernement provisoire était satisfait des progrès de son instruction, de son organisation et de sa discipline ; le gouvernement provisoire disait à l’armée :

« Désormais vous êtes citoyens avant tout. N’oubliez jamais que vos premiers droits comme vos premier devoirs sont ceux de citoyens. N’oubliez jamais que vous n’avez des armes que pour défendre le pays et la liberté, non seulement au-dehors, mais au-dedans. »

Aujourd’hui c’est un tout autre langage que l’on tient. Je doute fort qu’en 1830 ou 1831 on eût osé, devant les membres du gouvernement provisoire, développer les théories qu’on ose exprimer aujourd’hui ; car il résulte de ce que vous venez d’entendre que l’armée ne doit être composée que de parias, que les militaires ne sont plus citoyens avant tout, ainsi qu’on le disait à la fin de novembre 1830 ; qu’ils sont de véritables parias ou de misérables renégats.

J’ai toujours soupçonné que sous l’apparence du bon ordre, d’une bonne discipline et d’une bonne organisation, c’était une armée de janissaires qu’on voulait former, ainsi que l’a dit si franchement, si énergiquement l’honorable M. Dumortier. Et cela ne résulte-t-il pas des paroles du préopinant ? Mais suivons-le dans ses observations sur les événements et les hommes de la révolution de juillet et de septembre en Belgique et en France.

En juillet 1830, à Paris, et en septembre de la même année, à Bruxelles, a dit le préopinant, l’armée régulière fut vaincue par le peuple armé. De là enthousiasme, insubordination, imprudence, et enfin l’opinion qu’il ne fallait plus d’armée régulière.

Je dirai comment les choses se sont passées à cet égard en Belgique : il y avait, en effet, dans le gouvernement provisoire un membre qui ne voulait pas d’armée régulière ; il était tellement obstiné, enthousiaste ou imprudent que, pour avoir une armée de 60,000 hommes, nous avons dû recourir à un subterfuge : Nous avons dû ordonner une armée de 40,000 hommes d’infanterie, de manière qu’en y joignant l’artillerie, le génie et la cavalerie nécessaires pour ces 40,000 hommes d’infanterie, nous avons eu une armée de 60,000 hommes. Nous verrons si maintenant encore cet ancien membre du gouvernement provisoire, aujourd’hui haut placé, contestera l’utilité d’une armée régulière, et s’il défendra l’armée de la révolution, les corps et les officiers de volontaires qui avaient alors exclusivement ses sympathies, et qui sont aujourd’hui si injustement attaqués et même calomniés. Pour moi, messieurs, je voulais une armée régulière et les corps de volontaires, et je rendais justice à tous. Mais c’étaient les officiers de l’ancienne armée que l’on accusait alors injustement. J’ai toujours pris leur défense, et il y avait du courage à le faire alors ; car il y avait pour les accabler alors des hommes très acharnés, comme il y en a aujourd’hui pour attaquer les soldats de la révolution. Aujourd’hui je prends la défense des hommes de la révolution que l’on accuse de désordres dont d’autres sont coupables : aujourd’hui comme alors, je défends le faible contre le fort. Je suis donc toujours conséquent avec moi-même. Je ne sais si tout le monde a et aura cet avantage.

Quoi qu’il en soit, on a attribué nos désastres de Louvain à cet esprit de révolution, d’insubordination et d’exaltation, résultat de la victoire de septembre à Bruxelles, et de la composition d’une armée où il y avait beaucoup d’officiers révolutionnaires. Eh bien, il n’en est rien. Pour ceux qui ont vu les choses de près (et je m’étonne du langage de l’honorable préopinant, puisqu’il y était aussi), ils savent quelle était la cause de cet état de choses, et ils se trompent volontairement quand ils l’imputent à notre brave armée, et surtout aux hommes de la révolution.

C’est la diplomatie qu’il faut accuser, car c’est à la conférence de Londres que la défaite a été réglée. La révolution belge devait finir ; elle était morte, s’était-on permis de dire au congrès même et dans certains journaux. Mais pour mieux l’exploiter, il fallait la tuer. Pour la tuer, il fallait la déshonorer ; c’est là tout le secret, c’est là la véritable cause, je ne dirai pas de la défaite, mais des désordres du mois d’août 1831. Chez un peuple aussi susceptible que le nôtre sur le point d’honneur, la défaite de Louvain devait être une profonde humiliation ; son résultat devait être d’abaisser le juste orgueil du peuple belge, de le faire fléchir assez bas pour le forcer de subir le joug que les intrigants lui avaient préparé.

Toutes les puissances le désiraient, et n’était-ce pas leur intérêt de le désirer ? Ecoutez les doctrinaires, les ministériels de France et de Belgique. Ils disent que le seul rôle accepté par le roi Philippe, d’abord essentiellement républicain, c’était d’étouffer et de faire disparaître toutes les conséquences de la révolution.

N’avons-nous pas été toujours sous l’influence de cette puissance ? N’a-t-on pas répété partout que le rôle de la diplomatie était d’anéantir l’esprit révolutionnaire, d’arrêter ses progrès, et de l’empêcher de pénétrer dans toute l’Europe ?

La Prusse, l’Autriche et la Russie n’avaient-elles pas intérêt à arrêter le cours de notre révolution ? L’Angleterre même, ou plutôt l’aristocratie anglaise, menacée d’une réforme radicale qui se préparait depuis longtemps, et à laquelle elle arrivera, malgré l’étouffement de notre révolution, n’y était-elle pas également intéressée ?

D’un autre côté ne fallait-il pas donner une fiche de consolidation au roi Guillaume, le protégé et l’ami de la Sainte-Alliance ; ne fallait-il pas relever l’armée hollandaise, non pas seulement dans l’intérêt de la dignité de Guillaume le légitime, mais dans l’intérêt de toutes les puissances qui s’étaient déclarées les ennemis de la liberté des peuples et qui méditaient un grand acte de justice contre tous les perturbateurs et révolutionnaires de l’Occident.

Ici, comme en France, les exploitants de la révolution n’ont-ils pas un intérêt à la déshonorer pour l’exploiter plus à leur aise et plus sûrement ?

De là ces désordres, cette pénurie au milieu de l’abondance, ce défaut de commandement : ce n’est pas, comme l’a dit un jour un ex-ministre, parce qu’il y aurait eu des lâches, ce n’est pas parce que le Roi aurait été abandonné sur le champ de bataille et par l’armée et même par les officiers de son état-major ; non, messieurs, c’était un grossier mensonge : c’est que rien n’avait été préparé et combiné pour la défaite, rien pour la victoire. En effet, si je voulais ici dérouler les preuves que je publierai un jour, vous seriez profondément convaincus.

Vous verriez que le commandant de l’armée de l’Escaut, 40 jours avant la reprise des hostilités, avait fait au chef de l’armée un rapport tellement circonstancié qu’il était impossible de douter de l’imminence d’une attaque. Le général commandant l’armée de la Meuse avait fait un semblable rapport deux jours avant les événements, et dans la nuit du 31 juillet au 1er août, il envoya encore un dernier rapport tellement circonstancié qu’il était impossible de douter des intentions de l’ennemi. Que fit-on ? on ne voulut point maintenir les troupes en état de rassemblement, on renvoya toute l’armée du brave général Daine dans ses cantonnements, elle fut obligée de faire 10 ou 15 lieues pour passer une revue ; elle en fit autant pour retourner dans ses cantonnements, et il n’y étaient pas encore quand les Hollandais arrivèrent ; ces jeunes soldats avaient été obligés de faire sans se reposer 25 ou 30 lieues. Lorsqu’ils arrivèrent pour combattre, ils manquèrent de vivres et de munitions. N’avons-nous pas vu à Louvain même des troupes manquer de vivres et de munitions, abandonnées elles-mêmes, sans relation aucune avec le chef ou les chefs ? Pour mieux assurer la rouerie diplomatique, n’avait-on pas licencié tous nos vieux soldats de milice, et la plupart de nos corps de volontaires ? n’avait-on pas déjà admis le système de calomnie qu’on a si bien exploité depuis.

Sont-ce, d’après cela, les volontaires, l’esprit révolutionnaire, l’excès de la liberté auxquels on peut reprocher notre défaite !

Consultez même les anciens et honorables officiers qui ne sont pas intéressés à calomnier les volontaires. Ils vous diront tous qu’ils les ont vus combattre avec un courage admirable. Qui a tenu le plus longtemps à l’armée de Daine ? Qui a tenu le plus longtemps à Bautersem et à Louvain ? Les régiments composés entièrement de la réunion de tous les volontaires, les bataillons de tirailleurs.

J’ai vu des officiers de l’ancienne armée pendant la campagne, ce n’est pas des volontaires, ce n’est pas de l’absence de discipline qu’ils se plaignent ; c’est du manque de vivres, de munitions, et surtout de commandement.

J’ai vu entre autres un ancien brave qui avait beaucoup de révolutionnaires dans son régiment ; il ne doutait pas du succès, il pleurait de rage de ne point recevoir l’ordre de charger l’ennemi. Ce n’est donc ni à la nouvelle ni à l’ancienne armée, ni aux volontaires, ni à l’esprit révolutionnaire qu’est dû le désastre de Louvain. Le désastre de Louvain est l’œuvre de la diplomatie et de nos grands hommes d’Etat. Abstenez-vous de tirer des conséquences d’un fait dont vous dénaturez les causes.

A-t-on été plus heureux, lorsqu’on nous a fait l’histoire de la révolution de France de 1792 et 1793 ! Il faut avoir complètement oublié l’histoire pour présenter les faits d’une manière aussi malencontreuse pour l’opinion qu’on a voulu établir. Il est même difficile de ne pas y voir autre chose que de l’ignorance.

(Lettre insérée au Moniteur belge n°142, du 21 mai 1836 :) « Bruxelles, le 20 mai 1836

(« Au directeur du Moniteur,

(« Monsieur, La première et la dernière partie du discours que j’ai prononcé dans la séance d’hier ont été bien rendues dans votre numéro de ce jour ; il n’en est pas de même de la partie commençant par ces mots : « A-t-on été plus heureux lorsqu’on nous a fait l’histoire. », et finissant par ceux-ci : « la liberté de la presse, on ne veut pas en méconnaître le droit dans le chef de chaque citoyen, etc. »

(« Toute cette partie de mon discours a été rendue fort négligemment. Je regrette de ne pouvoir la refaire et d’être obligé de m’en plaindre.

(« Recevez, etc.

(« A. Gendebien. »)

L’armée de la république a été battue, dit-on, lors de l’invasion en Belgique, parce que c’était une armée d’avocats.

Cependant tel avocat a autant de capacité et d’énergie que tel militaire qui se croit bien fort et bien grand parce qu’il porte l’épaulette. Les preuves sont là. Le général Moreau se battait à Jemmappes ; il avait été avocat. Le maréchal Gérard était sous-lieutenant à Jemappes ; il avait été avocat. Si j’avais prévu la sortie du préopinant contre les avocats, j’aurais pu vous citer cinquante officiers-généraux qui avaient exercé cette honorable profession que l’on pourra dédaigner, mais qu’il sera plus difficile d’atteindre. N’est pas avocat qui veut, et il est plus difficile d’être avocat que de devenir colonel.

C’est à l’indiscipline, a dit l’honorable préopinant, que l’on doit les mauvais succès de l’armée française. Ce qui entretenait l’indiscipline dans l’armée de la république, c’étaient ses rapports continuels avec les clubs de la capitale et l’existence même de clubs dans son sein.

Je vous prouverai : l’armée d’Italie était la plus républicaine, c’était celle où il existait le plus de clubs qui était en relation continuelle avec les membres de la convention et les clubs de Paris. Eh bien, cette armée a fait des progrès. L’armée du Rhin, au contraire, qui passait pour aristocrate dans l’armée d’Italie, a presque toujours été battue.

Il n’y avait pas de club dans cette armée, tout le monde sait qu’à la jonction d’un corps de 22,000 hommes, commandé par je ne sais plus quel grand général, arrivé à l’armée d’Italie, ce n’était que récrimination contre les aristocrates. Les officiers de l’armée du Rhin cherchaient toutes les occasions de prouver que s’ils avaient des manières aristocratiques ; ils étaient aussi républicains que ceux d’Italie.

Voilà comme on traduit ou plutôt comme on travestit l’histoire.

L’indiscipline existe dans l’armée. Je le nie : s’il y a eu des antipathies dans l’armée, c’est de la tribune nationale qu’est parti le brandon de discorde. Un ministre de la guerre a dit à la tribune, pour justifier les actes les plus cruels de barbarie, (car le mot d’arbitraire ne suffit pas pour les qualifier), a eu l’impudeur de dire qu’on avait ouvert tout exprès les prisons de la Hollande pour donner des officiers à nos volontaires. N’a-t-il pas eu l’impudeur de dire ?... Ce n’est pas vous, général Evain. J’aurai à m’expliquer à votre égard. Les faits dont je parle remontent à l’année 1831… N’a-t-il pas eu l’impudeur de dire qu’un colonel avait fait prendre un bain aux soldats et aux officiers de son régiment, et qu’il avait découvert par ce moyen 14 officiers marqués à l’épaule d’un sceau d’infamie ? c’était une calomnie atroce, d’autant plus odieuse qu’elle partait du supérieur contre l’inférieur. Qu’en est-il résulté ? c’est que l’armée se permit de mépriser les officiers de volontaires.

Quand un officier de volontaires passait devant des sous-officiers, ceux-ci disaient : Il n’oserait pas ôter son habit. Voilà la cause de la discorde qui existe dans l’armée. A-t-on fait disparaître cette cause ? jamais l’on n’a pris la défense des officiers de la révolution contre certains chefs.

Les hommes les plus susceptibles, ceux qui tiennent le plus à l’honneur, se sont retirés devant de pareilles molestations. Si je vous disais que de tous les généraux qui ont conduit nos volontaires devant l’ennemi, et qui ont consolidé l’indépendance nationale, il n’y en a plus un seul en activité de service. Est-ce là de la justice ?

Messieurs, la véritable cause du malaise de l’armée, je ne dirai pas de l’indiscipline, ce sont les injustices commises depuis 1831, malaise qui a été renforcé par l’affront sanglant que l’on a fait subir à notre armée, en la forçant d’être témoin, l’arme au bras, du siège de la citadelle d’Anvers. Là, messieurs, a été donné le coup de mort à l’armée. Quelle opinion voulez-vous que chaque membre de l’armée ait de l’armée elle-même, lorsqu’elle est contrainte, en présence de l’étranger, de rester dans l’inaction ?

Savez-vous une des causes du malaise de l’armée ? C’est le joug de l’étranger. Si nous avons trouve dans l’armée belge la majorité de nos officiers qui ont concouru à notre indépendance, c’est en haine de l’étranger. Car les Hollandais pour nous, c’était l’étranger. Aujourd’hui c’est la même antipathie. L’influence étrangère se fait sentir partout. Toutes les fois qu’un officier belge est en concurrence avec un officier étranger, c’est l’officier belge qui est sacrifié à l’étranger.

Si je voulais donner des preuves de cette révoltante partialité, je dirais que tel officier belge a été renvoyé, mis en non-activité, relégué par lettre de cachet dans une forteresse, uniquement pour avoir fait son devoir en résistant à des actes contraires aux règlements militaires. D’autres ont été écartés pour les actes les plus simples que l’on se plaisait à soupçonner. Et cependant nous avons vu naguère un homme attaché au ministère de la guerre commettre l’abus de confiance le plus caractérisée vis-à-vis du ministre qu’il pouvait compromettre, un acte que le code qualifie d’escroquerie, en abusant de deux lettres écrites par le ministre. Eh bien, cet homme n’a pas été chassé par lui. Il l’a recommandé auprès de la société même, qu’il avait promis de favoriser, près de laquelle il s’était vanté de jouir d’un crédit au département de la guerre à l’aide de la production de ces deux lettres.

D’un autre côté, un officier supérieur belge est accusé par une fille perdue. De quel crime ? du crime d’avoir écrit dans les journaux. Le témoignage de cette fille perdue a suffi pour autoriser la publication d’une lettre que je ne qualifiai pas, attendu que la haute cour militaire est appelée à la qualifier.

L’officier belge a été mis en non-activité de service parce qu’une fille perdue l’a accusé d’avoir écrit dans un journal.

Est ce là de la justice distributive ? Vous voulez que l’armée ne s’émeuve pas devant un pareil contraste, parce que vous attaquez les libertés publiques, parce que vous ne voulez pas que les officiers belges usent du droit qu’ils ont conquis en 1830, qui est écrit dans la constitution ? Vous ne voulez pas qu’elle s’émeuve alors qu’elle voit le ministre autoriser la publication d’une lettre qu’un officier belge déclare être calomnieuse, permettre de publier une enquête faite par quatre officiers inférieurs contre leurs supérieurs à la requête d’un officier supérieur du même grade que l’officier attaqué ; il est vrai que trois jours après on a annoncé que ce n’était pas le ministre qui avait autorisé cette publication, mais le général commandant un régiment en garnison à Bruxelles.

Remarquez jusqu’où va l’impartialité du ministre. C’est que tandis que l’on autorisait la publication de cette lettre, on donnait l’ordre itératif à la victime de cette intrigue de quitter Bruxelles immédiatement et d’aller à 30 lieues de la capitale, afin qu’il fut sacrifié plus facilement.

Voila, messieurs, des actes d’indiscipline les mieux caractérisés. N’est-ce pas un acte d’indiscipline que cette enquête faite par quatre officiers inférieurs contre un officier supérieur à la requête de son égal en grade. Si de pareils actes ne sont pas réprimés, il n’y a plus de discipline possible dans l’armée ; il n’y a pas de raison pour que les soldats ne fassent pas une enquête contre les sergents, les sous-officiers contre les sous-lieutenant, et ainsi successivement.

Quel moyen, vous, ministre de la guerre, aurez-vous pour réprimer un tel excès alors qu’on pourra vous répondre : mais c’est vous-même qui m’avez donné l’exemple. Non seulement vous n’avez pas puni les auteurs de cette enquête, mais vous en avez autorisé la publication. Voilà où est l’indiscipline.

Maintenant, ai-je besoin de répondre au préopinant qui vous dit : Il y a un principe de désordre, mais il est étranger à l’armée. Où trouve-t-il donc ce principe de désordre qu’il dit être en dehors de l’armée ? C’est dans la constitution. L’art. 14, vous a-t-il dit, assure la liberté des opinions, l’art. 18 garantit la liberté de la presse pour tout le monde, et d’un autre côté, l’art. 124 fait du grade militaire une propriété ou quasi-propriété.

Jugez bien de la portée de cette accusation, car c’est sur la constitution même qu’elle porte. Le principe du désordre, vous a dit le préopinant, est en dehors de l’armée, et immédiatement après il vous a cité les articles 14, 18 et 124 de la constitution comme étant les principes destructifs de la discipline et du bon ordre dans l’armée.

Il n’y a aucun membre de l’armée ni de cette chambre qui puisse interpréter la constitution pour priver qui que ce soit des libertés qu’elle a consacrées, pas même les officiers de l’armée, pas même la chambre tout entière.

M. de Puydt. - C’est une erreur, je n’ai pas dit cela.

M. Gendebien. - C’est une erreur ! si je me trompe, vous me répondrez, et moi je me charge de vous relever.

On vous a dit, je le répète, que le principe destructeur du bon ordre et de la discipline dans l’armée était l’usage des libertés consacrées par la constitution. Car on vous a dit que ce principe de désordre était en dehors de l’armée et ensuite on a cité les articles 14, 18 et 124 de la constitution.

Et pour tout homme qui a une légère dose de bon sens et de bonne foi, il est facile de voir où est dirigé le trait lancé ; c’est sur la constitution. Les commentaires qu’on a médités à loisir et qu’on a présentés avec adresse, ne laissent aucun doute sur l’intention du préopinant.

La liberté de la presse, on ne veut pas en méconnaître le droit dans le chef de chaque citoyen, pas même a un officier de l’armée, mais tout homme appartenant à l’armée doit s’abstenir d’en user ; il convient même, ajoute-t-on, que le gouvernement en fasse une règle, une condition à tous les officiers, c’est-à-dire que tout officier qui se permettra d’user de la liberté de la presse, et qui en usera sans l’autorisation du ministre, sera destitué. (Il fera bien cependant de s’en passer puisque pour une fois que l’autorisation en a été donné, il en est résulte une action en calomnie, tant est grande la sagesse de ceux qui nous gouvernent.)

On convie le gouvernement non pas à dénier le droit d’user de la presse, au contraire on reconnaît, on proclame ce droit, mais par un tour jésuitique assez commun de nos jours, on le convie à défendre sévèrement d’user de ce droit.

Je ne sais si l’école d’Escobar raisonnait mieux, mais c’est là du jésuitisme qui est digne d’elle !

De quel droit pourriez-vous imposer une pareille condition à un officier ? Quel tribunal condamnerait un officier pour s’être servi de la presse, alors qu’il n’en aurait pas abusé ? Mais en abusât-il, les tribunaux sont là pour réprimer les délits commis par la voie de la presse aussi bien par les militaires que par les citoyens, la constitution est formelle à cet égard.

Mais vous voulez laisser au gouvernement la faculté d’imposer aux officiers la condition qu’ils n’useront pas de la presse, et vous voulez lui donner la faculté de destituer ceux qui s’en serviront ! Mais vous n’y pensez pas ; vous oubliez donc que, d’après notre constitution, une simple contravention en matière de police de grande voirie est soumise aux tribunaux : c’est la jurisprudence unanime des cours de Liége et de Bruxelles, et de la cour de cassation. Ainsi, un citoyen qui commet une simple contravention de police sur une grande route, celui-là peut défendre ses droits devant les tribunaux, la cour d’appel et même la cour de cassation, et quand un officier aura usé d’un droit constitutionnel, il sera condamné de ce chef, non par les tribunaux ordinaires, ni même par un tribunal militaire ou la haute cour militaire, mais par le Roi.

Sur le rapport du ministre ! et vous savez que volonté de ministre est toujours œuvre de sagesse, ce qui ne serait pas difficile à démontrer.

En vous mettant sous les yeux quelques contrastes, je vous ferai voir quelle foi vous pouvez avoir dans la sagesse d’un ministre qui a accueilli et appuyé un homme qui avait essayé de commettre une escroquerie en le compromettant, dans un ministre qui autorise la publication d’une lettre qui devient l’objet d’une action en calomnie.

Quelle justice avez-vous à espérer d’un pareil ministre ? Cependant ce sera ce ministre qui, sur une question de droit constitutionnel, prononcera à lui seul.

Voilà donc le régime où nous sommes arrivés !

Quelle différence y a-t-il entre ce régime et celui du roi Guillaume ? Il y a une différence, et la voici : Sous le régime de Guillaume, il y avait de la brutalité, mais il y avait du moins de la franchise.

Le gouvernement de Guillaume dans ses brutalités pouvait s’appuyer sur une loi, sur la loi fondamentale. D’après cette loi, il pouvait nommer et destituer sans que, dans aucun cas, il fût donner les motifs de ses faveurs ou de ses destitutions. Mais ici, c’est tout autre chose ; ici nous avons des droits constitutionnels bien positifs, et cependant on arrive au même résultat, à la différence que le roi Guillaume y mettait plus de franchise ; car on n’a pas la franchise d’avouer que c’est de l’arbitraire que l’on veut. L’on faisait de l’arbitraire ouvertement, la constitution l’y autorisait ; aujourd’hui on veut en faire contre la constitution, en dissimulant les atteintes qu’on lui porte et même en protestant d’un respect hypocrite pour son texte.

Messieurs, je ne sais si j’ajouterai quelques mots à ce que j’ai dit, mais il me semble que je vous ai fait voir le danger non seulement du projet présenté, mais des théories développées dans cette séance et qui m’effraient.

Mais croit-on qu’on aura si bon marché de ces hommes qu’on nous dépeint comme encore imprégnés de cet esprit révolutionnaire et turbulent, ce que je nie !

Je répondrai à toutes ces théories par un dilemme. Ou cet esprit turbulent, cette exaltation révolutionnaire dont on cherche à vous effrayer existe encore, ou elle n’existe plus. Si elle existe, prenez garde que vos dispositions n’aient un effet tout contraire à celui que vous en attendez. Prenez garde de réchauffer le noble élan qui entraîna ces hommes généreux à la victoire et fit voler un trône en éclat, en leur montrant la nécessité de reconquérir la liberté qu’ils avaient conquise en 1830.

Si cet esprit révolutionnaire n’existe plus, il est inutile de recourir à des lois d’exception toujours dangereuses.

M. Legrelle. - C’est de l’anarchie !

M. Gendebien. - Je prie M. Legrelle de ne pas m’interrompre.

S’il y a ici quelqu’un d’anarchique, c’est M. Legrelle, et je vais le prouver.

Lorsqu’il a été question, il y a un an, de la répartition de la contribution foncière, pour une mesquine question d’argent, ce que M. Legrelle comprend beaucoup mieux qu’une question de liberté et de droit constitutionnel ; pour un changement cadastral qui imposait à la ville d’Anvers quelques centimes de plus qu’autrefois, n’avez-vous pas entendu l’honorable membre déclarer qu’il pourrait assurer qu’on ne paierait pas ? il a donc provoqué ouvertement à la désobéissance à la loi ! Il s’agissait d’une loi de finances de quelques centimes de plus ou de moins, à payer ! Et ici, quand il s’agit de droits garantis par la constitution, je n’aurais pas le droit de présenter une alternative ! car je n’ai pas, comme M. Legrelle, dit positivement que telle chose arriverait, mais que…

M. Legrelle. - Je n’ai pas dit cela !

M. Gendebien. - Vous avez le droit de me répondre, mais non de m’interrompre.

J’avais donc l’honneur de faire une supposition, et de poser un dilemme. Je prie la logique de M. Legrelle d’être moins susceptible, d’être plus froide et plus rationnelle.

Je pourrais sans doute être plus agréable à certaines personnes, si, comme M. Legrelle, je me proclamais l’ennemi des révolutions et des révolutionnaires. Il pourrait peut-être me tomber quelque bout de ruban du ciel ou de quelque haut lieu.

M. Legrelle. - Je suis l’ennemi de tous les désordres quelconques.

M. Gendebien. - Je disais que s’il était vrai ainsi qu’on le prétendait, qu’il existât un esprit anarchique, chose inexacte, qui constitue même une véritable calomnie envers l’armée, la disposition présentée serait d’un grand danger, parce qu’elle priverait les officiers de droits acquis, et pourrait les pousser, un jour, à refaire la conquête de cette liberté.

J’ai dit, d’un autre côté, que si l’armée était dans un état de malaise, ce malaise était dû à une autre cause que celle qu’on indique, et que la mesure proposée était inutile.

Il n’y a là rien que de très logique et de très convenable. Je le répète, c’est de justice que l’armée a soif, c’est du joug de l’étranger que l’armée est impatiente, c’est du favoritisme que l’armée est indignée. Faites disparaître ces causes, ramenez les opinions encore divergentes sur notre révolution, ces opinions sont prêtes à se rapprocher. Depuis cinq ans les officiers de l’ancienne et de la nouvelle armée ont appris à s’estimer, à se respecter et à connaître leur valeur respective. Il n’y a plus qu’un seul brandon de discorde, c’est l’injustice, c’est l’influence étrangère ; qu’on fasse disparaître ces causes de défiance et de malaise, et vous n’aurez pas besoin de lois d’exception.

M. Legrelle. - Je n’entrerai pas dans la longue récrimination dont j’ai été l’objet de la part de l’honorable préopinant, et que je ne crois pas avoir méritée. Je me bornerai à rectifier un fait, parce que les personnes qui n’ont pas assisté à la séance où j’ai eu occasion de parler sur le cadastre pourraient être induites en erreur par les assertions que vous venez d’entendre.

Je n’ai jamais provoqué à la désobéissance aux lois, ni mes concitoyens, ni qui que ce soit ; mais j’ai dit que les contribuables d’Anvers croiraient à tort ou à raison que l’augmentation qu’on voulait leur imposer n’était pas légale, qu’ils y opposeraient des moyens légaux et qu’ils ne paieraient pas jusqu’à ce que les tribunaux aient prononcé.

C’est dans ce sens que je me suis opposé à la mesure : J’en appelle à ceux de mes honorables collègues qui m’ont entendu.

M. F. de Mérode. - Je demande la parole pour un fait personnel, quoique mon nom n’ait pas été prononcé. Mais j’ai été suffisamment désigné par l’honorable M. Gendebien, qui a dit qu’un membre du gouvernement provisoire aurait fait tous ses efforts pour s’opposer à la formation d’une armée régulière ; c’est moi qui me suis opposé à la formation d’une armée régulière.

Parce que c’est moi qui me suis opposé à ce que l’on formât tout de suite une armée régulière. Et les événements ont parfaitement justifié mes prévisions. Alors, nous manquions de fusils pour armer les volontaires, pour armer les hommes qui marchaient en avant. A cette époque le temps était précieux, il fallait gagner du terrain. Le temps était tellement précieux que nous ne pouvons plus obtenir ce que nous n’avons pas pris. On pressentait qu’il en serait ainsi, et c’est ce que l’avenir nous a prouvé. Maintenant on s’oppose en Europe à ce que nous ayons certains territoires que nous avons négligé de prendre.

Dans les premiers temps de notre révolution les fusils étaient dans les mains des miliciens ; ceux-ci étaient assez mal disposés, et voyant cela, je me suis opposé à la formation prématurée d’une armée régulière. On ne m’a pas écouté ; on a réuni quelques bataillons ; qu’est-il arrivé ? On crut devoir envoyer un de ces bataillons à Laeken pour l’empêcher de se débander dans Bruxelles ; eh bien, il s’est ennuyé là, et un beau matin il est allé à Anvers sans s’embarrasser des ordres du gouvernement provisoire.

Un autre bataillon ne voulut faire l’exercice que deux fois par semaine. (Bruit.) Les soldats croyaient qu’il leur était inutile de faire l’exercice. C’était l’esprit de la révolution d’imaginer que les manœuvres ne servaient à rien.

Ce même bataillon qui était à Bruxelles en partit. Il fut se promener jusqu’à Laeken, et c’est avec bien de la peine, bien des efforts qu’un colonel et un général ont pu le ramener à Bruxelles.

Un troisième bataillon fut envoyé à Louvain après un malheureux événement qui a souillé notre révolution (il est inutile de rappeler les scènes sanglantes dont je veux parler) ; eh bien, ce bataillon envoyé pour rétablir l’ordre est allé se promener du côté de Namur.

Du côté d’Ypres, il y avait des troupes réunies ; elles étaient armées de fusils ; et je croyais que ces armes auraient été mieux placées entre les mains des volontaires qui eux seuls, en ce temps-là, marchaient en avant.

C’est en présence de tous ces faits qu’alors je ne voulais pas que l’on fît une armée régulière : Je voulais qu’on n’en fît que plus tard.

Quant à la proclamation du gouvernement provisoire, elle était convenable pour l’époque ; à quoi eût-il servi de parler de discipline à des hommes exaltés, à des enthousiastes ?

M. Rogier. On leur en a parlé !

M. F. de Mérode. - Il fallait alors leur parler de patriotisme, de liberté, d’indépendance, de tous ces mots magiques dans les moments de la révolution ; il fallait enfin leur parler dans un sens révolutionnaire. Ils voulaient marcher en avant ; on ne devait pas refroidir leur ardeur.

Mais, de ce qu’à certaines époques il faut proclamer des principes révolutionnaires, s’ensuit-il que dans tous les temps il faille en faire usage, semer la division dans l’armée, attaquer les officiers étrangers, comparer leur influence à celle que les Hollandais ont exercée ?

Un langage détourné est ici inutile ; on en veut aux officiers français ; nous en avons 68 dans notre armée, mais pourquoi les attaquer ? Qui est-ce qui les a appelés dans notre armée c’est la législature, ce sont les chambres...

De toutes parts. - Oui ! oui !

M. F. de Mérode. - Ce sont les officiers français qui ont commencé l’organisation de notre armée.

De toutes parts. - Oui ! oui !

M. F. de Mérode. - On ne comprend pas les poursuites dont le nom français est l’objet ; ne sont-ce pas les Français qui ont pris la citadelle d’Anvers, qui ont sauvé cette ville du bombardement ?

De toutes parts. - Oui ! oui !

M. F. de Mérode. - Sans eux la ville eût été brûlée ; mais qu’importe au patriotisme de M. Gendebien qu’une ville soit sauvée ! Périssent toutes les maisons d’Anvers pourvu que son principe subsiste ! Les plus grands désastres ne sont rien si l’on conserve permanentes certaines idées révolutionnaires ! Mais, messieurs, dans d’autres temps, il faut d’autres idées, il nous faut maintenant des idées d’ordre, de stabilité.

Nous avons un gouvernement que nous avons établi nous-mêmes, et nous ne devons pas chercher à le dissoudre, à détruire l’œuvre de nos mains.

De toutes parts. - Bien ! très bien !

M. Gendebien. - Je relèverais sans peine toutes les observations de M. de Mérode. Je me bornerai à deux points : d’abord tous les faits dont il vous a entretenu bien malencontreusement ont eu lieu après l’arrêté qui a fixé l’armée à 40 mille hommes d’infanterie, c’est-à-dire à 60 mille homme d’armée régulière.

Mais parmi toutes ces assertions, il en est une qu’il m’importe grandement de relever.

Ce n’est pas à l’influence des officiers français en général, ce n’est pas à l’influence française que j’attribue le malaise de l’armée, je l’attribue au gouvernement français, à la politique versatile et douteuse du roi qui s’est fait appeler le roi citoyen, la meilleur des républiques, pour mieux exploiter la révolution qui a eu l’imprudence de l’adopter comme chef.

Je suis loin d’attaquer les honorables officiers français qui sont dans notre armée ; la plupart ont rendu des services au pays, à la révolution, à l’armée, mais il en est aussi qui ont apporté des principes antipathiques à notre révolution, à nos mœurs. Il en est qui élèvent des prétentions ridicules qui sont blâmées par leurs concitoyens comme par les nôtres.

Quand nous parlons de l’influence française, c’est de l’influence des doctrinaires français, ou de l’influence des doctrines et de la politique française ; nous voulons à la tête de notre armée un Belge, non soumis à cette influence. Ce n’est pas à moi, que l’on a accusé de gallomanie, que l’on supposera l’intention d’attaquer d’honorables officiers français par la seul raison qu’ils sont Français.

Qui a demandé dans cette chambre un vote de remerciement pour l’armée française après le siège d’Anvers ? C’est moi. Et si j’ai parlé de ce siège d’Anvers, était-ce pour accuser l’armée française ? Non ; c’était pour accuser le gouvernement français et le nôtre ; j’ai indiqué ce fait comme était une des causes du malaise qu’éprouve l’armée ; elle sentait le besoin de laver l’affront qu’elle avait souffert à Louvain quoique non mérité, et on l’a privée de l’occasion qui se présentait à elle si pleine d’ardeur.

Je ne me suis permis aucune individualité, je me suis plaint d’une manière générale de l’influence pernicieuse des doctrines françaises et de leurs agents. L’armée française est sous le même joug et s’en plaint comme nous en Belgique.

M. F. de Mérode. - Ce n’est pas de l’influence des doctrinaires français dont on a voulu parler ici ; car il ne s’agit pas de cela ; il s’agit de l’armée et non de la politique étrangère. Et quand on a dit que l’on était mécontent d’une influence étrangère qui se faisait sentir dans notre armée comme au temps où la Belgique était réunie à la Hollande, il est évident que l’on voulait parler de certaines catégories d’officiers. On se rejette maintenant sur les doctrinaires ; mais c’est là une explication forcée.

M. Gendebien. - Il est bien étonnant que M. de Mérode qui se plaint ordinairement de ne pouvoir exprimer ses opinions, ait la prétention de mieux connaître ma pense que moi-même. M. de Mérode croirait-il que je reculerais devant le devoir que m’impose mon mandat, celui de dire clairement ma pensée lorsque cela est nécessaire ; je suis ici pour dire la vérité et je la dirais sans hésiter. Si quelqu’un de nos deux a insulté l’armée française, ce n’est pas moi. Si je m’étais permis de dire, sur l’armée française, ce qu’a dit M. le comte Félix de Mérode quand il s’est agi de voter des remerciements à l’armée du siège d’Anvers, c’eût été là insulter cette armée. Ses paroles sont consignées au Moniteur, on peut y recourir.

Il a traité les braves soldats de l’empire de brigands et d’autres épithètes tout aussi fraternelles et de bon goût.

Jamais on ne m’a reproché d’avoir insulté l’armée française ; seulement en janvier 1833, M. de Mérode m’a reproché d’en avoir trop fait l’éloge. Je le répète, autant j’ai d’estime pour la nation et l’armée française en masse, autant je méprise son gouvernement et les vils instruments qu’il emploie pour nous tromper ou non subjuguer à ses doctrines.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) se lève avec empressement et dit. - Messieurs, ce n’était pas à l’occasion de récriminations au sujet des lois militaires que l’on devait s’attendre à entendre prononcer le nom du roi des Français et de son gouvernement, alors que chacun de nous se rappelle l’appui que la France a constamment donné à notre Etat naissant. (Marques nombreuses et prolongées d’approbation.) L’orateur a été aussi malheureux dans cette circonstance que lorsqu’il a dit que le gouvernement avait l’intention de convertir notre armée en un corps de janissaires : comment ne sait-il pas que les janissaires étaient un corps sans discipline qui compromettait le gouvernement turc à raison de son indiscipline et que ce gouvernement a dû anéantir ?

Oui, messieurs, nous devons tous, comme l’a fait dans cette enceinte un honorable militaire, déclarer de tels principes anarchiques ; ou nous n’aurons qu’une armée incapable de résister à l’extérieur et à l’intérieur, prête à devenir un instrument aveugle dans les mains du premier intrigant qui se présenterait.

Voilà ce que l’histoire nous apprend comme une conséquence nécessaire de l’indiscipline d’une armée ! (Approbation !)

M. Rogier. - Ainsi que je l’ai déjà dit dans plusieurs circonstances, je ne prétends pas ici au privilège de l’infaillibilité ni d’une conséquence à perpétuité rigoureuse avec moi-même. Je crois que c’est là le plus souvent le fait de la sottise et de la fatuité. Je dois cependant éclairer la chambre sur une allusion par laquelle un honorable préopinant a débuté, prévoyant que plusieurs de ses anciens collègues seraient, à la différence de lui, inconséquents avec eux-mêmes dans cette circonstance.

Au mois de novembre 1830 (remarquez que ce n’est jamais nous qui prenons l’initiative pour rappeler les souvenirs du gouvernement provisoire auquel nous croyons avoir pris des premiers une assez large part) ; au mois de novembre 1830, un de mes collègues et moi nous fûmes envoyés à l’armée pour reconnaître sa situation et la pénétrer des principes qui dirigeaient alors le gouvernement. A notre retour nous fîmes à nos collègues un rapport de ce que nous avions vu et l’on crut utile de faire une proclamation à l’armée. C’était au commencement de décembre 1830, deux mois après les événements de Bruxelles, voici cette proclamation, et ce qui m’étonne c’est qu’elle n’ait pas eu un caractère plus révolutionnaire ; car à l’heure qu’il est, je n’hésiterais pas à la signer. Si cette proclamation avait renfermé des principes anarchiques, qu’on aurait pu juger alors à propos de proclamer, je n’en conclurais pas que ces principes doivent être maintenant suivis par le gouvernement ; car ce n’est plus la même époque.

Par exemple, si cette proclamation déliait les soldats de la fidélité au drapeau, ainsi qu’on l’a fait, serais-je inconséquent parce que je demande aujourd’hui fidélité au drapeau, fidélité au gouvernement ?

Ainsi, M. Gendebien, le 26 au soir, aussitôt son arrivée au gouvernement provisoire où nous étions réunis dès le 24, fit une proclamation qui déliait les officiers de leur serment. (Nous avons donné notre adhésion à cette proclamation.) Aujourd’hui, dirait-on que M. Gendebien serait inconséquent avec lui-même s’il se refusait à signer une semblable proclamation ?

M. Gendebien. - Mais cela est ridicule.

M. Rogier. - Il est possible que ce soit ridicule. Il y a du ridicule de part et d’autre. Je dis, quand à moi, qu’il est ridicule de vouloir toujours être conséquent avec soi-même, alors que les époques sont aussi différentes que celle de 1830 et celle où nous vivons. Je dis que les principes qui nous dirigeaient alors ne peuvent plus nous diriger aujourd’hui.

J’en viens à lire la proclamation ;

« Proclamation du gouvernement provisoire.

« Soldats de l’armée belge !

« Le gouvernement provisoire a été satisfait du rapport de ses délégués auprès de vous ; il vous le prouvera en s’occupant de vos besoins et en faisant droit à toutes les réclamations fondées sur d’anciens ou de nouveaux services.

« Officiers, sous-officiers et soldats !

« Le temps est revenu où chacun de vous pourra prétendre aux grades les plus élevés. »

(En effet, la loi que nous avons votée hier met nos soldats à même de prétendre aux grades les plus élevés. Sous ce rapport nous avons rempli une promesse du gouvernement provisoire.)

« Le Hollandais ne viendra plus usurper vos droits et vous imposer ses chefs et ses tyrans subalternes, dont le joug déshonorant vous a fatigués pendant 15 ans.

(Non, grâces à Dieu, le Hollandais ne viendra plus peser sur nous ; il ne viendra plus faire peser sur nous un joug déshonorant, si surtout nous avons une armée où règnent l’union et la discipline, si nous faisons en sorte que le gouvernement puisse exercer sur elle une action constante et ferme, qui la mette à même de rendre au pays les services qu’il est en droit d’attendre d’elle.)

« La nation accueille avec fierté son armée régénérée ; elle compte sur son dévouement. (Elle est encore dans la même disposition aujourd’hui.)

« Soldats, vous saurez justifier sa confiance et mériter aussi l’estime de l’Europe. Rappelez-vous seulement que l’armée belge ne doit être désormais qu’une armée libre et citoyenne, toujours prête à repousser la tyrannie de l’étranger et à protéger la liberté et l’indépendance de la patrie. »

Oui, c’est encore là ce que doit être l’armée belge ; elle ne doit être « qu’une armée libre et citoyenne, toujours prête à repousser la tyrannie de l’étranger et à protéger la liberté et l’indépendance de la patrie. »

Je ne crois pas que qui que ce soit en Belgique songe jamais à faire de l’armée autre chose que ce que voulait qu’elle fût dès lors le gouvernement provisoire.

Quant à moi, je crois que le moyen le plus sûr pour que l’armée puisse remplir sa destination, c’est de la constituer par des lois définitives, lois qui se font attendre depuis un trop grand nombre d’années. Tel est le but du système constitutif entier qui vous est proposé.

Rappelez-vous qu’hier vous avez voté, pour la première fois, une loi qui établit les droits à l’avancement sur les bases les plus libérales, qui donne au soldat le droit d’arriver au grade de général, aux grades les plus élevés. Ainsi la promesse du gouvernement provisoire se trouve remplie. Mais il ne suffit pas de donner au soldat les moyens d’arriver aux grades les plus élevés ; il faut que ces grades soient remplis par des hommes qui les honorent, par des hommes qui se montrent les amis de l’ordre et des institutions du pays. Il faut, dans l’intérêt même de l’armée (car il ne s’agit ici ni d’intérêt du gouvernement ni même de l’intérêt spécial du pays, mais de celui de l’armée) qu’il règne une discipline sévère.

Il faut surtout que les mesures que nous discutons et que nous voterons, j’espère, à une grande majorité, soient exécutées avec sévérité et avec fermeté. Car pour moi je regretterais ces mesures si leur exécution confiée à des mains faibles manquait de la fermeté, de la sévérité nécessaire. Mais j’espère que le gouvernement les exécutera avec la même fermeté, le même patriotisme que nous aurons montrés pour les discuter et pour les voter.

Je sais que tout ce qu’il y a de bons officiers dans l’armée s’arrangerait fort bien de l’absence de toutes lois. Mais je sais aussi que les bons officiers n’ont pas à redouter l’effet des lois sévères. Pour cela, il est indispensable d’être sévère. Je le répète donc, il faut que ces lois soient appliquées avec sévérité. C’est à cette condition seule que j’adhère aux projets de loi qui nous sont soumis.

(Moniteur belge n°142, du 21 mai 1836) M. Dumortier. - J’ai d’abord hésité à prendre la parole dans l’importante question qui nous occupe. Mais deux choses m’y ont décidé : la première, les attaques injurieuses lancées par le premier orateur entendu contre l’armée de la révolution ; la deuxième, la manière dont se sont expliqués deux honorables préopinants relativement aux paroles que j’ai prononcées dans une dernière séance. J’ai donc cru de mon devoir de prendre la parole pour flétrir ces attaques comme elles doivent l’être, et pour m’élever contre la manière dont on s’est exprimé sur les paroles que j’ai prononcées dans une autre circonstance.

Suivant un honorable préopinant, c’est aux volontaires, c’est à l’armée de la révolution que serait dû le désastre du mois d’août, A cet égard, j’aurais pu garder le silence après la manière dont s’est expliqué l’honorable M. Gendebien. Mais je dois rappeler quelques faits qui montreront comment était organisée l’armée, peu de temps avant les événements du mois d’août. Vainement l’armée avait réclamé des fusils, des munitions, des vivres. Tout manquait. Cependant, il fallait combattre. Le courage pouvait-il suffire ? Non sans doute.

Que voulez-vous que fissent les soldats lorsqu’ils durent aller au feu avec trois cartouches dans leur giberne ! Je vous demande si après cela il n’est pas injuste d’attribuer aux soldats une faute qui ne doit retomber que sur le pouvoir qui gouvernait la Belgique.

Une autre cause des malheureux événements du mois d’août, c’est la dislocation de l’armée qui laissa la capitale à découvert : pour moi je suis convaincu que cette dislocation avait été préparée de longue main dans le but d’assurer le retour d’une famille que nous avions à jamais expulsée de notre territoire.

Lorsqu’à la suite des événements du mois d’août, j’ai proposé à la chambre de faire une enquête sur les causes de ce désastre, la chambre a été unanime pour accueillir cette proposition. Mais quand on a vu la conséquence qu’elle pouvait avoir, on y a renoncé. Maintenant les faits sont évidents à tous les yeux ; et tous ceux qui connaissent ces événements savent que l’on ne peut accuser nos soldats d’être la cause du désastre du mois d’août,

Comment ! Partout où ils ont marché, l’ennemi a été renverse. Sans doute l’ennemi s’est avancé dans le cœur du pays mais il n’a vaincu nulle part. Partout où un combat a eu lieu, nos soldats sont restés les maîtres du terrain. C’est la trahison seule qui a été cause du désordre du mois d’août. N’attribuez pas à nos soldats ce qui n’est que l’œuvre de certains chefs qui auraient dû être expulsés à jamais de l’armée.

Je passe à la fausse interprétation que l’on a faite d’un mot prononcé par moi dans une séance précédente. Je le répète, si vous votez la loi présentée par M. le ministre de la guerre, il suffit de mettre en tête de cette loi : loi pour transformer l’armée en corps de janissaires. Un corps de janissaires n’est pas comme l’a dit M. e ministre de la guerre, un corps indiscipliné ; c’est un corps servile exécuteur des volontés du pouvoir exécutif, un corps qui ne tient à rien, qui n’a pas de patrie, qui ne tient qu’à la volonté qu’il reçoit, qui n’est sous la subordination de personne.

Tout le but de la loi est d’empêcher les officiers de manifester leur opinion sur les abus qu’ils voient commettre, sur la dilapidation des deniers publics dont ils sont témoins, Même aujourd’hui, s’ils veulent faire connaître les abus à un membre de la représentation nationale, ils sont obligés de les cacher, de les voir la nuit ; car s’ils étaient connus, ils seraient chassés par le ministre de la guerre. On veut transformer l’armée belge en une armée de janissaires ; on veut qu’elle voie les plus criants abus sans manifester son opinion ; on veut empêcher les officiers de se plaindre aux membres de la représentation nationale.

On a invoqué de grands mots ; les mots d’union, de discipline. Autant que personne, plus que personne peut-être, Je désire l’union dans l’armée. Soyons fidèles à la devise du congrès national : L’union fait la force. Si cette devise est vraie dans le sein de la représentation nationale, elle est plus vraie encore quand il s’agit de l’armée. Mais, je le demande, les mesures d’intimidation tendront-elles à établir l’union dans l’armée ? Elles ne parviendront qu’à la désunir. Ce qui doit faire l’union, c’est la justice ; toute armée qui n’est pas dirigée avec justice est une armée où la désunion ne peut manquer de régner.

De grands éléments de discussion existent dans le pays. Vous ne pourrez jamais empêcher ces discussions. Comment veut-on empêcher les officiers de signaler les abus qu’ils verront tolérer par le gouvernement lui-même ? Le seul moyen d’opérer la fusion dans l’armée, d’y maintenir l’union, c’est la justice. Il y a dans le cœur de l’homme un sentiment qui se révolte à l’injustice, qui produira toujours la haine et la désunion entre les hommes qui veulent la justice et les hommes en faveur de qui ont commet l’injustice.

On dit que l’indiscipline règne dans l’armée. S’il y a de l’indiscipline, elle vient du gouvernement. Tous les actes d’indiscipline sont partis du ministère de la guerre.

Un général se plaint de ce que son camp est en mauvais état. Le ministre de la guerre envoie un officier supérieur pour vérifier le fait. Qui pensez-vous que le ministre choisisse pour cette mission ? Un général de division ? Non, un général de brigade. Il fait juger le supérieur par l’inférieur.

Le ministre de la guerre envoie un inspecteur-général de la cavalerie pour inspecter un régiment. Le colonel refuse de se soumettre aux ordres du ministre et de l’inspecteur, et il vient lui-même à Bruxelles faire connaître son refus au ministre. Que fait le ministre ? Vous croyez qu’il le punit d’un mois d’arrêts ? Non ; il lui dit : Vous avez bien fait, et il donne tort au général.

Ce sont de pareils actes qui font naître l’indiscipline dans l’armée.

Vous parlez d’indiscipline ? Comment a-t-on agi envers ces officiers de cuirassiers, qui étaient aussi innocents que vous et moi des articles dont on les accusait. Par un amour trop grand pour la justice, ils ont refusé de prêter le serment que vous exigiez d’eux. Vous les avez brutalement destitués. Etonnez-vous, après cela, qu’il y ait de la désunion dans l’armée.

Des officiers sont punis pour un sentiment d’honneur exagéré. Le sentiment de justice qui existe chez l’homme, se révolte contre de telles mesures.

Vous citerai-je les faits qui se sont passés dans ce déplorable, dans cet à jamais déplorable service de santé, où les abus se sont accumulés ? Nous avons vu un ministre approuver les abus les plus scandaleux. Nous avons vu des hommes que la justice avait requis de déclarer la vérité, qui l’avaient dite en justice comme ils en avaient prêté le serment, nous avons vu ces hommes punis par le ministre parce qu’ils avaient dit toute la vérité, rien que la vérité, et renvoyés malades dans les villes où ils vont porter leur dernier soupir.

Et vous vous plaignez de l’indiscipline de l’armée. Elle vient de la faute seule du gouvernement, de la faute du ministre qui n’a jamais su ni récompenser ni punir.

J’en ai dit assez pour prouver que le malaise ne vient pas de l’armée elle-même, mais des mesures injustes prises par le ministre de la guerre.

J’ajouterai quelques mots pour développer les considérations de l’honorable M. Gendebien, que l’on a bien mal comprises ou que l’on a cherché à bien faire mal comprendre.

M. Gendebien a compté au nombre des causes du malaise de l’armée les faits relatifs aux officiers étrangers. Je dois le dire, ceci en est une des plus grandes causes. L’explication que j’en donnerai paraîtra évidente à tous, je l’espère. Aussi longtemps que les officiers étrangers ont été admis dans notre armée comme étrangers, il était du devoir du gouvernement de leur accorder des préférences. Mis du jour où ces étrangers ont pris la cocarde nationale, ont été assimilés à notre armée et ont joui des mêmes faveurs que les autres citoyens, toute distinction devait disparaître. Il fallait établir entre les officiers belges et les officiers étrangers la plus stricte égalité. C’est ce qu’il fallait faire. Eh bien, le gouvernement n’a pas cessé depuis 4 ans de montrer envers l’étranger la plus criante partialité au détriment des indigènes.

Quand il y avait une faveur à accorder, c’était toujours l’officier étranger qui obtenait la préférence sur son concurrent belge. C’est ce qui a excité un malaise profond dans l’armée. Je le sais, messieurs, nous avons besoin de ces officiers étrangers qui ont fait beaucoup pour le pays, qui peuvent faire beaucoup encore. Je déclare que c’est le gouvernement qui fait naître le malaise ; il provient de ce que le gouvernement n’a cessé de montrer la plus grande partialité à l’égard des officiers étrangers qui sont dans notre armée.

J’examinerai en peu de mots si la loi en discussion apportera un remède au malaise qui existe maintenant. Je ne le pense pas. Loin de là, je crois qu’il ne tendra qu’à augmenter de plus en plus la désunion qui existe dans les rangs de notre année.

Le projet consacre-t-il la justice ou l’injustice ? Voilà toute la question. Avec la justice, l’union et la subordination reviendront ; avec l’injustice, s’aggraveront les difficultés de notre état présent.

D’après la loi, tous les officiers ne pourront être destitués pour des cas non prévus par les règlements. Les règlements sont très sévères ; tous les cas qui touchent à la discipline ont été prévus par ces règlements.

Le gouvernement voudrait pouvoir destituer les officiers dans tous les cas possibles, de manière que les officiers ne feront une seule démarche sans craindre qu’elle ne donne lieu à leur destitution. Le gouvernement veut même leur enlever leurs droits à la pension en les destituant. Ainsi un militaire qui aura fait 20 campagnes sera privé de son grade et de ses droits la pension, parce qu’il aura déplu à un de ses chefs, parce qu’il sera venu trouver un député et qu’il lui aura signalé des abus.

Quelle garantie aura-t-il contre l’arbitraire du gouvernement ? La formation d’un conseil d’enquête ; et c’est le chef de corps, le supérieur à qui l’officier aura déplu, qui désignera lui-même les membres du conseil qui sera juge et partie.

L’accusé comparaît devant le conseil ; et quel est son accusateur ? c’est l’auditeur militaire, un homme habitué à la parole ; et lui, il ne pourra pas avoir un avocat pour défendre sa cause. Ignorez-vous que les braves officiers connaissent mieux le maniement de l’épée que celui de la parole ? L’officier inculpé se trouvera donc désarmé devant l’auditeur militaire qui l’accusera, qui fera peser sur lui charge sur charge, sans qu’il puisse à son tour repousser l’accusation avec avantage. Voilà ce que veut le projet de loi qui vous est présenté par le gouvernement.

Maintenant je suppose que malgré toutes ces entraves apportées à la défense de l’officier, le conseil le déclare innocent ; eh bien, messieurs, le gouvernement peut encore, malgré cette déclaration d’innocence, destituer l’officier et lui enlever ses droits à la pension.

Est-ce là de la justice ? est-ce là de l’équité ? Est-ce là le vœu de la constitution, lorsqu’elle garantit en termes si formels les droits des militaires ? Disons-le franchement, messieurs, c’est là se jouer ouvertement de la constitution. Autant vaudrait abroger purement et simplement l’article du pacte fondamental dont le congrès a voulu faire la sauvegarde des droits de l’armée.

Il y a entre la loi fondamentale de 1815 et la constitution de 1831 une différence immense ; la loi fondamentale accordait au roi Guillaume le droit absolu de nommer et de révoquer les officiers ; et notre constitution porte que les militaires ne pourront être privés de leurs grades, honneurs et pensions, que de la manière déterminée par la loi.

La constitution a donc voulu assurer des garanties aux militaires ; or, la loi qui nous occupe ne leur en donne aucune.

Et pourtant, il aurait été facile de leur en donner ; il aurait suffi pour cela de nous présenter la loi qui a été adoptée en France ; j’y donnerais mon assentiment, si on la présentait, car j’y trouve la garantie précieuse que l’officier ne peut être privé de son grade qu’en vertu d’un jugement.

Croyez-vous, MM. les ministres, que, par les lois que vous demandez, vous rétablirez la discipline dans l’armée ; que, par de semblables moyens, vous parviendrez à faire renaître l’union dans son sein ? Détrompez-vous ; d’autres, plus forts que vous, l’ont essayé avant vous, et y ont échoué. Guillaume a aussi recouru à de pareils moyens ; et qu’a-t-il obtenu ? la désorganisation de l’armée.

Le duc d’Albe, cet homme de sang et de fer, qui se vantait, lui, d’avoir fait couper vingt-cinq mille têtes, prétendait aussi nous conduire par le terrorisme ; et qu’en est-il résulté ? la révolution belge sous Philippe Il.

Si, aujourd’hui, vous prétendez mettre l’armée sous un pareil régime de fer, vous n’y parviendrez pas.

M. Gendebien. - Je me proposais de répondre à M. Rogier, mais comme la chambre paraît fatiguée et disposée à lever la séance, je ferai insérer ma réponse dans le Moniteur.

M. Rogier. - Messieurs, je demande que l’honorable M. Gendebien soit entendu ; il m’est déjà arrivé de recevoir une lettre de cet honorable membre par la voie du il.

Comme je ne suis nullement disposé à continuer nos luttes parlementaires dans les journaux, je demande que M. Gendebien soit entendu à présent.

M. Gendebien. - Je vous répondrai demain.

M. Desmaisières rapporteur. - Si l’on veut clore la discussion, je demande la permission d’être entendu comme rapporteur.

- La chambre ne prend pas de décision sur la clôture de la discussion générale.

La séance est levée à 5 heures.