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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du samedi 29 août 1835
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétition relative à l’émission d’un emprunt
pour la construction de routes (Eloy de Burdinne, de Theux)
3) Projet
de loi relatif au droit d’expulsion des étrangers. ((+décorés de la croix de
fer) (Dumortier, Ernst), Pirson, Jullien, de Brouckere, Dumortier, Vandenbossche, Dumortier, Dubus, (+décorés de la croix de fer) (Ernst,
Gendebien, de Jaegher), Pirson, Jullien, Ernst,
Lebeau, Mast de Vries, Pirson, Trentesaux, Gendebien, Lebeau, Ernst, Pollénus, Gendebien, de Theux, Pollénus, de Brouckere, Ernst, Gendebien, Demonceau, (+prérogatives de la chambre) Fallon, Trentesaux, Ernst, Fallon, de
Brouckere, d’Hoffschmidt, Pirson,
Lebeau, Gendebien, Ernst, d’Hoffschmidt, Lebeau, de Brouckere, d’Huart, de Brouckere, Eloy de Burdinne, Lebeau, de Brouckere, Dumortier, Ernst, Liedts, de
Theux, Ernst, F. de Mérode, Dumortier, Pirson)
(Moniteur belge n°244, du 30 août 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M.
Schaetzen lit le procès-verbal ; la rédaction
en est adoptée.
M.
de Renesse lit l’analyse suivante des pièces suivantes envoyées à la
chambre.
« Les habitants notables de
la commune de Bittendorff demandent la construction
d’une route de Stavelot à Trèves par Diekerk. »
________________
« Même demande par les
habitants des communes de Bostendorff et de Couschum. »
________________
« Trois habitants de Binche-Bottignies se plaignent des employés de l’administration
des contributions directes qui leur feraient payer la contribution personnelle
pour des chevaux employés aux usages d’une profession. »
________________
« Le sieur Havard,
à Bruxelles, demande l’exécution pure et simple de la loi du 4 thermidor an IV
relative à la taxe d’affranchissement sur les imprimés et feuilles
périodiques. »
________________
« Les pharmaciens de la province de Liège
adressent des observations sur les dispositions de la loi du 12 mars 1818 qui
les concernent et qui consacrent, selon eux, un abus dans l’art médical. »
________________
- Ces pétitions sont
renvoyées à la commission des pétitions.
M. Eloy de Burdinne. - J’appuie la
demande de construction des roules qui vous sont réclamées.
En
Les divers travaux de la
chambre ont sûrement fait perdre de vue ce projet, projet que je considère
comme très importants pour le pays. Je demande à la chambre si elle ne croirait
pas convenable de l’envoyer aux sections pour que suite soit donnée à cette
proposition.
L’auteur (M. de Puydt) ne
faisant plus partie de la chambre, et dans le cas ou il ne serait pas réélu
membre de la chambre aux élections qui auront lieu sous peu de jours, alors je
déclare faire mienne la proposition dont il s’agit.
Si cependant, M. le
ministre de l’intérieur avait l’intention de nous soumettre un projet de loi de
l’espèce dont il s’agit dans un délai rapproché je renoncerais à mon projet ;
je le prie donc de vouloir nous dire si son intention est de s’occuper de cet
objet immédiatement. Ce serait abuser de vos loisirs que de faire ressortir les
avantages des communications. Vous savez les apprécier ; et je n’en doute pas,
vous partagez l’opinion que d’en faire jouir promptement le pays, c’est lui
procurer un immense avantage.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je déclare que je soumettrai à la chambre à la prochaine réunion un projet
relatif à la construction de routes nouvelles dans le royaume.
M. Eloy de Burdinne. - J’espère que M.
le ministre s’occupera le plus tôt possible de cet objet. Il doit sentir aussi bien
l’importance des voies de communication dans un pays aussi éminemment agricole
et industriel que l’est
PROJET DE LOI RELATIF AUX
DROIT D’EXPULSION DES ETRANGERS
Discussion des articles
Article
premier
M. le
président. - La discussion continue sur l’article premier de la section
centrale et sur les amendements qui ont été présentés à cet article.
M.
Dumortier. - Avant que la chambre ne vote l’article premier, je crois
devoir lui faire observer qu’il y a connexité complète entre l’article premier
et l’article 2 du projet du gouvernement. Ces deux articles ayant été fondus en
un seul par la section centrale, il est nécessaire que la discussion
s’établisse simultanément sur ces deux articles.
La section centrale a
supprimé 1° la disposition du projet du gouvernement qui établissait une
exception en faveur de l’étranger marié à une femme belge dont il a des enfants
nés en Belgique et en second lieu celle relative à l’étranger décoré de la
croix de fer. La section centrale a également supprimé les expressions qui
constituaient une garantie pour l’étranger. Elle n’a pas voulu que ce fût la
conduite de l’étranger qui donnât lieu à l’expulsion. Elle a été plus loin que
le gouvernement lui-même et par l’organe de son rapporteur elle nous a appris
que le droit d’expulsion devait être étendu et qu’il était possible que
l’étranger compromît l’ordre et la tranquillité publique par sa présence, par
sa seule présence dans notre pays. Je dois appeler votre attention sur ces
diverses modifications.
Messieurs, je regrette
sincèrement que le gouvernement ait cru devoir se rallier au projet de la
section centrale, à un projet dans lequel les réserves en faveur de la liberté
individuelle sont anéanties, Ah ! qu’il a dû paraître
étrange au pays de voir que de pareilles dispositions sont proposées par la
chambre elle-même, ce serait une chose souverainement déplorable que de voir la
chambre adopter des propositions plus liberticides que celles du gouvernement,
proposées par une section centrale formée dans son sein. Songez-y, messieurs,
en adoptant un pareil système, vous inviteriez le gouvernement à venir nous
proposer des lois de réaction. Vous feriez un appel aux tentatives du
gouvernement qui, voyant que vous allez puis loin que lui, ne craindrait pas
d’entrer dans une voie que vous lui auriez ouverte. Voilà cependant la portée
du système de la section centrale. Je regrette donc bien vivement qu’une
émanation de cette chambre ait donné lieu à un pareil scandale ; je regrette
que le gouvernement se soit rallié aux dispositions de la section centrale,
d’autant plus que ses propres propositions étaient plus raisonnables et que
personne ne pouvait en contester la nécessité.
Messieurs, quant à ce qui
est des mots retranchés par la section centrale et qui dans le projet du
gouvernement constituaient une garantie réelle pour les étrangers, j’ai une
trop grande confiance dans les sentiments hospitaliers de la nation pour ne pas
croire que vous vous empresserez de les rétablir par votre vote dans l’article
premier. Je me suis déjà prononcé dans cette enceinte à diverses reprises au
sujet de la nécessité d’une loi sur les étrangers.
Je ne conçois pas qu’un
pays puisse exister dans les temps difficiles sans une semblable loi. C’est
donc dans l’intérêt du l’Etat, et non dans celui des gouvernements étrangers,
que cette loi doit être faite. Si vous voulez que la loi soit faite dans
l’intérêt de
Remarquez encore,
messieurs, quelle serait la conséquence de ce système. Vous faites une loi dans
l’intérêt de la nation. La nation jouit en paix maintenant des fruits de la
révolution. Mais prenez garde que l’absence de garanties qui entachera votre
loi ne tourne un jour contre elle. Prenez garde que l’on ne vienne un jour
expulser les hommes que vous avez voulu protéger. Les lois d’exception ne
doivent pas être faites pour les partis, elles doivent l’être pour la patrie.
Réfléchissez-y, messieurs. Si vous permettez l’expulsion d’étrangers paisibles,
inoffensifs, à raison de leurs opinions, le gouvernement pourra faire un jour
ce que fit le gouvernement hollandais, qui expulsait des étrangers à cause de
l’habit qu’ils portaient. Qui a rejeté loin de notre frontière des hommes
paisibles, par la raison seule que c’étaient des ministres du culte. (Sensation.)
Quand vous aurez fait votre
loi, qui vous dit que le gouvernement n’ira pas avec votre loi sur les brisées
du gouvernement hollandais ? Les lois d’exception, je le répète, ne doivent pas
être faites pour les partis, mais pour la patrie. Je me prononcerai donc pour
l’amendement de M. Pirson, qui veut que l’étranger provoque par sa conduite
l’expulsion, pour que le gouvernement puisse prononcer cette mesure contre lui.
Vous ne voulez pas que
Plusieurs membres. - Nous nous en
faisons gloire.
M.
Dumortier. - Il y a de malheureux exilés qui sont forcés de demander un
asile sur la terre étrangère. Nous aussi, si la révolution eût échoué, nous
eussions dû demander un asile à l’étranger ; que dis-je, plusieurs d’entre vous
ont dû se réfugier sur la terre étrangère au moment de la crise. Et qui sait si
un jour peut-être nous ne devrons pas demander un asile sur la terre étrangère.
Ne donnons pas messieurs, l’exemple de l’injustice, de l’inhumanité dans la
loi, pour qu’on ne nous l’oppose pas un jour si nous avons besoin de réclamer la
justice d’autrui. Je dirai, avec M. le ministre de l’intérieur, si la
providence avait voulu qu’au lieu de triompher, la Belgique eût succombé dans
la lutte, si comme les Polonais nous fussions tous rejetés, sur la terre
étrangère, nous nous serions conduits en hommes paisibles, nous eussions
respecté l’hospitalité. Pourquoi n’admettrions-nous pas que les étrangers qui
se conduiront chez nous comme nous nous serions conduits chez eux, ont droit à
l’hospitalité que nous eussions été heureux de rencontrer nous-mêmes ?
Je déplore également pour
mon compte que le gouvernement ait supprimé la garantie relative à l’étranger
marié à une femme belge dont il a eu des enfants nés en Belgique. L’étranger
placé dans cette catégorie est plus attaché à nos institutions, a des liens
plus forts dans notre patrie, que celui qui a été simplement autorisé à résider
en Belgique. Une autorisation de résidence est une faculté que le gouvernement
accorde facilement. Ce n’est jamais une preuve que l’étranger est attaché à
Mais l’étranger qui est
marié à une femme belge, qui en a des enfants nés en Belgique, celui-là est
attaché à notre pays par des liens bien forts, par des liens de famille, par sa
femme, par ses enfants. Celui-là, messieurs, ne permettez pas qu’on l’expulse
comme l’étranger nouvellement débarqué ; ce n’est pas que je veuille qu’il soit
hors de l’atteinte de la loi. S’il commet un délit qui compromette l’ordre et
la sûreté publique, qu’il en subisse la peine. Mais vous ne pouvez entourer de
trop de précautions l’expulsion d’un père d’enfants belges. Ah ! si vous êtes insensibles pour le père lui-même, soyez du
moins sensibles pour les petits enfants.
La troisième exception à la
suppression de laquelle le gouvernement a consenti est celle qui est relative
aux étrangers décorés de la croix de fer.
J’ai vu avec une douleur
profonde qu’une section centrale, une émanation de la chambre, méconnaissant la
dette de reconnaissance que nous avons contractée envers les hommes qui ont
contribué de leurs bras et de leur sang à fonder l’indépendance nationale, ait
cru pouvoir retirer une exception que le gouvernement avait proposé en faveur
d’hommes qui ont versé leur sang dans les journées de la révolution.
J’ai vu avec une douleur
profonde que le gouvernement n’ait pas saisi avec empressement cette occasion
pour donner un témoignage de son attachement à la révolution. Je le déclare,
j’avais vu dans cette clause une preuve bien faite pour nous donner de la
confiance, que le cœur des ministres palpitait encore aux souvenirs de notre
glorieuse révolution.
J’ai vu avec une douleur
profonde que la section centrale ait rayé cette garantie dans la loi et que le
gouvernement se soit rallié à cette radiation. Faut-il, grand Dieu, avoir si
vite traversé cinq années de révolution pour voir si tôt arriver le jour de
l’ingratitude. Je dirai avec un honorable orateur qui a parlé dans la séance
d’hier que jamais sous le congrès ni sous les législatures précédentes rien de
semblable ne nous a été présenté dans cette enceinte.
Oui, messieurs, dans toutes
les circonstances les représentants de la Belgique avaient considéré d’accord
avec la nation les étrangers décorés de la croix de fer comme les plus précieux
fleurons de la couronne belge et n’avaient eu pour eux que des expressions de
reconnaissance. Je le déclare, si l’exception proposée par le gouvernement
cessait de faire partie de la loi, cette seule circonstance suffirait pour
motiver mon vote négatif. Nous devons, messieurs, respecter ces hommes si nous
voulons que la révolution soit respectée. Eh quoi ! Quand il s’agissait de
combattre les Hollandais, nous élevions sur le pavois les étrangers qui
accouraient défendre notre indépendance. Alors nous manquions d’expressions
pour faire leur éloge et pour leur témoigner notre reconnaissance. Et
maintenant nous livrerions aux caprices du pouvoir, nous permettrions qu’on
expulse sans motifs ces mêmes hommes qui ont combattu à nos côtés sur ce
territoire dont on les chasserait.
Nous avons entendu,
messieurs, vers la fin de la séance un orateur s’élever pour faire à l’égard
des étrangers décorés de la croix de fer une comparaison injurieuse que rien ne
justifie. Nous nous lèverions tous pour repousser cette attaque de l’orateur
auquel je fais allusion, si nous ne croyons devoir l’attribuer à son impéritie
dans la carrière parlementaire. L’accueil que ces expressions ont reçu dans
cette chambre répond hautement à l’imputation qu’elles renfermaient. Si la
chambre avait pu oublier ce qu’elle doit aux hommes de la révolution, je me
serais porté leur défenseur. Je m’estimerai toujours heureux d’être l’ami des
hommes de la révolution. Ils peuvent compter sur moi, chaque fois qu’ils auront
besoin d’un défenseur, chaque fois qu’il faudra faire quelque chose qui leur
soit utile.
Plusieurs membres. - Nous aussi.
M.
Dumortier. - On voudrait nous représenter comme ayant des
arrière-pensées, comme voulant susciter des bouleversements, comme des hommes
qui ne respectent aucun gouvernement ; nous repoussons les attaques lancées
contre nous et nous disons hautement que, si nous sommes des conspirateurs,
c’est que nous avons conspiré contre la tyrannie hollandaise. Vous parlez de
vos sympathies et des nôtres ; nos sympathies à nous, elles sont pour la
révolution et les hommes, qui l’ont produite. On les compare à de vils
assassins ; eh, messieurs, nous, hommes de la révolution, ne sommes-nous pas
aussi des assassins du roi Guillaume ? (Mouvement.)
Oui, tous ceux d’entre nous qui ont voté l’exclusion des Nassau, sont
moralement des assassins du roi Guillaume.
Plusieurs membres. - Oui, moralement
nous sommes des assassins du roi Guillaume.
M. Dumortier. - Si le principe de la tyrannie
eût triomphé, il est hors de doute que chacun de nous eût payé de sa tête
l’assassinat moral qu’il avait commis sur la royauté de Guillaume. Car, à ses
yeux, c’est comme s’ils s’étaient trempés dans son sang, ceux qui ont décrété
l’exclusion de cette famille abhorrée et ceux qui, affrontant les balles
hollandaises, ont contribué à renverser ce trône décrépit que la
sainte-alliance avait crée pour dénationaliser et asservir les Belges.
Je n’en dirai pas davantage,
parce que je crois que les paroles prononcées dans la séance d’hier sont dues à
l’impéritie de l’honorable membre. Je crois cependant devoir pour mon compte et
au nom de toutes les personnes décorées de la croix de fer, repousser les
imputations calomnieuses dont on pourrait flétrir les hommes de la révolution
et déclarer que chaque fois qu’un membre se lèvera pour les attaquer dans cette
enceinte, il s’élèvera cent voix pour les défendre. (Très bien.)
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous avons beaucoup discuté ;
la matière s’épuise. La chambre est fatiguée. Je réclame cependant quelques
moments de son attention pour répondre à des reproches faits à la section
centrale et qui s’adressent indirectement au gouvernement et pour jeter un
rapide coup d’œil sur quelques amendements présentés dans la discussion. La
section centrale dans l’examen du projet du gouvernement a dû d’abord se faire
cette question : la loi sera-t-elle temporaire ? sera-t-elle
permanente ? Après avoir décidé que la loi devait être temporaire, la section
centrale a pensé que les dispositions du projet devaient être modifiées. L’on
comprend qu’il doit exister une différence entre une loi destinée à faire
partie de nos codes et une loi qui n’est applicable que sous l’empire de
certaines circonstances.
Je remarque dans le rapport
de la section centrale que l’article premier a été adopté à une majorité de 6
voix contre une. Les élus de la chambre n’ont pas besoin que ma voix s’élève en
leur faveur. Rien n’est plus facile à expliquer que l’esprit qui les a guidés.
C’est une loi de confiance
qu’ils ont faite. Ils ont cru que la loi cessant d’être en vigueur après un
temps donné, le gouvernement ne serait pas disposé à en abuser, forcé qu’il
serait de se présenter devant les chambres pour en demander la prorogation.
Pour que le gouvernement pût faire le bien, la section centrale n’a pas voulu
lui lier la main. Elle a dit : Nous vous donnons une grande autorité pour faire
respecter l’ordre ; en retranchant les garanties offertes à l’étranger, nous
nous réservons le moyen de prévenir les abus. Nous voulons pouvoir vous retirer
la loi si vous en faites un mauvais usage. C’est dans cet esprit que la section
centrale a supprimé ces mots :
« Par sa conduite ; » c’est par ce motif qu’elle a cru inutiles les
deux exceptions qui avaient été proposées par nous. Quelle a été la pensée de
la section centrale ? Elle a voulu que dans tous les cas le gouvernement pût
expulser les étrangers qui troubleraient l’ordre et la tranquillité, elle l’a
laissé juge des causes par lesquelles l’ordre et la tranquillité publiques
seraient troublés.
C’est à tort que l’on a dit
que le gouvernement sévirait contre les honnêtes gens et laisserait en paix les
escrocs et les faussaires. Le gouvernement pourra user de la loi contre tous
ceux indistinctement qui troublent l’ordre public.
M.
Gendebien. - Je n’ai pas dit cela.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - L’on a dit que le gouvernement
n’avait demandé aucun moyen pour expulser les banqueroutiers, les escrocs et
les faussaires. C’est contre les fripons et les malhonnêtes gens que la loi est
dirigée et non pas contre les honnêtes gens. Ce seront les fripons, les
escrocs, les faussaires et les voleurs qui tomberont sous les coups de la loi.
Laissez au gouvernement le soin de juger si dans l’intérêt de l’ordre et de la
tranquillité publique, il y a lieu de faire usage de la loi contre les
malhonnêtes gens. Vous voulez que le gouvernement soit incapable de faire le
mal, et vous le rendez incapable de faire le bien. Mais vous ne pouvez pas
séparer deux, choses qui se lient intimement.
La section centrale a cru
inutile de laisser subsister les exceptions que le gouvernement avait
proposées. Pouvez-vous croire que la section centrale ait eu moins de
reconnaissance que nous pour ceux qui ont versé leur sang dans les journées de
la révolution. A-t-elle pu penser que le gouvernement expulserait les décorés
de la croix de fer ? Si telle avait été sa pensée, elle aurait fait injure au
gouvernement. Mais elle n’a retranché les exceptions que parce qu’elle voyait
dans la loi actuelle une loi de confiance.
Vous voulez que le
gouvernement ne puisse expulser les étrangers décorés de la croix de fer. Telle
a été également la pensée de la section centrale. Elle a cru comme vous que le
gouvernement ne serait jamais dans le cas d’expulser les étrangers qui ont reçu
cette distinction nationale. On doit présumer que les décorés de la croix de
fer seront toujours attachés à notre pays, cependant il n’y a pas impossibilité
qu’ils troublent l’ordre et la tranquillité, car un Belge lui-même peut se
rendre coupable de ces crimes.
Un ministre tremblera avant
de porter la main sur un homme qui a contribué à fonder notre indépendance.
Mais s’il l’expulse, c’est qu’il aimera mieux s’exposer aux reproches qu’on ne
manquera pas de lui adresser que de laisser la chose publique en danger, il
viendra devant vous pour démontrer la nécessité de la mesure qu’il aura prise
et demander d’être absous par la législature.
Les mêmes réflexions
s’appliquent à l’exception relative à l’étranger qui a épousé une femme belge,
dont il a des enfants nés en Belgique. Le gouvernement hésitera avant
d’expulser un étranger de cette catégorie, parce que son expulsion entraînerait
l’expatriation de sa femme et de ses enfants nés Belges.
Messieurs, je n’ai aucun
intérêt à défendre le projet de la section centrale, puisque c’est moi qui dans
le projet que j’ai présente à la chambre ai proposé les exceptions qu’elle a
retranchées.
Mais je comprends que dans
une loi temporaire ces exceptions ne soient pas nécessaires, parce que toutes
les garanties sont résumées dans la limite de durée fixée à la loi. Je reviens
à l’exception que j’examine en ce moment. Vous pensez que le gouvernement irait
expulser sans de graves motifs un homme qui a une famille belge, que les liens
du sang attachent à la Belgique. Croyez-vous un ministre assez cruel pour
frapper sans nécessité une femme et des enfants belges ? Toutefois des
circonstances graves peuvent se présenter.
Je suis père, messieurs, et
j’ai des entrailles de père. Mais je le déclare, si j’avais la police dans mes
attributions et qu’un étranger de la catégorie que j’ai indiquée se livrât à
des actes qui compromissent l’ordre et la sûreté publique, je ferais taire mes
sentiments particuliers et comme ministre je ferais mon devoir ; je
l’expulserais.
Je crois avoir expliqué les
motifs qui m’ont porté à me rallier aux propositions de la section centrale. On
a cherché à jeter du blâme sur le gouvernement. On a dit que les étrangers qui
ont manqué à leurs engagements dans leur pays venaient manquer à de nouveaux
engagements en Belgique, et l’on nous a accusés de réserver nos faveurs
précisément pour ces hommes. Je ne sache pas qu’aucun de mes collègues
ait jamais réservé des faveurs pour de pareils hommes. Ils partagent mes
sentiments à cet égard et si l’un d’eux accueillait les malhonnêtes gens qui
nous viennent de l’étranger, je déclare que je refuserais de siéger à ses côtés.
Quand vous aurez accordé la
loi d’expulsion au gouvernement, je l’invite à s’en servir pour chasser les
fripons et les faussaires. Mais il ne suffit pas de les expulser, car ce ne
serait pas un service à rendre à nos voisins que de lui renvoyer ses faussaires
et ses fripons. Il ne faut pas se contenter de les chasser, il faut les livrer
à la peine qu’ils ont méritée.
Je regrette beaucoup que
nous n’ayons pas de traités d’extradition avec tous les pays. Mais à défaut de
ces traités, le gouvernement pourra se servir de l’arme que vous allez lui
confier pour purger
J’en viens à l’amendement
de l’honorable député d’Audenaerde. Selon lui, il faudra consulter la chambre
du conseil de l’arrondissement du domicile de l’étranger pour l’expulser. Il
faudra donc que les magistrats de cet arrondissement fassent la police de tout
le royaume. Car le fait qui trouble l’ordre et la tranquillité publique n’est
pas local par sa nature, il faudrait donc que ces magistrats fussent dans les
secrets de l’Etat pour connaître des expulsions.
Vous voulez une loi
puissante, utile, qui ne serve que dans le cas de sûreté et d’un autre côté vous
voulez des investigations qui entraîneront des lenteurs interminables et qui ne
permettront de prononcer l’expulsion que quand il ne sera plus temps. Vous
voulez diminuer la responsabilité des ministres en associant le pouvoir
judiciaire à l’action du gouvernement.
Tous les publicistes qui
ont écrit sur le pouvoir judiciaire sont d’accord sur ce point, qu’il ne doit
pas se mêler d’intérêts généraux, qu’il ne doit intervenir que dans les
affaires contentieuses.
Ce pouvoir n’a aucune des
qualités qui conviennent pour administrer. C’est cependant la participation à
l’action administrative que vous voulez lui donner.
L’on a dit que pour la
réhabilitation l’on consulte la cour dans le ressort de laquelle réside le
condamné. Il y a une différence énorme. Dans le système du code d’instruction
criminelle, le condamné devait résider pendait cinq ans dans le même lieu. Il
était obligé de présenter des attestations des autorités municipales. La cour
avait donc des moyens de s’assurer de la conduite du condamné. Une remarque que
l’honorable député d’Audenaerde a perdue de vue, c’est que le procureur-général
avait d’après la législation française la haute police dans ses attributions.
Il ne connaissait pas seulement ce qui se passait les localités, il était par
sa position à même de connaître tous les actes du condamné. L’avis de la cour
pouvait donc être de quelque utilité. Cependant pour moi (et cette opinion est
partagée par beaucoup de légistes) je crois que c’est une faute, une erreur du
code d’instruction criminelle. Ce n’est pas à la cour qu’il aurait fallu
s’adresser sur la conduite du condamné ; car c’est là une question qui est de
la compétence de l’autorité administrative.
L’amendement de l’honorable
M. Pirson donne lieu aux mêmes observations. Il veut que l’on prenne l’avis de
la régence. La même inefficacité dans l’exécution de la loi se présentera.
Il faudra mettre chaque
membre du conseil dans le secret des mesures que l’on provoquera. Vous allez
partager la responsabilité du ministre entre lui et le conseil. Tout cela est
contraire à la nature des mesures que nous vous demandons. Ce que j’ai dit sur
les amendements précédents, s’applique à l’amendement de M. Jullien qui les
résume. Une loi altérée par de semblables amendements serait non pas une loi de
confiance, mais une loi de défiance, et nous vous déclarons franchement qu’elle
ne pourra pas nous convenir.
Quant à
l’amendement de l’honorable député de Bruges, qui ne permet pas que le
gouvernement expulse avant d’avoir fixé une résidence à l’étranger, mon honorable
collègue M. le ministre de l’intérieur l’a déjà repoussé par de puissantes
raisons ; je n’ajouterai qu’une observation. La conduite de l’étranger peut
être telle qu’il ne suffira pas de lui fixer une résidence, mais qu’il faille
l’expulser. Vous ne laissez donc pas au gouvernement les moyens qui lui sont
nécessaires. Laissez-lui les deux moyens et que lui seul soit juge de l’utilité
d’appliquer l’un ou l’autre selon la nature du fait. Quand il suffira de fixer
une résidence à l’étranger dans le pays, il le fera ; il ne provoquera pas
inutilement contre lui des récriminations. Il n’emploiera la mesure la plus
rigoureuse que quand l’intérêt et la sûreté de l’Etat l’exigeront.
M.
Pirson. - Lorsque M. le ministre de la justice a annoncé qu’il se
ralliait au projet de la section centrale, mon intention était de lui demander
si hier à 5 h. après-midi, il n’avait pas reçu une dépêche télégraphique
portant la nouvelle d’un changement dans l’état politique de l’Europe. Pour
m’assurer du fait, j’ai parcouru ce matin tous les journaux et je suis certain
que l’état de l’Europe n’est pas changé et qu’aucune dépêche télégraphique
n’est arrivée au ministère. Je suis donc à chercher les raisons qui ont engagé
M. le ministre à abandonner son projet pour celui de la section centrale.
Selon moi, le projet du
gouvernement avait un caractère de fixité que n’a pas le projet de la section
centrale. Mais puisqu’il pouvait marcher avec la loi immuable, pourquoi ne
pourrait-il pas marcher avec la même loi devenue temporaire ? Quelle différence
y a-t-il, quant au fond, entre une loi temporaire et une loi définitive,
puisque la législature peut changer demain si elle le juge convenable, toute
loi définitive.
Ainsi le caractère de
fixité ou le caractère temporaire ne change rien à la marche du gouvernement.
Voila le fait.
Maintenant je ferai une
autre question au gouvernement.
Il vient de nous dire que,
conformément à l’opinion des membres de cette assemblée, il usera de la loi
envers les faussaires, les escrocs : mais je demanderai comment il fera à
l’égard d’un individu qui sera tranquille dans le pays et qui n’aura eu que le
malheur de déplaire à sou gouvernement ? Je voudrais que le ministère pût
répondre aux puissances étrangères : Je ne suis pas autorisé à chasser cet
individu.
Je veux faire un
acte de confiance envers le ministère ; mais je veux en même temps le mettre
dans l’impuissance de faire un acte qui déshonore le pays. Au reste, si les
ministres usaient de la loi dans l’intérêt d’une puissance étrangère, la
chambre les renverserait. Nous ne voulons pas accorder notre confiance à des
valets ; nous ne voulons pas, MM. les ministres, que vous soyez des valets.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous n’aurions pas votre
confiance si nous étions des valets.
M.
Pirson. - Non, vous n’êtes pas des valets ; et nous ne voulons pas que
vous le deveniez.
M.
Jullien. - Messieurs, quoique cette discussion soit aussi fatigante
pour vous que pour moi, il m’est cependant impossible de ne pas répondre au
ministre de la justice.
Vous l’avez entendu, dans
tout le cours de cette discussion, les ministres ont réclamé pleine confiance
de la chambre. Et lorsque nous avons demandé l’intervention des conseils des
régences, et des chambres de conseil des tribunaux, le ministre de la justice a
déclaré qu’il ne pouvait admettre l’amendement, parce qu’il ferait descendre
l’administration de la police dans les tribunaux, et qu’il n’était pas utile de
consulter les conseils municipaux. Il semblerait, d’après le dire du ministre,
que les tribunaux n’ont à s’occuper que du tien et du mien ; c’est une erreur.
Tous ceux d’entre vous qui sont familiarisés un peu avec la justice criminelle,
savent que pour une action de police, ou pour un crime contre la sûreté de
l’Etat, les tribunaux sont compétents.
Cependant le ministre
prétend que les tribunaux ne peuvent prendre une décision et qu’il est superflu
de leur demander un avis. Mais remarquez que nous ne voulons pas que les
tribunaux prennent une décision : nous demandons que les tribunaux accoutumés à
distinguer la criminalité d’avec ce qui n’est pas la criminalité, accoutumés à
établir les préventions, donnent un avis sage au gouvernement, un avis motivé
sur la nature des délits reprochés à l’individu que l’on veut expulser. Voilà
toute l’intervention que nous demandons des tribunaux. Quant aux conseils de
régence, je ne conçois pas en vérité comment on les récuse. Un étranger est
domicilié dans une commune ; c’est là qu’il a porté le siège de ses affaires ;
c’est là qu’il élève sa famille ; c’est là qu’il est connu des habitants ;
c’est là que le conseil municipal connaît sa vie publique, sa vie privée ; il
peut par conséquent donner les renseignements les plus certains, les plus
précis. Pourquoi ne pas le consulter ? Il est le protecteur né des habitants de
la commune.
Pourquoi déclinez-vous
cette intervention ? C’est, dit-on, parce qu’on ne veut pas que les tribunaux
et les conseils municipaux partagent la responsabilité ministérielle : voyez
comment les ministres entendent cette responsabilité !
Mais tous les jours, pour la régularité de
l’administration, les ministres sont obligés de demander des avis à tous les
fonctionnaires, à tout le monde, en matière de commerce, d’industrie,
d’administration... Un ministre ne tire pas tout de son propre fond comme une
araignée ; il faut bien qu’il demande des conseils ; eh bien, c’est ce que le
ministre ne veut pas faire.
Ceux qui ne sont pas
persuadés de la nécessité d’accorder des garanties aux étrangers, ceux qui
veulent les livrer à l’arbitraire, et à l’arbitraire tout nu du ministère,
n’ont qu’à admettre l’article premier de la loi tel qu’il est proposé.
Mais, messieurs, je vous le
répète, c’est par une loi sur les étrangers que l’on connaît un peuple et qu’on
le juge au-dehors. Si vous voulez qu’on vous juge comme une nation qui mérite
d’être comptée dans la grande famille européenne, et d’être placée dans cette
famille, où vous aspirez d’être compris, faites une loi qui montre que vous
êtes en effet une nation, que vous avez une nationalité réelle, et que vous
n’êtes pas une préfecture de police de toutes les puissances de l’Europe. (Aux voix ! aux voix !)
M.
de Brouckere. - La discussion ayant duré assez longtemps, je me
bornerai à dire à la chambre que les ministres n’ont repoussé
mon amendement par aucun motif.
Je demande que le
gouvernement envoie l’étranger dans le lieu qu’il déterminera quand on aura un
premier reproche à lui faire, et que ce ne soit qu’après une sorte de récidive
que le gouvernement puisse l’expulser. Si les faits étaient graves, il
tomberait sous le coup des dispositions de nos lois pénales. C’est lorsque le
reproche est insignifiant qu’on enverrait l’étranger dans une localité
désignée.
Messieurs, si j’avais pu
douter un seul instant que les ministres abuseront de la loi, j’en aurais la
conviction après ce qu’a dit le ministre de la justice, qui vient d’invoquer
les raisons d’Etat pour montrer l’impossibilité de confier les secrets de la
police aux tribunaux ; ces mots-là en disent plus qu’ils ne sont gros. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. -
M. Dumortier m’adresse cet amendement :
« L’étranger qui par
sa conduite en Belgique compromet l’ordre et la tranquillité publique, ou qui a
été poursuivi ou condamné à l’étranger pour les crimes ou délits qui donnent
lieu à l’extradition conformément à la loi du 1er octobre 1833, peut être
contraint par le gouvernement de s’éloigner d’un certain lieu, d’habiter dans
un lieu déterminé ou même de sortir du royaume. »
M.
Dumortier. - Messieurs, il y a une chose que tout le monde sait ; c’est
que l’étranger qui s’est rendu coupable dans son pays trouve ici un refuge
assuré et dans l’état de la législation et de nos relations avec les peuples
voisins, il est difficile de s’en débarrasser. Le ministre de la justice s’est
plaint à cet égard : eh bien, je viens de proposer un moyen de compléter la loi
sur les extraditions, son propre ouvrage. Je demande que les expulsions aient
lieu à l’égard de ceux qui sont poursuivis ou et condamnés pour assassinat,
empoisonnement, parricide, viol, incendie, contrefaçon de billets, fausse
monnaie, banqueroute frauduleuse.
Dira-t-on qu’il n’est pas
nécessaire d’autoriser le gouvernement à expulser les prévenus ou les
convaincus de ces crimes puisqu’on peut les extrader ? Mais, messieurs, pour
les extraditions, il faut un cartel d’échange entre les pays limitrophes ; il
faut encore que l’extradition soit réclamée : sans quoi, s’agirait-il même d’un
parricide, il peut rester en Belgique. Je ne veux pas que la Belgique soit
l’égout de l’Europe, et je veux donner aux ministres le pouvoir de purger le
pays des malfaiteurs étrangers. Il faut faire une loi pour le pays et non pour
les circonstances.
- L’amendement est appuyé.
La chambre ferme la
discussion.
M. Pirson demande
que son amendement soit mis le dernier aux voix.
M.
de Behr propose de mettre aux voix les principes des amendements.
M. Vandenbossche retire
l’amendement qu’il avait déposé sur le bureau.
M. le
président pose cette question à la chambre : « Y aura-t-il
intervention judiciaire avec émission d’un avis sur les expulsions ? »
- La majorité de la chambre
répond par un vote négatif. Ainsi l’amendement de M. Liedts est écarté.
M.
le président pose cette autre question. : « Y aura-t-il
intervention de l’autorité municipale avec émission d’un avis sur les
expulsions ? »
- La majorité de la chambre
répond encore par un vote négatif.
Ainsi l’amendement de M.
Jullien est écarté.
M.
Pirson. - J’ai demandé que l’étranger ne soit expulsé qu’à cause de sa
conduite en Belgique, et non à cause
de sa conduite, comme il est dit d’une manière vague dans la loi.
- Cet amendement est mis aux voix. Deux épreuves
par assis et levé sont douteuses.
On procède à l’appel
nominal.
78 membres répondent à cet
appel.
34 votent l’adoption.
44 votent contre.
En conséquence l’amendement
est rejeté.
Ont voté l’adoption
: MM. Berger, de Brouckere, Keppenne, Stas de Volder, de Renesse, de Roo,
Desmet, Vandenbossche, d’Hoffschmidt, Doignon, Dubus, Dumortier, Frison,
Hye-Hoys, Jullien, Liedts, Pirson, Quirini, A.
Rodenbach, Rouppe, Seron, Smits, Trentesaux, de
Troye, Vanden Wiele, Scheyven, Lejeune, Vergauwen,
Verrue-Lafrancq, H. Vilain XIIII, C. Vuylsteke.
Ont voté le rejet : MM.
Bekaert, Bosquet, Dequesne, Coppieters, Cornet de Grez,
Dams, Demonceau, de Behr, Andries, de Jaegher, F. de
Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Sécus, Desmanet de Biesme, de
Terbecq, de Theux, d’Huart, Mast de Vries, Donny, Dubois, Pirmez, Eloy de
Burdinne, Ernst, Fallon, Lardinois, Lebeau, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb,
Polfvliet, C. Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Simons,
Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, C. Vilain XIIII, L. Vuylsteke, Zoude, Raikem.
M.
Dumortier. - Si le projet du gouvernement venait à être écarté, mon
amendement n’aurait plus de portée ; il serait inutile ; je demande qu’on mette
d’abord aux voix le projet du gouvernement tel qu’il a été proposé, sauf à y
ajouter ensuite mon sous-amendement, s’il est adopté.
M.
Dubus. - Je crois qu’il convient de mettre d’abord aux voix la
proposition de M. Dumortier comme sous-amendement au projet du gouvernement,
parce qu’un article se recommande mieux à l’adoption de la chambre quand il est
sous-amendé. C’est ainsi que si tout à l’heure on avait mis d’abord aux voix le
sous-amendement de M. Pirson, le vote aurait peut-être été différent ; car bien
des membres peuvent avoir été préoccupés de l’idée que le vote sur l’amendement
excluait le sous-amendement de M.
Pirson.
M.
le président. - Je n’ai mis cet amendement aux voix, comme je l’ai
fait, qu’après avoir consulté la chambre.
M.
Dubus. - Je n’ai pas entendu faire un reproche, mais une simple
observation.
M.
Liedts. - J’ai deux mots à dire pour l’intelligence du vote. En
supposant que la rédaction du gouvernement soit rejetée, ce qui, j’espère,
n’arrivera pas, ce rejet ne préjugera rien sur l’art. 2, dont la section
centrale propose la suppression.
M.
le président. - Non ; après avoir voté sur l’art. 1er on votera sur la
suppression proposée par la section centrale.
Je mets aux voix l’art. 1er
du projet du gouvernement qui est ainsi conçu :
« L’étranger résidant
en Belgique, qui par sa conduite compromet la tranquillité publique, peut être
contraint, par le gouvernement, de s’éloigner d’un certain lieu, d’habiter dans
un lieu déterminé, ou même de sortir du royaume. »
- Après une
double épreuve, cet article est adopté.
Le sous-amendement de M.
Dumortier est également adopté.
M.
le président. - Je vais mettre aux voix l’ensemble de l’article amendé
:
« L’étranger résidant
en Belgique, qui par sa conduite compromet la tranquillité publique, ou qui a
été poursuivi ou condamné à l’étranger pour les crimes ou délits qui donnent
lieu à l’extradition conformément à la loi du 1er octobre 1833, peut être
contraint par le gouvernement de s’éloigner d’un certain lieu, d’habiter dans
un lieu déterminé, du même de sortir du royaume. »
M.
de Brouckere. - J’ai proposé un sous-amendement qui consiste à
supprimer à l’art. 1er les mots : « ou à sortir du royaume. »
- Ce sous-amendement est
mis aux voix et rejeté.
M.
Lardinois. - Mais qu’avons-nous voté par appel nominal ? ne sont-ce pas les mots par sa conduite ?
M.
le président. - Le vote a porté sur les mots : « par sa conduite
en Belgique. »
- L’ensemble de l’article
premier, tel qu’il vient d’être lu, est mis aux voix et adopté.
« Art. 2 (du projet du
gouvernement dont la section centrale demande la suppression). Les dispositions
de l’article précédent ne pourront être appliquées aux étrangers qui se
trouvent dans un des cas suivants, pourvu que la nation à laquelle ils
appartiennent soit en paix avec
« 1° A l’étranger
autorisé à établir son domicile dans le royaume ;
« 2° A l’étranger
marié avec une femme belge dont il a des enfants nés en Belgique pendant sa
résidence dans le pays ;
« 3° A l’étranger
décoré de la croix de fer. »
Plusieurs membres. - La division.
M. le président. -
Elle est de droit.
- Les numéros 1 et 2 sont
adoptés.
« 3° A l’étranger
décoré de la croix de fer. »
Plusieurs membres. - L’appel nominal
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je demande la parole.
M.
Gendebien. - La discussion est fermée !
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je désire que la chambre ne se
méprenne pas sur la conduite du gouvernement dans cette circonstance.
M.
Gendebien. - Cela nous importe peu. Vous n’avez pas le droit de prendre
la parole.
Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je prie la chambre de vouloir
bien m’entendre, j’ai des éclaircissements à donner.
M.
Gendebien. - Nous n’avons pas besoin d’éclaircissements. Je demande la parole
pour un rappel au règlement. Aux termes du règlement, on ne parle pas entre
deux épreuves. Les ministres, comme tous les membres de la chambre sont soumis
à cette disposition. Voilà un quart d’heure que la discussion est fermée et que
nous votons, le moment est venu d’en finir.
Si quelqu’un croit devoir
donner des explications sur son vote, il les donnera quand il sera appelé pour
l’émettre
M.
le président. - Je ferai observer que nous ne sommes pas entre deux
épreuves, mais je dois ajouter que la discussion au fond est fermée.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je voulais faire au préopinant
l’observation que M. le président vient de faire.
Messieurs, lorsque le
gouvernement s’est rallié au projet de la section centrale, c’est qu’il a
compris que cette section proposait une loi de confiance, et ne supposait point
que le gouvernement eût jamais occasion d’expulser un décoré de la croix de
fer. Mais puisqu’on élève des doutes, puisqu’on interprète mal les motifs de la
section centrale, je déclare que nous nous prononcerons également pour
l’adoption de l’exception en faveur des décorés de la croix de fer. (Très bien ! très bien !)
M.
le président. - L’appel nominal ayant été demandé par cinq membres, il
va y être procédé.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - La disposition sera adoptée à
l’unanimité.
- Il est procédé à l’appel nominal sur le n°3 de
l’art. 2.
Il est adopté à l’unanimité
des 78 membres qui ont pris part au vote.
Ce sont : MM. Bekaert,
Berger, Bosquet, Dequesne, Coppieters, Cornet de Grez,
Dams, Demonceau, de Behr, de Brouckere, Keppenne,
Andries, Stas de Volder, E. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de
Renesse, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux,
Vandenbossche, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Stas de Vries, Donny, Dubois,
Dubus, Pirmez, Dumortier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Frison, Gendebien,
Hye-Hoys, Jadot, Jullien, Lardinois Lebeau, Liedts, Milcamps, Morel-Danheel,
Nothomb, Frison, Polfvliet, Pollénus, Quirini, A.
Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Rouppe, Schaetzen, Seron, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux,
Troye, Ullens, Vandenhove, Vanden Wiele. Vanderbelen,
Scheyven, Lejeune, Verdussen, Vergauwen, Verrue-Lafrancq,
C. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Zoude et Raikem.
M.
le président. - Un membre s’est abstenu. Il est invité aux termes du
règlement à énoncer les motifs de son abstention.
M. de Jaegher. - Messieurs,
après ce qui s’est passé hier lors de la discussion qui a eu lieu relativement
aux décorés de la croix de fer, j’ai cru devoir m’abstenir parce que mes
intentions ayant été mal interprétées, j’ai craint qu’on pût encore mal
interpréter ma conduite dans cette circonstance.
- L’ensemble de l’article 2
est mis aux voix et adopté.
Article 3
« Art. 2 (de la
section centrale) devenu art. 3. - L’arrêté royal porté en vertu de l’art. 1er
sera signifie par huissier à l’étranger qu’il concerne.
« Il sera accordé à
l’étranger un délai qui devra être d’un jour franc au moins. »
- Adopté.
Article 4
« Art. 4. (du projet
du gouvernement). - L’étranger qui aura reçu l’injonction de sortir du royaume,
sera tenu de désigner la frontière par laquelle il sortira ; il recevra une
feuille de route réglant l’itinéraire de son voyage et la durée de son séjour
dans chaque lieu où il doit passer.
En cas de contravention à
l’une ou l’autre de ces dispositions, il sera conduit hors du royaume par la
force publique. »
- Adopté.
Article 5
« Art. 5. Le gouvernement
pourra enjoindre de sortir du territoire du royaume à l’étranger qui quittera
la résidence qui lui aura été désignée. »
- Adopté.
« Art. 6. En cas que
l’étranger auquel il aura été enjoint de sortir du royaume rentre sur le
territoire, il pourra être poursuivi, et il sera condamné, pour ce seul fait,
par les tribunaux correctionnels, à un emprisonnement de trois mois à un an, et
à l’expiration de sa peine il sera conduit à la frontière. »
M.
le président. - M. Pirson, au lieu de cet article, propose la
disposition suivante :
« S’il rentre, il sera
détenu pendant trois mois en prison, d’après condamnation du tribunal
correctionnel provoquée par le procureur du Roi, et ensuite reconduit. »
M.
Pirson. - Je demande que l’on fasse de cette disposition un paragraphe
2 de l’art. 5 qu’on vient de voter.
M.
Jullien. - M. Pirson demande-t-il que l’emprisonnement soit réduit à
trois mois ?
M.
Pirson. - Précisément.
M. Jullien. - Alors, j’appuie cet amendement.
Il est de principe qu’on
n’établit une gradation de peine que quand il y a gradation de délit. Or,
quelle peut être la gradation du délit de l’étranger qui rentrera dans le pays
après qu’il lui aura été enjoint d’en sortir ? Tous les étrangers qui auront
été expulsés et qui rentreront, auront fait absolument la même chose. Il n’est
pas possible de trouver deux manières de rentrer après avoir été expulsé. Il ne
peut donc pas exister de gradation de délit et par conséquent il ne peut pas y
avoir de gradation de peine. Fixez la peine à trois mois, même plus si vous
voulez, mais il me paraît inutile de laisser aux tribunaux la faculté
d’aggraver la peine de l’un plus que celle d’un autre, quand le délit est
absolument le même ; car l’action de rentrer dans un pays dont on a été expulsé
est une action simple.
Les motifs sur lesquels
repose l’amendement de M. Pirson me paraissent frappants de vérité.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - La section centrale a supposé
que la rentrée de l’étranger expulsé pouvait avoir des caractères différents,
qu’il pouvait y avoir récidive ou des circonstances plus ou moins graves. Par
exemple, l’étranger pourrait ne rentrer que pour voir sa famille, régler des
affaires, ou bien pour revoir des factieux avec lesquels il a été en relation.
M. Lebeau. - J’ai demandé la parole pour
faire remarquer que l’article de la section centrale est moins sévère que celui
de M. Pirson, abstraction faite du maximum sur lequel je ne me prononce pas. En
effet, M. Pirson veut qu’il y ait poursuite toutes les fois qu’un étranger
expulsé rentrera, tandis que la section centrale laisse cette poursuite
facultative. Si un étranger expulsé rentrait pour voir sa famille ou pour tel
autre motif éventuel qu’il est impossible de prévoir, avec l’article de la
section centrale, le gouvernement examinerait s’il y a lieu de poursuivre,
tandis qu’avec l’amendement de M. Pirson la poursuite serait obligée.
Quant à la gradation, il me
semble qu’elle est justifiée par les circonstances qui peuvent accompagner sa
rentrée et surtout par le cas de récidive sur lequel la loi est muette.
M.
Mast de Vries. - Je proposerai de mettre le minimum à 15 jours.
M. Pirson. - Je
retire mon amendement.
M.
Trentesaux. - Il me semble que le commencement de l’article n’est pas
très français. Du moins, « en cas que » ne sonne pas fort
agréablement à l’oreille.
M.
le président. - On pourra rédiger l’article de la manière suivante :
« Si l’étranger,
etc. »
M. Gendebien. - On a dit que l’amendement de M.
Pirson était moins favorable à l’étranger que celui de la section centrale parce
qu’il rendait la poursuite obligatoire, taudis que dans l’article de la section
centrale elle est facultative. Mais je ferai observer que d’après cet article
de la section centrale, la poursuite est facultative, quand il plaira au
gouvernement de poursuivre, le tribunal sera obligé de condamner, et qu’il
pourra le condamner de trois mois à un an ; je demande que la condamnation soit
facultative.
M. Mast de Vries vous a
proposé un amendement fort sage. Il me semble que quinze jours à trois mois est
une peine suffisante contre un malheureux proscrit qui, après avoir été
expulsé, rentre dans le pays ne sachant où aller.
Je propose donc de rédiger ainsi ce paragraphe : «
Il pourra être poursuivi et condamné par les tribunaux de police
correctionnelle, pour ce seul fait, à un emprisonnement de 15 jours à trois
mois.
M.
Lebeau. - J’ai fait remarquer tout à l’heure que mon observation ne
portait pas sur le maximum. J’ai dit seulement que la poursuite était obligée
dans l’amendement de M. Pirson, tandis qu’elle était facultative dans l’article
de la section centrale. Je ne pense pas dès lors que c’est à moi que
l’honorable préopinant a voulu répondre.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Je comprends très bien que le tribunal ait la conviction
que la rentrée d’un étranger est innocente, tandis que le gouvernement a pu
croire qu’elle avait eu lieu dans des intentions malveillantes et qu’alors le
tribunal condamne cet étranger à une peine plus légère. Par ce motif, je ne
m’oppose pas à l’amendement de MM. Gendebien et Mast de Vries, pour ce qui
concerne la durée de la peine.
M.
Pollénus. - Je ne puis admettre l’amendement de M. Gendebien, parce que
je crois qu’il serait contraire à tous les principes de saisir un tribunal de
faits qualifiés, en lui laissant la faculté de condamner ou de ne pas
condamner.
M. Gendebien. - L’honorable préopinant est
tombé dans une grave erreur. En général, je le sais, la loi ordonne la peine et
le juge est obligé de l’appliquer pour un fait qualifié crime ou délit ; or,
quel crime, quel délit pouvez-vous imputer à un malheureux proscrit qui viendra
pour voir sa famille, qui sera forcé de venir chercher l’argent qui lui est
nécessaire pour vivre à l’étranger, parce qu’on ne sait pas où il est, parce
qu’il est obligé de cacher sa retraite et qu’il sait lui qu’en ce lieu, il
pourra trouver des moyens d’existence. Ce malheureux compte rester deux heures,
il est saisi en arrivant et vous allez lui faire un crime de sa rentrée !
Je ne conçois pas alors
qu’avec une loi politique, une loi abandonnée à l’arbitraire d’un ministère,
vous forciez des tribunaux à appliquer une peine. Il en résultera que toutes
les fois que le ministère par l’intermédiaire de ses procureurs-généraux ou des
procureurs du Roi, voudra provoquer une condamnation contre un étranger qui
sera rentré n’importe pourquoi après avoir été expulsé, il faudra que les
tribunaux, malgré leur conviction, la prononcent.
Vous devez donc rendre
l’application de la peine facultative comme la poursuite. Car les lois pénales
laissent aux tribunaux non seulement la faculté de condamner à telle ou telle
peine, mais d’absoudre, tandis qu’ici vous exigez qu’ils prononcent une peine contre
leur conscience, c’est impossible.
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne pense pas qu’on doive admettre
l’amendement de M. Gendebien, mais je ne m’oppose pas à celui de M. Mast de
Vries. En effet, si l’étranger a de justes motifs de rentrer momentanément en
Belgique, il peut s’adresser au gouvernement pour en obtenir l’autorisation. Si
au contraire il rentre sans avoir obtenu cette autorisation, le gouvernement
demeurera encore maître d’apprécier s’il y a lieu ou non de le traduire en
justice, selon la garantie des circonstances.
En outre, messieurs, vous
remarquerez que, d’après l’amendement de M. Mast de Vries, le minimum de la
peine est de quinze jours.
Maintenant, si vous voulez
que la loi ait une sanction, il faut que du moment où la contravention à la loi
sera formelle et reconnue, la condamnation s’ensuive. Que la peine soit légère
; très bien. Mais qu’il y ait toujours condamnation, quand il y aura eu
infraction à la loi.
M.
Pollénus. - Si la chambre admettait l’amendement de M. Gendebien,
tendant à rendre facultative l’application de la peine prononcée par cet
article, il y aurait là, selon moi, une véritable contradiction avec le vote
par lequel nous avons exclu l’intervention des tribunaux dans la question
d’expulsion.
Pour pouvoir autoriser un
acquittement dans le cas où le fait prévu par le projet est constant, de quoi
connaîtraient alors les tribunaux ? Mais évidemment de la question politique,
de la question de savoir si la tranquillité publique a été oui ou non troublée
par la personne expulsée.
Messieurs, j’ai repoussé
l’intervention des tribunaux dans cette question politique, je l’ai fait dans
l’intérêt de l’indépendance et de la dignité de la magistrature. Laissons aux
tribunaux leurs attributions, le pouvoir de juger d’après des règles, mais
épargnons-leur le danger d’intervenir dans des questions purement
administratives, purement gouvernementales.
Mais, dit-on, les tribunaux ne pourront donc jamais
absoudre : les tribunaux pourront absoudre tout comme dans toutes les autres
matières, mais seulement dans les cas où le juge peut absoudre. Mais dès qu’un
fait est qualifié crime ou délit, et que le prévenu ne se trouve dans aucun des
cas d’excuse déterminés par les lois ordinaires, dès lors la condamnation
devient une nécessité. Admettre des peines facultatives, c’est bouleverser les
idées que règlent et qui déterminent la nature et les attributions du pouvoir
judiciaire.
S’il arrive qu’un expulsé
se trouve dans un cas tout exceptionnel, qu’il puisse invoquer des intentions
toutes pures, mais alors il y a encore deux moyens. En premier lieu, le
gouvernement peut prévenir les poursuites, en dernier lieu, il a encore le
droit de grâce, et bien certainement le gouvernement ne manquera pas d’en faire
usage, s’il pense que la personne expulsée a agi sans intention coupable.
M. de Brouckere. - Pour s’opposer à
l’amendement de M. Gendebien on a dit que dans aucun cas on ne pouvait laisser
aux tribunaux la faculté d’appliquer une peine à un délit qualifié, que ce
serait compromettre la dignité des tribunaux. Je vais vous prouver au contraire
par un texte de loi que ce n’est pas la première fois qu’on laisse aux
tribunaux la faculté d’appliquer ou de ne pas appliquer une peine à un délit
qualifié.
L’art. 586 du code de
commerce porte : « Sera poursuivi comme banqueroutier simple, et
pourra être déclaré tel, le commerçant failli qui se trouverait dans l’un ou
plusieurs des cas suivants, etc. » La suite de l’article énumère quatre
cas de banqueroute simple, où le juge a la faculté d’appliquer ou de ne pas
appliquer une peine.
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Messieurs, ma question est de savoir s’il convient que
les tribunaux puissent (comme l’a très bien dit l’honorable député d’Hasselt)
s’immiscer dans la question des motifs de l’expulsion. Or, à cet égard, la
chambre a déjà prononcé et cela suffit pour que nous soyons assurés qu’elle
n’admettra pas l’amendement de M.
Gendebien.
M. de Brouckere.
- Je veux rectifier une erreur de M. le ministre de la justice. La question
soumise aux tribunaux n’est pas de savoir quels sont les motifs de l’expulsion,
mais quels sont les motifs de la rentrée de l’expulsé dans le pays. Car c’est
pour sa rentrée dans le pays qu’on le punit.
M.
Gendebien. - Le ministre de la justice avait dit d’abord qu’il
admettait mon amendement.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - C’est l’amenderaient de M. Mast
de Vries que j’ai admis. Mais je n’ai nullement adhéré à un amendement qui
tendrait à rendre la condamnation facultative.
M. Demonceau. - Puisqu’on veut que
les tribunaux usent d’indulgence, que l’on déclare applicable l’art. 463 du
code pénal. On pourra ainsi réduire la peine à une simple amende de 6 fr. (Non ! Non ! Aux voix ! aux
voix !)
- La proposition de M.
Gendebien, tendant à ce que la condamnation soit facultative, est mise aux voix
; elle n’est pas adoptée.
L’amendement de M. Mast de
Vries tendant à fixer le minimum de la peine à 15 jours, et le maximum à 6 mois
d’emprisonnement est mis aux voix et adopté.
L’art. 5 avec cet
amendement est ainsi conçu :
« Si l’étranger auquel
il aura été enjoint de sortir du royaume rentre sur le territoire, il pourra
être poursuivi, et il sera condamné pour ce seul fait, par les tribunaux correctionnels,
à un emprisonnement de 15 jours à 6 mois, et à l’expiration de sa peine, il
sera conduit à la frontière. »
L’art. 5, ainsi amendé, est
mis aux voix et adopté.
M.
le président. - La chambre a maintenant à discuter les dispositions
additionnelles proposées par M. Fallon.
La parole est à M. Fallon.
M.
Fallon. - En prenant part à la discussion générale, j’ai déclare que si
je n’étais pas mieux éclairé par les débats, je proposerais les amendements sur
lesquels j’appelais à l’avance l’attention de la chambre.
Bien loin de lever mes
scrupules, la discussion a confirmé mes prévisions et c’est un devoir pour moi
de persister plus que jamais, tout au moins dans la partie que je considère
comme la plus importante des amendements que j’ai proposés.
Je ne rentrerai pas dans la
discussion générale, je me bornerai à résumer les motifs de ces amendements, en
indiquant dans quels points la discussion les a renfermés.
Il faut une loi d’expulsion.
Cette loi peut être
constitutionnellement placée à côté de la règle constitutionnelle.
On est assez généralement
d’accord sur ces points.
Mats pour que cette loi
soit constitutionnelle, il faut qu’elle soit exceptionnelle.
Il faut qu’elle soit
exceptionnelle, non pas dans ce sens qu’elle ne serait que temporaire, mais
dans ce sens qu’elle serait spéciale, c’est-à-dire telle qu’elle n’absorbe pas
la règle.
Il importe que l’on ne se
trompe pas à cet égard et c’est pour qu’on se comprenne bien que je dois
relever ici un argument qui été présenté et que je désire avoir mal saisi.
On a dit que la loi serait
exceptionnelle et par conséquent constitutionnelle par là même qu’elle ne
serait que temporaire. Et on a donné pour raison que ce n’est que faire une
exception dans certaines circonstances.
Mais on ne fait pas, je
pense, attention que ce serait précisément là un renforcement
d’inconstitutionnalité.
L’art. 130 ne nous dit-il
pas, en termes clairs et précis, que la constitution ne peut être suspendue en
tout ni en partie et par conséquent ni pour un temps, ni à toujours, ni dans
aucune circonstance.
Il faut donc y prendre
garde, messieurs, la loi qui tiendrait en suspens les effets de l’art 128 pour
un temps, quelque court qu’il soit, serait très improprement qualifiée de loi
exceptionnelle dans le sens légal, ce serait une loi doublement
inconstitutionnelle. Je partage à cet égard la doctrine de M. le ministre de
l’intérieur.
Ce ne serait pas parce que
la loi ne serait que temporaire ou de confiance que je lui donnerais mon
suffrage, mais parce qu’elle serait nécessaire à mon pays, et pour moi, il sera
toujours nécessaire, en tout temps, d’en expulser les étrangers qui viennent y
compromettre l’ordre et la tranquillité publique ; mais parce qu’elle pourrait
convenir à mon pays quelles que soient les mutations qui pourraient survenir au
banc des ministres ; mais enfin parce qu’elle serait constitutionnelle,
c’est-à-dire au cas présent, parce que dans son principe et dans son
application elle ne serait qu’une exception à la règle de l’art. 128.
J’ai réclamé l’application
de ces principes avec la plus intime conviction en 1831, et, malgré les
scrupules qui ont été manifestés par quelques-uns de mes honorables amis, ceux
qui ont soutenu la même opinion que moi, peuvent, sans craindre le reproche de
versatilité, imiter mon exemple et adopter le principe de la loi en discussion.
S’il y a quelque chose de
changé entre les deux époques, ce ne sera pas notre opinion, mais bien l’objet
en discussion.
Comparez en effet la loi de
1831 avec celle de 1835 et vous verrez s’il est vrai, comme on dit, que nous
nous trouvons encore sur le même terrain.
La loi de 1831 plaçait sous
la surveillance du gouvernement tous les étrangers, et elle lui permettait de
les expulser à son gré, sans aucune distinction, et sans qu’il fût besoin de
rechercher s’ils compromettaient ou ne compromettaient pas l’ordre et la
tranquillité publique.
Là, il était évident que la
règle toute entière était livrée à la discrétion et à l’arbitraire du pouvoir
exécutif, sans la moindre responsabilité.
Ici, au contraire, la loi
ne veut être appliquée qu’aux étrangers qui troublent l’ordre et la
tranquillité publique, et si elle est faite de manière à ne s’appliquer qu’à
ceux-là, il est incontestable qu’elle est exceptionnelle, puisque la règle doit
rester debout pour tous les autres, c’est-à-dire pour tous ceux qui ne
compromettront pas l’ordre et la tranquillité publique.
Cette intention de la loi
est précisément ce que je cherchais à assurer par mes amendements.
Je veux faire en sorte que
l’exécution de la loi ne soit pas en contradiction avec son principe ; qu’elle
ne soit pas faussée dans son application, et, qu’exceptionnelle dans son
principe et dans sa volonté, la loi reste exceptionnelle dans son exécution ;
qu’en un mot, l’arme que nous allons confier au pouvoir ne puisse frapper
impunément l’étranger qui ne compromet pas l’ordre et la tranquillité publique.
Pour cela faire, il n’y
avait que deux moyens.
Ou bien, formuler la loi de
manière à ce qu’elle ne puisse s’égarer dans son application ;
Ou bien l’environner de
garanties contre l’exécution abusive. Le premier moyen serait incontestablement
préférable.
Je voudrais aussi trouver
dans la loi la spécification de tous les cas où l’ordre et la tranquillité
publique seraient légalement réputés compromis.
Mais j’ai bien cherché et
je n’ai pas trouvé ce moyen ; j’ai écouté attentivement la discussion et je
n’ai entendu personne qui ait été plus heureux que moi.
Je persiste donc à croire que
la chose est impossible.
Or, de ce qu’il n’est pas
possible de spécifier tous les faits de nature à compromettre l’ordre et la
tranquillité publique ; de ce que ces faits échappent à mes prévisions parce
qu’ils peuvent aller à l’infini ; de ce qu’ils peuvent être plus on moins
inoffensifs ou plus ou moins hostiles, suivant les circonstances et les
événements politiques, la conséquence n’est pas qu’il faut repousser le
principe de la loi par la considération qu’elle ne qualifie pas plus
spécialement le fait contre lequel elle est destinée à sévir.
Lorsque l’on reconnaît que
la loi est nécessaire, je ne puis admettre l’opposition par trop commode de
ceux qui se bornent à dire que celle qui est proposée est mauvaise, sans se
donner le soin d’indiquer le moyen d’en faire une meilleure, et de manière à ne
pas lui faire manquer son but, c’est-à-dire, à ce qu’elle reste prompte dans
son application.
Ne trouvant pas de moyen de
l’améliorer dans sa disposition principale, de la rendre plus spéciale dans sa
spécialité, je me suis attaché à celui d’empêcher qu’elle n’envahisse la règle
constitutionnelle dans son exécution, et c’est là le but de mes amendements.
Ils ont en effet pour objet
d’entourer l’exécution de certaines garanties contre les abus d’applications, convaincu
que je suis que, telle qu’elle est proposée, elle consacre le plus large
arbitraire, elle place la responsabilité ministérielle hors de toute atteinte
et ne laisse aucun remède contre le redressement des abus.
J’attendais qu’on me
prouvât que j’étais dans l’erreur, que ces moyens de redressement restaient à
la disposition des chambres et j’ai retiré mes amendements avec d’autant plus
de satisfaction que j’eus obtenu la principale garantie dont je voulais
m’assurer, celle que la chambre resterait dans son droit d’exiger des
explications catégoriques sur les causes d’expulsion.
Il paraît que la chambre
s’attend qu’il en sera ainsi, que ses prérogatives resteront entières et
efficaces, du moins on le lui répété à satiété.
Eh bien, messieurs, la
chambre est complètement dans l’erreur, et c’est ici que je réclame toute son
attention.
Lorsque j’ai dit que la
presse serait bâillonnée, parce qu’elle ne connaîtra pas les motifs de
l’expulsion ; que l’opinion publique serait égarée parce qu’elle n’en saura pas
davantage ; que la tribune serait muette, ou que son langage serait illusoire ;
qu’il en serait de même du droit de pétition et qu’enfin la responsabilité
ministérielle serait hors de toute atteinte, par là même qu’il serait
impossible de la mettre en prévention, on m’a répondu que toutes ces craintes
étaient chimériques, que la presse et la tribune feront ce qu’elles ont fait
précédemment et que la chambre avertie saura toujours bien se faire rendre
compte des motifs de l’expulsion, en exigeant des ministres les explications
qu’elle trouvera convenir.
Eh bien, messieurs, tout
cela n’est qu’une véritable déception et j’en tiens la preuve par écrit.
Sans doute, la presse
criera ; sans doute la tribune fera entendre sa voix ; tout cela fera du
tapage, mais n’aura de résultat que quand les ministres le voudront bien.
Ci-devant, la presse et la
tribune pouvaient se faire entendre utilement, parce qu’ils avaient un sujet
sur lequel ils pouvaient parler, c’est-à-dire sur l’illégalité dans la mesure
bien plus que sur les causes de l’expulsion. Vous savez qu’alors on soutenait
que le droit d’expulsion était illégal, et non sans raison, puisqu’on nous
demande maintenant de le légaliser. Or, comment voulez-vous qu’ils parlent
d’illégalité, alors qu’ils ignoreront les motifs de l’expulsion ?
Mais, répète-t-on, la
tribune les connaîtra quand la chambre le voudra.
Je prends le discours de
l’honorable M. Nothomb et je lis : qu’en tout état de choses les ministres
seront toujours obligés de répondre aux interpellations de la chambre ou de
justifier leur silence. Notez bien l’alternative.
Je prends le discours de M.
le ministre de la justice et je lis : que des explications ne seront jamais
refusées, à moins que des raisons d’ordre public ou l’intérêt même de
l’étranger ne s’y opposent.
C’est là qu’est le piège
tendu à l’art. 128, et tenons-nous bien pour avertis qu’il ne faudra pas plus
tard en prétexter cause d’ignorance. Si la loi reste faite telle qu’elle est
formulée, la chambre conservera le droit d’exiger des explications des
ministres, cela ne fait plus de doute, mais de leur côté les ministres se
trouveront autorisés à les refuser à la chambre et à garder le silence, lorsque
la raison d’Etat s’y opposera, et comme ce seront eux, et non la chambre, qui
seront juges de cette raison d’Etat ou d’ordre public, vous pouvez bien vous
attendre à rencontrer cette raison d’Etat chaque fois qu’elles auront fait abus
de la loi.
Que l’on me dise maintenant
si avec une loi pareille, la responsabilité ministérielle ne se mettra pas à couvert
quand elle le voudra ? Que l’on me dise si les prérogatives de la chambre
resteront entières et efficaces ? Que l’on me dise enfin si, en insistant pour
l’article premier de mes amendements, je fais chose inutile en demandant que
les arrêtés d’expulsion avec l’explication de leurs motifs soient communiqués à
la chambre.
Je ne me suis pas borné là,
j’ai été plus loin, j’ai voulu aller au-devant de l’objection que je prévoyais,
j’ai demandé en outre une commission permanente et on ne m’a pas compris.
La majorité de la chambre,
avec le ministère, avait trouvé bon la veille de faire intervenir la chambre
dans un acte d’administration pour la conservation d’une liberté
constitutionnelle et aujourd’hui qu’il s’agit encore d’une liberté
constitutionnelle, la commission que je propose est un envahissement, c’est une
perturbation dans les pouvoirs.
Cette commission serait
inconstitutionnelle, parce que la constitution veut que toute commission fasse
rapport à la chambre et l’on dit cela, tout en reconnaissance que lorsqu’il
s’agit de l’étranger, on peut déroger par exception à toutes les dispositions
quelconques de la constitution quelles qu’elles fussent.
Cette commission serait
inutile, parce qu’il existe une commission des pétitions, comme si la
commission des pétitions pouvait faire un rapport efficace sur une pétition qui
ne lui apprendra pas autre chose, sinon que le pétitionnaire a été expulsé sans
savoir pourquoi.
Voici, messieurs, en quoi
je considérais la commission permanente comme étant d’une utilité incontestable,
c’est que je prévoyais bien qu’on viendrait nous dire, à l’occasion, qu’une
raison d’Etat empêche de publier à la tribune les motifs de l’expulsion et que
je voulais empêcher que la responsabilité ne s’échappât par un semblable
prétexte, une commission étant là pour recevoir les communications qu’il y
aurait prétendument danger de révéler en séance publique.
Je la considérais encore
comme utile, parce que je trouvais dans sa création le moyen d’empêcher à la
chambre les discussions longues et irritantes dans les cas où la chose n’en eût
pas valu réellement la peine.
Au reste, la proposition de
cette commission permanente n’ayant pas paru obtenir de l’accueil dans la
discussion, et la chambre paraissant préférer faire elle-même l’office de cette
commission, je retire de mes amendements tout ce qui a rapport à cette
commission, et je m’en tiens à l’article premier.
Au moyen de cet article en
effet, la chambre, saisie des arrêtés d’expulsion et de leurs motifs, pourra
toujours les envoyer à une commission spéciale, et donner à cette commission
tel mandat qu’elle jugera convenir.
Je vous abandonne
maintenant cet amendement, messieurs, quel qu’en soit le sort, il en restera
toujours quelque chose d’utile, c’est que, pour la direction de chacun de nous,
nous auront été suffisamment prévenus que si la loi reste telle qu’elle est,
nous ne connaîtrons les motifs d’une expulsion que lorsqu’aucune raison d’Etat
n’empêchera le ministre de donner ces explications, ce que je traduits, moi,
dans ces termes : que, quand il y aura abus, il y aura nécessairement une
raison d’Etat pour que vous ne puissiez pas le découvrir.
Si ce système vous
convient, vous repousserez mon amendement, mais vous le repousserez au moins en
pleine connaissance de cause.
Quant à moi, sans
l’amendement, c’est-à-dire sans la garantie que le ministère sera toujours
obligé de communiquer à la chambre les motifs d’expulsion sans pouvoir
légalement s’en dispenser sous prétexte de raison d’Etat, je repousserai la loi
que je considérerai comme le prélude d’un plan plus complet de désordre et de
renversement de nos institutions.
Je sais bien que la chambre pourra toujours se
mettre à l’occasion en contradiction avec la loi qu’elle aura votée, en ce sens
que, malgré qu’il soit entendu que, dans le sens de la loi, le ministre pourra
garder le silence sous prétexte de raison d’Etat, je sais bien, dis-je, que la
chambre pourra toujours le forcer à rompre le silence par un refus de budget.
Mais peut-on penser de
bonne foi qu’en présence de la perturbation d’un refus de budget et du sort
d’un étranger, le choix peut être douteux ? Le malheureux étranger restera
sacrifié ; quelque calomnieux, quelque vils que soient les motifs de son
expulsion ils resteront inconnus, et quelque constitutionnelle ou
inconstitutionnelle qu’ait été l’application de la loi, le fait restera
consommé sans remède et sans que la responsabilité ministérielle en soit le
moins du monde atteinte.
M.
Trentesaux. - Après avoir entendu, le discours de l’honorable M.
Fallon, je me crois obligé de dire comment j’entends la loi, et je crois que
tout le monde l’entend comme moi. Je crois que la loi que nous faisons est pour
nous et que les étrangers n’ont rien à y voir.
Nous avons fait, pour les
gouvernements étrangers, par la loi d’extradition, tout ce que nous pouvions
faire pour eux. Dès lors la loi actuelle est pour nous, et les gouvernements
étrangers n’ont pas à s’en prévaloir près de notre gouvernement. En effet la
loi, qui est tout entière dans l’article premier, porte que l’étranger, qui par
sa conduite compromet l’ordre et la tranquillité publique, pourra être expulsé
du pays. Il n’y a rien là qui puisse concerner les gouvernements étrangers. Je
crois que le gouvernement commettrait une grande faute, s’il écoutait une
proposition d’un gouvernement étranger, motivée sur la loi. La première chose
que le gouvernement devrait répondre, c’est que nous avons fait la loi pour
nous et que nous sommes seuls juges de son application. Je conseille fort au
gouvernement de résister à la première demande qui pourra lui être faite, car,
je le répète, nous avons fait assez pour les gouvernements étrangers, par la
loi d’extradition.
Il y a un point
encore du discours de M. Fallon sur lequel je crois devoir dire un mot ; c’est
la question de permanence ou de temporanéité,
question qui ne me paraît pas de l’essence de cette loi. La question de temporanéité n’est qu’une question de prudence ; et je
crois qu’il est prudent de ne faire qu’une loi temporaire, comme vous l’avez
décidé. Dans une autre circonstance vous avez décidé que vous feriez un essai.
Eh bien, la temporanéité n’a d’autre objet qu’un
essai. Mais la loi eût-elle été permanente, je ne crois pas qu’elle eût été
inconstitutionnelle ; car à mes yeux, elle ne permet qu’une exception autorisée
par la constitution.
Mais on se demande quels
sont les motifs qui détermineront le gouvernement à prononcer une expulsion.
Les motifs du gouvernement ne peuvent pas être autres que ceux indiqués par la
loi. Si j’étais gouvernement et qu’on me demandât les motifs d’une expulsion,
je dirais : J’ai jugé l’expulsion nécessaire parce que l’étranger, dont il
s’agit, compromettait par sa conduite l’ordre et la tranquillité publique.
Je crois que je ne ferai
jamais la demande des motifs spéciaux d’une expulsion. Ce serait une
distraction ; car les motifs sont dans la loi.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous sommes d’accord avec
l’honorable préopinant. Je ferai seulement remarquer que le préopinant se
trompe, quand il croit que la loi d’extradition a été proposée dans l’intérêt
des pays étrangers. C’est dans l’intérêt de
Quand nous avons réclamé
cette extradition, ce n’a pas été dans l’intérêt de
Maintenant je
tâcherai de réfuter l’honorable député de Namur. Suivant lui, la responsabilité
du gouvernement et les prérogatives de la chambre recevraient une grave
atteinte par le projet de loi. Quant à moi, je ne comprends pas comment on
modifierait la responsabilité du gouvernement, ni comment la chambre
renoncerait à ses prérogatives. Je n’entrerai pas dans la question de
constitutionnalité, je crois qu’elle a été assez discutée. Mais il est certain
que la responsabilité du gouvernement reste entière, que les prérogatives de la
chambre restent entières.
Pour venir directement aux
amendements de l’honorable préopinant, je ferai remarquer qu’il a retiré la
partie la plus importante de ces amendements qui consistait à faire intervenir
la chambre dans l’administration de l’Etat. Nous nous sommes élevés contre
cette intervention. Jamais nous n’y avons consenti, et nous n’y consentirons
jamais.
La seule question est
maintenant de savoir si le gouvernement doit faire connaître à la chambre les
arrêtés d’expulsion et si ces arrêtés doivent être motivés.
M.
Fallon. - Je ne demande pas que les arrêtés d’expulsion soient motivés.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je prierai alors M. Fallon de
vouloir bien dire en quoi consiste son amendement.
M.
Fallon. - Je demande que les arrêtés d’expulsion soient communiqués à
la chambre, avec une note explicative des motifs de l’expulsion. La chambre
fera ce qu’elle voudra. Je ne demande pas autre chose.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - C’est plus que je n’avais dit ;
car si un arrêté était motivé, au moins l’étranger pourrait cacher ces motifs
quand ils seraient de nature à porter atteinte à sa réputation, à son honneur
ou à celui de sa famille. Mais fournir aux chambres une note explicative des
motifs de l’expulsion, alors que l’étranger expulsé ne réclame pas, ce peut
être aussi contraire aux désirs qu’à l’intérêt de l’étranger.
L’étranger, quoi qu’on en
ait dit, saura se défendre contre une expulsion injuste et tracassière ; il
pourra vous la faire connaître, s’il le juge convenable. Il trouvera, comme je
l’ai dit, des défenseurs dans les organes de la presse et dans cette chambre.
On a dit que nous avions
fait des expulsions quand il n’y avait pas de loi, que nous avions fait des
expulsions illégales. Messieurs, je proteste contre cette assertion ; je
prétends que nous n’avons jamais fait d’expulsions illégales. Les expulsions
ont été faites, en vertu des lois sur les passeports et de l’arrêté du 6
octobre 1830, lois et arrêté en vigueur.
Lorsque la chambre a
demandé des explications sur ces expulsions, le ministère ne les a-t-il pas
données. Croyez-le, messieurs, la chambre quand elle voudra des explications
sur une expulsion, trouvera toujours moyen de les obtenir. Le ministère n’a-t-
il pas toujours besoin de votre bienveillance ! Croyez-vous qu’il soit possible
qu’un ministre se taise, quand on pourra le croire dans son tort ! Ce n’est pas
une sérieuse objection. La chambre saura toujours forcer le gouvernement à
s’expliquer, quand elle le jugera convenable. Mais la chambre pourra aussi
respecter les motifs qui détermineraient le gouvernement à garder le silence.
Telles sont les relations
de la chambre et du gouvernement. Je ne comprends pas un ministère d’une autre
manière.
Il est au moins inutile de
faire connaître les motifs de l’expulsion, parce que si l’étranger expulsé a un
intérêt à les publier, il pourra toujours le faire par ses relations avec la
presse, avec les membres des chambres, et avec les chambres mêmes par le droit
de pétition.
M. Fallon. - M. le
ministre de la justice a cru que ce que je disais des expulsions illégales
s’appliquait au ministère actuel. A cet égard, il est dans l’erreur. J’ai parlé
seulement des expulsions faites sous le précédent ministère, en vertu de la loi
de vendémiaire an VI. Je prétends qu’alors les expulsions étaient illégales car
on ne les justifiait pas autrement que par la loi de l’an VI.
M.
Gendebien. - Et Guinard !
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Il a été expulsé en vertu des
lois sur les passeports.
M.
de Brouckere. - Le droit d’expulsion a jusqu’à présent été exercé par
le gouvernement et sous ce ministère et sous le ministère qui l’a précédé...
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je demande la parole.
M.
de Brouckere. - Alors je me tais pour écouter le ministre de la
justice. Je parlerai après lui.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne veux pas interrompre
l’orateur ; je n’ai pas ce droit-là. Je demande la parole pour parler après
lui.
M.
de Brouckere. - Vous demandez la parole quand je n’ai rien dit encore,
Eh bien parlez !
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai demandé la parole parce
que je soutiens que nous n’avons pas fait d’expulsions illégales, et que nous
n’avons fait qu’exécuter la loi. Comme je veux en cela contredire l’orateur,
comme je suis persuadé que je pourrai lui répondre, j’ai demandé la parole.
M.
de Brouckere. - M. le ministre de la justice me contredira tant qu’il
voudra ! Quoi qu’il en soit, je dis que le droit d’expulsion a été exercé sous
le ministère actuel et sous le précédent ministère. Si on en doute, nous avons
les aveux du précédent ministère. Alors les expulsions avaient lieu en vertu de
la loi de vendémiaire an VI, maintenant elles ont lieu en vertu de la loi sur
les passeports et de l’arrêté du 6 octobre 1830. Maintenant je demande à quoi
servira la loi que nous votons ; car si vous avez le droit d’expulsion, soit en
vertu de la loi de vendémiaire, soit en vertu de l’arrêté du 6 octobre,
avez-vous besoin d’une loi nouvelle ? Que vous en ayez besoin ou non, la
chambre vous l’a accordée par un premier vote et très probablement elle le ratifiera
par un second. Je demanderai au moins au ministère si maintenant qu’il aura une
loi complète d’expulsion, il considérera comme abrogés l’arrête du 6 octobre et
les lois sur les passeports.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Non ! non
!
M.
de Brouckere. - Je pensais bien que c’était « non ! non
! » (On rit.) Vous l’entendez,
messieurs, c’est deux fois non, une fois pour les lois sur les passeports et
une fois pour l’arrêté du 6 octobre.
Maintenant que le ministère
a contre les étrangers trois lois sans compter la loi de vendémiaire, il ne
sera pas embarrassé pour prononcer des expulsions. Quand l’étranger aura
compromis par sa conduite la tranquillité publique, on l’expulsera en vertu de
la loi que nous discutons et que vous voterez lundi. Quand il n’aura pas
compromis la tranquillité publique, on l’expulsera en vertu de l’arrêté du 6
octobre. Enfin, quand l’étranger se présentera en Belgique avec des papiers que
l’on ne trouvera pas en règle, on l’empêchera d’entrer, en vertu des lois sur
les passeports. Il y aura donc trois moyens d’expulsion.
Mais si, d’après cela, un
étranger arrive en Belgique, il faut convenir qu’il sera bien débonnaire ; car
le gouvernement aura à l’égard des étrangers le pouvoir le plus arbitraire.
M.
Jullien. - C’est ce qu’il demande.
M.
de Brouckere. - Je le sais ; mais la chambre ne devrait pas l’accorder.
Voulez-vous que le gouvernement ait des droits plus étendus que ceux qui lui
sont attribués par la loi en discussion et par la loi d’extradition ?
Faudra-t-il qu’il conserve le droit d’appliquer de prétendues lois sur les
passeports et l’arrêté du 6 octobre 1830, arrêté que je soutiens avoir cessé
d’exister, avec les circonstances qui l’ont fait naître ?
La chambre a décidé sur ce
point. Quant à moi, je ne cesserai jamais mes efforts pour empêcher
l’arbitraire. Je tente, dans ce but, un dernier effort en demandant
l’abrogation de l’arrêté du 6 octobre. Après je ne dirai plus un mot. Je ne
demande que la permission de lire cet arrêté et la faveur à chacun de vous de
le comparer avec la loi actuelle :
« Mesures relatives
aux étrangers qui arrivent à Bruxelles.
« Le gouvernement
provisoire,
« Considérant que
beaucoup d’étrangers passent en Belgique, les uns avec l’intention honorable
d’y porter des secours contre les entreprises du despotisme hollandais, mais
d’autres, en grand nombre, pour y chercher des moyens d’existence équivoque, au
milieu des embarras inséparables d’un état de transition ;
« Arrête :
« Art. 1er. Les
commandants de place et ceux des gardes bourgeoises établies dans les communes
frontières, ainsi que les chefs de douane, se concerteront avec les autorités
civiles pour surveiller l’introduction d’étrangers qui viendraient en Belgique
dans un autre but que celui d’y traiter leurs affaires particulières. »
Voulez-vous qu’on ne puisse
plus entrer en Belgique qu’après avoir justifié qu’on y vient pour traiter des
affaires particulières ?
« 2. Provisoirement et
vu l’urgence, les autorités ci-dessus mentionnées ne permettront l’entrée du
pays qu’à ceux qui justifieront des motifs qui les y amènent. »
Pensez-vous que ce
provisoire de 1830 existe et faudra-t-il encore que l’étranger, qui entre en
Belgique, justifie au premier douanier venu du motif qui l’y amène ?
« 3. Tous autres
étrangers non munis d’autorisation du gouvernement sont tenus de justifier de
leurs ressources ; dans le cas contraire ils seront renvoyés chez eux. »
Eh bien, je vous le demande
encore, prétendez-vous que tout étranger qui veut entrer en Belgique soit tenu
de se présenter devant un policier quelconque pour justifier de ses ressources
pécuniaires !
« 4. Il est
expressément défendu d’arborer aucun drapeau ou de porter aucune cocarde
étrangère à
« Bruxelles, le 6
octobre 1830.
« Les membres du
comité central.
« DE POTTER, comte F.
de Mérode, Ch. ROGIER, Sylvain VAN DE WEYER. »
Voilà messieurs, l’arrêté
du 6 octobre ! Je vous demande s’il peut exister, si ce n’est pas un devoir
pour nous d’en prononcer l’abrogation dans la loi dont nous nous occupons. Je
propose donc d’ajouter à la loi l’article suivant :
« L’arrêté du 6
octobre 1830 est abrogé. »
M. le président. -
M. d’Hoffschmidt dépose un sous-amendement à l’article additionnel proposé par
M. Fallon, qui consiste à le faire précéder des mots : « S’il y a réclamation
de la part de l’expulsé. » L’article serait alors ainsi rédigé :
« S’il y a réclamation
de la part de l’expulsé, les arrêtés d’expulsion, avec l’indication de leurs
motifs, seront adressés aux chambres immédiatement après leur exécution, si
elles sont assemblées, sinon à l’ouverture de la prochaine session. »
La parole est à M.
d’Hoffschmidt pour développer son amendement.
M. d'Hoffschmidt. - Je n’aurai que quelques
mots à dire pour motiver mon amendement. Le principal argument que l’on a fait
valoir pour repousser l’amendement de M. Fallon, c’est qu’il provoquait des
explications sur les motifs de l’expulsion, alors que cela était contraire au
désir et à l’intérêt de l’étranger expulsé. Je conçois en effet qu’il eût pu en
être ainsi. Mais c’est là une exception, ou plutôt il y a une exception à cette
règle. C’est pour cela que je propose de borner aux cas où il y aurait
réclamation de la part de l’expulsé, l’amendement de M. Fallon tendant à
obtenir la communication aux chambres des arrêtés d’expulsion, avec
l’indication de leurs motifs.
L’honorable M. Fallon a
très bien dit que souvent les ministres savaient éluder les interpellations qui
leur étaient faites. Hier je me suis moi-même étendu sur ce point, je n’en
dirai pas davantage. Je pense qu’il serait dangereux d’adopter la loi si la
garantie proposée par M. Fallon n’y était pas insérée. En effet quel contrôle
la chambre pourra-t-elle exercer pour empêcher le pouvoir d’abuser du droit d’expulsion
? Aucun, car trop d’exemples nous ont appris que le droit d’interpellation ne
signifie rien, et que quand nous voulons l’exercer, les ministres savent bien
nous éconduire par des fins de non-recevoir.
Je crois que ce que je
viens de dire suffit pour justifier l’amendement que j’ai proposé et qui tend à
ce que l’article additionnel proposé par M. Fallon ne soit appliqué que quand
il y aura réclamation de la part de l’expulsé.
M.
le président. - M. Pirson propose de modifier comme suit l’amendement
de M. Fallon :
« Les chambres
pourront toujours demander des explications au ministère sur les motifs des
expulsions et il sera tenu de les donner en séance publique ou en comité
secret. »
La parole est à M. Pirson
pour développer son amendement.
M.
Pirson. - Je ne dirai que deux mots. A la première lecture, il vous
semblera peut-être que mon amendement ne fait que consacrer un droit qu’ont
déjà les chambres, celui d’interpeller les ministres. Mais, comme l’ont dit MM.
Fallon et d’Hoffschmidt, les ministres savent fort bien éluder ces
interpellations. Tandis que, d’après mon amendement, le gouvernement sera
obligé de s’expliquer.
M.
Lebeau. - Une simple réflexion suffirait pour déterminer la chambre à
écarter les amendements des deux honorables préopinants ; c’est qu’au lieu de
consacrer une prérogative de la chambre, ils méconnaissent, ils restreignent sa
prérogative. Comment : par cela seul qu’un étranger ne se plaindrait pas de son
expulsion, je n’aurais pas, comme député, le droit d’interpeller les ministres
à ce sujet ! Mais je ne veux pas subordonner mon droit à la réclamation d’un
étranger. Tel étranger expulsé n’aurait peut-être pas la possibilité de
réclamer ; et pour cela la chambre, ou un de ses membres, ne pourrait pas
réclamer en son nom !
Vous le voyez, messieurs, ces amendements vont
directement contre la pensée de leurs auteurs. Au lieu de consacrer une
prérogative de la chambre, ils la mettent en doute. Si vous admettiez l’un de
ces amendements, de ce qu’il ne serait pas dans une autre loi, on pourrait, par
un argument à contrario, en conclure que la chambre n’a pas le droit de
demander aux ministres des communications de pièces. Il est donc impossible
d’admettre ces amendements, qui, je le répète, vont directement contre la
pensée de leurs auteurs. (Aux voix ! aux
voix !)
M.
Pirson. - Je me bornerai à dire que M. Lebeau m’a fait dire le
contraire de ce que j’ai dit. (Aux voix !
aux voix !)
- La chambre est consultée
sur les amendements de MM. d’Hoffschmidt et Pirson.
L’amendement de M.
d’Hoffschmidt est appuyé ; il y sera donné suite. L’amendement de M. Pirson
n’est pas appuyé.
M.
Gendebien. - Messieurs, c’est en quelque façon pour un fait personnel
que je demande la parole. (Parlez !
parlez !)
On a cité un acte du
gouvernement provisoire. Il m’importe puisque j’ai eu le malheur d’en faire
partie... (Réclamations ; interruption.)
L’honneur si vous voulez, mais ce qui a été un malheur pour moi. Enfin, puisque
j’ai eu le bonheur, le malheur, ou l’honneur d’en faire partie, je dois un mot
d’explication.
D’abord je n’ai pas signé
l’arrêté du 6 octobre. J’étais alors en mission. Mais, si je m’étais trouvé à
Bruxelles, il est très probable que je me serais joint à mes collègues pour
signer cet arrêté. Car, vous, le savez, au 6 octobre, les Hollandais étaient
encore à une lieue de Bruxelles. On n’a pas oublié que ce n’est que le 27
septembre que les Hollandais sont partis et que des mesures vigoureuses étaient
alors nécessaires.
Je crois que si des
circonstances peuvent légitimer un acte tel que l’arrêté du 6 octobre, ce sont
bien celles où étaient alors placés mes collègues. Aujourd’hui, vous voulez
perpétuer cet arrêté, vous voulez jeter de l’odieux sur le gouvernement
provisoire. Car vous ne pourrez trouver rien de plus arbitraire ! c’est là un acte de dictature. Quant à moi je proteste
contre la conservation de cet arrêté dans des temps calmes. Je déclare que je
repousse l’odieux que l’on veut jeter sur moi, sur mes collègues, sur le
gouvernement provisoire, en appliquant cet arrête aujourd’hui.
Voilà tout ce que j’avais à
dire !
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, les étrangers
peuvent se trouver dans trois positions. Ou ce sont des étrangers qui arrivent
en Belgique, et nous avons le droit de les recevoir ou de ne pas les recevoir,
en vertu des lois sur les passeports. Ces lois ont été exécutées sans
interruption et sans contestation, sous l’empire français, sous le régime
hollandais et depuis la révolution. Ces lois ont été appliqués au sieur Guinard, et elles eussent été appliqués aux autres évadés
de Ste-Pélagie, s’ils étaient venus en Belgique ; ou bien ce sont des étrangers
qui n’ont aucun moyen d’existence, le gouvernement peut leur interdire tonte
résidence en Belgique, en vertu de l’arrêté du 6 octobre 1830.
Loin de moi la pensée de
faire un reproche au gouvernement provisoire d’avoir pris cet arrêté. C’est une
disposition sage d’ordre public et du droit des gens. Car on doit pouvoir
repousser les étrangers sans ressources qui viennent dans le pays pour
l’exploiter. On demande s’il faudra qu’en vertu de l’arrêté du 6 octobre, les
étrangers se présentent devant le ministre de la police ou un officier de
police pour justifier de ses ressources. Mais cet arrêté est exécuté depuis
quatre ou cinq ans, sans avoir donné lieu à aucune plainte. Il a été appliqué
au sieur Dejudicibus. Des interpellations nous ont
été adressées sur cette mesure ; des explications ont été données, mais
personne n’a protesté contre l’application de l’arrêté du 6 octobre.
D’ailleurs, s’il pouvait y
avoir quelque doute sur le droit qu’a le gouvernement d’appliquer l’arrêté du 6
octobre, ce doute serait levé par la proposition qu’a faite l’honorable membre
auquel je réponds ; car il a proposé depuis longtemps l’abrogation de cet
arrêté. La chambre est saisie de ce projet qu’elle jugera en connaissance de
cause. Pour moi, je pense que vous ne pouvez pas abroger une disposition qui
est nécessaire qui existe dans tous les pays.
Quant aux étrangers qui résident en Belgique, et
qui y ont tous les moyens d’existence, peuvent-ils être expulsés ? Nous ne
l’avons pas pensé dans l’état actuel de la législation. Le précédent ministère
avait cru pouvoir les expulser, en vertu de la loi de vendémiaire.
La chambre n’a pas
désapprouvé le gouvernement. Mais nous, nous avons besoin d’une loi, à l’égard
des étrangers qui, résidant en Belgique, compromettraient par leur conduite
l’ordre et la tranquillité publique.
M.
d'Hoffschmidt. - J’ai un mot à répondre à l’honorable M Lebeau qui
paraît ne pas m’avoir bien compris. Il a dit que mon amendement tendait à
restreindre les prérogatives de la chambre. Il aurait raison si mon amendement
était relatif au droit d’interpellation. Mais il ne s’agit pas de cela. Il
s’agit de communication d’arrêtés avec indication de leurs motifs.
M.
Lebeau. - Mais un député a le droit de faire cette demande, et la
chambre prononce.
M.
d'Hoffschmidt. - Ah ! la chambre
prononce ! Mais quand M Lebeau était ministre et qu’on lui adressait de
telles demandes de renseignements, il savait bien s’en tirer ! (On rit.) C’est un exemple que ses
successeurs ne manqueraient pas de suivre.
Un grand
nombre de membres. - La clôture ! la
clôture !
M.
le président. - Quelqu’un demande-t-il la parole contre la clôture ?
M.
de Brouckere. - Je demande la parole contre la clôture, pour répondre
quelques mots à M. Ernst qui m’a mis personnellement en cause. C’est en quelque
sorte une justification que je veux présenter. La chambre ne se refusera pas à
l’entendre.
J’ai demandé l’abrogation
de l’arrêté du 6 octobre 1830. Quel argument m’oppose M. Ernst ? Vous avez si
bien reconnu, dit-il, l’existence de cet arrêté, que vous en avez demandé
l’abrogation. Je dois dire franchement qu’il y a là de la mauvaise foi…
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Je demande la parole pour un rappel au
règlement.
D’après un article du
règlement, toute imputation de mauvaise foi est interdite. C’est une violation
de l’ordre. Or ici évidemment l’orateur s’est permis une imputation qui n’est
pas autorisée par le règlement. Il ne lui appartient pas de taxer de mauvaise
foi un membre de cette assemblée, qu’il siège au banc des ministres, ou sur les
autres bancs de la chambre. Il est temps que la chambre fasse respecter chacun
de ses membres. Comment, parce qu’on siège au banc des ministres, on pourra
être impunément taxé de mauvaise foi ! Je pourrais, messieurs, demander le
rappel à l’ordre de l’orateur qui s’est permis une telle sortie. Je ne le ferai
pas. Mais je ne permettrai jamais que l’on taxe de mauvaise foi les honorables
collègues qui siègent avec moi sur ce banc.
M.
le président. - Je dois rappeler à M. de Brouckere qu’aux termes de
l’article 19 du règlement toute imputation de mauvaise intention est interdite
M.
de Brouckere. - Nous savons cela, M. le président.
Messieurs, je n’imiterai
pas M. d’Huart qui se fâche si fort. Je commence par déclarer que je ne me
fâche pas.
M. d’Huart m’attribue une
imputation de mauvaise intention, une excitation au désordre. Je voudrais bien
savoir quand j’ai troublé l’ordre, quand je suis sorti des bornes de la
modération. Je ne sais si l’on pourrait en dire autant de M. d’Huart, en recherchant
ses antécédents parlementaires.
Mais je ne veux pas les
rechercher. (On rit.)
M. d’Huart a dit qu’il ne
demanderait pas mon rappel à l’ordre. Je le remercie beaucoup de sa
complaisance. Mais il a dit qu’il ne permettrait jamais un langage tel que le
mien. Que M. d’Huart sache que je n’ai besoin de la permission d’aucun membre
de 1a chambre, ni surtout de celle d’un ministre, pour exprimer mon opinion. Je
ferai tout ce que le règlement permet ; et je ne crains le rappel à l’ordre que
du président.
J’ai dit qu’il y avait
mauvaise foi de la part de M. Ernst. Voilà ce que M. d’Huart ne veut pas
permettre.
Quelques membres. - La clôture !
M.
de Brouckere. - Je prie M. le président de vouloir bien me continuer la
parole. Je crois que je suis modéré. Je ne me fâche pas. Je ne fais pas comme
le ministre des finances. Il est vrai aussi que je ne suis pas ministre.
M. Ernst prétend que je
reconnais l’existence de l’arrêté du 6 octobre, puisque j’en demande
l’abrogation.
M. Eloy de Burdinne. - M. de Brouckere
n’a la parole que sur la clôture.
M.
le président. - La clôture n’a pas été prononcée.
M. Eloy de Burdinne. - C’est vrai, mais
elle a été demandée.
M.
le président. - Je prie M. Eloy de Burdinne de ne pas interrompre.
M. de Brouckere. - Ne faites pas attention M
le président. Ce ne sont pas les interruptions de M. Eloy de Burdinne qui
m’empêcheront de continuer. Un peu de patience, M. Eloy de Burdinne.
M. Eloy de Burdinne. - Je soutiens que
la chambre n’a pas été consultée et qu’elle aurait dû l’être.
M. Lebeau. - Je
déclare que je serai le premier à voter contre la clôture, pour que la chambre
entende M. de Brouckere. Mais il est parfaitement exact que la clôture avait
été demandée par plus de 10 membres, que M. de Brouckere n’avait demandé la
parole que sur la clôture, et qu’il ne devait l’avoir que pour expliquer les
motifs pour lesquels la clôture ne devait pas être prononcée. La chambre devait
ensuite être consultée.
M.
le président. - Après que M. Brouckere a eu parlé contre la clôture, il
n’y a pas eu d’opposition à ce qu’il parlât sur le fond. J’ai donc pu, de
l’assentiment de la chambre, lui laisser la parole.
La parole est continuée à M. de Brouckere.
M.
de Brouckere. - J’espère qu’on finira par me laisser parler !
On a prétendu que j’avais
reconnu l’existence de l’arrêté du 6 octobre, parce que j’ai demandé
l’abrogation de cet arrêté. J’ai dit, et je répète, qu’à cet égard, il y a eu
mauvaise foi de la part de M. Ernst ; car si on recourt aux considérants dont
j’ai fait précéder cette proposition, on y lit :
« Considérant que
l’arrêté du 6 octobre a cessé d’exister avec les circonstances qui y ont donne
jour ; considérant qu’il s’est élevé à cet égard des doutes dans quelques
esprits. »
Je demandé si, après cela, on peut dire que je
reconnais l’existence de l’arrêté du 6 octobre. La chambre en sera juge.
La chambre sera juge aussi
entre moi, qui m’explique froidement quand je suis accusé, et M. d’Huart qui se
fâche à froid, quand on ne lui a rien dit.
Un grand nombre de membres. - La clôture !
M.
Dumortier. - Je demande à dire quelques mots sur la question si grave
de l’existence des lois sur les passeports, question qui vient d’être soulevée
pour la première fois.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Je demande la parole pour un
fait personnel.
Il suffit d’exposer les
faits pour que la chambre juge si je mérite les paroles que m’a adressées M. de
Brouckere. J’ai dit que le fait seul de la proposition d’abroger l’arrêté du 6
octobre en supposait l’existence. Je ne suis pas entré dans les motifs qui ont
déterminé l’auteur de la proposition. J’ai pris le fait de la proposition et
comme jurisconsulte, j’ai dit :
Si on n’admettait pas
l’existence de l’arrêté du 6 octobre, on n’aurait pas besoin d’en proposer
l’abrogation. Voilà l’argumentation à laquelle je me suis livré. (La clôture ! la clôture !)
- La clôture est mise
aux voix et prononcée.
Le sous-amendement de M.
d’Hoffschmidt à l’article additionnel proposé par M. Fallon et cet article
additionnel sont successivement mis aux voix ; ils ne sont pas adoptés.
L’article additionnel
proposé par M. de Brouckere, et tendant à abroger l’arrêté du 6 octobre 1830,
est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
M.
Gendebien. - Je demande que mon vote affirmatif sur l’article
additionnel proposé par M. de Brouckere soit inséré au procès-verbal.
M.
le président. - Le vote affirmatif de M. Gendebien sera inséré au
procès-verbal.
M.
Liedts. - Il y a encore un article nouveau proposé par moi, et qu’il
conviendrait, je crois, de mettre maintenant aux voix car je ne pense pas que
la chambre ait statué sur ce point.
J’ai proposé un article
conçu en ces termes :
« Les
étrangers. qui seront condamnés du chef de banqueroute frauduleuse,
d’escroquerie ou d’abus de confiance, pourront, par le même jugement ou arrêt,
être condamnés à sortir du territoire de
Le ministre de la justice,
dans une explication qu’il a donnée, a dit que les gens dont il s’agit étaient
dangereux, compromettaient la tranquillité publique, et que par conséquent ils
tombaient sous le coup de la loi. Si l’on donne une étendue semblable à la
rédaction de l’article et aux mots sûreté publique, je crains que toutes les
condamnations ne deviennent un prétexte pour expulser un étranger. On
l’expulsera, pour une condamnation comme calomniateur, ou pour tout autre fait
de police ; avec une élasticité semblable, l’arbitraire sera encore plus large
que je ne le craignais.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- L’amendement est inutile. D’après l’amendement présenté par M. Dumortier et
adopté par la chambre, tout étranger condamné dans son pays peut être expulsé,
à plus forte raison peut-on expulser celui qui sera condamné en Belgique.
M.
Dumortier. - Mais on ne fait pas des lois avec des : « à plus
forte raison » ; dites que l’étranger condamné en Belgique pourra être
expulsé.
M.
le ministre de la justice (M. Ernst). - Mais nous devons avoir plus de
confiance dans les condamnations prononcées chez nous que dans les
condamnations prononcées au-dehors ; ainsi l’expulsion est nécessairement
possible.
Durée de validité de la loi
M.
le président. - M. de Mérode demande que la loi soit exécutoire jusqu’à
la paix avec
M.
F. de Mérode retire son amendement.
M.
Dumortier et M. Pirson demandent que la
loi ne soit obligatoire que jusqu’au premier janvier 1837.
- Cet amendement est
rejeté.
M.
le président. - La section centrale propose la disposition suivante
formant le dernier article de la loi :
« La présente loi ne
sera obligatoire que pendant trois ans à moins qu’elle ne soit
renouvelée. »
- Cette disposition est
adoptée.
La loi entière est par
conséquent adoptée par un premier vote.
La séance est levée à
quatre heures.