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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du samedi 6 février 1836
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétitions relatives aux primes pour la
construction de navires (Quirini)
et à l’entretien des rives de la Meuse (Scheyven)
2) Projet
de loi portant organisation des communes. Discussion générale. Mode de
nomination ou de désignation du bourgmestre et/ou des échevins (Pollénus, Rogier, Dubus,
Jullien, Rogier, Dumortier, Dubus), mode de
nomination ou de désignation du bourgmestre (dans et hors du conseil) et/ou des
échevins, pouvoir d’influence lors des élections nationales, critique de la
centralisation (Dumortier), mode de nomination ou de
désignation du bourgmestre et/ou des échevins, attributions (Desmet,
Nothomb)
(Moniteur
belge n°39, du 8 février 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait
l’appel nominal à une heure.
M. Schaetzen donne lecture du
procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse
fait connaître l’objet de quelques mémoires adressés à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Am. Titeux
adresse des observations sur la loi relative à l’impôt sur le sel. »
________________
« La dame veuve Cantinaux
demande que la chambre déclare qu’elle s’occupera d’urgence de la loi sur les
indemnités. »
________________
« Le
sieur Mathias Humbert, cultivateur et propriétaire à Aix-sur-Cloix, né en France, ayant épousé une femme belge en 1812,
et habitant
________________
« Le
sieur F.-G.C. Morren, né à
Versailles, et habitant
« Des
bateliers de Limbourg et de Liége, naviguant sur
________________
« La
chambre de commerce de Louvain demande que la prime accordée pour la
construction de navires de 160 à 300 tonneaux soit appliquée aux navires de 100
à 150 tonneaux.. »
________________
M. Quirini. - Parmi les
pétitions dont on vient de présenter l’analyse, il s’en trouve une de la
chambre de commerce de Louvain, relative aux primes accordées pour construction
de navires ; je demande qu’elle soit renvoyée à la commission chargée de
l’examen d’un projet sur cette matière.
- Le renvoi est ordonné.
________________
M. Scheyven. - Je
demande que la pétition des bateliers naviguant sur
- Le renvoi au ministre de l’intérieur est ordonné.
PROJET DE LOI PORTANT
ORGANISATION DES COMMUNES
Discussion générale
M. Pollénus. -
Messieurs, en prenant la parole, je n’ai d’autre intention que de soumettre
quelques réflexions qui expliqueront les votes que je serai appelé à émettre
dans le cours de cette discussion.
Le partisan de la centralisation que vous avez
entendu dans une des séances précédentes s’est placé suivant moi sur un terrain
extrêmement facile. En combattant ses adversaires, il a prétendu qu’ils
demandaient l’indépendance absolue de la commune ; il lui était facile de
triompher en attaquant un tel principe, car personne, ni la section centrale,
ni aucun des orateurs dont vous avez entendu les discours, n’ont soutenu
l’ancien système de l’indépendance complète de la commune. Mais de ce que nos
institutions résistent à cette indépendance de nos communes, faut-il en
conclure, avec cet honorable membre, qu’il faille tout rapporter au pouvoir
central ?
Après avoir combattu le système de l’indépendance
absolue de la commune, système, je le répète, qui n’avait été soutenu par
personne, l’honorable membre n’a pas réussi à démontrer l’opportunité et l’utilité
de la centralisation dont il a vanté les avantages.
Il faut se défier des théories. Pour moi je
n’éprouve pas le moindre penchant à me laisser éblouir par elles. Pendant
longues années j’ai été en contact avec les autorités des communes, et les idées
que j’en ai conçues ont été formées sous l’impression des actes de ces mêmes
communes, et si je me trompe, c’est parce mon appréciation de ces actes n’a pas
été exacte.
Une première question que j’adresserai aux
défenseurs de la centralisation est celle-ci : Qu’entendez-vous par la commune
? Si par commune vous entendez une simple circonscription territoriale qui
n’est instituée que pour faciliter les rouages de l’administration centrale,
dans ce cas la centralisation est une nécessité ; mais si dans la commune vous
supposez des intérêts propres, dans ce cas il faut bien admettre une
administration appelée au développement de ces intérêts et à leur surveillance.
Mais pourquoi combattre ici des théories ?
n’avons-nous pas une constitution dont nous avons juré le maintien, et dans
cette constitution les libertés communales ne sont-elles pas inscrites ?
Messieurs, je crois que dans les précédentes
sessions on a trop exagéré la part que les magistrats de la commune avaient
dans l’administration ; et d’après une telle idée on a voulu restreindre ce
pouvoir ; mais en laissant à la commune le choix de ses magistrats, le pouvoir
central n’a-t-il pas assez d’action sur l’administration municipale ? On lui
donne action sur les actes communaux et sur les membres de l’administration
communale ; que veut-on de plus ? que peut-il y avoir dans un tel système qui
puisse épouvanter les partisans de la centralisation ?
Je ne serai jamais partisan de la centralisation au
point de forger des chaînes qui étouffent la commune ; d’ailleurs le pouvoir
central n’est fort que quand sa puissance est bien distribuée ; et il ne faut
pas qu’il en perde ou qu’il en emploie une partie à lutter contre les communes
: car vous le savez tous, elles ont toujours attaché la plus grande importance
à intervenir dans le choix des magistrats municipaux. Y a-t-il danger à leur
maintenir ce droit ? Je ne le pense pas ; je crois au contraire que le
gouvernement est intéressé à ce que les communes participent à la nomination de
leurs administrateurs. En effet, que faut-il pour que le chef municipal puisse
prêter force au pouvoir central ? il faut qu’il jouisse de la confiance de la
commune : s’il ne jouissait pas de cette confiance, comment voudrait-on qu’il
exerçât de l’influence ?
On pourrait citer des exemples qui prouvent que les
magistrats municipaux sont appelés à prêter leur assistance au gouvernement
provisoire ; comment pourraient-ils le faire, je le répète, s’ils ne
jouissaient pas de toute la confiance de leurs administrés ? Dans un pays que l’on
cite souvent, en France, la commune intervient dans la nomination de son
premier magistrat ; a-t-on vu que l’administration centrale n’y est pas assez
forte ? Je ne ferai pas des citations historiques, mais je citerai des faits,
et des faits qui se sont passés sous nos yeux.
Il y a peu de temps des communes entières se
trouvaient en guerre ouverte avec le gouvernement français ; et cependant
n’a-t-on pas vu les administrations de ces communes prêter leur intervention,
leur influence, pour combattre les ennemis du gouvernement de juillet ? Et ce
qui se fait en France ne se ferait-il pas ici ?
Pour dire le contraire, il faudrait méconnaître le
caractère belge : messieurs, ce qui a été suffisant en France, sera suffisant
dans notre pays.
Le gouvernement précédent nommait les bourgmestres
au moins dans les campagnes ; a-t-on vu que ces magistrats municipaux
prêtassent une grande force au pouvoir de Guillaume ? N’est-ce pas du sein des
communes rurales que vous avez vu surgir les pétitions qui ont fini par désaffectionner
la nation entière, et par la déterminer a reconquérir ses droits ? Certes,
Guillaume avait toute action possible dans les communes dont les bourgmestres
n’étaient que ses commissaires.
Maintenant, les magistrats municipaux ont été
nommés par le peuple ; cette élection a-t-elle révélé tant de dangers qu’il
faille passer à un système opposé ? Je conviens que l’élection des bourgmestres
par le peuple ne peut convenir à nos institutions ; il faut que le pouvoir
exécutif ait de l’action sur ces officiers municipaux ; mais son action ne doit
pas être absolue et aller plus loin qu’il n’est nécessaire.
Depuis 1830, l’expérience nous a-t-elle présenté
assez de faits pour enlever aux électeurs la nomination des chefs de la commune
? Je ne reconnais pas l’existence de tels faits.
Je sais bien que la régence d’une très grande ville
a donné des embarras au gouvernement ; cependant il faut être juste : il est
possible que cette régence fût dirigée par un esprit qui ne tendait pas à
l’associer aux intentions du gouvernement ; mais il est possible aussi que dans
l’opinion de quelques-uns des membres de cette régence il y avait des doutes
sur la manière d’interpréter telle disposition législative ; eh bien, si une
opposition momentanée a pris sa source dans une disposition obscure d’un décret
ou d’une loi, il y avait un moyen de parer cet inconvénient, soit en donnant au
gouvernement les armes dont il pouvait avoir besoin et que nous lui offrions,
soit en faisant disparaître les doutes qui naissaient de la législation.
Quoiqu’il en soit, je dis que le peu de faits qui
se sont révélés depuis 1830 prouve qu’il peut être utile que le gouvernement
intervienne dans la nomination du bourgmestre, mais ne tend pas à prouver la
nécessité de mettre à la disposition de l’administration centrale tous les
agents de la commune.
Je ne suis donc pas de l’avis de l’honorable
orateur, qui a terminé son discours en disant : Commençons par établir l’ordre
de choses que je préconise, et si ensuite nous y trouvons des inconvénients,
nous le changerons et nous donnerons plus d’influence au peuple. Moi, je dis :
Avant de priver les communes d’un droit dont elles sont en possession, prouvez
par des faits que l’usage qu’elles en ont fait est mauvais et dangereux.
J’ai déjà dit que dans l’intérêt du pouvoir central
lui-même, il convenait de faire participer la commune à la nomination du
bourgmestre. Le gouvernement a compris que si lui seul faisait cette
nomination, alors le bourgmestre ne pourrait s’immiscer dans les délibérations
qui intéressaient spécialement la commune puisqu’il ne tenait d’elle aucun
droit. Mais je le demande à tous les hommes pratiques : conçoit-on qu’un
bourgmestre puisse exercer quelque influence ou se maintenir au milieu d’un
collège municipal, je ne dirai pas d’une grande ville, mais d’une simple
commune, s’il ne tient son mandat que du pouvoir central et s’il ne peut
prendre aucune part active dans toutes ses délibérations municipales ?
Convenons-en, ce bourgmestre serait toujours considéré comme représentant
d’autres intérêts que ceux de la localité ; et la défiance qui le poursuivrait
sans cesse empêcherait cette espèce de commissaire du gouvernement de rendre à
celui-ci les services dont quelquefois il a besoin.
Je soutiens que dans l’intérêt du pouvoir central
comme dans l’intérêt de la commune, le bourgmestre ne peut complètement remplir
sa mission qu’autant qu’il a reçu une partie de son mandat du peuple.
Je voterai donc pour la nomination du bourgmestre
par le pouvoir exécutif en le choisissant dans le conseil. C’est l’opinion que
j’ai déjà eu l’honneur de développer dans d’autres circonstances ; et c’est en
partant de ce principe que je me suis montré partisan d’un certain système de
centralisation, d’après lequel le premier magistrat municipal était pris parmi
ceux qui jouissaient de la confiance de la commune ; c’est aussi en partant de
ce principe que j’avais proposé la suppression des échevins que je regarde
comme un rouage inutile. J’en appellerai sur ce point à tous ceux qui ont de
l’expérience dans les affaires communales.
Partout n’est-ce pas, en effet, le bourgmestre qui,
seul, est au courant des affaires ? qui, seul, travaille ? Je demanderai s’il
est possible qu’un corps, qu’un être collectif, puisse être chargé d’une partie
quelconque du pouvoir exécutif ? A quoi bon, quand la règle est tracée, soit
par la loi, soit par un règlement, que le bourgmestre aille en conférer avec
les échevins ? La formule de tous les actes municipaux : « Au nom du
bourgmestre et des échevins, » n’est-elle pas un mensonge administratif ? Sur
50 affaires que présente la commune y en a-t-il une seule dans laquelle les
échevins interviennent réellement ; n’est-ce pas le bourgmestre qui les examine
seul ? Vous l’avez si bien senti, il y a trois ans, que, lorsque vous avez
voulu que le collège communal délibérât sur certains actes, vous avez appelé la
responsabilité des mesures prises, des décisions arrêtées sur un seul des
membres de ce collège.
Je ne rappellerai pas une proposition que j’ai
faite dans le temps ; mais je persisterai à soutenir que si le bourgmestre est
nommé dans le sein du conseil, on peut lui donnée des pouvoirs étendus.
J’ai une dernière considération à présenter à
l’appui du système que je viens d’examiner, ou plutôt de parcourir rapidement,
relativement à la nomination des bourgmestres.
Messieurs, je crois que l’administration
municipale, pour répondre à son but, doit pouvoir présenter des éléments de
protection à la commune. Le bourgmestre est chargé souvent des affaires de ses
administrés ; il doit pouvoir défendre leurs intérêts dans beaucoup de cas. Par
exemple il peut avoir à défendre un citoyen contre l’action fiscale, d’autres
fois contre les prétentions exagérées des gens de guerre ; or ne répugne-t-il
pas aux idées les plus simples que ce soit un agent du pouvoir qui soit chargé
de s’opposer aux agents du pouvoir pour protéger les citoyens ?
Il faut que le magistrat
chargé de protéger les administrés ne puise pas son mandat tout entier dans un
pouvoir que quelquefois il est obligé de contrarier ou de combattre.
S’il est vrai que parfois les élections n’ont pas
répondu aux besoins des communes, il faut aussi convenir qu’elles ont eu lieu
dans un premier moment d’effervescence, et ne pas oublier que ces communes,
trompées une première fois dans leur choix, ont le plus grand intérêt de
revenir à d’autres idées dans de nouvelles élections. Au reste, si des communes
se sont trompées, croit-on que le pouvoir central soit toujours infaillible ou
toujours heureux dans ses choix ? Mais, messieurs, les ministres ont, comme les
autres hommes, des passions qui les égarent ; ils sont plus que les autres
hommes exposés à être égarés par les passions de ceux qui les entourent ou de
ceux dont ils doivent recevoir des renseignements.
Dans un gouvernement représentatif, dans une chambre
élective, pourrait-on combattre le principe des élections appliqué à la
nomination des premiers fonctionnaires de la commune ? Mais ce serait attaquer
la source d’où découle notre mandat. Pour le gouvernement représentatif vous
reconnaissez que le peuple est apte à choisir des hommes capables de discuter
les hauts intérêts du pays, à choisir des législateurs enfin ; et relativement
à la commune pouvez-vous lui dénier assez d’aptitude pour choisir un bon
administrateur ? Ayez un peu plus foi dans les électeurs il ne s’agit pas ici
d’intérêts éloignés, il s’agit d’intérêts rapprochés et avec lesquels ils sont
en contact tous les jours.
Messieurs, défendons-nous contre les illusions des
théories ; voyons les choses comme elles sont, et décidons. Quant à moi, mes
votes antérieurs vous prouveront que je persiste dans les enseignements que
j’ai recueillis de l’expérience.
M. Rogier (pour une
motion d’ordre.) - Je demande la parole pour faire une motion d’ordre.
Messieurs, des amendements ont été proposés dans la
séance d’hier ; ils me semblent de nature à abréger de beaucoup la discussion,
et à amener dans la chambre un accord à peu près unanime sur des questions qui,
jusqu’ici, l’avaient divisée. Je crois voir, en effet, que de part et d’autre
on est disposé à renoncer à quelque chose de ses opinions en ce qu’elles
pourraient avoir de trop absolu, afin de pouvoir s’entendre. Un honorable
membre, M. Eugène Desmet, dans un article qui résume toutes les questions ou
toutes les difficultés, propose ce qui suit :
« Les bourgmestre et échevins qui exercent
collectivement le pouvoir exécutif dans la commune, sont choisis par le Roi,
dans le sein du conseil. »
Je dis, messieurs, que cette proposition est tout à
fait conciliatrice, à en juger par moi du moins ; car je suis tout à fait
disposé à m’y rallier, bien que dans mon opinion il serait plus avantageux à la
commune elle-même que les bourgmestre et échevins pussent être choisis, dans
certains cas, hors du sein du conseil. Cependant, je le déclare, je renoncerai
à soutenir une telle opinion dans l’intérêt de la brièveté de nos débats.
Il faudra bien qu’à la fin nous en venions à ce
vote, et alors je crois raisonnable de débuter par là.
Vous remarquerez que c’est
la quatrième discussion générale que nous avons sur la question du bourgmestre
et des échevins. Il est vrai que c’est une question importante, fondamentale ;
cependant nous ne pouvons pas discuter à perpétuité ; les mêmes arguments ont
été reproduits dans ces quatre discussions générales ; nous les avions déjà
entendus à satiété lors de la première discussion ; dans la seconde et dans la
troisième on n’a fait que des répétitions ; nous voilà à la quatrième et ce
sont encore les mêmes arguments que nous avons entendus et que nous sommes
menacés de voir se reproduire, si elle continue.
Je pense que le gouvernement devrait nous déclarer
actuellement s’il ne voit pas d’inconvénient à se rallier à l’opinion de M.
Desmet, à ce système conciliateur ; car, dans le cas d’une réponse favorable à
cette proposition, nos débats seraient abrégés.
Ce n’est pas que je veuille ôter la parole à
l’honorable rapporteur de la section centrale ; mais je demande que lorsque la
chambre l’aura entendu, elle vote soit sur la proposition faite par M. Nothomb,
soit sur la proposition faite par M.
Desmet.
Soyez persuadés que toutes les discussions ne
changeront pas la disposition des esprits ; j’ai vu avec plaisir qu’ils avaient
une tendance à se rapprocher ; il paraît qu’un résultat est arrêté et qu’il y
aura une grande majorité en faveur du système présenté par M. Desmet. Je crois que nous devons
prendre un parti un peu ferme, et passer au vote de la proposition de cet
honorable membre après toutefois avoir entendu le rapporteur de la section centrale.
M. le président. -
Sont encore inscrits pour prendre part à la discussion générale, MM. Nothomb et
Dubois.
M. Dubus. - Je
demande à être inscrit pour la discussion générale.
M. le président. -
Pour, contre ou sur ?
M. Dubus. -
Comme vous voudrez.
M. Trentesaux.
- Et moi aussi, je demande à être inscrit.
M.
Dubus. - La motion d’ordre me paraît contraire au règlement, elle ne
pourrait être faite que lors de la discussion des articles ; mass tant que la
discussion générale ne sera pas close, il n’y aura pas lieu à s’en occuper.
L’honorable membre paraît fatigué actuellement de la
discussion générale ; mais il n’en était pas ainsi avant-hier soir, quand un
orateur prononçait un discours dans son sens ; la discussion lui faisait alors
plaisir ; la fatigue ne lui prend que quand il s’agit d’entendre les discours
contraires à son opinion. Cependant, d’après un principe de toute justice, si
vous laissez attaquer il faut laisser répondre.
Si vous laissez soutenir que la liberté communale
n’est rien, ce qui selon moi heurte de front notre constitution, il faut
laisser soutenir les véritables principes de notre gouvernement. Quant à moi,
je n’entends pas être privé du droit de dire mon opinion dans la discussion
générale ; je regarde cela non seulement comme un droit, mais encore comme un
devoir.
On pourra dire que mon opinion est connue parce que
j’ai pris la parole dans les discussions antérieures ; quoi qu’il en soit, je
tiens à énoncer de nouveau mes principes et à les appuyer de nouvelles
considérations.
J’apprends que depuis quelques jours on s’efforce à
faire ce qu’on appelle des conversions individuelles ; on dit que cela est un
pas fait vers la conciliation ; mais moi qui ne suis pas converti, je dis que
c’est un pas fait pour enlever au peuple la liberté communale. On ne veut pas
de cette liberté, il y a une conspiration flagrante contre elle ; mais avant de
l’étouffer, laissez-la se défendre ; vous la sacrifierez ensuite à loisir.
Je demande la parole parce que le discours d’un des
honorables membres que vous avez entendus, a porté la discussion sur un nouveau
terrain, où je veux le suivre.
M.
Jullien. - Voilà encore une de ces motions d’ordre qui, faite dans le
but de raccourcir la discussion, ne parviendra qu’à l’allonger ; et, en effet,
elle est tout à fait intempestive. Quand une discussion est ouverte, qu’y
a-t-il à faire ? La continuer ou la clore. Mais venir demander qu’on s’occupe,
après avoir entendu trois on quatre orateurs, de mettre en délibération les
amendements qui ont été présentés, tout cela est contraire au règlement.
Et encore que présente-t-on comme moyen de
conciliation, pour employer les expressions du député de Turnhout ? On présente
l’opinion de M. Desmet, et l’on dit que les députés paraissent s’y rallier : je
respecte l’opinion de M. Desmet, quoiqu’elle ne soit pas la même que celle
qu’il avait l’année dernière. (On rit.)
Toutefois, on me permettra d’en avoir une autre. On
croit que le système présenté ne peut rencontrer aucune difficulté. J’en doute,
car dans ce système se trouve une question constitutionnelle. Il s’agit, en
effet, de savoir si vous pouvez donner au Roi le pouvoir de nommer les
échevins, et après avoir résolu cette question, il faudra savoir comment vous concilierez l’existence de ces
échevins avec le bourgmestre nommé par le Roi. Ce sont là des difficultés que
je vous fait voir en passant : je ne veux pas sortir de la motion d’ordre. Mais
si vous voulez perdre le moins de temps dans cette discussion très importante,
laissez-la mourir de sa belle mort : une fois que les opinions se seront fait
connaître, vous voterez. Si vous empêchez la discussion actuelle, on trouvera
le moyen de prendre la parole lors de l’examen des articles.
Je m’oppose, ainsi que l’honorable préopinant, à la
motion qui est faite.
M. Rogier. - J’ai
demandé qu’après avoir entendu M. le rapporteur de la section centrale on
fermât la discussion. Je veux que M. le rapporteur soit entendu afin qu’il
essaie de réfuter le discours remarquable prononcé par le député du Hainaut, et
qui m’a fait, je l’avoue, le plus grand plaisir. Je ne dis pas que le discours
de M le rapporteur ne puisse faire la même impression sur l’assemblée ; quoi
qu’il en soit, je n’ai pas voulu lui fermer la bouche.
M. Jullien. - Je
demande qu’on m’inscrive pour parler dans la discussion générale contre le
projet de loi.
M. Rogier. - Ma
motion vient plus à propos, puisque je vois d’autres orateurs demander la
parole. Si la chambre entend MM. Dumortier, Dubus et Jullien, d’autres membres
voudront parler ; ils ne voudront pas laisser la chambre sous l’impression des
discours de MM. Dubus, Dumortier et Jullien.
Alors la discussion générale n’aura pas de fin,
cependant il faut qu’elle en ait une.
Si nous discutions cette loi pour la première fois,
je concevrais qu’on donnât à la discussion générale l’étendue que réclame
l’honorable M. Jullien, et pour me servir de ses expressions, je concevrais
qu’on pût la laisser mourir de sa belle mort. Mais c’est la quatrième fois que
nous discutons d’une manière générale la loi communale.
M. A. Rodenbach.
- On n’a encore entendu que cinq discours.
M.
Rogier. - Cinq discours entendus sont déjà une assez belle satisfaction
pour les orateurs qui les ont prononcés, surtout quand on en considère la
longueur et qu’on se rappelle que c’est pour la quatrième fois qu’une
discussion générale sur cette loi a lieu dans cette enceinte.
Le principe de la loi n’a pas changé ; la question
de principe est revenue à ce qu’elle était au commencement de la discussion. Le
gouvernement avait proposé la nomination du bourgmestre, soit dans le sein du
conseil, soit hors de son sein, et la nomination des échevins dans le sein du
conseil.
Aujourd’hui, M. Desmet demande que le gouvernement
nomme le bourgmestre et les échevins dans le sein du conseil. Ceux qui ont
soutenu l’opinion du gouvernement se rallient à cette opinion et renoncent à la
nomination du bourgmestre hors du conseil, dans des vues toutes de
conciliation.
Je ne conçois pas, quand la chambre se trouve en
assez grande majorité pour prendre un parti sur le système qu’elle veut faire
prévaloir, les scrupules qu’on pourrait avoir d’ôter la parole à trois ou
quatre orateurs.
On a dit qu’il y a conspiration. Oui, messieurs, il
y a conspiration pour venir à un parti définitif ; il y a conspiration, non pas
comme on l’a dit, entre les membres qui veulent sacrifier les libertés
communales, mais entre des citoyens aussi patriotes que les membres qui ne
veulent pas d’organisation communale ; il y a conspiration pour que le pays
obtienne enfin cette organisation communale et provinciale, qu’il attend depuis
5 ans et demi, que nous lui promettons à chaque session et qu’il n’obtiendra
jamais si la chambre a la mollesse d’entendre les discours interminables
d’orateurs qui n’ont d’autre but que de prolonger éternellement les
discussions, afin qu’on ne puisse arriver à un résultat.
Je reprends ma motion d’ordre ; je demande la
clôture, toutefois après que la chambre aura entendu le rapporteur de la
section centrale.
M. le président. -
Je vais mettre aux voix la proposition de M. Rogier.
M.
Dumortier, rapporteur. - Je demande la parole sur la motion d’ordre.
Je remercie l’honorable préopinant de l’exception
qu’il veut bien faire en ma faveur, dans sa demandé de clôture. Mais je ne
pense pas que je puisse avoir un privilège dans cette assemblée. Chacun de
nous, dans une discussion aussi grave, dans une discussion où il s’agit de la
constitution définitive du pays, doit pouvoir émettre son opinion. Quand il
s’agit d’une loi qui d’une part, peut être une loi bienfaisante pour la nation,
et, d’autre part, une loi entièrement révolutionnaire, je ne crois pas qu’en pareille
circonstance on puisse clore la discussion générale.
D’ailleurs, j’aurai l’honneur de faire remarquer
que cette clôture serait absolument sans objet ; car, après la clôture
prononcée, la discussion sera ouverte sur les propositions déposées sur le bureau,
ou cette discussion même sera close ; alors vous aurez dans la discussion des
articles cette discussion même que vous voulez empêcher.
L’honorable M. Rogier a déclaré que les arguments
que l’on pouvait faire valoir avaient été présentés dans les précédentes
discussions, puisque nous voilà arrivés, dit-il, à la quatrième discussion de
la loi communale.
A cet égard je ferai remarquer d’abord que nous en
sommes à la première discussion, puisqu’il s’agit d’un système nouveau qui n’a
pas encore été discuté ; en second lieu, que la chambre a été renouvelée par
moitié, que les membres nommés aux dernières élections n’ont pas pris part à la
première discussion, et que vous ne pouvez pas interdire à ces membres la
faculté d’entendre les raisons pour et contre la loi communale.
Je demande donc que la discussion continue, comme
elle doit continuer de fait, puisque la clôture n’a pas été demandée par dix
membres.
M. Dubus. -
J’appuie les observations de mon honorable ami. La loi qui nous occupe renferme
tout l’avenir du pays. Il est nécessaire qu’elle soit, avant la discussion des
articles, l’objet d’une discussion générale approfondie. Je crois que nous
gagnerons du temps à l’examiner à fond avant de passer à la discussion des articles.
Le projet de loi présente un système nouveau. De plus, la chambre a été en
partie renouvelée ; peut-on dire que les membres, qui ne faisaient pas partie
de la chambre lors des premières discussions, soient suffisamment éclairés par
les discussions auxquelles ils n’ont pas été appelés à prendre part ?
La discussion générale a-t-elle donc été trop
longue ? Elle n’a occupé qu’une séance ; car la séance d’hier a été consacrée
au deuxième vote du budget de la dette publique et des dotations. Je demande si
ce serait trop de consacrer deux séances à la discussion générale sur une loi
de cette importance, une loi qui, dit-on, renferme tout l’avenir du pays.
Je ne m’arrêterai pas à l’insinuation d’un
préopinant qu’il se serait formé une majorité en dehors de la chambre non
seulement sur la motion qui nous occupe, mais même sur son résultat qui serait
d’étouffer la discussion.
Sur ce point, je ferai une observation qui n’a pas
encore été faite ; c’est que nous ne discutons pas seulement pour nous
éclairer, il importe qu’il y ait discussion pour éclairer le pays sur le
résultat de notre vote. Encore une fois, si l’on veut tuer la liberté
communale, il importe que l’on puisse déduire les raisons pour et contre un
pareil résultat final de notre vote
La motion d’ordre est fort intempestive. On dit la
discussion sera close après que M. Dumortier aura parlé ; mais attendez au
moins qu’il ait parlé ; et alors que, conformément au règlement, dix membres
demandent la clôture. Mais il me paraît impossible de décider que la chambre
sera éclairée et qu’elle devra clore la discussion lorsqu’elle aura entendu M.
Dumortier qui n’a pas parlé. La chambre ne sait pas ce que M. Dumortier va
dire, et elle déclarerait qu’il y aura eu discussion suffisante quand il aura
parlé et qu’il n’y aura rien à dire après lui !
Une pareille motion est tout au moins étrange ;
elle n’est conforme ni aux habitudes de la chambre, ni aux habitudes
parlementaires.
Que, quand M. Dumortier aura parlé, si dix membres
demandent la clôture, elle soit mise aux voix, conformément au règlement. Mais
quant à la motion d’ordre, je dis que par respect pour le gouvernement elle ne
doit pas être mise aux voix.
M. A. Rodenbach
et M. Pollénus
renoncent à la parole sur la motion d’ordre.
- La discussion sur la motion d’ordre est close.
M. le président. -
La motion d’ordre de M. Rogier étant une demande de clôture, je ne puis la
mettre aux voix que si elle est appuyée par 10 membres.
- Dix membres appuient cette motion.
La chambre procède à l’appel nominal sur la motion
d’ordre de M. Rogier. Voici le
résultat du vote :
77 membres prennent part au vote.
12 votent pour l’adoption.
65 votent contre.
En conséquence, la motion
d’ordre de M. Rogier tendant à ce que la discussion générale de la loi
communale soit close après que la chambre aura entendu M. Dumortier,
rapporteur, n’est pas adoptée.
Ont voté pour l’adoption de la motion d’ordre : MM.
Ullens, Ernst, d’Huart, de Muelenaere, de Mérode (Werner), Devaux, Raikem,
Rogier, de Mérode (Félix), de Theux, Milcamps, Smits.
Ont voté contre la motion d’ordre. - MM.
d’Hoffschmidt, de Meer de Moorsel, de Nef, Vandenbossche, Dubus aîné, Andries,
Hye-Hoys, de Puydt, Vandenhove, Dubus (Bernard), Beerenbroeck, Doignon,
Dequesne, Vanden Wiele, Dumortier,
Bekaert-Baeckelandt, de Renesse, Vanderbelen, Duvivier, Berger, Demonceau, de
Roo, Verdussen, Eloy de Burdinne, Bosquet, de Behr, de Sécus, Vergauwen,
Fallon, de Jaegher, Cols, Dechamps, Desmaisières, Trentesaux, Frison, de
Longrée, Coppieters, Troye, Desmanet de Biesme, Gendebien, Morel-Danheel,
Jullien, Desmet, Zoude, Legrelle, Nothomb, Pollénus, Keppenne, de Terbecq,
Lejeune, Pirmez, Quirini, Kervyn, Schaetzen, Raymaeckers, Stas de Volder, Lardinois,
Scheyven, A. Rodenbach, L. Vuylsteke, Seron, C. Rodenbach, Wallaert, Watlet,
Simons.
M. le président. -
La parole est à M. le rapporteur de la section centrale.
M. Dumortier, rapporteur.
- De toutes les lois que le congrès national a laissés aux soins de la
législature, il n’en est pas de plus importante et de plus grave que celle qui
nous occupe en ce moment ; il n’en est pas qui puisse avoir une plus haute
influence sur l’avenir du pays, sur la liberté, sur le développement de nos
institutions. C’est que dans la loi communale le magistrat est chaque jour en
contact avec les citoyens, que son action est incessante et immédiate. Que si
cette action est bienfaisante, la loi aura une heureuse influence sur les
destinées du pays, si, au contraire, elle est despotique, il en résultera les
plus grands maux pour l’avenir de la patrie.
D’autre part, cette loi donnant dans chaque
localité des agents au pouvoir exécutif, il importe au plus haut degré qu’elle
ne détruise pas l’équilibre des pouvoirs établi par la constitution, et surtout
qu’elle ne produise pas la corruption parlementaire, le plus grand des maux des
gouvernements représentatifs. Il n’y a donc pas de loi à laquelle nous devions
attacher autant d’importance qu’à celle de l’organisation communale. Je le
répète, l’avenir du pays en dépend tout entier.
A la suite d’une révolution faite par le peuple et
pour le peuple, le gouvernement provisoire, cette véritable expression des
sentiments de la révolution, voulant pourvoir à la recomposition des régences
d’après les principes d’une révolution toute populaire dans son but (ce sont
les expressions dont s’est servi l’honorable membre qui a fait tout à l’heure
une motion d’ordre), voulant pourvoir à la recomposition des régences d’après
les principes d’une révolution tonte populaire dans son but, le gouvernement
provisoire que nous ne devrions jamais perdre de vue lorsqu’il s’agit de
libertés publiques, organisa les communes d’après les principes de la révolution,
lui donna l’élection directe des magistrats communaux sans aucune espèce
d’intervention du pouvoir exécutif. Vous savez avec quelles acclamations ce
décret fut reçu par le pays tout entier.
De toutes parts les citoyens s’empressèrent de
venir déposer dans l’urne électorale le vote de leurs magistrats communaux ; de
toutes parts les communes furent administrées par les élus de la majorité. Dans
quelques-unes, la majorité ne fut pas telle que l’on eût pu le désirer et cela
à cause du cens trop élevé pour la capacité électorale et du système vicieux de
majorité relative, mais il est incontestable que dans toutes les localités les
administrations communales même les plus hostiles administrèrent comme jamais
on ne l’avait fait à aucune époque.
Le gouvernement avait à peine deux années
d’existence que déjà il voulut renverser l’œuvre de la révolution, et l’on vit
le même ex-membre du gouvernement provisoire qui avait voulu recomposer les
régences d’après les principes d’une révolution toute populaire, venir déposer
sur le bureau un projet de loi qui était le bouleversement total de la liberté
communale dont il avait contribué à doter le pays. Une preuve qu’il en eut
regret (j’allais presque dire qu’il en eut honte), de cet acte extraordinaire,
c’est qu’il déposa ce projet sans aucun exposé de motifs en en rejetant la
responsabilité sur les commissaires : il lui répugnait à lui, qui avait été un
des plus ardents défenseurs de la révolution, à lui qui siégeait dans Bruxelles
lorsque les balles ennemies sillonnaient sa tête, à lui qui avait apposé son
nom à l’arrêté qui dotait le pays de ses franchises communales, de venir dans
la chambre,des représentants demander le rappel des libertés qu’il avait
contribué à donner au pays, de venir s’acquitter d’une obligation de position
qu’il considérait comme un devoir. Pour nous nous ne nous trouvons pas dans une
position semblable, les faveurs du pouvoir ne sont pas de nature à nous faire
changer ; inébranlable dans nos convictions, nous sommes restés tels que nous
étions, nous sommes heureux de pouvoir encore aujourd’hui défendre les
principes de la révolution, quel que soit le petit nombre de ceux qui les
professent encore.
Nous avons donc à examiner la proposition qui fut
alors déposée sur le bureau, et un autre projet qui fut présente depuis par le
gouvernement.
La, chambre a examiné dans ses sections le premier
projet présente par le gouvernement ; des amendements nouveaux y ont été
introduits ; et remarquez que cet examen eut lieu sous l’impression d’un
événement de fâcheuse mémoire qui pouvait vicier en quelque sorte la loi
communale, sous l’impression des actes d’une régence que nous nous sommes tous
empressés de blâmer.
Ici, messieurs, j’appellerai votre attention sur la
conduite du gouvernement à ce sujet. Au lieu de réprimer cette régence, et
d’accepter les offres de la législature qui voulait intervenir pour faire
cesser ce scandale, quelle a été la conduite du gouvernement ? Il a entretenu
le scandale, j’ose le dire, pour en profiter dans le vote de la loi communale,
afin d’avoir des arguments à faire valoir pour sacrifier les libertés
publiques.
La chambre, quoiqu’en présence d’un événement qui
pouvait avoir une haute influence sur ses délibérations, ne voulut pas adopter
le système du ministère. Dans un premier vote, qui eut lieu à une faible
majorité, la chambre a donné, il est vrai, au Roi la nomination du bourgmestre
dans le sein du conseil, et des échevins aussi dans le sein du conseil, mais
sur présentation. Aussitôt la presse qui veille toujours au maintien de nos
libertés, signala l’inconstitutionnalité du vote de la chambre. Le
pétitionnement fut organisé, ou plutôt, sans qu’il fût organisé, des pétitions
furent signées dans un grand nombre de communes ; il en parvint plus de cent à
la chambre ; et si avait voulu encourager, exciter ces pétitions, on aurait
facilement obtenu des pétitions de
L’effet de ces réclamations fut grand sur cette
assemblée ; la chambre revint sur son premier vote ; elle admit à une majorité
notable l’élection des échevins par le peuple, non pas comme l’a dit un
honorable préopinant, par une conséquence d’un vote primitif modifié, mais
comme voulant respecter la constitution ; les uns parce qu’ils trouvaient le
texte de la constitution très clair, et qu’ils ne voulaient pas y porter
atteinte ; d’autres parce que, trouvant le texte de la constitution douteux,
ils préféraient se prononcer pour le sens qui ne violait pas la constitution,
mais toujours par respect pour la constitution.
Remarquez, messieurs, que si dans la séance du 28
juillet 43 membres contre 38 ont voté pour l’élection directe des échevins par
le peuple, une grande majorité de ceux qui ont voté dans un sens contraire ne
voulait pas non plus donner au Roi la nomination des échevins, mais voulait
qu’ils fussent nommés par le conseil.
Il est hors de doute que si la question de la
nomination des échevins par le Roi avait été mise alors aux voix, elle n’aurait
pas réuni le suffrage du cinquième des membres de cette assemblée.
Le projet de loi fut envoyé à l’autre chambre et
revint avec des amendements ; la chambre a persisté au fond dans son vote ; car
elle a adopté la nomination des échevins par le conseil et a écarté dans cette
nomination l’intervention royale ou plutôt l’influence ministérielle.
C’est dans ces circonstances que la session fut
brutalement close, que la moitié d’entre nous fut renvoyée devant ses mandatants, et vous savez, messieurs, si nos commettants n’exigèrent
pas de la plupart de nous des garanties en faveur des libérations communales.
Une session nouvelle s’ouvrit en août dernier, et
le ministère, le jour même de l’ouverture, déposa sur le bureau un projet de
loi dans lequel, rendant justice à l’opinion publique, il renonce à la
nomination des échevins, et laisse cette nomination au peuple.
Ici je dois rendre justice au ministère ; il a bien
fait dans cette circonstance de céder à l’opinion publique ; il a fait preuve
de sagesse, et mérite sous ce rapport, notre reconnaissance ; car il était à
craindre que le maintien du projet du système primitif ne fût pour le pays une
source de nouvelles commotions.
La chambre renvoya ce projet dans les bureaux, et
c’est un fait bien digne de remarque que là les trois quarts des membres se
prononcèrent pour la nomination du bourgmestre dans le sein du conseil, et
qu’il ne se trouva qu’un seul membre qui ait demandé que les échevins fussent
nommés par le gouvernement.
Après ceci, il est vraiment étrange qu’aujourd’hui
divers membres, préférant se rattacher à l’ancien système, voudraient faire
revenir la chambre à la nomination des bourgmestre et échevins par le pouvoir
exécutif. Si j’insiste autant sur ce point c’est que je crois que, dans cette
question, réside une partie de la loi communale. Le jour où vous consentiriez à
donner au pouvoir la nomination du bourgmestre et des échevins, vous
sacrifieriez la commune tout entière au gouvernement ; car si vous accordez au
gouvernement la nomination de toute l’administration journalière de la commune,
vous tuez le pouvoir communal ; et vous consacrez ainsi une violation flagrante
de la constitution que vous avez juré de maintenir, et vous devez conserver si
vous voulez que le gouvernement lui-même la respecte.
Mais ce que je ne puis comprendre, c’est qu’il se
trouve dans cette enceinte un membre qui, après avoir présenté des arguments
irrésistibles pour établir que la question de la nomination des échevins était
une question constitutionnelle, vient aujourd’hui proposer la nomination des
échevins par le Roi.
M. Desmet. - Je
demande la parole.
M. Dumortier, rapporteur.
- Si, ce que j’accorde, la question de l’élection des échevins est constitutionnelle,
elle est toute résolue ; et nous n’avons plus à en délibérer, car nous ne
sommes pas ici pour faire une constitution, mais pour appliquer celle qui
existe. Là se borne le pouvoir de la chambre.
Dans cette discussion, j’ai entendu toutes les
personnes qui ont pris la parole pour obtenir la centralisation à cet égard
raisonner comme s’il y avait absence de constitution, comme si nous étions
pouvoir constituant ; mais, réfléchissez-y bien ; craignez de vous mettre
au-dessus de la constitution ; car il n’y a rien de plus funeste pour le pays
que de voir les représentants se mettre au-dessus de la constitution.
Messieurs, dans les discussions qui ont eu lieu
précédemment, l’inconstitutionnalité de la nomination des échevins par le
pouvoir exécutif a été démontrée jusqu’à la dernière évidence. Je
n’entreprendrai pas maintenant de reproduire les arguments qui le prouvent. Je
me bornerai à vous dire que la constitution n’admettant d’exception à
l’élection populaire qu’à l’égard des chefs des administrations communales,
vous ne pouvez admettre cette exception que pour les seuls bourgmestres. Car
les administrations communales, ce ne sont pas les conseils de régence : un
conseil délibère, il n’administre pas. C’est le collège seul de régence qui
administre. Vous, messieurs, par exemple, vous formez un conseil délibérant,
mais vous n’administrez pas. C’est le gouvernement qui administre. Les
administrations communales sont donc les collèges communaux. Or, quels sont les
chefs des collèges de régence ? évidemment les seuls bourgmestres. Vous ne
pouvez donc, sans violer la constitution, exempter que les seuls bourgmestres
de l’élection populaire.
Je me borne à présenter cet argument. Il en est
bien d’autres que l’on pourrait faire valoir, mais je me réserve de les
présenter lorsque l’on en viendra à cet article. Il me suffit d’avoir cité
celui-ci pour mettre les nouveaux membres à même de décider si, dans leur
conscience, ils peuvent voter la nomination des échevins par le Roi. Mais je
suppose qu’un doute puisse s’élever sur cette question, que l’on prétende que
la question n’est pas claire.
Eh bien, dans ce cas vous devez encore la décider
dans le sens qui ne peut blesser la constitution. Si, dans le cours de la vie
civile, l’on venait exiger de vous un serment pour affirmer un fait sur lequel
vous éprouveriez un doute, quel est celui de vous qui consentirait à prêter un
tel serment devant Dieu et devant les hommes ? Vous avez prêté le serment,
messieurs, d’observer la constitution ; ne vous exposez pas, messieurs, à
violer votre serment.
Mais sur quoi repose donc la nécessité de prendre
des mesures aussi violentes contre les administrations communales ? D’abord,
comme un honorable préopinant l’a fort bien dit, avant de se déclarer en guerre
ouverte contre les administrations communales, il eût été à désirer que l’on
eût démontré l’impossibilité de marcher avec le système actuel. Cette
impossibilité, l’on ne s’est pas donné la peine de la prouver. L’on s’est borné
à dire : Il faut donner au Roi la nomination du bourgmestre et des échevins.
Mais l’on s’est bien gardé de convaincre le pays de la nécessité de conférer
cette faculté du pouvoir exécutif.
L’on a signalé quelques abus partiels ; mais, je
vous le demande, faut-il, à cause de quelques abus partiels, supprimer des
libertés aussi importantes que les libertés communales ? Comment, chaque jour,
nous voyons que chaque pouvoir commet des abus. Nous-mêmes nous en commettons.
Faut-il supprimer tous les pouvoirs à cause de ces abus ? Le pouvoir judiciaire
condamnera un innocent à la peine capitale. Faut-il supprimer le pouvoir judiciaire
? Le jury acquittera un coupable. Faut-il supprimer le jury ? Le gouvernement
commettra des fautes, des abus. Faut-il donc supprimer le gouvernement ? Mais,
je vous le demande, l’état ecclésiastique lui-même commettra des fautes.
Faudra-t-il supprimer le culte dans un pays ? Argumenter d’une pareille
manière, c’est argumenter de la manière la plus fausse. L’on ne doit jamais
argumenter de quelques abus isolés : si quelques fautes isolées ont été
commises, prenez des mesures, mais n’allez pas supprimer toute espèce de
liberté, à cause de quelques abus partiels.
Remarquez, messieurs, dans quelle position nous
nous trouvons depuis cinq ans, depuis que la liberté communale a été donnée au
peuple, dans des termes presque illimités. Par suite d’une omission dans la
constitution, la commune n’est nullement liée envers le souverain.
Eh bien, à la suite d’une révolution qui a eu un
cachet d’indépendance dont les administrations communales ont dû se ressentir
comme les individus, l’on peut, tout au plus, citer quelques faits si l’on
recherche l’abus qu’elles ont pu faire de cette indépendance ; et c’est pour
quelques faits isolés que l’on voudrait nous enlever la plus chère de nos
libertés.
Je pense, moi, qu’avant de demander au peuple le
sacrifice des libertés qu’il a conquises par son sang, il faudrait prouver que
le peuple belge n’est pas digne de ces libertés, que le peuple qui nomme ses
mandataires pour en former la représentation nationale, ne peut nommer ses
magistrats communaux ; que le peuple belge, qui a su constituer l’Etat, n’est
pas digne de constituer la commune.
J’ai entendu soutenir par de grands mots le système
que l’on préconise ; j’ai entendu un honorable membre dire : Il faut de l’unité
; avec le système que vous propose le ministre, vous n’avez pas d’unité.
D’abord je répondrai à l’honorable membre que nous ne sommes pas ici en
présence de cet ambassadeur de l’antiquité qui disait : acceptez la paix ou la
guerre. Lorsque nous faisons une loi, nous n’avons pas d’ultimatum à accepter.
C’est à nous de voir ce que nous voulons accorder au gouvernement ; c’est à
nous à former l’unité dans la loi tout en conservant au peuple la part de
liberté qu’il convient de lui conserver dans l’organisation de la commune.
Vous n’avez pas d’unité, vous dit-on. Rien n’est
plus facile répondre à cet argument.
Il y a toujours unité, dès qu’il y a action
déterminée pour telle ou telle partie du pouvoir.
Il y a unité d’action, dès l’instant qu’elle n’est
pas douteuse. D’ailleurs si vous voulez l’unité, conservez au bourgmestre comme
aux échevins l’origine populaire.
Pour mon compte, je le déclaré franchement, je
désirerais que l’on n’enlevât pas au peuple la nomination de ses magistrats
communaux. L’exemple de ce qui vient de se passer en Angleterre vient encore
fortifier notre conviction. Là la représentation nationale, loin d’accorder au
gouvernement le pouvoir de nommer les magistrats communaux, un pouvoir d’action
illimité, comme nous prétendons le faire, a consacré le principe de la plus
grande liberté dans la loi municipale votée l’an dernier. Nous devrions imiter
cet exemple, nous devrions le suivre, nous qui avons besoin de toute autre
chose que d’un pouvoir central fort, que du gouvernement d’un seul.
Messieurs, le système qui découle du premier projet
de loi aurait-il donc quelque avantage pour le pays ? L’avantage qu’on en
retirerait, je vais le dire, ce serait de mettre à la tête de chaque commune
trois agents du gouvernement au lieu d’un seul. Voilà tout l’avantage que j’y
trouve.
Or, j’ai toujours pensé pour ma part qu’il valait
mieux être commandé par un maître que par plusieurs. Je vous le demande, si le
gouvernement avait ainsi la nomination du bourgmestre et des échevins, mais que
deviendrait la liberté communale ? La constitution a voulu un pouvoir communal.
Vous n’ignorez pas que la plupart des conseils des communes rurales ne se
composeront que de sept membres ; or, si le Roi nomme le bourgmestre et les
échevins, ces conseils seront-ils encore la représentation de la commune ? Et
dans les villes, vous ne l’ignorez pas, les conseils communaux ne sont
assemblés que peu de fois par an. Dans la capitale de
Quel serait encore le résultat de ce système ? Ce
serait d’introduire la corruption dans les conseils communaux. Il ne faut pas
que l’on s’y trompe. Les hommes aiment toujours le pouvoir. Dans chaque
localité il se trouve des personnes qui veulent être le premier magistrat de la
commune. César disait qu’il aimait mieux être le premier dans un village que le
second dans Rome. Vous verrez toujours des personnes qui sacrifieront les
libertés publiques à leur besoin de dominer. Si le gouvernement obtient le
pouvoir de nommer les échevins et le bourgmestre, vous arriverez à la corruption
des conseils communaux. Ils seront corrompus, parce que le bourgmestre aura
intérêt de choisir des hommes serviles, parce qu’il s’y trouvera toujours des
hommes qui, pour devenir membres du collège communal, sacrifieront les libertés
publiques.
Mais il est encore une considération d’une plus
haute importance. C’est l’influence de ce système sur la représentation
nationale.
Messieurs, nous le savons tous, il existe en
Belgique 3,000 communes. Or, du jour où le gouvernement aura la nomination du
bourgmestre et des échevins, il aura la nomination de 9,000 fonctionnaires
publics qu’il aura également le droit de révoquer ou de suspendre. Rapprochez
de ce chiffre le nombre total des électeurs du pays. Ce nombre, d’après le
tableau qui nous a été remis par le gouvernement, s’élève à 47,000. Vous savez
que dans toute élection, environ la moitié des électeurs s’abstient de prendre
part aux opérations électorales ; les gens du gouvernement seront eux seuls
tenus de prendre part à ces opérations. Si vous adoptez le système que je
combats, il arrivera ce qui se passe en France. Toutes les fois qu’une place de
député est vacante, le sous-préfet écrit à tous les maires la circulaire
suivantes :
« Monsieur le maire, j’ai l’honneur de vous
informer que le candidat du gouvernement est M. un tel ; vous voudrez bien vous
rendre à l’élection avec vos connaissances pour voter en faveur de ce candidat.
»
C’est ainsi que le gouvernement s’y prendra avec
les 9.000 électeurs ainsi nommés. Lorsque le gouvernement pourra ainsi disposer
de 9,000 électeurs, en leur disant : « Si vous ne votez pas dans tel sens,
je vous destituerai, » je vous demande si la représentation nationale ne
sera pas corrompue, viciée, composée qu’elle sera des créatures du pouvoir.
Voilà, messieurs, le résultat du système dans
lequel on veut nous entraîner. Indépendamment de ce qu’il tuerait la liberté
communale, il vicierait ce qu’il y a de plus sacré en Belgique, il corromprait
la représentation nationale. Un pays, constitué avec de tels éléments,
marcherait à sa ruine. Le peuple ne pourrait plus se faire entendre dans la
chambre des représentants qui deviendrait un mensonge. Alors comme il n’aurait
plus pour obtenir la répression des abus les voies que lui a ouvertes la
constitution, il serait obligé d’avoir recours à des moyens violents pour faire
entendre ses griefs. Les mêmes causes amèneront toujours les mêmes effets. Si
vous laissez s’accumuler les mêmes griefs, vous arriverez à un moment de crise.
Du jour où le gouvernement aurait le pouvoir d’introduire ses créatures dans le
sein de la représentation nationale et d’en expulser les défenseurs des
libertés publiques, ce jour-là nous verrions se consommer le sacrifice de nos
libertés les plus chères.
Ici, messieurs, j’aborderai une question très
délicate, mais je le ferai avec toute la franchise de mon caractère.
Du moment que le gouvernement serait armé d’un
pareil pouvoir, quel en serait le résultat ? Ce serait le règne du despotisme
au préjudice des libertés publiques.
Un honorable membre qui a parlé dans la séance
d’avant-hier, a dit qu’il voulait de l’influence du pouvoir et non pas d’autres
influences. Mais qu’est-ce donc que le gouvernement représentatif, si ce n’est
le gouvernement des influences ? Le gouvernement représentatif, c’est le règne
des majorités par le pouvoir exécutif. C’est donc aux majorités à exercer leur
influence sur le pouvoir exécutif, et non au pouvoir exécutif à communiquer la
sienne à la majorité.
Messieurs, le jour où le gouvernement pourra exercer
une influence d’une manière violente, savez-vous quel en sera le résultat. Il
est facile à prévoir, et j’oserai ici le dévoiler.
Le gouvernement fera composer la représentation
nationale d’employés amovibles, d’hommes sans aucune conscience religieuse ou
politique, d’hommes entièrement dévoués à ses volontés ! Alors le pouvoir
commencera.
Vous tous, libéraux, dont l’esprit est assez
rebelle pour ne pas plier aux exigences du gouvernement, il vous expulsera de
la représentation nationale. Du moment que le pouvoir exécutif aura une
représentation nationale à lui, il révisera la constitution ; il prendra des
mesures pour étouffer les libertés publiques, en commençant par la liberté de
la presse, à laquelle vous attachez tant de prix.
Vous tous, catholiques, qui m’écoutez, si le
gouvernement avait un jour un tel pouvoir, il anéantirait une à une vos
libertés les plus précieuses : la liberté d’instruction dont tous les partis
profitent ; la nomination des évêques, auxquels il tient beaucoup pour exercer une
grande influence dans le pays. Voilà où vous arriveriez si vous n’y preniez
garde.
Messieurs, à quelque opinion que nous appartenions,
nous avons intérêt au maintien de la liberté. C’est pour elle que nous avons
fait la révolution : sachons, aujourd’hui, la défendre. Unissons-nous, serrons
nos rangs pour combattre en sa faveur ; ne permettons pas que la révolution
devienne un odieux mensonge et la constitution un vil parchemin que l’on
déchirerait impunément si les représentants du peuple n’avaient pas le pouvoir
de faire respecter les libertés qu’elle consacre.
Voilà en peu de mots les résultats du système
présenté par quelques membres de cette assemblée. Vous repousserez ce système
comme devant frapper de mort les libertés publiques. Pour moi, quoique je ne
puisse donner mon assentiment au système du gouvernement, je déclare que si
j’avais à opter entre ce système et celui qu’ont proposé d’honorables membres,
je n’hésiterais pas un instant à adopter le premier, parce que ce projet au
moins ne viole pas la constitution et ne donne pas au gouvernement les mêmes
moyens d’action pour corrompre la représentation nationale.
Mais n’avons-nous donc que ce système à adopter ?
Messieurs si je devais faire la loi, je ne voudrais pas enlever au peuple la
nomination des bourgmestres et des échevins. Mais je sens que si une
proposition est faite dans le sens de ce système, elle aura peu de chances de
succès dans cette enceinte. Je voterai pour une pareille proposition. Ce sera
une protestation que je ferai contre toute concession au pouvoir exécutif.
Mais, je le répète, je crains que ce système ait peu d’écho dans cette
enceinte.
Mais vous qui ne partagez pas mon opinion,
n’avez-vous donc que l’autre opinion à adopter ? Faut-il, après avoir eu la
nomination des bourgmestres et des échevins, se jeter dans les extrêmes ? Et
tout céder au pouvoir exécutif ?
N’existe-t-il aucun terme moyen, aucun juste milieu
? Ce moyen existe et vous l’avez déjà voté dans le projet où, tout en faisant
une part très large au gouvernement, vous vous êtes montrés jaloux de conserver
leurs libertés aux communes. Vous avez voulu que le bourgmestre fût nommé dans
le sein du conseil par le Roi. Vous avez fait ainsi, d’une manière très large,
la part du pouvoir exécutif. Vous avez voulu que les échevins fussent nommés
par le peuple ou par le conseil, ce qui revient au même. Voilà le système dans
lequel vous devez persister si vous voulez rendre service au gouvernement, si
vous voulez donner une part d’action au pouvoir exécutif, conserver les libertés
communales et empêcher la violation de la constitution.
Je donnerai mon assentiment à cette opinion,
sachant bien qu’une autre ne peut prévaloir. Nous ne sommes pas assez nombreux
pour maintenir au peuple la nomination des bourgmestres et des échevins, car je
tiens que si aujourd’hui nous avons la liberté illimitée, demain nous la
remplacerons par le pur despotisme.
Ce serait un abus criant que rien ne justifierait
aux yeux du pays.
Messieurs, le gouvernement lui-même a-t-il une part
suffisante d’action dans un tel système ? Le gouvernement a-t-il un agent pour
l’exécution des lois dans la commune ? Oui, sans doute. C’est un fait
incontestable que dans l’intérêt même du gouvernement, la nomination du
bourgmestre dans le sein du conseil est beaucoup plus favorable qu’en dehors du
conseil. C’est le système de la section centrale, celui auquel je vous supplie
de vous attacher comme à une ancre de salut.
Le bourgmestre qui aura reçu le baptême de
l’élection sera agréable aux membres du conseil. Il sera leur égal avant d’être
leur chef. Il aura toujours une majorité dans le sein du conseil. Mais,
dira-t-on, le peuple peut former le conseil de telle sorte que le pouvoir
exécutif ne puisse choisir un bourgmestre dans ce conseil. Je vous répondrai
que, dans ce cas même, vous devez, sous peine de vous mettre en opposition avec
le peuple, faire un choix parmi les personnes qu’il aura présentées.
Admettons un conseil composé tout entier dans un
seul esprit : eh bien ! dans ce conseil communal, il est positif que toutes les
personnes n’ont pas la même exaltation dans les idées. Je comprends bien que le
gouvernement ne porte pas son choix sur celui dont les idées sont les plus
extrêmes. Mais il choisira l’homme le plus modéré du parti : par cette
nomination qui prouve sa confiance, il se l’attache, il le fait sien, et il
s’attache en même temps tous les hommes du même parti. C’est ainsi qu’il
arrivera à se former une véritable majorité dans le conseil.
Ainsi, en prenant la question dans ses termes les
plus extrêmes, il est plus dans l’intérêt du gouvernement que le bourgmestre
soit nommé dans le sein du conseil qu’en dehors de cette assemblée.
Si au contraire le bourgmestre n’est pas le
collègue des membres du conseil communal, il sera considéré par eux commue un
intrus, et vous serez sans pouvoir pour paralyser l’action du conseil,
lorsqu’il lui refusera sa confiance.
Messieurs, il ne faut pas vous y tromper. Un
conseil peut refuser de voter un budget communal ; vous ne sauriez le forcer à le voter.
Vous pouvez le forcer à mettre dans le budget
certaines dépenses prescrites par la loi, mais non pas à voter le budget et à
donner sa confiance à un homme qui ne l’a pas. Un conseil pourrait refuser le
budget comme nous. Evitez donc d’adopter un système qui puisse mettre le gouvernement
dans la possibilité d’amener un pareil abus. Ils sont très graves. Les hommes
qui sont au pouvoir voient souvent les choses à travers le prisme de leurs
idées et surtout des idées des étrangers. Je fais ici exception des personnes,
car je déclare que je professe la plus grande estime pour le ministre actuel de
l’intérieur. Mais je ne veux pas que les nominations des bourgmestres se
fassent dans l’intérêt d’une coterie gouvernementale et en opposition au
peuple.
D’ailleurs, lorsque le gouvernement aura le droit
de nommer les bourgmestres et les échevins, sera-ce le Roi qui les nommera ?
Mais le Roi ne sait pas le nom des 3,000 communes de
Ainsi lorsque vous direz dans la loi que le Roi
nomme les bourgmestres et les échevins, c’est comme si vous disiez : les
bourgmestres et les échevins seront nommés par les commissaires de district.
Quelle responsabilité trouvez-vous là ? Quel est le commissaire de district
assez exempt de petites passions, de petites haines, comme nous pouvons tous en
avoir, pour n’avoir en vue que le bien public ? Ces fonctionnaires désigneront
pour bourgmestres et pour échevins les hommes de leur parti à l’exclusion des
hommes qui auront eu le malheur de montrer leur animadversion. Si l’on donne au
Roi le pouvoir de nommer le bourgmestre en dehors du conseil, le commissaire de
district trouvera toujours de graves motifs pour faire opérer cette nomination
en dehors du conseil lorsqu’il n’aura pas un ami dans le sein du conseil.
Ce serait là, messieurs, un abus des plus graves,
et nous devons nous opposer à ce qu’il ne se réalise. Rappelez-vous ce que
disait il n’y a pas longtemps, au roi de France, l’honorable président de la
chambre des députés, lui qui ne descend de son fauteuil que pour défendre les
libertés publiques :
« Sire, nous ne vous rendons pas moins de service
quand nous refusons les demandes exagérées du gouvernement que quand nous
accordons des subsides et des impôts. »
Il y a, messieurs, dans ces paroles une profonde
vérité.
Rendons, nous aussi, au gouvernement le service de
refuser des demandes exagérées qui ne peuvent que lui nuire.
Je maintiens donc, messieurs, que le système du
gouvernement doit être admis de préférence à celui qu’ont présenté MM. Nothomb,
Desmet et Dechamps, parce qu’il ne viole pas la constitution et que nous devons
conserver la constitution intacte.
Je maintiens ensuite que le système de la section
centrale doit être préféré à celui du gouvernement, parce qu’il fait au pouvoir
exécutif une part assez large pour le bien du service, et que d’un autre côté
il s’oppose à de grands sacrifices
Et ici, messieurs, je dirai à l’honorable orateur
qui a parlé le premier dans la discussion d’aujourd’hui : Je ne suis pas du
tout de ceux qui pensent qu’il faut d’abord accorder au pouvoir l’influence
qu’il demande, et que si cette influence donne lieu à des abus, il sera
toujours temps de revenir sur ce que nous aurons fait. Je demanderai à
l’honorable membre qui a émis cette opinion s’il a bien réfléchi à toute sa
portée. Lorsque vous faites une loi, ne savez-vous pas que vous ne la faites
pas seuls, et que quand une fois vous avez abandonné une prérogative au pouvoir
exécutif, il dépend des autres branches législatives de vous empêcher de la
retirer ? En fait de liberté, il est plus facile de garder que de reprendre.
Commençons par accorder au gouvernement le strict nécessaire ; si cela ne
suffit pas, pour assurer la marche du gouvernement, nous serons toujours là
pour étendre son influence, si nous le jugeons nécessaire. Nous voulons tous la
liberté et l’ordre, nous sommes tous très portés à assurer l’ordre, mais nous ne
voulons pas sacrifier la liberté à l’ordre, ce serait nous prêter à un désordre
qui donnerait au gouvernement une puissance au moyen de laquelle il pourrait
asservir la nation.
Dans notre constitution est écrit en termes formels
que tous les pouvoirs émanent de la nation ; son principe repose dans la
souveraineté nationale.
Voilà où est la souveraineté et les pouvoirs, là doit
résider la puissance.
Rendons hommage à tous les principes. La puissance
dans les monarchies pures peut résider dans le gouvernement d’un seul ; mais en
Belgique, elle doit être dans la nation. Si nous voulions renverser le
gouvernement créé par le congrès, nous n’aurions qu’à concentrer toute la
puissance dans le pouvoir exécutif ; nous aurions détruit le principe de la
souveraineté du peuple, nous aurions sapé la constitution par sa base, nous
fraierions ainsi le chemin du despotisme. Le gouvernement, une fois entré dans
cette voie, et n’étant plus arrêté par rien, n’aurait plus de guide que son
caprice ; pour couvrir de premiers abus, il en commettrait de plus grands ; il
ne pourrait pas s’arrêter, parce qu’une fois sur la pente glissante des abus, un
gouvernement doit tomber jusqu’au fond de l’abîme.
Vous ne devez donc pas accorder au pouvoir exécutif
une puissance sans limites comme le demandent ceux qui veulent lui attribuer la
nomination des magistrats communaux, car je le répète, ce serait renverser de
fond en comble notre édifice constitutionnel.
L’orateur qui a parlé à la fin de la séance
d’avant-hier a attaqué vivement le premier rapport de la section centrale. Il a
parlé en nous prêtant des doctrines que nous n’avons jamais émises. Suivant
lui, nous voudrions la liberté illimitée de la commune ; suivant lui, nous ne
voudrions absolument pas de centralisation pour gouverner l’Etat ; suivant lui,
nous voudrions ramener
Pour répondre à cet honorable membre je lui
demanderai s’il a lu le projet de loi. Pour moi, je crois qu’il ne l’a pas lu ;
parce que s’il l’avait fait, il n’aurait pas parlé de la sorte.
Comment, nous voulons la liberté illimitée de la
commune, nous qui consentons à donner au gouvernement l’action la plus
puissante sur les actes de la commune ! Nous voulons la liberté illimitée de la
commune, nous qui consentons à ce que les gestions de la commune soient
soumises a priori et a posteriori à l’action directe du gouvernement ! Nous
voulons la liberté illimitée de la commune, nous qui consentons à ce qu’en cas
de résistance de la part de la commune, le gouvernement puisse envoyer un agent
pour faire exécuter la loi ! Nous voulons la liberté illimitée de la commune,
nous qui consentons à ce que la députation provinciale porte d’office au budget
communal les charges que la loi impose à chaque localité ! Nous voulons la
liberté illimitée de la commune, nous qui consentons à ce que le pouvoir
exécutif puisse annuler les actes des régences, quand ils violent la loi ou
portent atteinte à l’intérêt général !
Nous voulons la liberté illimitée de la commune,
nous qui avons consenti à abandonner au pouvoir exécutif le droit abusif et
monstrueux de révocation ! Je le répète, il ne faut avoir lu ni nos opinions ni
la loi pour venir prétendre que nous voulons la liberté illimitée de la
commune.
Oui, nous voulons de la liberté dans la commune et
nous en voulons beaucoup. Nous pensons même que dans le premier vote la chambre
à été trop loin dans le système de la centralisation et qu’elle n’a pas fait au
pays la part que la constitution voulait qu’on lui fît. Mais nous voulons que
la loi prédomine partout et nous ne voulons pas que jamais la commune puisse
s’élever contre le pouvoir central.
Nous voulons, dit-on, ramener
Je rends justice à l’honorable membre auquel je
réponds : embrassant une thèse nouvelle dans cette enceinte, il s’est placé sur
un terrain nettement dessiné. Il s’est déclaré le partisan de la centralisation
illimitée, sans aucune espèce de réticence. Quant à moi, je suis l’ennemi de la
centralisation illimitée parce que je la regarde comme étant incontestablement
la source de tous les abus. Tout à l’heure je vous démontrerai les abus qui en
sont résultés pour les Etats où il y a eu centralisation illimitée de pouvoir.
Je rends donc justice à l’honorable membre. En
venant ainsi soutenir la centralisation illimitée il s’est dessiné clairement.
Mais quand il prétend que nous voulons nous la liberté
illimitée de la commune, je déclare, avec le premier orateur que vous avez
entendu aujourd’hui, qu’il n’a lu ni nos opinions ni nos votes. L’honorable
membre s’est placé sur un terrain où nous ne nous sommes jamais mis, il a
imaginé des fantômes pour avoir le plaisir de les combattre. Rien n’est plus
facile que de créer dans son cabinet une théorie pour la réfuter, que de
répondre à des arguments qu’on a faits pour les combattre et qu’on vient
ensuite présenter comme étant ceux de ses adversaires.
On a appelé l’histoire à l’appui de la
centralisation illimitée. Mais ignore-t-on que l’histoire condamne ce système ?
Ignore-t-on que les enseignements de l’histoire démontrent à chaque page que la
centralisation illimitée a fait le malheur de toutes les nations qui l’ont
subie ?
Sans doute, si vous ouvrez l’histoire, vous verrez
que les gouvernements qui ont fourni les pages les plus glorieuses sous le
rapport militaire étaient des gouvernements de centralisation illimitée. Louis
XIV, Napoléon, voilà les règnes qui présentent les pages les plus glorieuses de
l’histoire de France. En Angleterre, les règnes les plus glorieux furent ceux
d’Elisabeth et de Cromwell. Mais jamais y eut-il moins de liberté en Angleterre
que sous les règnes d’Elisabeth et de Cromwell ? En France, que sous Napoléon
ou Louis XIV ? La période la plus brillante de notre histoire est
incontestablement celle de Charles V. C’est lui qui a détruit les libertés
communales en Belgique. Le despotisme d’un seul peut éblouir une nation par la
gloire qu’il répand sur elle, mais fait-il son bonheur ? Voilà ce que je
conteste.
Pour nous, nous n’avons pas voulu fonder en
Belgique un gouvernement qui reposât sur la gloire militaire, mais sur le
bonheur de la famille. Vous devez donc écarter la centralisation qui la tue à
chaque instant, et qui n’est que le gouvernement du sabre appliqué à la vie
civile.
Vous avez cité l’Angleterre. Ouvrez son histoire.
Dites-nous d’où viennent les bouleversements qui la désolent ? De
l’aristocratie que vous préconisez comme le palladium des libertés publiques et
de tout pouvoir en Angleterre. Voyez les barons se déclarant pour ou contre les
Plantagenets. Voyez les guerres intestines qui la déchirèrent lorsque les
familles d’York et de Lancastre se disputèrent le trône d’Angleterre. Ici c’est
Richard II, détrôné par Henri IV, détrôné par Edouard IV ; Richard III, détrôné
par Henri VII. Toutes ces guerres sont constamment suscitées par le barons qui
voulaient appeler au trône telle ou telle personne.
Les communes parviennent enfin à avoir accès dans
le parlement. C’est alors que commence la prospérité de l’Angleterre. Comparez,
je vous prie, les communes de l’Angleterre avec les communes de
Mais dites-vous, le parti radical tend aujourd’hui
à l’unité. Je réponds à l’honorable membre qu’il n’a pas lu la loi municipale
d’Angleterre ; s’il l’avait lue, il aurait vu à chaque page la décentralisation
la plus absolue. Le grand motif de cette décentralisation, c’est qu’on ne
voulait pas que les corporations intervinssent dans les élections. Lord John
Russel en présentant le bill, a déclaré en termes exprès qu’un des plus grand
motifs du bill, était qu’il ne voulait pas que les corporations puissent
intervenir dans la nomination des députés au parlement, et sir Robert Peel en
appuyant la motion a déclaré dès l’abord qu’il était parfaitement de l’opinion
de lord John Russel.
En Angleterre tous les partis sont d’accord sur ce
point, parce qu’on veut que la représentation nationale reste pure, parce qu’on
ne veut pas vicier le gouvernement représentatif par sa base.
Mais, dit-on, en Angleterre il existe près des
administrations communales des scheriffs qui
contrebalancent l’influence des magistrats municipaux. Une chose à remarquer,
c’est que le scheriff est nommé par le conseil
communal du chef-lieu du comté.
En Angleterre la loi municipale votée dernièrement
est tellement libérale, qu’il n’existe aucune espèce de moyen de coercition
contre les communes. Là la liberté illimitée de la commune existe. Non
seulement le gouvernement n’intervient pas dans la nomination des maires et des
échevins, mais il n’intervient pas même dans la nomination des commissaires de
police ni d’aucun employé communal ; tout est laissé à la commune.
Le gouvernement n’intervient pas non plus dans la
nomination des scheriffs, il ne nomme les juges de
paix que sur la présentation des conseils communaux. D’un autre côté, il n’a
aucune espèce d’action sur les actes de la commune. Si un abus se présente, on
dit : c’est un abus, on ne change pas une loi pour un abus. De même que quand
il y a un mal jugé, on dit : c’est un mal jugé et nous ne supprimons pas pour
cela l’ordre judiciaire. En Angleterre, on a attendu toute espèce de salut du
peuple et du renouvellement des administrations. Ecoutez lord John Russel, que
vous ne citerez sans doute pas pour un anarchiste, il a déclaré en présentant
son projet que le maintien de la tranquillité des villes devait être place dans
le contrôle immédiat des personnes jugées par elles capables de les gouverner,
et dans les élections des localités ; voilà les principes du gouvernement
anglais, qu’on ne nous présentera pas comme très contradictoires. Sur quelques
points isolés seulement il a été attaqué par sir Robert Peel, qui du reste a
été un des premiers à appuyer le bill.
C’est qu’en Angleterre le gouvernement a foi en la liberté et ne cherche pas à
imposer ses idées à la nation. Il veut avant tout conserver pure et intacte la
représentation nationale. Il est convaincu de cette vérité que dans tout pays
constitutionnel, le règne de la majorité est le seul possible, si on ne veut
pas s’exposer aux secousses les plus violentes.
Mais, dites-vous, l’Angleterre a une aristocratie
puissante. Je vous demanderai quel appui cette aristocratie prête au
gouvernement. N’est-ce pas elle au contraire qui a été la cause de tous les
bouleversements qui ont eu lieu dans ce pays ? Oubliez-vous les sentiments du peuple
à son égard, ignorez vous que si elle se permettait de frauder l’opinion
publique, elle serait bientôt renversée ? Reconnaissons cette vérité que nous
ne devons jamais perdre de vue, que la seule force du gouvernement est
l’opinion publique, la majorité. Nous voulons tous un gouvernement fort, chacun
à notre manière. La force du gouvernement d’un seul réside dans ses agents ; un
gouvernement représentatif n’est fort que par la puissance des majorités. Si
vous aviez la maladresse d’abdiquer des libertés dont l’abandon permît au
pouvoir exécutif de vicier la représentation nationale, le gouvernement de la
majorité serait détruit. Et le jour où la réalité du gouvernement de la
majorité n’existera plus, la destruction de toutes nos libertés ne sera pas éloignée.
On a cité
Déjà, messieurs, dans une circonstance précédente,
un honorable député de Namur a présenté cette réflexion qui est d’un grand
poids.
En France, certaines localités avaient conservé des
privilèges jusqu’au moment de la révolution, ces provinces étaient celles qui
paraissaient donner le plus d’embarras au gouvernement. La révolution éclate,
où le gouvernement a-t-il trouvé plus d’appui ? dans ces provinces qui avaient
conservé leurs libertés. Il est donc inexact de dire que les libertés locales
affaiblissent le gouvernement. Il est manifeste au contraire que c’est là la
principale force des gouvernements.
Voyez l’Espagne, dit-on ; j’accepte l’exemple de
l’Espagne. Quand l’Espagne a-t-elle été une puissance gigantesque ? C’est quand
elle avait ses libertés communales et provinciales.
Aussi longtemps que les Etats de Castille et
d’Aragon purent dire à leurs rois : Voilà nos conditions, si vous voulez nous
gouverner suivant nos lois, nous vous reconnaissons pour notre chef, sinon non.
L’Espagne fut alors belle et puissante, mais quand sous Philippe II, elle eut
perdu ses libertés politiques, l’Espagne bientôt déchue de sa grandeur, devint
une puissance, non pas du deuxième, mais du troisième ordre.
On vit bien encore l’ordre régner en Espagne, mais
c’était l’ordre qui règne à Varsovie. Ne conservant plus assez de vie pour
imprimer le mouvement à ce grand corps social, l’Espagne est tombée au dernier
degré sous la branche de la maison de Bourbon, qui y introduit la
centralisation française.
Voyez
Je vous avoue que je m’étonne qu’un membre de la
représentation nationale vienne célébrer ici le triomphe de la famille
d’Orange-Nassau sur Barneveld, ce noble martyr de la liberté.
M. Dequesne. - C’est un fait
historique.
M. Dumortier, rapporteur.
- Les enseignements de l’histoire sont contraires à ceux que vous nous
présentez.
Messieurs, qui a porté
Mais, vous dit-on, voyez
Messieurs, pourquoi
Et comment nos libertés communales nous
auraient-elles empêchés de conquérir notre nationalité, les libertés communales
qui nous attachent au sol par la représentation des intérêts de la famille, ces
institutions qui traversant les siècles ont imprimé au pays le caractère
national qui le distingue entre tous les autres, ces institutions qui sont le
seul palladium que
Mais, dit-on, vous voulez nous faire revenir au
onzième siècle, à une époque où il n’y avait plus de nationalité en Belgique.
Eh bien, qu’a-t-on fait aux époques de
centralisation ! Donnez-vous la peine de voir toutes les institutions du pays.
Quand a-t-on construit ? Ces édifices qui font l’honneur de nos cités, ces
superbes canaux qui font de nos villes de véritables ports de mer, ces routes
qui sillonnent
Tout cela a été fait au temps de la liberté
communale ; tout ce que nous avons en Belgique, nous le devons à la liberté
communale ; nous devons donc évidemment sauver une liberté qui a fait jusqu’ici
l’honneur de la patrie.
Messieurs, ce qui aujourd’hui assure l’unité de la
Belgique ce n’est pas un pouvoir fort et central unique ; c’est une représentation
nationale, un roi, un seul drapeau.
Voilà la garantie de l’unité nationale, mais pour
créer la nationalité elle-même, il faut au pays la liberté communale et
provinciale. Chaque nation a ses moeurs et son caractère. A
A la chute de la révolution, par les perfides
conseils des agents du gouvernement déchu, tous les moyens furent employés pour
corrompre les régences et les états des provinces afin de diviser le pays en
faisant arborer des drapeaux différents.
Il s’est rencontré un Belge assez malheureux pour
aller par ordre du prince d’Orange conseiller aux Flandres d’arborer un drapeau
particulier pour s’isoler du reste de
On a cité l’exemple de
Pologne, auguste, sois à jamais bénie ! deux fois
tu as préservé l’Europe de l’invasion des Barbares ! sous Sobieski,
tu as empêche
J’ai démontré, messieurs, que tout ce que dit le
préopinant, au discours duquel je fais allusion, ne prouve rien quant à la
nationalité belge, que nous pouvons donner à la commune toute la liberté
compatible avec l’ordre public, sans compromettre notre unité nationale.
Il y a, dit-on, du danger à implanter dans un pays
les institutions d’un autre pays ; en moi aussi je reconnais ce danger. Lorsque
l’on veut implanter en Belgique des institution d’un
gouvernement voisin, lorsqu’on veut calquer des institutions communales sur
celles de France, je demande que l’on conserve à la Belgique ses institutions
locales, sûr que nous donnerons ainsi des garantie de durée à notre pays. Nous
avons deux moyens de constituer le pays : ou en admettant le système même que
je repousse d’un pouvoir unique et central, en admettant un pouvoir qui soit à
lui seul le mobile de toute administration en Belgique, ou en organisant
partout la liberté dans les institutions communales. Mais remarquez quelles
sont les conséquences de ce deux systèmes. Si vous
admettez le premier système, à la moindre secousse en Europe,
Messieurs, j’ai démontré
que des diverses systèmes qui vous sont proposés, les plus mauvais étaient
incontestablement ceux présentés par MM. Nothomb, Desmet et Dechamps. J’ai
démontré que vous pouviez sans danger vous rattacher au système de la section centrale.
Mais si l’on veut proposer de donner au peuple la
nomination du bourgmestre, ou comme en Angleterre au conseil communal, je
voterai de grand cœur pour un tel amendement, quoique je sois certain d’avancer
que ce vote sera sans résultat.
Mais je vous en conjure, n’abdiquez pas, messieurs,
toute espèce de garanties ; ne faites pas aujourd’hui une loi de réaction qui
compromette les libertés publiques. Le peuple belge n’a pas assez démérité pour
être ainsi dépouillé de toutes ses libertés. Que vous a fait la nation, pour
que vous lui enleviez ses libertés les plus chères ? En agir ainsi, ce serait
faire une loi de réaction et de vengeance. Abaissez le cens électoral pour
qu’un plus grand nombre de citoyens puissent prendre part aux élections, afin
qu’elles représentent autant que possible la majorité.
Opposez-vous surtout à toute violation de la
constitution. Opposez-vous surtout à ce que le gouvernement puisse corrompre
les chambres. Donnez au pouvoir central une part suffisante pour le bien de
l’administration des communes. Que les personnes qu’il nommera pour gérer les
affaires des communes soient dans la nécessité d’administrer par la raison et
non par la force. Que le gouvernement soit dans la nécessite de choisir le
bourgmestre parmi les élus du peuple, afin qu’il soit agréable au peuple.
Le maintien de nos institutions ; Voilà ce que nous
devons chercher. L’anéantissement de nos libertés, voilà ce que nous devons
empêcher. Tout cela est dans les systèmes sur lesquels vous allez vous
prononcer. (Murmures d’approbation.)
M. Desmet. - J’ai
pris la parole pour un fait personnel, parce qu’il m’a semblé que l’honorable
préopinant m’avait fait le reproche d’avoir parlé et voté dans la dernière
discussion sur la loi communale en faveur de l’élection directe et
qu’aujourd’hui, par le projet de système que j’ai déposé sur le bureau, non
seulement je me trouvais en contradiction avec ce que j’ai dit alors, mais
encore je violerais la constitution.
Si dans mon opinion je n’étais pas certain de ne
pas violer la constitution par la manière que ma proposition est formulée,
certainement je ne l’aurais pas faite.
J’ai toujours été d’avis que la disposition de la
constitution devait être expliquée par les attributions que vous donnerez aux
fonctionnaires municipaux ; si vous attribuez aux échevins les mêmes fonctions
qu’au bourgmestre, en un mot si vous créez, comme je le fais dans ma
proposition, un collège de bourgmestre et d’échevins avec une homogénéité
d’attributions, alors je ne vois aucun chef dans l’administration, je vois
seulement, comme je l’ai dit hier le primus inter pares
; j’y vois trois fonctionnaires qui se trouvent sur la même ligne et qui ont le
même pouvoir, et je ne pourrai croire que notre constitution soit violée, en laissant
le gouvernement choisir les échevins dans le sein du conseil élu. Mais, si vous
faites une différence quelconque entre les attributions des échevins et celles
des bourgmestres, et que réellement on puisse voir dans l’administration
communale un chef, alors je verrai la constitution violée et jamais je ne
consentirai à ce que le gouvernement intervienne dans la nomination des
échevins.
Il m’a toujours semble que le congrès, quand il a
voulu faire une distinction des fonctionnaires municipaux, a voulu rester dans
les principes reconnus, que partout ou le pouvoir délivrait un mandat, il
pouvait intervenir dans la nomination. Mais, messieurs, je peux me tromper, et
si dans la suite de la discussion on me prouvait que je suis dans l’erreur sur
le sen de la disposition constitutionnelle, je me rétracterais et retirerais ma
proposition.
Ayant la parole, vous me permettrez, messieurs,
d’expliquer à l’assemblée le motif et le but de ma proposition.
Je désire avoir un système municipal régulier et
cohérent, et il m’a semblé qu’on ne pourrait que difficilement l’obtenir en
discutant les articles isolés ; qu’il fallait absolument présenter d’abord les
bases d’un système complet sur lequel on devait statuer un ensemble.
Si je pouvais obtenir tout ce que je désire, je
voudrais comme je l’ai déclaré hier un pouvoir municipal aussi fort que
possible, parce qu’il me semble que
Mais, messieurs, je vous
laisse à juger s’il y a chance d’obtenir tout cela ? Quand on a voté l’élection
directe du bourgmestre, je crois que nous étions cinq, et de quarante-un qui
ont voté l’élection directe des échevins, vous devez vous ressouvenir qu’une
grande partie a voté dans l’intention de donner beaucoup de pouvoir au
bourgmestre, à l’homme du gouvernement, et bien peu aux échevins.
L’honorable préopinant vient de déclarer qu’il
préférait de beaucoup le projet du gouvernement au système que nous avons
présenté de concert avec l’honorable M. Dechamps ; je ne puis réellement pas
comprendre dans cette déclaration l’opinion de l’honorable membre, il préfère
de beaucoup pouvoir élire des échevins qui n’auront aucun pouvoir dans les
communes, qui seront moins que des adjoints et qui ne seront pas encore de
valets du bourgmestre, plutôt que d’avoir un collège omnipotent et dont les
attributions seront homogènes entre tous les membres ; je dis que le collège
échevinal n’aura presque point de pouvoir, car quel est le pouvoir dans une
commune qui ne peut pas se mêler de la mise à exécution des lois et autres
actes d’intérêt général ? rien du tout, absolument
rien, comme vous l’a si bien démontré l’honorable M. Doignon.
Quel est le projet du gouvernement ? Il a, comme je
l’ai dit hier, tout le despotisme du régime impérial et tout le perfide des
administrations communales de Guillaume, et l’honorable préopinant déclare
qu’il préfère de beaucoup ce système à celui que nous avons proposé, à celui
qui a toujours été dans nos mœurs, que nous avions toujours, car je ne viens
proposer rien d’autre que l’ancienne magistrature municipale de la Belgique.
Messieurs, je n’en dirai pas davantage. Je vous
présente mon système, non seulement comme un moyen conciliatoire pouvant réunir
les diverses opinions qui siègent dans cette chambre, mais avec la pleine
confiance que dans ce moment il réunira la majorité des suffrages de la nation
; car la nation belge est autant attachée, comme elle l’a toujours été, à cette
magistrature, à ce collège administratif, qu’elle a détesté les maires, ces
petits tyrans qui ont presque toujours despotisé les communes.
M. Nothomb. -
Messieurs, je commencerai par vous présenter quelques réflexions propres à
justifier la motion d’ordre que j’ai hier déposée sur le bureau ; ces
réflexions je les crois cependant du ressort de la discussion générale et elles
me serviront en quelque sorte d’introduction.
Le dissentiment qui pour la troisième ramène la loi
devant cette chambre ne porte pas sur l’organisation communale toute entière ;
la principale institution de la commune est constituée et c’est le conseil
communal directement élu ; il resterait, il est vrai, une question à examiner,
celle de savoir si ce conseil sera dissoluble, question sur laquelle la
constitution se tait et que je crois prudent d’ajourner pour ne pas compliquer
la discussion. Le conseil communal étant institué, nous avons à rechercher
comment sera établie l’autorité que la constitution que la constitution suppose
placée près de ce conseil, qu’elle désigne sous le nom de « chef de
l’administration communale, » et que le projet de loi comprend sous la
dénomination de « bourgmestre et d’échevins. »
Il existe un rapport intime entre la nature des
attributions et le mode d’institution.
Ce rapport, j’ose le dire, a été méconnu, et dans
nos discussions précédentes et par nos votes.
Le 26 juillet 1834, la chambre a décidé que les
échevins seraient nommés par le Roi dans le conseil.
Le 9 mai 1835 elle a décidé qu’ils seraient choisis
par le conseil et dans son sein.
Ces deux décisions ne sont contraires qu’en
apparence ; chacune d’elles dépend d’une autre question, qui a été résolue une
première fois et ajournée ensuite.
La chambre, après avoir décidé que les échevins
seraient nommés par le Roi dans le conseil, leur a conjointement avec le
bourgmestre attribué l’exercice du pouvoir exécutif : le vote s’est ainsi
trouvé complété.
Après avoir, la seconde fois, décidé que les
échevins seraient nommés par le conseil sans le concours du gouvernement, la
chambre n’a plus été appelée à se prononcer sur la nature des attributions ; ce
second vote est, selon moi, resté incomplet ; en scindant la loi, nous nous
sommes même mis dans l’impossibilité de le compléter de longtemps.
Ce résultat partiel a été soumis au sénat qui, en
reproduisant la première opinion (celle qui donne au Roi le choix des échevins
dans le conseil), sans statuer sur la nature des attributions, ne nous a
également renvoyé qu’une proposition incomplète.
Il faut bien en convenir aujourd’hui, il y a eu
manque de logique dans ces votes qui ne portaient que sur une question
incomplète et dans la résolution qui a morcelé une loi dont un principe
fondamental de les deux parties.
Il me semble, messieurs, qu’il est nécessaire de
réunir les deux questions, non pas dans la rédaction des articles, ce qui est
impossible, mais dans un vote préalable ; cette double solution doit dominer la
discussion partielle.
En procédant de la sorte, toute incertitude
disparaîtrait ; nous ne marcherions plus à l’aventure, et nous irions vite,
sachant où nous allons.
Considérant isolément, le vote du sénat et le nôtre
n’ont aucune valeur politique ; dans votre séance du 9 mai vous avez décidé que
les échevins ne seraient pas nommés par le Roi, selon moi, vous aurez eu raison
si vous leur refusez toute part dans l’exercice du pouvoir exécutif ; vous
aurez eu tort, si vous leur attribuez une part dans l’exercice du pouvoir
exécutif.
Le sénat a rejeté notre opinion et a décide que les
échevins seraient nommés par le Roi dans le conseil ; je dirai au sénat comme à
la chambre : Ce vote ne peut être apprécié par lui-même : le sénat aura bien ou
mal fait, selon qu’il accordera ou refusera aux échevins une part dans le
pouvoir exécutif.
Si les échevins ne sont que des magistrats
électifs, ils ne peuvent remplir que les attributions qui émanent de
l’élection.
$i les échevins sont institués avec le concours du
chef du pouvoir exécutif, ils peuvent être associés à l’exercice de ce pouvoir.
Magistrats électifs, ils ne peuvent être qu’agents
de la commune.
Magistrats institués avec le concours du
gouvernement, ils peuvent être agents du gouvernement.
Ainsi la question d’attribution et celle
d’institution sont inséparables ; on peut les isoler, mais on se condamne alors
à ne résoudre chacune que conditionnellement. Quelque décision que vous preniez
d’abord sur le mode de nomination, vous n’expliquerez votre premier vote, vous
ne vous comprendrez vous-mêmes que quand vous fixerez les attributions, et
réciproquement.
Je suis amené à une autre observation qui porte sur
la question de constitutionnalité que fait naître le texte de l’art. 108 de la
constitution.
Si les échevins exercent concurremment avec le
bourgmestre le pouvoir exécutif, ils deviennent évidemment avec ce magistrat
les chefs de l’administration communale, et dés lors nul doute que le principe
de l’élection directe ne puisse recevoir d’exception à leur égard.
Si les échevins sont exclus de toute part à
l’exercice du pouvoir exécutif le bourgmestre devient seul chef de
l’administration communale, et à ce titre il n’y a que lui qui puisse être
excepté de l’élection directe.
Partant de ces deux prémisses, je dis que la
question de constitutionnalité est subordonnée à la question d’attributions.
L’exception sera constitutionnelle ou non selon que les échevins concourront ou
non à l’exercice du pouvoir exécutif, circonstance qui leur donne ou leur ôte
la qualité de chef de l’administration communale.
Il y a donc, à mon avis, deux systèmes également
soutenables :
Selon l’un, les échevins sont nommés par le Roi, et
participent au pouvoir exécutif.
Selon l’autre, les échevins ne sont pas nommés par
le Roi, et sont exclus du pouvoir exécutif.
Vous avez consacré le premier système par vos
anciens votes ; le second nous est aujourd’hui proposé par M. le ministre de
l’intérieur.
Selon moi, il n’y a pas de troisième système
rationnel.
Emprunter à l’un le mode de nomination, et à
l’autre la nature des attributions, c’est créer un système intermédiaire qui
fausse, ou le principe de l’élection, ou le principe du pouvoir exécutif.
Si j’avais à choisir en théorie, je n’hésiterais
pas à donner la préférence au système présenté en dernier lieu par M. le
ministre de l'intérieur ; ce système ramène le pouvoir exécutif à l’unité, et
le distingue nettement du conseil délibérant ; mais je ne me dissimule pas que
ce système répugne aux traditions du pays, et qu’il pourrait rencontrer dans la
pratique de grands obstacles. Le premier système me paraît réunir plus de
chances d’adoption, et c’est celui-là que je vais essayer de défendre, en
acceptant pour adversaires ceux qui refuseraient au gouvernement toute part
dans la nomination des échevins, mais en attribuant à ceux-ci une part dans
l’exercice du pouvoir exécutif.
Quatre propositions vous ont été soumises :
1° Election directe des échevins par les électeurs
;
2° Nomination des échevins par le conseil communal
dans le conseil ;
3° Nomination des échevins par le Roi, dans le
conseil communal, avec ou sans présentation ;
4° Nomination des échevins par le conseil
provincial, dans le conseil communal, avec ou sans présentation.
Au fond il n’y a que deux opinions : celle qui
laisse le choix des échevins à l’élection directe, et celle qui attribue ce
choix à un autre mode que l’élection directe.
Les trois dernières propositions expriment la même
opinion ; ce sont trois formules différentes, mais le principe est le
même : pas d’élection directe.
Ceux qui soutiennent que l’article 108 de la
constitution n’admet d’exception à l’élection directe que par rapport au
bourgmestre réputé seul chef de
l’administration communale ; que, hors ce cas, l’élection directe est seule
constitutionnelle, ceux-là doivent rejeter au même titre les trois dernières
propositions qui, il faut bien en convenir, ne sont qu’autant d’exceptions à
l’élection directe. .
Ceux qui pensent que l’exception peut s’étendre aux
échevins députés, conjointement avec le bourgmestre, chefs de l’administration communale, ceux-là ont à se prononcer
entre les trois dernières propositions ; ils doivent se demander si la
nomination se fera :
1° Par le Roi seul.
2° Par le conseil seul.
3° Ou par le Roi, dans le conseil ou sur
présentation du conseil.
Je ne parle pas de la nomination par les conseils
provinciaux, cette opinion n’ayant été jusqu’ici qu’énoncée sans être
formellement proposée.
Dans chacun de ces cas, je le répète, il y a également
exception à l’élection directe ; si cette exception est inconstitutionnelle,
l’inconstitutionnalité est la même.
Je dirai donc aux honorables collègues qui comme M.
Doignon se sont efforcés de nous démontrer que l’élection directe des échevins
est seule constitutionnelle et qui ont dans la séance du 9 mai adopté
l’exception qui les fait nommer par le conseil dans le conseil, je leur dirai :
de deux choses l’une : ou l’élection directe est seule constitutionnelle, et
alors repoussez avec la même force tout ce qui déroge à l’élection directe ; ou
bien il est, même en ce qui concerne les échevins, constitutionnellement
possible de déroger à l’élection directe, et alors avouez qu’il est permis de
choisir entre les trois exceptions proposées.
Me répondrez-vous que quand le conseil choisit,
c’est une délégation, et qu’il n’y a pas exception à l’élection directe ? Ce
mot de délégation ne peut tromper personne ; il y a, par la nature des choses,
élection à deux degrés, par conséquent il n’y a plus élection directe.
Si, vous rendant à l’évidence, vous admettez qu’il
y a exception dans chacune de ces trois propositions, prétendrez-vous
peut-être, pour vous justifier, que l’inconstitutionnalité est moindre dans le
premier cas que dans les deux autres ? Etrange excuse, qui fait supposer qu’il
y a une échelle d’inconstitutionnalité ; qu’on peut violer la constitution pour
une moitié, trois quarts... Si vous la violez en attribuant au conseil la
nomination des échevins, demi-violation ; si vous la violez en faisant nommer
les échevins par le Roi, sur présentation du conseil, violation pour trois
quarts ; mais si vous la violez pour faire nommer les échevins par le Roi seul,
dans le conseil ou parmi les électeurs, ah ! la violation est complète, le
crime est consommé ; jusque là il n’y avait que tentative.
S’il y avait eu le moindre doute dans mon esprit,
les honorables membres qui ont attribué au conseil le choix des échevins
l’auraient fait cesser : par ce vote ils m’ont placé hors du principe de
l’élection directe ; j’ai maintenant à me prononcer entre trois sortes
d’exceptions. Si j’avais éprouvé quelque hésitation, je me trouverais
maintenant rassuré. Vous aviez déclaré que, hors le bourgmestre, toute
exception à l’élection directe était inconstitutionnelle ; vous avez consacré
une nouvelle exception en faisant nommer les échevins par le conseil, vous vous
êtes rétractés par le vote du 9 mai ; vous avez par ce oui effacé tous vos discours.
Il n’y a là ni subtilité ni sophisme, il y a
interprétation logique du logique du vote du 9 mai ; tenons donc pour constant
que les échevins peuvent être institués par un autre mode que celui de
l’élection directe ; et ; cela posé, recherchons quel sera ce mode.
41 voix contre 40 ont décidé que le choix se ferait
par le conseil. Cette première résolution sera-t-elle reproduite ?
L’auteur de la proposition, l’honorable M. Fallon,
a soutenu qu’il faut établir dans la commune à côté du bourgmestre une
commission permanente du conseil communal par la même raison qu’il existe dans
la province, à côté du gouverneur, une commission permanente du conseil
provincial ; et se fondant sur cette analogie, il a demandé le même mode
d’institution. J’ai combattu cette proposition, j’ai essayé de démontrer qu’il
est impossible d’admettre cette assimilation ; qu’il serait peut-être
convenable de placer dans quelques grandes villes, à côté du bourgmestre, une
commission permanente et délibérative.
Je persiste à croire que, hors ce cas, il n’y a
aucune raison de transporter dans l’organisation communale l’institution des
commissions permanentes ; et cependant le vote du 9 mai ne peut s’expliquer que
par l’intention d’introduire dans chaque commune cette institution. S’il n’en
est point ainsi, je ne comprends plus ce vote. Je me permettrai donc de demander
s’il entre dans les intentions de la majorité de cette assemblée de créer dans
chaque commune indistinctement, sous le nom de collège des échevins, une
commission permanente à l’instar de ce qui existe dans la province.
La raison d’analogie qui seule pourrait justifier
la préférence donnée au premier mode de nomination des échevins, en dehors de
l’élection directe, n’existe donc point ou n’existe pas encore, elle n’existera
que lorsque nous aurons fixé les attributions.
Je soutiens en second lieu qu’il est impossible de
concilier ce mode de nomination des échevins avec le mode de nomination du
bourgmestre ; et je vous demande la permission de développer un argument qui, à
ce que je crois, n’a été jusqu’à présent qu’indiqué.
Dans votre séance du 6 mai, vous avez décidé à une
très forte majorité (69 contre 14) que le bourgmestre serait nommé par le Roi ;
pour donner plus de latitude à ce droit, vous n’avez pas voulu d’une
présentation de candidats, et vous avez même admis la possibilité d’un choix
hors du conseil communal. C’est donc un droit réel, étendu, que vous avez voulu
attribuer au gouvernement ; or, vous rendez ce droit illusoire, sans valeur
dans la pratique, si vous maintenez le vote du 9 mai relatif à la nomination
des échevins.
Et, en effet, quelle est la première question que
fera celui à qui le gouvernement offrira la place de bourgmestre ? Il demandera
: Quels sont les échevins, mes collègues dans l’exercice du pouvoir exécutif ?
Il n’acceptera l’offre qu’autant qu’il pourra espérer de s’entendre avec eux.
Je suis tellement frappé de cette dépendance que je
vais jusqu’à dire que, si j’avais à opter, je préférerais avoir le choix des
échevins qui, étant deux ou quatre, forment la majorité, que d’avoir celui du
bourgmestre qui ne représente qu’une unité ; je conseillerais au gouvernement
de solliciter le droit de choisir les échevins en abandonnant aux électeurs le
choix du bourgmestre.
Il y a un rapport entre le droit de nommer le
bourgmestre et celui de nommer les échevins.
Ce rapport étant incontestable, je demande s’il ne
faut pas accorder au gouvernement, à qui on attribue le choix du bourgmestre,
une part au moins dans le choix des échevins.
Je continue à admettre la doctrine du pouvoir
exécutif complexe, que vous faites exercer dans la commune par les agents du
gouvernement et du peuple ; ce pouvoir, vous le déléguez à trois ou cinq
agents, vous accordez au gouvernement une seule voix, c’est-à-dire que vous le
condamnez à être perpétuellement en minorité ; je vous dirai : Soyez justes ;
si vous n’attribuez au gouvernement que le choix exclusif du bourgmestre,
accordez-lui au moins une influence sur le choix des deux ou quatre autres
agents qui décident de la majorité, et avec lesquels il est impossible que son
agent se place dans un état d’hostilité permanent. Le droit de choisir le
bourgmestre avec cette restriction peut se formuler en ces termes :
« Il est permis au Roi de désigner pour bourgmestre
l’individu qui sera agréable à deux ou quatre autres agents qualifiés
d’échevins, sur le choix desquels il ne peut influer en rien. »
Si c’est là ce que vous avez voulu, déclarez-le ;
et du moins on ne pourra plus vous accuser de je ne sais quel ultraroyalisme.
Si à ces conditions le gouvernement veut bien accepter la mission de nommer le
bourgmestre, je dis qu’il entend mal et sa dignité et ses intérêts ; n’ayant
qu’un agent à nommer sur trois ou sur cinq, j’aimerais mieux n’avoir personne à
nommer ; je voudrais le mal dans toute son exagération ; je demanderais le
remède à l’excès même, et j’attendrais l’avenir en me couvrant de
l’irresponsabilité la plus absolue.
Je me résume, toujours dans la supposition de
l’exercice collectif du pouvoir exécutif : la disposition qui fait nommer les
échevins par le conseil repose sur une analogie que je crois en général fausse,
et ne peut se concilier avec le droit de nommer le bourgmestre attribué au Roi
; j’ajoute que pour amener une conciliation, il faut accorder à celui qui nomme
le bourgmestre le droit de choisir les échevins dans le conseil, avec ou sans
présentation du conseil, car dans l’un et l’autre cas la conciliation existe,
quoiqu’à des degrés différents : je suis donc conduit à écarter la première
exception et à opter entre les deux dernières.
Et ne croyez pas, messieurs, que si vous accordez
ce nouveau droit au gouvernement, vous l’aurez investi d’un pouvoir bien
exorbitant, dans le cas même où le conseil n’interviendrait point par la
présentation de candidats.
D’abord le gouvernement est obligé de faire ses
choix dans un conseil communal souvent très restreint, et que les
incompatibilités et les refus probables viendront restreindre encore.
En second lieu, le conseil est immuable ; le
gouvernement ne peut en tenter le renouvellement par la dissolution ; il en
résulte, et ceci est très important, que souvent il sera dans l’impuissance de
réparer les suites d’une première nomination. La plupart des conseils sont
composés de sept ou de neuf membres ; le gouvernement désigne dans ces conseils
un bourgmestre et deux échevins, ces derniers avec ou sans présentation ; il
survient des circonstances qui rendent nécessaire la révocation des échevins ;
la commission du conseil provincial prononce cette révocation, les échevins
révoqués rentrent ou plutôt restent dans le conseil communal immuable. Si
aucune présentation de candidats n’est nécessaire, le Roi aura le choix dans le
reste du conseil sans nouvelle restriction. Si une présentation de candidats
doit se faire, les échevins destitués pourront être portés sur la liste, même
en première ligne et en concurrence avec des noms plus hostiles que les leurs.
Par l’indissolubilité qui laisse selon moi tout système incomplet, voilà quoi
se réduit le droit de nommer les échevins, même quand il y a eu révocation,
c’est-à-dire dans le cas où ce droit est mis pour ainsi dire à l’épreuve, quand
le gouvernement est constitué en demeure de montrer tout ce qu’il peut.
L’on a cherché vous effrayer des abus possibles ;
l’on vous a montré le gouvernement organisant l’oppression dans chaque commune,
prenant à tâche de contrarier partout les volontés locales, de compromettre
partout les intérêts locaux, imposant à chaque commune un petit tyran sous le
nom de bourgmestre ; on vous a représenté les communes en hostilité avec les
agents du gouvernement, dans l’impuissance de leur résister, opprimées,
froissées, s’agitant péniblement dans le vaste réseau dont le gouvernement se
sera plu à envelopper le pays.
Cette tyrannie locale, quotidienne, s’exerçant sur
tous les points et sans relâche, serait épouvantable ; mais c’est sans motif
qu’on en menace les populations ; cette tyrannie, elle serait vaine ; elle
serait folle ; elle est impossible.
Elle est impossible, car le gouvernement central
qui entreprendrait de l’organiser soulèverait contre lui les deux chambres sans
l’appui desquelles il ne peut exister.
Elle est impossible car le gouvernement central
soulèverait contre lui dans chaque commune la majorité du conseil dont la
résistance, l’inaction même, réduira ses agents à l’impuissance.
Condamné dans les deux chambres par la majorité
nationale, condamné dans chaque localité par la majorité communale, ce
gouvernement, seul contre tous, succomberait sous la réaction. Quand on nous
représente le pouvoir central abusant aussi follement de ses droits, se plaçant
je ne sais pourquoi dans une extrémité fatale, l’on ne tient aucun compte de
l’ensemble de nos institutions ni des influences morales, plus puissantes que
les limites matérielles que vous posez dans les lois.
J’ai eu souvent occasion de dire quelle est dans
notre Belgique moderne la situation du gouvernement par rapport aux chambres
législatives : il lui faut la majorité parlementaire. Il est à certains égards
dans une position analogue par rapport aux conseils provinciaux et communaux ;
il lui faut, autant que possible, dans le cercle des intérêts provinciaux et
communaux, la majorité dans le conseil provincial, la majorité dans le conseil
communal ; le bourgmestre qui s’appuiera sur la minorité du conseil communal,
le gouverneur qui s’appuiera sur la minorité du conseil provincial annulera
l’action du gouvernement de la même manière que le ministère qui s’appuierait
sur la minorité des deux chambres.
Quel est donc l’agent qu’il faut au Roi devant la
représentation communale, provinciale, nationale ? C’est l’homme qui lui promet
la majorité ; à cette condition l’on est ministre, gouverneur, bourgmestre. Le
jour où l’on viendra dire au Roi : Tel bourgmestre a contre lui la majorité du
conseil communal, tel gouverneur a contre lui la majorité du conseil
provincial, tel ministre a contre lui la majorité parlementaire, ce jour-la
chacun de ces agents se sera rendu impossible par le fait même, par le cours
naturel, mais irrésistible des choses, qui partout porte le pouvoir là ou est
la majorité.
N’allez donc pas croire que vous aurez accordé au
Roi un droit absolu en lui attribuant dans la commune le choix des agent
d’exécution ; ces agents ne sont rien par eux-mêmes ; ils ont besoin, je le
répète, de l’appui de la majorité du conseil communal, librement et directement
élu, et c’est encore en cela, messieurs, que l’organisation nouvelle diffère du
régime des arrêtés de 1817 ou de 1825 qu’on a crus dignes de vos regrets.
Le roi Guillaume s’était bien gardé d’instituer
dans chaque commune un conseil délibérant, ayant son origine dans l’élection
directe ; l’art. 11 du règlement pour le plat pays, du 23 juillet 1825, porte :
« § 3. Les membres du conseil communal sont nommés par les Etats
(c’est-à-dire par la députation des états provinciaux), après qu’ils auront
entendu l’administration locale. » Le règlement des villes, du 22 janvier
1824, porte, art. 1, §§ 3 et 4 : « Les membres du conseil sont nommés par
le collège électoral... Les électeurs sont nommés par les habitants de la ville
ayant droit de voter. »
Ainsi nulle part élection directe.
Dans les communes rurales, pas d’élection ;
nomination du conseil communal par la commission permanente du conseil
provincial.
Dans les villes, élection, mais à deux degrés.
Voilà le système que l’on redemande, auquel on
reconnaît une supériorité sur le système nouveau qu’il s’agit d’introduire. Le
défaut d’élection directe, en ce qui concerne le conseil communal, a toujours
été à mes yeux le vice fondamental de l’ancienne organisation ; si l’on n’en a
pas fait un grief contre le gouvernement déchu, c’est que probablement la liste
des griefs était déjà assez longue.
La révolution est venue ; elle a inscrit dans
l’art. 108 de la constitution la promesse de l’élection directe, promesse à
laquelle votre loi ne porte aucune atteinte par la part que vous laisserez au
gouvernement dans le choix des agents d’exécution. La liberté communale n’est
pas dans le pouvoir exécutif ; elle est dans l’élection directe du corps
délibérant de la commune ; c’est tout ce que la constitution a voulu.
Je ne crains pas de voir le gouvernement nommer
pour chefs de l’administration communale des hommes qui seraient réprouvés par
l’opinion publique, de voir le ministre de l’intérieur, comme on l’a supposé,
nommer bourgmestre un commis de ses bureaux, de résidence à Bruxelles et sans
influence dans la commune ; je ne crains rien de tout cela, et ce qui me
rassure, c’est l’intérêt bien entendu du gouvernement ; je ne lui demande pas
même une haute moralité ; unie intelligence vulgaire préservera de ces fautes,
car ce seraient des fautes ; je suppose en effet que le gouvernement, dans
l’unique but de complaire à quelque individu, fût-ce même un grand seigneur, ne
sera pas assez inepte pour se mettre en hostilité, par des choix scandaleux ou
extravagants, avec la majorité, peut-être l’unanimité d’un conseil communal ;
il fera des choix que les populations approuveront, parce qu’il est de son
intérêt qu’il en soit ainsi, parce que, quoiqu’il fasse, il ne peut se passer
de cette approbation tacite ou expresse.
Durant les quinze années de réunion de
Il y a des hommes qui nous disent gravement qu’il
n’y a rien de changé depuis 1830 ; il y a toujours un roi, des ministres, des
gouverneurs, des chambres, un budget ; ils nous diront même, pour peu qu’ils
aient été déçus dans quelques-unes de leurs espérances, que tout est plus mal,
que le régime destiné à être détruit par la révolution était de beaucoup
supérieur à celui que nous avons fondé. Ni les uns ni les autres ne tiennent
compte de l’application franche et entière du principe de l’élection directe au
gouvernement de l’Etat, de la province, de la commune, application que le
régime républicain même me saurait pousser plus loin ; car, dans une république
bien ordonnée qui voudrait s’assurer quelques conditions de vie et de durée, le
président conserverait sans réserve la nomination des agents du pouvoir
exécutif. Il est donc depuis 1830 survenu un grand changement par cette
séparation entre la volonté attribuée à des corps directement élus, et
l’exécution réservée au pouvoir royal.
Nous ne sommes point les élèves de l’empire ; la
centralisation que nous voulons n’est point et ne peut être la centralisation
de 1810, dont je ne me dissimule aucun des abus. Ce qui manquait au régime
impérial, c’est le principe électif ; ce principe était banni de la commune et
de la province, il était annulé dans son application au pouvoir législatif.
C’est cette absence d’institutions électives qui rendait la centralisation
impériale omnipotente et tyrannique. Si à côté du gouvernement fortement
organisé étaient venus se placer dans la commune, dans la province et au centre
même de la nation, des corps délibérants librement et directement élus, tout le
système politique eût été modifié de la base au sommet.
Je dirai donc à M. Dumortier que le système proposé
en dernier lieu par M. le ministre de l’intérieur n’est pas « le régime
absolu des maires de l’empire que l’on voudrait octroyer aux communes de
Si depuis 1815 on s’est plaint en France du
maintien de la centralisation, c’est que la commune et la province sont restées
privées de conseils délibérants directement élus : ainsi la centralisation
impériale c’est le pouvoir exécutif, agissant par lui-même, sans le concours de
conseils communaux, provinciaux et nationaux directement élus ; la
centralisation impériale n’existe plus par la seule introduction du principe
électif ; c’est la le grand changement qui s’est opéré en Belgique depuis 1830,
et qui tend à s’opérer en France.
Cette association du gouvernement central et des
institutions représentatives, c’est la centralisation qu’aurait fondée
l’assemblée constituante si les circonstances ne lui avaient inspiré une
excessive défiance envers le pouvoir royal. C’est une erreur, messieurs, que de
considérer Napoléon comme l’inventeur de la centralisation, il l’a exagérée,
comme je l’ai dit, en répudiant ou en méconnaissant les institutions électives.
L’unité de l’ancienne France résidait dans la monarchie absolue et dans son
antique dynastie ; en dépossédant la dynastie, en abolissant la monarchie
absolue, l’assemblée constituante a compris qu’il fallait sauver l’unité
française, et elle chercha à la placer dans la centralisation législative,
administrative et judiciaire ; car, remarquez-le bien, la justice elle-même a
été centralisée par l’abolition de toutes les juridictions féodales et locales,
et la création d’une magistrature suprême. Cette triple centralisation ne
dérive donc point de l’empire, mais de l’assemblée constituante, qui
malheureusement affaiblit outre mesure le pouvoir royal. Aujourd’hui que
l’unité qui résultait de la monarchie absolue et de la dynastie est perdue,
restaurer les anciennes provinces serait prononcer la déchéance politique de
Après avoir méconnu ce qui constitue le véritable
vice de la centralisation impériale, l’honorable rapporteur de la section
centrale nous a cité pour modèle le bill municipal présenté au parlement
britannique et qui consacre l’élection directe des autorités communales.
L’Angleterre, messieurs, est en ce moment dans un état de transition. et ce
serait se hasarder que d’assigner un caractère durable et définitif aux mesures
qui naissent au milieu de la crise et à cause de la crise. Il s’agit de
déposséder l’antique aristocratie : c’est là tout ce que je comprends, et je
n’étends aucune mesure au-delà de ce but. Je ne comprends point assez la
législation intérieure de l’Angleterre ; j’ai peu étudié son histoire, et je ne
doute point que si la démocratie triomphe, elle ne donne le lendemain de sa
victoire pour base à son gouvernement une centralisation bien entendue. On vous
l’a déjà dit : ce qui a donné de l’unité à l’Angleterre, c’est cette antique
aristocratie en possession du pouvoir depuis plus d’un siècle et demi ; si elle
est supplantée par la démocratie, celle-ci ne pourra empêcher l’Angleterre de
déchoir comme puissance politique qu’en sauvant l’unité nationale par la
centralisation ; et tel bill qui sert maintenant d’arme pour frapper
l’aristocratie, sera jeté au loin lorsque la démocratie sera maîtresse du champ
de bataille.
La Belgique, je le sais, n’est pas appelée à jouer
sur la scène du monde le rôle en quelque sorte historique de la France, de la
Grande-Bretagne ; mais elle doit se conserver : née d’hier, placée au milieu de
l’Europe, exposée non à être emportée, mais saisie par tous les mouvements
extérieurs, elle a besoin plus qu’aucun autre peuple de ramasser ses forces, de
les augmenter par l’unité, de se présenter serrée et compacte à ceux qui
voudraient contester son indépendance. Je n’essaierai point de reproduire les
considérations qu’un honorable orateur nous a exposées dans la séance
d’avant-hier ; je suis heureux de trouver un appui dans son discours et dans
l’accueil qu’il a reçu de vous. Il vous a dit avec raison que notre nationalité
est en cause, dans ce débat ; qu’une idée doit nous dominer dans ces
délibérations, l’idée de l’unité nationale. La question est de savoir s’il y
aura entre
Ce serait une faute, messieurs, et une irréparable
faute, que de refaire le passé en sacrifiant le présent, que, d’anéantir
l’unité nationale pour rétablir les communes et les provinces : par ce
morcellement intérieur, par ce partage anticipé, vous prépareriez peut-être de
grandes facilités à ceux qui voudraient, dans l’avenir, attenter à votre
indépendance.
- La séance est levée à 5 heures.