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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du jeudi 4 février 1836 (après-midi)
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre
2) Projet
de loi portant des crédits provisoires au budget du département des finances
pour l’exercice 1836 (Legrelle, Dubus,
d’Huart)
3)
Rapport sur des pétitions portant notamment sur l’organisation communale (Jullien, Gendebien)
4) Projet
de loi portant organisation des communes. Discussion générale. Mode de nomination
ou de désignation du bourgmestre et/ou des échevins (H.
Vilain XIIII), idem + attributions, pouvoir de tutelle, droit de révocation
et de suspension du bourgmestre et des échevins, pouvoir d’influence lors des
élections nationales (Doignon, Dechamps,
Vandenbossche), attributions, nécessité d’un
pouvoir centralisé (Dequesne)
(Moniteur belge n°37, du 6 février 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal.
M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal
de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M.
de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission
spéciale pour en faire un rapport.
PROJET DE LOI
PORTANT DES CREDITS PROVISOIRES AU BUDGET DU DEPARTEMENT DES FINANCES POUR
L’EXERCICE 1836
M.
Jadot. - Messieurs, le budget des finances pour l’exercice 1836 n’ayant
pas encore pu être voté jusqu’à ce jour, et M. le ministre se trouvant dans
l’impossibilité d’acquitter les traitements de ses employés malgré l’extrême
besoin que plusieurs d’entre eux en ont, le gouvernement s’est vu dans la
nécessité de recourir à la voie du crédit provisoire ; en conséquence, il vous
a présenté un projet de loi dont l’examen a été fait aujourd’hui par la section
centrale, qui m’a chargé de vous en faire le rapport.
La section centrale à
l’unanimité a reconnu, non seulement la justice de cette mesure, mais elle en a
proclamé l’urgence ; toutefois, elle a trouvé à propos de modifier le projet
présenté par le gouvernement.
Voici celui que la section
centrale a l’honneur de vous proposer :
« Léopold, roi des
Belges,
« A tous présents et à
venir, salut.
« Nous avons, de
commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Article unique. Il
est ouvert au ministre des finances, en attendant le règlement définitif de son
budget pour l’exercice 1836, un crédit provisoire de la somme de six cent mille
francs, à l’effet de pourvoir aux traitements des fonctionnaires et employés de
son département.
« Mandons et
ordonnons, etc. »
Le projet, présenté
par M. le ministre des finances, est ainsi conçu :
« Léopold, etc.
« Considérant qu’en
attendant que le budget des dépenses du département des finances puisse être
réglé définitivement, il importe d’assurer la marche de l’administration ;
« Article
unique. Il est ouvert au ministre des finances un crédit provisoire de la somme
de six cent mille francs, pour pourvoir aux traitements des fonctionnaires et
employés de son département.
« Mandons et
ordonnons, etc. »
Je demande que la
discussion de ce projet, dont l’adoption n’est pas douteuse, soit ouverte
immédiatement.
M.
le président. - Quel jour la chambre veut-elle fixer pour la discussion
de ce rapport ?
M. Legrelle. - Je propose de le
discuter immédiatement.
M.
Dubus. - Ce projet n’est pas à l’ordre du jour. En matière de crédit le
vote d’une proposition dont personne n’est prévenu présente toujours des
inconvénients. On dit qu’il y a urgence ; je ne le nie pas, mais cette urgence
ne tient pas à un jour. Demain aura lieu le second vote du budget de la dette
publique et des dotations. On pourrait fixer aussi à demain la discussion de la
demande de crédit provisoire.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - L’urgence de la loi dont le rapport
vient d’être fait n’est effectivement pas telle qu’on doive la discuter
immédiatement ; je ne vois aucun inconvénient à en remettre la discussion à
demain. Cependant cette remise ne signifiera rien ; la scrupuleuse observation
du règlement n’amènera aucun résultat, car il est probable que le crédit que je
demande sera voté demain et ne donnera pas lieu à discussion.
Qu’on vote demain ou
aujourd’hui, je n’y vois aucun inconvénient.
- La chambre décide que la
discussion aura lieu demain.
RAPPORT SUR DES PETITIONS
RELATIVES A L’ORGANISATION COMMUNALE
M. de Nef, rapporteur. - Les
bourgmestres et échevins de la ville de Hasselt, en démontrant, par leur
pétition en date du 6 décembre 1835 et pièces à l’appui, le conflit existant
entre le collège de la régence et le substitut du procureur du Roi, déclarent
que Leur but principal consiste 0 faire prévenir de pareils conflits à
l’occasion de la discussion de la loi communale.
La commission, tant pour
faire prévenir les conflits de cette espèce que pour remplir le vœu des
pétitionnaires, a conclu au dépôt sur le bureau de la chambre pendant la
discussion de ta loi communale, conformément à une décision adoptée
antérieurement par la chambre.
La régence de la ville de
Verviers prie la chambre de décider que les traitements des cinq vicaires de la
ville, important une somme de 2,000 fr., soient acquittés sur L’allocation de
3,392,900 fr. portée au budget de l’Etat pour le culte catholique pendant
l’exercice 1835.
Les traitements des vicaires
ne sont point compris dans l’allocation précitée, et l’usage assez généralement
établi de continuer à porter aux budgets communaux les sommes des traitements
des vicaires jusqu’à ce qu’une décision définitive soit prise par l’adoption de
la loi communale, a décidé de vous proposer au sujet de cette pétition avec les
pièces à l’appui, le dépôt sur le bureau de la chambre pendant la discussion de
la loi communale.
- La chambre décide que les
pétitions dont le rapport vient d’être fait resteront déposées sur le bureau
pendant la discussion de la loi communale.
_________________
M. de Nef, rapporteur. - La régence de
Verviers ayant fait une autre demande par la même pétition, je pense qu’il
convient de faire maintenant le rapport sur cette demande.
La régence de Verviers prie
la chambre d’allouer au budget de 1836 un subside de 1.500 francs destiné à
payer le professeur de l’école industrielle et commerciale ; elle se fonde sur
ce que sa pétition adressée à M. le ministre de l’intérieur sous la date du 16
janvier 1836 et rappelée par lettre du collège des bourgmestre et échevins du
30 avril suivant, est restée sans réponse.
La commission sans vouloir
rien préjuger sur le fond de la demande, vous propose le renvoi à la section
centrale du budget de l’intérieur et au bureau des renseignements, afin qu’avec
connaissance de cause l’allocation puisse être proposée.
- Les conclusions
de la commission sont adoptées.
________________
M.
Jullien. - Il paraît qu’il a été adressé à la chambre un grand nombre
de pétitions relatives à la loi communale, dont le dépôt sur le bureau a été
ordonné. Il serait, je pense, plus commode pour les membres de la chambre qu’on
distribuât un bulletin contenant l’analyse simple des demandes des
pétitionnaires. Il y en a qui demandent l’élection directe par les électeurs
des bourgmestres et des échevins ; il y en a d’autres qui demandent la
nomination du bourgmestre par le Roi, dans le sein du conseil ; d’autres sont
d’un autre avis.
Au moyen du bulletin que je
demande, qui serait fait dans la forme ordinaire et qui comprendrait toutes les
pétitions relatives à la loi communale, on verrait quel est le nombre de ces
pétitions et leur objet.
M.
le président. - On m’informe qu’on a fait imprimer des feuilletons de
pétitions relatives à la loi communale, et que ces feuilletons ont été
distribués aux membres de la chambre.
La proposition de
l’honorable M. Jullien ne pourrait concerner que les pièces relatives à la loi
communale qui n’ont pas encore été imprimées.
M.
Jullien. - Si l’analyse que je demande a déjà été imprimée et
distribuée, il est inutile d’en faire une seconde distribution. Ma demande ne
concerne que les pétitions dont l’analyse n’est pas comprise dans le feuilleton
qui a été distribué.
M.
le président. - L’impression demandée par M. Jullien aura lieu.
M.
Gendebien. - A-t-on fait le rapport de toutes les pétitions relatives à
la loi communale ?
M.
le président. - Des rapports ont été faits par MM. Zoude, Verdussen et
de Nef ; je ne sais pas s’il est d’autres pétitions relatives à la loi
communale sur lesquelles le rapport n’aurait pas été fait. Les membres de la
commission sont seuls à même de donner des explications à cet égard.
Nous passons à l’objet de
l’ordre du jour.
PROJET DE LOI PORTANT
ORGANISATION DES COMMUNES
Discussion générale
M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, le
projet de loi communale que nous sommes appelés à discuter a déjà subi bien des
vicissitudes et des voyages parlementaires. Témoin d’un renouvellement de
chambre et d’un changement de ministère, sujet en dernier lieu de graves dissentiments
parmi les nouveaux ministres, ce code de la commune nous revient aujourd’hui
sous des formes assez neuves, il est vrai, mais dont la singularité ne peut me
séduire, car j’en juge l’application au pays désastreuse ou impraticable. Je
sais tous les embarras que les ministres actuels ont eu à traverser pour
s’accorder sur le mode de nomination des bourgmestres et échevins. Je sais que,
subissant les conséquences de leurs antécédents, les uns devaient vouloir des
échevins élus par le conseil, d’autres plus ardents défenseurs de la
prérogative royale, des bourgmestres et des échevins nommés par le Roi ou la
province. Cependant la chambre, diversement influencée, continuait ses
délibérations sur cette grave matière, et ces délibérations qui doivent aux yeux
des hommes sages décider de tout l’avenir du pays, avaient lieu devant un
pouvoir exécutif sans force et sans ensemble, et souvent en l’absence de tout
pouvoir. Cet état de choses ne pouvait plus se représenter. Cette division au
camp ministériel, que les mandataires de la puissance royale se reprochent sans
doute d’avoir laissé subsister longtemps, devait cesser soit par une nouvelle
dislocation du cabinet, soit par la création d’un système mixte qui pût mettre
d’accord le maintien des ministres et de leurs opinions.
Ce parti, comme on le voit,
a été préféré, et de ce rapprochement est sorti cette organisation communale,
où rien n’est tranché de l’une ni de l’autre part ; de cette union est né le
bourgmestre tel que vous le voyez aujourd’hui, personnage sans vote et aussi
sans influence réelle dans la commune, espèce de comparse administratif, devant
tantôt exécuter de par le conseil des délibérations qu’il désapprouve, tantôt
de par le Roi ou les états de la province des mesures odieuses à son conseil ou
à ses concitoyens.
Le représentant du Roi,
dans la commune, ne doit point, à mon avis, y jouer ce rôle sans effets, et en
quelque sorte humiliant, perdant une partie de sa considération par la
privation de son vote et de sa responsabilité dans les discussions, supportant
tout l’odieux de l’exécution des lois de milice, d’impôts, de police générale,
et laissant d’autre part, à des échevins, les bénéfices de la popularité ; eux,
les élus de la commune, eux, maintenant, les défenseurs naturels de ses intérêts,
devant les demandes, souvent très justes, de l’intérêt général. Je ne veux pas
de la commune ainsi organisée, et à défaut de voir adopter la nomination, par
le Roi, des bourgmestres avec voix délibérative, et celle des échevins par le
Roi ou le conseil provincial, je préfère au système bâtard du gouvernement
celui de l’élection directe de tous ces fonctionnaires. Là du moins le
bourgmestre aura une position nette et décidée ; là, il sera aussi l’homme du
peuple ; et si le peuple a mal choisi, il supportera la peine de ses caprices,
et rien de fâcheux n’en rejaillira sur la prérogative royale.
Depuis la révolution,
messieurs, nous avons posé bien des théories dans l’émanation de nos lois, sans
trop entrer dans les secrets de la pratique et dans les besoins de
l’expérience. Cette marche dangereuse partout ailleurs qu’en Belgique, où la
nation a tant de sagesse et de retenue, devrait moins que toute autre être
celle des ministres, hommes pratiques par position. Cependant ce sont eux qui
aujourd’hui nous convient à des expériences administratives ; ils se mettent
ainsi d’accord, mais mettront-ils d’accord les habitants et leurs conseillers,
les conseillers et les bourgmestres, surtout dans le plat pays ? Durant ces
cinq premières années de notre régénération politiques, nous avons vu assez
souvent la marche des affaires entravée par la résistance ou le mauvais vouloir
des fonctionnaires municipaux, d’autant plus libres, qu’élus directement ils
étaient même rééligibles quoique démissionnés. Croit-on corriger cet abus en
plaçant à la tête de ce même conseil un administrateur, nommé il est vrai par
le Roi, mais qu’on laisse sans vote et entièrement isolé puisque ses échevins
même tiennent leur mandat d’une autre origine ? On veut faire le pouvoir fort
et on le montre désarmé, on veut détruire les ligues communales et on ne fera
que les organiser plus compactes contre la personne unique du chef de
l’administration. Analysons quelques détails de la loi pour démontrer ce
résultat, et la pratique seule et non la théorie nous servira de guide pour cet
examen.
Dans un gouvernement tel
que le nôtre, dont l’essence est populaire, n’importe-t-il pas que les
fonctionnaires soient, autant que possible, l’émanation de l’opinion publique,
et le chef de la commune ne doit-il pas plus que tout autre en être
l’expression ? Cependant, d’après les articles 2 et 4 du projet, le bourgmestre
est placé à ce sujet dans une condition inférieure à ses échevins. Ceux-ci,
élus directement, ont pour eux le préjugé de l’approbation générale ; ils délibèrent
et prononcent : finalement (et ceci surtout est une considération essentielle à
mûrir) ils ne sont révocables que par le peuple, car la suspension ou la
démission ne les rend pas inhabiles à être réélus ; les articles 56 et 57 de la
loi se taisent à cet égard. Les bourgmestres, au contraire, peuvent être nommés
en dehors du conseil ou de la commune, c’est-à-dire, en dehors de l’opinion
locale ; ils président un conseil où ils n’ont rien à décider et sont enfin
révocables en tout temps. Dépouillés des trois prestiges du pouvoir,
c’est-à-dire de l’assentiment public, de l’influence du vote et de la
permanence des fonctions, croyez-vous, messieurs, que dans l’usage des choses
le bourgmestre puisse continuer de jouir de la liberté d’action nécessaire au
bien-être de l’Etat et des habitants ? Son crédit sera effacé par celui de ses
échevins, il sera absorbé par son conseil, car à eux seuls appartiendra de
prononcer sur la répartition des octrois et des taxes municipales dans le plat
pays ; à eux seuls de fixer les rôles des pauvres, la classification des
patentables. Cependant, dans une position plus haute, plus à l’abri des
sujétions de l’intérêt privé, le bourgmestre était merveilleusement placé dans
la commune pour débattre ces matières délicates, pour défendre le faible contre
le fort, pour énoncer le vote le plus indépendant ; mais il n’a rien à y dire,
il n’a pas de vote.
Bien plus, la loi ne
spécifie pas si ce bourgmestre, déjà si dépouillé, conservera la présidence des
hospices et des bureaux de bienfaisance avec voix délibérative. Reste-t-il
membre de droit du conseil de la fabrique d’après l’article 5 du décret du 30
novembre 1809 ? Le gouvernement se taisant à ce sujet, on ne manquera pas de
disputer ces prérogatives au bourgmestre, et je ne vois pas trop à quel titre
il conserverait sa voix aux hospices et à la fabrique quand il ne l’a plus au
conseil. La nomination des employés de tout grade lui est retirée. La
suspension ou la révocation de ces employés lui est interdite. Le conseil seul
en ordonne. Enfin, la section centrale, outrant ces principes de défiance
envers le bourgmestre, lui défend d’assister à l’examen des comptes des
administrations publiques dont il serait membre, ainsi qu’aux délibérations du
conseil qui intéressent ces administrations (art. 70). Ainsi voilà l’homme
placé par la confiance du Roi à la tête de la commune, mis en interdiction et
en état de suspicion par les élus du peuple ; et pour rendre sa position plus
pitoyable, il ne participera même pas au choix de son secrétaire : celui-ci,
loin d’être nommé par le pouvoir le sera par le conseil. Habile ou non, il
entraînera la responsabilité du bourgmestre qui devra forcément, et dans bien
des actes, lui donner sa confiance.
Messieurs, à qui connaît
les rouages de l’administration des campagnes où souvent les secrétaires sont
seuls au courant des lois et de la routine des affaires, on peut juger à quels
abus peut entraîner ce nouveau mode de nomination. Les habiles refuseront ces
places précaires subordonnées aux caprices d’un conseil, et les hommes sans
fortune ou sans connaissances, seuls les acceptant, se ligueront avec les
conseils dont ils dépendent contre le pouvoir du chef.
Voilà, messieurs, bien en
abrégé sans doute, quelques-uns des graves inconvénients de la loi nouvelle.
Voilà les motifs qui me la feront rejeter si des modifications importantes n’y
sont apportées.
Et qu’on ne croie pas que
je désire ces restrictions en vue de défendre la prérogative royale, dont après
tout les ministres doivent être plus soucieux que nous. Dieu me garde d’être
plus ministériel que les membres du cabinet, car c’est à eux à voir si dans la
marche qu’ils suivent ils fortifient le pouvoir. Mais si je m’oppose au projet,
c’est pour la liberté, pour le repos du citoyen belge.
Je ne veux pas qu’après
avoir échappé à la dictature des préfets et des maires de l’empire, l’habitant
et surtout l’habitant des campagnes retombent sous le despotisme quelquefois
plus tracassier des corporations et des conseils indépendants. Ce serait
retourner à la féodalité dans les villages ; ce serait livrer, là à l’influence
d’un grand propriétaire ou d’un ancien seigneur, ici au joug de deux ou trois
familles patriciennes, la conduite journalière des intérêts des particuliers :
autre chose est l’émancipation des communes et celle du citoyen.
Les électeurs, il est vrai,
auront le choix des conseillers. Mais on sait la part que l’intrigue prend à ce
choix dans les petites localités. Souvent une seule personne et la plus riche
le décide ; une fois formé, ce conseil est excité à tout réglementer, car
l’expérience éternelle démontre, dit Montesquieu, que tout corps qui a du
pouvoir est porté à en abuser. Ainsi dans les villes on élève démesurément les
octrois. On arrête des règlements vexatoires pour la fermeture et le péage des
portes. On tolère même le monopole de quelques corporations pour le
déchargement des marchandises et le pilotage des rivières. On fixe des règles
bizarres pour la tenue des foires et des marchés.
Dans les campagnes l’esprit
de rivalité de commune à commune engendre des procès qu’on poursuit à outrance
au grand détriment de la généralité. Cette même jalousie de localité fait que
les conseils se refusent d’appliquer ou appliquent mal des règlements généraux
sur la voirie, sur la santé publique ou sur la sûreté des citoyens. Les
exemples de ces abus fourmillent, le tout cependant au grand désavantage des
particuliers qui, sous l’influence de ces petites tyrannies journalières, ne
sont réellement plus libres, et au lieu d’un maître en ont trouvé plusieurs :
c’est là ce qu’on pourrait appeler le despotisme de la liberté.
Il faut donc que cet
élément d’indépendance dans les conseils soit tempéré par une influence
supérieure et réelle. Qu’au milieu de ces conseillers librement élus siègent
avec voix délibérative des bourgmestres nommés par le Roi, et des échevins
choisis par la députation provinciale ou par le Roi. Ainsi se maintiendra dans
les corps municipaux l’esprit d’unité central qui, bien dirigé, écarte les
divisions intestines, crée les peuples et donne enfin à un pays cet esprit de
nationalité bien plus fécond, bien plus vivifiant que celui de la commune.
Les moyens d’organisation
communale que le gouvernement propose maintenant s’en écartent évidemment, et
leur application ne tarderait pas à engendrer dans un avenir prochain des
difficultés administratives que tous nos efforts ne pourraient plus corriger.
L’expérience des temps
démontre qu’il est bien plus facile d’accorder des libertés que d’en prévenir
les abus : tant qu’on élargit la base des pouvoirs secondaires, tout est
tranquille, tout semble satisfait dans un pays ; car le pouvoir central étant
le seul qu’on dépouille, si celui-ci se tait, où les murmures pourraient-ils
éclater ? Mais lorsque des conflits surgissent dans l’Etat par l’indépendance
illimitée des corps provinciaux ou municipaux, lorsque ceux-ci par l’usage
immodéré de leurs franchises entravent et souvent arrêtent l’action
administrative, et que le gouvernement veut reprendre la position qui lui est
due, alors éclatent les mécontentements, se signent les pétitions, alors
s’élèvent des résistances d’autant plus difficiles à vaincre que l’habitude de
cet régime s’est répandue dans les plus petites parties du pays et qu’un
certain patriotisme de localité tend à le conserver avec opiniâtreté.
L application des
lois provinciale et municipale aura surtout cette influence ; car elles sont
plus que des lois ordinaires qu’on suspend ou qu’on abroge.
Les parties intéressées ne
tarderont pas à les envisager comme des constitutions de province et de commune
; et dans des circonstances données, la législature même serait peut-être
impuissante à les amender. Prévenons ces dangers, et dans ce but faisons à la
commune une législation libérale, mais sage et modérée. Si plus tard le besoin
s’en présente, il sera toujours temps d’agrandir le cercle de ses franchises ;
et nos lois du moins n’auront point devancé les nécessités et surtout les mœurs
du pays.
Nous aurons ainsi, en
laissant au Roi la nomination des bourgmestres, continué un régime qui a pour
lui la plus longue sanction des années, que la constitution permet à mes yeux,
et qu’un premier vote de la chambre avait déjà sanctionné.
M.
Doignon. - Le nouveau projet de loi du gouvernement sur l’organisation
communale présente, messieurs, un changement de système de la plus haute
importance, qui appelle vos méditations les plus sérieuses.
Pendant plus de deux ans,
le ministère avait lutté contre l’opposition pour faire écarter l’élection
directe des échevins par le peuple et conférer leur nomination au Roi contre le
vœu manifeste de la constitution. Son opiniâtreté sur ce point fut la
principale cause du retard qui a privé nos communes du bienfait d’une
organisation définitive. Félicitons-le d’avoir enfin renoncé à ce système. Mais
aujourd’hui, messieurs, prenons-y garde, tout en abandonnant à l’opposition la
victoire sur ce terrain, le gouvernement, en désespoir de cause, a cru devoir
se retrancher dans un autre système que je considère comme plus funeste encore
aux franchises constitutionnelles de la commune. J’espère que cette nouvelle
tentative ne sera pas plus heureuse que la première ; j’espère que lorsque la
chambre aura mûrement apprécié les conséquences de ce nouveau système, elle
n’hésitera pas à le rejeter.
Selon son nouveau projet,
le ministère concède à l’opposition l’élection directe des échevins ; mais en
même temps, et par une autre disposition, il leur retire la majeure partie des
attributions dont ils ont constamment joui jusqu’à présent pour en investir le
bourgmestre seul ; et de cette manière il supprime de fait, pour ainsi dire,
l’institution du collège échevinal.
Telle est en effet,
messieurs, la conséquence de la disposition du projet qui charge le bourgmestre
seul, et à l’exclusion des échevins, de l’exécution dans la commune, des lois,
des règlements et des mesures d’administration générale sans aucune
distinction.
Ce peu de mots, messieurs,
contient tout un nouveau système ; il est d’une portée incalculable ; il tend
directement à faire substituer au régime représentatif de la commune le régime
d’un seul avec son omnipotence au régime du collège des bourgmestre et
échevins, le régime des maires et la centralisation de l’empire.
Certes, aucun de nous n’a
jamais eu de prétendre qu’il fallait remettre aux magistrats communaux choisis
par les électeurs l’exécution des lois qui sont purement d’intérêt général et,
par conséquent, étrangères à l’intérêt particulier de la commune, telles sont
les lois de finances, les lois d’impôts, les lois civiles, pénales,
commerciales, etc. L’exécution de toutes les lois de cette nature est et a
toujours été du domaine exclusif du pouvoir exécutif et de ses agents, et il
est, je crois, sans exemple qu’une commune ait jamais voulu s’immiscer dans leur
exécution.
Mais, d’une autre part, on
ne pourrait, sans violer la constitution, refuser à la commune ou à ses
représentants nés d’intervenir quand il s’agit de l’exécution des lois, décrets
et arrêtés d’un intérêt mixte, c’est-à-dire dans lesquels l’intérêt spécial de
la commune et celui de l’Etat se trouvent essentiellement inséparables ; car
s’il est vrai dans ces cas que le pouvoir exécutif ne peut rester sans moyens
pour y faire exécuter pareille disposition, en tant qu’elle est d’ordre public,
il est également vrai que constitutionnellement la commune doit alors être
représentée, en tant que la même disposition est, dans son application, tout à
la fois d’un intérêt communal et général, puisqu’à son égard la constitution
proclame formellement le principe « que tout ce qui est d’intérêt
communal » est indistinctement attribué au conseil communal, sans
l’approbation de ces actes en certains cas déterminés. (Art. 108, n’ 2.)
La commune, messieurs, est
la petite famille : mais celle-ci est de droit subordonnée aux lois de la
grande famille qui est la nation ou l’Etat. Les intérêts de la petite et de la
grande famille devant se confondre, le but de l’exécution doit être de les
mettre toutes deux en parfaite harmonie pour n’en plus former, pour ainsi dire,
qu’un seul. Or, cet accord parfait à établir alors entre ces deux corps est
aussi pour la commune une question qui est d’intérêt communal et dont on ne
peut conséquemment, d’après la constitution, soustraire la connaissance au
collège des bourgmestre et échevins qui est chargé de l’administration
journalière et exécutive.
Ces lois, décrets et
arrêtés d’un intérêt mixte embrassent tout à la fois l’intérêt général et
l’intérêt communal : tels sont les lois, décrets, arrêtés et règlements
relatifs à l’agriculture, au commerce, à l’industrie, aux manufactures ; ceux
relatifs à la mendicité, à la vaccine, à l’échenillage, aux chemins vicinaux,
aux enfants abandonnés, et une infinité d’autres. Par rapport à la petite
famille, il s’agit bien moins de l’exécution en général de ces dispositions que
de leur juste application à l’intérêt communal.
Mais cette application,
pour être sage et prudente et atteindre le but du législateur ou du
gouvernement, doit nécessairement dépendre de la connaissance des hommes et des
choses de chaque localité ; elle dépend naturellement des circonstances, des
temps, des lieux, de l’opportunité, des besoins de localité, etc. Or, il est
clair, comme le jour, que l’appréciation de tous ces points est éminemment une
question d’intérêt communal, dont on ne peut dès lors enlever la connaissance
au pouvoir communal, pourvu bien entendu qu’il soit laissé à l’autorité
supérieure et à l’Etat une action suffisante pour faire observer leurs
dispositions, et c’est à quoi l’on a eu soin de pourvoir par la constitution et
les projets eux-mêmes en discussion.
Ainsi, quoiqu’il soit vrai
de dire que tous ces actes de la puissance législative ou du pouvoir exécutif
ont en vue le bien général, l’intérêt collectif de la société, dès qu’il s’agit
d’en faire une application particulière à la commune, cette application tombe
dans le domaine du pouvoir communal, qui toutefois est à cet égard modifié de
manière à ce qu’il soit tenu de demeurer dans de justes limites et soumis aux
volontés de la grande famille ou plutôt de la nation ou de l’Etat.
Il est constant que presque
toutes les matières administratives de la commune se trouvent réglementées par
des lois, décrets ou arrêtés. Le gouvernement de Napoléon, jaloux de tout
envahir et de tout dominer à sa façon, a fait éclore quelques milliers de lois,
décrets, avis de conseil d’Etat et autres dispositions, qui tous ont rapport et
se rattachent plus ou moins aux intérêts de la communauté. Le gouvernement
déchu a eu, pour le moins, autant que l’empire, la manie de réglementer tout ce qui intéresse la commune ; et,
d’après cet ordre de choses, il est incontestable que ce que le ministère
appelle « exécution des lois et mesures d’administration générale »
constitue la grande majeure partie des affaires de l’administration communale.
Par conséquent, lorsqu’il prétend les retirer des mains du collège échevinal,
pour en charger exclusivement le bourgmestre, non seulement il rend celui-ci
seul juge de la question d’application qui est aussi d’intérêt communal, mais,
par cela même il réunit, sur sa tête seule, presque tout le pouvoir
administratif, et supprime ainsi de fait le collège échevinal pour faire place
à l’institution des maires que le gouvernement de Guillaume semblait lui-même
avoir proscrite à toujours. La prétendue concession du ministère, relative à
l’élection directe des échevins, avec la modification qu’il y a ajoutée, ne
serait donc au vrai qu’une amère dérision.
Les anciennes franchises
communales étaient et sont encore trop chères à la nation néerlandaise pour que
le roi Guillaume osât jamais proposer un semblable
système. L’ancienne loi fondamentale, sans attribuer formellement au conseil,
comme fait notre constitution, tout ce qui est d’intérêt communal, donnait
simplement aux administrations locales, la direction de leurs intérêts
particuliers et domestiques ; et cependant, aux termes des articles 98 et 76
des règlements des villes et du plat pays, encore en vigueur en ce moment,
l’exécution des lois, ordonnances et arrêtés d’administration générale
appartenait, comme elle appartient encore aujourd’hui, au collège échevinal.
Si, d’une part, les échevins étaient désignés par le Roi, et dans le sein du
conseil de l’autre, malgré cette attribution on n’avait pas le droit de les
révoquer dans les villes pendant toute la durée de leurs fonctions, même pour
cause de négligence ou d’inexécution des lois, et ils jouissaient à cet égard,
comme encore en ce moment, d’une indépendance complète. De plus, d’après les
anciens règlements de Guillaume, non seulement ils ne pouvaient être révoqués
dans les villes, mais on peut même dire que bien qu’ils fussent chargés avec le
bourgmestre de l’exécution, ils tenaient néanmoins encore leur nomination du
peuple, puisque le Roi ne pouvait les choisir que sur un liste triple de
candidats présentés par le conseil électif.
Il ne faut qu’un peu de
bonne foi pour reconnaître qu’il n’a point été et qu’il n’a pu être dans
l’intention du congrès national de vouloir ôter au collège échevinal aucune des
attributions dont il était déjà en possession, et qu’au contraire il a
manifestement voulu les lui conserver malgré l’élection directe.
On se rappelle que, pendant
nombre d’années avant la révolution, l’élection indirecte ou par degrés des magistrats
de la commune avait été le sujet de plaintes universelles. L’élection par
degrés réduisait en définitive les électeurs à un si petit nombre que le
gouvernement pouvait, avec une extrême facilité, exercer sur eux toute son
influence, et spécialement sur les bourgmestres et autres fonctionnaires qui
faisaient presque toujours partie de chaque collège électoral. Guillaume ne
manquait point d’user de tous ses moyens pour corrompre et rendre illusoire le
système électoral ; c’est ainsi encore que tandis que la loi fondamentale
voulait que les administrateurs communaux fussent renouvelés chaque année pour
une partie, il statua de sa seule autorité que ce renouvellement n’aurait lieu
que tous les trois ans. Le régime électoral, principalement dans les campagnes,
était devenu tellement illusoire que dans les dernières années de son règne,
les administrations locales se trouvaient remplies d’hommes serviles, et qu’on
vit renaître partout les abus de la centralisation impériale.
Le congrès, frappé de ces
abus, voulut donc que le pouvoir communal fût une vérité, et convaincu que le
peuple belge, ami de l’ordre et soumis aux lois, est le meilleur juge dans
toutes les questions qui intéressent la communauté, et par conséquent dans
celle du choix des personnes à appeler aux affaires administratives de la
commune, il assit le nouveau système électoral sur des bases plus libérales et
adopta ainsi l’élection directe ; c’est la une réforme qui était vivement
désirée par tout le pays.
On voit donc qu’en agissant
ainsi, le congrès, loin de vouloir apporter la moindre restriction aux
franchises communales, a voulu au contraire leur donner une extension des plus
importantes : c’est une réforme contre le pouvoir exécutif qu’il a voulu
opérer, et non une diminution au profit de ce pouvoir des franchises
auxquelles, d’ailleurs, Guillaume lui-même n’avait pas osé toucher.
(Addendum inséré au Moniteur n°38, du 7 février 1836 :) Il est
si vrai de dire que l’élection directe est compatible avec la mission d’exécuter
les lois et arrêtés dans la commune, qu’après avoir posé le principe de cette
élection dans l’article 108, la constitution ajoute : « sauf les
exceptions que la loi peut établir à
l’égard des administrations communales. » Cette expression peut prouve que l’exception n’est que
facultative. Or, si dans la pensée du congrès l’attribution donnée au chef ou
au bourgmestre d’exécuter les dispositions d’intérêt général n’était pas de
nature à empêcher que ce magistrat fût choisi directement par le peuple, cette
même attribution conférée aux échevins n’était et n’est pas davantage un
obstacle à ce qu’ils soient élus directement. Le congrès devait penser qu’il y
a d’autant moins d’inconvénients à admettre, malgré cette attribution,
l’élection directe pour celui-là même comme pour ceux-ci, que dans le même
article, n° 2 et 5, il indique les moyens de pourvoir aux dangers possibles de
ce système électif. (Addendum inséré au
Moniteur n°38, du 7 février 1836 :) C’est donc une absurdité d’argumenter
en ce moment de l’élection directe, pour en conclure qu’il y a lieu de retirer
aux échevins les attributions dont il s’agit.
Loin de là, le congrès, en
donnant ici au peuple belge une preuve de la plus grande confiance, il est
naturel d’en conclure qu’il a plutôt voulu qu’on augmentât les attributions des
magistrats élus par lui. Aussi, après avoir décrété l’élection directe des
administrateurs communaux par l’art. 108, n°1, il n’hésite pas à déclarer, dans
la disposition transitoire de l’article 137, qui abolit la loi fondamentale de
1814 et les statuts locaux, que les autorités locales conserveront néanmoins
leurs attributions. Or, parmi ces attributions se trouvait l’exécution des lois
et arrêtés confiée au collège des bourgmestre et échevins : s’il y avait eu
incompatibilité, comme on le prétend, entre l’élection directe et cette
attribution, le congrès n’aurait pas souffert qu’on la continuât même
provisoirement, surtout à cette époque où, au sortir d’une révolution, il
convenait même de donner plus de force à l’exécution des lois. Ainsi, du
consentement du congrès, le collège échevinal élu directement par le peuple a
constamment joui jusqu’ici, comme il doit jouir encore, de cette attribution,
et cela, sans aucun inconvénient.
Une seule ville a donné
l’exemple de la désobéissance, et encore est-il reconnu que le ministère
lui-même a négligé tout exprès les moyens de répression, afin d’exploiter cet
incident dans l’intérêt du pouvoir. Mais ce sont là de ces écarts qu’on voit
dans tous les temps, et beaucoup trop rares pour motiver une loi.
Une expérience de plus de
cinq années du système de l’élection directe des échevins avec la mission
d’exécuter les lois et arrêtés conjointement avec le bourgmestre, vient donc
prouver aujourd’hui que le congrès ne s’est pas trompé, qu’il a bien jugé du
caractère belge, et que ce régime se concilie avec le maintien de l’ordre
public, Il ne restera plus de doute à cet égard, je l’espère, dans l’esprit
même des plus chauds partisans du pouvoir prétendu fort, lorsqu’on verra
ci-après les nouveaux moyens de précaution dont la constitution et le projet de
loi lui-même ont entouré l’exercice de cette mission.
Il semblait que le congrès,
ayant augmenté par l’élection directe le degré de confiance due aux magistrats
choisis par le peuple, devait, par la même raison, diminuer les mesures de
prévoyance contre leur négligence ou les abus du pouvoir ; mais non, dominé
avant tout par cette pensée qu’il fallait attacher la commune, ou plutôt la
petite famille, à la grande famille, par des moyens puissants et énergiques, il
stipule que la loi d’organisation pourra lui lier les mains de manière a
soumettre ses actes, quand on le jugerait nécessaire, à l’approbation d’une
autorité supérieure, et ce, sous peine de n’avoir aucun effet : ainsi il serait
constitutionnel de faire dépendre de cette approbation certains actes du
collège échevinal relatifs à l’exécution des lois et décrets.
Loin d’accorder à ce
collège une confiance illimitée, le congrès prévoit dans sa sagesse qu’il peut
commettre des abus de pouvoir, qu’il pourrait prendre des dispositions
contraires aux lois et à l’ordre public, qu’il pourrait, en faisant
l’application de la loi ou des arrêtés aux intérêts communaux, s’écarter de
leur esprit et les enfreindre ; il pourvoit prudemment à tous ces cas en
admettant formellement l’intervention du Roi ou du pouvoir législatif pour
empêcher que les conseils communaux et par suite leurs délégués ne sortent de
leurs attributions et ne blessent l’intérêt général.
Mais le congrès national
n’avait pas poussé la défiance jusqu’à supposer que la commune pourrait même
refuser d’exécuter les lois et ordonnances et se mettrait ainsi en rébellion
ouverte avec l’autorité supérieure : cette supposition est en effet injurieuse
pour le caractère belge, et je l’ai toujours repoussée de tout mon pouvoir ;
j’ai dit, et je le répète, qu’il faut attendre au moins que l’expérience ait
démontré l’insuffisance de tous les autres moyens avant d’en venir à une
exécution forcée et de sévir contre les administrateurs personnellement ; qu’en
principe législatif il est aussi dangereux qu’immoral de fonder une loi sur des
suppositions de faits extraordinairement rares qui blessent les mœurs et
l’honneur du Belge.
Mais enfin jusqu’à présent
les chambres ont admis cette supposition de rébellion administrative ; et
puisque telle est leur volonté, nous voulons bien aussi l’adopter. Or, pour ces
cas tout à fait imprévus, le projet lui même (art. 14) donne à l’autorité
supérieure le droit de faire exécuter elle-même dans la commune les lois et
arrêtes par des commissaires envoyés aux frais personnels des administrateurs.
Il est évident que cette
arme est déjà le complément de tous les moyens de précaution employés pour
faire marcher les administrations électives, et qu’elle seule peut assurer cette
exécution dans la commune nonobstant l’élection directe des magistrats, puisque
même sans leur concours, et contre leur gré et à leurs dépens, toutes les
mesures peuvent y être mises à exécution, à l’entière satisfaction de
l’autorité supérieure. Si avec de pareils moyens les lois et les mesures
d’administration générale n’étaient pas observées, ou si leur observation
pouvait laisser quelque chose à désirer, on doit reconnaître qu’on devrait s’en
prendre bien moins à la commune qu’à l’administration supérieure elle-même :
c’est alors que toute la responsabilité pèserait sur elle, si elle avait
négligé ces moyens ou refusé d’en faire usage ou de les provoquer le cas
échéant.
Il est donc clairement
démontré que, bien que le corps échevinal soit élu directement, et que le
pouvoir exécutif n’intervienne pas dans le choix de ses membres à l’exception
de son chef, il n’y a dans ce système aucun inconvénient ni aucun danger à lui
continuer, comme on l’a fait jusqu’ici la tâche d’exécuter les lois et arrêtés,
puisque le maintien de l’ordre est suffisamment assuré par les garanties
stipulées dans la constitution et le projet de loi.
Mais ce n’est pas tout,
nous venons d’exposer les moyens donnés à l’action gouvernementale contre les
actes des administrations électives. L’action que la constitution et le projet
donnent en outre au gouvernement contre leurs personnes est, si j’ose le dire,
plus puissante encore.
Qu’il me soit permis avant
tout de dire un mot sur le personnel en général. Le gouvernement, dit le ministère,
doit être entièrement libre dans le choix des personnes, puisqu’elles sont
chargées d’exécuter les lois et arrêtés dans la commune. Mais il est de fait
que, depuis l’empire, nos constitutions se sont toujours opposées à ce qu’il
ait sur ce point son action libre. En Belgique, depuis 1816, le pouvoir royal
s’est vu obligé de désigner le bourgmestre dans le conseil, et même, d’après
les anciens règlements, sur une liste présentée par ce corps. En France même,
le choix de maires par le roi est aujourd’hui aussi limité aux membres du
conseil, et en cela le législateur français n’a fait que reproduire la
disposition du sénatus-consulte du 16 thermidor an X, qui autorisait le premier
consul à nommer les maires et adjoints dans les conseils municipaux.
Cette liberté d’action pour
le choix des premiers magistrats de la commune n’a donc jamais existé sous le
régime constitutionnel et elle n’est plus aujourd’hui qu’une pure théorie qui a
cessé de convenir au siècle actuel, siècle où les peuples se sont donné des constitutions
précisément afin de brider le pouvoir royal ; et il ne faut pas que le
ministère affecte de dire que cette liberté lui est indispensable pour marcher,
puisque de fait les gouvernements constitutionnels, et
Quant aux échevins
également chargés avec le bourgmestre de l’exécution des lois et ordonnances,
le Roi n’a aussi jamais eu le droit de les choisir librement : en dernier lieu,
il était tenu de les prendre parmi les membres du conseil, et suivant les
premiers règlements, le pouvoir royal était même obligé d’accepter l’un des
trois conseillers qui lui était indiqué par le corps électif. Ce dernier
système, qui a été en vigueur pendant nombre d’années sans qu’on ait eu à s’en
plaindre, se rapprochait déjà du système de l’élection directe adopté par la
nouvelle constitution, puisqu’on peut dire que, dans l’un et l’autre cas, les
échevins tiennent leur mandat directement ou indirectement des électeurs bien
plus que du pouvoir royal. Notre chambre de 1834 avait de même adopté la
proposition que le Roi serait tenu de choisir pour échevins l’un des
conseillera qui lui seraient présentés par le conseil.
On voit donc à évidence
qu’il n’est pas vrai de dire que le choix du pouvoir royal doit être libre pour
que les bourgmestre et échevins aient mission d’exécuter les lois et arrêtés
dans la commune, puisque, nonobstant cette dernière attribution, ce choix lui a
été, comme il lui est encore, constamment imposé plus ou moins.
Si enfin le congrès
national, au moyen de l’élection directe, a mis à l’écart la part déjà faible
du pouvoir royal dans la nomination des échevins, ce fut donc, comme on l’a vu,
à raison du nouveau degré de confiance que lui ont inspirée le bon jugement et
l’amour de l’ordre qui distinguent le Belge, mais nullement dans la vue de
porter la moindre atteinte à leurs attributions déjà existantes.
Mais, en même temps, le
congrès n’a pas voulu l’indépendance absolue du collège échevinal. Nous avons
dit plus haut la grande part d’action qu’il a réservée contre les actes de ce
corps à l’administration supérieure, et celle plus importante encore que lui
donne notre projet de loi ; de sorte que, pour que l’autorité supérieure
veuille être attentive et vigilante, il est impossible que le service ne marche
point.
Mais, pour surcroît de
précaution, le projet de loi ajoute contre les personnes une garantie nouvelle qui
devrait elle seule dissiper toute appréhension, c’est le droit nouveau de
suspension et de révocation contre les bourgmestres et échevins des villes pour
cause d’inconduite ou de négligence grave, droit qui n’était admis précédemment
que pour le plat pays et qu’on étend aujourd’hui aux villes.
Ce droit de révocation que
le ministère voudrait même pouvoir exercer d’une manière tout à fait arbitraire
à l’égard du bourgmestre, ce droit est, comme l’a dit un orateur de cette
chambre, l’épée de Damoclès toujours suspendue sur la tête de ces magistrats :
si les lois et les mesures d’administration générale ne sont pas observées dans
la commune, il est menacé chaque jour et à chaque moment de perdre ses
fonctions honorables. En vain l’autorité supérieure affirmerait qu’elle sera
sobre dans l’usage de ce droit ; la seule crainte de pouvoir être atteints par
cette menace tous les jours et à chaque instant est évidemment le moyen le plus
certain de contenir ces fonctionnaires dans le devoir et de stimuler leur attention
et leur zèle pour l’exécution des lois et des règlements.
Jusqu’à présent, dès que
les bourgmestres et échevins des villes étaient choisis pour six ans, ils se
trouvaient à cet égard tout à fait indépendants pendant toute cette période :
quand ils n’attachaient pas une grande importance à être renouvelés après leurs
six ans, ils pouvaient impunément se conduire mal envers leurs supérieurs ou
négliger l’exécution des lois, sans qu’on eût le droit de les révoquer ; le
service pouvait ainsi rester bien longtemps en souffrance, sans qu’on pût les
menacer de suspension ou de destitution. La nouvelle garantie qu’offre le
projet actuel dans ce droit de révocation étendu aux villes ne laisse donc plus
rien à désirer pour la pleine et entière observation des lois et décrets dans
la commune.
Si donc, pour satisfaire au
vœu de la constitution, le gouvernement doit désormais rester étranger à
l’élection des échevins, le projet de loi lui assure d’une autre part une large
compensation en l’armant du droit redoutable de suspension et de révocation
entre les bourgmestres et échevins des villes, droit qu’il n’a jamais possède
auparavant.
Le congrès national, en
votant leur élection directe, n’a aucunement entendu affaiblir le pouvoir
exécutif dans la commune ; mais il a pensé que chaque communauté d’habitants,
qui est l’être le plus intéressé à faire de bons choix, ferait en général moins
de mauvaises nominations que les commissaires de district, les gouverneurs et
les ministres qui ont aussi leurs partis, leurs coteries et leurs cabales, et
qu’ainsi l’élection directe, avec les précautions convenables, était le
meilleur moyen d’assurer mieux que jamais l’ordre, la paix et la prospérité
dans le royaume, comme de rendre en même temps le pouvoir exécutif
véritablement fort. Je dirai plus, quelle que puisse être la manière de voir de
quelques-uns de nous sur ce point, c’est autant pour eux que pour moi un devoir
impérieux de se rallier à ce système, puisque notre charte le veut, et que nous
sommes tous liés par le serment de l’observer ; au moins doivent-ils
reconnaître qu’il y aurait lieu d’attendre sur ce système constitutionnel les
enseignements d’une nouvelle expérience de plusieurs années, expérience déjà
commencée depuis 1830.
Le législateur du congrès
a, en effet, nécessairement entendu conserver le collège échevinal. Ne
l’oublions jamais, messieurs, il se voit de la discussion et des rapports faits
au sein de cette assemblée que le pouvoir communal a été créé pouvoir
constitutionnel, sur la même ligne que le pouvoir royal et le pouvoir
judiciaire, avec, toutefois, quelques modifications importantes. Et c’est ce
qui fut formellement sanctionné par le titre III de la constitution intitulé :
« des Pouvoirs, » article 31. Par l’article 108, n°2, il est conféré au
corps électif du conseil une attribution nouvelle pour tout ce qui est
d’intérêt communal sans distinction : mais le congrès qui connaissait déjà
l’institution des conseils, savait parfaitement qu’il est physiquement
impossible à un corps composé de dix à vingt-cinq membres de se livrer à
l’administration journalière et exécutive de la commune ; il entrait donc
nécessairement dans ses vues que la loi d’organisation devrait confier cette
administration à un plus petit nombre d’administrateurs délégués à cet effet ;
si donc le congrès n’a fait dans la constitution aucune mention du collège
échevinal, il n’est pas moins évident qu’il l’a maintenu d’une manière
implicite, et nous ajoutons qu’il est impossible qu’il ait voulu que cette
délégation appartînt à un seul membre, lequel encore serait nommé, comme le
propose le gouvernement, par le seul pouvoir exécutif exclusivement. On ne
pourrait supposer semblable intention au congrès sans admettre qu’il aurait
voulu, pour ainsi dire, rétablir les maires de l’empire.
Or, c’est là une
supposition tout aussi absurde qu’elle est injurieuse pour la représentation
nationale de 1830. Déjà en 1814, lors de notre séparation de la France, il n’y
eut qu’un cri de réprobation en Hollande comme en Belgique contre l’institution
des maires et les abus de la centralisation : en tout temps une pareille
institution a répugné aux mœurs des deux pays. La loi fondamentale de 1816 ne
manqua pas de faire justice de cette institution, et pas une seule voix ne
s’est élevée pour la défendre : dans toutes les provinces belges et
hollandaises les maires furent donc remplaces par le collège échevinal composé
des bourgmestres et échevins, et nous avons joui jusqu’à présent de cette
nouvelle institution.
Or, je le demande, n’est-ce
pas le comble de l’absurdité de supposer que notre congrès national aurait
voulu la rejeter pour rétrograder jusqu’au régime despotique de Napoléon et
ressusciter une institution proscrite depuis longues années et évidemment
incompatible d’ailleurs avec un gouvernement représentatif ?
En effet, messieurs, il est
de l’essence de tout système vraiment représentatif que tous les intérêts
soient représentés par plusieurs. C’est ainsi que les intérêts généraux sont représentés
dans les chambres par plus de 150 membres, et dans le gouvernement par
plusieurs ministres solidairement ; les intérêts des provinces par trente à
septante membres formant les conseils provinciaux, comme les intérêts de la
commune par le corps électif du conseil ou ses délégués. Or, certes, un intérêt
communal dans ses rapports avec une loi ou un arrêté qui doit lui être
appliqué, n’en demeure pas moins encore un intérêt communal, dont par
conséquent un seul ne peut être juge.
Le système de l’administration
d’un seul ou plutôt des maires de l’empire a donc évidemment été repoussé par
l’ancienne loi fondamentale comme par le régime actuel. Or, c’est cependant ce
même système, à peu de chose près, que le ministère ose vous proposer,
messieurs, lorsqu’il demande que vous accordiez à lui seul exclusivement la
nomination du bourgmestre, et que vous consentiez en même temps à conférer
aussi à ce dernier seul l’exécution des lois et arrêtes dans la commune.
Ouvrez, messieurs, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, les bulletins
des lois et décrets et les différents codes administratifs, vous verrez que
presque toutes les matières administratives de la commune ont été prévues et
réglementées par des lois, arrêtés et autres dispositions du pouvoir exécutif.
Cela est si palpable que tout le monde sait que la grande majeure partie des
fonctions journalières des administrateurs communaux ne consiste précisément
qu’à faire observer dans la localité ces lois, arrêtés et règlements :
attribuer toutes ces fonctions au bourgmestre seul, c’est concentrer entre ses
mains presque tout le pouvoir communal, c’est vouloir, comme nous l’avons dit,
la centralisation et les maires de l’empire ; c’est donc aussi réduire le
collège échevinal à un véritable simulacre, puisqu’en lui enlevant cette
attribution la plus importante de l’administration journalière, il
n’existerait, pour ainsi dire, plus que de nom.
Cette prétention
ministérielle étant une question de vie ou de mort pour nos franchises
communales, la chambre me permettra de faire ressortir ce que je viens
d’avancer par plusieurs exemples.
S’agit-il de mesures
générales pour protéger dans la commune l’agriculture, le commerce, les
manufactures, etc., le bourgmestre lui seul et de sa seule autorité se
constituerait juge des toutes les questions qui touchent immédiatement à
l’existence, ou à la ruine ou à la prospérité de toute une classe d’habitants,
de telle ou telle profession ou branche d’industrie, ou d’établissements
importants créés dans la commune ; et lorsque la réunion de toutes les lumières
serait évidemment indispensable pour prononcer sur toutes ces questions
éminemment d’un intérêt communal et souvent même très délicates, et emportant
avec elles la plus grande responsabilité, il arriverait qu’il serait en droit
de trancher seul toutes ces questions, d’après ses connaissances souvent
incomplètes, sinon quelquefois d’après ses préventions ou ses vues et ses
intérêts particuliers, et sans même être tenu de consulter le corps du conseil
ni aucun de ses collègues du collège échevinal.
Le gouvernement a-t-il
arrêté quelques mesures générales pour prévenir ou arrêter dans les communes
les progrès d’une maladie épidémique ou contagieuse : par exemple, le choléra ;
tandis que l’exécution de pareilles mesures dépend de mille et une
circonstances, qu’elle doit même se modifier ou varier dans tel ou tel quartier
de la même ville ou même selon les rues, les maisons, les professions, les
habitudes, le régime, les besoins des habitants, et que tout cela est
évidemment d’intérêt communal : dans tous ces cas encore, le bourgmestre
s’érigera seul maître de tous les moyens à employer, et les membres du conseil,
y compris les échevins qu’on peut regarder comme les véritables pères de la
commune, devront tout voir et se taire et même laisser périr en silence leurs
administrés, si les mesures ordonnées par le bourgmestre sont par lui mises à
exécution de manière à être nuisibles ou funestes à la santé publique, plutôt
que salutaires. On peut en dire autant de la vaccine et de toutes les mesures
de salubrité publique dont l’administration supérieure a cru ou croira devoir
s’occuper.
S’agira-t-il de baux de
biens de communes, de baux à longues années, d’échanges, d’emprunts,
d’acquisitions, de transactions au profit de la commune, bien qu’il soit
incontestable que chacune de ces affaires est d’intérêt communal ; comme il
existe une foule d’arrêtés et décrets qui règlent leur instruction, les
formalités à remplir et le mode d’exécution, le bourgmestre, en vertu de
l’article qui confère à lui seul l’exécution des lois et arrêtés, s’emparera de
toutes ces affaires à l’exclusion de ses collègues. Seulement le conseil aura
une simple délibération à donner ; mais l’instruction d’où dépend souvent la
bonne direction et la réussite d’une affaire, l’enquête de commodo,
la levée des plans, les expertises, le recours public exigé par les décrets,
tout cela appartiendra au bourgmestre, et les véritables représentants de la
commune n’auront pas le mot à y dire. (Lois des 3 décembre 1790, 10 août 1791,2
prairial an X, etc.)
S’agit-il encore de
l’exécution du décret de décembre 1809 relatif aux fabriques d’église, et des
articles organiques dans leurs rapports avec la commune, le bourgmestre sera en
droit de dire que tout cela le regarde exclusivement, sauf seulement, en
certains cas assez rares, l’avis du conseil municipal.
Comme tous ces décrets de
l’empire appartiennent à une époque où le gouvernement cherchait à réduire et
même à rendre presque nulle l’autorité des conseils municipaux, à une époque où
il fallait même attendre l’autorisation du préfet pour qu’ils puissent
s’assembler, on sent que toute cette législation impériale a rendu le plus
rares possible les occasions où l’avis du conseil est nécessaire, en sorte que,
sauf certains cas déterminés par la loi actuelle, son intervention deviendrait
presque insignifiante.
Le bourgmestre revendiquera
aussi pour lui seul l’exécution des lois, décrets et arrêtés concernant les
octrois des villes. Ainsi, dans une matière qui offre souvent une complication
d’intérêts opposés entre les habitants et diverses professions, et d’où dépend
souvent la cherté ou le bon marché des objets de première nécessité dans la
commune ; dans une matière où l’intérêt communal est presque le seul dominant,
les échevins administrateurs nés de la communauté, devront aussi abandonner
cette exécution au bourgmestre seul ; c’est la loi du 27 frimaire an VIII qui a
d’abord organisé les octrois des villes.
On peut dire la même chose
de l’exécution des lois, décrets et arrêtés relatifs au cadastre pour leur
application à la commune et à chacune des propriétés des habitants, comme aussi
de ceux qui ont rapport aux contributions à leur assiette, à l’expertise, à la
classification de la commune, etc., quoique ces objets soient certainement aussi
d’intérêt communal ; le collège échevinal y resterait donc étranger.
Tout ce qui tient dans
chaque localité à la sûreté, à la moralité des habitants, en matière de police,
sera du ressort exclusif du bourgmestre, sous prétexte que cette matière est prévue
par des décrets et arrêtés.
Sous le même prétexte, tout
ce qui est relatif à la mendicité, aux poids et mesures, aux enfants trouvés
dans la commune, aux fêtes publiques de la ville, aux spectacles, etc., lui
appartiendra à lui seul. Les tableaux mêmes de population, ordonnés par la loi
du 19 juillet 1790, seront aussi par le même motif dans ses attributions, à
l’exclusion de ses collègues.
Par la même raison, il
faudra laisser, à lui seul, toute l’exécution de cette foule de lois, décrets,
arrêtés, relatifs aux hospices et aux bureaux de bienfaisance, dans leurs
rapports avec les établissements de la commune et l’administration locale.
Il aura également, sous sa
seule autorité, tout de qui regarde les brevets d’ouvriers, puisqu’une loi a
aussi réglementé cet objet. Il sera seul juge des différents en cette matière,
et par conséquent, seul maître du sort de l’ouvrier et du fabricant.
Dans les communes devenues
propriétaires de leur cimetière, ou dans celles dont la population en exige un
nouveau, à lui seul encore appartiendra le droit de choisir l’endroit où il
doit être établi, puisque c’est en exécution d’un décret qu’il y a lieu de le
placer dans un endroit élevé et le mieux exposé au nord ; à lui seul
appartiendra aussi de faire des plantations sur le cimetière communal, puisque
ces plantations sont ordonnées par le même décret.
Un décret s’occupe de même
des plantations à faire sur les chemins vicinaux de la commune ; par
conséquent, ce sera toujours au bourgmestre seul qu’il faudra en confier le soin,
à l’exclusion des échevins ; lui seul aura donc également le droit de régler
aussi les distances.
Une loi du 26 germinal an
XI prévoit le cas d’une répartition à faire de la contribution d’un bien
communal entre les habitants qui en jouissent : par conséquent, cette
répartition, qui exige une connaissance du degré d’aisance de chaque habitant
et de bien d’autres connaissances locales, sera faite par le bourgmestre seul.
Il en est de même des restitutions et distributions à faire en vertu d’arrêtés
ou lois entre les habitants.
La commune, informée de
l’arrivée du Roi, veut-elle lui faire des honneurs et régler ce qui les
concerne ; le bourgmestre, un décret de l’empire à la main, aura le droit
d’inviter ses collègues, les échevins et les conseillers, à ne point s’occuper
de cette affaire, puisque le cérémonial et d’autres mesures convenables sont
aussi prévus par ce décret. Certes, on n’oserait contester que cette affaire ne
soit cependant d’intérêt communal, et partant du ressort du collège comme du
conseil.
Il y a peu de temps, vous
avez décrété que les villes où sont placées les universités devraient supporter
les réparations et constructions à faire aux bâtiments destinés à cet usage.
Puisqu’il s’agit de l’exécution d’une loi, dira toujours le bourgmestre, cet
objet me regarde exclusivement.
Enfin, je croirais abuser
du temps précieux de la chambre, si je continuais l’énumération de tant
d’exemples dont le détail est, on peut dire, innombrable.
Mais je vous en ai assez
présenté, je l’espère, pour démonter qu’il est de fait que toute ou presque
toute l’administration d’une commune consiste dans l’application aux intérêts
communaux de ce nombre infini de lois, décrets, arrêtes, ordonnances qui
embrassent tout à la fois l’intérêt générai et communal ; qu’ainsi en remettre,
comme le demande le gouvernement, l’exécution dans la commune au bourgmestre
seul, c’est réellement le constituer seul administrateur de la communauté,
c’est pareillement dépouiller le collège échevinal de ses attributions
essentielles et ne lui donner à peu près qu’une existence nominale.
Or, c’est véritablement se
jouer de la constitution que de prétendre que c’est à ce prix qu’elle a voulu
l’élévation directe des membres de ce collège ; tout étant réglementé par ces
lois et arrêtés, il ne leur resterait, en effet, pour ainsi dire, qu’à rester
spectateurs oisifs de M. le bourgmestre, comme le sont les adjoints aux maires
de France ; cependant vous l’avez vu, messieurs, le congrès national n’a voulu
ni pu vouloir le rétablissement du régime de l’administration d’un seul. Dans
toutes les affaires administratives dont je viens de tracer le tableau, il est
évident que c’est même plutôt l’intérêt communal qui domine à côté de l’intérêt
général, ou, au moins, l’un et l’autre sont sur la même ligne ; or, vous ne
pourriez remettre à un seul exclusivement l’administration des intérêts de la
communauté sans enfreindre la constitution, qui déclare (art. 108) que tout ce
qui est d’intérêt communal est attribué au conseil, ou à ceux présumés délégués
par lui ou les électeurs.
Au Roi appartient le
pouvoir exécutif ; mais, ajoute l’art. 29, « tel qu’il est réglé par la
constitution ; » or, la constitution s’oppose clairement à ce qu’un seul
soit maître de presque toutes les affaires administratives de la commune, ce
qui arriverait nécessairement, puisque l’application de la loi et des arrêtés
aux intérêts de localité forme à elle seule la presque totalité de ces
affaires. Mais rappelons-nous que, si à cause de l’intérêt communal qui y
domine, ou qui s’y trouve confondu avec l’intérêt général, leur gestion doit
d’abord être déférée à un corps électif, cet intérêt général est, comme nous
l’avons vu, protégé et défendu à son tour de la manière la plus efficace par
l’action puissante qui est donnée à l’administration supérieure et au
gouvernement contre les personnes et les actes de ce corps, tant par la
constitution que par les autres moyens dont la loi actuelle arme cette autorité
supérieure.
L’intérêt général est donc,
au vrai, représenté dans la commune par cette action puissante et protectrice,
comme l’intérêt communal par le corps de conseillers ou le collège échevinal.
Chaque intérêt devant être en même temps représenté dans toutes ces affaires,
on doit rejeter tout système qui absorberait l’un au profit de l’autre.
Tous deux devant être
intimement unis et ne former qu’un ensemble dans l’Etat, c’est une théorie
absurde de vouloir les séparer et de prétendre donner à un administrateur
distinct à l’un et un administrateur séparé à l’autre ; cette théorie absurde,
sous un régime représentatif, devient même impraticable, puisque l’application
à la commune des lois et arrêtés dont s’agit étant d’un intérêt mixte, elle
est, par sa nature, indivisible ; mais comme elle ne peut constitutionnellement
appartenir à un seul, il y a lieu de la confier à un corps composé de
plusieurs.
La majorité de ce corps
assure l’unité d’action aussi bien que la volonté d’un seul administrateur sous
un gouvernement purement monarchique.
On perd sans cesse de vue
que le pouvoir communal n’est point une délégation du pouvoir exécutif, mais
qu’à la différence de ce qui existe en France, il est en Belgique un pouvoir
constitutionnel distinct du pouvoir exécutif.
C’est la constitution elle-même
qui a statué que son personnel se composerait principalement d’éléments
populaires, en consacrant l’élection directe de tous les magistrats de la
commune, à l’exception seulement du chef pour lequel elle permet l’intervention
du pouvoir exécutif. Notre loi fondamentale ayant de cette manière établi
elle-même l’homogénéité du personnel, chercher ailleurs l’homogénéité, c’est
faire de la vaine théorie.
Mais en même temps qu’elle
veut l’élection directe des conseillers et des échevins, la constitution a
pourvu, par quelques dispositions, à faire maintenir l’équilibre entre ces deux
pouvoirs, et notamment à empêcher que la commune puisse en aucun cas prévaloir
sur l’Etat en donnant à celui-ci les droits d’approbation et d’annulation des
actes de l’administration communale ; et, en outre (nous ne pouvons trop le
rappeler ici) le projet d’organisation lui donne encore et le droit de
révocation et le droit de faire lui-même exécuter ses mesures au cas de
négligence ou de mauvais vouloir du corps municipal. L’élection directe ou
plutôt l’élément populaire, ainsi combiné et uni avec l’élément gouvernemental,
forment donc l’homogénéité du pouvoir communal, telle que l’a voulue notre
constitution.
Dans un état représentatif,
c’est une utopie que de vouloir chercher l’homogénéité exclusivement dans un
seul de ces éléments, puisque l’action de l’un doit toujours pouvoir être
contrebalancée par l’autre. L’homogénéité ne peut donc jamais résulter que
d’une union sagement combinée entre eux, conformément aux principes établis par
la charte.
En supposant même que
certains inconvénients seraient attachés à ce système constitutionnel, il
faudrait dire qu’ils ne sont que la suite du régime représentatif adopté en
Belgique, et l’on ne pourrait en accuser que la constitution elle-même. Mais
toutes les formes possibles de gouvernement ont leurs inconvénients. Est-ce là
un motif pour les rejeter ? Il faut dans ce cas savoir les supporter pour
l’amour de l’ordre et de la patrie.
Ce système du ministère qui
voudrait donner au bourgmestre seul toutes ces attributions mixtes, tend
évidemment à asservir au profit du gouvernement toutes les branches de chaque
administration locale. Pour faire ressortir tout le despotisme que cache ce
système, nous rappellerons ce qu’on disait du gouvernement impérial. Napoléon
donnait un ordre au ministre, qui le donnait au préfet, qui le donnait au
maire, qui le donnait au garde champêtre. Cet obscur fonctionnaire était donc
l’empereur même. Si le citoyen était lésé, il remettait sa plainte au maire qui
la faisait passer au préfet, et ainsi de suite jusqu’à l’empereur. D’après
cette organisation, l’ordre n’avait donc pour juge en définitive que celui-là
même qui l’avait donné.
Or, messieurs, nous n’avons
que les noms à changer pour retrouver à peu près le même système dans la
proposition ministérielle. Toutes les fois que l’intervention du conseil
communal ou provincial ne sera point formellement autorisée, et qu’il s’agira
d’appliquer aux intérêts communaux une disposition de lois, de décrets, arrêtés,
ou règlements (et notez bien que toute l’administration même journalière d’une
commune ne consiste guère qu’en cela), le Roi constitutionnel des Belges
donnera pour l’exécution un ordre ou une instruction au ministre, qui le
donnera au gouverneur, qui le donnera au bourgmestre, qui le donnera au garde
champêtre qui devient ainsi le gouvernement lui-même, organe de sa volonté, et
dépositaire de sa force. Le citoyen belge veut-il réclamer contre cet ordre ou
cette instruction ? Le bourgmestre étant seul et exclusivement chargé de cette
exécution dans la commune, ce citoyen devra s’adresser à ce fonctionnaire qui,
par l’intermédiaire des gouverneurs et des ministres, fera parvenir sa
réclamation au gouvernement. Et, au résultat, le chef constitutionnel de l’Etat
sera ainsi comme l’empereur, seul juge de son ordre ou de son instruction ; il
sera seul juge d’une question d’intérêt communal d’où dépendra peut-être la
fortune d’un citoyen, ou le sort de toute ou partie d’une ville ou d’un
village, et tout cela sans que les représentants de la commune ni les
représentants de la province aient même eu le droit de se faire entendre. Le
Roi, ou ses ministres, pourront leur dire : Nous avons usé de notre droit ; la
loi que les chambres ont votée vous défend absolument toute intervention dans
ces sortes d’affaires.
Non, messieurs, je ne puis
croire que vous aurez jamais la faiblesse de voter une semblable loi ; votre
serment à la constitution m’en est un sûr garant. On veut vous faire substituer
au régime représentatif le gouvernement de la force brute. A-t-on oublié que ce
système de centralisation, qui a longtemps pesé sur toute
Au surplus,
Ces expressions,
« d’après les principes établis par la constitution, » signifient
simplement que dans leurs dispositions ces conseils doivent eux-mêmes observer
les principes de la constitution : par exemple, qu’ils ne peuvent, même dans
les matières purement communales, porter aucune atteinte aux droits
constitutionnels des Belges ; qu’ils ne pourraient consentir d’eux-mêmes un
changement de limites de commune ou section de commune (art. 3).
Mais il faut bien le
remarquer, messieurs, ce mot « exclusivement » ne se trouve point
répété dans l’art. 108, n°2, qui d’une manière générale et sans aucune
distinction attribue aux conseils tout ce qui est d’intérêt communal, en
ajoutant toutefois dans ce même n° et dans le n°5 des modifications très
importantes, parce qu’en effet, dans cette attribution de tout ce qui est
d’intérêt communal se trouvent nécessairement comprises des affaires qui se
rattachent plus ou moins à l’intérêt général, telles que l’application des lois
et arrêtés à chaque localité, et qu’il importait à cet égard de prévoir
plusieurs moyens de précaution contre l’administration exécutive du corps
électif. L’entendre autrement, ce serait s’arrêter à l’écorce des mots, ce
serait attribuer au congrès national l’intention d’avoir voulu réduire presqu’à
zéro le pouvoir constitutionnel de la commune, ce qui est évidemment
inadmissible.
Du reste, lorsque la
commune applique une disposition de lois ou d’arrêtés à un intérêt de localité,
comme lorsque le juge civil applique aussi une loi ou un décret à une cause d’intérêt
privé dans les deux cas, bien que ces lois et décrets soient en eux-mêmes des
actes d’intérêt général, si le jugement d’application par le tribunal n’est
plus réellement qu’un acte purement d’intérêt privé, le jugement d’application
par la commune peut aussi lui-même être considéré comme un acte purement
d’intérêt communal ; tous deux agissent ainsi sous la surveillance immédiate
d’agents du gouvernement, les procureurs du Roi et les commissaires de
districts, avec cette différence cependant que la liberté de la commune est
considérablement limitée par les mesures de précaution dont nous avons parlé.
D’ailleurs, il ne serait
pas étonnant qu’il y ait eu ici une inexactitude dans la rédaction comme on en
rencontre plusieurs dans la constitution. C’est ainsi, par exemple, que dans le
n° 1 de l’art. 108, on suppose que les commissaires du gouvernement près les
conseils provinciaux pourraient être soumis à l’élection directe du peuple ; ce
qui est une absurdité saillante, car si ces commissaires étaient choisis par
les électeurs, ils ne seraient plus les commissaires du gouvernement, mais bien
les commissaires du peuple.
Au surplus, ce n’est point
aux conseils communaux qu’il est question ici de conférer l’exécution des lois
et arrêtés dans la commune, mais au collège échevinal.
Aux termes du n° 1 de
l’art. 108, les administrations doivent avoir un chef ; mais les bourgmestres,
tels que les désire le gouvernement, avec autant d’attributions, seraient plus
que les chefs, ils seraient les maîtres de l’administration : nommés et
révoqués par le Roi, ils ne seraient réellement que des commissaires du
gouvernement, et l’on verrait ainsi dans chacun d’eux autant de
sous-commissaires de districts près de toutes les communes.
Tandis que le pouvoir
constitutionnel de la commune doit être unique et indivisible, il y en aurait
cependant deux distincts avec chacun leurs représentants : l’un, enveloppant
tout ce qui tient à l’exécution ou plutôt à l’application des lois et arrêtés
et règlements, appartiendrait au bourgmestre seul ; l’autre, comprenant
seulement ce qui n’a point été prévu ou réglementé par ces lois, décrets, etc.
(et l’on conçoit que très peu d’objets ont échappé à l’esprit de centralisation
des gouvernements de l’empire et de Guillaume), serait dévolu au collège
échevinal ou au conseil.
Mais de cet ordre de choses
naîtraient infailliblement des conflits ou des luttes perpétuelles entre cette
espèce de bourgmestre et les échevins et les conseils. Ceux-ci, s’appuyant sur
le texte formel de la constitution, soutiendront que telle affaire est de leur
compétence, puisque, bien qu’elle se rattache à l’exécution d’une loi ou
décret, elle n’en est pas moins évidemment d’un intérêt communal ; le
bourgmestre au contraire prétendrait attirer à lui seul tout ce qui se rapporte
à cette exécution, attendu que l’intérêt général y est compromis : par exemple,
quoiqu’un décret ait réglé le cérémonial relatif à la réception du Roi dans une
commune, il est palpable que cette affaire est toute d’intérêt communal, et que
nonobstant même la loi qui attribuerait au bourgmestre seul l’exécution des
décrets, le conseil pourrait dire que cette loi n’a pu lui enlever un droit
constitutionnel, et par suite on le verrait s’emparer de cette affaire
nonobstant les réclamations du bourgmestre, et régler lui-même le cérémonial et
les honneurs à rendre à sa majesté.
On tomberait donc dans les
plus graves inconvénients en divisant ainsi des attributions naturellement
indivisibles, et qui par conséquent doivent toujours demeurer inséparables, soit
que l’on adopte le système de l’administration d’un seul comme sous le régime
purement monarchique, soit que l’on admette le système de l’administration de
plusieurs comme en Belgique sous un régime vraiment représentatif. Pour faire
la juste part de chacun, il faudrait distinguer dans chaque disposition ce
qu’il y a d’intérêt communal d’un côté, et de l’autre ce qu’il y a d’intérêt
général ; ce qui serait interminable ou plutôt impossible dans la pratique.
Toute la législation de
l’empire ayant été faite pour l’administration d’un seul, comme si la commune
n’avait point ses propres représentants, il serait nécessaire d’opérer la
révision de toute cette législation, afin au moins, s’il était possible, de
faire une part quelconque au corps électif chargé par la constitution de
représenter l’intérêt communal. Tel fut en effet l’esprit d’envahissement du
gouvernement impérial, comme de celui de Guillaume, que l’un et l’autre ont
réglementé, comme on vient de le voir, toutes les affaires possibles, même de
pur intérêt communal.
Au surplus, il y a à
craindre également que le gouvernement actuel, qui a la même tendance, ne
multiplie aussi ses ordonnances et règlements sur cette matière, dans la vue
d’augmenter toujours les attributions de son prétendu agent le bourgmestre, et
de réduire davantage encore celles du collège échevinal : effectivement, outre
certaines attributions données en termes formels par le projet de loi au
conseil et au collège échevinal, attributions qui ne sont point limitatives,
toute personne qui a quelque expérience dans l’administration d’une commune,
sait parfaitement qu’il existe des milliers d’autres affaires administratives
qui ne sont et ne peuvent être prévues, notamment pour ce qui concerne
l’administration journalière. Il y aurait donc toujours pour le ministère ample
matière pour réglementer sous prétexte d’intérêt public et par forme de mesure
d’administration générale.
On peut même prétendre
rigoureusement que tout est d’intérêt général, car on peut dire que l’existence
et le bien-être de chaque citoyen dans la commune intéressent aussi la société
tout entière, et que sous ce rapport rien ne peut être étranger à l’Etat. Dans
ce système le gouvernement pourrait donc se rendre maître de toutes les
affaires communales, et, par ce moyen, anéantir peu à peu le pouvoir
constitutionnel de la commune.
M. le ministre a avancé
dans son exposé des motifs que les fonctionnaires qui représentent le
gouvernement pour les intérêts généraux, doivent tenir leur nomination de lui
seul. On peut lui rétorquer ainsi l’argument : les fonctionnaires qui
représentent l’intérêt communal doivent de même être nommés par la commune
seule, et par conséquent le bourgmestre, chargé lui-même aussi des affaires
d’intérêt communal, ne devrait tenir son mandat que des électeurs et non du
gouvernement. Le ministre confond ici le principe qu’il faut admettre pour les
fonctionnaires du gouvernement en général avec celui qu’il faut spécialement
adopter pour les fonctionnaires du pouvoir communal, pouvoir essentiellement mixte
qui exige conséquemment d’autres règles. L’indivisibilité de ce pouvoir est un
obstacle insurmontable à ce que chaque intérêt qu’il embrasse ait son
représentant particulier, et entièrement indépendant l’un de l’autre : il faut
dès lors s’arrêter au système de conciliation établi par la constitution, et
d’après lequel les affaires d’intérêt communal ou mixte sont d’abord confiés
ensemble au bourgmestre et aux élus ou plutôt aux pères de la commune, mais en
leur imposant un frein et des conditions tels qu’il est moralement impossible
qu’ils blessent des intérêts généraux. Au résultat, d’après ce système, force
doit toujours demeurer à l’autorité supérieure, puisqu’à défaut par la commune
d’agir, elle peut même, aux frais de celle-ci, y faire exécuter par ses
commissaires toute mesure d’administration générale.
Aux termes de l’art. 66 de
la constitution, le Roi nomme aux emplois d’administration générale. Mais
l’administration communale n’est évidemment pas l’administration générale ; ce
sont deux choses tout à fait distinctes. Depuis près de 40 ans que les lois et
décrets ont successivement réglementé même les affaires d’intérêt privé de la
commune, l’on a ainsi donné à son administration un caractère mixte. L’on est
d’accord que le pouvoir communal comprend ce qui concerne les affaires
intérieures et domestiques de la commune. Mais de ce qu’il a plu aux
gouvernements de les envelopper presque toutes dans des dispositions générales,
il ne s’ensuit aucunement que la question de leur application à chaque localité
ait cessé d’être en même temps d’un intérêt communal. L’emploi des bourgmestre
et échevins, en ce qui touche l’exécution de ces dispositions, n’est donc pas
un emploi d’administration générale proprement dit, et tel qu’il est prévu par
l’art. 66.
Mais supposons gratuitement
qu’on puisse invoquer cet article, il faudrait ici admettre l’exception qu’il
autorise par ces termes : « sauf les exceptions établies par la
loi, » par la raison que cette exception serait absolument indispensable
pour donner une existence réelle au pouvoir constitutionnel de la commune.
Jamais une exception n’aurait été plus nécessaire, puisqu’elle aurait pour
effet d’empêcher que l’un des pouvoirs constitutionnels, le pouvoir exécutif,
n’efface et n’absorbe presque entièrement l’autre, le pouvoir communal et cela
lorsque déjà celui-ci, limité comme il l’est, et placé, pour son personnel et
ses actes, dans la dépendance de celui-là, ne saurait jamais lui porter une
atteinte grave.
Une volonté unique, qui est
le résultat de la majorité du collège échevinal, garantit également
l’uniformité d’exécution des lois et arrêtés, ainsi que d’ailleurs nous l’avons
vu jusqu’à présent.
D’après l’esprit comme le
texte de la constitution, tout le pouvoir communal résidant dans le conseil, il
s’ensuit que cette exécution qui renferme elle-même des questions d’intérêt
communal appartient de droit à ce corps chargé généralement de tout ce qui est
d’intérêt communal ; mais, ne pouvant exercer lui-même ce droit
constitutionnel, la nature des choses veut que cette mission soit confiée à
quelques membres qui en font partie. Il n’est donc pas vrai de dire que le
conseil doit être absolument assimilé à un corps législatif.
Constitutionnellement, il en est de même du droit de régler ce qui concerne
cette exécution, ainsi que l’administration journalière sous les restrictions
ordinaires, et, si, dans le fait, il ne s’immisce point et ne peut s’immiscer
dans cette exécution elle-même et cette administration, ce n’est point parce
qu’il n’en a pas le droit d’après la constitution, mais parce que dans la
pratique cette tâche lui est physiquement impossible, Du reste, ses actes à
l’effet de régler l’exécution peuvent être préalablement soumis à l’approbation
de l’autorité supérieure.
Mais qu’on veuille bien ne
pas exagérer les conséquences de notre système. Nous ne prétendons pas que tout
ce qui intéresse le citoyen habitant une commune du royaume est d’intérêt
communal et par suite soumis au pouvoir communal. Nous disons qu’il faut
distinguer entre les lois et arrêtés qui atteignent le citoyen belge comme
citoyen du royaume et celles qui le concernent comme membre d’une communauté
d’habitants on plutôt comme membre de la petite famille. Au premier cas, c’est
à des fonctionnaires nommés par le Roi seul qu’il faut remettre leur exécution
: telles sont, par exemple, les lois d’impôt, d’enregistrement, de droit de
succession, de douanes, etc. Au second cas, l’application de la loi ou de
l’arrêté aux personnes ou aux chose de la commune étant essentiellement pour
elle une affaire intérieure et domestique, elle revient de droit à ses
représentants nés, avec néanmoins cette grande part d’action qui est donnée à
l’autorité supérieure contre leurs personnes et leurs actes et sous la
surveillance des agents de cette autorité.
Par exemple, dans la loi
sur la milice nationale que l’on croirait au premier abord entièrement
d’intérêt général, le législateur y a compris des dispositions qui
appartiennent aux deux catégories ci-dessus rappelées. Dès qu’il s’agit de
réclamations et d’exemptions qui intéressent le milicien comme membre de la
commune, la loi veut qu’il soit prononcé non par le bourgmestre seul, mais par
plusieurs membres de l’administration et elle veut même que chaque année le
conseil désigne ceux de ses membres qui seront chargés ensemble d’examiner ces
affaires et de signer les actes nécessaires, par ce motif évident que la
question d’exemption et autres de cette nature dépendent de la connaissance
locale de cent et une circonstances relatives à la position de chaque administré,
et qu’elles intéressent au plus haut degré toutes et chacune des familles en
particulier auxquelles appartiennent les autres miliciens non réclamants. Le
législateur s’est montré conséquent avec l’ancienne loi fondamentale en
attribuant aux représentants communaux l’exécution de cette branche de la loi,
qui est manifestement d’intérêt communal quoi qu’elle se lie nécessairement à
l’intérêt général.
Eh bien ! d’après les lois françaises
sous l’empire comme encore aujourd’hui, c’est le maire seul qui est juge de ces
affaires et qui délivre les certificats. Or, messieurs, c’est précisément
l’exécution de toutes les lois et ordonnances de cette espèce, qui ont été
faites pour un pays voisin où l’on n’a jamais connu de véritable pouvoir
communal, et où par conséquent toutes les questions qui l’intéressent ont été
dévolues au gouvernement lui seul et à ses agents exclusivement ; c’est,
dis-je, l’exécution de pareils lois et décrets dans la commune qu’on voudrait
remettre au bourgmestre seul, comme si nous n’avions pas une constitution
belge, comme si
Les ministres nous
parleront-ils de leur responsabilité vis-à-vis des chambres ? Mais cette
responsabilité, dans notre système, reste dans toute sa force, et elle devient
même d’autant plus grande que nous augmentons les moyens de l’administration
intérieure contre les personnes et les actes du collège échevinal. Les
ministres seront responsables de la non-exécution des lois et arrêtés toutes
les fois qu’ils n’auront pas fait usage de ces moyens. Ainsi la responsabilité
aura lieu lorsque l’administration locale n’exécutant point la loi ou l’arrêté
par négligence ou autrement, l’autorité supérieure aura aussi négligé d’user du
droit de les faire exécuter elle-même sans le concours de la commune,
lorsqu’elle n’aura point donné ou fait observer elle-même les ordres et les
instructions nécessaires. L’autorité supérieure sera responsable lorsqu’elle
aura souffert des abus de pouvoir ou des désordres dans la commune sans annuler
en temps les actes de l’administration contraires aux lois et à l’ordre public
; lorsqu’elle aura négligé de requérir l’approbation de ses actes ou les
autorisations nécessaires dans les cas détermines par la loi ; lorsqu’elle aura
toléré des négligences graves, des inconduites notoires, des désobéissances,
des prévarications et toute espèce de résistance sans provoquer la suspension
ou la révocation ; lorsque dans une commune elle aura elle-même semé la
mésintelligence et le mécontentement général, et rendu ainsi l’administration
très difficile, si point impossible par suite du mauvais choix qu’elle aura
fait d’un bourgmestre dans le conseil, soi que notoirement il appartienne à la
minorité de ce corps, ou qu’il ne réunisse aucune des conditions évidemment
indispensables pour obtenir l’ordre et la bonne harmonie. L’autorité supérieure
sera enfin responsable lorsqu’elle n’aura point fait surveillé, comme il convient,
les administrations locales, par tous es agents : tels que les gouverneurs, les
commissaires de district, etc.
Si c’est sincèrement que
nos ministres veuillent la responsabilité, qu’ils se tranquillisent donc : dans
tous ces cas et une infinité d’autres, ils auront à rendre compte aux chambres
de leur conduite, et ils n’échapperont pas à cette responsabilité qui,
d’ailleurs, acquiert maintenant un nouveau degré d’importance, depuis que le
droit de révocation et de suspension est étendu aux bourgmestres et échevins
des villes.
M. le ministre dit encore
que le nouveau système qu’il propose est celui qu’on a adopté pour la province
: cette assertion est erronée. La loi provinciale ne contient aucun article qui
attribuerait au gouverneur seul la connaissance de toutes les questions
d’intérêt provincial dans ses rapports avec l’exécution d’une loi ou d’un
arrêté. Il va sans dire que la représentation provinciale, pas plus que la
représentation communale, n’ont aucun droit d’intervenir dans l’exécution des
lois et décrets de pur intérêt général et étrangers aux intérêts communaux et
provinciaux. Mais quant aux lois et décrets d’un intérêt mixte, et qui
embrassent en même temps l’intérêt général et l’intérêt particulier de chaque
province, il y a les mêmes raisons constitutionnelles pour que la
représentation provinciale ait le droit d’intervenir et d’être entendue dans
leur exécution, ou plutôt dans leur application aux intérêts particuliers de la
province : c’est ainsi que la loi provinciale statue d’ailleurs expressément
que la députation des conseils intervient dans l’exécution des lois et arrêtés
où son intervention est requise. Or cette intervention est requise de droit dès
qu’il s’agit d’une question qui est aussi d’intérêt provincial, bien qu’elle se
rattache à l’intérêt général.
Le gouvernement avait même
ajouté dans son projet de loi provinciale : « Et spécialement en ce qui
concerne les lois relative aux manufactures, à l’agriculture, au commerce, aux
hospices, bureaux de bienfaisance ; » mais cette énumération fut
retranchée comme inutile par la chambre attendu qu’en effet, la législation qui
concerne tous ces objets est aussi d’intérêt provincial, et que dès lors
l’intervention de la députation provinciale ne peut être mise en doute aux
termes de l’art. 108, n°2, de la constitution, également applicable à la
commune,
Mais, a-t-on objecté, le
bourgmestre, tel que vous le voulez, ne sera plus le chef de l’administration
mais tout au plus le président. Je réponds que, de bonne foi, on ne peut
soutenir qu’en se servant de l’expression chef dans l’article 108 le congrès
national avait eu l’intention d’étendre les attributions du bourgmestre au
point de dépouiller pour lui le collège échevinal de ses attributions les plus
essentielles sans lesquelles on peut dire que ce corps n’aurait point
d’existence réelle. Précédemment, le bourgmestre était toujours considéré comme
le chef de l’administration quoiqu’il n’ait jamais eu les attributions
exorbitantes qu’on voudrait lui donner, et il est naturel de penser que le congrès
l’a envisagé de la même manière. Le bourgmestre faisait, comme encore en ce
moment, les fonctions de président ; il dirigeait les travaux et les
délibérations de chaque assemblée : de plus, dans le plat pays, il a à lui seul
des attributions qu’il exerce certainement comme chef, et il n’y aurait pas
d’inconvénients à les lui laisser au moins en partie ; elles sont prévues par
les articles par les articles 52, 53, 54, 56, 79 et 82 du règlement en vigueur.
Ce sont tous actes qui, ne pouvant de leur nature s’exercer par un corps,
doivent convenablement être laissés à son chef : de même que le conseil ne
pouvant se charger lui-même de l’administration journalière, cette
administration doit nécessairement appartenir à quelques membres seulement
faisant partie de ce corps, de même le collège échevinal ne pouvant par
lui-même faire certains actes, il y a lieu d’en remettre le soin à son chef.
Or, remarquez le bien, dans tous ces cas prévus par les règlements, il n’est
aucunement question de l’exécution des lois et arrêtés qui, au contraire, est
positivement déférée par les articles 98 et 76 au collège échevinal et non au
bourgmestre seul.
Au total, le système que
nous voulons, n’est donc sous ce rapport que la continuation du régime de
Guillaume, sauf seulement la réforme que le pays a obtenue dans l’élection
directe des magistrats de la commune : il a pour lui une longue expérience, et
depuis cinq ans il a même subi l’épreuve de l’élection directe. Si, de bonne
foi, on peut dire que cette expérience ne suffit pas, qu’on veuille attendre au
moins encore quelques années, sans vouloir, dès à présent, sous prétexte de
dangers imaginaires, arracher à nos communes la plus précieuse de leurs
franchises.
Je doute qu’elles
souffriraient longtemps en silence cette usurpation du pouvoir exécutif : les
nombreuses pétitions qu’elles ont adressées à la chambre doivent être pour
celui-ci un avertissement qu’il comprendra, nous aimons à le croire.
Gardons-nous, messieurs, de faire injure au caractère belge ; la rébellion
administrative n’est point dans ses mœurs ; et, du reste, il y est même pourvu
tant par l’exécution forcée de la loi dans la commune au moyen de commissaires
envoyés à cette fin, que par le droit de révocation qui menace à chaque moment
nos magistrats et le droit d’annulation de leurs actes qui seraient contraires
aux lois et à l’ordre public.
Mais, que dis-je ? le
système que je défends est celui qui déjà a été adopté par les chambres contre
les prétentions du gouvernement. Il voulait dans son premier projet charger
aussi le bourgmestre seul de l’exécution des lois et arrêtés, en consentant
même à ce que le conseil présentât une liste pour les échevins ; la chambre et
le sénat n’ont pas voulu de ce système, et ils ont adopté l’art. 101, ainsi
conçu : « Les bourgmestre et échevins veillent à l’exécution des lois,
ordonnances et arrêtés de l’administration générale, sauf les cas où la loi,
l’ordonnance ou l’arrêté, confierait au bourgmestre seul le soin de son
exécution. »
Nous avons démontré à
satiété que l’élection directe des échevins ne peut être un motif pour ôter
cette attribution au collège échevinal : nous espérons que la chambre saura
maintenir cette opinion.
Mais notre tâche ne serait
point remplie, si nous n’ajoutions sur ce point une dernière réflexion.
La versatilité du
gouvernement dans cette discussion a été telle jusqu’ici qu’il ne serait pas
impossible qu’après avoir lui-même consenti leur élection directe, et
reconnaissant toute son impuissance pour les dépouiller de leurs attributions
actuelles, il veuille bientôt contester de nouveau ce mode de nomination et
revenir à son premier système.
D’abord il y aurait lieu
d’être plus que surpris de voir que le gouvernement, après avoir été battu
trois fois sur ce terrain par trois votes solennels de la chambre, voulût
retirer lui-même sa propre proposition de donner directement aux électeurs la
nomination des échevins.
Toutes les sections et la
section centrale ont adopté à l’unanimité cette proposition, et je ne doute pas
qu’elles sauraient maintenir leur décision.
Le texte de la constitution
est clair et précis ; il n’y a d’exception au principe de l’élection directe
des magistrats de la commune qu’à l’égard « des chefs des administrations
communales. « L’article 108 ne dit point « des chef de l’administration, »
mais « des administrations. » Or, reportons-nous à l’époque où se
discutait la constitution ; l’on n’a jamais connu qu’un seul chef de
l’administration locale, et l’on n’a jamais compris sous ce nom que le
bourgmestre seul : qu’on interroge le plus simple de nos campagnards, il
répondra que le chef est le bourgmestre, et il ne viendra pas dans sa pensée,
pas plus que dans celle d’aucun autre, que ce titre puisse être donné aux
assesseurs ou échevins.
Le bourgmestre seul a
toujours été et est encore considéré comme chef, parce que lui seul préside le
collège échevinal et le conseil, qu’il conduit et dirige leurs travaux et leurs
délibérations, que lui seul est ainsi placé à la tête de ces deux petits corps.
Or, aucune autorité pareille n’appartient aux assesseurs ou échevins, et par
conséquent la qualification de chef ne peut leur appartenir.
On se rappelle fort bien
d’ailleurs qu’on ne s’est servi de cette expression générique de chef que parce
que, dans ce moment, on ne s’était point fixé sur la dénomination qu’on
donnerait au chef de l’administration, et qu’on doutait si l’on conserverait le
titre de bourgmestre.
Au surplus, il est contre
la nature des choses qu’un corps puisse avoir plusieurs chefs. Dans toute
assemblée en corps, il ne peut y en avoir qu’un seul. Telle est la chambre des
représentants, tels sont les cours et tribunaux ; tous ne peuvent
nécessairement avoir qu’un président en chef. Si tous les membres du collège
échevinal étaient des chefs, il faudrait dire que le bourgmestre est le chef
des chefs, ce qui est aussi ridicule qu’absurde.
Mais en admettant
gratuitement qu’il existe un doute sérieux sur l’étendue de l’exception portée
par l’article 108 au principe général de l’élection directe, il faudrait alors
appliquer la règle qui a été invoquée dans cette discussion par M. Ernst,
actuellement ministre de la justice ; c’est que, dans le doute sur l’exception,
il faut se décider pour le principe et le faire prévaloir. Or, le principe,
c’est l’élection directe ; c’est alors le plus sûr moyen d’éviter la violation
d’une constitution qu’on a jure d’observer. Si on se trompait en pareil cas, au
moins l’on aurait sauvé la constitution. Ainsi, dans toute supposition, il faut
appliquer aux échevins comme aux autres membres du conseil le principe de
l’élection directe.
Mais il ne peut réellement
exister aucun doute sérieux. La chambre a entendu à diverses reprises dans
cette enceinte, le témoignage de M. d’Huart, aujourd’hui ministre des finances,
qui a déclaré qu’au congrès national et dans les sections de cette assemblée
l’on n’avait entendu parler que des bourgmestres et des échevins sous le nom de
« chefs des administrations. » M. le procureur-général de la cour de
cassation, aussi membre du congrès, a rendu le même témoignage dans un ouvrage
qu’il a publié. Tous les anciens membres du congrès à qui j’en ai parlé
affirment le même fait, et, chose remarquable, le très petit nombre de membres
du congrès qui, dans cette enceinte, prétendent le contraire, ont tous été ou
sont encore ministres du gouvernement.
Si le congrès national
avait tenu des procès-verbaux un peu plus détaillés de ses séances, on y aurait
certainement rencontré la même signification du mot chef : on n’avait à cette
époque aucun journal officiel ; une seule feuille, le Courrier des Pays-Bas, rapporte en peu de mots la discussion de
l’art. 108, mais d’une manière un peu obscure et ambiguë. Dans tous les cas,
lorsque surtout le texte de la constitution est clair, il y aurait témérité de
regarder comme une autorité le rapport d’un journaliste. Surtout qu’il est de
notoriété qu’à cette époque les comptes des séances étaient généralement rendus
de la manière la plus inexacte.
On l’a déjà dit, le
gouvernement ne pourrait avoir d’autre but en demandant de nouveau, contre le
texte formel de la constitution, la nomination des échevins dans le conseil ou
sur une présentation, que de se créer un moyen de multiplier ses créatures dans
nos communes, afin surtout d’influencer les élections aux chambres et de
corrompre peu à peu notre représentation nationale. Souvenons-nous, messieurs,
que c’est toujours par cette corruption que les Etats constitutionnels
périssent. Celle plaie a déjà gagné les Etats-Unis où l’on voit plus de 40
mille fonctionnaires, nommés par le président, exercer chaque fois leur influence
gouvernementale dans les élections. Or, la conséquence immédiate de la
nomination des échevins, conférée au gouvernement, serait nécessairement de
mettre à sa disposition plus de 10 mille autres fonctionnaires révocables, et
par suite autant d’électeurs pour son parti. Dans un district de cent communes,
par exemple, il obtiendrait, par ce seul moyen, plus de trois cents électeurs
qui, réunis à la phalange ordinaire des fonctionnaires, lui donneraient une
supériorité funeste à notre système électoral.
Non, messieurs, je ne
crains pas que vous remettiez entre les mains du gouvernement une arme aussi
puissante, qui mettrait évidemment en péril notre constitution elle-même : vous
persisterez dans votre première opinion ; vous maintiendrez l’élection directe
des échevins comme leurs attributions actuelles.
Nous avons également
démontré qu’à raison de ses attributions, le bourgmestre doit être
nécessairement l’homme de la commune, et qu’ainsi c’est d’elle qu’il doit aussi
tenir son mandat. Toutes les sections, sauf une seule, ont adopté ce principe,
puisque toutes ont demandé que ce magistrat ne puisse être choisi par le
gouvernement que dans le sein du conseil, et c’est déjà à mon avis une trop
large concession lorsque considère que la constitution autorise la législature
à le soumettre au principe de l’élection directe, comme ses autres collègues,
et que l’expérience a prouvé depuis plus de 5 ans que ce mode de nomination a
produit généralement de bons choix ou qu’au moins il n’en a pas produit plus de
mauvais que le pouvoir exécutif sous le régime précédent. Le projet de loi a
d’ailleurs adopté une disposition qui ne peut manquer d’améliorer
considérablement le système de l’élection directe ; c’est de faire élire les
magistrats, non à la pluralité comme précédemment, mais à la majorité absolue
des voix. Je regarde donc le système du gouvernement comme rejeté d’avance par
la chambre.
On ne peut admettre
davantage l’amendement qui autoriserait le gouvernement à prendre le
bourgmestre hors du conseil sur l’avis motivé de la députation provinciale, ce
serait manifestement lui donner le moyen d’éluder quand il le voudrait
l’obligation de le choisir dans le conseil, car un simple avis motivé ne le
lierait en aucune manière. Le projet de la commission instituée en 1831 voulait
au moins dans ce cas la demande motivée ou l’avis conforme de cette députation.
Je termine en conjurant la
chambre de repousser de toutes ses forces le système du gouvernement, qui tend
à paralyser le pouvoir constitutionnel de la commune et à ramener autant que
possible la centralisation de l’empire avec toutes ses suites.
Pour nous, nous n’avons
qu’un seul but, celui de conserver intactes les franchises communales telles
que nous les avons acquises par la constitution et telles que nous avons juré
de les maintenir.
La révolution est close
depuis longtemps en Belgique ; le pays a fait par elle la conquête des réformes
qu’il désirait. Placée entre
Peut-être
M.
Dechamps. - Après une discussion de plusieurs mois et qui s’est
renouvelée à deux reprises, chaque fois en épuisant la matière, je pense que ce
serait fatiguer inutilement l’attention de la chambre, et faire perdre patience
au pays, que de reproduire tout ce bagage d’argumentations avec lesquelles les
divers systèmes qui ont surgi ont été tour à tour attaqués ou défendus.
Amis ou ennemis à divers
degrés d’une centralisation administrative, nos idées là-dessus sont maintenant
trop arrêtés pour espérer de part et d’autre de conquérir encore des
convictions ; elles tiennent à tout un ensemble d’opinions qui ne se modifie
pas ainsi à l’encontre de quelques discours isolés.
Je crois donc, messieurs,
qu’il suffit de bien résumer les divers systèmes qui ont été présentés de
tracer pour ainsi dire une table de matières de cette longue controverse, afin
d’en saisir l’ensemble et le contour de chacun d’eux d’un seul coup d’œil. Ce
n’est plus discuter qu’il est besoin de faire au point où nous sommes arrivés
dans la discussion, c’est simplement se ressouvenir. Aussi, messieurs, ne me
proposé-je que de faire une récapitulation, une histoire abrégée de ces
importants débats.
La cause de toutes les
difficultés et de toutes les hésitations a été le point de savoir de quelles
attributions on revêtirait le bourgmestre et les échevins. Les intérêts
généraux et les intérêts municipaux qui se touchent dans la commune seront-ils
régis séparément et par des mandataires distincts ; ou bien un collège de
bourgmestre et d’échevins en aura-t-il l’administration collective ? Là,
messieurs, se trouve le point d’intersection où les opinions se divisent, et la
majorité de la chambre a vacillé tour à tour vers l’un et l’autre au premier et
au second vote.
L’idée qui a dominé la
majorité au premier vote a été le maintien du collège de bourgmestre et des
échevins en conférant à ce pouvoir collectif des attributions communes. Partant
de ce fait, il lui a semblé qu’il ne pouvait gérer simultanément les intérêts
généraux et les intérêts locaux sans que ses membres reçussent en même temps un
mandat du gouvernement et de la commune ; et dès lors la majorité a fait
découler leurs nominations de ces deux sources à la fois.
Ce système d’homogénéité a
paru à la majorité celui qui se conciliait le mieux avec un collège de régence
dont le maintien paraissait dans le vœu des trois quarts des membres de cette
assemblée ; il lui a semblé, par conséquent, que c’était celui qui était le
mieux découpé sur le patron des mœurs du peuple, dans lesquelles l’institution
de ce collège est enracinée ; c’est peut-être effectivement, quand on examine
bien, celui qui apporterait d’ailleurs la plus grande mesure de liberté à la
commune, le principe de l’élection directe, défendu avec tant de talent, ne
pouvant être placé en ligne de compte dans les dispositions de la chambre à son
égard.
Et en effet, messieurs, on
s’imagine avoir beaucoup fait pour la liberté communale en obtenant l’élection
des échevins par le peuple, Mais si par là vous amenez la division dans les
attributions de manière à augmenter le cercle de pouvoir du bourgmestre, et en
restreignant d’autant celui des échevins, au lieu d’avoir gagné une victoire
sur le système de centralisation administrative, c’est vous qui l’aurez perdue.
Qu’importe au gouvernement
que les échevins soient choisis par les électeurs comme les conseillers, si
leur rôle est presque assimilé à celui de ces derniers ! Ce n’est donc pas la
commune qui a le plus de chances de profiter du système de division
d’attributions qu’amène après soi l’élection directe des échevins.
La chambre l’avait bien
compris lors du premier vote, et le système d’homogénéité semblait avoir acquis
une majorité tellement forte, que les partisans du système contraire devaient
conserver peu d’espoir de prendre leur revanche. Comment donc s’est-il fait que
ce principe ait été écarté au second vote ; comment s’est-il fait que la
majorité ait semblé pencher vers celui de la division des attributions, en
étendant le pouvoir du gouvernement dans la nomination des bourgmestres, et en
lui ôtant toute participation au choix des échevins ?
Messieurs, si nous
rappelons bien nos souvenirs, il sera aisé de se convaincre que le revirement
opéré au second vote n’a pas été le résultat d’un changement de principe amené
par un examen plus approfondi, par des considérations nouvelles que la
discussion du vote avait oubliées, mais que les principales causes qui l’ont
provoqué ont été purement accidentelles et excentriques aux principes même de
controverse. Je dis les principales causes, parce qu’il en est une qui a
certainement influé sur le second vote et qui tient à ces principes, je veux
parler de la question de constitutionnalité à l’égard de la nomination des
échevins. Quand une objection de cette nature est soulevée, de manière à jeter
une certitude dans un esprit droit, elle pose une barrière au-dessus de
laquelle ne saute pas légèrement celui qui a pris au sérieux le serment
d’observer religieusement la constitution ; je pense donc que cette question de
constitutionnalité a exercé de l’influence sur la dernière détermination de
l’assemblée relative aux échevins ; mais, dans mon opinion, ce n’est pas ce qui
déterminé ce vote de la majorité que l’on n’est pas en droit de considérer
comme positivement convertie sur ce point de constitutionnalité ; d’autres
causes ont été selon moi plus prépondérante, quoiqu’elle puissent paraître
moins sérieuses au premier aspect.
Je veux parler surtout de
l’adhésion de M. le ministre de l’intérieur à l’amendement de M. de Brouckere
par lequel la faculté état laissée au Roi de choisir par exception le
bourgmestre en dehors du conseil.
Cette adhésion a été, selon
moi, le premier coup porté au système d’homogénéité adopté précédemment et dont
une fraction du ministère désirait, je pense, conserver le fond.
En effet, cette exception
détruisait l’ensemble du principe qui reposait sur le double mandat, et dès
lors une réaction à l’égard de la nomination des échevins n’était pas difficile
à prévoir, surtout si l’on réfléchissait à la position de deux membres du
ministère qui avaient défendu au premier vote un système favorable à cette
réaction.
D’ailleurs, messieurs, vous
savez que nous sommes presque toujours préoccupé du combat des influences que
nous voulons à toute force équilibrer, de sorte que si nous sommes prodigues
d’une main, nous redevenons avares de l’autre ; c’est ainsi qu’après avoir
consenti à ce que le pouvoir du gouvernement fût augmenté dans la nomination
des bourgmestres, nous l’avons diminué d’autant à l’égard des échevins dont la
nomination a été laissée aux électeurs.
Messieurs, ce n’est pas, je
pense, ce que voulait le gouvernement : si je ne me trompe, le système qu’il
désirait conserver était celui qui, s’appuyant sur l’institution d’un collège
de bourgmestre et d’échevins, établissait entre ses membres une communauté
d’attributions et d’origine ; seulement il a tâché au second vote d’étendre un
peu ses coudées en risquant une exception en sa faveur à l’égard de la
nomination des bourgmestres, et cette tentation à laquelle il a cédé, a été la
principale cause de la réaction qui s’est opérée pas rapport à la nomination
des échevins, et du changement de système qui a eu lieu.
Vous voyez, messieurs, que
le premier vote de la chambre a été un vote de principe, produit par une longue
et mûre discussion, et que le second vote a été un vote de réaction, produit
par la position de deux ministres qui avaient fait partie de la minorité au
premier vote, par l’adhésion de M. le ministre de l’intérieur à l’amendement de
M. de Brouckere qui détruisait l’ensemble du premier système adopté, et par
d’autres causes accidentelles auxquelles s’est jointe, il faut le reconnaître
l’influence de la question de constitutionnalité. Le ministère retira le projet
primitif. Il s’aperçut que le système défendu au premier vote par M. Fallon lui
offrait les bases d’une organisation communale où l’unité administrative
trouverait une part plus large que dans le système adopté au premier vote, et
le nouveau projet a été habilement construit sur ce fondement.
D’après ce plan il a donc
dû prendre pour point de départ l’élection des échevins par le peuple ; mais
les éléments dont la majorité des 41 était formée lui fournissaient le moyen de
tirer bon parti de cette position. L’un de ces éléments, la fraction même la
plus compacte de cette majorité, se composait des partisans d’un système
communal parallèle à celui d’organisation provinciale ; or, si ceux-ci étaient
réunis à l’égard de la question des échevins, aux défenseurs de l’élection
directe et d’autres principes intermédiaires, ils tendaient la main dans la
question de nomination du bourgmestre, aux partisans du système qui tend à
accorder au Roi le choix exclusif du pouvoir exécutif dans la commune.
En adoptant donc les
principales bases du principe de division dans les attributions du bourgmestre
et des échevins, le gouvernement obtenait des résultats qui devaient lui
sourire puisqu’en divisant la majorité des 41 il se ralliait une de ses
fractions pour la nomination des bourgmestres.
Je suis loin, messieurs, de
faire un crime aux membres du cabinet d’avoir usé d’habilité et d’avoir mis à
profit les divers éléments d’opinion dont la chambre est composée, parce que je
suis persuadé que le projet de loi qu’il nous présente lui a paru dans les
dispositions présumées de la chambre, la meilleure organisation à donner aux
communes. Mais si nous devons respecter cette conviction, nous n’en devons pas
moins examiner si elle est fondée, et si réellement le système présenté laisse
à la commune assez de cette activité propre, sans laquelle le corps social
deviendrait une masse unitaire, il est vrai, mais sans mouvement et sans
vitalité.
Le gouvernement dans le
nouveau projet a pris pour point de départ, comme je viens de le remarquer,
l’élection des échevins par le peuple.
Mais vous savez, messieurs,
que nous avons toujours admis pour principe la corrélation entre les
nominations et les attributions ; or en ne laissant au Roi aucune part dans la
nomination des échevins, il en résultait que ne recevant aucun mandat pour
administrer les intérêts généraux, les échevins devenaient exclusivement des
magistrats de la commune ; et dès lors le principe de la division des attributions
dérivait de celui de leur élection directe par les électeurs.
Le ministère a voulu
concilier ce principe avec une autre opinion qui paraissait aussi dominer la
majorité : celle du maintien d’un collège de bourgmestre et d’échevins. Je suis
persuadé qu’il a été surtout guidé, en conservant ce collège, par le désir de
répondre au vœu des chambres et du pays, qui semblent regarder cette
institution comme une de celles auxquelles les mains défendent de toucher ;
mais il n’en est pas moins vrai qu’en laissant substituer ainsi le collège pour
les affaires d’intérêt local seulement, le gouvernement, au lieu de faire une
concession à la commune, a élargi par là le cercle de son action propre,
puisque d’un côté le rôle de échevins est restreint de beaucoup, étrangers
comme ils le deviennent à tout ce qui est d’intérêt général, et que de l’autre
le rôle de bourgmestre s’est agrandi, devenant seul exécuteur des lois et
conservant en même temps une large part dans l’administration locale, en
qualité de membre et de président du collège échevinal. Vous voyez que cette
institution nouvelle qui nous est proposée ne ressemble plus que de nom à ce
collège, à ce pouvoir collectif auquel
Messieurs, toutes ces
tentatives de concilier les opinions opposées n’aboutissent jamais qu’à des
lois bâtardes, sans stade et sans proportions. Si nous partons du principe de
l’élection directe des échevins et que nous en déduisions celui de la division
des attributions, il faut franchement adopter les conséquences naturelles qui
en déroulent ; il faut que le bourgmestre exécute seul les lois d’intérêt
général et reçoive sa nomination directement du Roi dont il est exclusivement
le mandataire ; mais il faut aussi qu’il ne fasse pas partie du collège
échevinal dont les attributions sont circonscrites dans le cercle des intérêts
municipaux.
Si ce système paraît une
innovation trop franche, et que l’on veuille faire le bourgmestre membre et
président du collège des échevins, dans l’intérêt d’une bonne administration ;
eh bien, dans cette hypothèse le bourgmestre n’est plus exclusivement le
représentant du pouvoir central, il devient un magistrat mixte, participant à
la fois à l’administration des affaires d’intérêt général et des affaires
d’intérêt particulier ; la commune ne peut donc pas rester étrangère à sa
nomination Mais, m’objectera-t-on, cette organisation que vous trouvez
vicieuse, est cependant réalisé dans la province. Le gouverneur qui seul
exécute les lois de l’Etat, s’immisce cependant dans la gestion des intérêts
provinciaux, sans que pour cela on ait cru nécessaire de faire participer la
province à sa nomination.
Pour que cet exemple eût
quelque force, il faudrait établir d’abord l’identité de la province et de la
commune ; il faudrait démontrer qu’elles forment deux agrégations de même
nature, et auxquelles la même organisation puisse être appliquée,
La commune, messieurs, n’a
pas une délimitation fictive ; elle constitue un corps vivant, une espèce de famille
politique, un élément nécessaire de l’organisme social ; tandis que la
province, comme le district, n’est qu’un rouage administratif et conventionnel,
n’est qu’un niveau établi pour relier la commune à l’Etat. Je ne demanderai
qu’une chose aux partisans du système que j’examine, consentiriez-vous à ce que
le bourgmestre seul exécutât non seulement les lois générales et les règlements
de police locale, mais de plus toutes les résolutions du conseil ? Je pense
qu’il en est bien peu qui aient l’intention de pousser la centralisation
administrative jusque là ; et cependant, c’est ce qui existe dans la province :
le gouverneur est l’exécuteur des lois et de toutes les résolutions de la
députation et du conseil provincial. Vous voyez, messieurs, que l’identité est
loin d’être parfaite, et que dans ce cas encore comparaison n’est pas raison.
Messieurs, deux systèmes
harmoniques sont en présence ; je dis deux systèmes, parce que j’écarte celui
de l’élection directe de tous les magistrats communaux par le peuple, et celui
de leur choix absolu par le Roi, parce que ni l’un ni l’autre ne me paraît
avoir eu assez d’écho dans cette assemblée pour en tenir compte.
Il est essentiel,
messieurs, de bien choisir notre point de départ. Veut-on maintenir le collège
administratif, non pas celui que nous présente le nouveau projet du
gouvernement, mais celui auquel le pays est habitué depuis des siècles ? Si
c’est là l’intention de la majorité, nous devons rétablir le principe du
premier vote. Si la chambre croit que la constitution lui fait un devoir de
partir de l’élection des échevins par le peuple, eh bien ! nous aurons à nous
décider entre les divers systèmes corollaires du principe de division
d’attributions qui en découle, depuis celui des maires jusqu’à celui qui sert
de base au nouveau projet de loi.
Pour moi, messieurs, dans
la persuasion où je suis que la constitution laisse notre vote parfaitement
libre entre ces deux systèmes, je donnerai mon assentiment à celui du premier
vote.
D’abord, il est plus
conforme aux mœurs et aux habitudes du pays ; depuis très longtemps il s’y est
implanté, et vous savez, messieurs, que le régime des maires qui repose sur la
division d’attributions n’a jamais été populaire en Belgique. Cette
considération est pour moi décisive ; car il ne suffit pas de considérer une
loi du point de vue purement théorique, il faut avant tout reconnaître à quel
peuple vous devez l’appliquer ; et si vous ne l’avez pas calquée sur ces mœurs,
sur ces habitudes, vous aurez élaboré une utopie, fort belle peut-être en
spéculation, mais qui jamais ne prendra racine dans le sol du pays.
Ce système d’homogénéité
que je défends me paraît aussi mieux correspondre aux faits. Quoi que nous
décidions, il y aura toujours dans la commune des intérêts généraux et des intérêts
locaux ; ces intérêts sont distincts, il est vrai, mais souvent ils se
confondent, s’agencent, de manière à ce qu’il soit difficile d’indiquer la
ligne qui les sépare. Si ce fait existe, il me paraît clair que le système qui
y correspond le mieux est celui qui établit dans le mode de nominations et
d’attributions ce principe de fusion et d’homogénéité que la nature des
intérêts communaux consacre.
Ce système me semble être
aussi, parmi ceux proposables, celui qui apporte le plus de liberté à la
commune et je vais, messieurs, vous le prouver.
Si nous décidons, comme au
second vote, que la nomination des échevins appartiendra exclusivement aux
électeurs, il est indubitable que la majorité accordera au gouvernement la
faculté de choisir le bourgmestre en dehors du conseil d’une manière plus ou
moins étendue ; or, je vous le demande, n’est-il pas préférable de donner au
Roi une part d’intervention dans la nomination des échevins, et de lui ôter en
même temps la faculté de choisir le bourgmestre en dehors du conseil ? N’est-il
pas préférable de faire une concession à l’égard des échevins, que d’en faire
une à l’égard du bourgmestre ? Persuadé, comme je le suis, que nous n’avons de
choix à faire qu’entre ces deux concessions, le mien ne sera pas difficile à former,
et le bourgmestre étant en réalité le pivot de l’administration, j’aime mieux
fortifier la liberté communale de ce côté, que de risquer d’avoir dans chaque
municipalité un commissaire du Roi, entouré d’attributions très étendues en
regard des échevins élus, à la vérité, par le peuple, mais dont les
attributions deviennent tellement circonscrites que leur rôle peut être
assimilé à celui des conseillers.
Il me paraît donc évident,
messieurs, que le système d’homogénéité entraîne après lui un mode de nominations
et d’attributions bien plus favorable à la liberté des communes, que celui qui
résultera inévitablement de la nomination des échevins par les électeurs.
Mais la liberté communale
n’est pas toute concentrée dans les nominations et les attributions ; le
pouvoir répressif de révocation sans limites amène une question tout aussi
importante et à laquelle cette liberté est intéressée au même degré ; car rien
ne lie plus les agents municipaux sous la dépendance du gouvernement que cette
menace qui demeure continuellement suspendue sur leur tête. Eh bien, dans le
système que je défends, le bourgmestre n’étant pas exclusivement le délégué du
pouvoir, mais recevant son premier mandat de la commune, il en résulte que sa
révocation par le Roi ne pourra jamais avoir lieu sans conditions, tandis que
dans le système qui laisse au gouvernement une plus large part dans le choix du
bourgmestre pour lui ôter toute intervention dans celui des échevins, le
pouvoir de révocation deviendra nécessairement plus étendu, si même il n’est
pas laissé sans aucunes limites.
Il me reste une
dernière objection à résoudre, et je vous avoue qu’elle m’a longtemps
préoccupé. Plusieurs craignent que le système d’homogénéité du premier vote
n’accorde au pouvoir central une plus grande influence dans les élections
générales. Au premier aspect cela peut paraître ainsi, mais en y réfléchissant
un peu, on se convaincra que cette objection n’est pas aussi sérieuse qu’elle
le semble d’abord. En effet, la part d’influence du gouvernement dans les élections
dépend de deux choses : l° du degré de sujétion et de dépendance dans laquelle
les magistrats de la commune se trouveront vis-à-vis de lui ; 2° de l’influence
et du pouvoir que ces magistrats conserveront dans les localités par le plus ou
moins d’étendue de leurs attributions.
Or, il est manifeste que le
bourgmestre, dans le système qui permet de le choisir en dehors du conseil, par
exception ou autrement, reste bien plus sous la dépendance du pouvoir central,
que dans celui qui en fait avant tout un magistrat de la commune. D’un autre
côté son influence sur ses administrés devient plus prépondérante dans ce
premier système, et cela parce que le cercle de ses attributions sera
considérablement élargi si ce principe de division est adopté.
Messieurs, je bornerai là
mes observations, et s’il ne m’est pas prouvé qu’elles s’appuient sur une
fausse base, je proposerai à la chambre, soit en forme d’amendement, soit en
forme de question de principes, de rétablir le principe du premier vote.
M.
Dumortier. - Je demande la parole contre le projet.
M.
Vandenbossche. - Messieurs, M. le ministre dans l’exposé des motifs du
projet de loi sur l’organisation du corps communal, dit que :
« Au milieu des opinions
divergentes qui ont été énoncées dans ces importantes discussions, l’on a été
généralement d’accord que le gouvernement doit être représenté dans chaque
commune. » Et je m’associe volontiers à cette opinion générale.
Il dit ensuite : « Le
gouvernement n’a qu’un seul intérêt, mais aussi il ne peut s’en départir sans
blesser les intérêts généraux, sans s’écarter de l’esprit même de la
constitution ; c’est que les fonctionnaires qui le représentent, soit
individuellement, soit collectivement, tiennent leur nomination de lui. »
Et j’approuve entièrement
ce principe. Mais c’est d’après ce même principe que je ne pourrais jamais
consentir à abandonner au gouvernement la nomination des bourgmestres : le
bourgmestre est le représentant de la commune, c’est le chef de son
administration, et il le reste d’après le projet attendu que d’après l’article
3, le bourgmestre est de droit membre et président du collège échevinal, lequel
collège concentre en lui tout le pouvoir exécutif de l’administration.
Argumentant donc d’après le principe de M. le ministre, je dis : « La
commune a un intérêt dont elle ne peut se départir sans blesser les intérêts
communaux, sans s’écarter de l’esprit même de la constitution. C’est que le
bourgmestre qui la représente, soit individuellement soit collectivement,
tienne sa nomination des habitants de la commune. » Si agir autrement est
s’écarter de l’esprit de la constitution, nous ne pouvons soustraire la
nomination des bourgmestres à l’élection, soit directe soit indirecte du peuple,
sans violer la constitution.
M. le ministre a voulu
concilier les opinions divergentes sur ce point, en refusant au bourgmestre
nommé par le gouvernement voix délibérative au conseil ; mais pour faire
disparaître toute inconstitutionnalité, il aurait fallu qu’il ne fût point
membre du conseil ni membre du collège échevinal.
La section centrale a voulu
proposer un autre moyen de conciliation, qui consiste à abandonner au
gouvernement la nomination des bourgmestres, mais tout en limitant son choix
parmi les membres du conseil de régence, que le peuple se serait élu.
Cette proposition se
rapproche davantage de l’esprit de la constitution ; mais d’après le principe
de M. le ministre, ce ne serait pas encore là le consulter. La constitution n’a
pas seulement réservé au peuple le droit de se choisir les conseillers de son
administration, mais aussi le droit de se choisir le chef de cette
administration, son principal représentant, son bourgmestre, tel que le projet
de loi le dénomme, et c’est du choix de ce bourgmestre, dont, d’après le
principe de M. le ministre le peuple ne peut point se départir.
Ce principe n’est pas
seulement un principe de saine raison, mais un principe qui paraît consacré
d’ailleurs par un article exprès de la constitution, par l’article 108 qui
porte :
« Les institutions
provinciales et communales sont réglées par des lois.
« Ces lois consacrent
l’application des principes suivants :
« L’élection directe,
sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs des
administrations communales (les bourgmestres) et les commissaires du
gouvernement près les conseils provinciaux (les gouverneurs de
province). »
L’élection directe de tous
les membres sans exception, qui pourraient composer soit une administration
communale, soit une administration provinciale, est donc la règle établie par
la constitution ; le législateur peut établir deux exceptions à cette règle :
la première à l’égard des bourgmestres ; la deuxième à l’égard des gouverneurs
de province. Mais quelles exceptions ? L’article a-t-il voulu que le
législateur pût abandonner la nomination de ces deux personnages au
gouvernement ? ou bien a-t-il voulu que le législateur pût établir à leur égard
une élection indirecte, mais tout en conservant le choix au peuple ? Cette
dernière version me paraît la plus probable, d’autant plus que les destitutions
brutales de bourgmestres, commissaires de districts et autres respectables
magistrats que nous avons vus pendant les dernières années du gouvernement
précédent, devaient, lors du vote de notre constitution, naturellement faire
naître l’idée de soustraire à jamais le personnel de nos administrations
communales et provinciales à la nomination, et par suite à la dépendance de
l’arbitraire du pouvoir exécutif.
Mais, quoi qu’il en soit,
il est certain qu’il n’est jamais entré dans l’esprit du congrès d’autoriser la
législature à établir des exceptions, avant d’avoir expérimenté la règle, et
d’y avoir rencontré des inconvénients ; ainsi ce serait sinon directement
contre la constitution, au moins contre l’esprit qu’a eu le pouvoir
constituant, quand il l’a décrétée, que d’abandonner au gouvernement par une
première organisation des institutions communales le droit de nommer les
bourgmestres.
La constitution doit être sacrée
pour nous, nous ne pouvons l’enfreindre, même dans des vues d’un plus grand
bien ; si nous y trouvons des imperfections (et elle n’en est pas exemple) nous
pouvons y porter des changements, mais d’après les règles qu’elle nous prescrit
dans son article 131.
D’ailleurs, il me semble
qu’il serait inconvenable d’attendre la nécessité, avant d’abandonner au
gouvernement une prérogative quelconque, que la constitution a réservée au
peuple : pour cela nous viendrons toujours à temps ; mais une prérogative une
fois abandonnée, il ne nous serait plus possible de jamais la récupérer, au cas
que le gouvernement en abusât ; un gouvernement n’abandonne pas ce qu’il
possède.
Loin de moi cependant, de
croire que notre gouvernement abuserait de la prérogative qu’il nous propose de
lui abandonner ; j’ai une entière confiance dans la loyauté des sentiments de
tous nos ministres actuels ; je conçois même que M. le ministre nous proposé
sérieusement, dans l’intérêt du peuple, la nomination des bourgmestres par le
gouvernement.
Mais si nous pouvons être
assurés que notre gouvernement actuel n’en abuserait pas, avons-nous
l’assurance que celui qui lui succédera, n’en abuserait pas ? L’exemple du
passé nous autorise au moins à croire à la possibilité du contraire.
Qu’il arrive donc un
gouvernement qui ne veut pas se contenter des droits et attributions que la
constitution lui confère, mais qui veut s’ériger en despote (et le despotisme a
tant d’attraits pour les gouvernants, qu’il faut avoir une grande vertu afin de
pouvoir s’en défendre) ; ce gouvernement nommera bourgmestre, non les personnes
les plus recommandables par leurs lumières et leurs vertus, mais ceux qu’il
croira les plus propres à servir ses desseins ; et s’il se trouve trompé dans
ses prévisions, s’il n’y trouve pas tout à fait l’homme à ses ordres et ses
caprices, il le révoquerait et en nommerait un autre.
Dira-t-on que le
bourgmestre, entouré par des conseillers, et des échevins nommés par le peuple,
y trouverait toujours un contrepoids, et que par conséquent il ne pourrait
faire aucun mal ?
Mais le bourgmestre
resterait ce qu’il a toujours été, le chef du collège échevinal, et qu’il ait
ou qu’il n’ait point voix délibérative au conseil n’ôterait rien à son
influence, si les membres du conseil des échevins ne lui sont pas hostiles, ce
qui est à désirer dans l’intérêt de l’administration communale, et s’ils lui
sont hostiles, alors encore ils ne pourraient le contredire que par rapport aux
actes purement administratifs, actes que, pour beaucoup de cas, ils ne pourraient
pas même prévenir ou arrêter.
Ce que le bourgmestre peut
comme agent du gouvernement, l’expérience nous l’a appris.
N’avons-nous pas vu des
bourgmestres tyranniser leurs administrés par rapport à l’instruction, dont
Guillaume, contre la liberté du peuple, et contre la constitution, s’était
arrogé par simple arrêté le monopole ? et ce que nous avons vu par le passé, ne
devons-nous pas le craindre pour l’avenir, sinon pour le cas que je mets en
exemple, pour d’autres cas analogues qui pourraient se présenter.
Nous avons vu comment les
gouverneurs influençaient les états pour l’élection des représentants ; eh
bien, les commissaires de district et les bourgmestres nommés par le
gouvernement, par suite, placés sous sa dépendance, et, pour se maintenir, devant
se mettre à sa dévotion, n’exerceraient point une moindre influence sur nos
élections directes, au contraire, une plus grande, si le gouvernement voulait
impérieusement les y contraindre.
Laisser au gouvernement la
nomination des bourgmestres, est lui laisser en quelque sorte le choix des
membres de la représentation nationale ; si donc un gouvernement, avec une
tendance prononcée au despotisme, devait encore surgir en Belgique, avec le
secours des commissaires de district et des bourgmestres à son choix, il
pourrait l’exercer partout et même finalement le légitimer ; car quelle que
soit la garantie que nous offre notre constitution, elle est susceptible de
révisions, qui pourraient légalement enlever au peuple tous les droits et
libertés qu’elle lui a consacres.
Voilà ce qui pourrait être
la suite de l’abandon des bourgmestres à la nomination du gouvernement.
Je ne dis pas que cela
arriverait ; mais nous avons vu Guillaume, qui ne pouvait plus respecter la
constitution qu’il nous avait imposée, qu’il voulait tout soumettre à
l’arbitraire de son bon plaisir, et l’exemple du passé nous autorise à craindre
le possible, et doit nous inspirer au moins une salutaire précaution pour l’avenir.
J’ai dit et je le répète,
que nous n’avons pas à craindre que notre gouvernement actuel abuserait de la
prérogative qu’il nous demande ; mais cependant la nomination des bourgmestres
par le gouvernement pourrait même aujourd’hui entraîner des inconvénients ; si
le gouvernement nommait les bourgmestres, la commune serait irrésistiblement
portée à élire des conseillers et des échevins qu’elle croirait être en
opposition avec lui, et alors l’administration communale, dont le bourgmestre
serait essentiellement le premier membre ou le chef, ne s’accorderait pas, elle
se trouverait en quelque sorte divisée en deux parties opposées et même
hostiles, et ce serait là un des plus grands malheurs pour la commune.
La proposition de la
section centrale n’aurait pas tous ces inconvénients, mais cependant on ne
rencontrera jamais de conseil dont la commune voudrait chacun de ses membres
pour son bourgmestre, et ainsi le gouvernement pourrait nommer dans le sein du
conseil un bourgmestre, qui n’aurait l’assentiment d’aucun des habitants ; un
tel bourgmestre pourrait-il raisonnablement être le premier représentant de la
commune ?
Mais je suppose que le
gouvernement révoque son bourgmestre, nommé dans le conseil ; il n’en restera
pas moins membre, alors le dépit ne lui fera-t-il point chercher tous les
moyens pour contrecarrer son successeur, et pour entraver les opérations de la
régence, au détriment de la commune ?
D’un autre côté, peut-on
raisonnablement restreindre le choix du gouvernement aux membres du conseil de
régence, qui pourrait n’en renfermer aucun qui obtiendrait sa confiance ?
Dans ce cas, dit-on, sur
l’avis motivé de la députation du conseil provincial le gouvernement pourrait
nommer le bourgmestre hors du conseil parmi les éligibles de la commune ; mais
la députation donnerait-elle cet avis motivé, qui déshonorerait en quelque sorte
tout un conseil, souvent sans avoir rien de déterminé à lui reprocher ? Car on
peut avoir des motifs intimes pour ne pas vouloir un tel ou tel autre pour
bourgmestre, et ne pas cependant pouvoir convenablement les émettre.
Mais il y a un moyen
d’éviter tous ces inconvénients, et de concilier, je pense, les désirs de la
nation avec ceux du gouvernement, et je me permets de vous le présenter.
La qualité de représentant
du gouvernement n’est pas essentiellement inhérente à la personne du
bourgmestre, ainsi que la qualité de bourgmestre n’est pas essentiellement
inhérente à la personne du représentant du gouvernement, quoique ces deux
qualités peuvent fort bien se rencontrer dans une seule et même personne.
Je propose donc de
maintenir à la commune le droit de choisir son bourgmestre avec tout le
personnel de sa régence, d’après la règle que la constitution établit. Et que
le gouvernement de son côté nomme librement son représentant.
Les fonctions de cet agent
du gouvernement, lesquelles sont actuellement concentrées dans celle du
bourgmestre, seront également honorifiques.
La dignité de la place est
mise sur le même rang que celles de bourgmestre.
Cet agent sera chargé de la
publication et de l’exécution des lois et règlements d’administration générale,
ainsi que de tout ce qui concerne la police et la sûreté publique, à moins que
la loi n’ait spécialement conféré cette attribution à une autre autorité.
Ses attributions enfin
seraient celles que la loi sur les attributions communales conférerait dans son
chapitre 3 au bourgmestre comme représentant du gouvernement.
En cas d’absence ou
d’empêchement de l’agent du gouvernement, et jusqu’à ce qu’il y soit pourvu par
le gouvernement, ses fonctions seraient rempiles par le bourgmestre ; à moins
que l’agent n’eût délégué un échevin, et en cas d’absence ou d’empêchement du
bourgmestre ou échevin délégué, il serait remplacé par 1’autre échevin.
Pour surcroît
d’attributions je voudrais lui donner le droit d’être présent aux séances tant
du conseil communal que du collège échevinal, même le droit d’y demander la
parole, et l’ayant obtenue d’y émettre son avis. Le droit enfin de surveiller
les opérations de la régence : mais d’un autre côté je voudrais aussi que la
régence fût à son tour en droit de surveiller les opérations de l’agent du
gouvernement, et de lui adresser des observations, car le peuple est intéressé
autant que le gouvernement, et même davantage, à ce que les lois soient
ponctuellement observées, et que la police soit strictement surveillée, attendu
que c’est de l’inobservance des lois et de la police, que naît le désordre,
dont le peuple est toujours la première victime.
Au moyen de ce système on
maintiendrait les libertés communales telles que la constitution les établit et
que le peuple désire les conserver ; on satisferait aussi aux vœux et volonté
du gouvernement, qui veut que dans chaque commune un agent à sa nomination et à
ses ordres surveille l’exécution des lois et le maintien de la police, dont il
est responsable, et ainsi se trouveraient conciliés les droits et les volontés
tant du gouvernement que du peuple.
Dira-t-on que d’après mon
système il y aurait un fonctionnaire de plus dans chaque commune, lequel
devrait être spécialement rétribué, et qu’ainsi je chargerai le budget de
l’Etat d’une dépense que l’on épargnerait en adoptant le projet du gouvernement
ou de la section centrale.
A cela je croirais pouvoir
répondre :
1° Que le peuple
supporterait plus volontiers ce surcroît de dépense dans le budget de l’Etat
quel qu’il puisse être, que d’abandonner au gouvernement une prérogative dont
il pourrait abuser, et dont l’abus pourrait être si funeste à ses droits et à
sa liberté.
2° Que ce surcroît de
dépenses ne pourrait jamais être très considérable, attendu que les fonctions
d’agents du gouvernement seront toujours honorifiques, comme celle de
bourgmestres et échevins, et qu’ainsi leur traitement devra toujours se réduire
à peu de chose.
3° Que le
gouvernement nommerait le plus souvent pour son agent, la personne du bourgmestre
ou des échevins, qui actuellement concentrent, pour ainsi dire, les deux
qualités, et dans quel cas il n’aurait pas besoin d’un traitement spécial. Je
dis que le gouvernement nommerait le plus souvent, et même communément son
agent parmi ces personnes, parce que le bourgmestre et les échevins se trouvent
communément choisis parmi les personnes les plus respectables et les plus
capables de la commune, qui par suite mériteront et obtiendront toute la
confiance du gouvernement, et ainsi le surcroît de dépense, se réduirait enfin
à une somme insignifiante.
Je crois en avoir dit
assez, messieurs, pour pouvoir espérer que mon système obtiendra votre
assentiment.
M.
le président. - La parole est à M. Dequesne.
Plusieurs membres. - Il y a séance du soir, et il est quatre heures
un quart.
D’autres membres. - Qu’est-ce que cela fait ?
M. Dequesne. - J’en ai au moins pour
une demi-heure.
Quelques voix. - C’est égal.
- La chambre consultée
continue la discussion.
M. Dequesne. - Inutile est, je pense,
d’insister sur l’importance de la loi qui vous est soumise en ce moment. C’est
un point qui a été reconnu par tout le monde. Pour moi, la portée de la loi me
paraît telle, que je ne crains pas de dire que cette loi et la loi provinciale,
précédemment votée, renferment à elles deux tout l’avenir de notre pays.
Cependant, malgré tout l’intérêt du sujet, si les choses étaient restées
entières et telles que la première discussion les avaient laissées, je me
serais abstenu de prendre la parole, reconnaissant que les longs et savants
raisonnements qui ont été donnés renferment tous les éléments nécessaires pour
éclairer votre religion. Mais, depuis le renouvellement de cette chambre, la
question a changé tout à fait de face : un système tout nouveau a été présenté
par le gouvernement, système qui renverse entièrement l’ancien et qui doit
porter la discussion sur un nouveau terrain, sinon dans les détails, au moins
dans les principes. Ainsi, malgré l’urgence de cette loi, urgence reconnue par
une grande majorité de la chambre ; malgré le désir que nous devons avoir tous
de doter le pays d’institutions communales régulièrement établies, je pense
qu’il devient nécessaire d’examiner mûrement et attentivement le principe et
les premières conséquences du nouveau système, et de laisser prendre à la
discussion générale tout son cours et tous les développements. Cette
observation, je la fais dans l’intérêt même de vos travaux et dans le but de
vous éviter beaucoup de perte de temps ; car, une fois la chambre éclairée sur
le principe, l’examen des articles deviendra chose facile, et, sauf pour
quelques-uns, la discussion précédente leur sera applicable.
Chaque fois qu’il s’est agi
d’administrations communales, ici comme ailleurs, il est un point sur lequel
tous les esprits sont tombés d’accord. Par tous il a été reconnu que dans les
attributions dévolues à ces autorités, partie était d’intérêt communal, partie
était d’intérêt général. Un autre point a été à peu près unanimement admis, au
moins en principe. C’est que si tout ce qui était purement d’intérêt communal
devait être exécuté par des agents émanant de la commune, tout ce qui était
d’intérêt général devait être attribué à des agents relevant directement du
pouvoir central. Ce principe, il est impossible de ne pas l’admettre, à moins
de faire des communes autant de petits Etats dans l’Etat, à moins encore
d’effacer de notre constitution le principe de responsabilité des autorités supérieures.
Jusque-là il ne pouvait y avoir désaccord ; la divergence commence seulement
lorsqu’il s’agit d’organiser conformément à ces principes. Et c’est en effet
arrivée à ce point que la question n’est plus sans difficulté.
La distinction entre les
choses d’intérêt général et d’intérêt communal est très simple en théorie. Mais
dans l’application elle présente beaucoup de difficultés ; elle en présente
pour faire dans une loi le départ entre les deux intérêts ; elle en présente
bien davantage lorsqu’il s’agit de mettre en présence des autorités d’origine
différente, sans cesse en contact et jouissant d’attributions qu’une ligne
imperceptible sépare à peine. N’y a-t-il pas à craindre alors des frottements,
des empiétements, des discussions de prérogatives qui tourneront tous au
détriment d’une bonne administration ? En France, ces considérations et
quelques autres ont déterminé les chambres à n’admettre qu’une seule autorité
et à adopter un mezzo termine qui donne à chaque intérêt une part dans la
nomination, comme l’honorable M. Dechamps vous l’a fort bien démontré. Vous
étiez guidés aussi, je pense, par des motifs semblables, lorsqu’au premier
vote, vous aviez voulu une seule autorité, le collège des bourgmestres et
échevins, choisi par le Roi dans le sein du conseil, et sous ce rapport, vous
étiez tout à fait dans le système français ; au lieu du maire unique seulement
vous aviez un maire en trois personnes. Au second vote vous avez changé de
système, et pour ma part, tel qu’il existait, je pense que le gouvernement ne
pouvait l’accepter. Car l’intérêt général, comme l’intérêt communal était
exclusivement attribué à des agents nommés par la commune. L’influence des deux
membres d’origine populaire devait nécessairement prévaloir, et le gouvernement
se trouver sans action.
Dans des vues de
conciliation, le ministère a cru devoir abandonner l’ancien projet de loi et en
présenter un nouveau. Dans ce dernier, les principes ont été proclamés et
déduits avec une conséquence rigoureuse. Agent spécial pour tout ce qui concerne
l’intérêt général, le bourgmestre ; agent spécial pour tout ce qui regarde
l’intérêt communal, en première ligne, comme corps délibérant et ayant
l’initiative, le conseil communal, conseil pour la plupart des cas à peu près
souverain ; ensuite, comme pouvoir exécutif, le collège des bourgmestre et
échevins. Et ici, je pense avec le projet qu’il était d’une bonne logique,
comme d’une sage politique, de donner au gouvernement un représentant au sein
de ce collège. La bonne administration des communes n’intéresse pas seulement
les localités, elle intéresse le pays tout entier. Cela est aussi vrai pour les
biens que pour les personnes. A cette considération, j’en ajouterai une autre.
En excluant le bourgmestre, on lui laissait le caractère exclusif et tranché
d’agent du gouvernement. En l’admettant dans le collège, on lui donne un
caractère mixte, on unit et on fond ensemble les deux autorités. Malgré ce
tempérament, je l’avoue, je ne suis pas sans inquiétude sur les suites, je
crains les conflits et les empiétements. Puisse l’expérience me détromper à cet
égard ! Mais, je le répète, tout disposé que je suis à voter pour le projet de
loi, je crains que nous ayons à regretter l’abandon du premier système.
Il est un autre point sur
lequel je vois avec regret que le ministère n’ait pas insisté davantage.
D’après la loi, le conseil aura une grande liberté d’action. On ne lui a opposé
que les barrières strictement nécessaires ; ces barrières, il importe qu’elles
soient religieusement observées. Et cependant, avec un peu d’adresse, il ne
serait pas impossible de les franchir sans donner prise ni moyen de l’y faire
rentrer. Ne faudrait-il pas là prendre quelques précautions ? Le désir
d’envahissement est un faible de notre nature, il est surtout celui des corps politiques,
et plus encore des corps délibérants ; enfin il peut se présenter d’autres cas,
fort rares sans doute, mais non impossibles. L’administration de ce conseil
peut devenir ruineuse pour la commune, vexatoire pour ses habitants, dirigée
enfin dans un mauvais esprit. Je sais, messieurs, qu’en Belgique, nous avons
peu à craindre la réalisation d’une semblable supposition. Mais enfin les
électeurs peuvent se tromper ou être trompés, les élus ne sont pas toujours
infaillibles, et nous sommes ici pour tout prévoir. Faudra-t-il alors que le
conseil pèse six ans sur la commune ? Pourquoi dans ce cas n’y aurait-il pas un
pouvoir modérateur ?
Il est un autre point sur
lequel je vois avec regret que le ministère n’ait pas insisté davantage.
D’après la loi, le conseil aura une grande liberté d’action. On ne lui a opposé
que les barrières strictement nécessaires ; ces barrières, il importe qu’elles
soient religieusement observées. Et cependant, avec un peu d’adresse, il ne
serait pas impossible de les franchir sans donner prise ni moyen de l’y faire
rentrer. Ne faudrait-il pas là contre quelques précautions ? Le désir
d’envahissement est un faible de notre nature, il est surtout celui des corps
politiques, et plus encore des corps délibérants ; enfin il peut se présenter
d’autres cas, fort rares sans doute, mais non impossibles. L’administration de
ce conseil peut devenir ruineuse pour la commune, vexatoire pour ses habitants,
dirigée enfin dans un mauvais esprit. Je sais, messieurs, qu’en Belgique nous
avons peu à craindre la réalisation d’une semblable supposition. Mais enfin les
électeurs peuvent se tromper ou être trompés, les élus ne sont pas toujours
infaillibles, et nous sommes ici pour tout prévoir. Faudra-t-il alors que le
conseil pèse six ans sur la commune. Pourquoi dans ce cas n’y aurait-il pas un
pouvoir modérateur ?
Pourquoi le conseil ne
serait-il pas soumis à une disposition qui frappe la représentation nationale
elle-même ? Y aurait-il grand mal à ce que le Roi renvoyât alors les élus
devant leurs juges naturels ! Je le dis avec conviction, partout où il y aura
un corps délibérant, le droit de dissolution est un droit nécessaire, plus
nécessaire encore que lorsque, comme ici, il n’y a, en bien des circonstances,
ni veto ni autre corps pour redresser les erreurs : tel est, à ce qu’il me
semble, le projet de loi dans son essence et dans son principe ; tel qu’il est,
il renferme de hautes questions d’administration et de politique. Pour les
premières, je laisse à ceux de me honorables collègues plus experts en cette
matière le soin de les développer ; quant aux secondes, plus conformes à mes
études, je demanderai à la chambre la permission d’entrer dans quelques
considérations.
Lors de la discussion
devant le sénat, M. le ministre des affaires étrangères a soutenu que la loi
dont il s’agit était purement administrative et non politique. Les opinions
émises par l’honorable ministre ont toujours eu à mes yeux beaucoup de poids,
mais ici, j’avoue que je me suis mis l’esprit à la torture pour n’y rien voir
que d’administratif et que malgré moi j’y ai toujours trouvé un côté politique
très prononcé et les discussions précédentes m’ont confirmé dans cette idée.
Comment pourrait-il en être autrement dans une matière à laquelle se rattachent
les grandes questions de prérogatives d’institutions, et d’organisation
sociale. Pour ma part, ce n’est pas sans regret que je vois le ministère éviter
de prendre une couleur plus décidée dans ces questions. Grâce à la sagesse du
peuple belge, nos opinions sont, il est vrai, moins tranchée, nos divisions
moins profondes qu’en d’autres pays, mais il n’en est pas moins ici comme
ailleurs, une question vitale qui partage sourdement les esprits, divise les
chambres aussi bien que le pays.
C’est la grande question de
centralisation ; elle se présente, il est vrai, en Belgique sous d’autres
formes, mais en dernier résultat elle se réduit toujours à celle-ci : faut-il
étendre ou restreindre les prérogatives du pouvoir central ? Pour les uns, je
le sais, quelque peu que l’on accorde à ce pouvoir est toujours trop. Les
autres au contraire sentent la nécessité de concentrer les forces et ne voient
de possibilité à la liberté de produire des effets salutaires qu’autant qu’elle
sera contenue et dirigée par un pouvoir régulateur. Je sais que ces deux
opinions peuvent diviser les meilleurs esprits. En politique l’on est souvent
comme en médecine, embarrassé pour trouver le siège du mal, plus embarrassé
encore pour en trouver le remède.
Comme chacun est ici pour
donner son opinion, je me permettrai aussi de donner la mienne, mais en
réclamant votre indulgence, et avec la défiance d’une personne nouvellement
appelée à l’honneur de siéger parmi vous. En France, je pencherai peut-être
vers ceux qui veulent décentraliser ; car là, il y a, selon moi, surabondance
de vie au centre, et torpeur aux extrémités ; mais en Belgique je n’hésite pas
à adopter l’opinion contraire, parce que j’y trouve l’excès opposé, vitalité
excessive aux extrémités, affaiblissement au centre. Je sais que cette opinion
a de nombreux adversaires ici et au-dehors. Je sais même encore que dans cette
chambre elle a reçu plus d’un échec, mais c’est pour cela et parce que je la
crois la plus favorable au bonheur de mon pays, que je demande à entrer dans
quelques développements. La question en vaut la peine, elle est de saison et
toute palpitante dans la loi qui nous occupe. En se retranchant derrière les
mots si chers en Belgique, de libertés, de franchises communales, les
adversaires se sont fait une trop belle position pour qu’on ne soit pas obligé
de reprendre la question d’un peu haut.
En commençant, je dois le
déclarer, je conçois très bien ce que c’était au douzième siècle, que les
libertés, les franchises communales, à une époque où il n’y avait pas de
liberté individuelle sans liberté communale ; mais en 1836, mais sous un
gouvernement représentatif, je ne sais plus ce que cela veut dire. En fait de
liberté, je n’en connais plus que deux, la liberté individuelle et la liberté
ou l’indépendance nationale. Mais des corps indépendants dans mon pays, je n’en
vois point et ne dois pas en voir. Sans doute l’amour du lieu natal est un
sentiment sacré, respectable, qu’il faut satisfaire, ménager, mais à qui il ne
faut pas tout sacrifier. En lui accordant trop, on aurait bientôt tué un autre sentiment
qui doit marcher avant lui, l’amour du pays, l’amour de la patrie. Nous en
pourrions trouver la preuve dans le moyen-âge, ou le véritable patriotisme a
été bien rare.
Je le reconnais ; les
partisans des franchises communales sont très conséquents avec eux-mêmes. C’est
bien au 11ème siècle qu’ils veulent nous ramener ; les honorables MM. Desmet et
Dumortier nous ont fait un tableau très séduisant de l’époque. Nous verrons
plus tard s’ils n’ont pas un peu embelli l’histoire. Ce qui m’étonne seulement,
c’est qu’ils nous donnent cela comme un progrès. Quant à moi je n’y verrai
jamais qu’un pas rétrograde de cinq à six siècles. On est allé plus loin, on
est remonté jusqu’à Jules César. Malgré mon respect pour les Belges de Jules
César, lorsque trois ou quatre races ont passe sur le sol de la Belgique, se
sont mélangées ou entre-détruites, je demanderai à l’honorable rapporteur ce
que nous, Belges de 1830, nous avons de commun avec ces anciens habitants du
pays. Pour nous rattacher à eux, il faudrait faire de l’histoire à peu près
comme celle du couteau de Jeannot auquel il avait été remis trois lames et deux
manches et qui était toujours le même couteau.
L’on ne s’est pas borné à
rappeler nos anciennes institutions nationales. L’on a invoqué l’exemple de
En agissant ainsi, au lieu
d’un tout bien coordonné nous courrions le risque de n’avoir qu’un mauvais pasticcio d’institutions contradictoires. Je dirai plus,
malgré notre voisinage de
L’excès en tout est un défaut.
Quoi de plus sacré que la famille et les droits sur lesquels elle repose. Eh
bien, cependant, l’exagération de ces droits a donné naissance à cette absence
de toute société qui a régné jusqu’au 11ème siècle et servi de germe et de
principe au système de la féodalité. L’établissement des communes fut un
progrès, je le reconnais, il fut l’aurore de la liberté et le commencement
d’une organisation sociale régulière ; je suis tout prêt à lui rendre cette
justice. Mais dire qu’il ait été le dernier mot d’une bonne organisation, c’est
ce que je ne puis admettre. Livrées à elles seules, les communes n’ont produit
que l’anarchie et la ruine des peuples chez qui elles avaient ce mode
d’existence. Contenues et dirigées par un pouvoir central fort et puissant, elles
ont donné naissance à ces grands et beaux royaumes que nous voyons encore
aujourd’hui. Lors de la première discussion, l’on a cité des faits historiques,
et je crois en effet que les enseignements de l’histoire ne sont pas à
dédaigner. Il y a toujours lieu à en profiter, lorsque surtout on y recourt non
pour renouveler ce qui n’est plus, mais pour y puiser des leçons de sagesse et
de prudence. Il faut bien le dire, malgré les progrès, malgré les changements
de forme de gouvernement, le fond de la nature humaine sera toujours le même,
et les premiers principes sur lesquels reposent les sociétés humaines seront de
tous les temps et tous les lieux. Je demanderai donc aussi la permission
d’appeler l’histoire à mon secours, car je sens que personne moins que moi, n’a
le droit de se contenter de simples assertions et de n’apporter aucunes preuves
à l’appui.
En Angleterre la marche du
pouvoir central, si ce n’est sous les Tudor, ne se montre pas d’une manière
aussi tranchée. Mais qu’on examine bien la politique de cette aristocratie
agissant comme un seul homme, se mettant à la tête de l’affranchissement des
communes, et là aussi on verra qu’il y a eu un pouvoir central très fort et
très décidé. Aujourd’hui encore, si j’ai bien saisi le dernier mot du parti
radical, ne serait-ce point à l’unité et à la centralisation française que
tendraient ses efforts ?
Enfin, plus près de nous,
nous avons
Je sens, messieurs, que
j’abuse de votre patiente, mais la force des choses m’entraîne malgré moi. Permettez-moi
encore quelques citations. Ma démonstration ne serait pas complète, si je ne
vous montrais le revers des choses, si je ne vous faisais voir que, là où le
pouvoir central a été faible, il n’en est résulté qu’anarchie, ruine et
désastre, Je ne prendrai que deux exemples, à peu près contemporains. Voyez
l’Espagne, dans quel état malheureux l’a menée son système de franchises et de
libertés provinciales.
Je m’arrêterais ici, si je
ne croyais devoir une réponse à ce qu’a dit l’honorable M. Desmet dans la
première discussion. Il a cité l’Italie du douzième siècle, il nous a peint son
état sous les plus brillantes couleurs. L’histoire confirme-t-elle ce tableau ?
Il est vrai, les villes étaient parvenues à s’affranchir et à secouer le joug
de l’étranger. Les papes avaient servi de pivot à ce mouvement. Mais après la
lutte qu’arriva-t-il ? Le pouvoir spirituel devint trop faible pour contenir et
centraliser ces petites républiques. Les factions et la guerre civile régnèrent
dans leur sein. Une guerre permanente s’établit entre chacun d’elles, et d’un
bout de
Pour mettre un terme à ces
malheurs, les papes appelèrent les Français ou plutôt les Provençaux, et ne
firent qu’empirer les choses ; car les divisions continuèrent, et depuis lors
le sol de l’Italie n’a pas cessé d’être souillé par le pas et les armes de
l’étranger, et ce beau pays, qui était appelé à jouer un rôle politique, a eu
pour sort d’être une proie et une victime que les autres puissances se sont
successivement arrachée. La religion y gagna-t-elle ? Pas davantage. Ce fut
alors que régna le long schisme, époque si déplorable pour l’histoire de
l’église. Je regrette que la longueur de ce discours ne me permette pas une
citation, Vous y verriez cette époque tracée de main de maître par un de ses
plus illustres contemporains, par le Dante. Vous y entendriez les cris de
désespoir que cette situation arrache à ce grand citoyen. Mais il est temps de
revenir à notre pays.
Ses annales vous sont
connues ; eh bien ! je vous le demande à tous, sous le rapport de l’ordre et de
la tranquillité, nos anciennes franchises ont-elles toujours produit des
résultats aussi satisfaisants qu’on voudrait bien le dire ? N’y a-t-il pas eu
plus d’une page sanglante ? Je me hâte et j’aborde un autre genre de
considérations. Il est toujours une question que l’on se fera ; avec une
civilisation hâtive et devançant de beaucoup d’autres nations sauf l’Italie,
avec une communauté de prospérités et de malheurs, partagée pendant plusieurs
siècles par toutes les Provinces de la Belgique, avec des mœurs, des manières
et son individualité à elle, avec enfin tous les éléments nécessaires pour
constituer un peuple libre et indépendant ; comment se fait-il qu’il ait fallu
dix siècles pour réaliser cette indépendance ? lorsque deux fois surtout il y
avait possibilité de le faire, lors de la révolte contre l’Espagne et après la
guerre de succession ? Il faut bien le dire, il faut avoir la force de ne
reculer devant aucune vérité. La raison, la voici : c’est que tout le
patriotisme de
A chaque instant nous
entendons à cette tribune les protestations les plus énergiques contre l’esprit
de clocher, et cependant, entraîné comme par une force irrésistible, pas un de
nous ne peut s’y soustraire. Qu’on y prenne garde, si l’on ne se cuirasse
contre cet esprit, il finira par étouffer la représentation nationale. Tels ne
sont pas le but ni les intentions de nos adversaires. Je n’en doute aucunement,
et cependant si leur système venait à prédominer, il aurait immanquablement ce
résultat, et toutes les forces finiraient par se concentrer dans la commune,
dans la province.
Si jamais vous vous lanciez
dans cette voie, à quiconque aurait du talent et voudrait jouer un rôle, il
faudrait lui dire : laissez là les chambres qui ne sont plus qu’une
superfétation ; votre place est dans les conseils provinciaux et communaux, là
doit avoir lieu la scène politique. C’est à vous, messieurs, de voir si voulez
ainsi disséminer nos forces, gaspiller (je voudrais trouver une autre
expression) notre nationalité naissante et compromettre peut-être pour l’avenir
notre intégrité et notre indépendance. Quant à moi, je ne puis donner mon
assentiment à un pareil système.
En terminant je dois
presque me justifier d’être entré dans ces considérations historiques et
philosophiques, mais c’était une nécessité de la position ; accepter la
question sur le terrain où les adversaires l’avaient posée, c’était s’avouer
vaincu.
Le principe devait avant
tout être attaqué, il fallait démontrer que nous voulions aussi la liberté,
mais d’une autre manière que nos adversaires la voulaient, et pour cela il
fallait bien entrer un peu dans la théorie. Il est un autre motif qui m’a
déterminé à le faire. Je sens toutes les difficultés qui accompagnent l’opinion
que j’ai soutenue. La position de défenseur du pouvoir est une position
délicate. Au dehors, surtout, il est rare qu’on ne cherche pas à pervertir ses
intentions, Ses doctrines sont traitées de liberticides, d’attentatoires aux
droits du peuple. Sa personne est représentée comme inféodée et quelquefois
même comme vendue au pouvoir. Si j’ai motivé aussi longuement mon vote, certes,
ce n’est pas pour prévenir de semblables inculpations qu’un député doit
apprendre à supporter patiemment, fort de sa conscience et du devoir qu’il a
rempli.
Mais je l’ai fait pour
montrer que je n’ai adopté mon opinion qu’après y avoir reconnu qu’elle était
la plus utile et la plus avantageuse au bien-être et au bonheur de mon pays. Je
ne demanderais pas mieux que le contraire me fût prouvé, car moi aussi je crois
que le pouvoir est toujours un mal là où il n’est pas nécessaire.
Mais l’histoire et les
événements qui se sont passés sous nos yeux m’ont démontré qu’il faut et faudra
toujours un pouvoir, une direction et une influence centrale et que, quand ils
ne seront pas dans les pouvoirs constitués, ils seront en dehors, et pour ma
part je n’aime ni les pouvoirs, ni les directions, ni les influences occultes.
Je voterai pour le projet
du gouvernement sauf les modifications utiles que l’on pourrait proposer, et
non pour celui de la section centrale.
- La séance est levée à 4
heures trois quarts.