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d’intention
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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du mardi 8 décembre 1835
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre
2) Projet
de loi relatif à la péréquation cadastrale (essentiellement correction de la
répartition de la contribution foncière, au profit des provinces de Flandre
orientale et de Flandre occidentale). Motions d’ordre ((+absence de discours du
trône et position diplomatique de la Belgique) Gendebien,
Desmet, A. Rodenbach, Gendebien, Jullien, Desmet, Pirmez, d’Huart,
Gendebien, d’Huart, Jullien, Dumortier, A. Rodenbach, Liedts, Gendebien)
3) Rapport
sur plusieurs pétitions relatives à la construction de routes par l’Etat (de Puydt, Jadot, Dumortier)
4) Projet
de loi portant le budget du département de la guerre pour l’exercice 1836. Mise
à l’ordre du jour (de Puydt, Jadot,
Dumortier, d’Huart)
5) Projet
de loi relatif à la péréquation cadastrale (essentiellement correction de la
répartition de la contribution foncière, au profit des provinces de Flandre
orientale et de Flandre occidentale) (de Jaegher, d’Huart, Eloy de Burdinne)
(Moniteur
belge n°343, du 9 décembre 1835 et Moniteur belge n°346, du 12 décembre 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur
belge n°343, du 9 décembre 1835)
M. Verdussen
procède à l’appel nominal à une heure.
M. de Renesse
donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est
adoptée.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
Le même donne lecture
d’un message de M. le ministre de l’intérieur, informant la chambre qu’un Te
Deum sera chanté à l’église de Sainte-Gudule, le 16 de ce mois, à l’occasion de
l’anniversaire de S. M. le Roi.
- La chambre décide qu’elle s’y rendra en corps.
M. de Foere et M. Dams
demandent un congé.
- Accordé.
PROJET DE LOI RELATIF A LA PEREQUATION CADASTRALE
M. le président. -
L’ordre du jour est la discussion générale de la loi relative à la péréquation
cadastrale.
Motions d’ordre
M. Gendebien. -
Je viens rappeler aux ministres que nous allons discuter incessamment le budget
des voies et moyens, et faire observer dès à présent, pour ne pas interrompre
cette discussion quand elle commencera, qu’il convient que tout le pays
connaisse la situation intérieure et extérieure. Depuis dix-huit mois, nous
sommes sans rapports directs avec le gouvernement, puisque depuis deux ans le
Roi s’est abstenu de parler à l’ouverture et à la clôture des sessions. Je ne
prétends pas critiquer la conduite du Roi ; il est bien le maître de prononcer
où de ne pas prononcer de discours ; je trouve même qu’il fait bien de
s’abstenir, car il est souvent arrivé que dans ces discours le ministère a fait
dire au Roi des choses qui n’existaient pas.
Je ne fais donc pas la moindre critique de la
conduite du Roi, qui n’a fait qu’user, ou plutôt de s’abstenir d’un droit
constitutionnel. Il convient cependant que le pays sache quelle est sa
situation. J’inviterai en conséquence les ministres à nous faire un rapport sur
la situation intérieure du pays, et particulièrement le ministre des affaires
étrangères à nous présenter un rapport sur la situation politique extérieure.
Je crois que cela est de toute nécessité. Toutes les fois que dans un pays
constitutionnel on ouvre la session, le gouvernement vient exposer aux chambres
l’état des relations politiques extérieures. Jusqu’ici nous n’avons reçu aucune
communication.
J’userai donc de mon droit en demandant un rapport
sur la situation intérieure du pays et particulièrement sur l’état de nos affaires
extérieures.
Je préviens dès à présent les ministres afin qu’ils
aient le temps de se préparer s’ils ont quelque chose à nous dire.
J’arrive à une seconde motion d’ordre.
Nous ne pouvons pas nous dissimuler que le projet
de loi de péréquation est un des plus importants qu’on
ait pu soumettre à l’assemblée. On vous dit qu’il s’agit de faire disparaître
des injustices dont certaines provinces sont victimes. J’admets sans rien
préjuger sur leur importance, qu’il y a des injustices ; mais je ferai observer
qu’il faut prendre garde, en voulant faire disparaître des injustices, d’en
établir d’autres, ou de laisser croire aux provinces qui seront surchargées que
la surcharge qu’elles subissent est une injustice.
Messieurs, si vous procédiez dès à présent à une
péréquation définitive, sans avoir consulté préalablement les intéressés et
leurs représentants immédiats, vous agiriez imprudemment. Ceux qui obtiendront
un dégrèvement ne se plaindront pas. Je ne sais pas jusqu’à quel point ils
seront reconnaissants du bienfait qu’ils recevront, puisqu’ils ne le
considéreront que comme la réparation d’une injustice ; mais ceux que vous
allez grever se plaindront et croiront avoir d’autant plus de droit de se
plaindre, qu’on aura mis plus de précipitation à les surcharger. La surcharge
deviendrait plus légère par l’espoir que vous donneriez aux surchargés que la
chose n’est pas irrévocablement arrêtée. C’est dans cet esprit que j’ai
l’honneur de proposer de ne rien faire définitivement. Vous pourriez adopter ou
le projet de loi du gouvernement ou celui de la section centrale. Il y aurait
peu de chose à changer.
Si vous voulez suivre la lecture du projet, il vous
sera facile d’apprécier la nature des changements que je propose.
Je prends d’abord le projet du gouvernement.
« Art 1. La somme de 14,079,122
francs, formant le principal de la contribution foncière des sept provinces ci-
dessous désignées, est provisoirement répartie entre elles de la manière
suivante, d’après les résultats du cadastre.... »
Vous voyez donc que ne fais qu’ajouter à cet
article le mot « provisoirement. » Je laisse provisoirement la
répartition telle qu’elle est établie. Je maintiens le reste de l’article
premier comme au projet.
L’art. 2 serait ainsi conçu :
« Cette nouvelle répartition s’effectuera de
manière que les augmentations ou les diminutions de contingent qui résultent de
la péréquation entre lesdites provinces seront opérées pour un tiers en 1836,
pour deux tiers en 1837, et elles seront réglées définitivement et en totalité
par le pouvoir législatif, dans l’année qui suivra la première session des
conseils provinciaux, et au plus tard dans l’année 1838. »
Ainsi, vous voyez qu’en adoptant ma proposition,
vous obtenez immédiatement, pour l’année 1836, le dégrèvement que vous
demandez. Je ne change rien ni dans les époques des dégrèvements, ni dans les
sommes ; seulement je demande qu’avant de déterminer définitivement quelle sera
la somme du dégrèvement pour les uns, et de la charge pour les autres, vous
vous donniez le temps d’en délibérer avec maturité et prudence.
Par ce moyen, tout le monde est désintéressé, et
vous avez le temps nécessaire pour consulter les conseils provinciaux. Et, je
dois le dire, vous trouvez en même temps là une garantie que la province sera
enfin organisée un jour.
Je ne sais si on peut trouver une objection
sérieuse à ma proposition. La seule chose à discuter maintenant est donc la
question de savoir s’il y a lieu de dégrever pour l’année 1836 d’un tiers ou de
la moitié de la surcharge. Et si vous voulez, comme le propose la section
centrale, que les augmentations et les diminutions s’opèrent par moitié, il
suffira d’ajouter à l’article 1er de la section centrale le mot
« provisoirement, » comme à l’art. 1er du gouvernement, et de rédiger
l’art. 2 de la manière suivante :
« Cette nouvelle répartition s’effectuera de
manière que les augmentations ou les diminutions de contingent qui résultent de
la péréquation entre lesdites provinces seront opérées pour la moitié en 1836
et seront réglées définitivement pour l’autre moitié par le pouvoir législatif,
dans l’année qui suivra la première session des conseils provinciaux, et au
plus tard en 1838. »
Je livre à
vos méditations ma proposition dont le but est d’éviter à la chambre une perte
de temps, d’accorder à ceux qui se plaignent la justice qu’ils réclament, et de
rassurer ceux qui vont être surchargés contre la précipitation qu’on paraît
vouloir mettre dans cette discussion, de les rassurer contre l’espèce d’acte de
violence dont ils peuvent se croire menacés ; car on nous a menacés d’une
coalition de 48 députés. Or, comment s’opposer à une résolution prise par 48
députés, quand la chambre ne se compose que de 102 membres et n’en compte que
60 ou 70 présents ?
Je ne veux pas inculper les
intentions de l’honorable membre qui a prononcé ce mot ; mais ce mot aura du
retentissement dans les provinces qui vont être surchargées. Vous aurez beau
faire : si vous adoptez la loi de péréquation sous l’influence de cette espèce
de menace des 48, les provinces croiront qu’elles subissent une injustice.
Laissez-leur le temps d’examiner la loi ; chacun sera convaincu peut-être,
quand la perception sera rendue définitive, qu’il est imposé équitablement. Au
moins il n’aura pas le droit de se plaindre de n’avoir pas été averti.
Je ne pense pas, je le répète, qu’on puisse faire
une objection sérieuse, juste et loyale à ma proposition, puisqu’elle ne tend
aucunement à contester les droits de ceux qui se plaignent, ni à changer les
époques des augmentations ou diminutions.
Je laisse les choses telles que les proposent le
gouvernement et la section centrale. Vous pouvez adopter ma proposition, soit
que la péréquation s’opère par tiers ou par moitié ; vous obtenez la même chose
; seulement vous offrez une garantie à ceux qui seront surchargés, et vous
évitez une grande perte de temps.
M.
Desmet. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
M. Jullien. - Il
faut que la chambre se prononce sur la première motion avant qu’on en fasse une
autre.
M. Desmet. - Je
crois que la motion de M. Gendebien est un amendement. Je voudrais en proposer
un autre.
M. le président. -
Dans ce cas, je dois suivre l’ordre des inscriptions.
M. A. Rodenbach.
- Vous savez tous que, depuis 36 à 37 ans, trois provinces sont surchargées de
58 millions. C’est le chiffre ministériel, et j’ai lieu de le croire de la plus
grande exactitude. Ces trois provinces sont les deux Flandres et la province
d’Anvers. La Flandre orientale paie annuellement 929 mille francs plus que son
contingent. La Flandre occidentale paie chaque année 508 mille francs plus
qu’elle ne devrait payer, et la province d’Anvers est surchargée, je crois, de
147 mille francs par an.
Ceci est calculé d’après les revenus nets du pays.
Je conviens que ceux qui jusqu’ici n’ont payé que de 2 à 13 p. c. de leurs
revenus, ne voient pas avec plaisir changer cet état de choses. Je comprends
que dans ces provinces on verrait volontiers que la mise à exécution de la
péréquation générale fût retardée de deux, trois ou quatre ans. Mais quand une
chose est juste, il faut l’exécuter promptement ; en ne le faisant pas, on
commettrait une injustice. Je ne puis pas croire qu’il se trouve dans cette
chambre un membre qui veuille maintenir encore une injustice qui existe déjà
depuis 37 ans.
Depuis 27 ans, en France, le cadastre est établi ;
on y a consacré bien des millions, et quoique la dépense ait été bien grande,
elle a obtenu l’assentiment de tous les hommes transcendants.
On a bien prévu que, malgré tous les soins qu’on
mettait à ce travail, il y aurait des erreurs ; mais si on le recommençait, il
y en aurait encore, c’est inévitable. De même dans les opérations cadastrales
faites au Belgique il y a des erreurs ; mais ces erreurs ne sont pas
considérables, car les propriétaires qui se sont trouvés lésés ont pu faire
leurs réclamations, montrer leurs baux.
Ces opérations d’ailleurs
ont été perfectionnées en 1826, car à cette époque on a nommé des contrôleurs,
on a envoyé des experts, des classements ont été faits. D’après cela, loin de
consentir à ce que l’on ne diminue la surcharge qui pèse sur les provinces
d’Anvers et des Flandres que d’un tiers en 1836, d’un autre tiers en 37 et du
troisième tiers en 38, après que les conseils généraux auront examiné te
travail, je voudrais qu’on opérât tout le dégrèvement de suite.
D’ailleurs les conseils ne pourront pas plus
découvrir les erreurs que nous, il faudrait tout recommencer, et on ferait
peut-être de plus graves erreurs que celles qui existent aujourd’hui. Remarquez
qu’on a réuni les assemblées cantonales, et qu’on a mis en contact les
districts avec les districts, et les communes avec les communes. Si des
propriétaires s’étaient trouvés lésés, c’est là qu’ils auraient pu faire valoir
leurs réclamations.
Je sais, je l’ai déjà dit, qu’il sera dur pour ceux
qui payaient de 2 à 13 p. c. du revenu, quand les propriétaires de la province
d’Anvers payaient de 7 à 25, ceux de la Flandre occidentale de 5 à 18, et ceux
de la Flandre orientale de 7 à 23 ; il est dur pour ceux-là, dis-je, de se voir
imposer presque au double. Mais, d’un autre côté, cette inégalité de
répartition dure déjà depuis trop longtemps. Il est impossible que cela puisse
continuer plus longtemps encore.
La justice que propose le gouvernement est
extrêmement lente. Quand on reconnaît qu’une réclamation est juste, ou doit y
faire droit aussitôt. On ne transige pas avec l’équité, avec la justice. C’est
déjà beaucoup que d’adopter la mesure de conciliation que propose la section
centrale, qui consiste à opérer le dégrèvement par moitié en 1836 et 1837 ;
car, comme je viens de le dire, le gouvernement proposait d’opérer le
dégrèvement en trois ans : je le déclare, tous ceux qui sont animés d’un
véritable esprit d’équité, tous ceux qui respectent la constitution, ne
voudront pas que l’injustice règne en Belgique ; ils voteront pour l’adoption
de la loi.
M. Gendebien. -
A entendre l’honorable préopinant, il semblerait que je veux me rendre complice
d’une iniquité, d’une injustice intolérable, monstrueuse. L’honorable membre ne
m’a pas compris, car tout ce qu’il a dit n’a aucun trait à ma proposition. Et
s’il m’avait compris, il ne serait pas entré dans la discussion du fond, il ne
se serait pas lancé dans de grandes phrases qui n’avaient aucun rapport avec ce
que j’ai dit. Ma proposition laisse tels qu’ils sont les projets du
gouvernement et de la section centrale, et en l’adoptant, vous pouvez choisir
entre les deux projets celui que vous préférez ; vous pouvez, comme le
proposent ces projets, opérer le dégrèvement et la surcharge par tiers ou par
moitié ; mais il faut faire attention qu’en dégrevant d’un côté, on surcharge
de l’autre.
Je ne demande pas qu’on ajourne un acte qu’on
appelle un acte de justice et que moi-même je considère jusqu’à certain point
comme tel ; mais je demande qu’on ne le fasse pas définitivement ; je demande
qu’on ne prenne qu’une décision provisoire et qu’on ne rende cette décision
définitive que quand les intéressés auront été entendus, quand les conseils
provinciaux auront été entendus, ou au moins auront pu se faire entendre.
Je dis ensuite que, dans toute hypothèse, la
péréquation devra être établie d’une manière définitive en 1838, soit que vous
adoptiez le projet du gouvernement, soit que vous adoptiez le projet de la
section centrale. Je donne par là une garantie que, pour le cas où par une
circonstance quelconque les conseils provinciaux n’auraient pas été constitués
aux époques indiquées, la péréquation n’en serait pas moins définitivement
établie en 1838, sans rien changer au dégrèvement annuel.
Où est donc l’iniquité, l’injustice dont on se plaint
? quelle est la valeur de tous ces grands mots qu’on a
fait entendre ?
L’honorable préopinant doit reconnaître maintenant
qu’il ne m’avait pas compris. Car je donne mon adhésion à l’un ou à l’autre
projet, pourvu qu’on ne les adopte que provisoirement, afin qu’on laisse aux
surchargés le droit de réclamer s’ils croient qu’ils l’ont été trop. Vous ne
voulez donc pas que chacun s’éclaire.
Je ne parlerai pas de la province qui, maintenant,
fait entendre le plus haut ses récriminations ; si je voulais récriminer, je
pourrais dire que les provinces qui se disent surchargées et veulent nous
arracher…
M. A. Rodenbach.
- Elles sont surchargées depuis 40 ans.
M. Gendebien. -
En sommes-nous coupables ?
M. A. Rodenbach.
- Ce sont les mauvais gouvernements qui en sont coupables.
M.
Gendebien. - Tâchez d’en avoir un bon.
Puisque l’on semble incriminer la province du
Hainaut, je dirai que c’est de toutes les provinces celle qui s’acquitte le
plus loyalement de ses contributions, aussi bien de celle de sang que de celle
d’argent. Si, dis-je, je voulais récriminer, je pourrais dire que telle
province veut nous arracher aujourd’hui un vote définitif, dans la crainte
qu’après nous être éclairés nous ne reconnaissions qu’en voulant réparer une
injustice nous en faisons de plus grandes.
Je propose une mesure toute de conciliation qui
évite une discussion et épargne un temps que réclament des travaux urgents.
Je ne demande pas autre chose. Je répète, pour la
dernière fois, que soit qu’on veuille admettre le dégrèvement par tiers comme
le propose le gouvernement, ou le dégrèvement par moitié comme le propose la
section centrale, on peut le faire en adoptant ma proposition qui ne fait que
rendre la décision provisoire afin de laisser aux citoyens qui seront
surchargés le temps d’examiner si la surcharge qu’on leur impose n’est pas trop
forte.
M. Jullien. -
L’honorable préopinant a fait deux motions ; la première a pour but de demander
à MM. les ministres des explications sur la situation intérieure et extérieure
du pays. Je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un qui ne soit disposé à approuver
cette motion de l’honorable M. Gendebien, qui ne soit prêt à l’appuyer
fortement. C’est une vérité élémentaire dans tous les gouvernements
constitutionnels qu’avant de confier à des ministres les ressources du pays,
avant de leur accorder le budget, on examine s’ils méritent cette confiance. Et
la meilleure preuve qu’ils puissent donner qu’ils la méritent cette confiance, c’est
en exposant de quelle manière ils ont gouverné les affaires du pays et dans
quelle situation le pays se trouve.
Ainsi il n’y a donc rien que de très raisonnable,
que de très juste et de très parlementaire dans la première motion d’ordre
faite par M. Gendebien, et je l’appuie de tout mon pouvoir.
La seconde motion d’ordre faite par l’honorable
membre est relative à la prétention de rendre provisoire ce qui, dans la loi
sur la péréquation cadastrale, vous est proposé comme définitif : à cet égard,
je partage entièrement l’opinion émise par un membre qui siège vis-à-vis de moi
; il ne s’agit pas d’une motion d’ordre ; la proposition est un véritable
amendement ; ainsi toute discussion sur cet objet serait prématurée ; il faut
que le débat suive son cours ordinaire ; il faut que l’on aborde les articles
de la loi pour que l’on arrive à l’examen de cette question : La loi peut-elle
être une mesure définitive ou doit-elle rester une mesure provisoire ? Sous ce
rapport, je me réserve de faire part à l’assemblée de mon opinion ; j’aurai
occasion de la développer assez longuement pour ne pas abuser actuellement de
vos moments par une discussion que je considère comme prématurée.
Toutefois je dois dire un mot sur les réflexions
faites par le préopinant à l’occasion de quelques paroles échappées à
l’honorable M. Liedts dans une des séances précédentes. Le préopinant s’est
écrié : Vous avez l’air de nous menacer de vouloir tout emporter de vive force
! Un des vôtres a eu l’indiscrétion de nous dire que vous étiez quarante-huit ;
et comme nous ne sommes en tout que soixante-dix environ, il est évident que
les quarante-huit formeront une majorité et que vous nous enlèverez par le
nombre ce que nous avons le droit de vous disputer par la raison !
Messieurs, je suis
étonné que l’on revienne sur cette expression après les explications données
par M. Liedts lui-même. Il a fait connaître sa pensée et ses intentions.
Qu’a-t-il entendu dire ? Il n’a voulu que signaler un fait statistique et pas
autre chose ; or, c’est un fait que nous sommes quarante-huit membres disposés
à demander, par tous les moyens réguliers possibles qu’on rende à quelques provinces
qui ont été surchargées, depuis quarante ans, la justice qu’elles ont réclamée
depuis quarante ans. Y a-t-il là rien d’irritant ? Je vous en conjure,
messieurs, il y a assez d’éléments d’irritation dans cette enceinte, sans que
l’on cherche à en créer d’imaginaires ; on ne s’y entend pas très bien sur quelques
questions. Il ne faut pas recommencer des débats semblables à ceux dont nous
avons été les témoins, quand on peut les éviter.
Quant à moi, député des Flandres, je me propose de
parler dans la discussion, mais je vous déclare que je le ferai avec toute la
modération que j’y pourrai apporter ; j’invite mes collègues à faire de même ;
il s’agit d’une question de justice et d’équité, et dans une telle question je
ne pense pas qu’il puisse y avoir des députés des Flandres ou du Hainaut, il ne
peut y avoir que des députés de la nation. Ce titre de député doit être entendu
par tout le monde de la même manière.
Je pense qu’il faut cesser ce débat et passer à
l’ordre du jour sur la proposition faite par M. Gendebien.
M.
Desmet. - Comme on vient de le dire, la proposition faite par M.
Gendebien est un véritable amendement ; je demande qu’il soit imprimé et
distribué, afin que tout le monde puisse l’examiner, et que nous commencions
immédiatement la discussion sur la loi concernant la péréquation cadastrale.
M. Pirmez. - Quel
que soit le nom que vous donniez à la proposition de M. Gendebien, toujours
est-il constant que vous n’êtes pas éclairés sur la question, et que vous avez
besoin de renseignements pour l’approfondir ; vous n’avez aucun document. Il
est vrai que vous avez le projet de loi présenté par le gouvernement et les
calculs faits par l’administration cadastrale ; c’est sans doute une
présomption qui résulte de ces pièces, mais ce n’est pas là une preuve, et vous
ne pouvez voter définitivement sur de pareilles communications, et surtout
avant d’avoir pris l’avis des conseils provinciaux.
Nommez la proposition de M. Gendebien une motion
d’ordre, nommez-la un amendement, c’est toujours une proposition raisonnable,
et vous devez en voter l’adoption. Il n’y a que des probabilités en faveur du
projet de loi ; faites donc un dégrèvement provisoire en attendant que vos
probabilités se changent en certitude.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Il semble que l’honorable
préopinant se dispose à combattre la loi qui est en discussion de la même
manière qu’il a combattu celle adoptée dans la séance d’hier : c’est sur le
défaut de documents qu’il voudrait faire adopter la modification proposée par
M. Gendebien sur la loi relative à la péréquation cadastrale, modification sur
laquelle je m’expliquerai tout à l’heure ; je ne conçois pas ce reproche, sans
cesse renaissant, et d’après lequel il semblerait que le gouvernement ne
fournit aucune espèce de renseignement aux chambres à l’appui de ses projets.
J’en appelle aux membres de la section centrale. On leur a livré tous les
documents qu’ils ont demandés ; on leur a livré le bureau du cadastre tout entier,
et ils y ont puisé tous les renseignements possibles.
Lisez le rapport de la commission, et vous y
trouverez que, vu les nombreux documents qu’elle a eus sous les yeux, elle n’a
pu vous entretenir de toutes les pièces sur lesquelles elle appuie son assertion,
et que, d’ailleurs, un corps délibérant, un corps nombreux ne peut entrer dans
les détails d’administration qui constituent l’ensemble des opérations
cadastrales. Cependant, si M. Pirmez veut recourir aux documents mis à la
disposition de la section centrale, il peut s’adresser au ministère des
finances, et je l’initierai volontiers à tous les travaux du cadastre.
Quant à la proposition de M. Gendebien, sans en
examiner, pour le moment, le mérite, je dirai qu’elle est un véritable
amendement à la loi, et qu’on ne pourrait convenablement l’adopter qu’après
avoir discuté le projet pendant une ou deux séances, et lorsqu’il aurait été
reconnu qu’il est impossible de s’entendre.
M. Gendebien. -
Il m’importe peu quel nom vous donniez à ma proposition ; mais il m’importe
qu’elle ne soit pas considérée comme aussi intempestive qu’on veut le faire
croire. Mon intention est d’éviter une discussion de trois ou quatre semaines
sans autre résultat que d’apprendre à la chambre les difficultés de s’entendre,
comme semble l’avoir reconnu le ministre des finances lui-même.
N’est-il pas évident que si vous déclarez que la
mesure que vous allez prendre n’est que provisoire, tout sujet de discussion
cessera, ou qu’au moins la discussion n’aura ni le même intérêt ni la même
importance ? N’est-il pas évident que vous faites un bénéfice de temps, que
vous épargnez trois ou quatre séances ? C’est véritablement une motion d’ordre.
Je vous demande que le projet du gouvernement ou
celui de la section centrale ne soit pas discuté comme loi définitive, mais
comme une réparation provisoire ; je demande que la réparation soit faite dans
les mêmes termes proposés par le gouvernement ou par la section centrale ; je
veux vous éviter d’entendre une vingtaine de volumineux discours. Il ne peut y
avoir rien de fâcheux dans ma proposition, si ce n’est pour ceux des députés
qui comme Vertot, ayant préparé leur siège, ne
pourront vous lire leurs élucubrations. (On
rit.) Eh bien, qu’ils ajournent leur éloquence pour une époque où la
chambre aura mieux le temps de les entendre, tout le monde y gagnera.
Le ministre lui-même reconnaît qu’on pourra
peut-être ne pas s’entendre après la discussion ; vous voyez donc qu’il y aura
nécessairement bénéfice pour la chambre. Il y aura surtout bénéfice pour le
gouvernement, puisque cela lui épargnera d’entendre les plaintes qui ne
manqueront pas de lui être adressées, si la mesure est définitivement prise
d’une manière brusque et précipitée.
Au reste, quoi que vous fassiez, veuillez remarquer
que vous ne pouvez rien adopter de définitif ; car vous êtes obligés de laisser
en dehors de la discussion les provinces du Limbourg et du Luxembourg, dont
vous devrez vous occuper un jour ; avant 1838, le sort de ces provinces sera
très probablement fixé ; alors nous aurons les éléments généraux nécessaires
pour faire entrer ces provinces dans la péréquation cadastrale.
Forcément vous faites du
provisoire, puisqu’après avoir constaté l’irrégularité qui existe entre ces
provinces et les autres, il faudra qu’elles soient comprises dans une nouvelle
péréquation qui ne pourra être générale et définitive qu’à cette époque.
Après ces considérations, quelle objection peut-il
donc rester ? Franchement, loyalement, je n’en vois aucune. J’ai fait ma
motion, j’ai essayé d’empêcher la perte du temps, j’ai essayé d’empêcher la
chambre de faire un acte d’injustice, tout en croyant faire un acte de justice
; maintenant faites comme vous voudrez.
L’honorable M. Jullien vous a invités à éloigner
tous sujets d’irritation. Le conseil est bon à donner et à suivre ; toutefois
il a été, et j’avais le droit de le dire, il a été très poignant pour moi
d’entendre de la bouche de M. Liedts qu’il y avait quarante-huit membres dans l’assemblée
qui s’étaient comptés et qui prétendaient nous forcer à discuter la loi. Si
quelques éléments d’irritation ont été jetés dais cette enceinte, ce n’est pas
par moi ; c’est par l’orateur qui a laissé échapper ce mot très significatif.
Mon intention n’est pas de mettre de l’irritation dans nos discussions, surtout
dans une question de chiffres où je n’ai d’ailleurs aucune espèce d’intérêt de
localité à ménager, encore moins un intérêt personnel ; la chambre sait que
dans toutes les occasions je n’ai jamais fait du patriotisme de clocher, ni de
province.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - L’honorable M., Gendebien m’a mal compris s’il
croit que j’ai dit que la discussion amènerait des difficultés insurmontables
pour s’entendre ; j’ai dit au contraire que c’est à la discussion à montrer
s’il peut y avoir des obstacles à prendre une mesure définitive au lieu d’en
prendre une provisoire.
En parlant de l’état du Limbourg et du Luxembourg
sous le rapport du cadastre, le préopinant a voulu prouver que nous ne ferions
nécessairement que du provisoire, alors même que nous adopterions le projet du
gouvernement, puisqu’il faudra bien, dit-il, s’occuper encore une fois de la
question du cadastre lorsqu’il s’agira de la péréquation de ces deux provinces
: c’est là une erreur.
Non, messieurs, il ne faudra pas revenir sur la loi
actuelle, quand le Limbourg et le Luxembourg seront cadastrés ; nous
connaîtrons alors quel est le montant du revenu imposable de ces deux
provinces, et il nous suffira d’y appliquer la même proportion de l’impôt
foncier qu’aux autres provinces dont nous nous occupons aujourd’hui, parce que
nous en connaissons le revenu imposable ; de telle sorte que l’impôt étant,
comme nous le voyons, de 9 87/100 du revenu imposable dans les sept provinces
cadastrées, nous appliquerons également 9 87/100 pour le revenu imposable du
Limbourg et du Luxembourg, lorsque nous connaîtrons ce revenu ; il ne sera donc
pas nécessaire de refondre notre loi cadastrale actuelle, lorsque nous aurons
le cadastre de ces deux provinces, et il nous suffira d’en élever ou d’en
abaisser simplement l’impôt au niveau de celui des autres provinces.
M.
Gendebien. - Alors il y aura dégrèvement.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Il n’y aura pas dégrèvement.
Je vois que je ne me suis pas fait comprendre. (Si ! si !) Messieurs, il m’importe que
j’insiste encore pour démontrer que nous ne ferions pas du provisoire en
adoptant notre projet.
Vous connaissez le revenu des sept provinces
cadastrées, ainsi que le contingent actuel de l’impôt foncier de ces sept
provinces ; pour en frapper les revenus communs d’une manière uniforme, nous
savons que ce doit être à raison des 9 87/100 p. c. du revenu imposable ; eh
bien, quand nous connaîtrons le revenu imposable du Limbourg et du Luxembourg,
nous y élèverons dans la même proportion de 9 87/100 p. c. de ce revenu
imposable ; si, dans le Luxembourg, par exemple, l’impôt est actuellement à 8
p. c. du revenu imposable, on l’élèvera à 9 87/100 ; si dans le Limbourg il est
à 12, on le réduira à 9 87/100. Voila tout ce qu’il y aura à faire, et
nullement de recourir à une nouvelle péréquation générale pour toute la
Belgique ; et les sept autres provinces resteront imposées comme elles vont
l’être en vertu de la péréquation qui fait l’objet de la loi en discussion.
M.
Jullien. - Je vous demande pardon, messieurs, si je parle une seconde
fois.
On tourne toujours dans le même cercle ; il restera
toujours à savoir si la proposition est ou n’est pas un amendement. Mais,
dit-on, c’est une motion d’ordre faite dans le but d’éviter à la chambre deux
ou trois séances d’inutiles discussions, ou de lui éviter d’entendre les
débordements d’éloquence de quelques orateurs qui se sont longuement préparés
pour cette discussion.
Quant à moi. j’ai peur de
ces longs discours (on rit) ; mais
vous ne les éviterez pas, parce que vous êtes forcés de descendre dans les
entrailles du sujet, soit pour voter la loi, soit pour voter la proposition de
M. Gendebien ; car, ceux qui veulent du définitif appelleront à leur secours
tous les arguments en leur pouvoir pour soutenir la loi telle qu’elle est
présentée, tandis que les adversaires de ce système emploieront toute leur
éloquence pour combattre la mesure, en tant que définitive.
Vous ne gagnerez donc rien, et vous serez dans la
même position où vous vous trouveriez par une discussion régulière.
On est revenu sur un mot prononcé par M. Liedts ;
je n’expliquerai pas mieux que cet honorable membre sa pensée ; mais je ferai
remarquer que s’il avait eu les intentions qu’on veut lui prêter, il aurait
parlé pour lui-même, et n’aurait pas engagé la conscience ni la raison des députés
des provinces qui ont envoyé les quarante-huit. Messieurs, dans les Flandres
comme ailleurs, il y a des députés qui, dans des occasions solennelles, ont
montré qu’ils n’étaient pas mus par un esprit étroit
de localité ; car ils ont voté, en certaines circonstances, dans un sens
contraire à cet esprit. Ils n’ont pas oublié que dans cette enceinte ils
représentent la nation, et qu’avant tout ce sont les intérêts généraux qu’ils
doivent défendre, l’intérêt particulier ne devant venir qu’en seconde ligne.
M. Dumortier. -
Je ne comprends pas comment l’honorable préopinant peut dire que la proposition
de M. Gendebien n’aura aucun avantage ; car n’y aurait-il que cet avantage de
nous faire tomber tous d’accord, il serait immense ; et cela vaudrait mieux que
d’avoir une loi votée par quarante-huit.
On peut considérer la proposition comme un
amendement, mais on peut aussi la considérer comme une motion puisqu’elle tend
à faire cesser toute discussion.
Elle permettra de signaler les vices du cadastre,
et cependant le dégrèvement sera accordé. Dès l’instant que vous serez
dégrevés, vous serez satisfaits, il me semble.
Voulez-vous que ce soit à toujours que vous soyez
dégrevés ? Mais cela est impossible. L’œuvre d’une législature peut être
détruite par une autre législature. Si des réclamations trop violentes se
faisaient entendre de la part des provinces qui vont être surchargées, il
faudrait bien que le gouvernement revînt sur ses pas.
Je crois que la proposition de M. Gendebien est de nature
à contenter tous les esprits.
Que les honorables membres qui out grande hâte
d’obtenir le dégrèvement se rappellent les vices qu’eux-mêmes ont signalés, il
n’y a pas si longtemps, dans les travaux du cadastre ; qu’ils se rappellent
l’Atlas circulaire (On rit.)
L’honorable M. Rodenbach lui-même ne s’est-il pas
plaint des évaluations faites par le cadastre ? N’a-t-il pas révoqué en doute
l’exactitude des opérations cadastrales ? N’est-il pas étonnant de voir
maintenant des hommes qui, il y a un an ou deux, attaquaient les chiffres du
cadastre, en soutenir l’infaillibilité ? J’en appelle à vos souvenirs. Nous
pensons actuellement, comme nous avons toujours pensé que les travaux du
cadastre peuvent être inexacts ; alors, portons une loi provisoire, pour nous
donner le temps de faire de vérifications.
Il résulte des opérations
cadastrales qui ont été faites que les Flandres sont surchargées ; mais quand
nous arrivons à l’évaluation de cette surcharge, il n’y a rien de prouvé. Et
quand on vous dit : Surtaxez telle ou telle province qui a versé son sang pour
la révolution, surtaxez-la d’un million, il faut y regarder à deux fois, et ne
procéder, comme a fait observer l’honorable député de Mons, que quand on est
convaincu de la justice de la mesure.
J’appuie donc la proposition du député de Mons ; je
crois qu’elle est de nature à concilier toutes les opinions ; et l’on doit
reconnaître qu’elle est très sage. Il n’y a personne qui puisse redouter
l’examen des états provinciaux. Rappelez-vous les pétitions qui arrivèrent à
cette chambre, à l’occasion de l’augmentation de 10 p. c. sur le foncier. Elles
tendaient à établir que la propriété foncière était trop taxée
proportionnellement aux autres propriétés. Voilà un fait que les députés des
Flandres ont eux-mêmes invoqué il y a quelques mois.
Il n’y a pas 6 mois qu’on disait cela, et qu’on se
plaignait des opérations cadastrales. Puis maintenant on vient demander que ces
opérations soient définitives. Je ne comprends rien vraiment à cette avidité de
jouir d’un dégrèvement.
J’appuie donc la proposition de M. Gendebien qui me
semble de nature à concilier toutes les opinions. Il me semble que les députés
des Flandres qui ont prononcé tant de discours contre les opérations
cadastrales devraient voter pour l’adoption de cette proposition. S’ils ne le
font pas, je prends l’engagement de vous apporter leurs discours.
M.
A. Rodenbach. - L’opinion que j’ai émise il y a un an, et dont
l’honorable préopinant me menace, est encore mon opinion d’aujourd’hui. Il y a
un an, je demandais la péréquation générale ; je la demandais à grands cris,
parce qu’il y avait à cet égard des plaintes fondées dans ma province. Je ne me
suis pas plaint de la péréquation générale ; je l’ai au contraire demandée ;
mais je me suis plaint de la péréquation partielle, d’où il résulte que, dans
certaines communes, on paie 25 p. c. d’impôt, tandis qu’ailleurs on ne paie que
10 ou 12 p. c. Ainsi les villes d’Ostende, Ypres et Roulers sont chargées par
la péréquation partielle d’un impôt de 16 3/4 p. c. sur les propriétés bâties,
tandis que d’après la péréquation générale les propriétés bâties ne paieront
que 11 p. c.
J’ai donc demandé et je demande encore la
péréquation générale. Je ne crains donc pas que l’honorable préopinant vienne
lire ici mes discours. Qu’il lise le discours que j’ai prononcé il y a un an,
il verra que j’ai demandé la péréquation générale et la suppression de l’impôt
extraordinaire de 10 p. c. J’ai encore de la mémoire.
M. Liedts. - Un
honorable préopinant est encore revenu sur les paroles que j’ai prononcées il y
a quelques jours. Lui qui tient plus qu’aucun autre membre à ce qu’on ne
dénature pas ses paroles, il aurait dû ne pas dénaturer les miennes.
Je viens de lire pour la première fois dans le Moniteur le compte-rendu de mes paroles
; je n’ai pas un mot à y changer, pas un mot à rétracter
Je ne crois pas qu’il soit antiparlementaire de
dire qu’il est probable, peut-être même certain, que sur 48 membres appartenant
aux provinces surtaxées, l’un d’eux fera, lors de la discussion du budget des
voies et moyens, une proposition tendant à amener la discussion sur la question
de la péréquation. Rappelez-vous, messieurs, que je n’ai dit que cela, et que
je n’ai voulu en aucune manière préjuger votre décision. Rappelez-vous que
c’était pour que la discussion fût plus approfondie que j’ai demandé qu’elle
fût mise à l’ordre du jour d’une prochaine séance.
J’aborde la motion d’ordre
de l’honorable député du Hainaut. Sa proposition se réduit à insérer dans la
loi un seul mot, c’est-à-dire « la répartition provisoire » au lieu de
« la répartition. » Si ce n’est pas là un amendement, je ne sais plus
ce que c’est qu’un amendement. En effet, en demandant l’adoption immédiate de
cette proposition, que vous demande-t-on ? Que vous déclariez que la discussion
ne peut pas vous éclairer, que vous n’avez pas les éléments nécessaires pour
asseoir votre jugement, que les travaux du cadastre ne sont pas exacts et que,
sans l’avis des conseils provinciaux, vous ne pouvez décider la question.
Mais, messieurs, là est toute la question. Il est
possible que la discussion prouve le contraire. Qui assure à l’honorable auteur
de la motion d’ordre que la discussion ne lui prouvera pas que la discussion ne
peut l’éclairer en rien dans une question de cette nature ?
Je dis donc que ce n’est qu’après la discussion, et
autant que l’honorable membre reconnaîtra qu’il n’aura pas été éclairé par la
discussion, qu’il pourrait logiquement présenter un amendement, tendant à ce
que la loi ne soit que provisoire. Mais il ne peut logiquement dire a priori,
et avant la discussion, que la discussion ne peut l’éclairer, et que l’avis des
conseils provinciaux est nécessaire pour nous éclairer. Sa motion d’ordre est
donc prématurée. Je n’en examinerai pas le fond. Je dis qu’avant tout la
discussion générale doit avoir lieu, sauf au préopinant à renouveler sa motion
d’ordre dans la discussion des articles.
M. Gendebien. -
L’honorable préopinant a paru insinuer que j’aurais dénaturé ses paroles. Le
fait est au moins inexact attendu que je n’ai cité aucune de ses paroles.
Il est de fait qu’il a dit : « Nous sommes 48
appartenant à des provinces intéressées au dégrèvement. Il est certain qu’un de
ces membres soulèvera la question de péréquation à l’occasion du budget des
voies et moyens ; vous serez bien forcés d’entamer cette discussion. » Si
je ne cite pas les paroles, au moins le sens du discours de M. Liedts, qu’on veuille
bien me rectifier. Nous sommes d’accord, à ce qu’il pareil, sur le texte. Eh
bien, qu’est-ce que cela vent dire en bonne logique ? Nous sommes 48 intéressés
à la question, et nous réglerons la discussion comme cela nous conviendra. Je
suis convaincu que chacun de vous a éprouvé une sensation pénible en entendant
ces paroles.
Qu’ai-je dit à la chambre ? Que les provinces qui
devaient être surchargées devaient croire que la discussion ne serait pas
sérieuse, alors qu’une motion serait appuyée par 48 membres appartenant aux
provinces qui demandent un dégrèvement. La chambre se compose de 102 membres,
et comme nous ne sommes guère que 70 membres présents aux séances, évidemment
les autres provinces seront surchargées. Avais-je besoin de dénaturer les
paroles du préopinant ? Je puis me tromper sur le sens de ses paroles ; mais
sur ses paroles mêmes, je suis, il me semble, d’accord avec lui ; c’est donc à
tort qu’il a prétendu que je les avais dénaturées.
Messieurs, j’avais fait ma motion pour gagner du
temps. Il est palpable que si la loi que nous allons discuter n’avait que des
effets provisoires, elle aurait bien moins d’importance que si elle était
définitive. Pour moi, si vous décidiez que la répartition ne sera que
provisoire, je déclare que je ne dirais pas un mot. Je croirais que tout est
pour le mieux ; je vous croirais également désintéressés dans la question.
Si au contraire la loi est définitive (ici je ne
parle pas au nom de ma province, mais au nom de toutes les provinces), il est
indispensable qu’on soutienne les intérêts des provinces qui seraient
surchargées par la loi, et qu’on demande un plus ample examen d’une loi par
laquelle vous prononcerez définitivement sur leur sort.
Maintenant, puisque je sais que ma motion
prolongerait la discussion, comme elle avait un but inverse, je déclare la
retirer. Mais quand la chambre sera fatiguée de la discussion, je me réserve de
renouveler ma motion, sous forme d’amendement ou sous toute autre forme.
M. le président. -
M. Gendebien ayant retiré sa proposition, il n’y a rien à mettre aux voix.
M. de Puydt., au
nom de la commission des travaux publics, donne lecture rapport sur plusieurs
pétitions renvoyées à cette commission. (Ce
rapport paraîtra dans le Moniteur.)
M. Jadot. - Je crois
devoir faire remarquer à M. le rapporteur que la demande des habitants de Barvaux ne tend nullement à faire écarter, comme il le dit,
celle des habitants de la Roche ; la route que ceux-ci sollicitent et dont ils
se soumettent à supporter une partie des frais leur est aussi indispensable que
l’est aux habitants de Barvaux celle qui fait l’objet
de leur pétition.
Si l’on adoptait l’une de ces routes et qu’on
rejetait l’autre, ceux qui échoueront dans leur demande ne profiteront
aucunement de la route accordée ; il faut donc nécessairement les admettre
l’une et l’autre, cela n’est que juste : ces communes ne peuvent rester entre
deux grandes routes, sans communications avec ces routes.
M. Dumortier. -
Puisqu’il s’agit de pétitions ayant pour objet des demandes de routes et
communications, je rappellerai à M. le ministre de les réclamations qui se sont
élevées déjà sur ce qu’il n’y a pas de routes pavées entre Tournay et Roubaix,
deux villes de 30,000 âmes qui sont sans moyens de communication entre elles.
Puisque j’ai la parole, je demanderai à l’honorable
M. de Puydt si le rapport de la section centrale chargée de l’examen du projet
de loi du budget de la guerre sera bientôt prêt. Je pense qu’il serait bien
qu’il fût distribué dans un bref délai.
- La chambre ordonne l’impression du rapport, se
réservant de fixer ultérieurement l’époque de la discussion.
M. de Puydt, rapporteur.
- On demande quand sera prêt le rapport sur le budget de la guerre. La section
centrale vient de finir aujourd’hui seulement l’examen de ce budget. Le rapport
pourra être présenté après-demain à la section centrale, qui en entendra la
lecture et l’arrêtera probablement le jour même. Il sera imprimé immédiatement.
Je pense que la distribution du rapport pourra avoir lieu samedi ou dimanche.
La chambre pourra en fixer la discussion à l’un des jours de la semaine
prochaine.
M. Jadot. - Il y a
plusieurs lois qui doivent nécessairement être discutées avant le budget de la
guerre notamment celle du contingent et le budget des voies et moyens.
M. Dumortier. -
La loi du contingent n’est pas présentée. Mais l’observation du préopinant est
parfaitement juste : on ne peut pas discuter le budget de la guerre sans avoir
la loi du contingent de l’armée. Car avant, de voter pour le soldat, il faut
savoir quel sera le nombre des soldats. J’invite donc le ministre à présenter
prochainement la loi du contingent.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Je pense que la loi du contingent de l’armée
est si simple qu’il n’est pas nécessaire de la présenter longtemps avant
l’époque de sa mise en discussion. En effet, elle n’indique que les sommes à
porter au budget de la guerre ; elle dispose que 115 ou 120 mille hommes
pourront être appelés sous les drapeaux, tandis que vous ne votez des fonds au
budget de la guerre que pour une armée de 50 mille hommes. La loi du contingent
est en quelque sorte une formalité que vous enregistrez chaque année, formalité
à laquelle vous ne pourrez même déroger sur les années précédentes, puisque la
situation politique, la situation de la guerre, est toujours la même.
Au reste, il suffit que la loi du contingent ait
été réclamée dans cette enceinte, pour que nous nous fassions un devoir
d’appeler sur ce point l’attention de M. le ministre de la guerre, et de
l’engager à présenter ce projet de loi le plus tôt possible.
M. le président. -
Il n’y a pas de proposition, la chambre passe à la suite de l’ordre du jour.
PROJET DE LOI RELATIF A LA PEREQUATION CADASTRALE
Discussion générale
M. le président. -
La parole est à M. de Jaegher.
M. de Jaegher. -
Je demanderai d’abord si le ministère se rallie à la proposition de la section
centrale.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Je déclare, au nom du gouvernement, ne pas me rallier
à la proposition de la section centrale, et maintenir par conséquent la
différence en 3 années, au lieu en 2 années, comme le propose la section
centrale.
M. de Jaegher.
- Si la constitution n’est pas un mensonge, la loi qui nous occupe est bien la
plus juste qui jamais vous ait été soumise, puisqu’elle a pour objet de
réaliser à l’égard de l’impôt foncier le principe d’égalité de tous les Belges,
puisqu’elle doit faire disparaître une disproportion révoltante dans sa répartition
entre les diverses provinces du royaume, disproportion qui pèse le plus
particulièrement sur les deux Flandres.
L’exposé des motifs du projet démontre clairement
la régularité de la marche à suivre pour arriver à la connaissance du chiffre
des inégalités ; mais s’il est lucide sur ce point, il ne donne pas
d’éclaircissements sur l’origine et les causes de la surtaxe dont ces provinces
sont depuis si longtemps victimes, et laisse par conséquent inexplicables pour
certains esprits des faits dont la juste appréciation dépend de la connaissance
des circonstances particulières qui les ont amenés.
C’est une erreur assez commune que la Flandre soit
un pays que la nature a spécialement favorisé sous le rapport de sa fertilité.
Beaucoup d’économistes ont représenté cette portion du pays comme une terre de
promission ; et cependant, quiconque en a parcouru les campagnes avec quelque
attention, a pu se convaincre que cette fécondité apparente est purement
factice, que la nature y a été, plus qu’ailleurs, avare de ses bienfaits, et
que le travail et l’engrais prodigués partout ont seuls pu donner au sol les
moyens d’entretenir la nombreuse et sobre population qui le couvre.
Mais quand on considère jusqu’à quel point un
labeur et des sacrifices si pénibles ont été imposés depuis des siècles par les
gouvernements étrangers qui sont successivement venus peser de tout leur poids
sur la Flandre, il semble que la providence ait voulu calculer les forces de
l’homme et la puissance de l’industrie, d’après l’étendue de l’oppression
qu’elles subissaient, et poser la limite des sacrifices humains au cœur de
cette contrée.
La source de la surtaxe de la Flandre dans l’impôt
foncier remonte aux temps de la domination espagnole ; les Flamands avaient
souscrit à la pacification de Gand, et ce fut là un grief que l’Espagne ne leur
pardonna jamais.
La répartition désastreuse qui s’opéra à cette
époque fut maintenue par l’influence des deux premiers ordres aux états sous le
gouvernement autrichien. La Flandre avait peu d’abbayes, sa noblesse n’était
pas nombreuse, et le souverain n’y avait aucun domaine ; il n’en fallut pas
davantage pour que dans les affaires générales, en matière d’impôts, qui se
traitèrent à Bruxelles, la Flandre continuât à être obérée.
Les anciennes matrices rappellent que des terres
limitrophes et de même valeur, de la Flandre et du Hainaut, payaient dans la
première de ces provinces cinq et six fois plus que dans la dernière ; ainsi
l’on a rappelé dans le temps que, vers la fin encore du régime autrichien, la contribution
foncière était à Escanaple (Hainaut) de 2 à 3 florins
un bonnier, tandis qu’à Avelghem,
commune limitrophe et moins fertile, il s’élevait à 16 florins (cents
additionnels compris).
La West-Flandre fut cédée
au roi de France par le traité de Nimègue en 1678 ; ce prince ne se crut pas
obligé de maintenir les privilèges du pays, et annexa à ses domaines les
revenus des impositions indirectes connues sous le nom de « moyens
courants, » impositions que les provinces avaient, pour faire face à leurs
dépenses intérieures, établies sur les vins, bières, eaux-de-vie, etc.
La maison d’Autriche obtint, en 1713, la
rétrocession, et, au lieu de réparer l’injustice commise par la France, le
gouvernement autrichien jugea convenable de continuer la perception de ces
moyens courants à son profit.
Des réclamations s’élevèrent, mais les subtilités
de la politique prévalurent sur la justice ; l’Autriche allégua que la
West-Flandre étant un pays rétrocédé par le traité d’Utrecht, elle était
rentrée sous sa domination, telle qu’elle avait été livrée par la France.
Ainsi fut continuée, quant à la West-Flandre, la
perception inique décrétée par la France, tandis que les autres parties des
Pays-Bas catholiques continuaient à prélever ce genre de contributions au
profit de leurs provinces respectives.
A l’entrée des Français en Belgique, en 1794, les
représentants du peuple venus à la suite des armées promirent une parfaite
égalité dans la répartition des contributions ; mais la première administration
du département de la Lys, bien loin de chercher à alléger les charges de cette
province, aggrava considérablement le mal par la manière dont elle conçut le
travail qui lui fut demandé en l’an V pour associer notre pays à la répartition
de la contribution française.
Les hommes éclairés de cette époque avaient commis
la faute, trop fréquente dans les moments de crise, de s’éloigner des affaires,
et l’administration de la province avait été confiée à quelques étrangers aussi
ignorants de la législation et des ressources du pays que désireux de rendre
productive la conquête.
Cette administration comprit dans les impositions
que payait la Flandre occidentale au souverain, les moyens courants
qu’acquittait autrefois la West-Flandre ; elle ajouta au principal les sols
additionnels qui étaient au niveau de la contribution même ; enfin elle y
comprit les impôts fonciers connu, sous le nom de
land-kosten, impôts affectés aux frais
d’administration provinciale et des communes.
Dans la Flandre orientale, l’administration de la
conquête trouva la même surtaxe établie par les régimes précédents, et
confondit dans le chiffre de l’impôt ordinaire l’impôt extraordinaire dont,
pour couvrir les frais de la guerre, le général Clairfayt avait frappé cette
province.
L’injustice ne tarda guère à être démontrée ;
aussi, dès que l’administration eut repris son cours ordinaire, le conseil
général du département de la Lys réclama vivement contre l’erreur des
administrateurs de 1795, et ces réclamations, souvent répétées et appuyées de
documents incontestables, furent trouvées tellement fondées que la loi du 8
ventôse an XII accorda une remise de 157,000 fr. sur la contribution du
département de la Lys, à l’exclusion des
autres provinces de la Belgique.
Cette loi établissait en fait que la Lys était
évidemment surtaxée comparativement aux autres
départements de la Belgique, celui des Forêts excepté.
Ce serait une erreur de croire, et il faut se hâter
de le déclarer ici, que cette réduction de 157,000 fr. constituât l’évaluation
faite à cette époque de la surtaxe. Le rapporteur de la loi, Fabre de l’Aube,
déclara le contraire, en termes exprès, et exprima, au nom de la commission,
l’espoir que les dégrèvements futurs seraient plus considérables.
Le département de l’Escaut fit aussi de nombreuses
réclamations, qui demeurèrent sans succès ; seulement il obtint plus tard sa
part proportionnelle dans une remise qui fut faite à tous les départements
belges.
La Lys subit dès lors, malgré le principe posé par
la loi de nivôse, l’effet des embarras dans lesquels la France fut engagée pour
un temps considérable depuis cette époque, et le témoignage de cette loi resta
désormais stérile pour elle.
Cependant une réunion des préfets du Nord, de
l’Escaut, de la Lys et de Jemmapes, eut encore lieu à Lille par ordre du
ministre de l’intérieur, et il fut reconnu par cette assemblée que la surcharge
du département de la Lys était, relativement à celui de Jemmapes de 3 et 1/4
quatorzièmes, et celui de l’Escaut de 2 et 1/3 quatorzièmes.
Quoi qu’il en soit, cette réunion n’eut d’autre effet
que d’établir une nouvelle preuve de l’injustice que subissaient les deux
Flandres, et cette iniquité devait se maintenir encore pendant 30 ans.
Un des premiers soins du gouvernement hollandais,
qui avait recueilli l’héritage de la France, fut de se livrer à une
investigation sérieuse sur l’assiette et la répartition de la contribution
foncière et mobilière dans son nouveau royaume.
La loi du 11 février 1816 exprima le besoin d’une
nouvelle répartition, et une commission fut nommée par arrêté du 26 septembre
1817, en exécution des articles 8 et 14 de cette loi, et de l’art. 7 de celle
du 28 décembre de la même année, pour formuler un projet de répartition.
Cette commission demanda aux états provinciaux des
provinces respectives un tableau d’évaluation des propriétés de toute nature,
pour servir de base à la répartition entre elles de l’impôt foncier.
Après des efforts inouïs, elle présenta son rapport
au roi le 29 août 1818, et ce document fut immédiatement imprimé et distribué
aux membres des états-généraux.
La commission commençait par témoigner son regret,
déjà exprimé dans un rapport précédent, de ce que plusieurs provinces étaient
restées en défaut de lui transmettre tous les renseignements qu’elle avait demandés
à plusieurs reprises pour terminer ses opérations, et de ce que ceux de
plusieurs autres se faisaient remarquer par des erreurs et des inexactitudes
aussi déplorables que perceptibles.
Néanmoins, cette réunion, composée en majeure
partie d’hommes spéciaux et de bonne foi, était parvenue à distinguer assez
bien la vérité à travers les éléments incomplets dont elle avait été
environnée, pour établir des bases de répartition dont les résultats définitifs
du cadastre ont fait reconnaître le mérite.
Voici les chiffres comparatifs auxquels, d’après la
commission, les provinces étaient respectivement imposées :
Brabant méridional, 13 3,21810/000
Flandre orientale, 13 2,349/000
Flandre occidentale, 15 1,584/000
Anvers, 14 0,613/000
Hainaut, 9 8,308/000
Namur, 8 3,171/000
Liége, 9 7,742/000
Limbourg, 8 2,935/000
Luxembourg, 8 7,284/000
Si l’on réfléchit à l’insuffisance des
renseignements dont elle disposait, et si l’on tient compte de la modification
qui s’est opérée depuis lors dans le chiffre du revenu imposable de la province
du Brabant, par l’accroissement de la capitale, on est forcé de reconnaître ces
évaluations comme approximativement justes, et tenté d’en conclure que
l’inégalité proportionnelle était tellement saillante, qu’elle nécessitait à
peine l’examen le plus superficiel.
La commission établissant la proportion commune du
revenu à la taxe à 11 7,543/000, proposait au roi d’effectuer la révision
progressive de l’impôt par sixième dans le cours de six années.
Ainsi qu’on devait s’y attendre, ce système trouva
d’autant plus de résistance, que l’absence d’éléments positifs irréfragables,
que la commission avait publiquement regrettée, légitimait les défiances, et
prêtait des armes au mauvais vouloir, pour ne pas dire plus.
Un grand nombre de propriétaires des provinces de
Liége et Limbourg transmirent, par l’intermédiaire de leurs états provinciaux,
au gouvernement et aux chambres, des mémoires pour repousser le retour partiel
à l’égalité proportionnelle invoquée par la commission d’Etat.
Les auteurs de ces mémoires contestaient la
justesse des résultats que la commission avait déduits des cadastres de
quelques cantons pris au hasard dans chaque province ; ces résultats qu’ils
qualifièrent d’inductions arbitraires, d’opérations conjecturales, ne pouvaient,
selon eux, justifier une nouvelle répartition qui devait aggraver de 20 à 30 p.
c. l’impôt foncier de quelques provinces, et ils en tiraient la conséquence que
le cadastre parachevé seul pouvait corriger équitablement l’inégalité actuelle
de l’impôt ; que dès lors l’accélération du cadastre par tous les ressorts, par
tous les sacrifices possibles, devait être l’objet unique de la sollicitude du
gouvernement et des espérances des contribuables. (Réplique de quelques
propriétaires de la province de Liége au deuxième rapport de la commission
chargée par S. M. de lui soumettre le projet d’une répartition plus égale de la
contribution foncière. (A Liége, chez J. de Soer,
1821)).
Il était naturel de penser que l’absence d’éléments
indispensables, dont la commission avait eu à se plaindre, jointe à l’état peu
avancé des opérations cadastrales, pouvait avoir assiégé certains esprits de
doutes tellement insolubles qu’ils craignissent de substituer de nouvelles
inégalités aux vices de la répartition actuelle ; mais les nombreux signataires
des mémoires dont s’agit invoquèrent subsidiairement une doctrine qui devait
les autoriser à repousser éventuellement les résultats du cadastre, et il faut
bien le dire, ce moyen qui ne tendait à rien moins qu’à perpétuer l’iniquité,
en présence même des démonstrations les plus irréfragables, pouvait jeter
quelques doutes sur la sincérité de ceux qui firent cet appel aux résultats
définitifs des opérations cadastrales.
Je n’examinerai pas ici cette question, me
réservant le soin d’y revenir si la discussion le rend nécessaire ou opportun.
En présence du débat qui s’était engagé entre la
commission d’Etat et les propriétaires prémentionnés, le gouvernement
poursuivait ses investigations.
De nombreuses modifications, amendées par le temps
et l’expérience, avaient été introduites dans le mode d’évaluations ; de
nombreux cantons cadastrés avaient multiplié à l’infini les termes de
comparaison, et l’équilibre nécessaire s’était établi à un point si approchant
de la perfection, qu’il fut démontre que l’achèvement total du cadastre, en
faisant disparaître toutes les disparités, modifierait si peu les résultats
obtenus jusqu’alors, qu’il pourrait à peine faire varier d’un demi-centième le
taux de l’impôt en principal par florin de revenu en chaque province. (Voir
Mémoire concernant une nouvelle répartition de l’impôt foncier entre les
provinces du royaume des Pays-Bas, par un Inspecteur principal du cadastre,
conjointement avec plusieurs employés de l’administration générale. La Haye,
1827 ; et Mémoire sur le projet de loi du 20 décembre 1826, concernant la
nouvelle répartition de l’impôt foncier, par un membre de la commission d’Etat,
etc. Bruxelles, Weissenbrouck, 1827.)
Dans cet état des choses, le gouvernement soumit,
le 20 décembre 1826, un projet de loi qui constatait l’existence de la
disproportion suivante entre les provinces, et proposait une répartition
nouvelle, d’après le système de mitigation, suggère tous par la commission d’Etat
:
Taux moyen approximatif de l’impôt en principal par
florin de revenu, suivant la combinaison de tous les cantons de chaque
province, y compris les villes :
Brabant méridional, 10 01
Flandre orientale, 13 73
Flandre occidentale, 13 77
Anvers, 13 99
Hainaut, 7 32
Namur, 8 60
Liége, 7 37
Limbourg, 8 64
Luxembourg, 9 50
On voit, d’après ces chiffres, que les évaluations
faites par la commission, et la péréquation qu’elle proposait en 1818, étaient
plus favorables aux provinces qui devaient subir une majoration que ne l’était
la loi de 1826.
Mais les tableaux suivants prouveront mieux encore
combien les propositions de la commission d’Etat avaient été prudentes et
mesurées.
D’après le projet de 1818, les 9 provinces devaient
supporter entre elles le contingent qui leur avait antérieurement été assigné.
Le contingent était de 16,079,322
fr. répartis de la manière suivante :
Brabant, 2,303,934
Flandre orientale, 3,498,559
Flandre occidentale, 2,883,855
Anvers, 1,479,937
Hainaut, 1,978,717
Namur, 785,971
Liége, 1,351,700
Limbourg, 1,082,517
Luxembourg, 707,129
Total : 16,072,319.
En 1826, ce contingent était de 16,170,121 fr 44 c.
Mais les provinces belges devant concourir à une
répartition générale avec celles de Hollande, il en résulta que la loi de
péréquation aggravait ces provinces de la somme de 1,863,627
fr. 76 c.
Les contingents divers des provinces furent donc
portés par le projet de loi aux sommes marqués au tableau suivant, dans lequel
sont placés en regard les chiffres respectifs des contingents de 1826, ceux de
1827, et enfin du projet qui nous occupe :
Brabant : 2,400,039
fr. 93 c. 2,855,997
fr. 14 c. 2,772,229
fr.
Flandre orientale : 3,565,477 fr. 92
c. 3,142,854
fr. 06 c. 2,576 467 fr.
Flandre occidentale : 3,000,595
fr. 45 c. 2,596,927
fr. 82 c. 2,344,412
fr.
Anvers : 1,533,903
fr. 23 c. 1,352,104
fr. 47 c. 1,317,357
fr.
Hainaut : 1,924,506
fr. 01 c. 2,862,642
fr. 64 c. 2,616,694
fr.
Namur :
778,962 fr. 18
c. 1,090,538
fr. 57 c. 964,605 fr.
Liége :
1,443,744
fr. 89 c. 1,701,310 fr. 27 c. 1,487,758 fr.
Limbourg : 1,018,729 fr. 14 c. 1,426,178 fr. 47 c. 992,127 fr.
Luxembourg :
808,062 fr. 69 c. 1,007,194 fr. 76
c. 807,678 fr.
Total : 16,170,121 fr. 44
c. 18,035,748
fr. 20 c. 15,879,327
fr.
Ces quotités obtenues par le gouvernement sur des
données positives, résultant notamment d’un nombre prodigieux de baux,
ramenèrent un grand nombre des anciens opposants ; on rendit justice au travail
de la commission d’Etat, travail qui avait été si amèrement attaqué, et qui,
pour différer sur plusieurs points du projet, fut néanmoins reconnu avoir
approché de la réalité autant qu’il était possible à l’époque de sa rédaction.
Après une lutte assez opiniâtre, le projet de loi
passa à la deuxième chambre des états généraux à une assez faible majorité,
mais fut rejeté par la première chambre de cette assemblée.
La répartition nouvelle proposée aujourd’hui comme
une conséquence de l’achèvement intégral des opérations cadastrales diffère
encore sur plusieurs points des deux projets antérieurs mais, quelque notables
que soient les erreurs que ce travail final décèle dans les deux projets
primitifs, il n’en reste pas moins vrai, et c’est ce que j’ai voulu établir,
que la surtaxe des provinces les plus obérées avait été reconnue successivement
par tous les gouvernements et par tous les hommes qui se sont occupés du
cadastre ; c’est qu’il existe parfois des iniquités tellement monstrueuses,
qu’il suffit de lever un coin du voile qui les couvre pour qu’elles frappent
tous les yeux.
Puissent donc les chambres consommer enfin un acte
de justice nationale dont tant d’années pénibles pour quelques provinces ont
retardé l’accomplissement ; puisse ce beau travail du cadastre recevoir une
éclatante sanction, et la Belgique, devenue libre, voir disparaître ainsi la
trace la plus profonde des jougs qu’elle a si longtemps subis !
Sans doute ce grand acte de probité publique ne
recevra pas le cachet de la loi sans que les intérêts individuels ne lui
livrent une guerre de sophismes et de déceptions ; mais l’attaque ne restera
pas sans riposte. En attendant, je me bornerai à rappeler à la chambre que les
lois du 15 septembre 1807 et 20 mars 1813 ont ordonné et réglé un cadastrement général dans le but de répartir légalement la
contribution foncière ; qu’en vertu de ces lois les propriétaires des terres
surtaxées ont un droit acquis à la décharge de cette surtaxe, dès le moment que
le cadastre est parachevé, et qu’on ne pourrait aujourd’hui la leur refuser
sans violer à leur égard la loi la plus juste qui soit sortie de la main des
hommes.
Le projet du gouvernement
propose d’opérer la réfusion de la surtaxe en trois,
et celui de la section centrale, en deux années ; devant une pareille
proposition une question se présente naturellement : le principe de la loi
est-il reconnu juste, équitable ? S’il est reconnu juste, pourquoi en différer
l’application ? On dira : C’est pour ménager une transition qui pourrait, si
elle était trop brusque, frapper trop sensiblement les provinces entre
lesquelles doit se partager la majoration de l’impôt qui résultera du
dégrèvement des autres.
Mais, messieurs, que serait-il arrivé si la loi de
1827 avait été adoptée par la première chambre des états généraux, aussi bien
qu’elle a été rejetée ? Que les provinces qui doivent subir la majoration,
eussent dû la supporter non seulement telle qu’elle vous est proposée
aujourd’hui, mais augmentée en outre de tout le chiffre qui déversait sur elles
pour leur quote-part la répartition de l’impôt entre la Belgique et la
Hollande, chiffre que j’ai établi ci-avant à la somme de 1,865,627 fr.
Le gouvernement d’alors, ne s’arrêtant pas aux
considérations que l’on invoque, fit en cette occurrence acte de respect pour
un principe de justice dont l’application ne pouvait reposer encore que sur des
calculs approximatifs ; le gouvernement d’aujourd’hui, mû dans sa conduite par
une conviction basée sur des résultats irrécusables, aurait à plus forte raison
dû prendre cet antécédent pour exemple, au lieu de dire qu’il ne s’y opposait
pas.
Je ne me prononcerai donc en faveur du mode
d’application de la loi proposée par la section centrale, que pour autant que
des motifs plus puissants que ceux énoncés dans l’exposé aient fait rejeter la
proposition de péréquation immédiate que je me réserve de soumettre.
(Moniteur
belge n°346, du 12 décembre 1835) M. Eloy
de Burdinne. - Messieurs, nous abordons une question de la plus haute
importance. Il s’agit de répartir l’impôt foncier sur des bases équitables, en
un mot, péréquarer la contribution foncière.
Il eût été à désirer que, moins pressé,
on eût accordé 15 jours de loisir aux membres de la chambre qui se disposent de
prendre la parole dans la discussion de la loi qui nous est soumise, afin
d’étudier le projet de loi, ainsi que le rapport de la section centrale ;
rapport, vous le savez, qui nous fut distribué vers le 15 du mois écoulé ; et,
je vous le demande, depuis le 15 novembre avons-nous eu le loisir de nous
occuper de ce projet ? Pour mon compte, j’en ai pris lecture, et n’ai pu
l’étudier convenablement avant le 5 de ce mois.
Et je crois que mes honorables collègues ne l’ont
pas plus étudié que moi. Les travaux en sections, à la section centrale, dans
les commissions, et la discussion de la loi sur le bétail suffisaient, je le
pense, pour absorber tout le temps qui s’est écoulé depuis que le rapport nous
a été distribué. Messieurs des Flandres, je l’espère, voudront bien croire
qu’en faisant ces observations, mon intention n’est pas de retarder que justice
leur soit faite ; loin de là ma pensée.
Vous allez donc discuter une question trop peu
mûrie, question importante, question de justice et d’équité, puisque de sa
décision il peut en résulter le bien ou le mal, le juste ou l’injuste ; et pour
ce motif on ne peut trop s’entourer de lumières avant de se prononcer.
Si j’avais moins de connaissance en matière de
cadastre, je pourrais considérer la loi qui nous occupe de moindre importance,
par rapport à ses résultats.
Eh bien, messieurs, je le déclare, ce n’est qu’en
tremblant que j’aborde cette question par rapport aux conséquences que je
prévois devoir en résulter. Une étude pendant neuf ans des opérations
cadastrales me paraît devoir donner quelque connaissance à celui qui s’y est
adonné. Eh bien, messieurs, je le déclare ; je suis loin de connaître
suffisamment cette question pour me prononcer immédiatement.
Si, comme l’honorable M. Gendebien vous l’avait
proposé, la discussion avait été fixée après le premier janvier, j’aurais pu
faire un choix des divers documents, notes, tableaux, renseignements qui
doivent me servir dans la discussion, fruit de 9 années de recherche, et vous
pouvez juger si en 9 années j’ai pu m’en procurer. Le temps m’ayant manqué pour
faire ce choix, il en résultera que je devrai parler plus que je ne l’aurais
fait, au moins 3 heures de plus, d’une manière moins claire, ce qui prolongera
la discussion à l’infini, nous fera perdre un temps précieux que réclament la
loi communale, le budget des voies et moyens, celui de la guerre et tant
d’autres lois si fortement réclamées de toute part.
Pour les considérations que je viens de vous faire
connaître, je réclamerai l’indulgence de la chambre, si, en traitant la
question, on reconnaît que je n’ai pas mis assez d’ordre et de clarté dans les
arguments que je vous soumettrai contre la péréquation cadastrale.
Je crois devoir vous prévenir que je parlerai
contre, sauf à voter pour si on me prouve que je suis en erreur ; et ici, je
fais ma profession de foi : nulle considération d’intérêt de localité ne
dirigera jamais mon vote, ma conscience seule sera mon guide ; je veux la
justice en tout et pour tous.
J’aborde la question. Dans le courant de décembre
1826, époque où la loi précitée fut soumise à la législature, je lus dans les
feuilles publiques le projet de loi dont je viens de parler, et je l’appréciai
à sa juste valeur, puisque la première chambre le rejeta ; en d’autres termes,
je le considérai comme venant de la part d’hommes peu versés dans l’économie
agricole, ainsi que peu instruits des moyens de parvenir à connaître la vraie
valeur des revenus territoriaux.
Je me suis cependant dit : la mesure est fiscale,
et pour ce motif le gouvernement y tiendra ; nombre de députés de la Hollande
soutiendront le projet de loi, mais la chambre en fera justice ; il est
impossible, me dis-je, que semblable absurdité trouve de l’écho dans l’élite de
la nation.
Les députés belges et grand nombre de députés
hollandais, en un mot les hommes consciencieux, ne donneront jamais leur
sanction à une loi destructive de la propriété. Telles étaient, messieurs, les
réflexions que je faisais ; et remarquez bien que l’époque où je faisais ces
réflexions, je ne connaissais nullement les résultats de cette manière d’opérer,
en d’autres termes les fruits que devait produire le nouveau mode introduit par
l’arrête de 1826 ; puis je ne savais pas qu’en suivant ce mode, la province que
j’habitais était appelée à une augmentation dans le contingent de l’impôt
foncier, par conséquent je n’ai pu être entraîné dans l’opinion que je parlais
le 29 décembre par des motifs d’intérêts personnels.
Notez que la loi a été envoyée le 29 décembre à la
chambre. Le 30 décembre je reçus le Journal
de la province de Liége, n°309 du 30 décembre 1826, où je remarquai un
tableau intitulé : « De la nouvelle répartition de l’impôt foncier pour
1827, annexé au projet de loi publié hier. »
D’après le jugement que j’avais porté la veille sur
le mérite de ce projet de loi, je n’y fis pas grande attention. Cependant j’eus
la curiosité de voir si la province de Liége était appelée à recevoir une
augmentation de contribution, et je reconnus qu’elle y était comprise pour deux
cantons pour la somme de 25,517 fl.
Je ne m’occupai pas davantage de ce tableau non
plus que de la loi ; cependant comme en mars ou avril précédent des contrôleurs
avaient fait la ventilation des baux du canton et de ma commune, et que lors de
cette opération j’avais reconnu combien elle devait être sujette à porter à
l’erreur, m’étant aperçu que les baux que les contrôleurs se procuraient
étaient pour la plupart ultra exagérés, même du double de la valeur réelle et
réalisable, et qu’à l’époque du mois d’avril, lorsque cette opération avait
lieu, pour éviter ou plutôt en vue de faire descendre le taux exagéré des
évaluations par suite du résultat des baux ultra exagérés, je me suis occupé de
rechercher des baux les plus modérés en exagération et plus en rapport avec les
produits réels, et je l’avoue, je fus peu ou presque pas heureux, je ne pus en
procurer au contrôleur que quatre, si ma mémoire est fidèle. De manière que je
reconnus que les baux qui devaient servir à établir le revenu des propriétés
seraient ceux qui étaient les plus exagérés et dont la grande partie portait au
double de la valeur réel le revenu des terres.
Ma consolation était que cette remarque
n’échapperait pas à la sagacité de la représentation, et que pour ce motif
justice en serait faite. Un fait que je considère comme très important et que
je crois devoir vous signaler, est le suivant : Dans ma recherche des baux
modérés, je fis appeler un fermier que je croyais avoir un bail de l’espèce,
modéré en exagération, car en dessous de la nécessité et en dessous du revenu
net réalisable, je puis vous assurer qu’il n’en existe pas un seul au canton
que j’habite ; il en existe peu en rapport avec le revenu réel. La presque
totalité est au-dessus d’un quart, d’un tiers et même du double, et, un mot, au
taux du revenu brut à peu de chose près : c’est ce qui explique la réduction
demandée par l’assemblée cantonale du canton d’Avenne,
demande motivée sur des faits à l’abri de contestation. Elle demanda 36 p.c. de
rabais. Celle de Héron demanda 35 p. c.
Le fermier est venu à ma demande me dire qu’il
n’avait pas de bail ; le contrôleur qui était présent lui fit observer que s’il
n’avait pas de bail, au moins il avait des quittances et qu’il se contenterait
d’une quittance de son fermage pour établir le revenu des terres qu’il tenait
en location ; à quoi le fermier répondit qu’il n’en avait pas. Je crus
m’apercevoir que ce n’était pas là le dernier mot du fermier, et en particulier
il me dit : Mon bail est élevé, il ne peut par sa production être avantageux,
voila le motif pour lequel je ne le produis pas. Je sais où on en veut venir
avec ces baux, on veut enfler nos contributions, et je ne veux pas y contribuer
par la production de mon bail ; il en serait de même de mes quittances, et M.
le contrôleur ne les aura pas de moi. Il ajouta : c’est dommage que le
contrôleur est si pressé. Notez que l’on exigeait à vue les baux ou les
quittances.
Si j’avais plus de temps, me dit-il, je me rendrais
chez mon propriétaire qui me donnerait une quittance qui ne porterait la somme
qu’au taux de la moitié du rendage, alors elle
pourrait servir dans l’intérêt de la commune ; je vous laisse juger de l’effet
que ces paroles produisirent sur moi et les réflexions qu’elle fit naître :
Malheureux, veux-tu aller aux galères ? Voila la seule réponse que je lui
adressai, et je doute qu’il l’ait comprise.
Je me suis dit : Malheureuse Belgique, n’a-t-on pas
assez de moyen avec le serment exigé dans les déclarations de succession, dans
la loi sur la mouture, dans la loi du personnel, la loterie et tant d’autres
pour démoraliser les populations ? Fallait-il encore une loi de péréquation sur
des bases aussi immorales pour y parvenir ? Et comme vous le sentez bien, le
fait n’était pas de nature à me réconcilier avec la loi considérée comme juste
par les uns et injuste par moi.
Un deuxième fait que je ne crois pas devoir omettre
davantage et sur lequel je reviendrai, c’est le suivant.
MM. les contrôleurs chargés de faire la ventilation
des baux avaient ordre, d’après ce dont je me suis aperçu : de chercher la plus
grande masse de baux qu’il leur serait possible, tant authentiques que sous
seing-privé, et même, à défaut de baux, des simples quittances ; il paraît même
que le nombre de baux que chacun d’eux récolterait serait la boussole de leur
savoir-faire, en d’autres termes, le degré de capacité de chacun d’eux.
En vue d’obtenir un nombre plus considérable de
baux, M. le contrôleur me dit : « Maintenant il me reste à ventiler vos
baux, veuillez me les remettre. » Il eut pour réponse que je n’avais pas
un bail de la période, et que, depuis 1816, je n’avais pas de compte arrêté
avec mes fermiers.
« Si vous en doutez, je pourrai vous en faire conster par mes registres.» Il me répondit que je pourrais
lui fixer le prix que je loue au fermier la ferme qu’il occupe ainsi qu’un
autre ; à cela je lui fis observer que le prix des grains ainsi que le bétail
ayant été très bas de 1820 à 27, je ne pourrais fixer le rendage,
et que mes fermiers me paieraient annuellement d’après le prix des grains, que
plusieurs m’étaient redevables de sommes très considérables, et que je serais
dans le cas de devoir faire des réductions considérables sur les anciens baux,
si je voulais ne pas les réduire à la mendicité ; qu’en les expropriant, même
le montant de leur avoir ne suffirait pas ; que pour ce motif je ne pourrais
fixer le prix du rendage de mes propriétés.
M. le contrôleur ne fut pas satisfait de cette
réponse, il entama une conversation sur la valeur de mes propriétés et me
demanda si chaque bonnier loué ne valait pas bien une
somme de.... chiffre que j’ai oublié, de rendage ; à
quoi je répondis que pour que le bonnier valût ce
prix le rendage, les blés et le bétail devraient
considérablement hausser et être portés à un prix que j’établis. Je convins que
le rendage qu’il fixait par bonnier
pourrait être admis sous condition, et dans la supposition que les récoltes
seraient toujours complètes. Eh bien, messieurs, le croiriez-vous, cette
conversation fut ventilée, et le prix fixé par le contrôleur à des conditions
éventuelles, admis par moi, a servi de type pour deux de mes terres qui ont
figuré au travail ; mais comme le contrôleur n’avait pas de droit sûrement de
ventiler des conversations, il déclara que c’était au vu de quittances dont il
ne relata ni date ni l’année à laquelle elle avait rapport.
Dans un moment je vous donnerai la preuve de ce que
je viens de vous dire de cette ventilation.
Je déclare formellement que le contrôleur n’a vu ni
pu voir de quittance de ma part en 1826, ayant rapport à des rendages intégrales des biens dont il s’agit. C’est donc un
mensonge, c’est même plus, je ne dirai pas le mot.
Si je n’avais pas attaqué les opérations de la
péréquation en 1827, je n’aurais jamais connu cette particularité. Un mémoire
remis à la sourdine aux états-généraux, en décembre 1827, en réfutation à des
réflexions que j’avais soumises en avril 1827 m’a procuré la connaissance de
cette espièglerie cadastrale. Et je n’en doute pas, elle n’est pas la seule,
nous le prouverons sous peu.
Une espièglerie moins blâmable, mais qui selon moi
est répréhensible, fut commise par la haute administration.
Je vais vous en donner connaissance, ainsi que du
résultat général pour le royaume sur le rapport de la péréquation de 2 ou 3
cantons de chaque province.
(Ici
l’orateur donne lecture d’un tableau indiquant des augmentations et des
diminutions.)
Il est bon de faire observer que le nombre des
membres des états-généraux représentant les provinces appelées à une
diminution, est supérieur à celui des provinces qui devaient être augmentées.
J’entends qu’on me répond : Cela ne dit rien, c’est
le hasard. Mais, messieurs, je vous dirai, moi, que c’est beaucoup et que cela
a été fait exprès. J’ai appris en 1827 que dans certaines provinces on avait eu
beaucoup de peine de trouver deux cantons qui devaient par la ventilation des
baux faire descendre le chiffre de la quotité de l’impôt de la province, et
qu’il a fallu chercher beaucoup pour en trouver qui le fasse descendre.
Ce fait a été connu, et les représentants de cette
province n’ont pas émis de vote sur la loi de péréquation, qui n’a passé qu’à
la majorité de deux voix. Voici ce qui explique cette faible majorité : il eut
des hommes consciencieux en mars 1827. Au moment où on discutait en sections la
loi de péréquation, plusieurs de mes amis m’engagèrent à me rendre à Bruxelles,
afin de procurer quelques renseignements aux membres des états-généraux,
envoyés par la province de Liège, sur les opérations cadastrales, qui en
réclamaient avec instance : ils écrivaient qu’ils étaient sans matériaux pour
les combattre et qu’il y avait beaucoup à craindre que cette loi ne fût
adoptée.
Ce fut alors que je me mis à étudier cette matière,
et examiner attentivement le tableau dont je viens de vous entretenir, et où
j’ai reconnu que la loi pourrait bien être adoptée, vu qu’il y avait majorité à
la chambre intéressée à son adoption. (On vote volontiers dans ses intérêts.)
Le 25 mars, cédant à la demande de mes amis et
connaissances, muni de quelques documents, je me rendis à Bruxelles, où, après
m’être entretenu avec nos députés de Liége, je pris le parti, non de rédiger un
mémoire ou pétition, mais bien de jeter sur le papier quelques observations
contre le projet de loi ; je signalai quelques erreurs, je cherchai à démontrer
le vice et à prouver l’exagération dans laquelle on allait se porter. Bref,
j’adressai une pétition rédigée à la hâte, vu qu’il n’y avait pas un moment à
perdre : on était prêt à commencer la discussion.
Une seule section n’avait pas terminé. Ma pétition
lancée, je revins chez moi pour me procurer les preuves des faits que j’ai
avancés, et j’arrivai à Bruxelles, muni des pièces nécessaires assez à temps
pour être remises à M. le rapporteur chargé de faire le rapport de ma pétition.
(Note du
webmaster : le Moniteur reprend ensuite le rapport fait à l’époque par la
commission des pétitions, ainsi que le texte détaillé des pièces jointes en
annexe : ces documents s’étendent sur 4 colonnes et demie du Moniteur et ne
sont pas repris dans la présente version numérisée. A la fin de la séance, Eloy
de Burdinne a été interrompu comme suit :)
M. Lardinois. -
M. Gravet a réfuté votre mémoire.
M. Eloy de
Burdinne. - Je vais vous en donner lecture, et la réfutation que j’ai
cru devoir en faire.
- La séance est levée et ajournée à demain 9
décembre à midi.